Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 3 - Témoignages
OTTAWA, le lundi 26 avril 2004
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 17 heures pour étudier l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi, ainsi que les rapports de la commissaire aux langues officielles, du président du Conseil du Trésor et du ministre du Patrimoine canadien.
L'honorable Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente: Je souhaite la bienvenue à l'honorable Denis Coderre ainsi qu'à ses deux collègues qui se joindront à nous sous peu.
Malheureusement, nous ne disposons que d'une heure pour entendre les trois ministres responsables du plan des langues officielles et leur poser nos questions. Je devrai, par conséquent, faire respecter de façon stricte la période de temps accordée à chacun.
Vous disposerez de cinq minutes pour nous faire une courte présentation. Nous passerons ensuite à la période des questions. Je vous remettrai alors, M. Coderre, les documents préparés par notre recherchiste ainsi qu'une liste des questions qui n'auront pu être posées. Dans la lettre accompagnant ces documents, nous vous prions de leur donner suite dans les dix prochains jours, car nous aimerions obtenir une réponse avant les élections, si elles doivent avoir lieu.
J'aimerais maintenant souhaiter la bienvenue à l'honorable Hélène Chalifour Scherrer ainsi qu'à l'honorable Pierre Pettigrew au Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Nous débuterons donc avec la présentation de l'honorable Pierre Pettigrew.
L'honorable Pierre Pettigrew, c.p., député, ministre de la Santé, ministre des Affaires intergouvernentales et ministre responsable des Langues officielles: Je suis très heureux d'être ici aujourd'hui. Le discours du Trône prononcé le 2 février 2004 réitère que la dualité linguistique est au cœur de l'identité de notre pays. Elle nous caractérise et nous ouvre des portes à travers le monde — tel que j'ai pu le constater alors que j'étais ministre du Commerce international.
Notre gouvernement tient à préserver, valoriser et encourager cet atout qu'est le bilinguisme pour l'ensemble des Canadiens. Nous avons indiqué clairement que les valeurs et les principes qui sous-tendent la politique sur les langues officielles nous tient à cœur. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, un ministre assermenté est responsable du dossier des langues officielles. En effet, le premier ministre m'a donné le mandat assermenté d'assumer la responsabilité des langues officielles. Il s'agit donc d'une reconnaissance particulière.
Certains ont suggéré que les portefeuilles de la Santé et des Affaires intergouvernementales que l'on m'a confiés, en plus de celui des langues officielles, représenteraient pour moi un agenda trop chargé pour m'occuper adéquatement des langues officielles.
Mon expérience des derniers mois a révélé ces autres responsabilités m'ont permis d'être membre de comités du Cabinet utiles à la promotion du dossier des langues officielles. Cette coordination me permet également de traiter de la question des langues officielles lors de chacune de mes rencontres avec les provinces. Comme vous le savez, dans le cadre du plan d'action, nous devons convaincre les ministres responsables dans les provinces de travailler avec nous dans ce dossier.
Le cumule des fonctions a donc aidé le dossier des langues officielles plutôt que de me rendre la tâche plus difficile.
Nous donnons suite au plan d'action d'une façon très active. Je me suis engagé à tenir des réunions sur une base plus régulière avec les sept ministres responsables de ce dossier.
Le ministre Goodale a indiqué publiquement, et m'en a fait part également en privé, que l'enveloppe financière attribuée à ce plan d'action allait être maintenue dans le cadre, entre autres, de la révision des programmes. L'enveloppe d'environ 750 millions de dollars sera donc maintenue. Notre plan d'action, avec l'enveloppe budgétaire protégée, donnera donc un nouvel élan à la dualité linguistique canadienne.
L'imputabilité est très importante. Le cadre d'imputabilité et de coordination comprend toute une série d'articles qui renforcent la coordination horizontale. Il décrit le rôle du ministre responsable des langues officielles et des autres ministres qui l'appuient.
Le ministre est chargé de la vue d'ensemble du dossier. Il s'assure que les priorités sont communiquées au gouvernement, que les intervenants-clés sont mis en rapport avec le celui-ci, que les questions en matière de langues officielles sont portées à l'attention des membres du Cabinet, et que le point de vue du gouvernement est reflété dans les dossiers d'actualité qui ont des répercussions sur les langues officielles.
L'article 35 du cadre stipule que le groupe de ministres comprendra d'office Mme Scherrer, ministre du Patrimoine canadien, M. Coderre, ministre du Conseil privé, ainsi que le ministre de la Justice et certains autres ministres.
Le mandat du groupe de ministres est tiré de notre plan d'action. Il se trouve directement lié à celui du ministre responsable, notamment en matière de coordination et de communication entre le gouvernement, les communautés minoritaires, la commissaire aux langues officielles et les comités de la Chambre des communes.
Cette meilleure cohésion entre les portefeuilles démontre la priorité de notre gouvernement.
[Traduction]
En vertu du cadre que je viens de décrire, des consultations régulières doivent se tenir aux plus hauts niveaux avec les intervenants, notamment les communautés. C'est ainsi que ce plan d'action a été conçu et c'est ainsi qu'il sera réalisé.
Les prochaines consultations ministérielles se tiendront à l'automne 2004 et des discussions entre les fonctionnaires et les dirigeants des communautés ont déjà eu lieu en prévision de ces réunions.
Comme vous m'avez demandé d'être bref, je vais m'arrêter là, mais je serai heureux de répondre à vos questions après que mes collègues auront prononcé leurs remarques liminaires.
[Français]
L'honorable Denis Coderre, c.p., député, président du Conseil privé de la Reine pour le Canada, interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, ministre responsable de la Francophonie et ministre responsable du Bureau sur le règlement: Je suis très fier d'être ici aujourd'hui. Malgré le fait qu'il s'agisse de mon troisième ministère, c'est la première fois que j'ai la chance de comparaître devant un comité du Sénat.
Si vous me le permettez, j'aimerais, dans un premier temps, féliciter l'honorable sénateur Gauthier, grand défenseur de notre langue française, de sa nomination à titre de président honoraire de ce comité.
C'est avec plaisir que je me présente devant vous aujourd'hui. En tant que président du Conseil privé, mon rôle est un peu plus technique. Depuis la restructuration du gouvernement à l'égard de mes responsabilités en matière de langues officielles, à titre de ministre responsable de la nouvelle agence de gestion des ressources humaines du Canada, je puis vous confirmer mon engagement soutenu à l'égard des langues officielles.
Dans le cadre de nos fonctions, moi et mes collègues ici présents avons toujours été très fiers de ce que nous sommes et avons toujours travaillé très fort. Nous croyons fermement en la dualité linguistique qui est au cœur même de l'identité de notre pays et qui est fermement ancré dans nos valeurs canadiennes.
