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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 8 - Témoignages du 5 mai 2004


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2004

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 3, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu, se réunit aujourd'hui à 16 h 20 pour examiner cette mesure législative.

Le sénateur George J. Furey (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Sénateurs, bonjour.

[Français]

Nous allons continuer notre étude du projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi de l'impôt sur le revenu.

[Traduction]

Nous allons entendre, pour nous aider dans notre examen du projet de loi C-3, deux groupes de témoins, dont le premier est composé de professeurs de science politique. Nous entendrons ensuite un groupe composé de membres de partis politiques et d'un représentant de l'Institut Fraser. Nous siégerons ensuite à huis clos pour parler d'un projet de rapport sur les observations concernant le projet de loi C-20.

Je crois également savoir que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit dans cette salle pour y tenir une vidéoconférence avec la Nouvelle-Zélande. On nous a demandé de libérer la salle, si cela est possible, avant 19 heures.

Si ce point, je demanderais aux témoins qui souhaitent présenter un exposé, ce qui n'est pas obligatoire, de bien vouloir être brefs. Je demanderais également aux sénateurs de poser rapidement leurs questions, et de limiter le plus possible leur préambule.

Je souhaite la bienvenue aujourd'hui à Mme Young, professeure de l'Université de Calgary, M. Massicotte, professeur agrégé de l'Université de Montréal, M. Wiseman, professeur agrégé de l'Université de Toronto et M. Smith, professeur de l'Université de la Saskatchewan.

M. Nelson Wiseman, professeur agrégé de science politique, Faculté des arts et des sciences, Université de Toronto, témoignage à titre personnel: Sénateurs, on m'a demandé de présenter un exposé de cinq minutes et maintenant, on me demande de l'abréger. N'hésitez pas à m'arrêter. Les professeurs d'université ont parfois tendance à s'écouter parler.

Je vous remercie de m'avoir invité et d'avoir pensé que mes opinions pouvaient vous être utiles. Je remercie également le personnel du comité qui m'a transmis lundi des documents d'information que j'ai maintenant assimilés et auxquels j'ai réfléchi.

Il semble quelque peu paradoxal que les gouvernements de divers pays considèrent que le système électoral canadien est un modèle à suivre et qu'ils demandent au directeur général canadien des élections des conseils pour mettre sur pied et faire fonctionner leurs propres systèmes électoraux alors qu'ici, les tribunaux canadiens ont porté de durs coups à notre système électoral et l'ont même ébranlé. Y a-t-il une loi du Parlement qui ait été autant contestée et disséquée que la Loi électorale? On pourrait aussi se demander si les règles de notre système électoral préoccupent vraiment les Canadiens. Y a-t-il un sondage qui indique qu'il y aurait ne serait-ce que 1 p. 100 des Canadiens qui estiment que les décideurs publics comme vous devraient procéder en priorité à une révision du système électoral?

Je pense que le comité doit examiner différents aspects dans son examen du projet de loi C-3. Le premier est celui de l'effet qu'auront les changements proposés sur notre régime politique. Sur ce point, on pourrait aborder le risque de prolifération des partis enregistrés, la délivrance de reçus déductibles d'impôt, le financement public, par exemple.

Un deuxième aspect est le seuil que fixe le projet de loi une reconnaissance d'un parti politique, à savoir un candidat et 250 membres. Un troisième est la définition de «parti» par le projet de loi, que je ne reprendrai pas ici. Les sénateurs la connaissent très bien. Enfin, on pourrait s'interroger sur ce qui se passerait si le projet de loi mourrait au Feuilleton avant l'expiration du délai accordé par la Cour suprême pour apporter des modifications, soit avant la fin du mois prochain.

Quelle que puisse être notre jugement sur l'arrêt Figueroa de la Cour suprême, et j'ai été sidéré de voir la cour prononcer cet arrêt, même si je n'ai pas été complètement surpris, compte tenu du bilan de la Cour en matière de droit électoral, ces questions devront être abordées par des décideurs publics comme vous et par les responsables du bureau d'Élections Canada.

En tant que professeur d'université, je vais effleurer ces différents aspects et commenter l'avancée de la Cour suprême dans le domaine de la terminologie et la raison d'être de ses décisions.

Voici les deux platitudes et expressions vagues sur lesquelles la Cour a construit ses décisions: représentation effective et participation utile. Ce sont des expressions très élastiques qui, comme des morceaux de caoutchouc, peuvent être étirées dans tous les sens; il n'est pas surprenant qu'elles aient été vivement critiquées. J'estime que la Cour est mal équipée et mal formée pour préciser ce que devrait être le sens de ces expressions en théorie ou en pratique. Cette tâche devrait plutôt revenir à des politiciens qu'à des juristes. C'est-à-dire qu'il serait préférable que ce soit des politiciens, des administrateurs publics, des spécialistes de la science politique et de la philosophie politique qui abordent ces questions — et le public le fait aussi lorsqu'il exerce son droit de vote.

J'estime que le seul fait que la Cour ait accepté d'examiner la conformité de notre législation électorale à la Charte fait problème. Dans son arrêt de principe de 1981, le renvoi sur le rapatriement de la Constitution, la Cour a déclaré que les lois électorales provinciales faisaient partie des constitutions des provinces. Il paraît donc possible de considérer que les lois électorales fédérales font également partie de la Constitution du Canada. Étant donné que la Cour a également déclaré qu'il convient d'examiner ensemble tous les éléments de la Constitution en cas de conflit, j'estime que la Charte ne devrait pas automatiquement avoir préséance sur les lois électorales adoptées par le Parlement.

Cet argument est conforté par la Loi constitutionnelle de 1867 qui prévoit la tenue d'élections, et contient des dispositions relatives aux circonscriptions électorales, ce qui indique que ces aspects font partie de notre infrastructure constitutionnelle.

Le regretté Donald Smiley, une autorité dans le domaine de la science politique, a également noté que nos lois électorales ont au moins un statut quasi constitutionnel et qu'elles ne devaient pas être traitées comme les autres lois ordinaires; mais les jeux sont faits et la Cour s'est déjà ingérée dans ce domaine à vos dépens.

Je prévois qu'il y aura d'autres contestations constitutionnelles, qui auront des répercussions juridiques imprévisibles, quel que soit le soin que vous mettrez à rédiger ces nouvelles dispositions. Il est impossible de garantir la constitutionnalité de ces dispositions législatives à cause de l'imprécision et de l'incohérence des jugements qui ont été et qui seront prononcés.

Certains voient là une souplesse tout à fait souhaitable. Pour d'autres, comme moi, cette situation ne pourra que faire régner l'incertitude dans ce domaine, suscitera des contestations constantes et marginalisera davantage les parlementaires. J'estime que la Cour a compromis, au lieu de la renforcer, l'intégrité du système électoral, un système qui, depuis les années 70, est devenu, plus qu'il ne l'a jamais été auparavant, accessible, transparent, ouvert et qui favorise la participation populaire.

Si les sénateurs le souhaitent, je peux maintenant aborder les aspects qui, comme je l'ai mentionné il y a un instant, appellent un examen.

Le président: Tout d'abord, monsieur Wiseman, je vais vous prendre au mot et vous interrompre. Vous avez déjà utilisé vos cinq minutes. Si vous avez une version abrégée de la deuxième partie de votre exposé, je vous invite à la présenter. Cela dépend de vous.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, puis-je intervenir? Il s'agit là d'un projet de loi très important. Comme cela a été indiqué, nous avons soulevé un certain nombre d'aspects.

Vous avez déclaré vouloir entendre tous les témoins aujourd'hui et procéder demain à l'étude article par article. Si nous n'entendons pas les exposés au complet, comment pourrons-nous comprendre ce projet de loi? Ces témoins ont été invités au dernier moment, comme vous le savez. Si nous n'écoutons pas ce qu'ils ont à dire et n'entamons pas un dialogue avec eux, quand pourrons-nous le faire et à quel moment pourrons-nous examiner correctement ce projet de loi?

J'espérais que nous prendrions le temps d'entendre ces témoins.

Le président: C'est ce que nous essayons de faire, sénateur Andreychuk. Vous savez qu'il y a deux séries de témoins et nous voulons les entendre tous. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux témoins d'être aussi brefs que possible. Même dans des circonstances normales, nous demandons généralement aux témoins de parler pendant cinq minutes environ, pas beaucoup plus. Monsieur Wiseman, si vous voulez présenter une seconde partie, allez-y, ou si vous souhaitez donner la parole à un de vos collègues, nous allons entendre M. Massicotte. Nous allons donner aux témoins toute la latitude possible.

Merci, sénateur Andreychuk.

M. Louis Massicotte, professeur agrégé de science politique, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, c'est toujours un plaisir pour un professeur d'université d'être invité à livrer ses réflexions aux personnes qui sont chargées d'établir les règles du jeu électoral, un des domaines auxquels je m'intéresse.

[Français]

Je vais parler en français étant donné que je connais l'excellence de vos services d'interprétation. Il est peut-être prétentieux pour un professeur d'expliquer à des politiciens la définition d'un parti politique. Je vais essayer de vous apporter un certain éclairage utile. Ma première remarque est que les seuils pour définir un parti politique sont toujours un peu arbitraires. Ils sont énoncés non pas sur la base d'une profonde réflexion philosophique, mais en fonction des circonstances du moment et des convictions de ceux qui sont habilités à prendre la décision. On sait tous cela. Maintenant, pour se faire une idée du seuil idéal, on peut tenir compte de ce qui existe ailleurs et se demander si la sagesse des nations démocratiques converge dans un sens précis pour ne pas avoir l'air trop «way-out» en s'y ralliant. Cet empirisme comparatif a ses limites. Il n'est pas du goût de la Cour suprême mais il peut fournir un éclairage intéressant.

À cet égard, je pourrais apporter un élément d'information inédit. J'ai examiné les législations en vigueur il y a quelques années concernant l'enregistrement des partis politiques dans six pays démocratiques. Il s'agissait des États- Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de la France, de l'Australie et de l'Irlande. Vous serez peut-être surpris de l'apprendre, mais presque tous ces pays étaient nettement moins exigeants que nous ne le sommes au chapitre de l'enregistrement des nouveaux partis. Cinq de ces pays n'exigeaient pas de nombre minimal de membres ou de nombre minimal de candidats. Quant à l'Australie, elle exigeait, je pense, 500 membres et la présentation d'au moins un candidat dans un laps de temps de quatre ans. En exigeant qu'un seul candidat, le projet de loi n'est certainement pas loin de la moyenne internationale, même si certains peuvent juger ce dispositif trop laxiste.

Maintenant, si on veut imposer des seuils et c'est vraiment le cœur de ma présentation, de mon message, je me demande s'il n'est pas préférable de s'en tenir à des critères purement quantitatifs, comme un nombre de candidats ou de membres parce que ces critères sont beaucoup plus faciles à appliquer.

La prise en considération de critères plus qualitatifs rend la décision beaucoup plus difficile à prendre et son acceptation va devenir plus aléatoire, ce qui risque de nous faire retourner devant les tribunaux. Je ne voudrais pas être dans la position du juge ou du fonctionnaire qui aura à déterminer si la participation aux élections constitue un des objectifs essentiels d'un parti politique.

Là, il me semble qu'on va dans un domaine hautement subjectif. Que ce soit un objectif, ce sera assez facile à déterminer parce que si le parti a déjà présenté un candidat, on présume qu'il s'intéresse au processus électoral. Mais à partir de quel stade est-ce essentiel? D'une certaine façon, ce critère ne va-t-il pas implicitement à l'encontre du critère du candidat unique auquel le projet de loi se rallie par ailleurs? Si vous dites à un candidat, à un parti politique, d'une part, qu'il suffit de présenter un candidat, il vous présente un candidat. En même temps, d'autre part, vous devez vérifier si la question va se poser à un moment donné. Il y a 308 circonscriptions au Canada. Vous avez présenté un seul candidat. Comment voulez-vous nous faire croire de façon crédible que c'est un objectif essentiel de votre part de participer au processus électoral puisque vous ne présentez qu'un candidat alors qu'il y a 308 possibilités?

Autrement dit, ce critère risque d'annuler le précédent critère numérique que vous avez formulé. On demande au tribunal, et indirectement au commissaire, d'explorer les déclarations publiques d'un parti ou de ses candidats, une déclaration au soutien d'un autre parti politique ou d'un candidat d'un autre parti politique. Il s'agit de l'article 521.1(4)c). On demande également de s'assurer si le parti n'est pas contrôlé directement ou indirectement par une entité ou qu'il utilise son statut de parti enregistré principalement pour procurer une aide financière à une autre entité, dans ce cas il s'agit de l'article 521.1(4)e). Cela fait beaucoup de jugements de valeur difficiles à porter. Sommes-nous vraiment sûrs que ceux qui doivent les porter soient équipés pour le faire?

Cela m'amène à conclure qu'il serait préférable d'éliminer du projet tout ce qui a trait aux objectifs essentiels des partis et de s'en tenir à des critères quantitatifs. Cela faciliterait l'émergence d'un plus grand nombre de partis. Nous en aurions plus que les dix ou 12 auxquels nous sommes habitués dans ce pays, ce qui, à l'échelle du monde contemporain, n'aurait rien de dramatique. Je vous fais grâce des chiffres que j'ai accumulés concernant d'autres pays, mais je peux vous assurer que la moyenne des partis qui existent dans la plupart des pays et qui sont enregistrés et reconnus est nettement plus élevée que celle que nous avons ici. Pour la plupart, bien sûr, ces partis sont totalement marginaux sur la scène électorale, mais on leur permet d'exister.

[Traduction]

Mme Lisa Young, professeure de science politique, Faculté des sciences sociales, Université de Calgary, témoignage à titre personnel: Merci de m'avoir invitée à prendre la parole ici. Je souscris entièrement à l'analyse que fait mon collègue, M. Massicotte, du projet de loi, à la lumière des conditions d'enregistrement qui existent dans des pays comparables, et à son argument selon lequel nous devons être très souples et éviter de faire des jugements qualitatifs sur ce que doit être un parti politique.

Je ne vais pas m'étendre davantage sur ce point. Je souhaite plutôt examiner les répercussions possibles. Il faut partir du fait que la Cour suprême, que nous soyons d'accord avec elle ou pas, a fixé un seuil très bas pour l'enregistrement d'un parti politique. Il est paradoxal que cette décision ait été prise à un moment où le Canada a adopté un régime politique qui accorde aux partis politiques un financement public plus généreux que n'importe quel autre pays au monde. Cela pourrait avoir des conséquences intéressantes. C'est le sujet que j'aimerais approfondir en tenant pour acquis que le Parlement sera amené à revoir ces questions d'ici deux ans, puisque le projet de loi contient une disposition de temporisation.

