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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 3 - Témoignages du 11 mars 2004


OTTAWA, le jeudi 11 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel ont été renvoyés le projet de loi C-16, Loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence, et le projet de loi C-250, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse), se réunit aujourd'hui à 10 h 50 pour étudier les projets de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Aujourd'hui, nous poursuivons l'étude du projet de loi C-16 concernant le registre national des délinquants sexuels et je vous invite à accueillir l'honorable Ann McLellan, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui aidera le comité dans ses délibérations. Nous accueillons aussi Mme Campbell et M. Hoover, qui ont tous deux témoigné récemment devant le comité. Merci d'être venus.

Allez-y.

L'hon. Anne McLellan, c.p., députée, ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile: Honorables sénateurs, je suis heureuse de pouvoir témoigner devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Comme je le rappelais à certains d'entre vous, à l'époque où j'étais ministre de la Justice et Procureur général, je venais souvent témoigner devant votre comité et j'aimais toujours le faire à cause du caractère rigoureux et instructif de la discussion qu'on y trouve. En travaillant ensemble, nous avons souvent réussi à mettre au point de meilleures méthodes d'intervention et de meilleurs projets de loi pour les Canadiens.

Je suis vraiment heureuse de revenir devant votre comité. Monsieur le président, je vous félicite de votre nomination à ce poste. Je sais que vous serez très occupé au cours des semaines et des mois à venir.

Comme vous le savez, le projet de loi C-16 créera une nouvelle loi, la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. En outre, il apportera des modifications clés au Code criminel du Canada.

[Français]

Le projet de loi C-16 vient établir un registre national des délinquants sexuels auquel auront accès les services de police dans l'ensemble des provinces et des territoires. Le projet de loi met en place un nouvel outil important qui aidera les services de police à enquêter sur les crimes de nature sexuelle et, plus particulièrement, ceux touchant les enfants.

[Traduction]

Monsieur le président, le projet de loi C-16 répond à une demande unanime de tous les gouvernements provinciaux et territoriaux adressée au gouvernement fédéral pour la création d'un système national d'enregistrement des délinquants sexuels. En février 2002, le gouvernement du Canada a signalé qu'il accepterait de créer ce registre de délinquants sexuels si les provinces et les territoires parvenaient à s'entendre sur un modèle acceptable sur le plan administratif conforme à la Charte.

Monsieur le président, les divers intervenants se sont entendus à l'unanimité sur un modèle particulier à la suite d'un long effort de collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces et des territoires. Ce consensus est encore ferme. Toutes les provinces et tous les territoires appuient officiellement le projet de loi et nous incitent à le mettre en oeuvre le plus rapidement possible. C'est un bon exemple de la façon dont les pouvoirs publics à tous les échelons peuvent en arriver à un compromis pour atteindre un objectif commun.

Le projet de loi C-16 crée un outil important pour aider la police à faire enquête sur les infractions sexuelles commises par des personnes inconnues. Il permettra à la police de simplifier les enquêtes vu qu'elle pourra rapidement consulter le registre, de faire des recherches utilisant des critères établis pour identifier les suspects qui se trouvaient peut-être à proximité de l'endroit où le crime a été commis et, autre considération importante, d'éliminer des suspects.

L'enquêteur pourra, en plus des éléments de preuve qui seront recueillis sur les lieux du crime, avoir recours aux données disponibles au Centre d'information de la police canadienne, le CIPC. Comme nous le savons tous, le CIPC contient des renseignements détaillés sur toutes les personnes qui ont été déclarées coupables d'infractions criminelles et tous les policiers du Canada ont accès à sa base de données.

Cependant, le CIPC ne contient pas aujourd'hui des adresses à jour pour chaque contrevenant. Ce sera plus rapide et plus efficace si l'enquêteur peut faire une recherche dans la base de données sur les contrevenants sexuels pour trouver l'adresse la plus récente de délinquants qui habitent près des lieux du crime. C'est pour cela qu'on a instauré le système d'enregistrement prévu dans le projet de loi C-16. Il ajoute au système du CIPC qu'utilisent maintenant les policiers locaux la nouvelle base de données sur les délinquants sexuels que crée la GRC. Le projet de loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels permettra aux policiers de déterminer rapidement si des délinquants sexuels connus habitent près des lieux du crime et de décider rapidement si une enquête plus poussée est justifiée ou si certains suspects peuvent être éliminés.

Le registre sera certes un outil important pour la police, mais il importe aussi de garantir qu'il sera bien utilisé. Il faut éviter qu'il puisse avoir des conséquences négatives imprévues ou qu'il puisse être utilisé à mauvais escient.

Monsieur le président, le gouvernement comprend que le projet de loi C-16 aura un effet intrusif dans la vie de tous ceux qui y seront enregistrés, dans certains cas pour le reste de leur vie. Cependant, le projet de loi établit des limites relatives à la Charte et à la Constitution et prévoit des précautions suffisantes pour protéger les droits des Canadiens tout en donnant un bon outil d'enquête aux services policiers.

Ces précautions ont été mises au point de concert avec nos collègues des provinces et des territoires, en tenant compte des droits garantis par la Charte des droits et libertés à tous les Canadiens. Monsieur le président, les sauvegardes permettront de créer un système juste et équitable qui est en même temps efficace et efficient. Les policiers auront accès pendant au moins dix ans aux renseignements personnels sur les personnes qui ont commis un délit sexuel et, dans bien des cas, ils y auront accès pendant toute la vie.

En même temps, une utilisation contrôlée des données empêchera les délinquants qui ont réintégré la société d'être ostracisés.

[Français]

Pour cette raison, le projet de loi restreint l'accès aux données du registre. Seules les personnes autorisées peuvent le consulter, à des fins autorisées, sous peine de sanction pénale. La protection du public sera donc mieux assurée puisque la police aura rapidement accès à une liste des délinquants sexuels inscrits vivant dans la région. Or, seuls les services de police auront accès au registre et pourront utiliser l'information.

[Traduction]

Ailleurs où il existe des registres sur les délinquants sexuels, il est souvent arrivé que le fait que le public y ait accès donne lieu à une utilisation abusive et à des malentendus qui inquiètent le public, pouvant mener parfois à des actes de justicier. Nous avons examiné la façon dont d'autres pays, surtout les États-Unis, ont établi leurs propres registres. Ces autres systèmes permettent l'accès grâce à l'Internet et le recoupement de données, mais, selon nous, il n'y avait aucun avantage à avoir un tel système. Le projet de loi C-16 ne prévoit donc aucun accès public au registre.

Les personnes dont le nom serait normalement versé au registre par suite d'une déclaration de culpabilité auront l'occasion d'expliquer pourquoi, à leur avis, elles ne devraient pas être assujetties à une ordonnance d'enregistrement si la Couronne exerce son pouvoir discrétionnaire de demander une telle ordonnance. Le juge qui entend la demande peut trancher en utilisant le critère prévu au paragraphe 490.012(4) du Code criminel, soit la question de savoir si les effets pour la personne visée sont nettement demeurés par rapport à l'intérêt public. C'est un critère important et je ne veux pas que cela disparaisse. Je répète que le juge pourra trancher en décidant si les effets pour la personne visée sont nettement démesurés par rapport à l'intérêt public.

Vous noterez peut-être, monsieur le président, que ce critère est semblable à celui qui s'applique aux ordonnances pour les banques de données génétiques au paragraphe 487.051(2) du Code criminel. Ces deux dispositions sont semblables, mais elles ne sont pas identiques parce que nous avons jugé qu'il fallait adapter l'article 490.012 au projet de loi que vous avez sous les yeux. Cependant, comme dans le cas d'une ordonnance en vue du prélèvement du code génétique, c'est le délinquant qui doit convaincre le juge entendant la demande de la Couronne que les conséquences de cette ordonnance pour lui seraient nettement démesurées compte tenu des fins du projet de loi.

Certains sénateurs ont exprimé quelques réserves à ce sujet vu que le fardeau de la preuve incombe au délinquant et qu'ils se demandent donc si cette disposition est constitutionnelle. Je leur répondrais que le fait qu'il faut retenir ici, c'est qu'il ne s'agit pas d'une constatation de culpabilité. Au moment du procès, c'est uniquement à la Couronne qu'il incombe de prouver que l'accusation est fondée sans l'ombre d'un doute raisonnable. La décision a déjà été rendue. La demande d'enregistrement sera faite une fois que l'on a constaté la culpabilité de l'accusé et que la peine a été imposée. À strictement parler, cela ne fait pas du tout partie de l'imposition de la peine. Nous avons fait en sorte que cela reste une conséquence administrative d'une déclaration de culpabilité et cela respecte les objectifs de la loi. Nous sommes convaincus que cette disposition est donc conforme à la Constitution. Les décisions rendues par les tribunaux jusqu'ici dans le cas de contestations du paragraphe 487.051(2) du Code criminel pour le prélèvement de code génétique confirment notre opinion à cet égard.

Je tiens aussi à noter, monsieur le président, que les tribunaux ont toujours maintenu cet article du Code criminel malgré de nombreuses contestations aux termes de la Charte. Si je ne m'abuse, nous avons déjà fourni au comité la liste des cas pertinents.

Le projet de loi C-16 prévoit aussi à l'article 490.015 du Code criminel que le délinquant sexuel visé par une ordonnance d'enregistrement peut demander aux tribunaux de réexaminer son cas après cinq, 10 ou 20 ans selon la gravité ou le nombre de délits à l'origine. Le délinquant sexuel peut aussi demander une ordonnance de révocation s'il obtient sa réhabilitation aux termes du Code criminel.

Monsieur le président, comme bon nombre de mes collègues le savent, le projet de loi C-16 a été rédigé après de longues consultations auprès des provinces et des territoires. Le projet de loi reflète le choix de politiques jugées acceptables et abordables aux échelons supérieurs de tous les ordres de gouvernement.

Depuis le dépôt du projet de loi le 11 décembre 2002, des fonctionnaires de tous les échelons gouvernementaux ont encore une fois examiné le projet de loi et recommandé un certain nombre d'améliorations importantes. L'autre endroit a adopté un amendement proposé par le gouvernement pour que tous les délinquants sexuels qui purgent maintenant une peine et qui ont été déclarés coupables avant l'entrée en vigueur du registre fédéral y soient inclus. Ce dernier point est important.

Après de longues consultations, les provinces ont accepté l'inclusion que tout délinquant qui purgeait encore sa peine, ce qui est la considération clé ici, devait être inclus dans le registre. Les provinces ont aussi accepté que tout délinquant sexuel enregistré dans un registre provincial existant, comme celui de l'Ontario, au moment de l'entrée en vigueur du système fédéral, serait aussi inclus dans ce dernier. Les experts constitutionnels du ministère de la Justice ont noté que, tant que l'on prévoyait des dispositions particulières pour protéger les droits de ces contrevenants, leurs noms pouvaient être inclus dans le registre.

Je souligne que les dispositions rétroactives du projet de loi ne sont nullement punitives. Elles sont conçues de la façon la moins intrusive possible et correspondent pleinement aux objectifs du projet de loi. Nous avons aussi insisté pour inclure des dispositions de procédures et de fonds particulières qui visent uniquement à protéger les droits des délinquants prévus dans la Charte.

Quant aux délinquants qui seront inclus parce qu'ils figurent maintenant dans un registre provincial, mais qui ont fini de purger leur peine, je sais que le comité a exprimé certaines inquiétudes quant à la possibilité que la façon dont les délinquants sont traités en Ontario diffère de cela que connaissent les délinquants qui ont commis une infraction du même genre ailleurs. Je soutiens que ce n'est pas le cas. Avant que le gouvernement fédéral ne songe même à présenter ce projet de loi-ci, les délinquants sexuels en Ontario devaient s'enregistrer. L'obligation existait déjà. D'autres provinces avaient décidé de ne pas adopter de loi semblable, mais notre registre ne change rien à la situation.

Pour ce qui est des conséquences relatives à la Charte, monsieur le président, nous avons reconnu qu'il y aurait un risque si l'on tentait d'appliquer le projet de loi rétroactivement. Par ailleurs, nous avons inclus en plus des modalités procédurales que contient déjà le projet de loi des dispositions supplémentaires pour garantir que les droits des intéressés aux termes de la Charte seront pleinement protégés. Par exemple, le projet de loi stipule que l'intéressé doit être personnellement avisé non seulement de l'obligation de se conformer, mais aussi de la date à laquelle cette obligation commence; comment s'y conformer et quelles mesures doivent être prises si les délinquants veulent exercer leur droit constitutionnel de recours; la possibilité pour tout intéressé d'exercer son droit de recours devant un tribunal pour contester le besoin de s'enregistrer; l'imposition de délais stricts pour la remise de l'avis statutaire aux délinquants qui seraient enregistrés de façon rétroactive, ce qui garantit que les délinquants ne seraient pas assujettis à cette possibilité indéfiniment.

Si la province n'avise pas l'intéressé dans les délais prévus, la possibilité de le faire disparaît de façon permanente, ce qui veut dire que les procureurs provinciaux doivent au départ prouver devant un tribunal que la déclaration de culpabilité portait sur une infraction sexuelle désignée. C'est plus important que cela ne peut le sembler à première vue parce que les juges devront donner gain de cause au délinquant si la Couronne n'a pas besoin d'assumer ce fardeau ou décide pour une raison ou une autre de ne pas le réclamer.

Les dispositions supplémentaires visant à garantir que les droits des intéressés aux termes de la Charte sont pleinement protégés comprennent des dispositions stipulant que chaque délinquant aura le droit de faire réexaminer son cas dans cinq, dix ou 20 ans après la date de l'ordonnance originale, compte tenu de la gravité et du nombre d'infractions précédentes; la possibilité pour les intéressés qui jugent ne plus correspondre aux objectifs du registre de plaider leur cause devant un juge; l'inclusion de mécanismes de contrôle très stricts pour limiter l'accès et la diffusion de données, y compris des contrôles rigoureux de protection des renseignements personnels pour l'accès, et l'utilisation du registre afin de garantir que les renseignements hautement confidentiels qu'il contient seront utilisés uniquement aux fins prévues, c'est-à-dire pour protéger la société; et, comme vous le savez, le fait que l'on ait prévu l'imposition de peines sévères pour une utilisation abusive de ces renseignements.

J'ajoute que le Parlement réexaminera toutes les dispositions du projet de loi dans deux ans.

