Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 2 - Témoignages du 29 mars 2004
OTTAWA, le lundi 29 mars 2004
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 h 32 pour étudier l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi, ainsi que les rapports de la commissaire aux langues officielles, du président du Conseil du trésor et du ministre du Patrimoine canadien.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: J'aimerais souhaiter la bienvenue aux membres de notre comité, à nos témoins et à toutes les personnes qui assistent à l'audience de notre comité. Nos premiers témoins sont membres de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.
Je souhaite donc la bienvenue à M. Georges Arès et à Mme Diane Côté.
M. Georges Arès, président, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada: Je tiens à vous remercier de nous avoir invités à votre comité. J'aimerais aujourd'hui attirer votre attention sur certaines préoccupations concernant le rôle du gouvernement fédéral dans le secteur des langues officielles.
J'aborderai rapidement plusieurs thèmes distincts pour orienter la discussion qui suivra. Vous y trouverez de nombreuses pistes pour les travaux que vous allez effectuer au cours des prochains mois.
Premièrement, le plan d'action des langues officielles. Ce plan d'action, dévoilé voici un an, ouvre la porte à des interventions beaucoup plus durables de la part du gouvernement fédéral dans une approche de développement global des communautés de langues officielles. La mise en œuvre du plan d'action est amorcée et des progrès importants ont été réalisés dans certains domaines, mais de nombreuses questions restent pour l'instant toujours sans réponse.
En ce qui concerne le comité interministériel, au cours des travaux entourant l'articulation du plan d'action, un comité composé des ministres ayant un mandat particulier envers l'appui aux langues officielles a été créé. Ce comité n'a cependant pas été identifié dans les structures mises en place dans le cadre d'imputabilité du plan d'action. Pour assurer une mise en œuvre rapide et efficace du plan d'action, il est essentiel que ce comité poursuive ses travaux de façon permanente pour assurer une concertation continue des ministres responsables. Nous suggérons fortement au gouvernement fédéral de faire de ce comité une structure permanente du Cabinet même s'il n'apparaît pas dans le cadre d'imputabilité du plan d'action sur les langues officielles.
Sur la question des consultations des communautés, l'une des bases du plan d'action pour les langues officielles est la reconnaissance que le gouvernement fédéral doit travailler en partenariat avec les communautés de langues officielles et, dans certains cas, les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le cadre de sa mise en œuvre. La prise en compte des préoccupations de nos communautés doit avoir lieu dès le stade d'élaboration des politiques et programmes du gouvernement. Dans ce contexte, il est important de faire le point sur la mise en place des mécanismes servant à assurer la consultation avec les communautés provinciales et territoriales. Ces consultations concernent à la fois la mise en œuvre globale du plan d'action et les actions des différents ministères impliqués dans les secteurs ciblés, tels la petite enfance, l'éducation et la fonction publique.
Sur la question des langues officielles dans la fonction publique fédérale, nous sommes heureux de constater que le gouvernement fédéral a gardé le cap dans le cadre de la politique de bilinguisation de la fonction publique depuis un an. Cependant, les changements qui ont été annoncés dans l'administration de la fonction publique nécessitent une vigilance accrue pour s'assurer que le gouvernement puisse rencontrer les objectifs qu'il s'est fixé dans le domaine des langues officielles.
Comme vous le savez, la direction des langues officielles a été transférée du Secrétariat du Conseil du Trésor à la nouvelle Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada. Cependant, comment ce transfert affecte-t-il les responsabilités imposées au Conseil du Trésor par la Loi sur les langues officielles? Ce n'est pas clair. Il nous faudra examiner l'impact de ce changement.
Sur la question de l'administration de la justice dans les deux langues officielles, des progrès importants ont été réalisés au cours des dernières années dans le respect des langues officielles dans les politiques du ministère de la Justice. Les processus de consultation de la communauté mis en place par le ministère de la Justice fonctionnent assez bien jusqu'à présent. Nous souhaitons cependant que des mécanismes d'information soient mis en place pour assurer que les communautés soient tenues informées des actions prises à la suite de ces consultations.
D'autre part, certaines questions spécifiques retiennent notre attention. Sur la question de la nomination des juges, nos communautés ont maintes fois été forcées de recourir aux tribunaux pour faire respecter leurs droits. Le processus de nomination des juges, qui fait actuellement l'objet d'une révision par le gouvernement fédéral, nous intéresse au plus haut point. Il est important que des mesures soient prises pour assurer que la question des langues officielles — plus particulièrement la capacité linguistique des juges — fasse partie de la réflexion qui entoure actuellement la révision des mécanismes utilisés pour la nomination des juges.
Quant à la Gendarmerie royale du Canada, malgré des interventions répétées de nombreux groupes francophones, certaines régions au pays ont toujours des difficultés à obtenir des services en français adéquats de leur part, même au Nouveau-Brunswick où la population de langue française forme le tiers des citoyens. Ce problème soulève de graves préoccupations au plan de l'accès équitable à la justice. La compétence dans ce dossier appartient au Conseil du Trésor, mais puisqu'il s'agit ici d'une question d'accès à la justice, le ministère de la Justice devrait intervenir pour améliorer la situation.
Sur la question de l'aide juridique, un rapport rendu public récemment fait état de sérieuses carences en matière de langues officielles au sein du système d'aide juridique au Canada et ce dans plusieurs provinces. Le ministre de la Justice doit résoudre ce problème. Une possibilité serait d'imposer des obligations linguistiques aux provinces lors de transferts de fonds fédéraux dans le but de favoriser le plein respect de l'article 530 du Code criminel sur l'accès aux tribunaux dans la langue officielle de son choix.
Quant à la question des positions du procureur général du Canada, nous avons fréquemment des difficultés avec ses prises de position qui se veulent timides, si on veut être gentil, à l'égard des droits linguistiques des minorités francophones.
L'exemple de la cause Casimir dont la Cour suprême est présentement saisie est récent. L'interprétation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles en particulier cause des affrontements réguliers entre les ministères et les communautés. Nous aimerions que les avocats du procureur général du Canada consultent les communautés avant de prendre position dans des dossiers qui peuvent avoir un impact décisif sur le développement des communautés. Si des mécanismes permettent une prise en compte des besoins et des préoccupations des communautés francophones et acadienne, il serait possible de rapprocher nos positions respectives. Dans le cas de la cause Casimir, nos positions n'ont pas été harmonisées. Le procureur général n'a pas véritablement pris en compte la situation de nos communautés.
Sur la question de l'appui aux communautés de langues officielles particulièrement sur le renouvellement des ententes Canada-communautés, lors du dépôt il y a un an du plan d'action pour les langues officielles, le ministre Stéphane Dion a affirmé que le plan d'action était un document perfectible appelé à évoluer. Les investissements annoncés dans le plan visaient à ouvrir de nouvelles avenues et à appuyer de nouvelles initiatives. Cependant, ils ne répondent pas aux besoins de certains secteurs clés du développement de nos communautés, par exemple, le développement communautaire, les arts et la culture.
Les ententes Canada-communautés qui viennent à échéance à la fin du mois de mars, dans deux jours, appuient ces deux secteurs essentiels à notre développement et à notre épanouissement. Pour consolider nos infrastructures et appuyer le développement des compétences, contrer la fragilité de nos réseaux et permettre aux communautés de poursuivre leur développement, il est essentiel qu'il y ait une augmentation importante de l'investissement du ministère du Patrimoine canadien dans le fonds dédié aux ententes Canada-communautés. Ces ressources additionnelles nous permettront de faire face à certains enjeux clé qui affectent actuellement nos communautés, notamment, l'urbanisation et l'arrimage communauté-éducation. Les discussions que nous avons eues avec Patrimoine canadien à ce sujet ne nous donnent pas l'impression que des mesures seront prises par ce ministère pour augmenter de façon significative les investissements du ministère dans le développement de nos communautés.
En ce qui concerne le pouvoir décisionnel dans le cadre des ententes Canada-communautés, le mécanisme des ententes Canada-communautés a permis aux communautés de mieux prendre en charge leur développement. Pourtant le rapport d'évaluation du programme, récemment rendu public, suggère que le ministère reprenne à sa charge le pouvoir décisionnel des allocations financières dans les communautés. Un tel geste serait un recul inacceptable pour nos communautés. Nous reconnaissons les contraintes qui encadrent l'imputabilité ministérielle. Nous sommes cependant convaincus que la formule de partenariat communautés-ministère du Patrimoine canadien prévue dans les ententes en ce qui concerne les allocations de financement répond aux exigences d'une saine gestion publique.
Il nous semble tout à fait possible de prévoir des améliorations concernant les mécanismes de reddition de comptes pour répondre aux préoccupations soulevées par le rapport d'évaluation tout en conservant ce principe de partenariat.
D'autres programmes gouvernementaux fonctionnent d'ailleurs avec un principe semblable; notamment l'initiative de partenariat en action communautaire du ministère du Développement social, c'est-à-dire le programme pour les sans-abri et le partenariat en santé en français et le ministère de la Santé.
Dans le contexte de l'ensemble de l'appui gouvernemental au développement de nos communautés, le modèle que nous préconisons est un partenariat égal et respectueux entre les gouvernements fédéral, provinciaux, territoriaux et la communauté. Il permet de mieux atteindre les objectifs de développement des communautés. D'ailleurs, le ministre Pierre Pettigrew a reconnu la valeur de ce type de gestion lors d'une allocution le 23 février dernier et je cite:
Je tiens aussi à dire publiquement à quel point je crois dans le modèle de gouvernance que nous avons mis sur pied avec la société santé en français. Il s'agit d'un aspect très novateur de notre plan d'action parce qu'il fait en sorte, qu'en bout de ligne, ce sont les communautés qui prennent en charge leur développement. J'ai pleinement confiance que les 17 réseaux provinciaux et territoriaux qui ont été mis en place amèneront des résultats probants en terme d'accès au service de santé en français partout au pays. Je peux vous assurer que la société et les réseaux ont tout mon appui et celle de mon ministère dans la réalisation de leur mandat.
À ces questions d'un appui accru au développement de nos communautés et du contrôle du processus d'allocation des fonds s'ajoutent les défis particuliers que partagent nos organisations avec les autres organismes qui sont en tout ou en partie bénévoles.
Des études récentes ont identifié ces difficultés comme étant notamment la rétention du personnel qualifié, des salaires inférieurs aux secteurs public et privé. La difficulté d'accès au perfectionnement professionnel, de même que l'épuisement du personnel et des bénévoles provoqué par le trop faible nombre d'employés. Pour être efficace, la quantité considérable de travail bénévole effectué dans nos organisations doit être appuyé par un nombre suffisant de salariés qualifiés.
Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ces questions et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Gauthier: Le 12 mars, un an après le Plan d'action sur les langues officielles, quel bilan faites-vous de l'année qui vient de se terminer?
M. Arès: Le bilan est positif en général, mais il reste beaucoup de choses à faire.
Il est positif dans le sens qu'on travaille bien avec le ministère de la Justice sur le processus de consultation. Des comités sont en train de se mettre sur pied. Un financement a été négocié entre le ministère de la Justice et les différentes fédérations et associations de juristes d'expression française. Les fonds circulent pour la petite enfance. Le dossier de l'immigration progresse également à satisfaction. Toutefois, je dirais que le processus de consultation en région, dans les provinces et territoires laisse à désirer. Le message ne semble pas avoir été transmis aux fonctionnaires en région, à savoir qu'ils ont des responsabilités sous le plan d'action et qu'ils doivent assurer non seulement des consultations, mais une compréhension des besoins et qu'ils doivent répondre à ces besoins dans les initiatives et programmes de leur ministère.