Il convient d'abord de réfléchir aux conséquences que ce projet pourrait avoir sur le plan politique. Allons-nous constater une forte augmentation du nombre des partis politiques enregistrés? Je prévois, et ce n'est qu'une simple prévision, qu'il y aura effectivement une augmentation mais qu'elle ne sera pas nécessairement très forte. Il y a des mesures qui vont inciter des groupes d'intérêt ou d'autres organismes qui ne sont pas toujours engagés politiquement à s'enregistrer comme parti politique. La principale de ces incitations est l'accès au crédit d'impôt pour les contributions politiques, ce qui devrait aider ces organismes à lever des fonds, et deuxièmement, l'accès à un des périodes gratuites de radiodiffusion pendant les élections fédérales.

Cela dit, les groupes d'intérêt canadiens ne vont certainement pas tous vouloir s'enregistrer en tant que parti politique. L'enregistrement comporte des désavantages qu'il ne faut pas oublier et qui viennent atténuer les répercussions de ce projet de loi. Tout d'abord, il y a les coûts d'observation de la loi. Un parti doit payer 1 000 $ pour enregistrer ne serait-ce qu'un seul candidat. Une fois enregistré, le parti politique est tenu de présenter annuellement des rapports vérifiés. Autrement dit, le fait de s'enregistrer comme parti politique entraîne des frais. Je ne pense pas que tous les groupes d'intérêt canadiens vont profiter de cette possibilité.

Deuxièmement, si on peut concevoir que le crédit d'impôt pour contributions politiques va faciliter la levée de fonds, les personnes qui versent des contributions vont par contre perdre leur anonymat. Si elles font des contributions supérieures à un certain montant, leurs noms figureront dans le rapport annuel du parti politique concerné.

Troisièmement, une organisation politique qui s'enregistre comme parti politique ne sera plus autorisée à accepter des contributions provenant de syndicats ou d'entreprises. Certains groupes d'intérêt et organisations verront là un aspect très dissuasif.

Enfin, il convient de rappeler que les groupes d'intérêt qui sont financés par des contributions venant de particuliers sont très sensibles à leur image car ils veulent continuer à mériter la loyauté de leurs membres. Si ces groupes semblent vouloir profiter des fonds publics en s'enregistrant de façon illégitime dans le seul but d'obtenir un crédit d'impôt, ils risquent d'en payer le prix, sous la forme d'une diminution des contributions. Je ne pense pas que nous allons assister à l'enregistrement massif de groupes d'intérêt, mais il y en aura certainement un certain nombre qui le feront. Même avec la limite très élevée de 50 candidats, des organisations comme le Parti de la loi naturelle ou le Parti de la marijuana qui étaient des groupes d'intérêt ou des groupes apolitiques, se sont constitués en partis politiques. Il y en aura donc un certain nombre qui le feront.

Cela doit-il nous inquiéter? Il y a deux choses qui devraient nous inquiéter. Premièrement, il y a l'impact que cela aurait sur le temps d'antenne gratuit. Le projet de loi, tel que je le comprends, oblige actuellement tous les réseaux à accorder deux minutes au cours de la campagne électorale à tous les partis politiques enregistrés. Si 10, 20 ou 100 nouveaux partis apparaissaient, et s'ils souhaitaient tous profiter de cette offre, cela aurait des répercussions très importantes sur les diffuseurs qui exerceraient probablement des pressions pour ne pas être obligés de fournir ce temps d'antenne gratuit. Il serait très regrettable de refuser à nos partis politiques enregistrés du temps d'antenne gratuit. C'est un aspect que nous devrons examiner; nous devrons nous demander si tous les groupes qui s'enregistrent comme parti et qui présentent un candidat ont automatiquement droit à du temps d'antenne gratuit.

La deuxième question, plus fondamentale, est celle du coût que représente pour le gouvernement le fait d'offrir un crédit d'impôt pour contributions politiques à tous les partis politiques enregistrés. Cela paraît difficilement évitable si nous voulons conserver le crédit d'impôt. C'est une innovation réglementaire que nous devrions certainement conserver. Elle offre toutes sortes d'avantages. Je pense néanmoins que ce projet de loi aura un effet sur cette mesure.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi qui doit se faire d'ici deux ans, le Parlement sera amené à examiner l'opportunité d'imposer des restrictions sur la façon dont les partis politiques peuvent dépenser les fonds obtenus grâce au crédit d'impôt pour contributions politiques. En particulier, il faudra se demander si ces partis peuvent les transférer à des organismes autres que des partis politiques. Je pense ici au Parti de la loi naturelle du Canada qui n'est plus enregistré et qui transférait régulièrement chaque année des montants de 20 000 $ à une organisation déclarée dans ses états financiers comme étant l'organisation qui parraine la LN. Il s'agit sans doute d'une organisation religieuse ou quasi religieuse.

Je ne pense pas qu'il soit possible de modifier les règles énoncées par la Cour suprême au sujet de l'enregistrement des partis, mais elles vont entraîner toutes sortes de répercussions pour le trésor public et pour le temps de radiodiffusion et le Parlement devra se pencher sur ces aspects dans les années qui viennent.

M. David Smith, professeur d'études politiques, Collège des arts et des sciences, Université de la Saskatchewan, témoignage à titre personnel: Je ne vais pas parler des dispositions du projet de loi; les gens en ont déjà parlé et je sais que vous les connaissez déjà. J'aimerais parler d'une façon plus générale de l'effet qu'auront, d'après moi, ce projet de loi et le jugement de la Cour suprême sur notre système de partis.

Il ne faut pas juger trop vite, mais je pense que l'arrêt de la Cour suprême et la réponse que lui apporte le gouvernement auront un effet important sur le fonctionnement des partis politiques canadiens, tant sur le plan notionnel que conceptuel. Il faudra attendre pour pouvoir en évaluer les répercussions concrètes. Il faudra examiner ces aspects dans le contexte d'un large débat au sujet du déficit démocratique et de la baisse de la participation des électeurs. Dans le National Post d'aujourd'hui, il y a un article intitulé «La fin des partis politiques? Les candidats locaux attirent davantage les électeurs que les programmes et les chefs de parti.» On retrouve ce genre de chose pratiquement tous les jours dans les journaux.

Je pense que l'on peut examiner cette question sous deux angles différents. D'une certaine façon, il semble que la décision et le projet de loi bouleversent la façon dont nous considérons les partis politiques et la façon dont tous les traités de science politique les décrivent, à savoir qu'il peut y avoir un parti n'ayant qu'un membre et un parti en comptant des milliers. Cela va à l'encontre de tout ce que nous avons appris. Il y aura maintenant des partis politiques dont l'objectif sera de faire connaître un point de vue, comme cela est dit dans le jugement, et des organisations visant à structurer le vote, c'est-à-dire à mobiliser les électeurs et à regrouper les partisans, qui est le rôle traditionnel des partis décrit dans tous les traités. Ces deux types de partis ne sont pas conçus comme des structures alternatives mais comme des structures égales. C'est là un point très important.

M. Saada, le leader du gouvernement à la Chambre des communes, a déclaré qu'une augmentation du nombre des partis aura pour effet d'élargir la gamme des opinions offertes aux Canadiens et de les amener à se réinsérer, ce sont ses propres termes, dans le processus politique.

C'est peut-être ce qui se passera mais, de toute façon, c'est un argument qui a été utilisé par le juge Iacobucci dans la décision majoritaire. Il a déclaré que tous les partis politiques sont en mesure de faire valoir des préoccupations et des intérêts particuliers dans le débat politique. Je pense que l'arrêt de la Cour suprême a eu pour effet de supprimer l'ancienne distinction entre les partis politiques sérieux et les partis frivoles que l'on retrouve dans la plupart des études portant sur ce domaine. Cet arrêt fait du pluralisme un élément fondamental de la démocratie électorale canadienne.

C'est un aspect négatif. Par contre, cette approche a aussi un effet positif. Pour la première fois, le droit canadien définit la notion de parti politique. Historiquement, au Canada, comme en Grande-Bretagne, l'État ne s'est pas beaucoup intéressé aux affaires internes des partis politiques. À l'exception du changement apporté au Code criminel en 1919, l'article 98, les lois canadiennes n'ont pas tenté de régir la formation des partis politiques; elles ne les interdisent pas et elles ne les autorisent pas non plus. Cela représente un changement important. D'une certaine façon, on pourrait le résumer en disant que ce projet de loi restructure le processus électoral.

L'arrêt de la Cour suprême est important. Le juge Iacobucci affirme que la participation au processus électoral est une valeur intrinsèque dans une démocratie indépendante parce qu'elle influe sur le résultat des élections. Pourquoi? À cause de la diversité d'opinions. Cette diversité est extrêmement importante. Le projet de loi et la décision de la Cour suprême tentent de concilier la tradition canadienne qui favorise les partis nationaux, qui jouent un rôle unificateur et structurant — les libéraux et les conservateurs, historiquement — et le souci assez nouveau de protéger les droits des minorités par le biais des règles électorales, ce qui me paraît tout à fait nouveau, et non par la Charte. C'est une tentative de conciliation de la Charte avec les règles électorales. Cette tendance ne disparaîtra pas, quel que soit l'avis des gens à ce sujet. C'est un aspect absolument fondamental de l'avenir de notre régime politique.

Historiquement, les partis nationaux ont joué un rôle essentiel, à savoir unifier le pays en tant qu'entité territoriale. Dans ce jugement, la cour affirme que les petits partis jouent un rôle essentiel dans la démocratie électorale canadienne et notre société démocratique. C'est ce qu'annonçait le renvoi sur la sécession du Québec dans lequel la cour avait invoqué certains principes, la suprématie de la loi, la démocratie, le fédéralisme et la protection des minorités. Les minorités sont désormais protégées par le système électoral. Ce sont là des points de vue complémentaires et non pas contradictoires. Les grands partis nationaux ont un rôle unificateur tandis que les petits partis ou les partis qui représentent des intérêts particuliers représentent la diversité des opinions des électeurs.

Je dirais donc que, sous cet aspect, l'arrêt de la Cour suprême et le projet de loi C-3 viennent compléter, dans un certain sens, ce qui a été réalisé en 1867. À l'époque, il s'agissait d'unité territoriale et des particularismes territoriaux de notre pays alors qu'aujourd'hui, il s'agit d'unité sociale.

Tous les pays occidentaux font face à une désaffection des électeurs. L'arrêt de la Cour suprême et le projet de loi constituent une réponse à cette situation qui permettra peut-être de préserver l'intégrité du système électoral, qui est à la base de la démocratie canadienne.

Le sénateur Andreychuk: Je comprends ces différents points de vue. Ils ont tous leur raison d'être. Certains sont complémentaires, d'autres non. M. Smith a déclaré que nous ne connaîtrons l'effet réel de ces modifications que lorsqu'elles auront été en vigueur pendant un certain temps. À l'heure actuelle, nous pouvons uniquement essayer de deviner ce qui se passera.

Il y a un aspect qui me préoccupe, et j'aimerais que M. Massicotte ou Mme Young me réponde. La notion de parti politique est définie en termes très larges et l'élément de cette définition qui m'inquiète est celle qui énonce qu'un des objectifs essentiels d'un parti est de participer aux affaires publiques. Je me demande un peu ce que veulent dire ces mots-là.

Nous confions à Élections Canada et à son directeur général le soin de décider si cette condition est remplie. Lorsque M. Kingsley a comparu devant nous, il a déclaré au début qu'il était prêt à le faire. Il a déclaré que, si cette tâche lui était confiée, il s'en acquitterait au mieux de ses capacités professionnelles, comme doit le faire tout bon fonctionnaire. Lorsqu'on lui a demandé quelles étaient les lignes directrices qu'il appliquerait, quel serait le modèle d'équité procédurale que pourrait invoquer l'organisme dont la demande a été rejetée ou la personne qui voudrait interjeter appel d'une décision accordant ou refusant la reconnaissance à un groupe donné, puisque le projet de loi ne décrit pas ce processus en détail, M. Kingsley a répondu: «Eh bien, si vous me demandez de faire tout ça, il va falloir que je réfléchisse un peu à comment je vais m'y prendre», et il a alors refusé de s'engager sur ces questions.

Avons-nous raison de nous poser des questions sur ce point? Nous disons que quelqu'un, et cela sera M. Kingsley, devra prendre ce genre de décision, mais nous n'avons pas vraiment précisé la façon dont il faudra prendre cette décision, ni le moment, ni la procédure qu'il faudra suivre. Ne risquons-nous pas de politiser une fonction dont nous essayons de préserver depuis des années la neutralité?

Je sais, d'après l'expérience que j'ai acquise en visitant d'autres pays qui nous ont pris comme modèle, tout d'abord en nommant un directeur général des élections et en veillant à ce qu'il ne représente pas simplement le point de vue du parti au pouvoir mais aussi en veillant à ce que les mesures prises par la commission électorale et le directeur général des élections ne soient pas politisées, que ces institutions doivent être au-delà de tout soupçon et impartiales. Je me demande si, en chargeant M. Kingsley de faire tous ces jugements de valeur, nous n'allons pas l'amener à rendre des jugements de valeur de nature politique.

M. Massicotte: Je vais vous livrer quelques idées sur ce sujet. Je partage cette préoccupation. Le directeur général des élections a déjà eu l'occasion de présenter son point de vue et je ne vais certainement pas prétendre parler en son nom. Néanmoins, connaissant le directeur général actuel ainsi que son prédécesseur, Jean-Marc Hamel, je dirais qu'une des raisons pour lesquelles nous avons pu créer cette institution et confier à un seul fonctionnaire la direction du processus électoral, ce qui n'est pas la solution la plus fréquemment retenue dans les pays démocratiques mais qui est en vigueur ici depuis 1920, et qui est, d'après moi, une grande réussite, est que le directeur général des élections n'a pas à prendre de décisions très complexes faisant appel à des jugements de valeur. Jusqu'ici, le directeur général des élections n'a jamais été choisi parmi la classe politique. Ces directeurs ont toujours été des administrateurs professionnels. Le premier directeur nommé en 1920 était un avocat, mais tous les autres étaient des administrateurs professionnels.