Pour terminer, je répète que le projet de loi C-16 a été rédigé en collaboration entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces. C'est une considération importante parce que la loi doit tenir compte du rôle que joueront les provinces pour administrer et appliquer le système. Nous aurons un système d'enregistrement national et uniforme, contrairement à ce qui existe aux États-Unis à cause de la confusion créée par l'existence d'un grand nombre de régimes d'enregistrement. Nous en avons eu des échos dans les journaux et aux nouvelles.

Le projet de loi C-16 établit une approche nationale commune grâce à une loi fédérale habilitante et au système CIPC auquel tous les services policiers du Canada ont accès. Il respecte cependant aussi le rôle des provinces pour l'administration du système et tient compte de la nécessité d'adapter son application aux besoins et aux caractéristiques des divers gouvernements provinciaux. Le projet de loi respecte à la fois les besoins de la police et les libertés civiles des Canadiens.

Je voudrais pour terminer expliquer pourquoi nous ciblons les délinquants sexuels. Bien entendu, le CIPC est maintenant et continuera d'être une espèce de registre de tous les délinquants. Les agressions sexuelles à l'endroit d'enfants et d'autres groupes vulnérables causent des torts particuliers et ont souvent des conséquences personnelles dévastatrices.

Les traumatismes que subissent les enfants victimes d'agression sexuelle peuvent être reflétés immédiatement dans leur santé émotionnelle. Nous sommes tous au courant d'incidents tragiques mettant en cause des adolescents qui ont été victimes d'agression sexuelle et qui se sont enfuis de la maison et qui ont abouti dans nos rues. D'ailleurs, les adultes qui ont été victimes de violence sexuelle subissent eux aussi des traumatismes graves. Ils souffrent souvent de dépression, manquent de confiance en eux et risquent de devenir alcooliques ou toxicomanes.

En conclusion, monsieur le président, le gouvernement du Canada et toutes les provinces et tous les territoires jugent qu'il est essentiel de fournir le plus d'outils possible à ceux qui font enquête sur ces crimes pour protéger les citoyens du Canada. Tous les autres échelons gouvernementaux appuient le projet de loi. Je vous demande aujourd'hui de l'appuyer aussi. Je répondrai volontiers à vos questions.

Le sénateur Andreychuk: Merci, madame le ministre, de nous avoir décrit le projet de loi. Je suis d'accord que cette mesure répond à bon nombre de préoccupations que nous avions eues dans le passé quand on avait essayé d'instaurer un registre des délinquants sexuels.

Le projet de loi permettra en même temps de protéger la société et les enfants et de respecter les droits des délinquants. Je n'ai que deux questions à poser au sujet de cette mesure.

Vous dites que le registre ne fait pas partie de l'imposition de la peine et l'on nous a dit hier que c'était un outil administratif, mais en réalité l'inscription au registre fait partie du processus d'imposition de la peine. Le nom d'une personne ne sera pas enregistré si celle-ci n'a pas été déclarée coupable d'un délit. L'enregistrement n'est peut-être donc pas un châtiment, mais les mêmes notions entrent en ligne de compte. Vu qu'une déclaration de culpabilité entraîne l'enregistrement, il me semble que cela fait partie du processus d'imposition de la peine de façon générale.

Je ne vois pas comment on peut dire que c'est uniquement un outil administratif et que cela ne fait pas partie de la peine. Je pense au contraire que cela en fait partie. Cependant, je suis convaincue que le projet de loi contient des protections suffisantes pour que nous puissions considérer que cela fait légitimement partie de la peine; je laisserai les tribunaux trancher, mais je voudrais savoir ce que vous en pensez.

Mon autre question a trait au fait que le registre des délinquants sexuels de l'Ontario est un registre provincial. Il deviendrait maintenant national. Il me semble que le fait qu'on utilise rétroactivement la base de données de l'Ontario et qu'on n'ait pas d'autre base de données rétroactive pour les autres provinces constitue une injustice inhérente et présente une possibilité de contestation qui n'existerait pas autrement. Nous aurions tous voulu qu'il existe un registre il y a 20 ans pour que nous puissions avoir une bonne base de données.

Nous savons que certains délinquants ne seront pas enregistrés. Si l'on rend l'enregistrement rétroactif pour une partie des délinquants, il me semble que l'on commet une injustice inhérente et que cela constitue un risque de contestation aux termes de la Charte et que cela met en jeu l'équilibre que vous avez réussi à établir dans le reste du projet de loi.

Mme McLellan: Tout d'abord, relativement à l'ordonnance qui dépend d'une demande de la Couronne, je conviens que si une ordonnance est rendue, cela s'inscrira dans le cadre d'un processus de droit pénal. Cependant, les tribunaux ont bien précisé qu'une telle ordonnance ne fait pas partie de l'imposition de la peine ou du règlement de l'instance. Ils l'ont bien précisé dans le cas des ordonnances de prélèvement d'un échantillon de code génétique. Cela peut sembler purement technique, mais si l'on veut que le droit pénal fonctionne correctement, il importe de faire cette distinction entre ce qui fait partie de l'imposition de la peine et ce qui n'en fait pas partie.

En effet, il pourrait y avoir des normes différentes, et nous savons qu'il y en a qui s'appliquent à diverses parties du processus de droit pénal. Les tribunaux ont été relativement catégoriques à ce sujet en disant que les ordonnances de ce genre ne font pas partie de l'imposition de la peine ou du règlement de l'instance dont ils sont saisis. Ils jugent que c'est un processus distinct et je considère que leur interprétation à ce sujet est très claire.

Le fait est qu'aucune province sauf l'Ontario a un registre. Si d'autres en avaient, nous procéderions exactement de la même façon dans leur cas s'ils nous le demandaient. Les personnes dont le nom figurent dans le registre y sont déjà parce qu'une ordonnance a été rendue à leur sujet. Si j'ai bien compris, ceux qui font déjà l'objet d'une ordonnance seront simplement transférés à notre registre fédéral.

Le registre de l'Ontario continuera d'exister. C'est le gouvernement de l'Ontario qui a pris cette décision. Il pourrait revenir sur cette décision plus tard. S'il constate que le registre fédéral fonctionne bien, il décidera peut-être d'abandonner le registre provincial. C'est une décision qui revient entièrement au gouvernement de l'Ontario.

Cependant, les noms qui figurent dans le registre de l'Ontario seront transférés parce que l'Ontario l'a demandé. Toutes les provinces et tous les territoires ont accepté que les noms de ceux qui font l'objet d'une ordonnance selon leur propre système soient transférés au régime fédéral.

D'après ce que nous avons pu déterminer, et M. Hoover ou Mme Campbell pourront vous en dire plus long, cela ne veut pas dire qu'il pourrait y avoir contestation à l'égard de la Charte dans ce cas-ci. Il importe de se rappeler que les personnes visées font déjà l'objet d'ordonnances et que nous ne faisons que transférer les renseignements d'un système à un autre.

M. Doug Hoover, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice du Canada: Je signale que nous avons bien pris soin de garantir que le système serait sans faille pour les délinquants de l'Ontario. Il importe aussi de noter que si un délinquant purge encore sa peine en Ontario au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, il sera visé non pas par les dispositions relatives uniquement à l'Ontario, mais par la disposition générale qui figure à l'article 490.019. Si un délinquant a fini de purger sa peine mais est encore visé par le registre de l'Ontario, il sera aussi transféré au registre fédéral. Il n'y aurait cependant plus d'incapacité relative au registre de l'Ontario.

En outre, si, pour une raison quelconque, le délinquant n'est plus enregistré en Ontario, il cessera aussi d'être enregistré dans le registre fédéral. Nous avons vraiment pris toutes les mesures possibles pour garantir que l'incapacité cesserait à ce moment-là. Comme l'a signalé le ministre, tous les gouvernements provinciaux et territoriaux ont demandé à l'unanimité d'inclure non pas seulement les délinquants de façon rétroactive, mais aussi tous les délinquants enregistrés en Ontario.

Le sénateur Andreychuk: Je pense avoir établi ce que je voulais dire. Je ne considère pas l'application du système aussi uniforme que vous le prétendez et je pense qu'il y a possibilité de contestation aux termes de la Charte.

Mme McLellan: Ce n'est qu'un transfert d'information.

Le sénateur Andreychuk: Le registre devient maintenant national, ce qui veut dire en termes simples qu'il arrivera une chose pour les Ontariens sur la scène nationale qui n'arrivera pas aux habitants de la Saskatchewan, de l'Alberta, de la Colombie-Britannique, et cetera.

Mme McLellan: Pas vraiment. S'il s'agit de délinquants sexuels qui font l'objet d'une ordonnance, ils seront tous traités exactement de la même façon; c'est pour cela que nous considérons le système comme uniforme. Certaines provinces ont décidé de ne pas avoir leur propre registre pour l'instant. Seules les provinces peuvent prendre cette décision. Pour ma part, je considère qu'il y aurait une lacune énorme dans le projet de loi si l'on ne stipulait pas que les personnes qui sont déjà enregistrées dans le registre des délinquants sexuels de l'Ontario seront enregistrées dans le système national. Sinon, il y aurait une lacune dans le système et ce serait tout à fait malheureux de ne pas posséder ces renseignements.

Le sénateur Andreychuk: Le problème ne vient pas de ce qui arrivera dorénavant; je pense que vous avez raison de dire à ce sujet que les deux registres peuvent être combinés. Ce qui m'inquiète, c'est la période avant que le système fédéral ne soit activé s'il y a rétroactivité. Le système ne sera pas uniforme du point de vue de l'intéressé selon qu'il est en Ontario ou en Saskatchewan. C'est ce que j'essaie de dire. J'espère que cela ne causera pas de problème parce qu'il me semble que le système est sinon très bon. J'espère que son efficacité ne sera pas réduite par toutes sortes de contestations aux termes de la Charte à cause de cela.

Le président: Sénateur Andreychuk, si vous me le permettez, je voudrais poser une question supplémentaire. A-t-on pensé à ce qu'on peut faire à l'égard de délinquants sexuels venus d'autres pays? J'imagine que ce serait très difficile pour un délinquant sexuel de s'établir au Canada ou même de le visiter s'il possède un tel casier judiciaire.

M. Hoover: Nous avons examiné cette question de près et je pense que les ministres eux-mêmes ont examiné diverses possibilités. Ce serait difficile de prévoir quelque chose sur le plan du droit constitutionnel vu les contradictions entre les lois de divers pays. Les pays qui ont essayé de le faire ont eu toutes sortes de problèmes, surtout du côté des ressources. Il faut des ressources énormes pour créer un système viable à l'échelle nationale, sur le plan constitutionnel et en regard du droit international. Cela ne veut pas dire que c'est impossible, mais cela va beaucoup plus loin que ce que voulaient les provinces au départ. Les ministres avaient rejeté cette possibilité à l'époque.

Mme Mary Campbell, directrice générale intérimaire, Affaires correctionnelles et de justice pénale, ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile: Il y a d'autres outils pour les situations de ce genre, par exemple les ordonnances aux termes de l'article 810.1 du Code criminel. Si vous avez des inquiétudes quant à la possibilité que quelqu'un commette un délit sexuel quelconque, vous pouvez toujours obtenir une ordonnance de ce genre. Il y a aussi d'autres outils que vous pourriez utiliser.

Le sénateur Pearson: Je sais qu'il y a une section d'Interpol qui s'occupe des crimes contre les enfants. Je sais qu'il y a beaucoup d'échanges d'informations à ce sujet en Europe. Je ne demande pas que nous fassions la même chose, mais je tenais à signaler qu'il y a beaucoup d'échanges d'informations grâce à Interpol. Il faudra peut-être prendre d'autres mesures en ce sens plus tard, mais c'est un fait important.

Vous l'avez dit tout à l'heure, madame le ministre, ce projet de loi est un exemple emballant de collaboration entre les diverses autorités provinciales et diverses compétences. D'après ce que j'ai pu constater depuis que je suis au Sénat, en fait, la coopération en matière de justice pénale est chose courante et non exceptionnelle, dans les secteurs que vous avez cités et que je connais le mieux, notamment en matière de criminalité et d'exploitation sexuelle.

Il serait important que vous nous rappeliez qu'en contrepartie de l'appui que nous ont donné les provinces et les territoires, le gouvernement fédéral leur accordera un appui financier, étant donné que le registre et le suivi vont coûter cher. Pouvez-vous développer cet aspect? Il est important de parler des coûts de l'enregistrement.

Mme McLellan: Premièrement, le registre sera maintenu par la Gendarmerie royale du Canada, et mon prédécesseur dans le poste que j'occupe avait réservé des ressources supplémentaires, à hauteur de deux millions de dollars, pour la création du registre. Par la suite, je pense qu'on prévoit quelque 400 000 $, renouvelables tous les ans, pour les frais d'exploitation et d'entretien. Cela représente la contribution fédérale au coût du registre. Les provinces et les territoires — étant donné qu'il s'agit d'une véritable collaboration — ont accepté d'assumer tous les frais supplémentaires associés au registre, et il y en aura. Dans certains cas, ces frais pourraient être élevés, même si dans chaque province ou territoire, il n'y aura pas un grand nombre de personnes visées.

Toutefois, pour les provinces, il y aura des frais supplémentaires qui seront imputés à l'administration de l'appareil judiciaire pénal, lequel relève de leurs responsabilités en vertu de la Constitution, et elles ont accepté volontiers d'assumer ces frais. Elles estiment qu'il s'agit d'une entreprise conjointe en vue de protéger les Canadiens, en particulier les enfants, contre les délinquants sexuels. C'est un coût qu'elles sont prêtes à assumer comme faisant partie de l'administration de l'appareil judiciaire pénal.

Le sénateur Pearson: En outre, étant donné que vous avez dit que la loi serait revue dans deux ans, j'espère que quelqu'un au sein de votre ministère va surveiller la situation. Le comité fédéral-provincial-territorial sera, je suppose, maintenu pour surveiller la situation de très près. Vous allez pouvoir revenir dans deux ans nous dire ce qui a été fait et comment — à la personne qui me succédera ici — parce que j'aurai quitté le Sénat dans deux ans mais...

Le sénateur Joyal: Vous pouvez toujours revenir en tant que témoin.

Mme McLellan: Ce n'est pas de gaieté de coeur que nous vous verrons partir, sénateur Pearson.

