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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 1 - Témoignages du 18 février 2004


OTTAWA, le mercredi 18 février 2004

Le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, qui a été saisi du projet de loi S-6, Loi modifiant le Code criminel (loteries), se réunit aujourd'hui à 16 h 55 pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, nous amorçons aujourd'hui notre étude du projet de loi S-6, Loi modifiant le code criminel en matière de loteries.

Comme vous le savez, c'est notre ami et collègue, le sénateur Lapointe, qui parraine cette initiative législative.

[Français]

J'aimerais accueillir le sénateur Lapointe et son assistant Pascal Charron.

[Traduction]

Avant de commencer, je demanderai, avec la permission du comité, au sénateur Beaudoin de bien vouloir présider le reste de cette séance. À la fin, nous tiendrons une petite réunion de cinq à dix minutes, à huis clos, qui portera sur nos travaux futurs. Je dois aussi vous signaler que nous devrons quitter la salle à 18 h 15 pour faire place à un autre comité.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président: Je désire remercier notre président de sa générosité. Il me fait plaisir de présider cette séance. Sans plus tarder, je cède la parole à notre collègue le sénateur Lapointe.

Le sénateur Lapointe: Monsieur le président, honorables sénateurs, le discours que j'ai prononcé sur ce projet de loi en deuxième lecture, à la Chambre du Sénat, a fait le tour de la question sur laquelle j'aimerais vous entretenir ce soir. Par conséquent, je vous épargnerai les détails des études et rapports dont ce discours faisait mention et ne vous en donnerai que les grandes lignes.

Après mûre réflexion, à la suite de plusieurs rencontres, après avoir étudié le dossier pendant plusieurs mois avec mes collaboratrices et collaborateurs, nous en sommes arrivés à la conclusion que les appareils de loterie vidéo se trouvant dans les bars et restaurants de huit provinces au pays représentent une calamité grave et devraient être retirés de ces établissements pour être mieux localisées dans les casinos, les hippodromes et les maisons affiliées telles les hippoclubs, tous gérés uniquement par les gouvernements provinciaux. En amendant le Code criminel canadien en ce sens, nous réussirons à freiner ce fléau qui trop souvent pose d'innombrables problèmes à nos concitoyens et concitoyennes.

Selon les organismes venant en aide aux joueurs compulsifs, les lignes d'entraide, les experts universitaires ainsi que les instituts de santé publique, on s'entend de façon unanime pour dire que la loterie vidéo est la forme de jeu qui crée le taux le plus élevé de dépendance et ce dans une proportion importante.

Un des problèmes majeurs est l'accessibilité. Dans les villes et villages, il est difficile de trouver une seule rue ou avenue d'importance où l'on ne peut constater la présence de ces appareils destructeurs.

Un autre problème d'importance est celui de la visibilité. Les jeunes qui fréquentent les bars sont attirés par les loteries vidéos. On peut s'attendre que les jeunes de la génération Nintendo à leur tour succomberont à l' attrait de ces machines à loterie vidéo. Je ne peux qu'être pessimiste quant à l'impact de ces loteries vidéos sur ces jeunes dans l'avenir.

Dans son rapport du mois d'août 2000, la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec mentionnait qu'en 1996, dans la région de Québec, on a constaté que 7,4 p. 100 des jeunes de moins de 18 ans présentaient des problèmes reliés aux jeux. Trente-quatre pour cent des jeunes ayant participé à cette étude ont répondu avoir déjà joué sur des appareils de loterie vidéo; ils ont donc joué alors qu'ils étaient encore mineurs.

[Traduction]

Dans cet exposé de principe sur la politique manitobaine en matière de jeux, l'Association des travailleurs sociaux du Manitoba signalait que, sur cinq catégories d'âge, c'était celle des plus jeunes — les 18 à 24 ans — qui avait joué le plus souvent aux loteries vidéo l'année dernière avec un pourcentage de 66 p. 100. Ces études révèlent aussi que les adolescents sont particulièrement vulnérables à l'attrait qu'exercent les appareils de jeux tels que les appareils de loterie vidéo.

[Français]

Le jeu pathologique et compulsif a d'importantes répercussions sociales et financières sur les individus, la famille et la société en général. Que de détresse, que de foyers démantelés, de suicides, de crimes commis par les dépendants des loteries vidéo.

Je vous pose la question, honorables sénateurs: pourquoi retrouvons-nous la grande majorité de ces appareils destructeurs dans nos quartiers les plus défavorisés? Ces problèmes représentent un lourd fardeau pour le système de soins de santé; ils mobilisent les tribunaux et se révèlent très coûteux pour les contribuables.

Je vais vous citer quelques-uns des problèmes les plus fréquents reliés au jeu compulsif qui, lui, est causé en grande partie par les loteries vidéo. Souvent, le jeu provoque, chez l'individu, un endettement qui peut conduire jusqu'à la faillite. La santé de l'individu est mise en cause, ce qui engendre le stress, la dépression, et parfois, va même jusqu'au suicide. Dans les familles, les effets pervers du jeu peuvent entraîner un manque de ressources financières destinées aux besoins primaires des enfants. Nous pouvons alors conclure que la famille au complet souffre des effets pervers du jeu.

[Traduction]

Dans ses résolutions de 1999 concernant les ALV, l'Association canadienne de santé publique a déclaré que les recherches prouvent que les conjoints de joueurs compulsifs présentent un taux anormalement élevé de tentatives de suicide, de dépressions et de toxicomanie, et que les enfants des joueurs compulsifs présentent des problèmes de comportement ou d'adaptation à l'école, abusent des drogues et de l'alcool, font des fugues et sont souvent arrêtés.