Lorsqu'on examine les critères que le directeur général doit prendre en considération selon le projet de loi, on constate, et là j'attire encore une fois votre attention sur ce point, qu'on lui demande de décider si le parti est contrôlé, directement ou indirectement, par une entité ou s'il utilise son statut de parti enregistré principalement pour procurer une aide financière à une autre entité. Cela va le conduire dans un domaine très complexe et dangereux, en fait dans un champ de mines.

Je suis absolument convaincu que le directeur général des élections est en mesure de rendre d'excellents jugements sur ces questions, mais je me demande si ces jugements seront acceptés par les personnes qui sont visées par eux. Voilà un aspect qui me préoccupe vraiment.

Mme Young: Je vais répondre très brièvement. Il me semble que pour mettre en oeuvre ce projet de loi, le directeur général des élections sera obligé de dire que toute organisation qui répond aux conditions objectives, à savoir présenter un candidat et avoir 250 membres, peut être enregistré. Si le directeur général des élections commence à faire des jugements qualitatifs sur ce qu'est un parti politique légitime, il est presque certain que le titulaire de ces fonctions, quel qu'il soit, ne pourra que nuire à son poste. Même si le directeur général des élections établissait un ensemble de conditions qui, si elles étaient remplies, permettraient d'affirmer qu'un organisme «participe aux affaires publiques», cela soulèverait de grandes difficultés. Il est presque certain que ces questions seraient soumises aux tribunaux. Je ne vois pas d'autre façon de prendre ce genre de décision qu'en se basant sur des critères quantitatifs et non pas qualitatifs. Nous devrons nous accommoder de cet état de fait.

Le sénateur Andreychuk: Vous dites que d'après vous, notre directeur général chercherait à préserver sa neutralité et refuserait de rendre ce genre de jugement, si on lui demandait de le faire. Autrement dit, si quelqu'un disait: «Vous allez enregistrer un parti politique, mais je ne pense pas qu'un de ses objectifs essentiels soit de participer aux affaires publiques», que répondrait-il? Il doit faire un jugement pour répondre à une telle question.

Mme Young: Je ne peux évidemment dire ce que ferait M. Kingsley ou un autre directeur général des élections dans de telles circonstances. Si je me trouvais dans sa situation, je dirais que le fait de présenter un candidat à une élection est un élément qui montre que l'organisation concernée participe aux affaires publiques.

[Français]

Le sénateur Nolin: Monsieur Massicotte, si je comprends bien, vous ne vous objectez pas à ce qu'on établisse des règles pour définir un parti politique. Vous avez un problème que si on confie au directeur général des élections, à la fois le rôle d'appliquer la loi et celui d'accepter les joueurs qui vont batailler sur la patinoire politique. Est-ce que je comprends bien votre position?

M. Massicotte: J'aurais pu être plus clair. Ce n'est pas tellement le fait que le directeur général des élections soit obligé de porter ce genre de jugement, mais c'est l'idée même de mettre dans la définition d'un parti politique cette notion difficile à interpréter d'objectifs essentiels. Objectifs, cela va, on s'est bien compris. Objectifs essentiels, c'est difficile, à mon avis, pour un fonctionnaire et probablement même difficile pour un tribunal de porter un jugement sur une telle question. J'ai l'impression que je recommanderais d'évacuer toute cette définition de parti politique du champ du projet de loi. Cela fait tout de même au-delà de 30 ans qu'on enregistre des partis politiques sans avoir senti le besoin de définir cette expression.

Le sénateur Nolin: Dans votre examen du processus applicable dans d'autres juridictions, avez-vous rencontré de tels types de structure ou d'organisation ou ouvre-t-on la porte à la subjectivité?

M. Massicotte: Ce qui m'a frappé dans la plupart des législations, c'est qu'on demande l'enregistrement et on l'obtient. Il n'y a pas habituellement de définition qui existe. En plus, on a tendance à dire: s'il faut errer, à en juger par les dispositions qui existent, errons dans le sens de l'ouverture plutôt que de l'exclusion.

Nous avons choisi une autre approche. Vous avez vu ce que la Cour suprême en a fait. Mais dans la plupart des autres pays on n'est pas aussi peureux que nous vis-à-vis la notion qu'il y ait beaucoup de partis politiques.

Je regardais, par exemple, quelques chiffres qui pourraient vous intéresser. En Australie, qui ne passe pas pour un pays au multipartisme foisonnant ou délirant, il y a deux ou trois partis représentés dans les deux Chambres du Parlement fédéral, j'ai compté 34 partis en existence, mais la plupart d'entre eux ne comptent pas.

En Allemagne, c'est pareil. Vous avez quatre partis représentés au Parlement, vous en aviez 28, qui étaient dans la compétition électorale. On les autorise, on leur dit: Rentrez, voilà, vous voulez exister, très bien. Vous avez le droit de participer à la compétition mais quand il s'agit de rentrer au Parlement, je comprends qu'il peut y avoir des inquiétudes plus légitimes. Il y a d'autres seuils qui s'appliquent, des seuils de représentation, de financement public qui sont plus exigeants. Il faut comprendre que ce dont on parle, ce sont des seuils d'existence et de reconnaissance juridique, des seuils qui peuvent être pas mal moins exigeants que les autres dont on parle.

[Traduction]

Le sénateur Mercer: Tout d'abord, je dois vous dire que j'apprécie vos efforts et vos commentaires. Nous vous avons demandé d'être brefs, mais nous sommes heureux d'entendre ce que vous avez à dire. J'aurais une question.

Mme Young a utilisé l'expression «coûts d'observation de la loi». C'est un aspect qui mérite d'être approfondi. Si vous lisez les statuts des partis politiques actuels, ou du moins ceux que j'ai lus — j'en ai lu trois — ils répondent assez facilement aux conditions du projet de loi, parce qu'ils prévoient la préparation d'un certain nombre de rapports. Je pense que si j'examinais d'autres statuts, je trouverais la même chose. Nous avons 12 à 14 partis enregistrés et nous ne sommes pas très loin des autres pays pour ce qui est du nombre.

Nous avons sensiblement réduit les conditions d'enregistrement. On a beaucoup parlé de seuil. Le seuil était de 100 par circonscription. Nous avons fait passer de 5 000 à 250 le nombre des membres exigé. Nous facilitons encore les choses ici. Je crois qu'il est bon de le noter.

Pour ce qui est du DGE, cela fait des années qu'il est chargé de prendre ces décisions et d'enregistrer les partis politiques.

Pour ce qui est des coûts d'observation de la loi, ne pensez-vous pas qu'avez l'adoption du projet de loi C-24 l'année dernière, avec les restrictions et les limitations qu'il a imposées sur la façon de lever et de dépenser des fonds, il a en fait facilité l'application des principes qui sous-tendent le projet de loi C-3? Il existe déjà des limitations dans d'autres lois qui nous aideraient pour l'application de ce projet.

Mme Young: C'est une des idées que j'essayais de communiquer. Si l'on pense à toutes les organisations qui pourraient souhaiter s'enregistrer en tant que parti politique pour bénéficier des crédits d'impôt pour les contributions politiques et du droit d'antenne gratuit, je dirais que l'interdiction faite aux syndicats et aux entreprises de financer les partis politiques en exclurait une bonne partie. L'Association des manufacturiers canadiens ou les associations qui sont financées par l'industrie ne pourraient pas fonctionner comme un parti politique, même si elles le souhaitaient.

Les organisations que cela ne gênerait pas sont celles qui sont financées par des contributions individuelles. Le projet de loi C-24 ne serait pas un obstacle pour les nombreux groupes de défense d'intérêt à qui les gens versent des sommes de 100 à 200 $ à la suite de campagnes de financement directes par courrier.

Le sénateur Mercer: Je soutiens que l'autre seuil est celui du financement accordé aux partis politiques qui obtiennent 2 p. 100 du vote national et 5 p. 100 en moyenne dans les circonscriptions dans lesquelles ils ont présenté des candidats. Il est assez difficile d'atteindre ce seuil. Ce n'est pas la loi ou le DGE qui en décident. C'est l'arbitre ultime qui le fait, c'est-à-dire le peuple. Le parti qui attire des électeurs obtient des fonds. Je ne voudrais pas que nous limitions le choix des électeurs. Ne pensez-vous pas que cette restriction est utile?

Mme Young: Absolument. S'il n'y avait pas de seuil pour l'attribution annuelle prévue par le projet de loi C-24, ce projet de loi m'inquiéterait davantage. Le genre d'organisation qui aurait la possibilité de former un parti politique n'aurait probablement pas droit au financement public direct accordé par le projet de loi C-24. Si ces organismes y avaient droit, cela voudrait dire que ce sont des partis politiques publics légitimes puisqu'ils ont obtenu l'appui des électeurs. N'êtes-vous pas d'accord? La seule préoccupation que j'aie sur le plan du financement public est les recettes que perd le gouvernement fédéral par le biais du crédit d'impôt pour contributions politiques, qui est beaucoup plus généreux que le crédit d'impôt offert aux organismes de charité. Il y a aussi la question de l'utilisation à des fins autres que politiques des fonds obtenus grâce à ces crédits d'impôt. Je ne sais pas très bien ce qu'il est possible de faire sur ce point. C'est peut-être le coût qu'il faut payer pour avoir une démocratie.

[Français]

Le sénateur Rivest: Je suis impressionné par l'argument qui veut que dans l'acceptation d'un enregistrement d'un parti politique, que le critère soit le plus objectif possible pour protéger la fonction du président du processus électoral et aussi pour l'administrer, et pour que ce soit clair face à la population. L'introduction dans le présent projet de loi de notion d'appréciation fait appel aux valeurs ou au bon jugement, c'est toujours extrêmement difficile à administrer.

Quant à la multiplicité des partis politiques, personne ne peut être contre cela; elle exprime la réalité des valeurs de l'ensemble des Canadiens. Ma question est dirigée plus particulièrement à monsieur Massicotte.

Dans les études faites en Irlande, en France et en Australie, vous avez parlé de 25 ou 30 partis en Allemagne et en Australie. Est-ce que le lien est aussi direct dans ces pays? La crainte d'avoir une pléthore de partis politiques, ce n'est pas la diversité ni la multiplicité des opinions, même si le nombre peut être exorbitant, mais c'est le lien qu'on y fait avec la contribution des fonds publics. De façon générale, dans les autres pays démocratiques que vous avez étudiés, est-ce que la générosité aux crédits d'impôt est aussi facile à obtenir que celle que l'on a au Canada? Est-ce qu'il y a un lien entre le nombre de groupes qui veulent être un parti politique et le fait qu'ils peuvent avoir des avantages fiscaux?

M. Massicotte: Pour les avantages fiscaux, je ne suis pas en mesure de répondre, les données dont je dispose ne me permettent pas de l'apprécier. Mais lorsqu'il s'agit de la subvention directe de l'État, en revanche, je dispose de données assez précises et ce que je crois être votre intuition est parfaitement justifiée par l'existence des données. La plupart des sociétés sont très larges lorsqu'il s'agit d'enregistrer des partis politiques, mais lorsqu'il s'agit de les financer à même les fonds publics, par contre, l'État devient pas mal plus restrictif.

J'aurais aimé faire écho à ce que disait Mme Young dont les propos étaient justifiés et pleins de bon sens; vraiment cela s'impose qu'il y ait des barèmes plus restrictifs là-dessus. Quelques chiffres pourraient vous intéresser. En Australie, pour financer les partis politiques, on exige 4 p. 100 du vote. Dans le système électoral de l'Australie, ce n'est pas si facile d'obtenir 4 p. 100. En France, il faut que le parti présente 50 candidats ou qu'il ait obtenu un siège au Parlement. L'Irlande exige 2 p. 100 du vote pour que le parti soit financé par l'État. En Grande-Bretagne, le nombre de partis est rendu à 282, hier vers 17 heures, lorsque j'ai vérifié. Mais lorsqu'il s'agit d'être financé, cela prend deux sièges à la Chambre des communes. Le pourcentage de votes ne rentre pas en ligne de compte. Je ne vous noierai pas sous les précisions. Je pense qu'on voit bien le point principal.

En passant, j'aimerais faire le lien avec la question du sénateur Mercer concernant le 2 p. 100, ce critère de seuil de financement public. Il est de 2 p. 100 du vote à l'échelle fédéral canadienne ou bien de 5 p. 100 dans les circonscriptions où le parti a présenté un candidat. Je vous inviterais à réfléchir à un point; si un parti présente un seul candidat et que ce candidat réussit à obtenir 5 p. 100 du vote, avec l'ancien système d'enregistrement, on disait que l'on peut bien être généreux et dire que s'il obtient 5 p. 100 du vote dans les 50 circonscriptions où il est obligé de se présenter, ce ne sera pas facile à obtenir. Je ne sais pas si cette question a été soulignée, mais j'aimerais la porter à votre attention. Hier, cette question m'est venue à l'esprit et je me suis dis que ce serait peut-être un élément de réflexion.

Le sénateur Nolin: Si je comprends bien, le fameux 2 p. 100 national dans le cas du parti qui aurait un seul candidat concerne uniquement les circonscriptions où ce candidat se présente. Ce n'est plus le pays, mais un seul comté qui est à la fois le 5 p. 100 et le 2 p. 100.

M. Massicotte: Il faut tenir compte d'une réalité comme le Bloc Québécois dont on sait très bien qu'il ne présentera pas des candidats dans les 308 circonscriptions du pays. Chacun sait pourquoi et c'est légitime. Mais on regardera le pourcentage de votes en fonction des 75 circonscriptions. Je pense qu'il y a une conséquence au projet de loi sur laquelle on n'a peut-être pas réfléchi et qui mériterait qu'on y pense davantage.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Ma question est double et elle s'adresse à M. Smith. Pour être logique avec ce que vous dites dans votre exposé, au sujet d'autoriser les différents partis à participer au débat public de façon à mieux refléter la diversité des opinions dans la société canadienne et à avoir une démocratie plus dynamique, d'après la Cour suprême du Canada, ne devrait-on pas dire que le seuil prévu par le projet de loi C-24 vient retirer ce qu'accorde l'autre projet de loi?

M. Smith: Sénateur, je ne suis pas avocat, mais c'est bien l'impression que j'ai retirée de la lecture de ce texte. Je dirais que l'on pourrait appliquer au projet de loi C-24 et à ses dispositions le même raisonnement qu'a tenu la Cour suprême dans cette affaire. Je ne vois pas comment on pourrait faire une distinction qui permettrait de justifier la disparité causée par le projet de loi C-24 et d'invalider la disparité qu'entraînerait la règle exigeant la présentation de 50 candidats.