Le sénateur Pearson: Je pense qu'il est important de désigner une personne pour qu'elle surveille de près la situation.

Mme McLellan: Je n'étonnerai personne en disant qu'étant donné que cette question intéresse beaucoup la population — car, comme je l'expliquais, les infractions sexuelles ont un effet particulier sur les victimes, la société en général et les collectivités — la création du registre a fait l'objet d'une attention minutieuse, tant de la part des élus, à tous les paliers, que des fonctionnaires, et cela ne changera pas. Nous allons surveiller la situation de près, pour mesurer l'efficacité et l'efficience des dispositions qui seront prises. La GRC se penchera tout particulièrement sur l'exploitation et l'entretien. Les forces de l'ordre à l'échelle du pays mesureront l'efficacité générale de cet outil, si bien que je peux vous garantir que, au sein de mon ministère — et à mon avis dans les ministères de la Justice provinciaux et territoriaux —, l'initiative va être surveillée de très près.

Le sénateur St. Germain: Lors des discussions avec un des chefs de police d'une grande ville, deux préoccupations ont été soulevées. Je ne sais pas si on en a tenu compte, madame la ministre. Pour ma part, je ne suis pas membre permanent du comité mais je suis un ancien agent de police et je suppose que c'est pour cela qu'on m'a pressenti. Jamie Graham, le chef de la police de Vancouver, et également, apparemment, le chef de la police de Toronto craignent très fort de ne pas pouvoir faire respecter les dispositions du projet de loi, telles qu'elles sont rédigées. Je pense qu'ils ont été invités à comparaître devant le comité.

Ma question, tout simplement, est la suivante: s'ils arrivent à nous démontrer qu'ils ne pourront pas faire respecter les dispositions législatives proposées, votre ministère serait-il prêt à envisager des amendements que notre comité proposerait et qui seraient soumis à l'autre endroit dans la mesure où les considérations constitutionnelles seraient préservées? Deuxièmement, le fait que les militaires ne pourraient pas être fichés a été soulevé. Je souhaiterais que vous me répondiez sur les deux sujets.

Mme McLellan: En ce qui concerne l'inquiétude soulevée par le chef de la police de Vancouver, à mon humble opinion, cette inquiétude n'est absolument fondée. Fait intéressant, tous les procureurs généraux provinciaux, les solliciteurs généraux provinciaux et territoriaux sont du même avis que moi. Je suppose qu'il y aura éternellement des opinions contraires en matière de droit dans le monde où nous vivons, mais je tiens à rappeler que les responsables politiques de ce registre se sont entendus sur le critère prévu dans les dispositions législatives.

Nous pensons que ce critère est équitable et nous pensons que c'est un juste milieu entre les intérêts de la société et les libertés civiles des gens qui sont accusés et condamnés.

Si l'on devait modifier ce critère, il nous faudrait consulter de nouveau nos collègues dans les provinces et les territoires car ils ont avec leurs avocats et les fonctionnaires évalué ce critère et travaillé avec les forces de l'ordre pour l'élaborer. Par conséquent, je comprends les opinions émises à propos du critère mais je ne partage pas les inquiétudes exprimées par le chef de la police de Vancouver ou encore celui de la police de Toronto.

En ce qui concerne votre deuxième question, à propos du ministère de la Défense nationale...

Le sénateur Nolin: Les militaires.

Mme McLellan: Comme vous le savez, ils ne sont pas visés actuellement par les dispositions du projet de loi mais nous sommes en pourparlers avec le ministère de la Défense nationale. Les fonctionnaires vous répondront plus en détail que moi là-dessus.

Il n'y a pas de désaccord quant à leur inclusion dans les dispositions. Là où cela achoppe, c'est à propos des rouages, car ce pourrait être assez substantiel étant donné les modifications législatives nécessaires. Les difficultés seront aplanies et nous présenterons un projet de loi à l'autre endroit, et ici également, pour apporter les modifications nécessaires afin que soient visés les délinquants sexuels condamnés dans le système de justice militaire.

Mon collègue et moi-même sommes tout à fait d'accord pour dire qu'il faut que les militaires soient inclus. Il suffit que le travail nécessaire soit accompli à cette fin.

Le sénateur St. Germain: Je crois comprendre que certains représentants de la GRC s'inquiètent de la façon dont le projet de loi est rédigé. Pour ma part, j'ai fait des patrouilles dans les rues, je connais l'aspect pratique du droit, et je pense qu'il n'y a rien de pire que des lois que l'on ne peut pas faire respecter. Cela crée des attentes et les agents de police sont sous d'énormes pressions.

Les chefs de police de deux des plus grandes villes du Canada contestent ces dispositions et c'est pourquoi j'espère — car je sais que vous avez à coeur les intérêts de chacun dans ce dossier, qui n'est pas facile — qu'une fois de plus vous réfléchirez à leur démarche pour le bien de tous et le succès de ce projet de loi, que tous les Canadiens et moi-même appuyons. C'est une bonne initiative législative.

Je voudrais que vous me disiez ce que vous pensez d'une chose qui a été soulevée ici. Des représentants de l'Association canadienne des professionnels de la police sont venus témoigner hier. Ils ont fait remarquer que la sanction était beaucoup plus sévère à l'égard de ceux qui n'enregistraient pas une arme comme l'exige les dispositions de l'ex-projet de loi C-68 qu'à l'égard de ceux qui ne s'enregistraient pas comme l'exige ce projet de loi. Dites-moi pourquoi une telle chose peut exister dans notre système? Il est entendu que le fait de ne pas enregistrer une arme comporte des conséquences mais dans ce cas-ci, le danger pour la société est beaucoup plus grand.

Mme McLellan: Ce sont deux régimes différents. Je ne pense pas qu'on puisse les comparer. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit utile de le faire.

Sur le plan administratif ou pénal, certains types d'actes entraînent des conséquences qui ne se comparent pas, Quand quelqu'un enfreint une interdiction, cela entraîne toute une gamme de conséquences différentes. Il appartient au législateur de décider quelles sont les conséquences appropriées compte tenu de l'acte interdit.

À cet égard, nous avons convenu avec nos collègues provinciaux et territoriaux de dicter les conséquences qui découleraient d'une infraction aux dispositions de ce projet de loi en particulier.

Vous pourriez analyser tous les divers régimes prévus pour divers types de gestes interdits. Je m'abstiendrai de parler de cela parce que je ne pense pas utile de comparer les conséquences dans le cas qui nous occupe et les conséquences qu'entraîne une infraction tout à fait différente. Je m'en tiendrai là.

L'Association canadienne des policiers appuie vigoureusement ces dispositions législatives. Si je comprends bien, elle n'a pas les mêmes inquiétudes que le chef Fantino ou le chef de la police de Vancouver. Je crois savoir que les chefs de police appuient ce projet de loi.

Il faut bien dire qu'un chef en particulier pourrait préférer que le libellé de l'alinéa 2(c)i) soit différent. Je respecte cette opinion mais il faut s'en tenir à ce que les ministres provinciaux, territoriaux et fédéral ont convenu. Il faut également se rappeler ce qu'ont dit les représentants de l'Association canadienne des policiers.

Le sénateur St. Germain: Je ne tiens certainement pas à débattre de cette question avec vous. Je voulais tout simplement faire part de leurs revendications.

Mme McLellan: Je comprends.

Le sénateur St. Germain: J'espère qu'au sein de votre ministère il y a la souplesse nécessaire pour que l'on apporte une solution logique si éventuellement le côté pratique est paralysé. J'ai confiance.

Le sénateur Joyal: Bienvenue, madame la ministre. Nous avons eu le plaisir d'échanger des vues avec vous par le passé. Nous sommes ravis de vous accueillir dans l'exercice de vos nouvelles fonctions. Nous espérons que la deuxième partie de la législation antiterroriste nous sera déférée pour que nous puissions avoir une discussion agréable avec vous là-dessus. Je ne sais pas ce que décidera le Sénat à cet égard mais je serais quant à moi ravi d'avoir l'occasion d'étudier ce projet de loi avec vous.

Mme McLellan: Comme vous le savez, la décision ne m'appartient pas.

Le sénateur Joyal: Je sais mais je pense que vous avez compris notre message, madame.

Pouvez-vous nous dire si à l'occasion du projet de loi, l'Association du Barreau canadien, la Commission de réforme du droit ou d'autres groupes de juristes, ceux qui d'habitude apportent leur contribution à l'élaboration des textes législatifs, sont intervenus ou se sont prononcés?

Mme McLellan: Monsieur Hoover, voulez-vous répondre à cette question?

M. Hoover: L'Association du Barreau canadien a envoyé un représentant témoigner devant le comité de l'autre endroit qui a étudié le projet de loi. Nous avons quant à nous rencontré les représentants de l'association à quelques reprises, deux fois, depuis un an, si je ne m'abuse. Ces représentants ont exprimé des inquiétudes semblables à celles exprimées par les membres du comité.

Toutefois, ils ont dit qu'il s'agissait ici d'une solution équilibrée, semblable à l'ADN. Les tribunaux ont décrété que dans ce cas-là, il n'y avait pas de contestations en vertu de la Charte et qu'il n'y avait donc pas de problèmes. Ce qui les inquiétait davantage, c'était d'éviter qu'il y ait confusion dès le départ, au tribunal, par les forces de l'ordre, au moment où il faudrait traiter le cas de ces individus. Nous sommes tombés d'accord avec eux là-dessus. Je ne peux pas me prononcer au nom du ministère mais assurément, Justice Canada va veiller à ce que l'on renseigne les magistrats dès le départ afin d'éviter les erreurs qui ont été commises dans le cas de textes de loi semblables.

Le sénateur Joyal: Nous aurons sans doute l'occasion de les entendre plus tard.

Je voudrais en revenir à la teneur du projet de loi et rappeler une inquiétude que j'ai déjà exprimée. La ministre et M. Hoover ont peut-être eu l'occasion de prendre connaissance de mes préoccupations.

En effet, l'article 6 de la Charte, sous la rubrique Liberté de circulation et établissement, dispose que: «Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer et d'en sortir». À la page 4 du projet de loi, le paragraphe 4(4) dispose que «l'intéressé ne peut quitter le Canada avant sa comparution». Cela illustre les inquiétudes que j'ai en ce qui concerne la Charte quand vous parlez d'un outil administratif. On peut en parler comme d'une mesure administrative mais l'impact du point de vue de la Charte est direct — sans aucun doute. Le droit de quitter le Canada est un droit, et toute personne qui a purgé sa peine, peut quitter le Canada.

Si je m'inquiète, c'est parce que cela touche directement la liberté de circulation. Vous dites que ce que vous proposez ne fait pas partie de la peine, mais il est difficile de ne pas voir les choses autrement. Le fardeau de la preuve est désormais imposé au délinquant et s'il n'arrive pas à établir la preuve nécessaire, cette mesure fait dès lors partie de sa peine.

Je sais que le ministère a beaucoup travaillé à cet article, mais quand le tribunal applique le critère de l'espoir à ce qui est raisonnable dans une société libre et démocratique, cela dépasse la signification du terme pour tenir compte de la réalité plus concrète. La ministre connaît bien les trois éléments de ce critère. Quand je songe aux éléments du critère de l'espoir dans le contexte de ce régime — et non pas le registre en soi, mais la façon dont nous constituerons le registre — j'ai du mal à comprendre que le fardeau est inversé, et qu'il ne s'agit pas d'une peine.

Mme McLellan: Vous soulevez certains points intéressants. Je vais d'abord parler de la liberté de circulation au Canada et des restrictions qui s'y rapportent. Nous avons élaboré ces dispositions de façon à limiter les restrictions à la liberté de circulation. Par exemple, actuellement si vous changez de province, il vous faut obtenir un nouveau permis de conduire et vous devez fournir aux autorités les renseignements exigés par cette province. Je suppose qu'on pourrait prétendre qu'il s'agit là d'une entrave à la liberté de circulation, mais c'en est une que nous acceptons. Assurément, nos avocats se sont penchés sur cette exigence et ils ne pensent pas que le fait de devoir signaler un changement d'adresse constitue une entrave à la liberté de circulation au pays.

Nous avons essayé de veiller à ce que les gens puissent se déplacer à l'intérieur du pays. Les gens n'ont pas à s'inscrire avant que ne se soient écoulés 15 jours après leur libération ou leur déménagement. Ainsi, cette limite à la liberté de circulation n'est pas plus imposante que celles auxquelles nous sommes astreints couramment dans la société civile.

Deuxièmement, il n'y a pas d'interdiction de quitter le pays. Si je comprends bien, ce n'est que 15 jours après le retour au Canada que l'on doit déclarer son absence et des absences temporaires n'ont pas besoin d'être signalées à moins qu'elles ne dépassent 15 jours, et cela peut se faire par la poste. Il sera sans doute nécessaire de se soumettre à un processus administratif pour respecter les dispositions du projet de loi. Les entraves et les limites sont minimes. M. Hoover a peut-être quelque chose à ajouter.

M. Hoover: Premièrement, je dois dire que vous avez repéré un élément évident. Le paragraphe 4(4) dispose que les délinquants sexuels ne peuvent pas quitter le Canada. À première vue, cela semble contraignant. Toutefois, en réalité, il faut comprendre que l'individu n'est tenu que de s'inscrire. Ce n'est pas trop contraignant pour lui de le faire avant de monter à bord d'un avion ou de passer la frontière en voiture. À notre avis, c'est une réponse proportionnelle. Autrement dit, les exigences administratives prévues dans le projet de loi peuvent être satisfaites sans être trop lourdes. Nous ne demandons pas au délinquant de retarder son voyage ou de se soumettre à un processus excessif. Encore une fois, c'est un processus relativement rapide, exigé seulement une seule fois après le prononcé de l'ordonnance. Après cela, il n'y a aucune exigence entourant le départ du pays. C'est le contraire en réalité.

Certaines provinces et certains territoires ont cru que c'était la façon idéale de faire. D'après les avis juridiques, cette exigence d'inscription n'était pas trop lourde. En effet, la police canadienne pourra ainsi faire enquête, dans la mesure où les délinquants signalent leur retour au Canada ou leur absence prolongée, car ainsi l'objectif du projet de loi est atteint.