Le 12 décembre 2003, le gouvernement annonçait le transfert des attributions et des responsabilités législatives et administratives en matière de langues officielles du président du Conseil du Trésor et du secrétariat du Conseil du Trésor, au président du Conseil privé et à la nouvelle agence de gestion. Ce transfert s'est effectué au moyen de décret émis par le gouverneur en conseil et en vertu de la Loi sur la restructuration et les transferts d'attribution dans l'administration publique. Tout ce qui touche la fonction publique, au niveau des langues officielles et des ressources humaines, est sous ma responsabilité.
Également, en tant que président du Conseil privé, je suis responsable de la nouvelle école de la fonction publique du Canada.
Le message que nous envoyons aujourd'hui est le suivant: il est essentiel de respecter les langues officielles tant dans les services que nous offrons que dans l'environnement de travail.
Je tiens à souligner la contribution extraordinaire de l'honorable Lucienne Robillard qui, à l'époque, en tant que présidente du Conseil du Trésor, a joué un rôle majeur notamment en matière de dotation.
On a mis de l'avant des politiques en ce qui a trait à la dotation impérative avec lesquelles je suis tout à fait d'accord. Toutefois, nous devons aller plus loin. Lorsqu'il y a dotation impérative pour des postes bilingues, on doit s'assurer, dans un premier temps, que ces personnes soient bilingues, mais également qu'il y ait un suivi et une évaluation afin que ces personnes le demeurent. Il faut s'assurer que l'on puisse évaluer la qualité des services offerts dans les deux langues officielles.
J'ai fait mention de l'école de gestion. À mon avis, l'apprentissage des langues est aussi importante qu'une formation continue en matière de gestion financière.
La formation en matière de langues officielles ne doit pas être restreinte.
[Traduction]
Nous ne parlons pas du simple apprentissage d'une langue, mais plutôt d'une culture dans laquelle la dualité linguistique — le bilinguisme — est une valeur canadienne. Nous voulons également nous assurer que ceux qui occupent des postes dont les exigences d'embauche sont le bilinguisme, soient officiellement bilingues. C'est important, non seulement pour la prestation du service, mais pour créer un environnement adéquat pour ces hommes et ces femmes qui font un travail formidable à la fonction publique du Canada.
[Français]
La question du respect, ce n'est pas seulement face aux clients, c'est également face à l'environnement de travail, à ceux et celles qui travaillent et qui sont, comme fonctionnaires, des acteurs du changement, et cela se fait dans les deux langues officielles.
Madame la présidente, il est clair que je pourrai répondre à certaines de vos questions en ce qui a trait à la question d'évaluation, le volet communication et services au public, tout ce qui concerne le principal instrument d'application de la partie IV de la Loi sur les langues officielles et le Règlement sur les langues officielles, les communications avec le public et la prestation de services. Ce qui est important pour nous, c'est que ce règlement précise que les données publiées du plus récent recensement décennal doivent servir à déterminer l'obligation des bureaux des institutions fédérales à communiquer et à offrir au public des services dans les deux langues officielles.
Ce n'est pas seulement de déterminer que tout va bien, mais également d'avoir une certaine horizontalité avec des moyens d'évaluation bien précis qui permettront de nous assurer que ces belles valeurs que constitu le bilinguisme soient bien respectées.
[Traduction]
Je vous remercie de m'avoir invité. Je serai heureux de répondre à vos questions.
[Français]
L'honorable Hélène Chalifour Scherrer, c.p., députée, ministre du Patrimoine canadien: Merci, madame la présidente. Mes deux collègues ont escamoté certains de leurs paragraphes; j'avais l'impression que j'avais un très beau discours, mais je me sens dans l'obligation de le raccourcir, afin que tous puissent poser leurs questions par la suite.
Vous connaissez tous les enjeux liés à la promotion des langues officielles au Canada et je suis heureuse d'avoir l'occasion d'en discuter avec vous. À titre de ministre du Patrimoine canadien, je suis responsable de la mise en œuvre des programmes d'appui aux langues officielles. Ces programmes visent essentiellement à donner aux minorités linguistiques les moyens de s'épanouir et de favoriser l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.
Le ministère que j'ai le privilège de diriger depuis près de quatre mois se trouve au centre des efforts du gouvernement pour appuyer les communautés de langues officielles et promouvoir la dualité linguistique. Je peux vous assurer que je vais porter une attention particulière à ce dossier qui me tient à cœur, étant moi-même une québécoise francophone.
Voici les défis qui nous attendent et que nous devrons relever à l'échelle du pays. Pour les communautés minoritaires, tout est une question d'accès. Ceci est d'autant plus vrai pour les francophones qui vivent dans un continent à majorité anglophone et à proximité d'un géant culturel.
[Traduction]
Je parle de l'accès à une éducation de grande qualité dans leur langue maternelle, en plus d'une formation en langue seconde; de l'accès aux services et aux institutions dans leur langue maternelle, pour améliorer leur vie communautaire; je parle aussi de l'accès aux arts et à la culture en français et en anglais, partout au Canada. Pour les Canadiens, c'est aussi une question d'accès aux programmes d'immersion et de formation en langue seconde.
J'ai l'intention de travailler d'arrache-pied sur ces questions dans les semaines et les mois à venir.
[Français]
Pour le volet de l'accès à l'enseignement — évidemment, l'éducation est au cœur du plan d'action pour les langues officielles du gouvernement en matière de langues officielles —, nous verserons aux provinces et aux territoires 346 millions de dollars au cours des cinq prochaines années dans des fonds ciblés en éducation, et cette somme s'ajoute aux 820 millions de dollars que nous verserons aux provinces et territoires en matière d'éducation durant cette même période.
Deux cent neuf millions de dollars supplémentaires seront consacrés à l'enseignement de la langue dans la minorité. Je vous rappelle qu'il y a à peine 20 ans, il n'y avait même pas d'écoles françaises dans plusieurs provinces; à l'exception du Nouveau-Brunswick, en 1990, et de quelques autres communautés francophones en Ontario, aucune communauté minoritaire au pays ne gérait ses écoles. Aujourd'hui, dans chaque province et territoire, ces communautés gèrent toutes leurs écoles. Ces progrès sont remarquables, mais nous devons faire mieux. Nous nous sommes fixé un objectif de faire passer la proportion d'enfants francophones qui s'inscrivent de 68 à 80 p. 100.
[Traduction]
Au Québec, nous utiliserons également les ressources dont nous disposons et le potentiel qu'offre la nouvelle technologie en matière d'enseignement à distance, pour nous assurer que les jeunes anglophones qui vivent dans des régions éloignées aient accès à un enseignement dans leur langue. Au sujet de l'enseignement des langues secondes, nous avons à notre disposition 137 millions de dollars supplémentaires, pour nous aider à atteindre notre objectif de faire doubler, en dix ans, la proportion de diplômés du secondaire qui peuvent parler les deux langues officielles.
[Français]
Le deuxième volet est l'accès aux institutions et aux services.
[Traduction]
Pour réaliser leur plein potentiel, les francophones et les anglophones en communautés minoritaires doivent pouvoir vivre dans leur langue, ce qui veut dire qu'ils doivent avoir accès aux services et aux institutions dans leur langue pour s'épanouir. Ils disposent maintenant de réseaux communautaires bien établis.
