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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 29 septembre 2003

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui, à 11 h 35, dans le but d'examiner les aspects juridiques clés ayant une incidence sur la question des biens immobiliers matrimoniaux situés sur une réserve en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait ainsi que leur contexte politique particulier.

Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare la séance ouverte. Madame Morin, honorables sénateurs, bonjour.

En juin, le Sénat a autorisé le comité à entreprendre une étude importante sur les aspects juridiques clés ayant une incidence sur la question des biens immobiliers matrimoniaux situés sur une réserve en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait. Le comité a reçu notamment le mandat d'examiner quatre points précis: l'interaction entre les lois provinciales et les lois fédérales en ce qui concerne la répartition des biens matrimoniaux — biens personnels et immobiliers — se trouvant sur une réserve et, en particulier, l'exécution des décisions des tribunaux; la pratique de l'attribution des terres sur les réserves, en ce qui concerne, en particulier, l'attribution coutumière; dans le cas de mariage ou d'union de fait, le statut des conjoints et la façon de répartir les biens immobiliers en cas de rupture d'une union; et enfin les solutions possibles qui maintiendraient un équilibre entre les intérêts personnels et les intérêts communautaires.

[Français]

Le comité a, jusqu'à présent, rencontré un nombre important de témoins de divers groupes représentant les peuples autochtones. En juin, nous avons entendu le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Robert Nault.

Dans les semaines à venir, un certain nombre d'organisations, d'individus et d'experts auront la chance de témoigner devant notre comité. Nous aurons aussi la possibilité d'inviter les fonctionnaires du ministère, au besoin.

J'aimerais rappeler que vous pouvez soumettre au comité une opinion écrite sur le sujet.

[Traduction]

Le comité aimerait déposer son rapport à la fin de décembre 2003. Pour remplir le mandat qui lui a été confié, le comité a décidé de porter son attention sur trois questions: les Premières nations et la Loi sur les Indiens; les Premières nations et la Loi sur la gestion des terres des Premières nations; et les Premières nations et l'autonomie gouvernementale.

Madame Morin, je vous ai connue à l'époque où vous étiez l'adjointe à la recherche du sénateur Chalifoux. Depuis avril 2000, vous occupez le poste de directrice des opérations pour la nation des Cris Enoch, en Alberta. À ce titre, vous dirigez et supervisez les programmes de soutien de la bande. Nous sommes impatients de savoir ce que vous pensez sur le sujet qui fait l'objet du mandat que nous a confié le ministre. Madame Morin, nous vous écoutons.

Mme Irene Morin, Première nation Enoch, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, merci de m'avoir invitée à comparaître devant le comité pour discuter de la question des biens immobiliers matrimoniaux situés sur une réserve en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait.

Je fais partie de la nation des Cris Enoch. J'ai six enfants — tous des adultes, bien sûr —, 23 petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Je ne représente aucun groupe particulier. Je suis venue ici à titre personnel, dans l'espoir de vous aider dans votre étude.

Je voudrais d'abord vous parler de la Loi sur les Indiens, que l'on définit comme étant la «loi concernant les Indiens». Cette loi confère au gouvernement du Canada un pouvoir législatif sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens, comme le précise la Loi constitutionnelle de 1867. L'objectif premier de la Loi sur les Indiens est de gérer et de réglementer la vie des Indiens.

La Loi sur les Indiens ne dit rien des biens matrimoniaux. Nous savons tous que cette loi est discriminatoire en ce qui concerne les droits relatifs aux biens matrimoniaux sur une réserve en cas de rupture d'un mariage. La Loi sur les Indiens, qui est dépassée, n'aborde pas la question du partage des biens matrimoniaux sur une réserve. Seul l'article 48 de la Loi sur les Indiens traite des droits de succession.

Il y a également la question du certificat de possession et du certificat d'occupation, qui visent tous deux les terres de réserve. Le certificat de possession permet à un membre de la bande de posséder une terre; ce document atteste son droit de posséder cette terre. L'obtention du certificat passe par l'adoption d'une résolution du conseil de bande. Une personne peut vendre son droit de possession à un autre membre de la bande, louer la terre à des personnes qui ne font pas partie de la bande ou, autrement, exploiter la terre avec le consentement du conseil de bande et le ministre des Affaires indiennes. Le droit de possession est transmis à la succession, tant que le détenteur du certificat de possession compte des héritiers.

Les terres faisant l'objet d'un certificat de possession peuvent uniquement être vendues ou transférées à un autre membre de la bande. Seul le ministre des Affaires indiennes peut approuver ou annuler le certificat de possession. Ce certificat n'est pas un titre de «propriété», mais plutôt un droit de possession exclusif. La personne n'est pas propriétaire de la terre; elle a simplement le droit de la posséder au moyen d'un certificat, qui délimite la parcelle de terre à l'intérieur de la réserve qui est mise de côté pour son usage exclusif.

Le certificat d'occupation autorise une personne à occuper une terre de réserve pendant une période de deux ans, période qui peut être prolongée de deux autres années. Il faut une résolution du conseil de bande pour obtenir ce certificat, qui est approuvé par le ministre des Affaires indiennes. Cette première étape mène à l'obtention d'un certificat de possession.

Il existe par ailleurs ce qu'on appelle un système d'attribution selon la coutume. Même si ce système n'est pas reconnu par la Loi sur les Indiens, une personne peut légalement être en possession d'une terre de réserve attribuée en vertu d'une coutume ou d'une tradition. La personne doit être en mesure de démontrer que la terre a été attribuée selon ce système. Il peut être nécessaire d'obtenir le témoignage d'un ancien, qui attestera que la personne ou la famille de la personne a reçu la possession légale d'une terre, et qui expliquera comment la terre a été acquise.

Permettez-moi de vous expliquer comment fonctionne le système d'attribution selon la coutume. À la fin des années 60, mon beau-père a transféré une terre à mon mari. Cette terre, qui servait à la culture du foin, avait appartenu à son père. Mon beau-père est décédé en 1970. Mon mari, lui, est décédé un an plus tard. Moins d'un an après le décès de mon mari, la terre a été transférée à un autre membre de la bande, via une résolution du conseil de bande. Le chef à l'époque a indiqué au conseil que je ne voulais pas, en tant que conjointe survivante, de cette terre. Or, il ne m'a jamais demandé si je tenais à la garder. La personne qui a réclamé la possession de cette terre faisait partie du conseil à l'époque. Elle en a toujours la possession.

Les choses ont changé depuis 1971. De nombreuses femmes dans ma collectivité bénéficient maintenant des mêmes avantages que les hommes pour ce qui est de la possession de terres.

Enfin, il y a les terres de réserve de la bande. Ces terres appartiennent conjointement à l'ensemble des membres de la bande. C'est la bande, et non certains de ces membres, qui possède les terres. Bien que le régime prévu dans la Loi sur les Indiens n'empêche pas les femmes de posséder des terres de réserve, on a l'impression qu'elles ne le peuvent pas. La plupart des femmes autochtones vivent sur les terres de réserve de leurs conjoints, et c'est le conjoint qui, habituellement, possède ces terres. Les femmes autochtones qui vivent dans une réserve ont moins de droits à l'égard du foyer matrimonial après la rupture du mariage ou d'une union de fait que celles qui vivent à l'extérieur des réserves.

La Loi sur la gestion des terres des Premières nations est une mesure législative qui donne aux bandes les outils dont elles ont besoin pour améliorer le potentiel économique de leur collectivité. En 1999, 14 bandes ont adopté la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Seule une bande en Alberta y a participé. La Loi sur la gestion des terres des Premières nations prévoit la ratification et l'entrée en vigueur de l'accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations. Le projet de loi C-49 permettrait aux Premières nations participantes de se soustraire aux dispositions concernant l'administration des terres de la Loi sur les Indiens et d'établir leur propre régime de gestion des ressources naturelles et des terres. Il prévoit de nombreux changements, y compris des dispositions régissant l'utilisation, l'occupation et la possession des terres, et le partage des intérêts sur celles-ci en cas d'échec du mariage.

L'article 17 de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations exige qu'une Première nation, au terme du processus de consultation populaire prévu dans le code foncier, établisse des règles générales et de procédure applicables aux questions touchant les terres, en cas de rupture du mariage. Les Premières nations participantes doivent établir ces règles dans les douze mois qui suivent la date d'entrée en vigueur du code foncier. Les Premières nations peuvent, en vertu de cette initiative, prendre des textes législatifs qui s'appliquent lors de l'échec du mariage.

En 1986, la Cour suprême du Canada a statué qu'en raison de la Loi sur les Indiens, une femme ne pouvait demander la moitié des biens que détenait son mari en vertu d'un certificat de possession. Au mieux, une femme pouvait recevoir une indemnité en lieu et place des biens.

Le problème a été bien cerné dans l'arrêt Derrickson c. Derrickson, qui est maintenant souvent cité quand vient le temps de déterminer l'applicabilité de la législation provinciale aux terres réservées aux Indiens. Mme Derrickson a demandé un partage des biens sur le fondement de la Family Relations Act de la Colombie-Britannique. Les biens faisaient l'objet d'un certificat de possession délivré au mari, et se trouvaient sur la réserve indienne Westbank. La cour provinciale a statué que la Family Relations Act — une loi provinciale — ne pouvait servir à assurer le partage des terres à l'intérieur d'une réserve. Elle a conclu que la possession des terres de réserve était une question qui relevait de la compétence fédérale, et que la loi provinciale ne s'appliquait pas dans ce cas-là.

Mme Derrickson n'a pas réussi à obtenir la moitié des intérêts détenus sur les terres situées à l'intérieur de la réserve. Toutefois, la cour a proposé une solution de rechange en vertu de la Family Relations Act, et a ordonné le versement d'une indemnité aux termes de cette loi, en prenant en considération la valeur des terres de réserve détenues par le mari. La cour a statué que le versement de l'indemnité n'allait pas à l'encontre des dispositions de la Loi sur les Indiens, puisque cette loi ne prévoit pas le versement d'une indemnité entre conjoints.

Bien qu'une cour provinciale ne puisse ordonner le partage de biens immobiliers situés à l'intérieur d'une réserve, elle peut ordonner le partage des biens meubles situés à l'intérieur de celle-ci, comme les véhicules, les meubles, les articles personnels, les vêtements et l'argent. La loi permet à un Autochtone qui est muni d'une ordonnance de la cour de saisir les biens meubles d'un autre Autochtone qui sont situés à l'intérieur d'une réserve. Toutefois, un non-Autochtone ne peut saisir les biens meubles d'un Autochtone qui sont situés à l'intérieur d'une réserve.

En 1997, la B.C. Native Women's Society a intenté une poursuite en cour fédérale contre le gouvernement fédéral, au motif que celui-ci n'avait pas rempli ses obligations fiduciaires à l'égard des Autochtones en ce qui concerne le partage du foyer matrimonial après la rupture du mariage. La poursuite visait essentiellement la Loi sur les Indiens, mais les demandeurs ont soutenu qu'en prenant des mesures pour mettre en oeuvre l'accord-cadre relatif à la gestion des terres sans protéger les biens matrimoniaux des femmes autochtones vivant à l'intérieur des réserves, le gouvernement fédéral manquait à ses obligations fiduciaires et contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et des libertés. L'accord-cadre a été modifié et les dispositions pertinentes ont été incluses dans le projet de loi C-49.

Il n'existe aucune règle exécutoire qui permet de décider qui peut continuer d'habiter le foyer matrimonial. Chaque collectivité règle la question différemment. À mon avis, les femmes, qui sont les premières à s'occuper des enfants, devraient continuer d'occuper le foyer matrimonial.

Il en résulte que les femmes autochtones qui vivent à l'intérieur des réserves ne bénéficient pas des protections qui, de manière générale, sont jugées essentielles aux femmes et aux enfants en cas de rupture d'un mariage ou d'une union de fait.

Il nous faut plus de terres. La plupart des réserves connaissent une pénurie de logements. Je tiens à signaler que notre Première nation a accueilli des femmes visées par le projet de loi C-31. Des logements ont été fournis à celles qui en ont fait la demande. D'autres ont choisi de vivre à l'extérieur de la réserve. Nous n'avons pas de logements inoccupés dans notre collectivité. Il nous en faut un plus grand nombre pour les membres de notre bande. La Première nation Enoch a une politique sur le logement. Toutefois, elle continue de se conformer aux dispositions de la Loi sur les Indiens qui régissent la gestion des terres. Notre collectivité s'étend sur une superficie de 20 milles carrés; il y a 1 400 personnes qui vivent à l'intérieur de la réserve, et environ 300 qui vivent à l'extérieur de celle-ci.