Nous n'avons rien épargné pour... ce ne sont pas seulement les dispositions de la Charte qui ont retenu notre attention, mais le fait que dans d'autres provinces ou territoires on a constaté que si se conformer à la loi était trop difficile, les délinquants avaient tendance à la contourner et entrer dans la clandestinité. Comme cela était reconnu partout, on s'est efforcé de veiller à ce que non seulement les dispositions de la loi rendent l'inscription facile, mais également les règlements provinciaux. Par exemple, une collectivité isolée où vivrait un délinquant sexuel trouverait peut-être difficile de gérer une inscription annuelle. Dans ce cas-là, la province voudra adopter une loi prévoyant d'autres méthodes d'inscription au besoin.

Mme Campbell: Certains ont demandé que le délai de 15 jours soit raccourci — qu'il soit de 48 heures, par exemple. Aucun détail n'a été arrêté à la légère et tous sont le fruit d'une longue discussion. La première obligation est celle de comparaître avant de pouvoir quitter le Canada. Toutefois, comme l'a dit M. Hoover, le délinquant dispose de 15 jours après son retour au Canada pour toutes ses comparutions subséquentes, la comparution annuelle ou celle qui signale un déménagement à l'intérieur des frontières.

Le sénateur Joyal: Quels sont les rapports entre cet article et ce qui est prévu dans le projet de loi C-7 pour les banques de données que les lignes aériennes vont tenir sur les voyageurs qui quittent le Canada? Le tribunal peut-il ordonner une éventuelle inscription?

Mme Campbell: La question de l'appariement des données a été controversée. On se souciait d'éviter l'appariement non souhaitable avec d'autres banques de données, comme les inscriptions à l'assistance sociale. Le projet de loi présente un cadre assez restreint. Nous avons entendu les arguments des deux bords à cet égard. Le projet de loi contient ce que les gens estiment être le compromis le plus pratique.

Le sénateur Joyal: La ministre a-t-elle quelque chose à dire là-dessus?

Mme McLellan: Quand je reviendrai au Sénat pour le projet de loi C-7, j'aurai certainement l'occasion de me prononcer là-dessus. Comme Mme Campbell l'a dit, c'est avant tout une question de couplage des données. Dans le projet de loi C-7, même si je n'ai pas le libellé des dispositions sous les yeux, l'utilisation de ces renseignements collectifs est capitale. Je n'ai pas sous les yeux la liste des infractions sur lesquelles des renseignements vont être recueillis et signalés en vertu des dispositions du projet de loi C-7, mais je sais qu'il s'agit de crimes graves. Il s'agit essentiellement des crimes avec violence, mais pas exclusivement.

Le sénateur Joyal: D'après les dispositions du projet de loi C-7, certaines infractions sexuelles seraient visées, plus particulièrement celles qui entraînent une peine de plus de cinq ans.

Mme McLellan: À coup sûr, le viol, personne ne le contredira, est l'une des infractions violentes les plus graves.

Le sénateur Joyal: Oui, il s'agit d'une agression sur la personne. Effectivement, ce genre de crimes serait signalé dans la banque de données prévue dans le projet C-7 et partagé avec d'autres pays. Une des grandes difficultés du projet de loi C-7 est la portée de diffusion de ces renseignements.

Mme McLellan: En effet.

Si vous le voulez bien, je réserverai mes remarques là-dessus pour l'occasion où je comparaîtrai pour l'étude du projet de loi C-7.

Le sénateur Joyal: Je veux bien mais, comme vous le comprenez madame, c'est important.

Mme McLellan: Absolument. C'est une question importante.

Le sénateur Joyal: Quand le Parlement doit étudier en même temps deux textes législatifs qui traitent de la cueillette et de l'entreposage de données, il est important d'aborder les choses dans une perspective générale pour que nous puissions mesurer l'impact de l'ensemble des mesures. Comme le sénateur St. Germain l'a dit, légiférer signifie limiter la liberté des gens parfois. Ces deux textes législatifs auront manifestement un net impact sur la liberté de circulation des gens.

Mme McLellan: Il est entendu que nous voulons tous garantir le mieux possible la sécurité de tous les Canadiens. Ce doit être fait en gardant constamment à l'esprit la Charte des droits et libertés et les valeurs fondamentales canadiennes.

Nous pensons y avoir réussi dans ce cas-ci. Nous pensons y avoir réussi dans le cas du projet de loi C-7, mais monsieur le président, il faudra attendre un autre jour pour en débattre.

Le président: Merci, sénateur Joyal. Je dois vous interrompre car la ministre doit partir dans moins de 10 minutes. C'est le sénateur Nolin qui posera la dernière question.

Dans la même veine que les questions du sénateur Joyal les dispositions du projet de loi C-7 prévoient qu'un mandat d'arrestation non exécuté va déclencher l'enquête dans le CIPC, n'est-ce pas?

Mme McLellan: Oui.

Le sénateur Nolin: Il est bon de vous voir, madame le ministre.

Mme McLellan: Pareillement, sénateur.

Le sénateur Nolin: Nous sommes loin des dossiers de la santé nationale.

Merci d'avoir fourni une réponse quant aux militaires. Cela m'a rappelé le projet de loi C-3 quand nous étudiions la banque de données des militaires.

Je vais me borner à la deuxième liste d'infractions. Je voudrais comprendre la logique politique en l'occurrence. Pourquoi prévoir deux listes d'infractions?

Je vais vous dire directement quelles sont mes inquiétudes. Le seuil est important pour la poursuite de l'accusé car pour que ce deuxième niveau d'infractions intervienne, il faut prouver l'intention. Me comprenez-vous?

Mme McLellan: Parlez-vous des infractions énumérées à l'alinéa 491.011(1)b) — «[infraction] prévue à l'une des dispositions suivantes»?

Le sénateur Nolin: Oui. Toutefois, voyez quelle est l'intention de la Couronne au paragraphe 490.012(2). La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que la personne déclarée coupable de l'infraction avait l'intention de commettre une infraction visée aux alinéas a), et b). Pour toute infraction citée à l'alinéa b), la poursuite va devoir prouver hors de tout doute raisonnable que la personne accusée avait l'intention de commettre une infraction citée à l'alinéa a). Pourquoi alors ne pas poursuivre la personne accusée en invoquant l'alinéa a) dès le départ? Comprenez-vous ma question? Je voudrais savoir pourquoi on a choisi ce libellé.

Mme McLellan: Selon moi, les infractions citées à l'alinéa b), contrairement à celles qui figurent à l'alinéa a), sont des crimes qui, à première vue, ne sont pas de nature sexuelle par définition, n'est-ce pas? Par exemple, l'homicide involontaire ou encore l'introduction par effraction dans une maison d'habitation avec intention d'y commettre un acte criminel ne sont pas de nature sexuelle par définition. À première vue, ces crimes ne comportent rien de sexuel mais, au moment où le crime est perpétré, il peut y avoir eu une infraction ou un acte de nature sexuelle. Toutefois, il est toujours possible de poursuivre en vertu de l'alinéa b). Cela fait partie du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, comme vous le savez.

Le sénateur Nolin: Le fardeau de la preuve sera important parce qu'il va falloir établir la preuve hors de tout doute raisonnable.

Mme McLellan: Pour cet aspect-là, oui.

Le sénateur Nolin: C'est-à-dire qu'il va falloir prouver l'intention.

Mme McLellan: À cet égard, oui.

Le sénateur Nolin: C'est un aspect important.

Mme McLellan: Il s'agit de délinquants sexuels. S'il y a introduction par effraction, la poursuite pourra décider de retenir ce chef d'accusation. Au moment où le crime est perpétré, il peut y avoir aussi une infraction sexuelle, mais la poursuite pourra quand même choisir comme chef d'accusation l'introduction par effraction et pas autre chose.

Mme Campbell: Les poursuivants provinciaux ont illustré leur inquiétude, par exemple, de l'intrusion de nuit. Il se peut que vous vous trouviez sur la propriété de quelqu'un alors que vous ne devriez pas y être. Vous prenez un raccourci, mais il se peut qu'il y ait eu également un acte de voyeurisme. Les poursuivants provinciaux s'inquiétaient de ce genre d'infraction à connotation sexuelle.

Le sénateur Nolin: Ils veulent être capables d'appliquer la loi, n'est-ce pas?

Mme Campbell: C'est cela.

Le sénateur Nolin: Cela me semble un peu singulier car il y a dans la liste trois infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité sans peine précisée. Il y en a une à l'alinéa a) et deux à l'alinéa b). Cela signifie qu'interviendra l'article 787 du Code. La peine est de six mois ou une amende de 2 000 $, ou les deux. Si une personne est déclarée coupable d'une telle infraction, la peine maximale est de six mois d'emprisonnement. Si les dispositions du projet de loi citent ce genre d'infraction, la personne coupable verra son nom versé dans un registre pour au moins dix ans.

Mme McLellan: Il ne faut pas oublier que l'ordonnance n'est pas rendue automatiquement lorsqu'il y a condamnation et peine.

Le sénateur Nolin: Le juge doit prendre la décision.

Mme McLellan: C'est exact. Le délinquant a ainsi l'occasion de faire valoir que l'effet est disproportionné et qu'il faut tenir compte de tous les faits et de la réalité de ce qui s'est produit. Il peut expliquer qu'une ordonnance ne devrait pas être rendue dans son cas puisque cela aurait des effets disproportionnés sur sa vie et celle de sa famille.

Il pourrait donc présenter ces arguments. M. Hoover me dit que si le délinquant était inclus, il pourrait faire valoir ces arguments au sujet des effets disproportionnés devant un tribunal qui pourrait évaluer toutes les circonstances après avoir entendu le procureur et le délinquant. Toutefois, si une ordonnance est rendue contre lui, il peut se présenter devant le tribunal après cinq ans pour en demander la levée.

Le sénateur Nolin: Oui.

Mme McLellan: Il existe des mesures de protection importantes pour éviter qu'une telle ordonnance puisse nuire de façon disproportionnée à ceux qui en font l'objet.

Le président: Merci beaucoup, madame la ministre.

Mme McLellan: C'est toujours un plaisir pour moi de venir vous rencontrer. Nous nous reverrons bientôt.

Le président: Merci également à vos fonctionnaires.

Nous allons maintenant passer au projet de loi C-250.

Le sénateur Tkachuk: J'invoque le Règlement.

Le président: Avant d'inviter notre prochain groupe de témoins, le sénateur Tkachuk a invoqué le Règlement.

Le sénateur Tkachuk: Je ne suis pas certain s'il convient d'invoquer le Règlement ou s'il s'agit plutôt d'une question de privilège personnel. Hier, nous avons entendu le témoignage de M. Robinson au sujet du projet de loi C-250. Il a présenté quelques arguments. Tout d'abord, il a dit qu'avant 1969 — ou peut-être bien 1971 — l'homosexualité était illégale — et nous en avons discuté. Vous vous rappellerez que j'ai mis en doute sa définition, puisque nous parlons d'orientation sexuelle, une expression qui dérange bon nombre des gens qui nous écrivent et qui s'inquiètent au sujet de ce projet de loi. Nous devrions demander à la Bibliothèque de rédiger un sommaire au sujet de ces amendements.

Premièrement, je ne crois pas que l'homosexualité était illégale. Ce sont les actes qui étaient illégaux. L'homosexualité est probablement allée à l'encontre des normes de certaines collectivités, périodiquement. Autrement dit, un juge a peut-être déclaré qu'un baiser entre hommes ou entre femmes pouvait être considéré choquant dans certaines collectivités, mais ce n'était pas le cas dans d'autres.

L'argument qu'il a fait valoir hier n'était donc pas juste. Nous devrions nous assurer, aux fins du compte rendu de nous entendre tous sur ce dont il parlait.

Il a fait une deuxième déclaration qui m'a particulièrement choqué, c'est-à-dire que les leaders religieux du Canada ne s'opposent pas à ce projet de loi, à l'exception de l'Alliance évangélique du Canada. C'est tout simplement faux. La Conférence des évêques catholiques du Canada est certes considérée comme un des leaders religieux de ce pays, et elle a envoyé des lettres au comité de la Chambre des communes à ce sujet. La Conférence s'oppose au projet de loi C-250. Je la considère comme l'un des leaders religieux.

Si nous voulons traiter de ce projet de loi comme il convient, nous devons être prudents dans nos propos. Nous sommes des parlementaires et je suis choqué — ce député devrait savoir qu'il vaut mieux nous dire la vérité. J'en suis offensé.

Je ne sais pas si je dois invoquer le Règlement à ce sujet ou indiquer qu'il s'agit d'une question de privilège personnel, mais je le signale.

Le président: Sénateur Tkachuk, si nous voulons que nos délibérations d'aujourd'hui soient efficaces, puis-je proposer que la présidence obtienne une copie de la transcription — que je n'ai malheureusement pas sous les yeux — et que notre attaché de recherche prépare l'historique, qui sera distribué aux membres du comité avant la prochaine réunion? Une fois que nous aurons eu l'occasion de lire la transcription, je propose que nous invitions M. Robinson de nouveau pour répondre aux questions que vous avez soulevées aujourd'hui. Est-ce que cela vous irait?

Le sénateur Tkachuk: Eh bien...

Le président: Autrement dit, il est difficile de régler cette question sans la transcription.

Le sénateur Cools: Malgré tout le respect que je dois au sénateur Tkachuk, je crois que ce que M. Robinson a dit, c'est qu'aucune des principales religions, et non aucune des religions, mais évidemment...

Le sénateur Tkachuk: Le conseil catholique.

Le sénateur Cools: La Conférence des églises catholiques du Canada est considérée comme une église importante. Il vaut mieux régler cette question tout de suite. Ce que j'ai entendu et compris des propos de M. Robinson, c'est que les principales églises ne s'y opposaient pas. Toutefois, il suffira de voir ce qui est écrit — mais vous semblez avoir compris quelque chose de différent. Vous avez toutefois raison, puisque...

Le sénateur Tkachuk: Tout ce que j'ai dit, c'est que je n'étais pas certain, mais c'est ce que j'en ai déduit. Je sais qu'il a précisé un peu ce qu'il en est lorsqu'il a dit que l'Alliance évangélique du Canada — une église assez importante au Canada à mon avis — s'opposait au projet de loi. Mais la Conférence des églises catholiques s'y oppose également. J'aimerais donc savoir...

Le président: Chers collègues, le fait que nous ayons entrepris cette discussion montre bien que nous avons besoin de la transcription.

Le sénateur Tkachuk: Je suis d'accord avec vous.