[Français]
Par exemple, au fil des ans, les programmes d'appui aux langues officielles du ministère du Patrimoine canadien ont financé 70 centres communautaires et culturels dans la plupart des régions du pays, dont une vingtaine de centres communautaires directement greffés à des institutions scolaires minoritaires. Nous appuyons également 18 radios communautaires, 7 radios communautaires francophones et 7 radios communautaires anglophones.
Le troisième volet touche l'accès à la culture qui est indissociable de la langue. L'une et l'autre sont les fondements de l'identité individuelle et collective. Avoir accès à la culture est encore plus important lorsqu'on vit en situation minoritaire, puisqu'elle est intimement associée à l'identité de la communauté et à l'avenir de la langue.
Le montant du Fonds canadien de télévision a été ajouté aux 100 millions de dollars précédents, nous permettant d'ajouter des centaines d'heures de production télévisuelle en français au pays. Également, le programme «Un avenir en arts», qui vient appuyer le support aux communautés, a été renouvelé pour une quatrième année. Il reste un montant de 207 millions de dollars, dans ce programme, pour cette année.
Le volet qui touche à l'espace culturel vise à améliorer les infrastructures culturelles dans les communautés. Il y a également le programme de présentation des arts avec lequel vous êtes très familiers, qui continuera à contribuer à l'enrichissement de la programmation des diffuseurs en arts de la scène aux quatre coins du pays. Évidemment, avec toutes les nouvelles technologies, par l'entremise de Culture canadienne en ligne, nous avons investi 200 millions de dollars sur trois ans pour la création de contenu canadien sur Internet. De plus, il y a notre programme d'appui au monde de l'édition, qui célèbre cette année son 25e anniversaire, permettant à 102 éditeurs francophones sur 220 de recevoir un appui. D'autres institutions nationales, comme le Conseil des arts, l'Office national du film et Téléfilm Canada, contribuent au rayonnement de nos deux langues officielles et appuient nos créateurs et nos artistes qui vivent en situation minoritaire.
Qu'il s'agisse de l'accès à l'éducation, aux services offerts dans la langue de la minorité ou de la culture et aux arts, notre action témoigne de notre volonté de donner à tous les francophones et anglophones les moyens de s'épanouir.
Je tiens à vous assurer que j'entends m'atteler à la tâche, et que je vais travailler de très près avec mes collègues et tous les intervenants intéressés pour renforcer notre dualité linguistique.
Je suis à la disposition du comité pour répondre à vos questions.
La présidente: Nous allons passer aux questions, moment tant attendu par les membres du comité.
Le sénateur Gauthier: Monsieur Pettigrew, vous avez un plan d'action: 751 millions de dollars engagés sur cinq ans. Avez-vous des mesures de reddition des comptes, par exemple? Des mesures pour vous assurer qu'il y ait une bonne coordination des programmes entre des agences et des ministères qui ne sont pas représentés ici ce soir? Y a-t-il un suivi sérieux de fait par vous, responsable des langues officielles? Monsieur Dion nous avait assuré qu'il le ferait. Vous êtes son remplaçant. Est-ce qu'il y a en place des mesures pour s'assurer que le plan d'action sera suivi?
M. Pettigrew: L'imputabilité est très importante dans notre suivi du plan d'action. Nous avons pris des mesures d'imputabilité très importantes pour chacun des éléments. Je suis également déterminé à faire des rencontres régulières avec chacun des ministres qui ont des responsabilités dans le plan d'action.
J'ai déjà eu une rencontre de travail il y a quelques semaines, où j'ai dit que je tenais à ce que nous ayons chaque saison, donc quatre fois par année, une rencontre de travail lors de laquelle chacun des ministres me rendra des comptes et nous expliquera les investissements qu'il a faits.
Le sénateur Gauthier: Est-ce que vous avez mis en place des mesures pour assurer que les programmes seront suivis et qu'il y ait un mécanisme de reddition de comptes connu et public?
M. Pettigrew: Il y a un cadre d'imputabilité qui est là et que je pourrai partager avec vous sénateur.
Le sénateur Gauthier: Cela ne sous-entend pas qu'il y aura des rapports régulièrement entre les personnes agissant en votre nom et le parlementaire qui s'intéresse à cette question.
M. Pettigrew: Nous avons développé un cadre d'imputabilité assez formel où les gens vont faire des rapports et où ils seront tenus de rencontrer les objectifs fixés. En tant que ministre des Affaires intergouvernementales, je suis les progrès avec chacune des provinces, parce que beaucoup de ces fonds sont issus de négociations ayant trait aux transferts avec les provinces.
Le sénateur Rivest: J'ai une question pour le ministre Coderre. Dans le plan d'action qui est en vigueur depuis un an, on a constaté la sous-utilisation du français, de façon générale, dans la fonction publique. Avez-vous mesuré cette sous- utilisation? Et depuis un an, quelles sont les mesures concrètes que le gouvernement fédéral a prises pour redresser la situation?
M. Coderre: Je n'ai pas de chiffres à vous donner aujourd'hui, cependant, je peux vous dire qu'il y a une nouvelle approche en matière de monitorage. Il est important d'avoir des outils d'encadrement et d'évaluation en matière de prévention. Lorsque j'ai parlé tantôt de mettre en perspective la nouvelle Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique dans l'ensemble du concept la nouvelle école de la fonction publique du Canada, c'était aussi pour envoyer le message qu'il existe une formation continue afin de s'assurer que l'on puisse avoir — parce qu'on parle de dotation impérative maintenant — des personnes bilingues aux postes qui le requiert. Il faut aussi avoir des outils qui permettent d'évaluer la situation dans son horizontalité. Autrement dit, dans chaque ministère ou agence, nous avons mis en place un nouveau modèle conceptuel — je pourrais vous envoyer l'outil comme tel — qui nous permettra d'avoir des fiches d'évaluation tant sur le plan interne que sur le plan externe. Cette évaluation nous amène de façon concrète sur le terrain dans chaque ministère afin de pouvoir prendre, par la suite, des mesures par le biais des ressources humaines qui vont nous permettre de nous assurer qu'au niveau de la fonction publique, au niveau de mes propres responsabilités, nous puissions agir également en fonction de certains domaines.
Nous sommes à finaliser l'analyse de la commissaire aux langues officielles sur la question de l'environnement du travail. Tout cela mis ensemble nous donne un outil qui va nous permettre de réagir. Dans le fond, ce n'est pas uniquement une fonction ponctuelle, mais c'est vraiment de nous assurer que nous travaillons sur la culture même de la fonction publique afin que nous puissions être en mesure de mieux répondre aux exigences de la situation tout en respectant nos valeurs canadiennes.
Le sénateur Comeau: Il est très intéressant d'avoir trois ministres devant nous ce soir. Je leur souhaite la bienvenue. Ma première question s'adresse au ministre Coderre et concerne l'école, la formation et le perfectionnement.