[Français]

Au travail, les répercussions du jeu compulsif se font aussi sentir par la perte de productivité et l'absentéisme au travail. Le joueur compulsif en détresse peut aller jusqu'à flirter avec le crime. Il est rapporté que les joueurs ont recours au vol, à la fraude et aux prêteurs sur gages pour financer leurs habitudes de jeu.

En adoptant le projet de loi S-6, le gouvernement du Canada viendra en aide aux provinces qui font un déficit et non un profit avec leurs loteries vidéo, contrairement à ce que prétendent certains représentants de ces gouvernements provinciaux.

Honorables sénateurs, le coût social des loteries vidéo est beaucoup plus élevé que les recettes engendrées par celles- ci et les gouvernements provinciaux. Ces derniers doivent s'ouvrir les yeux et le réaliser. À la suite d'études réalisées par des experts de partout au Canada, comme celle du docteur Neil Tudiver, du Manitoba, il est prouvé que le coût social des loteries vidéo est de trois à cinq fois plus élevé que les revenus qu'elles engendrent. Pour ceux et celles qui croient qu'enlever les loteries vidéo des bars, tavernes, restaurants et autres laisserait le chemin libre à plusieurs organisations illégales, laissez-moi vous dire que la légalisation des loteries vidéo n'a éliminé en rien les abus causés par les prêts usuraires, et ce, au détriment des joueurs compulsifs.

En terminant, le jeu est devenu, au sein de notre société, un problème omniprésent. Le problème du jeu pathologique est en hausse au pays, et ce, dans une proportion effarante. D'un océan à l'autre, les populations de nos provinces font face à un fléau d'une importance telle que le gouvernement fédéral se doit de prendre ses responsabilités et mettre un frein au drame que subissent trop de familles canadiennes.

Je crois sincèrement que si nous nous attaquons à l'accessibilité et à la visibilité des loteries vidéo, cela pourrait avoir un effet très positif sur notre société. C'est pourquoi je vous demande, honorables sénateurs, d'appuyer le projet de loi S-6 de façon expéditive afin de sauver le plus grand nombre de vies humaines et d'enrayer cette grande détresse subie non seulement par les joueurs compulsifs, mais pour tous ceux et celles qui les entourent, et je pense particulièrement aux petits enfants.

Le vice-président: Merci, sénateur Lapointe.

[Traduction]

Le sénateur Furey: Sénateur Lapointe, j'aimerais d'abord vous féliciter et louer les efforts que vous avez déployés pour lutter contre ce problème très grave. J'aimerais vous poser quelques questions d'ordre pratique. En lisant le libellé de la modification que vous proposez au code criminel, je me demande — puisqu'on y fait mention de systèmes ou opérations exploités par un ordinateur ou un dispositif électronique de visualisation — si cela n'empêcherait pas les dépanneurs de vendre des billets de loterie 6/49 ou Super 7?

Le sénateur Lapointe: Pas du tout, sénateur Furey.

[Français]

Le sénateur Lapointe: Ce ne sont que pour les loteries vidéo, autrement dit les appareils de visualisation. Ceux qui veulent jouer au 6/49 et autres, cela ne me gêne pas du tout. Je ne me concentre que sur les maudits appareils de loterie vidéo. Excusez-moi si j'utilise un langage inapproprié en comité, mais si vous saviez la haine que je porte à ces appareils, vous comprendriez mon état d'âme.

[Traduction]

Le sénateur Furey: Sénateur Lapointe, puis-je conclure d'après votre réponse que cela n'empêcherait pas non plus les jeux de bingo par satellite et autres jeux de ce genre?

Le sénateur Lapointe: Absolument pas.

Le sénateur Furey: C'est là le genre de question que soulèvent surtout les provinces qui n'ont pas de casinos ou d'hippodromes modernes. Je crois que Terre-Neuve n'a qu'un seul hippodrome. Votre projet de loi empêcherait-il cette province de permettre les jeux de hasard autres que les loteries 6/49 et Super 7, par exemple?

Le sénateur Lapointe: Je vise strictement les ALV, le vidéo poker.

[Français]

Je pense que la 6/49 et tous les autres tirages associés, supervisés par les provinces ne créent pas un millième des problèmes créés par les loteries vidéo. Je n'en veux qu'aux loteries vidéo — pas aux loteries elles-mêmes — à leur accessibilité, à la visibilité de ces loteries dans des endroits où les gens sont défavorisés. J'en ai fait l'expérience: à Montréal, j'en ai trouvé des centaines; j'en ai trouvé à Pointe St-Charles, dans l'est de la ville de Montréal, dans l'ouest, également. J'en ai cherché à Westmount où les gens sont à l'aise; je n'en ai pas trouvé une seule.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Vous savez sans doute que je viens de l'une de ces provinces qui compte de nombreux ALV et ces appareils semblent jouir de l'appui de tous les gouvernements, quel que soit le parti qui les constitue. Comment faites-vous la distinction entre les conséquences de la dépendance aux ALV et celle de la dépendance aux casinos? Si je me souviens bien, les deux sont arrivés à peu près en même temps dans notre province. Il y a les taux de dépendance, les difficultés et le fait que certains tentent de justifier les crimes qu'ils commettent en faisant valoir qu'ils étaient joueurs compulsifs et qu'ils n'ont volé que pour pouvoir continuer à jouer.

Comment en êtes-vous venu à conclure que la prolifération des casinos ne pose pas de problème mais que celle des ALV doit être freinée?

Le sénateur Lapointe: Je n'ai pas dit que les casinos ne posaient aucun problème.

Le sénateur Andreychuk: Je m'excuse de vous faire dire ce que vous n'avez pas dit, mais vous ciblez strictement les ALV, alors que la plupart des études décrivent des problèmes liés à la dépendance au jeu en général. J'aimerais savoir pourquoi vous vous attaquez aux ALV et non pas aux casinos?

