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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
affaires étrangères

Fascicule 1 - Témoignages du 25 février 2004


OTTAWA, le mercredi 25 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 16 h 12 pour étudier, en vue de faire rapport, les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis d'Amérique et entre le Canada et le Mexique.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous allons entendre aujourd'hui, par vidéoconférence, notre premier groupe de témoins qui se trouvent à Washington, D.C.

Le comité a achevé le premier volet de son examen qui était consacré à l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Le deuxième volet concernait l'effet des taux de change sur les échanges commerciaux entre les deux pays. Nous allons maintenant aborder la partie qui traite des relations entre le Mexique et les pays de l'ALENA conformément à l'ordre de renvoi du Sénat. Nous nous déplacerons à Mexico lundi et mardi prochains pour y tenir des audiences.

Madame Polaski, veuillez commencer.

Mme Sandra Polaski, associée principale et directrice du projet Commerce, Équité et développement, dotation Carnegie pour la paix internationale: Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité pour vous faire part de mes recherches et de mes perceptions sur la situation du Mexique après 10 ans d'ALENA. Lorsqu'on parle de l'effet de l'ALENA sur le Mexique, on utilise surtout deux chiffres pour mesurer l'effet positif de cet accord. Ces deux chiffres sont l'augmentation du flux de l'investissement étranger et l'augmentation du volume des échanges entre les pays. Cependant, à eux seuls, ces chiffres ne nous disent pas grand-chose sur l'effet réel qu'a eu l'ALENA dans ce pays.

L'investissement étranger peut constituer une composante importante de la croissance ou il peut avoir un effet déstabilisateur, comme cela s'est produit au début des années 90, au cours desquelles les capitaux étrangers ont afflué vers le Mexique pour ensuite quitter ce pays pendant la crise du peso de 1994 et de 1995. Cet investissement peut aussi tout simplement refléter un changement dans la propriété des banques plutôt qu'une croissance de l'activité économique, comme le montre l'achat de banques mexicaines par Citigroup et Banque Scotia.

Avant l'entrée en vigueur de l'ALENA, les échanges commerciaux avec le Mexique étaient en train d'être libéralisés, à la fois grâce à des mesures unilatérales de libéralisation et grâce aux progrès enregistrés dans le domaine de la technologie et du transport. L'achèvement de la Ronde Uruguay a également été un des facteurs qui a contribué à développer les échanges commerciaux et à abaisser les barrières tarifaires.

Le point essentiel à signaler est que l'augmentation des échanges et des investissements ne permet pas, à elle seule, d'affirmer que l'accord a été un succès, parce que cette augmentation ne constitue pas un objectif économique en soi. Ce n'est qu'un moyen qui doit amener les partenaires commerciaux à se spécialiser dans les activités qui leur conviennent le mieux pour ainsi gagner en efficacité, en croissance et en richesse.

Voici les questions que nous avons examinées dans cette étude qui a été publiée il y a quelques mois: quel a été l'effet de l'ALENA sur la productivité? quel a été son effet sur la croissance économique, l'emploi et les revenus? que s'est-il passé au niveau microéconomique, dans les ménages, les usines et les exploitations agricoles du Mexique? Les changements constatés dans les fondamentaux de l'économie déterminent ce qui se passe au niveau macroéconomique global, à long et moyen terme. Ces changements constituent un aspect essentiel pour comprendre l'impact politique de l'accord commercial et pour savoir qui en a profité et qui y a perdu.

Je vais utiliser des données commerciales concernant le Mexique et les États-Unis parce que c'est avec ce pays que le Mexique effectue la plus grosse partie de ses échanges; il serait plus compliqué et plus long de se référer aux échanges commerciaux entre le Canada et le Mexique.

La tendance générale des échanges commerciaux entre les États-Unis et le Mexique depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA est que le Mexique a fait des gains nets pour ce qui est des produits manufacturés et des pertes nettes pour ce qui est des services et des produits agricoles. Cela se reflète sur l'emploi.

J'espère que vous avez reçu la présentation PowerPoint qui contient les chiffres que je vais utiliser dans mon exposé.

Le Mexique présente les données relatives à l'emploi dans le secteur manufacturier en deux séries de données distinctes, ce qui nous a amenés à examiner séparément le secteur des maquiladoras et celui des autres entreprises industrielles. Entre janvier 1994 et septembre 2003, le secteur des maquiladoras a gagné 523 000 emplois. Si vous avez le document, c'est le premier chiffre.

Ce n'est pas l'ALENA qui a mis sur pied ce programme, mais cet accord a entraîné une réduction importante des tarifs douaniers qui a touché les produits fabriqués par les maquiladoras, notamment les textiles et les vêtements. L'ALENA a joué un rôle important, mais ce n'est pas le seul facteur qui a entraîné une augmentation des emplois dans le secteur des maquiladoras. Parallèlement, dans le secteur autre que celui des maquiladoras, qui est le principal secteur industriel au Mexique, l'emploi a augmenté pendant une brève période, puis il a chuté. Après 10 ans d'ALENA, il y avait moins d'emplois dans ce secteur qu'avant l'entrée en vigueur de cet accord.

Les données statistiques mexicaines ne distinguent pas la production destinée à l'exportation de celle qui est destinée au marché intérieur, de sorte que nous ne pouvons pas savoir quelle partie de cette perte est due aux échanges commerciaux. Il est probable que la perte d'emplois dans le secteur manufacturier autre que celui des maquiladoras s'explique en partie par la concurrence à l'importation que faisaient au Mexique d'autres pays à bas salaires, comme la Chine. Il est également possible qu'à la suite des changements introduits par l'ALENA, les fournisseurs mexicains de pièces et de matières premières, qui produisaient au départ pour des sociétés internationales établies au Mexique, ont subi la concurrence des importations, parce que ces sociétés multinationales peuvent s'approvisionner auprès de leurs sources d'approvisionnement mondiales sans payer de droits de douane. Globalement, pour ce qui est de l'emploi dans le secteur manufacturier, les entreprises mexicaines autres que les maquiladoras ont perdu 122 000 emplois depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, tandis que les maquiladoras ont gagné 520 000 emplois supplémentaires pendant cette même période. Cela donne un gain net de 400 000 emplois industriels au Mexique, entre 1994 et octobre 2003.

Parallèlement, dans l'agriculture, le Mexique a perdu 1,3 million d'emplois pendant cette période. L'agriculture mexicaine a connu une perte nette dans ses échanges avec les États-Unis, et dans ce secteur, l'emploi a considérablement chuté. Il n'est pas possible de dire quelle est la partie de cette diminution qui est directement imputable à l'ALENA, mais cet accord a entraîné une diminution très importante des droits de douane sur les produits agricoles mexicains. Il constitue manifestement un des principaux facteurs qui expliquent cette perte d'emplois. Le tableau 3 fait ressortir l'évolution de l'emploi dans le secteur agricole.

Il est bien sûr important de signaler que les exportations agricoles des États-Unis profitent souvent de subventions gouvernementales considérables. En plus des avantages sur le plan de l'efficience dont bénéficient les produits américains, ceux-ci peuvent être vendus au Mexique à un prix inférieur à leur coût de production, ce qui a entraîné une forte pression à la baisse sur le prix du maïs. La culture de certains produits a baissé sensiblement, ce qui est manifestement relié à la diminution du nombre des emplois. Cela vaut particulièrement pour le blé et le soja. La production de maïs n'a pas diminué parce qu'on a continué à en produire pour l'«autoconsommation», la consommation des ménages. Par contre, la chute des prix a entraîné une diminution des revenus agricoles, ce qui a obligé de nombreuses familles à envoyer certains de leurs membres travailler dans des entreprises autres qu'agricoles.

Le secteur mexicain de l'horticulture a prospéré avec l'ALENA et il comprend les fruits, les légumes et les fleurs. Dans ce secteur, les fermes commerciales ont fait un gain de 450 000 emplois, mais la perte nette de 1,3 million d'emplois que j'ai mentionnée il y a un instant tient compte de l'augmentation du nombre des travailleurs dans le secteur de l'horticulture.

Il est incontestable que le secteur agricole mexicain a ressenti de façon particulièrement négative l'impact de l'ALENA, et les ménages ruraux ont assumé un coût d'ajustement très lourd. Ces familles n'ont reçu pratiquement aucune aide de leur gouvernement pour procéder à cet ajustement.

On se serait attendu à ce que le Mexique soit le grand gagnant sur le plan de la création d'emplois de l'entrée en vigueur de l'ALENA. Le Mexique a un surplus de travailleurs, ce qui veut dire qu'il y a plus de travailleurs qui recherchent un emploi ou un emploi meilleur que ceux qui sont offerts. Avec l'augmentation de l'investissement étranger et l'ouverture des marchés du Canada et des États-Unis grâce à l'ALENA, on aurait pensé que le nombre des emplois aurait augmenté sensiblement au Mexique, mais cette croissance a été étonnamment faible et très décevante, compte tenu de la nécessité dans laquelle le Mexique se trouve de créer des emplois pour pallier l'augmentation de sa population.

Le quatrième tableau montre la croissance moyenne de l'emploi par secteur pendant les neuf années qui ont précédé et qui ont suivi l'entrée en vigueur de l'ALENA. Ce tableau fait non seulement ressortir la chute de l'emploi dans le secteur agricole mais également un ralentissement de la croissance des emplois dans le secteur des services et celui de l'industrie après l'entrée en vigueur de l'ALENA. Aujourd'hui, le salaire réel de la plupart des Mexicains est inférieur à ce qu'il était avant l'ALENA. Cette diminution ne peut toutefois être principalement attribuée à cet accord. La grave récession qu'a entraînée la crise du peso, en 1994-1995, a entraîné une forte diminution des salaires. Les salaires sont demeurés à un niveau très bas jusqu'à la fin des années 90 et n'ont que tout récemment recommencé à légèrement augmenter. C'est ce qui explique que le salaire réel de la plupart des travailleurs des différents secteurs industriels est encore à un niveau inférieur à celui de 1994.

Le cinquième tableau montre l'évolution des salaires réels et de la productivité au Mexique. On constate que la productivité a augmenté fortement et régulièrement au Mexique depuis 10 ans. C'est une bonne nouvelle, parce qu'ainsi, les travailleurs mexicains sont devenus plus concurrentiels dans l'économie mondiale et que, bien sûr, la croissance de la productivité se traduit à long terme par une croissance des salaires, une augmentation des revenus et une réduction de la pauvreté. Néanmoins, cette augmentation de la productivité ne s'est pas traduite par une augmentation des salaires. Cela est inquiétant pour plusieurs raisons. Cela veut dire que le taux global de pauvreté est demeuré élevé et que la demande des consommateurs n'a pas augmenté de façon satisfaisante au Mexique. Cela a eu un effet pervers sur les avantages que le Mexique prévoyait retirer de cet accord ainsi que sur les espoirs que les secteurs d'exportation du Canada et des États-Unis avaient placés dans cet accord en se basant sur une augmentation de la demande mexicaine. Le Mexique est devenu trop dépendant du marché américain, étant donné que son propre marché intérieur n'a pas donné les résultats attendus en raison de la faiblesse de la croissance de l'emploi et des bas salaires.

La situation des salaires s'explique en partie par une demande d'emploi trop forte, mais aussi par les politiques du gouvernement mexicain qui a notamment maintenu le salaire minimum à un niveau très bas et qui a exercé des pressions sur les syndicats indépendants. Il semblerait que l'administration Fox ait assoupli ces politiques en matière de salaire minimum depuis quelques années, et il semble que, dernièrement, le salaire minimum ait légèrement augmenté. Aucun progrès n'a toutefois été constaté pour ce qui est de la réforme de la liberté d'association.

Permettez-moi de parler un instant des inégalités. Si l'on veut évaluer les répercussions d'un accord commercial sur les citoyens ordinaires, il faut se demander quels sont ceux qui ont profité de la nouvelle donne et ceux qui y ont perdu. Les gains et les pertes découlant des échanges commerciaux n'ont pas été répartis également. Il existe de graves inégalités au Mexique, comme c'est le cas dans la plupart des pays latino-américains. C'est un aspect préoccupant parce que ces inégalités sapent la stabilité sociale et la cohésion politique, et parce que l'on sait que les économies où il existe de graves inégalités réussissent moins que les sociétés plus égalitaires à réduire la pauvreté.

Que s'est-il produit? Depuis 1994, les inégalités se sont aggravées au Mexique. Si l'on compare la situation actuelle avec celle qui prévalait avant l'entrée en vigueur de l'ALENA, on constate que la part du revenu national a augmenté pour les ménages les plus riches, 10 p. 100 de l'ensemble, alors qu'elle a diminué ou est demeurée stable pour les 90 p. 100 restants.

Au sujet de la performance générale de l'économie mexicaine depuis l'ALENA, j'aimerais mentionner le taux de croissance global de l'économie ou du produit intérieur brut. Entre 1994 et 2003, les 10 ans d'application de l'ALENA, la croissance moyenne s'est établie à 2,5 p. 100 par an. Le taux moyen de croissance de l'économie au cours des 10 années ayant précédé l'ALENA, qui comprennent une bonne partie de la «décennie perdue» des années 80, était pratiquement identique. Ce qui est plus surprenant, comme l'indique le tableau, c'est qu'au cours de la décennie précédente, de 1974 à 1983, la croissance avait augmenté en moyenne beaucoup plus rapidement, soit de 5 p. 100 par an. Cela veut dire qu'il n'existe aujourd'hui aucun élément indiquant que l'ALENA ait accéléré la croissance économique du Mexique par rapport à ce qu'elle avait été au cours des décennies antérieures.

Une dernière mesure qu'il est utile de mentionner concerne le niveau microéconomique, ou celui des ménages, et c'est le taux d'émigration. Si l'on examine l'émigration vers les États-Unis, la principale destination, nous constatons une augmentation rapide de l'émigration à partir de 1996. Cette augmentation continue à s'accélérer même après le 11 septembre 2001, malgré le renforcement des mesures de sécurité à la frontière, et, aspect particulièrement intéressant, même avec le ralentissement de l'économie des États-Unis, au cours des trois dernières années. L'émigration est un phénomène complexe, qui est influencée par de nombreux facteurs, notamment l'attraction qu'exerce l'économie américaine mais aussi les pressions que subissent les candidats à l'émigration qui les poussent à quitter leur pays; néanmoins, le fait que l'émigration ait augmenté malgré le ralentissement qu'ont connu les États-Unis indique que le marché du travail mexicain exerce un très fort effet de répulsion. Cela indique enfin que l'ALENA n'a pas entraîné l'accélération de la croissance générale que la théorie économique prédisait et dont le Mexique avait tant besoin.