Le sénateur Joyal: Mon autre question se rapporte également à ce principe. La Cour suprême a déclaré que le système électoral canadien devait refléter les valeurs garanties par la Charte. Pensez-vous que le système majoritaire que nous avons au Canada est plus conforme à ce principe que le serait un système plus diversifié?

M. Smith: C'est une question légitime. Je conviens que la logique de cet argument devrait nous amener à remettre en question la raison d'être de notre système majoritaire. Je n'ai pas encore réussi à accepter cette conséquence parce que j'ai mes propres opinions au sujet du système électoral.

Pour en revenir à ma remarque générale, l'arrêt qu'a prononcé la Cour suprême est un arrêt vraiment essentiel pour la démocratie canadienne. Je comprends les difficultés qui ont été mentionnées au sujet du fait que le directeur général des élections pourrait se trouver dans la situation délicate d'avoir à décider si un parti répond aux conditions fixées. Cela dit, il faudra bien que quelqu'un le fasse. C'est pourquoi les conditions doivent être aussi claires que possible. Il faudra, d'après moi, prendre ce genre de décision si l'on veut respecter le jugement de la cour. Cela est absolument fondamental. La démocratie électorale canadienne sortira grandement renforcée de tout ceci.

Le sénateur Smith: En êtes-vous sûr?

M. Smith: Le directeur général des élections ne doit pas faire de jugement de valeur mais, de mon point de vue, oui. Voilà mon raisonnement: cette décision essaie de rendre le système électoral conforme à la Charte. Si l'on n'accepte pas la Charte et le pluralisme et la diversité qu'elle favorise, alors je comprends. Le système électoral et nos lois électorales doivent être conformes à la Charte parce que la Charte est la loi suprême que le Parlement doit respecter.

Le sénateur Joyal: Ma dernière question s'adresse à M. Wiseman. J'ai écouté attentivement la première partie de votre exposé. Ma question va peut-être vous donner la possibilité d'aborder la seconde partie de votre exposé. Les jugements unanimes de la Cour suprême sont longs et détaillés. Vous semblez remettre en question l'interprétation de cette décision, pour ce qui est des principes fondamentaux, mais l'article 3 de la Charte n'est pas visé par la clause nonobstant, comme cela a été dit au cours d'une de nos séances précédentes. Je vais utiliser une autre expression qui n'est peut-être pas juridique et je dirais que nous devons faire avec.

M. Wiseman: Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Joyal: Comment devons-nous aborder le défi auquel nous faisons face, comme Canadiens, et aussi comme membres de partis provinciaux — parce que ce principe s'applique, comme l'a mentionné mon collègue le sénateur Rivest, tout autant aux élections provinciales et je ne pense pas que les provinces s'en soient rendu compte — comment pouvons-nous répondre à ce défi, tout en préservant le régime politique canadien et la confiance que placent en lui nos concitoyens?

M. Wiseman: Nous n'avons pas le choix. Il faut s'attaquer à ce problème. C'est là le défi.

Je ne pense pas que le directeur général des élections devrait vérifier le caractère démocratique des statuts des partis. Un des paradoxes d'un système politique démocratique est qu'il est défini par l'existence de partis politiques qui s'affrontent mais il n'est pas obligatoire que ces partis soient eux-mêmes démocratiques; ils peuvent être des organisations restrictives ou avoir une base très étroite.

Le sénateur Cools: Ils sont très fermés. Les partis sont des clubs privés.

M. Wiseman: C'est l'histoire du Canada. Fondamentalement, nos partis sont des associations et des organisations volontaires. J'estime qu'ils nous ont bien servi.

Ma principale crainte — et j'ai beaucoup appris de ce qu'ont dit MM. Young et Massicotte — est que ce projet sape la confiance de la population. La question de l'enregistrement des partis, de leur multiplication, ou du nom des partis qui doit figurer sur les bulletins — même si je dois signaler qu'en Ontario, les noms des partis ne figurent pas sur les bulletins de vote — ne m'inquiète pas beaucoup. Ce n'est pas un problème et je ne pense pas que cela soit relié à la participation électorale. Je n'accepte pas la plupart des hypothèses et des conclusions de la cour parce que je ne pense pas qu'elles vont renforcer la crédibilité de notre système ou améliorer la participation aux élections. Cette participation a diminué pour diverses raisons.

Une des principales raisons en est, je le mentionne en passant, que le recensement ne s'effectue pas de maison en maison et que notre registre national est tout à fait insuffisant. Je ne pense pas qu'il reflète le fait qu'un ménage sur cinq à Toronto déménage tous les ans. Lorsque je suis allé voter en Ontario, j'ai constaté que mon nom figurait deux fois sur la liste. J'ai voté, mais mon vote ne montre qu'une participation de 50 p. 100 — mais c'est une autre question.

Vous demandez, monsieur le sénateur, ce que nous devons faire maintenant. Le plus important pour moi, pour ce qui est de la crédibilité du système — et c'est sur cet aspect que j'apprends beaucoup — n'est pas l'enregistrement des partis. La difficulté vient du fait qu'ils ont accès à des fonds publics.

Il existe des études universitaires et de nombreux articles de journaux qui montrent que les partis sont principalement financés grâce aux fonds publics. Ils embauchent des travailleurs. Ces travailleurs obtiennent des reçus d'impôt, pourvu qu'ils versent une contribution au parti. Les fonds se promènent entre les associations de circonscription et l'association centrale et cela pourrait devenir un cauchemar.

Je prends le cas du Parti de la loi naturelle — il a été enregistré — et je me pose des questions à son sujet. Voici un parti qui a présenté un nombre de candidats supérieur à celui d'un ou deux des principaux partis; et ensuite, au cours d'une élection ultérieure, il a pratiquement disparu — même si l'association, la méditation transcendantale, poursuit ses activités au Canada. Je crains, comme tous ceux qui sont ici, que certains manipulent le système pour se procurer des fonds publics. Cela saperait encore davantage la confiance de la population.

Le sénateur Smith: J'aimerais poser beaucoup de questions, mais je vais n'en poser qu'une et tous ceux qui voudront y répondre pourront le faire.

La Cour suprême nous a-t-elle placés dans une situation sans issue? Certains parmi nous pensent que les critères utilisés pour qualifier un parti politique devraient vouloir dire quelque chose, alors que le critère actuel représente 5 p. 100 du nombre de membres exigés antérieurement — il est passé de 5 000 à 250 —, il n'y a pas de frais d'adhésion et il suffit de présenter un candidat dans une circonscription. Nous pouvons peut-être examiner la situation britannique où il existe quelque 220 organisations qui sont, d'après vous, officiellement des partis. Pensez-vous qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter ou que les conditions ont été tellement assouplies qu'on pourrait presque qualifier de dysfonctionnel notre régime électoral? Devrions-nous essayer de trouver une solution ou tout simplement espérer que les choses s'arrangeront? Le sénateur Joyal a fait remarquer que la clause nonobstant n'est pas applicable à l'article 3, alors que faire?

M. Wiseman: J'ai lu ce qu'a répondu le directeur général des élections lorsque vous lui avez demandé ce qui se passerait si nous ne faisions rien d'ici le 27 juin. Il a déclaré: «Je ne pourrais pas radier l'enregistrement d'un parti, ni enregistrer un parti». Je lui demanderais ce qu'il en pense. Je ne connais pas aussi bien que lui le projet de loi C-24 ou celui-ci. Je n'en connais que les grandes lignes.

Les partis lésés peuvent toujours s'adresser aux tribunaux pour obtenir réparation. La cour a créé ces difficultés; c'est elle qui a mis la balle dans votre camp.

Le sénateur Smith: Je sais.

M. Wiseman: Vous pourriez peut-être lui relancer la balle.

Le sénateur Smith: J'aimerais savoir si quelqu'un d'autre voudrait répondre à cette question.

Mme Young: D'après moi, le Parlement doit examiner quels sont les véritables risques que nous courons — pas nécessairement à l'occasion de l'examen de ce projet de loi, mais lorsqu'il sera appelé à revoir ces questions d'ici deux ans, à cause de la clause de temporisation. Serait-il dangereux d'avoir 200 partis parce qu'avec ces nouvelles règles, il est très facile d'être membre d'un club? Cela ne m'inquiète pas. Va-t-il y avoir une prolifération de partis sur les bulletins de vote? Eh bien, s'ils ne présentent qu'un ou deux candidats, non, parce qu'ils sont répartis entre 300 circonscriptions. Cela ne devrait pas être trop inquiétant, à moins qu'ils se présentent tous dans Spadina.

Le problème vient du fait qu'il s'agit de fonds publics, sous la forme d'un crédit d'impôt pour contributions politiques. Y a-t-il mauvais usage de fonds publics? C'est la première question à considérer. La deuxième question concerne le temps d'antenne gratuit. Il faut savoir si cela risque de nuire au fonctionnement du régime politique. Il faudra pour ce faire examiner d'autres dispositions législatives que celles du projet de loi.

Le sénateur Nolin: Le sénateur Smith a utilisé l'expression «voie sans issue» en parlant de l'arrêt de la Cour suprême. Êtes-vous du même avis? Pensez-vous vraiment que la Cour suprême nous a demandé de faire tout ceci ou qu'elle nous a simplement demandé d'abaisser les seuils? Bien entendu, cette décision comporte un grand nombre de pages, mais la cour voulait essentiellement que les choses soient simplifiées. Je crains que nous ne soyons en train d'essayer de les rendre très compliquées.

M. Smith: Je ne parlerais pas de «voie sans issue». Il existe une charte des droits qui a été acceptée par le Parlement. La cour détermine si les lois du Canada sont conformes à la Charte. D'après elle, ce n'était pas le cas cette fois-là. Il me semble qu'il faut accepter sa décision et élaborer une loi réaliste qui respecte le cadre fixé.

Une bonne partie de tout ceci est hypothétique. Nous ne savons pas ce qui va arriver. Pour en revenir à la question précédente qui portait sur le problème à régler, c'est peut-être l'avantage d'une clause de temporisation. Y a-t-il un problème à régler? Je n'en vois pas pour le moment. Il est possible d'imaginer qu'il y en aura, mais je n'en vois pas. Je crois qu'il faut être prudent.

Quelqu'un a parlé il y a un instant des partis légitimes. Je crois que l'arrêt de la Cour suprême essayait de contourner cette notion. Les partis légitimes n'existent pas; il y a des partis qui répondent à certaines conditions. Il y a des partis légitimes et sérieux. C'est comme cela que je comprends cette décision. D'après moi, avec cette interprétation, il n'est plus possible de continuer à faire cette distinction.

Le président: Je vous remercie.

Le sénateur Cools: J'aimerais poser plusieurs questions, mais je crois pouvoir les regrouper.

J'ai écouté attentivement M. Wiseman parce que je pense comme lui que ce jugement n'est pas bon pour la démocratie canadienne.

Parallèlement, je sais que, malgré toutes les affirmations pompeuses au sujet de la diversité et de la démocratie qui parsèment ces jugements, il y a le fait que la participation électorale est en chute constante et que le cynisme de la population à l'égard du Parlement et du gouvernement ne fait que s'aggraver. Cela nous amène à nous demander qui va remédier à cette situation. Je fais partie du groupe des gens qui estiment que la Charte canadienne des droits et libertés n'a jamais eu pour objectif — malgré tout ce que M. Trudeau m'a dit à ce sujet — de détruire notre pays, que ce soit en s'attaquant à ses principes ou à son régime politique. La Charte n'a pas été conçue pour saper le pouvoir des représentants, ni le droit de la population d'avoir un Parlement souverain. Je vois dans beaucoup de ces ingérences de la morgue et de l'arrogance parce qu'ils savent parfaitement que les ministres de la Justice ne feront rien. Je fais partie de ceux qui pensent ainsi. Je suis tout à fait en mesure de prouver ce que je dis; il faut écarter ces jugements et il aurait suffi d'en écarter un ou deux pour rétablir l'ordre.

Voilà donc un bref résumé de mes pensées. Cela n'a rien à voir avec la diversité ou la vertu. C'est en fait une usurpation de pouvoir.

Cela dit, la question qui me trouble gravement — et vous avez lu les anciens essais fédéralistes; ces messieurs avaient des idées très claires sur les rapports que doivent entretenir le Parlement et les tribunaux, ainsi qu'avec la Couronne, l'exécutif — ce sujet est maintenant...

Le président: Je suis obligé de vous interrompre. Je ne sais pas si vous étiez ici lorsque nous avons parlé plus tôt du fait qu'il y avait un autre groupe de témoins, mais je vous demande de bien vouloir poser votre question. J'aimerais entendre les réponses des témoins.

Le sénateur Cools: J'y arrivais.

Le président: Vous y arriviez depuis cinq minutes. Je vous invite à conclure, si vous le voulez bien.

Le sénateur Cools: Puis-je récupérer le temps de parole que vous avez utilisé?

Soustrayez ces quelques minutes. J'ai aussi étudié les mathématiques.

Je dirais, d'après ce que je sais du processus, qu'il y a une ligne que les ordonnances judiciaires ne doivent pas franchir, celle qui protège le trésor public. J'estime que cette ligne a été franchie. Le jugement que le gouvernement semble vouloir mettre en oeuvre avec, disons-le franchement, l'assentiment du Parlement, est antérieur au projet de loi C-24, la loi relative au financement des élections. Ce projet de loi a complètement redessiné le financement des partis politiques. La cour aurait au moins dû réviser ce jugement — n'oublions pas que nous sommes la haute cour du Parlement. Nous pouvons interjeter appel de ce jugement devant la haute cour du Parlement. Il demeure que ce jugement n'a pas tenu compte du projet de loi C-24, une loi qui a été adoptée il y a quelques mois seulement, et il y a beaucoup de choses qui me dérangent dans tout cela, mais spécialement celle-là. Il est impossible de prétendre ici que les tribunaux ne se sont pas mêlés de la répartition des fonds publics. La cour a pénétré dans le royaume — je devrais peut-être dire le sanctuaire — que représente le trésor public.

Je sais que j'ai été un peu longue. Avez-vous réfléchi à cet aspect? Vous parlez de participation électorale. Un de mes voisins m'a dit, il y a quelques jours, vous savez...

Le président: Sénateur Cools, je vais devoir vous interrompre à nouveau. Je vous demande de poser votre question. Il y a des témoins qui hochent la tête et je crois qu'ils veulent...

Le sénateur Cools: Vous ne voulez pas que je pose mes questions, c'est bien cela? Cela m'est égal. Vous avez la parole, monsieur le président. Laissons la parole au président.