J'ai dit plus tôt que la terre attribuée à mon mari selon la coutume avait été transférée à un autre membre de la bande. Eh bien, les choses ont changé depuis 1971. Comme je l'ai déjà mentionné, de nombreuses femmes au sein de la collectivité bénéficient des mêmes avantages que les hommes pour ce qui est de la possession des terres.

À l'heure actuelle, les leaders de la nation des Cris Enoch permettent aux femmes et aux enfants de rester dans le foyer matrimonial lorsqu'il y a rupture d'une union de fait ou divorce. Il y a trois femmes au sein de notre collectivité — qui ne faisaient pas partie à l'origine de la nation Enoch — qui ont obtenu un certificat de possession au moment de leur divorce. Dix autres femmes détiennent un certificat de possession, et quatre, un certificat d'occupation.

À mon avis, les leaders de la nation des Cris Enoch se sont montrés justes envers les femmes qui vivent à l'intérieur de la réserve. Au début des années 70, la nation des Cris Enoch a élu la première femme au sein du conseil de bande. Depuis, au moins deux ou trois femmes ont été élues au sein du conseil. Elles conservent leur siège chaque fois que leur mandat est renouvelé. Je tiens également à signaler que le conseil de bande respecte les ordonnances alimentaires et déduit le montant de la pension du salaire des conjoints qui travaillent pour la nation Enoch et qui font l'objet d'une ordonnance de saisie-arrêt.

Je compatis avec les femmes des Premières nations qui sont victimes d'inégalités. Nous devons supprimer les dispositions discriminatoires que contient la Loi sur les Indiens. Nous devons protéger les droits des femmes et des enfants des Premières nations. Nous devons également donner aux femmes le pouvoir de s'affirmer davantage lorsqu'elles sont victimes de violence familiale.

Pour ce qui est des codes fonciers que prévoit le projet de loi C-49, il nous faut des règlements pour appliquer ces codes, surtout ceux qui visent les biens matrimoniaux. J'encourage les Premières nations à adopter la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. Des changements ou des modifications à certaines dispositions de la Loi sur les Indiens s'imposent, mais ces changements doivent être élaborés de concert avec toutes les Premières nations. Nous savons qu'il faudra du temps pour les mettre en oeuvre. Nous avons besoin d'outils et de ressources pour nous atteler à cette tâche.

Je demeure convaincue que la médiation et l'arbitrage contribuent à améliorer ou à corriger les situations problématiques. La violence familiale existe à l'intérieur des réserves. Je voudrais que l'on construise des maisons de refuge pour femmes battues dans les réserves — des installations qui offrent un environnement sûr et sécuritaire aux femmes aux prises avec des difficultés au foyer, et qui leur permettent aussi d'avoir accès à des services de consultation psychologique.

Je suis une optimiste. J'espère que l'étude qu'entreprend le comité se traduira par des modifications positives à la Loi sur les Indiens, modifications qui garantiront l'égalité de toutes les femmes membres des Premières nations au Canada. Encore une fois, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant le comité. Je tiens à vous féliciter pour l'excellent travail que vous accomplissez.

J'ajouterais que j'espère, moi aussi, occuper un jour un poste de sénateur, tout comme le sénateur Chalifoux, que j'admire beaucoup.

Le sénateur Beaudoin: Je ne suis pas étonné de voir que la Loi sur les Indiens ne dit rien des biens matrimoniaux. Il est vrai que les réserves appartiennent habituellement à la Couronne, que ce soit du chef du Canada ou d'une province.

Par ailleurs, l'arrêt Derrickson précise que les lois provinciales ne s'appliquent pas. Toutefois, nous possédons tous les pouvoirs que nous voulons en vertu du paragraphe 91(24). Il y a peut-être des lois autres que la Loi sur les Indiens qui abordent la question.

Pour autant que je sache, vous n'avez pas fait allusion aux lois qui, dans une certaine mesure, traitent peut-être de la question.

Mme Morin: Non, je ne l'ai pas fait.

Le sénateur Beaudoin: Préférez-vous que l'on apporte des modifications à la Loi sur les Indiens?

Mme Morin: C'est ce que je croyais comprendre — à savoir que l'étude et les recommandations du comité s'appliqueraient aux modifications qu'il y aurait lieu d'apporter à la Loi sur les Indiens.

Le sénateur Beaudoin: Je me demande si je ne remplacerais pas carrément cette loi par une autre. C'est peut-être aller trop loin.

Donc, vous préférez que l'on modifie la Loi sur les Indiens plutôt que d'essayer de trouver une solution dans d'autres lois, n'est-ce pas?

Mme Morin: Cela aiderait si les autres lois étaient prises en compte. Parallèlement, il y a certaines dispositions de la Loi sur les Indiens qui nous protègent du fait que nous sommes visés par des traités. Les dirigeants à l'échelle nationale diraient sans doute que nous devons continuer de défendre nos droits issus de traités, et je suis d'accord avec eux.

J'ai lu ce matin une inscription qui disait: «Tant que le soleil brillera, l'herbe poussera et les rivières couleront». Les Premières nations du Canada en sont toutes convaincues. C'est une devise à laquelle nos ancêtres — ceux qui ont signé les traités avec la Reine d'Angleterre — ont cru. Ils continuent d'ailleurs d'y croire.

Je crois qu'il y a des lois, comme la Loi constitutionnelle, la Charte des droits et libertés et d'autres lois fédérales qu'on pourrait examiner pour chercher à éliminer les inégalités dont souffrent les femmes.

Le sénateur Beaudoin: Le droit de possession existe, mais pas le droit de propriété. On part de là. Y a-t-il d'autres femmes qui ont réussi à obtenir le droit de possession? Vous avez parlé d'un cas.

Mme Morin: J'ai parlé de trois femmes qui ont un certificat de possession depuis leur divorce.

Le sénateur Beaudoin: Depuis leur divorce?

Mme Morin: Oui. Il y a des communautés autochtones qui fonctionnent différemment étant donné qu'il n'y a pas de règle générale applicable à toutes les Premières nations du Canada.

Les dirigeants de chaque communauté autochtone doivent examiner de près la façon dont ils traitent les femmes. Je ne le dis pas pour obtenir de faveur spéciale de la part de mon chef et de son conseil, mais nos dirigeants font preuve de beaucoup de compassion pour ce qui est des questions préoccupant les femmes. Les femmes qui ont reçu de leur mari un certificat de possession au moment du divorce ont demandé aux dirigeants qu'une partie de la terre qui appartenait à leur mari leur soit réservée. Il faut présenter une demande aux dirigeants à cette fin. La demande pour l'obtention de la moitié ou d'une autre portion de la propriété doit d'abord être adressée au conseil de bande, qui rédige une résolution et l'envoie au ministre des Affaires indiennes.

Ensuite, le ministre l'accepte ou la rejette. Si la demande est approuvée, la femme qui l'a présentée devient détentrice de la terre. Comme je l'ai dit, il n'y a pas de propriété de terres dans les réserves.

La terre pour laquelle les femmes ont un certificat de possession est réservée à leur usage. Elles peuvent l'exploiter, la louer à des personnes qui ne font pas partie de la bande ou la vendre à un autre membre de la bande, mais jamais à quelqu'un qui n'en fait pas partie.

Le sénateur Beaudoin: Le problème serait-il réglé si elles peuvent faire tout cela?

Mme Morin: Je ne peux pas dire que le problème serait réglé, mais je pense que ce serait utile pour les femmes, surtout celles qui sont en instance de divorce. Je ne connais aucune femme, vivant en union de fait dans la réserve avec un membre de la bande, qui a obtenu la possession de la terre en vertu d'un certificat. Mais je connais des femmes dont le mari est décédé et à qui la possession de la terre a été léguée.

Le sénateur Jaffer: Bienvenue, madame Morin. Le travail que vous faites auprès des femmes est bien connu. Je suis heureux de vous rencontrer.

Votre témoignage est très intéressant. Il y a deux points de vue qui nous sont présentés et avec lesquels notre comité est aux prises. D'un côté, les gens nous demandent d'attendre, qu'après les consultations ils vont présenter un plan. De l'autre, les gens nous disent que la Loi sur les Indiens n'est pas parfaite et qu'il faut trouver des solutions maintenant.

Vous avez été victime d'une injustice par le passé. Vous avez perdu la terre qui vous appartenait de droit. Depuis, les choses se sont améliorées dans la réserve.

Je considère cela comme une mesure de transition en attendant que des consultations aient lieu et que la Loi sur les Indiens soit modifiée. J'aimerais savoir ce que nous devrions faire d'après vous. Je crois comprendre que, dans votre réserve, les femmes sont bien traitées, mais que ce n'est pas le cas dans beaucoup d'autres réserves. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la question.

Mme Morin: Quand j'ai d'abord entendu parler de l'étude que votre comité allait faire, je me suis demandée comment vous alliez obtenir de l'information des femmes de tout le pays. Il me semblait utile que le comité sénatorial aille visiter les communautés autochtones pour entendre le point de vue des femmes. Je pense que vous l'avez fait dans une certaine mesure. Cependant, vous êtes allés dans les centres urbains, et ce n'est pas là que la plupart des femmes autochtones vivent. Il y en a qui vivent à l'extérieur des réserves; ce n'est pas la majorité d'entre elles qui vivent dans les réserves.

Je ne suis pas sûre que ce serait une bonne idée que les hommes soient présents, parce que leur point de vue serait probablement différent. La majorité des décisions prises dans les réserves au sujet des terres le sont par des hommes, et la plupart du temps en leur faveur. Cependant, ce n'est peut-être pas suffisant d'inviter certaines femmes à témoigner devant le comité. Il faut peut-être entendre l'opinion d'un plus large éventail de femmes au Canada. Je ne sais pas vraiment comment on peut arriver à le faire compte tenu des coûts que cela suppose.

Je ne sais pas combien de témoins vous allez recevoir, mais je pense que ce serait une bonne idée d'entendre le point de vue de beaucoup de femmes vivant dans les réserves. Les femmes qui vivent à l'extérieur des réserves savent que, si elles veulent leur juste part des biens immobiliers, le tribunal provincial peut déterminer leurs droits. Cependant, pour les femmes qui vivent dans les réserves, il y a beaucoup d'éléments à prendre en considération. J'aimerais que plus de femmes vivant dans les réserves viennent témoigner.

Le sénateur Jaffer: Madame Morin, je peux vous assurer que notre présidente s'est employée activement à essayer de trouver un juste équilibre à ce sujet, mais que le facteur temps est plus problématique pour nous que l'aspect financier. En effet, le ministre nous a fixé un échéancier très serré. Même si nous voulons entendre le plus de gens possible, ce serait un peu irresponsable de notre part de le faire étant donné que le temps va nous manquer et qu'il est impérieux d'agir.

Si vous pensez que d'autres femmes devraient venir témoigner, je suis sûr que notre présidente s'arrangera pour les recevoir.

Il y a un autre sujet qui me préoccupe beaucoup, à propos de ce que vous avez dit sur la médiation et l'arbitrage. Je me suis occupé de médiation pendant longtemps. Un des problèmes, surtout quand la violence est en cause, c'est la relation de pouvoir qui existe à la table de négociation, particulièrement à l'égard des femmes. J'aimerais que vous nous indiquiez — peut-être pas aujourd'hui — comment la médiation fonctionnerait, surtout quand il y a de la violence.

Mme Morin: Comme je l'ai dit plus tôt, je suis optimiste de nature. Si la relation est conflictuelle au point qu'il n'y a pas d'espoir de réconciliation, il faut alors agir ainsi. Cependant, s'il y a le moindre espoir de réconciliation, c'est une solution qu'on devrait envisager. Il y a beaucoup de femmes autochtones qui subissent la violence familiale. Comme il n'y a pas de refuge pour elles dans les réserves, elles doivent aller dans les villes pour trouver sécurité et asile.

Je vais assurément réfléchir à ce que j'ai dit ce matin et peut-être communiquer avec d'autres femmes dans la communauté. Vous avez demandé comment obtenir une plus grande participation des femmes. Il existe beaucoup de groupes de femmes au Canada. Chaque province en a un. Ces groupes pourraient peut-être se réunir pour discuter de ce dont nous parlons aujourd'hui et, si vous êtes d'accord, ils pourraient vous transmettre leurs recommandations en tant que groupe représentant les femmes des provinces. Ce serait une façon d'élargir la participation des femmes, si elles n'ont pas la possibilité de venir vous rencontrer en personne.

Le sénateur Jaffer: Merci. Pratiquement tous, sinon tous les groupes de femmes sont déjà venus nous rencontrer, mais vos suggestions sont utiles.

Le sénateur Joyal: J'aimerais parler de ce dont il est question dans le deuxième paragraphe de la page 4 de votre mémoire. Vous indiquez qu'en 1999, 14 bandes ont opté pour la Loi sur la gestion des terres des Premières nations. En principe, si la loi devait être approuvée par toutes les Premières nations, combien d'autres communautés devraient y souscrire?