Il n'est pas suffisant de faire juste une consultation. D'après le plan d'action, ils doivent démontrer qu'ils ont compris les besoins et qu'ils y répondent dans leur programme d'initiative.
Le sénateur Gauthier: Ce qui m'inquiète, c'est que le gouvernement a annoncé une réduction budgétaire, une révision de toutes les dépenses. En 1990, lors d'une révision semblable, les communautés avaient été amputées d'un pourcentage important dans leurs subventions, ce qui avait causé beaucoup de tort et de difficultés aux communautés.
Avez-vous l'assurance que les programmes de langues officielles sont à l'abri actuellement en raison de l'importance pour le Canada de préserver ses minorités?
M. Arès: Nous avons l'assurance du ministre responsable et du ministre des Finances au sujet des fonds pour le plan d'action. M. Goodale aurait dit à Regina en février dernier que le plan d'action demeurerait intact, mais si on parle des autres fonds pour le développement de nos communautés, nous n'avons pas ces assurances. Nous en discutons avec Patrimoine canadien et nous avons de grandes inquiétudes au sujet de la position que prend Patrimoine canadien pour le renouvellement des ententes Canada-communautés.
Le sénateur Gauthier: Est-ce que la somme de 751 millions de dollars sur cinq ans promis dans le plan d'action, représente des fonds additionnels à ceux habituellement donnés aux minorités de langues officielles?
Ce n'est pas le plan d'action qui m'inquiète, mais les programmes existants. Je pense, entre autres, au PLOE, le programme des langues officielles en enseignement qui prendra fin le 31 mars prochain. Avez-vous été impliqué ou consulté pour le renouvellement des ententes avec les provinces? Dix provinces et trois territoires négocient des ententes. À ce que je sache, rien n'a été fait jusqu'à présent. Pouvez-vous me renseigner un peu plus?
M. Arès: Voilà un des problèmes sur la façon de faire de Patrimoine canadien. Ni les conseillers scolaires, ni les parents, ni les dirigeants des organismes visés ne sont consultés lorsqu'on détermine les montants attribués au système scolaire francophone de ce pays. Le tout se fait à huis clos, puis on en fait l'annonce.
Par exemple, nous avons appris que Patrimoine canadien n'avait pas l'intention de renouveler les montants pour la mise en œuvre de la gestion scolaire. Nous avons cru que Patrimoine canadien ajouterait de nouvelles sommes au domaine de l'éducation. Toutefois, nous avons appris que près de 90 millions de dollars ne seraient pas renouvelés. Cette somme ne représentait pas entièrement des fonds nouveaux, malgré ce qu'on nous a laissé entendre.
Le sénateur Gauthier: Vous avez parlé plus tôt du ministère de la Justice et des problèmes éprouvés par les provinces dans l'aide juridique et les langues officielles. Le programme de contestation judiciaire a pris fin le 31 mars 2003 et fut reconduit pour une autre année. Avez-vous été impliqués dans les négociations visant à bonifier et renouveler ce programme?
M. Arès: Nous n'avons pas été consultés avant que la décision ne soit prise de renouveler le programme pour un an. Il est fréquent que les dirigeants du programme de contestation judiciaire nous demandent de les représenter auprès des instances gouvernementales. Toutefois, les dirigeants gouvernementaux ne nous ont pas consultés avant de prendre la décision de reconduire le programme pour an.
Le sénateur Gauthier: Trois causes sont présentement devant les tribunaux, dont celles de Casimir et Gosselin. Dans ces dossier, les requérants contestent la loi 101. D'ailleurs, vous avez témoigné à la Cour suprême à cet effet. Vous avez indiqué plus tôt que la Cour fédérale avait pris une position qui ne soutenait pas les minorités et les communautés francophones. Pourriez-vous élaborer sur ce point?
M. Arès: La position du procureur général du Canada touchait l'interprétation de l'article 23. En ce qui a trait aux droits de gestions, à l'article 23, nous avons plaidé, et le gouvernement du Québec l'a fait également de façon subsidiaire, qu'étant donné la situation du français au Canada et en Amérique du Nord, cette question devrait comporter des éléments différents. À notre avis, la seule application possible se fait en vertu de l'article 1 de la Charte des droits et libertés, permettant que des droits normalement reconnus sous l'article 23 puissent être enfreints dans une situation jugée raisonnable et particulière.
Nous avons tenté de convaincre le procureur général du Canada de plaider de la même façon, mais il a choisi une autre option. Sur les droits de gestion, cette zone grise de l'article 23 en ce qui a trait à l'accès aux écoles d'une minorité lorsqu'il y a ambiguïté, il a plutôt plaidé que l'article 23 pourrait être interprété différemment dans chaque province ou territoire, selon les circonstances.
Le fait que l'article 23 de la Charte des droits et libertés puisse être interprété différemment en Colombie- Britannique, en Ontario ou au Québec nous est apparu un argument quelque peu déraisonnable. Nous avons demandé au procureur général du Canada de plaider en faveur de l'article 1 de la Charte des droits et libertés en reconnaissant une asymétrie pour le traitement du français au Canada et en Amérique du Nord. Le procureur général a choisi de ne pas soutenir cet argument.
Si l'argument du procureur général du Canada devait être accueilli par la Cour suprême du Canada, cela laisserait à la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada l'interprétation des différents gouvernements provinciaux et territoriaux. Déjà le gouvernement de la Saskatchewan a démontré clairement que dans l'application des droits, sous l'article 23, ils ne sont pas prêts à être généreux envers la communauté fransaskoise. En vertu d'un règlement du gouvernement de la Saskatchewan, un francophone d'outre-mer ne jouissant pas des droits garantis sous l'article 23 doit demander permission au conseil scolaire anglophone avant de fréquenter une école française.
Si l'argument du procureur général du Canada devait être accueilli par la Cour suprême, il reviendrait aux gouvernements provinciaux et territoriaux d'être généreux ou d'appliquer strictement l'article 23.
Le sénateur Comeau: J'aimerais revenir au programme de contestation judiciaire. On est présentement en train d'évaluer la pertinence de son renouvellement. Il y a quelques années, le gouvernement précédent avait annulé le programme de contestation judiciaire. Ceci avait suscité un tollé au Canada. On a prétendu que ce programme était absolument essentiel à la survie des communautés francophones du Canada. Cette affaire s'est d'ailleurs retrouvé dans les pages du livre rouge du gouvernement actuel. À cette époque, les fédérations représentant les communautés francophones du Canada avaient manifesté ardemment.
À nouveau, nous sommes en train de remettre en question la pertinence du programme, sans vouloir lui donner suite. Là n'est certes pas votre intention. Toutefois, on constate un certain manque d'intérêt de la part du gouvernement actuel. Ce programme tire-t-il à sa fin?
M. Arès: J'espère que non. Le programme de contestation judiciaire est très important pour la clarification des droits.
Le sénateur Comeau: À l'époque, la réaction fut claire d'un bout à l'autre du pays. C'est pourquoi je suis surpris de voir qu'on remette à nouveau en question la pertinence de ce programme. Cette question ne fait pas les manchettes et personne ne semble soulever, sauf vous, quelque objection.
M. Arès: À notre avis, cet exercice s'inscrit dans le cadre d'un processus normal d'évaluation des programmes. Il ne nous apparaît pas que la pertinence du programme puisse être remise en question.
Le sénateur Comeau: Apparemment, une évaluation de la pertinence de ce programme est en cours. Le terme «pertinence» me semble assez fort.
M. Arès: Nous allons nous informer. Si tel était le cas, les dirigeants du programme de contestation judiciaire nous auraient déjà approchés, car nous sommes membres de ce programme; ils nous auraient informés de leur inquiétude sur le renouvellement du programme. À ce jour, nous n'avons pas été informés de telles préoccupations.
Le sénateur Comeau: N'attendez pas que l'annonce se fasse. Il est fréquent en politique que les questions ne suscitant pas un grand intérêt meurent.
M. Arès: Nous allons nous en informer.
Le sénateur Comeau: Ma deuxième question porte sur le recensement. J'ai cru comprendre que vous faites partie d'un groupe chargé d'examiner les questions portant sur le recensement à tous les cinq ans.
Est-ce que la question des Acadiens lors du recensement a quelques fois fait l'objet de discussions lors de vos réunions?
M. Arès: Je vais demander à Mme Côté de répondre à cette question parce qu'elle est membre du groupe de travail.
Mme Diane Côté, directrice, liason et recherche, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada: Nous ne faisons pas partie d'un groupe de travail, Statistique Canada nous consulte quand il révise les questions de recensement. Cette consultation s'est faite par le passé, toutefois il y a longtemps que nous n'avons pas eu de questions à ce sujet.
Le sénateur Comeau: Peut-être pourriez-vous leur poser la question lors de votre prochaine rencontre. Le fait est que sur le nombre de groupes à qui l'on pose la question, 17 groupes sont nommés, des Chiliens, des Vietnamiens, des Français, des Écossais, et on ne retrouve aucunement le mot «Acadien» parmi ces groupes. Nous, les Acadiens, devons nous identifier comme étant d'origine française. Je ne sais pas si vous connaissez les Acadiens, mais de façon générale, ils ne s'identifient pas comme étant d'origine française, ils s'identifient comme étant Acadiens. Il serait intéressant de connaître l'évolution du nombre d'Acadiens au Canada. La seule façon de le faire est l'identification à un groupe qui se reconnaît comme tel. Je soulève cette question de temps à autres et je crois que ce serait important.
Dans votre présentation, vous avez fait mention d'une des inquiétudes que vous aviez, à savoir l'urbanisation. Pourriez-vous m'expliquer cela?
M. Arès: Nous voyons ce qui se passe dans les régions rurales de nos communautés. Nous avons beaucoup de régions rurales dans nos communautés, que ce soit le nord de l'Ontario, la péninsule acadienne au Nouveau- Brunswick, le nord de l'Alberta. Dans ces régions, plusieurs jeunes s'en vont dans les grands centres. On appelle cela l'exode rural, mais on préfère l'appeler l'urbanisation. C'est un problème qui existe déjà depuis un certain temps, mais sur lequel on ne s'est pas encore penché. Nous commençons justement avec le ministère du Patrimoine canadien à toucher la question de l'urbanisation. Cela crée des problèmes.
Une des questions qui se pose, est comment continuer à livrer des services en région rurale lorsque les nombres diminuent et comment faire pour livrer les services à une population grandissante dans les centres urbains lorsqu'on ne sait même pas où ces gens s'installent dans les grandes villes, comment les rejoindre, comment les intéresser aux organisations qui existent dans les grandes villes. Il n'y a pas grand-chose qui se fait à ce sujet. On a un problème que l'on appelle l'exode rural. Qu'est-ce qu'on fait pour maintenir les services? On a une opportunité dans les grands centres, mais on ne saisit pas les opportunités parce qu'on n'a pas les ressources pour se pencher sur la problématique de l'exode rural et sur l'opportunité que cela pourrait représenter dans les grands centres urbains. Cette question aurait dû être étudiée depuis longtemps, mais on commence à effleurer la question avec un comité de concertation avec Patrimoine Canada. D'ici à ce qu'il y ait une action concrète, je pense que ce sera très long avant que l'on puisse recevoir les ressources nécessaires pour étudier la problématique de l'exode rural et saisir l'opportunité qui nous est présentée dans les centres urbains.