Le président: Merci, sénateur Cools. Est-ce qu'un témoin veut répondre aux commentaires qu'a formulés le sénateur Cools?

M. Wiseman: Ce qui a aggravé le cynisme et la déception de la population, en particulier avec le régime de financement beaucoup plus libéral mis sur pied par le projet de loi C-24 — et je ne connais pas parfaitement ce projet de loi, comme vous le savez — est le fait qu'il accorde 1,75 $ pour chaque électeur, même si on a surtout parlé du plafonnement des dons à 1 000 $ et de l'augmentation des fonds publics accordés aux partis politiques. Si les gens ont l'impression que tous les partis ont également accès à ces fonds, qu'il s'agit simplement d'une façon de recevoir des fonds publics et que l'on peut les utiliser à d'autres fins, la confiance dans le système sera gravement compromise. Le Parlement peut décider de supprimer les dispositions très généreuses relatives au financement, comme cela se fait dans d'autres pays. C'est une chose que de vouloir que son nom figure sur les bulletins de vote; c'en est une autre que de demander des fonds publics.

Il faut distinguer les deux choses. Jusqu'ici, elles étaient liées dans le régime que nous avions. Le moment est peut- être venu de réfléchir à ces différents aspects, dont a parlé M. Massicotte, à savoir le souci de préserver l'intégrité du financement et la responsabilité qu'exerce le Parlement dans ce domaine, et à un autre niveau, la volonté de prendre en considération, comme l'a dit M. Smith, l'importance de la diversité et que, si un parti veut refléter une opinion minoritaire ou celle d'une région d'une province, il ne devrait pas se voir refuser le droit de mettre son nom sur les bulletins de vote.

Le président: Je vous remercie.

Mme Young: Je voudrais préciser le rapport entre le projet de loi à l'étude et le projet de loi C-24. Étant donné que la formule de financement prévue par le projet de loi C-24 est basée sur les votes, cela veut dire que les dépenses publiques ne pourront augmenter que si la participation électorale augmente. S'il y a 40 partis qui ont droit à obtenir des fonds conformément au projet de loi C-24, le pays ne dépensera pas un sou de plus, à moins que la participation des électeurs augmente. Cette somme sera simplement répartie entre 40 groupes au lieu de cinq. Le projet de loi C-24 n'a donc aucune répercussion sur le trésor public, à moins que la prolifération des partis n'ait pour effet d'augmenter la participation électorale.

Si l'utilisation des fonds publics vous préoccupe, c'est le crédit d'impôt pour contributions politiques qu'il faut examiner. C'est l'aspect important. Il n'a d'ailleurs été modifié que très légèrement par le projet de loi C-24.

Le président: Je remercie les témoins.

J'apprécie le fait que vous ayez pris le temps de venir partager vos connaissances avec nous. Vos idées vont alimenter notre réflexion.

Nous sommes maintenant prêts à passer à notre second groupe de témoins. Je souhaite la bienvenue à M. Gibson, de l'Institut Fraser, à Mme Johnston, du Parti marxiste-léniniste du Canada, à M. Hellyer, du Parti action canadienne et à M. Figueroa, du Parti communiste du Canada, qui a joué un rôle important dans l'histoire de ce projet de loi.

M. Paul Hellyer, ancien chef, Parti action canadienne: Sénateurs, je vais essayer d'être bref. Il y a une remarque qui n'a pas été faite et que j'aimerais faire; les parlementaires ne peuvent s'en prendre qu'à eux avec ce projet de loi. Ce projet de loi a été présenté parce que la loi précédente était trop stricte et les barrières trop hautes. Depuis toujours, les gens qui ont le pouvoir veulent le conserver et préserver leur monopole. C'est ce qu'ils ont fait, ce qui est compréhensible. La cour a déclaré qu'il y avait des limites. Tout le monde a des droits. Il n'y a pas que les puissants et les privilégiés qui ont des droits, il faut les accorder à tout le monde.

Le nombre des candidats exigés a progressivement augmenté, ce qui a aggravé les obstacles. Je ne sais pas si l'un d'entre vous a déjà essayé de présenter 50 candidats à une élection générale, mais c'est extrêmement difficile. Il faut avoir beaucoup d'argent et une bonne organisation — beaucoup plus que ce dont disposent les petits partis parce qu'ils n'ont pas suffisamment de fonds pour répondre à cette condition.

Jusqu'à tout récemment, la moitié seulement du dépôt était remboursée aux candidats qui n'obtenaient pas un certain nombre de votes. C'était une autre barrière qui, heureusement, a été supprimée.

Il y avait aussi la barrière que constituaient les frais de vérification. Le candidat qui n'avait dépensé que peu d'argent, ce qui était le cas de la plupart des candidats indépendants, ne pouvait se faire rembourser qu'une très faible partie des coûts de vérification. Il fallait soit assumer soi-même ces frais, soit demander à son parti de le faire. Les coûts entraînés par le dépôt des rapports et tous ces aspects administratifs sont des obstacles pour les petits partis qui ne peuvent ainsi se développer et profiter vraiment d'une campagne électorale.

Je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'a dit M. Wiseman au sujet des fonds publics. En réalité, il s'agit d'accorder les mêmes droits à tous et non pas d'accorder des droits spéciaux aux gens qui en ont déjà beaucoup. Jusqu'à tout récemment, les seuls partis qui avaient de bonnes finances étaient ceux qui avaient accès aux fonds des groupes défendant des intérêts particuliers — plus précisément, les grandes sociétés et les syndicats. Tous les autres étaient incapables de participer vraiment à la campagne électorale parce que tout simplement, ils n'avaient pas les fonds pour le faire.

Les modifications législatives visent à réduire les contributions des entreprises et des syndicats. Cette décision offre, sans doute pour la première fois de mon vivant, au moins la possibilité théorique d'élargir les choix sur le plan politique. Je crois que si la participation des électeurs est faible, c'est parce que les gens pensent qu'il n'existe pas vraiment un choix. Il y a plusieurs partis, mais l'on pourrait changer la couleur des uniformes et cela ne changerait rien. J'ai entendu beaucoup de gens parler ainsi. Ils disent que peu importe le parti pour lequel on vote, de toute façon, rien ne change.

Cela est tout à fait vrai aux États-Unis, où la différence entre les deux grands partis est très faible. Cette différence est un peu plus grande au Canada, mais pas suffisamment pour amener les gens à voter. Les gens votent par habitude, selon la façon dont les membres de leur famille ont toujours voté. J'aurais aimé que cette question soit résolue sans aller devant les tribunaux parce qu'on aurait pu obtenir un résultat plus satisfaisant pour tous les intéressés; mais ce n'est pas ce qui s'est passé. La question a été soumise à la cour, et elle a rendu sa décision. J'espère que ce projet de loi sera adopté.

J'aimerais que ce projet de loi entre en vigueur immédiatement pour qu'il puisse s'appliquer à la prochaine élection, quelle que soit sa date. Je suis convaincu que le directeur général des élections l'administrera de façon équitable. Le Parlement aura alors le temps au cours des deux prochaines années de réviser certains aspects du projet de loi et d'examiner les résultats.

M. Gordon Gibson, agrégé supérieur de recherches, Études canadiennes, Institut Fraser: Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. L'Institut Fraser n'est pas un parti politique. Je suis ici avec des représentants de trois autres partis politiques. Il est bon pour la démocratie canadienne que deux de ces partis soient le Parti marxiste-léniniste et le Parti communiste — deux idéologies légèrement différentes.

Cette décision est extrêmement importante. Je cite la première ligne du deuxième paragraphe du juge Iacobucci: «Le droit de tout citoyen de jouer un rôle important dans le processus électoral ne saurait être limité par des intérêts collectifs opposés.» C'est une déclaration très importante. C'est une approche très individualiste à la politique.

Compte tenu du fait que cette décision constitue une bombe à retardement, si je peux la qualifier ainsi, ce projet de loi n'apporte, comme l'a reconnu le gouvernement, qu'une solution temporaire. La meilleure clause de ce projet de loi est la clause de temporisation.

J'aimerais attirer l'attention des sénateurs sur le fait que, si le gouvernement déclenche des élections, comme cela est prévu, avant l'été, le projet de loi n'aura aucun effet sur l'enregistrement des partis pour cette élection à cause du délai de 60 jours qu'impose le nouvel article 370. Je ne sais pas ce que la cour en pensera, mais c'est un fait.

Néanmoins, une fois les élections passées, il y aura des élections partielles et nous verrons alors agir la loi des conséquences imprévues. La première élection partielle déclenchera l'application de ce projet de loi et nous verrons apparaître de nouveaux partis. Je prévois qu'il y en aura plusieurs.

Un des représentants du NPD à la Chambre a déclaré que cela permettrait les candidatures farfelues, et ce pourrait être effectivement le cas, mais pourquoi pas? Depuis des années, la Grande-Bretagne a des candidats peu conventionnels et les Anglais ne s'en portent pas plus mal. Il y a des années, il y a eu un candidat qui s'appelait M. Peanut dans les élections de Vancouver-Merrill — cela n'a causé aucun problème. Le Parti rhinocéros pourrait réapparaître et je dirais que ce serait une excellente chose.

En fait, il y aurait de nombreux candidats indépendants qui seraient financés par les fonds publics et je répondrais à cela «Pourquoi pas?» Il y aurait aussi de véritables politiciens qui parleraient de choses très importantes. Le fait de n'exiger qu'un seul candidat changerait beaucoup les choses. Permettez-moi de vous donner un exemple. Supposons que cette loi ait existé il y a 30 ans. À cette époque, les homosexuels préféraient cacher leur orientation. Il était très rare qu'ils s'affichent. Il aurait toutefois été possible de trouver un candidat. Cela aurait en fait indiqué à la société qu'un changement important se préparait. Je pense que ce projet de loi va encourager ce genre d'annonce de changements futurs, si je peux m'exprimer ainsi.

Par exemple, je prédis qu'avec ce projet de loi, il y aura très bientôt un parti séparatiste en Colombie-Britannique. Il y a 15 ou 20 p. 100 des résidents de la Colombie-Britannique qui sont séparatistes.

Il pourrait y avoir des partis uniquement composés d'hommes ou de femmes, des partis contre l'avortement et des partis contre les lois relatives aux armes à feu. Il existe des organisations dans tous ces domaines. Ces organisations pourraient fort bien trouver utile de mieux faire entendre leur voix en créant, en secret, un parti politique sans lien avec elles. Une autre voix se ferait alors entendre qui aurait droit à son nom sur le bulletin de vote, qui aurait sa place au cours des débats entre les candidats, et cetera.

Des groupes comme la National Citizens Coalition, la Fédération des contribuables canadiens, le CTC et l'Assemblée des Premières nations pourraient fort bien créer un groupe politique associé qui se ferait leur porte-parole, comme je l'ai dit, grâce à des fonds publics.

Il est vrai qu'il y a des obstacles, l'obligation de fournir des rapports, notamment. Je pense néanmoins que cette possibilité serait utile pour certaines associations. Vous ne pourrez pas éviter de définir ce qu'est un parti politique.

Je comprends les réticences de M. Kingsley. J'ai lu son témoignage. Je suis moi-même réticent. L'État devrait intervenir le moins possible. Les partis politiques sont des institutions très importantes. Ils structurent notre gouvernance et ont le monopole de présenter aux élections des candidats qui ont vraiment des chances d'être élus.

Nous estimons nécessaire de réglementer les groupes qui exercent un pouvoir collectif, comme les sociétés, les syndicats, les fondations et les organismes de charité, en leur imposant certaines conditions.

C'est peut-être ce que nous sommes en train de faire avec les partis politiques et il est peut-être très possible que les tribunaux nous rendent un service en nous obligeant à le faire.

Avertissement important: chaque fois que les gouvernements tentent de fixer des normes ou de réglementer un domaine, ils ont toujours tendance à le faire en favorisant le parti au pouvoir. C'est la nature humaine. C'est pourquoi il faut veiller à confier au Parlement le soin d'adopter nos lois électorales. Il ne faut pas que ces règles soient fixées par des décrets en conseil ou par des règlements adoptés par le Cabinet. Il est très important que la définition de parti politique respecte ce principe.

Comment définir un parti politique? Voulez-vous que je m'arrête, monsieur le président?

Le président: J'aimerais que vous terminiez aussi rapidement que vous le pouvez, monsieur Gibson.

M. Gibson: Très bien. Comment définir un parti politique? Est-ce un parti qui risque de prendre le pouvoir? C'est un seuil trop élevé. Est-ce un groupe qui veut modifier une politique particulière? Une politique contre les armes à feu représenterait un seuil très bas, mais c'est peut-être tout ce qu'autorisera la Cour suprême du Canada. Idéalement, ce devrait être un groupe qui veut influencer le Parlement sur une grande diversité de questions.

Ma première conclusion est qu'il faudra effectuer rapidement certaines études, étant donné que les tribunaux nous obligent à le faire. En outre, il faudra examiner la question de la démocratie interne des partis et peut-être fixer des normes dans ce domaine. Le public comprend mal certaines limites qui touchent le choix des chefs de nos principaux partis. Il comprend mal les mises en candidature que nous avons eues avant cette élection. Cela explique en partie la désaffection des électeurs. Nous serons peut-être obligés de fixer des normes relatives au fonctionnement interne des partis politiques. Je pourrais en dire davantage si quelqu'un me pose une question sur ce sujet.

M. Miguel Figueroa, chef, Parti communiste du Canada: Sénateurs, permettez-moi de dire, au risque de trahir certains biais personnels et organisationnels, que notre parti et moi sommes tout à fait en faveur de la décision qu'a prononcée en juin dernier la Cour suprême.

Il n'y a pas lieu ici de se lancer dans une longue analyse théorique de cette décision. Il est toutefois nécessaire d'aborder certaines questions qui ont été soulevées au sujet du rôle des tribunaux et de leur intervention dans le domaine traditionnel du Parlement, à savoir l'adoption des lois de l'État.