Le président: Nous avons invité d'autres témoins devant nous aujourd'hui et nous n'avons plus beaucoup de temps. Sénateur St. Germain, à moins que vous ayez une question à poser et non un argument pour ce débat...

Le sénateur St. Germain: J'ai une question. Si nous voulons demander à la Bibliothèque de déterminer si le comportement homosexuel est illégal ou non, comme il l'a dit je crois...

Le président: Non, le sénateur Tkachuk a simplement demandé si notre attaché de recherche pourrait nous présenter un historique et des précisions, pas une décision.

Le sénateur St. Germain: Eh bien, si nous leur confions cette tâche, si c'est la volonté du comité, je demanderais à ce qu'on explique également l'expression «orientation sexuelle» afin que nous en ayons une définition claire.

Le président: J'en prends bonne note. Je ne crois pas que le comité s'y oppose.

Des voix: D'accord.

Le président: J'invite notre groupe de témoins à prendre place.

À vous la parole.

M. Dave Jones, directeur, Services de prévention du crime, Downtown Vancouver Business Improvement Association: Honorables sénateurs, permettez-moi de préciser qui je représente devant vous. Je suis un ancien commandant de district de la péninsule du centre-ville. Ce territoire inclut le district commercial du centre-ville, les zones du West End et une population gaie assez nombreuse qui vit et travaille dans cette région. Aujourd'hui, je comparais devant vous avec la bénédiction du constable en chef du service de police de Vancouver, pour faire suite au témoignage que j'ai présenté au Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Je suis donc ici pour présenter le point de vue du service de police de Vancouver.

Nous vous avons remis un mémoire détaillé. Je vais vous en donner les grandes lignes et je vais essayer de parler un peu plus lentement.

Le président: Je vous signale, monsieur Jones, que vous devrez vous en tenir à cinq minutes. Votre mémoire est très long, veuillez donc vous limiter aux éléments qui sont les plus intéressants pour...

M. Jones: J'en ai déjà extrait les éléments dont je veux traiter, et j'espère que je pourrai le faire rapidement. En 2001 et 2002, la police de Vancouver a effectué une analyse des crimes de haine et de préjugés à la suite de l'agression et de l'assassinat d'un homosexuel au parc Stanley. Cinq personnes ont déjà été arrêtées et accusées relativement à ce meurtre. Un jeune a déjà plaidé coupable et reçu une peine. Dans le rendu de la peine, le juge en instance a déclaré qu'attaquer et battre Aaron Webster était en fait un crime de haine au sens de l'article 718 du Code criminel. Un autre adolescent a depuis lors été arrêté et a plaidé coupable. Deux adultes arrêtés dans cette affaire sont actuellement devant les tribunaux.

Ce décès a suscité dans la population de Vancouver une vague d'émotion qui s'est traduite par une résolution transmise par le service de police de Vancouver à l'Association canadienne des commissions de police. L'Association a appuyé une résolution demandant à ce que l'orientation sexuelle soit ajoutée au paragraphe 318(4) du Code criminel. Cela a mené ensuite à la résolution adoptée l'an dernier par l'Association canadienne des chefs de police dont j'ai une copie et que je remettrai au comité. Dans la résolution, l'Association canadienne des chefs de police exhorte le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du ministre de la Justice et du Procureur général, à modifier le Code criminel du Canada en y ajoutant l'orientation sexuelle dans la liste des groupes identifiables du paragraphe 318(4).

Les résultats de l'étude réalisée à Vancouver sont fascinants. Nous nous sommes penchés sur douze groupes définis dans l'article 718 et protégés par celui-ci, qui stipule des peines supplémentaires en cas d'infraction motivée par la haine ou par les préjugés à l'encontre de l'un des douze groupes. Citons parmi les facteurs mentionnés la race, l'origine nationale ou ethnique, la langue, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, la déficience mentale ou physique. Le paragraphe 318(4) accorde des protections supplémentaires à quatre groupes identifiables, qui se différencient des autres par la couleur, la race, la religion ou l'origine ethnique. Or, à Vancouver, il y avait seulement cinq groupes faisant état d'incidents. Le cinquième groupe était celui distingué par l'orientation sexuelle.

Sur ces cinq groupes, l'orientation sexuelle représentait 38 p. 100 des incidents de haine et de préjudices. Qui plus est, en matière de voies de fait et de vols qualifiés, l'orientation sexuelle constituait la base de 62 p. 100 des actes de violence visant des individus, quatre d'entre eux étant protégés en vertu du paragraphe 318(4) et un d'entre eux protégé de plus en vertu de l'article 718.

La Cour suprême du Canada a rendu un certain nombre d'arrêts touchant l'orientation sexuelle, que la police tient pour principes directeurs pour protéger les personnes faisant partie des communautés homosexuelle, lesbienne, transgenre et bisexuelle. L'argument en faveur de l'ajout de l'orientation sexuelle au paragraphe 318(4) doit être replacé dans le contexte des observations de la Cour suprême du Canada.

Deux affaires viennent à l'esprit. Egan est une affaire fédérale mettant en cause des avantages sociaux fédéraux:

Dans l'arrêt Egan, il a été décidé, en raison des «désavantages sociaux, politiques et économiques» dont souffrent les homosexuels, de l'émergence d'un consensus législatif, et des décisions judiciaires antérieures, que l'orientation sexuelle constitue un motif analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1). L'orientation sexuelle est une «caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n'être modifiée qu'à un prix personnel inacceptable».

La situation est analogue à celle des autres groupes protégés.

Dans les remarques de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vriend c. Alberta, le juge déclare:

La souffrance psychologique est peut-être le préjudice le plus important dans de telles circonstances. La crainte d'être victime de discrimination mènera logiquement à la dissimulation de son identité véritable, ce qui nuit certainement à la confiance en soi et à l'estime de soi. S'ajoute à cet effet le message tacite découlant de l'exclusion, savoir que les homosexuels, contrairement aux autres personnes, ne méritent aucune protection. Il s'agit clairement d'une distinction qui avilie la personne et qui renforce et perpétue l'idée voulant que les homosexuels soient des personnes moins dignes de protection au sein de la société canadienne.

Le risque d'infraction motivée par l'orientation sexuelle s'étend, en outre, à d'autres personnes. En Colombie- Britannique, dans l'affaire Jubran, un jeune homme qui n'était pas homosexuel a été en bute à des insultes homophobiques de nature si extrêmes que, selon les mots du juge Stewart, il vivait «un véritable enfer». Chez les jeunes qui deviennent homophobes, cela découle de l'échec de la société à reconnaître l'orientation sexuelle comme facteur à protéger.

L'absence de l'orientation sexuelle au paragraphe 318(4) amplifie cette croyance, que ne peut régler l'inclusion de ce facteur à la conclusion de l'article 718.2, article qui traite de la détermination de la peine et ne reconnaît pas pleinement la réalité de la haine exprimée publiquement envers ce groupe. La recherche offre amplement d'exemples que les seules personnes subissant ces types de comportements condamnés à l'article 319 et non inclus au paragraphe 318(4) sont celles qui se distinguent par l'orientation sexuelle.

Le revers de l'argument est que l'absence de l'orientation sexuelle au paragraphe 318(4) sert à maintenir ou à appuyer les idées homophobes ou les croyances hétérosexuelles. La police se préoccupe du risque particulièrement grave que font courir à la jeunesse l'intimidation, la violence et le suicide.

Il y a une section que je vous laisserai lire: le nombre d'incidents en Colombie-Britannique où de jeunes hommes ont perdu la vie, après avoir été victimes d'abus homophobes exceptionnels et d'insultes exceptionnelles ayant trait à l'orientation sexuelle.

L'histoire montre que l'intolérance et la haine motivées par l'orientation sexuelle se comparent aux vécus d'autres groupes, inclus en raison de la race de la couleur de l'origine ethnique et de la religion. L'histoire de l'intolérance motivée par l'orientation sexuelle se compare à l'histoire de la lutte de ces groupes pour leurs droits civils. La police estime qu'il est peu probable de protéger ce groupe et de changer véritablement les attitudes des Canadiens, sans inclure l'orientation sexuelle dans le paragraphe 318(4).

En 1986, le gouvernement a répondu à un rapport publié en 1985 par le comité parlementaire chargé des droits à l'égalité, intitulé «Égalité pour tous». Le comité indiquait être choqué par la prévalence de traitements discriminatoires à l'encontre des homosexuels au Canada.

L'opposition au projet de loi C-250, afin de protéger les opinions religieuses, inquiète la police qui craint que les homosexuels restent exposés au danger. D'autre part, il existe, à mon sens, une protection adéquate dans l'amendement au projet de loi C-250 couvrant les personnes ayant de bonne foi exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel elles croient.

En conclusion, l'histoire de la haine et des préjugés envers les homosexuels et la nécessité de lutter pour les droits fondamentaux portent à l'inquiétude. Du point de vue des services policiers, la collectivité des homosexuels, des lesbiennes, des transgenres et des bisexuels a besoin d'une protection supplémentaire, que peut lui procurer le paragraphe 318(4). Cette protection, il est peu probable qu'elle se traduira par l'arrestation de personnes qui seront appelées à comparaître devant les tribunaux. Au lieu de cela, il y aura un effet plus subtil, celui du gouvernement du Canada reconnaissant, en reformulant autrement le paragraphe 318(4), la nécessité de protéger les homosexuels de la même façon que les autres citoyens en raison de leur couleur, de leur origine ethnique, de leur race ou de leur religion. Cette puissante reconnaissance, espérons-le, amorcera la même transition dans les comportements qui rendent socialement et criminellement inacceptables les comportements nuisibles à l'égard des groupes protégés.

Les services policiers de Vancouver appuient le projet de loi C-250. Tous les procureurs généraux des provinces du Canada ont indiqué être en faveur du projet de loi. L'Association canadienne des commissions de police appuie le projet de loi. Le groupe des amendements juridiques de l'Association canadienne des chefs de police a écrit l'an dernier une lettre et y a donné suite avec la résolution que j'ai soumise ici aujourd'hui.

Je voudrais conclure en disant ceci: il y a au Canada des enfants qui se réfugient dans la rue. Ils vivent dans la peur d'être découverts. Dans des cas extrêmes, ils se suicident. La mesure législative envisagée aurait dû être adoptée il y a longtemps; il est urgent qu'elle le soit avant que le gouvernement actuel déclenche des élections. Trop de temps a passé avant qu'on arrive au point où on en est aujourd'hui. Il est urgent de donner aux enfants l'occasion de vivre pleinement leur vie, dans l'acceptation et le respect. Il y a des générations actuelles et passées qui ont dû à affronter des difficultés pour vivre les vies ordinaires des autres Canadiens. Certaines personnes n'ont d'ailleurs pas survécu à cet affrontement.

Le président: Merci, monsieur Jones. Madame Homes, à vous la parole.

Mme Hilary Homes, militante, Amnistie Internationale (section canadienne): Je travaille avec Amnistie Internationale à une campagne contre les infractions motivées par l'identité et contre l'impunité.

J'ai apporté avec moi un mémoire. Je regrette seulement qu'il n'ait pas été disponible à l'avance. J'en relèverai les faits saillants et je mettrai les choses en perspective dans le contexte international.

En 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme a établi un cadre contre la discrimination qui garantit que nous sommes tous libres et égaux en dignité et en droits. Toutefois, nous avons passé les cinq dernières décennies à spécifier qui «tous» englobe et continuerons à le faire.

Au niveau international, je suis heureuse de dire que le Canada a clairement pris position en faveur de la protection des personnes persécutées du fait de leur orientation sexuelle. Vous trouverez dans notre mémoire une liste de quelques-unes des situations en question. Notez, en outre, que, au moment où nous parlons, la Commission des droits de l'homme des Nations Unies entend une résolution parrainée par le Canada et par un certain nombre d'autres pays à propos de l'orientation sexuelle et de la non-discrimination.

Qui dit non-discrimination dit nécessité de mesures visant à empêcher qu'une personne subisse un préjudice ou des abus du fait de son identité réelle ou perçue. Constater l'infraction après coup est bien joli, mais il faut aussi des mesures de prévention. Ainsi le Canada reconnaît-il, depuis des années, la persécution motivée par l'orientation sexuelle comme fondement admissible pour une demande de droit d'asile.

Nous estimons vital, quant à nous, que les lois s'appliquant à l'intérieur du pays reflètent cet engagement. Et le projet de loi examiné maintenant constitue un ajout important aux protections existantes.

Si le Canada veut respecter ses engagements internationaux contre la torture et les mauvais traitements, il faut garder deux choses à l'esprit: premièrement, que les termes «torture» et «mauvais traitements» couvrent l'intégrité physique, mais aussi l'intégrité mentale. Il s'agit donc de prendre en considération les attaques physiques mais aussi l'impact d'expressions de haine répétées.

Deuxièmement, les engagements du Canada, qui lient les représentants de l'État dans l'exercice de leurs fonctions, requièrent aussi une diligence raisonnable pour envisager et empêcher des actions préjudiciables de la part d'individus. C'est un rappel au vu des normes internationales dont tient compte Amnistie Internationale.

La recherche d'Amnistie Internationale nous montre que quand il s'agit de l'expression de la haine, — M. Jones vous l'a déjà dit et mes collègues d'Egale vous le répéteront — nous avons manifestement affaire à un groupe visé. D'autre part, le fait est que la discrimination prend plusieurs aspects et se fait à plusieurs niveaux d'organisation. Prenez le cas de l'intimidation dans une cour d'école ou dans un quartier à cause de l'orientation sexuelle de quelqu'un ou de l'orientation sexuelle qu'on lui attribue, et ne perdez pas de vue un facteur clé: l'existence d'un groupe visé. C'est un aspect significatif de la question.

Prenez, à un autre niveau, le cas d'actions de représentants officiels. Là, je vais vous donner un exemple au niveau international qui nous préoccupait. Le ministre des Affaires intérieures de la Namibie a déclaré, dans un discours prononcé devant des agents de police à la conclusion de leurs études, qu'ils devaient éradiquer les homosexuels, hommes et femmes, du sol namibien — littéralement. Et je ne parle pas d'une époque reculée; c'est un commentaire qui date de deux ans. Nous avons une foule de rapports précisant les abus qui ont lieu dans ce type de contexte, ainsi que le type de langage utilisé. J'en ai apporté un, résultat d'une campagne récente contre la torture.