Avez-vous considéré la possibilité que le perfectionnement et la formation soient faits à partir d'écoles existantes? Il y a d'excellentes écoles au Canada qui pourraient bénéficier d'un plus grand nombre d'étudiants. De plus, cela conférerait aux fonctionnaires l'avantage de faire partie du reste de la population.
Sinon, qu'est-ce qui vous a fait rejeter ce modèle de ne pas envoyer vos hauts fonctionnaires dans des écoles déjà existantes?
M. Coderre: Mon rôle est d'être ministre responsable de l'école, mais pour ce qui est du fonctionnement et du curriculum comme tel, cela dépend de la responsable, qui est Mme Cochrane. Je vous incite à l'inviter afin qu'elle puisse vous parler de façon spécifique du modus operandi et de ce que nous avons ou non considéré. Mon imputabilité est de déposer le rapport et d'envoyer le message de ce qui est important, c'est que la formation, notamment au plan linguistique, peu importe les moyens — comme dans le cadre du projet de loi C-25, où l'on veut moderniser la fonction publique —, est un outil vivant. Je ne vous dis pas non. Je prends en considération ce que vous me dites, mais pour les opérations et comment les choses ont été faites, je vous propose, par la présidence, de passer par Mme Cochrane.
Le sénateur Comeau: En tant que ministre, n'est-ce pas une question que vous auriez dû lui poser?
M. Coderre: Je lui ai posé plein de questions.
Le sénateur Comeau: Lui avez-vous demandé si elle avait regardé la pertinence d'utiliser des écoles qui existent déjà et qui fonctionnent depuis des années, et qui, d'après mes connaissances, font un excellent travail? En tant que ministre, j'aurais pensé que vous auriez été intéressé de savoir pourquoi cela n'a pas été considéré ou cela a été rejeté.
M. Coderre: Rien n'a été rejeté. L'École de la fonction publique du Canada a vu le jour officiellement le premier avril dernier. Évidemment, il y a une étude sur la formation linguistique en cours. Je prends votre question en considération. Je pense que cela serait plus utile. Mais encore une fois, ce qui est aussi important, c'est que l'École de la fonction publique regroupe d'anciennes ramifications pour que l'on puisse envoyer un message très clair que la formation dans un contexte de renouvellement de la situation de la fonction publique est une priorité pour notre gouvernement. Au fond, la formation linguistique est tout aussi importante maintenant que d'avoir une formation continue en gestion de finance. Je prends bonne note de votre question, et je vais m'assurer que le message soit transmis.
Le sénateur Comeau: J'ai une question pour M. Pettigrew. Vous avez deux responsabilités principales: l'une étant la mise en œuvre et l'autre la question d'évaluation. À première vue, il semble y avoir conflit: d'une part, vous vous occupez de l'implantation et, d'autre part, vous en faites vous-même l'évaluation. N'y a-t-il pas conflit entre ces deux responsabilités?
M. Pettigrew: Je ne pense pas. Les gens vont mesurer l'évaluation. Il y a des comités parlementaires comme le vôtre où nous devons nous présenter pour faire rapport. J'ai la responsabilité de coordonner l'action du gouvernement entre les différentes responsabilités, et en toute transparence, nous émettrons le cadre d'évaluation. Nous sommes en train de développer chacune des composantes.
Une évaluation globale sera présentée publiquement. Nous sommes à développer le cadre de cette évaluation. Les représentants des communautés minoritaires sont déjà associés à ce processus, et je crois que le travail se fera très bien.
Le sénateur Comeau: Vous ne voyez pas de conflit?
M. Pettigrew: Non.
[Traduction]
Le sénateur Munson: Monsieur le ministre, vous êtes un homme politique passionné. Pensez-vous vraiment pouvoir faire honneur à tant de portefeuilles? Ministre de la Santé, c'est une grosse responsabilité. Croyez-vous pouvoir accorder suffisamment d'attention et de temps aux langues officielles, aux affaires intergouvernementales, en plus d'être responsable du portefeuille de la santé, simultanément?
M. Pettigrew: C'est ce que je fais comme ministre du Québec et député de Papineau.
Comme je le disais plus tôt, si vous prenez par exemple la santé et les affaires intergouvernementales, je pense que les deux tiers des problèmes de la fédération, qui sont la responsabilité du ministre des Affaires intergouvernementales, sont liés à la santé. On a de bonnes économies d'échelle. Les deux tiers des problèmes des provinces concernent le domaine de la santé. Comme je suis responsable à la fois de la santé et des affaires intergouvernementales, je peux vous dire que je n'ai pas à passer trop de temps en consultation avec les intervenants en matière d'affaires gouvernementales et ceux du dossier de la santé, parce que je peux promouvoir ces dossiers et négocier avec les provinces.
Lorsque vous avez les portefeuilles de la santé et des affaires gouvernementales, étant donné que ce sont des dossiers prioritaires, vous siégez au Comité des opérations gouvernementales du Cabinet et vous faites partie du groupe des priorités et de la planification. Vous êtes un joueur clé au gouvernement. Je suis partout, là où ça compte. Cela me donne le pouvoir de m'assurer que le dossier de la santé est bien géré.
Le plan a été conçu par mon prédécesseur, M. Dion, qui a fait du très bon travail. Maintenant, nous passons à la phase de mise en application du plan d'action. Puisque celui-ci a déjà été conçu, le coordonnateur a moins de travail à faire. Chacun est responsable d'un aspect de la mise en oeuvre de ce plan.
Selon moi, le fait que le ministre responsable des langues officielles se trouve au coeur du gouvernement et siège aux comités, où les décisions sont prises, est un atout précieux pour les communautés minoritaires.
Le sénateur Munson: Vous avez dit, dans vos remarques liminaires, que la dualité linguistique est au coeur de l'identité du pays. Ici, nous vivons au coeur de dualité, et pourtant Ottawa n'est pas une ville officiellement bilingue. Je ne veux pas avoir l'air de dire que je suis ici depuis longtemps, mais lorsque je suis arrivé à Ottawa en 1972, on parlait déjà d'Ottawa en tant que ville officiellement bilingue. Je suis parti pendant un moment, et lorsque je suis revenu, mon collègue le sénateur Gauthier, à la fois à la Chambre des communes et au Sénat, défendait cette question avec passion, passion que nous partageons tous. Le Sénat a adopté une motion unanime à cet effet.
Dans ce contexte, avez-vous rencontré le premier ministre de l'Ontario ou allez-vous rencontrer le maire d'Ottawa, Bob Chiarelli? Ne pensez-vous pas qu'il est temps que la ville d'Ottawa devienne officiellement bilingue?