Il faut nous demander si nous aurions pu faire les choses différemment. Qu'aurions-nous dû faire d'autre lorsque nous avons négocié cet accord commercial? Est-ce que les pays en développement qui négocient avec des pays riches comme le Canada et les États-Unis pourraient faire les choses différemment?

J'ai préparé quelques suggestions pour les autres pays en développement et nous pourrions peut-être revenir sur ce sujet au cours de la période des questions.

J'aimerais parler des trois façons dont le Canada peut examiner l'effet de l'ALENA sur le Mexique. Je peux le faire maintenant ou au cours de la période des questions, si vous préférez.

Le président: Faites-le maintenant, si vous le voulez bien.

Mme Polaski: Comme je l'ai dit, l'ALENA n'a pas favorisé le développement du Mexique comme la théorie économique l'avait prédit. Le développement économique du Mexique aurait dû être un objectif auquel il aurait fallu attribuer beaucoup plus d'importance au cours des négociations de l'ALENA, tant de la part du Mexique que de celle de ses partenaires.

La leçon qu'il faut en retirer est que les accords commerciaux conclus entre des pays en développement et des pays développés ne peuvent être des outils de développement que si la libéralisation des tarifs douaniers accorde aux pays en développement le temps de s'ajuster et de se développer avant de subir le plein effet de la concurrence. Les subventions agricoles accordées par un riche partenaire commercial supprime l'avantage comparatif naturel que possède le pays le plus pauvre et il convient d'adopter des dispositions spéciales pour repousser la libéralisation des produits subventionnés, en attendant que les négociations multilatérales s'attaquent aux questions sous-jacentes à ces subventions.

Malheureusement, on retrouve dans les accords négociés récemment entre les États-Unis et les pays de l'Amérique centrale la plupart des lacunes dont souffre l'ALENA. Le Canada pourrait obtenir de meilleurs résultats dans ses négociations avec les pays de l'Amérique centrale et les autres pays en développement s'il se fixait comme objectif d'aider ces pays à assurer leur propre développement, objectif qui ferait partie intégrante de l'accord commercial.

Le commerce touche également la politique étrangère et les bons accords commerciaux font une bonne politique étrangère, alors que les mauvais accords commerciaux ont l'effet contraire. Si les parties à un accord commercial jugent que l'accord est équitable et qu'il favorise le développement du partenaire commercial le plus faible, cela ne pourra que renforcer les rapports entre ces pays et améliorer les autres aspects de ces rapports. De tels accords ne peuvent qu'améliorer la collaboration dans les domaines autres que commerciaux. Par contre, les accords commerciaux jugés inéquitables ou favorisant le partenaire commercial le plus riche ou le plus puissant ne peuvent que nuire aux relations entre ces pays et fomenter du ressentiment.

Le cas du Mexique fait ressortir l'urgente nécessité de renforcer les filets de sécurité sociaux et de prévoir une aide à l'ajustement commercial avant de libéraliser les échanges avec les pays en développement. Les agriculteurs mexicains n'ont reçu aucune aide pour s'ajuster à la nouvelle donne et cette omission a causé de graves problèmes politiques au gouvernement mexicain. Cette omission a aggravé la pauvreté des paysans ainsi que les inégalités entre les différents secteurs de la population mexicaine et elle a entraîné une forte augmentation de l'émigration vers les États-Unis.

L'Union européenne a choisi d'aider les pays pauvres à s'ajuster au processus d'intégration économique et cette méthode est, d'après moi, la meilleure qui existe actuellement si l'on veut mettre en oeuvre efficacement une politique d'intégration commerciale. Aucun accord d'envergure comparable n'est envisagé dans un avenir prévisible pour l'hémisphère occidental mais cela n'empêche pas de prendre des mesures pour aller dans cette direction. Il faut intégrer aux accords commerciaux entre les pays riches et les pays pauvres des mécanismes d'aide à l'ajustement commercial et les banques de développement multilatérales devraient participer activement à cet ajustement et accorder une aide transitoire. Le Canada pourrait utiliser son influence pour faire adopter ce genre d'orientation.

Le président: Merci, madame Polaski. Voilà qui était très intéressant.

Monsieur Servén, je vous invite à commencer.

M. Luis Servén, spécialiste principal, Études régionales, Banque mondiale, Bureau de l'économiste en chef pour l'Amérique latine et la région des Caraïbes: Monsieur le président, messieurs les sénateurs, je vous remercie de me donner la possibilité de comparaître votre comité.

Nos remarques introductives sont tirées du rapport sur les effets de l'ALENA et les leçons à en retirer que vient d'achever la Banque mondiale.

Il n'est pas facile d'évaluer les effets de l'ALENA. Dix ans seulement ont passé et de nombreux événements ont gravement touché le Mexique. Comme l'a mentionné Mme Polaski, il y a eu la crise tequila en 1995, qui a entraîné une grave récession, une perte d'emplois et une réduction brutale du niveau de vie. Les réformes unilatérales qu'a entreprises le Mexique à la fin des années 80 ont également eu des répercussions au cours des années 90. Il y a eu l'arrivée d'investissements étrangers massifs au Mexique et dans de nombreuses économies émergentes. Il y a eu une chute mondiale du prix des produits de base, notamment des produits agricoles. Il existait déjà au Mexique certaines tendances en matière d'emploi qui ont continué à se faire sentir après l'entrée en vigueur de l'ALENA.

Autrement dit, il n'est pas possible d'imputer à l'ALENA tout ce qui s'est produit après son entrée en vigueur. Il faut distinguer l'effet du traité de celui des autres facteurs. Dans ce rapport, nous essayons de séparer ces différents facteurs. Nous avons examiné différentes périodes, mais cela n'a pas suffit. Nous avons également étudié d'autres pays qui avaient conclu des traités comparables. Nous avons comparé l'évolution des différents secteurs économiques pour voir quels étaient les effets du traité sur chacun d'entre eux.

Notre conclusion est que, dans l'ensemble, le Mexique a bénéficié de ce traité. Cependant, ces bénéfices n'ont pas été aussi importants que les partisans du traité l'avaient promis et ils n'ont pas non plus été aussi faibles que les critiques l'affirmaient. Notre conclusion est que l'ALENA a eu sur le Mexique un léger effet qui a favorisé la convergence économique avec ses partenaires nord-américains.

Pour ce qui est du revenu par habitant et du niveau de vie, le Mexique a retiré de cet accord un avantage important sur le plan du commerce et de l'investissement étranger. Les bénéfices qu'en a retirés le pays n'ont pas été partagés également par tous les secteurs économiques ni par toutes les régions du pays. Il faut surtout signaler que les bénéfices n'ont pas toujours été au rendez-vous.

Ce genre de traité doit s'accompagner de réformes internes complémentaires dans le domaine de l'éducation, de la technologie et de l'infrastructure. Les bénéfices que peut apporter ce genre d'accord commercial dépendent, dans une large mesure, de l'ampleur des réformes mises en oeuvre dans ces domaines.

Pendant les quelques minutes qui viennent, nous allons parler des principaux aspects sur lesquels le traité a eu des répercussions: les échanges commerciaux, l'investissement et la convergence des revenus avec les partenaires nord- américains. Nous allons également aborder la question de la divergence entre les États du Mexique et celle de la productivité et de l'innovation sur le marché du travail et dans l'agriculture.

L'ALENA a eu un effet important sur l'ouverture de l'économie mexicaine. Dans la présentation que nous avons remise au comité, figurent un certain nombre de graphiques qui montrent clairement comment les importations et les exportations ont augmenté au Mexique avec l'ALENA, pour représenter aujourd'hui près de 100 p. 100 du PIB mexicain, ce qui est un pourcentage élevé pour une économie de cette taille. Ici, comme dans de nombreux autres domaines, l'accord de libre-échange n'a pas été le seul facteur qui a joué. En fait, la dévaluation réelle du peso en 1994- 1995 ainsi que les mesures unilatérales d'évaluation prises par le pays à la fin des années 90 ont, avec d'autres facteurs, grandement influencé ces résultats.

Nous avons conclu que le traité a eu pour effet d'augmenter les exportations mexicaines de 25 à 30 p. 100 par rapport à ce qu'elles auraient été sans l'ALENA.

Nous avons également constaté une augmentation importante de l'investissement étranger au Mexique. Cependant, le Mexique n'a pas été le seul pays récipiendaire de cette augmentation des investissements après l'entrée en vigueur de l'ALENA. En fait, nous constatons que le Mexique a reçu sensiblement davantage que d'autres pays dans les années qui ont suivi l'entrée en vigueur du traité mais qu'après cette période, d'autres pays ont commencé à recevoir davantage d'investissement étranger. La différence entre la performance du Mexique et celle des autres pays de la région sur ce point n'est donc pas très importante.

Dans l'ensemble, le traité a néanmoins eu pour effet d'augmenter sensiblement l'investissement étranger direct, dans un pourcentage de 70 p. 100 par rapport à ce qu'il aurait été en l'absence de ce traité, et l'arrêt des investissements reflète dans une large mesure certains aspects négatifs du climat commercial qui régnait au Mexique, en particulier les faiblesses institutionnelles dont je parlerai dans un instant.

Il y a un aspect qui est peut-être plus important que le commerce et les investissements, c'est le niveau de vie, et la façon dont ce pays a réussi à se rapprocher de ses partenaires du Nord. Nous avons conclu que le traité avait contribué modestement à combler cet écart. Cependant, dans une perspective à plus long terme, on constate que le Mexique a connu un grave recul du niveau de vie à l'époque de la crise de la dette au début des années 80 et au cours de la crise tequila au début des années 90. Comparé à ces facteurs, l'effet du traité a été modeste. Nous évaluons qu'en l'absence du traité, le revenu par habitant serait aujourd'hui de 4 à 5 p. 100 inférieur à ce qu'il est actuellement au Mexique. C'est une contribution, mais une contribution peu importante.

Lorsqu'on examine les facteurs qui, à long terme, limitent la capacité du Mexique de réduire l'écart qui le sépare de ses partenaires nordiques pour ce qui est du niveau de vie, on constate que les principaux obstacles à la prospérité du Mexique sont la faiblesse du cadre institutionnel et, peut-être surtout, un environnement peu respectueux de la suprématie de la loi et une forte corruption, autant de facteurs qui dissuadent les investisseurs mexicains et internationaux de créer des emplois et de la richesse dans ce pays.

Nous avons également constaté de grandes différences entre les régions du Mexique pour ce qui est des avantages retirés du traité. D'après notre analyse, les États du sud du Mexique ont très peu profité de l'adoption de l'ALENA alors que les États du nord ont en fait connu une augmentation du taux de croissance du revenu par habitant. Dans les États du sud, la situation est, pour l'essentiel, demeurée inchangée. L'ALENA n'a eu aucun effet sur eux.

Ce phénomène n'est pas particulier à la période de mise en oeuvre de l'ALENA. Cette situation existait depuis de nombreuses années. Les États du sud ont tout simplement continué de tirer de l'arrière, comme ils le faisaient déjà avant l'entrée en vigueur de l'ALENA. Pourquoi ces difficultés? Il y a un certain nombre de facteurs qui expliquent pourquoi certains États ont moins profité que d'autres de l'ALENA. Les facteurs qui ont joué un rôle important dans les États du sud sont une main-d'oeuvre peu instruite, une infrastructure insuffisante, la faiblesse des institutions et l'instabilité politique. Si les États du Sud avaient eu accès aux mêmes ressources pour l'éducation, les infrastructures et le reste, ils auraient certainement fait beaucoup mieux que les États plus riches.

M. William Maloney, économiste principal, Banque mondiale, Bureau de l'économiste en chef pour l'Amérique latine et la région des Caraïbes: Je vais vous présenter la seconde partie de notre exposé.

Je vais terminer un des sujets qui est relié à ce dont vous a parlé M. Servén et je vous présenterai ensuite de façon plus détaillée les questions reliées au marché du travail et au secteur agricole.

Nous avons consacré beaucoup de temps aux questions de productivité et d'innovation. Il y a un thème qui revient constamment dans notre rapport, c'est que l'ALENA a été une bonne chose pour le Mexique mais que cet accord n'a pas été suffisant. Cela concerne la transparence, les institutions et l'infrastructure. Pour améliorer sa productivité, il faudrait que le Mexique réforme son système d'innovation et, plus globalement, ses efforts d'innovation à l'échelle nationale. Je mentionne cet aspect parce qu'il concerne également le Canada. Daniel Trefler a fait des études sur la façon dont le Canada pourrait profiter davantage de ses relations commerciales avec les États-Unis.

Les graphiques qui présentent les efforts déployés pour la R-D au Mexique montrent une tendance à l'augmentation des dépenses en matière de R-D au sein du processus de développement. Nous constatons que le Mexique n'a pas réussi à imiter, comme il pensait le faire, des pays comme la Corée, Israël ou la Finlande. Cela s'explique en partie parce que les pays de l'Amérique latine investissent en général beaucoup moins dans l'innovation que la moyenne des pays ayant un niveau de développement comparable. C'est pour cette raison, pensons-nous, que le Mexique pourra difficilement passer des activités industrielles assez simples exercées au niveau des maquiladoras à des activités exigeant un niveau élevé de sophistication et de production.

Cette évolution rend le Mexique particulièrement vulnérable à la concurrence des régions où les coûts sont faibles, comme l'Asie. Ce n'est pas l'ALENA bien sûr qui a entraîné cette perte d'emplois au profit des pays asiatiques. Nous pensons que cela s'explique plutôt par un manque d'investissement dans la R-D.

Le graphique suivant montre l'écart en matière de R-D au Mexique. La ligne supérieure représente la moyenne des dépenses dans ce domaine pour un pays de niveau de développement comparable et permet de constater que le Mexique se situe bien en dessous de cette moyenne. Après l'entrée en vigueur de l'ALENA, le Mexique a accentué son effort en R-D et, après avoir éliminé de nombreuses autres possibilités, nous pensons que cette situation s'explique peut-être par les modifications que l'ALENA a apportées au régime de la propriété intellectuelle.

Nous allons maintenant passer aux questions reliées aux marchés du travail. Vous noterez que nous avons adopté plusieurs points de vue, que je vais vous indiquer. L'ALENA a-t-il nui aux travailleurs mexicains? Je tiens à mentionner qu'il est extrêmement difficile de distinguer l'effet de l'accord sur le marché du travail des autres effets qu'il a sur l'économie. L'entrée en vigueur de l'ALENA et la crise tequila se sont produites au même moment, ce qui a entraîné une brusque chute d'environ 20 p. 100 des salaires réels. Nous ne pensons pas que cela soit dû à l'ALENA mais plutôt à la crise. Il y a également le fait que la récupération a été lente. L'emploi a augmenté rapidement dans le secteur des maquiladoras à cause de la dévaluation et il est possible que l'ALENA ait effectivement aidé le Mexique à résorber la crise plus rapidement qu'il ne l'aurait fait autrement. Il s'agit là d'une simple conjecture, mais l'expansion rapide de l'emploi constatée après l'entrée en vigueur de l'ALENA dans ce secteur a certainement contribué au rétablissement de l'économie.