Mme Morin: Je dirais des centaines. J'ai entendu dire qu'il y avait 633 Premières nations au Canada.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, il y a seulement une infime partie d'Autochtones, et surtout de femmes, qui tirent profit des dispositions de la loi.

Dans le troisième paragraphe de la même page, vous dites que l'article 17 de la loi prévoit l'établissement de règles générales et de procédures sur les questions liées aux terres en cas de rupture du mariage.

À votre connaissance, est-ce que les 14 bandes qui souscrivent à la loi ont adopté des mesures concernant la gestion des terres en cas de rupture du mariage?

Mme Morin: Autant que je sache, seulement deux ou trois parmi les 14 Premières nations en question ont adopté un code foncier applicable en cas d'échec du mariage.

Le sénateur Joyal: Serait-il possible que les membres du comité obtiennent les dispositions de ces deux ou trois codes qui traitent de l'attribution des terres en cas de rupture du mariage? Ce serait utile que le comité puisse les examiner.

Par conséquent, pour les plus de 600 bandes autochtones qui existent, il y aurait deux ou trois codes régissant l'attribution des terres en cas de rupture du mariage, ce qui donne une idée du problème. Est-ce que c'est juste ou est-ce que j'exagère?

Mme Morin: Je crois comprendre que les Premières nations ont eu l'occasion d'adopter leur propre code foncier. Je ne sais pas combien de codes fonciers vont être ainsi adoptés. Il pourrait y en avoir que deux. Je ne sais pas combien d'autres Premières nations vont suivre l'exemple de celles qui ont adopté un code.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, la Loi sur la gestion des terres des Premières nations offre actuellement une solution très restreinte aux problèmes liés à la possession de terres en cas de rupture du mariage. En bout de ligne, beaucoup d'autres bandes pourraient se prévaloir de la loi mais, actuellement, la loi règle les problèmes d'un tout petit nombre de personnes touchées par la rupture du mariage.

Mme Morin: Oui. Il serait utile que toutes les Premières nations appliquent la Loi sur la gestion des terres des Premières nations.

Je travaillais à Ottawa quand cette loi a été adoptée par la Chambre des communes et le Sénat. Je travaillais pour le sénateur Chalifoux et j'étais donc au courant de la loi; j'en ai d'ailleurs parlé à plusieurs chefs. Bien sûr, la question soulève des craintes au sujet du maintien de nos droits issus de traité. Les Autochtones du Canada ont toujours l'impression qu'on veut leur enlever leurs droits. Chaque fois qu'on veut faire des changements ou modifier une loi, les gens craignent que leurs droits issus de traité n'en souffrent.

Si j'étais chef de bande, je penserais sérieusement à faire appliquer la Loi sur la gestion des terres des Premières nations dans ma réserve.

Le sénateur Joyal: Votre bande n'y souscrit pas?

Mme Morin: Pas encore. La question des terres de réserve demeure. Je crois que toutes les terres de la réserve devraient appartenir conjointement à tous les membres de la bande. Je ne crois pas aux certificats de possession, mais plutôt aux certificats d'occupation. Toutes les terres réservées aux Indiens devraient appartenir à tous les membres de la bande en question.

Le sénateur Joyal: Dans ce contexte, comment réglez-vous le problème de l'arbitrage nécessaire en cas de rupture du mariage ou de l'union de fait? Comment réglez-vous la situation des femmes et des enfants et bien sûr le partage des biens du couple afin que les femmes puissent continuer d'élever leurs enfants?

Comment réglez-vous cela dans le contexte que vous expliquez?

Mme Morin: D'abord, je ferais appliquer la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, étant donné qu'il faut régler le problème des biens immobiliers matrimoniaux dans les réserves et qu'il faut accorder les mêmes droits à l'égard des terres aux femmes.

Cependant, s'il n'y avait pas de certificat de possession ni de certificat d'occupation, il faudrait établir, dans la réserve, de nouvelles mesures qui pourraient être intégrées à la Loi sur les Indiens pour nous aider à régler les problèmes liés à la rupture du mariage. Si les membres de la bande possédaient conjointement les terres, on n'aurait pas à se demander à qui revient la terre. Elle continuerait d'appartenir à de tous les membres de la bande.

Le sénateur Joyal: En cas de rupture du mariage ou de l'union de fait, qui, d'après vous, devrait décider que la femme devrait rester dans la maison avec les enfants et avoir droit à une partie des biens?

Mme Morin: Il y a beaucoup d'aînés qui font preuve de sagesse et qui connaissent tous les membres vivant dans la communauté. Ils seraient les mieux placés pour s'occuper de la médiation.

Le sénateur Joyal: Est-ce donc dire que vous feriez appel à ces sages qui sont respectés et reconnus par toute la communauté?

Mme Morin: Oui.

Le sénateur Joyal: Leur confierait-on la responsabilité ou le pouvoir d'être justes dans les circonstances sans connaître le contexte dans lequel vous avez vécu? Vous avez dit qu'un membre du conseil de bande voulait votre terre et votre maison et a réussi, par des manigances politiques, à vous les enlever. Est-ce que je comprends bien ce que vous dites?

Le sénateur Morin: C'est vrai, oui.

Le sénateur Joyal: Au dernier paragraphe de la page 5 de votre mémoire, vous dites:

En 1997, la B.C. Native Women's Society a intenté une poursuite en Cour fédérale contre le gouvernement fédéral, au motif que celui-ci n'avait pas rempli ses obligations fiduciaires à l'égard des Indiens en ce qui concerne le partage du foyer matrimonial après la rupture du mariage.

La poursuite visait essentiellement la Loi sur les Indiens, mais les demandeurs ont soutenu qu'en prenant des mesures pour mettre en oeuvre l'Accord-cadre relatif à la gestion des terres des Premières nations sans protéger les biens matrimoniaux des femmes autochtones mariées vivant à l'intérieur des réserves, le gouvernement fédéral manquait à ses obligations fiduciaires et contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Pouvez-vous nous rappeler les noms des demandeurs dans cette affaire?

Mme Morin: La B.C. Native Women's Society, Teresa Nahanee et Jane Gottfriedson.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, je pense qu'il nous faudrait examiner cette affaire avant de conclure notre étude. Il y a deux principes importants en cause. Le premier est l'égalité des droits des femmes et des hommes autochtones, telle qu'elle est prévue à l'article 35.4 de la Constitution. Le deuxième est le principe constitutionnel fondamental des obligations fiduciaires du gouvernement fédéral. C'est d'une importance fondamentale si nous devons formuler des recommandations. Je vais examiner la cause pour ma propre gouverne.

Il est crucial pour notre étude de savoir si, en ne protégeant pas le foyer familial des femmes autochtones, le gouvernement fédéral manque à ses obligations fiduciaires à l'égard des femmes autochtones.

Nous aurons peut-être la possibilité d'examiner la question. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention là-dessus. L'obligation fiduciaire à l'égard des peuples autochtones du Canada a été confirmée par la Cour suprême du Canada. L'honneur du pays est en cause à l'égard de cette obligation. C'est un aspect fondamental dont notre comité doit traiter dans ses recommandations.

En d'autres termes, la décision du gouvernement fédéral n'est pas liée à une question de politique, mais à un devoir constitutionnel. À mon avis, ce sont deux choses fondamentalement différentes.

Le comité pourrait vouloir examiner cet aspect de la décision rendue par le tribunal pour que nous puissions en discuter dans notre rapport.

La présidente: Nous aurons des interventions sur ces deux sujets particuliers.

En mars de cette année, le ministre a annoncé que 19 autres Premières nations songeaient à signer l'accord-cadre sur les codes fonciers. La semaine prochaine, nous allons entendre le témoignage de la chef Margaret Panesse-Mayer de la Première nation de Nipissing qui viendra discuter du code foncier de sa réserve avec nous.

Le sénateur Joyal: Je maintiens ma demande. Nous devrions obtenir copie des différents codes pour mieux comprendre les moyens de régler les problèmes matrimoniaux liés à la rupture du mariage.

La présidente: C'est ce que nous tentons d'obtenir maintenant, monsieur le sénateur.

Le sénateur Chalifoux: Madame Morin, vous étiez membre d'une autre réserve quand vous vous êtes mariée. Lorsque votre époux est décédé, avez-vous demandé à retourner dans votre réserve d'origine? Si oui, quel a été le résultat de cette demande?

Mme Morin: Non, je n'ai pas demandé à être réintégrée dans la nation des Cris de Kehewin. C'était mon choix. Toutefois, je considère encore que c'est chez moi, puisque c'est là que je suis née.

Quand je rends visite aux gens de la nation crie de Kehewin, ils sont toujours heureux de m'accueillir. À un moment donné, ils m'ont demandé quand je reviendrai chez moi. Je leur ai répondu que mon chez-moi se trouvait désormais à Enoch.

Lorsque j'ai déménagé à Enoch, j'ai quitté mon autre chez-moi pour aller vivre avec mon mari. Toutefois, nous nous sommes séparés pendant un certain nombre de mois. Durant cette période, j'aurais pu retourner à Kehewin, mais comme je l'ai déjà dit, j'en ai décidé autrement.

Lorsque mon mari et moi nous nous sommes séparés, je suis allée habiter chez ma mère, qui vivait à Edmonton à cette époque. Lorsque le chef d'Enoch a découvert que mon mari demeurait dans la maison alors que mes enfants et moi vivions ailleurs, il lui a ordonné de quitter les lieux. Il nous a dit que nous pouvions revenir puisque c'était notre chez-nous. C'est là où était notre place. Nous sommes revenus, et mon mari a dû trouver un autre logement. Cette séparation n'a pas duré longtemps. Nous nous sommes réconciliés, et mon mari est revenu à la maison.

Les choses ne sont pas aussi faciles pour d'autres femmes. La réconciliation ne se fait pas toujours dans des conditions aussi favorables ou aussi amicales. Je comprends ce que les femmes doivent supporter. Certains membres de ma famille et certaines amies ont été victimes de violence familiale.

Je n'ai jamais songé à retourner dans ma communauté d'origine, même si des liens existent encore. J'ai de la famille dans cette réserve, tout comme dans la réserve d'Enoch.

Le sénateur Chalifoux: Nous avons entendu des exposés ici concernant des femmes qui avaient demandé à retourner dans leur réserve d'origine après l'échec d'un mariage, un décès ou un autre événement, et qui avaient essuyé le refus du chef et du conseil.

À votre avis, sur quoi notre comité devrait-il se pencher concernant les femmes à qui on refuse cette réintégration?

Mme Morin: Cette question relève de la réserve d'origine. Nous ne pouvons forcer une réserve à réintégrer une femme qui s'est mariée à l'extérieur de cette réserve.

Toutefois, la question est toute autre en ce qui concerne le projet de loi C-31. Comme je l'ai mentionné, la nation crie d'Enoch a réintégré les femmes qui s'étaient mariées à l'extérieur de la réserve ou qui s'étaient mariées à des membres d'une autre réserve — bien que ces dernières soient moins nombreuses que celles qui se sont mariées à l'extérieur de la réserve à des non-Autochtones.

Je ne peux ordonner à une autre réserve, ni à Kehewin, de m'accepter si je décide d'y retourner. Voilà une situation qui devrait être examinée, mais il faudrait que les choses aillent vraiment mal dans la réserve où je vis actuellement pour que je souhaite retourner dans la réserve où je suis née.

Le sénateur Chalifoux: Vous avez perdu le terrain en question dans les années 70 lorsque votre époux est décédé. En quoi cela a-t-il touché vos enfants au fil des années? Cette situation a-t-elle eu un effet positif ou négatif sur l'éducation de vos enfants?

Mme Morin: L'effet sur mes enfants en a été négatif, parce qu'ils sont aujourd'hui adultes et qu'ils n'ont pas d'endroit où construire une maison.

Mon fils aîné demeure dans la maison où je vivais lorsque je me suis mariée. J'habite dans une maison que j'ai construite en 1982. Mon deuxième fils qui s'est marié il y a deux ans à une non-Autochtone n'avait aucun endroit où construire une maison et pas d'argent non plus pour ce faire. En conformité avec l'article 10 de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, la SCHL, il s'est adressé à une banque pour obtenir une hypothèque en vue de construire une maison.

Il s'est adressé au chef et au conseil pour obtenir un terrain sur lequel il pourrait construire une maison. Mes deux fils aînés ont entamé cette démarche auprès du chef et du conseil précédents comme auprès du chef et du conseil actuels. Ils parlent maintenant d'indemnité. Ils demandent un autre terrain sur lequel ils pourraient construire leur maison ainsi qu'une indemnité pour le terrain qui nous a été pris, à eux et à moi. La situation a été difficile pour eux.

Mes enfants sont conciliants. Ils s'affirment, mais ils ne sont pas agressifs. Il m'arrive d'ailleurs de souhaiter qu'ils le soient davantage. Toutefois, cette situation a eu un effet négatif dans leur vie.