M. Pettigrew: Je ne suis pas de votre génération, je ne suis pas ici depuis aussi longtemps que vous. Je suis arrivé ici en 1976-1977. Moi aussi, ça fait longtemps que j'espère qu'Ottawa deviendra une ville bilingue. Le premier ministre de l'Ontario, M. Dalton McGuinty, a dit publiquement qu'il était favorable à cette initiative. Son ministre, Mme Madeleine Meilleur, a également signalé qu'elle était favorable à une capitale bilingue. Nous sommes sur la bonne voie. Je pense que nous aurons bientôt une capitale bilingue, ce que j'approuve complètement. Je ne rate jamais une occasion d'en faire la promotion.
[Français]
Le sénateur Léger: Monsieur Pettigrew, premièrement, je vous remercie d'avoir expliqué — cela va dans le même sens que le sénateur Munson — que, en fin de compte, l'accumulation de toutes vos fonctions a pour fin de créer plus de cohérence. Je sais que c'était une demande dans le plan d'action de l'an passé. Il est important que vous nous expliquiez, que vous enseigniez à tout le monde, que c'est la cohérence qui compte et non pas la liste, qui est très longue.
Ensuite, s'il est vrai que le sujet de la santé occupera les deux tiers du temps, il s'agira de la santé en français, tant mieux — mais je pense que c'est le bistouri qui va compter le premier, avant la langue, c'est certain. Dites-le aux gens; les citoyens ont besoin de savoir que ce n'est pas une liste, ce n'est pas un catalogue, c'est l'âme de cela, c'est une continuation.
M. Pettigrew: Absolument. Il est certain que le ministre de la santé est aussi le ministre des langues officielles; cela augmente le profil des langues. J'ai dit à mon sous-ministre que je suis très occupé — les langues, les affaires intergouvernementales et la santé. Je demande à mon ministère d'être particulièrement vigilant, parce que je ne veux pas prêter le flanc à des critiques, dans la mesure où c'est mon propre ministère et que je suis ministre des langues officielles. Le sous-ministre se sent encore plus engagé, ainsi que l'ensemble de mon appareil.
Quand j'étais jeune, mon père — que Mme Scherrer connaît bien — m'a donné un conseil. Il m'a dit: « Quand tu veux que quelque chose soit fait, confie-le à la personne la plus occupée que tu connaisses; elle va trouver le temps de le faire, parce que si elle est toujours aussi occupée, elle sait s'organiser.» C'est un conseil que j'ai retenu et souvent mis en pratique. J'ai remarqué que quand on demandait à quelqu'un qui était très occupé de faire quelque chose, c'était fait. En effet, c'est vrai, on s'organise, on a de très bons collaborateurs — comme M. Asselin et les autres personnes qui sont ici —, on sait s'entourer.
Je suis convaincu de cela et je fais mon travail. J'ai mis ma main sur la bible le 12 décembre et, depuis ce temps-là, dans les communautés, les gens savent à quel point j'ai été disponible; j'ai rencontré des gens, j'ai débloqué des dossiers et je suis très impliqué dans mon travail. Je dois dire que les gens me prennent un peu en sympathie et cela me donne encore plus de force de levier pour faire la promotion des dossiers qui me tiennent à cœur.
Le sénateur Léger: Monsieur Coderre, j'ai vu dans vos titres...
M. Pettigrew: Lui aussi a beaucoup de titres!
Le sénateur Léger: Il y a un domaine qu'on n'a jamais approché depuis que je siège aux langues officielles: vous êtes l'interlocuteur fédéral auprès des Métis et des indiens non inscrits. Jamais on ne parle des langues officielles et des Autochtones. Je trouve que les deux langues officielles, c'est quelque chose de crucial car, à cause de tous les immigrants qui arrivent, il faudra et il faut respecter leurs propres langues. Cela ne touche pas les deux piliers qui sont le français et l'anglais. Mais jamais on n'aborde cela.
M. Coderre: Je vais vous faire plaisir car, dans l'esprit de Louis Riel, le Métis est aussi francophone. Le sénateur Chaput, notre présidente, l'a vu elle-même jeudi dernier, à Provencher, dans le comté de Louis Riel. J'ai fait un discours et on a, effectivement, parlé de cela. Quand je rencontre le Ralliement national métis, quand je rencontre les groupes métis, je parle également de cela, du fait que parmi les premiers voyageurs, beaucoup étaient francophones.
Il faut effectivement nous assurer, concernant le respect des langues officielles, que l'on puisse envisager la question linguistique également à l'intérieur de certains groupes autochtones. En fait, ce qui va être important pour les groupes autochtones — et c'est le travail exemplaire que réalise ma collègue — c'est également toute la question du patrimoine et de la culture. Il y a un côté francophone aussi à l'intérieur des communautés et, en ce sens, le rôle de l'interlocuteur est d'être en quelque sorte une courroie de transmission ou une tête de pont. Nous travaillons en ce sens. Notamment, concernant la question des Métis, depuis l'affaire Pawley, on commence enfin à les reconnaître comme nation. Je pense que la première étape est de nous assurer que l'on puisse engager un dialogue avec ces représentants et que l'on puisse passer le message, mais j'ai déjà commencé cela.
Le sénateur Léger: Je suis contente d'entendre cela. Surtout que les Autochtones sont canadiens, donc automatiquement anglais et français.
Madame Scherrer, voici ma question. Je ne suis pas certaine d'avoir le bon titre, je n'ai pas pu trouver le document; Communication Canada, c'est sous Patrimoine canadien. Est-ce que cela a disparu? Qu'est-ce qui arrive aux pauvres gens qui oeuvrent dans le domaine de la culture, qui est l'essence même du pays, de son identité? Ils n'ont plus de subventions, maintenant — nous avons des lettres. Qu'est-ce que je dois leur dire?
Mme Scherrer: Est-ce que vous parlez du programme Communication Canada qui était le programme de commandites? On n'ose pas prononcer ces mots-là, mais est-ce que c'est à cela que vous faites référence?
Le sénateur Léger: Ah mon Dieu! Pas ce mot-là! Je ne pensais pas que c'était associé à cela.
Mme Scherrer: Communication Canada, ce n'était pas sous Patrimoine canadien, c'était sous Travaux publics, de toute façon. À quel programme faites-vous allusion en particulier?
Le sénateur Léger: Les Dames d'Acadie de chez nous, qui disposaient de 30 000 dollars par année. Cela vient d'être coupé. Mais peut-être que j'aborde le mauvais sujet.
Mme Scherrer: On va se retrouver toutes les deux. Effectivement, c'était dans le programme des commandites.
Le sénateur Léger: Ah oui?
Mme Scherrer: Je suis heureuse que vous en parliez, parce que cela soulève tout le dossier des commandites qui était un dossier quand même très important pour les communautés. Ce programme a eu des problèmes dans sa gestion, mais il répondait à beaucoup d'événements et faisait la promotion des régions. En ce sens, lorsque M. Martin a aboli, le 12 décembre dernier, ce programme de Communication Canada, il a demandé au ministère du Patrimoine canadien de regarder sous ces programmes si nous n'étions pas capables d'aider financièrement ces événements.
