Aller au contenu
 

RAPPORT DU COMITÉ

Le LUNDI 18 juillet 2005

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales

a l'honneur de présenter son

SEIZIÈME RAPPORT


Votre Comité auquel a été déféré le Projet de loi C-48, Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements, a conformément à l’ordre de renvoi du mercredi 6 juillet 2005, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations, qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis, 

Le président,
DONALD H. OLIVER


Annexe au Sixième Rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales

sur le Projet de loi C-48, Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements 

À sa réunion du mardi 12 juin 2005, le Comité a adopté le projet de loi C-48 avec dissidence sans amendement. Le Comité a également convenu que les observations d’une minorité des membres du Comité, soit les sénateurs conservateurs, seraient annexées à son rapport. 

Les observations suivantes ne reflètent pas les observations unanimes du Comité.

 

OBSERVATIONS MINORITAIRES

AU SUJET DU PROJET DE LOI C-48 

CONTEXTE 

En février dernier, le gouvernement minoritaire libéral a déposé un budget. Comme d’habitude, ce budget était le fruit de longues heures de travail de représentants gouvernementaux et de fonctionnaires de divers ministères. Or, quelques mois plus tard, dans un geste sans précédent, il a aussi présenté le projet de loi C-48 à la suite d’une entente conclue avec les néo-démocrates.  

Les membres conservateurs du Comité sénatorial permanent des finances nationales dénoncent énergiquement la structure du projet de loi C-48 parce qu’elle n’offre pas la transparence et la reddition de comptes qu’exige un projet de loi sur le budget. Les Canadiens méritent une meilleure gestion financière de la part de leur gouvernement.  

Le projet de loi C-48 prévoit des dépenses totales de 4,5 milliards de dollars dans divers secteurs, mais fournit très peu, voire aucun détail quant aux programmes auxquels seront affectés les fonds.

 

AUCUN DÉTAIL 

Le projet de loi C-48 autorise le financement d’un vaste éventail de programmes – l’enseignement postsecondaire, le logement, l’environnement, le transport en commun et l’aide étrangère – mais ne fournit aucun détail sur la répartition des fonds. Les représentants gouvernementaux interrogés aux audiences du Comité chargé d’étudier le projet de loi C-48 n’ont pas été en mesure, non plus, de donner de précisions. Le secrétaire parlementaire du ministre des Finances, M. John McKay, a fait référence à cette absence de précision en déclarant lors de son témoignage que : « L’absence de détail, contrairement à ce à quoi on est en droit de s’attendre dans un budget, en amènera sans doute d’aucuns à soulever des questions. » 

Non seulement l’absence de précision dans un projet de loi sur le budget est contraire à notre propre tradition parlementaire, mais contraire également aux traditions des démocraties partout dans le monde ou aux traditions auxquelles les démocraties aspirent. Comme l’ancien sous-ministre des Finances, M. Stanley Hartt, l’a souligné dans le mémoire qu’il a présenté au comité : 

[…] la prudence et la procédure parlementaire doivent dicter à la Chambre et au Sénat les montants appropriés, lorsque les programmes ont été soigneusement examinés et élaborés, que les paramètres de ces programmes peuvent être fixés devant les législateurs pour qui la gestion des fonds publics est primordiale et qui ont le droit de connaître le genre de dépenses qu’ils sont en train d’approuver et qui ne doivent pas être simplement tenus de tenir compte d’une liste d’objectifs louable.

 

AUCUN RÔLE POUR LE PARLEMENT 

Le gouvernement demande en effet au Comité d’approuver un projet de loi autorisant le gouvernement à dépenser des milliards de dollars appartenant aux contribuables canadiens sans leur fournir de détails ou un plan de dépense et sans communiquer au Parlement l’information dont celui-ci a besoin pour exiger des comptes. De nouveau, selon M.  Hartt :   

[…] les sénateurs devraient s’inquiéter du précédent qu’établit le projet de loi C-48 en raison de la manière dont les législateurs sont invités à se prévaloir ou, comme c’est le cas en l’occurrence à mon avis, à ne pas se prévaloir du pouvoir traditionnel du Parlement de contrôler les dépenses publiques, pouvoir qui a été durement acquis. Nous n’avons pas eu à verser de sang au pays pour l’obtenir, mais nos ancêtres en Grande-Bretagne, dont nous avons hérité le régime parlementaire, ont versé le leur. La suprématie du Parlement en matière de dépenses est une tradition extrêmement précieuse que nous ne devrions pas prendre à la légère. 