Le sénateur Jaffer: Le sénateur Joyal a parlé du code foncier. J'ai été étonnée de vous entendre dire que même s'il y avait un code foncier, son application dépendrait de chaque réserve faisant partie de l'accord-cadre. J'ai cru comprendre que le code foncier n'était pas obligatoire. Ils ont dû quand même suivre tout le processus, alors il faudrait un certain nombre d'années avant qu'il n'y ait un redressement quelconque pour les femmes.

Êtes-vous au courant de la façon dont les dispositions du code foncier étaient appliquées dans les réserves qui ont été les premières à se doter d'un tel code?

Mme Morin: À vrai dire, je ne suis pas certaine quelles sont les deux ou trois Premières nations à avoir élaboré leur code foncier. Les collectivités des Premières nations qui ont accepté la Loi sur la gestion des terres des Premières nations doivent établir et appliquer leur code foncier dans les 12 mois suivant l'entrée en vigueur du code foncier.

Ce que je comprends, c'est que chaque Première nation doit élaborer son propre code foncier. Les codes fonciers peuvent donc être très différents d'une Première nation à l'autre. Si j'avais eu plus de temps, j'aurais cherché à savoir quelles réserves se sont dotées d'un code foncier pour pouvoir vous donner un exemple aujourd'hui.

Le sénateur Joyal: J'aimerais bien comprendre, puisque notre comité doit présenter des recommandations au Sénat. Si elles sont justes et pertinentes, le gouvernement déposera un projet de loi. Remarquez que nos collègues peuvent aussi présenter un projet de loi au Sénat, ce qui pourrait accélérer les choses.

J'aimerais revenir à l'un de vos commentaires. Vous avez piqué ma curiosité en disant que vous ne pourriez pas retourner dans votre réserve d'origine, où vous êtes née, après avoir épousé un membre d'une autre bande, au moment de l'échec de votre mariage. Est-ce à dire que vos enfants appartiennent à la bande de votre époux?

Mme Morin: Oui. Ce serait Enoch pour eux.

Le sénateur Joyal: Ayant épousé un membre d'une autre bande, vous avez perdu votre droit de retourner dans votre réserve d'origine, d'y vivre, d'y avoir une maison ou un endroit où rester, n'est-ce pas?

Mme Morin: Je n'en suis pas certaine. Je ne suis pas retournée dans ma réserve d'origine par choix.

Le sénateur Joyal: Et si vous aviez décidé d'y retourner parce que vous y avez peut-être encore de la famille?

Mme Morin: J'ai de la famille à cet endroit.

Le sénateur Joyal: En toute justice, c'est à cet endroit que vous pourriez retrouver vos racines, votre affiliation, votre identité familiale. C'est un endroit où vous pourriez souhaiter vivre. Que serait-il arrivé si vous en aviez décidé ainsi? Votre mariage est un échec et vous devez réorganiser votre vie. Vous devez prendre vos propres décisions.

J'essaie de comprendre les contraintes qui pèsent sur vous au moment de l'échec de votre mariage. Je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, mais j'essaie simplement de comprendre, n'étant pas moi-même autochtone. En quoi la situation dans laquelle vous vous retrouvez est-elle différente de celle d'une personne non-autochtone?

Mme Morin: Je ne sais pas exactement comment répondre à cette question. Si j'avais demandé à revenir à Kehewin, je ne vois pas pourquoi on ne m'aurait pas acceptée. En même temps, je n'aurais pas demandé que mes enfants soient acceptés dans cette réserve, parce qu'ils appartiennent à la bande d'Enoch. J'aurais pu demander de réintégrer la nation des Cris de Kehewin, où je suis née, et je suis certaine qu'on m'aurait acceptée et qu'on m'aurait permis d'avoir une maison. Or, comme je l'ai déjà dit, j'ai choisi de faire autrement.

C'est à la femme de choisir. Si elle demande à retourner dans sa réserve d'origine, il devrait y avoir des dispositions à cet effet. Toutefois, si elle choisit de ne pas y retourner, c'est son droit.

Le sénateur Joyal: Dans la mesure où c'est la femme qui décide de quitter la réserve, j'essaie de comprendre la situation d'une femme autochtone qui se retrouve avec de jeunes enfants totalement dépendants d'elle. Si elle n'a pas le droit de retourner dans la bande d'origine de ses parents, où elle pourrait avoir le soutien de sa famille immédiate pour élever ses enfants, elle se retrouve dans une situation beaucoup plus difficile que celle d'une femme non autochtone.

Mme Morin: Il faudrait prévoir une disposition permettant à cette femme de retourner dans sa réserve d'origine. Toutefois, cette disposition ne doit pas inclure ses enfants, puisqu'ils appartiennent à une autre bande. La mère doit se rappeler qu'à leur majorité, ses enfants pourront décider s'ils souhaitent appartenir à Kehewin ou à Enoch.

Par suite du projet de loi C-31, les enfants mineurs ont été émancipés en même temps que leurs parents. Lorsqu'ils sont devenus adultes, ils ont demandé pourquoi ils avaient été rayés de la bande à un âge où ils ne pouvaient décider d'eux-mêmes. Nous serions probablement confrontés à ce problème également.

La présidente: Merci, madame Morin, pour votre intervention.

Je souhaite la bienvenue à notre prochain témoin, Mme McIvor, avocate autochtone spécialisée dans les questions relatives aux femmes autochtones. Elle a récemment comparu devant un comité des Nations Unies, à New York, sur la question des femmes autochtones.

Mme Sharon Donna McIvor, avocate, témoignage à titre personnel: Veuillez m'excuser de ne pas avoir remis à l'avance une copie de mon exposé. J'avais pourtant rédigé un mémoire et, ayant déjà fait de nombreux exposés à titre d'avocate et d'activiste et à titre personnel, je sais que je peux écrire d'excellents mémoires sur des questions de droit. Toutefois, après avoir lu mon document, j'ai constaté qu'il ne reflétait pas ce que je voulais vraiment vous dire aujourd'hui.

Après avoir lu la transcription de certaines de vos séances, j'ai remarqué que les sénateurs sont bien informés des questions d'ordre juridique. Seulement deux de ces questions sont pertinentes dans le cadre de la présente étude et les répéter ne les rendrait pas plus claires. C'est pourquoi j'ai jeté mon rapport la semaine dernière lorsque j'ai décidé de vous parler.

Si le comité le souhaite, je lui fournirai un exposé écrit pour son compte rendu. Je crois comprendre également que les présentes délibérations sont transcrites, et que vous aurez donc un document écrit sous une forme ou une autre.

Je suis originaire du centre de la Colombie-Britannique. Si vous regardez la carte, vous ne trouverez pas mon village, mais vous verrez Thompson. Je suis mère, grand-mère et également avocate militante des droits des femmes autochtones. Titulaire d'une maîtrise en droit, j'ai terminé les trois-quarts de mon doctorat. Je m'intéresse depuis toujours aux questions qui touchent les femmes autochtones et l'égalité. Je ne croyais que mes premiers engagements allaient dans ce sens, mais c'est en fait le cas depuis longtemps.

Je me penche sur ce dossier particulier depuis 1986. J'ai examiné l'affaire Derrickson, qui m'a consternée et c'est à ce moment-là que j'ai décidé qu'il fallait faire quelque chose de positif.

Je vis à Merritt, en Colombie-Britannique, où je suis née et j'ai grandi. Je vis et je travaille à moins de deux kilomètres d'où je suis née.

J'apprécie que vous demandiez notre avis, et j'espère que vous pourrez faire des recommandations.

Le gouvernement est tout à fait conscient du problème et le connaît depuis longtemps. J'ai parlé à plus de ministres des Affaires indiennes que, probablement, quiconque ne souhaiterait le faire. Je n'ai pas compris les problèmes que posait ce changement jusqu'à ce que j'aie parlé à l'ancien ministre, Ron Irwin. Il avait l'habitude de nous inviter, les femmes autochtones, pour le thé, pour discuter des problèmes. C'était en 1991 et 1992.

Un jour, alors que nous discutions franchement, il m'a dit qu'il comprenait le problème. Il avait été avocat en droit de la famille avant de devenir député. Il a dit qu'il ne toucherait à la Loi sur les Indiens sous aucun prétexte, parce que c'était un sujet épineux au plan politique. Il m'a lancé un défi en me disant que si je voulais qu'elle change, il faudrait passer par les tribunaux.

C'est de ce défi qu'est née l'affaire B.C. Native Women's Society c. Canada, dont vous avez parlé ce matin. C'était la conséquence directe du défi qu'avait lancé le ministre Irwin. Jane Gottfriedson et moi-même — toutes deux Autochtones — avons discuté de ce qu'il dit et avons décidé d'aller de l'avant avec l'affaire B.C. Native Women's Society.

Il y avait un problème avec la procédure. Au début de l'affaire, le ministère de la Justice nous a tenus à l'écart du tribunal pendant longtemps. J'ai d'autres affaires en cours et, dans l'une d'elles, je suis le plaignant plutôt que l'avocat. C'est l'affaire McIvor, et elle concerne la discrimination continue sous couvert de la Loi sur les Indiens. Cette affaire a commencé en 1990 et n'a toujours pas été entendue par un tribunal. Elle nous a déjà coûté environ 150 000 $ et nous en sommes encore à débattre de motions préliminaires qui empêchent l'affaire de se rendre au tribunal.

C'est une stratégie qui semble courante dans toutes les poursuites relatives à l'équité et aux droits des Autochtones que nous avons présentées — ces affaires-là ne sont pas plaidées en cour. Il y en a une à Kahnawake, celle de Mme Mary Deer, sur les questions d'équité et du droit de réserve, qui est passée par la Commission canadienne des droits de la personne.

Quoi qu'il en soit, Mary Deer a commencé à avoir des problèmes lorsque l'argent lui a manqué et qu'elle n'a pu trouver personne pour l'aider. Elle a finalement abandonné la partie. Lorsque ce genre de choses commence à arriver avec le ministère de la Justice, nous appelons cela «un coup à la Mary Deer». Nous disons: «Ah non, ils nous font encore un coup à la Mary Deeres».

Je voulais seulement que vous sachiez que nous avons la voie du procès mais que nous ne parvenons même pas aux portes du tribunal. C'est la principale raison qui fait que nous nous opposons à ces tentatives de nous évincer tout le temps.

J'ai aussi eu des entretiens avec un chef national, à diverses reprises. Je le répète, nous dialoguons avec de nombreux chefs. Je me rappelle une conversation que j'ai eue avec le chef Ovide Mercredi. Je lui expliquais la situation des femmes autochtones. Il a dit qu'il comprenait mais qu'ils s'intéressaient plus au droit à l'autonomie gouvernementale. Il a suggéré que si nous lâchions un peu de lest avec les questions d'équité pour les laisser travailler sur l'autonomie gouvernementale, ils s'occuperaient des questions des femmes. Il a aussi dit qu'il ne voulait que les lois provinciales s'appliquent dans les réserves — il ne voulait pas que des lois provinciales sur le mariage dans les réserves.

J'étais d'accord avec lui — je ne voulais pas, moi non plus, que les lois sur le mariage s'y appliquent. Toutefois, je lui ai dit que ce n'est pas ce que nous demandions, nous voulons seulement que les chefs soient justes — simplement justes.

Comme vous le savez, il y a encore beaucoup de résistance dans ces deux domaines. Ils sont pleinement conscients de la situation. Autant je respecte le processus, je crains bien qu'on nous fasse encore un «coup à la Mary Deer» — en nous demandant de comparaître devant un comité pour parler d'un problème que tout le monde connaît. Tous ceux qui comptent, qui doivent susciter le changement en sont parfaitement au courant.

Il y a un mécanisme, que prévoit la Loi sur les Indiens, qui permet au chef du conseil de chaque bande de prendre des dispositions visant le logement des habitants de la réserve et pour l'époux et les enfants dans la réserve. Il s'agit du paragraphe 81(1), qui donne le pouvoir de réglementer.

Nous avons récemment terminé une affaire, en Colombie-Britannique, celle d'une femme âgée — elle a plus de 70 ans — qui avait vécu en concubinage avec un Indien dans une réserve. Ils avaient été ensemble pendant 28 ans quand il est mort. Ils n'avaient pas eu d'enfant ensemble mais avaient chacun des enfants d'autres lits. Le conseil de bande a donné la maison où elle vivait — dans laquelle elle avait investi et qu'elle avait amélioré — à l'un des enfants de son conjoint avec qui elle était en relation. Elle allait être évincée.