C'est pendant cette crise que le Mexique a connu son plus haut taux de chômage depuis 20 ans, qui a alors atteint 6,5 p. 100. En 2001, le Mexique a connu son taux de chômage le plus faible depuis les 20 dernières années. Il est difficile de soutenir que l'ALENA a entraîné un affaiblissement du marché du travail et une forte diminution du nombre des emplois offerts. Cela est également important parce que pendant la même période, la main-d'oeuvre a augmenté d'environ 0,5 p. 100 à cause du nombre des femmes qui sont entrées sur le marché du travail.

Compte tenu du très faible taux de chômage et de l'ajustement relativement rapide du marché du travail après la crise, si l'on pense à ce qui s'est produit en Argentine ou en Colombie, pays qui ont connu des périodes de chômage s'étalant sur près de 10 ans, et compte tenu du fait que le marché a dû absorber l'arrivée massive de travailleuses, nous pensons que la situation du marché du travail a été plutôt bonne depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA. De toute façon, nous tenons à préciser qu'il est extrêmement difficile d'évaluer l'effet de l'ALENA à cause de la crise tequila et d'autres facteurs. Nous devons utiliser des méthodes indirectes pour évaluer cet effet. Nous pourrions tout simplement examiner si les emplois créés dans les secteurs touchés par les échanges commerciaux sont des emplois mieux ou moins bien payés que ceux des secteurs non commerciaux.

Nous avons un graphique qui montre le salaire des travailleurs mexicains ajusté en fonction du capital humain et de l'expérience, selon l'importance des exportations pour l'entreprise dans laquelle ils travaillent et celle des importations dans le secteur de l'entreprise. Nous constatons que par rapport aux autres, les entreprises qui font face à la concurrence internationale offrent non seulement des salaires plus élevés mais également des avantages sociaux plus généreux, notamment si on se base sur les cotisations versées aux institutions de sécurité sociale. Cela ne veut pas dire que ces entreprises sont plus généreuses ou que leurs propriétaires sont plus altruistes. Cela vient du fait qu'elles ont besoin de travailleurs plus instruits et que, pour attirer ces travailleurs, elles doivent les payer mieux.

Nous avons examiné d'autres mesures, par exemple, les différences de salaire entre les États du Mexique, et tenté d'établir des corrélations avec les éléments que l'ALENA a pu influencer. Nous avons constaté que les salaires réels ont augmenté davantage dans les États du Mexique où la main-d'oeuvre était plus instruite, ce qui concorde avec les observations qu'a faites M. Servén au sujet des États du sud, dans ceux qui avaient bénéficié d'un fort niveau d'investissement étranger direct, un des objectifs de l'ALENA, dans ceux qui recevaient une part importante des importations et du PIB, et bien sûr, il faut mentionner le pourcentage de la population ayant émigré aux États-Unis. Il est bien souvent difficile de distinguer l'effet qu'ont l'IED et les importations de l'effet d'être un État frontalier qui a facilement accès au marché des États-Unis. Il faut tenir compte de tous ces facteurs. Néanmoins, les corrélations établies entre les échanges commerciaux, l'investissement étranger direct et les salaires indiquent que l'intégration à l'économie des États-Unis favorise la création d'emplois.

Peut-on parler d'inégalités? Oui, mais je ne pense pas que l'on puisse en parler comme l'a fait Mme Polaski. Si l'on comparait l'année 1992, année antérieure à l'entrée en vigueur de l'ALENA, en utilisant à la fois l'indice calculé de la Banque mondiale et l'indice officiel du Mexique, avec les années 2000 ou 2002, on constaterait que ces derniers chiffres sont en fait inférieurs aux chiffres antérieurs. Nous n'attribuons pas uniquement à l'ALENA cette réduction des inégalités. Nous n'avons pas trouvé de lien de cause à effet. L'inégalité sur le plan des salaires a légèrement augmenté au début pour ensuite diminuer. Il est toutefois difficile d'affirmer que l'ALENA a entraîné une aggravation des inégalités; globalement, les inégalités semblent avoir diminué.

Au sujet des échanges et de l'emploi, Mme Polaski a très justement mentionné que l'emploi dans les maquiladoras avait augmenté considérablement, en particulier après la dépréciation intervenue en 1994 et peut-être avec la signature de l'ALENA. Il est difficile de distinguer ces effets. On constate une diminution des emplois à partir de l'année 2000 qui est probablement attribuable à la concurrence des pays de l'Asie de l'Est et qui risque de perdurer. Il est important de noter que les secteurs industriels les plus modernes n'ont pas déménagé et que ce sont ceux qui étaient uniquement fondés sur la faiblesse des coûts reliés au salaire qui ont le plus souffert.

L'agriculture est une question délicate. Nous ne disposons pas des données qui nous permettraient d'évaluer avec certitude les effets qu'a eus l'ALENA sur l'agriculture. Mme Polaski a montré que la diminution constatée après l'entrée en vigueur de l'ALENA est difficile à expliquer parce qu'elle mesure globalement les emplois agricoles.

Tout a commencé en 1993. Il y a eu ensuite un changement dans les données en 1994, et de 1995 à aujourd'hui, nous disposons de séries régulières, ce qui veut dire qu'il est difficile de comparer la période antérieure à l'ALENA avec la période de mise en oeuvre de cet accord. En particulier, il est difficile de comparer les taux de croissance ou de réduction des emplois dans le secteur agricole. C'est un aspect très important parce que nous savons que dans tous les pays, le développement économique entraîne une diminution progressive des emplois dans les régions rurales et un déplacement des travailleurs vers les zones urbaines.

Aux États-Unis, la main-d'oeuvre employés en agriculture représente 1 à 2 p. 100 de la population. Cela n'était évidemment pas le cas en 1900. Le Canada a connu la même évolution. Il faudrait avoir des données sur une période beaucoup plus longue.

Une de ces sources statistiques, même si elle n'est pas complète, est celle de l'emploi agricole tel qu'il est reflété par les cotisations au régime de sécurité sociale. Cela ne vise pas la plupart des exploitations autonomes mais ces données font ressortir certaines tendances générales du secteur agricole qui nous paraissent intéressantes. Lorsqu'on examine la ligne pointillée, on constate une diminution constante des emplois agricoles au cours des 15 années qui ont précédé l'ALENA. Il y a eu une brève augmentation du nombre des emplois après l'ALENA mais nous pensons que cela s'explique davantage par la dévaluation de 1995 que par l'effet de la signature de l'ALENA.

Comment expliquer cette tendance? Principalement par une diminution à long terme du prix des produits de base, qui a été partiellement compensée par la dévaluation. Cela vient en partie de l'effet naturel du développement économique qui voit les agriculteurs s'établir dans les villes. Il est très difficile d'affirmer que l'ALENA a accéléré ce mouvement. Nous craignons en fait davantage que cet accord n'ait pas eu un effet suffisamment important sur le secteur agricole dans le sens que les petites parcelles non irriguées ne seront pas rentables à long terme. Ces agriculteurs seront obligés d'améliorer leur productivité. Il faut espérer que l'apparition d'un secteur agricole moderne leur offrira une alternative ou que le secteur industriel s'en chargera. Nous savons que le progrès s'accompagne de difficultés et que certains secteurs vont disparaître, comme cela s'est produit au Canada et aux États-Unis où le secteur de l'agriculture non irriguée a pratiquement disparu.

Si nous examinons plus précisément la productivité et la production dans le secteur agricole, nous constatons que les importations en provenance des États-Unis ont considérablement augmenté après l'entrée en vigueur de l'ALENA. Les importations agricoles mexicaines et la culture des produits agricoles sensibles, qui comprennent les produits qui nous préoccupaient, auraient dû être particulièrement touchées par l'ALENA. Si l'on examine les deux graphiques situés à gauche de la ligne noire et ensuite celui qui se trouve à droite, on constate que la première colonne grise montre une augmentation de près de 40 p. 100. Il est également intéressant de constater que la production mexicaine globale a augmenté considérablement. Il y a effectivement les importations en provenance des États-Unis, mais le Mexique a aussi augmenté sa production et ses exportations. Cette situation était favorable pour tous les acteurs. En fait, si l'on examine le type d'agriculture qui a souffert le plus, ou qui a été le plus touché, il semble que ce soit l'agriculture irriguée, qui est représentée par la troisième colonne à partir de la gauche. Ce graphique montre que l'agriculture irriguée a augmenté moins vite et a même peut-être diminué à partir de 1991-1993, mais que l'agriculture non irriguée semble en fait s'être développée. Étant donné que la production a augmenté dans le secteur non irrigué, il est difficile de soutenir que ce secteur a connu une forte perte d'emplois.

Pourquoi l'ALENA n'a-t-il pas eu un effet plus important sur ce secteur, comme nous le pensions? Nous constatons que l'ALENA a eu un effet très limité sur le prix des produits de base au Mexique. Nous n'avons pas constaté que les prix agricoles canadiens et américains se soient rapprochés des prix mexicains après l'entrée en vigueur de l'ALENA. L'effet prix n'a guère été sensible. Le deuxième aspect est que la demande interne a fortement augmenté, tant au Mexique qu'aux États-Unis, au cours de la période relativement prospère 1995-2000. On a assisté à une très forte expansion du marché sur lequel s'écoulait la production de ces trois pays. La productivité du secteur agricole irrigué du Mexique a entraîné une augmentation de la production générale de ce secteur, même si elle n'a sans doute pas eu un effet très positif sur le plan de l'emploi. Le gouvernement a également lancé plusieurs programmes novateurs d'appui à l'agriculture.

En fin de compte, il existe diverses raisons pour lesquelles l'ALENA n'a pas eu un effet très négatif sur l'agriculture et je pense qu'il faudra plutôt trouver des moyens pour que cet accord ait un effet à plus long terme sur l'agriculture autonome, non irriguée et à petite échelle, pour qu'il incite les gens qui travaillent dans ce secteur à se diriger vers des secteurs plus productifs, tout en évitant de bouleverser ces structures et d'aggraver la pauvreté et les inégalités. Je vous remercie.

Le président: Merci. Je dois rappeler que nous sommes obligés de terminer cette partie de notre séance à exactement 17 h 30, parce que je crois que le système s'arrête à cette heure-là.

Le sénateur Graham: Je voudrais demander aux témoins dans quelle mesure ils estiment que les lacunes de la législation du travail et peut-être les insuffisances de la structure syndicale ont pour effet de bloquer l'augmentation des salaires. J'aimerais qu'ils nous donnent un aperçu général de la situation des négociations collectives au Mexique.

Mme Polaski: Je dois vous dire que, pour ce qui est des négociations collectives, la situation mexicaine est quelque peu complexe. Il existe des secteurs où la négociation collective fonctionne raisonnablement bien et dans lesquels les institutions semblent démocratiques et bien représenter les travailleurs. Dans ces secteurs, les résultats des négociations collectives suivent à peu près la productivité et la rentabilité des industries, ce qui est normal lorsqu'il y a des syndicats démocratiques compétents.

Il existe toutefois un certain nombre d'industries, et cela comprend certainement la plupart des maquiladoras et de nombreux autres secteurs du Mexique, où il n'est pas vraiment possible de dire que les syndicats sont démocratiques ou représentent les travailleurs. Il y a eu des études, mais la méthodologie n'est pas suffisamment rigoureuse pour que l'on puisse se fier vraiment à elles, qui indiquent que près de 90 p. 100 des syndicats du secteur des maquiladoras sont des syndicats fantômes et où il y a des gens qui se font payer pour conclure des ententes. Dans ce genre de situation, il y a des gens qui signent une convention collective avec l'employeur et, je le suppose, avec les représentants des travailleurs, mais sans que ces derniers aient été consultés et aient choisi ces représentants.

Au Mexique, la notion de représentation exclusive est un aspect essentiel des négociations collectives. Dès qu'une convention a été signée, l'organisme qui a signé l'entente avec l'employeur est autorisé à empêcher la constitution d'un nouveau syndicat, même si les travailleurs affirment qu'il n'y a pas de syndicat et qu'ils n'ont jamais élu de représentant syndical.

Il y a toute une série de dossiers qui portent sur ce genre de situation, dont un bon nombre ont été portés devant la North American Commission on Labour Cooperation et les ministres du Travail des trois pays. Des audiences ont été consacrées à ces dossiers aux États-Unis et au Canada. Je crois que l'on peut dire qu'il existe des documents qui indiquent que, dans de nombreux secteurs, encore là particulièrement dans le secteur des maquiladoras, et même ailleurs, il n'y a pas de véritable négociation collective, ni de véritable liberté d'association.

Quel est l'effet de cette situation sur les salaires? Je crois que le déséquilibre entre l'offre et la demande sur le marché du travail est peut-être le principal facteur qui influence la croissance des salaires, à l'exception des périodes qui ont suivi la crise du peso, et la crise de la dette au cours des années 80, pendant lesquelles on a constaté une chute brutale des revenus. À part ces deux reculs catastrophiques qu'ont connus les revenus, je crois qu'il faut principalement attribuer la situation générale au déséquilibre du marché du travail et à une demande d'emploi trop forte. Il est néanmoins évident que les institutions ont un certain impact sur cette situation.

Le fait que le gouvernement mexicain ait bloqué le salaire minimum et que les négociations collectives ne soient pas très dynamiques est certainement un facteur qui a contribué à la situation, au moins pour les emplois spécialisés, et je crois qu'il faudra que le Mexique réforme ses institutions s'il veut progresser dans ce domaine.

Le président: Est-ce qu'un représentant de la Banque mondiale aimerait faire un bref commentaire?

M. Maloney: La question des syndicats mexicains est vraiment très complexe et c'est le pays qui a le plus fort pourcentage de travailleurs syndiqués de toute l'Amérique latine. Cependant, ces syndicats entretiennent des liens très étroits avec le parti au pouvoir depuis au moins 70 ans, de sorte qu'il existe ce qu'on appelle un système «corporatiste» dans lequel les syndicats exercent un étroit contrôle sur les travailleurs. Il est difficile de dire dans quel sens évolueront les syndicats après l'instauration d'une véritable démocratie. Il est vrai que jusqu'à aujourd'hui, les syndicats mexicains, comme cela s'est fait ailleurs, se sont davantage attachés à créer et à préserver les emplois qu'à obtenir des augmentations de salaire.

