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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 4 - Témoignages du 17 mars 2004


OTTAWA, le mercredi 17 mars 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 16, Loi concernant l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et modifiant le Code criminel et d'autres lois en conséquence; ainsi que le projet de loi C-250, Loi modifiant le Code criminel (propagande haineuse), s'est réuni aujourd'hui à 15 h 40 pour étudier les projets de loi.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, avant de commencer nos délibérations de cet après-midi, j'aimerais discuter brièvement deux questions.

D'abord, le rappel au Règlement ou la question de privilège personnel soulevé par le sénateur Tkachuk lors de la dernière réunion. Ni le sénateur Tkachuk et M. Robinson ne sont parmi nous cette semaine et voilà pourquoi, si le comité m'y autorise, j'aimerais reporter toute discussion de cette affaire à la semaine prochaine. Y a-t-il des objections à cela?

Le sénateur Cools: Je n'ai aucune objection à cela, mais je signalerais que puisqu'il s'agit d'un rappel au Règlement fait par le sénateur Tkachuk, lui seul se doit d'être présent.

Le président: C'est exact, mais il souhaiterait peut-être que M. Robinson réponde à ce qu'il aura à dire.

Le sénateur Cools: Ça, c'est autre chose. M. Robinson participerait à titre de témoin.

Il y a également une autre question que j'aimerais soulever et qui porte sur le même témoignage. Je veux bien m'en occuper, puisque les deux affaires sont reliées. Mais comme je ne suis pas sûre qu'il s'agit d'un rappel au Règlement ou d'une question de privilège personnel, j'attendrai plus tard.

Le président: Vous attendrez.

Le sénateur Cools: Oui, puisque ce dont je veux parler a trait au témoignage de M. Robinson.

Le président: La deuxième chose concerne une légère modification de notre ordre du jour, ce dont j'ai déjà parlé à certains sénateurs avant l'ouverture de la séance.

Nous devions aborder aujourd'hui l'étude article par article du projet de loi C-16, mais le sénateur Nolin est absent. De plus, nous pourrions entendre un ou deux autres témoins, notamment l'Association du Barreau canadien ou le Barreau du Québec, et nous pourrions ainsi accéder à la demande du sénateur Nolin. Si le comité accepte, nous allons donc reporter notre étude détaillée du projet de loi, tant que nous n'aurons pas entendu l'Association du Barreau canadien ou le Barreau du Québec. Puis-je avoir votre approbation?

Des sénateurs: D'accord.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous nous dire à quel moment nous discuterons entre nous de la liste des témoins qui comparaîtraient au sujet du projet de loi C-250 et de la façon dont nous aborderons l'étude du projet de loi? Nous devrions savoir à quoi nous en tenir.

Le président: Nous entendrons deux tables rondes aujourd'hui, après quoi, je vous demanderais de rester encore quelques minutes pour que nous en discutions à huis clos.

Le sénateur Beaudoin: Y a-t-il d'autres témoins qui viendraient s'ajouter à ceux des tables rondes?

Le président: Nous discuterons en effet de cette possibilité.

Mesdames et messieurs, nous allons commencer nos discussions sur le projet de loi C-250. Notre première table inclut les représentants de quatre organismes nationaux. Cette table ronde sera suivie par une deuxième table ronde de personnes qui comparaîtront à titre personnel.

Nous accueillons d'abord Mme Gwendolyn Landolt, de REAL Women of Canada, M. Derek Rogusky, de Focus on the Family Canada, Mme Janet Epp Buckingham, de l'Alliance évangélique du Canada, et M. André Lafrance, de la Canadian Family Action Coalition.

Vous aurez cinq minutes chacun pour nous présenter votre point de vue, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Le sénateur Stratton: Ce faisant, j'aimerais que les témoins nous donnent quelques détails sur l'organisation qu'ils représentent, le cas échéant. Ce serait bon de le savoir. Merci.

Le président: Merci, sénateur Stratton. Madame Landolt, vous avez la parole.

Mme Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, REAL Women of Canada: REAL Women of Canada est une organisation féminine du Canada incorporée en 1983. Notre objectif est illustré par notre nom. R représente le réalisme; E, l'égalité; A, l'activité; et L, life, c'est-à-dire la vie en anglais. Nous croyons que la famille traditionnelle constitue le fondement de notre société, puisque l'avenir de tout pays dépend de la famille.

Nous sommes grandement intéressés par le projet de loi C-250, puisqu'il nous semble à nous qu'il pourrait avoir un effet néfaste sur deux des libertés fondamentales protégées par la Charte, à savoir la liberté d'expression et la liberté de religion.

Dans l'opinion dissidente qu'elle signait dans l'affaire Keegstra en 1990 et qui a fait autorité, la juge McLachlin estimait que la disposition sur les crimes haineux se trouvant dans le Code criminel avait un effet néfaste sur la liberté d'expression. Nous souscrivons sans réserve à cette façon de voir les choses, qui avait été acceptée par trois des sept juges. Nous constatons en effet que la haine se définit de façon très subjective.

Le projet de loi C-250 ne définit ni la haine ni l'orientation sexuelle, ce qui entraîne une première difficulté pour la disposition sur la propagande haineuse, disposition qui n'a jamais été jugée acceptable par beaucoup de tenants des libertés civiles ni par des juristes renommés au moment de son adoption en 1970. Lorsque la Cour suprême a été saisie de l'affaire, elle a exprimé fortement son désaccord en établissant que la haine ne devrait pas être consignée au Code criminel.

Nous craignons que l'ajout de «orientation sexuelle» donne lieu à l'inclusion de toutes sortes de comportements déviants par rapport aux relations hétérosexuelles. Puisque l'expression n'est pas définie, nous craignons qu'elle inclue, par exemple, la pédophilie. Vous serez peut-être surpris, mais vous ne devriez pas l'être. En 1988, lors d'une conférence qui se tenait à Guelph, en Ontario, le professeur Sharon Satterfield expliquait que la pédophilie n'était pas une déviation sexuelle mais plutôt une orientation sexuelle. La recherche dans le domaine social datée de décembre 2002 inclut des articles sur le comportement sexuel établissant que l'attirance à l'égard des enfants ne devrait pas être considérée comme une déviation sexuelle.

Si cela vous préoccupe, sachez aussi qu'en mai 2003, l'Association américaine des psychiatres se demandait si elle devait ou non exclure des troubles mentaux l'orientation sexuelle. L'Association a décidé à cette époque de maintenir l'orientation sexuelle dans la liste des troubles mentaux, faute de quoi il n'y aurait plus de recherche dans ce domaine. Imaginez, si l'orientation sexuelle devait inclure la pédophilie, par exemple. C'est très grave.

En deuxième lieu, nous n'avons aucun chiffre démontrant qu'un projet de loi de ce genre est nécessaire. Le 11 mars, le groupe de pression homosexuel Egale admettait ne détenir que de l'information anecdotique sur l'opportunité d'adopter ce projet de loi. Egale lui-même a admis ne pas avoir de chiffres en ce sens. De plus, l'inspecteur Jones de la police de Vancouver vous expliquait la semaine dernière qu'il n'avait pas, lui non plus, de chiffres. La seule chose qui pourrait venir renforcer ce projet de loi, ce serait des statistiques sur des crimes bien différents, c'est-à-dire sur les crimes motivés par la haine. Ce sont là des statistiques qu'ont en leur possession les corps policiers de Vancouver, de Winnipeg, d'Edmonton et d'Ottawa. Toutefois, ce n'est pas ce dont il s'agit ici. La disposition sur la propagande haineuse du Code criminel traite d'incitation à la haine, tandis que les différents corps constabulaires locaux du Canada parlent quant à eux de crimes motivés par la haine, ce qui pourrait s'appliquer soit aux meurtres ou aux vols, ou à tout autre crime de haine.

À Toronto, ville qui abrite la plus grande communauté homosexuelle du Canada, le nombre de crimes de haine a diminué de 35 p. 100 en 2002 à 32 p. 100 en 2003. Ces chiffres laissent entendre qu'il y a tout au plus 11 homosexuels qui pourraient être blessés ou agressés d'une manière quelconque à cause de leur orientation sexuelle. Il s'agit dans ces cas de crimes de haine auxquels s'applique déjà le Code criminel. Les cas de meurtre ou de vol sont déjà couverts par le Code criminel. Les Canadiens sont protégés de façon générale contre tout crime inscrit au Code criminel. Nous sommes déjà protégés contre les crimes de haine qui n'ont rien à voir avec ce dont il est question ici. Rien ne peut prouver que ce projet de loi-ci est nécessaire.

Le projet de loi C-250 nous empêchera d'exprimer notre pensée. Autrement dit, il nous obligera à penser seulement, et qui plus est, à penser d'une certaine façon, sans exprimer d'opinion. Rien n'est plus controversé aujourd'hui que la question des mariages entre personnes du même sexe. Or, quiconque se prononcerait contre risquerait avec ce projet de loi-ci d'être accusé d'un crime en vertu du Code criminel.

J'attire votre attention sur les risques qu'une telle situation comporte. Donna Murphy est une jeune femme qui faisait simplement circuler une pétition contre les mariages entre gens du même sexe dans l'usine de Chrysler à Windsor, en Ontario. J'espère qu'on vous a distribué copie de la lettre. Or, on l'a accusée de harcèlement, et elle a perdu son emploi parce qu'elle se prononçait publiquement contre l'homosexualité.

Ce que nous constatons, c'est que les homosexuels considèrent quiconque est contre leur point de vue comme exprimant de la haine à leur égard. Je pourrais vous donner beaucoup d'exemples de cas dont plusieurs ont été considérés à la Chambre des communes par le parrain du projet de loi, M. Robinson, comme dénotant de la haine. Ainsi, lorsque le leader de l'opposition a dit que la photo de M. Robinson pouvait être vue dans d'autres lieux, celui-ci l'a accusé de tenir des propos haineux et a demandé des excuses. Or, la photo de M. Robinson, complètement nu et à peine couvert de coquilles, circulait bel et bien sur l'Internet, et c'est ce dont parlait le chef de l'opposition. M. Robinson a insisté pour qu'on lui fasse des excuses publiques. En 1994, lorsqu'un autre député libéral a mentionné dans un discours les valeurs chrétiennes au sujet de l'homosexualité, M. Robinson a insisté pour qu'elle soit chassée du caucus. Il y a aussi ce prêtre catholique qui fait toujours du piquetage à l'extérieur du Parlement et dont les pancartes rappellent la doctrine chrétienne sur l'homosexualité. M. Robinson a dans ce cas saisi la pancarte en prétendant qu'elle comportait des propos haineux, l'a brisée et jetée. Le problème, et il est grave, c'est que M. Robinson considère toutes ces expressions d'opinions comme étant haineuses.

Quiconque s'oppose aujourd'hui au point de vue des homosexuels est considéré comme montrant de la haine et pourrait perdre son emploi, comme Mme Murphy. Tout pourrait lui arriver. Ce qui nous inquiète grandement, c'est qu'il s'agit là d'une intrusion dans les débats publics et dans les discussions au sein de la population, et que cela laisse entendre que toutes les dispositions de l'article 319 du Code criminel sur les prétendues infractions ne servent à rien. En effet, ces dispositions ne protégeront pas les gens ordinaires qui voudraient s'exprimer publiquement ou dans les journaux contre l'homosexualité. La situation pourrait avoir un effet paralysant sur ceux qui auraient voulu, par exemple, écrire aux rédacteurs de journaux. Déjà, des gens m'ont dit qu'ils n'osaient plus envoyer de lettres sur l'homosexualité par crainte de représailles.

Voilà ce qui nous préoccupe au plus haut point, car cela représente une atteinte à nos droits de nous exprimer publiquement sur des questions morales comme l'homosexualité.

M. Derek Rogusky, vice-président, Politique familiale et effet sur la collectivité, Objectif famille (Canada): Nous sommes une organisation fondée sur les valeurs et les principes chrétiens. Nous voulons encourager, soutenir et renforcer les familles canadiennes, d'un océan à l'autre.

Avant de me joindre à cette organisation, j'étais analyste de la recherche au caucus libéral de l'Alberta, et je rédigeais les projets de loi d'initiative parlementaire, de sorte que ce que vous faites ici m'est familier. Devant un projet de loi, nous avions l'habitude de nous poser trois questions que j'aimerais vous poser à vous et auxquelles j'aimerais essayer de répondre.

Première question: la loi est-elle requise? Répond-elle à une préoccupation grave des Canadiens? Comme le signalait Mme Landolt, je n'en crois rien, et je vais vous expliquer pourquoi.

Comme l'a expliqué le 25 février 2003 Me Donald Piragoff, du ministère de la Justice:

Lorsque le gouvernement veut justifier une atteinte à la liberté d'expression, il doit assumer le fardeau de la preuve. En effet, selon le critère juridique applicable de la Charte, il doit prouver que l'objectif du législateur est urgent et réel; qu'il existe un lien rationnel entre la limite imposée à la liberté d'expression et cet objectif; que l'atteinte à la liberté d'expression est minimale; et que les effets positifs de la disposition l'emportent sur les effets négatifs.

À mon avis, cette loi ne répond pas à ce critère. Comme le signalait toujours Mme Landolt, ce que vous avez entendu surtout jusqu'à maintenant est anecdotique, ou ce sont des récits d'actes de violence et non pas de propagande haineuse. Comme on vous l'expliquait déjà, les actes de violence sont déjà couverts par le Code criminel.

Il semble que le seul exemple possible de propagande haineuse contre des homosexuels présenté au comité par le parrain du projet de loi concerne un Américain, Fred Phelps, qui n'a pas mis les pieds au Canada depuis plusieurs années et qui a été dénoncé par notre organisme et par bien d'autres. D'ailleurs, nous avons fait l'objet de beaucoup de ses attaques verbales. Il est intéressant de noter que si ce projet de loi est adopté, notre organisation ne serait aucunement protégée contre ce type d'agression verbale.

Étant donné que la loi actuelle interdit la violence contre les homosexuels, et le manque de preuve que la propagande haineuse visant les homosexuels existe au Canada, il me semble qu'il ne convient pas d'adopter une loi susceptible de restreindre gravement la liberté d'expression.

Deuxième question: les termes de la loi sont-ils clairs et bien définis?

Mme Landolt a mentionné quelques-uns de ces termes, mais le terme «haine» en particulier nous préoccupe, puisqu'il est très subjectif. J'aimerais vous citer la juge McLachlin, aujourd'hui juge en chef, dans l'opinion minoritaire qu'elle exprimait dans l'affaire Keegstra:

La première difficulté est celle que posent les différentes acceptations possibles du mot «haine». Le Shorter Oxford English Dictionary définit la haine comme: [TRADUCTION] «La situation ou l'état de relations où une personne en haït une autre; l'émotion de haine; antipathie active, détestation; hostilité, inimité, malveillance». Cette définition fait ressortir nettement la vaste gamme d'émotions diverses que peut dénoter le mot «haine». Ceux qui défendent son emploi au paragraphe 319(2) du Code criminel soulignent un extrême de cette gamme — le terme haine, selon eux, désigne la plus puissante des émotions virulentes, qui dépasse les bornes de la décence humaine et qui limite en conséquence l'application du paragraphe 319(2) aux cas extrêmes. Ceux qui s'opposent à son utilisation mettent l'accent sur l'autre extrême de la gamme et insistent sur le fait qu'une «antipathie active» n'est pas une émotion dont la fomentation devrait entraîner la répression criminelle. Ces arguments prouvent d'eux-mêmes que le mot «haine» a une large portée susceptible d'englober une grande diversité d'émotions.

Nous devons manifestement nous demander comment nous définissons le terme «haine», car, comme je l'expliquerai, cela peut avoir un effet paralysant sur toute discussion légitime, dès lors que les Canadiens ne voudront pas avoir maille à partir avec la justice pénale. En effet, c'est ce que voudraient éviter la plupart des Canadiens dans la mesure du possible. Par conséquent, on en arrivera au point où, puisqu'on ne sait pas exactement ce qu'on entend par «haine», on aura tendance à marcher sur des oeufs au point où on éliminera complètement, ou à tout le moins on limitera, toute conversation ordinaire sur toute une gamme de questions.

Une autre expression qui n'est pas claire, c'est «sujet religieux». La plupart des religions, le christianisme en particulier, enseignent que les convictions du croyant influent sur tous les aspects de sa vie. Par conséquent, si une personne exprime des réserves sérieuses motivées par sa foi face au comportement homosexuel, mais en termes médicaux ou sociologiques, la défense de «liberté de religion» est-elle encore possible? La réponse à cette question n'est vraiment pas claire.

Lorsqu'il s'agit de restreindre un droit humain fondamental comme la liberté d'expression, il est impérieux que le Parlement en établisse clairement les limites. Malheureusement, le projet de loi C-250 laisse trop de termes qui s'y trouvent ou qui figurent dans les articles visés du Code criminel sans définition et ambigus.

Dernière question: quelles sont les conséquences fortuites de cette loi? Qui pourrait être lésé et comment? Y a-t-il des façons de limiter ces conséquences négatives?

J'aimerais à nouveau vous citer un résumé des commentaires de la juge McLachlin dans l'affaire Keegstra:

Le lien rationnel entre le paragraphe 319(2) et ses objets est cependant ténu, car il n'existe pas de lien fort et évident entre la criminalisation de la propagande haineuse et son élimination. Il se peut en fait que le paragraphe 319(2) aille à l'encontre des objectifs visés en décourageant l'expression légitime. Le citoyen respectueux des lois qui ne veut pas commettre d'infraction pourrait en effet décider de ne pas courir le risque dans un cas douteux. La créativité et l'échange bénéfique d'idées en souffriraient peut-être. En même temps, il n'est pas certain que le paragraphe 319(2) représente un moyen efficace de tenir en bride les fomentateurs de haine. Non seulement le processus criminel suscite un vif intérêt chez les médias et fournit à l'accusé de la publicité pour ses causes douteuses, mais il peut aussi lui attirer de la sympathie.

En terminant, nous demandons au comité de recommander au Parlement de ne pas adopter le projet de loi C-250 pour trois principales raisons. Il existe pour l'instant peu ou pas de preuve empirique permettant d'affirmer que ce projet de loi est nécessaire. Le projet de loi C-250 et les articles du Code criminel qu'il veut modifier sont ambigus et imprécis, de sorte que les Canadiens ne savent pas avec exactitude quelles restrictions, le cas échéant, s'appliquent à leur liberté d'expression et leur liberté de religion.

Le projet de loi C-250 pose un risque réel pour la liberté religieuse et la liberté d'expression des Canadiens. Les défenses pouvant être invoquées pour se protéger des poursuites ou des condamnations sont plutôt restreintes. Compte tenu du fait que le comité de la Chambre n'a consacré que quelques jours à l'examen du projet de loi, il importerait d'entendre le point de vue des Canadiens sur la question. Il incombe à ce comité d'entendre le plus de témoins possible pour se faire une meilleure idée de l'avis de l'ensemble des Canadiens. Je suis sûr que vous constateriez que la plupart des Canadiens s'inquiètent du risque que pose ce projet de loi une liberté d'expression et la liberté de religion.

Mme Janet Epp Buckingham, directrice, Droit et politique publique, conseillère juridique, Alliance évangélique du Canada: Honorables sénateurs, je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant ce comité. L'Alliance évangélique du Canada est une association nationale regroupant des organismes chrétiens évangéliques, dont 39 confessions religieuses, 100 organismes religieux et environ 1 200 églises. Les confessions religieuses affiliées à l'Alliance comprennent les baptistes, les mennonites, les réformistes chrétiens, les pentecôtistes et l'Armée du Salut.

Parmi les organismes affiliés à l'Alliance, on compte des organismes qui distribuent des Bibles comme Gideons et la Bible League. La distribution de Bibles et de littérature chrétienne constitue un aspect important des pratiques religieuses des chrétiens évangéliques. Je suis directrice de la section du droit et de la politique publique. Je suis avocate de formation et je soulèverai des questions juridiques liées à l'interprétation du projet de loi C-250.

J'aimerais d'abord faire remarquer que notre organisme ne préconise ni ne soutient la haine ou les actes de violence commis à l'endroit de qui que ce soit et nous n'approuvons pas non plus les déclarations qui incitent à la violence.

J'aimerais faire valoir trois points aujourd'hui: le premier concerne les textes sacrés; le deuxième point concerne l'interprétation de la liberté de religion par opposition à l'interprétation de la liberté qui consiste à ne pas faire l'objet de discrimination pour le motif de l'orientation sexuelle; et le troisième point concerne l'interprétation de l'article 319 du Code criminel.