Le sénateur Comeau: Je pense que vous avez identifié un problème que j'ai ressenti toutes les fins de semaine lorsque je vais chez moi en Nouvelle-Écosse. Les jeunes quittent leur communauté et où vont-ils?
M. Arès: Quand les gens entrent dans les grands centres urbains, que ce soit Ottawa, Calgary, Vancouver, Toronto, Halifax, ils s'y perdent. Ils sont là, mais parfois ils savent pas qu'il y a des organisations francophones qui existent dans les arts et la culture, par exemple. Les écoles ne sont même pas parfois au courant qu'il y a des écoles françaises. Il y a tout un travail de promotion à faire pour les sensibiliser et les impliquer. C'est une question sur laquelle il va falloir passer à l'action rapidement.
La présidente: Monsieur Arès, j'ai trois questions à vous poser. Ma première question fait suite à l'intervention du sénateur Comeau au sujet des Acadiens et des données du recensement. Si je comprends bien, lorsqu'on fait un recensement et qu'on reçoit les résultats du recensement, un groupe de travail est mis sur pied pour se pencher sur la question des langues officielles et sur l'application du règlement des langues officielles. C'est donc basé sur les nombres, justifiés par le dernier recensement que nous avons reçu, et à ce moment, ce groupe de travail, dont vous faites partie, étudie ces données pour savoir si on continue à donner les services. La difficulté, c'est que c'est toujours basé sur le nombre. Si je vous apporte cette intervention, c'est parce que ce qui me préoccupe énormément — et je ne suis pas la seule — ce sont les fameuses questions qui sont posées lors du recensement. Par exemple, au Manitoba, si on prend la question du français parlé au foyer versus la question du français utilisé, compris, et parlé, il y a un grand écart entre les pourcentages. Cependant, le recensement, les statistiques pour les Franco-Manitobains se basent uniquement sur la langue parlée au foyer.
Si je prends juste ma famille, je commence avec mes filles, mes frères et mes sœurs, j'étais arrivée à 75 personnes qui ne figuraient pas dans les recensements en ce qui a trait à la langue parlée au foyer, parce qu'un des deux conjoints ne parlait pas le français. On enlève donc des nombres, on les place ailleurs et on dit ensuite que les francophones ont diminué au Manitoba. Si on parle toujours de nombre en fonction de services qui nous viennent du fédéral, on a ensuite la question des Acadiens, et d'autres groupes qui posent des questions. Les questions auxquelles on a à répondre lors du recensement ne sont-elles pas devenues discriminatoires? Ma question est un peu longue mais pourriez-vous y répondre?
M. Arès: Madame Côté siège au sein de ce groupe de travail. Toutefois, je dois dire, madame la présidente, que c'est notre premier groupe de travail suite à un recensement et c'est nous qui l'avons demandé pour étudier de telles questions. Ce que vous venez de dire nous inquiète beaucoup.
Mme Côté: Oui, effectivement c'est la première fois dans l'histoire qu'on a réussi à s'asseoir avec les représentants du Conseil du Trésor pour examiner la question de l'application du règlement. Dans le calcul qui se fait, malheureusement, le règlement a été défini, à la fin des années 1980 et au début d'année 1990, avec des paramètres très spécifiques sur lesquels le Conseil du Trésor se base.
La définition d'un francophone pour le règlement est un calcul compliqué qui part de la connaissance des langues officielles et, ensuite qui va à la langue maternelle. Une personne de langue maternelle française va nécessairement du côté francophone. Même si elle ne parle pas français à la maison, elle est quand même comptée comme francophone.
La troisième question de l'entonnoir est la question de la langue parlée à la maison, c'est là qu'on en perd, oui c'est vrai, un certain nombre, surtout ceux qui ont dit que leur langue maternelle étaient anglais-français.
Dans les travaux que nous avons effectués au cours des deux dernières années, nous avons tenté d'amener la question d'un changement au règlement et d'une révision du règlement, entre autres aussi, d'une redéfinition d'un francophone. Il y aura du travail politique à faire à ce sujet, mais nous avons quand même présenté un certain nombre de recommandations au comité.
La présidente: Ma deuxième question porte sur le plan des langues officielles. Monsieur Arès, lors de votre présentation, j'ai cru comprendre que les secteurs communautaire et culturel étaient moins présents dans ce plan d'action que d'autres secteurs. Nous arrivons à la fin mars et les Ententes Canada-communauté qui devaient être signées avant le début d'avril ne le sont toujours pas. Alors si je comprends bien, nos communautés obtiendront un financement transitoire jusqu'au renouvellement de ces ententes?
M. Arès: C'est ce que nous comprenons des arguments de Patrimoine canadien.
La présidente: Combien y a-t-il d'ententes Canada-communautés à travers le Canada et s'occupent-elles un peu plus des besoins des secteurs communautaire et culturel que le plan d'action des langues officielles?
M. Arès: Il y a une entente Canada-communautés pour chaque communauté provinciale ou territoriale. Il en existe même une au Québec pour les résidants anglophones. Il existait une entente pour les organismes nationaux, mais maintenant il y aura des négociations entre chaque organisme national et Patrimoine canadien. Une seule entente ne couvrira pas l'ensemble des organismes nationaux. Toutefois, nos membres ont indiqué clairement qu'ils veulent continuer avec les ententes Canada-communautés, avec le partenariat qui a été développé depuis 10 ans, où des représentants de Patrimoine canadien s'assoient avec des représentants des communautés pour analyser ensemble les besoins, déterminer les priorités et les fonds alloués aux différentes priorités. C'est le partenariat qui a été développé et que nos communautés veulent maintenir.
Le rapport d'évaluation de Patrimoine canadien remet en question certaines choses qui ont été accomplies dans ce sens dans les derniers 10 ans. Une recommandation dans le rapport d'évaluation mentionne que les représentants de Patrimoine canadien ne devraient pas faire partie des décisions sur les priorités et les questions de financement, parce que cela lierait le ministre lorsque viendrait le temps d'approuver ou non les projets. Nous le voyons plutôt comme une indication que le partenariat, selon le rapport d'évaluation, devrait être changé, dans le sens où les représentants des communautés feraient des recommandations qui pourraient par la suite être refusées par Patrimoine canadien.
Cela ne va pas dans le sens de la prise en charge, qui est à la base du travail qui se fait avec Santé Canada et la Société Santé en français. C'est pour cela que j'ai placé la citation du ministre Pettigrew dans mon texte. Il reconnaît l'importance de la prise en charge du développement des communautés par les communautés. Ce ne semble pas être le cas avec Patrimoine canadien. On veut plutôt enlever le partenariat qui s'est développé pendant 10 ans pour ensuite pouvoir, à Ottawa ou ailleurs, dire non à des projets ou des priorités de financement qui seraient déterminés par les seuls représentants communautaires. Cela donnerait toute la latitude aux dirigeants de Patrimoine canadien, à Ottawa, de dire non.
Nos gens nous ont dit qu'ils ne voulaient absolument pas voir cela. Ils veulent continuer avec le partenariat. Les gens en région, Patrimoine canadien et les représentants de nos communautés travaillent très bien ensemble. Premièrement, il faut analyser les besoins, déterminer les priorités et allouer le financement. Pourquoi briser cela? Quant au rapport d'évaluation, nos communautés refusent d'accepter cette recommandation. Ils refusent d'accepter d'autres recommandations dans ce rapport, parce que justement, cela ne va pas dans le sens de la prise en charge du développement des communautés par les communautés et cela ne maintient pas le partenariat qui avait été développé avec Patrimoine canadien.
La présidente: Si nous rencontrions la ministre du Patrimoine, quelles recommandations nous suggéreriez-vous de lui faire?
M. Arès: De lui dire la même chose que je lui ai dite lorsque je l'ai rencontrée il y a quelques semaines: Vous voulez créer une nouvelle approche, soit, mais faisons-la ensemble en tenant compte des priorités de développement de nos communautés, du financement calculé selon les besoins en développement et non pas sur un montant limité par le programme. Si on ne peut pas augmenter le financement, on restreint le développement des communautés parce qu'il y a des organismes et des communautés qui ne peuvent pas recevoir aucun financement puisqu'il n'y en a pas suffisamment.
Je pourrais vous donner des exemples de l'Alberta d'où je viens. À Lloydminster, un groupe de francophones avaient tenté d'organiser des activités, mais ils n'ont pas reçu aucun financement. Que se passe-t-il dans cette communauté aujourd'hui en français? Pas grand-chose. Est-ce encourager du développement ou le restreindre que d'agir ainsi?
Il faut qu'il y ait une reconnaissance que le développement doit recevoir des fonds. Cela ne se limite pas au montant d'argent qu'on est prêt à y mettre. C'est le message que nous aimerions que vous transmettiez à Mme Scherrer, de s'asseoir avec les communautés avec un esprit ouvert, d'examiner les besoins, d'essayer de comprendre les communautés avant de nous imposer quelque chose.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Nous sommes évidemment tous conscients de l'importance de la participation et du leadership communautaires, mais je n'arrive pas à comprendre, suite à votre présentation et aux questions qui ont été posées jusqu'à présent, en quoi consiste le mécanisme pour permettre un dialogue permanent entre la collectivité et Patrimoine canadien. Quand vous rencontrez-vous pour discuter? En quoi consiste ce mécanisme?
M. Arès: Sénateur, je crois que dans les provinces et les territoires il existe des comités mixtes où les représentants de Patrimoine canadien rencontrent les représentants des collectivités pour discuter tout d'abord des besoins des collectivités et de leur développement, puis des priorités et des fonds qui devraient être attribués pour répondre à ces divers besoins. À ce niveau-là, la discussion est bonne.
Au niveau national, il faut que cet aspect soit beaucoup plus développé. Nous avons parfois l'impression d'être «consultés», mais de ne pas être entendus. Je crois que le plan d'action insiste sur la nécessité d'une consultation, mais il faut aussi être en mesure de déterminer que les besoins ont été compris et que les programmes et initiatives élaborés par la suite y répondent. Il ne suffit pas de dire qu'il faut que les gens soient consultés. Il faut que la consultation soit considérée efficace, c'est-à-dire qu'elle permette de prendre en compte les besoins et d'y donner suite.
Pour l'instant, nous n'avons tout simplement pas l'impression au niveau national que l'on comprend nos besoins et qu'on y donne suite. L'impression que nous avons, c'est que les besoins auxquels on répond sont les besoins du programme tel qu'il est administré par Patrimoine canadien, c'est-à-dire que le financement disponible est limité et qu'il faut donc s'adapter en conséquence.
Si vous mettez sur pied de nouveaux organismes, la part du gâteau que chacun doit partager se trouve réduite. Si nous mettons sur pied différents organismes ou différentes sociétés et que les gens doivent se battre avec leurs voisins pour obtenir une part du gâteau, vous pouvez comprendre la frustration que cela engendre. Les gens se fâchent et deviennent frustrés et vont là où ils n'auront pas à faire face constamment à ce genre de frustration.
Le sénateur Keon: Le processus de consultation mis sur pied par Patrimoine Canada a-t-il lieu plus ou moins selon les besoins du moment? Est-ce qu'ils arrivent, posent leurs questions puis partent, sans aucune obligation de fournir par la suite des réponses? Existe-t-il un processus formel destiné à assurer le dialogue?