Ce serait une erreur de croire que l'on peut augmenter les salaires réels en modifiant le salaire minimum ou en donnant plus de pouvoir aux syndicats. On pourrait peut-être augmenter les salaires de 10 à 20 p. 100 mais les véritables gains de productivité, et de niveau de vie, viennent des gains de productivité. Au Chili, les salaires ont augmenté de 3 p. 100 par an au cours des années 90.

Le président: Je vais vous interrompre parce que le sénateur Graham a posé une question au sujet des négociations collectives et des syndicats.

Le sénateur Grafstein: Le témoin répondu à cette question.

M. Maloney: La plupart de ces syndicats étaient affiliés au PRI, l'ancien parti au pouvoir, qui ne l'est plus aujourd'hui.

Le président: Affirmez-vous qu'il n'y avait pas de syndicats indépendants mais plutôt des syndicats reliés au PRI?

M. Maloney: Le Mexique n'est gouverné démocratiquement que depuis quelques années, de sorte qu'il est très difficile de savoir dans quelle mesure les acteurs économiques agissent vraiment librement. De toute façon, je ne pense pas que ce soit de cette façon que l'on pourra augmenter les salaires au Mexique.

Le sénateur Graham: Je pense que nous comprenons cela.

Dans la première partie de votre exposé, monsieur Maloney, vous avez parlé des inégalités en matière de salaire et vous avez mentionné le salaire minimum au Mexique.

Quel serait l'effet d'une augmentation du salaire minimum sur la compétitivité internationale du Mexique?

M. Maloney: La réponse à cette question dépend du spécialiste à qui vous parlez. Si vous parlez à des gens du secteur de l'informatique de Guadalajara, ils vous diront qu'ils bénéficient d'une marge de 4 p. 100 par rapport à la Malaisie pour ce qui est du coût de la main-d'oeuvre. Cela veut dire que si les salaires augmentaient de 5 p. 100, cette industrie irait s'établir en Malaisie. Je n'ai aucune façon d'évaluer de façon indépendante l'exactitude de cette affirmation.

Dans une étude récente de la Banque mondiale qui vient du bureau de l'économiste en chef, nous avons constaté que les salaires minimums n'avaient pas un effet négatif sur l'emploi et que, selon le niveau auquel on établit le salaire minimum, l'effet emploi peut l'emporter sur l'effet salaire. Dans le cas de la Colombie, cela a aggravé la pauvreté.

Au Mexique, les petites variations qu'a connues le salaire minimum n'ont eu aucun effet et au Brésil, elles ont eu un effet mineur, légèrement positif sur la pauvreté.

Le sénateur Di Nino: L'entrée du Canada dans l'ALENA a créé une opportunité pour l'exportation des biens et des services canadiens vers les États-Unis et le Mexique et elle a facilité les investissements directs dans ces pays.

Est-ce que l'ALENA a donné ce genre d'opportunité au Canada et au Mexique?

La réforme des institutions, en particulier des institutions judiciaires et réglementaires, a-t-elle atteint un niveau qui nous permette d'inviter les entreprises ou les industries à s'établir au Mexique?

Mme Polaski: Au sujet de la dernière partie de votre question qui concerne les institutions réglementaires et judiciaires, je dirais que le Mexique a beaucoup de progrès à faire avant que l'on puisse dire que ses institutions sont transparentes et qu'il n'y a pas de corruption. Je crois que cette affirmation vaut pour la plupart des institutions de réglementation du système judiciaire. Pour ce qui est des droits des travailleurs et de l'application des lois sur les relations de travail, il n'y a guère eu de progrès dans ces domaines.

M. Servén: Nous n'avons pas suivi de près la performance des exportations et des investissements canadiens au Mexique avec l'ALENA mais je peux dire que, du point de vue institutionnel, il est vrai que le Mexique a, depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA, fait des progrès importants pour ce qui est d'améliorer son cadre institutionnel. Bien sûr, il reste beaucoup à faire et le fait est que de nombreux autres pays ont progressé beaucoup plus rapidement que le Mexique. C'est une des raisons pour lesquelles l'investissement étranger au Mexique n'a pas suivi ce qui se faisait ailleurs.

Le sénateur Di Nino: L'économie mexicaine a atteint aujourd'hui un niveau qui nous permet d'y exporter nos produits.

Le Mexique a-t-il amélioré son niveau de vie et sa productivité grâce à l'ALENA?

L'ALENA a-t-il créé un marché sur lequel le Canada peut vendre ses biens et ses services?

M. Servén: L'ALENA a eu un effet légèrement positif mais, à lui seul, il n'a pas suffi à garantir la prospérité à laquelle on s'attendait pour le Mexique et qui devait être atteinte pour stimuler de façon permanente les exportations en provenance du Canada et d'autres pays.

Cette situation s'explique en grande partie par le fait que le gouvernement n'a pas pris des mesures dynamiques dans les domaines de l'éducation, de l'infrastructure et des institutions, en vue d'améliorer la productivité des travailleurs mexicains.

Si le Mexique n'a pas fait mieux, ce n'est peut-être pas tant à cause de l'impact de l'ALENA qu'à cause du fait que les mesures complémentaires dont nous avons parlé n'ont pas été prises.

Le sénateur Grafstein: Nous sommes ici pour formuler des recommandations sur la façon dont devraient évoluer nos relations commerciales au sein de l'ALENA et au-delà.

L'historique de cet accord est très intéressant et voilà quelle est la situation au Mexique. Vous m'avez fait changer d'idée, c'est l'effet qu'ont eu vos témoignages. Plutôt que de critiquer le Mexique, nous devrions l'encourager à renforcer ses relations commerciales avec l'Amérique du Sud et avec l'Europe pour que nous puissions écouler chez lui nos marchandises.

Êtes-vous d'accord avec moi sur ce point?

Mme Polaski: Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que le Mexique devrait développer ses échanges commerciaux. Je ne pense pas que l'isolement soit bon dans une économie mondiale. Je pense que les ententes conclues entre un pays développé comme le Canada et un pays en développement comme le Mexique peuvent être structurées de façon à faire progresser plus rapidement les emplois et les revenus, si ces ententes sont axées dès le départ sur le développement.

J'ai formulé il y a quelques instants des commentaires au sujet du jalonnement et du rythme de la libéralisation des tarifs douaniers. Si l'on procède comme il faut, il n'y aura pas de gros contrecoup sur l'agriculture qui entraînerait une augmentation brutale de la demande d'emplois dans le secteur industriel. Cela revient à la question qui a été posée auparavant au sujet du marché pour les produits canadiens.

Il n'est pas réaliste de s'attendre à obtenir des résultats dramatiques à court terme lorsque l'on parle d'augmenter la demande dans les pays en développement. Il est possible de structurer ces ententes pour amener la demande à croître régulièrement et durablement. Mais il faut que cet objectif soit intégré aux ententes commerciales.

Il n'y a pas de solution magique et vous constaterez une augmentation rapide au départ, en particulier dans l'environnement mondial actuel où il existe un surplus mondial de main-d'oeuvre dans la catégorie des travailleurs non spécialisés. Il est possible d'éviter les contrecoups pour l'agriculture de façon à enregistrer immédiatement des progrès et non pas des reculs en attendant de pouvoir ensuite progresser. Dans de telles circonstances, on peut s'attendre à moyen terme à ce que ce genre d'entente commerciale profite davantage à toutes les parties intéressées que cela a été le cas avec l'ALENA. J'espère vraiment que le Canada adoptera une approche axée sur le développement dans ses négociations avec les pays d'Amérique centrale, ce qui ne s'est pas fait au cours des négociations avec les États-Unis.

Le sénateur Grafstein: Les études effectuées par la Banque mondiale et la dotation Carnegie indiquent que le facteur qui a eu l'effet le plus dévastateur sur le Mexique, qui a entraîné une pression à la baisse sur les salaires et bouleversé son économie a été les subventions agricoles. Il semble que les subventions agricoles aient eu un effet aussi dévastateur sur le Mexique que sur le Canada.

Quelles sont les mesures que la Banque mondiale a prises pour amener l'Europe et les États-Unis à réduire ces terribles subventions agricoles qui tuent l'agriculture canadienne et qui, bien évidemment, détruisent aussi l'agriculture mexicaine?

M. Servén: La Banque mondiale a vivement critiqué les subventions agricoles accordées par les pays industriels. C'est un des grands sujets à l'ordre du jour des négociations mondiales et il sera difficile de régler ce problème autrement que par la conclusion d'ententes mondiales sur ce point.

Il faut néanmoins reconnaître que les subventions agricoles accordées par les pays industriels ne sont pas toujours néfastes pour les pays en développement. Lorsqu'un pays en développement est un importateur net de produits agricoles, les subventions agricoles ont pour effet de faire baisser le prix de ces importations, dans la mesure où le Mexique, par exemple, est un importateur net de maïs, une situation qui est la sienne depuis des années.

Le fait qu'il soit possible d'acheter le maïs à un prix plus faible qu'on pourrait le faire autrement sans les subventions ne nuit pas au niveau de vie de la plupart des Mexicains qui consomment du maïs.

Ce n'est pas le cas d'autres pays comme le Brésil ou l'Argentine qui sont des exportateurs nets des principaux produits agricoles; ces pays souffrent beaucoup de ces subventions agricoles.

M. Maloney: Pour revenir à ma conclusion antérieure, il n'y a pas d'élément démontrant que l'ALENA ait eu un effet dévastateur sur l'agriculture du Mexique. Rien n'indique que le prix des produits agricoles mexicains ait mieux suivi les prix agricoles américains après qu'avant l'entrée en vigueur de l'ALENA. Il existe de bonnes raisons pour réfléchir aux subventions agricoles accordées par les États-Unis et les pays développés. L'expérience de la mise en oeuvre de l'ALENA ne permet pas de faire avancer ce débat.

Le sénateur Eyton: Il se trouve que je sais que l'on avait espéré que l'ALENA faciliterait l'accès au marché américain pour l'industrie sucrière du Mexique. Le secteur sucrier mexicain a effectué dans ce but des investissements considérables mais ces espoirs ne se sont pas concrétisés. Le secteur du sucre a connu de graves difficultés et la plupart des entreprises ont fait faillite. L'ALENA a eu un effet très décevant sur le secteur du sucre. Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez?

M. Servén: Je ne connais pas la situation exacte de l'industrie sucrière. Nous avons examiné les tendances générales des exportations agricoles traditionnelles. Les chiffres globaux ne semblaient pas être sensiblement moins bons après qu'avant l'entrée en vigueur de l'ALENA; en fait, ces chiffres étaient meilleurs. Cela dit, je suis sûr que ce n'est pas la même chose pour tous les produits, mais je ne peux pas faire de commentaires au sujet du sucre.

Mme Polaski: Je n'ai pas une répartition de l'évolution de l'emploi selon les différents produits agricoles. Il n'est pas facile d'extraire ces données à partir des statistiques mexicaines. Il est tout à fait exact que, pour le sucre, le Mexique s'attendait à avoir un accès beaucoup plus facile au marché américain. C'est un différend qui oppose ces deux parties depuis longtemps. Je crois que cette question a été soumise à un groupe spécial de règlement des différends aux termes de l'ALENA. Je suis certaine que le congrès mexicain a, comme le savent les sénateurs, augmenté, à titre de mesure compensatoire, les droits sur le sirop de maïs en provenance des États-Unis, à cause de l'irritation causée par le refus des États-Unis d'autoriser plus librement l'accès du sucre mexicain à son marché.

Le sucre devrait donner au Mexique et à l'Amérique centrale un avantage comparatif. L'augmentation des emplois causée par la croissance des exportations de sucre aurait permis d'employer d'autres travailleurs ruraux dans des régions où les agriculteurs autonomes ont grandement besoin d'un emploi supplémentaire. Cependant, cela ne s'est pas produit à cause du refus d'ouvrir le marché américain. On peut certainement dire qu'on a manqué là une occasion d'améliorer la situation sur le marché du travail et cela a créé un grave problème pour les pays d'Amérique centrale.

Le président: J'ai visité les régions du Mexique où l'on produit le sucre et le coton. Je sais très bien que les producteurs américains de sucre tentent de bloquer les importations de sucre lorsqu'il est vendu à un prix inférieur au leur.

Je ne veux pas critiquer l'ALENA, mais nous parlons d'un pays en développement qui a d'autres différends portant sur des produits agricoles. Notre comité a beaucoup entendu parler de nos différends agricoles avec les États-Unis.

Vous avez parlé du mécanisme de règlement des différends créé par l'ALENA. Au Canada, notre comité a constaté que ce mécanisme n'avait pas donné de bons résultats et que c'est ce qui expliquait que nos différends aient été soumis à l'OMC.

Est-ce que les différends sur les produits comme le sucre, et peut-être le maïs, ont été soumis à l'OMC?

Mme Polaski: Les différends que je connais ont été soumis conformément aux dispositions de l'ALENA. Cela ne veut pas dire que le Mexique n'a pas décidé d'abandonner le mécanisme de règlement des différends prévu par l'ALENA et se soit adressé à l'OMC. Mes collègues de la Banque mondiale pourront peut-être répondre à votre question.

M. Servén: Malgré certaines perceptions, rien n'indique que les différends entre le Mexique et les États-Unis se soient aggravés après l'entrée en vigueur de l'ALENA. Les mesures prises par les États-Unis contre le Mexique et le Canada ont été à peu près aussi fréquentes qu'elles l'étaient avant l'ALENA. Les mesures prises par le Mexique contre les États-Unis ou le Canada ont été moins nombreuses qu'elles ne l'étaient avant l'adoption du traité.

Cela ne veut toutefois pas dire que le mécanisme de règlement des différends soit efficace. En fait, c'est un des aspects qu'il conviendrait de réexaminer, avant d'entamer de nouvelles négociations commerciales. Les mécanismes actuels ne sont pas transparents et donnent lieu à des décisions arbitraires. Il existe d'autres façons, mieux adaptées, comme les mesures de protection temporaires, qui seraient préférables au mécanisme actuel de règlement des différends.

Le président: Nous avons un accord de libre-échange avec les États-Unis. On affirme dans le milieu des affaires qu'il est de plus en plus difficile de régler les différends avec le Canada. Je ne vais pas vous ennuyer avec la question du bois d'oeuvre, mais ces différends n'ont pas été réglés.

Ces différends entraînent des coûts énormes. J'ai du mal à comprendre que deux pays comme le Canada et les États- Unis, qui sont de vieux amis et des partenaires commerciaux depuis des années, n'arrivent pas à résoudre ces problèmes.

Les honoraires versés aux avocats pour le litige sur le bois d'oeuvre s'élèvent à près de 1 milliard de dollars, dont 200 millions de dollars américains pour la dernière ronde devant l'OMC.

Affirmez-vous que le Mexique n'a pas connu de difficulté comparable?