Le sénateur Lapointe: En effet, je ne m'attaque pas aux casinos. Les casinos existent; certains y vont simplement pour s'amuser et, malheureusement, bon nombre d'entre eux deviennent dépendants du jeu. Au cas où vous ne le sauriez pas, je suis moi-même joueur. J'ai déjà été un joueur compulsif mais, depuis 15 ans, je joue simplement pour m'amuser, sans mettre en péril le bien-être de ma femme et de mes enfants. Toutefois, j'ai beaucoup appris de mon expérience et de mes observations. Je suis allé souvent à des endroits où se trouvent des ALV pour observer le comportement de ceux qui y jouent.

[Français]

La loterie vidéo est l'équivalent de la drogue qu'est le crack. Parmi les gens qui ont mis 20 $ dans une machine à loterie vidéo — dans un pourcentage que je ne donnerai pas, car je n'ai pas les chiffres exacts — trop n'ont joué qu'une fois pour ensuite devenir accrochés.

À titre d'exemple, dans la région de Sherbrooke-Magog, j'ai pu voir une dame de 71 ans, dont le mari décédé lui avait laissé près de 500 000 $ non taxables et deux édifices à logements, perdre la totalité de son héritage uniquement dans les machines à loterie vidéo, sans avoir mis les pieds dans un casino. Aujourd'hui, il est triste de voir cette dame se précipiter sur les machines à loterie vidéo dès qu'elle touche son chèque d'aide sociale.

Je vous cite cet exemple afin de vous démontrer le malaise profond en notre pays éprouvé par ces gens lorsqu'ils sont accrochés à la loterie vidéo.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'ai des questions de nature plus juridique et technique. Êtes-vous d'avis que vous n'empiétez pas sur les champs de compétences des provinces puisqu'il s'agit d'un projet de loi de nature pénale? Vous avez manifestement discuter de la question avec les légistes et j'aimerais savoir comment, d'après vous, nous pourrons faire en sorte que cette mesure législative surmonte tous les obstacles juridiques...

[Français]

Le sénateur Lapointe: Je n'ai aucune restriction. En 1978 et en 1985, alors que la question était de juridiction fédérale et qu'elle fut confiée aux provinces, les loteries vidéos et les casinos n'existaient pas au Canada. Par conséquent, je ne crois pas que la question empiète d'autres juridictions.

D'ailleurs, le ministre Séguin a fait des recherches et mené des enquêtes à cet effet lorsqu'un problème s'est présenté.

Par ailleurs, je ne vise pas la gloire. Je désire simplement venir en aide à nos citoyens qui souffrent de ce mal. Tant mieux si le Sénat en retire quelques bénéfices. Mon objectif est tout d'abord d'alléger la souffrance des gens. Je n'ai aucun autre but que d'enrayer ce fléau néfaste qui tue déjà nos jeunes. Je pourrais vous citer des centaines d'exemple, mais le temps ne me le permet pas ce soir.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: Je partage votre préoccupation concernant la dépendance au jeu et ses conséquences. Votre approche est peut-être même plus modérée que celle que j'adopterais si devais traiter de dépendance au jeu. Je me demande toutefois si vous avez vérifié, si vous êtes certain que ce projet de loi relève bien de la compétence fédérale.

[Français]

Le sénateur Lapointe: Je suis très à l'aise avec cet aspect. Pour poursuivre mon commentaire précédent, lors de l'émission télévisée Le Point, j'avais cité quelques chiffres qui ont ébranlé le ministre Séguin, après son annonce qui voulait augmenter les loteries au Québec. Le ministre a par la suite avoué dans les journaux qu'il avait été secoué par mon intervention. Il a alors ordonné deux enquêtes. Je ne possède pas les résultats de ces enquêtes, mais il semble qu'ils rejoignent les données sur lesquelles nous nous basons pour cette étude.

La situation est dramatique. Prenons l'exemple du Nouveau-Brunswick. À mon grand étonnement, le sénateur Kinsella, il y a quelques jours, a lancé un plaidoyer appuyant ma démarche, car il est en mesure de constater l'ampleur du problème dans sa province.

Ayant été en tournée dans sept ou huit villes du Nouveau Brunswick, j'ai eu l'occasion d'interroger les gens. Nous savons qu'un référendum s'est tenu au Nouveau-Brunswick sur la question des loteries vidéo. Lors de ce référendum, les loteries vidéo ont gagné par un pourcentage serré. Les gens à qui je me suis adressé m'ont indiqué qu'à leur avis, moins de 5 p. 100 de la population voterait aujourd'hui en faveur des loteries vidéos, car on connaît maintenant les coûts sociaux et les drames que ces appareils ont engendrés.

Le vice-président: Je crois que la question était la suivante. Vous ne touchez pas au droit criminel. Vous ne touchez qu'à l'endroit où les gens s'adonnent au jeu. Si le jeu se déroule dans un casino, vous dites que cela convient. Si le jeu se déroule ailleurs, vous dites que cela ne convient pas.

Le sénateur Lapointe: Qu'il s'agisse d'un casino, d'un champ de course ou d'un hippoclub, les gens doivent se déplacer pour aller jouer. Mais on retrouve les loteries au coin de la rue.

Le président: Vous voulez donc changer l'endroit où se déroule le jeu.

Le sénateur Lapointe: Je désire une nouvelle localisation des machines de loterie vidéo.

Le vice-président: Le sénateur Andreychuk a soulevé la question des droits provinciaux.

Le sénateur Lapointe: Je ne vise pas la prohibition.