Parlons d'abord des textes sacrés. Il va de soi que la Bible est un texte sacré tout comme le sont le Coran et la Torah. Les croyants considèrent ces textes comme la parole de Dieu. Les croyants n'ont pas le droit de modifier les textes sacrés. Je le dis clairement parce qu'au moins un sénateur a affirmé que si la Bible contenait des passages qui condamnaient l'homosexualité, il faudrait les supprimer. Nous ne pouvons pas le faire. Voilà pourquoi ce texte est «sacré».

À mon avis, la protection de la liberté de religion qui est prévue à l'article 2 de la Charte vise les textes sacrés. Je presse cependant les honorables sénateurs de ne pas simplement s'en remettre aux tribunaux pour protéger la liberté de religion. À titre de législateurs, les sénateurs ont un rôle à jouer pour ce qui est de la protection de la liberté de culte.

Le deuxième point que je veux faire valoir touche à la différence entre l'interprétation de la liberté de religion et l'interprétation de la liberté qui consiste à ne pas faire l'objet de discrimination pour le motif de l'orientation sexuelle. Dans la décision rendue en 2001 dans l'affaire Trinity Western University c. British Columbia College of Teachers, la Cour suprême du Canada a énoncé que la liberté de croyance est plus large que la liberté de mettre en pratique ces croyances. Cette décision établit une distinction entre les croyances et les pratiques et accorde une protection plus large aux croyances. Dans la même décision, la juge L'Heureux-Dubé, dont l'opinion était cependant minoritaire, a cité d'autres cas où le comportement sexuel des gais et des lesbiennes est clairement protégé par l'article 15 de la Charte qui interdit la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Cela semble indiquer que l'orientation sexuelle jouit d'une large protection tant pour ce qui est des principes que la pratique. En outre, le comportement et l'identité de la personne sont confondus de sorte que toute critique morale du comportement est vue comme une critique morale portant sur la personne elle-même, ce qui n'est pas le cas pour les autres motifs de protection énumérés à l'article 318. Bien que le tribunal dans l'affaire Trinity Western University ait clairement indiqué qu'il n'existe pas d'hiérarchie des droits, la protection accordée pour ce qui est de l'orientation sexuelle semble plus large que les autres types de protection compte tenu de la façon dont ce terme a été interprété. Les groupes confessionnels ne sont donc pas très rassurés quant à la façon dont les tribunaux pourraient interpréter le projet de loi C-250.

Cela m'amène à mon dernier point au sujet de l'interprétation de l'article 319 du Code criminel. Les sénateurs ont entendu parler de l'affaire Keegstra qui est la seule affaire dans laquelle la Cour suprême du Canada s'est penchée sur l'article 319 du Code criminel. La juge McLachlin a rédigé une opinion dissidente très ferme et aurait invalidé cet article. Elle a indiqué que les défenses permises ne restreignaient pas de façon efficace la portée de l'article 319. Elle a dit notamment s'inquiéter du fait que l'article ne définissait pas la «haine». L'interprétation de l'article est donc trop large et il risque de porter atteinte à la liberté d'expression légitime.

La Cour d'appel de l'Ontario s'est prononcée spécifiquement sur le paragraphe 319(3) — expression d'une opinion sur un sujet religieux — dans l'affaire de 2001 R. c. Harding dans laquelle le défendeur a été reconnu coupable bien qu'il ait soutenu qu'il n'avait pas l'intention de promouvoir la haine. Le juge a délibérément appliqué dans cette affaire une norme de preuve beaucoup moins élevée que la promotion délibérée de la haine comme l'a fait le juge en chef Dickson qui a reconnu la constitutionnalité de l'article 319 dans l'affaire Keegstra.

Comme dans l'affaire Keegstra le juge en chef Dickson a déclaré qu'il est rare que quelqu'un qui compte promouvoir la haine le fasse de bonne foi ou en se fondant sur des croyances honnêtes, il est facile de voir pourquoi les croyants s'inquiètent de la validité de la défense touchant l'expression d'une opinion sur un sujet religieux qui est prévue au paragraphe 319(3).

J'aimerais mentionner brièvement en terminant que la décision de 2002 rendue dans l'affaire Owens en vertu du Code des droits de la personne de la Saskatchewan inquiète aussi les chrétiens. M. le juge Barclay, de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan, a statué ceci: «Autrement dit, le passage de la Bible qui laisse entendre qu'il faut mettre à mort les hommes qui ont des rapports sexuels entre eux incite à la haine contre les homosexuels». Cette décision a été rendue en vertu des dispositions d'un code des droits de la personne qui interdit la promotion de la haine au lieu d'en vertu du Code criminel. Un tribunal pourrait rendre une décision semblable en vertu du projet de loi C-250.

Le docteur André Lafrance, coonseiller spécial, Coalition de l'action pour la famille au Canada: Honorables sénateurs, je comparais aujourd'hui au nom de la Coalition de l'action pour la famille au Canada, un organisme national qui s'intéresse aux questions touchant le bien-être de la famille.

Je suis reconnaissant aux membres du comité de me permettre de leur exposer mon opinion sur un aspect du projet de loi C-250 qui, à ma connaissance, n'a pas été examiné par le comité. À titre de médecin, je m'inquiète beaucoup de cet aspect du projet de loi. Il en a été question dans un éditorial paru dans le Ottawa Citizen du 22 septembre 2003. Il me serait difficile d'exprimer de façon plus claire ou plus succincte mes vues sur cette question. Je me permets donc de vous citer un passage de l'éditorial:

Si nous comprenons bien le projet de loi C-250, on ne pourra pas reprocher à ceux qui se fondent sur ces textes pour exprimer leurs vues sur l'homosexualité qu'ils incitent à la haine. Qu'en est-il cependant de ceux qui ne se fondent pas sur leur foi ou sur des textes sacrés pour prendre position sur la question? En vertu de la loi, un athée sera-t-il traité autrement qu'un chrétien ou un musulman? Un chrétien ou un juif dévot pourra-t-il dénoncer l'homosexualité comme un péché alors qu'une personne se fondant sur des données scientifiques pour rejeter l'homosexualité pourra-t-elle être accusée d'inciter à la haine? [...] Le projet de loi C-250 fera peut-être en sorte qu'il sera possible d'accuser d'incitation à la haine un scientifique qui ferait paraître dans un journal scientifique un article portant sur l'homosexualité, alors qu'un ministre du culte pourra dénoncer l'homosexualité dans ses sermons sans risquer de s'attirer les foudres des tribunaux [...]

Le projet de loi C-250 pourrait avoir pour effet de protéger la liberté d'expression religieuse en portant atteinte à la liberté d'expression non religieuse. Le Sénat devrait renvoyer ce projet de loi aux Communes pour réexamen.

C'était un bon conseil.

J'aimerais d'abord faire remarquer que ceux qui expriment leurs vues sur l'homosexualité et qui ne se fondent pas sur des considérations religieuses ressentent déjà les effets du projet de loi C-250. À cet égard, j'aimerais vous rappeler ce qui est arrivé au Dr Grant Hill durant le débat qui a eu lieu en 1996 sur le projet de loi C-33. Il a simplement dit que le mode de vie homosexuel n'était pas sain. C'est tout ce qu'il a dit. Ses propos ont cependant déclenché un véritable tollé. M. Svend Robinson a demandé qu'il retire ses propos. À la suite d'une plainte présentée par trois médecins de Toronto, le Dr Hill a dû comparaître devant le College of Physicians and Surgeons of Alberta.

Bien que les médias aient fait grand cas du fait qu'on lui ait demandé de comparaître devant le collège, je pense que pas un seul d'entre eux n'a fait connaître le verdict qu'a rendu le collège quelques mois plus tard, à savoir que les propos tenus par le Dr Hill étaient «fondés sur les faits».

C'est en effet le cas. En réalité, le Dr Hill s'était exprimé de façon très modérée parce que la maladie homosexuelle est très — et j'insiste sur le mot très — malsaine. En fait, le comportement homosexuel chez les hommes est un facteur de risque important dans le cas d'une maladie fatale et incurable qui a déjà tué des milliers de Canadiens. Les dernières statistiques que j'ai vues datent de décembre 2001. À ce moment, Santé Canada établissait à 18 026 le nombre de cas de sida. Des 16 047 cas de sida diagnostiqués chez des hommes adultes, il s'agissait, dans 77,9 p. 100 des cas, d'hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes — c'est la façon dont le ministère parle des hommes homosexuels. Un autre 5 p. 100 des cas visaient un groupe d'hommes qui avaient aussi des relations sexuelles avec des hommes et consommaient aussi des drogues de façon intraveineuse.

Tous ceux qui sont maintenant atteints de cette maladie incurable — dont la plupart ne meurent pas maintenant de la mort rapide qui était la norme au début de l'épidémie du sida — vivent une vie qu'un article récent paru dans un journal qualifiait de «véritable enfer». Il s'agit aussi d'une maladie qui constitue un fardeau financier énorme pour le système de soins de santé du Canada.

J'ai lu récemment un article paru dans le Journal de l'Association médicale canadienne qui était intitulé «The changing direct costs of medical care for patients with HIV/AIDS, 1995-2001». Les coûts médicaux mensuels s'élevaient à 1 036 $ en 1997. Ils sont pratiquement demeurés les mêmes depuis lors. Il y a au moins 50 000 personnes qui sont actuellement atteintes du VIH/sida. Faites le calcul. Il s'agit d'une dépense annuelle impressionnante.

Parmi les autres problèmes médicaux graves associés au comportement homosexuel chez les hommes, mentionnons une augmentation de l'incidence des maladies transmises sexuellement et des deux types d'hépatites les plus fréquentes, l'hépatite B et l'hépatite C. J'aimerais mentionner le fait que je suis dermatologue. Je suis un spécialiste de maladies de la peau, mais les gens ne se rendent pas compte que les dermatologues voient aussi de nombreuses maladies transmises sexuellement. Il y a une bonne raison à cela. Le principal symptôme des maladies transmises sexuellement et celui qui se manifeste le plus rapidement est une infection de la peau. Comme les gens voient leur peau, ils s'adressent à nous. À l'exception des omnipraticiens, les dermatologues sont sans doute ceux qui voient le plus de cas de maladies transmises sexuellement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Qu'est-ce que tout cela a à voir avec le projet de loi?

Le Dr Lafrance: Je voulais simplement vous indiquer que je ne parle pas à travers mon chapeau lorsque je parle de maladies transmises sexuellement. J'ai une expérience concrète de ces maladies.

Le sénateur Lynch-Staunton: Traitez du projet de loi.

Le Dr Lafrance: Je traite les maladies et j'en constate les conséquences sur les gens.

Le sénateur Cools: Vous les mettez mal à l'aise.

Le Dr Lafrance: Je m'en rends compte.

Je répondrai volontiers à la question du sénateur au moment de la période des questions.

Permettez-moi aussi de faire remarquer qu'en 1997, j'ai rédigé un article montrant que le risque pour un homme homosexuel de contracter le virus du VIH — et vous pouvez me croire — était 1 000 fois — non pas 1 000 p. 100, mais 1 000 fois, ce qui représente 100 000 p. 100 — plus élevé que pour un homme hétérosexuel. Vous pouvez rire.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne ris pas.

Le Dr Lafrance: Il ne s'agit pas d'anecdotes, mais de faits. Je mets au défi qui que ce soit dans cette salle, y compris des membres des médias, de trouver un spécialiste des maladies infectieuses ou un fonctionnaire de la santé publique qui veuille débattre à la télévision avec moi de cette étude.

Le président: Docteur Lafrance, votre temps est écoulé, à moins que vous n'ayez besoin...

Le Dr Lafrance: J'aurais aimé traiter du projet de loi.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'aurais aimé que vous le fassiez aussi.

Le président: Je suis sûr, docteur Lafrance, qu'on vous posera des questions à ce sujet. Voulez-vous prendre une minute pour conclure?

Le Dr Lafrance: Oui, j'aimerais faire ma conclusion.

Le président: Je vous accorde une minute pour conclure. Nous passerons ensuite à la période des questions.

Le Dr Lafrance: Tout ce que je veux dire, c'est qu'il n'y aura pas lieu de se réjouir si l'on adopte un projet de loi qui aura pour effet de dissuader les médecins qui sont responsables du bien-être du public de dire les faits tels qu'ils sont.

Voilà tout ce que je voulais dire.

Le président: Je vous remercie, docteur Lafrance.

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vriend. La cour a conclu qu'il fallait considérer que l'expression «orientation sexuelle» se trouvait dans la loi. Ma question s'adresse à Mme Landolt. Êtes-vous d'accord ou non avec cette décision de la cour? Comme vous le savez, une fois qu'un mot dans un statut a été interprété dans un jugement de la Cour suprême, c'est l'interprétation qu'on nous donne par la suite.

Un ou deux d'entre vous ont mentionné les opinions du juge en chef Dickson et de la juge en chef McLachlin. Ces opinions sont contraires, évidemment. Je crois que c'est vous, madame Buckingham, qui avez fait allusion à ces opinions. Il est évident pour moi que ces juges ne sont pas d'accord. On peut dire que ces décisions ne sont pas unanimes. Il n'en demeure pas moins qu'une fois qu'un jugement est rendu, c'est la décision majoritaire qui a force de loi.

Êtes-vous d'accord avec le point de vue exprimé par la Cour suprême du Canada ou critiquez-vous directement ou indirectement son opinion sur cette question? La cour a toujours donné une interprétation très large à la liberté d'expression. C'est l'un des fondements de notre démocratie.

Mme Landolt: À propos de la décision Vriend, je crois qu'elle était très mauvaise mais pas pour les raisons que vous pourriez croire. Je crois que la Cour suprême a inclus dans la loi des mots qui n'y figuraient pas. C'est de cette façon que les tribunaux établissent la politique publique. Je m'oppose à cette pratique.

Le sénateur Beaudoin: Vous n'acceptez pas la décision majoritaire de la cour?

Mme Landolt: Non, pas ce genre de décision. Le tribunal a réécrit la loi en Alberta. C'est inacceptable. Un tribunal ne devrait pas agir de cette façon. Le rôle des tribunaux n'est pas d'élaborer des politiques publiques.

Qui plus est, l'expression «orientation sexuelle» n'a pas été définie au Canada. L'expression figure dans les lois qui protègent les droits de la personne à l'échelle fédérale et provinciale. La difficulté, c'est que les temps ont changé. L'American Psychiatric Association considère maintenant la pédophilie comme un aspect de l'orientation sexuelle. Nous pourrions donner toutes sortes d'autres exemples. Comme vous le savez, si un tribunal peut changer la définition du mariage qui est la même depuis toujours, un tribunal pourrait aussi interpréter ce qu'on entend par orientation sexuelle.

Il me semble qu'il appartient aux législateurs comme vous-mêmes et non pas aux tribunaux de décider du contenu des lois. Ce n'est pas une bonne chose — et je n'aime pas utiliser cette expression — que neuf personnes qui n'ont de comptes à rendre à qui que ce soit élaborent les politiques publiques. Ces personnes ne tiennent pas compte de l'opinion du public comme le font les parlements. Elles prennent des décisions en se reportant aux faits qui leur sont soumis. À mon avis, les parlements ont un mandat beaucoup plus vaste. Voilà ce que je trouve regrettable.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais faire une correction, si je peux m'exprimer ainsi. Je conviens avec vous que c'est l'organe législatif de l'État qui devrait définir la portée de ces libertés. Le fait est que nous n'avons pas toujours le courage voulu pour le faire. Je l'ai dit à plusieurs reprises. Nous prenons à partie par la suite les tribunaux, mais nous n'avons pas le courage de définir clairement ce qui doit être défini dans la loi dès le départ.

Le tribunal l'a cependant fait dans l'affaire Vriend. J'aimerais savoir ce qu'en pense Mme Buckingham.

Mme Buckingham: Il est bon de se poser la question suivante: pourquoi continuons-nous tous à parler de la décision Keegstra et des deux jugements différents? Si nous le faisons, c'est que c'est l'actuel juge en chef de la Cour suprême qui est l'auteur de l'opinion dissidente. La question qui se pose donc est: cet article aurait-il été invalidé par la cour actuelle?

La Cour suprême du Canada a soulevé des questions très importantes au sujet des restrictions qu'impose cet article à la liberté d'expression. Le moment est-il opportun pour élargir la portée de cet article, ou les législateurs devraient-ils plutôt se demander s'il est vraiment nécessaire?

Dans la décision Vriend, la cour a dit que si l'on protège un groupe dans une loi, il faut protéger l'ensemble des groupes dans notre société. Il faudrait pour cela élargir encore davantage la portée du projet de loi C-250. À l'heure actuelle, l'article 318 protège un ensemble limité de groupes. Il ne protège pas l'ensemble des groupes de notre société. Certains ont proposé de se débarrasser de cette liste et de protéger tous les groupes de la société de la propagande haineuse. Ce n'est peut-être pas une mauvaise idée. Il est maintenant question d'ajouter à cette liste un groupe, mais pas tous les autres groupes. D'après ce que vous dites au sujet de l'affaire Vriend, la Cour suprême du Canada est d'avis que si l'on protège un groupe, il faut protéger l'ensemble des groupes. Ce n'est pas ce qu'on propose de faire.

Le président: Avant de permettre à quelqu'un d'autre de poser une question, madame Landolt, je voulais revenir à ce qu'a dit le sénateur Beaudoin.

Craignez-vous que le fait d'interdire la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ait une incidence sur les crimes comme la pédophilie qui sont prévus dans le Code criminel?

Mme Landolt: Le projet de loi C-250 ajoute le terme «orientation sexuelle» dans les articles 318 et 319 du Code criminel qui portent sur la propagande haineuse, mais il ne définit pas ce terme. Nous ne savons pas quel en est le sens. On accorde maintenant un sens plus large à ce terme pour tenir compte du fruit des recherches dans le domaine des sciences sociales et de la psychiatrie. Dans l'affaire Haig et Birch, le juge Krever, de la Cour d'appel de l'Ontario, a affirmé que le terme «orientation sexuelle» s'entendait de la préférence sexuelle. Certains préfèrent les enfants. Certains préfèrent des personnes du même sexe. Il s'agit d'une expression trop générale.

Le président: Ne convenez-vous cependant pas que peu importe la façon dont un groupe ou une personne définit le terme «orientation sexuelle», cela ne change en rien le fait que certaines activités sont des crimes? Le Code criminel définit ces crimes. La pédophilie est considérée un crime en vertu du Code criminel.

Mme Landolt: C'est exactement ce qui m'inquiète, monsieur le président. Ce qui est considéré comme un crime aujourd'hui ne le sera pas demain. Je prends encore une fois l'exemple du mariage. D'après deux tribunaux en Ontario et un tribunal en Colombie-Britannique, la façon dont on conçoit le mariage aujourd'hui et la façon dont il a été conçu depuis toujours sont deux choses bien différentes. Nous ne sommes sûrs de rien. Quelque chose doit être fait.

C'est le Parlement qui doit se prononcer et cesser de s'en remettre aux tribunaux. Le terme «orientation sexuelle» peut être utilisé pour désigner les travestis ou les bisexuels. Est-ce que cette orientation-là est aussi comprise dans la définition? Si c'était ma préférence sexuelle, est-ce que je serais également protégée? La définition est trop large. Toute la situation change d'un jour à l'autre. Ce que l'orientation sexuelle signifie pour nous aujourd'hui — soit être gai ou lesbienne — ne signifiera pas la même chose demain. La pédophilie qui est un crime aujourd'hui ne le sera peut-être pas nécessairement demain. Les tribunaux peuvent faire n'importe quoi.

Lorsque j'étudiais le droit, on disait que les tribunaux pouvaient tout faire, sauf changer un homme en femme ou une femme en homme. Maintenant, je me demande s'ils ne sont pas devenus capables de faire cela aussi, des transgenres ou quelque chose du genre.

Le sénateur Cools: Soyez les bienvenus parmi nous, mesdames et messieurs les témoins. Ne vous imaginez pas que je vous traite différemment des autres, je souhaite toujours la bienvenue aux témoins. Je suis toujours impressionnée par la somme de travail et d'efforts que les témoins doivent fournir pour comparaître devant les comités. Je vous en remercie.

