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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le vendredi 6 mai 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner des questions concernant la santé mentale et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Tout d'abord, laissez-moi vous remercier tous d'être venus. Mes collègues et moi-même vous en remercions.

Nous accueillons des gens de partout au pays. J'apprécie les efforts que tout le monde a déployés pour être ici, pour se rendre d'un bout du pays, Vancouver, ou de l'autre bout du pays, Halifax, ou d'un certain nombre d'endroits entre les deux.

Laissez-moi vous décrire brièvement ce que nous aimerions accomplir aujourd'hui. Tous les invités ont reçu de moi une lettre, et la lettre a été distribuée de nouveau à tout le monde aujourd'hui.

Tout d'abord, laissez-moi vous dire où nous en sommes dans notre processus. Le Comité tient actuellement des audiences d'un océan à l'autre. Si le Parlement n'est pas dissous pour une élection, nous aurons tenu des audiences dans toutes les provinces et pratiquement tous les territoires au plus tard à la mi-juin. Nous devons finir deux des territoires cet été. Nous avons ensuite l'intention de rédiger un rapport qui sera terminé vers la fin de l'année ou vers le début de l'an prochain, de sorte que nous déposerons un rapport au Parlement au plus tard au début de l'an prochain, si, évidemment, il y a un Parlement où nous pouvons le faire.

L'échéancier exact pour le dépôt de notre rapport final sera fonction du moment auquel on tiendra une élection. Même si le Parlement est dissous, nous poursuivrons le processus de rédaction pendant l'été. Nous aurions tout simplement à finir nos audiences publiques à l'automne, lorsque le Parlement reprendra ses activités, et cela signifie que le rapport ne serait probablement pas déposé avant février. Toutefois, dans le contexte actuel, c'est ce que nous visons, et nous nous conformons encore plus ou moins au calendrier établi.

Nous avons décidé de tenir trois séances spéciales d'un jour. La présente séance, qui porte sur la santé mentale des enfants, en est une. Il y avait trois enjeux, soit les problèmes de santé mentale liés aux enfants, aux aînés et au milieu de travail. Nous étions d'avis qu'il serait utile d'inviter un groupe d'experts de partout au pays à nous donner leurs points de vue. Vous êtes tous ici parce que vous avez été fortement recommandés par une diversité de gens, ce qui explique pourquoi vous voyez autour de vous un groupe très éclectique. J'inviterai les gens à se présenter dans un instant.

Comme un grand nombre d'entre vous le savent déjà, notre Comité ne dispose pas des mêmes ressources que les commissions royales et d'autres organes. Tous nos travaux antérieurs sur les soins de santé ainsi que les trois rapports sur la santé mentale déposés l'an dernier ont été produits par un comité de 11 sénateurs et un personnel constitué de deux personnes. Notre grande force tient à notre capacité de mobiliser des gens comme vous, des gens disposés à contribuer leur temps et leur expérience, pour nous aider à faire notre travail. Nous avons joui d'une coopération incroyable au moment de la préparation de notre premier rapport, et nous bénéficions également d'une coopération incroyable pour le rapport sur la santé mentale, de la part des consommateurs, des familles, des fournisseurs de services, et d'experts comme vous. Nous tenons à remercier tout le monde pour cela.

Aujourd'hui, nous aimerions, dans la mesure du possible, mettre l'accent sur les recommandations que nous devrions formuler en ce qui concerne le changement des politiques. Ne perdez pas votre temps à vous demander s'il s'agit d'une compétence fédérale ou provinciale. Notre dernier rapport s'assortissait clairement d'un certain nombre de recommandations qui relevaient directement de la compétence provinciale. Aucune des provinces ne s'est plainte. De nombreuses façons, les provinces nous ont mieux soutenus que le gouvernement fédéral. Par conséquent, ne vous souciez pas des questions de compétence. C'est à nous de nous en soucier.

Si nous voulons améliorer les aspects du système de soins de santé mentale qui concernent les enfants, nous devons savoir ce qu'il faut faire. Ce n'est pas suffisant de se tordre les mains et de se lamenter. Ce qu'il faut, c'est être capable de dire aux gens et aux gouvernements — fédéral et provinciaux, les fournisseurs de services, et les autres — voici une liste de recommandations concrètes et spécifiques à l'égard desquelles nous avons besoin de votre aide. Nous allons faire un tour de table, et j'invite tout le monde à formuler des observations liminaires concises à la lumière de ce que je viens de vous dire. Ensuite, nous discuterons des thèmes qui se dégageront de ce tour de table. Il y a également deux ou trois enjeux particuliers dont j'aimerais parler avec vous; je les mentionne dans ma lettre, et ils sont indiqués dans l'ordre du jour que vous avez devant vous.

Commençons de ce côté. Alors, faisons un tour de table, et je vous demande de vous identifier et de nous expliquer brièvement pourquoi, à votre avis, vous êtes ici.

Mme Judy Hills, directrice exécutive, Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie : Je représente la Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie. Je suis ici aujourd'hui pour parler de notre programme dans les écoles et de la participation des enseignants au repérage précoce d'enfants aux prises avec des problèmes de santé mentale.

M. Andy Cox, bénéficiaire et défenseur des soins de santé mentale, Centre de santé IWK : Je m'appelle Andy Cox. J'évolue au sein du programme pour enfants du Centre de santé IWK de Halifax. Je travaille auprès des programmes de santé mentale à titre d'intervenant en santé mentale, et je suis ici pour représenter les jeunes.

M. Ian Manion, psychologue, Centre hospitalier pour enfants de l'Est de l'Ontario : Je représente le Centre d'excellence provincial pour la santé mentale des enfants et des jeunes du Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario. Je suis psychologue et chercheur, et j'exerce diverses fonctions, de sorte que je vous apporterai divers points de vue. Je travaille de façon plutôt étendue auprès des jeunes, dans le cadre d'activités communautaires de promotion de la santé mentale. J'espère que cela vous sera utile.

Le sénateur Keon : Je suis membre du Comité. Je ne sais vraiment pas toujours où je suis, ni pourquoi je suis là.

Mme Judy Finlay, intervenante en chef, Bureau d'assistance à l'enfance et à la famille de l'Ontario : Je suis la protectrice des enfants pour la province de l'Ontario. Des intervenants de partout au pays sont légalement tenus de protéger les droits des enfants dans leurs provinces respectives. Il y a huit provinces dotées de protecteurs des enfants, et je suis actuellement présidente du Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes. Je suis également ici à titre de représentante d'un groupe de parents et de jeunes qui sont bénéficiaires de services de santé mentale.

Je fais cela au nom du Centre d'excellence du CHEO pour la santé mentale des enfants et des jeunes.

Mme Michelle Forge, surintendante des services aux étudiants, Commission scolaire du district de Bluewater : Honorables sénateurs, notre conseil fait partie d'un certain nombre de partenariats avec les organismes locaux de santé mentale des enfants en vue d'offrir aux enfants des services intégrés, intégrés du point de vue tant de l'enfant que du conseil scolaire. Je suis heureuse d'être ici.

Mme Barbara Whitenect, directrice intérimaire, Services à l'enfance et à la jeunesse, ministère de la Santé et du Mieux-être du Nouveau-Brunswick : Honorables sénateurs, je suis ici pour tenter de représenter les services à l'enfance et pour décrire certains des problèmes que nous éprouvons au Nouveau-Brunswick; peut-être pouvons-nous trouver des solutions à ces problèmes.

M. Bill Mussell, gestionnaire et éducateur, Sal'i'shan Institute; président, Native Mental Health Association of Canada : Honorables sénateurs, notre organisation est un établissement d'enseignement postsecondaire privé qui s'attache à l'éducation en matière de santé et aux enjeux de développement social, surtout dans la vie des gens des Premières nations. Je fais beaucoup de travail sur le suicide. J'ai effectué un certain nombre d'études sur la maladie mentale et la santé mentale des enfants autochtones. Je crois être ici pour, je l'espère faire, la lumière sur les défis auxquels nous sommes tous confrontés, en ce qui concerne les populations autochtones du Canada.

M. Richard C. Mitchell, Département des études sur l'enfance et la jeunesse, Université Brock : Honorables sénateurs, outre les fonctions que j'exerce à l'Université Brock, je suis également vice-président de la Coalition canadienne pour les droits des enfants. Avant de partir pour le Royaume-Uni pour faire mon doctorat sur les droits de l'enfant, j'ai pratiqué pendant environ dix ans dans un établissement psychiatrique pour enfants et pour jeunes personnes à Victoria.

Je suis ici pour vous expliquer pourquoi nous devrions adopter une partie du plan d'action Un Canada digne des enfants, dont une grande part concerne le bien-être psychologique et émotif des enfants et des jeunes au Canada.

Le sénateur Cook : Bonjour. Je viens de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Je suis ici parce que le président a déterminé que je devrais être ici aujourd'hui, et parce que je crois fermement que nous allons arriver ensemble à améliorer la vie des enfants.

Le Dr Richard Goldbloom, professeur de pédiatrie, Université Dalhousie; membre du comité de consultation du Centre de réhabilitation de la Nouvelle-Écosse : Honorables sénateurs, je suis un pédiatre vieillissant qui se spécialise surtout dans les souvenirs. Même si je suis prêt à me faire dater au carbone 14, j'ai tout de même de l'expérience au chapitre des soins de santé régionaux pour les enfants. Nous avons élaboré un programme régional de santé en Nouvelle-Écosse, et j'ai présidé le groupe de travail provincial sur la régionalisation des soins de santé. Je suis ici seulement parce que je fais tout ce que le sénateur Kirby me dit de faire.

La Dre Mimi Israël, psychiatre en chef, codirectrice, Direction des activités cliniques, Hôpital Douglas; professeure agrégée, Département de psychiatrie, Université McGill : Comme les honorables sénateurs le savent peut-être, l'hôpital Douglas est un hôpital psychiatrique qui sert au moins le tiers de Montréal, en ce qui concerne les soins tertiaires, mais sachez qu'il dispense également des services secondaires aux enfants et aux adultes d'une population d'environ 300 000 personnes.

Je ne suis pas certaine de savoir pourquoi je suis ici. Vous constaterez que mes commentaires sont liés à mon autre rôle dans la vie, c'est-à-dire, mon travail de clinicienne auprès de personnes aux prises avec des troubles alimentaires. Même si j'effectue mon travail de psychiatre auprès des adultes, je travaille dans un domaine où, selon moi, une intervention précoce est cruciale.

J'ignore pourquoi on m'a choisie, alors j'espère que ce que je dirai sera utile. Je crois pouvoir apporter une contribution en ce qui concerne mon intérêt pour l'organisation des services en général, ainsi que ma crainte qu'un plus grand nombre d'enfants en viennent à souffrir de troubles alimentaires dans notre pays.

La Dre Ellen Lipman, pédopsychiatre; professeure agrégée, Division de la pédopsychiatrie, Département de psychiatrie et de neurosciences du comportement, Université McMaster; membre principal du Centre Offord pour l'étude de l'enfance : Honorables sénateurs, outre mes fonctions à McMaster, je suis membre du Centre Offord pour l'étude de l'enfance; c'est un centre de recherche qui se penche sur les enjeux liés à la santé mentale et au développement des enfants.

Je passe une partie de mon temps à mener des activités cliniques, à titre de pédopsychiatre, alors je vois des enfants et des familles. L'autre partie de mon temps est consacrée à la recherche. Une part importante de la recherche que j'ai effectuée consiste à examiner des interventions au sein de la collectivité, dans le vrai monde. J'espère que mon expérience clinique et mon travail de recherche enrichiront certaines des idées pour le plan d'action aujourd'hui.

Le sénateur Cochrane : Bonjour. Je suis sénateur depuis 18 ans. Je dois vous dire que j'ai été affectée à notre Comité l'an dernier, par mon whip. De plus, j'ai été enseignante. J'ai hâte d'entendre ce que vous avez à dire, car je vois que la majorité d'entre vous ont travaillé auprès d'enfants.

La Dre Cheryl Van Daalen, École de sciences infirmières, Université York : Bonjour, je crois que je suis ici en raison de ma beauté stupéfiante. C'est une blague.

Je suis heureuse d'être ici. Je suis infirmière pédiatrique auprès d'enfants et de jeunes, et j'enseigne à l'école de nursing de l'Université York, et je suis fière de dire qu'il s'agit du seul programme de sciences infirmières qui enseigne les droits des enfants.

J'ai été nommée conseillère spéciale auprès de la Coalition canadienne pour les droits des enfants, et je suis encore sous le choc d'un tel honneur.

Ma recherche sur la santé mentale chez les jeunes montre clairement que la violation des droits crée des problèmes de santé mentale pour les enfants. Richard Mitchell et moi-même espérons lancer une étude pilote qui examinerait le lien entre les droits des enfants et le système de soins de santé du Canada.

Je suis ici pour parler de politiques et de pratiques qui s'inscrivent non pas dans un cadre « pour les enfants et les jeunes », mais bien dans un cadre « avec les enfants et les jeunes » et, je l'espère, un cadre « par les enfants et les jeunes », par l'entremise d'organismes comme YouthNet.

J'espère que YouthNet et d'autres organismes de jeunes seront invités à ce genre de rencontres à l'avenir.

La Dre Nasreen Roberts, directrice, Service d'urgence pour adolescents, Division de la pédopsychiatrie, Université Queen's : Honorables sénateurs, je travaille à titre de psychiatre, surtout auprès des adolescents, et je m'intéresse tout particulièrement au suicide et à la prévention du suicide chez les adolescents.

Le Dr Simon Davidson, chef de la psychiatrie, Centre hospitalier pour enfants de l'Est de l'Ontario : Honorables sénateurs, je suis psychiatre, et je travaille auprès des enfants et des adolescents. Je suis président de la Division de la psychiatrie de l'enfance et de l'adolescence à l'Université d'Ottawa. J'assure la codirection du centre d'excellence avec Ian Manion. Je suis également chef de la psychiatrie au Centre hospitalier pour enfants. Je suis cofondateur de YouthNet.

J'aime me voir comme un allié solide au chapitre de la défense des droits des enfants et des jeunes et, plus particulièrement, des enfants et des jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Je m'intéresse beaucoup aux systèmes, et j'adorerais, à un moment donné, avant mon dernier souffle, pouvoir dire fièrement que nous sommes dotés d'un système de soins de santé mentale pour les enfants et les jeunes.

M. Howard Chodos, Bibliothèque du Parlement : Bonjour, je suis l'attaché de recherche principal de ce Comité sénatorial.

Le président : Je tiens à remercier tout le monde d'être venu.

Nous commencerons avec Mme Hills. Je vous invite à nous présenter votre point de vue en ce qui concerne les choses précises que nous devrions faire.

Mme Hills : Je vous remercie de cette occasion qui m'est offerte de vous parler aujourd'hui. C'est une expérience d'apprentissage merveilleuse, car je pourrai prendre connaissance de ce qui se passe partout au pays. La Fondation canadienne de la recherche en psychiatrie a été fondée il y a environ 25 ans, en vue de recueillir des fonds pour des recherches touchant surtout la maladie mentale. Nous avons ajouté la toxicomanie depuis. Notre organisme est modeste, mais il demeure le seul organisme de bienfaisance au Canada qui continue de recueillir des fonds pour la recherche psychiatrique liée aux maladies et à la toxicomanie.

Il y a plusieurs années, le conseil d'administration s'est aperçu qu'il y avait très peu de demandes relatives à la santé mentale chez les enfants, et est allé à l'une de nos sociétés partenaires, qui parraine un prix qu'on appelle le « CIBC Worldmarket Children's Miracle Award ». Le Dr Lipman est membre de notre conseil consultatif professionnel.

Même si notre organisme de bienfaisance est modeste, nous disposons d'un groupe des plus remarquables, de 100 bénévoles dynamiques qui recueillent des fonds. Nous sommes également dotés d'un conseil consultatif professionnel, constitué de chercheurs chevronnés de partout au Canada, qui a pour mandat d'examiner et de placer chaque année les demandes que nous recevons.

Au cours de la première année, quand nous avons annoncé les bourses de recherche, nous étions très étonnés de constater que peu de gens avaient présenté une demande de bourse de recherche en pédopsychiatrie. Je vois des gens hocher la tête autour de la table.

Au Canada, le milieu est très petit. Le Dr Richard Swinson, de l'Univesité McMaster, m'a récemment dit que la première étude sur le trouble obsessivo-compulsif chez les enfants a été diffusée à l'automne. Ce trouble est maintenant diagnostiqué chez des enfants de trois ans. Il n'y avait pas de recherches sur ce sujet avant l'automne dernier. Très peu de gens présentent une demande de bourses de recherche en pédopsychiatrie. J'étais heureuse de voir que le CHEO, à titre de centre d'excellence, en offrait une.

Notre conseil d'administration a découvert qu'une partie de la recherche que nous financions dans le domaine de la transmission du savoir demeurait sur les tablettes, et que personne ne la consultait. Parallèlement, les choses changeaient dans notre système scolaire. L'une des bourses était destinée à la recherche sur les enfants à l'école secondaire. Cette recherche montrait qu'environ 20 p. 100 des étudiants du secondaire couraient le risque de souffrir d'une maladie mentale grave. Et je ne parle pas de simples problèmes comportementaux ou de personnes qui ne s'entendent pas bien avec leur famille, je parle de maladie mentale grave.

Les enseignants éprouvaient de la difficulté à composer avec l'évolution rapide des choses. Ils nous ont demandé si nous pourrions élaborer un guide pour les aider jusqu'à ce qu'ils trouvent de l'aide pour les enfants avec lesquels ils travaillent. Les enfants de leurs classes étaient inscrits sur des listes d'attente de jusqu'à un an et demi pour des renvois à des services.

La fondation a constitué un groupe d'experts du domaine de l'éducation. Nous avions des directeurs, des enseignants, des éducateurs spécialisés et des jeunes, et ces personnes ont participé à l'élaboration d'un guide intitulé « Quand ça ne va pas ». J'espère avoir apporté suffisamment d'exemplaires pour tout le monde. Le Dr Stan Kutcher, qu'un grand nombre d'entre vous connaissent, était le principal psychiatre responsable de nous aider à assembler le guide. De nombreux autres, y compris des gens du CHEO, ont pris part à l'examen de certaines parties du guide.

Nous avons effectué de nombreux essais auprès de groupes cibles, non seulement dans les établissements de la commission scolaire du district de Toronto — où l'initiative avait été lancée —, mais partout au pays. Nous voulons découvrir de quelles formes d'aide les enseignants ont besoin. Nous savons que les enseignants ne peuvent établir un diagnostic, et nous ne voulons pas qu'ils le fassent, mais nous voulons les aider à acquérir certaines compétences au chapitre du repérage précoce et à comprendre certains des troubles de l'humeur et du comportement qui pourraient être causés par des troubles mentaux. Cela leur procure une base leur permettant d'aller de l'avant.

La recherche montre que l'enseignant est la première personne à qui les jeunes s'adressent en vue d'obtenir de l'aide. Les amis arrivent en deuxième place, et les parents, en troisième. Le médecin de famille est au bas de la liste, ce qui est normal quand on songe au peu de temps que les médecins de famille peuvent consacrer à chaque patient, à plus forte raison à une personne qui est peut-être aux prises avec un trouble mental et qui est un peu réticent à en parler.

Encore une fois, l'enseignant est une personne importante dans la vie d'un enfant, et c'est pour ça que les enfants les consultent souvent en premier, et les enseignants sont susceptibles de voir quelque chose en premier. Nous voulions créer un outil facile à consulter pour aider les enseignants en attendant. Le guide est truffé d'informations sur des troubles particuliers, comme le syndrome de Tourette et les troubles alimentaires.

Nous avons constaté que les enseignants ont affaire à des parents qui ne comprennent pas la situation ou qui ont peur de poser des questions, et les parents qui nous ont demandé si nous pourrions élaborer un autre outil pour eux. Par conséquent, nous avons enrichi la première version, et ajouté un grand nombre de ressources et de troubles.

Quand la fondation élabore ces outils, nous veillons à ce que l'information soit fondée sur des assises scientifiques solides. Chaque fois qu'on l'a réimprimée — ce qui est arrivé à trois reprises en deux ans —, nous mettons à jour l'information scientifique. Lorsque de nouvelles recherches sont diffusées, nous tentons de les ajouter aux ressources mentionnées dans le guide. De là, nous avons commencé à tenir des séances de formation. La première a eu lieu il y a quatre ans. Trois cents enseignants ont assisté à chaque séance de formation. Nous étions étonnés de voir à quel point le besoin était marqué, et les enseignants veulent prêter main-forte.

Dans un effort pour lutter contre la stigmatisation, laquelle est très marquée et est une cause sous-jacente du fait qu'il ne se passe pas grand-chose dans le domaine de la santé mentale, nous avons lancé une tournée pancanadienne misant sur les médias, le secteur privé et d'autres dirigeants communautaires. Nous sommes allés à Vancouver, à Calgary et à Winnipeg au cours de la première année de la tournée. Dans chaque ville, les commissions scolaires ont inscrit du personnel aux ateliers. C'était merveilleux de voir des médecins locaux donner de leur temps pour s'adresser aux groupes. Ils étaient heureux de pouvoir parler à 300 personnes de ces troubles, toujours dans un but de sensibilisation.

Nous espérons que notre tournée de la côte est aura lieu à l'automne. Malheureusement, nous ne pouvons pas faire davantage de tournées de ce genre, car nous devons recueillir de l'argent, promouvoir le programme et nouer des relations dans chaque ville où nous allons.

Je constate que, dans le secteur de la santé mentale, les gens semblent disposés à travailler ensemble. C'est merveilleux de trouver, dans une ville où nous n'avons pas de section locale, un maître d'œuvre qui se chargera de transmettre les courriels, de distribuer les dépliants et de mobiliser la collectivité si nous arrivons à fournir des conférenciers, car, bien souvent, ces collectivités n'ont pas accès à des conférenciers du calibre de ceux qui sont présents aujourd'hui.

Le sénateur Keon : Monsieur le président, je crois qu'il serait intéressant de prévoir un peu de temps après chaque témoignage. Par exemple, ce témoin a soulevé une question qui devrait être prise en compte tout au long de la journée, par tout le monde ici. Elle a tout à fait raison d'insister sur l'importance énorme du système d'éducation pour les enfants. Toutefois, comme nous l'avons entendu à l'occasion du sommet international tenu à Calgary cette semaine, on commence à s'attacher davantage aux trois premières années de la vie, en ce qui concerne le développement mental de l'enfant.

Si nous envisageons dans son ensemble l'enjeu de la santé mentale, nous nous penchons sur la situation d'environ 30 p. 100 des personnes atteintes d'un handicap mental. Nous devons tenter d'inclure les 70 p. 100 qui restent au moyen des recommandations qui seront formulées au cours des six ou huit prochains mois.

J'ai l'impression, à la lumière de ce que j'ai entendu jusqu'à maintenant, que nous aurons besoin de ressources communautaires en matière de santé mentale, c'est-à-dire des ressources communautaires qui fourniront des soins et des services de santé primaire — comme l'alimentation, le logement et ainsi de suite — jumelés avec des services de santé publique, d'urgence, de soins à domicile, et un certain nombre d'autres services.

C'est merveilleux d'avoir toutes ces ressources en pédiatrie ou en pédopsychiatrie avec nous aujourd'hui, car nous devons déterminer comment nous allons intervenir auprès de ces enfants entre leur naissance et leur troisième anniversaire. Va-t-on faire cela par l'entremise des pédiatres? Est-ce que cela va se faire dans les établissements qui dispensent des soins primaires, par un psychologue, un travailleur social, une infirmière ou un médecin de premier recours? Je crois que nous évoluerons vers la création d'équipes de soins de santé primaires dans ces établissements communautaires.

J'aimerais seulement vous laisser avec cette pensée pendant que nous effectuons notre tour de table.

Le président : Merci. Si vous avez des pensées comme cela à partager avec nous lorsqu'un exposé prend fin, ne vous gênez pas pour vous exprimer, et d'autres personnes pourront ensuite commenter.

Le sénateur Keon a raison. À l'événement auquel nous venons tout juste d'assister à Calgary, on mettait surtout l'accent sur ce que j'appellerais les années préscolaires, c'est-à-dire de la naissance jusqu'à l'âge de trois ans, car de nombreux problèmes naissent bien avant que les enfants aillent à l'école.

M. Cox : Je m'appelle Andy Cox, et je suis intervenant en santé mentale au Centre de santé IWK à Halifax. Il y a trois éléments à cela, et c'est à la lumière de ces éléments que je formulerai des suggestions.

Premièrement, je fais de la sensibilisation et je travaille sur les droits des jeunes. Deuxièmement, j'aide les jeunes à tirer avantage des ressources communautaires; et le troisième élément mènera à quelque chose qui, selon moi, doit s'étendre partout au pays. Je suis moi-même bénéficiaire de soins de santé mentale, je suis atteint d'un trouble bipolaire, et quand je rencontre des jeunes et que je leur divulgue cela, quand il est opportun de le faire, cela crée une relation particulière, où ils se sentent soulagés. Ils se disent, wow, quelqu'un a traversé quelque chose de comparable, et il est possible que j'aille mieux et que je puisse vivre une vie à peu près décente. Les familles trouvent de l'espoir aussi.

Pour moi, les mécanismes de soutien par les pairs sont l'élément le plus important. Je sais que quand je n'allais pas bien, à 17 ou à 18 ans, j'ai bénéficié de très bons traitements. Toutefois, je voulais parler de ma maladie avec d'autres jeunes, d'environ le même âge.

Nous pouvons utiliser les programmes comme YouthNet, et je suis certain que vous en entendrez beaucoup parler aujourd'hui. Il y a aussi la Halifax Lang House, un centre de soutien. Il ne s'agit pas d'un centre de loisirs. Il s'agit plutôt d'un endroit accueillant où les jeunes peuvent obtenir du soutien par les pairs, de l'aide avec les travaux scolaires, pour le retour à l'école, pour l'université, pour trouver un logement — et c'est un gros problème —, et de l'aide au chapitre de la justice, de l'emploi et de la socialisation et de la resocialisation. Nous avons besoin d'autres organismes de ce genre, et le financement doit venir du gouvernement.

Ensuite, il y a la prévention, la promotion et la lutte contre les préjugés. Tout d'abord, nous devons informer rapidement les étudiants et les enseignants. L'une des façons de procéder, dont j'ai fait l'expérience à titre de bénéficiaire, consiste à sensibiliser les jeunes à ma situation, mais nous devons également intégrer cela aux programmes d'enseignement, et les cliniciens doivent être en mesure d'informer les gens. L'autre volet de la prévention, de la promotion et de la lutte contre les préjugés consiste à éduquer les enseignants, les responsables des résidences, les agents de la paix, le personnel ambulancier, les médecins, le personnel des salles d'urgence, les personnes qui travaillent auprès des sans-abri, les immigrants, le personnel médical qui travaille avec les minorités visibles et d'autre personnel médical, et les gens qui travaillent dans d'autres domaines des soins de santé pour les enfants et les jeunes.

Ensuite, nous devons dispenser des soins qui sont vraiment axés sur la famille. Les jeunes et la famille doivent être des membres à part entière de l'équipe, au même niveau que les cliniciens, et peut-être avoir l'occasion de prendre part aux rondes, ici et là.

Mon prochain point concerne ce que j'appelle les « centres de villégiature ». Quand j'étais plus jeune, je rêvais d'aller non pas à l'hôpital, mais bien dans un établissement qui ressemble à nos centres de détention pour les jeunes. Nous avions certaines cabanes au centre, et chacune était destinée à un besoin différent. Il y avait des gens atteints de troubles similaires dans chacune, ce qui leur permettait de se réunir en vue de trouver des activités holistiques, comme les loisirs.

Les listes d'attente seront un autre problème. Je ne suis pas certain de l'ampleur du problème à l'échelle du pays, mais ma principale solution, c'est qu'il faut créer des groupes supplémentaires. Nous avons des jeunes qui pâtissent sur une liste d'attente, quand nous pourrions les regrouper et commencer à parler plus rapidement de maladie mentale, et, par conséquent, déterminer vers quels services ces jeunes devraient être dirigés.

Je crois qu'il faut créer un système de soins d'urgence propre à la santé mentale. Certains avancent que cela accroît la stigmatisation. Je ne suis pas de cet avis, mais il y a effectivement une stigmatisation. C'est juste que le délai d'attente est inacceptable. Je crois également à la création d'unités mobiles d'intervention d'urgence. Il y a la transition du système de soins de santé mentale pour les jeunes au système pour adultes. J'étais très jeune quand je suis passé dans le système pour adultes, et je me suis senti très seul — davantage de programmes, de soins holistiques de jour, d'installations résidentielles.

Il y a aussi les partenariats interministériels. Il faut que les ministères de l'Éducation, de la Santé et de la Justice établissent des partenariats. Les services communautaires doivent être plus efficients. Grâce aux partenariats, ils seront plus efficients, plus stables financièrement, et tout le monde sera sensibilisé aux enjeux touchant la santé mentale.

Nous devons également nous brancher sur l'éducation précoce. Nous enseignons la sexualité à nos enfants à un jeune âge, mais nous n'enseignons pas la santé mentale assez tôt. Nous avons beaucoup de jeunes sans-abri qui n'ont tout simplement pas les moyens d'acheter des médicaments. Ils sortent de l'hôpital, et manquent de médicaments. Nous avons besoin d'un accès plus facile aux médicaments. J'espère, puisqu'il s'agit d'un sénat fédéral, que nous arriverons à communiquer avec les ministères provinciaux compétents et à les aider avec les enjeux dont je parle.

À titre de bénéficiaire atteint de trouble bipolaire et d'intervenant professionnel en santé mentale — et de grand amateur de baseball —, je considère ceci comme la Série mondiale de la santé mentale, notre chance de briller brièvement, tout comme les Red Sox. Je suis plutôt fier de la Nouvelle-Écosse. Nous élaborons actuellement des normes en matière de santé mentale, et une grande part de cet effort touche la santé mentale des enfants et des adolescents. J'ai de l'espoir, surtout à l'égard d'événements comme la rencontre d'aujourd'hui.

Le président : Merci, monsieur Cox. Je vais maintenant vous présenter deux de mes collègues, qui viennent tout juste de se joindre à nous. Le sénateur Landon Pearson, que certains d'entre vous connaissent déjà. Elle s'intéresse aux enjeux touchant les enfants depuis longtemps. Le sénateur Trenholme Counsell a déjà exercé les fonctions de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, mais elle a également été médecin de famille au Nouveau-Brunwick pendant de nombreuses années, et elle connaît bien ces enjeux.

J'invite les participants à formuler des commentaires à mesure que la journée avance. Quand nous avons déposé nos rapports antérieurs, en novembre dernier, nous avions versé sur notre site Web un bref questionnaire, sept questions visant à prendre le pouls de bénéficiaires et des membres de leur famille, pensant que 75 ou 100 personnes allaient y répondre. Nous avons retiré le questionnaire du site Web quand le compte des réponses a atteint 550, car nous n'étions tout simplement pas capables de traiter plus de données.

Toutefois, l'une des choses qui a frappé tous les membres du comité, c'est le nombre de bénéficiaires qui ont dit ce que M. Cox a dit, que la chose qui avait le plus d'importance pour eux était le soutien de leurs pairs. J'ai signalé qu'à notre connaissance, aucun ordre de gouvernement au pays ne prévoit du financement pour les groupes d'entraide. Nous croyons que c'est le cas. Si quelqu'un a un contre-exemple, nous aimerions bien en prendre connaissance.