M. Servén: Je dis que le nombre des différends qu'a le Mexique avec les États-Unis n'a pas augmenté depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA.

Le président: Est-ce qu'il est fréquent que le Mexique ait des différends commerciaux avec les États-Unis?

M. Servén: Les plaintes déposées par le Mexique contre les États-Unis ont sensiblement diminué. Le nombre des plaintes en sens contraire est demeuré à peu près inchangé.

Le président: Cette discussion a été très intéressante. Je pense que nous avons épuisé le sujet, n'est-ce pas?

Le sénateur Grafstein: Nous avons examiné l'excellent travail que fait la Banque mondiale. J'aimerais avoir vos commentaires, si vous le voulez bien, sur le rôle qu'a joué la Banque mondiale dans la crise tequila.

M. Servén: Sénateurs, au moment de la crise tequila, nous n'étions pas à l'emploi de la Banque mondiale et il nous est donc difficile de faire des commentaires sur cette situation. Je crois toutefois me souvenir que personne ne s'attendait vraiment à cette crise. Je crois savoir que la Banque mondiale, tout comme les autres organismes internationaux et autorités bilatérales ont essayé de faire quelque chose, mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus parce que je n'ai pas cette information.

Le président: Nous savons tous que cette Banque est un fonds et qu'un fonds est une banque. N'est-ce pas ce que l'on a dit lorsqu'elle a été créée?

Le sénateur Grafstein: Lorsqu'on examine les statistiques, on constate que la crise tequila a entraîné une diminution des salaires réels et une dépréciation du peso au Mexique. Par conséquent, lorsqu'on examine nos rapports avec ce pays, il est très important d'examiner le rôle qu'ont joué les institutions financières internationales sur l'aspect financier de ces relations commerciales.

Le président: Sénateur Grafstein, je reconnais que c'est une excellente remarque. Je pense que le FMI serait le principal intervenant en cas de crise monétaire, plutôt que la Banque mondiale, mais votre observation est excellente.

Le sénateur Di Nino: Nous avons entendu dire que l'ALENA n'était plus un accord aussi utile aujourd'hui qu'il l'était à ses débuts.

Le Mexique pense-t-il que l'ALENA est toujours une entente avantageuse pour son économie?

Mme Polaski: Les avantages que le Mexique retire de l'ALENA sont en train de disparaître. La possibilité d'une libéralisation plus grande des échanges par la voie d'accords multilatéraux combinée à la multiplication des ententes commerciales bilatérales et régionales font progressivement disparaître les avantages que le Mexique retirait de l'ALENA. L'admission de la Chine à l'OMC a également joué un rôle en ce sens. Pour ce qui est des rapports bilatéraux entre le Canada et le Mexique, ou les États-Unis et le Mexique, ou l'ensemble des rapports entre les pays d'Amérique du Nord, il faudrait que tous ces pays collaborent au renforcement de l'économie du Mexique.

M. Servén: Vous voulez savoir si l'économie mexicaine en souffrirait si l'ALENA n'existait plus? Je vous dirais que la réponse est très clairement oui.

Le président: Je suis désolé, je ne veux pas vous interrompre, mais nous avons déjà abordé cet aspect. Les tarifs douaniers ont déjà été abaissés. Si l'on supprimait l'ALENA, il faudrait les augmenter. Je ne crois pas que ce soit cela que le sénateur Di Nino ait suggéré.

Le sénateur Di Nino: Ce n'était pas la question.

La question est la suivante: l'ALENA est-il encore avantageux pour le Mexique ou devrait-on modifier cet accord?

Des témoins ont déclaré que les avantages qu'offrait cet accord s'estompaient. Si nous voulons poursuivre cette relation, il faudrait sérieusement réviser cet accord.

M. Servén: Le Mexique pourrait-il profiter davantage de l'ALENA? La réponse est, d'après moi, oui. Si le Mexique prenait les mesures dont nous avons parlé aujourd'hui, il en retirerait de nombreux avantages, notamment sur le plan des investissements, de l'emploi et de la prospérité. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il n'est pas possible d'améliorer l'ALENA ou de le modifier quelque peu pour qu'il profite davantage au Mexique et aux autres partenaires. Cela concerne la façon dont le traité aborde les règles en matière d'origine et de conflit, les mécanismes de règlement des différends et ce genre de choses. Il serait trop long d'aborder ces questions en détail, mais ce sont des aspects qui pourraient être améliorés.

Le président: Je vous remercie, au nom de mes collègues, de nous avoir communiqué tous ces renseignements. Je vous remercie d'avoir participé à nos audiences. Nous avons pris des notes et certaines parties de vos interventions figureront certainement dans notre rapport.

Sénateurs, nous avons avec nous aujourd'hui M. Donald Mackay, directeur général, et M. Paul Haslam, analyste principal, de la Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL).

On m'a demandé quelle était la différence entre la Fondation canadienne pour les Amériques et le Conseil canadien pour les Amériques. Monsieur Mackay, pouvez-vous nous expliquer la différence?

M. Donald Mackay, directeur général, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL): Je vous remercie de nous avoir invités. Je suis le directeur général de la Fondation canadienne pour les Amériques. La différence entre les deux est que le Conseil canadien pour les Amériques est un organisme de Toronto. Il est présidé par David Winfield, que certains sénateurs connaissent peut-être personnellement.

Le président: Il a comparu hier soir devant le comité.

M. Mackay: M. Winfield a été ambassadeur du Canada au Mexique pendant six ans. J'ai eu le plaisir de travailler pour lui à l'ambassade du Canada au Mexique entre 1993 et 1995.

Le Conseil canadien pour les Amériques est un organisme qui s'intéresse principalement à renforcer les relations commerciales entre le Canada et les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes, alors que FOCAL, notre organisation, est davantage un institut d'élaboration de politiques, un groupe de réflexion, une entité qui a pour objectif d'examiner toute la gamme des relations qu'entretient le Canada avec l'Amérique latine et les Caraïbes. Il arrive fréquemment que ces deux organismes travaillent ensemble.

Le président: Vous connaissez la formule et savez comment nous procédons.

Est-ce que l'un d'entre vous voudrait faire une brève déclaration?

Nous venons de terminer une téléconférence avec l'Institut Carnegie et la Banque mondiale; vous êtes donc notre second groupe de témoins.

Le sénateur Graham: Une précision, monsieur Mackay, qui sont vos membres? Qui représentez-vous?

M. Mackay: Je ne prétends pas représenter qui que ce soit. La Fondation emploie à plein temps 14 personnes. Nous recevons des fonds de diverses sources, notamment du gouvernement canadien, mais ce n'est pas notre seule source de financement. Nous recevons des fonds de la Fondation Ford des États-Unis, par exemple. Nous sommes un peu comme un petit Institut C.D. Howe ou Institut Fraser. Nous ne sommes pas un groupe de défense d'intérêts, nous ne parlons pas au nom de qui que ce soit et nous ne prétendons pas non plus le faire. Nous publions des études et organisons des conférences. Notre mission consiste simplement à faciliter le dialogue entre le Canada et les pays de l'Amérique latine et des Caraïbes.

Le président: Voulez-vous nous donner un résumé de vos observations?

M. Mackay: Paul Haslam, mon analyste principal, va vous donner un bref aperçu du régime politique mexicain.

Je pensais toutefois revenir, dans mes observations, sur certaines questions qui ont été posées et vous fournir notre point de vue sur ces questions, puisqu'elles semblaient intéresser les membres du comité.

Vous avez posé une question au sujet du règlement des différends et du fait que le Canada et les membres de l'ALENA avaient progressivement décidé d'utiliser le mécanisme de l'OMC plutôt que celui de l'ALENA. Je pense que la réponse est double.

Il existe dans l'accord de l'ALENA un mécanisme de règlement des différends que les Canadiens connaissent déjà très bien, et les Américains beaucoup moins, c'est le mécanisme du chapitre 19 qui traite des droits antidumping et compensateurs.

C'est un mécanisme unique qui n'existe dans aucune autre entente commerciale, à la seule exception de l'entente entre le Canada et le Chili, où l'on retrouve une variation de ce mécanisme.

Le mécanisme du chapitre 19 a été très souvent utilisé depuis qu'il a été introduit dans l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et il a été ensuite repris, avec de légères modifications, dans l'ALENA. Les trois pays ont utilisé ce mécanisme assez souvent.

Le président: Que touche le chapitre 19?

M. Mackay: Lorsqu'un pays estime qu'un exportateur d'un autre pays fait du dumping ou que ses exportations sont subventionnées, et qu'il applique des droits compensateurs, la partie lésée peut soumettre ces mesures à un groupe spécial bilatéral qui se prononce sur ces questions.

Avant l'invention, si vous me permettez ce terme, du chapitre 19 dans l'Accord original de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, le seul recours qu'avait une entreprise canadienne visée par une décision définitive de dumping aux États-Unis était de saisir les tribunaux des États-Unis.

L'Accord de libre-échange original entre le Canada et les États-Unis a introduit un système de commissions composées de spécialistes des deux pays qui dessaisit de ces questions les tribunaux nationaux. Ce mécanisme a été étendu au Mexique à la faveur de l'adoption de l'ALENA. Une des principales préoccupations à l'époque était que le système judiciaire des États-Unis, même s'il est une branche indépendante du gouvernement, était néanmoins soumis à des pressions politiques et nous avions constaté à l'époque que toutes les interventions judiciaires dans les affaires de droit antidumping ou compensateurs étaient favorables au défendeur, ce qui était facile à comprendre.

Le chapitre 19 confie ces questions à une commission spéciale binationale et renforce donc ce mécanisme; nous avons constaté que les décisions définitives en matière de droits de douanes prises dans les trois pays respectent maintenant des normes plus strictes et sont appliquées de façon beaucoup plus rigoureuse.

Le président: Nous avons appris que le Congrès des États-Unis avait modifié certains aspects de ce mécanisme et nous nous sommes retrouvés devant l'OMC.

Est-ce que les Mexicains connaissent les mêmes problèmes, ou des problèmes semblables, avec les Américains?

M. Mackay: Oui. Cependant, la difficulté vient toutefois du fait qu'il s'agit de vérifier si un pays respecte ses obligations commerciales internationales. Les obligations imposées par l'ALENA se reflètent dans une large mesure aux États-Unis et dans nos propres obligations internationales découlant de l'OMC.

Je vais prendre comme exemple l'amendement Byrd.

Le président: Nous connaissons l'amendement Byrd.

M. Mackay: Le sénateur Byrd a présenté un projet de loi selon lequel les droits versés conformément aux ordonnances imposant des droits antidumping seraient remboursés aux entreprises ayant déposé une plainte. Un certain nombre de pays craignaient que ce projet de loi aille à l'encontre des obligations assumées par les États-Unis. Le Canada avait la possibilité de soumettre la question aux termes de l'ALENA. Cependant, l'Union européenne avait les mêmes difficultés que nous, tout comme d'autres pays comme le Brésil, le Japon et d'autres.

Progressivement, les plaintes ont été réglées au niveau mondial plutôt qu'à celui de l'ALENA, pour la simple raison que la plupart de ces questions touchaient également les intérêts de pays qui n'étaient pas membres de l'ALENA.

C'est pourquoi le Canada a décidé de présenter les affaires qui nous concernaient directement, conformément à une sorte d'entente à l'amiable, plutôt à Genève qu'en vertu de l'ALENA.

Le président: Et les Mexicains? S'il n'y a qu'un pays qui s'oppose à un autre, quel est le genre de sanctions que l'on impose?

La difficulté que soulève l'amendement Byrd est qu'un pays ne peut imposer de sanctions sans risquer d'en subir le contrecoup. Lorsque 130 pays membres de l'OMC gagnent une cause, les sanctions sont beaucoup plus dramatiques.

Les Mexicains n'ont-ils pas le même problème?

M. Mackay: Oui. Trois affaires ont été jugées selon le mécanisme de l'article 20 de l'ALENA, qui est un mécanisme de règlement des litiges entre gouvernements ou entre parties. Deux de ces affaires concernaient des questions opposant le Mexique aux États-Unis. L'une portait sur le transport, en particulier le transport transfrontalier. L'autre concernait le sucre, question que le sénateur Eyton a soulevée pendant la période des questions.

Le Mexique a choisi d'utiliser le mécanisme de l'ALENA, mais pas de façon exclusive. Il existe d'autres dossiers dans lesquels le Mexique a estimé que ses intérêts seraient mieux protégés s'il les soumettait à une instance mondiale plutôt qu'à une instance créée par l'ALENA.

Lorsqu'un pays peut choisir l'instance devant laquelle il va soumettre une plainte pour défendre ses droits, il choisit celle qui défendra le mieux ses intérêts. Je ne pense pas que cela reflète un jugement sur la structure ou sur les dispositions des autres ententes. Il s'agit simplement de savoir quelle est l'instance qui vous paraît la plus favorable pour un dossier particulier.

Le sénateur Graham: Je sais que les témoins étaient dans la salle lorsque nous avons eu le plaisir d'entendre, grâce à la télévision, nos invités de la dotation Carnegie pour la Paix internationale.

Il ressort de l'étude Carnegie que le Mexique a perdu près de 1,3 million d'emplois dans l'agriculture, depuis la mise en oeuvre de l'ALENA. Pensez-vous que cette perte d'emplois résulte du fait que l'ALENA a entraîné une diminution des barrières tarifaires, qu'elle a été causée par les subventions agricoles des États-Unis, ou qu'elle reflète simplement un phénomène d'urbanisation qui est habituellement associé au passage d'une économie agricole à une économie industrielle?

M. Mackay: M. Maloney a fourni une réponse très précise à cette question. Il a dit qu'il y avait effectivement eu le passage d'un type d'économie à un autre. Cependant, il est difficile d'en déduire qu'il existe un lien de cause à effet.

Au Mexique, comme dans d'autres pays d'Amérique latine et ailleurs, la population s'urbanise progressivement; les gens quittent les régions rurales pour aller vivre dans les villes. Dans un certain sens, il importe peu que ces personnes se déplacent à cause des changements technologiques, parce qu'elles veulent avoir accès à des services de santé ou à des services éducatifs qui n'existent pas dans les régions rurales, ou en raison des politiques commerciales.

Comme vous l'avez dit, 1,3 million de personnes ont migré de la campagne à la ville. Je pense que ce phénomène va s'amplifier dans les années qui viennent.

Le sénateur Graham: Voulez-vous dire que ce chiffre va augmenter?

M. Mackay: Oui. Le même phénomène s'est produit en Europe et en Amérique du Nord. Pour ce qui est de la production du secteur agricole et de la valeur qu'il représente par rapport au PIB, au Canada, par exemple, l'agriculture représente environ 2 p. 100 de l'emploi. Pour ce qui est de sa contribution au PIB, elle représente 15 p. 100. Au Mexique, la contribution de l'agriculture au PIB est aujourd'hui de 4 p. 100 environ, alors qu'elle contribue de façon beaucoup plus élevée à l'emploi. C'est toutefois un pourcentage qui va baisser progressivement, à mesure que le Mexique s'industrialisera et que son économie se modernisera.