Je tiens aussi à remercier le médecin parmi vous. En tant que professionnel de la santé, vous voyez beaucoup de choses. J'ai donc pensé qu'il serait utile de faire profiter le comité des lumières de la science. J'ai assez d'ouverture d'esprit pour entendre à peu près tout. Les témoins ont lu des textes clairs. Ils disent carrément, tant M. Robinson que les autres, que le projet de loi est en grande partie superflu.

Pour citer M. Robinson, «Ce projet de loi est en grande partie symbolique. Je suis le premier à le reconnaître». M. Jones a affirmé la même chose, ainsi qu'un autre témoin dont le nom m'échappe. À mes questions, les témoins ont répondu que les dispositions actuelles du Code criminel permettent déjà à la police de faire tout son travail, de poursuivre les auteurs présumés de crimes. M. Jones a continué en affirmant que si le projet de loi est jugé nécessaire, c'est par souci de donner une reconnaissance sociale aux homosexuels.

Je ne suis pas avocate, et j'ai subi des gestes discriminatoires de la part de bon nombre d'entre eux, mais j'ai fait beaucoup de lectures au sujet de l'élaboration du Code criminel en 1892 et de son principal rédacteur, M. Stephen. Quiconque a lu cet ouvrage considérable et magnifique comprendra aisément qu'on doit concevoir des lois pénales sans hâte et seulement pour des raisons solides et profondes. La reconnaissance sociale n'en fait pas partie.

Est-ce que le Dr Lafrance peut nous parler des conséquences médicales que peuvent entraîner des pratiques sexuelles telles que le «rimming», si vous connaissez le terme, le sadomasochisme et le reste?

Le sénateur Lynch-Staunton: Irrecevable.

Le sénateur Cools: Non, non, c'est pertinent. Je m'excuse, monsieur le président, mais c'est très pertinent. Honorables sénateurs, nous dissuadons bien les enfants de se mettre à fumer la cigarette parce que nous savons que le tabagisme est nocif. À mon avis, il est question ici de pratiques sexuelles qui sont dangereuses et constituent un danger de mort. Le comité devrait avoir le courage moral d'écouter les témoignages là-dessus. J'ai moi-même perdu beaucoup d'amis très chers qui étaient atteints de l'une de ces nombreuses infections. Je me suis fait un devoir de me renseigner. Voilà pour la première question. Vous pouvez y réfléchir.

Madame Landolt, vous avez raison de juger que l'expression «orientation sexuelle» est tellement générale qu'elle englobe une vaste gamme de comportements sexuels. À ce sujet, j'aimerais ici faire inscrire au procès-verbal le titre d'un document, le Journal of Homosexuality, particulièrement le volume 20 de 1990. Tout le volume porte sur la pédophilie et les rapports intimes entre hommes de générations différentes, abordés sous les angles historique, social, psychologique et juridique. Si vous l'ouvrez, vous y verrez en avant-propos un texte discutant de la pédophilie, et le second article s'intitule: «Les rapports hommes-garçons: des idées différentes pour une diversité de phénomènes». L'ouvrage se poursuit avec «la pédérastie chez les primitifs et l'initiation institutionnalisée».

Le président: Madame le sénateur Cools, auriez-vous l'obligeance de poser votre question, car le Dr Lafrance et Mme Landolt attendent de pouvoir répondre, et il y a aussi un grand nombre de sénateurs qui aimeraient intervenir.

Le sénateur Cools: J'aimerais demander aux témoins s'ils ont lu le récent article de chercheurs de l'Institut Kinsey, MM. Moser et Kleinpatz, par rapport à ce qu'on pourrait dire aux autres médecins au sujet d'une normalisation des paraphilies. Le sujet fait l'objet d'un grand débat en ce moment. Vous ne l'avez peut-être pas lu, ou vous n'êtes peut- être pas au courant de ce genre de texte.

Ce qu'il y a de particulier dans ce débat, à la fois par rapport à ceci et par rapport au mariage, c'est que tout en abordant la sexualité humaine, on n'en parle vraiment jamais parce qu'on en fait abstraction.

Le Dr Lafrance: Je ne suis pas spécialiste des séquelles de la déviance sexuelle en général. Je ne peux pas vous en dire beaucoup là-dessus. Tout ce que je connais du sadomasochisme, c'est ce que j'en ai lu dans la revue Time il y a quelques semaines. Le sujet ne m'intéresse pas particulièrement. Ce qui m'intéresse toutefois, ce sont les conséquences médicales du comportement homosexuel, et c'est d'ailleurs ce que j'ai étudié. Tout ce que je peux vous dire, c'est que j'ai fait allusion à certaines de ces séquelles — et qu'on m'a interrompu. J'aimerais continuer parce que la liste en est longue.

J'ai mentionné le risque de contracter des maladies sexuellement transmissibles et les deux formes les plus répandues d'hépatite, B et C, qui sont de très graves maladies. Cela dit, il est encore plus alarmant d'observer le retour de deux vieux fléaux — la syphilis et la tuberculose — des maladies qui ont disparu d'Amérique du Nord, mais qui sont répandues dans certaines régions du monde. Il y a deux ans, j'ai vu mes premiers cas de syphilis depuis la fin des années 70, et ils étaient rendus à la période secondaire, où les éruptions cutanées caractéristiques sont reconnaissables pour les dermatologues de ma génération. Je suis moins sûr que mes collègues plus jeunes les reconnaîtraient cependant, parce qu'ils n'ont pas vu de cas de syphilis. J'ai donc diagnostiqué deux des quelque 18 cas rapportés dans la région Ottawa- Carleton, et devinez, les deux fois, il s'agissait d'hommes homosexuels.

Le retour de ces deux maladies mortelles — car elles le sont, je vous prie de me croire — a été observé surtout chez les homosexuels des grandes métropoles et grands centres urbains d'Amérique du Nord comme Philadelphie, Chicago et Los Angeles — lieux où se rassemblent les homosexuels. Ça n'est pas une coïncidence.

Autre détail encore plus alarmant: dans la revue Time, je lisais récemment que les hommes homosexuels sont grands consommateurs de Viagra. Inutile de vous expliquer ce que fait le Viagra. Apparemment, sa consommation permet aux hommes homosexuels — dont la promiscuité sexuelle est notoire — d'avoir encore plus de rapports dans une période donnée, avec le résultat — devinez — qu'il y a une incidence élevée de tuberculose et de syphilis dans ce groupe.

J'espère que vous savez aussi que les hommes homosexuels sont le seul groupe à n'avoir pas le droit de donner du sang. Cela leur est interdit par la Société canadienne du sang, le successeur de la Croix-Rouge. Pourquoi est-ce qu'on exclut des hommes qui ont des rapports sexuels avec d'autres hommes du don de sang? Parce que leur permettre de donner du sang représenterait un risque très élevé de transmission d'une maladie mortelle.

La décision de la Société canadienne du sang a été contestée par les groupes homosexuels de deux provinces, le Québec et la Colombie-Britannique, non devant les tribunaux, mais devant la Commission des droits de la personne. Dans les deux cas — et nous savons tous que les commissions des droits de la personne aiment bien faire la chasse à la moindre trace de discrimination — leur contestation a été rejetée, parce que la commission savait fort bien qu'il est tout à fait justifié sur le plan médical de refuser des gens qui peuvent être porteurs d'une maladie mortelle.

Le président: Docteur Lafrance, je vais m'interposer ici.

Le Dr Lafrance: Je pourrais poursuivre pendant des heures.

Le président: Je vais demander à mes collègues et aux témoins de bien vouloir s'en tenir à des questions et à des réponses qui se rapportent au contenu du projet de loi. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de l'expliquer.

Madame Landolt, vous avez été la deuxième personne à être interrogée par le sénateur Cools.

Mme Landolt: Je crois qu'elle m'a demandé si je connaissais un texte publié par M. Charles Moser. Effectivement, en décembre 2002, dans la prestigieuse revue Archives of Sexual Behaviour, M. Charles Moser, du San Francisco Institute for Advanced Study of Human Sexuality, soutenait que la société ne doit pas s'en prendre aux adultes qui ont un penchant pour les enfants.

C'est là où je voulais en venir, monsieur le président, à savoir que ça s'en vient. J'aimerais simplement dire que nous espérons qu'en tant que législateurs, vous assumerez vos responsabilités et empêcherez que certains problèmes ne se produisent à cause de la loi.

Le président: Merci beaucoup.

Le sénateur Lynch-Staunton: Merci, monsieur le président. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à voir la discussion au sujet de ce projet de loi prendre une telle tournure. Je ne vois pas ce que les conséquences médicales du comportement sexuel ont à voir avec ce débat. Je n'aime pas du tout qu'on s'en prenne au comportement sexuel de qui que ce soit. Je suis probablement l'un des quelques-uns ici présents à s'être tout à fait opposé aux politiques de M. Trudeau sauf une, celle disant que l'État n'a rien à voir dans les chambres à coucher de la nation.

J'ai trouvé mesquine l'attaque péremptoire, violente et terrible menée contre un groupe ayant un comportement sexuel donné ou certaines tendances, et elle me paraît aussi nous éloigner de l'objet du projet de loi, qui est d'accorder une protection — s'il y a lieu de l'accorder — au moyen d'une modification au Code criminel.

Je conviens avec le sénateur Cools et avec d'autres — j'ignorais que M. Robinson aussi pensait cela — que le projet de loi est inutile, que les mesures de protection envisagées existent déjà ailleurs. Toutefois, nous sommes saisis du projet de loi, et nous devons donc l'étudier. En conscience, je n'aurais rien à redire si le projet de loi était rejeté car si je me reporte à ce que j'ai entendu ici et à ce que j'ai lu et étudié ailleurs, il existe bel et bien des mesures de protection dans d'autres textes législatifs, comme c'est le cas aussi lorsqu'il s'agit de protéger les citoyens contre la discrimination fondée sur la couleur, l'origine raciale et ethnique et la religion. Tout cela est protégé par d'autres textes, mais il semble conforme à la rectitude politique ou politiquement avantageux d'inscrire ces termes ici.

Aujourd'hui, on nous dit que la seule façon de définir l'orientation sexuelle, c'est en se référant à l'homosexualité. Il me semble que l'orientation sexuelle est beaucoup plus vaste que cela, qu'elle englobe aussi l'hétérosexualité. Pourquoi nous concentrons-nous sur un groupe précis? Je pense avoir trouvé la réponse à ma question, et j'en resterai là.

Je vous la donnerai en posant à tous une autre question: si le projet de loi n'avait pas eu pour parrain un homosexuel avoué, votre opposition serait-elle aussi inflexible?

Mme Landolt: J'aimerais dire une chose. Malgré le respect que je vous dois, à propos de votre réaction aux témoignages du Dr Lafrance, son intervention est pertinente par rapport au projet de loi C-250, car le Dr Lafrance parlait en médecin au sujet d'une question médicale. Il n'est pas socialement acceptable de nos jours de dire que les activités sexuelles entraînent des conséquences de nature médicale, ou quelque chose du genre. Vous vous en êtes formalisé, et, sénateur, cela illustre à quel point il est difficile pour qui que ce soit de s'exprimer là-dessus: on le lui interdira.

Ainsi par exemple, notre organisme s'est prononcé contre les mariages entre conjoints du même sexe. Que s'est-il alors passé? Eh bien, j'ai regardé le site Web de «Equal Marriage», et on pouvait y lire que nous sommes des gens haineux et que nous semons la haine, cela tout simplement parce que nous appuyons la définition traditionnelle du mariage. Nous estimons qu'on travestit ce en quoi nous croyons.

Le Dr Lafrance parlait en tant que médecin et cela vous a offensé, mais s'il avait parlé à la place des séquelles de la syphilis dans les groupes d'hétérosexuels, je doute que vous auriez réagi aussi vivement.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne conteste pas l'exactitude de ses statistiques; je conteste leurs liens avec ce projet de loi. Je suis sûr que je pourrais moi aussi balancer des statistiques sur l'incidence des relations hétérosexuelles sur certaines maladies, mais qu'est-ce que cela a à voir avec ceci?

Mme Landolt: Il nous disait que telles sont les conséquences de cela et on ne lui permet de le faire en public, sous peine de choquer les gens. Vous vous êtes offensé de cela. Par conséquent, si vous inscrivez ces termes dans la loi, le débat public s'en trouvera freiné et entravé d'autant. On ne nous permettra pas de dire notre pensée.

Votre réaction a été très humaine et empreinte de compassion, mais cela signifie qu'un médecin ne pourra pas donner son point de vue, tout comme M. Grant Hill n'a pas pu le faire. Notre groupe a aussi été pris à partie lorsqu'il s'est élevé contre le mariage entre personnes du même sexe. Nous avons été accusés de propager la haine alors que nous ne faisions que défendre les valeurs traditionnelles. Nous craignons que ce projet de loi porte atteinte à la liberté d'expression et c'est ce qui nous préoccupe le plus. Nos droits comme simples citoyens ne sont pas respectés lorsque nous voulons engager un débat public sur cette question alors que certains jugent que ce n'est pas socialement acceptable de le faire. Ce projet de loi va faire un crime du fait de s'exprimer sur cette question. Je pourrais faire l'objet d'accusations.

Je viens de Toronto. Je pourrais m'exposer à de sérieuses conséquences si je voulais me prononcer en faveur du mariage traditionnel et contre l'homosexualité et les mariages entre personnes du même sexe. Voilà ce qui m'inquiète. Pour l'ensemble des Canadiens, la portée de ce projet de loi est trop large et le projet de loi lui-même empêchera tout débat public sur la question.

Le président: Puis-je demander des précisions de notre témoin, sénateur Lynch-Staunton.

Madame Landolt, ne croyez-vous pas qu'en vertu de l'alinéa 319(3)c), qui traite des déclarations se rapportant à une question d'intérêt public, un médecin ou un scientifique pourrait aborder tout aspect de la question qui aurait un intérêt public?

Mme Landolt: Je le regrette, mais ce n'est plus le cas. Je pourrais vous donner de nombreux exemples. Bien que l'homosexualité soit une question pouvant faire l'objet d'un débat public, ce dont vous parlez n'est plus une défense que nous pouvons invoquer. Nous avons été accusés de propager la haine ainsi que tous ceux qui ont exprimé une opinion sur le sujet. Cela a eu pour effet de nous dissuader de parler. Nous craignons que les activistes se servent de cet outil pour restreindre encore davantage notre liberté d'expression. Cette protection est illusoire.

Le président: Je conviens avec vous qu'il s'agit d'une question faisant l'objet d'un débat public, mais je ne pense pas que ceux qui prennent position dans un sens ou dans l'autre doivent craindre de ne pas pouvoir s'exprimer publiquement ou de faire l'objet de poursuites.

Mme Landolt: Voilà le problème. Nous craignons qu'on nous accuse d'avoir commis un crime si nous nous exprimons sur le sujet. Qui sait ce qu'on considère comme de la «propagande haineuse»? Ce que je peux considérer comme étant haineux peut ne pas l'être pour Mme Buckingham. Le terme n'est pas défini. La communauté homosexuelle ne définit pas la propagande haineuse de la même façon que moi. Nous craignons tous de faire l'objet de poursuites criminelles si cette modification est apportée au Code criminel du Canada. Être accusé d'un crime, c'est une affaire grave.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous ne partageons pas le même point de vue, mais j'espère que chacun de nous respecte le point de vue de l'autre. Je suppose que je viens d'un milieu qui explique que je sois davantage prêt à accepter et à comprendre des comportements qui ne sont pas les miens pourvu que personne ne cherche à m'amener à changer de comportements ou de mode de vie. Je me demande simplement pourquoi certains d'entre vous, sinon tous, s'opposent si catégoriquement à un comportement donné, à tel point que vous êtes prêts à vous opposer à un projet de loi qui ne me semble pas très offensant.

Très peu de poursuites ont été intentées en vertu de l'article qui figure actuellement dans le Code. Je doute que le fait d'y ajouter ces mots provoque un raz-de-marée.

Sauf le respect que je vous dois, j'essaie de comprendre votre raisonnement et de trouver ce qui l'explique. Je le respecte, mais je ne le partage pas. Je trouve révélateur que vos convictions mènent à une vue très étroite de la société qui, à mon avis, devrait sans doute être plus compréhensive. Pour ma part, je m'efforce d'être compréhensif.

Mme Buckingham: Vous devez comprendre que nous appartenons à quatre organismes distincts qui ont des perspectives différentes. Ce qui nous préoccupe au sujet du projet de loi, ce n'est pas qui en est l'auteur ou la façon dont il a été présenté, mais le fait qu'il découle de certaines décisions récentes rendues par les tribunaux. J'ai mentionné plusieurs de ces décisions et il y en a une autre récente qui a été rendue par un tribunal de la Colombie-Britannique devant lequel on a invoqué différentes lois pour restreindre principalement l'expression de points de vue religieux sur la moralité sexuelle, notamment sur l'homosexualité. La plupart des propos en question étaient très modérés, mais certains de ceux qui les ont exprimés ont perdu leur emploi ou ont fait l'objet de plaintes devant diverses commissions des droits de la personne.

Nous craignons maintenant que ces personnes fassent l'objet de poursuites criminelles. S'il est vrai que le nombre de poursuites criminelles qui ont été intentées en vertu de cet article n'a pas été très élevé jusqu'ici, il n'y était pas non plus question de l'orientation sexuelle, question qui fait maintenant l'objet d'un énorme débat public ainsi que celle du mariage des personnes du même sexe. Nous craignons que cet article soit beaucoup plus invoqué qu'il ne l'a été jusqu'ici. Nous craignons donc qu'il restreigne la liberté d'expression et en particulier, dans notre perspective, la liberté d'expression religieuse sur les questions de moralité sexuelle.

Si j'espère que vous avez raison de croire que ce projet de loi ne donnera pas lieu à une augmentation des poursuites, qu'adviendrait-il si c'était le cas? Les législateurs ne doivent pas criminaliser la liberté d'expression à la légère parce qu'elle est protégée en vertu de la Charte des droits et libertés et que cette protection devrait être la plus large possible.

Le sénateur Smith: Ma question s'adresse au Dr Lafrance.

Je vous ai écouté citer des statistiques. Je suis certainement prêt à entendre votre point de vue à tous. La liberté d'expression ne me pose aucun problème.

J'ai cependant cru que vous proposiez qu'on fasse un crime d'actes homosexuels consensuels entre personnes en âge de consentir à ces relations. Vous ai-je bien compris?

Le Dr Lafrance: Non.

Le sénateur Smith: Que proposez-vous dans ce cas?

Le Dr Lafrance: Je réclame pour les médecins le droit de faire connaître les risques associés à certains comportements, qu'il s'agisse du tabagisme ou de la conduite en état d'ivresse. Il y a de nombreux comportements que notre société et/ou la profession médicale découragent activement et vigoureusement. Prétendre qu'un homme hétérosexuel court le même risque qu'un homme homosexuel de contracter le VIH est un mensonge qui est propagé par notre propre association médicale et par l'establishment médical. Il s'agit d'un mensonge et je mets publiquement au défi qui que ce soit de dire le contraire. Le risque est 1 000 fois plus élevé dans le cas d'un homme homosexuel. Dire que tout le monde court le risque de contracter le VIH est une demi-vérité et une demi-vérité est un demi-mensonge. À titre de médecin, je cours davantage de risque que vous de contracter le VIH/sida parce que je peux me piquer la main avec une aiguille après avoir fait une anesthésie locale. J'aurais alors contracté le virus non pas en raison de mon comportement sexuel, mais parce que j'aurais fait preuve de négligence. Le risque de contracter le virus par une transfusion sanguine est très faible, comparativement à ce qu'il était au moment de l'épidémie du sang contaminé. Le risque est d'un cas sur 250 000. Je pourrais vous expliquer pourquoi, mais c'est très technique.

Le sénateur Smith: J'accepte que vous dites ces choses de bonne foi. Avez-vous obtenu un avis juridique affirmant que vous pourriez faire l'objet de poursuites en vertu de cette loi, si elle était adoptée, pour avoir exprimé les vues que vous venez d'exprimer?

Le Dr Lafrance: Je ne pense pas être paranoïaque, mais je crois que ce risque existe. Il y a quelques semaines, une personne a déposé une plainte contre moi auprès de l'Ordre des médecins et chirurgiens de l'Ontario en raison de la présence dans mon bureau d'une brochure intitulée «The Deadly Con Game», qui traite de l'épidémie silencieuse des maladies transmises sexuellement. Il n'est pas question dans cette brochure du VIH/sida, mais de l'épidémie d'herpès et des verrues génitales. On ne se rend pas compte de l'importance de cette épidémie. Je conserve le droit d'affirmer qu'il existe une épidémie et que les solutions qui sont proposées pour faire face à cette épidémie sont mauvaises. Je veux avoir le droit de pouvoir m'exprimer sans qu'une loi m'oblige au silence.