C'est un débat très intéressant. Il existe une raison pour laquelle les tribunaux, notamment les tribunaux inférieurs, ont jugé nécessaire d'intervenir, sur cette question en particulier. Je mentionne également qu'il n'y a pas que le juge Malloy de la Cour de première instance, mais également la Cour d'appel de l'Ontario — même si c'était une décision partagée qui était favorable sur certains points au procureur général — qui a abaissé le seuil exigé pour l'inscription d'un nom sur les bulletins de vote, comme vous vous en souvenez, et que cela constitue également une ingérence dans un domaine réservé au Parlement. Comment expliquer cela? Pourquoi est-ce que la clause nonobstant ne s'applique pas à l'article 3? Ce n'est pas par hasard. C'est parce que l'article 3, et la législation électorale en particulier, comme l'a mentionné M. Gibson, met en jeu les intérêts particuliers des partis qui contrôlent le Parlement. C'est précisément pour cette raison qu'il est absolument essentiel que les tribunaux interviennent dans ce domaine et acceptent d'entendre les contestations fondées sur la Charte. C'est ce qu'ont décidé les tribunaux, jusqu'à la Cour suprême du Canada. Ce n'est pas un hasard si cette décision était unanime.

Je reviendrai sur ce point dans un instant.

J'aimerais expliquer en quelques mots comment nous en sommes arrivés là. Notre parti a été radié en 1993 après la présentation du projet de loi C-93, qui faisait passer de 200 à 1 000 $ le montant des dépôts non remboursables, qui introduisait la règle des 50 candidats ainsi qu'une nouvelle disposition autorisant la saisie des biens d'un parti. Nous avons été le premier parti à être radié. En 1993, nous n'avions pas présenté les 50 candidats que nous présentions depuis des années. Cela vient en partie du fait qu'il fallait 50 000 $ pour commencer les choses, avant d'imprimer notre première affiche ou de faire quoi que ce soit. Il y avait aussi des raisons internes. Ce n'est pas un secret. Le mouvement communiste était en crise à l'époque, le mur de Berlin venait de s'effondrer et il y avait tout cela. Il y avait toutes sortes de problèmes. Malgré tout, il demeure que ce projet de loi aggravait considérablement les obstacles que devaient franchir les petits partis ou ce que l'on appelle les partis marginaux.

Cette radiation nous a beaucoup nui. Il faut replacer tout cela dans le contexte de l'époque. C'était au début des années 90. Nous étions le Parti communiste et les titres des journaux canadiens disaient que ce parti avait disparu. Le Parti communiste a été interdit. À l'époque, les partis communistes d'Europe de l'Est, de Lettonie, de Lituanie et d'autres pays étaient interdits.

La radiation de partis et toutes ces mesures législatives constituaient une violation très grave de l'esprit, non seulement du processus politique en général, mais de la Charte des droits.

J'aimerais préciser une autre chose qui a été soulevée dans les témoignages et la discussion qui a eu lieu devant ce comité et ailleurs, à savoir, la rumeur que le Parti communiste avait accepté que le seuil puisse être supérieur à un ou deux candidats. Cela remonte à l'année 2000, au moment où la Chambre des communes et le Sénat examinaient le projet de loi C-2, le premier projet de loi sur cette question.

Lorsque le jugement Molloy a été prononcé, nous avons invité le gouvernement libéral au pouvoir à faire ce qu'il fallait, à accepter la décision et, dans l'intérêt de la démocratie, à introduire tous ces changements.

Le gouvernement a en fait accepté de rembourser intégralement les dépôts. Il a accepté en partie de supprimer la disposition autorisant la saisie des biens d'un parti, il a par contre refusé d'abaisser le seuil de 50 candidats. Ce refus a fait l'objet d'un appel. À ce moment-là, nous avons déclaré être favorables au jugement Molloy qui prévoyait un seuil de deux candidats et non pas un.

Lorsque le projet de loi C-2 a été soumis au comité — aux deux comités, en fait —, un membre du Parti conservateur de Vancouver-Nord nous a demandé, devant le comité et en privé, «accepteriez-vous un seuil de 12 candidats?» À ce moment-là, j'ai dit personnellement que nous nous en tenions au jugement Molloy mais qu'évidemment exiger 12 candidats au lieu de 50 constituait un pas en avant. Il n'y a pas eu d'offre de compromis. Tout cela est de toute façon du passé. Cela ne concerne pas vraiment la situation actuelle mais je voulais apporter ces précisions parce que cet aspect a été soulevé devant le comité.

Enfin, nous avons déclaré, et vous avez un résumé devant vous, les aspects du projet de loi C-3 qui nous préoccupaient. Nous pensons que toute la question de la définition de «parti» fait problème. On a déjà utilisé une définition pour interdire des partis — en particulier les partis de gauche, les partis révolutionnaires — aux États-Unis, en Europe, et même notre propre parti, qui a une très longue histoire au Canada, comme vous le savez.

Pour ce qui est du projet de loi C-24, nous avons déclaré, lorsque nous avons comparu devant le comité de la Chambre des communes — et cela a été maintenant confirmé — que les six partis non parlementaires, c'est-à-dire, notre parti, le Parti marxiste-léniniste, le Parti action canadienne, le Parti marijuana, le Parti vert et le Parti de l'Héritage Chrétien du Canada, ont tous accepté de contester le projet de loi C-24 et le seuil de 2 p. 100. Cela va tout à fait à l'encontre — et M. Smith a tout à fait raison sur ce point — de la décision de la Cour suprême qui a déclaré que tout avantage accordé à certains partis et pas à d'autres est contraire à la Charte. Cela est très clair. Nous allons contester cette mesure et nous reviendrons ici encore une fois.

Comment expliquer cela? Il y a des groupes privilégiés qui mettent continuellement des obstacles à la participation des partis politiques. Ils veulent s'approprier le processus politique, comme s'il s'agissait d'une activité d'un club privé.

Vous pouvez dire tout ce que vous voulez au sujet des clubs de golf privés qui refusaient les Noirs, les juifs et autres. Nous avons tous des opinions politiques et morales sur cette question. Le fait est que ces organisations sont des clubs privés. Il s'agit par contre ici de processus démocratique et nous sommes prêts à lutter pour le défendre.

Bien entendu, nous sommes favorables au principe d'une révision du projet dans deux ans, tel que cela est proposé ici. Il y a de nombreux aspects à revoir. Il faudra notamment réexaminer toute la question du scrutin majoritaire. Si on utilise cette révision pour trouver d'autres façons de placer des barrières et des obstacles à la participation des partis, nous nous y opposerons. Le peuple canadien, en général, est favorable à ce que l'accès au processus politique soit plus ouvert. C'est une façon de remédier, en partie au moins, au cynisme et à ce qu'on appelle l'apathie des électeurs.

Mme Diane Johnston, secrétaire du Bureau national, Parti marxiste-léniniste du Canada: Sénateurs, notre parti invite le Sénat à ne pas adopter le projet de loi C-3. Contrairement à ce qui a été dit, nous ne pensons pas qu'une catastrophe se produirait si le projet de loi C-3 n'était pas adopté d'ici le 28 juin. En cas de déclenchement d'élections, ce serait alors la règle exigeant un ou deux candidats et non pas 50 qui s'appliquerait aux partis. Les partis qui sont enregistrés à l'heure actuelle conserveraient leur enregistrement. Les partis non enregistrés qui ne présenteraient pas 50 candidats ne pourraient délivrer des reçus d'impôt. Tous les règlements actuels continueraient à s'appliquer.

Lorsque M. Kingsley a comparu devant le comité permanent, il a déclaré que, dans le cas où une élection aurait lieu après le 27 juin, le régime d'enregistrement des partis serait tout simplement gelé. Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire de prendre une décision à la hâte sur ce point.

Il n'est pas facile de modifier la Loi électorale en respectant les droits garantis par la Charte. On a introduit ici une définition de parti, sans qu'elle ait fait l'objet de discussions. La nécessité d'élaborer une définition de «parti politique» qui soit conforme aux droits garantis par la Charte est déjà apparue au cours de vos discussions. Si vous ne le faites, le fait de ne pas avoir respecté la liberté d'association risque de revenir vous hanter.

Comme certains sénateurs l'ont fait remarquer, cette question mérite d'être examinée sérieusement. Modifier la Loi électorale comme l'exige une décision de la Cour suprême est une opération qui concerne tous les Canadiens et il est important de tenir de nombreuses séances de consultation pour donner à la population la possibilité de participer à ce débat. Le Sénat peut apporter sa vaste expérience à cette importante discussion.

Pour terminer, le fait d'apporter des modifications successives à la Loi électorale ne peut que compliquer les choses. Il convient de procéder méthodiquement, en donnant à ce sujet toute la considération qu'il mérite et en favorisant la participation de la population.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à ne pas adopter le projet de loi C-3. Il ne faudrait pas prendre une décision hâtive qui non seulement ne permettrait pas de résoudre tous ces problèmes, mais qui ne ferait qu'aggraver la crise de crédibilité et de légitimité dont souffre actuellement ce processus.

Le sénateur Andreychuk: Je vous remercie d'avoir présenté vos exposés.

J'aimerais poursuivre sur deux points. Monsieur Gibson, vous avez commencé à nous dire que, d'après vous, le projet de loi C-3 — et je présume, le projet de loi C-24, la Loi sur le financement qui a été adoptée il y a quelque temps — aurait un effet sur le fonctionnement des partis traditionnels mais je ne sais pas si vous pensiez que cet effet serait négatif ou positif. Quelles sont ces conséquences et pensez-vous qu'elles seront positives ou négatives?

M. Gibson: Je ne le sais pas. J'ai parlé de la loi des conséquences imprévues. Plus j'avance en âge, plus j'hésite à essayer de prédire la façon dont vont évoluer diverses questions touchant la politique. Dans une certaine mesure, il faudra tout simplement attendre.

Il y a toutefois une chose qui est claire: étant donné que le Canada est devenu — je ne sais pas si c'est le pays le plus généreux au monde — très généreux pour ce qui est du financement du processus politique à même les fonds publics, je crois qu'il faut s'attendre à ce que d'autres entités profitent de la situation, trouvent des façons novatrices de soutirer des fonds au trésor public et que, par conséquent, la population, par l'intermédiaire de ses représentants au Parlement, va devoir s'intéresser davantage à la façon dont ces entités structurent leurs affaires internes.

J'aimerais bien qu'il en soit autrement. J'aime que le gouvernement soit prudent dans ses interventions. Si, dans sa sagesse, le Parlement a indiqué qu'il fallait consacrer des fonds publics importants au processus politique, il faut certainement surveiller l'emploi qui en est fait.

Le sénateur Andreychuk: J'aimerais poursuivre sur ce sujet. Je m'inquiète du fait que la définition de parti politique qui est proposée est plus subjective qu'objective. Je crains que cela n'ait pour effet de politiser la fonction de notre directeur des élections, M. Kingsley, ou de la personne qui occupe ce poste.

Avez-vous réfléchi à cet aspect? Si le projet de loi énonce qu'un parti politique est «une organisation dont l'un des objectifs essentiels consiste à participer aux affaires publiques en soutenant la candidature et en appuyant l'élection d'un ou de plusieurs de ses membres», le directeur des élections n'aura pas uniquement à décider si l'organisation en question soutient un ou plusieurs de ses membres. Il devra décider si l'organisation a pour objectif essentiel de participer aux affaires publiques.

Je ne sais pas très bien ce que veut dire cette expression. Je me demande comment notre directeur des élections la définira.

M. Gibson: M. Kingsley semble avoir exprimé certaines préoccupations à ce sujet dans son témoignage, tant devant le Sénat que devant la Chambre basse.

Il me semble toutefois que la question est assez simple: l'organisation soutient-elle un candidat à des fonctions publiques? La réponse est oui ou non. Est-ce là un des objectifs officiels de l'organisation? Si la réponse est oui, il me semble que le directeur n'aura pas à se poser d'autres questions.

La question devient toutefois plus complexe lorsque l'on passe aux aspects du projet de loi qui touchent la radiation des partis et qui amènent le commissaire aux élections à examiner le fonctionnement interne des partis politiques et à se demander: «Est-ce que cette entité est vraiment ce qu'elle prétend être?» Ce qui rachète ce projet de loi qui, comme je l'ai dit, devra être révisé, est que le commissaire doit convaincre un juge. Cela offre une protection supplémentaire.

Je suis d'accord avec vous sur ce point. Il est très inquiétant d'exiger un jugement subjectif dans ce domaine et c'est pourquoi je recommande vivement que les conditions d'enregistrement soient clairement précisées par la loi de façon à ce que le gouvernement au pouvoir ne puisse les interpréter.

Le sénateur Andreychuk: Je veux également poser une question à Mme Johnston.

On mentionne constamment la date du 27 juin. Avez-vous parlé au gouvernement de la possibilité de demander à la cour d'accorder une prorogation du délai de façon à permettre que cette question fasse l'objet d'un débat public suffisant? Cela serait également très instructif pour les Canadiens; ils comprendront ce que nous sommes en train de faire. Avez-vous communiqué avec le ministre de la Justice ou un autre représentant du gouvernement pour lui dire: «Nous ne sommes pas en faveur de ce projet de loi. La population devrait être consultée. Pourquoi ne pas demander à la cour de proroger le délai parce que ce projet ne sera pas applicable de toute façon à une élection qui serait déclenchée avant la date prévue en juin? Pourquoi ne pas prolonger le délai et étudier la question en profondeur?»

Mme Johnston: Nous étions très heureux de pouvoir comparaître devant vous. Le comité permanent n'a invité que deux témoins. Vous nous proposez de prendre les devants et cela me paraît tout à fait approprié. Nous pourrions effectivement faire ce que vous avez suggéré, mais nous n'avons pas encore eu de discussions à ce sujet avec le gouvernement.

Le sénateur Joyal: J'aimerais tout d'abord féliciter M. Figueroa pour la victoire qu'il a obtenue devant la Cour suprême. C'est une décision très importante. Le fait que la décision ait été rendue à l'unanimité montre, d'après moi, l'importance du principe en jeu, en particulier par rapport à l'article 3 de la Charte.

La lecture de ce jugement m'amène à penser que celui-ci aura de nombreuses répercussions, parce que la cour a établi un principe qui n'était pas jusqu'ici reconnu par nos lois. En fait, d'après moi, c'est un principe qui, comme M. Smith et d'autres témoins l'ont souligné, modifie la façon de définir la nature de la Loi électorale et son application.

Si l'on veut avoir un système cohérent, il faut que celui-ci respecte ces principes tout au cours du processus que nous mettons en place, à savoir, la capacité du directeur général des élections qui est un commissaire indépendant ou un fonctionnaire du Parlement qui agit aussi bien dans l'intérêt de la population que dans celui du Parlement.

Lorsqu'on nous a demandé de voter sur le projet de loi C-24 l'été dernier, deux semaines avant l'arrêt de la Cour suprême, j'ai personnellement exprimé une réserve au sujet de l'article du projet de loi C-24 concernant le nombre minimum de candidats. Lorsque je lis le paragraphe 91 de l'arrêt de la Cour suprême, je me pose la même question, mais la cour semble avoir eu d'autres aspects à l'esprit dont elle souhaitait tenir compte pour conclure que les seuils prévus n'étaient pas légitimes.