Deuxièmement, quelles recommandations spécifiques pouvons-nous formuler en vue de faire démarrer un tel mouvement d'entraide? M. Cox a soulevé la question que nous avons vue dans les réponses au questionnaire. Il y a manifestement une lacune à cet égard. Nous sommes ouverts aux suggestions.

M. Manion : Je crois que nous allons entendre beaucoup de bonnes idées aujourd'hui, de la part de personnes qui ont fait quelque chose de valable. Le problème, c'est que ces idées ne se concrétisent pas nécessairement toujours. C'est peut-être la première fois que nous entendons parler d'un bon nombre de ces idées, et cela témoigne peut-être d'un manque de cohésion dans le système, de l'absence d'un plan d'action et de la capacité de miser sur ce qui a déjà été fait, au lieu de réinventer la roue.

L'un des premiers points que je souhaite soulever concerne la fragmentation. On peut débattre de l'existence ou de l'inexistence d'un système de soins de santé mentale pour les enfants et les jeunes au Canada ou à plus forte raison dans chacune des provinces, qui guiderait certaines de nos activités et prendrait des décisions en ce qui concerne l'affectation des fonds. On voit beaucoup de cloisonnement. Il existe actuellement, comme dirait un de mes collègues, une mentalité de garnison. Quand il n'y a pas beaucoup d'argent, les gens ont tendance à établir des chasses gardées, et cela exclut toute conversation, tout partenariat. Il y a des exceptions remarquables, des cas où nombre d'entre nous avons été en mesure de réussir des partenariats novateurs, mais il arrive parfois que la mentalité de garnison empêche qu'on répète un partenariat fantastique dans d'autres collectivités, avec d'autres partenaires.

Parmi les endroits où il faut travailler dur pour surmonter le cloisonnement, mentionnons les divers secteurs du milieu universitaire. M. Cox parlait du besoin de se pencher sur la santé mentale des enfants et des jeunes dans les organismes de protection de la jeunesse, dans l'appareil judiciaire, et surtout dans le système d'éducation, et dans le système de soins de santé, où c'est une grande préoccupation.

Vous avez parlé d'entraide, ce qui est merveilleux, mais, encore là, il y a une division entre l'entraide et les soins spécialisés. Il ne devrait pas y avoir une telle division. Le modèle de YouthNet a été mentionné à plusieurs reprises. L'une des forces de ce modèle tient au fait qu'il s'agit d'un programme pour les jeunes, par les jeunes, jouissant du soutien d'un réseau de professionnels, offrant la possibilité de transcender ces limites, ces obstacles. On privilégie l'échange, une approche où l'on prend et l'on rend, au lieu d'avoir quelqu'un qui prend le contrôle et qui bloque toute communication dans l'organisation.

Ce qui m'amène à mon deuxième point, c'est-à-dire le besoin de maintenir un continuum de soins pendant que nous tentons de bâtir ce système. Quand on pense à un système de soins de santé mentale pour les enfants et les jeunes, il faut tenir compte de tous les aspects, de la promotion de la santé mentale jusqu'aux soins aux malades chroniques, en passant par la prévention, le repérage précoce, le traitement et la réadaptation. À vrai dire, je remettrai en question l'affirmation du sénateur Keon, si vous me le permettez, selon laquelle nous devons nous attacher à une fenêtre de prévention spécifique, de la naissance à trois ans, ou de la naissance à six ans. Peut-être nous faut-il reconnaître qu'il y a des périodes cruciales tout au long du développement? Une bonne part du développement cérébral a lieu au début de l'adolescence. Nous savons que certaines parties du cerveau se réorganisent, nous savons que les changements de comportement sont fonction de cela, et que les défis sont différents.

Si on s'attache uniquement à un aspect, on crée encore un cloisonnement. Vous avancez que c'est là que l'argent devrait être affecté, et cela signifie qu'une génération d'enfants plus âgés et de jeunes en ressortent perdants, ou qu'une génération d'adolescents en ressortent perdants. Bien sûr, si on perd une génération d'adolescents, on perd également la prochaine génération de parents, ceux qui seront responsables, plus tard, d'enfants âgés de moins de trois ans. Par conséquent, il faut envisager de façon globale le continuum de soins, et l'appliquer à toutes les étapes du développement. Ce serait un facteur clé.

Et voici un autre point, dont M. Cox a parlé : où sont les occasions de formation polyvalente et de formation continue pour toutes ces personnes qui auraient peut-être besoin d'informations au sujet de la santé mentale chez les enfants et les jeunes? Ce ne sont pas seulement les professionnels de la santé mentale qui affichent de graves lacunes à l'échelle nationale. Nous ne formons pas suffisamment de gens dans les nombreuses disciplines pour satisfaire à la demande. Nous n'avons aucune idée de l'ampleur de la demande. De combien de psychiatres avons-nous besoin? De combien de travailleurs sociaux avons-nous besoin? De combien de psychologues avons-nous besoin? De combien de travailleurs bénéficiant d'une formation spécialisée en santé mentale pour les enfants et les jeunes avons-nous besoin? Nous n'avons aucune idée, et la façon dont nous organisons nos secteurs de formation ne reflète pas les besoins futurs.

Nous pouvons tirer des leçons de l'expérience d'autres pays qui ont été confrontés à ce dilemme, et qui ont constaté qu'ils avaient sous-évalué leurs besoins. Il est question également de formation, pas seulement de formation continue. Il ne s'agit pas seulement de former les enseignants pour qu'ils comprennent les enjeux en matière de santé mentale des enfants et des jeunes. C'est essentiel. Il est également question de former les personnes qui deviendront enseignants à un stade fondamental de leur éducation. Comment intègrent-ils cela dans leur programme d'études? Comment peut-on intégrer cela au programme d'enseignement des médecins de famille et des pédiatres? Comment peut-on intégrer cela à la formation des agents de police, des avocats, des juges? Ils auront tous un impact sur ce qui arrivera au chapitre de la santé mentale des enfants et des jeunes.

La prochaine question dont j'aimerais parler, dont M. Finlay a déjà fait mention, concerne la recherche et l'intégration des résultats de la recherche à la pratique. On a mentionné qu'il y a des idées fantastiques, mais que la capacité est insuffisante lorsqu'il est question de recherches touchant les enfants et les jeunes. Cela tient en partie à l'absence d'un lieu centralisé où les gens estiment qu'ils devraient présenter leurs propositions. Il y a des endroits qui financent la recherche en santé mentale, et les enfants et les jeunes font partie de ceux-là. Il y a des endroits qui financent la recherche en santé, et la santé mentale fait partie de cela, et la santé mentale des enfants et des jeunes, cela représente une partie encore plus modeste.

Savons-nous où nous voulons encourager nos chercheurs à soumettre leur recherche? Avons-nous suffisamment de chercheurs? Est-ce que nous incitons des chercheurs à se lancer dans ce domaine de recherche très important? Comment pouvons-nous leur inculquer cette passion qui les poussera à se poser les questions importantes?

La plupart des questions importantes viennent des gens qui sont en première ligne : les cliniciens, les enseignants, les parents. En quoi sont-ils en mesure de contribuer à l'orientation des questions de recherche et à l'orientation des fonds pour répondre à ces questions? À quel moment avons-nous l'occasion, sous le poids de la demande de service, de permettre à ceux qui ont des questions de recherche de prendre le temps d'effectuer des recherches, d'établir des partenariats avec d'autres chercheurs, et d'accroître la capacité d'exploitation de la recherche plus tard? Personne ne veut que la recherche finisse sur une tablette. Parfois, pour accroître la capacité d'exploitation de la recherche, il faut trouver des moyens novateurs ou de nouveaux modèles de recherche. Nos systèmes et nos barèmes d'évaluation en milieu universitaire ne reconnaissent pas toujours ces innovations, alors devons-nous changer la façon dont nous évaluons le succès dans le secteur universitaire, de façon à reconnaître le besoin d'innovation?

Le dernier point que je veux soulever concerne la stigmatisation. La stigmatisation mine l'acceptation de l'information, elle mine la capacité d'une personne de chercher de l'aide, et elle mine notre capacité de convaincre les gens qu'il faut affecter plus d'argent à cette question. Plus les gens entendront parler de santé mentale, qu'il s'agisse de santé mentale chez les enfants et les jeunes ou de santé mentale chez les adultes, plus nous arriverons à changer la perception des gens et à les convaincre qu'on peut bien vivre et bien fonctionner malgré une maladie mentale ou des problèmes importants au chapitre de la santé mentale.

Nous avons adopté des stratégies intéressantes au fil des ans, qu'il s'agisse de santé et de mieux-être physique ou de la prévention du tabagisme. Avons-nous établi une stratégie nationale sur la déstigmatisation de la maladie mentale? Dans l'affirmative, qui doit la diriger, de qui devons-nous obtenir des directives? J'avancerais que des gens comme M. Cox, des jeunes qui ont dû composer avec certains de ces problèmes, des gens qui ont des enfants aux prises avec ces problèmes, des gens du secteur privé qui sont disposés à prendre position et à promouvoir cette cause, tous ces gens sont autant d'intervenants qui influent de façon considérable sur notre façon de percevoir la santé et la maladie mentale à l'échelle nationale.

Le sénateur LeBreton : En ce qui concerne la stigmatisation, est-ce qu'on se penche non seulement sur la stigmatisation que ressent la personne, mais aussi sur le déni des membres de la famille? C'est un problème énorme. Cela semble diviser les familles. J'ai également été intéressée par les commentaires de M. Cox selon lesquels il faut faire participer les jeunes et leur famille.

Lorsque nous nous penchons sur la question de la stigmatisation, nous avons tendance à nous attacher au principal intéressé, au lieu d'envisager la situation dans son ensemble, y compris le déni dans la famille élargie.

M. Manion : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous avons vu des situations où les jeunes sont très informés. Ils s'aperçoivent qu'ils ont un problème, ou ils ont été repérés dans le cadre d'un programme de promotion de la santé mentale, et ils veulent demander de l'aide, mais les parents refusent de les laisser faire cela, en raison des répercussions possibles. Ils craignent que la famille ne soit étiquetée, en raison du fait qu'un membre souffre d'une maladie mentale. Cela donne lieu à des discussions plutôt passionnées.

Par conséquent, lorsque nous parlons de lutter contre la stigmatisation, les stratégies varient d'un groupe à l'autre. Il y a également un volet culturel énorme. La perception de la santé mentale et de la maladie mentale varie énormément d'une culture à l'autre. Certaines cultures sont plutôt ouvertes, et d'autres sont incroyablement fermées. Pour de nouveaux Canadiens qui luttent pour s'intégrer à une nouvelle société, un problème de santé mentale susceptible de les faire passer pour un fardeau pour cette société peut les pousser à fermer la porte et à ne pas permettre aux membres de la famille de demander de l'aide. Même si cette aide pourrait améliorer leur vie de façon importante et faciliter leur intégration dans une nouvelle société.

Le sénateur Keon : Le Dr Manion a soulevé une question que l'on mentionne encore et encore, c'est-à-dire l'énorme problème de fragmentation et l'absence de cohésion. Il y a de très bons services isolés, mais il n'y a pas de plan global. Nous sommes le seul pays du G8 qui n'est pas doté d'une stratégie relative à la santé mentale. Nous sommes encore loin de l'adoption d'une telle stratégie au Canada, mais nous espérons que notre rapport précipitera les choses.

Quelle devrait-être la place de la stratégie pour les enfants, dans le cadre d'une stratégie globale de la santé mentale pour le Canada? Devrait-il s'agir d'une stratégie distincte? Bien sûr, la question de la stigmatisation est soulevée constamment. Est-ce qu'on devrait intégrer cela à la stratégie d'ensemble? Devrait-on établir un programme destiné à lutter contre la stigmatisation?

Mme Finlay : À titre de défenseurs des enfants de partout au pays, nous nous intéressons à tous les enfants et à tous les services. En Ontario, nous recevons 4 000 nouveaux dossiers chaque année, et 40 p. 100 d'entre eux concernent la santé mentale d'un enfant. Le système a laissé tomber les enfants. Notre travail de défenseur consiste surtout à guider ces enfants dans un système qui est complexe et fragmenté.

Comme je l'ai dit plus tôt, je fais également partie du groupe témoin du Centre d'excellence pour la santé mentale des enfants et des jeunes. Le groupe témoin est constitué de parents ou de jeunes qui ont dû composer avec le système, et qui ont décidé d'aller plus loin. Ce sont les parents dont les enfants ont éprouvé de la difficulté à naviguer dans le système. Leurs enfants sont maintenant des adultes, alors ils consacrent leur temps, leur passion et leur sagesse à la mise au point de services communautaires pour d'autres familles susceptibles d'être confrontées aux mêmes genres de situations.

Les genres de recommandations dont je parle aujourd'hui tiennent compte des deux contextes : le contexte national des défenseurs de l'enfance, et le contexte de ce groupe témoin.

Il doit y avoir une évolution profonde tant de la façon dont nous envisageons la santé mentale et configurons les services que de la façon dont nous faisons participer les enfants, les jeunes et les familles à la prestation de ces services. À l'heure actuelle, la santé mentale de l'enfant s'inscrit dans un continuum de soins, de la prévention jusqu'aux soins tertiaires, du moins effractif au plus effractif. Les ministères adoptent leurs activités à ce continuum. C'est un modèle de système axé sur la définition du besoin et la prestation de services qui sert essentiellement ses propres intérêts. Il est configuré de façon à servir les organismes et les institutions, et à s'autoregénérer.

Nous avons besoins d'un modèle qui favorise le regroupement des services. Si nous commençons à percevoir les parents et les enfants comme des collaborateurs au chapitre de l'évaluation, de la planification, de la prestation et de l'évaluation des services en santé mentale, cela va forcément mener à une intervention familiale, où l'enfant et la famille sont au centre. Tant que notre système sera axé sur le fournisseur, les familles seront toujours marginalisées. Nous devons adopter un modèle axé sur la famille qui permet à l'enfant et à la famille de bien vivre au sein de leur collectivité. C'est un modèle qui miserait sur les points forts, ce qui signifie que nous devrons revoir notre façon d'envisager la santé mentale. La redéfinition de notre conception de la santé mentale est un élément primordial de cela. Cette redéfinition doit envisager l'ensemble de la vie de l'enfant, au lieu d'en examiner les diverses étapes. Chaque partie de la vie d'un enfant représente sa santé mentale.

Nous nous penchons sur des approches axées sur la famille, comme les services multisystèmes ou les services complémentaires, et, en toute franchise, les résultats des recherches évaluatives ne sont pas très prometteurs. Cela ne va pas assez loin. Nous avons besoin de modèles axés sur la famille, où la famille peut prendre en charge la planification du traitement, en assumer la responsabilité et la prendre en charge. Il faut favoriser la transparence de l'échange d'informations et de connaissances entre les professionnels et les familles afin de faire correspondre les points forts et les besoins de la famille avec le niveau et la qualité des soins qui lui sont fournis. Nous devons adapter les services de santé mentale aux besoins du bénéficiaire.

J'ai distribué un diagramme qui montre essentiellement le système auquel sont confrontés les familles et les enfants souhaitant accéder à des services. Le deuxième diagramme, où l'enfant est au centre et les services s'articulent autour de lui, est un modèle plus approprié.

Comme le disait le Dr Manion, les services que nous avons actuellement sont non intégrés, et, dans la plupart des cas, nous ne pouvons pénétrer dans ces systèmes en raison de restrictions économiques. Une large part de nos ressources est destinée seulement à naviguer dans les systèmes de service. Tous les organismes ontariens d'aide à l'enfance ont une section complète constituée de gens dont l'unique fonction est d'aider les enfants à naviguer dans le système. C'est une réalité qui devrait avoir une forte influence sur le système.

Même lorsque nous aidons des enfants à naviguer dans le système, le service qu'on finit par obtenir ne correspond pas toujours aux besoins de l'enfant. Le fournisseur de services est souvent l'entité qui cerne le besoin chez l'enfant, et il déploie tous les efforts possibles pour offrir un service approximatif dans ce continuum de soins particuliers, mais on se retrouve plus souvent à adapter l'enfant aux services qu'à offrir un service qui s'adapte à la jeune personne.

Dans notre comité consultatif interministériel de l'Ontario, nous avons des cliniciens de partout dans la province ainsi que quatre cadres supérieurs de quatre ministères différents, et nous tentons d'imposer la question de l'intégration. Les cas les plus difficiles à servir en Ontario témoignent devant notre Comité. Quand ils le font, nous leur demandons à quel endroit ils ont tenté d'obtenir des services avant de recourir à notre Comité. Nous constatons qu'ils ont consulté, au minimum, 20 fournisseurs de services de santé mentale, et on les a renvoyés. Les gens se présentent à un organisme, et l'organisme détermine s'il est approprié de servir ce client, au lieu d'accueillir l'enfant et de lui dispenser des soins.

Nous appliquons une approche axée sur les besoins en ce qui concerne les services de santé mentale offerts aux enfants, mais les parents adoptent une approche axée sur les intérêts fondamentaux, ce qui est plutôt différent. Nous devons passer à une approche fondée sur les intérêts fondamentaux afin que nous puissions cibler les périodes clés de la vie d'un enfant où une intervention s'impose, au lieu d'intervenir seulement quand la famille n'en peu plus et remet son enfant entre nos mains.

Deuxièmement, il faut que la santé mentale des enfants fasse l'objet d'un mandat législatif. La justice pour les jeunes, la protection de l'enfance et la santé de l'enfance font tous l'objet d'un mandat. Tant qu'il ne s'agit pas de services autorisés, en vertu d'un mandat prévu dans une loi, on permet aux fournisseurs de services, essentiellement, de déterminer le type de services qu'ils vont dispenser ou ne pas dispenser — comme dans l'exemple des familles qui magasinent les services d'un établissement à l'autre —, au lieu d'offrir des services qui s'adaptent aux enfants et qui répondent à leurs besoins.

Nous savons également que la santé mentale des enfants est au centre de tous les autres services. Elle est au centre de la justice pour les jeunes, de la protection de l'enfance, des services offerts aux élèves ayant des besoins particuliers, aux enfants à l'extérieur et à l'intérieur des réserves, et aux enfants de la rue. Nous devons la valoriser à un point tel que nous légiférons sur la question, et prévoyons un mandat pour en faire un service nécessaire.

Ce mandat doit prévoir que ces services miseront également sur des approches novatrices et non médicales. Nous honorons les liens de parenté à titre d'élément très précieux de la prestation de services aux familles. Comme l'a déclaré M. Cox, les réseaux de soutien naturels, comme le mentorat ou les groupes d'entraide, sont importants.

Enfin, j'aimerais parler des populations ayant des besoins spéciaux, et je commence par les enfants du système. Ce sont les enfants qui sont pris en charge par l'État, et une collectivité et la société sont les parents; et nous sommes des parents très médiocres. Au Canada, nous savons que plus de 100 000 enfants sont sous la charge de l'État. Ces enfants, dont la trajectoire entre l'aide sociale à l'enfance et l'appareil judiciaire des jeunes est tracée, ont bénéficié de services de santé mentale ponctuels pendant leur croissance; or, nous savons fort bien qu'il faut effectuer une intervention envahissante dès le début afin de les aider tout au long de leur vie.

Ce que je recommande à l'égard de ces enfants du système, c'est qu'on procède à une évaluation initiale complète, assortie d'une intervention concluante au moment de leur entrée dans le système, et qu'on leur offre une constellation de services.

Comme l'a déclaré M. Cox, les jeunes qui traversent une phase de transition sont une population particulière qui passe entre les mailles du filet, car ils font la transition des services à l'enfance aux services destinés aux adultes; et c'est là qu'il y a des lacunes. Les enfants qui font l'objet d'un diagnostic mixte passe entre les mailles du filet, car ils tombent entre les services aux personnes atteintes d'un handicap de développement et les services de santé mentale.

Les enfants et les jeunes Autochtones — et à cet égard, je m'en remets à mon collègue — affichent les besoins les plus criants, et ils se trouvent dans les régions les plus éloignées. Nous avons également des réserves dans les régions les plus éloignées du nord de l'Ontario. Quand nous nous rendons dans les écoles, nous constatons que plus du tiers des enfants dans chaque classe ont des besoins particuliers très marqués qui ne sont même pas évalués, ou à plus forte raison satisfaits. Si la situation actuelle des collectivités éloignées était visible à Hamilton, à Toronto, à Vancouver ou à Halifax, on ne le tolérerait pas.

Enfin, j'aimerais parler de mobilisation communautaire, du besoin d'aller de l'avant, à l'échelon communautaire, en vue de faire place à une réforme des systèmes et de lutter contre la stigmatisation de cet enjeu. L'initiative doit faire son chemin à partir de l'échelon communautaire. Elle doit être menée par les bénéficiaires, axée sur la collectivité et le rétablissement, et elle doit permettre aux jeunes de participer de façon constructive au dialogue.

À titre d'intervenant communautaire, l'école peut surveiller et renforcer les multiples facteurs déterminants de la santé mentale dans la collectivité. Nous devons créer des modèles de mobilisation communautaires qui peuvent être transférés d'une collectivité à une autre, et appliqués à une diversité d'enjeux.

Le président : Vous avez soulevé deux questions auxquelles nous pourrons revenir, l'une d'elles revient à la question que le sénateur LeBreton a posée au Dr Manion. Un modèle axé sur la famille fonctionne bien si la famille est prête à offrir du soutien et de la sympathie. Que faire, alors, quand la famille n'est pas disposée à faire cela?

Quand nous arriverons à M. Mitchell et à la Dre Van Daalen — et c'est juste une impression de ma part — mais il faut déterminer à quel point les lois régissant la protection de la vie privée créent un problème pour ce qui est d'intégrer la famille à la solution. Dans quelle mesure les lois relatives à la protection de la vie privée limitent-elles la capacité du fournisseur de services de faire appel à la famille? Est-ce que cela signifie qu'il faudra aborder certains changements à l'égard de cette catégorie unique, cette catégorie particulière de personnes? Nous reviendrons à ces questions.

Mme Forge : Je tiens à dire que je suis heureuse d'être ici à titre de non-expert. Je suis éducatrice, et je ne suis pas une experte de la santé mentale. Toutefois, je crois que cela s'inscrit dans un partenariat que je vais vous décrire aujourd'hui. Je suis devenu une experte des besoins des enfants en matière de santé mentale et de la façon dont les commissions scolaires et les fournisseurs de services peuvent travailler ensemble en vue de dispenser un service communautaire axé sur l'enfant. Madame Finlay, je vous remercie de vos commentaires. J'aborderai certains enjeux que vous avez soulevés.

Je suis surintendante responsable des services d'éducation spécialisés, de la prématernelle jusqu'à la douzième année, dans une région rurale légèrement plus étendue que l'Île-du-Prince-Édouard. Nous avons 43 écoles primaires dont le nombre d'élèves varie de 60 à 750, et 11 écoles secondaires comptant de 120 à 1 200 étudiants. Nous disposons d'un organisme de santé mentale pour enfants, ce qui nous a permis de faire des choses qui n'auraient peut-être pas pu se faire autrement, ainsi que deux sociétés d'aide à l'enfance. Le centre de traitement spécialisé le plus près est à trois heures, en auto, lorsqu'il ne neige pas.

Le seul réseau de transport en commun existant sert une région urbaine, ce qui correspond à environ 10 p. 100 de notre population. Le seul autre système de transport dans l'ensemble du territoire relève des deux commissions scolaires. Le transport est un enjeu important pour nous, dans les régions rurales. Nous ne pouvons demander aux familles de venir à nous pour obtenir des services. Nous devons amener le service aux familles, et nous le faisons par l'entremise des écoles.

Le partenariat que nous avons établi avec l'organisme local de santé mentale des enfants nous a permis d'offrir un service communautaire qui, même s'il ne correspond pas au contexte classique, axé sur la recherche, a l'avantage d'être adapté aux besoins des enfants et des familles à l'école.

Je ne parlerai pas beaucoup de financement, mais je dirai que nous sommes probablement chanceux d'avoir un organisme sous-financé dans une région rurale. Je dis « chanceux » parce que cela nous a forcés à faire les choses différemment. Cela nous a forcés à réfléchir aux façons de combiner le peu de ressources dont nous disposons, alors que si nous avions beaucoup d'argent, nous aurions probablement passé beaucoup de temps à établir des barrières au lieu de les éliminer. C'est la dernière fois que je dis que nous sommes chanceux d'être sous-financés.

Le programme suppose la participation des commissions scolaires de district public et catholique. Nous avons établi sept équipes de secteur. Chaque équipe est dotée d'un enseignant agissant à titre de personne-ressource ainsi que d'un enseignant dirigeant. Ces enseignants sont fournis et rémunérés par les conseils scolaires locaux. C'est un élément crucial.

Nous avons également des travailleurs sociaux dans chacune des équipes. Ils sont financés par un organisme local de santé mentale pour enfants. Chaque équipe est dotée d'un intervenant qui travaille auprès des enfants et des jeunes. On arrive tant bien que mal à établir un budget, grâce à l'argent qu'on obtient des municipalités, des fonds destinés aux projets pilotes et de sommes destinées aux services pour les enfants et les jeunes, mais c'est un secteur que nous espérons continuellement pouvoir financer d'une année à l'autre.

Chaque équipe travaille avec une série d'écoles. Toutes les équipes fonctionnent grâce au repérage des étudiants. Elles interviennent auprès de 10 à 12 familles à tout moment. Elles collaborent avec l'école, la collectivité, et quiconque doit participer. Il pourrait s'agir d'organismes de loisirs, le cas échéant, ou de tout autre organisme communautaire.

Les équipes dispensent le service à l'école, à la maison, et au sein de la collectivité, et les intervenants sont interchangeables. Les membres de l'équipe et les enseignants vont dans les maisons; les travailleurs sociaux vont dans les écoles; les travailleurs qui interviennent auprès des enfants et des jeunes vont partout. Ils travaillent en équipe. C'est la clé de notre réussite. Nous travaillons avec les familles et les enfants 24 heures sur 24; ce n'est pas une approche fragmentée, on ne limite pas le service à cinq heures, à l'école.

On a mené des études, mais les résultats montrent que le programme fonctionne. Les enfants et les jeunes trouvent qu'il fonctionne; les parents trouvent qu'il fonctionne; les membres des équipes trouvent qu'il fonctionne; et les collectivités et les écoles trouvent qu'il fonctionne.

L'une de nos réalisations concerne le fait que nous avons considérablement renforcé la capacité de nos propres systèmes, des systèmes des autres, et de la collectivité. Même si nous devons nous démener chaque année pour trouver le financement nécessaire, la disparition du programme soulèverait la clameur publique.

Je dois dire qu'il y en a eu une quand nous l'avons créé. Les gens n'aimaient pas cette idée. Ils n'étaient pas convaincus que c'était une bonne idée. Ils ne croyaient pas vraiment que nous arriverions à surmonter les obstacles. Nous avons dû persévérer et faire en sorte que cela fonctionne.

Nous n'avons pas d'enfants qui quittent leur collectivité, et ça fonctionne. Auparavant, les enfants devaient s'en aller à trois heures de chez eux. Les parents devaient conduire pendant trois heures pour aller les voir, peut-être une fois par semaine, s'ils avaient une auto et s'ils arrivaient à composer avec la neige. Ils revenaient à nos collectivités et à nos écoles, et, même s'ils ont connu des changements importants dans ce contexte tertiaire, cela n'a pas donné les résultats escomptés au moment du retour dans la collectivité.

J'aimerais passer directement aux recommandations. Le succès de cette initiative tient au fait que le secteur de l'éducation est un partenaire de premier plan. On ne se contente pas de nous consulter à la fin. Nous sommes un partenaire de premier plan au chapitre non seulement de la planification du service, mais aussi du financement. Il arrive, de temps à autre, quand il ne se passe rien d'autre, que les écoles voient un besoin et que les commissions scolaires s'en mêlent et essaient de tout faire. Elles ne doivent pas faire cela, et elles ne devraient pas le faire.

Il faut reconnaître que les écoles sont une porte d'entrée pour la prestation de services. C'est nous : les enfants vont voir les enseignants. Les enseignants reconnaîtront l'existence de situations que les familles seront peut-être réticentes à reconnaître. Les enseignants peuvent aider les familles à reconnaître ces situations, car, de fait, nous avons des enfants de 3 à 18 ans dans notre système. Nous sommes le seul endroit où vont tous les enfants.

Nous devons surveiller la santé mentale des enfants d'âge préscolaire, et c'est ce que nous faisons. Nous avons maintenant une équipe affectée aux enfants d'âge préscolaire, dotée d'un travailleur social et d'un travailleur qui intervient auprès des enfants et des jeunes. Si j'arrive à trouver un moyen de financer cela, nous ajouterons un enseignant à cette équipe. L'un des grands enjeux, pour les enfants d'âge préscolaire, c'est qu'ils vont bientôt franchir la porte de l'école. Quand ils le feront, ils seront mieux préparés, car un enseignant les aura aidés à comprendre ce qu'est l'école, et à faire cette transition. Cela aide également l'équipe responsable des enfants d'âge préscolaire à naviguer dans le système. Nous formons un système, et il est très différent des systèmes qu'on trouve ailleurs. Nous en sommes conscients, et nous devons fournir les outils de navigation et les gens nécessaires pour faire cela.

Nous devons, en notre qualité de nation ou de province, dire que le service doit être intégré. Nous n'avons pas besoin de dire qu'il doit être pareil partout. C'est crucial. Nous devons parler non pas de coordination, mais bien d'intégration. Nous devons reconnaître que l'initiative variera d'une collectivité à l'autre.

À cette fin, nous devons prévoir les ressources nécessaires pour assurer la planification, veiller à ce que l'initiative soit différente et à ce qu'elle soit appropriée. Nous avons constaté que, pour intégrer les services, il faut travailler dur et passer beaucoup de temps à parler des enjeux — et il y en a toujours — lorsque deux systèmes très différents — ou plus — tentent de travailler ensemble. On ne peut pas tenir pour acquis que les gens vont comprendre notre réalité, ou que, avec le temps, il n'y aura pas de problèmes à régler. Nous devons reconnaître que l'intégration des services exige une telle dépense.

Nous avons découvert qu'il faut offrir des incitatifs. Quand les services sont bien intégrés, cela permet de réinvestir dans la collectivité les sommes économisées. Nous pouvons prouver que notre façon de dispenser les services permet de réaliser des économies. Quand nous économisons de l'argent, nous n'avons pas l'occasion de réinvestir cela dans notre collectivité. C'est un problème important pour nous. Nous investissons quand même, mais si nous pouvions utiliser ne serait-ce qu'une partie de ces économies que nous réinvestissons, nous pourrions étendre nos services. Nous les étendons quand même. Un partenariat a mené à plusieurs autres. Au bout du compte, si nous pouvions réinvestir ces économies, ce serait utile.

J'aurais dû mentionner, au début, que nous avons accès à la télépsychiatrie. Cela nous a permis de veiller à ce que notre initiative soit beaucoup plus communautaire. Il n'y a aucun pédopsychiatre sur notre territoire. En toute franchise, l'accès merveilleux dont nous avons joui grâce à la télépsychiatrie — je crois que nous avons bénéficié de plus de 200 consultations psychiatriques — nous a permis de faire des choses à l'échelon communautaire que nous n'aurions pas été en mesure de faire autrement. Nous avons besoin de cet accès. Nous n'en avons pas nécessairement besoin tout le temps, mais nous avons besoin de l'accès, et nous avons besoin d'un milieu pédiatrique disposé à nous soutenir.