Le sénateur Smith: Bien. Avez-vous obtenu un avis juridique — par écrit, je l'espère — qui vous permette de tenir de tels propos, à savoir que si cette loi est adoptée, vous aurez commis une infraction?

Le Dr Lafrance: Connaissant les tribunaux, on peut s'attendre à n'importe quoi de nos jours. Je peux vous dire que je ne suis pas du tout rassuré.

Le sénateur Smith: J'en conviens. Est-ce que vous dites que vous n'avez pas d'avis juridique écrit à ce sujet?

Le Dr Lafrance: Non. Après avoir vu ce qui est arrivé à M. Hill, à une époque où il n'y avait pas de loi comparable à celle que l'on propose actuellement, je suis très inquiet. Un médecin a le droit de protéger la santé de ses patients et celle de l'ensemble de la population. J'ai non seulement le droit de dire cela, mais j'en ai aussi le devoir.

Le sénateur Smith: Madame Buckingham, votre point de vue m'inspire un grand respect. J'essaie de faire le point sur une question qui me préoccupe depuis longtemps. Je viens d'une famille chrétienne évangélique. J'ai deux frères qui sont pasteurs, et mon père et mon grand-père l'étaient également. Je suis le mouton noir de la famille. Pourtant, à ma connaissance, ce projet de loi ne pose pas de problèmes aux principales églises protestantes.

Est-ce que vous appliquez le principe de la séparation de l'Église et de l'État? Si je vivais en Iran, je n'aimerais pas que l'Ayatollah en chef me dicte ce qui m'est permis et ce qui m'est interdit. Dans une société démocratique, les lois en vigueur sont là parce que des représentants élus investis d'un mandat en ont décidé ainsi, et non pas parce que quelqu'un considère que certaines choses constituent un péché. Ne pensez-vous pas que c'est ce qu'il faudrait inscrire dans la loi pour tout le monde, toute conviction religieuse mise à part? Comment réagissez-vous à la question plus générale de la séparation de l'Église et de l'État, si le sujet n'est pas trop philosophique? Acceptez-vous ma question?

Mme Buckingham: Mon nom est d'origine mennonite, et je reconnais donc évidemment le principe de la séparation de l'Église et de l'État.

Les musulmans et les catholiques ont exprimé certaines préoccupations concernant le projet de loi, essentiellement en ce qui concerne les textes sacrés. Les catholiques ont certaines craintes à cause des déclarations du pape, par exemple. L'année dernière, en Irlande, lorsque le pape a fait une déclaration sur l'orientation sexuelle, l'Association irlandaise des libertés civiles a soulevé des préoccupations concernant le fait que cette déclaration, lue dans les églises, était considérée comme des propos haineux en vertu du Code criminel irlandais. Je voudrais inverser l'argument pour dire que je n'entends pas imposer un point de vue évangélique de la moralité sexuelle. Je parle des gais et des lesbiennes qui m'imposent leurs points de vue pour me dire que je n'ai pas le droit de faire de déclaration publique concernant ma conception de la moralité sexuelle parce que ce serait tenir des propos haineux.

J'ai participé la semaine dernière à une émission de télévision où quelqu'un des médias gais m'a dit: «Ce sont vos points de vue religieux sur la moralité sexuelle qui provoquent de la violence contre les gais et les lesbiennes». Personne ne m'avait encore dit publiquement une telle chose. Cependant, si c'est là le point de vue de la communauté gaie, je me demande avec inquiétude si je peux énoncer publiquement mes convictions religieuses. Je ne veux pas les imposer à qui que ce soit, mais je ne veux pas non plus qu'on m'interdise de faire une déclaration publique sur ce sujet, en particulier lorsque mon point de vue est fondé sur des convictions religieuses et des textes religieux.

Le sénateur Smith: Je serai tenté d'aborder ici le sujet du mariage entre personnes de même sexe, mais je suppose que vous ne m'y autoriserez pas, monsieur le président.

Le sénateur Stratton: Ma question s'adresse à Mme Buckingham. J'ai fait une intervention au Sénat concernant la nécessité de ce projet de loi. Je suis assez libertaire et j'estime que si la question est déjà couverte dans d'autres dispositions du Code criminel, ce projet de loi ne devrait pas être nécessaire. J'ai l'impression qu'on ajoute des dispositions à une liste qui existe déjà. Vous dites qu'il faudrait soit étendre cette liste pour y inclure tout, soit, carrément, la supprimer. Je persiste à penser que ce projet de loi n'est pas indispensable. Peut-être est-il utile d'un point de vue social, cependant, par respect pour tous ceux qui souffrent. Il y a eu suffisamment de cas douloureux dans l'ensemble du pays, ou du moins, dans ma province.

Ne pouvez-vous pas contester le projet de loi quant à son utilité et affirmer que s'il y a une mesure à prendre, c'est bien de supprimer toute la liste? Vous allez jusqu'à dire que vous êtes menacé; c'est peut-être vrai, mais c'est une question d'opinion. Je préférerais une discussion sur le plan juridique où l'on expliquerait pourquoi il ne faut pas mettre en place une telle loi parce qu'elle existe déjà ailleurs. N'y a-t-il pas des façons autres que ce projet de loi d'aborder le problème social en cause?

Mme Buckingham: J'estime qu'il y a toujours des solutions autres que le droit criminel qu'on peut utiliser avant de recourir aux lourdes sanctions de ce dernier. Dans son témoignage, M. Robinson a parlé de propos tenus sur un terrain de jeux, ce qui m'inquiète considérablement. Est-ce qu'on va pénaliser des propos tenus dans une cour d'école? Voilà un domaine où il faut faire de l'éducation et sensibiliser les enfants aux besoins des autres enfants. Dans notre société, les personnes qui souffrent de handicaps mentaux ou physiques sont certainement parmi les groupes visés par des propos haineux.

À partir de quand la haine devient-elle un acte criminel? Je reconnais avec vous que rien ne prouve qu'il existe une propagande haineuse qui entraîne des crimes haineux contre les gais et les lesbiennes dans notre société. Je ne sais pas quel genre de témoignages vous avez recueillis sur la propagande haineuse dans notre société, ni même si c'est actuellement un problème dans notre société. À mon avis, rien ne s'oppose à ce que cette disposition soit supprimée du Code criminel. Elle sert plus à empêcher certaines personnes d'exprimer légitimement leur point de vue en les menaçant de poursuites pénales qu'à imposer le silence à ceux qui expriment véritablement des intentions criminelles. Nous vivons dans une société libre et démocratique où chacun devrait accepter un débat public sur des questions d'importance.

Le sénateur Stratton: Voilà qui répond à ma question sur la nécessité du projet de loi. À ma connaissance, il ne vise pas à ajouter des éléments à la liste, mais plutôt, comme on l'a dit, il est proposé pour des raisons sociales. Si vous ne voulez pas que ce projet de loi soit adopté, que proposez-vous pour empêcher la violence contre les gais? C'est un véritable problème. Comme je l'ai dit, il y a déjà eu des cas de violence contre les gais dans la ville d'où je viens. Il y a eu des meurtres. Vous n'abordez pas cette question. Je pense qu'il faut que vous l'abordiez, car elle est bien réelle.

Mme Buckingham: Il y a effectivement de sérieux problèmes de violence contre les gais et lesbiennes. Cependant, je n'ai encore vu aucune preuve d'une haine exprimée qui serait à l'origine de la violence dont vous parlez, je crois, et qui s'exerce contre les gais et lesbiennes.

Ce qui m'inquiète, c'est quand j'entends des gens qui disent: «Ce sont vos convictions religieuses qui provoquent cette violence». Ce n'est pas ce qu'enseigne la religion chrétienne. Mais si la communauté gaie a cette impression, elle va cibler l'expression religieuse. Or, je ne pense pas qu'il y ait de lien entre les deux.

Il existe déjà des lois pour réprimer la violence. Il existe des lois contre les crimes haineux, notamment les crimes fondés sur l'orientation sexuelle. Je pense qu'il faut appliquer ces lois. Rien n'indique que cette violence provienne de milieux religieux ni qu'il faille éliminer un quelconque élément de propagande haineuse contre les gais et lesbiennes de notre société.

Le sénateur Stratton: Je ne pense pas que vous ayez répondu à ma question. Je vais y revenir.

Mme Landolt: Je peux citer les propos d'Égale, un groupe de lobbying en faveur des homosexuels, qui a comparu devant vous jeudi dernier. Il a dit qu'actuellement, l'essentiel de l'information sur la prévalence d'une propagande haineuse et de crimes haineux au Canada vient uniquement d'expériences et d'histoires vécues. C'est une information locale de portée très limitée. Autrement dit, il n'y a aucune preuve.

Nous savons que si quelqu'un est agressé parce qu'il est homosexuel, ses agresseurs seront poursuivis, mais rien ne prouve que la propagande haineuse soit à l'origine de l'agression. Aucun lien ne permet de dire à la victime: «C'est à cause de vos idées religieuses que j'ai été agressé» ou «C'est à cause de vous qu'on m'a volé». Il n'y a pas de lien entre les deux. Aucune donnée ne prouve qu'il existe un lien avec la propagande haineuse, parce qu'il n'y a pas de preuve de cette propagande haineuse. Il n'y a pas de preuve que les homosexuels soient victimes d'une propagande haineuse. Ce sont eux qui prétendent en être victimes.

Vous dites qu'on ne peut pas laisser qui que ce soit tenir des propos négatifs, mais certains tiennent des propos négatifs sur moi et je ne pense pas que la législation me protège de ce point de vue. Nous faisons tous l'objet de propos négatifs. Certains portent des lunettes. On ne peut pas les protéger. La propagande haineuse est une infraction criminelle, lourde de conséquences, qui vise à protéger les citoyens des pensées ou des propos désobligeants. Mais rien ne nous protège des pensées désobligeantes. Je serais ravie si l'on supprimait tous les motifs énumérés à l'article 319 en se contentant de dire que tout le monde au Canada est protégé. Comment se fait-il que certains seulement soient protégés? Pourquoi ne pas dire que tout le monde est protégé, quitte à supprimer la liste? L'aveugle serait protégé au même titre que celui qui porte des lunettes, ou celui qui présente une surcharge pondérale, ou celui qui n'est pas de la bonne couleur.

Le sénateur Stratton: Une dernière chose. Il reste un problème social qui préoccupe ces gens-là. Il va falloir aborder ce problème d'une façon ou d'une autre, si on ne le fait pas par l'adoption du projet de loi. J'espère une réponse de votre part à ce sujet.

Le président: J'aimerais revenir, madame Buckingham, sur l'argument du sénateur Stratton concernant l'arrêt McAleer de la Cour fédérale, de 1996. Est-ce que vous le connaissez? Il confirme une décision de la Commission canadienne des droits de la personne qui avait constaté l'existence d'une propagande haineuse fondée sur l'orientation sexuelle.

Mme Buckingham: Malheureusement, je ne connais pas cet arrêt.

Le sénateur Beaudoin: Quel arrêt?

Le président: McAleer, de 1996.

Le sénateur Pearson: J'ai été très impressionné par les propos de Mme Buckingham lorsqu'elle a dit, dès le départ, qu'elle n'acceptait pas des propos qui font la promotion de la haine ou d'actes haineux. À mon avis, c'est bien de cela qu'il est question ici. Ce projet de loi ne porte que sur la promotion de la haine et des actes haineux. Il y a toute une différence entre l'expression d'une opinion et la promotion de la haine.

À mon avis, il n'y a pas à craindre que ces dispositions soient utilisées de façon excessive. Je pense que leur valeur symbolique est importante. Je suis d'accord avec le sénateur Stratton. Nous connaissons tous des cas précis. Ce n'est pas par hasard que des gais et lesbiennes sont victimes d'actes criminels et se font tabasser dans des parcs publics, et cetera. Cette violence vient bien de quelque part. Même s'il n'y a pas de preuve, elle a un lien avec une culture qui semble permettre de penser que la haine est possible.

À mon avis, ce projet de loi affirme simplement que l'expression de la haine contre ce groupe et contre d'autres qui sont énumérés ici n'est pas acceptable dans notre société.

J'estime en tant que chrétienne que le principal message de la religion chrétienne est la compassion et le respect de tous. Et c'est ce que j'aimerais voir. Il est important de faire savoir que les Canadiens considèrent que la haine contre ce groupe n'est pas acceptable. Et c'est l'objet même de ce projet de loi.

Monsieur Lafrance, j'ai une grande expérience du travail auprès des jeunes et je sais que le problème des maladies sexuellement transmissibles concerne essentiellement les jeunes. L'éducation est très importante. Je ne vois pas en quoi ce projet de loi ferait obstacle à l'éducation sur ces maladies auprès des jeunes. Ils donnent souvent l'impression de ne pas les connaître et de ne pas savoir comment elles se transmettent. Je ne vois pas comment ce petit ajout à une disposition du Code criminel ferait obstacle à l'éducation des jeunes.

Ce sont des commentaires plutôt que des questions.

Le sénateur Andreychuk: La plupart des Canadiens sont d'accord pour dire qu'il est inacceptable que la haine serve à faire du tort à qui que ce soit. Mon point de vue ne doit pas permettre à quelqu'un d'autre d'user de violence contre quiconque.

Le problème que présente l'orientation prise par le débat sur le projet de loi C-250, ce n'est pas qu'il faille craindre qu'une religion doive aller défendre ces textes sacrés devant des tribunaux canadiens. Il pourrait y avoir une difficulté dans ce domaine si quelqu'un usait de violence au nom d'une religion mal comprise ou parce qu'il appartient à un groupe dissident.

À la suite des actes terroristes, nous nous sommes demandés s'il n'y avait pas lieu d'inclure la religion dans notre définition des activités terroristes, que cette religion soit prêchée par une ou deux personnes ou par un groupe de 200 ou de 2 000 personnes. Nous nous sommes même interrogés sur certaines motivations religieuses. Est-ce de cela que vous voulez parler? Quelqu'un pourrait mal interpréter le message de l'église et prendre les armes au nom d'une religion, pensant ainsi légitimer la violence. Y a-t-il un passage possible de l'enseignement religieux paisible au recours à la violence?

Mme Buckingham: Ma préoccupation vient du fait qu'on s'est déjà servi des textes religieux dans un sens qui faisait la promotion de la haine. Je pense en particulier à l'arrêt Hugh Owens de la Saskatchewan, où on invoquait le Code des droits de la personne de la Saskatchewan. Malheureusement, lorsque la Cour a rendu sa décision, elle n'a pas fait ce genre de nuance. Elle a simplement parlé de textes bibliques qui font la promotion de la haine contre les gais et lesbiennes. On a donc ce précédent jurisprudentiel qui affirme que les textes bibliques préconisent la haine contre les gais et lesbiennes. Et nous nous demandons en retour quelle protection nous pouvons obtenir pour la Bible, maintenant que ce précédent existe.

Personne n'aime se faire dire que ce qu'il fait constitue un péché, quelles que soient les activités en question. Personne n'aime se le faire dire. Évidemment, il y a des gais et des lesbiennes qui n'aiment pas entendre les chrétiens dire que ces péchés sont au coeur même de leurs convictions religieuses.

On peut se servir d'un précédent juridique très général pour interdire ce qui devrait être l'expression d'un sentiment religieux légitime sur le comportement sexuel ou sur la moralité sexuelle. C'est précisément cette jurisprudence très générale qui nous préoccupe. Les cas extrêmes ne font pas de la bonne jurisprudence. Et je crains qu'on se serve de cette mauvaise jurisprudence pour interdire l'expression de sentiments religieux légitimes.

Le sénateur Andreychuk: Pensez-vous que ce genre de malaise a pu priver ce projet de loi de l'élément de bonne foi qui apparaît habituellement dans le droit pénal canadien?

Mme Buckingham: Oui.

Le sénateur Andreychuk: C'est peut-être à cause de l'arrêt Owens que j'ai reçu tant de courriels et tant de lettres provenant de la Saskatchewan.

Mme Buckingham: Cette affaire a fait beaucoup de bruit. Certains ont dit que la Bible avait été qualifiée de «littérature haineuse». Je ne pense pas que la Cour ait jamais eu une telle intention. Cependant, quand on s'en tient à la lettre de l'arrêt, c'est bien cette intention qui apparaît. À cause de cette décision, les habitants de Saskatchewan ont été plus nombreux à exprimer leurs préoccupations.

Le sénateur Andreychuk: J'espère que d'ici à ce que nous obtenions des chiffres et des données précises sur les faits, chacun aura le droit de soulever ouvertement les problèmes et de faire part de son expérience. Néanmoins, l'information disponible montre que le VIH n'est pas un problème d'homosexuels. En Afrique, il touche plutôt les femmes. C'est un problème hétérosexuel qui concerne les enfants, les orphelins et le monde entier.

Il faut l'aborder en tant que problème médical. Le nombre des cas augmente ou diminue dans tous les milieux en fonction de l'intensité de l'effort d'éducation qu'on y consacre. Lorsqu'on fait de l'éducation auprès des groupes particulièrement vulnérables, les comportements au sein de ce groupe se modifient et les individus se protègent contre le VIH/sida. Lorsque l'éducation s'arrête, les chiffres augmentent de nouveau. Les jeunes font des expériences, et c'est bien là le problème. En situation de guerre, on prend des risques que l'on ne prendrait pas en situation normale.

J'ose espérer que nous ferons preuve de prudence en avançant nos faits. Je respecte les précisions que le Dr Lafrance a apportées en disant qu'il se préoccupait de l'incidence de la maladie, du coût pour les collectivités et de la nécessité de mesures préventives. Toutefois, j'espère que nous serons plus prudents lorsque nous généralisons.

Le sénateur Banks: Mes collègues savent que j'apporte à cette question et à ce débat la clarté de vision qui découle de la naïveté et du défi. Je n'ai aucune difficulté à faire une distinction entre les crimes de violence, qui sont déjà passibles de sanctions et la question que voici: est-ce un délit que d'inciter la haine à l'égard d'un groupe identifiable de personnes? J'aborde la question de ce point de vue.

Pour ajouter à ce qu'a dit madame le sénateur Andreychuk, docteur Lafrance, je comprends aussi ce à quoi vous voulez en venir. Toutefois, lorsque l'on présente des opinions scientifiques, il faut s'assurer d'avoir raison. Vous avez notamment dit qu'il n'y a qu'un groupe de personnes à qui il n'est pas permis de donner du sang. Or ce n'est pas vrai. Je ne peux pas donner de sang pour des raisons autres que celles que vous avez présentées. Il faut faire attention lorsqu'on invoque un argument scientifique. Je ne peux pas donner de sang parce que je prends des médicaments pour une tension artérielle élevée et donc on ne veut pas de mon sang.

Le Dr Lafrance: Vous êtes un individu et j'ai parlé de «groupe».

Le sénateur Banks: Je suis tout autant membre d'un groupe identifiable que quiconque d'autre. Les homosexuels ne sont pas, au sens normal du terme, un groupe identifiable. Vous ne pouvez pas dire cet homme ou cette fille l'est.

Une des objections soulevées, c'est qu'il est difficile de définir «la haine». L'article 319 porte sur l'incitation à la haine et l'article 318 porte sur le génocide. Si nous éliminons l'idée de la haine du Code criminel actuel, par quoi la remplacer? Si nous le faisons, faut-il tout simplement abroger entièrement l'article 319? Je présume qu'il n'est pas acceptable de faire ou de dire certaines choses qui offensent un groupe qui se différencie par la religion, la couleur ou l'origine ethnique. Je pense que nous en convenons tous.

Si nous n'utilisons pas le mot «haine», lequel faut-il utiliser? Devons-nous l'éliminer et dire qu'il n'y a pas de sanction pénale infligée à ceux qui prêchent — faute d'un autre mot — contre les gens à cause de leur couleur, de leur race, de leur origine ethnique, de leur orientation sexuelle ou de leur religion? Que faire?

Mme Buckingham: D'après ce que je sais de l'histoire de cet article du Code criminel, il remonte à la Seconde Guerre mondiale. En fait, on l'a inclus dans le Code criminel après la Seconde Guerre mondiale, à cause justement de nombreux écrits contre les Juifs. Nous ne voulons pas que cela se reproduise.