C'est là que nous sommes intervenus en tant qu'avocats. Nous avons déposé une plainte de discrimination, pour des motifs d'équité, et nous nous sommes presque rendus au tribunal. Peu avant d'y parvenir, ils ont proposé une entente: ils donneraient cette maison à cette femme en domaine viager si nous abandonnions les poursuites. Nous devions décider si nous voulions faire de nouvelles lois, parce que leur code de territoire est discriminatoire; le code en matière d'héritage est discriminatoire. Cependant, nous avions une femme de 76 ans qui avait besoin d'un toit, alors nous avons décidé d'accepter cette proposition.

Là où je veux en venir, c'est qu'ils ont la capacité de le faire, et ils peuvent le faire grâce aux pouvoirs qui leur ont été attribués au moins depuis 1985. J'ai examiné la jurisprudence, pour voir s'il y avait eu le moindre contentieux. Il y a eu une affaire. Dans cette affaire, le conseil de bande a adopté un règlement en vertu de cet article, visant à ne pas permettre aux conjoints non indiens des membres de bande de vivre sur la réserve. Ils y sont parvenus. Cela a été déclaré discriminatoire en vertu de la Charte, mais c'est justifié par l'article 1. Le seul problème, c'est qu'il existe et que nous avons toujours le même problème. Il n'y a pas de volonté politique à l'échelle fédérale, aucune volonté politique au sein des bandes pour s'attaquer à ce problème et le régler.

La situation des femmes dans les réserves est absolument aberrante. Je sais que vous l'avez déjà entendu. J'ai lu les transcriptions de certaines séances et je sais que la plupart d'entre vous connaissez la situation. À mon avis, bon nombre de réserves sont dirigées comme des républiques de la banane. Le chef du conseil a tout le pouvoir. Si vous n'êtes pas avec lui, tant pis pour vous.

J'aimerais parler un peu, plus précisément, de ce sujet. Je parle beaucoup aux médias de ce problème et, par conséquent, les femmes qui l'éprouvent et n'ont aucun recours communiquent avec moi, me décrivent la situation et me demandent conseil.

Je voudrais vous parler de trois affaires: l'une est survenue en Colombie-Britannique, l'autre en Saskatchewan et la troisième en Ontario. Je ne vous donnerai pas de détails qui vous permettraient de les reconnaître, parce qu'elles n'ont pas été réglées et qu'il pourrait y avoir des problèmes de protection de la vie privée.

Dans la première, un Autochtone a épousé une femme de l'une des réserves Mohawk du Québec, et le mariage a échoué. Il lui a dit que sa place n'était pas là, et qu'elle devait rentrer chez elle. Elle m'a appelé, très troublée, pour savoir si elle avait le moindre recours. Quoiqu'il m'en ait coûté, j'ai dû lui dire la vérité — non, il n'y avait rien à faire.

Un autre homme, qui avait été marié pendant 25 ans et avait eu un enfant, a décidé de suivre des études de droit. Ils vivaient dans sur cette réserve et avaient beaucoup de terres — assez pour une exploitation bovine. Il est parti à l'école de droit et elle est restée à la maison pour s'occuper de l'exploitation. Elle faisait tout le travail tous les jours. Il a fini l'école de droit, a passé le Barreau, et est rentré à la maison, une autre femme accrochée à son bras.

Il lui a dit que c'était sa réserve, ses terres. Il lui a mis le Derrickson sous le nez et lui a dit de rentrer chez elle. Elle est rentrée chez elle et a vécu dans une petite maison, avec sa grand-mère, dans la réserve où elle était née.

Dans le troisième cas, un homme avait été marié pendant 28 ans. Il était chef de bande — ils sont tous chefs, en passant. Il est allé à une réunion de l'Assemblée des Premières nations dans une grande ville et a rencontré une femme qui avait été embauchée pour prendre le procès-verbal de la réunion. Il a tout de suite décidé qu'il voulait cette femme. Il est rentré dans sa réserve et a jeté sa femme à la porte.

Elle est allée vivre au bout de la rue, sans rien prendre avec elle. Il avait des véhicules, plus d'un, une roulotte, une grande maison, beaucoup de terres et elle était au bout de la rue. Il refusait même de la conduire où elle avait besoin d'aller ou de lui prêter l'un des véhicules. Elle est allée à la ville voisine de la réserve et a déposé une plainte.

Il s'est adressé à son conseil de bande — ils étaient trois: lui-même et deux conseillers — et ils ont adopté une résolution de conseil de bande afin que la femme soit en infraction si elle pénétrait dans la propriété familiale. Il était même prévu dans cette résolution que le service policier puisse intervenir pour l'appliquer.

Ils avaient été mariés 28 ans, ils avaient deux grands enfants et il ne lui est resté que ce qu'elle a emporté quand il l'a mise à la porte. Il ne l'a pas laissé emporter ses affaires personnelles. C'est une femme non autochtone qui vient d'une grande famille qui lui a laissée beaucoup de biens précieux à leur mort. Elle en a hérité et les a encore. C'était en 1995 — il y a sept ans.

Je le répète, là où je veux en venir, c'est que ces situations ne sont pas rares. Ils savent, avec l'affaire Derrickson, que le conseil de bande peut prendre ce genre de décision et que personne ne peut les contester. Ce sont des affaires absolument horrifiantes; elles sont désolantes et c'est terriblement frustrant de voir quelque chose de ce genre arriver, sans pouvoir rien y faire.

Elle avait un avocat. Elle lui a fait un procès et a fini par obtenir une part de sa pension de retraite, mais c'est tout. Il a pu protéger tout le reste parce qu'il était le chef de bande et qu'il avait l'appui de tous ses conseillers, qui étaient de sa famille.

Je veux parler de la place des femmes autochtones dans la société. Nous comptons pour moins de 2 p. 100 de la population. Sur plus de 30 millions de Canadiennes, nous sommes moins de 500 000. Politiquement parlant, vous pouvez faire mine de nous ignorer pour toujours et nous ne pourrions avoir aucune influence sur l'élection de nos députés.

Nos besoins et la discrimination dont nous continuons d'être l'objet peuvent être complètement ignorés et nous n'y pouvons faire que très peu de choses. Nous ne pouvons aller jusqu'aux tribunaux. La Loi canadienne sur les droits de la personne ne s'applique pas à nous la plupart du temps et, si nous essayons de l'appliquer, cela prend une éternité. Nous n'avons aucun moyen de protection. Cette discrimination est constante — non seulement dans les réserves, mais aussi en dehors d'elles.

Le chef de conseil gouverne tous les aspects, y compris l'aide sociale, l'éducation et l'hébergement, de la vie des habitants et des Indiennes des réserves. Ils gouvernent l'accès à n'importe quel programme donné dans les réserves. J'ai entendu des femmes qui ont essayé de protester et d'amener leur cas sur la tribune des droits de la personne dans l'espoir d'obtenir un traitement équitable, pour voir l'allocation de l'éducation de leurs enfants supprimée en représailles. De telles mesures ne sont pas appliquées ouvertement. Ils ne disent pas«Eh bien, vous voulez parler des droits de la personne, nous allons prendre l'argent». Ils disent «Vous savez, nous avons subi des compressions budgétaires et nous devons éliminer certaines personnes. Je pense que, peut-être, votre enfant, qui a déjà fait la moitié du semestre, n'aura pas l'allocation de subsistance ni de frais de scolarité en janvier». Il n'est pas étonnant, alors, que les femmes retirent leurs plaintes.

J'ai parlé à une femme qui a 69 ans. Elle dit, avec humour et tristesse, «Eh bien, je suis heureuse d'être désormais une personne âgée. Je n'ai plus besoin de me mettre à genoux devant ces types-là et leur faire plaisir à pour obtenir ce dont j'ai besoin». Ce n'est pas l'exception, c'est plutôt la règle. On le fait d'une façon ou d'une autre. Pour les femmes, c'est comme ça. Vous voulez votre chèque, vous voulez votre programme, vous voulez que vos enfants aient accès à ce dont vous avez été privés, alors vous faites ce que vous avez à faire.

Il y a aussi la question de la sécurité. De nombreuses réserves ne sont pas sécuritaires pour les femmes si elles sont considérées trop peu coopératives. Je n'entrerai pas dans les détails des abus qu'elles subissent parce qu'elles refusent de rester tranquilles, d'être de bonnes femmes et d'accepter leur sort sans dire mot.

Nous accusons un retard sur les femmes du Canada à bien des égards, notamment en ce qui concerne l'affaire Personne. Les femmes sont devenues des «personnes» au Canada au début des années 30. Les Autochtones ne sont devenus des personnes qu'au début des années 50 et notre droit d'être reconnues comme femmes de plein droit n'a été reconnu qu'en 1985. Pour obtenir le statut d'Indien du gouvernement du Canada, il fallait être un homme, sa femme ou ses enfants. L'élément principal devait être l'homme. Pour les enfants illégitimes d'une Indienne inscrite, ça a changé en 1951. De 1951 à 1956, l'enfant illégitime d'une Indienne était reconnu. En 1956, la loi a encore changé. Si le père était supposé ne pas être un Indien, l'enfant n'avait plus droit au titre. Une disposition de contestation était prévue.

Bien que certains de ces problèmes aient été réglés en 1985, la discrimination se poursuit. Je vous ai entendu demander à une témoin, tout à l'heure, pourquoi elle ne pouvait pas retourner dans sa propre bande. Il paraît ridicule de penser qu'on ne puisse pas retourner où on est né. Certaines personnes ne peuvent le faire si elles sont déportées de leur foyer, ou pour d'autres raisons. Il semble absolument ridicule, ici, au Canada, qu'on ne puisse pas légitimement retourner et vivre où on est né. Même s'il y a des logements libres, on n'y a pas droit. On n'a pas le droit de l'avoir. Cela n'a aucun sens.

C'est notre réalité, à nous, femmes autochtones. C'est notre monde. La réalité c'est que, si on est marié, si on a un conjoint de fait, on n'a aucun droit. On n'a absolument nul part où aller. C'est pourquoi nous demandons aux honorables sénateurs de nous aider. Je sais que vous ferez ce qu'il faut.

Nous avons, récemment, fait un sondage aléatoire dans des réserves de la Colombie-Britannique, pour savoir combien de certificats de possession étaient entre les mains de femmes. Nous avons envoyé quelqu'un examiner le registre, recenser les femmes titulaires d'un certificat de possession, et demander à quelques-unes d'entre elles comment elles avaient pu obtenir un certificat de possession. Nous avons appris que plus de 90 p. 100 de ces certificats n'appartenaient pas à des femmes. Il n'y en a que 10 p. 100. Les femmes qui possédaient le certificat l'avaient parce que leur père était décédé sans héritier mâle. Aucun de ces certificats n'a été obtenu par le mariage.

Même maintenant, bien que des femmes soient membres de bandes, s'il y a un héritier mâle, elles n'ont rien. Nous nous occupons actuellement du dossier d'un homme qui est décédé en laissant tous ses biens — qui génèrent environ 400 000 $ par année en loyers — seulement à ses fils. Nous essayons de faire modifier le testament pour que les femmes puissent en avoir une part. Il y avait trois fils et cinq filles, et il a tout laissé à ses fils.

Je voulais aller plus loin et parler des rapports de Mavis Erickson et Wendy Cornet, que vous avez vus. Une étude qu'a faite Mme Cornet avait été commandée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.

J'aimerais parler de la consultation qui a eu lieu, pour la rédaction de ces rapports. Je sais que le temps était limité, mais ils n'ont pas eu d'entretien avec ceux d'entre nous qui connaissaient le sujet. Si vous consultez Internet et que vous faites une recherche sous «biens matrimoniaux», vous verrez mon nom apparaître un peu partout parce que cela fait déjà un bout de temps que je parle du sujet, que j'écris et que je fais toutes sortes de choses à ce propos. Cependant, ils ne m'ont pas parlé, ni à mes collègues.

Ceux qui ont participé à la préparation du rapport Erickson ont dit qu'ils ne pouvaient pas nous parler parce que nous étions en pleine procédure. Bien que ces rapports renferment certains bons éléments, ils sont incomplets parce que les personnes touchées, les personnes qui connaissent la question, et les gens qui connaissent les personnes qui ont été touchées n'ont pas été entendus. Aucune de ces voix n'a été entendue. Ils créent un groupe de discussion. Si vous vivez en réserve, le conseil de bande vous tient à la gorge. Il peut dicter à qui vous parlez et ce que vous entendrez.

La commission George Erasmus a pris des dispositions pour que les gens puissent lui parler confidentiellement. Lorsque nous avons fait l'étude dans tout le pays sur la violence familiale, nous avons pris des dispositions pour que les gens puissent venir nous parler en toute confidentialité. Personne n'avait à savoir qu'ils étaient là et nous ne les avons pas nommés. C'est ce qu'il faut faire si vous voulez entendre leurs histoires. Je peux venir vous en parler parce que je suis une avocate connue et protégée, et personne ne viendra essayer de me tabasser, de me tirer dessus, de me violer ou me tuer. Je peux vous dire ce qui se passe.