J'aimerais insister sur un point soulevé par Mme Finlay. Avant que j'effectue des recherches à cet égard, j'ignorais que la santé mentale des enfants n'était pas visée par une exigence, par un mandat législatif. L'éducation l'est; la santé l'est. J'avais peine à croire que notre société n'ait pas cru bon de légiférer sur cette question. Je crois que nous devons faire cela, et je crois que ce mandat doit faire l'objet d'une disposition distincte, dans le cadre d'une loi sur la santé mentale dans nos provinces. Le lien entre la santé mentale de l'enfant et celle de l'adulte est un autre enjeu important pour nous. Les problèmes de santé mentale de nos enfants auront toujours des répercussions sur leur santé mentale à l'âge adulte, sur leur famille, ou vice versa. Les liens que nous établissons à cet égard ne sont pas aussi bons qu'ils devraient l'être. Nous devons établir ces liens entre la santé mentale de l'enfant et celle de l'adulte. Ils doivent être non pas distincts, mais bien liés.

Lorsqu'on envisage le soutien communautaire, il faut encourager l'innovation. On ne peut s'attendre à ce que les initiatives soient pareilles dans toutes les collectivités. Toutefois, l'initiative doit être complète et intégrée. Il faut établir un système national pour la santé mentale des enfants.

Le sénateur Pearson : Merci à tous les témoins. Madame Forge, j'aimerais bien qu'on puisse vous cloner.

J'ai accumulé 22 ans d'expérience au Conseil scolaire d'Ottawa, dans un programme de prévention primaire axé sur la santé mentale des enfants, de la maternelle jusqu'à la sixième année, un programme qui s'appelait Children Learning for Living. Le programme fonctionnait très bien quand le modèle était en place, mais nous n'arrivions jamais à nous affranchir de cette dépendance financière envers le conseil scolaire. Nous avons tenté de nous intégrer au système de soins de santé afin que le programme soit autorisé. La santé des enfants devrait faire l'objet d'un mandat dans le système scolaire de toutes les provinces et de tous les territoires. Je sais que cela ne relève pas de la compétence fédérale, mais nous pouvons le recommander.

Le président : Cela ne nous a jamais arrêtés dans le passé.

Le sénateur Pearson : Le partenariat est important. Le système doit appuyer l'initiative, mais il ne peut y arriver seul. S'il fait cavalier seul, il finira pas abandonner. Vous comprenez exactement de quoi je parle. Je vous remercie de vos commentaires.

La stigmatisation est un phénomène auquel nous sommes toujours confrontés. On qualifiait notre personnel de « travailleurs en santé mentale », et tout le monde disait qu'on ne pouvait pas faire cela, en raison des préjugés rattachés à ce terme. Nous avons persisté parce que nous voulions briser les préjugés. Je soupçonne que le corps politique est l'un des pires endroits pour la stigmatisation. Aucun politicien n'oserait admettre qu'il est aux prises avec un problème de santé mentale. Nous devrions commencer par nous-mêmes, à vrai dire.

Le président : Sur cette note, quand notre Comité a commencé ses travaux, nous avons terminé l'étude précédente, et décidé que nous allions nous pencher sur la santé mentale. Nous n'avons même pas mis 15 minutes pour prendre cette décision d'étudier la santé mentale, à l'occasion d'une rencontre à huis clos, car nous avons constaté que la majorité des membres du Comité — moi y compris — avait un membre de la famille immédiate qui souffre d'une maladie mentale grave. C'était toute une surprise, mais nous étions d'autant plus surpris de constater que, au cours des deux années et demi où nous avons mené notre étude sur le système de soins de santé, nous étions tous au courant des problèmes de santé physique que les membres de nos familles respectives avaient éprouvés. Nous savions que mon épouse avait subi des traitements de chimiothérapie. Nous savions que le mari du sénateur LeBreton avait fait une crise cardiaque. Nous savions beaucoup de choses sur tout le monde, mais nous avons été intéressés par le fait qu'aucun de nous n'a jamais, au cours de ces deux années et demi, mentionné un membre de sa famille qui souffrait d'une maladie mentale. Nous avions automatiquement supposé que la stigmatisation ne s'appliquait pas à nous, et nous avons soudainement découvert un message subliminal intéressant qui nous dit le contraire.

Le Dr Davidson : Cela me rappelle les blagues au sujet de la définition de « chirurgie mineure » : la chirurgie mineure, c'est la chirurgie qui arrive à d'autres familles. Cela s'applique à la santé mentale.

J'ai aimé rencontrer et écouter Mme Forge aujourd'hui, qui nous a parlé de cette démarche formidable. De toute évidence, l'école est le pilier de tout ça. Toutefois, je tiens à souligner que ce ne sont pas tous les enfants qui vont à l'école. Ils ont tous accès au système scolaire, mais il ne faut pas perdre de vue le fait que les enfants ayant le plus de difficultés sont probablement ceux qui ne seront pas à l'école, parce qu'ils auront fait l'école buissonnière ou auront été suspendus. Dans les deux cas, il y a risque de troubles psychiatriques.

Le sénateur Trenholme Counsell : Madame Forge, ce que vous avez dit au sujet de votre district était tout à fait fascinant. J'ai hâte de savoir si cela s'applique à l'échelle du pays. Au Nouveau-Brunswick, où j'ai œuvré auprès de familles lorsque je travaillais pour le gouvernement et dans le cadre d'autres fonctions, j'avais l'impression qu'il y avait une véritable rupture entre le moment de nos interventions précoces auprès d'enfants âgés de zéro à trois ou cinq ans, et le moment où commençait l'école. J'ai honte de vous avouer que nous avions retiré des écoles nos infirmières de la santé publique et la plupart de nos travailleurs sociaux. Nous avons beaucoup de difficultés à les ramener : nous n'arrivons pas à obtenir les ressources humaines requises parce que nous n'avons pas, en fait, le budget nécessaire. Nous le souhaitons ardemment, mais nous n'avons pas les fonds. Ce n'est pas une grande priorité, à l'instar des bibliothèques scolaires. Il y a beaucoup de secteurs auxquels on n'accorde pas beaucoup la priorité, notamment les arts et la musique.

C'est une période très excitante pour le développement de la petite enfance. J'ai rencontré votre ministre hier soir, la ministre des Services à l'enfance et à la jeunesse pour l'Ontario. Elle est très contente des programmes complémentaires prévus pour la prématernelle, lesquels s'assortiront de services d'intervention précoces ainsi que de services diagnostiques et thérapeutiques, ce qui permettra de cerner les problèmes très rapidement. Ce sont de très bonnes nouvelles. Toutefois, le véritable enjeu est de poursuivre cela à l'école.

Je suis certaine que nous ferons mieux qu'avant grâce aux mesures prises pour améliorer l'apprentissage, au programme de garderies et aux efforts déployés actuellement par les provinces. Tout ça est loin d'être nouveau, et les provinces travaillent d'arrache-pied. Néanmoins, je continue de croire qu'il y a trop souvent un écart, même si je ne peux généraliser, entre tout ce qui est fait à ce stade d'intervention précoce et ce qui se passe ensuite à l'école. J'ai beaucoup de sympathie et de respect pour nos enseignants, car ils ont besoin de l'appui d'autres professionnels, du gouvernement et de l'ensemble de la collectivité. C'est tout un enjeu.

Au sujet de ce qu'a dit le Dr Keon, j'estime que les premières années sont très importantes. Comme nous le savons, il faut développer l'estime de soi des tout-petits et toutes ces autres choses qui peuvent se manifester. Bien sûr, c'est en partie génétique, mais les enfants peuvent apprendre tout ça, et ça doit se poursuivre à l'école.

J'aimerais que les représentants d'autres provinces me disent si ce dont a parlé Mme Forge dans son témoignage est chose courante.

Le président : D'après les renseignements que nous avons recueillis par le passé dans toutes les régions du pays, si ce n'est pas unique au Canada, il y a probablement moins de trois ou quatre, ou peut-être cinq endroits où l'on utilise un programme combiné.

Le sénateur Cochrane : Madame Forge, ce que vous avez dit m'intéresse. À titre d'enseignante, je n'ai jamais vu ce système avant. Pourriez-vous me décrire vos équipes? Où travaillent-elles? Est-ce que vous avez un centre de coordination pour toutes ces équipes? Est-ce qu'elles s'y réunissent pour discuter ensemble des problèmes auxquels elles font face? Est-ce qu'elles dirigent les élèvent vers d'autres spécialistes? Combien d'enfants sont sous votre responsabilité à titre d'administratrice en chef pour l'ensemble de votre zone administrative?

Mme Forge : Dans ma commission scolaire, nous avons 21 000 enfants répartis dans la région géographique visée. Il y a aussi 4 000 enfants rattachés à la commission scolaire du district catholique, de sorte que nous en avons en tout 25 000. Ce sont des enfants de la prématernnelle à la 12e année.

Les enseignants principaux en sciences comportementales, qui sont fournis et rémunérés par le secteur de l'enseignement, font partie d'une équipe et se rencontrent en équipes. En raison de notre constitution géographique, il est essentiel qu'ils soient en mesure de travailler n'importe où dans une école en particulier ou dans une partie spécifique de la région. Ils se réunissent en groupes pour évaluer la situation, apprendre, examiner les recherches et échanger des stratégies, mais ils forment généralement des équipes de trois membres — l'enseignant, le travailleur social et l'intervenant auprès des jeunes — , qui travaillent ensemble dans tous les cas et dans toutes les situations. Ils font tout; entre autres, l'intervenant auprès des enfants et des adolescents ira chez eux — ce qui, d'ailleurs, est souvent la première étape — , l'enseignant en sciences comportementales ira à l'école pour aider l'enseignant en salle de classe et offrir toute autre forme de soutien requis, et ils mobiliseront la collectivité.

Chacune des équipes a environ 1 200 $ en fonds discrétionnaires. Les équipes disent que ces fonds sont essentiels, car ils leur permettent, par exemple, d'offrir des inscriptions aux centres de loisirs, entre autres choses. Ils ont offert aussi de payer des traitements de chirurgie esthétique. Bref, ils aident autant qu'ils peuvent.

Le sénateur Cochrane : Quel est le nom de votre collectivité?

Mme Forge : Nous sommes de Grey County et de Bruce County. La ville est Owen Sound. Ces services sont offerts à Flesherton et à Markdale, petites villes de 1 000 habitants, situées en plein cœur du pays.

Nous avons parlé d'élargir ces services. Il importe également de souligner que nous pouvons offrir davantage de services depuis que ces équipes travaillent ensemble. Nous avons très bien réussi en utilisant le même genre de modèle que dans d'autres régions, notamment pour notre programme à l'intention des élèves expulsés.

Mme Whitenect : Comme je suis originaire du Nouveau-Brunswick, je parlerai de notre expérience et j'évoquerai certains points. J'aurais beaucoup d'enjeux à soulever, mais je m'en tiendrai à quatre recommandations essentielles, qui devraient s'inscrire, à mon avis, dans votre rapport.

Dans le domaine des services de santé mentale, nous parlons d'équipes d'enfants et d'adolescents. Nous devrions plutôt parler « d'équipes d'enfants et de familles », car nous devons souligner l'importance d'obtenir la participation des familles.

Je vais vous donner quelques exemples de ce que suppose la première recommandation, soit celle d'établir des services à l'enfance coordonnés. Les gens en ont parlé, mais nous devons en souligner l'importance, car il y a de nombreux services à l'enfance, mais ils sont souvent éparpillés un peu partout, de sorte qu'ils ont différents mandats, différentes listes d'attente et différentes façons d'établir leurs priorités en matière de service. Je ne suis pas sûre qu'on doive assigner à un centre toutes ces responsabilités. C'est trop difficile à faire, et cela peut créer des barrières.

Au Nouveau-Brunswick, nous avons notamment adopté une démarche fondée sur des conférences de cas exhaustives. Nous parlons beaucoup de conférences de cas relatives aux enfants et aux adolescents dans les écoles, dans le secteur de la santé mentale et dans les organismes de protection de la jeunesse. Souvent, en raison de la forte demande en services, des listes d'attente ou des mandats, les gens ne prennent pas le temps qu'il faut. Nous devons envisager de formuler un mandat à cet égard et de le relier au financement. Les gens doivent travailler ensemble, partager avec le groupe les ressources dont ils disposent pour aider les enfants, et soumettre leurs enjeux à la discussion. C'est important parce que tous les fournisseurs de service ont des ressources à partager, mais que nous ne connaissons pas toujours les limites de nos partenaires. Nous devons connaître et comprendre leur dynamique. Nous le pourrons si nous sommes tous assis à la même table.

En utilisant un modèle de conférences de cas et en réunissant les gens, on peut parfois obtenir le consentement requis et surmonter des obstacles législatifs, étant donné que la famille et l'enfant sont présents. Ils peuvent donc donner leur consentement. Cela permet d'éliminer certaines barrières que posent les droits au respect de la vie privée et les lois sur la protection des renseignements personnels. En outre, on obtient l'accord des gens. Ils font partie du processus et sont au centre. C'est une responsabilité clé. Cela permet aussi de cerner les lacunes. Lorsqu'on fait face à un problème que personne ne peut résoudre, les gens peuvent alors combiner leurs ressources et dire : « Ce n'est pas vraiment dans notre mandat, mais nous pourrions faire ceci ou cela, ce qui nous permettrait d'arriver à nos fins . »

Au Nouveau-Brunswick, nous avons essayé de relier tout ça au financement. Nous avons deux grands moyens pour mener les conférences de cas. Entre autres, nous avons un programme de traitement des jeunes. Je sais que la Colombie-Britannique a un programme complémentaire semblable. C'est difficile, et nous devons justifier son existence chaque année pour qu'il soit financé. Il mobilise quatre ministères, dans le domaine des services de l'enseignement, de la protection de l'enfance, de la justice et de la santé mentale. Les services de santé mentale dirigent le tout, mais tous ces fournisseurs de services partagent non seulement leurs ressources, mais aussi leurs fonds avec le groupe. Ils apportent tous une contribution spéciale au groupe.

Nous avons 13 équipes communautaires de traitement des jeunes et un centre d'excellence où les jeunes peuvent se rendre pour obtenir un diagnostic précis, car cela a trait au trouble des conduites. Résultat : la majeure partie de notre travail est effectuée dans les collectivités, et la plupart de nos jeunes n'ont pas besoin de faire l'objet d'une évaluation complète. Les membres de ces 13 collectivités et ces quatre organismes travaillent ensemble et partagent leurs ressources avec le groupe, en plus de lui soumettre leurs problèmes lorsqu'ils n'ont pas réussi à aider le jeune comme ils l'auraient voulu. Là encore, cela permet de garder le tout en place, car aucun des partenaires n'est vraiment tenu de soumettre ces enjeux à la discussion. C'est un exemple patent de ce qu'on peut faire.

Depuis qu'on a passé de la Loi sur les jeunes contrevenants à la nouvelle Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, les conférences de cas sont obligatoires. Lorsqu'un jeune commet une infraction, le juge ordonne aux partenaires communautaires d'organiser une conférence de cas avant qu'il ne détermine la peine. C'est bien dommage que le jeune doive commettre une infraction pour qu'une conférence de cas se tienne en vertu de la loi.

Nous avons vu à quel point il importe que les gens travaillent ensemble lorsqu'il le faut. Les gens disent : « J'ai des listes d'attente », et patati et patata. Si un juge leur ordonne de le faire, alors ils le font. Nous avons vu des résultats positifs. Nos gens ne sont pas surchargés, car c'est seulement dans des cas très difficiles et des situations extrêmes que nous devons partager nos ressources avec le groupe. Sans vouloir trop me répéter, si nous commençons à agir de façon stratégique et à dire que notre financement dépend de l'application de ces conférences de cas, nous pourrons restructurer les méthodes de travail des gens et atteindre les résultats voulus.

Mon deuxième point porte sur une stratégie nationale ou provinciale. Mon dilemme est le suivant : devrions-nous avoir une stratégie globale sur la santé mentale, ou faut-il en avoir une spécialement pour les enfants. Nous sommes perdus dans le dédale du système de santé mentale : nous abordons tous la question de façon tellement différente. Avec les adultes, il faut souvent tenir compte de tous les enjeux liés à la protection des renseignements personnels. Avec les enfants, nous devons soumettre nos renseignements au groupe, puis prendre des moyens d'action. Je ne voudrais pas que ça devienne un fardeau supplémentaire pour quelque chose qu'on aurait pu régler autrement. Je me rends compte que cela risque de créer plus de difficultés qu'autre chose. C'est difficile de mettre à l'avant-plan les services à l'enfance et à la jeunesse.

Les choses bougent beaucoup en ce qui a trait aux initiatives relatives à la petite enfance. Les provinces ont reçu beaucoup de financement pour ces initiatives, mais je tiens à vous faire part de certaines des préoccupations que les gens ont soulevées. Lorsque les enfants commencent l'école, nous avons déjà beaucoup fait pour eux et déployé beaucoup d'efforts. Nous sommes en train de mettre en œuvre un très bon plan, et tout le monde est sur la même longueur d'onde. Mais tout d'un coup, les enfants commencent la maternelle, et devinez quoi? C'est la fin de tout ça. Nous devons continuer d'aider ces enfants, car l'adolescence est une période tellement difficile. Si nous arrêtons de fournir des services à ce stade, nous manquons le bateau. J'essaierai de ne pas trop me répéter, car j'en ai déjà parlé.

La détection, l'intervention et le ciblage précoces en ce qui concerne les jeunes sont des activités très importantes. Nous avons des programmes de traitement des psychoses précoces et des services mobiles d'aide d'urgence. Je sais que d'autres provinces en offrent également, mais aux jeunes âgés de 19 ans et plus dans la plupart des cas. Les enfants ne sont pas inclus. S'ils le sont, c'est en fonction de ce qui existe déjà. Nous devons élaborer des stratégies de dépistage précoce et suivre ces enfants. Nous devons apporter des modifications à la loi sur les services à la famille, car elle s'applique seulement aux jeunes âgés de moins de 16 ans. Au Nouveau-Brunswick, il y a un grand vide pour les jeunes âgés de 16 à 19 ans.

J'ai rédigé un exposé de principe sur cette question à l'université, et rien n'a changé depuis 20 ans. Nous essayons de résoudre le problème des 16 à 19 ans. C'est l'une des périodes les plus difficiles de la vie, et voilà que nous perdons les mesures d'aide sociale à l'enfance, les mesures d'aide au logement, et ainsi de suite.

J'ai eu une conversation avec M. Mitchell au sujet de la défense des droits. Dans notre pays, deux provinces n'ont pas d'organisme de défense des droits des jeunes, et le Nouveau-Brunswick est l'une d'elle. Cela en dit long sur notre capacité de faire avancer les services dans ce domaine.

J'arrive à mon dernier point, qui est plutôt controversé. Nous parlons beaucoup de cadres redditionnels, car nous devons justifier le financement. C'est difficile parce qu'il y a beaucoup de priorités au pays. Lorsque nous envisageons de financer des services à l'enfance et à l'adolescence, nous devons envisager une formule de financement selon laquelle on s'engage à verser 2 $ pour chaque dollar investi dans les services communautaires, à la place des établissements de services de santé. Si nous voulons dispenser de bons services, nous devons distribuer nos fonds dans la collectivité, car c'est là que se trouvent les enfants. Souvent, nous devons nous battre pour chaque dollar. Merci de votre temps.

Le président : Nous avons participé à une conférence à Calgary, où nous parlions justement de ça.

M. Mussell : Merci. Lorsque je me suis présenté tout à l'heure, j'ai oublié de préciser que je suis membre des Premières nations. Je suis né, j'ai été élevé et je vis dans le milieu des Premières nations, et j'ai été un chef de file pour nos collectivités pendant de nombreuses années. J'ai eu de grands défis à relever, notamment essayer de comprendre pourquoi nous vivons comme nous le faisons.

C'est pertinent pour notre discussion d'aujourd'hui.

J'ai obtenu un diplôme en arts et en sciences à l'université. J'ai travaillé comme agent de probation, puis j'ai passé au secteur des libérations conditionnelles après avoir reçu mes titres de compétences en travail social. J'ai enseigné au niveau secondaire et effectué des études supérieures dans le domaine de l'éducation des adultes, et je travaille maintenant depuis de nombreuses années dans le secteur de la santé mentale.

Il y a huit semaines, j'étais en Nouvelle-Zélande, où se donnait une conférence internationale des chefs de file dans le domaine de la santé mentale, à laquelle participaient sept pays. Ceux-ci espèrent que le Canada se joindra à eux. J'étais le sixième conférencier au cours d'un panel qui se donnait dans l'après-midi, dernier jour. Nous devions décrire comment nous envisagions l'avenir de la santé mentale dans notre pays. Les cinq autres conférenciers ont parlé d'améliorer les systèmes actuels, dont la plupart comportaient beaucoup de lacunes.

Je n'ai pas pu parler d'améliorer un système actuel, puisque nous n'en avons carrément pas. Récemment, j'ai lu le compte rendu de consultations portant sur les soins collaboratifs, et les gens du Yukon disent, par exemple, que la meilleure façon pour obtenir des services de santé mentale au pays, c'est de passer par les tribunaux et de se retrouver en prison. Beaucoup de collectivités isolées n'ont pas accès à des ressources. La raison principale, c'est qu'il n'y a pas de système. Nous devons établir un système continu. Je m'expliquerai plus loin.

En ce qui a trait aux programmes actuels, quelques-uns d'entre nous, membres des Premières nations qui vivons à l'extérieur ou à l'intérieur des réserves, savons bien que ces services sont offerts de façon inégale et visent surtout à répondre aux besoins des Occidentaux, de sorte qu'ils ne reflètent pas nécessairement les réalités de nos gens et leurs difficultés.

Ce qu'on essaie de faire à l'heure actuelle dans l'ensemble du pays, c'est appliquer ce que j'appellerais une approche à l'emporte-pièce. Les praticiens essaient de faire avec nous ce qu'on essaie de faire actuellement avec d'autres personnes au pays. Beaucoup de données prouvent que ça ne pourrait pas fonctionner.

Les recherches ont sans cesse montré les effets de notre colonisation. Ça n'a pas de sens : pourquoi voudrions-nous répéter l'histoire, alors que nous savons très bien à quels problèmes et difficultés nous nous exposons. Par ailleurs, il n'existe aucune documentation sur les bons modes de vie adoptés avant la colonisation.

De nos jours, les aînés nous disent que les réponses se trouvent dans notre histoire, dans notre passé. Je le crois. Personne ne s'est donné la peine d'entreprendre des recherches sur ces bons modes de vie, ni de les documenter.

La notion de culture déforme notre conception de la réalité. La notion de pratiques exemplaires déforme notre conception de ce qu'est vraiment la vie. De nombreuses facettes de la langue que nous avons apprise nous sont nécessaires à titre de Canadiens, mais en tant que personnes d'un milieu culturel différent, cela ne nous a pas aidés à établir l'assise dont nous avons besoin pour assurer notre santé et notre bien-être.

Au lieu de mettre l'accent sur nos forces, nous avons mis l'accent sur nos faiblesses. Je soutiens entièrement l'idée d'une approche axée sur les forces. Les conditions de la santé physique et mentale doivent être établies en fonction de notre connaissance des bons modes de vie qu'avaient adoptés nos cultures autochtones d'Amérique du Nord.

Pourquoi les gens demandent-ils que les aînés fassent office de conseillers dans les réunions, les conférences et les activités de planification stratégique que nous menons? Même les personnes qui ne sont pas autochtones disent la même chose. Les aînés sont plus près de notre histoire, ils la connaissent mieux, mais elle n'a pas été très bien enseignée. On ne nous l'a pas enseignée du tout dans le cadre des systèmes d'enseignement actuels. Nous espérons que le nouveau système remédiera à cette lacune.

La semaine dernière, j'ai participé à une conférence organisée par Santé Canada parce qu'on veut savoir comment nous pouvons utiliser les 100 millions de dollars provenant des 700 millions de dollars affectés aux paraprofessionnels et aux techniciens professionnels de la santé autochtones, comment nous pouvons les former. Le chef de l'Assemblée des Premières nations a déclaré que le gouvernement tient compte uniquement des 5 p. 100 de la population autochtone qui a réussi, principalement les personnes assises dans la salle. Cet argent est non pas pour eux, mais pour les 95 p. 100 qui ne sont pas là. Il soulève un très bon point. Les 5 p. 100 réussiront, quelle que soit la situation. Ces personnes sont solidement rattachées à notre fondement culturel, mais ce n'est pas quelque chose qu'on a pu très bien analyser et cerner.

En ce qui a trait à ce fondement culturel, il importe de connaître l'importance du lieu, du lieu de nos ancêtres, où vit l'esprit de nos prédécesseurs. Les frontières de notre territoire nous aident à déterminer qui nous sommes et ce que nous sommes, à qui nous appartenons, et en quoi nous ressemblons à d'autres Autochtones ou en sommes différents.

La langue et les capacités de lecture et d'écriture sont très importantes. Dans la plupart des régions du pays, on a éliminé nos langues traditionnelles. C'est un autre concept de la langue traditionnelle qui nous vient de la colonisation. La langue, c'est un simple véhicule : si ça fonctionne, tant mieux, sinon, tant pis.

En étudiant la langue, j'ai constaté que la plupart d'entre nous se fient à une langue institutionnelle, parce que nos ancêtres ont été forcés d'apprendre une langue étrangère qui n'était pas enseignée du tout. Après trois ou quatre générations, à force d'utiliser une langue imposée, nous avons perdu notre première langue vernaculaire, sans pour autant en acquérir une nouvelle. Pour que la vie ait un sens, nous avons besoin de ce vernaculaire.

J'ai eu la chance d'apprendre l'anglais vernaculaire parce que mon arrière-grand-mère, ma grand-mère et ma mère le parlaient et estimaient que nous devions l'apprendre pour nous battre contre l'homme blanc : nous devons utiliser les mêmes armes et les mêmes munitions.

Le sentiment d'appartenance est très important, entre autres sur le plan spirituel. Je n'ai jamais rencontré d'aîné qui n'a pas souligné l'importance de ce sentiment. Mon point est le suivant : l'énergie spirituelle rallie et unit les gens; leur famille, les autres systèmes sociaux et les autres entités de leur monde culturel déterminent le sentiment d'appartenance. De plus en plus de gens appartenant à d'autres cultures souscrivent à cette idée et la véhiculent. Je crois que c'est vrai.

Le fait de se sentir entier est essentiel au sentiment d'appartenance. Dans nos collectivités, nous n'avons pas un fort sentiment d'appartenance, là encore en raison des modes de vie qu'on nous a imposés depuis les derniers 150 à 200 ans dans l'ouest du Canada, et depuis encore plus longtemps dans l'est du Canada.

Les relations avec autrui sont nécessaires à quiconque cherche à donner un sens à sa vie, à trouver la source de la vie et à établir un lien avec le Grand Esprit et le Créateur. Nous vivons dans un grand climat de méfiance au sein de nos collectivités. Cela provient du fondement institutionnel établi par les écoles résidentielles indiennes, dont le système ressemblait beaucoup à celui d'une prison. Les relations entretenues et favorisées à l'intérieur du système carcéral ne sont pas du tout différentes de celles qu'on trouve dans le système scolaire résidentiel.

En ce qui a trait à l'histoire familiale et communautaire, d'après mon expérience, nous devons savoir ce que nous sommes, qui nous sommes et à quoi nous appartenons, bref qui sont nos ancêtres. Nous pourrons alors marcher avec confiance. Nous pourrons bien faire face à une situation sociale parce que nous aurons acquis la connaissance, la conscience et la compréhension qu'il nous faut.

Lorsque nous aurons maîtrisé des outils comme la langue, nous pourrons être tout à fait autonomes. Ce qui est malheureux, c'est que ces outils sont représentés davantage par les 5 p. 100 que par les 95 p. 100.

Je crois que les bons modes de vie traditionnels se caractérisaient par l'ordre. Cela s'applique aux sociétés de toutes espèces de vie : les humains, les animaux, les oiseaux, et ainsi de suite. En raison de la manière dont nos ancêtres ont dû apprendre et ont été traités, on a vu chanceler constamment, voire disparaître parfois cet ordre et ce qui est nécessaire à son maintien. C'est avec ça que nous essayons de composer aujourd'hui. Certaines de vos recommandations et discussions reflètent bien cela.

Le dernier point que j'aimerais avancer, c'est que l'accès aux institutions culturelles et l'accès au vaste monde de la planète Terre et sa compréhension sont intimement liés, mais sont très ancrés dans notre identité et le groupe auquel nous appartenons.

Lorsqu'on nous présente les institutions de base et les pratiques de nos cultures respectives et que nous les comprenons, nous avons une idée d'un mode de vie sain.

En tant que cultures et nations indigènes du Canada, que savons-nous de nos lieux de guérison? Que savons-nous de nos lieux de culte? Nous connaissons l'Église, mais elle n'était pas une institution pour nos ancêtres; les immigrants l'ont amenée avec eux. Qu'en est-il des lieux de sécurité, des lieux d'enseignement et d'apprentissage des connaissances de base comme la chasse, la pêche, la transformation des aliments, la cueillette et la transformation de produits médicinaux, l'enseignement et l'apprentissage de la sécurité personnelle, des soins personnels et des soins des autres?

On présume que ces lieux existent. Cependant, lorsqu'on regarde l'histoire des 50 à 200 dernières années, on peut commencer à comprendre pourquoi elles n'existent pas. La plupart des recherches révèlent que nous comprenons les enjeux et les problèmes et que nous n'avons plus besoin d'y revenir. Cette hypothèse éclipse le fait que nous ne comprenons vraiment pas ce qui est à la base des sociétés des Premières nations et d'autres sociétés autochtones d'aujourd'hui, et il est essentiel que nous le sachions. Si on applique les modèles existants, ça ne fonctionnera certainement pas. Nous devons adopter une approche uniforme qui englobe toute la famille, institution fondamentale de nos cultures. La communauté, en particulier, doit constituer le principal milieu de travail, et nous avons besoin d'un système qui répond aux besoins de toutes les étapes de la vie dans nos sociétés.

Lorsqu'une volée d'oies voyagent en formation, elles peuvent aller 70 p. 100 plus loin qu'une seule oie seule. Si une oie se blesse en vol, elle quitte la volée et atterrit, toujours accompagnée de deux autres oies.

Pensez à ce modèle dans l'optique de répondre aux besoins des enfants et des familles qui sont en marge de la vie et du système d'éducation et à l'importance d'avoir des ressources qui s'occupent spécialement du moment où cela a lieu.

Nous devons comprendre l'importance de la collaboration, de l'intégration et du travail en équipe et réaliser que nous pouvons accomplir beaucoup plus de choses lorsque nous travaillons de cette façon.

Le sénateur Keon : Votre exposé était très profond.

Selon un vieux dicton bien connu, il faut un village entier pour bien élever un enfant. Nous avons perdu tous nos villages, mais nous pouvons peut-être bâtir des collectivités.

À mon âge avancé, je suis convaincu que notre structure sociale et notre système médical, y compris celui qui touche la santé mentale, doivent s'enchâsser dans les collectivités.