J'imagine que si les organismes auxquels vous faites référence avaient obtenu des montants de ce programme depuis des années, ils ont dû recevoir une lettre pour les inviter à soumettre leur demande, non pas à Communication Canada, mais bien au ministère du Patrimoine canadien. Les programmes, effectivement, donnaient un très bon rendement et faisaient le bonheur de beaucoup de communautés en promouvant la culture, les arts, le sport et les communautés minoritaires. Les organisateurs et les bénévoles avaient très bien travaillé, il n'y avait pas de raison que ces gens soient affectés par les coupures. On a invité ces gens à faire leur demande auprès du ministère du Patrimoine canadien, cette fois.
Le sénateur Léger: Ils ne m'avaient pas dit que vous les aviez invités à aller s'adresser ailleurs.
Mme Scherrer: Est-ce que vous avez l'impression qu'ils ont reçu une lettre déjà?
Le sénateur Léger: Ils se plaignaient, ils ont dit qu'ils avaient toujours eu des subventions, que 30 000 dollars, ce n'était pas la fin du monde.
Mme Scherrer: Parfois, 20 000 ou 30 000 dollars pour des organisations dans des communautés, c'est majeur. Ils font beaucoup de travail avec ces fonds. Est-ce que vous pouvez vérifier auprès de cet organisme s'ils ont reçu une lettre? Sinon, demandez-leur de faire une demande.
Le sénateur Léger: Très bien, je le ferai. L'importance de Patrimoine canadien, pour moi, c'est tout; la culture, c'est important.
Mme Scherrer: Pour moi aussi, sénateur.
Le sénateur Léger: On s'attend à ce que ce soit un ministère terriblement fort.
Mme Scherrer: J'ai juste un petit titre, mais mon parapluie est très grand. Je suis heureuse de pouvoir parler au comité parce que je veux faire appel à vous, aussi. J'ai besoin de plus en plus d'ambassadeurs maintenant, comme mes collègues, pour faire en sorte qu'on soit capable de passer le message à quel point tout le volet de la culture et des langues officielles est essentiel à l'identité des Canadiens. C'est la façon de rejoindre les gens dans leurs communautés. Je parle toujours de programmes et d'argent. J'aimerais ne pas avoir à le faire, parce que, comme vous le dites, c'est l'essence du Canada, c'est ce qui fait la diversité, c'est ce qui crée des liens, et c'est ce qui fait que chacun peut s'exprimer et qu'il s'implique dans sa communauté.
Je suis d'accord avec vous, Patrimoine canadien, c'est vraiment l'essence, mais on a besoin de chacun d'entre vous pour faire la promotion de la culture autrement que par des activités culturelles ou par un budget ou un programme. C'est plus que cela. C'est vraiment la vie et l'essence de l'ensemble des Canadiens. Plus on sera à le partager, plus on sera à dire à quel point c'est important. Si vous pouviez m'aider à faire en sorte que la culture devienne un bien essentiel, ce serait merveilleux parce que là, on aurait gagné bien des points.
[Traduction]
Le sénateur Keon: Comme certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai été administrateur de services de santé pendant presque 30 ans. À ce titre, maintenir la dualité linguistique représentait un défi de taille. J'ai su conserver un nombre égal de médecins francophones et anglophones au cours des années. Cependant, je n'ai jamais pu conserver le même nombre de francophones et d'anglophones au niveau institutionnel, qui comptait au-delà de 700 personnes.
En effet, même si la communauté que nous desservons était à 30 p. 100 francophone et à 70 p. 100 anglophone et qu'il n'existait qu'un établissement à des kilomètres à la ronde, il était difficile de conserver cette dualité linguistique, à part pour les médecins, qui sont une catégorie différente, dans la mesure où ils peuvent être sélectionnés jusqu'à 10 ans avant d'avoir terminé leurs études de spécialisation. C'était la partie facile. En revanche, la sanction financière que nous devions payer pour conserver cette dualité linguistique était énorme. Il y a très peu d'argent en Ontario qui est alloué au maintien de services de santé en français. Lorsque vous êtes chargé de prendre des décisions pour un établissement, il faut allouer une partie de vos ressources à la préservation de la dualité linguistique, ressources financières qui vous font défaut.
Vous connaissez très bien les problèmes de financement de la santé, en tant que ministre de la Santé, monsieur Pettigrew. Si vous conservez ce portefeuille pendant un certain temps, monsieur Pettigrew, j'espère que vous saurez trouver une façon de simplifier la bureaucratie entre les niveaux fédéral et provinciaux. Le plan d'action pour les langues officielles présenté par M. Chrétien, par le biais du ministre des Affaires intergouvernementales d'alors, Stéphane Dion, me semblait très prometteur, et j'avais espéré, avant de prendre ma retraite, mettre en vigueur un programme de prévention entièrement bilingue. Je n'ai pas pu le faire.
Je connais bien le système, parce que j'en ai fait partie depuis longtemps, mais je n'ai pas pu l'emporter sur la bureaucratie. En Ontario, il y a une excellente ministre responsable des affaires francophones, Mme Madeleine Meilleur, qui est probablement la meilleure que la province ait jamais eue. Nous avons enfin la possibilité de faire quelque chose de valable. Mais c'est difficile d'intervenir de manière aussi générale. Le problème, avec les transferts aux provinces, ici, c'est que vous ne pouvez pas être efficace et cibler la promotion de la dualité linguistique au sein des professionnels de la santé.
Je ne sais pas si vous avez eu le temps d'y penser. Cependant, après cette étape de votre vie, j'aimerais en parler avec vous plus en détail. Je ne vais pas vous embêter avec ça maintenant. Vous pouvez répondre.
M. Pettigrew: Sénateur Keon, effectivement, c'est un défi dans le domaine de la santé. Il y a deux questions en jeu ici et je suis heureux que vous m'ayez aidé à mieux les comprendre ce soir. Par exemple, il y a le fonds en ressources humaines, qui a été négocié dans l'entente sur la santé de 2003. Nous travaillons avec les provinces sur la question de la reconnaissance des titres de compétences, par exemple. Des personnes de pays francophones et il y a certainement une possibilité.
Dans les éléments du plan d'action qui concernent la santé, il y a du financement dont nous sommes prêts à discuter avec les provinces. Vous avez tout à fait raison de dire que la ministre Meilleur est un ardent défenseur et une alliée clé dans ce domaine. Le ministre provincial de la Santé est également ouvert à ce genre de réalité. Le temps est tout à fait opportun.
De plus, nous devrions veiller à ce que l'actuel fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires comprenne un élément linguistique. Nous disposons maintenant d'un fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, qui favorise l'accès aux médecins. C'est un programme qui prend fin en mars 2006. Il y a du financement jusqu'à cette date. Alors, nous évaluerons le programme et nous pourrions le reconduire.
Merci beaucoup de vos observations. C'est un front sur lequel il nous faut travailler et investir.