[Traduction]

Le sénateur Furey: J'aimerais poser une question complémentaire; elle fait suite à celle du sénateur Andreychuk. Je crois que le sénateur Andreychuk nous dit que, historiquement, la réglementation des jeux de hasard relevait de la compétence du gouvernement fédéral. Ces dernières années, toutefois, le gouvernement fédéral a confié aux provinces la responsabilité de certaines modifications au Code criminel. La question est donc de savoir si cette modification-ci, sous sa forme actuelle, relève bien de la compétence fédérale. Il faudrait demander à des fonctionnaires du ministère de la Justice si la mesure que vous proposez, sénateur Lapointe, est celle qui vous permet le mieux d'atteindre votre objectif.

[Français]

Le sénateur Lapointe: Je vous saurais gré de le faire, car je n'ai pas la compétence juridique du président de ce comité et je ne suis pas avocat. Je crois être un homme de bon cœur. Je ne désire qu'aider mes concitoyens et concitoyennes devant tant de souffrance.

Pour ce qui est des questions juridiques, les avocats qui comparaîtront devant ce comité seront en mesure d'y répondre. Mon assistante et moi ne sont que des militants.

[Traduction]

Le sénateur Andreychuk: J'ai ma réponse. Je me demandais simplement si notre collègue pouvait compter sur certaines ressources juridiques particulières. Je crois aussi que nous devrions inviter des représentants du ministère de la Justice et des experts spécialistes du partage des compétences fédérale-provinciales.

[Français]

Le sénateur Lapointe: J'aimerais également vous remercier. J'ai été très ému récemment, lors d'une séance du Sénat, alors que le sénateur Kinsella, au-delà de mes attentes, faisait un plaidoyer qui m'était favorable.

Même le sénateur Nolin, qui n'est pas libéral mais conservateur, a affirmé être prêt à m'aider dans ma démarche. Je trouve cet appui très noble, car la cause sert les intérêts de tous les Canadiens.

On ignore qui sera au pouvoir dans les années à venir. Toutefois, si, grâce aux honorables sénateurs, cet amendement à la loi est adopté, nous en bénéficierons tous. Je ne serai peut-être plus de ce monde, mais les jeunes de notre pays seront guéris et les personnes âgées vivront peut-être plus longtemps. Si vous saviez le nombre de personnes âgées qui se sont suicidées à cause de ces jeux à loterie vidéo, c'est incroyable!

[Traduction]

Le sénateur Baker: Je tiens à féliciter le sénateur d'avoir déposé ce projet de loi. Il nous présente un dossier intéressant sur lequel notre comité pourrait se pencher. Si j'ai bien compris, il voudrait limiter l'exemption actuelle accordée aux provinces et qui leur permet d'exploiter des jeux de hasard. Peut-être est-ce la question que le sénateur soulève quand il dit que, si l'on accorde une dispense aux provinces en leur permettant d'exploiter des casinos, pourquoi ne pas limiter cette dispense de sorte que les appareils de loterie vidéo ne se trouvent pas n'importe où mais seulement dans des endroits précis. Est-ce de cela qu'il s'agit, monsieur Charron?

M. Pascal Charron, conseiller politique, Sénat du Canada: C'est précisément l'objectif du sénateur Lapointe et l'objet de ce projet de loi.

[Français]

C'est de limiter l'accessibilité des loteries vidéo à des endroits où les gens vont déjà jouer. On s'attaque à l'accessibilité et à la visibilité avec ce projet de loi.

Le sénateur Lapointe: Sortez-les des rues, mettez-les dans les casinos ou les hippoclubs déjà fréquentés par des joueurs. Ne développons pas des nouveaux joueurs chez nos jeunes. Pour les jeunes, c'est comme le «crack». On a eu des témoignages. Votre question est très pertinente. On ne veut pas la prohibition, on veut simplement localiser ces machines afin de diminuer le mal que ces machines créent dans notre société.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Je crois pouvoir dire que nous sommes tous d'accord avec vous. Toutefois, c'est la façon de procéder qui compte. M. Charron a laissé entendre que si le Code criminel prévoit un mécanisme permettant d'accorder une exemption à la loi, nous pourrions peut-être en limiter la partie afin que ces appareils ne soient autorisés que dans certains d'établissements.

[Français]

Le sénateur Lapointe: Le mot exemption que vous utilisez en français a quel sens? Quelqu'un pourrait m'éclairer sur le sens du mot exemption en français?

Le sénateur Joyal: Il serait permis dans les casinos, au lieu de dire «exempted». Le sénateur Baker dit essentiellement que les loteries vidéo seraient permises dans les casinos et les endroits....

Le sénateur Lapointe: Merci, je ne veux pas détruire ces machines. Mon but n'est pas de les détruire. Si certaines personnes veulent continuer, qu'ils vivent avec leur conscience. La seule chose que je veux, c'est qu'ils les mettent dans les casinos où il y en a déjà d'autres. Je vise la visibilité et l'accessibilité. À deux coins de l'endroit où vous habitez, au restaurant, il y a une machine libre et la personne se lève en prenant son café pour jouer et l'autre personne finit son repas seule. Je l'ai constaté souvent.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Monsieur Charron, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

[Français]

M. Charron: Nous avons tenu avec les légistes des réunions et nous leur avons expliqué ce que nous voulions faire. Tout le monde est d'accord avec le projet de loi. Personne n'était en désaccord avec le projet de loi. Le seul truc est d'en arriver à une façon où tout le monde va être d'accord. Les légistes nous ont proposé un amendement au Code criminel canadien. Selon la Constitution canadienne, le jeu est de juridiction fédérale encore aujourd'hui.

Le vice-président: Je n'irai pas jusque là, on va sûrement revenir à ce débat demain.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Bien sûr, le vice-président, le sénateur Beaudoin, veut intervenir. Nous avons beaucoup de chance de le compter parmi les membres de notre comité. Lui et l'ancien juge en chef de la Cour suprême, M. Lamer, ont été honorés l'an dernier par l'Association du Barreau canadien pour leur apport insigne au droit constitutionnel et à la charte. Il comprend la loi à fond et dans tous ses détails.