M. Mussell : Je suis entièrement d'accord avec vous. Pour y arriver, il importe de considérer la famille et les autres gens qui font partie de la vie d'une personne comme des ressources cruciales pour faciliter l'adoption de changements positifs. Il est absolument nécessaire de mettre à profit les forces de la famille et d'autres systèmes sociaux. Ce qui est très tragique, c'est que la plupart des praticiens dans notre pays sont vendus à l'approche individuelle, et cela ne rend pas compte de l'importance des gens qui exercent une influence beaucoup plus forte sur la vie de la personne que nous traitons, même si notre intelligence et notre bon sens nous disent que ça fonctionne. Pourquoi ne le faisons-nous pas davantage?

Le sénateur Trenholme Counsell : Le plus merveilleux conteur que j'aie jamais rencontré était un aîné du Yukon. J'espère que vous nous permettrez d'utiliser votre histoire. Je l'ai déjà entendue, mais on ne l'a jamais aussi bien racontée que vous, monsieur.

Avez-vous l'espoir que le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones, qui prend de l'expansion dans une collectivité après l'autre, fera mouche?

M. Mussell : Je connais certains centres qui offrent ce programme. Il est prometteur, mais il dépend grandement de la débrouillardise des personnes qui offrent les services de première ligne. Ma fille est une spécialiste qui travaille avec des enfants d'âge préscolaire ayant des besoins spéciaux. Elle va faire des recherches universitaires. Elle est très active dans ce domaine, et je connais son travail. Ma femme est directrice d'un programme d'études, et elle est responsable de ce genre de projets.

Par conséquent, je suis constamment exposé à ces questions très importantes. Je fais partie d'une famille très saine. Il n'y a pas de maladie mentale dans notre famille, et j'en remercie le Créateur. Cependant, ce genre de difficulté accable d'autres personnes de notre communauté. Ma mère et ma grand-mère étaient guérisseuses, et, par le fait même, spécialistes de la santé. En tant que plus vieux survivant, maintenant, cette tâche me revient. J'accepte cette responsabilité, et je fais ce que je peux pour m'assurer que les gens sont bien traités. C'est extrêmement important.

Le président : Notre prochain témoin est Richard Mitchell, du Département des études sur l'enfance et la jeunesse de l'Université Brock, à St. Catharines.

M. Mitchell : Je suis toujours modeste et un peu effrayé lorsqu'on me présente comme un expert quelconque. J'ai étudié pour obtenir un doctorat au Royaume-Uni pendant presque quatre ans, et j'essaie encore de le terminer. Ce que j'ai compris, c'est que j'en sais vraiment peu, et c'est une lacune qu'un doctorat comblera. J'aimerais partager avec vous aujourd'hui certaines choses que nous avons apprises sur l'enfance, les enfants et les jeunes au fil de ces études, mais aussi grâce à mes 23 années de travail en Colombie-Britannique dans les domaines de l'éducation, de la santé mentale, du placement en familles d'accueil et de la justice de la jeunesse, quatre systèmes de prestation de services qui sont en contact chaque jour avec des enfants et des jeunes qui ont des problèmes de santé mentale.

Comme titre de mon témoignage d'aujourd'hui, j'ai choisi : « Un Canada digne des enfants un an plus tard — Un plan d'action fondé sur les droits pour promouvoir le bien-être mental et affectif des jeunes Canadiens ».

Je demanderais à ceux qui ont vu ce document ou qui en ont entendu parler de lever la main. C'est moins que ce à quoi je m'étais attendu, et c'est pourquoi je suis ravi qu'on me donne l'occasion d'au moins le porter à votre attention. On a affiché un exemplaire en ligne, et on peut y accéder par l'entremise d'un lien que j'ai envoyé avec mon témoignage.

Le président : Nous allons préparer une trousse que nous enverrons à tous les participants d'aujourd'hui.

M. Mitchell : J'aimerais vous faire part de quelques conclusions importantes auxquelles je suis arrivé au cours de mes travaux au Royaume-Uni et des recherches que j'ai menées là-bas, conclusions que nous pourrons intégrer à nos recommandations.

Au Royaume-Uni, je suis tombé sur une façon d'être avec les enfants et les jeunes qui n'est pas répandue au Canada. Il s'agit d'une approche théorique et d'un cadre qui permettent de comprendre pourquoi il y a des enfants au Royaume-Uni. On les appelle « sociologie de l'enfance ». Un certain nombre d'entre nous avons examiné des paradigmes sur les enfants, et celui-ci était pour moi. L'approche sociologique à l'égard des enfants, de l'enfance et des jeunes commence par l'hypothèse selon laquelle les enfants sont en fait des acteurs sociaux compétents et participent grandement à la société là où ils sont. De plus, elle s'appuie sur la notion selon laquelle ce sont des citoyens, et qu'ils peuvent influer non seulement sur leur propre développement et sur celui de leurs pairs, mais aussi, étonnamment, sur l'épanouissement des personnes qui s'occupent d'eux et de leurs parents. La sociologie de l'enfance ne considère pas que les enfants suivent une trajectoire linéaire vers le développement indépendant qui s'arrête à une étape quelconque de la vie adulte.

Je vous avouerai que je suis plus dépendant que jamais de mon chèque de paie, de ma femme, de mon système de soutien social, et que quiconque dirait que je suis devenu indépendant dans la vie aurait tout faux. J'aimerais que nous réfléchissions à la façon dont nous voyons et concevons les enfants et les jeunes de ce point de vue, surtout la notion selon laquelle ils influent non seulement sur leur propre développement, mais aussi sur le développement de leurs pairs et des adultes qui s'occupent d'eux. Pour moi, j'ai dû changer totalement ma façon de voir les choses.

J'ai remarqué que la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant était le sujet d'un grand nombre de recherches universitaires et postuniversitaires dans les universités du Royaume-Uni, mais que ce n'est pas le cas ici. Mon affectation à l'Université Brock me l'a fait comprendre. On cherchait précisément quelqu'un qui avait déjà travaillé dans le domaine des droits de l'enfant au troisième cycle. J'aimerais vous suggérer cela comme une de nos recommandations : examiner un plus grand nombre de recherches dans lesquelles on adopte la Convention relative aux droits de l'enfant, de façon théorique aussi bien que de façon appliquée.

Les principes fondamentaux de la Convention sont enchâssés dans une loi du Royaume-Uni. Ils prévoient la participation active des enfants et des jeunes en tant qu'acteurs sociaux compétents dans leurs propres collectivités. Comme j'en ai déjà parlé, les enfants sont de plus en plus considérés par les décideurs et présentés dans les documents stratégiques comme étant compétents et étant des citoyens, alors que, ici, au Canada, nous considérons toujours les enfants comme de futurs citoyens et un investissement. Là-bas, on présume que les enfants ont en soi une valeur économique et, conformément à la Convention, nous avons la possibilité de faire participer les enfants et les jeunes en tant que citoyens — en tant que sujets, et non pas objets de préoccupation. C'est essentiellement ce que j'ai découvert au fil de mes recherches au Royaume-Uni, recherches qui se poursuivent.

Je ne veux pas insinuer qu'il y a un lien direct de cause à effet entre cette façon de voir les enfants et les jeunes et les différences législatives que j'ai constatées. Ce n'est pas là mon champ d'expertise ou de recherche. Je constate que les enfants participent à la société avec les politiciens, les décideurs, les enseignants, les intervenants et les praticiens dans plusieurs disciplines.

J'ai assisté à une séance de planification des services à l'enfance à laquelle participaient à peu près le même nombre de personnes, soit des policiers et des agents des loisirs, des spécialistes en santé mentale, toute la gamme, ainsi que des gens qui participent à la lutte pour le respect de l'environnement, ainsi de suite, où des enfants pouvaient donner leur opinion et participer au même titre que les autres. Ça diffère tout à fait de la réalité canadienne actuelle, et cela a une importance et un intérêt particuliers pour ce qui est de la santé mentale des enfants.

J'aimerais vous parler de l'expérience que j'ai acquise pendant les dix années où j'ai travaillé dans une clinique de consultation interne pour les enfants en Colombie-Britannique. J'ai constaté qu'environ le tiers des enfants se sont améliorés au fil des ans. Je n'ai pas effectué d'analyses statistiques pour arriver à ce chiffre. C'est une preuve assez empirique, mais elle est soutenue par tous mes collègues. Environ le tiers des jeunes qui viennent nous voir ont bénéficié de notre intervention, et le tiers n'ont pas changé. Je suis vraiment triste d'avouer que notre intervention a beaucoup nui au tiers d'entre eux. En fait, certains d'entre eux se sont peut-être suicidés à cause de notre intervention.

À l'été 2003, lorsque Santé Canada a diffusé un avertissement de GlaxoSmithKline concernant la prescription inadéquate de Paxil aux personnes âgées de moins de 18 ans, j'ai pu établir des liens. Nous ne savons pas combien d'enfants ou de jeunes se sont fait du mal à cause de nos interventions dans les années 90, parce que, pour l'instant, nous ne suivons pas ces dossiers en santé mentale. Nous n'évaluons pas nos résultats. Nous n'assurons pas un suivi dans les collectivités. Mon collègue a laissé entendre que le problème est en partie attribuable au fait qu'on ne considère pas les enfants d'une façon plus holistique, comme faisant partie d'une collectivité. Après qu'ils ont été nos patients — des victimes, souvent, je dois dire —, nous renvoyons les enfants dans la collectivité comme si nous avions fait notre travail, et il faut changer cela également.

On aurait tort de croire que les recherches que j'ai menées au Royaume-Uni font ressortir des solutions stratégiques faciles. Ce n'est pas du tout le cas. Si l'on veut faire participer les enfants à une approche fondée sur les droits, il faudra faire appel à diverses disciplines et à plusieurs systèmes de prestation de services. Ce que nous verrons, et ce qui ressort du discours au Royaume-Uni, c'est que cette notion d'« espaces » fondée sur les droits pour les enfants et les jeunes modifie la façon dont on conçoit la relation entre les professionnels et les utilisateurs de services, les responsabilités des adultes et les droits des enfants. Une approche fondée sur les droits permet aux professionnels de devenir des facilitateurs plutôt que des techniciens, et les enfants et les adultes deviennent ensuite des co-créateurs de connaissances et d'expertise. Nous intégrons les enfants et les jeunes à un modèle profondément différent de celui que nous avons eu jusqu'ici, sur le plan culturel, social et politique, et au sein de nos systèmes de prestation de services.

Je suis ici pour vous montrer que beaucoup de nos travaux ont été accomplis dans le document intitulé Un Canada digne des enfants. Lorsque j'ai examiné le plan d'action énoncé dans ce document et au cours de mes dix années de pratique, j'ai découvert que mes préoccupations concernant les enfants et le système de prestation de services de santé mentale destinés aux enfants correspondent en tous points à celles qui sont précisées dans le plan d'action. Par conséquent, je vous inciterais à reprendre les éléments les plus pertinents de ce plan d'action, qui a été adopté dans l'ensemble du Canada, pour les enfants et les jeunes.

Si c'est possible, j'aimerais également vous exhorter — et je ne sais pas si vous l'avez fait, mais j'ai examiné les documents des rapports provisoires, et je n'en ai trouvé aucune preuve — à parler à des enfants et à des jeunes qui ont vraiment bénéficié de nos interventions en santé mentale pour déterminer quel genre de connaissance nous pouvons créer avec eux.

Comme M. Mussell l'a fait remarquer ici, bon an mal an, nous avons renvoyé les jeunes hommes et les jeunes femmes qui nous venaient de collectivités des Premières nations et de collectivités autochtones comme si nous avions accompli notre travail.

Cela m'a toujours profondément perturbé. Merci de nous présenter une façon holistique de voir les choses et une approche qui s'inspire d'une façon de voir le monde différente que le laissent voir les éléments probants, et qui sont aussi absolument mesurables. Parfois, les éléments probants sont plus profonds que cela. Ils se trouvent dans les histoires, les traditions orales, la façon dont les enfants et les jeunes interagissent entre eux et avec leur famille.

De plus en plus de gens conviennent du fait qu'il faut faire valoir la relation entre la promotion des droits des enfants et la promotion du mieux-être mental et affectif. Il y a déjà des ouvrages qui ont été rédigés à ce sujet au Royaume-Uni. Mais nous n'en sommes pas tout à fait là. En 2000, j'ai effectué une recherche active dans la Capital Health Region de Victoria de la Colombie-Britannique, en utilisant la Convention relative aux droits de l'enfant et un cadre de santé de la population pour parler vraiment de ces questions avec les enfants eux-mêmes. C'est grâce à ces travaux et à cette recherche que j'ai obtenu une bourse de recherche au Royaume-Uni. Je n'ai pu trouver personne ici pour faire des travaux de doctorat en fonction de cette recherche. Ici, on ne pourrait pas utiliser les droits de l'enfant dans un cadre de santé de la population. Mais, au Royaume-Uni, on l'a fait.

La recherche la plus connue qui appuie peut-être le plus cette allégation est l'étude McCain-Mustard, étude que la plupart d'entre nous connaissent, j'en suis sûr.

Dans mon exposé et dans le mémoire que j'ai présenté en ligne, j'ai formulé certaines recommandations. Cependant, j'aimerais souligner ce qui, selon moi, pourrait faire avancer notre cause et nous aider à voir les enfants non pas comme des objets, mais bien comme des sujets et des citoyens. Nous devons mener d'autres recherches pour appliquer la Convention relative aux droits de l'enfant dans toutes les disciplines et de façon interdisciplinaire. Notre façon de connaître les enfants et les jeunes en fonction du DSM-IV n'est pas appropriée. L'annonce faite l'été dernier par GlaxoSmithKline et Santé Canada appuie cela.

Je recommanderais qu'un commissaire national à l'enfance surveille cette interconnectivité entre les disciplines et entre les systèmes de prestation de services. Cette recommandation a été formulée ailleurs et est mise en application partout dans les nations du Royaume-Uni. Des commissaires à l'enfance ont été nommés là-bas aux termes de la Convention et du système de reddition de comptes du Comité de Genève sur les droits de l'enfant.

J'aimerais insister sur l'importance d'adopter le plan d'action national et ses recommandations pertinentes lorsqu'il est question de la participation des enfants et des jeunes en santé mentale. En me fondant sur le travail que j'ai moi-même effectué en Colombie-Britannique, j'aimerais faire valoir l'établissement d'équipes de santé mentale à l'école qui travailleraient dans toutes les disciplines et qui s'appuieraient sur diverses modalités de counselling qui ne sont pas rattachées uniquement à l'approche qu'adopte le DSM-IV à l'égard de ces questions.

Le président : Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas techniciens, pouvez-vous nous dire ce qu'est le DSM?

M. Mitchell : Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.

Le président : Est-ce que c'est la bible des psychiatres?

M. Mitchell : Oui. On pourrait aussi l'appeler de cette façon. Je crois que la cinquième édition sera publiée sous peu.

Le Dr Roberts : Je suis pédopsychiatre. J'ai suivi toute ma formation en Angleterre. J'ai vécu en Angleterre, j'ai fait mes études en Angleterre, et, dès 1993-1994, je suis retourné dans ce pays, et j'y ai travaillé. Si je voulais utiliser un exemple de système qui fonctionne très bien pour les enfants, je prendrais la Scandinavie plutôt que l'Angleterre, car elle s'est dotée d'un système humain qui suit l'enfant tout au long de sa vie. Il ne faut pas oublier que le DSM, contrairement à la Bible, n'est pas un produit fini. C'est une œuvre qui évolue toujours. D'ailleurs, les auteurs n'hésitent pas à décrire les troubles dans un langage courant.

Chaque année, 13 000 enfants et adolescents âgés de moins de 17 ans se suicident. Je ne sais pas vraiment quel serait ce chiffre sans les interventions que nous offrons actuellement, comparativement aux interventions que nous assurions lorsque j'ai commencé à exercer, au cours des années 70, mais ce qui est important, c'est que le taux de suicide chez les enfants et les adultes s'est stabilisé depuis 1996.

Le Dr Goldbloom : Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, à l'époque où les Alliés perdaient énormément de bateaux dans l'Atlantique, un homme s'est présenté devant les chefs d'état-major combinés et leur a dit qu'il avait une solution concernant le programme de sous-mariniers de l'Allemagne. Curieux, les chefs d'état-major combinés lui ont demandé de décrire sa solution. Il a dit : « Faites bouillir l'océan Atlantique. Tous les sous-marins remonteront à la surface, et il sera très facile de les cueillir. » Ils ont dit : « C'est très intéressant. Mais comment proposez-vous de faire cela? » Il a répondu : « Écoutez, je vous donne l'idée, vous vous occupez des détails. »

Cela dit, j'avais essayé de vous donner des suggestions le plus pratiques et le plus axées sur l'action possible. À mon avis, et je ne sais pas dans quelle mesure il sera partagé, si on avait à cerner le problème numéro 1 au pays au chapitre de la santé mentale des enfants, les listes d'attente nous viendraient tout de suite à l'esprit. Les listes d'attente sont totalement inacceptables, et ce, d'un bout à l'autre du pays. J'en ai été témoin au fil de mes lectures et de mon expérience personnelle.

En tant qu'observateur neutre, j'ai été invité à présider un groupe qui s'intéressait aux soins ophtalmologiques en Nouvelle-Écosse. Les listes d'attente sont très longues dans ce secteur des soins de santé. En Nouvelle-Écosse, de 2 000 à 2 500 patients étaient en attente d'une chirurgie de la cataracte, et aucun d'entre eux ne pouvait savoir exactement quand il se ferait opérer parce que chaque chirurgien établissait son propre calendrier.

Régler le problème des listes d'attente n'est pas sorcier. Dans ce cas en particulier, nous avons quantifié la liste d'attente. Nous avons quantifié la mesure dans laquelle elle s'allongeait chaque année, et nous avons déterminé ce qu'il fallait faire, en pratique, pour la ramener à un niveau raisonnable. En ajoutant une salle d'opération et en la dotant de personnel, on a pu, en un an, réduire la période d'attente à 90 jours.

Ça prend de l'argent, mais c'est beaucoup plus qu'une question d'argent. C'est une question de planification spécifique. L'une des premières choses qu'il faut faire, sur le plan de la santé mentale, c'est quantifier les listes d'attente dans différentes collectivités et différentes régions, et calculer précisément ce que ça prendra pour ramener ces listes d'attente à un niveau satisfaisant.

On n'a pas à réinventer la roue. Il s'agit d'un document qui a été présenté le mois dernier à la British Paediatric Association, à Armagh. Il portait spécifiquement sur les enfants atteints du THADA, lequel, comme vous le savez, prend des proportions épidémiques ici et partout dans le monde. En un an, la liste des enfants qui attendent de faire l'objet d'une évaluation au titre de l'hyperactivité avec déficit de l'attention a triplé. Pour contrer ce problème, on a tenu des séances d'information à l'intention des parents dont le nom figurait dans la liste d'attente de la clinique depuis neuf mois ou plus.

On a réduit la liste d'attente. Bon nombre des enfants ont commencé à suivre des traitements dans le cadre de séances collectives. On a réduit la liste d'attente de 20 mois à 0 en sept mois seulement. C'est possible.

L'une des premières choses que l'on peut faire pour réduire une longue liste d'attente en santé mentale, ou dans toute autre situation, c'est de réunir les patients et les familles et de traiter avec eux en tant que groupes. Vous seriez très étonné de voir à quel point on peut réduire la liste d'attente en extraordinairement peu de temps. J'ai été ravi d'entendre Michelle Forge parler de la télésanté. Comme le Canada est un pays vaste, la télésanté est une technologie énormément sous-utilisée pour le traitement des problèmes de santé mentale des enfants. Je sais que nous y avons un peu recouru dans notre région; mais je ne peux pas vous donner de chiffres. Cependant, parler à une famille par l'entremise d'une connexion vidéo est presque aussi efficace que de l'avoir en face de soi, dans la même pièce. Ainsi, on peut traiter avec un très grand nombre de patients qui sont aux prises avec de réels problèmes d'accès..

Revenons aux listes d'attente. Dans une banlieue de Halifax, Sackville, où nous avons une équipe communautaire de santé mentale, on a réussi à réduire la liste d'attente, qui est passée de 21 mois à 8 ou 9 mois, grâce aux groupes de parents.

Nous avons réduit la liste d'attente pour la chirurgie de la cataracte à 90 jours en environ un an. Ce ne sont pas des problèmes insolubles, mais ils partent tous du même point, et c'est la démographie, c'est-à-dire la longueur de la liste, le temps d'attente, le rythme d'évolution de la liste d'attente, et ce dont on a besoin pour régler ce problème. C'est là qu'une approche novatrice peut faire beaucoup de bien.

Ma deuxième suggestion est la suivante : nous devons effectuer un déménagement majeur. Les services de santé mentale dans la plupart des collectivités doivent déménager dans les écoles. L'école est l'habitat naturel des enfants. Ils y vivent pendant six ou huit heures par jour, les parents y vont souvent, et c'est là qu'on peut régler les problèmes en collaborant avec les enseignants.

À mon âge avancé, il se trouve que je travaille avec beaucoup d'enfants qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, et je communique constamment avec des enseignants, quelque chose que, au cours des 50 premières années, je ne faisais pas très souvent. Aujourd'hui, je considère que c'est l'une des choses les plus utiles que je fais.

Ma prochaine suggestion pratique, que j'ai déjà présentée à l'assemblée annuelle de l'Association canadienne des pédopsychiatres, est la suivante : les services de pédopsychiatrie et de pédiatrie du pays devraient se réunir et former un seul service de santé de l'enfant. La dissociation du corps et de l'esprit perdure, même si toutes les données scientifiques montrent clairement qu'il n'y a pas de distinction qui vaille. Nous avons beaucoup plus en commun les uns avec les autres, à mon avis, que les pédopsychiatres et les psychiatres pour adultes. Par conséquent, comme un médecin britannique l'a déjà dit, l'histoire d'amour entre la pédiatrie et la pédopsychiatrie existe depuis des décennies, et il est temps qu'ils se marient, ne fût-ce que pour l'amour des enfants.

Il faut exercer des pressions par l'entremise des chefs des services canadiens de pédopsychiatrie et de pédiatrie, par l'entremise du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, qui certifient ces gens. On possède des preuves bien documentées du fait que les pédiatres, qui voient un nombre énorme et de plus en plus grand d'enfants aux prises avec des problèmes de santé mentale, sont mal préparés à ce travail. Voici un document qui a été présenté le 15 mai aux Pediatric Academic Societies. Il provient de l'Université de la Californie. Les chercheurs ont envoyé un questionnaire à tous les chefs de programmes de résidence en pédiatrie, programmes de formation de troisième cycle. Quatre-vingt quatre pour cent des directeurs de programmes ont indiqué que, selon eux, la période de formation en santé mentale des enfants était minime ou sous-optimale. On a passé en revue les diverses affections, notamment le THADA, les troubles de l'alimentation, les troubles de l'humeur et ainsi de suite. Moins de 15 p. 100 des programmes offraient une formation en pédopsychiatrie en milieu hospitalier, et seulement 25 p. 100 des répondants ont décrit une formation ambulatoire offerte par des psychiatres ou des professions en santé mentale.

Il est clair, non seulement pour les psychiatres, mais également pour les pédiatres, et ces résultats seraient sûrement semblables au Canada, que la formation qu'obtiennent les gens qui s'occupent des enfants est extrêmement inadéquate, et je n'ai pas parlé des médecins de famille. Cela m'amène à ma prochaine suggestion pratique.

Les enfants n'existent pas seulement comme des enfants. Ce n'est sûrement pas une grande nouvelle pour vous. Ils existent en tant que membres d'un comité que nous appelons la famille, un comité formé de personnes qui vivent dans une sorte d'équilibre dynamique. L'une des choses que m'ont apprises tôt dans ma carrière les gens de McMaster, berceau de la thérapie familiale au Canada, et, dans une certaine mesure, dans le monde entier, c'est que lorsqu'on remplace un membre de cet équilibre dynamique, que ce soit pour le meilleur ou pour le pire, tous les membres changent. C'est l'un des facteurs qui est à l'origine de l'échec des traitements. Nous traitons l'enfant, mais pas dans son milieu familial.

Voici ma prochaine suggestion pratique. Je suis un grand défenseur de la thérapie familiale. Je travaille avec les familles en tant que familles. Je refuse de voir les enfants si leurs deux parents ne sont pas présents.

Je crois que nous avons besoin d'une restructuration de la formation en thérapie familiale au Canada, et cela concerne non seulement les psychiatres et les médecins, mais également les travailleurs sociaux, les infirmières et le clergé. Nous avons un directeur de service de pastorale qui est un thérapeute familial formé, et la plupart des membres de notre personnel médical l'ignorent. Par conséquent, nous avons besoin d'une façon d'allonger la sauce en santé mentale. Parfois, en ajoutant un peu de liquide, on peut obtenir une plus grande quantité de sauce. C'est une façon de grossir les effectifs en santé mentale.

Les soins de santé sont trop importants pour qu'on les réserve aux médecins, aux psychiatres ou aux infirmières. Tout le monde doit y participer, et il est possible de former d'excellents thérapeutes familiaux. Je crois qu'on devrait trouver au Canada au moins un ou deux centres qui s'y consacrent spécifiquement, des centres où toutes les provinces et tous les territoires seraient tenus d'envoyer un certain nombre de personnes chaque année, de sorte que nous puissions utiliser ce facteur de multiplication pour disperser des thérapeutes familiaux efficaces un peu partout au pays. C'est possible.

Lorsqu'on parle de santé mentale, les gens disent que nous avons besoin de plus de psychiatres et de davantage de psychologues. Combien de temps ça prend pour en former un? Pendant combien de temps pouvons-nous attendre que ces merveilleuses personnes soient formées? On ne peut pas. On peut former des thérapeutes familiaux en relativement peu de temps. Ils ne seront peut-être pas aussi bons que les pédopsychologues qui ont fait des études supérieures, mais faute de grives, on mange des merles.

J'ai mentionné qu'il fallait déménager les services de santé mentale dans les écoles. On doit tenir compte de la vie des gens et de l'endroit où ils peuvent accéder aux services. Je ne pense pas que nous profitions un tant soit peu des soirs. C'est à ce moment-là qu'on peut réunir les parents. Nous vivons dans une société où les gens font du 9 à 5, mais lorsqu'il est question de la santé mentale des enfants, surtout lorsque l'intervention de groupes est importante, on doit rassembler les gens.

C'est la même chose pour les femmes enceintes. C'est pendant la grossesse que l'on devrait commencer à offrir des soins en santé mentale, lorsque ces femmes, leur partenaire et leurs autres enfants devraient souvent participer aux interventions.

J'ai parlé de la télésanté. On devrait y recourir davantage dans les diverses parties du pays. Avec l'aide d'organisations comme la CDC, on pourrait y arriver. Il faudrait en planifier la mise au point de sorte que les gens aient accès aux soins de santé mentale sans avoir à quitter leur foyer, dans les régions éloignées, car cela pourrait leur créer d'énormes préjudices.

Le président : En réaction à votre commentaire sur le déménagement des services dans les écoles, je vous dirais que la tendance est clairement aux soins primaires multidisciplinaires, et non pas aux centres de soins de santé primaires dotés de psychologues. Selon vous, est-ce qu'ils jouent un rôle important, ou est-ce que le service devrait être offert à l'école?

Le Dr Goldbloom : Selon moi, le service devrait être offert à l'école. Dans certaines écoles secondaires, nous avons des centres de santé pour les adolescents, qui sont habituellement dotés d'une infirmière qui est responsable des soins de santé mentale et physique de toute l'école.

À l'occasion, nous envoyons nos résidents dans les écoles. D'autres centres le font aussi. Mais c'est loin d'être suffisant. Une exposition d'une journée ne suffit pas. Nous avons besoin d'exposition et de responsabilités pour travailler avec les enfants là où ils sont et là où leur famille est prête à aller. Je considère que l'école est le centre de soins de santé le plus sous-exploité de n'importe quel centre au pays.

Le président : Ça ne concerne pas seulement les soins de santé mentale.

Le Dr Goldbloom : Ça concerne tous les types de soins de santé, mais surtout les soins de santé mentale.

Mme Whitenect : J'aimerais renforcer ce point. En ce qui a trait aux installations de soins primaires, nous faisons la même chose au Nouveau-Brunswick. Lorsque vous parlez de services pour adultes, ça fonctionne pour des adultes. Cependant, lorsqu'il est question de services destinés aux enfants et aux adolescents, nous devons parler du système scolaire.

Nos employés qui traitent les personnes aux prises avec des dépendances n'ont pas de bureau ailleurs que dans le système scolaire. Ils font tout leur travail dans les écoles. Vous avez raison lorsque vous dites que cela réduit les stigmates. Les parents sont prêts à aller dans les écoles. C'est un environnement naturel. Bien des jeunes utilisent le système scolaire, et donc, il est accessible. Pour ce qui est des jeunes qui ne peuvent pas être dans le système scolaire, nous avons des bureaux parallèles. Ces bureaux sont quand même rattachés à l'école. Je vous assure que c'est là qu'on devrait offrir les services.

Mme Hills : Ça permet également aux écoles de régler certains problèmes culturels dans une communauté individuelle. Parmi les exemples créatifs récents, mentionnons un cas où des services familiaux juifs ont envoyé un psychiatre dans une école, mais où le psychiatre n'était pas appelé comme tel. Il se faisait appeler « conseiller en orientation ». Les étudiants ne seraient pas allés au bureau du psychiatre, mais ils allaient voir un conseiller en orientation. On savait que M. Goldbloom venait le mercredi après-midi en tant que conseiller en orientation itinérant. En fin de compte, tous les enfants savaient qu'il était psychiatre, mais ils ne l'appelaient pas comme ça. Les familles étaient plus à l'aise ainsi.

Étant donné les différences culturelles dans la RGT et dans bien des collectivités canadiennes, il n'est pas rare que les parents ne veuillent pas parler de problèmes de santé mentale. C'est l'école qui a été leur carrefour. Les écoles sont devenues très créatives dans la façon dont elles travaillent avec ces communautés multiculturelles.

M. Mussell : Je ne voudrais pas démolir une bonne idée, mais j'ai bien peur que les écoles n'aient pas nécessairement une bonne réputation pour ce qui est de réduire les stigmates qui marquent les enfants de cultures différentes, surtout les Autochtones. Il y a beaucoup d'intimidation. En Colombie-Britannique, des jeunes âgés de 14 ans ont perdu la vie à cause de l'intimidation. Selon moi, les enseignants ne sont pas bien préparés ni outillés pour intervenir dans des cas de stigmatisation et d'intimidation. Au Canada, d'après ce que j'ai lu, les principales victimes de l'intimidation sont des Autochtones.

C'est juste une mise en garde. J'aime votre idée, mais la réalité que je connais est tout autre.

Mme Forge : J'aimerais faire valoir trois points. Tout d'abord, je voudrais réagir aux commentaires de M. Mussell concernant l'intimidation. C'est un problème sur lequel il faut se pencher. Cette année, dans notre district, nous allons mettre en œuvre une politique et une procédure anti-intimidation, et tout ce que ça suppose en fait de perfectionnement du personnel. Nous avons effectué un sondage auprès de la moitié de nos étudiants au sujet de l'intimidation pour déterminer la source des problèmes et ce que nous devons faire pour les régler.

Il s'agit d'une mise en garde cruciale, mais on doit la considérer dans le contexte de ce que nous pouvons faire pour nous assurer que la situation ne persiste pas ou ne nous empêche pas de faire appel aux écoles pour offrir le service.