Le sénateur Banks: ... et les Noirs, les Irlandais et les Polonais.

Le sénateur Cools: Les Noirs n'ont pas eu grand-chose à dire.

Mme Buckingham: Nous redoutons la violence et craignons d'inciter la violence contre encore un autre groupe dans la société.

Le sénateur Banks: Ce n'est pas...

Mme Buckingham: Ce n'est pas ce que prévoit l'article, mais ou sa demande quelle expression utiliser si nous laissons tomber «haine». Nous nous trouverions ainsi à accepter la violence et l'incitation à la violence.

Le sénateur Banks: Est-il acceptable d'inciter à la haine si ce n'est pas accompagné de violence?

Mme Buckingham: Il faut quand même protéger notre liberté d'expression dans la société. Nous nous débattons pour décider où faire la distinction.

Je crains que la haine soit très difficile à définir. Je peux penser par exemple que c'est une incitation à la haine si quelqu'un me qualifie d'intolérante mais est-ce une manifestation de haine contre moi? Comment pouvons-nous définir la haine? Faut-il le faire objectivement ou subjectivement? Il est beaucoup plus facile de définir l'incitation à la violence. Manifestement, c'est une activité criminelle. L'incitation à la haine frôle davantage la limite à ne pas franchir parler de «crime» n'est pas une petite affaire.

Le sénateur Banks: Pensez-vous par exemple qu'il ne faut pas imposer de sanctions pénales à ceux qui incitent à la haine contre la religion? L'accepteriez-vous?

Mme Buckingham: Je n'ai aucune objection à retirer cela. Je n'aime pas ça, mais de là à en faire un délit criminel.

Le sénateur Banks: Accepteriez-vous que ce ne soit pas passible de sanction pénale que d'inciter à la haine contre les gens pour des raisons de religion ou de couleur?

Mme Buckingham: Comme une infraction au Code criminel.

Le sénateur Banks: Merci. Vous vous inquiétez que l'on inculpera des gens aux termes de ces dispositions du projet de loi, s'il est adopté, pour des choses dites qui ne sont pas considérés comme une infraction pénale.

Êtes-vous rassurée par l'article 2 du projet de loi? Est-ce que cela ne vise pas le point soulevé par le Dr Lafrance — que j'ai trouvé très intéressant — à savoir que le projet de loi permet plus ou moins aux gens de dire des choses pour des raisons religieuses mais rien d'autre. Toutefois, vos objections reposent sur vos croyances religieuses. Je me demande si l'article 2 du projet de loi vous rassure. Je ne parle pas du Code criminel, mais de l'article 2 du projet de loi C-250.

Mme Buckingham: Ce qui m'inquiète, c'est que l'amendement vise les moyens de défense. Si j'ai bien compris, les tribunaux ont interprété cette disposition comme signifiant: «Si nous décidons que vous avez fait la promotion, à dessein, de la haine, cela ne saurait constituer une expression de bonne foi sur un sujet religieux».

Le sénateur Banks: En vertu de quel précédent?

Mme Buckingham: Je songe à l'affaire Harding dans laquelle un pasteur de Toronto a publié plusieurs brochures au sujet des musulmans dans cette ville. Tout d'abord, le tribunal a dit que l'aveuglement volontaire pouvait être «volontaire» et que, par conséquent, peu importait qu'il n'ait pas eu l'intention de faire la promotion de la haine contre les musulmans. Le tribunal a également décrété que dans l'expression de son opinion sur un sujet religieux, il ne pouvait pas utiliser son expression religieuse pour promouvoir la haine.

Le sénateur Banks: J'en conviens.

Mme Buckingham: Malheureusement, nous nous retrouvons avec une situation où les moyens de défense ne vous aident pas vraiment beaucoup. Si on décide que vous avez fait la promotion de la haine, le tribunal dira: «Il n'y a aucune religion qui vous permet de faire la promotion de la haine. Par conséquent, il ne peut s'agir de l'expression, de bonne foi, sur un sujet religieux, même si c'est fondé sur un texte religieux».

Le sénateur Banks: Est-ce que cela vous rassure qu'afin de se prémunir contre toutes poursuites aux termes du Code criminel, on doit convaincre le procureur général que les accusations portées entraîneront probablement une condamnation et qu'en l'absence de cette conviction, le genre de choses frivoles dont vous parlez ne pourrait pas se produire? Est-ce que cela vous rassure par rapport à vos réserves sur ce projet de loi?

Mme Buckingham: Cela empêchera les poursuites frivoles. Toutefois, cela n'a certainement pas aidé le révérend Harding. Il a fait l'objet d'accusations et a été reconnu coupable.

Je suis plus préoccupée par ce qui constitue la haine. Si les gais et les lesbiennes estiment que le fait que les chrétiens condamnent le comportement homosexuel en le qualifiant de péché et que cela fait la promotion de la haine...

Le sénateur Pearson: Certains chrétiens.

Mme Buckingham: ... certains chrétiens de l'Église évangélique et certains chrétiens catholiques prétendront que cela pourrait constituer la promotion de la haine, que le procureur général en convienne ou non, et pourrait entraîner une condamnation.

Le sénateur Banks: Pas si le procureur général n'accepte pas qu'une condamnation est possible.

Mme Buckingham: Non, mais si cela entraîne une condamnation?

Le sénateur Banks: Alors le procureur général devrait en être convaincu au départ et aussi que l'affaire a un certain mérite.

Mme Buckingham: Justement. Cela limite grandement la liberté de religion et la liberté d'expression.

Le sénateur Banks: Il y a des limites auxquelles nous devons nous conformer. Nous vivons en société. Vous conviendrez avec moi que dans une société il faut établir des limites et que nos libertés sont limitées. Je veux dire, pour prendre un exemple absurde, que je ne peux pas conduire à 70 milles par heure dans une zone scolaire. Même si j'en ai très envie et même si je pense que je devrais pouvoir le faire, je ne le peux pas. Lorsque nous vivons en société, nos libertés, en ce sens, ne sont pas absolues. Elles sont limitées, c'est la définition d'une société.

Le sénateur Joyal: Madame Buckingham, vous avez fait référence à la juge McLachlin à plusieurs reprises dans votre réponse. Avez-vous lu le discours qu'elle a prononcé à l'Université McGill lors d'une conférence sur le pluralisme, la religion et la politique publique, le 18 novembre 2002? Elle définissait clairement la liberté de croyance et la suprématie du droit, elle expliquait que dans notre société, la liberté de croyance ne prime pas sur la suprématie du droit. Cela semble contredire votre propre interprétation de la séparation entre l'Église et l'État, comme l'a dit mon collègue le sénateur Smith.

En vertu des lois du pays, la liberté de religion n'est pas absolue. Si, dans une société, en vertu de vos croyances religieuses, vous encouragez, par exemple, le meurtre d'un groupe de personnes, vous ne pouvez pas vous attendre à ce que la liberté de religion que vous invoquez vous protège des poursuites. Il y a des limites à la liberté d'exprimer ses croyances publiquement. Vous, en tant que personne, pouvez vous y opposer.

Prenons un autre exemple. Dans l'Église catholique romaine, le sacrement du mariage existe. Il est dit que les personnes divorcées vivent dans le péché. Comme vous le savez, l'Église refuse la communion aux divorcés. Si quelqu'un disait publiquement «Tuons toutes les personnes divorcées parce qu'elles vivent dans le péché et qu'elles mourront dans le péché», je pense que ce serait enfreindre les limites de la suprématie du droit dans la société. La primauté du droit dans une société revient à dire que la dignité de l'être humain impose que toute personne ait droit à la vie et à l'intégrité physique.

Si vos croyances religieuses mettent en péril ce droit à l'intégrité physique, la loi doit établir des limites à l'expression publique de ces croyances et fixer les conséquences de celle-ci.

J'attire votre attention sur le discours de la juge McLachlin parce que je pense qu'elle a réussi à délimiter précisément la notion de croyance et d'expression religieuse et la notion de la primauté du droit, qui accorde à chacun le droit à son intégrité.

Le paragraphe 319(1) du Code criminel stipule que:

Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu'une telle incitation est susceptible d'entraîner une violation de la paix, est coupable [...]

Par conséquent, il existe une définition de la haine. La haine en tant que telle n'est pas interdite dans le Code criminel. C'est l'incitation à la haine qui est susceptible d'entraîner une violation de la paix qui est interdite. Cette définition est très claire dans le Code criminel, qui établit un équilibre entre les croyances de chacun et l'incitation à violer la paix, à menacer l'intégrité physique de quelqu'un. C'est ce qu'on entend par violation de la paix.

Avez-vous étudié cet aspect du paragraphe 319(1), en rapport à la Charte et aux différentes interprétations des tribunaux dont a parlé la juge McLachlin lors de son discours?

Mme Buckingham: Le paragraphe 319(2) me préoccupe davantage que le paragraphe 319(1). Le paragraphe 319(2) ne mentionne pas l'incitation à la violation de la paix ou à la violence. Vous avez soulevé l'argument que j'ai justement invoqué plus tôt: inciter à la violence ou à la violation de la paix, c'est dépasser les bornes. Mais c'est différent du premier cas où l'Église catholique refuse de permettre aux personnes divorcées de communier. La suprématie du droit stipule maintenant qu'en tant que lieu de culte, vous ne devez pas faire de discrimination. Ce serait donc une violation de la liberté de religion qui posera un problème à l'Église.

Sans préciser qu'il s'agit d'incitation à la violence ou d'une violation de la paix, c'est à cela que le paragraphe aboutirait. Il tend à dire: vos croyances religieuses ne sont plus en conformité avec la primauté du droit parce que, d'un point de vue moral, vos croyances sont discriminatoires. Qu'il s'agisse de divorce ou d'orientation sexuelle, je ne pense pas que l'État soit à sa place dans le domaine de la religion pour pouvoir dire aux groupes religieux ce qu'ils peuvent croire ou pas, ou ce qu'ils peuvent promouvoir ou pas au sein de leurs communautés.

Le sénateur Joyal: Là n'est pas le problème. On n'a jamais vu un tribunal canadien sanctionner les doctrines d'une église — par exemple en interdisant le divorce et d'autres conduites — comme étant contraires aux droits de la personne. C'est quand on quitte la sphère des croyances et qu'on s'aventure sur la scène publique pour cibler un groupe de personnes et pour promouvoir la haine et la violence envers ce groupe, que l'État intervient pour protéger ledit groupe.

La liberté de religion, je le répète, n'est pas absolue. Les croyances religieuses ne supplantent pas la primauté du droit; c'est mon opinion et celle des tribunaux canadiens. La primauté du droit repose sur un groupe de valeurs essentielles. Parmi ces valeurs essentielles, figurent l'intégrité physique et la dignité humaine. Il s'agit de valeurs fondamentales de notre société. Il est possible de les interpréter différemment selon la confession religieuse ou le dogme. Les comportements sont jugés différemment selon le dogme.

La question que nous devons nous poser est la suivante: le projet de loi établit-il une distinction claire entre une croyance doctrinale à propos d'une certaine conduite et le besoin de protéger la primauté du droit dans la société? C'est ce que nous nous efforçons de comprendre en examinant le projet de loi. Quand vous dites que l'incitation à la haine est une question à laquelle votre groupe est indifférent, je réponds que c'est une croyance et que je la respecte.

Mme Buckingham: Si c'est ce que j'avais dit, je serais d'accord avec vous. Mais j'ai, en fait, commencé par dire que c'était une pratique que nous ne tolérions pas, que nous n'encouragions pas. Il n'est pas chrétien d'inciter à la haine.

Le sénateur Joyal: C'est bien ce qu'il me semblait, aussi. Mais ce n'est pas ce dont je veux discuter. Ma propre foi veut cependant que le premier commandement soit d'aimer son prochain. C'est le premier et le seul commandement. À mes yeux, c'est le plus important. C'est ce qu'on me dit: Respecter ce commandement, et vous serez tranquille.

Vous pourrez me dire qu'il existe une multitude de poids et de mesures, et toute une gamme de péchés, sous ce chapitre, et je serais d'accord. Nous n'essayons pas de comprendre le contenu de différences croyances mais la limite que chevauchent les croyances religieuses d'une part et la nécessité de maintenir l'ordre public et la dignité humaine de l'autre. C'est la nature de nos réflexions sur le projet de loi. C'est sous cet angle que nous tâchons d'en mesurer les diverses implications.

Mme Buckingham: Si votre comité entend recommander l'adoption du projet de loi — ce qui est loin d'être clair, à ce stade — je vous encourage à envisager d'y inclure une disposition qui protégerait spécifiquement les textes sacrés et qui clarifierait qu'elles ne sont pas visées par cette mesure législative.

Mme Landolt: Le sénateur Joyal a mis le doigt sur le problème. Il a demandé si le projet de loi distinguait clairement la propagande haineuse susceptible d'entraîner un préjudice, d'une part, et les gens qui se contentent de dire du mal de quelqu'un d'autre, d'autre part. Là est la question. Là est la faiblesse du projet de loi; il n'établit pas cette distinction.

On a souvent accusé de haine mon organisation. On nous a dit: «Dès que ce projet de loi sera adopté, on va intenter des poursuites contre vous pour vous faire taire, parce que vos propos sont «haineux»». Le projet de loi n'établit pas de distinction claire; il ne protège personne contre ce type de poursuites. Les exemples donnés par le sénateur Joyal sont valides; ne nous voulons protéger aucun groupe religieux qui veuille s'opposer à la primauté du droit — manifestement pas.

Le projet de loi ne protège pas le commun des mortels, qu'ils soient religieux ou pas. Parce que le projet de loi n'est pas clair, il peut servir d'instrument pour nous museler, pour bâillonner notre liberté d'expression et notre liberté de religion. Nous savons que des militants nous prendront à partie quand nous parlerons, dans le cadre d'un débat que nous estimons parfaitement normal. C'est l'ennui avec ce projet de loi; il est trop vague. Qu'est-ce que la haine? Personne ne le sait. Voilà les problèmes que pose le projet de loi.

Quelqu'un a dit que le procureur général empêcherait ce type de poursuites. Or, nous savons que les procureurs généraux sont simplement des représentants politiques. Ils sont membres d'un parti politique et font simplement ce qui est politiquement correct. Ils ne défendent pas la loi; ils défendent la politique de leur parti. Nous n'avons aucune garantie que les procureurs généraux nous protégerons. C'est pour cela que le projet de loi est si dangereux. Il nous fait peur, parce que nous n'aurons pas la liberté de dire ce que nous pensons.

Le président: Je remercie les participants à la table ronde des discussions et échanges très instructifs. Vous nous avez donné matière à réflexion lors de nos délibérations.

Bienvenue à nos prochains témoins. Ils sont venus nous faire part, à titre personnel, de leurs réflexions et de leurs opinions au sujet du projet de loi C-250.

M. Gerald Chipeur, avocat, Chipeur Advocates, témoignage à titre personnel: J'ai été invité à prendre la parole devant le comité au sujet du projet de loi C-250. C'est en tant qu'avocat exerçant le droit constitutionnel que je formule mes commentaires. Au départ, toutefois, je dois admettre avoir un parti pris politique: je suis un libertarien inconditionnel. À mon sens, il existe peu de problèmes susceptibles d'être résolus par un gouvernement. Un gouvernement agit généralement trop lentement pour atteindre son objectif d'améliorer la vie de ses citoyens. Mais, ce qui m'inquiète surtout, dans le projet de loi en question, c'est que, une fois que le gouvernement commence à agir, on ne peut pas l'arrêter ni introduire de nuances pour tenir compte des exceptions. Cela veut dire que, quand un gouvernement s'efforce de punir des coupables, ce sont souvent des innocents qui écopent. Je crains que l'article 318 du Code criminel ne devienne une illustration criante de mes préoccupations.

Soyons clairs: je m'oppose à l'existence même des articles 318 et 319 du Code criminel. Il ne faut pas les élargir. Il ne faut pas les amender. Il faut les éliminer.

Je ne dis pas cela parce que je suis en faveur de la discrimination en vertu d'un des critères déjà invoqués ou en vertu de tout autre critère. Ce n'est pas dans la tradition du Canada. En fait, cela fait des siècles que le Canada s'enorgueillit d'être un havre de paix pour les personnes en butte à la discrimination.

L'histoire de ma famille en est un exemple. Je compte parmi mes ancêtres des catholiques polonais qui ont fui la persécution en 1858. Alors que la Prusse régentait la région de Pologne où ils vivaient, ils auraient été contraints d'abandonner leur foi et leur langue. Ils ont préféré immigrer et s'installer à Wilno, en Ontario, qui, en 1858, était au bout de la voie ferrée. Ainsi, dans le cimetière de Wilno, à quelques heures à faire au nord-ouest d'Ottawa, repose mon arrière-arrière-arrière-grand-père, patriarche de notre lignée d'immigrants. J'ai essayé de maintenir la tradition familiale et de promouvoir la liberté de religion, que j'ai défendue à plusieurs reprises devant la Cour suprême et devant des comités tels que celui-ci.

Toutefois, les articles 318 et 319 du Code criminel ne servent pas la cause de la non-discrimination. Ils constituent plutôt, hélas, une occasion de discrimination. En tant que membre d'une famille dont la foi et l'origine ethnique ont été attaquées par le passé, je n'ai que faire du type de protection qu'offrent les articles 318 et 319. Laissez-moi vous dire brièvement pourquoi.

Tout d'abord, à cause du risque d'abus. Les personnes qui commettent des crimes méritent d'être condamnées par la société pour leurs actes et méritent la sanction prescrite. Toutefois, quand la société a le droit de chercher des sanctions additionnelles parce que les points de vue du criminel ont trait à la race, la couleur, la religion, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle, le législateur franchi une limite: il passe de l'interdiction d'une conduite répréhensible pour attiser les flammes du tribalisme et de la colère, que les lois relatives aux droits de la personne ont été créées pour contrôler et réduire. En d'autres termes, la réponse à l'une des questions posées plus tôt aujourd'hui c'est à la société civile de réagir à ce type de problème quand il se manifeste. Il faut y apporter une réponse ayant trait aux droits de la personne; pas une réponse relevant du Code criminel.

La deuxième raison pour laquelle je m'oppose aux articles 318 et 319 est tout aussi importante que la première. C'est que ces articles sont une insulte à l'humanité des victimes. Il convient de punir le crime du fait de son impact sur la victime et non parce que la société veut pratiquer la sociologie ou réformer le criminel. C'est la victime comme être humain qu'il convient de protéger dans le cadre du Code criminel, et non son appartenance à une classe.

En conclusion, je voudrais mentionner un arrêt rendu récemment par la Cour suprême des États-Unis qui illustre parfaitement quels devraient être les intérêts de la société. Je parle de l'affaire Virginia v. Black et de l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis rendu le 7 avril 2003. Dans cette affaire, le juge O'Connor s'est demandé s'il fallait interdire de brûler une croix, comme preuve prima facie d'intimidation ou d'intention d'intimider. La lecture de l'affaire montre que la Cour suprême des États-Unis a décidé que c'était quand un discours haineux était conçu pour intimider par lui- même — et non à avoir un impact sur un tiers qui amènerait ce tiers à une conduite inappropriée — que la société était concernée et qu'elle devait rendre l'acte passible de sanctions pénales. C'est ce qu'indique la juge dans son arrêt. Elle a invalidé la mesure législative qui fait d'une action — dans ce cas, le fait de brûler une croix — un crime, sans qu'il y ait intention d'intimider. Dans son arrêt, la juge indique qu'une personne qui brûle une croix peut se livrer ainsi à une intimidation contraire à la Constitution, et donc interdite, ou exprimer un point de vue politique fondamentale. La disposition sur la preuve prima facie estompe la ligue de démarcation entre ces deux significations, ne tenant aucun compte de tous les facteurs contextuels qui sont nécessaires pour décider si dans un cas particulier brûler une croix visait à intimider.

Brûler une croix est un exemple manifeste de discrimination. Que dit la Cour suprême des États-Unis? Qu'exprimer de la haine, comme on le fait manifestement en brûlant une croix, devient un crime aux États-Unis uniquement si c'est avec intention d'intimider et donc d'amener quelqu'un à ne pas agir d'une certaine façon. On a là une activité effectivement passible de sanctions pénales en vertu des lois du pays.