Le rapport Cornet parle du manque de logement comme d'un problème. Lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, du Québec ou de la Nouvelle-Écosse ont adopté leurs lois sur les relations familiales et ont étudié ce qui constitue une juste division des biens et les questions entourant la question, je ne pense pas qu'ils aient réfléchi au sujet du nombre suffisant de logements. Ils n'ont pas évalué ce qui pouvait être un nombre suffisant de logements à la lumière des droits des femmes. Je ne pense pas que ce devrait être envisagé. Ce ne serait qu'un faux-fuyant. Je sais qu'il y a eu des questions à ce propos.

J'ai lu quelques notes des mémoires des universitaires et des avocats, au sujet des terres ancestrales et de la Charte qui ne s'y applique pas. Nous sommes sur cette voie depuis bien longtemps; nous étions là quand on a débattu du paragraphe 35(4), si important. La Loi sur la gestion des terres des Premières nations ne prévoyait rien pour les femmes, alors nous avons ajouté cet article. Nous étions en fait en pleine affaire sur les biens matrimoniaux, lorsque la Loi sur la gestion des terres des Premières nations est venue sur le tapis, et nous l'avons ajouté. Nous voulions y faire obstacle. Nous voulions que cette question soit résolue avant l'entrée en vigueur de la loi. Ils ont ajouté, article, ce qui nous a un peu coupé le sifflet; nous avons été désarçonnés qu'ils l'intègrent à la loi. Nous n'avions pas pensé qu'ils le feraient, parce qu'ils avaient été si réticents.

Je vois deux dispositions de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations: la disposition sur la protection de l'environnement et celle sur la division des biens matrimoniaux. Vous remarquez qu'il y a une norme minimale à respecter avec la protection de l'environnement, mais pas de norme minimale pour les biens matrimoniaux. Ma première réaction est de penser que ces arbres sont plus importants que les femmes. Les animaux sont plus importants que les femmes.

Nous n'avons pas pu les persuader d'imposer une norme minimale. La norme minimale de la province suffirait bien. S'ils veulent mettre quelque chose en place, qu'ils imposent la norme minimale de la province. Les femmes autochtones devraient avoir droit à la même norme et au même genre de protection que les femmes non autochtones.

Toutefois, ils ne le feront pas. C'est toujours comme ça avec les chefs et le gouvernement. Notre protection et nos droits sont toujours mis au bas de la liste des priorités.

Je suis allée aux Nations Unies en janvier. Je voulais que les membres du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes sachent que le Canada n'honore pas ses obligations envers les femmes autochtones. J'ai passé une semaine à discuter avec eux. Notre problème les a beaucoup intéressé. Je me suis rendu compte avec intérêt qu'ils ne comprenaient pas ce que je voulais dire par indien inscrit jusqu'à ce que je leur montre ma carte. Ils n'en avaient jamais vu auparavant. Ils ne savaient pas que le Canada enregistrait ses Indiens et leur donnait une petite carte à porter sur eux pour s'identifier.

Ce qu'il faut retenir, c'est que le Canada a déclaré qu'il se conformera à la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes. Le Canada a signé une convention internationale avec les Nations Unies. Il s'est présenté devant ce comité de l'ONU qui l'a interrogé sur sa conformité à la Convention. Dans la section de son rapport consacrée aux femmes autochtones, on emploi des termes très forts. J'espère que les honorables sénateurs l'ont lue. Si vous ne l'avez pas fait, je vous invite à le faire. C'est la seule section du rapport du comité où l'on affirme que le Canada ne respecte pas la Convention. Dans les autres parties, le comité encourage le Canada à s'améliorer dans certains domaines, mais dans cette section, il dit que nous violons nos engagements.

Vous avez pris connaissance de la cause des femmes autochtones de la Colombie-Britannique et du problème de la responsabilité fiduciaire. Nous savons, nous les femmes autochtones, qu'il existe toutes sortes de bandes ayant de multiples préoccupations distinctes. D'après ce que nous venons d'entendre, il semble que certaines bandes se préoccupent de notre situation et veulent faire quelque chose. Je ne pense pas que ce soit à elles d'intervenir malgré leur bonne volonté.

Malgré notre longue histoire dans le système patriarcal, le fait est que bon nombre de nos communautés n'étaient pas patriarcales avant que cette législation ne leur soit imposée. Maintenant, elles croient qu'elles l'ont toujours été parce que c'est ce que dit la législation. C'est la responsabilité du Canada de mettre de l'ordre dans tout cela, surtout en ce qui nous concerne. Il ne doit compter ni sur le bon vouloir des bandes ni sur les pressions que nous pouvons exercer ni même sur les tribunaux. Le Canada sait que les femmes souffrent. Il lui incombe d'agir.

Une femme chassée de sa maison dans la réserve n'a nulle part où aller parce que le chef et les conseillers soutiennent son mari. Il faut qu'une disposition lui permette de demander aux tribunaux de procéder à un partage équitable de la propriété, de lui accorder un domaine à vie ou pour un certain temps afin de lui permettre d'élever ses enfants à la maison. Une telle disposition nous permettrait, à moi-même et à d'autres, d'aider les femmes qui se trouvent dans de telles situations. Elle leur offrirait au moins la consolation de savoir qu'elles ne subiront pas le même sort que toutes ces femmes qui ont pris la route, emportant le peu de biens qu'elles pouvaient sur leur dos et cherchant de l'aide parce qu'elles n'avaient plus rien dans la réserve.

Je demande aux honorables sénateurs de faire comprendre au gouvernement que c'est au Canada qu'incombe la responsabilité de faire quelque chose. Cela ne peut attendre. La cause des femmes autochtones de la Colombie-Britannique n'est pas près d'aboutir en cour. Celle de l'AFAC non plus. L'affaire McIvor, qui fait son chemin depuis 13 ans, s'approche d'un dénouement mais on n'en est pas encore là.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (président suppléant) occupe le fauteuil.

Le président suppléant: Vous disiez trouver épouvantable que les tribunaux n'aient rien pu faire pour les femmes dans l'affaire Derrickson. S'agissait-il de cette question?

Mme McIvor: Selon l'arrêt Derrickson, le tribunal n'a pas la compétence pour déterminer à qui appartiennent les terres d'une réserve. Il peut indemniser quelqu'un en lieu et place des biens. Par exemple, si la maison familiale est réputée valoir 50 000 $, le tribunal peut ordonner au mari de payer 25 000 $ à sa conjointe. Le hic est que, souvent, le mari n'a pas les 25 000 $ ou, s'il les a, la femme ne peut pas les obtenir. Il existe un problème concernant l'ordonnance de saisie-arrêt ou de transfert. On ne peut avoir l'argent si la volonté politique n'est pas là. C'est ce que dit la Cour suprême dans l'affaire Derrickson. Dans bien des cas, la maison est le seul bien et même si la femme a droit à une indemnité, cela n'aide pas. C'est comme lorsqu'on réussit à avoir une ordonnance de versements pour le soutien d'un enfant, mais ceux-ci ne sont jamais payés. L'ordonnance est enregistrée en bonne et due forme mais il n'y a pas de mécanisme pour l'exécuter. Cela revient au même que de ne pas en avoir du tout.

On a l'impression d'avoir pu faire valoir sa cause, on a obtenu l'ordonnance et, 55 000 $ plus tard, l'ordonnance est toujours là mais elle n'a servi à rien. Et, quand je dis rien, je veux vraiment dire «rien».

Le sénateur Jaffer: Vous faites autorité en cette matière et nous sommes privilégiés de vous avoir parmi nous.

Sur une note personnelle, je voudrais bien connaître le secret de votre persévérance. Vous menez cette lutte pour les femmes — non seulement les femmes autochtones, mais les femmes en général, depuis longtemps. Je vous remercie de votre travail.

Cependant, notre comité se trouve devant un problème du fait que des gens sont venus ici nous dire: «Nous allons régler ce problème entre nous», selon le Code foncier; l'APN est venue nous dire: «Attendez, nous le ferons plus tard;» alors que d'autres, particulièrement des groupes de femmes, disent qu'il faut intervenir maintenant. Il faut agir dans le respect de la population autochtone et vite. C'est là tout un défi.

La tâche devient encore plus ardue — et là, j'aurais besoin de votre aide — lorsque vous dites que la norme minimale serait la norme provinciale. Comme vous le savez, l'union de fait n'est pas reconnue en Colombie-Britannique. On nous a dit au cours de nos séances que beaucoup de gens dans la réserve vivent en union libre ou selon les lois coutumières. Si on adopte la norme minimale de la province, quel traitement allons-nous accorder aux unions de fait étant donné que la législation provinciale ne les reconnaît pas?

Mme McIvor: L'adoption selon les coutumes autochtones est reconnue dans la Loi sur les Indiens et l'union de fait, ou mariage coutumier, est invoquée dans les dispositions successorales. Il y aurait peu de difficulté à inclure le mariage coutumier dans ce genre de législation: cela serait une bonne chose. Je sais qu'en matière de droit de la famille, les lois provinciales renferment des lacunes à certains égards. Les bandes pourraient faire un meilleur travail s'ils étudiaient vraiment leurs coutumes.

Toutefois, chaque fois que j'ai approché les différents chefs ou chefs de comités et ceux qui peuvent faire quelque chose à ce sujet, ils invoquent les coutumes pour continuer à faire de la discrimination à l'endroit des femmes. Ils en font l'usage qui les arrange.

Dans la grande discussion qui m'a opposée à l'APN au sujet de la Charte, incluant les droits sur les biens matrimoniaux, on m'a servi l'argument suivant: si on établit une véritable égalité, qu'arrivera-t-il aux communautés mohawk, khanawake, kanesatake et akwesasne? Elles sont toutes matrilinéaires. Si les hommes devaient avoir les mêmes droits que les femmes dans ces communautés, cela briserait le système.

J'ai alors répondu de deux façons. Tout d'abord, j'ai porté à leur attention que les conseils de gestion de toutes ces communautés sont élus. Et, bien que les traditionnels conseils de longues maisons existent toujours, ils ne sont pas reconnus. Les deux types de conseils ne se parlent.

Ensuite, mon amie et moi avons eu une discussion avec les mères de clans et nous leur avons expliqué le dilemme concernant la Charte — pas les biens matrimoniaux, mais la Charte. Les chefs et certaines femmes de la communauté Gitxsan, qui a également une filiation matrilinéaire, nous ont dit: «Nos lois et nos traditions existent depuis des milliers d'années. Si le Canada pense qu'il va nous changer... il n'a pas pu le faire, parce qu'elles sont solidement ancrées chez nous. Nous savons qu'il y a des femmes ailleurs qui ont besoin d'aide. Elles souffrent. Faites ce que vous avez à faire, ne vous inquiétez pas pour nous». C'est ce qu'elles m'ont dit.

Le sénateur Jaffer: Dans le débat sur la manière de procéder, souhaitez-vous que l'on adopte une loi fédérale ou que l'on insère un article sur les femmes autochtones ou sur les peuples autochtones dans les lois de chaque province?

Mme McIvor: Je voudrais que le gouvernement fédéral prenne ses responsabilités en cette matière. Si nous faisons appel à l'autre ordre de gouvernement en place, nous aurons des litiges. Il y en a déjà lorsque le fédéral intervient, mais dans ce cas là, on peut s'attendre à une controverse monstre au sujet de la compétence.

Le sénateur Joyal: Madame McIvor, selon votre expérience, comment devrions-nous interpréter le paragraphe 35(4) qui garantit l'égalité des hommes et des femmes autochtones en ce qui concerne leurs droits existants ancestraux ou issus de traités?

Il semble, d'après les témoins que nous avons entendus, que cette disposition de la Constitution qui s'applique spécifiquement aux peuples autochtones du Canada soit restée lettre morte.

Mme McIvor: Nous ne l'avons pas contestée du tout.

Le sénateur Joyal: Quelle est votre interprétation de ce paragraphe et pourquoi est-il resté oublié dans le débat?

Mme McIvor: Il n'est pas oublié, il attend. Il attend l'autonomie gouvernementale. C'est sa raison d'être. À l'époque, les chefs ne voulaient pas que la charte soit appliquée, et l'article 35 donnait aux communautés et aux bandes la possibilité d'échapper à l'article 15 à cause, une fois encore, de l'article 25. Nous avons lutté durement pour incorporer le paragraphe 35(4) afin d'empêcher les chefs d'arriver à leurs fins. Ces derniers voulaient que cette disposition soit assimilée à une tradition ou à une coutume parce qu'ainsi, ils n'auraient plus à s'inquiéter de l'égalité. C'est pourquoi le paragraphe est là. Il est là, en attente.