Cela m'amène à mes deux autres points. Ce partenariat a ceci d'avantageux pour nous que nous pouvons gérer une année scolaire de dix mois par blocs de dix mois. En travaillant avec des organismes communautaires, nous avons pu élargir notre capacité de soutenir les jeunes à douze mois. Souvent, pendant les deux mois de l'été, il y a un dérapage en ce qui a trait aux problèmes de santé mentale des jeunes et des enfants. On découvre qu'on défait tout le bon travail qu'on a effectué parce qu'il n'y a pas de soutien continu pendant l'été. C'est un élément clé du modèle de partenariat. Il devient de plus en plus important de faire exactement ce qu'on dit, de parler des écoles comme d'un carrefour.

Mon autre point est une mise en garde. Les écoles sont des bêtes différentes. Nous sommes une organisation différente. Nous avons un mandat assez restreint, à certains égards, et, à d'autres égards, il est très large. Lorsque nous essayons d'établir des partenariats, nous le faisons plus ou moins efficacement, sur le plan, habituellement, des personnalités et des relations qui sont nouées.

Si nous voulons dire que les écoles sont un carrefour, nous devons déterminer ce que nous devons faire pour qu'elles le soient vraiment, ce à quoi ça ressemble lorsqu'on travaille efficacement, les compétences nécessaires ainsi que les personnes qui doivent mettre l'épaule à la roue. Tout le projet peut dérailler assez rapidement si les gens ne s'y consacrent pas.

M. Mussell : Lorsqu'ils ont essayé d'enrichir l'enseignement offert aux apprenants autochtones en Colombie-Britannique, des parents et des gens de la collectivité ont été limités par le système à cause des règlements et des exigences du syndicat. Cela me préoccuperait si je voulais faire des écoles le carrefour des services de santé mentale.

Le Dr Davidson : J'aimerais appuyer ce que dit M. Mussell. Je vous rappellerai ce que j'ai dit au sujet du fait que les écoles ont accès à tous les enfants et à tous les jeunes. Les enfants et les jeunes ne vont pas tous à l'école, certains parce qu'ils y sont victimes d'intimidation, et un grand nombre parce qu'ils sont atteints d'un grave trouble psychiatrique du type « intériorisation ». Ces enfants refusent d'aller à l'école. Les enfants qui souffrent plutôt d'un trouble d'extériorisation sont plus enclins à faire l'école buissonnière. Dan Offord, qui n'est plus de ce monde, a parlé et écrit de façon très élégante sur le concept des communautés civiques. Lorsque nous parlons de l'école comme d'un carrefour, nous devons élargir cette pensée. Selon moi, ce n'est pas seulement un endroit où l'on offre des services aux enfants et aux jeunes. C'est un lieu communautaire. Les écoles sont là pour servir, et elles devraient servir les gens de tout âge. À mon avis, un carrefour est un endroit où tous les gens, quel que soit leur âge, peuvent aller.

Lorsqu'un de mes collègues, Yvon Lapierre, a pris sa retraite, je lui ai demandé s'il serait prêt à être expert-conseil dans le programme que j'administre à l'Hôpital pour enfants. Il m'a dit : « Vous ne voulez pas de moi. J'en suis à la fin de ma vie. » Je lui ai dit : « C'est exactement pour cela que nous vous voulons. »

Nos aînés ont énormément à offrir. Leur présence dans notre système scolaire aurait pour nous une valeur inestimable. Cela leur donnerait confiance en eux, et on reconnaîtrait ce qu'ils ont fait dans le restant de leur vie.

Ce que je veux dire, c'est que l'école est au service des gens. Comme on l'a mentionné, les soirs sont importants. Les écoles devraient être ouvertes presque 24 heures sur 24, sept jours sur sept, et nous devrions offrir des services dans les écoles, mais pour les gens de tous les âges, notamment des programmes comme des programmes d'alphabétisation, l'apprentissage de la cuisine, et d'apprentissage de la culture des fruits et des légumes. Si nous élargissons notre vision du modèle de carrefour en y intégrant les gens de tous les âges, le système scolaire a des possibilités à offrir.

La Dre Israël : Vous allez devoir entendre certaines idées qui ont déjà été énoncées. Je suis d'accord avec beaucoup de ce qui a été dit, mais j'ai déjà beaucoup appris aujourd'hui, aussi. Je pense que je vais communiquer ce que j'ai appris à mes étudiants en pédopsychiatrie.

Mon exposé s'inspire de la question suivante : « Où vont les bonnes idées? » Beaucoup de bonnes idées ne vont nulle part, ne sont jamais mises à l'essai et ne sont pas adoptées. C'est de cela dont je veux parler.

Ce qui me frappe le plus au sujet de la prestation de services en santé mentale, qu'ils soient destinés aux enfants ou aux adultes, c'est leur hétérogénéité et la mesure dans laquelle, dans notre propre pays, il existe une telle disparité dans la manière dont les services sont organisés, les ressources sont rationalisées et les orientations et priorités sont établies. Sans sacrifier le principe de l'adaptation des programmes aux ressources et besoins locaux, il y a beaucoup à gagner à centraliser les tâches clés et à canaliser l'expertise dans l'élaboration d'une stratégie nationale à plusieurs facettes, axée sur les besoins en santé mentale des enfants canadiens.

Vous m'avez déjà convaincue aujourd'hui que les enfants doivent être traités isolément des adultes. Je suis psychiatre pour adultes, et je me concentre principalement sur le monde adulte. Toutefois, je sais, d'après mon expérience à l'hôpital, que les partenaires et les enjeux sont entièrement différents. Si on fusionnait les deux, ils seraient moins efficaces. Par ailleurs, conformément à ce que le Dr Goldbloom a dit, il y a peut-être des façons de collaborer avec d'autres secteurs qui ne s'appliquent pas à la santé mentale des adultes.

Dans le domaine de la santé mentale, nous voyons des troubles complexes qui résultent d'interactions compliquées entre la génétique et l'environnement. Je viens du secteur où on offre des traitements spécialisés. Cependant, j'estime que les traitements spécialisés coûtent cher, ne sont pas accessibles à tous, ne mettent pas l'accent sur la promotion ni la prévention, et ne font que régler les problèmes visibles en matière de santé mentale des enfants.

Comment pouvons-nous intégrer une base de connaissances mondiale de plus en plus imposante sur la promotion, la prévention, l'intervention précoce et le traitement aux politiques de santé publique, aux stratégies d'éducation du public et des professionnels, ainsi qu'à l'organisation et à la planification des services? Bien sûr, je ne connais pas la réponse, mais il y a de nombreuses façons d'aborder la question.

Quoi qu'il en soit, je vous dirais que nous avons besoin d'une structure centralisée qui serait axée sur la santé mentale des enfants, mais qui nous permettrait aussi de travailler avec d'autres secteurs. Une structure centralisée répondrait à six considérations.

Premièrement, elle permettrait de regrouper des données provenant d'études épidémiologiques et d'études sur la population pour mesurer et surveiller les besoins en santé de la population, qui changent à mesure qu'évolue notre environnement. Par exemple, il faut déterminer si la tendance est à l'augmentation ou à la réduction de certains problèmes, afin de prévoir les besoins et d'affecter des ressources là où on en a besoin, et pour promouvoir l'identification précoce de facteurs de risque potentiels lorsqu'on les connaît.

Dans mon propre domaine, je pense à l'obésité chez les enfants. Aux États-Unis, les chiffres sont hors de proportion. Au Canada, on commence à observer ce phénomène. Cela aura des répercussions tant sur la santé physique que sur la santé mentale. Comme vous le savez, l'obésité et le manque d'estime de soi vont de pair, sans parler de l'intimidation et des railleries dont font l'objet les enfants obèses. Plus vite nous apprendrons ce qui se passe dans une collectivité donnée et quelles collectivités sont à risque, plus vite nous pourrons intervenir pour concevoir des interventions complètes visant à promouvoir l'alimentation saine et l'activité physique. Nous ne parlons pas ici de traiter des enfants obèses et des enfants qui ont des problèmes de santé liés au développement, ni de traiter des enfants qui sont obèses et qui finissent par avoir des troubles de l'alimentation parce qu'ils doivent suivre un régime strict.

Le deuxième aspect dans lequel une structure centralisée fonctionnerait, c'est qu'elle orienterait les programmes de recherche et le financement des recherches. On ne devrait pas laisser au hasard le choix des bénéficiaires. Nous devons décider dans quelle direction nous devrions orienter nos efforts de recherche. Nous avons besoin davantage de recherches évaluatives pour mesurer l'efficacité des programmes existants et l'impact d'interventions précoces sur la santé future. Nous n'en savons pas suffisamment à ce sujet. Nous devons nous concentrer sur les interactions entre la génétique et l'environnement, et examiner des facteurs qui non seulement atténuent les risques, mais visent la résilience. Qui est épargné, et pourquoi? Nous devons étudier l'impact de la publicité sur les enfants et évaluer la façon dont on pourrait exploiter les médias et les outils de communication pour réduire les stigmates plutôt que les renforcer.

La semaine dernière, j'ai assisté à une conférence donnée par Kelly Brownell, des États-Unis, de Yale. Il a démontré que les médias entraînent les enfants à s'empiffrer et à privilégier la restauration rapide. Il a parlé de la grosseur des portions et de la vulnérabilité de nos enfants face à cela, et de nouvelles stratégies qui consistent à envoyer des messages-textes sur le téléphone cellulaire des enfants. Il semblerait que la plupart des enfants ont un téléphone cellulaire aujourd'hui. Nos enfants sont influencés par des gens sur lesquels nous n'avons aucune emprise, et cela ne s'applique pas seulement à mon domaine, les troubles de l'alimentation, car on bombarde tous les jours les enfants d'images du corps idéal, qui est mince. Cela s'applique également à d'autres enjeux comme la violence et les modèles que l'on présente aux enfants par l'entremise des médias. Selon moi, c'est un gros problème que la plupart d'entre nous n'abordons même pas.

Nous n'avons pas de réponses à bon nombre des questions dont nous parlons aujourd'hui, parce que nous manquons de données. À défaut d'informations, nous pouvons nous fonder sur l'opinion d'experts, et, parfois, c'est correct, mais idéalement, les réponses à certaines de nos questions devraient émaner de recherches bien dirigées. C'est pourquoi nous devons surveiller le genre de recherches qu'on effectue. Les experts doivent documenter la stratégie de recherche.

De plus, une structure centralisée pourrait permettre de traduire les conclusions des recherches une fois qu'on les a recueillies auprès des politiques de santé internationales visant à promouvoir la santé ou à prévenir la maladie.

Je vais revenir quelques instants aux troubles de l'alimentation. La semaine dernière, les chercheurs du monde entier se sont réunis à Montréal, où j'ai organisé une conférence internationale. Nous avons discuté de la prévention de l'obésité infantile, mais également des effets potentiellement dommageables de la promotion de régimes en ce qui a trait aux risques accrus de troubles de l'alimentation. Nous travaillons avec une arme à double tranchant. Il y avait une réunion parrainée par le NIMH, où les gens se sont rencontrés pour parler d'outils de dépistage et d'évaluation visant les préadolescents, qui sont aujourd'hui bien ciblés car ils sont considérés comme étant très à risque. Ces outils seraient destinés aux médecins de famille et aux pédiatres, et non pas aux psychiatres. Lorsque nous les obtiendrons, il sera beaucoup trop tard.

Dans le même ordre d'idées, j'ai appris, à cette conférence, qu'on met au point à Halifax des outils Web à l'intention des enseignants, outils qui les aideront à promouvoir de saines habitudes d'alimentation et des stratégies d'amélioration de l'estime de soi. Si je n'avais pas rencontré cette femme dans le couloir et si je n'avais pas vu son affiche, je ne le saurais peut-être pas. Pourquoi ne pourrions-nous pas tous bénéficier de tout ce qui se passe, non seulement au Canada, mais dans le monde entier?

Quatrièmement, une telle structure permettrait de centraliser la préparation et la diffusion de l'information, comme les campagnes d'éducation et de sensibilisation du public, mais aussi d'investir dans l'apprentissage et la formation de professionnels qui n'oeuvrent pas dans le domaine de la santé mentale. Nous devrions élaborer un programme d'études en santé mentale qui s'enchâsserait dans le programme pédagogique des enseignants, des techniciens en garderie et d'autres professionnels de la santé. Comme bien des gens l'ont dit, dans les écoles de médecine, on n'enseigne pratiquement rien dans le domaine de la santé mentale. Bon nombre des spécialistes qui sont exposés quotidiennement à des problèmes de santé mentale n'en savent rien. L'objectif consisterait d'abord à réduire les stigmates en éduquant les jeunes, mais aussi en les amenant à mieux connaître les troubles courants.

Ce que Judy Hills a fait valoir est exactement ce que j'avais en tête, mais je ne savais pas que ça existait. C'est une merveilleuse idée, et cela permettrait de montrer aux gens comment ils peuvent accéder aux services ou de leur dire où ils doivent aller s'ils cernent un problème, quelque chose que bien des gens ne savent pas.

Comme toujours, lorsqu'on met en œuvre un programme, il faut déterminer à l'avance les indicateurs que l'on surveillera pour savoir si le programme fonctionne ou pas.

Numéro cinq, cette structure permettrait de traduire les conclusions des recherches dans l'élaboration de modèles de soins fondés sur les données et de s'assurer que ces conclusions et les principales répercussions des recherches, et les nouvelles stratégies et initiatives fructueuses sont appliquées rapidement et systématiquement, plutôt que localement, pour le bénéfice d'un petit nombre de personnes.

Enfin, cette structure permettrait de surveiller l'assurance de la qualité et d'organiser la prestation de services de sorte qu'on dispense des services optimaux au plus grand nombre d'enfants possible. Il est urgent de définir les niveaux de soins et de mettre en place le système hiérarchique en le dotant de lignes de référence claires, et de diffuser des outils appropriés pour que les travailleurs de la santé non spécialisés puissent intervenir efficacement auprès d'une majorité d'enfants. L'idée, ici, c'est que les choses sont organisées de façon centrale par une foule de spécialistes et d'experts, mais que les soins sont dispensés principalement par des gens qui ne sont pas nécessairement des spécialistes, mais qui sont le plus souvent en contact avec les enfants. On a grandement besoin de points de référence quant aux ratios raisonnables de dotation et de services. Nous n'en avons aucune idée. Les gens débattent de toutes sortes de statistiques, mais nous devons connaître le minimum dont une collectivité a besoin pour assurer la bonne santé mentale de ses enfants.

La création d'une structure centralisée ne suppose pas nécessairement l'embauche de scientifiques ou de professionnels. Il faut plutôt coordonner les efforts qui sont déjà déployés, éliminer la redondance et offrir une infrastructure qui facilite la mise en commun de l'expertise et la diffusion des connaissances et du savoir-faire. Le principe directeur est l'utilisation optimale des scientifiques et des spécialistes en santé mentale et la redistribution des tâches entre toutes les personnes qui ont une influence sur la santé mentale des enfants. On pourrait déléguer des projets à un groupe possédant une expertise particulière, et, de cette façon, tout le monde bénéficierait des résultats.

Actuellement, nous avons un petit groupe de spécialistes en santé mentale qui essaient tant bien que mal de répondre à la demande accrue en services, alors qu'une multitude de travailleurs en soins primaires, professionnels qui n'oeuvrent pas dans le domaine des soins de santé, enseignants et techniciens en garderie, dont l'intervention pourrait être utile, ne sont pas organisés pour le faire. Je recommanderais donc que les spécialistes se consacrent soit à la prestation de soins spécialisés, soit à la conception et à la mise en œuvre de vastes plans de santé mentale et d'une définition et de lignes directrices claires en ce qui concerne les services personnalisés.

Le sénateur Keon : Votre point de vue de psychiatre pour adultes qui parle des enfants est très intéressant. Vous nous avez décrit très clairement comment, selon vous, on pourrait traiter les enfants. Du moins, vous avez bien fait comprendre qu'on doit cibler ces services — il ne faut pas les flanquer avec les services aux adultes.

Tôt ou tard sur le chemin de sa vie, comme nous le savons tous, l'enfant devient adulte. À ce moment-là, il passe par quelques transitions difficiles. C'est l'adolescence. Personne ne sait ce qu'est un adolescent. Ça dépend de la définition qu'on en donne : est-ce que c'est pour l'obtention du permis de conduire, ou autre chose? Même si je ne connais pas grand-chose à la question, je vois deux grandes failles dans le système. La première se situe de la naissance jusqu'à l'âge de trois ans. L'autre concerne le passage de l'enfant à l'âge adulte. Comment feriez-vous pour corriger la situation?

La Dre Israël : Je vais commencer par la question de la naissance à l'âge de trois ans. J'ai parlé d'autres travailleurs du secteur des soins de santé. Prenez les infirmières qui vont dans les foyers pour s'assurer que les enfants sont bien portants, ou les travailleurs en garderie. Dans quelle mesure leur enseigne-t-on à reconnaître les enfants qui ont des problèmes ou à savoir où s'adresser pour obtenir de l'aide? Ils n'ont pas à les traiter ni à intervenir. Mon concept ne part pas à l'âge de cinq ans. Il peut s'appliquer dès la naissance, avec les pédiatres ou les médecins de famille qui sont en contact avec les enfants.

En Israël, les infirmières suivent les enfants depuis la clinique communautaire locale jusqu'à l'âge de 18 ans. Elles utilisent un tableau de poids pour déterminer quels enfants commencent à sombrer dans les troubles de l'alimentation et lesquels perdent beaucoup de poids. Il doit y avoir des façons d'assurer un suivi, un dépistage et le diagnostic, mais aussi de faire en sorte que les interventions visent ces personnes, parce que ce sont elles qui sont en contact avec les enfants.

L'âge de transition est une question qu'il faut étudier. On ne sait pas vraiment à quel âge se termine l'adolescence. Récemment, j'ai entendu quelqu'un dire que c'était à 25 ans. Au Québec, nous sommes en train de mettre en œuvre un plan de santé mentale. Je ne sais pas si vous l'avez vu.

Le président : Nous en avons entendu parler. Nous en avons discuté longuement.

La Dre Israël : Il sera définitif au cours des prochaines semaines. C'est un bon exemple de centralisation et de directives sur l'affectation des ressources, sur la hiérarchie des services. Il est loin d'être parfait, mais il prend position, et personne n'y est indifférent. On parle de la possibilité de fixer l'âge limite de l'adolescence à 25 ans, surtout lorsque les enfants restent longtemps à la maison, et ainsi de suite. Ils ont encore la mentalité d'un adolescent. Nous avons besoin de services d'aide à la transition. Nous devons faire en sorte que les services ciblent certains enfants et n'aient pas de limites, mais nous permettent d'évaluer où en est la personne plutôt que de fixer une limite arbitraire de 18 ans et 11 mois, ou quelle que soit la limite établie dans votre province.

Cela fait partie des enjeux que nous devons étudier. La première étape, c'est que les programmes ne devraient pas débuter à l'âge de 18 ans; ils devraient commencer à l'âge de 14 ans. C'est ce que nous avons fait dans notre hôpital, parce que la psychose précoce peut apparaître à cet âge-là, et si on veut intervenir rapidement, il faut le faire à ce moment-là. Les deux secteurs doivent communiquer entre eux et intégrer leurs activités, surtout en ce qui a trait aux adolescents.

M. Manion : Je suis d'accord avec la majeure partie de vos propos. En ce qui concerne votre dernière déclaration, je vous dirai que les jeunes âgés de 14 ou de 15 ans ne sont pas tous pareils. Nous mettons des limites artificielles, davantage pour des raisons financières et fiduciaires que pour des motifs réalistes liés au développement et pour mieux servir les gens. Nous devons complètement changer notre point de vue, en fonction des besoins de la personne.

Je veux faire une observation sur la recherche. Je suis absolument convaincu qu'il faut améliorer nos connaissances sur ce qui fonctionne. La pratique fondée sur des données est très importante, mais elle a ses limites. Nous devons comprendre que ce qu'on met au point dans un milieu fermé, un laboratoire ou dans un environnement contrôlé ne fonctionne pas nécessairement dans une collectivité isolée qui ne possède pas le même genre de ressources et qui ne peut rien changer à la situation. Parfois, nous devons examiner une pratique prometteuse dans une autre collectivité et peut-être la valider en effectuant des recherches pour démontrer qu'elle fonctionne et qu'elle pourrait s'appliquer à d'autres situations. Nous devons aller du haut vers le bas et du bas vers le haut en même temps pour accroître nos connaissances.

La Dre Israël : C'est pourquoi j'ai fait une distinction entre la pratique fondée sur des données et l'assurance de la qualité. Lorsqu'on effectue l'assurance de la qualité, on n'utilise pas de méthodes scientifiques pour prouver quelque chose, mais on peut surveiller ce qui se passe et observer les répercussions. Parfois, nous avons l'impression que les choses fonctionnent, mais lorsque nous les mesurons, ça ne fonctionne pas aussi bien que nous le pensions. De plus, cette pratique peut aussi permettre de déterminer les gens qui retirent le plus d'avantages. De cette façon, on ne veut peut-être pas l'exporter systématiquement, mais on peut dire que, quelque part, une collectivité semblable vivant des réalités similaires pourrait bénéficier d'une telle stratégie, alors qu'elle ne fonctionnerait pas dans un centre urbain.

M. Manion : L'évaluation des programmes et l'amélioration de la qualité sont essentielles. C'est étrange à quel point peu de recherches sont financées dans ce domaine, parce qu'elles ne sont pas toujours considérées comme étant de la vraie science. On doit également tenir compte de cette valeur lorsque nous examinons les données scientifiques, et cela est vraiment utile pour les collectivités.

La Dre Israël : Nous sommes d'accord avec vous.

M. Manion : Oui, nous sommes d'accord avec vous.

Le Dr Goldbloom : En ce qui concerne la question de la pratique fondée sur des données probantes plutôt que le consensus, à laquelle la Dre Israël a fait allusion, j'avoue que j'ai un parti pris marqué pour la pratique fondée sur les données probantes. Lorsqu'on n'a pas de données, il faut en recueillir, parce que le consensus présente une feuille de route peu enviable. Le Dr Alvin Feinstein, de la Harvard School of Public Health, a dit qu'on peut attribuer la plupart des plus grosses erreurs dans l'histoire de la médecine aux opinions d'experts, et quand on y pense, on voit que c'est vrai. Il y a des milliers d'exemples de cela.

On a également soulevé la question de la prestation des soins de santé mentale dans le cadre des soins primaires. Il est important d'être réaliste ici. Actuellement, j'offre mes services en tant qu'expert-conseil. La plupart des enfants que je rencontre me sont recommandés par des médecins qui dispensent des soins primaires.

Ça ne m'a pas pris beaucoup de temps pour découvrir que la principale raison pour laquelle les médecins qui dispensent des soins primaires me recommandent ces enfants, c'est qu'ils se rendent compte qu'ils ne régleront pas le cas en dix minutes.

Sir William Osler a dit une fois que, lorsque les médecins parlent de questions de principe, ils pensent invariablement à l'argent. Nous sommes aux prises avec un problème pratique en santé mentale. En effet, les gens sont rémunérés selon le nombre de patients qu'ils reçoivent en consultation. Tant et aussi longtemps que ce sera le cas, on n'offrira pas beaucoup de soins en santé mentale dans le cadre des soins primaires.

Le sénateur LeBreton : Le Dr Goldbloom m'a rappelé la question à laquelle je pensais lorsque la Dre Israël parlait. Des témoins nous ont déjà parlé de gens qui sont allés en psychiatrie ou en psychologie, de la durée de la formation requise, du temps qu'ils doivent consacrer à chaque patient, et même des stigmates auxquels on s'expose lorsque les gens disent : « Mon Dieu, vous allez en psychiatrie? » Y a-t-il eu une évolution dans le domaine, et peut-on régler ces problèmes?

En ce qui concerne votre argument, Docteure Israël, au sujet de l'apprentissage et de la formation des professionnels qui n'œuvrent pas en santé mentale, pourrait-on, d'une façon ou d'une autre, inclure ce groupe dans le portrait global pour qu'il facilite la vie des gens qui étudient en médecine et dans ces domaines spécialisés, de sorte qu'ils n'aient pas à être stigmatisés, même dans leur propre collectivité?

Le Dr Goldbloom : J'ai essayé de proposer une façon de le faire, et cela passe par la formation en thérapie familiale, qui touche autant de disciplines que vous le voulez. On peut former des profanes intelligents pour qu'ils deviennent d'excellents thérapeutes familiaux. C'est une question de formation et de certification, mais ça n'exige pas huit années d'études universitaires. Nous devons adopter la méthode rapide et primaire pour le faire à l'échelle nationale. Honnêtement, ce serait une des façons les plus rapides de régler la question de la santé mentale.

La Dre Israël : J'ai quelque chose à dire au sujet des omnipraticiens et des médecins de famille qui manquent de temps. Si on mettait en place une équipe et le modèle de soins partagés, en faisant appel non pas à des psychiatres, mais à d'autres professionnels en santé mentale, qui peuvent consulter rapidement un conseiller, un psychologique ou un travailleur social dans le cadre de leur pratique, ce serait plus facile. Tout ce qu'ils doivent faire, c'est comprendre le problème. Pourquoi un enfant devrait-il attendre six mois pour voir un psychiatre alors que le problème exige peut-être une intervention dans la famille?

Les médecins ont le réflexe de dire : « Ce cas est étrange; je ne peux pas m'en occuper, je n'ai pas le temps de m'en occuper, je vais l'envoyer voir un psychiatre » parce qu'ils n'ont pas d'aide dans l'immédiat.

Je n'ai pas parlé du contenu, parce que je pourrais parler pendant toute une journée des différentes façons d'accélérer l'accès aux soins. Lorsqu'on parle d'intervention ou de prévention précoce, on parle de la période qui précède celle où les enfants en arrivent au point d'avoir besoin d'un psychiatre. Il existe de nombreuses stratégies. La question est de savoir comment nous allons choisir les meilleurs et nous assurer que nous en bénéficions tous.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je dois me porter à la défense des médecins de famille. Je crois que les médecins de famille ont besoin de davantage de formation, surtout en ce qui a trait à la santé mentale des enfants. En général, nous suivons une formation assez longue en santé mentale, formation qui porte surtout sur la santé mentale des adultes. Il faut sans contredit augmenter cette formation dans le programme d'études.

Je ne connais pas le pourcentage de cas. Souvent, le médecin de famille cerne le problème dès les premiers mois. L'un des rôles cruciaux que le médecin de famille joue dans tout cela, c'est prendre la famille par la main — littéralement, physiquement et émotionnellement — et l'amener à se rendre compte du fait qu'il y a un problème, la guider vers un début de diagnostic du problème et l'aider à accepter qu'elle doit prendre son courage à deux mains et obtenir de l'aide. C'est très difficile. Ça prend beaucoup de temps, mais c'est souvent le médecin de famille qui fait cela, surtout dans les premières années. Les médecins de famille ont besoin de plus de formation, mais je ne crois pas que ce problème est aussi grave que celui des consultations de dix minutes. On peut examiner une oreille en une minute, mais parfois, on passe une heure avec un enfant.

Le Dr Davidson : Il y a à peu près six ans, nous avons effectué une étude éclair. Nous avons téléphoné aux responsables des 16 programmes de formation en médecine familiale du pays. Nous leur avons posé trois questions — j'ai dit que c'était une étude éclair. La première question était la suivante : Dans votre programme de médecine familiale, prévoyez-vous une résidence obligatoire en santé mentale des enfants et des jeunes? Aucun des 16 programmes ne prévoyait une telle résidence.

Deuxième question : Offrez-vous des cours à option en santé mentale des enfants et des jeunes? Des 16 programmes, huit en offraient.

La troisième question était : au cours des deux dernières années, combien de vos résidents en médecine familiale ont suivi des cours à option en santé mentale des enfants et des jeunes? Dans l'ensemble du pays, au cours des deux dernières années, un seul résident en médecine familiale avait choisi de faire une résidence en santé mentale des enfants et des jeunes.

La Dre Lipman : J'ai la chance de parler après des orateurs bien documentés. Bon nombre des choses que je voulais dire ont déjà été dites. Je vais essayer d'être brève.

La conclusion et le message véhiculés par mes propos concernent les données. Nous devons commencer à examiner les données relatives à ce que nous faisons pour les enfants, les jeunes et les familles aux prises avec des problèmes de santé mentale, des problèmes affectifs et des problèmes de comportement.

Il existe certains traitements d'intervention. Parfois, les évaluations ont été effectuées dans des milieux spécialisés, et, par conséquent, elles ne s'appliquent pas au vrai monde. Nous devons évaluer ces interventions dans le vrai monde pour voir comment elles fonctionnent. Lorsqu'on utilise des interventions qui n'ont pas été évaluées, nous devons être des pionniers, parce qu'il y en a tellement, en santé mentale des enfants, qui n'ont pas été évaluées. C'est l'objet de mon propos.

La plupart d'entre vous sont déjà au courant de certaines des choses que je vais vous dire pour vous mettre en contexte. Je ne fais qu'étayer mon argument. Premièrement, il y a beaucoup d'enfants qui sont aux prises avec des problèmes affectifs ou des problèmes de comportement dans l'ensemble de la population. Nous savons que c'est le cas d'environ un enfant sur cinq, et donc, de 20 p. 100 d'entre eux. Deuxièmement, ces enfants ne souffrent pas généralement d'un seul trouble ou d'un seul problème. Souvent, ils souffrent de troubles concomitants. On ne peut pas se concentrer sur un seul problème pour remédier à la situation. Troisièmement, bon nombre de ces enfants ne vont ni dans une clinique pédiatrique, ni dans un centre de santé mentale pour enfants. Cela ne veut pas dire qu'ils devraient tous le faire, mais nous savons que seulement un enfant sur six, environ, obtient ce genre d'aide spécialisée. Les listes d'attente sont longues. Ce n'est pas que tous les enfants ont besoin de voir des pédopsychiatres; mais nous connaissons le ratio de pédopsychiatres par enfant au Canada. L'Académie canadienne de pédopsychiatrie a mené quelques études. Les chiffres sont désastreux.

Beaucoup d'enfants, comorbidité, et donc, problèmes multiples; ils n'obtiennent pas de services cliniques, et s'ils en obtiennent, ce n'est pas nécessairement dans une clinique, mais ailleurs. Nous ne savons pas si les interventions fonctionnent. C'est ça, le problème. Les interventions peuvent aider, mais elles peuvent aussi ne rien faire. En fait, elles peuvent même aggraver les choses. Nous n'avons pas d'information sur bien des choses que nous faisons.

J'essaie de présenter mon plan d'action de façon pratique. Selon moi, de quoi avons-nous besoin? Quelle approche devrions-nous adopter?

Premièrement, ça doit être une approche globale. Nous ne devrions pas nous concentrer sur un trouble ou une difficulté, parce que, comme nous l'avons dit, un enfant, un jeune et une famille est souvent aux prises avec plusieurs problèmes. Deuxièmement, nous devrons envisager de déménager les services dans la collectivité. Les gens ont été très précis à ce sujet. Ils ont dit qu'on pouvait les déménager dans une école ou dans un autre milieu communautaire. Cela ne signifie pas qu'on n'a pas besoin de certains services cliniques. Cependant, on devrait déplacer dans la collectivité la majeure partie des services.

Cela vous permettrait de recourir à divers types d'employés pour offrir les services. De plus, ces services pourraient être plus uniformes qu'ils peuvent l'être dans le contexte des chasses gardées en médecine ou du cloisonnement de l'éducation et de la médecine.