Dans son témoignage, le contrôleur général du Canada a déclaré que le projet de loi C-48 représente une démarche prudente en matière de gestion financière du fait que les 4,5 milliards de dollars seraient dépensés sur une période de deux ans seulement s’il y a un surplus de deux milliards de dollars chaque année. Toutefois, cela laisse ceux qui pourraient compter sur cet argent dans un état constant d’incertitude jusqu’à l’annonce de l’existence du surplus (quelque temps à l’automne 2006). Comme l’a fait remarquer le président du Comité, au lieu de donner aux ministres et aux représentants gouvernementaux le temps nécessaire pour planifier leurs divers programmes, cette promesse risque de soulever de faux espoirs. Il va sans dire qu’il faudrait que cela ne survienne qu’une seule fois pour que les mêmes représentants et ministres décident d’abandonner l’idée de planifier en vue de quelque chose susceptible de ne pas se produire. 

Le secrétaire parlementaire du ministre des Finances a contredit le contrôleur général en affirmant dans son témoignage : Sans vouloir faire de l’humour crasse, personnellement, si je travaillais dans un ministère qui espère recevoir une partie du surplus [deux milliards de dollars], je ne prendrais aucun engagement financier avant de savoir qu’il existe bel et bien. 

            Les sénateurs conservateurs ne se laissent pas impressionnés par l’argument que le projet de loi C-48 a au moins permis au Parlement d’avoir son mot à dire au sujet de l’affectation de l’excédent éventuel. D’aucuns estiment que cette situation est préférable à celle où le Cabinet décide de dépenser l’argent comme bon lui semble sans consulter le Parlement. Les sénateurs conservateurs ne sont pas d’accord. Même si le projet de loi est adopté, rien n’empêche le Cabinet de dépenser l’argent comme bon lui semble. En vertu du projet de loi, le gouvernement doit s’adresser au Parlement pour faire approuver des dépenses à l’égard desquelles il n’existe aucun contrôle et qui peuvent être engagées selon les caprices du gouvernement, lequel, par la suite, peut invoquer l’argument qu’elles ont été approuvées par le Parlement, du moins dans leurs grandes lignes. Ce n’est pas ce que nous qualifierions d’amélioration du processus d’approbation des dépenses.  

Certains sénateurs ont soutenu que les comités parlementaires disposeraient d’amplement de temps pour examiner les dépenses à la loupe dans l’intervalle de cinq mois entre la fin de l’exercice le 31 mars et la date à laquelle le montant réel du surplus sera annoncé à l’automne. Or, cet examen se déroulerait évidemment après les faits puisque ce serait durant l’examen du Budget supplémentaire des dépenses. Comme nous l’a dit M. Peter Devries du ministère des Finances : 

Une fois ces ententes en place et les fonds versés, ils seront inscrits dans le Budget supplémentaire des dépenses comme des programmes législatifs à des fins d’information. Naturellement, les comités chargés d’examiner ces crédits supplémentaires peuvent alors interroger le ministre ou les représentants en cause en vue d’obtenir plus de précisions sur ces programmes 

Le Budget supplémentaire des dépenses de novembre 2006-2007 sera déposé plus de six mois après la fin de l’exercice et deux mois après la fermeture des livres, et le montant exact du surplus aura été confirmé.  Les fonds prévus en vertu du projet de loi C-48 auront été dépensés – M. Devries nous a dit que le gouvernement émettrait les chèques en septembre ou octobre 2006. Selon le témoignage même de M. Hartt décrivant le processus : « En d’autres termes les fonds se seront envolés; on nous l’annoncera, puis, parce que les gens sont gentils, ils se présenteront ici pour expliquer comment il s’est envolé. »

 

OÙ ÉTAIT LE MINISTRE DES FINANCES? 

Vu la concision et l’absence de détails, nous sommes d’avis qu’il représente à peine plus qu’une mesure législative préparée à la hâte, conçue presque strictement pour soutenir un gouvernement minoritaire, comme l’a lui-même laissé entendre le ministre des Finances. Nous sommes convaincus que, malgré les assurances du contraire du gouvernement, il s’agit ni plus ni moins d’une tentative de transformer une oreille de truie en bourse de soie, selon la déclaration même d’un des témoins.

 

Les sénateurs conservateurs se disent préoccupés de voir que ce projet de loi a été mis au point sans l’intervention directe du ministre des Finances – le grand argentier du Canada – dans les négociations qui ont précédé sa rédaction et son dépôt à l’autre endroit. Qui plus est, le ministre n’a pas témoigné devant le Comité pour défendre la mesure législative.  