Lors des dernières négociations, qui se sont déroulées autour de l'Accord de Charlottetown en 1992, le paragraphe 35(4) était sur la table. Les femmes autochtones présentes étaient intransigeantes, refusant qu'on l'enlève. Quant aux chefs présents, ils ne voulaient pas le garder là; ils se plaignaient qu'ils n'avaient pas pu invoquer la disposition dérogatoire pour se débarrasser de l'article 15 également.

Le paragraphe est donc là en attente du moment où nous en aurons besoin, et nous réitérerons aux ministres notre ferme opposition à sa suppression parce que les chefs peuvent bien parler des bienfaits des coutumes pour tous, et affirmer que leurs communautés étaient jadis autosuffisantes grâce à elles. En réalité, si nous ne nous occupons pas de ces petites choses, nous continuerons à subir la discrimination.

Le sénateur Joyal: J'adresse ma question aussi bien à vous qu'à notre président. Je ne pense pas que nous puissions gagner sur les deux fronts. Le gouvernement canadien est lié par la Charte et il a une responsabilité fiduciaire envers les peuples autochtones. C'est pourquoi il ne peut répondre aux Nations Unies qu'il n'assume pas ses responsabilités dans l'élimination de la discrimination contre les femmes autochtones. Le gouvernement canadien ne peut pas, selon moi, refuser d'agir. Ce serait aller à l'encontre de sa responsabilité fiduciaire envers le peuple autochtone. Cependant, lorsque le gouvernement fédéral prend l'initiative, son action ne saurait être limitée parce qu'il prétend, au nom des dirigeants autochtones, que cette responsabilité s'arrête dès qu'on touche à l'égalité.

Nous devons être logiques. J'essaie de mon mieux de comprendre les problèmes particuliers et les traditions de chaque bande, mais je pense qu'aucune tradition ne peut faire obstacle aux droits humains, surtout lorsqu'il est question de l'égalité fondamentale entre les individus, de leur dignité et de leur liberté. Nous ne pouvons avoir une justice à deux vitesses — une pour les femmes non autochtones, régie par les lois provinciales, et une autre pour les femmes autochtones. Ces dernières n'ont pas moins de dignité que les femmes non autochtones. Elles doivent jouir du même niveau en matière de statut et de droits internationaux que celui des différents engagements et traités les concernant signés par le gouvernement canadien et reconnus mondialement.

Je demande que l'interprétation donnée au paragraphe 35(4) fasse en sorte que nous, les dépositaires de cette responsabilité, ayons une claire perception des répercussions du statut d'égalité. En d'autres termes, nous devons nous assurer que lorsque nous définissons le principe, ce principe s'applique à tous et qu'il ne fasse pas l'objet d'interprétation d'une bande à une autre.

Ce matin, le témoin précédent nous a dit qu'il existait 636 bandes. La notion d'égalité des hommes et des femmes ne peut pas différer d'une bande à l'autre. L'égalité est un principe qui relève de la dignité humaine. Peu importe son sexe, une personne a des droits égaux aux autres.

En tant que détenteurs de cette responsabilité fiduciaire, nous devons être très conséquents dans notre façon de définir le statut d'égalité. Traditionnellement, les tribunaux — du moins depuis une vingtaine d'années — ont fait preuve de beaucoup de souplesse dans l'interprétation de la Charte et dans les redressements relatifs à cette interprétation.

Comme vous l'avez dit, la Loi sur les Indiens pourrait avoir imposé un système patriarcal aux peuples autochtones parce que ceux qui vivaient en milieu non autochtone étaient soumis à un tel régime, du moins en ce qui a trait aux rapports matrimoniaux. Ce qu'on était convenu d'appeler les responsabilités du père incluaient tous les biens de la famille. Comme quelqu'un l'a déjà dit ici, les femmes qui ne sont pas mariées ont davantage le droit de gérer leurs propres affaires. Quand elles se marient, elles perdent leurs droits dans la société non autochtone. Dans une certaine mesure, par le truchement de la Loi sur les Indiens et par notre manière générale d'aborder la société autochtone, nous avons importé ce type de système.

Maintenant, par l'action de nombreux groupes de femmes et du Parlement du Canada, nous tentons de renverser la situation. Nous avons réalisé des progrès. Nous n'avons pas atteint notre but, mais nous disposons au moins du cadre institutionnel nécessaire pour y arriver. Il me semble que les communautés autochtones ne disposent pas de ce cadre. À moins de légiférer en la matière, je ne vois pas comment nous viendrons à bout du problème.

Nous devons concrétiser le statut d'égalité des femmes autochtones. Avant toute chose, c'est la décision fondamentale que nous devons prendre. Nous pourrons ensuite établir un régime qui protège les conjoints de fait, le statut des enfants, et la capacité de préserver la dignité et l'identité culturelle, qui est aussi un enjeu dans ce contexte, un enjeu différent de ce qu'il serait dans une société non autochtone.

Il me semble que notre point de départ consiste à définir en quoi consiste l'égalité des hommes et des femmes autochtones. Pourriez-vous exposer votre position à ce sujet?

Mme McIvor: Je suis d'accord avec vous. Je suis contente d'entendre quelqu'un qui comprend ce que j'essaie d'expliquer depuis tant d'années.

C'est exactement cela que le Canada ne comprend pas ou fait semblant de ne pas comprendre. Quant aux cas que nous avons soulevés en matière d'égalité — compte tenu surtout de la discrimination qui résulte de la loi de 1985 modifiant la Loi sur les Indiens — les représentants du gouvernement traînent avec eux une vingtaine de caisses de documents quand ils vont consulter les chefs. Ils affirment que ça justifie le maintien de la discrimination.

Les gens que nous poursuivons en justice ne comprennent pas que tout ça n'est qu'une façon de se justifier. Ils disent que ce n'est pas de la discrimination parce qu'il y a eu consultation, et c'est ce qu'ils veulent. Je ne devrais pas être forcée d'accepter la discrimination. La Charte ne devrait pas le permettre, que ce soit par l'article 15 ou l'article 35.4. Elle ne devrait pas m'obliger à décider si je dois continuer ou non d'être l'objet de discrimination. Elle ne devrait pas vous permettre de décider si vous pouvez continuer de faire de la discrimination. Dans la mesure où c'est possible, nous devrions vivre sans discrimination.

C'est exactement cela que je veux démontrer. Je suis convaincue que le gouvernement fédéral sait ce qu'est la discrimination, étant donné les procès qui nous opposent depuis des années. Je pense qu'il sait ce qu'il doit faire, mais qu'il ne veut simplement pas le faire.

Si toutes les femmes autochtones s'unissaient, nous ne pourrions même pas élire un député. Nous n'avons pas le poids politique nécessaire, et c'est pourquoi nous nous adressons aux Nations Unies et aux autres organismes de ce genre, devant qui, même si nous n'avons pas d'influence, nous pouvons mettre le gouvernement dans l'embarras. Cela peut être utile.

Je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites que l'égalité doit constituer le point de départ. L'égalité doit être reconnue comme une condition essentielle. Une fois que vous l'avez obtenue, je ne pense pas que le mécanisme soit difficile à établir. Nous avons beaucoup d'exemples dans tous les coins du pays.

Au Québec, la loi sur la répartition des biens et toutes ces questions a soulevé un tollé. La question a pu en partie être réglée.

L'adoption de la loi que nous étudions fournit aussi des exemples.

Le sénateur Joyal: Connaissez-vous les détails du dossier de la B.C. Native Women's Society, dont nous avons parlé ce matin?

Mme McIvor: Oui. C'est Ron Irwin qui s'en occupait.

Le sénateur Joyal: Pourriez-vous expliquer le concept de la responsabilité fiduciaire de l'État fédéral envers les femmes autochtones, et comment cet État a failli à la tâche?

Mme McIvor: C'est la seule instance qui a le pouvoir de changer la loi. Il a délégué une partie de la responsabilité à la bande au moyen du pouvoir de réglementer, mais sa responsabilité demeure. Vous pouvez dire: «Comme dans le cas de la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, nous vous donnerons la possibilité de faire ceci, ainsi qu'un échéancier pour le réaliser». C'est mieux que ce que contient la Loi sur les Indiens.

C'est au gouvernement fédéral qu'il incombe de régler les questions entourant la discrimination qui continue de sévir. Il a la responsabilité fiduciaire de veiller à instaurer pour nous aussi certaines mesures de protection. Non seulement les mécanismes qu'il a adoptés ne nous permettent pas de trouver le moyen de nous protéger nous-mêmes, mais ils réduisent notre capacité de chercher cette protection.

La responsabilité fiduciaire repose entre les mains de ceux qui ont le pouvoir et le devoir de défendre nos intérêts. Cette responsabilité incombe au gouvernement fédéral.

Les terres ne nous appartiennent même pas; elles appartiennent à l'État. C'est lui qui détermine comment nous pouvons les utiliser et en assumer la propriété. Il doit le faire sans nous nuire et de manière à ce que nous soyons sur le même pied que les autres résidants de la réserve et, que le paragraphe 35(4) et l'article 15, que les gens qui sont dans une situation comparable à la nôtre.

Le sénateur Joyal: Autrement dit, le gouvernement fédéral ne peut pas, au nom de l'État, statuer que les bandes indiennes, les chefs ou les conseils ont le pouvoir de mettre fin ou non à la discrimination.

Mme McIvor: C'est ça.

Le sénateur Joyal: En d'autres mots, cette responsabilité n'est pas transférable. Quand les chefs autochtones affirment qu'ils devraient pouvoir régler ce problème, ils ne le peuvent pas en s'attaquant au principe. Le principe relève de l'État, et il doit en rester ainsi.

Mme McIvor: Oui.

Le sénateur Joyal: Est-ce de cette façon que vous interprétez la responsabilité fiduciaire de l'État fédéral relativement à la question de l'égalité des hommes et des femmes autochtones?

Mme McIvor: Oui.

Le sénateur Joyal: Par conséquent, dans toute négociation entre l'État fédéral et les chefs autochtones sur l'autonomie gouvernementale au Canada, peu importe la bande qui est concernée, le principe de l'égalité des hommes et des femmes autochtones est prépondérant.

Mme McIvor: Oui...

Le président suppléant: Je n'ai pas bien compris.

Le sénateur Joyal: Le principe de l'égalité des hommes et des femmes autochtones est prépondérant. Sa portée ne pourrait pas être diminuée par la loi.

Mme McIvor: Il ne peut pas être délégué. Il relève de l'État fédéral et il ne peut pas être délégué.

Le président suppléant: Personne d'autre ne peut l'exercer de toute façon, parce qu'il relève de l'État.

Le sénateur Joyal: Certains témoins ont plus ou moins déclaré que c'est l'affaire des Premières nations. Je suis troublé par les déclarations selon lesquelles l'égalité des hommes et des femmes pourrait être remise en question en octroyant à un autre palier de gouvernement le pouvoir de faire ou non cette remise en question.

Pour moi, c'est un élément fondamental de la définition de notre identité. Monsieur le président, c'est un élément fondamental de notre rapport à l'intention du ministre, du Parlement et de l'ensemble de la collectivité autochtone. Je sais que nos travaux sont suivis de près. Nous devons en être bien conscients. Si nous sommes incapables de mesurer l'importance de ce principe et de comprendre qu'il relève de l'État, c'est la façon dont ce dernier s'acquitte généralement de sa responsabilité qui est remise en question.

Il est certainement utile de comprendre comment l'État s'acquitte de sa responsabilité. Il agit par l'intermédiaire du gouvernement du Canada. Nous nous retrouvons toujours dans cette position contradictoire: d'un côté, l'État, qui est le gardien des droits des peuples autochtones, et le gouvernement de l'heure, qui est l'interprète de l'accord négocié auquel nous devons arriver pour régler divers problèmes.

L'État est indissociable du gouvernement de l'heure et de la notion selon laquelle il existe une autorité chargée d'offrir une protection. Pourquoi? Parce que les peuples autochtones sont en position minoritaire et qu'ils ne seront jamais assez nombreux pour exercer une influence sur le gouvernement, par leur vote ou en formant le gouvernement. Ce que vous pouvez espérer de mieux, c'est de pouvoir traiter d'égal à égal dans votre propre gouvernement, en tant que peuple autochtone. Toutefois, en ce qui concerne les principes fiduciaires dont il est question, vous ne pourrez jamais les interpréter. Ils continueront d'incomber au gouvernement non autochtone.

C'est le principe qui relève de l'État. Par définition, l'État n'est pas autochtone. Il inclut les Autochtones, mais pas seulement eux. Nous essayons de composer avec cette situation. La question est vaste et complexe, mais si nous en comprenons clairement les enjeux, monsieur le président, nous pourrons formuler des recommandations afin de calmer les inquiétudes dont on nous fait part ici.

Le président suppléant: C'est de cela dont nous avons besoin. C'est dans le rapport. Nous devrions parler des deux questions.