M. Arès: Il faudrait développer un processus formel destiné à assurer le dialogue de manière à ce que, comme je l'ai dit, nous ayons l'impression d'être vraiment entendus, qu'il existe un partenariat, que l'on donne suite à nos besoins et que l'on reconnaisse la contribution de nos collectivités au développement communautaire qui se déroule dans l'ensemble du pays.
Ce dialogue ne se produit que dans les provinces et les territoires où existent ces comités mixtes qui se réunissent pour débattre de façon positive des besoins, puis des priorités et du financement.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Je voudrais revenir aux ententes Canada-communautés. L'Ontario n'a pas le même système que les autres provinces. Ce n'est pas l'Association canadienne-française de l'Ontario qui consulte, qui distribue les octrois du fédéral. C'est le comité directeur de l'entente Canada-communautés nommé par Patrimoine canadien. Ce sont les fonctionnaires qui mènent, mais par la bande.
Ce qui fait que l'ACFO a un budget de peut-être 200 000 $ et le comité directeur de Entente Canada-communautés a un budget deux fois et demi plus important que l'ACFO. En décembre, l'Ontario a été au prise avec une crise. L'ACFO ne pouvait plus survivre, elle n'avait plus de fonds. C'est l'entente Canada-communautés qui lui avait serré les ouïes en lui refusant les fonds nécessaires. Vous êtes au courant des problèmes en Ontario. Suite à ces problèmes, j'ai l'impression qu'on veut répéter cela dans chaque province maintenant, qu'on veut enlever aux associations provinciales ou territoriales leur participation dans la distribution, dans l'identification des projets qui devraient être financés. Est- ce que je me trompe?
M. Arès: Le financement des organismes porte-parole est problématique un peu partout au pays. C'est dû en grande partie au fait que l'enveloppe est limitée. L'organisme porte-parole de chaque communauté a travaillé, au fil des ans, pendant des décennies, à mettre sur pied d'autres associations qui traitaient de domaines ou de sujets spécifiques tels les femmes, la jeunesse, les arts, la culture, le développement économique, et cetera. La reconnaissance de l'importance de l'organisme porte-parole a diminué dans leur communauté parce que ces autres organismes ont questionné le rôle de l'organisme porte-parole mais aussi parce qu'il n'y avait pas de reconnaissance gouvernementale de l'importance d'avoir un organisme porte-parole fort, crédible et respecté dans sa communauté.
Le sénateur Gauthier: Donc, vous serez d'accord avec moi que la nouvelle formule d'entente Canada-communautés doit être révisée de façon à bonifier les ententes?
M. Arès: Bonifier, mais aussi de reconnaître le rôle et l'importance d'un organisme porte-parole politique dans chaque communauté. Il est important qu'un organisme parle au nom de l'ensemble de la communauté et pas seulement dans certains secteurs spécifiques. On doit reconnaître que les organismes porte-parole ont un rôle crucial, essentiel à jouer dans le développement de leur communauté.
Le sénateur Gauthier: Si je comprends bien, dans le circuit de Patrimoine canadien, on hésite actuellement à trouver la formule. J'ai lu le rapport d'évaluation et j'ai constaté, comme vous, qu'il y avait des failles, mais aussi que de bonnes choses ont été faites. Je suis aussi un peu inquiet; les associations porte-parole des provinces et territoires devraient être consultées. En Ontario ce n'est pas le cas; l'ACFO n'est pas consultée. On leur donne 200 000 $ et on leur dit de s'arranger avec leurs problèmes et les disputes commencent. Cela fait six ans que cela dure en Ontario et je ne voudrais pas que cela se répète en Acadie et dans l'Ouest. Cela n'a pas été une bonne expérience pour l'Ontario francophone. Que peut-on faire pour donner suite à la promesse de consulter les communautés? Qui va consulter qui? On me dit que dans le plan d'action, il y aura des consultations annuelles avec les communautés. C'est vrai qu'en octobre dernier, M. Dion a rencontré les ministres responsables des Affaires intergouvernementales. Y a-t-il eu des rencontres depuis ce temps avec les communautés? Madame Côté hoche la tête, un signe positif.
Mme Côté: Dans la structure de mise en œuvre du plan d'action, il y a deux consultations prévues chaque année. Une au printemps, avec les fonctionnaires responsables des différents dossiers dans le plan d'action et l'autre, à l'automne, avec les ministres responsables des différents dossiers identifiés dans le plan. Alors l'année dernière, il y en a eu une le 6 octobre entre les ministres et les présidences. Et il y en a eu une qui a eu lieu lundi dernier entre les hauts fonctionnaires des différents ministères et soit les présidences ou les directions générales des différents organismes.
Le sénateur Gauthier: Est-ce que la communication est bonne?
Mme Côté: Généralement, oui.
Le sénateur Gauthier: Ce qu'on craignait tout à l'heure, à savoir qu'on suggère que le ministère reprenne le pouvoir décisionnel en ce qui concerne les allocations aux différents groupes, ne tient plus?
M. Arès: Ce n'est pas la même chose. On parle des consultations qui ont eu lieu la semaine passée entre plusieurs ministères. Nous discutons spécifiquement des ententes avec Patrimoine canadien et c'est autre chose.
[Traduction]
Le sénateur Mercer: J'ai beaucoup travail dans le secteur bénévole, et je crois qu'il existe des problèmes que le gouvernement ne peut pas régler seul mais que collectivement, les membres des collectivités, les groupes bénévoles et communautaires peuvent contribuer à régler. Cependant, l'un des aspects du travail dans ce secteur au Canada que je trouve frustrant, c'est lorsque nous changeons de langue, que nous passons de l'anglais au français, nous ne disposons pas du même matériel de formation traitant de la façon appropriée de réunir des fonds et de gérer des associations, et c'est une source constante de frustration. À une époque, le gouvernement offrait une importante aide financière pour la traduction de ce matériel. Constatez-vous la même chose dans votre travail? Si oui, est-ce un aspect que vous abordez dans le cadre de vos consultations avec Patrimoine Canada, et parlez-vous de la pénurie des documents disponibles en français pour la formation des bénévoles, les personnes qui travaillent dans les secteurs bénévoles et les professionnels qui dirigent les organismes bénévoles?
Mme Côté: C'est une très bonne question. En fait, nous avons élaboré un projet portant sur le leadership et la formation de nos associations communautaires dans l'ensemble du pays, que nous avons proposé à Patrimoine canadien et à Développement des ressources humaines Canada l'année dernière; malheureusement, ce projet a été refusé et nous allons donc recommencer à y travailler. La situation est très difficile, parce qu'il ne s'agit pas uniquement de traduire des documents rédigés en anglais, mais il faut aussi les adapter à la situation. Il ne suffit pas de simplement traduire des documents littéralement parce que parfois les situations varient.
Le sénateur Mercer: Je suis d'accord avec vous. Il n'est pas toujours facile de traduire ce genre de chose et les collectivités sont différentes. Cependant, il existe un certain nombre d'organisations qui travaillent dans d'autres langues, surtout en anglais, qui ont fait du bon travail et disposent de bonnes ressources documentaires, si nous parvenions à les faire traduire.
Je fais partie de l'Association of Fundraising Professionals, dont les membres au Canada sont continuellement frustrés parce qu'ils n'arrivent pas à faire traduire suffisamment de matériel étant donné qu'ils n'ont pas les moyens de le faire eux-mêmes. Il leur serait peut-être utile d'établir un partenariat avec votre organisation et d'obtenir son appui, ou l'inverse. Vous pourriez peut-être envisager, en consultation avec le ministre, des partenariats qui permettraient d'offrir un tel appui.
[Français]
Le sénateur Léger: L'année dernière, nous étions emballés de voir enfin l'arrivée du plan d'action tant attendu. Un an plus tard, on a changé de ministre et je n'aimerais pas déjà perdre cet emballement.
Parlons de consultations. Lorsqu'un médecin consulte un autre médecin, on doit connaître la matière de part et d'autre. Le gouvernement ne me semble pas aussi passionné que les communautés de langues officielles dans ses consultations. Il semble plutôt détaché. L'intérêt n'est pas égal.
Lors de consultations, les deux parties doivent connaître leur spécialité à parts égales, ce qui ne semble pas être le cas dans la situation actuelle.
M. Arès: Je crois que les deux côtés connaissent leur matière. Toutefois, ils ne semblent pas partager le même désir d'assurer le développement communautaire.
On doit souvent faire face à une administration dont les moyens financiers sont limités pour rendre justice au désir et à la passion des gens qui travaillent au développement de leurs communautés, des bénévoles en grande partie et des employés pouvant se le permettre. Ces individus sont passionnés par le développement de leur communauté mais sont limités à cause de l'administration des programmes.
Par conséquent, les échanges ne se font pas à un même niveau. On ne partage pas la même compréhension de l'importance du développement. Ces questions ne sont pas primordiales chez certains administrateurs de programmes. Le développement des communautés n'est pas mis en priorité, mais plutôt l'administration du programme.
Le sénateur Léger: Il y a le fait qu'on ne parle pas la même langue.
M. Arès: En effet, la compréhension n'existe pas toujours.
Le sénateur Léger: Il y a toutefois eu du progrès depuis 30 ans.
La question du recensement est également un autre thème sur lequel on ne s'entend pas. Peut-être y aurait-il lieu de changer le vocabulaire. Nous sommes tout d'abord Canadiens, ensuite de descendance acadienne, autochtone et autres. Ce fait devrait apparaître clairement sur papier.
Bien sûr, je suis Acadienne. Et certains autochtones diront peut-être qu'ils ne sont pas Canadiens ou Québécois avant tout. Mais on pourrait changer la formule de recensement pour faire en sorte que l'on parle le même langage.
M. Arès: Il serait utile que l'on parle le même langage et que l'on se comprenne.
Le sénateur Léger: Vous avez soulevé plusieurs points: le partenariat, la prise en charge par les communautés. On m'a envoyé une lettre au sujet de l'entente Canada-communautés dans laquelle on soulevait certaines inquiétudes sur le fait que l'on ne recevrait plus de subventions, que les fonds seraient réduits, qu'on verrait des changements.
Il y a eu certes des changements. Mais après 40 ans, ces changements devraient être plus importants. On devrait travailler sur la mentalité. À ses débuts, en 1969, on parlait de «biculturalisme». La culture dépasse le mot. Peut-être partagerions-nous le même langage en exprimant nos échanges sous une autre forme, telle la danse, plutôt que la discussion.
Il est question de langues officielles et on ne se parle même pas — ce qui n'est pas le cas autour de cette table.
Les autorités et les fonctionnaires sont supposés œuvrer afin d'assurer la continuité. Est-ce la continuité de ne pas pouvoir se parler?
Il y a aussi la question éternelle des fonds. Il est difficile de s'en passer.
M. Arès: Il faudrait élaborer, en collaboration avec les représentants gouvernementaux, une vision de l'avenir pour nos communautés et fixer des objectifs en matière de développement dans tous les domaines importants pour les communautés. À ma connaissance, un tel exercice ne s'est jamais fait auparavant.
La commission Laurendeau-Dunton, la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme des années 60, n'a pas posé la question. On a largement dépassé ce que la commission disait à l'époque. On a élaboré la gestion scolaire, ce qui n'était pas du tout recommandé par la commission Laurendeau-Dunton. On a œuvré dans certains autres domaines, tels la santé et le développement économique, lesquels ne faisaient pas l'objet des recommandations de la commission.
Il faudrait développer ensemble une vision de l'avenir pour nos communautés et bien saisir l'importance, de part et d'autre, des ressources nécessaires.