Il est logique, lorsqu'on veut déterminer ce qu'on veut faire, de recourir à une approche participative, où on demande à des enfants, des jeunes, des familles, des enseignants, des médecins, des travailleurs de première ligne et d'autres personnes ce qui, selon eux, est important. De cette façon, on en arrive à connaître les besoins de chacun. Certains peuvent concerner la prévention, et d'autres, le traitement.

Lorsqu'on a déterminé ses besoins, on doit examiner ce qu'on sait au sujet des interventions fructueuses. S'il existe des données à ce sujet, on essaie de les utiliser ou de les adapter. Si on ne sait pas si ce qu'on propose de faire est utile, on doit ajouter une évaluation pour en déterminer l'utilité.

Ensuite, une sensibilisation s'impose. C'est très large. Je ne parle pas seulement des médecins et des enseignants. Je parle des enfants et des parents. Il s'agit d'éliminer les stigmates et de comprendre les facteurs de risque et les pronostics de divers problèmes. Ça concerne la raison pour laquelle on choisit ou on évalue une approche particulière. Les raisons qui sous-tendent la sensibilisation sont nombreuses.

Mon prochain point concerne la recherche. Nous devons donner un coup de collier pour fournir des évaluateurs ou faire en sorte que la recherche fasse partie de la culture des organismes de prestation de services. Habituellement, c'est une charge de travail supplémentaire pour un groupe de personnes à qui on en demande déjà beaucoup. Il importe que nous axions davantage la culture vers l'évaluation, pour que nous sachions que ce que nous faisons est correct, pour justifier le financement, ou autre chose.

Mon dernier point est la même que celui que la Dre Israël a fait valoir en ce qui a trait à la santé de la population, c'est-à-dire documenter notre pratique au moyen de données que l'on recueille d'un bout à l'autre du Canada sur les résultats des enfants et sur l'importance des facteurs de risque pour leurs résultats à long terme.

La Dre Van Daalen : Selon moi, nos actions sont dictées par la façon dont nous voyons les choses. Je veux parler d'un arbre. On n'estime pas les arbres pour leur valeur intrinsèque. On les considère souvent pour le fruit qu'ils portent ou leur capacité de faire de l'ombre. Les enfants, eux aussi, ne sont pas reconnus pour leur valeur intrinsèque. On les voit comme des biens ou des êtres incomplets — même si ce n'est pas le cas ici. On voit en eux notre avenir, et cela est souvent lié aux finances. Je crois qu'ils le sont tout simplement, et qu'ils ont une valeur intrinsèque.

Je veux vous parler d'un garçon du nom de Mark que j'ai connu pour avoir travaillé avec lui dans un établissement de santé mentale pédiatrique. Mark avait 11 ans lorsqu'il est arrivé dans un établissement qui, je le croyais, ne jurait que par la sécurité. Mark avait cessé de manger, de marcher, de parler, de se laver, et il portait des lunettes de soleil. Infirmière en santé publique depuis plus de dix ans à cette époque, j'estimais qu'il avait trouvé sa place, en lui-même, et que c'était là où il se sentait le plus en sécurité.

Un jour, on a décidé de l'envoyer dans un établissement pour adultes pour y subir un traitement aux électrochocs. Ça se passait il y a un an et demi. On m'a réprimandée pour en avoir parlé, pour avoir contesté cette pratique, pour m'être interrogée sur ce qui se passait.

Je sais aussi que vous êtes tous d'accord pour dire qu'il pourrait y avoir avec nous, ici, des enfants et des jeunes qui ont eu des liens avec le système. En prévision de cela, j'ai rencontré 25 adultes qui, enfants, ont dû recourir au système psychiatrique. Certains de mes propos pourraient être assez controversés, mais je leur ai promis que je ferais entendre leurs voix ici aujourd'hui.

De plus, mes commentaires se fondent sur les 12 années pendant lesquelles j'ai observé la vie et l'humeur des enfants et des jeunes en tant qu'infirmière en santé publique communautaire travaillant dans une école. Ça a bien fonctionné. Notre communauté, c'était l'école. L'école nous a permis de nous intégrer. Nous avons travaillé avec des intervenants en toxicomanie qui s'occupaient surtout des jeunes. Nous avons travaillé avec des équipes de lutte contre le VIH qui mettaient l'accent sur les enfants et les jeunes. Des parents se sont joints à nous. Les aînés des familles se sont joints à nous. La police s'est jointe à nous. C'était merveilleux.

La seule raison pour laquelle j'ai quitté la santé publique pour aller à l'Université York, c'est que, comme on l'a déjà dit, les infirmières en santé publique et d'autres praticiens ont été évincés des écoles secondaires. On les a sortis complètement des écoles, loin des salles de séjour, loin des trottoirs où se tenaient les enfants.

Nous ne saurions parler de la santé mentale des enfants sans nous pencher sur des considérations de base, dont certaines ont déjà été mentionnées. La première, c'est que la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé existe depuis près de 20 ans. Je crois que la santé, c'est une question de paix, de finances, de justice sociale, d'espoir, d'objectif, d'habilitation et de capacité de s'autodéfinir de façon authentique. Lorsqu'on brime ces éléments, on se retrouve parfois avec des problèmes sur le plan de la santé mentale des enfants.

Les droits sont violés. Je crois que les droits de chacun et les droits des autres sont interreliés. Je ne veux pas dire que les droits des enfants sont distincts, mais, d'après mon expérience et ma pratique, la violation des droits est à l'origine de bien des blessures de l'esprit, ce que certaines personnes appellent « troubles obsessifs-compulsifs », ce qui, selon moi, constitue une langue « pathologisante », mais je vous invite à y réfléchir en tant que blessures de l'esprit.

Les enfants et les jeunes ont des droits. Nous avons ratifié cette convention, et il nous appartient tous d'en assurer l'application. J'étais excitée à l'idée de venir ici parce que, selon moi, c'est de cette façon-là que nous pouvons en assurer l'application.

Nous devons protéger les droits des enfants dès qu'ils obtiennent des services conçus pour les aider. Il est primordial que tout soin respecte ces droits. Les enfants ont le droit de s'exprimer et ils ont le choix, et cela n'est pas lié à leur âge.

Les enfants et les jeunes sont les experts. C'est eux qui ont vécu ces expériences. Dans certains établissements avec lesquels j'ai collaboré, que j'ai consultés et qui m'ont appris des leçons, l'enfant est « enveloppé » dans des soins axés sur la famille La Société canadienne de pédiatrie, par exemple, veut envoyer davantage les enfants dans un centre de soins axés sur la famille, de sorte que les adultes qui les entourent ne prennent pas leurs décisions à leur place.

Nous ne saurions parler de la santé mentale des enfants sans parler des agressions sexuelles. Nous connaissons les statistiques. Mes études ne m'ont pas préparée à ce que j'ai constaté en tant qu'infirmière en santé publique. J'ai passé la majeure partie de mon temps à ramasser à la petite cuillère les enfants agressés sexuellement. Il ne s'est pas passé un mois sans qu'on m'annonce une agression sexuelle. On nous fait tous confiance lorsqu'on fait partie d'un modèle de partenariat avec des enfants. On ne veut pas parler de la santé mentale des enfants sans parler de la sexualisation des enfants.

Même si cela peut porter à controverse, la mentalité de l'industrie pharmaceutique, selon laquelle une pilule guérit tous les maux, constitue un problème. Les parents sont souvent si surmenés qu'ils cherchent une solution rapide et incitent les médecins de famille à leur en donner une. Ce sont souvent les infirmières qui distribuent les médicaments. En tant qu'infirmière, je refuse de souscrire à cette mentalité.

On ne peut pas parler de la santé mentale des enfants sans parler de la pauvreté, du racisme, de l'homophobie, de la discrimination fondée sur la capacité, de la discrimination fondée sur la taille, des enfants très marginalisés, et aussi des effets des toxines qui se trouvent dans l'environnement sur la santé des enfants. Pourquoi y a-t-il autant d'enfants autistes et d'enfants atteints du THADA? Que mettons-nous dans la nourriture?

En tant qu'infirmière en santé mentale des enfants dite maintenant « conseillère spéciale », je suis passablement d'accord avec la Coalition sur les droits de l'enfant, mais je suis aussi très préoccupée par le fait qu'on drogue les jeunes du Canada.

Sénateur Kirby, j'ai probablement perdu environ deux années de sommeil à me ronger les sangs à ce sujet. En fait, c'est ce qui m'a poussée à faire mon doctorat. Vous vous rappelez peut-être l'énorme épidémie de rougeole qui a fait rage en Ontario. Toutes les infirmières en santé publique ont dû laisser de côté ce qu'elles faisaient avec les enfants et les jeunes et les nouvelles mères pour donner des vaccins contre la rougeole. J'ai décidé de me rendre utile. J'ai parlé à quelque 700 enfants, et je leur ai posé une autre question sur les médicaments. Je n'ai pas tenu compte de la race ni de la classe sociale. Environ 80 p. 100 des filles et des jeunes femmes à qui j'ai parlé prenaient des antidépresseurs ou s'en étaient fait offrir. Les garçons qu'on jugeait « dérangés » avaient presque tous pris des médicaments, d'une façon ou d'une autre. Nous savons, en tant que praticiens, qu'on ne peut voir les gens se faire du mal et ne rien faire pour s'en sortir.

Certaines des recommandations que je propose pourraient prêter à la controverse, étant donné que je suis entourée de certaines personnes qui pourraient ne pas y souscrire.

Lorsque j'ai parlé aux 25 adultes qui avaient recouru au système lorsqu'ils étaient enfants, ils m'ont demandé de recommander l'établissement d'une politique selon laquelle on ne pourrait pas recourir à la convention lorsque les enfants sont institutionnalisés, et selon laquelle on ne devrait jamais envisager de faire un traitement aux électrochocs. Ils m'ont dit que la dernière chose que nous devrions faire, c'est institutionnaliser les enfants, et que nous devrions travailler dans les collectivités. Ils ont dit qu'on devrait remettre en question l'obligation de donner des médicaments en tant que pratique implicite, ou qu'on devrait permettre des dérogations, et qu'on devrait mettre en place une politique publique stricte sur les médicaments. Il existe tellement de médicaments pour les enfants et les jeunes qui n'ont jamais fait l'objet de tests appropriés, et nous n'en connaissons pas les effets. Parfois, ils ont vraiment aidé à sortir les enfants de l'enfer où ils se trouvaient, mais nous devons remettre cette pratique en question. De plus, les adultes à qui j'ai parlé ont indiqué que la thérapie par l'isolement — c'est comme ça qu'on l'appelle — est violente et qu'ils sentaient que, dans ces conditions, leur état s'aggravait. Ils avaient eu l'impression que, lorsqu'ils étaient le plus difficiles à aimer, c'est lorsqu'ils avaient le plus besoin d'être aimés.

Ça a été extrêmement passionné dimanche dernier. J'étais en larmes avec ces gens, réfléchissant à la façon dont je pourrais faire valoir leurs intérêts aujourd'hui.

Lorsque l'enfant sort du système, si ça finit par être le cas, ils demandent une enquête automatique dans laquelle on respecte l'enfant et on ne le confronte pas, afin de déterminer s'il a été victime d'une agression sexuelle. On a l'impression que dans toutes les interactions avec les pairs et les travaux avec d'autres consommateurs de services psychiatriques, là où le bât blesse, c'est que les enfants ont été victimes d'une forme quelconque d'agression sexuelle.

Nous devons disposer de davantage de défenseurs des enfants prévus dans la CCDE, la Convention relative aux droits de l'enfant, et les assortir d'un code de déontologie solide. Je ne parle pas de défenseurs comme ceux de Judy. Je parle de ceux qui se trouvent dans les institutions; ils ne sont pas limités par l'institution dans laquelle ils vont pour rendre visite aux enfants. Par conséquent, ils sont plus limités, peut-être, par leur propre code de déontologie.

Lorsqu'on met en œuvre un programme de santé mentale ici, au Canada, il doit y avoir un cadre fondé sur les droits. Nous l'avons déjà dit. Je crois que tous les praticiens qui seront appelés à travailler avec des enfants et des jeunes devraient suivre une formation liée aux droits de l'enfant. Très peu de programmes en sciences infirmières comprennent un cours de base sur la santé de l'enfant. Le cours que j'ai suivi était un cours complémentaire, et il est encore plus complémentaire parce qu'il porte sur les droits de l'enfant et se penche sur des enjeux liés à la hiérarchie sociale.

L'autre chose que j'aimerais mentionner a trait à une vaste campagne de marketing social sur les droits de l'enfant. Je pense aux Pays-Bas, car je suis néerlandaise et je viens tout juste de revenir d'une réunion avec des gens de ce pays. Des gens qui s'occupent de la protection des droits de l'enfant dans ce pays ont dit que chaque enfant né en Hollande sait qu'il a des droits et que ces droits n'empiètent pas sur les droits d'autrui. C'est un droit d'« être », et on comprend cela en Hollande.

En ce qui concerne les écoles, lorsque nous allons assigner des gens dans les écoles, on le fait dans des écoles intermédiaires. Si nous avions à faire un choix, nous dirions que c'est la période que les enfants passent à l'école intermédiaire, où on se sent obligé de s'adapter à un mode impossible, qui mine leur santé mentale. Nous devons nous assurer d'éliminer l'exclusion violente d'enfants par d'autres enfants au moyen de programmes d'incitation à l'empathie et de lutte contre l'intimidation. À cet âge-là, ils sont si vulnérables et ont tellement de capacité!

J'ai été formée selon un modèle médical en sciences infirmières, et j'ai fini par adapter davantage un modèle axé sur le corps, l'âme et l'esprit. Un si grand nombre d'entre nous passent beaucoup de temps à la fin d'un cours d'eau à grand débit où des tonnes de personnes coulent au fond. Nous passons du temps à essayer de les sortir de l'eau et de comprendre comment les empêcher de couler plutôt que de remonter le courant pour déterminer ce qui les a poussées à y plonger.

La santé mentale, c'est une question d'inclusion sociale. Le degré de l'inclusion ne doit jamais être fondé sur l'âge.

Le président : Merci de vous êtes donné la peine de parler à 25 personnes. La Dre Van Daalen a soulevé une question dont d'autres témoins ont parlé au cours des dernières années. Nous sommes submergés de données empiriques concernant la surmédication des enfants, surtout les enfants perturbateurs. Des enseignants sont venus nous voir et ont formulé l'observation suivante : « Si j'avais une classe de 35 enfants et qu'un enfant était un peu perturbateur, pour pouvoir m'occuper des 34 autres, je devrais faire en sorte que l'enfant prenne des médicaments. » Mais ça, ça ne règle pas le problème de l'enfant. Ça règle le problème de l'enseignant.

A-t-on effectué des recherches à ce sujet? Y a-t-il des données statistiques sur la question? Nous utiliserons les données empiriques, si c'est tout ce que nous avons, mais j'adorerais savoir s'il y a plus que cela.

Le Dr Goldbloom : Nous pouvons probablement obtenir des données statistiques immédiatement. Pourrions-nous demander aux gens ici présents de lever la main s'ils prennent des médicaments, quels qu'ils soient. C'est la vaste majorité. J'ai essayé cela dans divers groupes.

Ce n'est qu'une impression, mais je pense qu'il y a probablement trop de gens, notamment des jeunes, qui prennent des médicaments. Par ailleurs, je ne dois pas oublier qu'un médecin britannique a dit, une fois, qu'une personne normale est une personne qui n'a pas fait l'objet d'examens adéquats. Il y a beaucoup de vérité dans cela. Cette déclaration a été lancée à la blague, mais elle se révèle exacte sur le plan biologique, parce que chacun d'entre nous ici présent a environ huit anomalies génétiques, dont certaines sont assez délétères. Elles peuvent nous faire mourir jeunes, ou faire de nous des diabétiques, ou ce que vous voulez.

Nous sommes très sélectifs quant aux situations où nous acceptons la médication. Un diabétique a besoin d'insuline; c'est correct. Personne ne trouve à y redire. Ce n'est pas un signe de faiblesse ni du fait que la société est en train de pourrir ou de quoi que ce soit du genre. On parle beaucoup des enfants atteints du THADA qui sont surmédicamentés. Les gens qui estiment qu'il y en a trop devraient vraiment se documenter. Beaucoup d'enfants prennent les médicaments, mais on ne peut pas ramener le passé.

Lorsque j'allais à l'école, dans une école très britannique, je recevais de sacrées raclées si je m'écartais un tant soit peu de la ligne de conduite. On me battait souvent. Je doit vous dire qu'on me battait très souvent, et j'avais beaucoup de bleus pour le prouver. Cette époque est révolue. De plus, dans ma classe, nous étions dix ou douze. Aujourd'hui, ils sont 30. La situation a changé.

Si vous prenez un enfant qui est incapable de réussir dans ses études ou dans la société, et que vous pouvez le transformer complètement, vous ne pourrez pas empêcher les parents d'insister pour qu'ils prennent des médicaments. Je me sens coupable chaque fois que je prescris du Ritalin à un enfant. Par ailleurs, j'ai vu littéralement les miracles que ça peut faire pour certains enfants. Il est important, avant d'appuyer sur le bouton de panique, que nous sachions vraiment combien d'enfants sont, en fait, surmédicamentés.

Je dis à chaque parent que je vois qu'un enfant n'apprendra rien d'une pilule. Cependant, par ailleurs, le système d'éducation n'est simplement pas conçu de façon à traiter avec ces enfants, qui ont des problèmes de comportement, comme on pourrait probablement traiter certains d'entre eux — une partie d'entre eux, mais pas tous, quoi qu'il en soit. N'eût été de leurs médicaments, certains d'entre eux auraient certainement abandonné l'école. Nous avons besoin de preuves, et nous n'en avons pas.

La Dre Lipman : Je n'en connais pas moi non plus. Je ne crois pas que la question soit de déterminer si les médicaments sont bons ou mauvais. La question, en fait, concerne la médication, lorsqu'on a effectué l'évaluation approfondie de ce que l'enfant peut faire, s'il peut faire ce qu'on attend de lui à son âge et au stade de développement où il se trouve à l'école, avec ses amis et sa famille, compte tenu du milieu où il vit, de sa famille, de sa collectivité. Si on a effectué cette évaluation comme il se doit et qu'il semble que la médication est tout indiquée, il faut la surveiller de près et la commencer lentement. La question, c'est vraiment de savoir si la médication est appropriée ou non.

Le sénateur Cook : Si vous venez dans ma province, vous trouverez des statistiques sur OxyContin et Ritalin. Un certain nombre d'études ont été effectuées. Dernièrement, c'était une question d'actualité.

Le président : Oui, ça l'a été, et la SRC a diffusé une émission sur ce sujet.

Le Dr Davidson : J'approuve ce qu'a dit la Dre Lipman. C'est la même chose que je voulais dire. Nous devons poser la bonne question.

Une des choses qui sont absolument fondamentales pour moi, c'est que la médication, lorsqu'elle est administrée, l'est toujours en complément d'autres interventions. Ce n'est pas le seul traitement.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je veux juste dire que j'espère que, dans presque tous les cas, lorsqu'on a effectué une étude raisonnable, qu'on a fait du counselling et qu'on a regardé la situation globale de l'enfant, on administre le médicament pendant une période d'essai, que ce soit pendant un mois, ou trois, ou six. C'est très utile dans certains cas. La plupart des médicaments apportent beaucoup d'avantages à certaines personnes de la population. On ne les vendrait pas s'ils n'en avaient pas. C'est aussi le cas de ces médicaments. On ne peut pas toujours changer le milieu familial, et il est impossible de changer la génétique et l'alimentation, mais une période d'essai peut être utile.

La Dre Israël : Une étude récente menée au Québec portait sur les foyers de groupe. Je pourrais sûrement obtenir les données. Je crois que 99 p. 100 des enfants prenaient des médicaments, peut-être même plus que ça. Je pourrais peut-être vous les envoyer.

On a récemment ouvert une clinique pour les enfants atteints du THADA, où on peut procéder à une évaluation rapide. Quelquefois, les omnipraticiens ne savent pas quel diagnostic poser, mais prescrivent tout de même des médicaments. C'est une clinique fondée sur la recherche. Pendant une des recherches, les parents ont accepté qu'on mène un essai aléatoire comprenant l'administration de placebos. Pendant les deux premières semaines, on peut donner un placebo à un enfant et, pendant les deux semaines suivantes, du Ritalin. Les parents peuvent décider — s'il n'y a aucun changement, on peut savoir si le comportement est subjectif ou s'il se passe vraiment quelque chose. On effectue d'autres recherches sur la pharmacogénomique, c'est-à-dire sur les gènes, parce que le récepteur de la dopamine est touché et que c'est sur lui qu'agit le Ritalin. Y a-t-il des gens qui ont certaines formes du gène qui réagissent à l'hyperactivité ou à l'inattention? Cette recherche pourrait nous aider à savoir quels enfants pourraient profiter du Ritalin.

Je ne fais pas de publicité pour ma clinique; j'essaie seulement de donner une idée des avantages pour la recherche et de la façon dont vous pouvez utiliser la stratégie.

La Dre Roberts : Comme je parle en dernier, presque tout ce que j'allais dire a déjà été dit. Je suis tout d'abord une clinicienne, mais je fais également de la recherche à l'université, où je travaille. Par contre, je suis surtout une clinicienne. Je m'occupe d'une unité d'hospitalisation pour adolescents âgés de 13 à 18 ans. J'ai fait ce travail à Ottawa et à Toronto et je suis maintenant à Kingston.

Les unités d'hospitalisation sont assez critiquées. En 25 ans de psychiatrie auprès d'enfants et d'adolescents, je n'ai jamais donné d'électrochocs et je n'ai jamais entendu dire qu'une personne en avait donné. Je devais souligner ce point — c'est très important. Je crois aussi que les moyens de contention ne sont plus utilisés depuis un bon moment. Les gens ne sont plus immobilisés. On n'a pas le droit de les attacher.

Il y a beaucoup de recherches. Le Ritalin est sûrement le médicament le plus critiqué. Si vous cherchez le mot « Ritalin » sur Internet, vous trouverez des pages Web écrites entre autres par des parents, des consommateurs, des grands-parents et des personnes qui abusent du médicament.

Je veux vous raconter l'histoire de Doug. Doug est un garçon de 14 ans que la police a arrêté parce qu'il avait volé une embarcation à rames sur un lac pour impressionner sa première blonde. Il a volé l'embarcation, et ils se sont promenés. Mais il avait un casier judiciaire. La police l'a donc embarqué et l'a fait mettre en détention pendant 30 jours pour avoir volé un bien et parce qu'il avait un casier judiciaire. Il a dû se rendre à l'unité d'hospitalisation pour une évaluation complète. Quand vous demandez une évaluation psychiatrique complète, la collectivité ne peut pas la faire. Par conséquent, l'unité d'hospitalisation est le seul endroit où on trouve tous les professionnels requis, comme un psychologue, un ergothérapeute, un ludothérapeute, et cetera. Ça coûte 3 000 $ par nuit.

Doug est arrivé. On l'a évalué au cours de la première semaine, et il était évident, même d'après l'évaluation clinique et les renseignements fournis par sa mère, qu'il souffrait d'un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention assez grave. La plupart de ces enfants ont aussi des difficultés d'apprentissage, ce qui fait que l'école est une expérience négative, de la première année jusqu'au jour où ils décrochent.

J'ai parlé avec lui. Je lui ai dit qu'il n'avait aucune attention, qu'il en avait besoin pour acquérir des compétences sociales et que, pour pouvoir jouer avec les mots, il avait besoin de ces compétences. Pour acquérir ces compétences sociales, il avait besoin d'être attentif. Il devait également observer, écouter et être capable de se rappeler ce qu'il avait appris. Je lui ai dit qu'il pouvait prendre du Ritalin pendant une semaine et arrêter pendant l'autre semaine et ensuite me dire si ça avait fonctionné pour lui.

Bien sûr, il a dit que le médicament fonctionnait pour lui après trois semaines, qu'il n'arrêterait pas d'en prendre et qu'il ne prenait pas de drogues en même temps. Ce garçon est retourné à l'école. On surveille entre autres ses capacités de lecture. C'est un traitement très facile et très sain, mais on doit l'appliquer de façon judicieuse. C'est pour contrer le trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention.

Je veux également souligner que les troubles d'extériorisation, c'est-à-dire les troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention et le trouble du comportement, représentent la majorité des problèmes en santé mentale qui se transforment en troubles de la personnalité anti-sociale et en souffrances inhumaines. En ce qui concerne les coûts engagés par l'État, ces troubles sont les plus importants que l'on doit diagnostiquer et traiter le plus tôt possible.

L'école a une politique de tolérance zéro. Qui pensez-vous est visé par cette politique de tolérance zéro? Ce sont ces enfants qui ont des problèmes de santé mentale. Les enfants qui ont des troubles de comportement et un THADA sont souvent suspendus ou expulsés jusqu'à ce qu'ils aient vu un psychiatre ou un autre professionnel en soins de santé. Il n'y a aucun parent à la maison. Si vous expulsez mon enfant, je vais arriver en courant, chercher mon enfant et l'amener à la maison où je vais le punir. Les parents d'enfants atteints du THADA n'ont pas le temps de faire ça. Non seulement l'enfant se trouve dans une classe de 32 à 35 enfants, mais il est aussi suspendu. Qu'est-ce qu'un enfant fait quand il est suspendu? Il attire encore plus de problèmes parce qu'il n'y a personne pour le surveiller quand il revient à la maison. Il n'y a personne pour punir l'enfant, que ce soit à la maison ou ailleurs. C'est un enjeu très important dont il faut tenir compte.

De certaines façons, je crois que la tolérance zéro est compréhensible. Je commence à comprendre ce que le Dr Goldbloom disait. La tolérance zéro, c'est une bonne chose, mais elle n'est pas appropriée au développement. Les enfants se battent. Il y a une différence entre la bataille et le fait de rouer quelqu'un de coups. C'est important d'avoir toujours ces différences à l'esprit parce qu'on ne peut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. C'est la partie politique de mon discours.

J'aimerais aussi parler du diagnostic et de l'intervention précoces. C'est très important du point de vue de la santé et de la politique publiques et si ça concerne l'éducation — et pas seulement l'éducation des travailleurs en soins de santé, des enseignants et des éducateurs, mais l'éducation de notre pays.

Les stigmates viennent d'un manque de connaissances. Le manque de connaissances se traduit par une incapacité de voir où les choses tournent mal pour vos enfants. Ils représentent notre avenir. C'est le seul avenir que nous avons. Ça se peut qu'on ne soit pas capable de tout prévenir parce qu'il y a des troubles d'origine génétique, mais on peut améliorer les effets de notre génétique en s'occupant de ces enfants dès leur plus jeune âge.

Les garçons et les filles qui ont un trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention et qui grandissent dans des familles privilégiées empruntent une voie totalement différente de celle des enfants atteints du trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention qui grandissent dans des logements à prix modique. Le regretté Dan Offord, qui était champion des causes touchant ces enfants et qui a réalisé l'une des études épidémiologiques les plus phénoménales du Canada, a déjà parlé de ces troubles sociaux qui mènent aux problèmes de santé mentale de nos enfants et qui, en fait, les aggravent. C'est important de s'en occuper. On doit offrir quelque chose d'universel, que l'on peut enseigner à tout le monde.

Vous avez soulevé le problème de la Hollande. Les Hollandais ont un point de vue très socialiste concernant l'éducation des enfants, tout comme les Scandinaves. Tout le monde connaît ses droits.

C'était ma solution rêvée : j'écrivais sur la capacité de cibler les familles à risque élevé, de même que leur descendance avant la naissance, pour fournir un sursis approprié aux parents et des soins appropriés aux enfants dès leur plus jeune âge.

Ces pays étiquettent ces enfants. Si le Canada permettait une telle pratique, les gens seraient scandalisés. Beaucoup de parents ne voudront pas que le nom de leur enfant se trouve dans une base de données parce qu'il appartiendrait au domaine public et pourrait être utilisé pour d'autres raisons. C'est quelque chose d'important dont il faut tenir compte. Beaucoup d'autres pays, surtout ceux faisant partie de la Scandinavie, possèdent une base de données publique, où on a pris toutes nos données nominales pour les recherches en psychiatrie, parce qu'ils ont accumulé des données pendant de nombreuses années.

Il est très important qu'on examine ce qu'on offrira à l'échelle mondiale, la façon dont ça va se dérouler et à quel moment ça aura lieu, de même que ce qu'on va offrir pour bien éduquer les enfants. Maintenant, on a seulement des familles nucléaires — même pas des familles nucléaires, toutes sortes de familles reconstituées. Il est important qu'on prenne les mesures nécessaires à ce sujet. D'après tout ce qu'on a appris de toutes les recherches qu'on a effectuées, on doit mettre en œuvre ce que nos recherches ont révélé. On mène les recherches et on atteint les résultats escomptés, mais je ne sais pas où ça mène. La mise en œuvre n'a pas lieu parce que ça prend de l'argent; c'est une question financière.

En tant que psychiatre pour adolescents, je pense qu'il est très important qu'on empêche nos enfants de se suicider. Ce que j'ai fait au cours de ma carrière, c'est surveiller les enfants en état de crise et dans des cas d'urgence. J'aimerais que, s'ils se présentent, ce ne soit pas en situation d'urgence ou de crise. C'est pourquoi on a mené un type d'intervention particulier dans les écoles pour évaluer tous les enfants du secondaire. C'est le moment parfait puisque la plupart des crises atteignent leur paroxysme. C'est également le moment où commencent plusieurs troubles psychiatriques majeurs. Ils deviennent apparents, surtout en raison du fardeau de l'adolescence.

Il est important de fournir des soins très rapidement et un service de consultation d'urgence. Je viens juste d'établir une liste d'attente des 16 écoles de médecine de partout au pays. Le temps d'attente pour le triage est de deux à quatre semaines. Le temps d'attente pour voir un professionnel varie de huit semaines à 18 mois. Il y a moins de 500 psychiatres pour enfants et adolescents au pays. Si vous prenez seulement 14 p. 100 des enfants atteints de troubles graves dans la population générale, ça fait 800 000 enfants partout au Canada. Je vous parle uniquement des troubles graves; ça ne comprend pas les 22 p. 100 que j'aurais dû utiliser. Ce sont des chiffres très importants.

Vous avez 3 500 enfants sur un total de 25 000 qui ont besoin d'être suivis par un spécialiste. Ils doivent y avoir accès rapidement. Ce n'est pas très utile de rencontrer un professionnel dans six mois.

On doit redéployer nos ressources de façon sensée. Je suis une femme du tiers monde très pragmatique et je ne m'attends pas à ce que les finances s'améliorent avec le temps. Compte tenu de ce que nous avons, je pense que nous pouvons faire certaines choses qui fonctionnent et je sais, d'après mon expérience clinique et mon expérience en recherche, qu'elles fonctionnent.

À 57 ans, j'offre un service d'urgence, chose la plus utile que j'aie jamais faite, c'est-à-dire, que vous pouvez m'appeler pour me dire que vous avez un élève à votre école qui est suicidaire et me demander ce que vous devriez faire. Je peux vous envoyer ou non à l'urgence. Je peux dire que l'enfant peut venir à ma clinique dans les prochaines heures ou les prochains jours s'il est accompagné d'un parent pouvant s'occuper de lui. C'est un service que nous offrons, et il pourrait vous être utile. Il vous faudrait également apprendre aux gens à l'école à bien utiliser ces services. Supposons que vous demandiez à vos élèves de rédiger une composition sur quelque chose qui les touche personnellement, puis que vous m'appeliez après les avoir vus pour me dire qu'un élève est suicidaire. Ça ne va pas. Je sais que vous devez protéger vos arrières si quelqu'un dit quelque chose, mais une bonne façon de se sentir mieux dans sa tête, c'est de sublimer ses tendances. Rédiger ou raconter une histoire, c'est une bonne chose. C'est entre autres ce que j'aurais voulu offrir.