L'obligation de prévenir la violence, spécifiée dans le rapport en question et en bien d'autres endroits, sous-entend la nécessité d'envisager le climat propice à la violence et de chercher à le changer. Dans cette optique, il est important d'indiquer clairement qu'un groupe vulnérable ne devrait pas être isolé, et ne peut pas l'être. C'est une mesure très importante.

Regardons un peu ce qui se passe au-delà de nos frontières. Nous savons que les instances gouvernementales et la société civile s'inspirent des mesures législatives adoptées par d'autres pays, voient les prises de position appuyées par les mécanismes internationaux et régionaux et suivent ce qui se passe. Pour ma part, j'ai été particulièrement émue par les efforts de l'Afrique du Sud pour créer une nouvelle constitution, au milieu des années 90, et pour assumer un héritage de haine sur une multitude de plans. Dans ce pays, où l'expression de la haine s'était traduite par une incroyable violence, on a inclus l'orientation sexuelle dans la liste des dispositions visant à l'égalité et à la protection. En rédigeant leur plan national d'action, inspiré par leur constitution, les Sud-Africains y ont inclus une longue liste de groupes protégés. C'est un reflet des situations auxquelles le pays a dû faire face, en matière de propagande haineuse, et de la volonté de la société de marquer un changement et de le préciser.

Ceci m'amène au dernier point que je voulais signaler: l'aspect interrelié des identités et la liste des groupes identifiables dans la loi. Je sais que les gens se méfient des listes: ce qui y figure, ce qui en est exclu, l'évolution de la liste, son élargissement à une vingtaine de groupes...

Il y a une chose, toutefois, qu'il importe de ne pas perdre de vue: que notre compréhension de l'identité n'est pas statique. La liste des groupes évoluera avec le temps et c'est là un changement important. C'est une évolution que l'on constate en droit international. Comme je l'ai précisé auparavant, nous étions au départ tous égaux en dignité et en droits. Ensuite, il a fallu spécifier qui était «tous». Il a fallu élaborer une convention pour l'élimination de la discrimination raciale, de la discrimination à l'encontre des femmes, et cetera. Il a fallu comprendre comment les identités se chevauchaient et comment cela se traduisait par des vulnérabilités, la nature des infractions et comment la protection et la prévention pouvaient entrer en jeu.

Il faut faire face au problème de la haine. C'est un terreau fertile où prennent racine les infractions à l'encontre des droits de la personne. Il est important d'y faire face.

Le président: Merci, madame Homes. Monsieur Arron ou monsieur Fenton, l'un d'entre vous souhaite-t-il faire un exposé?

M. Laurie Arron, directeur des affaires juridiques et politiques, Egale: Je crois que nous parlerons à tour de rôle.

Le président: Notez que vous ne disposez pas pour autant de deux fois le temps autorisé.

M. Arron: Nous allons juste passer en revue rapidement notre mémoire, que vous avez tous reçu.

Je suis directeur des affaires juridiques et politiques de Égale Canada. Pour ceux d'entre vous qui l'ignorent, Egale est un groupe qui existe à l'échelle du pays et qui promeut l'égalité et la justice pour les personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles et transidentifiées, ainsi que leur famille.

Le problème auquel nous faisons face aujourd'hui est en fait très simple. Il ne s'agit pas de savoir s'il convient d'ajouter la mention d'orientation sexuelle, mais de savoir comment on pourrait ne pas l'ajouter. Il n'y a pas de bonne réponse, mais on a entendu beaucoup d'informations incorrectes, en particulier quant à la portée du Code criminel.

Je voudrais passer la parole à mon collègue, M. Trevor Fenton, pour qu'il traite de la question. Il a effectué des recherches approfondies sur les conséquences juridiques du projet de loi C-250.

M. Trevor Fenton, membre, Egale: Comme M. Robinson vous l'a dit hier, l'article 319 du Code criminel assure déjà une protection substantielle à la liberté de religion. C'est particulièrement manifeste à la lecture de l'alinéa 319(3)b), qui précise sans équivoque pour les tribunaux que la Bible et les autres Écritures saintes ne constituent pas une littérature haineuse et ne peuvent justifier de poursuites. Il n'en reste pas moins que des gens estiment que la Bible est en jeu et qui citent, à l'appui de leur position, la décision dans Owens c. Saskatchewan (Commission des droits de la personne).

Or, sauf le respect que je vous dois, c'est une affaire qui n'a en fait rien à voir avec le projet de loi sur lequel vous vous penchez. Pour utiliser une affaire traitant des droits de la personne, comme Owens, afin de jeter un discrédit sur une disposition du Code criminel, il faut faire preuve d'une incompréhension profonde à l'égard de notre système juridique. Je renvoie les honorables sénateurs au tableau qui figure à la page 7 du mémoire d'Egale, que je vais maintenant aborder plus en détails.

Tout d'abord pour contrevenir à la disposition contre la propagande haineuse qui figure dans la Loi sur les droits de la personne, il suffit d'exposer un groupe identifiable à la haine ou au ridicule. Pour être passible de sanction au titre du Code criminel, par contre, l'accusé doit fomenter la haine. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt R. c. Keegstra, a statué que le mot signifie le soutien actif ou l'instigation, ou davantage que le simple fait d'encourager ou de favoriser.

Par ailleurs, une infraction à la Loi sur les droits de la personne n'implique pas d'élément mental. Par contre, le Code criminel parle de fomenter volontairement la haine, c'est-à-dire de façon à la fois intentionnelle et délibérée. Cet aspect volontaire, comme tout autre élément de l'infraction stipulé dans l'article 319, doit être prouvé hors de tout doute raisonnable par la Couronne.

Ensuite, dans la Loi sur les droits de la personne, la bonne foi n'entre pas en jeu. Dans le Code criminel, par contre, il y a un moyen de défense fondé sur la véracité et trois moyens de défense distincts reposant sur la bonne foi, y compris un moyen de défense entière pour l'expression d'une opinion sur un sujet religieux ou d'une opinion basée sur un texte religieux. Bref, l'article 319 est conçu pour rendre une condamnation extrêmement difficile.

Soyons clairs: c'est bien ainsi que les choses devraient être. Ainsi, la sanction du Code criminel s'applique-t-elle seulement aux cas les plus extrêmes où l'on fomente la haine, l'expression d'opinions religieuses étant exemptée.

M. Arron: Laissez-moi ajouter qu'il faut, en sus des dispositions mentionnées par M. Fenton, l'assentiment du procureur général, pour éviter que des affaires sans mérite ne finissent devant les tribunaux.

Egale appuie la liberté de religion et la liberté d'expression et s'oppose à la censure. Nous ne croyons pas que les gens qui disent que l'homosexualité va à l'encontre de la volonté de Dieu promeuvent délibérément la haine. Ce sont ceux qui incitent à la haine qui enfreignent les dispositions du Code criminel en matière de propagande haineuse — les gens qui cherchent à déshumaniser un groupe entier de personnes en se fondant sur une seule de leurs caractéristiques comme la race, la religion ou l'orientation sexuelle. Egale pense que la plupart des Canadiens souhaitent vivre dans une société qui encourage le respect mutuel, l'égalité et la tolérance. Nous ne voulons pas vivre dans une société où les minorités impopulaires sont diabolisées ou déshumanisées.

La propagande de haine nuit à tous. Bien sûr, ceux qui sont les plus touchés, sont les membres du groupe ciblé, pas seulement les personnes, mais le groupe entier. La Cour suprême a reconnu cela, comme mon ami M. Jones l'a dit. Elle a déclaré que la propagande de haine minait le sentiment de sécurité des personnes et les forçait à cacher leur identité. Nous savons le tort que cela peut causer pour les gais et lesbiennes. Cela mine notre confiance en nous et nous pousse à ressentir de la honte et de la culpabilité et à nous détester. C'est particulièrement difficile pour les jeunes.

Dans le cadre des discussions au sujet du projet de loi C-16, nous voyons à quel point ces jeunes sont vulnérables et à quel point ils ont besoin d'être protégés. Pour les gais et les lesbiennes, c'est pareil. Ils ont besoin de protection. Les études montrent que les jeunes gais et lesbiennes ont de 3 à 16 fois plus tendance à tenter de se suicider que leurs homologues hétérosexuels. C'est une perte de vie tragique. Ce projet de loi, honorables sénateurs, vous aidera à les protéger.

Hier, on a posé des questions au sujet du lien entre les crimes de haine et la propagande de haine. Ce lien est clair: la propagande de haine est une façon de planter la graine du crime de haine. Avant qu'un crime de haine soit perpétré, il doit y avoir un climat de haine. Sans celui-ci, vous évitez le crime de haine.

Les gais, les lesbiennes et les personnes bisexuelles sont ceux qui sont le plus victimes de haine. Malheureusement, la GRC ne recense aucune statistique nationale actuellement. Or, elle devrait le faire. Cependant, les statistiques de Vancouver, de Toronto, de Calgary, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse témoignent toutes de la même tendance — qu'une grande proportion de personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles sont victimes de crimes de haine.

Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je ne peux pas me permettre de vous parler de la vraie propagande de haine qui existe et qui est dirigée à l'encontre des gais et des lesbiennes, mais je suis sûr que vous pouvez vous imaginer les choses que l'on dit.

Où en sommes-nous? Nous avons une liste de groupes qui sont protégés de la propagande de haine, mais cette liste n'en tient pas compte dans les groupes les plus souvent ciblés. Le projet de loi C-250 réglera ce problème. Nous espérons que vous voudrez le résoudre, car la Charte des droits et libertés stipule qu'il faut le faire. La Cour suprême, dans son arrêt Vriend, a déclaré que si le gouvernement n'acceptait pas d'offrir la même protection aux personnes lesbiennes, gaies et bisexuelles qu'il offre aux autres groupes désavantagés, il s'agissait de discrimination non justifiée, alors même qu'il est évident que nous avons besoin de cette protection. La Cour a également ajouté que cette exclusion envoyait le message qu'il était permis, voire acceptable, de faire aux gais et lesbiennes ce qu'on ne permettait pas de faire aux minorités protégées.

Dans ce cas, le message du Parlement semble être qu'il est inacceptable de promouvoir la haine contre des personnes, à partir de leur race ou de leur religion, mais que les personnes persécutées à cause de leur orientation sexuelle ne méritent pas une telle protection. Au contraire, ce sont des proies idéales pour les incitateurs à la haine. Si vous rejetez ce projet de loi, c'est le message que vous enverrez.

Lorsque C-250 aura force de loi, il restera des groupes qui ne seront toujours pas protégés, comme les personnes handicapées, les femmes et les personnes transgenres et transsexuelles. Ces groupes ont grandement besoin d'être protégés, à la fois par les lois en matière de propagande haineuse et par les droits de la personne, de manière générale. La solution, c'est d'ajouter les termes «identité sexuelle» et «expression sexuelle» dans ces lois.

Cependant, aujourd'hui, on ne vous demande pas quels groupes protéger. On vous demande simplement s'il faut oui ou non protéger les personnes lesbiennes, gais et bisexuelles. Nous vous demandons d'adopter le projet de loi C-250 sous la forme à laquelle il a été adopté à la Chambre des communes, et ce, sans délai.

Je ne pourrais trop insister sur le fait que ce délai pourrait être fatal pour cette mesure. Il faut combler cette omission flagrante et passer à autre chose.

Le sénateur Tkachuk: J'ai plusieurs questions, j'essaierai de les rendre générales. Nous avons entendu de très bons témoignages. Au sujet du témoignage de la police de Vancouver, on nous a remis des documents au sujet de la ville de Vancouver. J'ai plusieurs questions à ce sujet. D'abord, à quel niveau se situe Vancouver par rapport aux moyennes nationales?

M. Jones: Les seules informations dont je dispose pour comparer, sont les statistiques sur les crimes haineux au Canada en 1997, qui montrent que 18,4 p. 100 de ces crimes étaient fondés sur l'orientation sexuelle.

Je fais référence au Centre canadien de la statistique juridique. D'après son étude pilote sur 26 000 victimes de crimes en 1999, 4 p. 100 de ces incidents étaient des crimes haineux — dont la moitié sont souvent commis par plusieurs délinquants. Les crimes raciaux ou ethniques sont les plus communs, ils représentent 43 p. 100, et la catégorie «autres», qui comprend l'orientation sexuelle, est la deuxième plus courante, elle représente 37 p. 100 de ces crimes.

Les statistiques de Vancouver sont assez différentes. Elles montrent que 38 p. 100 de tous les incidents motivés par la haine rapportés sont fondés sur l'orientation sexuelle. Ce sont des statistiques irréfutables. Dans environ 62 p. 100 des cas, sur les cinq groupes qui ont rapporté des incidents haineux à Vancouver, comportant de la violence physique, ils étaient fondés sur l'orientation sexuelle. C'est une preuve sans équivoque que ce groupe est un groupe ciblé, et qu'il est davantage victime de ce genre de crimes que tous les Canadiens et que les autres groupes protégés par l'article 718 et ceux qui ne sont pas protégés explicitement dans le paragraphe 318(4) actuellement.

Le sénateur Tkachuk: À titre de précision, ce chiffre de 38 p. 100, est-il plus élevé que la moyenne nationale?

M. Jones: Oui.

Le sénateur Tkachuk: Beaucoup plus élevé?

M. Jones: La moyenne nationale se situe entre 18 et 37 p. 100.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que c'est 18 p. 100, ou 37 p. 100?

M. Jones: L'étude de 1997 faisait état de 18,4 p. 100. Celle de 1999 rassemble plusieurs groupes. Je ne peux pas ventiler ce chiffre, alors je ne peux pas vous dire si c'est 37 p. 100 ou moins.

Cependant, je peux vous dire que pour Vancouver, il s'agit bien de 37 p. 100, sans équivoque.

Le sénateur Tkachuk: Quand vous parlez de ces statistiques et de Vancouver, parlez-vous de la ville même de Vancouver ou du sud de la partie continentale de la province, de Burnaby à Austin?

M. Jones: Nous parlons précisément de la ville de Vancouver.

Le sénateur Tkachuk: D'abord, lorsque vous parlez de «crimes avec violence» que voulez-vous dire? Voulez-vous parler d'agressions, de meurtres, d'agressions physiques ou de vols? Qu'est-ce que ça veut dire exactement?

M. Jones: Je peux vous dire exactement ce qu'il en est. Cela comprend les agressions et les vols, dont une majorité d'agressions, ainsi qu'un meurtre.