Le sénateur Léger: Cette démarche me semble indispensable. On doit également développer la langue des autochtones. C'est pourquoi cette démarche doit dépasser le cadre financier. Les nouveaux immigrants ont également certains droits linguistiques — nous sommes au Canada. Un droit n'empêche pas l'autre, mais les questions sont différentes. Le temps est venu de passer aux actes.
Le sénateur Comeau: J'apprécie le fait que vous souleviez la question d'une vision. Nous fixons souvent des objectifs sur une base annuelle ou autre. Toutefois, vous avez touché à un des points les importants: celui d'une vision.
L'Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada est apparemment responsable désormais de la mise en œuvre des parties IV, V et VI de la Loi sur les langues officielles. Vous a-t-on consultés sur ce changement? Auparavant, cette responsabilité découlait du Conseil du Trésor.
M. Arès: Nous n'avons pas été consultés avant que cette nouvelle disposition ne soit annoncée.
Le sénateur Comeau: Ce qui m'inquiète est le fait qu'il s'agisse d'une agence. Les agences jouissent parfois d'une plus grande autonomie que les départements. Il semble que l'on accorde moins d'importance à ces parties IV,V et VI.
J'aimerais que vous examiniez cela de plus près. Le fait que vous n'ayez pas été consultés sur la question m'inquiète davantage.
M. Arès: Il va également falloir poser cette question au Conseil du Trésor à savoir le mandat exact de cette agence pour l'avenir. La question n'est pas claire pour nous. Nous devrons nous pencher sur cette question et réagir. Il s'agit d'un élément nouveau qui nous inquiète.
Le sénateur Comeau: Pourriez-vous aviser le comité, lorsque vous en aurez fait l'analyse, afin de nous faire part de vos commentaires et inquiétudes sur le fait que vous n'ayez pas été consultés pour ce changement?
M. Arès: D'accord.
Le sénateur Comeau: Cela pourra se faire soit sous forme de réunion ou par correspondance.
La présidente: Je vous remercie. Je vous demanderais de nous tenir informés afin que nous puissions vous rencontrer dès que le besoin se fait sentir. Il ne faut pas trop attendre. De plus en plus, nous devons travailler ensemble. On a l'impression que tout va bien et tout à coup, cela va moins bien. C'est la vie et il faut continuer.
M. Arès: Nous savons que vous êtes très occupés. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous rencontrer.
La présidente: Avant de passer au prochain témoin, j'aimerais donner la parole au sénateur Gauthier. Il a quelque chose à nous présenter très brièvement.
Le sénateur Gauthier: Je vais être bref. Nous avons eu une bonne nouvelle dans la région: un membre actif du comité a été honoré aujourd'hui par les médias francophones de la région de la capitale nationale. Le journal Le Droit a nommé le sénateur Keon personnalité de la semaine.
Le sénateur Keon est un cardiologue renommé, une personne qui a consacré une grande partie de sa vie à la recherche médicale et qui prend sa retraite cette semaine du centre qu'il a créé: l'Institut de cardiologie d'Ottawa. Je suis heureux de vous dire, au nom des membres du comité et de la communauté francophone, que l'Institut de cardiologie d'Ottawa respecte la dualité linguistique, et c'est un plus pour nous puisque nous avons eu de la difficulté avec d'autres hôpitaux de la région. Mais chez vous, à l'Institut, c'est parfait, merci beaucoup et nos félicitations les plus sincères.
La présidente: Félicitations.
Le sénateur Keon: Je vous remercie.
La présidente: Passons maintenant au deuxième groupe de témoins. Nous avons avec nous ce soir M. Andrew Parkin et Mme Gina Bernard, du Centre de recherche et d'information sur le Canada. Bienvenue au Comité permanent des langues officielles.
M. Andrew Parkin, codirecteur, Centre de recherche et d'information sur le Canada: Je voudrais remercier les membres du comité de nous avoir invités à venir partager le résultat de nos recherches avec vous.
Comme c'est notre première visite, je voudrais prendre quelques secondes pour parler du CRIC. Je voudrais mentionner que le CRIC a maintenant un programme du Conseil pour l'unité canadienne. Le Conseil est une organisation indépendante, sans but lucratif, qui existe depuis 40 ans. Le programme de recherche du CRIC est financé en grande partie par le gouvernement du Canada. On apprécie beaucoup l'appui du gouvernement pour nos recherches.
[Traduction]
Je suis codirecteur du CRIC. Ma collègue, Gina Bernard, est coordonnatrice des projets de recherche ici à Ottawa. Nous avons tous deux travaillé au projet dont on nous a demandé de vous parler ce soir.
Nous sommes ici pour vous parler de l'étude que nous avons résumée, analysée et publiée dans notre dernier document intitulé «Le bilinguisme: Appartient-il au passé ou à l'avenir?» Je crois que ce document a été distribué aux membres du comité.
Dans cette étude, nous examinons une série de sondages sur l'attitude du public envers le bilinguisme. Nous résumons également un sondage que nous avons fait nous-mêmes en décembre 2003, une étude qui a été faite en coopération avec le Commissariat aux langues officielles. Nous sommes reconnaissants au Commissariat de l'appui qu'il nous a offert pour cette partie de l'étude.
Nous avions deux objectifs pour cette étude. Le premier consistait à examiner l'évolution de l'opinion publique à l'égard du bilinguisme au Canada au cours des dernières décennies. Le deuxième consistait à analyser les attitudes actuelles face à la politique de bilinguisme officiel et à l'apprentissage du français comme langue seconde.
Nous nous sommes intéressés à ce sujet dans le contexte du plan d'action gouvernemental sur le bilinguisme et de l'objectif qu'il s'est donné d'augmenter très considérablement le nombre de jeunes canadiens capables de parler les deux langues officielles. La question que nous nous sommes posée dans le cadre de cette étude était la suivante: Le plan d'action est-il susceptible d'être bien accueilli par le public; ou comment ce plan est-il susceptible d'être perçu par le public canadien? Dans quelle mesure le public sera-t-il réceptif aux critiques qui ont été exprimées à propos du plan?
Une critique qui m'a préoccupée à l'époque où le plan a été annoncé lui reprochait le fait de ne pas être pertinent parce qu'il mettait l'accent sur le bilinguisme anglais-français à une période où le Canada devenait de plus en plus multiculturel et par conséquent plus multilingue. Voilà donc le contexte dans lequel nous avons entrepris cette étude.
J'aimerais passer en revue certaines de nos principales constatations, sur lesquelles nous pourrons revenir au moment de répondre à vos questions. J'aimerais vous signaler trois constatations. La première constatation centrale, c'est que l'appui envers le bilinguisme au Canada — le bilinguisme en tant que principe général ou politique de langues officielles — n'a pas diminué avec le temps. En fait, il est remarquablement stable. Il fluctue de temps à autre. En particulier, on a constaté une diminution de l'appui du public envers le bilinguisme au début des années 90. On a depuis regagné le terrain perdu. Par conséquent, l'appui du public au bilinguisme au Canada est maintenant aussi élevé qu'il l'a toujours été selon les données dont nous disposons qui permettent d'évaluer ces attitudes en remontant jusqu'au début des années 80, ou, dans certains cas jusqu'à la fin des années 70.
Après 20 à 25 ans, nous nous trouvons dans une période où notre appui envers le bilinguisme est au moins aussi élevé et, dans certains cas, légèrement plus élevé qu'il ne l'a jamais été. Rien n'indique qu'il ait perdu de sa pertinence aux yeux des Canadiens. En fait, les résultats semblent indiquer que c'est plutôt le contraire.
J'aimerais faire deux observations supplémentaires à propos de cette tendance générale. La première, c'est qu'il est important de comprendre que l'appui du public au bilinguisme dépend entièrement du type de question posée. En particulier, plus vous donnez de renseignements aux répondants aux sondages sur ce que vous pouvez entendre par une politique de bilinguisme officielle, plus l'appui est élevé. Une question générale à propos du bilinguisme, sans explication, résultera en un appui plus faible qu'une question qui mentionne la prestation des services gouvernementaux dans les deux langues officielles ou les droits des communautés linguistiques de recevoir des services ou de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de leur choix.
J'aimerais maintenant signaler l'appui très élevé qui existe à l'heure actuelle au Canada de la part du public envers l'accès pour les minorités francophones aux écoles de langue française dans des provinces autres que le Québec.
Comme je l'ai dit, plus l'on définit ce dont on parle, plus les résultats sont positifs.
La deuxième observation que j'aimerais faire, c'est que l'appui varie beaucoup selon l'âge et le sexe des répondants, et la région dans laquelle ils vivent. Les femmes ont tendance à être plus favorables au bilinguisme que les hommes. Les jeunes Canadiens sont relativement plus favorables au bilinguisme que les Canadiens plus âgés. Je parle de l'attitude des anglophones face au bilinguisme. De toute évidence, les Québécois manifestent un appui très solide envers les langues officielles et la politique du bilinguisme. Cependant, à l'extérieur du Québec, les Canadiens de la région atlantique sont toujours les plus favorables au bilinguisme. Les Ontariens y sont aussi favorables, mais à un degré moindre. Dans l'ouest du Canada, l'appui a tendance à être plus faible, bien que dans l'ensemble il soit relativement positif.
Ces facteurs ont tendance à se recouper. Par conséquent, lorsque l'on constate que les Canadiens de l'Ouest semblent moins favorables au bilinguisme de façon générale, il peut être important de préciser qu'il s'agit d'une question de génération où intervient aussi le sexe des répondants. Les jeunes de l'Ouest et en particulier les jeunes femmes de l'Ouest, peuvent manifester un appui assez solide envers le bilinguisme.
Il est important d'éviter de faire des conclusions générales à propos de toute une région lorsqu'elles comportent des nuances importantes.
La première constatation de notre étude, c'est qu'il n'existe aucune indication d'une diminution de l'appui et qu'il existe certaines indications selon lesquelles cet appui augmente.
Le deuxième point que nous soulignons dans le document est l'appui très élevé qui existe aujourd'hui envers l'importance de l'apprentissage d'une langue seconde et l'apprentissage du français comme langue seconde en particulier, pour un anglophone au Canada: 77 p. 100 des anglophones à l'extérieur du Québec considèrent qu'il est important que leurs enfants apprennent une langue seconde, 74 p. 100 considèrent que le français est la langue seconde la plus importante que doivent apprendre leurs enfants et 75 p. 100 des anglophones à l'extérieur du Québec qui ne parlent pas français indiquent qu'ils auraient souhaité l'apprendre.
De plus, on constate un accord très marqué pour d'autres déclarations à propos de la langue et des aptitudes linguistiques. Les Canadiens sont pratiquement unanimes à convenir qu'une personne qui parle plus d'une langue réussira dans l'économie mondiale. Ils seront tout à fait d'accord avec l'idée selon laquelle l'apprentissage d'une langue seconde peut permettre à une personne de s'épanouir et avec l'idée selon laquelle il s'agit d'un sujet important que les enfants doivent étudier à l'école.
Tous ces éléments pour lesquels il n'existe pas une grande divergence d'opinion entre les groupes d'âge, parce que chacun semble y être favorable et que les jeunes sont toujours un peu plus favorables, témoignent une fois de plus que les langues, l'apprentissage d'une langue seconde et l'apprentissage du français continuent d'être pertinents parce que c'est un aspect qui présente un intérêt encore plus grand chez les jeunes Canadiens que dans les autres groupes.