Améliorer l'accès : le Dr Goldbloom a parlé des listes d'attente. Il y a en aura. Comment pourrons-nous aider les personnes inscrites sur les listes d'attente? Comment arriverons-nous à décider de ce qui est plus ou moins important? Tous les fournisseurs de soins, y compris les médecins de famille et les responsables dans les écoles, doivent être en mesure d'établir les priorités, ce qui nous ramène à l'éducation.

En tenant régulièrement des ateliers éducatifs dans des écoles, des organismes de santé publique, des organismes communautaires, quels qu'ils soient, et des sociétés d'aide à l'enfance, nous pouvons échanger et connaître nos limites et ressources respectives. En outre, cela nous permet de savoir à quoi on a affaire : une urgence psychiatrique, une crise psychosociale ou un conflit parent-enfant.

Les gens viennent à l'hôpital parce que leur enfant avait piqué une colère après avoir été privé de sortie. Ce n'est pas acceptable. Il y a quelque chose qui ne va vraiment pas si nous ne pouvons pas régler les querelles domestiques de ce genre, et que la situation se détériore tellement que tout le monde se retrouve en salle d'urgence. En plus, ça coûte très cher. Nous devons placer les gens sur les listes d'attente parce que nous avons trop de clients dirigés. Nous en avons de 800 à 900, et Kingston est une petite ville. Nous avons une très petite population, de sorte que 800 nouveaux clients dirigés vers le service hospitalier, c'est suffisant pour l'engorger. C'est inévitable : il y aura une liste d'attente.

Ce serait utile de montrer aux gens et à toute la collectivité comment procéder à un meilleur triage, et pour cela, il faut améliorer l'éducation. À mon avis, nous devons absolument porter une attention particulière aux niveaux d'éducation de base, afin de pouvoir distinguer entre les signes et les symptômes de troubles mentaux graves, qui exigent des soins immédiats, et les crises psychosociales.

Le sénateur Cook : Vous avez abordé la stigmatisation, dont nous avons déjà beaucoup entendu parler. Dans votre discipline, à quel âge a-t-on déterminé qu'une personne prend conscience qu'elle est stigmatisée? Quand s'en rend-elle compte? S'en rend-elle vraiment compte, ou est-ce quelque chose qui lui est infligé de l'extérieur?

La Dre Roberts : Je ne suis pas une experte en stigmatisation. Je sais en tout cas que les études que j'ai lues à ce sujet montrent que les médecins rattachés à des hôpitaux universitaires stigmatisent la psychiatrie lorsqu'ils enseignent aux étudiants en médecine. Nous en avons des preuves écrites. Dans des recherches publiées, on relate le cas de gens qui font des commentaires négatifs comme : une personne intelligente comme toi —, pourquoi voudrais-tu aller en psychiatrie? La stigmatisation, c'est quelque chose qui existe dans toutes les couches de la société et dans toutes les sociétés et les cultures.

Au Pakistan et en Inde, les gens ont de longs antécédents familiaux. Mais est-ce qu'on peut les connaître? Non. Toutefois, à mesure que les gens deviennent plus instruits et apprennent à voir ces problèmes non pas comme un signe de faiblesse ou une tare morale, mais plutôt comme le résultat de réactions biochimiques ou génétiques touchant le cerveau, ils sont mieux disposés à obtenir de l'aide.

Le président : Nous sommes tombés sur des médecins qui ne croyaient pas que les psychiatres étaient de véritables médecins. Si c'est ce qu'on pense au sein de la profession, imaginez ce que ça doit être au sein du public.

Le Dr Goldbloom : Nous avons évidemment été toujours stigmatisés. Ce qui est stigmatisé change au fil du temps. Je me rappelle mes tantes et mes oncles qui sont morts du cancer. On n'a jamais su ce qu'ils avaient, et personne dans la famille n'avait le droit de mentionner cette affection. La stigmatisation rattachée au cancer a plus ou moins disparu. Les grossesses chez les adolescentes sont relativement moins stigmatisées. Nous n'envoyons plus notre fille par le prochain train chez sa tante à Vancouver. L'homosexualité et l'alcoolisme sont de moins en moins stigmatisés.

Il ne fait aucun doute que la santé mentale et les troubles mentaux sont de moins en moins stigmatisés. Parmi les meilleures mesures déployées à cet égard, mentionnons les contributions financières que les gens fournissent dans le domaine de la santé mentale. À Halifax, nous organisons chaque année un événement qui a pris de telles proportions que nous n'avons même plus de place pour y loger tout le monde, et nous avons pu recueillir ainsi des centaines de milliers de dollars.

J'ai reçu à mon cabinet une dame dont le fils était quelque peu déprimé. Elle venait de Cap-Breton. Je lui ai demandé : « Est-ce que quelqu'un dans votre famille a déjà souffert d'une grave dépression? » « Eh bien, a-t-elle répondu, j'ai un cousin qui a tenté de se suicider plusieurs fois. »

Le Dr Davidson : Plus tôt cette année, au Centre hospitalier pour enfants de l'est de l'Ontario, nous avons eu un code bleu, c'est-à-dire une personne souffrant d'un arrêt respiratoire ou d'un arrêt cardiaque. Le code venait de l'unité d'hospitalisation psychiatrique. Dans l'ascenseur, il y avait une infirmière. Je ne sais pas si elle se rendait sur place ou non, mais elle a dit : « Qu'est-ce qui se passe à l'unité d'hospitalisation psychiatrique? Est-ce qu'une jeune est en train de retenir son souffle? » C'est un exemple flagrant de stigmatisation au sein de la profession.

Le projet RéseauAdo est un programme de promotion de la santé mentale à l'intention des jeunes, administré par les jeunes et soutenu par les cliniciens. Dans le cadre de ce projet, nous avons constaté que c'est assez facile d'amener les jeunes à ne plus stigmatiser tout ce qui touche la santé mentale. Je ne crois pas qu'on puisse dire la même chose des adultes.

Mme Van Daalen : Des enfants handicapés nous ont dit qu'ils savaient dès un très jeune âge qu'on les considérait comme étant différents. Quelques-uns d'entre vous connaissez peut-être la Coalition Santé Arc-en-ciel. C'est une coalition de personnes gaies, lesbiennes, transgenres, transsexuelles et bisexuelles — toute la gamme. Elle a entrepris des études révélant que les gens se rendent compte lorsqu'ils sont stigmatisés. Les jeunes enfants le savent lorsqu'on les considère comme étant différents et peuvent l'exprimer à leur façon selon leur âge.

La Dre Roberts : En raison des complications administratives liées au partage de l'information, nous utilisons mal certaines de nos ressources les plus onéreuses parce que la personne qui a déjà vu l'enfant que nous recevons ne nous a pas fourni de renseignements à son sujet. Nous administrons donc à l'enfant un test psychologique, qui coûte environ 1 500 $, pour l'entendre dire une fois que tout est fini : « J'ai déjà fait ça l'année passée. » Et nous de lui demander : « Où as-tu fait ça? » Et lui de rétorquer : « Ma mère m'a amené le passer. »

Nous devons examiner attentivement la question de l'échange d'information.

Le Dr Davidson : J'aimerais remettre un peu en question le système. Le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie se lance dans une entreprise fondamentale et extrêmement importante. Le problème, c'est que presque tous les témoins autour de cette table ont probablement déjà fait la même chose à maintes reprises. Malheureusement, ce n'est, au bout du compte, qu'une source de frustration, car c'est très difficile d'apporter des changements.

J'espère de tout cœur que ce sera différent cette fois. Lorsque nous parlons des enfants, y compris d'un Canada digne des enfants, nous devons parler des enfants et des adolescents. Les adolescents n'aiment pas qu'on les désigne comme des enfants, et c'est sans le vouloir que nous les vexons parfois si nous ne reconnaissons pas leur différence.

Les politiciens disent souvent que nos enfants et nos jeunes sont l'avenir du pays. Ce ne sont plus que de belles paroles en l'air. Si nous le pensions vraiment, nous devrions vraiment faire quelque chose qui le prouve, par exemple appliquer les nombreuses et belles suggestions que nous avons entendues autour de cette table.

Nous nous pensons tous bien intelligents, mais, dans le fond, les humains sont stupides. La preuve : l'aire de recrutement que Mme Forge a pu établir et la manière efficace avec laquelle elle a réuni toutes les ressources. Pourquoi ne pourrions-nous pas faire la même chose sans stress ni pressions financières? Pourquoi ne pourrions-nous pas le faire tout simplement parce que c'est la chose la plus intelligente à faire?

Nous devons être dynamiques. Nous avons besoin d'un grand changement de paradigme. Nous avons beaucoup entendu parler de la prévalence des troubles psychiatriques. J'aime ce qu'a fait David Shaffer. Il n'a pas simplement essayé de savoir combien d'enfants et d'adolescents dans une collectivité souffraient d'au moins un trouble psychiatrique; il est allé plus loin que cela dans l'éventail des troubles mentaux chez les enfants et les adolescents. Lorsque son étude a révélé que 19,2 p. 100 des enfants et des adolescents étaient touchés, il a posé la question suivante : « Combien d'entre eux souffrent en fait de graves troubles mentaux? » Cela lui a permis d'établir que 5,4 p. 100 de l'ensemble de la population souffraient de graves troubles mentaux.

C'est pourquoi, lorsque nous mettons un système en place, nous devons nous assurer qu'il est équilibré. Nous avons parlé de l'aspect plus intensif et plus onéreux de cet éventail, mais nous ne pouvons aller à l'autre extrême et laisser tomber toute une génération d'enfants et d'adolescents souffrant de graves troubles mentaux. Nous devons trouver comment résoudre ce problème, de façon intelligente.

Vous vous rappellerez que, pour poser un diagnostic de trouble psychiatrique, on doit cerner les symptômes rattachés à ce trouble et à ce handicap. À l'autre bout de l'éventail, Shaffer a posé la question suivante : « Si 19,2 p. 100 des enfants et des adolescents souffrent d'un trouble psychiatrique, combien n'en ont que les symptômes? » Il a constaté que 50,6 p. 100 d'un échantillon du groupe étudié présentaient des symptômes. Dans ce cas, comment établir un système qui permettra de répondre aux besoins des jeunes qui sont à risque, de ceux qui souffrent de troubles psychiatriques et de ceux qui ont de graves troubles mentaux?

D'après les travaux de feu Dan Offord, un jeune sur six parmi les enfants ontariens âgés de 4 à 16 ans a bénéficié de soins au cours des six derniers mois pour ses troubles mentaux.

Dix pour cent de l'ensemble de la population souffrira à un moment donné d'arthrose, l'une des causes les plus importantes des opérations visant à remplacer une hanche ou un genou. D'après vous, qu'arriverait-il à notre pays si une des six personnes ayant besoin d'une nouvelle hanche ou d'un nouveau genou recevait vraiment l'organe de remplacement voulu? Romanow avait bien raison lorsqu'il disait que les services de santé mentale sont les laissés-pour-compte des services de santé. Alors, ça veut dire que les services de santé mentale destinés aux enfants et aux adolescents sont les laissés-pour-compte des laissés-pour-compte.

Je ne parlerai pas de tout ce qui concerne un système, mais j'aimerais encore aborder entre autres pour finir la question du financement. Le système manque énormément de ressources, mais nous ne pouvons pas injecter d'autres fonds dans des services déjà trop fragmentés pour qu'on puisse parler d'un système. Nous devons établir un nouveau système qui permettra de faire les choses différemment, mais j'estime que nous devons pour cela lui fournir d'autres fonds.

Je le répète, dans ce nouveau système ou réseau d'échange de pratiques, nous devons faire preuve de souplesse et d'innovation, et nous devons prévoir des installations essentiellement semblables, mais suffisamment différentes les unes des autres pour qu'on puisse répondre aux besoins de chaque collectivité.

Sur le plan de la structure, nous sommes confrontés à la dichotomie qui existe, si on peut dire, entre le provincial et le national. Nous devons déterminer d'une façon ou d'une autre comment établir dans notre pays un système de santé mentale à l'intention des enfants et des adolescents, qui soit protégé, autorisé et légiféré, et exempt des politicailleries nationales et provinciales.

Le sénateur Cook : J'aimerais présenter un commentaire à l'intention du Dr Davidson. À mon avis, ce n'est pas le nombre d'études effectuées ni le nombre d'échecs que nous essuyons qui compte. Je crois en effet que nous devons relever les défis lancés par notre Comité et par son mandat.

Il se passe toutefois autre chose au pays : les membres du public participent de plus en plus à ce que nous faisons. Si le public est plus engagé, les politiciens devront évidemment l'être aussi, et alors nous trouverons une solution.

Le Dr Davidson : C'est excellent. Ça me rappelle il y a 12 ans en Suède, lorsqu'on s'est saisi d'une motion au gouvernement, proposant des changements au processus de vote. Ces changements étaient les suivants : si vous étiez quatre dans votre famille, dont deux personnes de moins de 18 ans, vous devriez avoir droit à quatre votes, mais si vous ne formiez qu'une famille de deux personnes de plus de 18 ans, vous devriez avoir droit à deux votes seulement. C'est à ça que je pense lorsque je parle de discours théoriques ou rhétoriques, selon lesquels nos enfants et nos jeunes sont l'avenir du pays.

La Dre Lipman : Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit le Dr Davidson. Nous pouvons avoir davantage de fonds et un meilleur système, mais c'est de l'argent gaspillé si nous ne sommes pas certains que le tout fonctionnera bien.

Le Dr Davidson : C'est exactement ça, et c'est un aspect essentiel de tout ce qui concerne ce grand système : nous devons déterminer à quoi il ressemble et quelles en sont les composantes.

Le président : Permettez-moi de préciser : contrairement à beaucoup d'autres mécanismes de débat public, notre Comité a toujours considéré l'argent uniquement comme un moyen d'arriver à une fin. La raison pour laquelle nous en arrivons à l'argent toujours à la fin de nos délibérations, c'est parce que nous devons d'abord décider à quoi doit servir cet argent avant de déterminer combien il faut, au lieu de faire comme dans les débats habituels sur les soins de santé, où on s'emploie uniquement à résoudre le problème en proposant l'injection de fonds.

Le sénateur Keon : Je tenais à prononcer quelques mots d'espoir : presque toutes les recommandations présentées dans notre rapport de 2002 sont actuellement appliquées. Les gens commencent à écouter. Vous qui avez connu une période extrêmement difficile, en fait bien pire que pour n'importe quel autre secteur du système de santé, vous ne devez pas vous décourager maintenant : les gens commencent à écouter.

Je voudrais dire ce que je pense de la situation où une personne sur six pourrait se faire remplacer la hanche : cela donnerait pas mal de personnes boiteuses.

Mme Forge : Je voudrais parler de la stigmatisation, même si nous en avons déjà parlé beaucoup. Ce que j'ai pu relever dans toutes nos discussions aujourd'hui, à la suite de mes réflexions, c'est qu'il s'agit en fait non pas d'éliminer la stigmatisation, mais de favoriser la responsabilité sociale. Cela rejoint ce que vous disiez plus tôt, sénateur Cook.

Nous devons aider les gens à comprendre que nous avons tous une responsabilité envers nos enfants, surtout en ce qui a trait à leur santé mentale au regard de ce qui nous a occupé aujourd'hui. Nous parlons tous de notre responsabilité envers nos enfants en ce qui concerne notamment leur éducation. Mais nous taisons quelque chose d'encore plus fondamental, qui touche les droits de ces enfants : leur santé mentale. Nous devons en discuter sur ce plan, et favoriser la responsabilité, au lieu de chercher à éliminer la stigmatisation.

Le président : Au cours de la prochaine heure, j'aimerais dégager certains enjeux et passer aux questions.

Aux gens qui ont eu la gentillesse de nous consacrer une journée de leur temps, il y a trois choses dont je ne tiens pas à discuter aujourd'hui, mais au sujet desquelles j'aimerais connaître votre opinion. Quels sont les secteurs qui doivent le plus faire l'objet de recherches? Nous convenons tous que, si nous devons adopter un programme fondé sur des données probantes, nous devons nous assurer qu'il est bel et bien fondé sur des données probantes. Sans cela, nous ne pourrons pas effectuer les recherches requises dans l'ensemble du secteur. La question qui se poserait, ce serait de savoir quels points sont prioritaires.

À ce sujet, nous espérons commencer à établir par l'entremise de l'ICIS une base de données sur la santé mentale, qui s'ajoutera à une autre base de données actuellement élaborée pour d'autres secteurs du système de santé. Ce serait utile de savoir ce qui, d'après vous, devrait être essentiellement mesuré. Fait intéressant : le système de santé a toutes sortes de mesures, mais on n'y pense pas beaucoup — par exemple, Statistique Canada devait mener une autre enquête sur la santé au Canada, comme on l'avait fait il y a deux ans. Quelles sont les choses qu'il faudrait mesurer en ce qui a trait à la santé mentale? Si vous pouviez réfléchir à cela, ce serait utile.

Je vais vous présenter des sujets qui m'intéressent. Je conviens que nous devons réduire les délais d'attente. Notre Comité s'est particulièrement attaché à cette question. Quelles sont les choses concrètes qu'il faut faire pour cela? Toujours au sujet de cette question, car l'une ne va pas sans l'autre, comment faut-il s'y prendre pour obtenir le genre de coopération entre organismes, dont Mme Forge a parlé? Nous sommes tous d'accord : c'est un système très compartimenté. Qu'est-ce qui pourrait inciter les gens à coopérer? Avez-vous obtenu une telle coopération parce que vous avez une dirigeante particulièrement forte? Faudra-t-il cloner Mme Forge pour arriver au même résultat partout, ou bien pourrions-nous trouver d'autres moyens efficaces d'inciter les gens à la coopération?

Deux questions qu'un certain nombre d'entre vous ont soulevées m'intriguent. Vous avez tous parlé des droits des enfants en ce qui a trait à leur santé mentale et d'une loi visant à les appliquer. Est-ce ce qui est requis? Le cas échéant, avez-vous une idée de la teneur que devrait avoir un tel projet de loi?

Deuxième chose : je voudrais m'assurer que je comprends bien le point que certains d'entre vous ont soulevé. Au cours de nos audiences menées à Toronto il y a quelque temps, on nous a dit que les jeunes âgés de moins de 16 ans sont considérés comme des enfants, et que ceux âgés de 19 ans et plus sont considérés comme des adultes. Quelqu'un nous a fait remarquer que, en fait, les jeunes âgés entre 16 et 19 ans ne sont pas admissibles à bon nombre de programmes auxquels ils auraient droit s'ils étaient considérés comme des enfants ou des adultes. Ça m'a paru si absurde que je ne voulais pas le croire. Toutefois, un certain nombre d'entre vous l'avez répété. C'est tellement stupide que je n'arrive pas à croire qu'on ait pu établir un tel système. La question qui se pose alors est la suivante. Si on resserre l'écart, dans quel sens le faisons-nous? La première étape est d'éliminer cet écart. Est-ce que nous disons que l'adolescence se poursuit jusqu'à l'âge de 19 ans, ou bien choisissons-nous d'instaurer l'âge adulte plus tôt? Certains d'entre vous ont peut-être des commentaires à ce sujet.

J'ai un commentaire au sujet de la lutte contre la stigmatisation. On nous a présenté deux concepts différents. D'une part, on affirme qu'il vaudrait mieux déployer une campagne nationale de lutte contre la stigmatisation dans tous les secteurs en ce qui a trait à la santé mentale. D'autre part, on nous dit que ce serait mieux d'axer les ressources de communication sur quelques thèmes bien particuliers comme la dépression ou le suicide. La véritable question qui se pose alors est la suivante : est-ce qu'on doit déployer une campagne visant un nombre limité de questions touchant la santé mentale ou une campagne plus générale qui, de par sa nature même, serait moins spécifique et aborderait de façon plus large les grandes questions liées à ce domaine?

Si l'un d'entre vous souhaite élaborer sur ces points à mesure que nous échangeons des propos, n'hésitez pas.

Le sénateur Cook : Je tiens à vous remercier tous de nouveau d'être présents ici aujourd'hui et de nous aider à relever ce que je considère comme l'un des plus grands défis depuis que je participe à ces délibérations. Je salue la sagesse de vos propos. Je vous demanderais maintenant de m'entendre, dans toute ma simplicité.

Nous parlons ici des enfants. En fait, nous parlons de changement et de la façon de composer avec ce changement. Comment est-ce que nous pouvons aider nos enfants à vivre dans notre société de plus en plus complexe — ce qui me porte à dire que je suis heureuse d'avoir grandi à une autre époque.

J'ai besoin de votre aide pour comprendre la famille d'aujourd'hui. J'ai grandi avec toute ma famille : mon frère, ma mère, mon père et ma grand-mère. Je n'aimais pas ma grand-mère jusqu'à ce que j'en devienne une moi-même. Nous devons garder une vue d'ensemble — parce que toutes les choses qui sont pertinentes pour notre table aujourd'hui résultent de notre évolution en tant qu'êtres humains. Les choses ont changé. Comment devons-nous composer avec cela?

Pour en revenir à la famille, l'une de mes premières activités à titre de membre d'un comité a été de siéger avec le sénateur Pearson au Comité mixte spécial du Sénat sur la garde et le droit de visite des enfants. Tout le monde devrait lire le rapport de ce comité, car les enfants qui y sont présentés nous ont donné vraiment de quoi réfléchir.

J'aimerais que quelqu'un parle de la sécurité, du fait que des professionnels comme nous ne peuvent pas échanger de l'information d'une administration à l'autre. L'infirmière à l'école ne peut pas parler à l'enseignant, et vice versa. Dans notre rapport, nous devrons traiter de la question liée à la protection des renseignements personnels.

Je constate que nous nous éloignons de plus en plus du noyau familial — d'aucuns diront que ce n'est pas une famille : c'est un comité. En raison de cette complexité, le Canada doit garantir notre bien-être à un moment donné ou à un autre.

Vous parlez tous de nos structures et de nos ressources. Je viens de Terre-Neuve, où il n'y a pas de pédopsychiatre résident, même s'il y en a un qui se rend chez nous une fois par mois d'une province voisine. Afin d'offrir des services sans discontinuité, nous devrons envisager des solutions de rechange.

Il y a quelques semaines, on m'a demandé de présenter une allocution devant le mouvement des Guides du Canada. Je devais parler de l'impact que mes années en tant que guide a eu sur ma carrière de sénateur. J'ai dû réfléchir au programme de guides que je connais, ce qui m'a fait comprendre que de nombreux programmes offerts par les ONG favorisent la santé mentale et le bien-être des enfants. Quels effets ces programmes ont-ils? Lorsque j'y pense, je revois la merveilleuse simplicité de nos activités extérieures. C'était formidable. De nos jours, pour être une chef guide, il faut passer un contrôle de sécurité sévère, ce qui ne s'est jamais vu dans mon temps. La société est de plus en plus complexe.

Ce qui me préoccupe, ce sont les enfants âgés de moins de trois ans. J'essaie de voir ce que le programme national de garderies réserve aux enfants. Les enfants sont nés dans une famille où les parents doivent travailler. Parfois, il y a un seul parent, et parfois, il n'y en a aucun. Souvent, à l'âge de six mois, les enfants sont envoyés en garderie. C'est la réalité de certains enfants d'aujourd'hui. Mon petit-fils de trois ans doit partir en garderie en septembre prochain, où il y passera la majeure partie de ses heures éveillées. Sur quoi reposent les garderies? Quels en sont les principes? Qu'est-ce qu'en tire l'enfant? Beaucoup de choses peuvent arriver pendant les deux ans qu'un enfant pourrait passer en garderie. Souvent, lorsque les parents reviennent à la maison, ils sont trop fatigués pour faire autre chose que de nourrir les enfants et de les mettre au lit. L'apprentissage et le développement social de bon nombre d'enfants s'effectuent en garderie. Avez-vous envisagé cet aspect de l'enfant?

Mme Forge : La collectivité où j'habite compte une population de 4 000 habitants. Nous avons deux écoles primaires et une école secondaire, et les deux ont de moins en moins d'élèves, de sorte qu'il y a des places de plus. Nous avons établi un centre de la petite enfance à l'école primaire et un programme d'aide entre parents à l'école secondaire. Cela nous permet de travailler avec nos partenaires dans le domaine de la petite enfance afin de déterminer comment favoriser le développement complet de l'enfant, c'est-à-dire pas seulement de sa naissance à l'âge de deux ans. Nous avons des enfants âgés de trois ans et demi dans nos garderies pour jeunes enfants. En ajoutant ces systèmes de soutien aux écoles, nous essayons d'établir un système de soins de l'enfant dès son plus jeune âge grâce à des mesures de soutien destinées aux parents et aux services de garderie.

Notre tendance à distinguer entre la catégorie des nouveaux-nés jusqu'aux enfants âgés de six ans et la catégorie des jeunes âgés de 7 à 18 ans a toujours été un problème. Nous devons cesser de penser comme ça pour envisager l'évolution des enfants dans sa continuité. L'école, ce n'est pas tout, mais elle peut avoir en son sein des personnes qui représentent tout pour les enfants.

Le sénateur Cook : Les garderies doivent recevoir un permis provincial, mais je ne sais pas s'il existe des normes. Si nous envisageons de déployer une stratégie nationale, nous devrons nous pencher également sur cette question. Je sais que les garderies sont régies par le gouvernement provincial, mais c'est l'endroit où les enfants de notre pays consacrent essentiellement leurs premières années.

Le président : Est-ce que quelqu'un sait si on a entrepris des recherches sur les garderies à ce chapitre?

La Dre Lipman : Je ne sais pas s'il existe des données relatives aux garderies.

Le sénateur Pearson : Oui, on a déjà entrepris des recherches à ce sujet.

La Dre Lipman : Si nous examinons une autre question : les effets du mouvement des Guides, nous constatons que le Dr Dan Offord et d'autres ont mené des études afin d'évaluer les facteurs de risque et de protection s'appliquant aux enfants. Parmi les facteurs de protection, mentionnons la participation d'un adulte qui ne fait pas partie de la famille, par exemple un enseignant, une chef guide ou un entraîneur de sport.

Je reviens tout juste d'une réunion avec les Grands frères et Grandes sœurs du Canada, qui cherchent à établir un programme national de recherche, lequel permettra de savoir ce qui arrive aux enfants faisant partie de son organisation. Nous avons beaucoup entendu parler de l'importance qu'un grand frère ou qu'une grande sœur peut revêtir dans la vie d'un jeune. Il importe que tous les organismes de services recueillent des données sur ce qui arrive. C'est en raison du changement culturel que nous devons obtenir ces renseignements pour survivre.

Cet organisme et d'autres ne veulent pas s'engager sur cette voie, car ils disent que ce n'est pas vraiment leur mandat : ils ne recueillent pas des données; ils offrent un service. Lorsque nous nous adressons aux enfants, nous ne parlons pas de la même manière avec un enfant âgé de six ans qu'avec un adolescent de 12 ou 15 ans. Vous pourriez avoir à relater l'histoire à certaines personnes et à transmettre les données à d'autres personnes, et faire les deux dans le cas d'un troisième groupe de personnes. En ce qui a trait à la survie des organismes, c'est important. Quelque chose comme les Guides du Canada peut être extrêmement important dans la vie de quelqu'un.

Le sénateur Pearson : Mes commentaires portent sur les recherches relatives aux garderies. La Fédération canadienne des services de garde à l'enfance a compilé beaucoup de données provenant de diverses études. Vous pourriez certainement trouver ce dont vous avez besoin en tirant parti de leurs ressources.

Ce que nous nous efforçons d'établir dans les accords signés avec les provinces relativement aux services de garde à la petite enfance et à l'apprentissage des jeunes enfants, c'est la qualité; en d'autres mots, on doit y intégrer le genre de normes qui s'appliqueront à nos petits-enfants.

Une bonne partie des recherches est accessible, y compris tout ce qui concerne la mobilisation des enfants ayant des besoins spéciaux et des enfants handicapés. Il y a un très grand nombre de recherches. On entreprend de bonnes choses dans de nombreux domaines, par exemple, on travaille avec les enfants diagnostiqués comme souffrant du syndrome d'alcoolisme fœtal — le même genre de travail qui a été effectué au Manitoba et ailleurs —, ainsi qu'auprès d'enfants autistiques.

Nous revenons toujours à l'éducation, et de plus en plus de parents connaissent toutes leurs options et sont sensibilisés, et le meilleur moment où les rejoindre, c'est dans une certaine mesure autour de la période de naissance; comme quelqu'un l'a déjà mentionné, lorsqu'on entend parler d'une naissance, c'est le bon moment pour commencer à mener certaines interventions et à donner de l'information, car c'est une période où les parents sont disposés à recevoir le tout. Il y a ensuite une période creuse de deux ou trois ans, où ils n'arrivent plus à obtenir des renseignements, sauf s'ils sont vraiment très attentifs.

L'autre jour, je parlais avec une infirmière de santé publique qui travaillait à l'Hôpital pour enfants de l'est de l'Ontario. Elle travaillait auprès de bébés qui accusaient un retard de développement. L'une des mères lui avait dit : « Je savais qu'on doit nourrir un chien une fois par jour; alors, je me suis dis que c'était peut-être la même chose pour un bébé. » Quel malheur, ai-je pensé. Quelqu'un sait ce qu'il faut faire avec les chiens, mais ne connaît rien aux bébés.

Le Dr Goldbloom : À mon avis, le sénateur Cook a abordé un sujet d'importance capitale, mais dont nous pourrions discuter toute la journée, soit ce qui arrive à la famille. La famille de 2005 est très différente même de la famille de 1995.

Parmi les changements qu'ont connus les familles, mentionnons qu'elles ne prennent plus leurs repas en commun. Je pose régulièrement la question suivante aux familles : « Combien de fois par semaine prenez-vous un repas ensemble? » Parfois, on a précisé le faire une fois par semaine, et parfois, pas du tout, parce qu'on veut regarder la télévision ou qu'on a différents horaires de travail. Il arrive que nous demandions à une famille de commencer à prendre deux ou trois repas par semaine ensemble, ce qui peut être l'une des plus importantes interventions appliquées en vue de remédier à ce problème.

Si vous examinez comment l'architecture des cuisines a évolué, vous remarquerez que celles-ci sont de plus en plus petites. On peut maintenant équiper une cuisine uniquement d'un four à micro-ondes. C'était auparavant la plus grande pièce de la maison — du moins à Terre-Neuve — , où tous les enfants se tenaient et faisaient leurs devoirs; la mère prenait deux à trois heures pour préparer son repas, et la cuisine était le centre de conférence de la famille. Ce n'est plus le cas. Nous devons en tenir compte.

Autre chose : je pose souvent aux enfants qui viennent à mon cabinet la question suivante : « Raconte-moi ce que vous faites en famille pour vous amuser. » Je suis sidéré du nombre de fois où j'obtiens instantanément la réponse suivante : « rien ». Je parle ici d'enfants âgés de 7 et 8 ans. Cela montre à quel point la famille change.

Enfin, Terre-Neuve n'a qu'un seul pédopsychiatre, car c'est la seule province où tout le monde est normal.