En vertu de l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et des libertés, il conviendrait de ne pas limiter la liberté de parole, sauf si le discours est conçu pour avoir de lui-même un impact sur autrui. Tel devrait être le critère. C'est un impératif constitutionnel qui devrait s'appliquer, même quand nous pouvons dire que le discours — ou le fait de brûler une croix — est haineux par lui-même.

Dans son célèbre essai De la liberté, John Stuart Mill souligne pourquoi c'est un principe important à suivre pour une société. Il dit qu'il convient de permettre les croyances — même si elles sont mauvaises ou immorales —, parce que, sinon, on infantilise les citoyens. Si on ne laisse pas les citoyens prendre des décisions d'ordre moral, puis agir en conformité avec ces décisions, on ne permet pas aux gens de mûrir leurs réflexions, ce qui limite la capacité de la société à évoluer et à parvenir, en bout de ligne, à des philosophies et des idées neuves, susceptibles d'être meilleures que les anciennes.

L'article 318 ne respecte pas la garantie de liberté de parole protégée à l'alinéa 2b) de la Charte, parce que l'article 318 est susceptible de s'appliquer à un discours n'étant pas conçu pour intimider, mais simplement pour exprimer une opinion politique. Pour veiller à ce que justice soit faite au Canada, votre comité ne devrait pas modifier le paragraphe 318(4); il devrait plutôt réexaminer les articles 318 et 319 du Code criminel, dans le but de les abroger.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Chipeur. Avant de passer la parole à Mme Stefanowicz, je voudrais souhaiter la bienvenue au révérend Richard Parkyn, l'un des membres de notre table ronde ce soir.

Mme Dawn C. Stefanowicz, CMA, témoignage à titre personnel: Je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole. Je m'appelle Dawn Stefanowicz. Je suis mariée et j'ai deux enfants. J'ai grandi à Toronto durant les années 60 et 70, avec un père homosexuel que j'aimais profondément. Mon père est mort du sida, comme un bon nombre de ses partenaires.

Ayant grandi au sein des sous-cultures gaies, lesbiennes, bisexuelles, transgenres et transsexuelles, que je qualifierai si après de «GLBT», j'estime avoir un point de vue digne d'intérêt.

J'ai vécu avec mon père homosexuel dans un environnement hautement sexualisé. Ma mère et mes deux frères et moi vivions dans cet environnement. J'ai été exposée très tôt à des expériences sexuelles inappropriées, dont la pornographie, les drogues, l'alcool et des actes sexuels indécents. J'ai été témoin du recrutement de mineurs, de voyeurisme, d'exhibitionnisme, de sadomasochisme, de fétichisme et de sexualité en groupe — mon père avec 12 hommes, par exemple. J'ai été exposée à un langage sexuellement explicite. Quand j'avais huit ans, deux des partenaires sexuels de mon père se sont suicidés après que mon père les ait trahis.

Monsieur le président, honorables sénateurs, il y avait aussi de la violence familiale entre mon père et ses partenaires sexuels. J'étais sans cesse exposée à un langage intolérant, insultant, agressif et hostile, celui qu'utilisent communément ces personnes dans leur sous-culture GLBT. Mon père et ses amis avaient des partenaires sexuels nombreux et anonymes et se livraient à des comportements sexuels très divers.

Ma vie était typique de celles des enfants dans les sous-cultures GLBT. Ce ne sont pas des environnements appropriés pour des enfants. Ce sont des expériences qui m'ont affectée profondément et qui m'ont dérobé mon innocence, ma conscience, ainsi que la capacité à trouver ma voix. Je ne pouvais exprimer mon opposition au style de vie de mon père homosexuel. Aucun de nous n'en était capable.

J'ai connu, pour les avoir vécus, la dissimulation, le délaissement, l'abandon, la manipulation, les sévices et le stress d'une enfance auprès d'un père homosexuel dont les obsessions sexuelles et les compulsions pressantes nous laissaient sans protection, mes frères et moi.

Monsieur le président, honorables sénateurs, arrêtez le projet de loi C-250, car il me privera, en tant qu'enfant ayant vécu cette situation, de la liberté de parole et d'expression. Je ne pourrai manifester mon opposition à certains comportement sexuels, à une certaine diversité sexuelle et diversité familiale.

Je me préoccupe des générations d'enfants qui sont et qui seront exposés à la diversité sexuelle GLBT et à la diversité familiale. Tous les êtres humains sont créés égaux, mais tous les comportements sexuels ne sont pas égaux. Ce type de comportement sexuel et de mode de vie ne créent pas des environnements sains et sûrs pour des enfants. Si vous adoptez le projet de loi C-250, je ne pourrai pas m'opposer aux nombreuses pratiques sexuelles homosexuelles dangereuses, risquées et mauvaises pour la santé, comme la sodomie, le sexe oral anal, le sadomasochisme et d'autres, ni à leurs conséquences pour la société.

Si vous adoptez le projet de loi C-250, je craindrai d'être poursuivie si je parlais des répercussions nocives et des graves ramifications des pratiques sexuelles homosexuelles. C'est pour cela que je suis contre le projet C-250.

Le projet de loi C-250 exclura toutes objections morales et tout préjudice en vertu de l'orientation sexuelle sous le couvert du terme non défini d'«orientation sexuelle», le projet de loi protégera des personnes qui pratiquent la pansexualité, les mettant à l'abri de toutes critiques individuelles ou publiques. Les partisans du projet de loi C-250 ne définiront pas le terme «orientation sexuelle», disant qu'on l'utilise sans définition dans le droit canadien depuis des années, ce qui est exact. En l'absence de définition, le terme pourra recouvrir toutes les orientations sexuelles. L'orientation sexuelle est un concept fluide, en constante évolution, une pente glissante qui recouvre diverses pratiques pansexuelles légales ou illégales, dans la sphère privée ou publique. D'autre part, nous légitimons des comportements sexuels nocifs et dangereux. La reconnaissance sociale accordée aux GLBT n'est pas une excuse pour ajouter l'orientation sexuelle aux articles du Code criminel portant sur le génocide. Cet ajout ne réduira pas les crimes haineux.

Dans les statistiques canadiennes sur les crimes motivés par la haine, je ne trouve pas de distinction concrète et fiable entre la violence de personnes de même sexe familiale et non familiale, ni entre l'agression verbale et physique, ni entre les accusations vraies et fausses.

Qui plus est, le projet de loi C-250 abattra des barrières sexuelles et encouragera des unités familiales sexuellement diverses qui ne valent rien pour les enfants.

Monsieur le président, honorables sénateurs, vous devriez consulter deux sites Web — d'ailleurs, ils figurent en pièces jointes. L'un comporte une liste des endroits où racoler en Amérique du Nord. L'autre est une pétition visant à modifier les lois de façon à bannir le Code criminel de la vie sexuelle. Cette pétition, intitulée en anglais «Petition to Amend Canada's Sex Laws to Get the Criminal Code Out of One's Sex Life», se trouve sur Xtra, journal et site Web gais et lesbiens, bien connus et respectés d'un bout à l'autre du Canada. Il a des journaux à Ottawa, à Toronto et à Vancouver. C'est une source d'information respectée. La pétition figure en première page.

Enfin, je vous invite à m'interroger pour connaître de façon plus détaillée les répercussions qu'a eues sur moi le fait de grandir avec un père homosexuel dans un contexte où diverses sous-cultures se côtoyaient.

M. Clair Schnupp, psychologue, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, j'aimerais vous remercier de me donner l'occasion de partager mes opinions au sujet du projet de loi C-250. Auparavant, permettez-moi de vous dire que l'exposé de Mme Stefanowicz m'a énormément troublé. En effet, depuis 44 ans, ma femme et moi oeuvrons chaque semaine auprès de personnes issues du même genre de contexte. Votre exposé m'a donc beaucoup touché. Cette déclaration de ma part n'était pas prévue. Je tiens simplement à vous remercier de ce que vous avez dit.

Le président: Je vais vous accorder quelques minutes. Nous allons maintenant passer au révérend Parkyn.

Le révérend Richard L. Parkyn, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, avant de commencer, j'aimerais remercier Ottawa de m'avoir réservé un accueil merveilleux.

Tout en étant ministre ordonné d'une certaine organisation au Canada, je comparais non pas comme représentant d'un groupe d'intérêt ou d'un ordre religieux mais plutôt comme représentant de nombreux Canadiens qui, d'une manière ou d'une autre, se sentent atteints dans leurs droits par l'initiative visant à élargir les droits et les privilèges d'une minorité, tout en retirant à bon nombre d'autres personnes des droits et des libertés. Je suis ici à votre disposition, mais j'assume mes propres frais. Je suis reconnaissant du privilège qui m'est donné de comparaître à titre individuel.

Je crois que tout être est créé à l'image de Dieu. Je crois en la valeur insondable de chaque âme et en la dignité inhérente de chaque personne, comme le dit la Charte canadienne des droits. Je crois que toute personne jouit de la liberté de conscience, de religion et d'expression, ainsi que de la liberté corollaire de se réclamer de certaines croyances fondamentales, de les communiquer et de s'en inspirer. Selon moi, toute personne a le droit de communiquer de telles valeurs dans un esprit de paix et d'amour.

Je participe à une organisation sans but lucratif. Or lorsqu'il est question de certains sujets, toute personne qui est en conflit d'intérêts s'abstient de participer aux discussions. Une telle personne se retire des discussions et je suis étonné qu'un député se place en situation de conflit d'intérêts. Il s'agit là de mon opinion personnelle.

J'approuve le Code criminel tel qu'il existe. Il protège toute personne de la menace de génocide selon le paragraphe 318.(1). Cette disposition, de même que d'autres en droit canadien — y compris celles qui concernent le libelle, et cetera — accordent une protection suffisante à quiconque au Canada. Le sous-alinéa 718.2a)(i) du Code criminel prévoit déjà une peine plus sévère pour toute infraction «motivée par des préjugés ou de la haine fondés sur des facteurs tels que... l'orientation sexuelle». Par conséquent, à mon humble avis, bien que je sois un ministre et que je ne souhaite pas m'aventurer dans le domaine juridique, le projet de loi C-250 est, en réalité, superflu.

En ajoutant l'«orientation sexuelle» au paragraphe 318(4) de la loi sur la propagande haineuse, on accroît la visibilité de certains individus, ce qui pourrait faire augmenter le risque de harcèlement et de mauvais traitements. Je prie votre comité d'en tenir compte.

À mon avis, le fait d'ajouter l'«orientation sexuelle» à ce paragraphe ouvre la porte à la protection du pédophile, du prédateur et du polygame. J'estime que ces questions sont d'actualité au Canada sur le plan juridique.

J'ai des craintes en ce qui concerne la liberté de parole et d'opinion. Je me demande si un bon jour on ne va pas appliquer le terme «génocide» au simple fait qu'une personne s'oppose à une certaine orientation sexuelle pour des raisons d'ordre moral, religieux, ou tout simplement en raison de convictions personnelles.

À titre d'ecclésiastique, je m'inquiète de voir aujourd'hui le gouvernement libéral de la Colombie-Britannique exiger de tous les commissaires de mariage qui officialisent des mariages civils qu'ils acceptent d'officialiser les mariages entre personnes de même sexe ou qu'ils démissionnent le 31 mars de cette année. On vise les commissaires de mariage aujourd'hui et je me demande si les prochains à être visés ne seront pas les membres du clergé. La chose peut ne pas vous sembler importante mais elle l'est pour moi. Si mon droit, comme ministre du culte, de marier une personne est compromis, alors je suis contre cette extension d'une liberté aux personnes qui souhaitent choisir un autre style de vie.

Est-ce bien là un exemple de cette liberté de parole et d'expression que nous, les Canadiens, chérissons tant? Est-ce vers cela que nous nous dirigeons? Convient-il d'enlever à quelqu'un son gagne-pain du fait qu'il n'est pas d'accord avec une certaine orientation sexuelle? Est-ce bien à cela que nous voulons arriver? J'en doute.

Je crois en la valeur de toute personne, mais cela ne veut pas dire qu'il faille valider les agissements de tout le monde. Dans le Nouveau Testament, Jésus manifeste sa compassion à l'égard de la femme adultère. Si vous me permettez une légère digression, je dois dire que le fait d'une femme prise en flagrant délit d'adultère sans la présence d'un homme me fait sourire. On voit ici que l'hypocrisie existe même dans le domaine de la religion. Je vous prie de noter que Jésus, dans sa compassion, a dit à cette femme de changer de vie. Voilà qui s'impose, selon moi.

Cet automne, on pouvait lire dans le Regina Leader-Post une publicité de la commission de police de Regina par laquelle on invitait des bénévoles à participer à des comités communautaires. Pour ma part, j'aime beaucoup participer aux activités communautaires. J'aime répondre aux besoins des gens hors les murs de notre église. Il ne faut pas, selon moi, que le sel reste dans la salière. Donc, j'ai manifesté mon intérêt. On m'a demandé si j'étais autochtone. On m'a demandé si j'étais une femme. On m'a demandé si j'avais recours aux services publics de transport pour les personnes handicapées. On m'a demandé si je faisais partie d'une minorité visible. Puis, on m'a enfin posé une question à laquelle je pouvais répondre par l'affirmative. Oui, j'ai 55 ans, je suis Blanc, je suis d'origine anglo-saxonne et je suis un ecclésiastique chrétien. Je suis donc en voie de devenir une minorité très visible, me semble-t-il. Je n'ai pas été accepté comme bénévole. Je ne répondais pas aux critères.

Et je trouve assez bizarre, pour changer de sujet, que l'un des profils types du pédophile en puissance, selon nos universités, est celui du cinquantenaire de race blanche qui fréquente l'église. Tous ceux qui ont étudié sérieusement la question vous diront qu'un tel profil est utilisé. Et il semble que cela ne constitue pas une violation de mes droits personnels à titre d'homme de race blanche dans la cinquantaine et qui fréquente l'église. Pour ma part, je ne m'oppose pas à cela, étant donné que, selon moi, les droits des enfants ont priorité sur mes droits d'adulte. J'en serai toujours convaincu.

Je compatis avec la femme violentée et maltraitée, avec l'autochtone bafouée, avec l'homosexuel ridiculisé, avec l'enfant innocent, non encore né, avec la personne âgée, solitaire et oubliée qui fait l'objet de sévices, comme on l'a vu à la télévision de Radio-Canada, cette personne étant à l'heure actuelle candidate à l'euthanasie, avec l'immigrant esseulé qui veut retourner chez lui mais qui ne peut le faire, avec la victime outragée du pédophile protégé, dont les écrits se sont vu conférer une valeur littéraire.

Je suis grand-père. J'ai trois petits-enfants, âgés de 9, 7 et 5 ans. Je pourrai vous montrer des photos plus tard si vous le souhaitez. Je revendique le droit de protéger leur avenir et je m'inquiète beaucoup de l'orientation que pourrait prendre cet avenir, qui risque d'être compromis si l'on confère des droits à ce genre de personnes. Je suis Canadien. Je ne m'attends à rien d'autre qu'aux mêmes droits et libertés que ceux accordés à toute personne qui jouit du privilège de vivre dans notre grand pays.

Je vous demande à vous, membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, de faire preuve d'intégrité de coeur en faisant ce qu'il convient de faire dans l'intérêt du Canada au lieu de suivre des consignes de parti. Je recommande que ce projet de loi soit jugé superflu étant donné que tous les Canadiens sont protégés suffisamment à l'heure actuelle. Appliquons donc les lois que nous avons et protégeons la dignité de chacun dans notre grand dominion.

Il se peut que je sois la seule personne de l'ouest du Canada ici aujourd'hui.

Le sénateur Pearson: Plusieurs sénateurs sont de l'Ouest.

Le révérend Parkyn: En effet, je m'excuse. Je parlais des témoins.

J'ai eu vent d'opinions très discutables dans l'ouest du Canada, et non pas en Saskatchewan bien entendu, concernant le fait que le Sénat puisse être superflu. À mon avis, votre comité peut, en adoptant une position de principe, faire évoluer de façon constructive notre grand pays, le Canada. Je pense que vous pouvez changer les choses. Et c'est pourquoi j'ai décidé de comparaître devant vous sans grand préavis, et à mes propres frais. Et c'est bien peu de choses pour être en mesure de comparaître ici pour formuler quelques déclarations et mettre humblement l'épaule à la roue pour faire évoluer notre pays de telle sorte qu'il soit mis à l'abri du désastre à l'avenir.

Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. J'espère avoir représenté soigneusement et adéquatement les nombreuses personnes qui se sentent laissées pour compte parce que les droits de la minorité risquent d'empiéter sur les droits de la majorité. Je suis persuadé que nous pouvons vivre de façon harmonieuse au Canada. J'ai visité de nombreux pays où j'ai supervisé des missions d'aide humanitaire. Chaque fois je suis heureux de rentrer chez moi au Canada.

M. Schnupp: Je suis psychologue et thérapeute familial. J'habite à Dryden en Ontario. Ma femme et moi animons des ateliers de santé mentale et assurons de nombreuses heures de thérapie personnelle et familiale aux autochtones de l'ensemble du Canada, depuis plus d'une trentaine d'années maintenant, afin de les préparer à aider leurs propres concitoyens. Je connais de nombreux chefs de file inuits, des milieux religieux et communautaires qui considèrent que l'hétérosexualité fait partie de leur tradition culturelle et de leur système de croyance. Je suis le fondateur et le président de Northern Youth Programs, un organisme de bienfaisance à l'intention des jeunes dont l'objectif est de consolider les familles inuites et des Premières nations. Nous offrons du counselling, de la formation et des ressources à des milliers de Canadiens.

Dans notre travail de thérapie, nous conseillons de nombreuses personnes qui souhaitent obtenir de l'aide en ce qui concerne leur orientation sexuelle. Elles souhaitent avoir des relations hétérosexuelles mais cela leur est impossible à cause de traumatismes, de mauvais traitements et de négligence dont elles ont fait l'objet dans leur enfance. J'apporte cette précision pour que vous compreniez mieux ceux qui pourraient être touchés par ce projet de loi, s'il était adopté, et l'étendue de mon expérience.

Je conviens qu'il est répréhensible de promouvoir la haine mais ce projet de loi risque fort de compromettre la liberté d'expression protégée par la Charte des droits et libertés du Canada. Il y a moins d'une centaine d'années — en fait en 1927 — les parents de mon épouse qui appartenaient à l'église mennonite, et leurs grands-parents se sont enfuis de la Russie communiste pour venir au Canada afin d'y trouver la liberté religieuse, de vivre selon leur conscience et d'enseigner la Bible à leur famille et à leurs églises. Si ce projet de loi est adopté, nous craignons que l'enseignement de la parole de Dieu, telle qu'elle est exprimée dans la Bible, fasse l'objet de poursuites criminelles.

Je suis très préoccupé par les incidences que cela pourrait avoir sur mon travail qui consiste à offrir l'aide et l'enseignement de la Bible pour contrer les conséquences de mauvais traitements, du suicide, des accoutumances et du dysfonctionnement familial. J'aimerais aborder trois sujets de préoccupation dans l'espoir que le comité recommandera que l'on retarde l'adoption de ce projet de loi jusqu'à ce que l'on puisse répondre à ces trois conditions.

La première condition est d'établir une preuve suffisante de la nécessité d'une telle loi. À l'heure actuelle, nous ne trouvons aucune preuve empirique suffisante justifiant ce projet de loi. Lors des conversations que j'ai eues avec de nombreuses personnes dans le cadre de mes déplacements, j'ai pu constater qu'aux yeux de nombreux Canadiens, ce projet de loi ne semble pas important. Étant donné que les lois actuelles interdisent des actes de violence à l'égard des homosexuels, il ne conviendrait pas d'adopter une loi qui risque de restreindre gravement la liberté d'expression et de limiter ou d'éliminer la tâche indispensable de travailleurs chrétiens qui aide à réduire l'anxiété, la dépression, l'alcoolisme et les taux de suicides élevés.

La deuxième condition est de préciser les termes utilisés. Les termes utilisés dans ce projet de loi ne sont pas bien définis. L'expression «orientation sexuelle» semble ambiguë et fluide. Lors de discussions, certains ajoutent les bisexuels, les personnes qui commettent un inceste, les transsexuels, les polygames et les pédophiles. Les enfants victimes d'agression sexuelle deviennent des adultes qui se suicident, qui ont recours à l'alcool, aux drogues, deviennent anxieux et déprimés, et dont le mariage ne dure pas. Ma femme et moi-même rencontrons chaque semaine dans le cadre de notre travail partout au Canada parmi les autochtones, de nombreux adultes qui ont été victimes de pédophiles.