Le troisième point que j'aimerais souligner concerne les liens positifs qui existent entre le bilinguisme et le multiculturalisme, certainement à titre de politiques, mais plutôt en ce qui concerne les visions du pays.
C'est un fait, et les sondages le démontrent, que les immigrants, les personnes nées à l'étranger et qui se sont installées ici sont plus susceptibles que les autres Canadiens de vouloir que leurs enfants apprennent une langue seconde qui n'est pas une langue officielle, pour des raisons compréhensibles. Si leur famille arrive au Canada en parlant une autre langue, elle souhaite continuer à pouvoir parler cette langue au sein de la famille et au sein de la collectivité. Ce désir de garder vivantes des langues autres que l'anglais et le français dans leurs familles et dans leurs collectivités ne devrait aucunement être interprété comme un appui plus faible pour le bilinguisme anglais-français au Canada. En fait, les immigrants sont plus susceptibles d'appuyer le bilinguisme que les personnes nées au Canada. Elles sont plus susceptibles de considérer que le bilinguisme — par bilinguisme, je parle toujours du bilinguisme anglais- français, ou bilinguisme officiel — permet de définir l'identité canadienne ou les rend fiers d'être des Canadiens. Ils sont plus susceptibles de dire qu'ils souhaiteraient parler français.
L'élément clé, c'est qu'ils sont très susceptibles, et plus susceptibles que les autres Canadiens, de dire que l'existence de deux langues officielles au Canada en fait un endroit plus accueillant pour des étrangers ou pour des immigrants provenant d'autres cultures. En ce qui concerne en particulier les immigrants qui proviennent d'autres continents que le continent américain ou européen, ils sont les plus susceptibles de dire que la politique de deux langues officielles est un atout qui rend à leurs yeux le Canada plus accueillant. Cela indique l'existence d'un lien entre une politique ou une vision du multiculturalisme et une politique de bilinguisme, et que c'est un lien auquel sont sensibles les personnes que cela touche le plus directement, à savoir les immigrants.
Dans une perspective légèrement différente, si vous laissez de côté la division entre les immigrants et les non- immigrants et que vous examinez la population en général, il est vrai que le multiculturalisme, pour ce qui est de la diversité croissante du pays, accroît effectivement l'intérêt dans des langues autres que les langues officielles. Si on examine, par exemple, la question de la langue seconde dont l'apprentissage est la plus importante pour votre enfant, dans une province comme la Colombie-Britannique, on constate un intérêt accru pour l'apprentissage d'une langue autre que le français. Il s'agit d'une société principalement anglophone pour ce qui est de la langue publique, mais 38 p. 100 des répondants en Colombie-Britannique considèrent qu'il est important que leurs enfants apprennent une langue autre que le français. En particulier, à Vancouver, le chinois est un choix populaire. Il ne l'emporte aucunement sur le français. Le français demeure le choix de la majorité.
Je considère que nous devons éviter de mettre les langues en concurrence. Ceux qui s'intéressent à apprendre ces autres langues finiront par s'intéresser à l'apprentissage du français également, ou s'y intéressent, parce que la question ne porte que sur le premier choix et non sur toute la gamme des possibilités. Il est plus important de travailler à convaincre ceux qui ne considèrent pas que l'apprentissage d'une autre langue est important à s'intéresser aux langues que de se préoccuper de l'existence de régions du Canada où des langues autres que le français comme langue seconde suscitent l'intérêt.
En conclusion, les sondages que nous avons effectués et l'examen des tendances avec le temps ont donné des résultats très encourageants — et même étonnants à certains égards. Nous avons conclu l'étude en soulignant la difficulté de concilier ce résultat positif avec les chiffres du recensement qui indiquent que seulement 7 p. 100 des anglophones à l'extérieur du Québec parlent français à l'heure actuelle. Comme vous le savez, ce pourcentage est plus élevé chez les jeunes, mais quoi qu'il en soit, il existe un important écart entre le nombre d'anglophones qui disent souhaiter pouvoir parler français et le nombre qui parlent effectivement le français, et le nombre qui inscrivent à l'heure actuelle leurs enfants dans des écoles francophones ou des écoles d'immersion. Il existe un décalage entre l'appui de principe, ou la théorie, et la pratique, et nous aimerions dire quelques mots à ce sujet.
Tout d'abord, même si la bonne volonté ne se traduit pas toujours en gestes concrets, cela ne signifie pas que la bonne volonté n'est pas importante en soi. Le Canada serait sans doute un pays très différent et qui se trouverait dans une situation très différente si en plus de ne pas parler français, les anglophones considéraient que cela n'était pas important, ne voulaient pas que leurs enfants apprennent cette langue et ne voulaient pas l'apprendre eux-mêmes. Le décalage existe, mais cela ne signifie pas pour autant que l'appui de principe n'est pas important.
Deuxièmement, l'étude nous permet de mieux définir les secteurs sur lesquels nous devons concentrer nos efforts. Si les taux de bilinguisme parmi les anglophones demeurent relativement faibles, même s'ils augmentent avec le temps, je crois que nous pouvons commencer par dire avec confiance que ce n'est pas parce que les Canadiens sont opposés au bilinguisme comme idée, principe, ou vision du pays. Certaines des luttes politiques qui étaient peut-être pertinentes à l'époque où la Loi sur les langues officielles a été adoptée, par exemple, ne le sont plus autant aujourd'hui. Autrement dit, on a peut-être remporté cette bataille idéologique. Si les taux de bilinguisme sont faibles, ce n'est pas parce que les Canadiens en général ne considèrent pas que les langues sont importantes ou représentent un aspect important de l'éducation ou de l'économie ou une aptitude importante à posséder.
L'étude permet de constater l'inutilité de nous engager dans certaines voies. Elle ne nous donne pas forcément la solution mais comme je l'ai dit, je crois qu'elle peut nous aider à mieux définir là où nous devons concentrer nos efforts. L'étude ne le dit pas, mais j'en ai conclu qu'elle nous porte à mettre l'accent sur les mesures très concrètes qui doivent être prises pour que la bonne volonté se traduise en gestes — autrement dit, les conditions qui existent dans une collectivité donnée, qui encouragent ou découragent les parents d'inscrire leurs enfants dans des écoles d'immersion ou des écoles de langue française; soit qui encouragent, soit qui découragent les enfants de conserver la langue seconde qu'ils ont apprise après avoir quitté l'école et s'être imprégnés de l'autre culture, et cetera. Cette étude nous amène à mettre l'accent sur les aspects très concrets du problème, plutôt que de convaincre les Canadiens des avantages généraux d'une telle mesure et du rôle important du bilinguisme pour le Canada, l'avenir du Canada, l'histoire du Canada et la personnalité du Canada. Les Canadiens sont déjà convaincus de tous ces avantages.
Voilà la présentation que je voulais vous faire aujourd'hui. Comme je l'ai dit, je me ferai un plaisir de vous fournir des détails ou d'approfondir tout aspect des conclusions que nous vous avons présentées.
[Français]
Encore une fois, merci beaucoup de l'invitation. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions.
Le sénateur Gauthier: Bonjour M. Parkin; d'où venez-vous?
M. Parkin: De Montréal.
Le sénateur Gauthier: C'est pour cela que vous parlez les deux langues officielles. Un des problèmes avec le mot «bilingue», c'est que cela a irrité beaucoup de Canadiens dans les années 1970. Il se disait qu'il faut être bilingue pour être un Canadien à part entière. Ce n'est absolument pas ce qu'on voulait dire. C'est le concept de la dualité linguistique qui aujourd'hui a remplacé le mot «bilingue» et j'en suis très content. Il y a 20 millions de Canadiens unilingues anglais, environ quatre millions d'unilingues français et près de 7 millions de Canadiens bilingues.
Ce n'est pas d'hier que je suis en politique. J'ai toujours constaté que la majorité francophone ou anglophone manifeste une sorte de résistance à se faire imposer le bilinguisme. Les Anglais nous disaient autrefois: «You're ramming French down our throats». On a vécu avec cela pendant des années. Ce n'était pas vrai mais c'est ce qu'ils pensaient. Lorsqu'on a commencé à se questionner sur l'existence du français au Québec, il y a eu une sorte de remue- ménage nationaliste, on a commencé à critiquer les Québécois. Les Québécois ont pris une position défensive et ont décidé de s'affirmer. Nous avons eu deux solitudes qui vivaient ensemble.
Une chose m'a toujours surpris. Êtes-vous un démographe, M. Parkin, un statisticien?
M. Parkin: Non, pas de formation; actuellement on travaille beaucoup avec des sondages mais ma formation est plus généralisée comme politologue.
Le sénateur Gauthier: Une des questions que je me suis toujours posée, c'est comment il se fait qu'aucune université au Canada n'exige la connaissance des deux langues officielles pour obtenir un diplôme. Ici à Ottawa, autrefois, il y avait le test linguistique. Cela a été éliminé parce qu'il y a eu une résistance, un effet négatif; les gens n'étaient pas attirés. Aujourd'hui, on veut inciter les jeunes à devenir de plus en plus bilingues. Il y a des objectifs; le plan d'action de M. Dion vise 50 p. 100 d'ici 10 ans, en tenant compte que, actuellement, 25 p.100 des jeunes sont bilingues.
Si on veut stimuler le bilinguisme des jeunes, ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose de leur dire que s'ils veulent obtenir un diplôme universitaire, dorénavant ils devraient être capables de réussir un test de langue, pour un bilinguisme efficace. Qu'en pensez-vous?
M. Parkin: Si vous me permettez, je vais répondre à la première partie de votre question et à la deuxième ensuite. Pour revenir à la dualité linguistique et au bilinguisme, je suis d'accord avec vous. C'est une bonne façon d'évaluer les données. Quand je dis que la polémique sur l'idée d'un pays bilingue est à peu près terminée, j'exagère un peu. Mais les Canadiens, je suis d'accord avec vous, acceptent la dualité linguistique. Cela veut dire que, effectivement, des francophones l'acceptent; je ne suis pas francophone mais cela ne me dérange pas.
De ce point de vue, c'est la même chose avec le multiculturalisme. Si on l'accepte, cela ne veut pas dire qu'on doit apprendre toutes les cultures. On aimerait que les Canadiens soient diversifiés. Quand on regarde toutes les questions dans les sondages, le plus haut niveau est l'appui pour le droit des minorités francophones. C'est un aspect de ce soutien plus général à la diversité du pays.
Le bilinguisme est différent. Cela veut dire être capable de parler les deux langues, c'est un sujet qu'on a traité car le plan du gouvernement à pour but de le promouvoir. C'était quand même pertinent.
En ce qui concerne le test pour les universités, je suis totalement d'accord avec la question que vous posez. Moi- même, j'ai remarqué que si vous regardez les affiches dans les universités, vous voyez qu'il y a des opportunités pour étudier à Londres, en Italie, mais on ne voit pas les opportunités pour faire un échange entre l'Université de Toronto et l'Université de Montréal. Peut-être que cela existe, je ne suis pas expert en ce domaine, mais j'aimerais bien qu'on commence à poser la question.
Un test linguistique est une bonne idée mais on a déjà de la difficulté à avoir un bon nombre d'étudiant qui peuvent réussir le test dans leur propre langue! Des universités ont introduit un test pour voir si les étudiants sont assez bien formés dans leur propre langue et cela devient un problème pour un certain nombre d'étudiants.
Je ne pourrais pas répondre à la question de savoir si c'est une bonne idée ou non. Même pour les autres études, pour avoir une maîtrise, un doctorat, ce n'est pas nécessaire encore partout. C'est un problème. Ce n'est pas à moi de définir les politiques des universités mais je suis d'accord avec le fait qu'on a des problèmes.