Le sénateur Keon: La prochaine fois que vous viendrez, pourriez-vous réfléchir à un cadre de reddition de comptes pour vos transferts, surtout en Ontario, pour la dualité linguistique des professionnels de la santé? Je comprends que la reddition de compte et les paiements de transferts sont des questions explosives.
M. Pettigrew: Comme vous le savez, c'est une responsabilité de la province. Je ne veux pas me mettre à micro-gérer la province. Parfois, on m'accuse d'être trop centraliste et d'essayer de microgérer les provinces. Dans d'autres régions du pays, on me dit que je suis trop laxiste avec les provinces et que je devrais être plus autoritaire. En tant que ministre de la Santé, je dois trouver un équilibre dans le rôle que le gouvernement du Canada doit jouer, et c'est difficile.
Je garderai vos paroles à l'esprit et en ferai part au ministre Smitherman et à la ministre Meilleur.
[Français]
Le sénateur Gauthier: J'aimerais adresser trois questions brèves à M. Coderre. En tant qu'institution fédérale, devez- vous, comme les 30 autres institutions fédérales, présenter des rapports annuels?
M. Coderre: Oui.
Le sénateur Gauthier: Croyez-vous en la prime au bilinguisme?
M. Coderre: Non. Toutefois, elle est toujours en place. Cette question fait d'ailleurs partie des négociations des conventions collectives. Je ne veux donc pas m'immiscer dans la question des syndicats ici ce soir.
Précisons toutefois le fait suivant. Les primes ne vont pas régler la situation. Il est important de nous assurer qu'il y ait continuité. Nous devons miser sur une culture bilingue au niveau des services offerts ainsi que de la dotation impérative. Grâce au suivi que nous comptons effectuer, cet objectif sera atteint.
Le sénateur Gauthier: Cette approche a du bon. Je vous mets d'ailleurs au défi de consulter les syndicats et de les amener de votre côté.
Madame Scherrer, vous avez parlé du fonds de télévision de 100 millions de dollars. L'organisme ontarien le GITE a fait une demande afin d'obtenir une petite subvention de la part de votre ministère. Il s'agit d'un important groupe d'intervention en télévision éducative. Votre ministère a refusé cette demande.
En janvier 2004, je vous ai rédigé une lettre vous priant de renverser, si possible, cette décision. Le 30 janvier, un dénommé Luc Rouleau a répondu à ma lettre en disant ce qui suit:
Je peux vous assurer que les responsables de ce dossier au ministère sont au fait des enjeux que vous soulevez et qu'ils y accordent toute l'attention voulue.
Mme Scherrer: Vous n'êtes pas seul à faire la promotion de cet organisme. La semaine dernière, j'ai rencontré un autre de mes collègues députés qui m'a fait part exactement des mêmes préoccupations que les vôtres. Nous avons convenu qu'il serait à propos de contacter Mme Mayer afin de voir de quelle façon nous allions procéder. J'ai indiqué que je le ferais dans les jours qui suivent. Vous allez probablement recevoir une réponse sur cette question d'ici quelques semaines — je vous l'affirme verbalement et non par écrit.
Le sénateur Gauthier: C'est encourageant.
Monsieur Pettigrew, vous avez indiqué avoir consulté les communautés de langues officielles, dans votre rôle de ministre responsable des langues officielles. Les avez-vous consultées récemment?
M. Pettigrew: J'ai eu l'occasion de rencontrer un certain nombre de leurs représentants et porte-parole.
Le sénateur Gauthier: Qui avez-vous rencontré? Avez-vous rencontré M. Arès?
M. Pettigrew: J'ai rencontré M. Arès ainsi que des gens à Ottawa, des représentants de l'organisme Vivre en santé — je n'ai pas mon agenda avec moi, mais je peux vous en citer d'autres.
Est-ce que quelqu'un s'est plaint de ne pas m'avoir rencontré alors qu'il aurait souhaité le faire?
Le sénateur Gauthier: J'aimerais que vous me fassiez parvenir par écrit les lignes directrices et les critères simples selon lesquels, en tant que parlementaires, nous pourrons suivre l'évolution du plan d'action.
M. Pettigrew: Nous sommes en train de les élaborer. Dès qu'ils seront développés, il nous fera plaisir de les partager avec vous.
Le sénateur Gauthier: Quand obtiendrons-nous de vos nouvelles?
M. Pettigrew: Aussitôt que le tout sera prêt. Si vous désirez que je vous donne une date, je vous dirai qu'au mois de juin ce sera prêt.
Le sénateur Léger: Ma question fait suite aux propos du sénateur Comeau et s'adresse à M. Coderre.
Avant la mise sur pied de cette nouvelle école de la fonction publique du Canada il existait d'autres écoles. À titre de comparaison, peut-on dire en quelque sorte qu'il s'agissait de l'école primaire, puis de l'école secondaire, et que maintenant il s'agit de l'université?
M. Coderre: Je ne mettrai pas d'étiquette. À titre d'analogie, disons simplement que ma conception de la voiture s'oriente plus vers le pare-brise que les rétroviseurs, car je regarde plus vers l'avant que vers l'arrière.
L'important pour moi est de m'assurer que le tout fonctionne, que cet outil soit vivant et qu'il évolue. On enlève alors les dédoublements qui existaient à l'époque, ce qui donne une belle complémentarité. En étant plus inclusive, cette école méritera la fierté de tous, y compris du Sénat.
Le sénateur Léger: Il n'est pas question d'éliminer les autres écoles?
M. Coderre: Il s'agit d'une intégration. On crée une école de la fonction publique du Canada.
La présidente: Au nom des membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, Messieurs les ministres et Madame la ministre, j'aimerais vous remercier très sincèrement d'avoir été avec nous ce soir.
Nous avons remis à vos adjoints le document, les questions et la lettre vous demandant de donner suite avant les élections, si toutefois des élections étaient déclenchées. Nous avons fixé un délais de dix jours pour nous faire parvenir votre réponse.
Il nous fera grand plaisir de vous inviter à nouveau afin de cibler d'avantage les questions qui nous intéressent.
La communauté nous a fait part de certaines préoccupations. Je dois vous dire, à titre personnel et en tant que présidente du comité, que vous nous avez rassurés.
J'aimerais vous inviter à ne pas oublier le projet de loi S-4, du sénateur Gauthier, qui est présentement devant la Chambre des communes. Le projet de loi S-4 a été adopté à l'unanimité au Sénat et nous attendons avec impatience les résultats de votre étude.
Je vous remercie beaucoup et bonne soirée.
La séance est suspendue.
La séance reprend.
La présidente: Le deuxième point à l'ordre du jour est l'élection du vice-président. Le nouveau représentant au sein du comité sera le sénateur Rivest. Selon les Règlements, nous devons procéder à son élection à la vice-présidence.
Le sénateur Keon demeure membre du comité, mais il sera dorénavant vice-président d'un autre comité. J'attends les propositions.
Le sénateur Léger: Je propose que le sénateur Rivest soit vice-président du comité.