En fait, le ministre des Finances a critiqué certains aspects de l’accord le jour où le premier ministre l’a annoncé. D’après les médias, il aurait dénoncé ce jour-là l’annulation de la réduction de l’impôt des sociétés alors qu’il a dit au Comité, lors des audiences sur le projet de loi C-43, qu’il avait participé aux négociations de l’accord et qu’il avait eu des consultations étroites quotidiennes avec le premier ministre et le leader du gouvernement à la Chambre les jours qui ont précédé la conclusion de l’entente avec le NPD. Pourtant, selon son secrétaire parlementaire, le ministre des Finances n’a jamais discuté avec lui du fond de l’entente entre le NPD et le Parti libéral durant ces journées cruciales. Le refus du ministre de témoigner devant le Comité pour clarifier le rôle qu’il a joué dans les préparatifs du projet de loi C-48 a déçu les membres conservateurs du Comité.  

Nous sommes également inquiets du précédent dangereux établi par la genèse du projet de loi C-48 puisque cela signifie qu’il est possible de rédiger des projets de loi sur le budget sans l’intervention personnelle du ministre des Finances. Même le secrétaire parlementaire de ce dernier a affirmé : « Je suis intervenu après le fait ». 

 

COMMENT LES FONDS SERONT-ILS DÉPENSÉS? 

Certes, le projet de loi prévoit un financement de 1,6 milliard de dollars pour le logement abordable, y compris le logement pour les Autochtones du Canada, mais il ne donne aucune précision sur la façon dont les fonds seront dépensés pour venir en aide aux Autochtones. Les fonds sont censés régler un aspect du problème, mais on n’indique pas comment ils peuvent être dépensés plus efficacement.  

La même chose vaut pour l’aide étrangère, terme qui peut vouloir signifier l’aide au développement, mais dont le sens est également si général qu’il pourrait aussi bien faire référence au soutien militaire de puissances étrangères. Le projet de loi C-48 réserve un demi-milliard de dollars à l’aide étrangère sans fournir quelque détail que ce soit au sujet de la façon dont les fonds seront consentis, à qui ils seront consentis, qui les gérera et pour atteindre quel objectif valable. Comme David Patterson du Conseil canadien des chefs d’entreprise l’a affirmé dans son témoignage :  

[…] il est également important de reconnaître que la meilleure façon d’atteindre ces objectifs ne comporte pas nécessairement l’apport de fonds publics […] il existe un large consensus, et vous l’avez entendu dans les discussions du G8 au cours de la semaine, que la chose la plus efficace que peuvent faire le Canada et d’autres pays industrialisé pour aider les agriculteurs les plus démunis des pays les moins développés est de libérer le commerce agricole par l’intermédiaire de l’OMC. Aucune des solutions de rechange proposées en vue de trouver la meilleure façon d’atteindre ces objectifs n’est abordée dans le texte plutôt concis de ce projet de loi. 

On pourrait en dire à peu près autant au sujet des fonds ciblant l’environnement, le logement et l’éducation (coïncidence, ces deux derniers domaines sont essentiellement du ressort des provinces).

 

OÙ EST LA REDDITION DE COMPTES? 

D’après les représentants gouvernementaux qui ont témoigné devant le Comité, les dépenses prévues dans le projet de loi auront force de loi. Toutefois, la plupart des dépenses législatives s’effectuent selon des lignes directrices rigoureuses déjà énoncées dans la législation. La Loi sur l’assurance-emploi, par exemple, expose les conditions d’admissibilité aux prestations et les niveaux tandis qu’une formule détermine le montant des transferts aux provinces et territoires. En revanche, aucune ligne directrice ne dicte le montant des paiements qui seront effectués en vertu du projet de loi C-48. Le Parlement n’aura rien à dire puisque ces lignes directrices seront établies sans l’intervention des parlementaires. Comme l’a dit M. Patterson, ce n’est pas ce que nous pourrions qualifier de solides principes de gestion des affaires publiques.  

Le projet de loi autorise le gouvernement à créer ou à acquérir des sociétés non spécifiées sans fournir d’indication quant à la reddition de comptes et à la gouvernance de ces sociétés. Il s’agit là d’une invitation à utiliser les fonds à mauvais escient ou de façon abusive comme ce fut le cas avec le scandale des commandites, sauf que le projet de loi fait traite de sommes beaucoup plus importantes.

 

CONCLUSION 

Nous nous opposons à ce projet de loi pour de nombreuses raisons. Mais nous nous y opposons surtout parce que l’exercice d’une prérogative parlementaire – se prononcer en faveur d’un projet de loi – entraînerait la perte d’une autre, la capacité de passer au peigne fin les dépenses gouvernementales, ce que nous ne pouvons appuyer. Comme le gouvernement fait preuve d’irresponsabilité en le présentant, nous ferions aussi preuve d’irresponsabilité en l’appuyant.


Haut de page