Vous n'auriez guère intérêt à proposer un projet de loi dont le sujet relèverait entièrement de la compétence des provinces. Je comprends cependant votre point de vue. Il y a une loi qui autorise les provinces à faire certaines choses, et le projet de loi que nous étudions ne ferait que limiter davantage l'autorisation accordée aux provinces. C'est sans doute pour cette raison que certains des juristes que vous avez consultés vous ont conseillé de procéder de cette façon. Est-ce exact?

[Français]

Le sénateur Lapointe: Oui, la seule façon de contourner ce problème, puisque actuellement le jeu est sous la gouverne des provinces, c'est par un amendement au Code criminel qui lui relève du gouvernement fédéral. Si l'amendement au Code criminel est accepté, les provinces n'auront plus rien à dire. Que cela entrave, que cela crée des chicanes fédérales- provinciales, ce n'est pas mon problème. Le but à atteindre est la chose plus importante. Amenez- moi n'importe quel ministre ou premier ministre du Québec, de l'Alberta ou d'ailleurs. S'il s'oppose à ce projet de loi, ou il n'a pas de cœur, ou il est chum avec des gars qui ont des jeux vidéo dans leur bar. Je suis la ligne droite et je vais la tenir devant quiconque.

[Traduction]

Le sénateur Baker: Sénateur, nous pouvons tous vous assurer que nombreuses modifications ont été apportées au Code criminel au fil des ans. Il y en a chaque année. Nombre d'entre elles ont par la suite été déclarées inconstitutionnelles. Cela n'a toutefois pas empêché que des modifications Code criminel soient apportées.

Au cours de vos recherches, avez-vous constaté que certaines provinces permettaient que l'on installe de telles machines dans les épiceries, les dépanneurs et les salles de billard, par exemple, tandis que d'autres provinces ne le permettaient pas? Quelles provinces se sont comportées de la façon la plus responsable, si je peux m'exprimer ainsi, et lesquelles ont fait preuve d'irresponsabilité dans la gestion de ces appareils?

[Français]

M. Charron: Je dirais que pour les provinces, en général, selon nos recherches, c'est devenu une vache à lait dont les provinces ne peuvent plus se débarrasser. Les coffres des provinces à chaque année font des surplus. Le bât blesse avec la promesse de donner un certain pourcentage de ces revenus pour venir en aide aux joueurs compulsifs. Il s'agit de 1 ou 2 p. 100 au Québec. Je n'ai pas les chiffres dans les autres provinces. C'est le problème. On promet d'aider les joueurs compulsifs puisqu'ils augmentent d'année en année. Dans les provinces, le pourcentage de joueur compulsif augmente, les problèmes reliés au jeu et les suicides aussi. Le coroner de la Saskatchewan enregistre les chiffres des taux de suicide reliés au jeu qui augmentent d'année en année. C'est effarant.

[Traduction]

Le sénateur Baker: J'aimerais poser une dernière question au sénateur Lapointe, mais je tiens à préciser que je n'ai jamais joué avec un de ces appareils.

Le sénateur Lapointe: Tant mieux pour vous.

Le sénateur Baker: Il s'agit d'un petit appareil complexe que je ne saurai pas comment utiliser. Je me demande, du reste, ce que les gens font avec tous ces appareils. En connaissent-ils parfaitement le fonctionnement? En règle générale, combien d'argent peut dépenser un joueur? Combien d'argent faut-il insérer dans un de ces appareils chaque fois qu'on veut l'utiliser? Combien d'argent peut-on perdre en une soirée ou en un jour?

Le sénateur Lapointe: Je peux vous répondre avec certitude puisque j'ai des preuves. J'ai vu de mes yeux un homme perdre près de 5 000 $ en une soirée en jouant avec un de ces appareils. Les appareils prennent les billets de 20 dollars et quand vous gagnez, vous recevez un coupon que vous présentez au caissier du bar, qui a toujours beaucoup d'argent comptant. Vous ne pouvez cependant pas gagner plus de 500 $ d'un seul coup. La mise minimum est de 40 cents et la mise maximum est de 2,50 $ dans les appareils de loterie vidéo. Toutefois, si vous perdez 50 fois de suite, cela peut faire beaucoup d'argent. On n'a pas besoin d'être un génie pour comprendre comment ça fonctionne. Si on met un dollar vingt-cinq dans l'appareil et que celui-ci affiche sept sept de suite, on gagne 250 $.

Le sénateur Baker: Vous dites que la plupart des gens qui se servent de ces appareils sont pauvres?

Le sénateur Lapointe: D'après moi, c'est le cas d'au moins 90 p. 100 d'entre eux. On vend des illusions aux pauvres parce qu'ils en achètent.

Le sénateur Joyal: Permettez-moi de revenir à la question soulevée par le sénateur Baker avant d'adresser la parole à notre témoin.

Le Code criminel est tout à fait clair. Je vais en citer la partie 7, qui stipule que les jeux de hasard et les loteries sont en soi des actes criminels. Bien sûr, il y a des exemptions. Par exemple, l'article 206 prévoit une exemption pour les foires; un gouvernement provincial peut donc intervenir et réglementer les foires. Cependant, le fait de parier de l'argent est un acte criminel qui n'est permis que dans certains cas, en vertu d'une exemption.

Le principe de l'exemption est clairement établi dans cet article du Code criminel. Je viens de parcourir les articles 201 à 208, qui énoncent diverses exemptions, en fonction de différentes catégories d'infractions.

Nous aurons l'occasion d'examiner la question plus à fond demain, lorsque les experts témoigneront.

[Français]

Quelles sont les deux provinces où il n'y a pas de loteries vidéo?

Le sénateur Lapointe: À ma connaissance, en Colombie-Britannique et en Ontario.