Le sénateur Tkachuk: Un meurtre. Combien de ces crimes haineux seraient des agressions?

M. Jones: Il y a 83 incidents dans la catégorie des agressions, vols et meurtre.

Le sénateur Tkachuk: Sur combien de crimes motivés par la haine?

M. Jones: Nous avons étudié plus de 200 incidents. Nous avons retranché les cas de lettres à répétition, ainsi que le cas d'un homme qui était interné et qui avait écrit environ 30 lettres, parce qu'il détestait à peu près tout le monde. Alors il s'agit de 187 incidents au total.

Le sénateur Tkachuk: Alors 83 de ces incidents étaient des actes de violence?

M. Jones: C'était tous des actes de violence, tous des crimes haineux. On a recensé 187 crimes haineux, dans cinq catégories.

Le sénateur Tkachuk: Si nous avons 187 crimes haineux, dont 83 sont des agressions physiques, quel est le nombre total d'agressions?

M. Jones: Dans la ville de Vancouver?

Le sénateur Tkachuk: Oui.

M. Jones: Autour de deux mille, probablement.

Le sénateur Tkachuk: Deux mille, trois mille, quatre mille? Combien?

M. Jones: Il faudra que j'examine les statistiques du Centre canadien de la statistique juridique de la ville de Vancouver pour vous donner cette information.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce qu'on parle de deux mille agressions dont 87 seraient des agressions haineuses, ou 187 dont 83 sont perpétrées sur des gais et lesbiennes?

M. Jones: C'est exact. Je pense que la façon dont il faut voir ça...

Le sénateur Tkachuk: S'agissait-il de femmes ou d'hommes homosexuels?

M. Jones: Les deux. Quand vous regardez les groupes qui sont ciblés par cette violence, les statistiques sont pertinentes.

Regardez par exemple la race, l'origine ethnique et la nationalité. Il y a eu 24 incidents violents pour cette catégorie. Sur le total d'agressions à Vancouver, c'est une faible proportion. Mais c'est quand même un chiffre significatif étant donné les personnes de cette catégorie et la raison pour laquelle ce crime a été commis — c'est-à-dire la haine et le préjudice. Cette violence ne s'exerce pas au hasard, pour un but quelconque ou par un accès de colère. Ce sont des actes qui traduisent la haine, le préjudice et la discrimination.

C'est ce qui rend ces incidents aussi graves. Si on dit que 15 personnes, par exemple, qui ont été attaquées à cause de leur croyance religieuse, c'est un petit nombre par rapport aux deux mille et quelques personnes agressées dans toute la ville de Toronto, on prive ces personnes de la reconnaissance qu'elles ont obtenue grâce au paragraphe 318(4).

Le sénateur Tkachuk: J'essaie d'obtenir les chiffres.

M. Jones: Les chiffres sont 187 au total, dont 83 agressions.

Le sénateur Tkachuk: Ça n'a rien à voir avec le mobile, ou quoi que ce soit? Lorsqu'on utilise des statistiques — j'essaie simplement de savoir ce que nous disent ces statistiques.

En 10 ans, je n'ai jamais rencontré de forces de police qui n'étaient pas d'accord pour adopter des lois plus strictes. Cela fait 10 ans que je suis ici, et chaque fois qu'une loi plus stricte est proposée dans le Code criminel, la police l'appuie. C'est normal.

J'essaie simplement de comprendre ce dont il s'agit, ici. J'ai vu des statistiques intéressantes sur le sexe, qui montraient que la plupart des crimes haineux perpétrés contre des homosexuels étaient dirigés contre des hommes, et non contre des femmes. Ma question est la suivante: sur ces 83 agressions, combien de victimes étaient des hommes et combien étaient des femmes?

M. Jones: La plupart des agressions sont contre des hommes.

Le sénateur Tkachuk: Est-ce que c'est la moitié?

M. Jones: Je ne peux pas ventiler ce chiffre pour vous, parce que je n'ai pas apporté ces données.

Le sénateur Tkachuk: Pourtant, c'est important.

M. Jones: Je peux fournir ces données au comité. Je serais heureux d'apporter les deux pouces de documents et vous les remettre.

Par rapport à la situation générale, ces événements sont minoritaires. Le danger disproportionné ou le risque d'agression que le Canadien moyen court dans les rues de Vancouver est faible. Cependant, une personne qui appartient à l'un de ces cinq groupes — la religion, l'orientation sexuelle, la race, la nationalité ethnique ou la participation à des situations conflictuelles — risque davantage d'être victime de ce genre d'agression discriminatoire. Cette personne court un risque élevé d'être agressée physiquement.

Si vous êtes une personne reconnue pour votre orientation sexuelle, alors le risque que vous courez par rapport aux groupes déjà protégés est quand même très élevé au sein de ce groupe.

Le sénateur Tkachuk: Je cours un risque plus élevé au centre-ville de Vancouver, dans l'est, qu'à Saskatoon, dans ma communauté.

M. Jones: Je ne suis pas d'accord. J'y suis allé.

Le sénateur Tkachuk: Je vous le dis, si l'on en croit les statistiques. A-t-on tenu compte de l'endroit où ont eu lieu ces crimes?

M. Jones: Oui.

Le président: Sénateur Tkachuk, veuillez choisir votre prochaine question. Vous poserez les autres au second tour si nous avons le temps. J'ai une longue liste de sénateurs qui veulent interroger le témoin.

Le sénateur Tkachuk: Puis-je en poser encore une?

Le président: Oui. Cependant, j'aurais une question complémentaire à la vôtre au sujet du vol. J'avais cru comprendre que le vol était un crime qui impliquait toujours de la violence ou menaces de violence et/ou une arme. Est- ce exact, monsieur Jones?

M. Jones: C'est un vol avec violence.

Le sénateur Tkachuk: Plus tôt, nous parlions de discrimination et de la protection supplémentaire qui est nécessaire. J'ai posé cette question à M. Robinson, hier: y a-t-il des groupes, aujourd'hui, qui font de la propagande haineuse contre la communauté homosexuelle?

M. Arron: Oui, il y en a. Nous ne savons pas grand-chose à propos de ces groupes. J'ai avec moi ce que, chez Egale, nous appelons notre dossier de grossièretés.

Le sénateur Tkachuk: On les reçoit, soit dit en passant.

M. Arron: J'en suis certain. M. Robinson a fait allusion à Fred Phelps, le prêtre du Kansas, qui a un site Web — www.godhatesfags.com —, qui dit des choses assez révoltantes. Si je regarde notre dossier, il y a un groupe qui s'appelle la Coalition anti-gais et lesbiennes d'Amérique du Nord. Il dit: «Nous sommes fiers que Fred Phelps soit le fondateur et l'inspiration de notre mouvement. Nous nous appelons ``AGCONA'' ou la Coalition anti-gais d'Amérique du Nord. Notre slogan est ``Dieu hait les pédés et les gouines. AGCONA s'en occupe.'' AGCONA est en faveur d'épurer l'Amérique et le monde de tous les gais, lesbiennes et déviants comme vous». Ça été envoyé à EGALE.

Il y a d'autres groupes. Il y en a un qui s'appelle Liberty Net, qui est une ligne téléphonique de haine néonazie. Le message, sur cette ligne téléphonique, dit que les homos devraient être jetés dans des tourbières, comme le faisaient les Celtes, à l'époque.

EGALE a reçu des menaces téléphoniques d'un groupe qui s'appelle The Army of God.

Le sénateur Tkachuk: La plupart de ces groupes détestent tout le monde, cependant. Ils haïssent les juifs et les catholiques.

M. Arron: En tout cas, leurs messages nous étaient adressés. Je ne dis pas qu'il ne faut pas protéger les catholiques et les autres personnes qui sont ciblées; je dis simplement qu'il faut nous protéger.

Le sénateur Tkachuk: Lorsque l'on parle de discrimination — discrimination dans le revenu, discrimination au travail, à l'école, et cetera. Arrive-t-il que dans la société, les personnes qui sont gais ou lesbiennes ne réussissent pas, parce qu'elles sont victimes de discrimination?

M. Arron: Les jeunes qui se suicident ne réussissent pas. Les gens qui...

Le sénateur Tkachuk: Nous ne connaissons pas les raisons de ces suicides. Vous tirez des conclusions hâtives.

M. Arron: Dans beaucoup de cas, nous en connaissons les raisons car ils laissent des lettres. De nombreuses études ont été menées avec des méthodes sociologiques pertinentes. Vous ne pouvez pas contredire le fait que le taux de suicides chez les jeunes gais et lesbiennes est plus élevé que chez leurs pairs hétérosexuels.

Le sénateur Cools: Monsieur Jones, vous nous avez dit que vous aviez besoin de cet amendement aux articles 318 et 319. Si le projet de loi C-250 était adopté, à partir des données que vous nous avez fournies, pouvez-vous nous dire combien de fois vous porteriez plainte, en un an? Combien de fois pensez-vous que vous invoqueriez ces dispositions au tribunal?

Ma deuxième question est assez complexe. Vous avez cité l'affaire Vriend, au sujet du désavantage historique. Lorsque j'ai lu ce document, j'ai cru comprendre que les personnes homosexuelles gagnent en moyenne des salaires plus élevés et ont une meilleure éducation que la moyenne. Mais ce n'est pas ma question. La voici: dans ces causes, quelles sont les preuves qui ont été présentées aux tribunaux pour faire état de la discrimination? Vous savez où je veux en venir. Beaucoup de ces arrêts ont été rendus parce qu'il s'agissait d'une revendication et qu'elle a été acceptée.

Ma dernière question porte sur la création du code pénal, du droit criminel. Le droit criminel est un outil de poids. J'ai grandi en pensant que, dans un système de common law, les cas de droit criminel étaient rares. Il y a beaucoup de raisons pour créer des lois en droit criminel, mais la reconnaissance sociale n'en fait pas partie.

Vous avez dit que nous devrions modifier le Code criminel pour tenir compte de la reconnaissance. J'ai une certaine expérience de la question, et sachez aussi que je jouis de beaucoup de soutien de la part des homosexuels dans le secteur de Toronto que je représente. D'ailleurs, j'ai déjà essuyé des coups de patte de beaucoup de gens parce que j'étais perçue comme étant trop ouverte aux homosexuels.

J'aimerais que vous répondiez à ces trois questions, étant donné toute l'expérience que vous avez acquise.

M. Jones: Pour répondre brièvement à votre première question, sachez que la police portera autant d'accusations qu'elle en porte actuellement à l'égard des infractions commises contre les quatre autres groupes, ce qui veut dire à peu près aucune. Le pouvoir qu'a ce projet de loi-ci, c'est qu'il envoie un message aux Canadiens au sujet des valeurs qui nous sont chères — à savoir qu'il faut protéger les groupes désavantagés, minoritaires ou marginalisés.

Je renverrai la deuxième question à mes amis du groupe Egale, mais je répondrai à votre troisième.

Le sénateur Cools: Oui, elle s'adressait à vous puisque c'est vous qui avez fait la déclaration.

M. Jones: J'invoquerais les mêmes raisons pour ce qui est du Code criminel. Nous adoptons des lois pour établir clairement nos valeurs et la façon dont nous nous percevons comme citoyens canadiens, de même que pour établir clairement nos convictions et pour dire qui nous devons protéger. C'est à l'article 718 que nous avons inscrit les groupes que nous voulons protéger, mais nous ne les avons toutefois pas inclus au paragraphe 314(4). Or, il faudrait le faire, puisque, à la lumière de l'arrêt Jubran dans Vancouver-Nord, il est possible d'utiliser dans les écoles aujourd'hui un langage haineux, nuisible et terriblement péjoratif à l'égard de qui que ce soit, de même qu'il est possible de faire publiquement des commentaires homophobes à l'égard de quelqu'un et d'inviter ainsi des tiers à condamner, persécuter et mépriser ce dernier. Or, si cela se fait à l'école cela se fait aussi dans la société en général.

Si M. Jubran avait été un noir, je n'ai aucune hésitation à croire que le problème aurait été résolu dans cette école de Vancouver-Nord dans les premières heures suivant l'incident et que dès le lendemain matin les quatre élèves fautifs auraient été envoyés dans quatre écoles différentes.

La société canadienne réagit en synchronisme avec les valeurs prônées par le gouvernement canadien. Au cours des 29 dernières années de ma carrière, j'ai constaté une diminution dans le nombre d'incidents d'intolérance raciale et religieuse. Il est maintenant inadmissible, peu importe le milieu, de dénigrer comme on le faisait autrefois couramment les groupes protégés au paragraphe 314(8).

Je m'attends à ce que les choses progressent d'ici cinq ans, et que, si ce projet de loi-ci est adopté, les administrateurs dans les écoles n'aient plus du tout d'hésitation à sévir lorsque des élèves auront été attaqués et insultés pour des motifs d'orientation sexuelle différente, réelle ou perçue. D'ici cinq ans, ces élèves pourraient devenir des jeunes sains qui vivront des vies productives en se sentant partie prenante de la société canadienne.

Le sénateur Cools: C'est ce que j'espère.

M. Fenton: Pour répondre à votre troisième question, madame le sénateur, nous convenons que le droit pénal est un énorme instrument. D'ailleurs, l'article 319 n'a pas comme objectif d'interdire et de supprimer tout discours répugnant. Comme la Cour suprême l'a établi clairement dans l'arrêt Keegstra, il ne s'agit pas uniquement ici de discours répugnant. Un tribunal ne devrait d'ailleurs pas juger les discours en fonction de cela. Le discours doit être haineux, et les tribunaux ont établi très clairement ce qu'ils entendaient par cela. Le Code criminel est donc un énorme instrument qui ne devrait pas être invoqué souvent, à notre avis. Il devrait être réservé uniquement pour les expressions de haine les plus extrêmes, puisque c'est ce dont il est question ici.

Il est important de noter que l'article dont il est question existe déjà, et c'est l'article 319. Le projet de loi C-250 ne vise en aucune façon à créer une loi interdisant la propagande haineuse, puisque des dispositions en ce sens existent déjà depuis 1970. Depuis ce temps-là, la recherche que j'ai effectuée m'a appris qu'il y a eu cinq cas signalés qui ont abouti à des procès dans l'ensemble du pays, et ce en vertu du paragraphe 319(2). Or, trois de ces cas sont subséquents à l'affaire Keegstra. Autrement dit, depuis l'affaire Keegstra, c'est-à-dire depuis 14 ans, il n'y a eu que trois procès en vertu de cette disposition.