M. Paul Haslam, analyste principal, Fondation canadienne pour les Amériques (FOCAL): Sénateurs, j'aimerais ajouter quelque chose à ce que vient de dire M. Mackay. Il ne faut pas oublier que le secteur agricole du Mexique est bien différent de notre propre secteur agricole où les exploitations familiales ont fait place à de grandes sociétés agro- industrielles.

Il existe au Mexique une institution particulière qu'on appelle l'«ajido»; c'est une façon communautaire d'exploiter la terre. Cette institution a pris naissance avec la révolution. Cela veut dire qu'en fait, il y a des groupes de paysans qui travaillent ensemble et exploitent la terre pour survivre et non pas pour exporter leurs produits, qui font pour l'essentiel de l'agriculture de subsistance. Ce n'est pas l'ALENA qui a créé cette institution. En fait, le système de l'ajido a disparu à peu près à la même époque que celle de l'entrée en vigueur de l'ALENA, dans le cadre de la libéralisation intérieure qu'a connue le Mexique au cours des années 90. Dans certaines régions du Mexique, les paysans ont tout simplement vendu leurs terres. Ailleurs, les ajidos communautaires ont été divisés en parcelles.

Cette évolution a entraîné un déplacement des populations rurales. Cela veut dire que pour les personnes qui vivent dans les régions les plus pauvres du Mexique, leur parcelle de terre leur permet de pratiquer une agriculture de subsistance. Bien souvent, ce sont des stratégies de survie pour les plus pauvres d'entre eux.

Sur de nombreux points, lorsqu'on parle de déplacement des populations vers les zones urbaines, il faut savoir que les régions rurales du Mexique ont toujours été pauvres et que les stratégies de survie dans ces régions jouent un rôle essentiel.

Le sénateur Graham: Vous avez tous les deux entendu le dernier commentaire de Mme Polaski selon lequel les avantages que le Mexique retirait de l'ALENA ont rapidement disparu. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation?

M. Mackay: Je connais très bien l'étude Carnegie; un des coauteurs de cette étude, outre Mme Polaski, est John Audley, un ami que je connais depuis près de 15 ans.

Je ne suis pas d'accord avec ces conclusions. Je reconnais que les avantages que le Mexique retirait de l'ALENA sont en train de disparaître dans le sens qu'il y a d'autres facteurs de libéralisation qui se font sentir, en particulier la Ronde Uruguay des négociations de l'OMC et en partie à cause du fait que les États-Unis ont récemment conclu un accord commercial avec le Chili. Les États-Unis ont également conclu des accords avec l'Australie et des pays de l'Amérique centrale. En ce sens, on peut dire que la position relative du Mexique s'affaiblit progressivement. Si c'est bien là son argument, alors je dirais que sur le plan des principes, elle a raison. Si c'est une déclaration absolue, la réponse est alors non. Je dirais qu'un des aspects les plus importants de l'ALENA est qu'il a accordé au Mexique le statut de partie à part entière à cet accord. C'est le fait que les États-Unis et le Canada, deux pays industrialisés, ont accepté de conclure une entente avec le Mexique, un pays en développement. Cela a été une motivation importante pour l'investissement étranger et pour les échanges commerciaux avec le Mexique, qui en a retiré des bénéfices.

Mon raisonnement sur cette question est en fait très simple. Si l'on compare la crise tequila en 1995 à la crise précédente du peso au cours des années 80, on constate qu'en 1995, le Mexique était membre de l'ALENA. Le Mexique avait également adhéré à l'OCDE. Il avait une équipe d'économistes qui jouissait d'une grande crédibilité auprès de la communauté financière internationale.

Le programme de sauvetage de quelque 51 milliards de dollars, auquel la Banque du Canada a participé à hauteur de 5 milliards de dollars, a permis au Mexique de sortir de cette crise en peu de temps. Le Mexique a remboursé plus rapidement que prévu cette dette, jusqu'au dernier dollar.

En 1998, le Mexique était sorti de cette crise. Il a réussi à se rétablir très rapidement. Il lui a fallu 10 ans pour se sortir de la crise des années 80, une situation pourtant comparable. Je pense que la position qu'occupe le Mexique au sein de l'ALENA est beaucoup plus avantageuse pour lui que la position qui serait la sienne s'il n'en faisait pas partie.

Le sénateur Di Nino: Je ne suis pas sûr que je veuille poser aux Mexicains la question qui me trotte dans la tête.

Les statistiques et les commentaires que nous avons entendus m'ont donné l'impression que la productivité s'était améliorée de quelque 50 à 60 p. 100. J'ai l'impression que le Mexique a beaucoup gagné avec l'ALENA, ou à cause de l'ALENA, qu'il s'agisse du nouveau statut auquel vous avez fait référence ou de l'investissement direct étranger en provenance de différentes régions du monde. Cela vient peut-être aussi du fait que le Mexique peut constituer une porte d'entrée vers les grands marchés des États-Unis, entrée que certains pays n'ont pas toujours.

Quelle que soit la raison, il ne semble pas que les gains obtenus en matière de productivité et d'emploi, en particulier dans le secteur industriel et celui des services, aient profité à la population comme on aurait pu s'y attendre.

Dans quelle mesure cela est-il relié à la corruption? Dans quelle mesure cela s'explique-t-il par le fait que les entreprises font des bénéfices mais qu'elles ne les partagent pas avec les travailleurs mexicains?

Cela pourrait créer une situation où la population n'a pas accès à la richesse et à la prospérité. Cela veut dire que nous ne pouvons pas vendre nos biens et nos services dans ce marché.

M. Mackay: Le salaire moyen dans le secteur des maquiladoras est supérieur d'un tiers environ à celui de la région de Oaxaca, dans le sud du Mexique. Un salaire d'un tiers supérieur n'est pas un salaire très élevé, et ne représente pas ce que nous appellerions le «minimum vital».

Au Mexique, le salaire horaire est de 2 à 3 $ dans le secteur industriel. Dans les maquiladoras, nous avons vu que l'augmentation de la productivité avait attiré une main-d'oeuvre plus qualifiée. C'est la principale raison pour laquelle les salaires sont plus élevés dans ces secteurs. Nous sommes toutefois encore loin de ce qu'un travailleur du secteur de l'automobile à Detroit ou à Windsor s'attend à gagner.

L'usine automobile Ford établie au Mexique a fait l'objet d'une vérification il y a quelques années. On a constaté que la chaîne de montage automobile était la plus efficace au monde. Cela montre bien les gains qui ont été enregistrés en matière de productivité.

Est-ce qu'ils se sont propagés à l'ensemble de l'économie? Non, ce n'est pas le cas. Au Canada, nous avons un niveau de vie qui correspond à un revenu par habitant de 28 000 $ par an. Il y a des régions de notre pays où un revenu annuel de 28 000 $ par personne serait inimaginable.

Est-ce que le Mexique se dirige dans la bonne direction? Je dirais que oui. Il faudra encore attendre au moins une génération, mais ce pays est dans la bonne voie.

M. Haslam: Votre question touche la question fondamentale de savoir si l'ALENA a eu un effet positif sur la pauvreté au Mexique et, si ce n'est pas le cas, pourquoi? Nous tenons pour acquis qu'il n'a pas diminué la pauvreté.

La responsabilité en incombe principalement au gouvernement mexicain. Il serait tout à fait futile de chercher à élaborer un accord commercial qui permettrait, comme par magie, de développer l'économie du Mexique. Cela ne s'est pas fait comme cela pour nous et cela ne se passera pas non plus de cette façon pour les autres pays. Il s'agit d'adopter des politiques appropriées pour que les marchés libéralisés puissent offrir à la population de meilleures possibilités. Par exemple, nous parlions du fait que la population quittait les zones agricoles. Cela reflète en partie l'absence de politiques gouvernementales à l'égard des zones rurales et le fait que les personnes qui vivent dans ces zones n'ont pas accès à l'infrastructure, aux services et à des choses fondamentales comme des prêts qui leur permettraient d'utiliser de façon productive les terres qu'ils possèdent.

Nous n'avons pas abordé cet aspect, mais j'allais traiter dans mon exposé de la façon dont le régime politique mexicain a évolué au cours des 10 dernières années. N'oublions pas que le Mexique n'est une véritable démocratie que depuis trois ans. Nous l'oublions parce qu'il y avait dans ce pays un système de partis depuis 20 ou 30 ans.

Cependant, ce n'est qu'au cours des trois dernières années qu'il y a eu un changement du parti au pouvoir. C'est un régime politique qui n'a pas pour but de défendre les intérêts de la population.

C'est un régime politique qui est utilisé pour contrôler la population. C'est un aspect important. Le parti d'opposition, le PRI, le Parti révolutionnaire institutionnel, est un parti qui est solidement implanté dans la société; il exerce un contrôle sur la population et il est constitué d'un ensemble de relations patron-client qui culmine avec le président.

Le parti au pouvoir actuellement, le PAN, n'a pas la solidité du PRI parce que c'est un parti plus récent et qu'il est basé dans la partie nord du Mexique.

C'est un régime politique qui ne sert pas encore à représenter les intérêts de la population. Je pense qu'il n'est pas encore utilisé dans ce but.

Pour que le régime politique mexicain tire un meilleur parti de l'ALENA, il doit d'abord se renforcer. Il s'agit notamment de consolider les institutions pour que la corruption ne soit pas un aspect de la vie de tous les jours. Lorsqu'un policier vous arrête parce que vous conduisez trop vite, au Mexique la réponse ne consiste pas à aller payer la contravention à la mairie. Dans ce pays, on donne un peu d'argent au policier qui diminue alors le montant de la contravention. Cela est tout à fait courant. Il est évident que ce genre de corruption structurelle a un effet négatif. Pour la supprimer, il faut renforcer les institutions. Si l'on veut avoir de meilleures institutions qui vont faciliter le fonctionnement des marchés, il faut qu'elles soient davantage représentatives et qu'elles permettent à la population d'exprimer ses intérêts et qu'elles donnent à la société civile une voix dans le choix des grandes orientations économiques.

Le sénateur Di Nino: Permettez-moi d'interpréter rapidement ce que vous avez dit. Est-il exact de dire que l'économie est rentable mais que les bénéfices ne sont pas distribués à la population?

M. Haslam: Il n'y a pas seulement le fait que l'économie est rentable, elle est extrêmement rentable. Je crois que, par rapport aux autres pays d'Amérique, le pays où il y a le plus de milliardaires est le Mexique.

Le président: Ne serait-il pas utile de signaler que le PAN et le PRD sont formés d'anciens membres du PRI?

Ils étaient tous au PRI et ils l'ont quitté. Les plus conservateurs ont choisi le PAN, et ceux qui étaient davantage à gauche ont préféré le PRD, mais ce sont tous les mêmes personnes.

M. Haslam: Ce n'est pas tout à fait exact. En tant qu'institution, en tant que parti, le PRI existe depuis 1924.

Le président: Depuis 1924.

Le sénateur Di Nino: Il y était.

Le président: Non, mais j'ai assisté au cinquantième anniversaire de sa fondation.

M. Haslam: Vous avez raison de dire que le PRD a été formé en 1989 par un groupe de dissidents de gauche après l'élection présidentielle au cours de laquelle Salinas l'a emporté sur Cardenas.

Le président: Qui était aussi membre du PRI.

M. Haslam: C'est vrai.

Le président: Comme l'était Munoz, son directeur de campagne. Il était secrétaire général du PRI et il est passé au PRD.

M. Haslam: Vous avez raison de dire que le PRD a été constitué au départ par un groupe de dissidents de gauche du PRI. Je conteste votre affirmation parce que le PAN a une origine différente.

Tout d'abord, le PAN a été créé en 1939. Même s'il avait des liens avec le PRI à l'époque, cela remonte suffisamment loin pour que l'on puisse parler d'une évolution indépendante. Ce parti s'inspire d'une idéologie sociale chrétienne, donc différente de l'anticléricalisme du PRI et ses racines régionales sont également différentes.

Le président: Je ne voulais pas aborder ces aspects, mais cela a des répercussions pour la société mexicaine dans la mesure où toutes ces personnes viennent du même groupe.

Le sénateur Day: Voilà une discussion très intéressante et très utile. Je me demande si le Mexique a conclu d'autres accords de libre-échange. Ces accords ne sont peut-être pas en vigueur depuis suffisamment longtemps, mais ils ont tout de même reconnu qu'il y avait d'autres facteurs qui influençaient leur analyse de l'impact de l'ALENA.

Quel impact ont eu ces autres accords sur l'effet qu'a eu l'ALENA?

Je voudrais également vous demander de commenter l'affirmation de Mme Polaski selon laquelle il faudrait donner aux pays en développement la possibilité de retarder la réduction des tarifs douaniers ou la libéralisation du marché et j'aimerais savoir si ces idées ont déjà été mises en oeuvre.

Nous avons parlé des chapitres 19 et 20 et des mécanismes de règlement des différends. Le vrai problème est que les pays ne sont pas prêts à renoncer à leurs régimes de réglementation nationale du commerce.

A-t-on réussi à régler cette situation dans d'autres accords?

M. Mackay: La réponse à la dernière question est non. Les différends commerciaux reflètent les intérêts économiques et les intérêts économiques ont toujours une certaine influence sur les régimes politiques. Il n'y a pas de secret dans ce domaine.

Je note que le sénateur Carney est membre de ce comité et je dirais qu'il y a peu de gens au Canada qui en savent autant qu'elle sur la question du bois d'oeuvre. Je pense qu'elle vous dira que c'est un différend qui remonte en fait aux années 1870.

Le président: Il remonte encore plus loin, il remonte à 1795. Ce comité est très bien informé. C'est le premier sujet qui ait été traité après la rédaction de la Constitution.

Le sénateur Grafstein: Les pêches étaient le premier et le bois d'oeuvre, le deuxième.

M. Mackay: Je m'en remets tout à fait aux connaissances spécialisées que possède le sénateur sur ce sujet.

Le fait est qu'il existe des intérêts économiques traditionnels. Ce sont des intérêts économiques très puissants. Il y a des secteurs géographiques qui sont très puissants. Si vous demandiez à un Américain de comparaître devant votre comité et que vous l'interrogiez sur ce qui est d'après lui le plus grave problème que pose le Canada, je suis sûr qu'il vous parlerait de notre système de gestion de l'offre dans les secteurs du lait et de la volaille.