J'aimerais citer le paragraphe 91, dans lequel le juge déclare:

[...] je ne me prononce pas sur la constitutionnalité des dispositions refusant ces avantages.

Ces avantages sont le droit d'acheter un temps de diffusion réservé, le droit au remboursement partiel des dépenses d'élections et l'accès à un temps d'antenne gratuit. Le juge a poursuivi:

Pour statuer sur cette question, il pourrait être nécessaire de considérer des facteurs qui n'ont pas été examinés dans le présent pourvoi.

Vous nous avez appris aujourd'hui que vous avez l'intention de saisir les tribunaux, avec un groupe comprenant cinq autres partis. Je ne vous demande pas de plaider votre cause ici; nous ne sommes pas une cour de justice. Nous essayons simplement de comprendre les principes en jeu dans de projet de loi parce que nous serons amenés à l'examiner dans deux ans, s'il est adopté sous sa forme actuelle.

D'après votre expérience, quels sont les autres facteurs que vous aimeriez nous signaler et qui pourraient nous amener à penser que certains articles de la Loi électorale du Canada soulèvent des problèmes pour ce qui est des seuils?

M. Figueroa: Vous voulez dire par rapport au projet de loi C-24?

Le sénateur Joyal: Oui, par rapport au projet de loi C-24 ou au remboursement des dépenses électorales.

M. Figueroa: Premièrement, lorsque nous avons entamé notre action, qui était de nature défensive — notre parti avait été radié et nos biens saisis en 1993 — nous demandions au tribunal de se prononcer sur l'aspect constitutionnel de la question. C'est ce processus qui a finalement débouché devant la Cour suprême.

À l'époque, nous avions indiqué que nous contestions certaines dispositions: le seuil de 50 candidats et le droit d'émettre des reçus d'impôt à nos partisans, mais pas les dispositions qui portaient sur les droits de radiodiffusion ni sur le remboursement des dépenses électorales, et cetera.

Manifestement, le projet de loi C-24 n'était pas à l'horizon à cette époque, ni même en juin, au moment où la Cour suprême a rendu son jugement.

Il existe cependant une différence entre le seuil prévu par le projet de loi C-24, celui de 2 p. 100 du vote national pour qu'un parti politique ait droit au remboursement partiel de ses dépenses à même les fonds publics et les autres seuils concernant le temps de radiodiffusion et le reste.

Je signale en passant que certains partis comme le nôtre s'opposaient au principe même de l'utilisation de fonds publics pour financer les partis politiques mais si cette solution est retenue, il faut qu'elle soit appliquée de façon équitable. L'argument qu'avant avancé le gouvernement au moment de présenter le projet de loi C-24 était qu'il s'inspirait du modèle québécois; pourtant, il n'y a pas de seuil au Québec. Notre parti, le Parti communiste du Québec, est enregistré dans cette province. Il a obtenu — je ne sais pas très bien — quelques milliers de vote, peut-être, pas beaucoup plus, et il obtient 1 700 $ tous les six mois. Trois fois rien.

Lorsque nous avons comparu devant le comité des communes au sujet du projet de loi C-24, nous avions fait une étude basée sur les chiffres de l'élection de l'an 2000. C'est-à-dire que, si le projet de loi C-24 avait été en vigueur après l'élection de 2000, compte tenu de la répartition des votes, et de la suppression de ce seuil, les cinq grands partis — il n'y en a maintenant que quatre à cause de la fusion entre l'Alliance et les conservateurs — auraient quand même eu droit à 98,8 p. 100 de ces fonds. Les six partis non parlementaires obtiendraient à eux tous 1,1 p. 100 — et même moins —, ce qui n'empêche pas les grands partis de vouloir conserver la totalité de la somme et d'empêcher les autres de recevoir des fonds. Nous pensons qu'en ce sens, ce seuil est très différent des autres. C'est un seuil qui a pour effet de supprimer certaines choses parce qu'il est basé sur le nombre de votes individuels.

C'est la même chose pour les reçus d'impôt. Si vous lisez les justifications avancées pour les reçus d'impôt, vous constaterez que les recommandations mentionnaient que c'était une façon d'aider les partis à lever des fonds et à participer au processus politique. En fait, le principal argument avancé pour justifier la délivrance de reçus d'impôt était d'encourager les Canadiens à participer davantage au processus politique en en finançant une partie.

La question qui s'est posée immédiatement était de savoir pourquoi je n'ai pas le droit d'obtenir un reçu d'impôt si je fais un don au parti X qui n'a présenté que 47 candidats, alors que c'est peut-être le parti dont les politiques se rapprochent le plus de mes opinions?

Si je donne au parti Y, qui répond à cette condition, alors j'obtiens un avantage fiscal. Autrement dit, cette mesure est discriminatoire pour les Canadiens et non pas pour les partis politiques, c'est ce que je soutiendrais. Elle touche de façon discriminatoire les droits de tous les Canadiens et de tous les contribuables. Je paie des impôts. Il y a un système qui encourage les gens à participer au processus politique grâce à un type de remboursement, mais on me dit quel est le parti que je peux appuyer, quels sont ceux qui répondent aux conditions et ceux qui n'y répondent pas. C'est peut-être une condition différente des autres, parce que l'on pourrait soutenir qu'une condition quantitative est justifiée; mais pas dans ce domaine ni, soutiendrions-nous, pour ce qui est du projet de loi C-24 et du seuil de 2 p. 100. Voilà l'argument que nous allons invoquer pour contester cette mesure, et nous sommes convaincus que nous obtiendrons gain de cause encore une fois.

M. Hellyer: L'avantage accordé par les reçus d'impôt est celui qui a été mentionné. Je parle maintenant en me basant sur mon expérience du Parti action canadienne. Il a encouragé la participation de la population. Le parti a été fondé parce que nous pensions que le Canada avait manqué une occasion extraordinaire en 1995 lorsqu'il a refusé d'utiliser la Banque du Canada de façon intelligente — comme nous l'avions fait entre 1939 et 1974 pour nous aider à sortir de la Grande dépression, à financer la guerre et l'infrastructure après la guerre et pour jeter les bases de notre système de sécurité sociale. Nous pensions que le gouvernement avait un choix à faire et qu'il avait choisi la mauvaise solution.

Il y avait donc un point de vue qui n'était pas abordé publiquement. C'est la raison pour laquelle le parti a été lancé, il l'a été dans le but de proposer un point de vue différent qui n'aurait pas été présenté autrement. Cela a incité un certain nombre de personnes qui étaient d'accord avec nous à y participer. C'est ce qu'elles ont fait, mais elles n'auraient peut-être pas participé financièrement au lancement de ce parti si nous n'avions pas réussi à présenter suffisamment de candidats pour obtenir l'enregistrement du parti.

Même dans ce cas — et c'est ce que je voulais vraiment signaler aux sénateurs — il est extrêmement difficile de réunir 50 000 $ par an avec des contributions qui sont de 10, 20, 25, 50, 100 ou 200 ou 500 $ chacune. Cela représente beaucoup de travail. Cela ne touche pratiquement pas le trésor public, mais cela fait la différence entre la survie et la mort d'un parti qui présente un point de vue particulier et, d'après moi, important.

Mme Johnston: Je voulais parler d'une autre mesure discriminatoire qui se trouve dans la Loi électorale, comme par exemple le temps d'antenne. Les partis qui ne sont pas représentés à la Chambre ont un accès très limité au droit d'antenne. Nous avons tous tenté d'harmoniser les règles du jeu, en particulier pour ce qui est de l'information des électeurs. Il est bien beau de parler ici du projet de loi C-3 et de vouloir admettre les opinions et les idées différentes, mais lorsqu'on n'a pas les moyens de les diffuser, cela ne sert à rien. Bien sûr, nous pouvons faire notre travail, mais nous pensons que ce qui est bon pour un parti l'est aussi pour les autres partis et que le projet de loi contient un certain nombre d'injustices.

Il y a quelques années, M. Kingsley a formulé des recommandations au sujet de la radiodiffusion. Il voulait que l'on distingue le temps d'antenne acheté et le temps gratuit. Les petits partis ne sont pas en mesure d'acheter du temps d'antenne et il voulait que les périodes gratuites soient distribuées également entre tous les partis. Si nous voulons vraiment faire quelque chose au sujet de la crise de crédibilité que nous connaissons actuellement, à propos du fait que les électeurs estiment qu'ils n'exercent pas vraiment un droit de vote et que leur droit à être informés n'est pas reconnu, pourquoi ne pas envisager des réformes pour modifier un peu le système?

M. Gibson: Sur la question particulière et importante du projet de loi C-24, je pense que le gouvernement aurait beaucoup de mal à justifier cette loi si elle était contestée devant les tribunaux. Je vous rappelle que le juge Iacobucci a beaucoup insisté sur l'aspect individuel du droit de participer utilement au processus. Seul l'article 1, qui autorise la limitation des droits garantis par la Charte pourvu qu'elle soit raisonnable dans une société libre et démocratique, est susceptible de préserver la validité du projet de loi C-24. Le jugement minoritaire reconnaissait que les mesures que la cour qualifiait de visant à rassembler la volonté politique — autrement dit, à regrouper les individus en partis — étaient utiles mais que la condition exigeant 50 candidats allait bien trop loin. Cet aspect a été examiné dans le jugement et a été rejeté par six juges contre trois. En fait, la cour pourrait aller jusqu'à dire — comme je le soutiendrais si je devais contester le projet de loi C-24, et je ne sais pas très bien de quel côté je le ferais — que les idées elles-mêmes sont utiles et qu'il conviendrait donc d'accorder aux petits partis davantage d'argent qu'aux grands partis.

Le président: Je vous remercie.

Le sénateur Mercer: Je voudrais changer de sujet et revenir à la question des définitions qui a été soulevée par plusieurs intervenants. Tout le monde semble dire que c'est une chose tout à fait nouvelle au Canada. Il y a pourtant au moins cinq provinces qui ont adopté des définitions semblables. La Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve définissent toutes l'expression parti politique dans leurs lois de façon assez semblable au projet de loi, de sorte que ce n'est pas une définition nouvelle. Il est vrai qu'il y a certaines provinces qui ne le font pas. Y aurait-il quelque chose que je n'ai pas saisi? Tout le monde semble parler de cet aspect comme si les rédacteurs du projet de loi avaient inventé quelque chose, alors qu'en réalité, cela existe dans les autres provinces.

Mme Johnston: Je ne pense pas qu'il soit mauvais d'avoir une définition de «parti». Parallèlement, je pense que cette définition mérite qu'elle soit sérieusement examinée, alors pourquoi se hâter? C'est là le principal motif pour lequel nous nous opposons à ce projet de loi.

M. Figueroa: Du point de vue de notre parti au moins, ce sont les détails qui font problème. Est-ce que nous nous opposons au principe selon lequel un des objectifs essentiels d'un parti politique est d'essayer d'influencer les politiques gouvernementales en présentant des candidats? Non. Nous l'acceptons.

Cependant, si on examine tous les articles, et je suis sûr que le comité l'a fait, y compris les références aux critères que les tribunaux vont finalement prendre en considération qui comprennent, par exemple, non seulement les communiqués de presse, les programmes et les statuts des partis politiques, mais également la question de savoir si un parti politique a déclaré appuyer un autre parti politique.

Cela soulève un grave problème parce que notre parti — et d'autres — a, au cours des années, présenté 50, 80 ou 100 candidats, mais pas dans toutes les circonscriptions. Lorsque nos partisans qui résident dans la circonscription X, dans laquelle le Parti communiste ne présente aucun candidat, nous demandent comment voter, nous leur avons indiqué que nous avions une préférence. Nous avons dit: «Ne votez pas pour les partis de droit». Cela ne doit pas vous surprendre beaucoup. «Votez pour un parti plus à gauche, le Nouveau parti démocratique ou le CCF, ou un autre.»

Si tout à coup cela fait partie du critère qui consiste à examiner la sincérité d'un parti, alors cela fait problème. Je ne suis pas en train de personnaliser le débat, mais cela revient un peu à bâillonner les partis.

Si vous ne présentez pas de candidat, ne dites pas qui vous appuyez. Cette disposition est en fait beaucoup plus restrictive que cela. Alors que nous devrions essayer de rendre le processus politique plus dynamique, plus fluide et plus flexible, je crois que, d'une certaine façon, nous allons dans la direction contraire.

Toute cette idée et le système d'enregistrement lui-même tendent à dissuader les partis de se regrouper et de former des coalitions. Si vous regardez ce qui se passe dans les autres pays, vous constaterez que le regroupement de certains partis est un élément de la dynamique politique.

Prenez l'élection fédérale de 1988 qui a porté sur le libre-échange et le fait que la majorité des Canadiens — pas l'Institute Fraser — ont pris position contre l'accord de libre-échange. L'accord a néanmoins été adopté parce que les partis n'ont pas eu la possibilité de faire bloc contre l'accord de libre-échange. Ce projet de loi codifie en partie cette interdiction. Il rend le système plus rigide au lieu de l'assouplir.

Le sénateur Kinsella: J'ai une question au sujet de la définition de «parti». J'aimerais savoir ce que pensent les témoins de cet aspect. Il faut que ce projet de loi soit applicable. Quelqu'un doit l'appliquer. De ce point de vue, le directeur général des élections, le principal responsable du processus, aura désormais à évaluer les objectifs des organisations. Si je ne me trompe pas, le directeur général des élections a lui-même déclaré: «Je préférerais examiner des aspects factuels et quantitatifs comme le nom, l'adresse et des chiffres.» Un administrateur public comme M. Kingsley — c'est-à-dire, si j'ai bien compris ce qu'il a dit — déclare qu'il préférerait de beaucoup ne pas avoir à faire de jugement qualitatif. Du point de vue d'un parti, quelle est votre réaction à la déclaration de M. Kingsley sur ce point?