Par ailleurs, le mot «haine» est ambigu et ne fait pas l'objet d'une interprétation cohérente. Si ces expressions ne sont pas claires pour les Canadiens moyens et qu'ils ne les comprennent pas, nous risquons alors de ne jamais être sûrs de là où prend fin notre liberté d'expression et où commencent les poursuites criminelles. Chaque fois que le droit humain fondamental de liberté d'expression est restreint, il importe que de nouvelles lois veillent à ce que des limites soient clairement définies. Ce projet de loi ne semble pas être dans l'intérêt supérieur de la majorité des Canadiens.

La troisième condition consiste à préciser les conséquences possibles d'une telle loi. Il semble que cette loi imposera aux Canadiens des restrictions quant à leur liberté d'expression, de religion et leur liberté d'offrir la guérison et le réconfort qu'apporte la Bible. Je citerai à titre d'exemple le droit d'une commission scolaire catholique d'interdire à un étudiant d'être accompagné d'un partenaire du même sexe à une fête de fin d'année, ou l'affaire Scott Brockie. Nous ne sommes pas sûrs de ce qu'il adviendrait du Northern Youth Program si nous transmettions les enseignements de la Bible sur l'homosexualité dans un souci de guérison et de mieux-être. Il ne nous étonnerait pas que le gouvernement ou un tribunal révoque notre statut d'organisme de bienfaisance. Il s'agit d'une loi qui comporte de graves incidences.

Ce projet de loi pourrait-il réduire au silence les membres et les chefs inuits et des Premières nations qui soutiennent l'hétérosexualité auprès de leurs propres concitoyens? L'hétérosexualité fait partie intégrante de leur culture et de leur patrimoine. Lorsqu'ils dénoncent l'homosexualité, si ce projet de loi est adopté, feront-ils l'objet de poursuites criminelles pour avoir défendu leur patrimoine culturel et leurs principes spirituels?

Les Canadiens ont besoin d'une protection claire. Ce projet de loi n'offre pas ce genre de protection ni en ce qui concerne la religion ni en ce qui concerne l'orientation sexuelle. Il risque réellement de compromettre les libertés de nombreux Canadiens, y compris les Autochtones, qui représentent aujourd'hui un réel atout pour la société.

Étant donné le peu de preuves empiriques justifiant la nécessité de ce projet de loi à l'heure actuelle, étant donné l'ambiguïté qui entoure la définition des termes, et étant donné le risque de compromettre les libertés religieuses et la liberté d'expression garantie par la Charte, je vous prie de retarder l'adoption de ce projet de loi jusqu'à ce qu'on en débatte de façon plus approfondie et qu'on y apporte les précisions qui s'imposent.

Le sénateur Beaudoin: Je commencerai par dire que nous sommes préoccupés par le droit criminel. Évidemment, nous savons dès le départ qu'en vertu de la Charte aucun droit n'est absolu. C'est ce que la Cour suprême a déclaré à maintes reprises. J'ai peut-être une petite objection en ce qui concerne l'article 28 de la Charte des droits et libertés qui énonce, «Indépendamment des autres dispositions de la présente Charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes». Il s'agit peut-être d'un droit absolu mais je n'ai pas l'intention de me lancer dans ce débat. Ce n'est pas une question qui nous préoccupe dans le cadre du présent projet de loi.

La définition de «groupe identifiable» n'est pas exhaustive. L'objectif de ce projet de loi est d'y ajouter l'orientation sexuelle. Dans l'arrêt Vriend, la Cour suprême a déclaré que même si «l'orientation sexuelle» n'est pas prévue, nous considérons qu'il va de soi qu'elle est incluse. Comme je considère que la définition n'est pas exhaustive, le projet de loi est par conséquent explicite lorsqu'il mentionne l'«orientation sexuelle».

Ma question concerne les mots ou groupes identifiables. C'est une question complexe parce que nous entendons parler de propagande haineuse depuis au moins un demi-siècle. Nous savons que ce phénomène s'est produit durant et après la Seconde Guerre mondiale et est devenu depuis une expression importante. Ma question s'adresse à M. Chipeur. Vous dites que le terme important, du moins dans la cause américaine sur laquelle s'est prononcée madame la juge O'Connor, était «intimidé». À ma connaissance, je ne crois pas que cette notion se trouve dans le projet de loi, même si cela est possible. Que voulez-vous dire par «intimidé»?

M. Chipeur: D'après ce que je crois comprendre de l'exemple américain, il y a intimidation lorsqu'une personne veut délibérément en influencer une autre. Une personne agit délibérément pour mettre mal à l'aise une autre personne. Par exemple, je pourrais dire ou faire quelque chose qui vous mettrait mal à l'aise à propos de vous-même afin que vous cessiez de faire quelque chose. En ce qui concerne l'incident où des croix ont été brûlées, si ma déclaration était, «Je crois dans l'inégalité raciale», alors cela ne serait pas considéré comme un crime aux États-Unis. Mais si je disais à un voisin de race noire, «Le fait que je brûle des croix devrait t'intimider», pour que le voisin déménage, alors cela serait considéré comme de l'intimidation.

Dans l'exemple dont nous traitons dans ce cas, cela inclurait à la fois l'orientation sexuelle et certains des autres motifs énumérés. Si nous ajoutions le terme «intimidation» à la loi — et c'est peut-être une façon appropriée d'aborder ma proposition quant à l'examen de cette question — et si ma raison pour citer les passages de la Bible qui traitent de l'homosexualité — après tout c'est la question dont nous sommes saisis, alors comment traiterions-nous de certains des textes religieux qui font des déclarations à propos de certains comportements? Si la raison pour laquelle je le fais vise à vous intimider afin que vous déménagiez ou que vous cessiez un type de comportement qui est tout à fait légal, alors c'est là où se situerait la ligne de démarcation. Ce serait illégal selon le modèle en vigueur aux États-Unis. Cependant, si la raison pour laquelle je cite un texte de la Bible consiste simplement à exprimer ce que je considère comme moral et ce qu'à mon avis tout le monde devrait considérer comme moral, de sorte qu'il s'agit simplement d'une vue de l'esprit visant à vous convaincre d'une croyance en particulier, cela resterait dans les limites de ce qui est acceptable.

C'est là où se situe à mon avis la limite à ne pas franchir. Cette limite est semblable dans certains cas. Il est important parce qu'il existe une différence constitutionnelle significative sur le plan de l'expression, entre une personne qui déclare que vos actes sont innocents, mais étant donné qu'ils ont incité une autre personne à agir d'une façon qui n'est pas innocente, nous vous déclarerons coupable. La Cour suprême des États-Unis a déclaré qu'il faut que vous soyez coupable vous-même avant d'être tenu criminellement responsable. C'est là où le bât blesse. Si on pouvait trouver un moyen d'appliquer cette loi uniquement aux personnes ayant une intention criminelle — c'est-à-dire qui ont l'intention de commettre un acte criminel — alors je pense que nous serions en terrain sûr, sur le plan constitutionnel.

À mon avis, comme dans l'exemple de l'affaire Harding, il est possible d'appliquer ce principe aux personnes qui essaient simplement d'exprimer un point de vue religieux et ont franchi la ligne de démarcation parce qu'on a constaté que certains propos que l'on ne croyait pas susceptibles d'inciter à la haine pourraient raisonnablement inciter quelqu'un à causer un tort physique ou autre à une personne.

Le sénateur Beaudoin: Nous devons aussi tenir compte de la question du débat privé et du débat public.

M. Chipeur: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Si vous lisez les articles 318 et 319, vous constaterez qu'on envisage la notion d'intervention publique. S'il s'agissait d'une discussion privée, la situation serait alors assez différente.

Une chose me dérange: la célèbre cause américaine de 1896 dans laquelle on déclarait que les noirs et les blancs étaient distincts mais égaux. Cinquante ans plus tard, on a dit exactement le contraire à savoir que s'ils sont distincts, alors ils ne sont pas égaux. C'est exactement la même situation. On est arrivé à la conclusion tout à fait contraire. C'est pourquoi je dis que les tribunaux ont un énorme pouvoir en ce sens qu'ils peuvent changer, après un certain temps, le sens d'une expression. Si je ne m'abuse, cela se produit dans la jurisprudence canadienne bien que nous n'ayons pas de cause identique à la décision rendue par le juge en chef Warren.

Il est évident que nous constatons une certaine évolution du sens des mots dans la littérature haineuse. Que signifie «propagande haineuse»? Qu'est-ce que cela signifie au juste? Cette expression avait peut-être un sens en 1945 mais elle en a peut-être un autre aujourd'hui.

Qu'en pensez-vous? Cela m'inquiète mais tout ce que je peux faire c'est exprimer mon opinion.

M. Chipeur: Il existe une différence importante entre les lois sur les droits de la personne, qui ont fait l'objet de la décision Vriend dont nous avons parlé à propos d'essayer de sensibiliser la société et de tâcher de mettre l'accent sur les principes sur lesquels se fonde notre démocratie et si on va plus loin en disant que nous ne permettrons aucun débat à propos de ces principes. C'est là le problème. Allons-nous permettre de débattre de ces principes sous-jacents si, en fait, la société tient ce débat et déclare par la suite que nous voulons promouvoir une approche en particulier. Je n'y vois pas d'objection. Le problème c'est le risque de criminaliser une position défendue publiquement — s'il était considéré criminel de défendre une position religieuse ou politique particulière, alors nous ne pourrions même pas tenir ce genre de débat. Je crois que c'est une question importante. Vous avez parlé d'une liste qui ne cesse de s'allonger de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas.

Le Canada a participé à un certain nombre de traités internationaux. Dans le cadre de ces traités, certaines conférences internationales se sont déroulées sur la question de la liberté d'expression. Au cours des 12 derniers mois, dans le cadre de certaines conférences, des dictateurs ont utilisé comme prétexte la position adoptée par le Canada en ce qui concerne les lois contre la propagande haineuse pour soutenir des lois qui empêchent la population de promouvoir la haine de dirigeants politiques. De toute évidence, l'intention visée est de supprimer l'expression politique. Ils disent: «Regardez ce qui se passe au Canada. Le Canada interdit l'incitation à la haine. Nous ne pouvons pas permettre à des gens d'inciter à la haine contre mon parti politique, ou contre ma famille, parce que je suis le dirigeant du pays et je dois être respecté par notre société, comme l'exige la règle de droit».

Il n'y a qu'un seul contexte dans lequel tenir ce genre de débat et c'est dans le contexte des droits de la personne, dans le contexte civil. Se lancer dans ce débat en s'appuyant sur le Code criminel, c'est comme utiliser un marteau. Si nous faisons fausse route, nous risquons de causer du tort à certaines personnes auxquelles nous n'avons pas l'intention de causer du tort. Nous nous trouverons à clore définitivement un débat que nous ne voulons pas clore.

Je vous implore donc de recentrer le débat. Quelqu'un a dit plus tôt, «notre intention n'est-elle pas de commenter la politique sociale? N'est-elle pas d'aborder la question sous l'angle des droits de la personne et de demeurer fidèle aux principes de notre démocratie?» Je considère que si nous parlons du Code criminel, c'est une chose, parce que le gouvernement fédéral est compétent pour s'occuper du droit criminel. Si vous parlez d'appliquer les principes des droits de la personne dans le contexte provincial, alors soudain cela échappe à votre compétence en vertu des articles 91 et 92.

J'incite les membres du comité à ne pas adopter ce projet de loi simplement pour apaiser votre conscience. Cette question ne relève pas de votre compétence. Si vous êtes convaincu qu'il s'agit de crimes et qu'il voudrait que soit considéré comme un crime le fait de prononcer des paroles dont l'intention n'est peut-être pas de causer du tort, mais qui sont interprétées par quelqu'un comme une incitation à causer du tort, alors je crois que vous pouvez vous aventurer en terrain sûr. Je ne suis pas d'accord avec une telle orientation car je crois qu'elle nuira à un grand nombre de gens.

Le sénateur Banks: Si je comprends bien, du moins en partie sinon la teneur de votre préoccupation, c'est que la version actuelle du projet de loi ne serait pas suffisamment claire pour exiger une preuve d'intention de la part de la personne.

Le sénateur Pearson: Cela vaut pour tout cet article.

Le sénateur Banks: Oui, tous les articles.

Je procède à l'envers. Je crois que nous comprenons tous qu'à l'heure actuelle dans le cadre d'une poursuite au criminel, il incombe au procureur de prouver qu'un crime a été commis, plutôt que l'inverse.

Nous pouvons mettre de côté l'article 318 parce qu'il exige une preuve d'incitation au génocide, et personne n'a laissé sérieusement entendre une telle chose. Le génocide est définissable.

Le paragraphe 319(1) énonce qu'il ne peut y avoir condamnation que si l'incitation à la haine est susceptible d'entraîner une violation de la paix. Vous avez parlé de la question d'intention. Le premier paragraphe du paragraphe 319(2) utile le terme «volontairement», terme qui à mon avis a un sens clair selon la loi.

Pouvez-vous m'expliquer pourquoi dans ces deux cas vous considérez que le projet de loi actuel ne traite pas suffisamment de la question d'intention.

M. Chipeur: Vous avez posé deux questions. Vous avez plus ou moins combiné les dispositions des articles 318 et 319. Les dispositions de ces articles se recoupent. Il faut consulter certaines dispositions de l'article 318 pour comprendre le sens de l'article 319. L'article 318 ne comprend pas de dispositions concernant l'intention.

En tant qu'avocat, je soutiendrais, si mon client était accusé, qu'en vertu des exigences relatives à l'intention criminelle, la Couronne serait tenue de prouver qu'il y a intention.

Le sénateur Banks: Nous sommes en train de parler ici d'une conduite qui pourrait inciter au génocide.

M. Chipeur: Cela relève de l'article 318. Les définitions qui se trouvent à l'article 318 sont citées à l'article 319.

Le sénateur Banks: Les listes sont les mêmes, mais pas les définitions.

M. Chipeur: Je ne veux pas aller trop dans les détails. Je considère que l'intention n'est exigée dans aucun des aspects des articles 318 et 319. C'est ce que je considère en lisant simplement ces articles — et nous pourrions les examiner en détail.

Si vous êtes convaincu que l'intention est exigée, alors je n'ai plus cette préoccupation. Si les tribunaux déclarent que dans chaque cas je dois avoir l'intention qu'une autre personne cause en fait du tort à quelqu'un d'autre, alors ça va. Ce n'est pas la façon dont j'interprète ces dispositions. D'après mon interprétation, cela signifie qu'il pourrait s'agir, par exemple, d'«aveuglement volontaire» — comme le tribunal l'a déclaré dans l'affaire mettant en cause le pasteur Harding —, c'est-à-dire qu'étant donné qu'il n'était pas clair que j'ai l'intention, par les propos que j'utilise, de causer du tort à quelqu'un d'autre...

Le sénateur Banks: Ou bien inciter quelqu'un à faire du mal à quelqu'un d'autre, n'est-ce pas?

M. Chipeur: Oui, tout à fait. Je ne pense pas que dans chaque cas, dans chaque exemple, on puisse démêler les faits.

Si vous vous reportez aux articles 318 et 319 et si vous établissez qu'outre les cas où il y aurait intention d'inciter à faire du mal, il ne pourra pas y avoir de condamnation, alors je pense que vous êtes en présence du même critère que le critère américain à savoir, ce que l'on appelle là-bas l'intimidation.

Cette loi a été appliquée à M. Keegstra. Pour ma part, je pense que la minorité avait raison et que la loi est anticonstitutionnelle. Mon interprétation de l'affaire Keegstra me porte à croire qu'il n'avait pas l'intention que quiconque cause un préjudice à un autre individu. Il était convaincu de ses idées démentes mais il était convaincu qu'il disait la vérité sur l'histoire. C'était sa conviction et c'est pourquoi il tenait ces propos. Pour lui, c'était un examen d'histoire. Quelqu'un pourrait avoir des raisons religieuses pour dire certaines choses. Quelqu'un pourrait avoir des raisons politiques pour dire quelque chose.

Selon moi, si nous pouvons limiter cet article de sorte que seul le procureur général ne puisse l'invoquer que pour accuser quelqu'un qui avait personnellement l'intention de faire des déclarations pour faire du mal à autrui, et qu'il avait l'intention de faire du mal, alors je pense que tout va bien.

Pour l'instant, je ne pense pas que ce soit le cas. Je ne pense pas que les articles 318 et 319 se limitent eux aux cas où quelqu'un aurait l'intention d'intimider quelqu'un d'autre ou de lui causer un tort physique.

Le sénateur Banks: Dans l'affaire Keegstra — peu importe que nous soyons d'accord ou non avec la décision rendue — le critère de l'intention a été appliqué par la Cour et la majorité a conclu qu'il y avait intention, n'est-ce pas?

M. Chipeur: C'est juste — il y avait intention de fomenter la haine. Les juges sont allés plus loin et ont dit: «susceptible de causer [...]» l'accusé n'avait pas à être personnellement convaincu que quelqu'un d'autre agirait en fonction de ses propos. Il lui suffisait de fomenter la haine et le critère s'appliquait à cause de l'intervention de l'expression susceptible de. C'est cette expression qui cause problème. On passe d'un critère subjectif à un critère objectif à ce point-là de l'analyse.

Ce n'est pas l'orientation sexuelle en elle-même qui inquiète. C'est tout l'article. Selon moi, notre démocratie prise la liberté d'expression et nous devrions nous inquiéter de l'éventuelle application de la norme Keegstra à un cas quelconque cité dans la liste. Cela s'oppose à ce que nous voulons promouvoir, c'est-à-dire une franche et libre discussion, même avec des gens que nous estimons être dans l'erreur sur le plan moral, politique et religieux. Nous pourrions même être poussés à dire: «Je hais ce que défend cette personne». En fait, supposons que quelqu'un dise: «Vive la pédophilie», nous pourrions vouloir répondre «cela me pousse à haïr cette personne». Ce serait tout à fait légitime dans notre société. Pour moi personnellement, toutefois, cette réponse pourrait être injustifiée car je pourrais prétendre qu'il m'est moralement interdit de haïr quelqu'un. Dans notre société donc nous ne devrions pas dire que nous n'allons pas permettre à qui que ce soit de haïr quelqu'un d'autre ou encore inciter quelqu'un a l'haïr, à moins d'introduire ce critère supplémentaire.

Ce critère exige que mes droits et vos droits cessent de nous appartenir quand nous nous faisons du tort l'un à l'autre. Voilà ce dont il faut se soucier. Si nous pouvons limiter cet article aux individus qui incitent véritablement à causer du tort à autrui, alors mes inquiétudes sur le plan constitutionnel seront apaisées.

Le sénateur Andreychuk: Chaque fois que vous venez témoigner, vous m'amenez à parler des tribunaux. Je suis une inconditionnelle de la liberté d'expression. Si on ne permet pas que s'expriment les points de vue ouvertement, alors cela se fait clandestinement et c'est beaucoup plus dangereux.

Vous avez parlé du fait «d'aveuglement volontaire». Dans le cas de l'intention, il peut arriver que l'on fasse une chose pour certaines raisons mais que quelqu'un d'autre s'approprie du résultat et en fasse autre chose. C'est une zone grise. «L'aveuglement volontaire» signifie que la personne qui commet un acte aurait dû savoir qu'il entraînerait une réaction. Nous ne voulons pas d'une société dans laquelle les gens peuvent s'innocenter en disant qu'ils n'avaient pas de mauvaise intention ou qu'ils ne connaissaient pas les conséquences alors que n'importe qui aurait connu ces conséquences mais que cette personne a sciemment fermé les yeux. On peut presque dire que les motifs ne sont pas crédibles.

Il y a beaucoup d'éléments sous-jacents dans notre droit pénal. Tout le droit en matière de négligence se fonde sur le fait que nous devons faire preuve de diligence raisonnable, que nous devrions être conscients de la société à laquelle nous appartenons. L'aveuglement volontaire, c'est, par exemple, distribuer en pleine connaissance de cause de la littérature haineuse aux enfants. Il faut savoir que le jugement des enfants n'est pas formé et qu'en dehors du contexte de l'enseignement, ils prendront les choses au pied de la lettre. Permettriez-vous ce genre de limite dans le cas de l'intention?