Pas une seule fois il n'y a eu de poursuites en vertu du paragraphe 319(1) sur la violation de la paix. Pour ce qui est du génocide, je n'en suis pas sûr; il se peut qu'il y ait eu une poursuite.

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un nombre très restreint de poursuites en vertu du paragraphe 319(2). Pourquoi? C'est parce que cette disposition ne s'applique que dans les cas d'attaques haineuses et destructives ciblées, les plus extrêmes et les plus viles.

Le sénateur St. Germain: Je m'adresse au représentant de la police, M. Jones.

Revenons à ce meurtre commis tout récemment à Vancouver: pouvez-vous sincèrement affirmer que si ce projet de loi-ci avait été adopté, ce meurtre aurait pu être empêché?

M. Jones: Si ce projet de loi avait été adopté il y a maintenant dix ans, les jeunes criminels n'auraient pas grandi dans un système scolaire convaincu qu'ils avaient le droit d'exprimer leur haine à l'égard de ce groupe de personnes. Ils n'auraient pas activement pourchassé la victime qui ne serait peut-être pas morte. Je ne peux pas vous en assurer, mais c'est ce que je crois.

Le sénateur St. Germain: Êtes-vous en train de laisser entendre que c'est le système scolaire qui a failli à sa tâche? Nous sommes tous passés par le système scolaire, et je ne me rappelle pas avoir été témoin d'incidents de ce genre qui se seraient déroulés de façon spontanée ou organisée dans les écoles. Je suis très surpris de vous entendre dire cela.

Il y a peut-être quelque chose qui a changé dans les écoles de Vancouver... Lorsque j'étais policier pour la ville de Vancouver, cela ne se produisait pas dans le système scolaire, en tout cas pas à ma connaissance.

M. Jones: Eh bien, cela se produit aujourd'hui, et nous en avons les preuves. Nous avons l'arrêt Jubran; nous avons le cas du jeune homme qui s'est jeté du pont Patullo et nous avons le cas de l'autre jeune qui s'est suicidé à Prince george.

Le sénateur Cools: Je proteste. Ce comportement meurtrier est particulièrement pervers.

Le président: Madame le sénateur, voulez-vous permettre au témoin de répondre, je vous prie? Monsieur Jones, complétez votre réponse.

M. Jones: Merci. Je parlais du jeune Autochtone de Prince George qui s'est suicidé en laissant des notes expliquant les expériences horribles qu'il avait vécus dans son école de Prince George — tout cela est bien documenté. Je parlais aussi du jeune homme qui s'est jeté du haut du pont Patullo: là aussi, on a un cas bien documenté d'insultes homophobes particulièrement méprisantes.

J'entends moi-même la façon dont les écoliers parlent entre eux: je veux bien croire qu'il ne s'agit que de paroles, mais ces paroles illustrent de façon sinistre leurs valeurs. Lorsque les jeunes parlent entre eux de quelque chose qui est «terriblement gai», cela signifie que c'est mauvais, terrible, inacceptable! Elle devient une invective péjorative. Ce n'est qu'un simple exemple, mais cette façon de parler est courante dans les écoles. Les jeunes utilisent des expressions les plus méprisantes et péjoratives qu'ils trouvent, et ils les utilisent contre les autres.

Le sénateur St. Germain: Ce qui m'inquiète dans ce projet de loi, c'est ce que nous ajoutons à l'alinéa 319(3)b). Que nous nous sentions obligés d'ajouter quelque chose à la disposition existante me fait très peur.

Il est certain que nous pouvons ajouter plus de détails à la disposition, mais n'oublions pas que tout cela est évolutif. J'avais l'impression que nous devenions de plus en plus civilisés. Mais à la lumière de ce que nous explique la police, nous serions de complets barbares en Colombie-Britannique. Nous serions en train de fomenter des attaques contre les communautés homosexuelles!

Dans les années 60, j'étais moi-même agent de police, tout comme M. Jones. J'ai été témoin d'incidents de ce genre et j'ai connu ce genre d'individus dont on parle. Le sénateur Tkachuk voulait savoir s'il existait des groupes identifiables contre qui la police peut agir. À vrai dire, je ne crois pas qu'il y en ait, mais s'il en existe, il faudrait les empêcher d'agir.

Ce qui m'inquiète, c'est que notre pays tout entier s'est édifié sur la liberté, et notamment la liberté de religion. Tout comme une bonne partie du clergé canadien, j'ai l'impression que l'on empiète sur notre liberté d'expression et de religion. Nos anciens combattants ne sont pas morts uniquement pour la paix. Si, bien sûr, mais surtout pour la liberté.

Poussons un peu plus loin l'argument. Où tout cela va-t-il s'arrêter? On parle bien ici de limiter la liberté d'expression, même si je ne souscris certainement pas à ce que disent tous ces tarés aux États-Unis qui, à mon avis, devraient disparaître de la surface de la terre.

Ce que nous, législateurs, devons protéger, c'est la liberté. Dès lors que quelqu'un veut mettre en péril cette liberté, c'est à la police et à tout le monde d'agir de façon responsable.

Certains de vos corps policiers sont justement parmi ceux qui ont soutenu le projet de loi C-68. Or, à quoi assiste-t- on aujourd'hui à Toronto? À de véritables histoires d'horreur, à des crimes de violence et des morts par balles. Nous vous l'avions bien dit, à l'époque! Mais même les représentants de l'Association canadienne des policiers ne s'entendait pas là-dessus.

Je ne sais pas si vous voulez faire des commentaires, mais tout cela m'inquiète énormément étant donné que mes ancêtres et ceux de bon nombre de personnes ici aujourd'hui, et peut-être même les vôtres, monsieur Jones, ont donné leurs vies pour protéger la liberté. S'il y a un problème quelque part, essayons de le régler, mais sans nécessairement sacrifier l'un de nos plus grands trésors. Beaucoup de nos ancêtres sont venus au Canada parce qu'ils fuyaient le manque de liberté en Europe, en Afrique et ailleurs dans le monde. Ne mettons pas en péril cette liberté!

Le président: L'un ou l'autre des témoins voudrait-il répondre?

M. Arron: Je comprends vos inquiétudes, sénateur. Moi aussi j'hésite à limiter la liberté d'expression. Néanmoins, dans le cas qui nous occupe, il s'agit ici de la pointe de l'iceberg, c'est-à-dire des formes les plus extrêmes que prend la fomentation des haines contre des groupes identifiables. Vous parlez de liberté: mais de la liberté de qui s'agit-il? Sommes-nous en train de parler de la liberté de ceux qui fomentent la haine ou plutôt de la liberté de citoyens respectueux des lois et travailleurs qui se trouvent être aussi gais, lesbiens ou bisexuels? Vous avez évoqué la Deuxième Guerre mondiale: je vous rappellerais que les gais et les lesbiennes ont aussi combattu lors de cette guerre comme tous les autres pour préserver la liberté. Nous devons donc aujourd'hui profiter de cette liberté chèrement acquise comme n'importe qui d'autre.

Le président: Merci.

Le sénateur Pearson: Merci à tous de vos exposés. Ce projet de loi-ci ne me pose aucun problème, mais j'ai été intéressée par ce que disait Mme Homes au sujet de la position du Canada à l'échelle internationale sur ces questions. Vous avez d'ailleurs étayé votre opinion par un document très descriptif. J'ai assisté moi-même à certaines des réunions que vous avez décrites, et je sais à quel point le gouvernement a lutté pour faire incorporer aux déclarations internationales certaines de ces expressions. Mais j'aimerais souligner à quel point il importe pour le Canada d'agir sur son propre territoire comme il prétend vouloir le faire à l'échelle internationale. Avez-vous quelque chose à dire là- dessus?

Mme Homes: Il est très important d'inscrire cela dans des déclarations internationales, tout comme il est important d'agir sur notre propre territoire dans nos propres villes. Aujourd'hui, les idées traversent les frontières et, malheureusement, la haine ne connaît pas non plus de frontières. La coalition autour de la résolution de la Commission des Nations Unies sur les droits de la personne est aujourd'hui très large. Il faut noter que la résolution émanait du Brésil à l'origine, et qu'elle a maintenant l'aval du Canada et de bien des pays européens, et qu'elle fait même l'objet de discussions avec l'Afrique du Sud.

Nous débattons ici du niveau d'expression de la haine dans le contexte canadien, ce qui est très valide. J'aimerais ajouter que nous avons vu cette haine exprimée ailleurs, dans les pays où il n'y avait aucune protection codifiée dans la loi, et où certains segments de la société avaient toute la latitude voulue pour exprimer leurs points de vue extrêmes. N'oublions pas non plus qu'Amnistie défend la liberté d'expression. Nous parlons ici de l'expression de points de vue extrêmes qui, dans le cadre des droits humains internationaux, sont reconnus comme étant des expressions d'incitation au génocide. Ce type d'expression d'opinion résulte de la non-répression de violations massives des droits de la personne.

J'avais plutôt en tête pour ma part les droits auxquels on ne peut déroger, comme le droit de ne pas être torturé. Il est important que le Canada établisse un cadre qui serve d'exemple à d'autres pays. Nous savons que certains langages à ce niveau peuvent entraîner une violence extrême et servir à la promouvoir. Il ne s'agit pas ici d'adopter un corpus particulier de droits, mais plutôt de reconnaître un cadre de non-discrimination qui s'appliquerait à tous, et de reconnaître la vulnérabilité et la nécessité de protéger celle-ci.

Le sénateur Joyal: J'ai deux brèves questions dont la première porte sur les statistiques. Personnellement, je ne crois pas qu'il faille accorder une importance aveugle aux statistiques, car, à ma connaissance, il arrive souvent que les victimes d'agression ne signalent pas cette dernière, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, ils ne veulent pas être l'objet de double victimisation de la part du système. Le simple fait de signaler une agression est un acte de dénonciation de soi et, dans certains milieux, c'est perçu comme un fardeau supplémentaire pour la victime du crime.

Les statistiques ont donc une valeur très relative, puisque, par définition, la société ostracise dans certaines circonstances les gens en raison de leur orientation sexuelle, puis fait en sorte que ces victimes demeurent anonymes, ce qui constitue pour elles un fardeau supplémentaire. Et c'est seulement dans les cas extrêmes, quand il y a mort d'homme, que la police enquête pour déterminer les circonstances de la mort.

J'aimerais que MM. Jones et Arron commentent rapidement mes propos.

M. Jones: Je suis d'accord avec vous: les statistiques ne sont utiles que si on peut les comparer au signalement d'agressions des autres groupes. Il n'y a pas de signalement d'agressions lorsque les groupes ciblés ont un niveau de tolérance élevée. De plus, il se pose le problème de la confiance en la police, puisque les victimes se demandent si elles seront crues ou si la police manifestera des attitudes à leur égard. De plus, on peut ne pas vouloir être identifié comme appartenant à tel ou tel groupe et avoir à définir son comportement. Cette situation illustre éloquemment l'ensemble du problème. Le simple fait que des gens craignent de dire qui ils sont illustre pour moi l'existence d'un grave problème qui doit être résolu.

M. Arron: Je suis sans doute l'une des personnes qui affirment le plus son identité, puisque je suis directeur de la protection des droits pour Egale. Affirmer son identité, ce n'est pas quelque chose que l'on fait une fois pour toutes. Il faut le faire chaque jour de sa vie, c'est-à-dire chaque fois que l'on prend la décision de révéler son identité à autrui, et chaque fois que l'on est avec son partenaire et qu'on veut lui tenir la main. La semaine dernière, je suis allé accueillir mon partenaire de retour d'un voyage à l'aéroport. Il m'est venu à l'esprit que je ne devrais peut-être pas l'embrasser, car ce serait peut-être risqué. Et pourtant, j'étais à l'Aéroport international de Toronto. Voilà le genre d'idées qui me passent par la tête constamment. On a tort de croire que tout le monde affirme son identité — tout le monde ne le fait pas.

Le climat de tolérance à l'égard de l'affirmation de son identité varie énormément d'un bout à l'autre du pays. Au coeur de Toronto, c'est bien différent de ce qui se fait dans beaucoup de régions du Canada — et c'est même différent dans les banlieues de Toronto.

Il est manifeste que seulement certaines agressions sont signalées et que la peur règne, ce qui est légitime, je crois. Il est important que ce projet de loi soit donc adopté pour que les Canadiens sachent que l'on ne tolérera pas celui qui fomente la haine et que les gais et lesbiennes ont le droit d'être protégés.

Le sénateur Cools: Je cherche à obtenir certains renseignements des témoins. Vous avez tous dit que les dispositions actuelles du Code criminel étaient adéquates pour traiter de toutes les infractions. Autrement dit, il s'ensuit manifestement que la nécessité d'adopter ce projet de loi-ci est une question d'opinion.

M. Jones a conjecturé que, si le projet de loi avait été adopté il y a déjà un certain temps, Aaron Webster aurait peut- être pu être épargné. J'aimerais que M. Jones et les autres témoins puissent étayer leur hypothèse au sujet des intentions de commettre un meurtre et du comportement meurtrier.

J'ai été moi-même membre de la Commission des libérations conditionnelles, et j'ai lu maints rapports sur des milliers de cas de même que des nombreux post-mortem. L'intention de commettre un meurtre et le comportement afférent constituent une catégorie en soi.

J'aimerais que M. Jones me donne des preuves tangibles pour étayer son hypothèse, à savoir que le système scolaire permet la formation de l'intention de commettre un meurtre ou alimente de quelque façon les motifs pour commettre un meurtre, et que ce projet de loi-ci pourrait servir à prévenir les intentions de commettre des meurtres.

Le président: Merci, sénateur.

Le sénateur Cools: Vous savez exactement ce dont je parle, monsieur Jones. Vous savez très bien ce qu'est l'intention de commettre un meurtre et vous savez à quel point c'est répugnant.

Le président: Monsieur Jones, vous voudrez peut-être envoyer à la greffière du comité votre réponse à la question du sénateur Cools ainsi que toute l'information afférente. La greffière fera en sorte que votre réponse soit distribuée à tous les membres du comité.

Je remercie tous les témoins d'avoir pris le temps de venir comparaître pour nous aider dans nos délibérations concernant ce projet de loi.

La séance est levée.


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