Nous avons au Canada un système qui reflète certaines réalités, dont certaines sont économiques, d'autres politiques et d'autres encore géographiques. Les Américains ne voient pas nécessairement les choses de cette façon. Ils ont adopté des systèmes qui ne tiennent pas toujours compte des mêmes aspects. Nous cherchons tous à faire mieux que l'autre et c'est en partie ce que les fonctionnaires du gouvernement sont payés pour faire: ils sont payés pour obtenir le plus d'avantages possible pour les exportations de leur pays et pour protéger les secteurs qu'on leur demande de protéger sur le front intérieur.

Un des aspects intéressants que vous avez soulevés, sénateur Day, était que le Mexique a adopté le principe de la libéralisation des échanges, ce qui est une idée qui a bien sûr commencé avec le président Salinas, qui a été appliquée par le président Zedillo et ensuite, par le président Fox. Le Mexique a été un des premiers à exporter le modèle de l'ALENA, ce qui est exact tant sur le plan historique que quantitatif.

Le Mexique a repris l'approche de l'ALENA au moins une douzaine de fois. De son côté, le Canada a démarré un peu lentement. Nous avons bien négocié un accord inspiré de l'ALENA avec le Chili. Nous sommes bien sûr en train d'en négocier avec les pays d'Amérique centrale.

Dès que l'ALENA a été signé, le Mexique a négocié une entente appelée le Grupo de los Tres, le groupe des trois, avec la Colombie et le Venezuela. Il a ensuite utilisé la même méthode avec la Bolivie, et ensuite avec le Nicaragua. Il avait une vieille entente avec le Chili qui remontait au début des années 90, qui été mise à jour en 1996 pour la rapprocher de l'accord de l'ALENA. Le Mexique a ensuite négocié, de l'autre côté de l'Atlantique, une entente avec l'Union européenne.

Vers le milieu des années 80, avant que le Mexique n'adhère à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, son économie était relativement fermée. À partir de ce moment, ce pays a progressé, il a libéralisé les échanges et procédé à des réformes un peu comme nous l'avons fait au Canada, sauf que cela nous a pris près de 45 ou 50 ans. Le Mexique a constaté qu'il ne disposait pas d'autant de temps et il s'est efforcé de tout faire en une dizaine d'années.

Dans votre troisième question, monsieur le sénateur, vous demandiez si ces autres accords de libre-échange contenaient des mécanismes de règlement des différends qui avaient permis de régler ou au moins d'atténuer ce genre de litige. Je dois dire que je ne connais pas le genre exact de mécanisme de règlement des litiges que l'on retrouve dans tous ces accords.

La grande question est de régler les difficultés que nous rencontrons dans nos relations commerciales avec notre très puissant et très imposant voisin, les États-Unis. Je ne pense pas que le Mexique et le Guatemela s'opposent sur des différends qui ressemblent à ceux qui opposent le Mexique et les États-Unis. De la même façon, je ne pense pas que nous ayons des différends avec le Chili, alors que je sais que le Canada et le Chili ont des différends avec les États-Unis.

Le sénateur Day: Est-il réaliste de vouloir analyser l'effet de l'ALENA sur le Mexique alors qu'il est partie à tous ces autres accords?

Du point de vue du PIB, du chômage et de ces facteurs généraux, à part ce que nous disent les échanges entre les différents pays, est-il réaliste de vouloir utiliser des statistiques pour cerner l'effet qu'a eu l'ALENA?

M. Mackay: Je pense que cela est possible, monsieur le sénateur. Je pense que l'on peut faire cette analyse. Mais cela pose une autre question plus vaste: que va-t-on faire avec les conclusions auxquelles nous arrivons?

Ces politiques et ces accords commerciaux se sont traduits par des pratiques commerciales, des pratiques bancaires; elles ont influencé des pays, des entreprises et des personnes dans leurs choix de vie.

Il n'est pas réaliste de penser que l'on pourrait renoncer tout à coup à l'ALENA. C'est comme dire que l'invention de l'ordinateur a certainement entraîné des pertes d'emplois dans le secteur de la machine à écrire; il est bien sûr impossible de revenir en arrière et de faire comme si l'ordinateur n'existait pas. Il n'est pas possible non plus de faire marche arrière et de faire comme si une initiative politique majeure comme l'ALENA n'existait pas. Cela est en fait possible, mais cela aurait un coût considérable qui ne pourrait que vous nuire.

Il est possible de procéder à des analyses et d'en arriver à des conclusions, mais comment les utiliser, c'est là la grande question.

M. Haslam: Nous pouvons parler de l'ALENA et de ses effets parce que, pour le Mexique, les échanges commerciaux avec les États-Unis représentent une partie considérable de son commerce. Le Mexique peut bien avoir un accord de libre-échange avec les États-Unis, mais s'il ne commerce pas avec ce pays, cela n'affecte pas beaucoup les changements structurels qui se produisent en ce moment dans l'économie mexicaine.

Le président: Lorsque vous parlez de commerce avec le Venezuela, la Colombie et la Bolivie, ce sont là des pays qui n'ont pas une grande importance sur le plan économique.

M. Haslam: C'est exact.

Le sénateur Day: Vous pouvez faire une extrapolation à partir du volume des échanges pour étudier la situation du chômage, la réduction du nombre des emplois.

Le sénateur Grafstein: Nous ne connaissons pas vraiment l'effet qu'ont eu les accords conclus avec l'UE. Nous ne connaissons pas l'effet des accords qu'ils ont conclus avec la Colombie et le Venezuela, parce que cela est trop récent. Ces accords ont été conclus à la hâte il y a à peu près un an. Il paraît impossible d'obtenir aujourd'hui des chiffres significatifs. Les chiffres relatifs à l'accord avec l'UE n'ont guère d'utilité pour nous en ce moment. Le Mexique n'a pas eu le temps de s'ajuster à ces accords.

Le président: Ce n'est pas ce que nous sommes en train d'examiner. Nous examinons l'ALENA.

Le sénateur Grafstein: Je veux savoir quels sont les effets de ces accords et c'est un point très important.

Nous avons examiné l'ALENA et, si nous nous fions au témoignage des deux témoins que nous avons entendu aujourd'hui, cela veut dire que nous n'allons nulle part. Il n'y a pas de direction claire. Ils ont surtout parlé d'espoirs et d'aspirations.

Permettez-moi de vous présenter un autre modèle et nous verrons si cela est utile. Comment accélérer la modernisation et la compétitivité des pays qui accusent un retard en matière de développement?

Je vais vous citer deux modèles. Le premier est celui de la Chine. Si vous examinez le modèle chinois, vous constaterez que ce pays a fait quelque chose de très brillant, et le Mexique avait commencé à faire la même chose, mais il s'est arrêté. Les Chinois ont commencé par réformer l'agriculture avant de passer aux réformes industrielles. Autrement dit, ils se sont d'abord intéressés aux ménages ayant des responsabilités spéciales dans les zones rurales de la Chine. Le gouvernement a fixé les prix à un certain niveau. Il a libéré le marché des produits agricoles et augmenté considérablement l'efficacité, l'investissement, la création d'emplois et le logement dans la campagne chinoise. Le gouvernement s'est ensuite attaqué à l'industrialisation des villes. C'était très brillant et cela a donné d'excellents résultats.

Nous avons également l'exemple du Mexique, un cas désespéré, parce que le gouvernement n'a rien fait pour faciliter l'ajustement du secteur agricole et que la situation de ce secteur s'est détériorée gravement pour toutes les raisons que nous avons déjà entendues. Le Chiapas en est un exemple.

Si Zapata revenait, il aurait plus de chance de faire la révolution aujourd'hui qu'en 1919. Pancho Villa et Zapata gagneraient la prochaine élection présidentielle et ils seraient assassinés peu après.

Existe-t-il d'autres modèles dont on pourrait s'inspirer pour faire démarrer ces économies?

Je pensais à la Ligue hanséatique. Connaissez-vous l'histoire de la Ligne hanséatique?

M. Mackay: J'ignore complètement ce que c'est.

Le sénateur Grafstein: En bref, la Ligue hanséatique a débuté avec quelques zones commerciales dans la Mer du Nord. Finalement, la Ligue a regroupé 178 cités-États, qui sont devenues les moteurs industriels du libre-échange. Je suis un libéral de l'école de Manchester et je crois aux avantages du libre-échange. Cependant, je ne pense pas que nous ayons bien conçu ce modèle.

Par exemple, ne serait-il pas préférable que le Canada conclue des accords de libre-échange avec des villes du Mexique? Prenez Mexico et Toronto, prenez deux ou trois grandes villes mexicaines et faites-leur conclure des accords de libre-échange, en les combinant à des incitations fiscales. Est-ce que cela n'aurait pas pour effet de faciliter le développement de ces villes et d'aider Toronto, Vancouver et Montréal pour ce qui est d'accélérer l'établissement de partenariats plutôt que d'emprunter ce que j'appelle cette méthode longitudinale qui consiste à adopter des politiques générales et d'attendre que leur effet se fasse sentir? Existe-t-il un modèle plus efficace?

M. Mackay: En théorie, il existe un meilleur modèle. Permettez-moi de suggérer au comité de parler au professeur Michael Hart de l'Université Carleton. Il travaille au Centre des politiques commerciales et des lois. Il a été comme moi fonctionnaire du gouvernement canadien affecté aux affaires commerciales. M. Hart vous dira qu'il serait dans l'intérêt du Canada et du Mexique de conclure une union douanière. Sur le plan théorique, je crois que je suis tout à fait d'accord avec son analyse.

Le président: Nous savons que cela ne se fera pas.

M. Mackay: C'est exact. Le problème vient du fait que vos homologues du Sénat des États-Unis n'examineront même pas cette solution et que pour que cette solution soit adoptée, vous avez besoin de l'accord de vos 66 homologues du Sénat américain. Je ne pense pas non plus que les dirigeants, qu'ils soient démocrates ou républicains, s'intéressent à cette solution.

Existe-t-il une meilleure solution? Oui, il y a toujours une meilleure solution. Il faudrait peut-être plutôt se demander: qu'est-ce qui est politiquement faisable? Pour nous, et pour nos amis du Mexique, il faut toujours poser cette question en tenant compte des États-Unis. Les exportations mexicaines vers les États-Unis ont triplé avec l'ALENA. Leurs exportations vers le Canada ont été multipliées par quatre. Elles sont passées de 4 à 12 milliards de dollars.

Les exportations canadiennes vers le Mexique sont passées d'un peu plus de 1 milliard à 2,3 milliards de dollars, de sorte que nous avons doublé nos exportations, mais c'est quand même un chiffre modeste. Les exportations canadiennes vers les États-Unis sont passées de 150 à 367 milliards de dollars. Les échanges commerciaux Canada- États-Unis représentent 550 milliards de dollars par an. Le marché américain est la clé de toute cette question, et la clé est de savoir ce qui est faisable.

Je crains que les grandes idées, les idées d'envergure, ne soient guère populaires aux États-Unis. Je crois que nous avons atteint un sommet vers le milieu des années 90. Le président Clinton a fait adopter par la Chambre des représentants et le Sénat américain à la fois l'ALENA et la Ronde Uruguay, et je crois que depuis, c'est plutôt les idées protectionnistes qui sont réapparues. Permettez-moi de vous parler des élections primaires que tient actuellement le Parti démocratique et la seule chose qui distingue les candidats est l'hostilité du sénateur Edwards envers l'ALENA. Si vous regardez CNN et écoutez Lou Dobbs, qui est habituellement un commentateur intelligent, vous constaterez qu'il parle du fait que les entreprises américaines et Benedict Arnold font faire leur travail à l'étranger, une expression qui est attribuée au sénateur Kerry. Aux États-Unis, la population a le sentiment que non seulement sa sécurité, mais aussi son économie et son commerce sont menacés.

M. Haslam: Si l'on pense à des régimes commerciaux axés sur des cités-États, je dirais que c'est un des problèmes que nous avons dans nos rapports avec le Mexique. Nous dépendons excessivement des grandes zones urbaines comme Monterrey, où il y a beaucoup de maquiladoras et d'entreprises de haute technologie. Le problème ne vient pas des échanges avec les zones urbaines, le problème est que cela n'a pas d'effet sur les zones rurales.

Je pense personnellement qu'il existe un modèle. Je ne l'attribue pas à l'institution pour laquelle je travaille. Dans les Amériques, ce modèle est celui du Chili. Je tiens à être précis. Chacun a sa propre idée de ce qu'est le Chili. Pour certains, c'est le meilleur exemple des réformes des marchés; je peux vous dire que ce n'est pas le cas. Ce qui distingue le Chili du reste de l'Amérique latine, ce n'est pas son régime militaire, ni son économie de marché; c'est le fait qu'il possédait des institutions dynamiques. Le Chili s'est donné des institutions politiques indépendantes, compétentes, non politisées, depuis pratiquement le début du siècle. L'institution qui s'occupe du développement économique a été créée en 1938; c'était la première de toute cette région.

Le président: Nous entendons parler du Chili, mais le Chili est un pays utilitariste. Je connais très bien le Chili. Nous parlons du Chili comme si le niveau de vie dans ce pays était comparable à celui de Nepean, mais le Chili est une société très utilitariste et les gens n'ont pas d'argent. Il suffit de se promener dans les rues et de regarder les magasins pour le constater.

M. Haslam: Je suis d'accord avec vous. Le Chili est un pays en développement. C'est la raison pour laquelle on peut le comparer avec le Mexique. Je connais aussi très bien le Chili. J'ai écrit ma thèse sur ce pays et j'y ai également vécu. Ce qui est remarquable à propos du Chili, c'est que ce pays a créé des institutions dynamiques qui ne sont pas politisées et qui sont professionnelles. Le Chili est également un État qui investit dans la R-D.

Le sénateur Mahovlich: Et leurs pêcheurs? N'occupent-ils pas le deuxième rang au monde?

M. Haslam: C'est un excellent exemple. La pêche est une industrie qui a été créée par l'État. Avant 1965, il n'y avait pratiquement pas de pêche au Chili. Ce sont les gouvernements démocratiques et non pas le gouvernement militaire qui ont lancé cette activité. Ils ont investi de l'argent dans la R-D et ils ont créé des institutions chargées de développer le secteur de la pêche. Ils ont investi pour que les travailleurs des secteurs industriels non productifs fassent de la pêche, une activité plus rentable. L'État a participé activement au développement de ce secteur, il a créé des institutions et pris des orientations qui tenaient compte des besoins de la population.

C'est également un pays dont les institutions respectent le principe de la légalité. Le système judiciaire chilien est le plus avancé de tous ces pays. C'est également un pays où les forces politiques collaborent.

Au Mexique, par exemple, au cours des trois dernières années, le président n'a rien pu faire adopter par le Congrès, parce que celui-ci bloquait toutes les mesures du gouvernement. Au Chili, s'il est vrai que le système politique comporte des lacunes, les partis sont au moins disposés à collaborer, même s'ils ne siègent pas du même côté de la chambre.