M. Figueroa: Il se trouve que j'ai assisté à l'audience du comité de la Chambre des communes, j'étais un des rares témoins qui ont été invités devant le comité de la Chambre basse pour examiner le projet de loi C-3. Je crois que les observations de M. Kingsley sont extrêmement importantes. Il a été très franc avec le comité. Il a dit: «Ne me placez pas dans cette position. Je ne voudrais pas me retrouver dans cette position.» Il a même été plus loin. Lui et son personnel ont fourni au comité une liste des modifications qu'il faudrait apporter au projet de loi C-3 pour l'améliorer. Il a déclaré: «Nous reviendrons dans deux ans. Est-ce que le ciel va nous tomber sur la tête d'ici deux ans? Est-ce que notre système va se décomposer en deux ans? Nous pouvons nous donner le temps de discuter de toute cette question. Entre-temps, je vous invite néanmoins à supprimer cette définition. Nous nous débrouillerons et cela ne sera pas la fin du monde.» Voilà ce qu'il a dit et il l'a répété, je l'ai remarqué, dans le témoignage qu'il a livré le 29 avril à votre comité. Il a déclaré: «Lorsqu'un vase est brisé, il est très difficile de recoller les morceaux.» Nous avons dit la même chose. Lorsqu'on commence à définir ce qu'est un parti, il est difficile de dire par la suite: «Nous allons cesser de le faire.» Que sommes-nous en train de faire? Je crois que c'est une grave erreur. Malheureusement, le parti majoritaire dans le comité de la Chambre des communes a vu les choses de la façon suivante: «Nous sommes pris par le temps. Il faut mettre en place les modifications avant le 27 juin et nous allons donc insérer une clause de temporisation de deux ans pour pouvoir ensuite passer à autre chose.» Cela me paraît une vue à très court terme. Je suis convaincu que si votre comité en arrivait à une autre conclusion, ce serait dans l'intérêt de notre pays, je vous le dis franchement.

Mme Johnston: Nous pensons que le pouvoir discrétionnaire qu'accorde au directeur général des élections le projet de loi C-3 n'est pas acceptable.

M. Gibson: Le Parlement a décidé de donner beaucoup d'argent aux partis politiques. Si vous ne définissez pas ce qu'est un parti politique, ce sont les tribunaux qui le feront pour vous. Cela ressemble un peu au projet de loi qui a été soumis au Sénat, le projet de loi concernant la bande de Westbank, dans lequel le gouvernement a expressément refusé de définir le sens de l'expression droit inhérent à l'autonomie gouvernementale. Vous pouvez être absolument certains que les tribunaux seront appelés à définir cette expression dans quelque temps.

Pour ce qui est de la définition de parti politique, je ne pense pas que l'on puisse éviter de s'attaquer à cet épineux problème et de le résoudre.

Le sénateur Joyal: Le problème que pose la définition des objectifs est que les critères sont trop vagues; ils sont généraux et imprécis. Nous nous faisons tous une certaine idée des critères à appliquer parce que nous avons été amenés à participer au processus politique, sur le plan personnel ou professionnel, à un moment donné. L'autre aspect qui est aussi important est l'aspect procédural. Lorsque les critères sont imprécis, il faut une procédure stricte qui permette de présenter des arguments et des faits à la personne qui va prendre une décision qui risque de limiter vos droits. Comme mes collègues l'ont mentionné, le projet de loi ne définit pas les objectifs. Il ne contient aucun critère précis et il est très vague au sujet de la procédure.

Comme vous le savez, les principes de la justice fondamentale font également partie de la Charte. Lorsque le directeur général des élections rend une décision en cette qualité, il agit comme un tribunal administratif, comme un quasi-tribunal. Par conséquent, la procédure, la jurisprudence et la common law, qui s'appliquent dans ce genre de situation, s'appliquent également à lui. Il y a aussi le fait que je ne comprends pas très bien non seulement quels sont les autres aspects dont il faut tenir compte pour définir ce qu'est un parti politique, mais que je ne sais pas non plus quelle est la procédure à suivre pour veiller à ce que la décision soit équitable. Comme vous l'avez dit, monsieur Gibson, nous ne sommes pas encore devant les tribunaux. Tôt ou tard, nous y retournerons parce qu'un «parti» qui s'estime lésé par une décision ou qui n'est pas convaincu qu'il a été correctement entendu va saisir les tribunaux. Nous allons judiciariser davantage le système, un aspect sur lequel vous et le Fraser Institute avez formulé quelques observations. Nous sommes pris dans un système auquel nous ajoutons différents éléments d'incertitude pour le rendre plus transparent.

Il y a une contradiction entre les objectifs que nous recherchons avec ce projet de loi et ce que j'appelle la zone grise. Avez-vous des commentaires?

M. Gibson: Il y a des choses qui viennent ensemble. Au départ, la Loi de l'impôt sur le revenu était très brève. Nous avons essayé de la rendre plus équitable, parce que le monde devenait plus complexe et que les gens avaient trouvé des moyens de la contourner. Chaque fois qu'il s'agit d'argent — et les sommes en jeu ici sont assez importantes —, on constate la même chose. Tant que le Parlement donnera des sommes importantes aux partis politiques, vous aurez ce problème. Je crois que vous avez fort bien formulé le problème. Ce sera à votre comité et à son homologue de la Chambre des communes de s'inquiéter, avec un grand nombre de témoins, de cette question, au cours de l'année qui vient — je ne pense pas que vous devriez prendre beaucoup plus longtemps que ça.

Entre-temps, je pense que la situation est acceptable, premièrement parce que ce projet de loi ne changera rien pour la prochaine élection, à moins que vous ne modifiiez l'article 370 et, deuxièmement, parce que, comme je l'ai soutenu plus tôt, l'enregistrement d'un parti selon ce projet de loi est relativement simple pour le directeur général des élections. Est-ce que vous présentez un candidat et est-ce que vous vous intéressez à la politique? C'est la radiation qui risque de poser davantage de problèmes, parce que l'on aborde alors les zones grises dont vous avez parlé et parce que le directeur général des élections n'a pas le pouvoir de prendre une décision; il ne peut que faire une recommandation à un juge. Il y a cet élément supplémentaire et une possibilité d'appel.

C'est une solution à court terme et ce sera à vous, les politiciens, de la faire fonctionner. Vous allez commettre quelques erreurs et vous modifierez ces dispositions tous les ans. Cela me paraît être la conséquence inévitable de la décision d'accorder des fonds publics aux partis politiques.

Le président: Je remercie les témoins de nous avoir consacré leur temps et de nous avoir communiqué leur expertise sur cette question importante.

Je demanderais aux sénateurs de demeurer dans la salle.

Le sénateur Nolin: Je me demande s'il ne conviendrait pas d'inviter Justice Canada à comparaître à nouveau. Premièrement, le dispositif de la décision de la Cour suprême demande au gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent. La cour lui demande d'agir. La date limite est le 27 juin. Il serait bon que nous sachions quelles sont les différentes options. Nous savons que Justice Canada a déjà été obligé de s'adresser au tribunal pour demander un délai supplémentaire pour mettre en oeuvre une décision. Cela s'est produit il y a quelques années à propos d'un projet de loi qui avait été soumis à notre étude. Nous devrions leur demander si c'est encore une possibilité ou s'ils ont déjà préparé une telle demande.

Deuxièmement, nous avons appris quelques faits nouveaux. Nous savons maintenant qu'il existe un recours collectif qui conteste la validité du projet de loi C-24. J'aimerais savoir, tout comme d'autres peut-être, ce qui se passerait si nous adoptions maintenant le projet de loi C-3 et que cela compromettait la validité du projet de loi C-24. J'aimerais que Justice Canada nous dise au moins qu'il n'y a pas de raison de s'inquiéter.

Le sénateur Andreychuk: Je veux simplement ajouter quelque chose. Je n'avais pas prévu que les témoins que nous avons entendus aujourd'hui nous diraient qu'ils utiliseraient le projet de loi C-3 comme argument pour contester le projet de loi C-24 et sa crédibilité.

Le projet de loi C-3 ne va pas toucher la prochaine élection, mais le projet de loi C-24 est déjà entré en vigueur. Si nous risquons de nuire à l'application de ce nouveau système, je pense que la remarque du sénateur Nolin est tout à fait appropriée. Nous ne voulons certainement pas qu'une élection soit déclenchée et qu'un projet de loi qui ne lui est pas applicable nuise à la mise en oeuvre du projet de loi C-24. Nous avons la possibilité de veiller à ce que les deux projets de loi s'inspirent des mêmes principes et qu'ils soient déclarés constitutionnels ou inconstitutionnels ensemble.

Le sénateur Mercer: Il n'est pas exact d'affirmer que l'abandon de ce projet de loi n'aurait aucun effet; cela aurait un effet. Cela entraînera un chaos dans le sens que le directeur général des élections fonctionnera dans un vide juridique. Nous appliquerons des règles qui ont déjà été examinées par les tribunaux. Il est un peu théorique de parler ici de jugements qui n'ont pas été rendus, d'appels qui n'ont pas été interjetés et qui n'ont pas encore été soumis aux tribunaux. Je pense que si nous sommes obligés de parler de situation hypothétique, on peut supposer que, si la cour donne encore une fois raison à M. Figueroa, cela aura pour effet d'augmenter les sommes accordées aux partis et non pas de les supprimer.

Je ne pense pas que cela aura un effet sur la prochaine campagne électorale. Il pourrait y avoir des répercussions après la campagne s'il y avait un appel et que la cour déclarait qu'il fallait fournir des fonds en se basant sur un seuil de zéro candidat ou sur l'obtention d'une voix par le parti concerné. C'est effectivement quelque chose qui peut se produire par la suite.

Nous retardons les choses inutilement.

Le président: Sénateur Nolin, j'ai peut-être une solution à vous proposer si le comité est d'accord. Selon la pratique habituelle, le comité ne procède pas à l'étude article par article le jour où il entend des témoins. Si le comité accepte de convoquer demain des représentants de Justice Canada et si une majorité du comité est satisfaite des explications fournies par ces représentants, alors nous pourrions mettre de côté la pratique habituelle qui consiste à ne pas procéder ce jour-là à l'étude article par article. De cette façon, je n'aurais aucune objection à ce que l'on entende demain des représentants de Justice Canada.

Le sénateur Nolin: Pour répondre au sénateur Mercer, Justice Canada a la possibilité de demander à la cour de reporter la date limite. Personne ne souhaite créer une situation chaotique. C'est ce que nous voulons éviter. Nous voulons que cette question soit examinée.

Le président: Sénateur Nolin, acceptez-vous ma proposition?

Le sénateur Nolin: Je ne serai pas ici demain, mais je vous en prie, le sénateur Joyal peut le faire.

Le sénateur Kinsella: Il s'agit ici d'une question de fond et d'une question de forme. Il serait bon, je crois, de demander aux sénateurs présents s'ils estiment qu'il est dans l'intérêt public de demander à la cour de reporter la date limite, parce que cela réglerait plusieurs difficultés, notamment la question des attributions du directeur général des élections et la nécessité de procéder à un examen approfondi de ce projet de loi. Je suis en faveur de votre proposition et d'écouter ces représentants, mais ils doivent être en mesure de nous fournir des explications sur cette question, en particulier.

Pour ce qui est de la procédure, le comité se réunit demain et la prochaine séance normale aura lieu mardi.

Le président: Mercredi.

Le sénateur Kinsella: Le Sénat siège la semaine prochaine.

Le sénateur Nolin: Nous avons le temps.

Le sénateur Kinsella: Nous avons effectivement du temps. Je peux vous dire, au nom de l'opposition, que nous n'avons aucunement le désir de retarder pour le plaisir l'adoption de ce projet de loi, ce n'est pas du tout notre stratégie, mais nous sommes vraiment motivés à l'améliorer le plus possible.

Une autre solution, monsieur le président, serait d'obtenir la permission de siéger en dehors des heures normales. Le Sénat doit reprendre ses travaux lundi soir à 20 heures et nous aurons une semaine entière de travail la semaine prochaine. Cela donnera au comité le temps d'achever ses travaux sans être trop pris par le temps, et cela donnera à la Chambre le temps de tenir un débat en troisième lecture.

Le sénateur Joyal: Pour être équitable avec le ministère de la Justice, nous pouvons également entendre ce qu'ils ont à dire sur divers aspects juridiques. Je crois que, dans son témoignage, le ministre responsable de la Réforme démocratique et le président du Conseil privé, M. Saada, a déclaré qu'il était le parrain du projet de loi. Je pense humblement que, s'il est possible que le gouvernement décide de demander un délai à la cour, il faudrait certainement que le ministre que nous avons entendu en premier au sujet de ce projet de loi participe à cette décision. Il me paraît essentiel d'entendre cette personne pour qu'elle conseille le comité à ce sujet.

Si nous commençons par entendre des témoins du ministère de la Justice qui vont nous parler de certains aspects du projet de loi et de la décision judiciaire qui pourrait être demandée, je crois qu'après cela, il faudrait permettre au ministre responsable de ce projet de loi de faire connaître son opinion. Nous devrions l'entendre à ce moment-là, cela ferait partie du même processus.

Le président: Voilà une suggestion intéressante, sénateur Nolin. Compte tenu de ce que vient de dire le sénateur Joyal, c'est ce que nous allons faire. Nous ne le ferons toutefois que si une majorité des membres du comité est satisfaite des réponses fournies demain, nous passerons à l'étude article par article.

Je voudrais également entendre ce qu'a à dire le sénateur Pearson.

Le sénateur Pearson: Je suis toujours assez pragmatique. J'examine tout cela et je comprends vos points de vue. C'est très intéressant. Il serait bon d'entendre à nouveau ces fonctionnaires parce que cela figurera au compte rendu lorsque nous examinerons à nouveau ce projet de loi. Je ne m'oppose nullement à cela.

Cependant, sur le plan pratique, la réalité est que ce projet de loi mourra au Feuilleton si le Parlement est dissous. Il faudra reprendre au tout début le processus d'adoption. Ce sont là les questions qui nous sont soumises et je crois que c'est de cette façon que nous devons y réfléchir.

Le sénateur Nolin: C'est pourquoi le report de la date limite est important.

Le sénateur Mercer: Je crois que le ministère de la Justice n'a jamais comparu ici; c'était le BCP.

Le président: Je suis assez sûr de ce que j'ai déclaré.

Le sénateur Mercer: Il faut être clair.

Le président: Je crois qu'il serait bon d'entendre les fonctionnaires de ce ministère.

Le sénateur Mercer: Si nous entendons des représentants de la Justice, nous aurons un nouveau groupe.

Le président: Nous allons essayer d'entendre également le ministre Saada.

J'ai un dernier sujet, chers collègues. Ces observations ont été distribuées à vos bureaux. Le sénateur Joyal a fait d'excellentes suggestions au sujet de certains changements. Nous allons effectuer ces changements ce soir et nous en parlerons demain à huis clos.

La séance est levée.


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