La présidente: Vous plaît-il d'adopter cette motion, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
La présidente: La motion est adoptée.
Au troisième point maintenant, étude de l'ébauche du budget de l'année prochaine, soit du 31 mars 2004 au 31 mars 2005. Je vais vous donner quelques minutes pour la lire.
Il y est inclus un travail de recherche déjà commencé dans le secteur de l'éducation. Vous y retrouvez également les dépenses reliées au voyage du comité pour continuer cette recherche dans l'Est du Canada.
De plus, il y a une section sur les festivités du 400e anniversaire de l'Acadie ainsi que de modestes dépenses pour une conférence qui aura lieu au Québec, où Marie-Eve se rendra. Elle nous en fera rapport par la suite. Vous verrez également des dépenses reliées à une invitation que nous avons reçue pour nous rendre à Montpellier, en France, à l'automne.
Notre greffier a préparé le sommaire de ces dépenses, lequel s'élève à 318 155 $.
Le sénateur Comeau: Ma question porte sur le voyage dans l'Est du Canada: Halifax, Charlottetown, Moncton et autres. Visitons-nous les capitales parce que c'est plus commode?
La présidente: Avons-nous choisi ces endroits?
M. Thompson, (greffier du comité): Nous avons choisi ces endroits pour leur facilité d'accès. Le voyage se fera par avion.
La présidente: Y a-t-il d'autres questions?
Le sénateur Comeau: Au moment où nous ferons l'annonce de ce voyage dans les Maritimes, nous devrions peut-être expliquer ce qui nous a motivés à aller à Charlottetown, par exemple, plutôt qu'ailleurs, dans des régions moins faciles d'accès où il y a plus de francophones. Visiter Halifax, ce n'est pas visiter la Nouvelle-Écosse.
La présidente: J'aimerais que nous en reparlions. Est-ce vraiment la meilleure façon de le faire? Nous pourrions voir s'il est possible de faire le voyage de façon différente.
Le sénateur Comeau: Du point de vue pratique, cela marche, mais soyons prudents sur la manière dont on va l'expliquer aux gens.
Le sénateur Rivest: Lorsqu'on choisit les communautés en situation minoritaire, francophones en l'occurence dans les Maritimes, c'est plus intéressant, sauf que lorsque nous choisissons une communauté, c'est à l'exclusion des autres qui sont située à 20 et à 40 kilomètres plus loin.
Le sénateur Léger: Atterrir à Halifax pour ensuite tenir nos audiences ailleurs changerait-il beaucoup le budget? Ne pourrions-nous pas, ensuite voyager par autobus?
M. Thompson: Premièrement, il s'agit ici de tracer une ébauche afin d'avoir une idée approximative des coûts. Le trajet peut être modifié. Deuxièmement, quel que soit l'endroit où nous nous déplaçons, nous pouvons inviter les témoins des autres villes et les dédommager en frais de voyage afin de pouvoir entendre tous les témoins.
Le sénateur Léger: Cela fait une différence quand les gens se déplacent dans un milieu anglophone et qu'on paie leurs dépenses. On pourrait consacrer les mêmes sommes pour défrayer les frais de déplacement des groupes qui participent aux séances du comité qui se tiennent à l'extérieur.
Le sénateur Gauthier: J'endosse ce que le greffier a dit. On peut toujours inviter des groupes à un endroit spécifique. Le problème avec les avions, c'est qu'ils n'atterrissent pas partout. Si on va à Charlottetown, par exemple, on peut faire venir les Acadiens de Summerside ou d'ailleurs et payer leurs dépenses.
Le sénateur Comeau: On reviendra sur cette question plus tard. Peut-être que dans une province cela fonctionnerait et dans une autre non. Par exemple, si nous allons à Pointe-de-l'Église, est-ce que cela peut froisser les gens d'ailleurs? Il faut vraiment être prudent. C'est quelque chose qu'il faudra examiner avant de voyager.
La présidente: Seriez-vous prêts à reporter la question à l'ordre du jour afin qu'on en discute de façon plus créative?
Le sénateur Comeau: Rien ne nous empêche de contester les montants.
Le sénateur Gauthier: J'aurais une suggestion qui pourrait nous aider. On devrait avoir un document sous forme de synthèse qui expose les problèmes qu'on étudie. On pourrait exposer nos projets et parler du plan d'action et de nos ambitions en ce qui concerne les communautés. On leur parlerait de choses susceptibles de les intéresser, tout en choisissant les intervenants que nous désirons entendre.
On cherche de l'information. On ne voyage pas en touristes, on voyage pour la cueillette de l'information. C'est pourquoi on devrait d'abord avoir un document de synthèse pour ensuite attirer les abeilles vers le miel.
La présidente: Il y aura un document synthèse qui sera produit et que l'on examinera avant de recommencer nos travaux à l'automne.
Le sénateur Gauthier: Le sénateur Rivest sait de quoi je parle. Le Comité mixte des langues officielles avait proposé de faire un voyage du même genre dans le but de consulter. C'est comme traîner une brouette pleine de fumier en plein mois de juillet et prétendre que ça n'attirera pas les mouches. Il faut avoir un document ciblé qu'on peut facilement distribuer aux associations pour leur montrer qu'on existe.
La présidente: Très bien, ce sera fait.
Le sénateur Léger: Pour le point E, est-ce qu'on attend après les élections? C'est le 400e anniversaire de l'Acadie. Est- ce qu'il faut en parler?
La présidente: Ne connaissant pas la date des élections, il faut quand même en discuter parce que cela fait partie de notre budget pour l'exercice qui a débuté le 1er avril et qui se terminera le 31 mars 2005.
Le sénateur Rivest: On ne va pas attendre au 800e anniversaire. Il faut y aller, qu'il y ait des élections ou pas.
Le sénateur Léger: Cette célébration représente beaucoup d'argent. Il faut savoir quel est le but du comité des langues officielles?
Le sénateur Gauthier: Il faut faire approuver le budget avant de le dépenser. Allons au comité de la Régie interne qui, de toute façon, coupera le budget quand même.
Le sénateur Léger: Je comprends qu'il faille y aller maintenant.
M. Thompson: S'il y a des élections, on perd le budget parce qu'on commence une nouvelle législature. S'il n'y a pas d'élections, on doit tout de même être préparés.
La présidente: Le comité a maintenant besoin d'une motion. Il est proposé par le sénateur Gauthier d'adopter le budget. Êtes-vous en faveur d'adopter le budget?
Des voix: Oui.
La présidente: Le budget est adopté à l'unanimité. Chers collègues, nous avons remis aux trois ministres le document préparé par Marie-Ève Hudon, notre recherchiste, dans le but de recevoir des réponses. La représentante de la commissaire aux langues officielles aimerait recevoir copie du document en question. Ai-je l'accord des membres du comité pour lui remettre une copie?
Des voix: Oui.
La présidente: Une copie des réponses qu'on recevra dans dix jours vous sera remise.
La séance est levée.