Le président: Ils viennent tous des mêmes familles de toute façon.

M. Haslam: C'est exact.

Le sénateur De Bané: Vous avez déclaré au début que M. Haslam nous ferait un bref exposé de la situation politique qui règne dans ce pays. Auriez-vous l'obligeance de nous décrire les principaux aspects de la situation politique de ce pays ou les aspects sur lesquels vous aimeriez insister.

M. Haslam: Il est important de ne pas oublier que la transition politique est une chose récente au Mexique. Cela s'est produit au cours de l'élection présidentielle de 2000, et c'est la première fois qu'il y a eu un véritable changement du parti au pouvoir. Il est important de comprendre quelle était la situation antérieure pour deux raisons. Premièrement, la plupart des anciennes structures de pouvoir se sont maintenues au Mexique, aujourd'hui encore, en particulier les rapports patron-client aux niveaux étatique et local. C'est un aspect important. Il est également important d'accepter que la démocratisation est un processus et que le Mexique a fait d'énormes progrès en 10 ans. Nous pensons que les éléments sociaux et institutionnels de la nouvelle démocratie mexicaine vont se renforcer progressivement. D'une façon générale, ce pays évolue dans la bonne direction.

Comme vous le savez, le président est élu pour six ans. Il est bon de souligner qu'il ne peut être réélu. En fait, aucun détenteur d'un poste politique au Mexique ne peut être réélu. Cela veut dire que les sénateurs sont élus pour six ans, et qu'ils doivent ensuite renoncer définitivement à leur poste. Au palier fédéral, le régime est bicaméral. Il y a un Sénat et une Chambre des députés. La chambre des députés siège pendant trois ans seulement et ne peut être réélue. Au niveau des États, on retrouve un système comparable; les gouverneurs occupent leur poste pendant six ans, les législateurs pendant trois ans. Les assemblées législatives des États sont unicamérales.

Il est difficile avec un tel système d'assurer la continuité des institutions. Prenons le cas des gouvernements municipaux. Les gouvernements municipaux sont également élus pour trois ans. Il faut renouveler les élus tous les trois ans. Comment peut-on développer et consolider des institutions en trois ans?

Au départ, l'idée était bien sûr d'empêcher les gens de s'accrocher au pouvoir, aspect qui a fait problème dans de nombreux pays de l'Amérique latine. Il est facile de comprendre la raison d'être d'une telle règle, mais elle entraîne aussi des dysfonctions. Mais cela ne veut pas dire que les hommes politiques s'arrêtent de faire de la politique après trois ans. Ils passent simplement d'un poste à l'autre. Ils occupent des postes différents. Le président a mentionné cet aspect. Les élites circulent entre les différentes institutions.

Le président: Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est le «clientélisme»?

M. Haslam: Le clientélisme est un aspect important qui existe toujours. Il était à la base du régime politique mexicain. Le PRI a adopté dès le départ, au moment de sa création, un système basé sur les relations patron client. À l'origine, le PRI était une institution chargée de gérer les conflits entre les membres de l'élite.

Au lieu de se faire la lutte pour obtenir le pouvoir, le PRI faisait circuler les élites dans les différents postes publics, en leur donnant accès à la direction de l'État, où ces personnes pouvaient s'enrichir.

Le PRI était un parti qui reposait uniquement sur le clientélisme et ses partisans étaient récompensés. Le PRI a très bien réussi à choisir les syndicats de sorte qu'il n'y avait aucun syndicat indépendant au Mexique mais uniquement ses syndicats ayant des liens étroits avec le PRI. Ce parti favorisait un syndicat tant que celui-ci réussissait à exercer un contrôle sur les travailleurs. C'était le principal mécanisme de contrôle que le PRI utilisait à l'endroit des syndicats mexicains.

Le PRI utilisait un mécanisme de contrôle semblable dans les zones rurales. Ce parti a encore des racines très fortes dans les régions rurales. Il y avait des chefs au niveau des États qui contrôlaient les dirigeants locaux qui contrôlaient à leur tour la population. Le système était conçu pour que chacun contrôle un niveau inférieur et il ne s'agissait pas du tout de représenter les intérêts de la population, qui est la façon dont un régime démocratique doit fonctionner.

La plupart des organismes qui jouent un rôle vital dans une société démocratique dynamique, comme la presse et les organismes qui représentent la société civile, ont été cooptés. Pendant très longtemps, au Mexique, le pouvoir venait d'en haut et non pas de la base comme cela doit se faire en démocratie.

Le PRI a commencé à perdre le contrôle de ses réseaux clientélistes au cours des années 80, et à cause de la crise de 1982, il a eu moins de ressources à distribuer. Au même moment, pour des raisons de stabilité économique, il a été obligé de réduire le salaire des travailleurs. Le PRI a été obligé d'introduire une certaine discipline dans le système. Par conséquent, ses membres ont eu plus difficilement accès aux ressources de l'État. Il s'est développé un sentiment d'indépendance et de plus en plus de citoyens ont refusé de faire partie du PRI et étaient prêts à voter contre ce parti. Cette évolution, combinée à une série de réformes électorales introduites au cours des années 80, a finalement affaibli le PRI.

Le président: Les gens les plus riches du Mexique ont décidé d'arrêter la guerre civile et ils ont acheté la plupart des «généraux» en leur attribuant des monopoles. C'était ensuite leur assistant qui administrait ces monopoles.

Voulez-vous poursuivre sur ce sujet pour l'édification des sénateurs?

M. Haslam: C'est un aspect important non seulement sur le plan historique mais également à cause de la façon dont s'est effectuée la privatisation en Amérique latine. Je ne dis pas que la privatisation est mauvaise mais en Amérique latine, il y avait des élites qui entretenaient des liens étroits avec les gouvernements. Les élites commerciales et politiques étaient très étroitement imbriquées; il y avait une sorte d'entente. L'État canadien n'est pas tellement différent de ces pays-là, puisque historiquement, ce sont les gens qui bénéficiaient de privilèges et qui avaient accès à des informations confidentielles qui ont profité des privatisations. Ces personnes avaient de grosses fortunes et ont réussi à consolider leur monopole dans plusieurs secteurs. Au Mexique et dans tous les pays de l'Amérique latine, il y a une élite économique qui est étroitement imbriquée avec l'élite politique. Cela est normal.

Le président: Cela est particulièrement vrai pour le Mexique parce que la guerre civile a fait un million de morts et qu'il fallait y mettre un terme. La seule façon d'y mettre fin a été d'accorder des monopoles aux personnes qui faisaient cette guerre.

M. Haslam: Le Mexique est le seul pays à avoir réussi à gérer un conflit entre les différentes élites avec autant de succès. Le PRI y a réussi pendant 71 ans; c'est le parti qui est resté le plus longtemps au pouvoir dans toute l'histoire du XXe siècle.

M. Mackay: Si l'on se base sur le nombre des victimes, on peut dire que la révolution mexicaine a été une des moins violentes de toutes celles qu'a connues l'Amérique latine. Les Mexicains ont une longue mémoire collective et personnelle de ce fléau; et ils savent qu'il pourrait ressurgir. Je pense qu'ils craignent qu'un jour le fléau de la révolution ne réapparaisse. C'est pourquoi il y a très peu de violence sur le plan politique. Il y a de la violence personnelle, mais rien qui puisse se comparer à la violence politique qui règne au Venezuela, en Colombie et dans d'autres pays d'Amérique centrale. Le Mexique a tout à fait renoncé à cette violence à cause du nombre impressionnant de victimes de la guerre civile.

Le président: J'espère que les sénateurs trouvent ces renseignements intéressants parce que cela fait partie de la culture politique générale du pays où nous allons nous rendre.

Le sénateur De Bané: Vous connaissez manifestement très bien l'Amérique latine et le pays que nous allons visiter. D'après ce que vous avez dit au sujet de la culture et de l'histoire du Mexique, et même avec un nouveau président pendant quatre ans, la transition a été très discrète parce qu'il n'y avait pas beaucoup de cohérence dans ce gouvernement.

Pensez-vous que le Mexique, le Canada et les États-Unis pourront un jour s'associer étroitement?

Six pays européens ont signé le Traité de Rome en 1957. C'étaient des pays comparables sur le plan de l'idéologie et sur celui de l'économie. Tout a commencé avec six pays très comparables.

Je vois beaucoup de ressemblances entre le Canada et les États-Unis. Pensez-vous que dans 20 ou 30 ans, vos petits enfants auront des liens plus étroits avec le Mexique ou qu'ils vont continuer à se référer uniquement aux États-Unis?

Pensez-vous qu'ils s'intéresseront à l'Amérique latine? Le Canada va-t-il toujours s'intéresser uniquement aux États- Unis? Qu'en pensez-vous?

M. Mackay: Les prévisions chiffrées américaines sont très intéressantes. D'ici 2030, on prédit que la population hispanophone des États-Unis représentera 30 p. 100 de la population. Les Hispaniques constituent à l'heure actuelle un pourcentage plus important de la population américaine que les Noirs américains. Les États-Unis, et en particulier certaines régions des États-Unis, notamment la Californie, le Texas, l'Arizona, la Floride, le Sud-Ouest et le Sud-Est, comprennent un fort pourcentage d'Hispaniques. Cela ne veut pas nécessairement dire que le Mexique et les États-Unis vont devenir une extension l'un de l'autre ou vont devenir égaux. Il y a un aspect de votre question qui est tout à fait confirmé par les chiffres. Personnellement, je pense qu'il faut faire très attention lorsqu'on fait des comparaisons avec l'Union européenne, parce que ces comparaisons sont bien trop faciles. Elles ont tendance à être faites par des gens qui ont oublié l'histoire.

L'Union européenne n'a pas été créée par des pays européens qui pensaient que l'intégration était une bonne chose. L'Union européenne a été créée parce que les autres pays ont dit à l'Europe: «Vous avez déclenché deux séries de conflits nationalistes au cours de ce siècle; ces conflits ont dévasté le monde entier et nous, les autres pays du monde, nous ne pouvons pas accepter ces nationalismes». Il y a eu le Plan Marshall et d'autres efforts pour souder les pays européens. La France et l'Allemagne n'ont pas décidé tout à coup, en 1946, qu'elles avaient fait une erreur en 1939 lorsqu'elles ont commencé la guerre; c'est à cause des pressions exercées par tous les autres pays. La guerre s'était propagée dans le monde entier. Ces forces historiques n'existent pas dans les Amériques, encore moins en Amérique du Nord.

Cependant, si vous me demandez quelles sont les probabilités que le Canadien moyen parle trois langues d'ici 25 ans, je dirais qu'elle sont très fortes.

M. Haslam: Il est parfois difficile d'accepter qu'au Mexique il y ait de telles inégalités en matière de richesse. Les indicateurs économiques objectifs nous amènent à nous demander si nous arriverons jamais à établir des liens étroits entre ces trois pays. Je suis dans l'ensemble d'accord avec M. Mackay. Il ne faudrait pas voir l'ALENA comme une union européenne ou même comme une entente qui pourrait déboucher sur un genre d'union européenne. Je ne pense pas que cela puisse se produire dans un avenir prévisible.

Je pense par contre qu'il faut tenir compte de nos valeurs communes, et surtout, de nos intérêts communs avec le Mexique. Pour ce qui est des valeurs, nous avons parlé de la façon dont les élites mexicaines avaient fait des compromis pour obtenir la paix et la stabilité pendant 70 ans, à la différence de ce qui s'est produit dans le reste de l'Amérique latine. Nous avons également une longue tradition de compromis politiques aux plus hauts niveaux et, en termes politiques, cela est très important. C'est ce qui nous distingue des États-Unis et de nombreux autres pays.

Il y a surtout le fait que nous occupons une position particulière dans le monde. Nous partageons avec le Mexique le fait d'être voisin d'une superpuissance, une position que nous sommes les seuls à occuper. Nous avons également un intérêt commun, nous voulons défendre un système multilatéral axé sur des règles qui vise, autant que cela est humainement possible, à lier les mains de la superpuissance pour ne pas être constamment malmenés par elle.

On peut penser, par exemple, à la collaboration qu'il y a eu entre le Mexique et le Canada à propos du vote sur l'Iraq au Conseil de sécurité de l'ONU. Le Mexique était membre du Conseil de sécurité à ce moment-là et le Canada ne l'était pas. Les deux pays ont collaboré sur ce point. Nous avons dit au Mexique qu'il ne s'agissait pas simplement de soutenir les États-Unis dans un moment difficile, mais qu'il fallait défendre des principes qui étaient importants à long terme. C'est une position que les Mexicains ont adoptée, tout comme les Chiliens. Il est important d'avoir en commun une vision du monde comparable, et aussi de notre petit coin du monde, et il ne faut pas l'oublier.

Le sénateur Mahovlich: Il y a cinq millions d'immigrants mexicains illégaux en Californie. Combien y en a-t-il au Canada?

M. Mackay: Pas beaucoup. Peut-être quelques milliers.

Le sénateur Grafstein: D'après ce que je sais du Brésil et de la Bolivie, je dirais que les statistiques économiques ne représentent pas toute la réalité. Je sais qu'au Brésil ce n'est pas le cas et je ne suis pas certain que ce soit le cas au Mexique. Je vais vous donner un exemple.

On nous a dit que le revenu annuel moyen d'une famille était de 4 000 $ américains au Mexique. Quel est le coût moyen d'un petit appartement de deux chambres à coucher dans une ville au Mexique?

M. Mackay: C'est une question à laquelle il est impossible de répondre.

Le président: Oui, à cause de la diversité.

Le sénateur Grafstein: Quel est le rapport qui existe entre un salaire annuel de 4 000 $ et ce genre de logement? Ils construisent beaucoup de petits logements, là-bas.

M. Mackay: Le pouvoir d'achat du Mexicain moyen est aujourd'hui d'environ 9 100 $ américains. Le Mexique est passé de 5 000 $, au moment de l'entrée en vigueur de l'ALENA, à près de 9 100 $, ce qui le place à peu près au même niveau de développement par habitant que la Pologne. Il y a encore beaucoup de chemin à faire.

Le président: Je vous remercie. Tout cela a été très utile. J'ai beaucoup aimé en particulier la discussion sur la structure politique du Mexique, qui est un aspect essentiel.

Sénateurs, j'ai besoin que quelqu'un présente une motion pour adopter le petit budget qui vous a été présenté. Il est possible qu'un projet de loi soit renvoyé au comité et nous aurons besoin d'un budget législatif pour pouvoir l'adopter.

Le sénateur Grafstein: Je propose que le budget soit adopté.

Le président: Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

La séance est levée.


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