Le sénateur Corbin: Dans l'énoncé des statistiques que vous avez recueillies à travers le Canada sur les appuis qu'on donne généralement aux programmes des langues officielles, aux langues officielles, au bilinguisme et autres, vous avez parlé comme d'un bloc des quatre provinces de l'Atlantique. Est-ce que vous avez poussé votre analyse un peu plus loin pour tâcher de déceler les attitudes, sur le plan provincial, de cette région? Je vais vous dire tout de suite pourquoi il me semble que vous devriez le faire.
Le Nouveau-Brunswick est la seule province au Canada à s'être déclarée officiellement bilingue et, à toutes fins pratiques, elle est une province bilingue dans ses institutions et dans ses programmes. Le droit au bilinguisme est enchâssé, comme vous le savez, dans la Constitution canadienne. Il n'y a aucune autre province qui le fait. Cela doit avoir un impact sur l'attitude des citoyens de cette province car ils ont un gouvernement qui a instauré ce genre de régime.
Donc, la réaction des gens du Nouveau-Brunswick face aux langues officielles ne peut pas être la réaction des gens de Terre-Neuve — vous me pardonnerez, sénateur Comeau, ne peut pas être la réaction des citoyens de la Nouvelle- Écosse — ou de l'Île-du-Prince-Édouard. Quand un gouvernement provincial donne l'exemple, donne des droits et protège ces droits, il va de soi que la perception du public s'en trouve renforcée. Vous devriez, à l'avenir, non pas représenter, comme à peu près tout le monde le fait aujourd'hui, les quatre provinces de l'est comme le bloc de l'Atlantique. Ce sont des provinces de droit autonomes, avec des caractéristiques particulières.
Si vous en avez les ressources — j'apprécie le travail que vous avez fait, comprenez-moi bien — je pense qu'il y aurait lieu de pousser l'analyse un peu plus loin afin de pouvoir démontrer que lorsqu'on a un gouvernement avec une épine dorsale et du cran, on peut vouloir souscrire à un programme de langues officielles. À mon avis, c'est capital. Je crois que l'exemple du Nouveau-Brunswick est un exemple à donner aux autres provinces.
M. Parkin: Je suis totalement d'accord. Il est vrai que, dans le cahier qu'on a publié, on ne présente pas les données des provinces dans la plupart des sondages, car on a cité beaucoup de sondages et ce ne sont pas tous les nôtres. Nous n'existons que depuis 1996, en tant que programme de recherche. L'échantillon pour les quatre provinces réunies n'est pas assez grand pour pouvoir faire des divisions par province.
Le sénateur Corbin: Peut-être que pour un statisticien, ce peut être le cas, mais pour ma part je ne l'accepte pas.
M. Parkin: Du point de vue d'un statisticien, pour les autres sondages, c'est le problème.
M. Parkin: Nous avons élargi notre échantillonnage aux quatre provinces de l'Atlantique pour les raisons que vous avez soulignées. Nous traitons beaucoup de questions portant sur le fédéralisme au Canada. L'attitude des Canadiens n'est pas la même à Terre-Neuve qu'au Nouveau-Brunswick. Je crois que vous avez raison à ce sujet.
En examinant les réponses d'une province à l'autre, on remarque que l'appui au bilinguisme est plus élevé au Nouveau-Brunswick. Lorsqu'une province se démarque comme leader, cela a un effet réel chez le public.
Notons toutefois que l'appui au bilinguisme est tout de même très élevé dans les trois autres provinces, soit à l'Île- du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve. On remarque donc une attitude partagée par les quatre provinces maritimes. Ce fait est plutôt remarquable, étant donné que le nombre de francophones dans les trois autres provinces n'est pas aussi élevé qu'au Nouveau-Brunswick. Cependant, les opinions ne varient pas énormément.
On parle donc d'une personnalité régionale, car dans ces quatre provinces l'appui individuel est très élevé. On peut attribuer ce fait à des raisons historiques. La population acadienne du Nouveau-Brunswick a peut-être un effet qui dépasse les frontières de sa province.
Le sénateur Corbin: On parle d'un effet de rayonnement.
M. Parkin: Sans doute.
Le sénateur Corbin: J'aimerais obtenir une simple précision. Vous avez fait votre sondage auprès de quelle couche de la population?
M. Parkin: Le dernier sondage, détaillé plus amplement dans le cahier, s'est effectué auprès de 2000 Canadiens. Je n'ai pas la répartition par province ou par région devant moi, mais il s'agit de citoyens pris au hasard. Les données sont toujours ajustées afin de représenter une distribution de la population par province, par âge et par sexe.
Le sénateur Corbin: Par groupe social et selon l'éducation?
M. Parkin: Le sondage ne s'est pas effectué selon la classe sociale. Toutefois, l'échantillonage représente biens les groupes sociaux, les revenus et la scolarité.
Les maisons de sondage travaillent très fort afin d'obtenir le meilleur échantillonnage possible pour une représentation juste. À la lumière des résultats actuels, on peut constater qu'il y a des répondants plus riches, moins riches et d'une scolarité variable.
Le sénateur Comeau: N'étant pas familier avec votre firme, pourriez-vous me parler d'elle? À qui êtes-vous affilié? Est-ce un organisme universitaire ou gouvernemental?
[Traduction]
M. Parkin: Avec plaisir. Le Centre de recherche et d'information sur le Canada est le programme de participation des citoyens et de communication de la recherche du Conseil de l'unité canadienne.
Le Conseil de l'unité canadienne administre un certain nombre de programmes, dont Rencontres du Canada ici à Ottawa qui permet à des étudiants du secondaire d'un bout à l'autre du pays de venir à Ottawa pour apprendre à se connaître et se familiariser avec leur pays. Notre organisme a été créé en 1996 dans le but de produire de la recherche et de l'information sur le pays, à propos des défis auxquels il fait face, de mettre ces renseignements à la disposition des Canadiens et de créer des occasions qui permettent aux Canadiens de se réunir pour en discuter.
Nous avons sept bureaux d'un bout à l'autre du pays; cinq d'entre eux sont des bureaux de participation des citoyens. Leur responsabilité est de rassembler des Canadiens autour de tables comme celles-ci pour discuter précisément du sujet dont nous débattons aujourd'hui. Le bureau que je partage avec Mme Bernard à Ottawa est le bureau de recherche, où nous produisons le contenu dont on débat dans le cadre de ces discussions, qui est affiché sur notre site Web et qui est publié sous cette forme. Notre bureau de Montréal est le siège social, le bureau des communications, qui soutient le site Web, crée ses publications et publie le bulletin hebdomadaire intitulé Opinion Canada.
Le groupe cadre est le Conseil de l'unité canadienne. Comme je l'ai mentionné, il s'agit d'une organisation indépendante et apolitique ayant le statut d'organisme de bienfaisance. Une grande partie du financement du programme provient du gouvernement du Canada, et le CRIC reçoit une subvention directement de Patrimoine canadien pour soutenir ses activités. Nous recevons également l'appui du secteur privé et de bénévoles.
Par exemple, lorsque nous tenons des tables rondes dans des villes comme Calgary ou Halifax, nous recevons habituellement l'appui du secteur privé et les activités se déroulent uniquement — parce que nous n'avons qu'une personne à notre bureau de Moncton, par exemple et deux personnes à Calgary — nos activités ne sont efficaces que parce qu'elles bénéficient du soutien de bénévoles régionaux qui partagent la mission. Notre site Web, qui est cric.ca, offre une foule d'informations de ce genre et une ressource utile pour les parlementaires.
Le sénateur Comeau: Votre bureau de l'Atlantique est situé à Moncton?
M. Parkin: Oui, et il s'agit de notre bureau le plus récent; il n'est ouvert que depuis novembre.
Le sénateur Comeau: Je m'abstiendrai de faire des commentaires à ce sujet. Pouvons-nous avoir accès au rapport dont nous avons parlé ici ce soir — dont vous nous avez expliqué les détails — sur votre site Web?
M. Parkin: Oui.
[Français]
De l'information supplémentaire est également disponible. Il existe des résumés, des communiqués de presse et des illustrations additionnelles.
Le sénateur Comeau: Plus tôt, un témoin de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a mentionné la nécessité d'une vision de l'avenir des langues officielles et des communautés en situation minoritaire au Canada.
Vous êtes-vous penchés sur les moyens par lesquels on pourrait élaborer une vision pour les communautés en situation minoritaire au Canada?
M. Parkin: Nous n'avons pas fait beaucoup de travail en ce qui concerne directement les communautés minoritaires. Ces communautés sont sans doute mieux représentées par leurs groupes. Lors d'un sondage, on retient un échantillonnage touchant surtout les groupes majoritaires. Nous sommes donc mieux placés pour parler des tendances de la majorité envers la minorité. Nous ne sommes pas experts sur la réalité de ces communautés. Toutefois, nous avons effectué un peu de travail dans ce domaine. Par exemple, nous avons fait une analyse du dernier recensement afin de saisir la vision qui existe.
[Traduction]
Le meilleur travail que nous avons fait porte sur la façon dont les Canadiens envisagent leur pays de façon générale. Je ne réponds peut-être pas à votre question concernant les communautés minoritaires, mais je peux certainement en parler sur le plan d'une vision générale.
Le sénateur Comeau: Vous dites que vous n'êtes pas un spécialiste de cette question, mais les communautés minoritaires de langues officielles ne sont pas non plus des spécialistes en ce qui concerne les opinions de la majorité, ce qui constitue votre atout. Si une personne comme vous, qui possède une connaissance approfondie des attitudes et des souhaits de la population majoritaire du Canada, se réunissait avec un groupe comme la Fédération des communautés francophones et acadienne, vous pourriez peut-être élaborer une vision qui pourrait être établie pour le Canada. Vous pourriez mettre en commun vos atouts respectifs qui découlent de nombreuses années de travail dans ce domaine. Vous pourriez peut-être vouloir en discuter avec ce groupe. J'ai certainement l'intention de soumettre cette proposition au groupe, parce que la synergie entre ces deux groupes serait plus grande que la somme de leurs parties.
[Français]
Le sénateur Léger: Tout d'abord, j'ai été très surprise par le titre de votre document: «Le bilinguisme relève-t-il du passé ou de l'avenir?» Le passé et l'avenir vont ensemble.
Le Centre de recherche et d'information sur le Canada, c'est aussi la recherche. Je me méfie un peu de la recherche à une époque où les universités mettent l'accent davantage sur l'aspect théorique que sur l'aspect pratique. Ces spécialistes sont souvent détachés de la réalité. Toutefois, je n'ai pas constaté ce fait dans votre organisme.
J'appuie les propos du sénateur Comeau au sujet d'une vision. Vous avez touché brièvement à ce point dans votre document de présentation.
La recherche que vous avez effectuée a reflété l'esprit du bilinguisme plutôt que simplement les mots. Voilà le début de la vision dont on parle.
Votre document me plaît et je vous encourage à poursuivre vos efforts. On pourrait dire que cette recherche a révélé un caractère anti-recensement.
Les immigrants vont nous prêter main-forte; vous l'avez indiqué avec preuves à l'appui, nous ne sommes pas contre le français et l'anglais. Nous vivons dans une ère nouvelle par rapport à il y a 40 ans. Il faut un langage nouveau et une vision d'aujourd'hui. Cette vision doit se faire maintenant.