Le sénateur Joyal: Vous avez mentionné que vous êtes appuyé par différents groupes pour exclure les loteries vidéo de certains endroits publics. Vous savez qu'il y a, à chaque année, une réunion des procureurs généraux des provinces du Canada. Est-ce que, à votre connaissance, ils ont déjà discuté cette question? Est-ce qu'ils en sont arrivés à une sorte de consensus sur la manière de contrôler la croissance de ce type de jeu? Ont-ils demandé au gouvernement canadien d'amender en conséquence le Code criminel?

Le sénateur Lapointe: Je ne crois pas qu'il y a eu une décision de ce genre. On nous en aurait sûrement informés. Avant que le débat ne se poursuive, avant d'en finir avec cette histoire, peut-être qu'ils se réuniront. Mon but n'est pas de créer des réunions ou des manifestations, c'est plutôt d'alléger la souffrance créée, celle des petits enfants obligés de manger des biscuits soda, le lundi matin, pour avoir de l'énergie, parce qu'il n'y a plus de beurre ni de pain. Ce sont des images qui me frappent et me font mal. Je laisse les aspects juridiques aux avocats et aux spécialistes.

Le sénateur Joyal: À votre connaissance, il y aurait combien de ces machines au Canada? Des milliers? des centaines de milliers? Par exemple, dans une province comme le Québec, il y en aurait combien?

Le sénateur Lapointe: Il me semble qu'il y en avait 18 000; ils ont réduit le nombre à 14 000. Ils ont enlevé les machines qui étaient les moins populaires. Celles qui rapportent, ils les gardent et empochent les profits. Ils ne veulent pas accepter le coût social engendré.

Le sénateur Joyal: Sur les 14 000 machines qui peuvent exister, qui empoche les revenus? Qu'est-ce que les propriétaires de ces endroits retirent de la présence de ces machines? En d'autres mots, si le Sénat et la Chambre des communes légifèrent, quelle forme de manque à gagner pourrait représenter, pour ces commerces, l'élimination de ces loteries vidéo?

Le sénateur Lapointe: C'est énorme. Plusieurs de ces bars défraient tous leurs coûts d'opération avec ces machines. Il y a des propriétaires de bars qui ont défoncé des salles de bains, qui ont mis des murs pour installer d'autres machines. Il y a des endroits où ils ont jusqu'à 30 ou 40 machines. Plus ils ont de machines, plus ils font de l'argent. Je n'ai pas à vous dire que le milieu interlope est très bien structuré pour opérer ces machines, du moins au Québec. Il y a des propriétaires qui ont 20, 25, 30 machines, et chacune d'entre elles rapporte de 25 à 35 000 $ par année.

Le sénateur Joyal: Cela peut aller jusqu'à 35 000 $ par année pour les propriétaires. Et le gouvernement provincial retirerait quelle proportion de ces revenus?

Le sénateur Lapointe: Je ne me souviens plus du montant. Le chiffre est d'un milliard au Québec actuellement. Si vous divisez un milliard par 14 000, je ne sais pas comment cela fait.

Le sénateur Joyal: Donc le revenu des loteries vidéo, actuellement, au Québec, selon vous serait de combien?

Le sénateur Lapointe: Il était d'environ 930 millions l'année dernière, et il y a eu une augmentation. Donc, il retire un milliard, environ.

Le sénateur Joyal: Et vous dites que sur ce milliard, le gouvernement s'est engagé à en dépenser 1 p. 100?

Le sénateur Lapointe: Peut-être deux, pour essayer de guérir un centième ou un millième des gens qu'ils ont rendu malades.

Le sénateur Joyal: Si vous soutenez que, dans ce type d'opération, le crime organisé pourrait être impliqué, est-ce que, à votre connaissance, l'Association des chefs de police ou les organismes responsables de la loi et de l'ordre, auraient déjà demandé au gouvernement du Québec — la province que vous connaissez le mieux — d'éliminer ces machines de ces endroits et les restreindre là où le gouvernement contrôle le local, puisque les casinos sont des propriétés gouvernementales?

Le sénateur Lapointe: Je dois vous dire qu'avant mon intervention, je n'en avais pas entendu parler, et je ne crois pas que les forces policières, qu'elles soient de juridiction fédérale ou municipale, aient demandé quoi que ce soit. Mais tous ceux à qui j'en ai parlé ont dit: Si vous réussissez, vous allez sauver des vies et régler beaucoup de crimes.

Le sénateur Joyal: Est-ce qu'il y a des organismes sociaux qui font des démarches dans le même sens que vous, auprès des autorités provinciales? Je pense au Conseil de la famille, aux associations qui défendent les droits des jeunes. Essayez de nous éclairer d'avantage. Nous comprenons très bien le bien-fondé de vos motifs, mais j'essaie de voir, sur le plan social, qui sont les autres organismes responsables du bien-être de la population, qui peuvent faire des représentations dans le même sens que vous.

Le sénateur Lapointe: À mon grand étonnement, je dois vous dire que après s'être renseigné, les serveurs de bars et d'hôtels nous ont appuyés complètement. Je suis resté sidéré, mais j'ai compris, après avoir parlé à deux ou trois d'entre eux, qu'ils voient le mal que ces machines font. Ils voient également le joueur qui prend une bière en jouant; autrefois, il donnait deux dollars de pourboire; aujourd'hui, il donne un dollar, parce que peut-être que le dollar qu'il mettra dans la machine lui rapportera le gros lot. On a une liste des associations, quelque part.

Le sénateur Joyal: De mémoire, vous devez en avoir quelques-unes à l'esprit?