Le sénateur Joyal: Nous devons en parler dans le rapport. C'est une situation complexe parce qu'elle est partiellement, voire totalement, abstraite. Pourtant, d'un autre côté, notre pays devrait disposer d'un mécanisme qui représente les peuples autochtones. Il existe des droits fondamentaux, protégés par l'État, qui permettent de préserver la capacité des peuples autochtones de produire le type de société dans laquelle ils souhaitent vivre, où il n'y a plus de discrimination.

C'est de cette manière que nous devons nous interroger, monsieur le président. Il est difficile alors de ne pas aller un peu plus loin en affirmant que nous devons modifier la Loi sur les Indiens, puisqu'il s'agit de la démarche nécessaire et inévitable par laquelle nous reconnaîtrons le principe que nous voulons défendre ici.

Vous avez dit avoir lu certains des mémoires présentés par d'autres témoins qui ont comparu devant ce comité. Parmi ceux que vous avez lus, y en a-t-il qui contiennent des recommandations à l'égard de la modification de la Loi sur les Indiens, avec lesquelles vous êtes d'accord?

Mme McIvor: Non, je n'ai pas eu la chance de les lire attentivement. Je les ai feuilletés et j'ai vu beaucoup de choses que je n'aimais pas. Pour être franche, je n'y cherchais pas quelque chose à approuver.

Le sénateur Joyal: Monsieur le président, peut-être que notre greffière pourrait remettre les mémoires à Mme McIvor; elle pourrait en signaler les aspects qu'elle estime constructifs. Nous lui en serions reconnaissants.

Le président suppléant: Nous devrons revenir à la question de la responsabilité fiduciaire, parce qu'elle est toujours négligée. Mais, cette fois-ci, nous en avons discuté en profondeur et c'est bien. Je conviens que nous devrons y revenir.

Le sénateur Chalifoux: Cette discussion a été intéressante et importante, madame McIvor.

J'ai fait partie du comité qui a étudié le traité Nisga'a. Il y avait beaucoup d'arguments pour et contre les droits relatifs aux biens matrimoniaux et les droits des femmes dans la Nation nisga'a. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

La Loi sur les Indiens a prépondérance sur les dispositions législatives concernant les droits de la personne, et c'est vraiment déplorable. Je suis présidente du Comité permanent du Sénat sur les peuples autochtones, et j'ai entendu les deux côtés de la question. On me dit que nous devons abandonner le projet de loi C-7. Je ne suis pas d'accord, car je crois qu'il nous offre une occasion, à nous femmes autochtones, d'exiger l'équité des droits. J'aimerais entendre votre opinion là-dessus. Quelles recommandations feriez-vous au comité?

Je crains vraiment que le projet de loi C-7 soit abandonné. Voulons-nous le statu quo, ou souhaitons-nous nous tourner vers l'avenir et envisager comment les Premières nations feront face aux changements que nous prévoyons? Dans nos collectivités, nos jeunes sont désabusés. Nous assistons à la formation de gangs et à la délinquance. Qu'arrivera-t-il quand cette situation s'étendra à toute la collectivité, comme elle ne manquera pas de le faire si nous ne prenons pas des mesures pour améliorer le sort des jeunes qui vivent dans nos réserves?

Mme McIvor: J'ai eu l'occasion de discuter d'égalité avec certaines femmes nisga'as qui avaient d'importantes réserves à propos du traité. La plus grande victoire concernant ce traité, c'est que la Charte des droits continue de s'appliquer. Nous n'avons pas pu régler toutes les questions, mais nous savions que si nous avions la Charte, nous disposions d'un mécanisme pour poursuivre les négociations sur des aspects du traité que nous n'avions pas pu peaufiner.

Je connais la plupart des négociateurs. Je n'étais pas d'accord avec eux sur de nombreux points, mais c'est aussi ma nature. Les femmes sont venues me voir; elles voulaient recourir immédiatement aux tribunaux pour mettre fin au processus. Toutefois, nous avons décidé que l'inclusion de la Charte représentait un grand avantage, parce qu'elle nous donnait l'occasion de renégocier le traité ultérieurement, plutôt que de tout rejeter. En l'occurrence, c'est l'outil dont nous avons besoin, et c'est ce que nous avons tenté de réaliser.

En ce qui concerne la question de la responsabilité, quand je me heurte à un problème, la première chose que j'essaie de déterminer c'est à qui en incombe la responsabilité. Si c'est la mienne, je m'en charge; si ce n'est pas la mienne, je me dis: «Ce n'est pas ma responsabilité». Le gouvernement fédéral n'a pas très bien réussi à faire cela. Il n'a pas assumé la responsabilité de notre bien-être, de notre sécurité et de nos préoccupations. Il nous a répété à maintes reprises qu'il reconnaissait nos problèmes, mais que les chefs refusaient que certaines mesures soient prises.

En quoi consiste le projet de loi C-7?

Le sénateur Chalifoux: C'est la Loi sur la gouvernance.

Mme McIvor: Oui. La délégation des pouvoirs me pose toujours un problème. Elle a été à la source de bien des choses négatives que j'ai vu se produire. Quand on donne des pouvoirs plutôt que des responsabilités, il y a beaucoup d'abus. C'est ce qui m'inquiète le plus à propos de la Loi sur la gouvernance des Premières nations. Les gens qui sont d'accord avec cette loi la considèrent comme un instrument de pouvoir, et ce n'est pas une bonne chose.

Le sénateur Chalifoux: Vous n'êtes donc pas favorable à la délégation de pouvoirs?

Mme McIvor: Pas dans la mesure où nous l'avons connue jusqu'à maintenant.

Le président suppléant: De toute façon, est-ce de la délégation? Je n'en suis pas vraiment certain. Il y a quelques instants, vous avez souligné que la Loi sur les Indiens fait abstraction de cette question de l'application d'un principe. Je ne suis pas d'accord. Je n'aime pas tellement le libellé de la Loi sur les Indiens, mais comment pouvez-vous affirmer qu'une loi comme celle-là pourrait faire abstraction de l'application de la Charte des droits et libertés ou d'un autre principe?

Mme McIvor: Elle ne peut pas le faire.

Le président suppléant: Nous ne pouvons pas le faire, j'en suis sûr, mais avez-vous dit que la loi faisait abstraction d'un principe?

Mme McIvor: Non, certainement pas. Je dis que le gouvernement fédéral a la responsabilité de veiller à l'égalité et qu'il ne peut pas déléguer cette responsabilité. Toutefois, il essaie de le faire au moyen de la délégation prévue par la Loi sur les Indiens, la Loi sur la gestion des terres des Premières nations et la Loi sur le gouvernement des Premières nations.

Le président suppléant: Selon notre système constitutionnel, la délégation ne peut se faire que vers un organe inférieur à celui qui délègue. Nous ne pouvons pas déléguer quoi que ce soit aux provinces, mais nous pouvons déléguer des pouvoirs à un organe dont la position hiérarchique est inférieure à celle d'une province. C'est très clair.

Le sénateur Chalifoux: Si le projet de loi C-7 n'est pas adopté, c'est le statu quo, c'est-à-dire qu'on maintient la version originale de la Loi sur les Indiens. Je conviens qu'elle est très discriminatoire envers les femmes et les enfants, parce qu'elle ne contient aucune disposition à leur endroit. Que préféreriez-vous? Voudriez-vous commencer à apporter des amendements au projet de loi afin d'amorcer l'évolution de l'autonomie gouvernementale des Autochtones, ou plutôt abandonner ce projet de loi?

Le ministre Nault est le premier, depuis de nombreuses années, à tenter de modifier la Loi sur les Indiens. Ron Irwin a déclaré qu'il n'y toucherait sous aucun prétexte. Nous avons maintenant un ministre qui essaie au moins d'examiner la loi, et de nous fournir un meilleur éclairage et un meilleur contexte pour traiter avec les Premières nations.

Mme McIvor: Comme la Loi sur le gouvernement des Premières nations et la Loi sur la gestion des terres des Premières nations, la Loi sur les Indiens est un mécanisme qui sert à gérer certains enjeux. Le gouvernement fédéral doit cesser de s'esquiver en ce qui concerne l'égalité. Il dit que bien que la Charte et le paragraphe 35(4) stipulent que nous sommes égaux, ces dispositions sont contraires aux coutumes. Le gouvernement doit cesser de faire ce genre d'affirmation. L'égalité est prépondérante et il doit le reconnaître. C'est le message qu'il doit transmettre aux chefs et aux conseils. Les chefs et les conseils emploient leurs pouvoirs comme ils l'entendent. Quelqu'un doit les rappeler à l'ordre et leur signaler qu'il y a des limites aux pouvoirs qu'ils exercent depuis 30 ans. C'est tout ce que je veux dire.

J'ai lu le texte qui est proposé pour la Loi sur le gouvernement des Premières nations et, comme bien d'autres gens, j'ai des réserves. Depuis de nombreuses années, j'essaie de faire passer le message suivant: tant que l'article 91.24 sera en vigueur, le gouvernement fédéral aura le devoir et la responsabilité fiduciaire de veiller à ce que nous ne soyons pas violées, assassinées ou expulsées des réserves, à moins que l'on permette que cela arrive à toutes les autres femmes du Canada.

Le président suppléant: Je me souviens que quand nous nous sommes occupés des enjeux des Nisga'as, nous leur avons délégué beaucoup de pouvoirs. De fait, si je ne me trompe pas, nous avons conféré la suprématie à la nation nisga'a.

J'ai encore de sérieux doutes à ce sujet, parce que la suprématie appartient aux gouvernementaux provinciaux et fédéral. Je ne vois pas comment une administration fédérale ou provinciale peut renoncer à la suprématie au moment de répartir les pouvoirs. Maintenant que c'est fait, ça pourrait être contesté devant les tribunaux, mais nous verrons. J'ai beaucoup de difficulté avec cette question.

Le sénateur Joyal: Il faudrait insister sur un point: l'État ne délègue pas de pouvoirs aux Autochtones, aux Métis, aux Inuits ni aux Indiens. La Cour suprême du Canada a reconnu que la société autochtone précède la société non autochtone. Avant l'arrivée des Européens, les Autochtones avaient une forme de gouvernement, une structure sociale et une structure politique. Les Indiens n'ont pas été conquis — ils ne se sont pas rendus. Ils conservent leur capacité de se réglementer et de se gouverner, et c'est là le principe fondamental de l'autonomie gouvernementale. La Cour suprême l'a reconnu.

Toutefois, l'État a la responsabilité fiduciaire de protéger les droits fondamentaux des hommes et des femmes autochtones. Une fois l'autonomie gouvernementale établie, il incombe à l'État de veiller à ce que les droits fondamentaux de la personne soient rigoureusement respectés. L'État ne cède jamais cette responsabilité, même si l'on reconnaît entièrement — comme l'a dit le président suppléant — l'autonomie gouvernementale et même la suprématie, comme dans le cas des traités nisga'as. Le principe de l'égalité transcende tout gouvernement de l'heure et toute suprématie. La suprématie n'est pas un prétexte pour se livrer à la discrimination. Jusqu'à maintenant, cela n'a pas été bien compris.

Comme l'a si bien dit le président suppléant, c'est par leur inclusion explicite que les femmes autochtones veulent être protégées par la Charte. Je serais réticent à mettre en vigueur une loi qui consacrerait l'autonomie gouvernementale d'une nation autochtone ou d'une bande autochtone, sans que cela soit pleinement reconnu. Le premier devoir de l'État est de préserver le principe de l'égalité.

On ne peut pas déléguer la capacité d'exercer une discrimination. Ce pouvoir n'existe pas. La seule responsabilité qui existe, c'est le principe de l'égalité des hommes et des femmes. Nous partageons tous cette responsabilité fondamentale, et c'est tellement important. Il y a beaucoup de notions et de concepts en cause dans cette question, parce qu'elle touche toute la structure de gouvernement autochtone. Nous devons indiquer très clairement où nous fixons les limites relativement à cette question. Il importe de bien comprendre cela.

Mme McIvor: La question a fait l'objet de discussions aux réunions de 1983, 1984, 1985 et 1987 — au lac Meech et à Charlottetown. L'autonomie gouvernementale ainsi que les compétences établies aux articles 91 et 92 étaient nettement négociables, mais cette négociation n'a jamais abouti.

Il incombe au gouvernement fédéral de veiller à ce que, peu importe le palier de gouvernement en cause, l'égalité soit protégée et qu'il existe un mécanisme d'application. C'est ce qui manque.

Le président suppléant: Cette discussion est fascinante, mais nous dérivons vers une autre question qui, si je comprends bien, déborde quelque peu le cadre de la protection des femmes pour le moment. La discussion a été productive et elle figurera au compte rendu.

Je vous remercie pour vos commentaires des plus intéressants. Vous avez une vaste expérience et votre témoignage nous a captivés.

La séance est levée.


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