M. Chipeur: Le Code criminel dit qu'il faut aller au-delà du doute raisonnable. Je ne crois pas que ce principe devrait être sacrifié en l'occurrence. Il peut arriver que quelqu'un enseigne des idées fausses aux enfants, que ce soit dans le système scolaire ou ailleurs. Il peut arriver qu'une personne cause sciemment des problèmes à la société en ce qui a trait aux droits de la personne. Il est toutefois possible que cette personne ne soit pas un criminel dans la mesure où elle ne possède pas la mens rea que nous associons généralement au crime.

Le sénateur Andreychuk: Excusez-moi de vous interrompre, mais dans tout le Code criminel, la mens rea est associée au bon sens et à la conscience sociale. Dans la plupart des cas, il ne suffit pas de plaider l'ignorance. Il faut prouver au- delà de tout doute raisonnable qu'il y a eu «aveuglement volontaire» — c'est-à-dire que la personne n'a pas exercé toute la diligence raisonnable à laquelle on s'attend normalement. Le critère à appliquer pour prouver ce genre de négligence au-delà du doute raisonnable est très rigoureux.

Il s'agit presque d'insouciance téméraire. Le Code criminel est truffé de ce genre de choses. L'intention n'est pas définie de façon aussi limpide que vous le dites.

M. Chipeur: Je comprends.

Le sénateur Andreychuk: Votre argument me plaît, mais il faut y appliquer les mêmes réserves qu'au reste du Code criminel.

M. Chipeur: Dans mon témoignage, je fais la différence entre l'expression pure et, par exemple, le fait de conduire à 90 km/h dans une zone scolaire.

Le sénateur Andreychuk: Qu'en est-il de la complicité?

M. Chipeur: Quand il s'agit de crime comme le vol ou d'un autre crime contre la propriété, ou encore d'un meurtre, d'une agression, nous savons qu'un préjudice est causé. Ma seule préoccupation, dans ce cas-ci, c'est qu'on pourrait appliquer ces mesures à quelqu'un qui n'a aucune intention d'intimider qui que ce soit, ni de causer de tort à quiconque. Nous pouvons entre nous dire qu'une personne sait nécessairement que nier l'Holocauste amènera d'autres personnes à nier d'autres cas de discrimination dans l'histoire. Mais quelqu'un pourrait vraiment croire qu'il n'y a pas eu d'Holocauste et penser qu'ils rapportent simplement des faits historiques.

Un juge peut avoir à déterminer l'état d'esprit d'une personne pour établir s'il y a eu meurtre avec préméditation plutôt qu'homicide involontaire. Les juges peuvent faire ce genre de distinction. Mais s'il s'agit seulement de l'expression d'une opinion — politique, religieuse ou autre — ou de l'explication d'un fait — politique, religieux ou autre encore — ainsi nous pouvons dire objectivement que cette expression amènera quelqu'un d'autre à mal agir, cette expression ne devrait pas être considérée comme un acte criminel à moins que ses auteurs n'aient eu l'intention d'intimider ou de nuire à quelqu'un. Si nous n'exigeons pas la preuve de cette intention, il n'existe plus de limite clairement tracée entre l'expression et la répression politique. Je ne connais pas d'autre moyen de garantir qu'on n'utilisera pas le Code criminel pour faire taire ceux qui ne font pas preuve de rectitude politique ou dont les propos nous déplaisent.

Encore une fois, il existe des moyens de traiter le cas des personnes qui nuisent à la société involontairement. Il n'est pas nécessaire de prouver l'intention dans les lois sur les droits de la personne. Il est possible d'intervenir dans les systèmes d'éducation, d'emploi ou d'autres domaines où le gouvernement a compétence pour appliquer les lois civiles ou imposer des injonctions. Mais c'est aller trop loin, à mon avis, que d'utiliser le Code criminel pour stigmatiser quelqu'un simplement parce que cette personne dit ce qu'elle estime être la vérité.

Le sénateur Andreychuk: Mais si un tribunal des droits de la personne condamnait quelqu'un, cette personne pourrait-elle encore faire valoir qu'elle est encore honnêtement convaincue de ses propos et qu'elle peut le demeurer indépendamment des preuves contre elles?

M. Chipeur: Ma position est que l'État doit interdire un acte si on peut prouver que la personne avait l'intention d'intimider — c'est-à-dire de vous faire agir comme vous ne le feriez pas autrement — par les propos qu'elle tient au sujet de la race, de la religion ou de l'orientation sexuelle. Par contre, si son intention est simplement d'exprimer ses convictions au reste du monde, alors l'État n'a aucun intérêt à exercer ce contrôle, car l'État agirait comme des parents disant à un enfant qu'il a tort et qu'il doit revoir ses connaissances.

Je ne crois pas que l'État veuille s'engager dans ce genre de chose, du moins pas en utilisant le Code criminel.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce votre opinion seulement en ce qui a trait à la liberté d'expression ou cela s'applique- t-il également à d'autres choses?

M. Chipeur: Je ne sais pas de quelles autres choses vous parlez, mais m'intéresse en particulier ici à la liberté d'expression.

Le sénateur Andreychuk: Les restrictions prévues au Code criminel s'appliquent aux actes, et il n'est pas nécessaire de posséder un tel degré d'intention subjective. Il existe d'autres critères plus objectifs dans le Code criminel. Est-ce que vous établissez cette norme parce qu'il s'agit de liberté d'expression?

M. Chipeur: Cela pourrait s'appliquer à la liberté d'expression, de religion ou à tout autre élément visé par l'article 2 de la Charte, mais cela ne donnerait pas le droit de conduire en deçà des limites de vitesse. C'est l'un des exemples qu'on a donnés. La Charte n'autorise pas la vitesse excessive au volant.

Tout mon témoignage se fonde sur le fait que nous traitons d'un droit protégé par la Charte. S'il ne s'agissait pas du droit d'expression garanti par la Charte, le témoignage que je vous présente, à titre d'avocat, n'aurait aucun fondement.

Le sénateur Pearson: J'aurais bien voulu que vous défendiez Henry II, qui avait envoyé ses chevaliers assassiner sir Thomas Beckett, l'archevêque de Canterbury.

M. Chipeur: Les avocats sont généralement capables de défendre n'importe qui. C'est leur travail.

Le président: Nous allons essayer de terminer d'ici 19 heures. Les sénateurs qui ont des questions à poser sont priés de le signaler.

Le sénateur Cools: J'ai deux questions à poser, mais je vais commencer par M. Chipeur. Je tiens tout particulièrement à le remercier de la clarté de son analyse. Permettez-moi de citer les propos tenus par le professeur Mewitt lorsque ces deux articles ont été adoptés en 1970. Les articles 318 et 319 se fondaient sur le rapport de Maxwell Cohen, et ils ont été rédigés en réaction à l'Holocauste qui, à cette époque, n'était pas très loin dans le passé. M. Mewitt, qui est maintenant décédé, a déclaré ce qui suit au sujet de la proposition d'adopter les articles 318 et 319:

À mon avis, ce rapport représente tout ce qu'une proposition de modification au droit pénal ne devrait pas être. Il est attrayant, logique en surface, tout à fait exact quant aux faits, mais il passe complètement à côté de l'objectif réel du droit pénal.

Comme vous le savez, ce professeur était l'un des grands experts en droit pénal. J'ai lu à peu près tout ce qui a été écrit sur ces articles 318 et 319, et les grands libertaires civils de l'époque étaient tous opposés à l'adoption de ces articles. Je songe en particulier à Frank Scott et au travail qu'il a fait pour l'Église adventiste du septième jour, ainsi qu'à notre ancien collègue, le sénateur Dan Lang.

Je suis terriblement triste et troublée que tous les témoins qui appuient ce projet de loi nous disent qu'il n'est pas nécessaire. Ce n'est peut-être même pas une bonne loi, mais adoptez-la quand même parce qu'elle fait bonne impression. Ça paraît bien. Je tiens à vous remercier, monsieur Chipeur, de nous avoir fait profiter de vos lumières.

Prenons l'exemple des États-Unis d'Amérique. Lorsque les Noirs ont été prêts à revendiquer leurs droits civils — à l'époque on ne parlait pas encore de droits de la personne mais de droits civils —, ils l'ont fait d'une manière intéressante. Ils n'ont pas accusé tous les autres d'être des semeurs de haine ou d'être coupables de génocide, ils ont plutôt cherché des recours civils en plaçant leur lutte sur le plan du droit. Dans l'une de ces célèbres causes que vous avez mentionnées, le même tribunal a adopté une position dans les années 1890 et la proposition contraire cent ans plus tard.

Cela me frappe car le terme «haine» n'a pas le même sens aujourd'hui que lorsque Maxwell Cohen l'a utilisé en 1970. C'est parfaitement clair. Nous étions au lendemain des procès de Nuremberg. Nous étions au lendemain de l'Holocauste. Je peux vous dire que Maxwell Cohen se retournerait dans sa tombe s'il savait qu'on essaie d'élargir ainsi la portée des articles 318 et 319.

J'essaie de bien comprendre votre suggestion. Essentiellement, vous dites que nous devrions tout reprendre depuis le début. En d'autres mots, plutôt que de nous contenter de modifier ces articles en y incluant l'orientation sexuelle, nous devrions revenir à la case de départ et dire ce que nous avons l'intention de faire.

J'aimerais m'adresser aux trois autres témoins avec bienveillance. Ce qu'il y a de terrible, c'est que nous abordons ce projet de loi de la même manière que nous avons abordé la Loi sur le divorce il y a des années. Si le divorce est bon pour les adultes, il doit être bon pour les enfants. Si les adultes sont malheureux, ils divorceront, car s'ils sont heureux leurs enfants le seront aussi. Nous découvrons 30 ans plus tard l'ampleur phénoménale des dégâts émotionnels.

À vous, madame Stefanowicz, je tiens à dire que vous réagissez exactement comme les enfants du divorce réagissent à votre âge. Des études récentes montrent que les enfants du divorce réagissent vivement contre le divorce et veulent renouveler leur engagement envers le mariage. Ils n'appuient pas les habitudes libertines et n'appuient pas le divorce. Je tiens à vous dire à tous les trois que je connais vos histoires, que je les ai entendues mille fois. Dawn Stefanowicz, votre histoire n'est pas unique. Je la connais et je sais quelle torture endurent les jeunes enfants dont les parents sont poussés par ces compulsions impératives. Ces petits enfants ne comprennent pas et sont très souvent traumatisés.

Auriez-vous quelque chose à ajouter au sujet du dialogue sur le mariage des homosexuels ou sur ces dispositions? Je sais ce que contient le projet de loi mais je pense connaître un peu les questions qui vous intéressent. J'ai passé des années à étudier ces questions.

Le président: Sénateur Cools, nous pourrions peut-être demander à chacun des témoins de répondre à tour de rôle.

Le sénateur Cools: Je veux qu'on me parle des enfants et de l'impact que cela a sur eux et aussi de tous ces enfants qui sont séduits lorsqu'ils sont très jeunes et qu'ils découvrent ce qui leur arrive deux ou trois ans plus tard. J'ai fait beaucoup de counselling. J'aimerais avoir une meilleure idée des problèmes qu'ont les enfants car le débat sur l'orientation sexuelle se poursuit comme si les enfants n'existaient pas.

Le président: En terminant, je demanderai à chacun des trois témoins de répondre à la préoccupation de madame le sénateur Cools et de faire tout autre commentaire en guise de conclusion, s'ils le souhaitent.

Mme Stefanowicz: Je songe à un livre de Jakii Edwards, intitulé Like Mother, Like Daugther. C'est le seul livre que j'ai pu trouver. Je crois qu'il donne en outre une autre perspective culturelle. Cette femme, qui a maintenant la soixantaine, a grandi auprès d'une mère lesbienne. Je pensais que mon histoire était un peu unique, mais lorsque j'ai lu ce livre j'ai découvert que ce n'était pas le cas et j'ai été stupéfiée de découvrir ce que cette femme, qui a maintenant la soixantaine, a vécu lorsqu'elle était enfant.

Pour les enfants qui grandissent dans les sous-cultures GLBT, l'orientation sexuelle inclut tout et n'importe quoi. Nous avons une connaissance et une perspective très large en matière de sexualité — beaucoup plus que de nombreux adultes. Il nous faut plus de temps qu'à d'autres pour y voir clair, car nous sommes exposés à tant de choses. Vous pouvez invoquer toutes sortes d'arguments, moraux, religieux ou profanes. Ce sont de bons arguments, mais les enfants sont d'abord et avant tout des êtres humains. Nous devons tous faire face à notre propre sexualité lorsque nous grandissons. D'habitude, c'est pendant l'adolescence qu'on y voit clair.

Je ne déteste absolument pas les gais, les lesbiennes, les bisexuels, les transgenres ou les transsexués. Lorsque j'étais jeune j'ai appris à faire preuve d'ouverture d'esprit, à accepter véritablement et à tolérer différents genres de personnes — pas exactement par l'exemple de mon père, mais péniblement, en écoutant les gens parler de leurs différentes sous- cultures et de la discrimination des uns contre les autres. Or, on serait tenté de dire qu'ils sont tous gais, lesbiennes, bisexuels, transsexués, transgenres, ou ce que vous voulez. Eux non plus ne s'entendent sur aucune de ces questions.

Nous entendons un point de vue. C'est un point de vue politique. C'est un petit groupe qui se forme et s'organise. Il ne parle pas au nom des enfants et il ne parle pas au nom de tous les gais, lesbiennes et bisexuels.

Je pense que la plupart des personnes qui sont exposées à ces sous-cultures voient qu'il n'est pas nécessaire d'inclure «l'orientation sexuelle» car tout le monde a une orientation sexuelle. Que veut-on protéger? Un gai peut avoir des propos haineux à l'égard d'un autre gai parce qu'il est nudiste; ils ne s'entendent pas. Ils ont leur propre code vestimentaire: un groupe est très décontracté et a de grosses bedaines, l'autre groupe aime le cuir. Ils ne fréquentent pas les mêmes endroits. Ils ne s'entendent pas. L'étiquette GLBT cache de nombreuses sous-cultures. Il y a beaucoup de diversité.

Le sénateur Pearson: Comme nous tous.

Mme Stefanowicz: Nous sommes tous différents. Les personnes qui appartiennent à la culture GLBT sont toutes différentes. Le plus important est le respect mutuel, l'amour réciproque, et de penser avant tout aux enfants. Nous pensons à ces enfants qui sont exposés à tant de choses différentes. Selon nous, le projet de loi C-250 n'assurera pas une plus grande protection aux gais, aux lesbiennes ou aux bisexués. Il n'assurera pas une plus grande protection aux transgenres ou aux transsexués. Il n'accordera aucune protection à l'enfant qui grandit dans ce milieu. Il n'accordera pas plus de protection aux hétérosexuels.

Je ne voudrais pas que ce projet de loi soit adopté. J'espère que vous examinerez cette question.

Le révérend Parkyn: Encore une fois, merci de me donner l'occasion de m'exprimer. J'ai plusieurs commentaires à faire. Avec tout ce qui se passe dans l'Église, j'espère que l'Église pourra se purifier de tout ce que nous avons fait, purifier notre conscience et s'intéresser aux victimes, particulièrement les enfants, les enfants à naître, les enfants nés et les aînés, et que nous retrouverons le droit de nous exprimer avec autorité sur la question de la séparation de l'Église et de l'État. Je crois que nous avons besoin l'un de l'autre.

Le jour où il y aura séparation totale de l'Église et de l'État, séparation de notre foi et de notre structure juridique, ce sera le règne de l'hypocrisie. J'espère que ce processus de purification nous permettra de redevenir une voix dans la nation porteuse d'unité, d'amour et de paix, et que plus jamais nous ne commettrons d'actes de violence contre les enfants, les blessant sur le plan physique, psychologique et spirituel.

Je prie pour que cela se produise dans quelques années et que nous ayons de nouveau un jour le droit de parler des questions morales qui doivent être défendues aujourd'hui.

M. Schnupp: En ce qui concerne les enfants, l'an dernier j'ai rédigé une brochure de 16 pages où je présente les cas d'une vingtaine d'enfants qui ont tellement souffert à cause de ce genre de comportements de la part de leurs parents ou de leurs principaux fournisseurs de soins. Je serai heureux de vous en remettre un exemplaire. Je n'ai pas le temps de vous en parler maintenant.

Certains soirs, mon épouse et moi nous nous couchons et nous pleurons en pensant à ce qu'endurent certains enfants à cause des croyances des adultes et de leur façon de se justifier. Les tribunaux retirent l'enfant de la collectivité pour le placer dans des foyers d'accueil plutôt que de s'en prendre au responsable car celui-ci a des droits ou un certain pouvoir politique. Nous pourrions vous donner d'autres exemples. Lorsque ces enfants grandissent, ils refont ce qu'on leur a fait subir, à moins d'en arriver à se sentir guéris et entiers. Je pourrais vous parler longuement des enfants.

Je terminerai en vous disant que nous craignons que ce projet de loi rende impuissants ceux qui, comme nous, essaient d'aider les enfants et même d'aider à réhabiliter les coupables. Nous pourrions perdre notre charte. Nous pourrions perdre notre statut. On pourrait nous empêcher d'intervenir.

Je pourrais vous parler encore des enfants, mais je crains davantage que les personnes comme celles qui sont membres de notre organisation ne puissent plus agir à cause de la manière qu'on utilisera ce projet de loi. À mon avis, la manière d'agir des tribunaux et des organismes gouvernementaux nous donne lieu de nous inquiéter. Les tribunaux n'ont tout simplement pas su protéger la liberté de religion contre les revendications fondées sur l'orientation sexuelle.

Je pourrais vous énumérer les causes. J'ai mentionné deux affaires où les tribunaux ont rendu des décisions qui allaient à l'encontre des croyances d'une personne. Dans un cas, un couple qui exploitait un gîte du passant ne voulait pas, pour des raisons religieuses, que des couples non mariés dorment sous leur toit. Le tribunal leur a dit qu'ils devaient accepter tous les couples mariés ou pas mariés ou fermer leurs portes. Ils ont choisi de fermer plutôt que d'agir à l'encontre de leurs croyances.

Les décisions qu'ont rendu les tribunaux ces derniers temps montrent qu'ils ne défendent pas la religion, la foi et ce que nous croyons. C'est ma plus grande crainte.

J'ai une autre préoccupation qu'a déjà exprimée l'Alliance évangélique du Canada, c'est-à-dire que la Bible pourrait facilement — et je pense que cela se produira — être classée comme un document haineux, du moins certaines de ces parties. Et alors, où trouverons-nous du réconfort en tant que chrétiens?

Si vous me le permettez, je vais vous citer quelque chose que j'ai lu dans le Star Phoenix de Saskatoon dans vos entretiens avec le groupe REAL Women. Je ne sais pas ce que vous leur avez dit; je sais seulement ce que j'ai lu. C'est ce qui m'inquiète profondément. Alors, nous ne pouvons pas aider les enfants en tant que bénévoles. Les Autochtones craignent également la persécution. Ils ne pourront pas aider les leurs dans certaines régions où l'exploitation sexuelle et la pédophilie sont très répandues — Dieu merci, ce n'est pas partout. Vous avez dit que les croyants seraient particulièrement visés si le projet de loi C-250 était adopté. L'objet de ce projet de loi est de créer une disposition du Code criminel qui pourrait être utilisée pour purifier de nombreuses personnes de leurs options morales.

Le sénateur Cools: Opinions.

M. Schnupp: Opinions, pardon. Vous donnez aux autorités un pouvoir exprimé en termes ambigus et incertains et ensuite vous vous fiez à leur bonté pour qu'elles ne l'exercent pas. Quelle naïveté. Cela obligera certains de nos organismes qui aident les enfants à fermer leurs portes. C'est ce que nous craignons.

Le sénateur Cools: Monsieur le président, je pense que nous devrions essayer d'en apprendre davantage au sujet des groupes dont le statut d'organisme de bienfaisance est remis en question. Ce sont des choses qui se produisent.

Le président: Au nom des membres du comité, je remercie les témoins de leurs exposés pleins d'information et de leur interaction avec les sénateurs. Merci beaucoup d'être venus ce soir nous faire part de vos idées et de vos opinions.

Honorables sénateurs, avant de lever la séance, je vais demander à la greffière de communiquer avec vous à vos bureaux pour voir si vous souhaitez entendre d'autres témoins au sujet du projet de loi C-16 ou du projet de loi C-250.

La séance est levée.


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