M. Charron: L'Institut de santé du Québec... Je n'ai pas les noms en mémoire. On pourrait vous faire parvenir une liste.

Le sénateur Lapointe: Les centres de service sociaux, entre autres. Il y a une espèce d'association chrétienne qui nous appuie entièrement. Comme c'est ma première comparution à un comité, je manque d'expérience. C'est probablement ce qu'on aurait dû apporter en premier. Il y a une quinzaine d'associations de partout au pays, c'est fabuleux.

Et des gens dont je n'avais jamais entendu parler ont fait des recherches. Mais la Ligue d'entraide pour les joueurs compulsifs, cela va de soi, les centres qui viennent en aide aux joueurs compulsifs, les associations de police nous approuvent de même que des experts universitaires et autres. Dans cette liste, je peux vous nommer le docteur Robert Ladouceur de l'Université Laval. Ces gens témoigneront. Vous avez M. Tudiver et d'autres. Je ne les connais pas. Ils ont émis des opinions. Ils ont expliqué qu'il était temps d'apporter un remède à ce mal.

[Traduction]

Le sénateur Smith: Je voudrais brièvement faire une observation que le sénateur voudra peut-être relever.

J'appuie sans réserve cette mesure. Vous parlez d'une noble cause, et vous avez sans doute raison. J'ai toujours considéré avec bienveillance l'industrie des courses de chevaux, car c'est une industrie créatrice d'emplois dont plusieurs sont dans le domaine agricole. Cette activité qui existe depuis des siècles ne m'a jamais gêné. Toutefois, je pense qu'il serait souhaitable désormais de juguler la prolifération du jeu au Canada.

J.S. Woodsworth, Tommy Douglas, M. J. Coldwell et Stanley Knowles — tous des hommes pour qui j'ai le plus grand respect — se retourneraient sans doute dans leurs tombes s'ils savaient que c'est le NPD qui a ouvert toute grande la porte aux casinos en Ontario, désespéré qu'il était de trouver d'autres sources d'argent. On ne peut revenir en arrière, mais si l'on veut corriger le moins du monde la situation, je pense que c'est la bonne chose à faire et je vous félicite de votre initiative.

[Français]

Le sénateur Lapointe: J'aimerais ajouter que directement, je préfère l'industrie des courses à celle des loteries vidéo. Mais si on localise toutes ces machines à sous, ces vidéos poker, dans les casinos, les pistes de course et les hippoclubs, directement, il y aura une aide additionnelle au monde des courses qui est en difficulté présentement. Ce n'est pas le temps aujourd'hui d'élaborer ce que je veux dire, plus tard on verra ce qu'il y à faire dans ce domaine.

[Traduction]

Le sénateur Smith: Je vous comprends.

Le sénateur Bryden: C'est de la tarte, n'est-ce pas?

[Français]

Le sénateur Lapointe: Pour ceux qui ne le savent pas, c'est le surnom que je lui ai donné.

Un jour je siégeais à un comité d'affaires où je ne comprenais rien. Il y avait quorum. Je me suis excusé. J'ai dit au sénateur Bryden qu'il avait des adversaires devant lui. Je lui ai demandé: Pensez-vous pouvoir leur faire face sans trop de problèmes car je ne pourrai pas vous apporter aucune aide? Il a dit:

[Traduction]

«Ce sera de la tarte».

[Français]

Depuis ce temps, je l'appelle «piece of cake». Cela m'avait drôlement impressionné.

[Traduction]

Il ne faudrait pas me traiter comme une tarte.

Le sénateur Bryden: Et pourquoi pensez-vous donc que j'ai posé la question?

J'aurais deux questions. Dans la province d'où je viens, le Nouveau-Brunswick, est exempté de l'application du Code criminel ce qui lui permet l'utilisation de machines à jeu de hasard vidéo. Au Nouveau-Brunswick, il n'y a pas de casino, car les habitants ne sont pas assez riches, et c'est pourquoi ils s'inquiètent de ce problème des gros joueurs compulsifs. Et c'est d'ailleurs ce qui a poussé le gouvernement néo-brunswickois à organiser un référendum. On se demandait si la situation était équitable à l'égard de ceux qui fabriquaient les machines par rapport à ceux qui profitaient du fait que les machines étaient chez eux, ce qui leur donnait plus d'argent pour promouvoir leur cause. Puis, ce sont les églises et d'autres groupes encore qui voulaient se débarrasser des machines, mais pas complètement. En fait, je pense que ces gens proposaient de les sortir des dépanneurs et des kiosques à journaux pour les reléguer à des endroits fréquentés uniquement par des gens ayant atteint l'âge de la majorité à qui on pouvait servir de l'alcool légalement — soit dans les bars, les clubs et, sans doute aussi, dans les hippodromes.

Il y a donc eu un référendum.

Le sénateur Joyal: Et la question était claire?

Le sénateur Bryden: Oui, elle était claire. Nous n'avons pas eu besoin d'une loi sur la clarté.

Le sénateur Smith: Et la majorité, était-elle claire?

Le sénateur Bryden: Je ne crois pas qu'elle ait été énorme, mais elle était suffisamment claire chez ceux qui rejetaient la restriction; autrement dit, après le référendum, rien n'a changé dans l'utilisation des appareils de loterie.

À la lumière de ce résultat, je me demande comment réagirait le Nouveau-Brunswick si le gouvernement fédéral décidait à son tour, grâce au projet de loi du sénateur Lapointe, de lui retirer le droit d'exploiter les machines de la façon dont elle le fait.

Le sénateur Lapointe: Il suffirait de les limiter aux hippodromes.

Le sénateur Bryden: Je comprends, mais les appareils sont déjà installés. Je veux bien que des gens soient devenus accoutumés aux jeux, mais les provinces sont, elles aussi, accoutumées à l'argent que leur procurent ces machines, et les entreprises sont nombreuses à amortir leurs frais généraux grâce à la ristourne que leur procure la présence des machines; vous comprenez que les petites entreprises pourraient être lésées par leur disparition.