J'aimerais également que nous cessions d'utiliser le mot «minorité».
Vous avez indiqué qu'étrangement, nous allons nous joindre à Toronto et Londres, aux grandes universités; nos villes vont se jumeler, Moncton et Dieppe. Mais déjà la ville de Tracadie au Nouveau-Brunswick est jumelée à St. Andrews où on ne parle pas deux mots de français. On constate donc une certaine ouverture.
L'esprit de votre recherche m'a beaucoup plu. Je vous encourage à continuer dans cette direction. J'appuie les propos du sénateur Comeau au sujet d'une vision de l'avenir.
La présidente: Sénateur Léger, je vous remercie de ce commentaire.
[Traduction]
N'oubliez jamais ce que le sénateur Léger vient de dire. Il est rare qu'elle fasse ce genre de commentaires à propos d'études.
[Français]
C'est le plus beau compliment qu'on puisse vous faire, M. Parkin. Il faut donc l'apprécier.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Je vous remercie. J'ai l'impression, si je compare la situation avec les 35 dernières années de mon autre vie professionnelle, qu'il est devenu beaucoup plus facile maintenant de recruter du personnel bilingue, surtout à Ottawa. Les jeunes qui sortent des écoles secondaires à Ottawa sont pratiquement tous bilingues. Qu'ils deviennent des infirmières, des techniciens ou des médecins, s'ils ont fait leurs études à Ottawa, il me semble qu'ils sont pratiquement tous bilingues. Est-ce un fait statistique ou est-ce simplement mon impression?
M. Parkin: Je ne peux pas faire de commentaires à ce sujet parce que je n'ai tout simplement pas les faits devant moi.
Le sénateur Keon: Cela m'amène à aborder une autre question importante, à savoir qu'un grand nombre d'entre nous considérons que notre ville devrait être bilingue. Elle devrait servir de phare à notre pays. Il me semble qu'une partie de la résistance à laquelle on se heurte à l'heure actuelle réside dans la difficulté persistante à recruter du personnel compétent dans les deux langues officielles. Ce n'est toutefois pas l'expérience que j'ai connue dans l'institution que j'ai dirigée pendant un certain nombre d'années. Nous n'avons que 750 employés. À une époque la situation était très difficile. Je me demande simplement si vous avez des données quelque part qui pourraient nous éclairer à ce sujet.
M. Parkin: Je pourrais dire — et j'aurais aimé avoir sous la main les données concernant le bassin de main-d'oeuvre mais je ne les ai pas — que nous n'avons pas cette information nous-mêmes, mais je songeais à Ottawa. Le rapport comporte certaines réserves, l'une d'entre elles étant que les anglophones sont préparés à appuyer le bilinguisme jusqu'à ce que l'on parle de priorités en matière de dépense et alors évidemment l'importance qu'ils accordent au bilinguisme se trouve à diminuer. Ils répondront habituellement que le gouvernement en fait déjà assez. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà mentionné, les opinions changent lorsque les gens craignent que cela entraîne des pertes d'emploi. Cela habituellement n'est jamais le cas, mais quoi qu'il en soit, c'est le facteur qui est susceptible de renverser les résultats positifs que nous avons constatés.
Il n'est pas fait expressément mention de la ville dans le rapport, si ce n'est pour dire que l'idée d'avoir une capitale bilingue plairait de manière générale au public canadien. L'issue du débat à Ottawa dépendra de l'argument qu'on retiendra: celui d'avoir une capitale bilingue ou l'argument plus négatif qui a trait au coût, mais ce ne sera pas la première fois qu'on aura ce débat. Tout dépendra du coût et de la possibilité que certaines personnes soient pénalisées. Si l'on arrive à rassurer la population sur ces deux points, je ne crois pas qu'il y ait d'autres motifs qui puissent susciter l'opposition du public.
Le sénateur Keon: Encore là, l'un des éléments qui peut devenir intimidant — et vous en avez parlé — c'est l'idée de devoir se soumettre à un examen, et cela vaut pour tout le monde. Les gens ont peur de devoir se soumettre à un examen de conduite quand ils vieillissent. Les patients âgés que nous accueillons dans notre établissement sont terrifiés à l'idée de devoir passer un examen de conduite. C'est là un obstacle, et il nous faut trouver un moyen d'éliminer la honte que l'on ressent à l'idée de devoir se soumettre à un examen. Avez-vous des informations à ce sujet? Vous êtes- vous penchés là-dessus?
M. Parkin: Non, en fait. Il ya toutefois une observation qui me vient à l'esprit et qui concerne le recensement. Nous avons posé à peu près la même question que celle qu'il y avait dans le recensement au sujet de la capacité à soutenir une conversation dans l'autre langue. Le résultat bien plus élevé que nous avons obtenu s'explique par deux facteurs. Premièrement, les gens considèrent le recensement comme un document qui fait autorité et ils disent donc toujours la vérité. Dans un sondage d'opinions au téléphone, ils se sentent bien plus libres d'exagérer. Les gens se décrivent comme ils aimeraient être. L'autre facteur, c'est que le recensement, c'est comme un examen, et les gens ne veulent pas dire qu'ils peuvent parler français s'ils s'imaginent que quelqu'un va leur demander de le prouver.
Autrement dit, le nombre d'anglophones qui peuvent parler français varie selon ce que l'on cherche à mesurer et à quelles fins. Le but est-il d'avoir des citoyens parfaitement bilingues, ou est-il d'avoir des gens qui peuvent partager une vision commune de leur pays et apprécier les différences linguistiques?
Le résultat varie selon la jauge qu'on utilise et le but recherché.
Le sénateur Mercer: Merci de votre présence ici. J'ai deux petites questions. Je suis très enthousiasmé par votre exposé. Vous venez dans cet exposé — et je parle ici en tant que libéral de l'époque Pearson-Trudeau-Chrétien, de valider les nombreuses années de travail acharné de la part de mon parti pour convaincre les Canadiens et les autres partis. Je veux parler de la diffusion des chiffres, parce que les nouveaux collègues du sénateur Comeau n'en sont peut- être pas au courant et n'en seraient peut-être pas très contents.
Avez-vous diffusé cette information? C'est là quelque chose de très important. Le fait que vous soyez venus ici nous le dire et que les gens peuvent vous voir à la télévision est important. Mais il y a des dizaines de milliers d'autres Canadiens qui ne vous voient pas, et votre témoignage est très important parce qu'il vient confirmer beaucoup de théories auxquelles plusieurs d'entre nous souscrivent depuis des années. Cela vient confirmer également l'utilité de l'enseignement en français pour les non-francophones.
Ma deuxième question concerne ce dernier point, et j'avoue qu'elle me touche personnellement, puisque je suis père d'un fils issu des programmes d'immersion de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontario. Avez-vous des statistiques sur la mesure dans laquelle les diplômés des programmes d'immersion peuvent garder leur français, une fois qu'ils quittent l'école secondaire? Je m'inquiète à l'idée que l'on puisse former des jeunes dans leur langue seconde et que, s'ils se trouvent ensuite à travailler à Calgary ou à Halifax, ils finissent par perdre l'autre langue parce qu'ils n'ont pas l'occasion de s'en servir de façon régulière. On se trouve ainsi à perdre le fruit des efforts déployés pour créer un important bassin de citoyens qui peuvent parler les deux langues.
M. Parkin: Je tiens tout d'abord à préciser que nous ne sommes associés à aucun parti politique. Soyez gentils avec nous. Nous tentons de diffuser l'information le plus largement possible. Nous avons, bien sûr, notre liste d'envois à nous. L'information se trouve sur notre site Web. Nous faisons parvenir des avis à divers serveurs de liste. Dans les universités, nos documents sont souvent utilisés par les professeurs et par les étudiants, et nous publions des communiqués de presse. Je parle ici, bien sûr, de l'époque où ce que nous produisions intéressait surtout les médias francophones de l'extérieur du Québec, autrement dit, ceux qui étaient déjà sensibilisés à bien des égards, et où il était bien plus difficile de susciter l'intérêt des médias anglophones, même si Jeffrey Simpson y a consacré une chronique, ce qui a été utile étant donné sa réputation de chroniqueur. Il y a aussi Mme Bernard qui publie dans un bulletin à l'intention des parlementaires un résumé de nos bulletins de nouvelles, dont le dernier a été envoyé — le mois dernier?
Mme Bernard: Oui.
M. Parkin: Nous faisons tout notre possible pour faire en sorte que tous les parlementaires aient accès à nos travaux de recherche et nous continuerons à le faire. Nous tenons des séances d'information à l'intention des fonctionnaires de Patrimoine canadien, du Bureau du Conseil privé ainsi que de nos collègues au Commissariat aux langues officielles, qui nous ont aidés à concevoir le modèle de l'étude. Nous n'avons pas nous-mêmes fait de suivi auprès de ces étudiants, alors je ne peux que vous citer les statistiques du recensement, qui font état d'une baisse. Les nombres baissent un peu, et c'est peut-être à cela que vous pensiez quand vous parliez de rétention, mais il s'agit là de ouïe-dire.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup, M. Parkin. Avant de terminer, je vais passer la parole au sénateur Comeau.
Le sénateur Comeau: Ce comité, de façon générale, est apolitique. Nous avons un nouveau venu ce soir. Nous approchons à grand pas d'une élection. Il veut peut-être politiser ce comité en nommant ses grands héros du passé et en négligeant d'autres grands qui ont contribué aux langues officielles du Canada, des gens comme Robert Stanfield, Joe Clark, Brian Mulroney et bien d'autres.
Une des raisons pour lesquelles nous avons voulu nous éloigner du Comité mixte permanent des langues officielles, c'était le fait que l'on avait ce genre de discussions et que l'on essayait de faire de la politique. J'ai voulu éviter cette direction à ce comité. C'est une direction dans laquelle on ne devrait pas aller.
Si le sénateur Mercer veut commencer à parler négativement du leader du nouveau parti, il pourra le faire lors de la campagne électorale qui s'en vient. S'il veut soulever les lacunes du leader du nouveau parti, il pourra le faire. Mais ce comité n'est pas l'endroit pour le faire. À ce comité, je suggère que l'on s'en tienne à ce qui peut améliorer les besoins de nos communautés et non pas jouer de la petite politique partisane. Si c'est le cas, on aura besoin d'une discussion en privé; je suis prêt à le faire.
La présidente: Je suis nouvelle, ainsi que le sénateur Mercer qui a remplacé notre collègue qui ne pouvait pas être ici aujourd'hui. Vos commentaires seront retenus.
Je vous remercie, M. Parkin et Mme Bernard. Votre présentation suscite beaucoup de discussions. C'est la raison de notre présence aujourd'hui.
Avant de passer à huis clos, j'aimerais mentionner que le sénateur Beaudoin ne pouvait être au comité parce qu'il était au lancement de son livre. Le sénateur Beaudoin siège au Comité permanent des langues officielles depuis plusieurs années; il a apporté une participation et une contribution exceptionnelles. On doit aujourd'hui le reconnaître puisque lorsque le comité tiendra sa prochaine réunion, le sénateur Beaudoin aura pris sa retraite.
À titre de présidente du comité, j'aimerais le remercier de ses efforts, sa contribution et son appui à ce comité.
Le sénateur Gauthier: C'est unanime.
La présidente: Merci beaucoup, sénateur Gauthier, c'est unanime, les miracles arrivent!
Dans deux minutes, nous passerons à huis clos pour les travaux futurs.
Le comité se poursuit à huis clos.