Vous affirmez quant à vous que les gens continueront à jouer parce qu'ils espèrent s'acheter un rêve. Les gens rêvent toujours lorsqu'ils achètent des billets de la 6/49? Avons-nous le droit de dire que les gens peuvent impunément gager tous leurs biens parce qu'ils jouent dans un casino et dans un hippodrome? Pourquoi jugerions-nous répréhensible le fait de perdre 500 000 $ avec un appareil de loterie vidéo qui se trouve chez un dépanneur, alors qu'il est possible de le faire impunément dans un hippodrome ou dans un casino?

Il y a une chose qui m'embête quand on parle de circonscrire les droits ou les privilèges, c'est qu'à chaque fois il s'agit des droits et des privilèges de ceux qui ont peu de moyens. On veut leur enlever le droit de décider par eux-mêmes s'ils vont perdre tout leur argent en jouant à la loterie vidéo, ou en s'achetant de la boisson, peu importe comment. La société veut les contrôler et veut décider pour eux ce qu'ils ont le droit de faire, alors que s'ils étaient assez riches pour se permettre l'accoutumance à la loterie première classe, on les laisserait faire, jusqu'à ce qu'ils dépensent leur dernier sou. Cette distinction m'embête un peu.

Notre société en est rendue au point où ce qui lui coûte le plus cher, ce sont les soins de santé qui augmentent à cause du vieillissement de la population et à cause de sa tendance à l'obésité, et parce que nos enfants grossissent à leur tour en ingurgitant des aliments vides et des acides gras trans. Tout comme le jeu, ceux qui ont tendance à manger surtout des aliments vides ou à en manger plus que la normale, ce sont souvent de pauvres gens, car le peu d'argent qu'ils ont sert surtout à acheter les aliments moins coûteux et la bouffe-minute.

Mais avons-nous le droit d'exercer de la discrimination à leur égard pour cette seule raison? Nous le faisons parce que, à notre avis, les pauvres ne devraient pas dépenser leur argent au jeu mais plutôt à acheter des aliments sains pour nourrir convenablement leurs enfants; mais nous ne dirons rien si ce sont des gens relativement instruits ou relativement riches qui le font!

[Français]

Le sénateur Lapointe: Merci de votre exposé, sénateur Bryden. Il faut comprendre que ce n'est pas la prohibition que je propose. Quand vous me dites que ce sont les gens riches qui vont au casino, c'est faux. Des autobus vont chercher les gens partout pour les amener au casino. Un système existe, par lequel des autobus partent de certains quartiers défavorisés, sans charger un sou, pour emmener les gens aux champs de course. De plus en plus de monde va aux champs de courses, mais ce n'est pas pour les courses, c'est pour les machines à sous et les loteries vidéo.

Saviez-vous que, au Casino de Montréal, on amène des gens de «l'âge d'or», des aînés; moyennant 10 $ ils ont droit à un spectacle, avec vin, fromage, et quand le spectacle est terminé, on leur donne 20$ de jetons pour aller jouer, pour les habituer à jouer, parce que ce sont des gens vulnérables. Je ne crois pas que cela ait un rapport avec la question du «junk-food» pour les pauvres et des steaks de trois pouces d'épaisseur pour les riches.

Actuellement, nous voulons venir en aide aux petites gens qui souffrent d'être « accros » à ces machines. Vous êtes du Nouveau-Brunswick, je ne sais pas où vous êtes allés chercher vos derniers chiffres. Pour ma part je me suis adressé à une quarantaine de personnes; on m'a informé que cela avait fait l'objet d'un référendum et que le résultat avait été serré — de l'ordre de 51 contre 49 p.100. On m'a dit que si on refaisait le référendum aujourd'hui, il serait battu à plate couture. Donc, la conscience collective des gens au Nouveau-Brunswick a décidé que c'était un mal et non un bien, et que les revenus tirés de cette activité étaient de trois à cinq fois moindre que les sommes dépensées ensuite en frais de pénitencier, de santé, en manque à gagner dû à l'absentéisme, aux suicides, et cetera.

L'idée n'est pas de prohiber ces appareils, on peut ouvrir un centre où on va mettre des machines et ce sera le gouvernement qui opèrera ce centre. Quant à moi, les intermédiaires qui s'enrichissent aux dépens des gens qui crèvent, j'ai beaucoup de difficulté à comprendre cela, sénateur Bryden.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer: Sénateur, je vous félicite de tous les efforts que vous avez déployés à propos de cette question. Des juristes viendront également témoigner. Toutefois, j'espère qu'il n'est pas trop tard et que nous pouvons encore vous aider.

J'ai deux brèves questions à vous poser. Vous dites que ces machines étaient souvent installées dans les régions les plus pauvres. L'avez-vous observé vous-même, ou y a-t-il eu de la recherche là-dessus?

Le sénateur Lapointe: On a fait de la recherche là-dessus.

Le sénateur Jaffer: Pourriez-vous nous en communiquer les résultats?

Deuxièmement, vous êtes-vous demandé combien il en coûtait, d'un point de vue social, aux provinces d'avoir disséminé sur leurs territoires ces appareils de loterie?

Le sénateur Lapointe: Non, mais certains chercheurs et spécialistes se sont penchés sur cette dimension. Le coût social que cela représente pour la province est de trois à cinq fois les sommes que rapportent ces machines. La difficulté vient de ce que les loteries et l'appareil de loterie vidéo rapportent instantanément, alors que les coûts sociaux n'apparaissent que plus tard.

[Français]

Cela ne diminuera pas, cela ira en augmentant.

Le président: Je vous remercie sénateur Lapointe, c'était très intéressant, je remercie également M. Pascal Charron.

Nous devons siéger à huis clos pour les travaux futurs du comité. Merci.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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