Le président : Docteur Goldbloom, permettez-moi de vous poser une autre question à ce sujet. Compte tenu de ce que vous venez de dire au sujet de la famille, vos propos ne sont-ils pas tout à fait contraires à ce que vous avez dit au sujet de l'importance de former des thérapeutes familiaux, car la famille est pour ainsi dire inexistante?

Le Dr Goldbloom : J'estime que c'est de la thérapie familiale lorsque j'amène les familles à manger ou à avoir des loisirs ensemble. C'est effectivement une thérapie familiale. Malheureusement, nous sommes ici pour parler de solutions nationales. Je suis sûr que tout le monde ici doit connaître l'histoire de l'étoile de mer : il était une fois un homme qui se promenait sur une plage recouverte d'étoiles de mer. La plupart étaient mortes, mais l'homme ramassait les quelques-unes qui étaient encore vivantes pour les rejeter à la mer. « Que fais-tu? Lui demanda quelqu'un. C'est de la folie. Il y a des millions d'étoiles de mer. Crois-tu vraiment pouvoir faire quelque chose en rejetant quelques-unes d'entre elles à la mer? » Tout en rejetant une autre étoile de mer à l'eau, l'homme répondit : « Eh bien, j'ai au moins aidé celle-ci. »

Chaque médecin aide une famille à la fois. Lorsqu'on arrive à aider une famille, c'est une victoire personnelle à chaque fois. Il y a deux façons bien différentes de voir les choses.

Le président : Comme on dit, la politique est foncièrement locale, mais c'est aussi le cas des vrais soins de santé. Le tout doit être adapté aux besoins de chaque collectivité, comme l'a mentionné le sénateur Keon.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je tiens avant tout à souligner que nous avons au Nouveau-Brunwsick et dans le reste du pays aussi, je crois bien, des programmes de ressources pour la famille, qui permettent d'aider bon nombre de nos familles les plus vulnérables. C'est un programme national financé par le gouvernement fédéral. Tous les fonds distribués dans les centres de ressources familiales sont de source fédérale. Nous avons ici l'occasion d'exercer une influence et certainement d'apporter notre aide. Les responsables tiendront une conférence nationale ici à Ottawa dans deux semaines.

J'ai visité pas mal de ces centres. Ils sont vraiment formidables. Ils s'adressent aux parents et aux enfants d'âge préscolaire, et offrent de nombreux programmes. Entre autres choses remarquables, ils offrent des programmes de sensibilisation. Si vous habitez dans une grande ville, les intervenants se rendent dans les tours d'habitation et dans les logements du centre-ville. Si vous habitez dans une région rurale, ils empruntent les routes rurales et vont jusqu'aux maisons isolées. C'est une organisation et un système en pleine expansion. Ce sont des centres qui seront toujours utiles. Ils ont besoin d'information, de soutien et d'orientation, et c'est ce qu'ils recherchent.

J'ai confiance en nos jeunes. Ils se tournent de nouveau vers certaines des valeurs qui ont peut-être été négligées jusqu'ici. Les jeunes veulent avoir une bonne famille et une bonne vie familiale, et ils veulent bien élever leurs enfants. Il y a de l'espoir.

La Dre Israël : Nous parlons de valeurs. En ce moment, nous parlons des facteurs de protection, c'est-à-dire des choses qui réduisent les risques de troubles mentaux. À mon avis, c'est ce que devrait viser tant l'enseignement public que l'enseignement professionnel. On devrait pouvoir le faire assez facilement à l'échelle nationale sans avoir à investir des millions de dollars. Si nous reconnaissons que c'est l'une des causes des problèmes auxquels font face les jeunes et qui peuvent les amener à mal tourner, nous pouvons lancer une campagne à ce sujet. Sans nécessairement permettre d'éliminer la stigmatisation face aux maladies mentales, cela aura au moins pour effet de renforcer les valeurs qui protègent les enfants.

De même, d'après des données probantes, la meilleure façon de traiter actuellement les jeunes souffrant de troubles de l'alimentation consiste à le faire au sein de la famille et ainsi à renforcer le noyau familial. On demande aux familles de bien veiller sur l'alimentation de leurs enfants.

Je suis d'accord avec vous : les familles sont essentielles, mais nous devons aussi en tenir compte dans nos programmes d'éducation s'adressant aux professionnels de la santé mentale et au public.

Le sénateur Keon : La Dre Israël m'a coupé l'herbe sous le pied. En Amérique, les écoles privées pour les enfants souffrant de troubles d'apprentissage offrent des programmes éducatifs où l'enfant passe une demi-journée par jour à l'école et où ses parents doivent également être là au moins quelques heures par jour afin de bénéficier aussi de cette formation. À l'heure actuelle, ces programmes sont réservés aux riches.

Comme nous parlons de la famille et de l'importance du système d'éducation pour le développement de l'enfant, permettez-moi de vous poser la question suivante : est-ce que quelqu'un sait où on offre ce genre de programme dans les secteurs public ou privé au Canada, et si on pourrait en lancer d'autres avec succès?

M. Mussell : En 1970, les Affaires indiennes ont commencé à distribuer des fonds aux membres des Premières nations pour qu'ils embauchent eux-mêmes les personnes chargées d'administrer certains programmes. Trente-cinq ans se sont écoulés depuis, et, d'après ce que j'ai pu voir en travaillant comme animateur communautaire — j'offre divers services de consultation, d'enseignement et de formation — , les gens de nos collectivités s'entraident beaucoup moins qu'en 1970.

Cela me rappelle le livre de John McKnight intitulé La société négligente. La société et ses contrefaçons. Quand j'ai lu ce livre, j'ai eu l'impression qu'il décrivait le mode de vie de nos Premières nations. Ce qu'il dit essentiellement, c'est que plus nos programmes et services sont systématiques, organisés et professionnels, plus cela dérange — en raison de la manière dont ils sont offerts par les personnes rémunérées pour cela — , ce que les gens devraient faire naturellement les uns pour les autres par instinct familial et par sollicitude ou amour.

À mon avis, c'est ce qui se passe dans nos collectivités en raison du grand nombre de programmes et services offerts et de la manière dont les praticiens s'y prennent pour éduquer ainsi les gens. D'après ce que j'ai pu voir, les praticiens offrant ces programmes et services ont trop tendance à nous dicter des lignes de conduite. Ils pensent pour nous, nous disent quoi faire, quand nous devons suivre une thérapie, et ainsi de suite. Ce faisant, ils empêchent les gens d'apprendre par eux-mêmes, d'utiliser leurs propres capacités et de déterminer eux-mêmes leurs besoins. C'est quelque chose qui me préoccupe beaucoup.

Nous devons jeter un regard critique sur le système d'enseignement postsecondaire et ce qu'il a donné comme résultat.

Mme Hills : Vous m'avez demandé de parler de liens et partenariats particulièrement fructueux. Il y a de nombreuses années, avant qu'on n'instaure la Loi sur le tabac, j'ai fait du bénévolat pour un organisme qui a décidé de militer pour la prévention du tabagisme. Nous avons réuni plusieurs ONG, et, ensemble, nous avons déployé des efforts en vue de lutter contre le tabagisme et de le prévenir. Nous avons mobilisé les jeunes et les écoles. Bon nombre d'entre nous avions été ou étions des enseignants. Notre coalition a obtenu de bons résultats parce qu'elle n'était nullement motivée par l'argent. Nous formions tout simplement un groupe qui voulait que les choses changent. Lorsque nous nous réunissions, nous présentions les enjeux à l'ordre du jour, puis chacun contribuait en fournissant son expertise et ses ressources dans le but de faire bouger les choses. Ce n'est peut-être pas une entreprise viable, surtout de nos jours.

La coalition a commencé à se désintégrer dès qu'on a commencé à obtenir du financement, car, comme l'a mentionné plus tôt le Dr Manion, les gens ont alors commencé à se cloisonner et à craindre de ne pas avoir leur part du gâteau, entre autres choses. C'est redevenu comme avant lorsque les gens ont accepté de nouveau de se faire confiance, mais cela a pris 15 ans.

Voilà qui nous amène également à examiner le rôle des ONG, dont a parlé le sénateur Cook. Les ONG et les divers organismes de bienfaisance touchés sont intéressants. Rémi Quirion, de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies, a réuni 400 ONG oeuvrant dans le secteur de la santé mentale. J'ai été surprise d'apprendre qu'autant d'ONG comme la nôtre oeuvrent dans ce secteur. Certains d'entre eux sont beaucoup plus visibles que d'autres, par exemple la Société Alzheimer et la Société Parkinson, et il y en a effectivement de très petites dans la collectivité.

Les ONG peuvent faire certaines choses qui sont impossibles pour des organisations gouvernementales et de gros systèmes. Entre autres, ils peuvent combler le fossé qui existe dans certains cas. Les ONG sont souvent composés de consommateurs, de gens qui veulent des ressources, mais qui ne savent pas, entre autres, comment les obtenir. Toutefois, ils sont également constitués d'experts dans le domaine. La plupart des ONG comptent aussi des médecins, des infirmières et des psychologues à leur actif. Ils ont l'expertise nécessaire dans la collectivité pour accomplir des choses et mobiliser les partenaires. Nous devrions peut-être examiner les activités déployées par les ONG et les organismes de bienfaisance dans la collectivité, étant donné le rôle crucial qu'ils peuvent y jouer. Ils peuvent également permettre de jeter des ponts entre les services de santé, les services d'éducation et les services sociaux notamment, ainsi que d'établir des partenariats pouvant faire bouger les choses à l'échelle locale.

Le Dr Manion : Je voudrais parler de l'idée de renforcer les capacités communautaires. Il y a tellement de ressources naturelles dans une collectivité, lesquelles, en l'absence d'une famille — car la famille, ce n'est plus ce que c'était — , deviennent d'autant plus importantes pour la collectivité.

Parmi les grandes ressources naturelles d'une collectivité, nous avons les personnes elles-mêmes. Il y a des chefs-nés. Nous entendons constamment parler du fait qu'un jeune sur cinq souffre de troubles mentaux. Cela signifie que quatre sur cinq n'en ont pas. Ils sont en première ligne; créatifs et dynamiques, ils veulent se mobiliser. Grâce aux travaux du Centre d'excellence pour la participation des jeunes et aux études de bon nombre d'autres chercheurs que celui-ci a passées en revue, nous savons que la mobilisation est un facteur de protection très important pour la santé physique de même que pour la santé mentale.

Je le répète, lorsque nous examinons les collectivités, nous devons tenir compte de leurs ressources naturelles, qui ne font pas nécessairement partie de nos systèmes. Il peut s'agir parfois d'un entraîneur, parfois d'un groupe confessionnel, et parfois d'un groupe de jeunes non structuré. Nous devons déterminer s'il existe des obstacles à la mobilisation, lesquels devront, le cas échéant, être éliminés.

De plus, nous devons envisager les perspectives de mobilisation dans des systèmes plus officiels par des personnes qui ne sont pas nécessairement les intervenants auxquels on s'attendrait. Je regarde autour de moi, et je ne vois pas un grand nombre de jeunes, ce qui ne me surprend pas d'ailleurs : c'est parfois difficile de trouver les bonnes personnes. Comment créer de nouveaux débouchés, qui nous permettent de mobiliser des personnes qui n'auraient pas voulu le faire sans cela? Si les gens ne veulent pas se mobiliser, nous ferons face à une plus grande fragmentation. Nous aurons beau établir un système, ils ne voudront pas se mobiliser pour autant.

La Dre Roberts : Lorsqu'on peut les rejoindre, les grands-parents disent très souvent, entre autres, que nous avons réduit les compétences de nos gens. C'est toute une leçon d'humilité que de se faire dire que ce qu'on fait pour aider les gens — les parents —, a en fait réduit leurs compétences. M. Mussell parle de ressources internes, et on est généralement d'avis que, plus nous avons donné des choses, moins les gens ont su perfectionner leurs compétences. Les jeunes qui réussissent bien sont ceux qui n'ont pas toujours eu tout cuit dans le bec. Ils réussissent mieux parce qu'ils ont acquis les compétences requises pour s'en sortir même en période difficile.

Le Dr Davidson : En outre, cela crée un cloisonnement et de la concurrence entre les jeunes de différents groupes d'âge lorsqu'on les divise en groupes de zéro à six ans, de 7 à 12 ans, et de 13 à 18 ans.

Je me demande ce que les gens répondraient si on demandait à vingt personnes dans la rue ce que signifie pour eux la prévention : je crains qu'ils diraient que ce sont des mesures s'adressant aux enfants de trois ans et moins, alors qu'en fait la prévention peut s'appliquer tout au long de la vie. Nous devons faire comprendre cela aux gens.

Le sénateur Cochrane : Je tiens à vous poser une question au sujet des droits de l'enfant. Récemment, dans la collectivité d'où je viens, un enfant a accusé une enseignante de l'avoir acculé contre un mur. Lorsque l'enfant a raconté cela à son père, ce dernier a tout de suite communiqué avec la GRC. Cette enseignante a été démise de ses fonctions pendant six mois. L'affaire a été portée devant les tribunaux, mais un non-lieu a été prononcé.

Comment est-ce que nous composons avec cela? L'enfant a des droits, mais les professionnels aussi. C'est difficile de savoir où s'arrêter. De certains côtés, l'enfant a peut-être maintenant trop de droits. L'enfant s'attend à ce que ses parents le croient sur parole et appellent tout de suite la police. Lorsque j'étais enfant, si je racontais à mes parents quelque chose qui s'était passé à l'école et qui me préoccupait, ils me corrigeaient et se rangeaient du côté du système scolaire.

Le sénateur Pearson : Bien avant qu'on reconnaisse les droits des enfants, j'avais à composer avec des parents qui se plaignaient de certaines choses à l'école. Je crois que cela concerne non pas tant les droits des enfants que la dynamique et les systèmes établis pour résoudre les problèmes. Dans votre cas, j'imagine qu'il n'y avait pas de systèmes adéquats pour l'examen des plaintes. Bon nombre d'enfants avaient l'impression d'avoir désormais tous les droits.

Le sénateur Cochrane : Dans certains cas, les responsables des services sociaux ne peuvent résoudre le problème. Alors, ils se rangent du côté de l'enfant. J'ai déjà vu cela arriver, et même tout récemment. Je me rends compte que, dans certaines régions d'Europe, l'enfant a des droits acquis dès sa naissance, et tous les enfants connaissent leurs droits. J'aimerais effectuer des recherches à ce sujet, afin de déterminer si les enfants européens ont connu des problèmes de ce genre durant leur vie.

Ça aurait été bien d'avoir un diététiste avec nous aujourd'hui. Bon nombre de parents ne savent pas comment nourrir leurs enfants sainement. Souvent, les enfants n'auraient pas besoin de médicaments s'ils mangeaient des aliments sains. Par exemple, souvent, les enfants n'arriveront pas à dormir si on leur donne du chocolat le soir. Certains parents ne s'en font pas pour ça. Comment est-ce que les enfants peuvent se concentrer à l'école pendant la journée s'ils n'arrivent pas à dormir le soir?

Je sais que nous avons le Guide alimentaire canadien. Nous l'avons depuis des années dans notre système de santé. Il est maintenant un délaissé. Il était populaire auparavant. Les enseignants nous le montraient dès la première année, mais récemment — au cours des cinq dernières années — il est devenu de moins en moins populaire.

Je sais que les programmes d'études sont la responsabilité du gouvernement provincial. Nous devons les modifier. Nous pourrions modifier le contenu des cours de biologie et de santé pour y inclure différentes notions sur la santé mentale. Nous en sommes arrivés au point où nous devons examiner les programmes d'études. Même si cela est de ressort provincial, nous pourrions peut-être tous faire quelque chose au sujet des programmes d'études.

Est-ce que quelqu'un a entendu parler du programme à Toronto appelé Racines de l'empathie? Est-il offert également au Nouveau-Brunswick? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Mme Whitenect : Oui. Lorsque j'ai présenté certains points, j'ai donné ce programme en exemple, mais je n'ai pas élaboré sur la question. Nous avons des programmes de ce genre dans les écoles, mais il s'agit souvent de programmes supplémentaires qui doivent faire l'objet de promotion. Oui, certains administrateurs en chef, responsables de district et directeurs d'école accepteront d'offrir le programme à l'école. Au Nouveau-Brunwsick, le programme est offert dans la région 2, laquelle est justement ouverte à cette idée; nous l'avons essayé dans d'autres régions, mais sans succès. C'est parce que les gens n'en saisissent pas l'importance. Tout le monde a parlé de l'importance de la santé mentale et du fait que cela devrait préoccuper non seulement les cliniques de santé mentale ou le ministère de la Santé, mais bien tout le monde. Nous avons tous un rôle à jouer.

Nous parlons d'estime de soi. Je ne sais pas si vous voulez de plus amples renseignements, mais Racines de l'empathie est un programme où on amène des jeunes enfants dans des classes de deuxième année et où les enfants peuvent voir leur mère ou leur père, bien que ce soit souvent la mère, et où l'enfant peut interagir. Les élèves apprennent qu'un bébé est très vulnérable et qu'il faut bien s'en occuper. Les jeunes enfants acquièrent une nouvelle compréhension de ce genre de sentiment d'attachement ou de lien. La majeure partie de ce qui porte sur les jeunes enfants traite de ce sentiment d'attachement. Là encore, nous devons veiller à ce que cela se fasse non pas au cours d'une certaine phase ou période, mais de façon continue afin que nous puissions reconnaître ces choses. Je le répète, cela doit se faire dans tous les secteurs, car il ne faut pas que ce soit seulement les personnes disposées à le faire qui participent au processus. Nous devons obtenir l'engagement de tous d'une façon ou d'une autre en raison de la pertinence de ce programme.

Le président : À Halifax, nous devons recevoir le témoignage des responsables du programme Racines de l'empathie.

M. Mitchell : Mary Gordon doit se rendre dans la région de Niagara Falls samedi prochain pour assister à une conférence sur le rôle parental, accueillie par l'Université Brock, où on doit parler du programme Racines de l'empathie, qui permet de relier les parents, l'école et les enfants de façon empathique. Ce qu'elle préconise touche entre autres la question des droits de l'enfant. J'ai discuté avec elle à ce sujet, et nous avons examiné cet aspect. Elle ne croit pas que ce soit inconciliable avec l'idée d'œuvrer auprès des enfants dans le contexte scolaire.

Je ne tiens pas à revenir sur le point que vous avez soulevé tout à l'heure, au sujet du fait que les professionnels oeuvrant auprès des enfants peuvent se sentir menacés à l'idée que ces derniers connaissent trop bien leurs droits. J'ai bien aimé ce qu'a dit la Dre Van Daalen, de Hollande, au sujet du fait que, lorsque les enfants apprennent à connaître leurs droits, ils se rendent compte que tout le monde sans exception en a. C'est important pour les professionnels oeuvrant auprès des enfants. Les adultes connaissent leurs droits et tout ce qui concerne la loi, mais j'ai constaté que les enfants ne savent pas qu'ils ont des droits, et que les adultes oeuvrant auprès des enfants ne savent pas réellement en quoi consistent ces droits et ce qu'ils signifient. De toute évidence, attraper un enfant et l'acculer contre un mur, c'est une violation fondamentale de ses droits, sans compter que c'est illégal. Si ces allégations étaient fondées, cela justifiait l'intervention de la GRC.

Le sénateur Cochrane : Ça n'est pas arrivé.

M. Mitchell : C'est quelque chose qui devrait être déterminé par un processus juridique, il me semble, et qui pourrait faire l'objet d'une médiation fondée sur une connaissance des droits respectifs et de leur application.

Je voudrais vous parler d'un jeune homme qui a participé à certaines recherches que j'ai menées à Victoria dans le cadre de la Convention et d'une campagne de sensibilisation publique. J'ai élevé ce jeune homme en tant que fils d'accueil pendant quelques années, puis il a accepté de participer à mon programme de recherche; il est maintenant au milieu de la vingtaine. Il est mon ami. Nous avons passé le stade de la relation de pouvoir qui existe entre une partie offrant un service et une partie en bénéficiant pour nous retrouver dans ce milieu universitaire. Bo participait à un symposium sur les droits des enfants qui se tenait là-bas. Comme je l'ai fait avec tous les enfants d'accueil qui ont habité chez moi, je lui donnais un petit livre bleu. Deux semaines après son arrivée, Bo avait passé en revue ce petit livre et en avait appris tous les aspects. À l'école, il a déclaré que, en vertu de l'article 15, il avait droit au respect de sa vie privée. Il a ajouté qu'il ne voulait pas que personne ne dise à son parent d'accueil s'il était allé à l'école ou non.

Le directeur a téléphoné pour me dire que, en vertu des droits de l'enfant, il ne pouvait pas me dire si Bo avait été à l'école ou non. J'ai appris comment les droits s'appliquent dans son propre foyer. J'avais l'impression que ces quelques connaissances feraient leur chemin, car il y avait encore beaucoup d'autres droits en plus du droit au respect de la vie privée.

J'aimerais conclure par quelque chose que Bo a dit des années plus tard. Il avait 15 ans lorsque cet événement s'est produit, et il en avait 19 lorsqu'il a participé aux recherches avec moi. Il m'a dit : « lorsque Richard a parlé de la Convention relative aux droits de l'enfant, j'ai compris que j'avais ici une bonne arme et je m'en suis servi comme telle, mais je comprends maintenant que c'est un outil. » C'est l'une des choses les plus profondes qu'on m'ait jamais dites au sujet de ce document.

La Dre Israël : Je tiens à parler de la nutrition. Le ministère de la Santé publique à Montréal a publié son rapport de 2004-2005 sur la santé, dont la santé mentale, des enfants à Montréal, y compris leurs habitudes et la perception qu'ils ont de leur vie. Comme je suis spécialisée en troubles de l'alimentation, j'ai passé directement aux sections sur l'alimentation, l'activité et l'insatisfaction face au corps, et j'ai appris que seulement 30 p. 100 des adolescents à Montréal mangent des fruits et des légumes au moins une fois par jour, que quatre adolescents sur dix boivent au moins une boisson gazeuse et que les trois quarts des jeunes s'achètent des repas rapides au moins une fois par semaine. Et c'est encore quatre adolescents sur dix qui mangent des croustilles tous les jours.

En ce qui a trait à l'insatisfaction face au corps, j'ai appris que, en quatrième année, 43 p. 100 des élèves ne sont pas satisfaits de leur corps. En secondaire cinq, 60 p. 100 des élèves sont insatisfaits, et 40 p. 100 d'entre eux suivent un régime ou essaient de faire quelque chose à cet égard.

Ce que je sais au sujet de l'alimentation, c'est que les médias arrivent beaucoup plus que les parents ou les enseignants à persuader les jeunes de manger telle ou telle chose, les habituant à boire des boissons gazeuses entre autres et à manger des croustilles et des aliments très sucrés comme les Cocoa Puffs, et j'en passe. Ce que le Guide alimentaire canadien recommande n'est pas très excitant par rapport à tous les aliments goûteux, faciles à manger et faciles à trouver que présentent les médias. Nous devons contrôler l'accès des enfants à ces produits ou empêcher ces entreprises d'influer sur eux dès l'âge de deux ans lorsqu'ils regardent Sesame Street à la télévision. Si nous voulons que les Canadiens changent leurs habitudes alimentaires, nous devrons participer aux activités déployées par des organismes de lutte qui ont beaucoup plus d'argent que les parents.

Le sénateur Cochrane : Ces entreprises.

La Dre Israël : Oui.

Nous nous demandons également où l'argent s'en va. J'ai entendu dire la semaine dernière que les agriculteurs qui récoltent du maïs reçoivent davantage de fonds, et que ce maïs sert à faire du sirop de maïs, l'un des ingrédients de la plupart des boissons gazeuses et des aliments rapides.

L'autre point, c'est que nous avons vu que l'insatisfaction face au corps doublait entre la quatrième année et le secondaire cinq, ce qui signifie qu'on pourrait intervenir entre temps. Durant ces années-là, les jeunes sont très vulnérables. À mesure qu'ils grandissent, ils sont vulnérables à différentes choses; par conséquent, nous devons intervenir tout au long de leur vie.

La Dre Van Daalen : J'aimerais revenir à la question de la santé mentale chez les enfants âgés entre zéro et trois ans. Si nous parlons de la santé mentale des nouveau-nés ou des enfants âgés entre zéro et trois ans, nous parlons en fait de la santé mentale et de la santé physique des femmes, et, espérons-le, des hommes aussi. Ils devraient participer, de sorte que nous puissions créer une société plus engagée.

Nous devons désigner cela, car l'autre pratique qui n'a pas été désignée aujourd'hui, c'est celle, très répandue, qui consiste à blâmer la mère lorsque ses enfants souffrent de troubles mentaux. Qu'est-ce qui ne va pas avec la mère? Quelle est la part de responsabilité de la mère dans tout ça? Qu'est-ce qui manque? Parfois, on ouvre le dialogue avec le père ou le partenaire, mais on ne le fait pas toujours.

Nous devons nous rappeler l'histoire des bébés-poubelle aux États-Unis, et celle des États qui ont adopté une politique permettant aux femmes ou aux hommes d'apporter leur bébé à l'hôpital et de s'en aller aussitôt sans risque de représailles, afin d'empêcher les gens de mettre leur bébé dans une benne à ordures. Je me rends compte que c'est un exemple assez violent. Toutefois, cela leur a permis de réduire de 200 ou 300 et presque d'éliminer le nombre de bébés morts ou trouvés dans une benne à ordures. Nous devons veiller à ce que les mères ou les pères se sentent tout à fait à l'aise de le dire lorsqu'ils éprouvent des difficultés, qu'ils n'arrivent pas à faire ça, qu'ils sont déprimés ou toxicomanes, et qu'il y a de la violence à la maison. Il faut trouver un moyen non punitif, qui permet de s'assurer qu'ils n'hésitent pas à demander de l'aide. Nous pouvons parler des enfants entre zéro et trois ans en taisant ce qui arrive aux hommes et aux femmes qui soumettent leurs problèmes.

Le sénateur Cook : Nous serons toujours confrontés à la complexité des changements, et nous devons composer avec elle. Cela dit, ma question est la suivante : pour cette gamme de soins en particulier, que ce soit dans les domaines de l'enseignement ou de la gestion de la santé mentale ou du bien-être, croyez-vous que la solution réside entre autres dans les services de santé communautaires, assortis des employés requis, que ce soit une infirmière praticienne, un psychiatre visiteur, un psychologue ou un nutritionniste? Là où j'habite, que je considère une région rurale du Canada, j'estime que nous devons être réalistes et tenir compte du nombre de professionnels accessibles; nous devons utiliser tous les services à notre disposition, par exemple, la chef guide locale, qui peut amener quelqu'un en promenade.

Je conclurais avec ceci : lorsque nous avons décidé que les institutions de santé mentale n'avaient plus besoin de garder les gens en leur sein, que ceux-ci devraient faire partie de la collectivité, nous les avons laissés sortir sans soutien adéquat. Je me suis jointe à un groupe — qui a 25 ans cette année — , qui estimait que nous ne devions pas laisser ces gens dans la rue sans soutien. Ils ont une chambre dans une pension de famille, et leur vie est assez ennuyeuse. Nous ne recevons pas de fonds suffisants. Grâce à ce processus, nous offrons maintenant un programme qui nous permet d'inviter des étudiantes en sciences infirmières, des travailleurs sociaux et des responsables de services de parcs et loisirs — toutes les personnes que nous pouvons trouver. Par nécessité, un besoin s'est créé. Même des jeunes viennent nous voir. Nos services sont axés sur les clients. Nous recevons de 95 à 100 personnes par jour, environ. J'habite dans une petite ville, si on la compare à Toronto, et ça fonctionne. Dans la plupart des cas, la réponse se trouve à l'intérieur de nous, en dépit des grandes préoccupations relatives aux maladies mentales.

Je le sais d'expérience. Ma fille a été anorexique pendant trois ans et demi après la mort de son père. Elle a guéri avec l'aide d'un diététiste et d'un psychologue, et sa mère a su se taire, croyez-le ou non, monsieur le président. Elle s'en est sortie. Elle a maintenant deux enfants, et je remercie le ciel qu'elle aille bien.

Je savais que la meilleure façon pour moi de l'aider était de rester bien tranquille. Je n'avais pas les compétences. Ce sont des professionnels qui l'ont aidée. Nous devons savoir où se trouvent nos forces. Je suis toujours convaincue que, du moins dans mon coin du monde, le centre de santé communautaire restera le meilleur moyen d'aider les gens.

Le sénateur Keon : Docteure Van Daalen, je voudrais explorer avec vous le concept du rôle parental. Comme le sénateur Cook a parlé de ses enfants, je me permettrai de faire de même. J'ai une fille. Sa carrière est aussi exigeante que la mienne l'était à son âge, et elle est dans la même profession. La seule différence, c'est que j'avais ma femme pour s'occuper de mes trois enfants. Ma fille a trois enfants, ce qui a rendu les choses un peu plus difficile du côté professionnel, mais elle s'en est très bien sortie. Son mari est très compréhensif, et il travaille dans la même profession.

Lorsque je parle avec elle à ce sujet, elle me dit que je suis trop vieux jeu. L'important, c'est le rôle parental. Le rôle de mère à part entière est révolu depuis longtemps. L'important, c'est le rôle parental. Selon elle, que ce soit elle ou son mari, ou bien la grand-maman et le grand-papa, qui assume ce rôle pour nos petits-enfants, cela importe peu. Toute une génération en Angleterre a grandi de cette façon affirme-t-elle, ce qui ne la préoccupe d'ailleurs aucunement.

Qu'en pensez-vous?

La Dre Van Daalen : Eh bien, elle ne m'a toujours pas téléphoné à ce sujet.

Nous parlons de ce qui constitue une famille traditionnelle, et de la personne qui travaille et de celle qui ne travaille pas. Ce que j'essayais de dire, c'est que nous devons faire en sorte que les parents — quelle que soit la composition de la famille — n'aient pas peur de révéler qu'ils sont surchargés, ou qu'ils en viennent parfois à frapper ou à humilier leurs enfants, comme leurs propres parents l'avaient fait avec eux. Les parents me disent que, en fait, ils s'ouvrent rarement de la sorte, car ils préfèrent montrer qu'ils sont forts et sûrs d'eux et dire qu'ils sont traités avec dignité, s'emmurant dans le silence et le secret.

Je sais que je ne réponds pas directement à votre question, soit de savoir qui devrait rester à la maison et qui devrait aller travailler, bref, tous les problèmes auxquels la femme moderne doit faire face de nos jours. Je crois que cela a eu un impact sur la santé mentale des femmes, soit dit en passant — en raison de toutes les attentes associées au fait de vouloir tout faire et d'assumer tous les rôles. Toutefois, j'estime que nous devons prévoir des mécanismes comme celui que nous offrons ici, où les gens peuvent parler ouvertement et sans honte.

Le sénateur Keon : Vous tournez autour du pot, mais je voudrais bien gagner la prochaine fois que je débats de cette question avec elle.

Qu'en est-il du concept du rôle parental, par opposition au concept de la mère au foyer, qui a déterminé la manière dont j'ai été élevé?

Le Dr Manion : On n'a pas besoin d'être parent pour assumer ce rôle. Lorsqu'on parle de développement communautaire et du fait que ça prend une collectivité ou un village pour élever un enfant, on doit s'entendre sur ce qu'on estime être une bonne façon d'élever les enfants. Cela doit se faire de façon collective. Si on compare le rôle de la mère par rapport à celui du père, des données révèlent maintenant que l'impact du père est énorme, notamment au cours de l'adolescence.

Le rôle parental ne devrait pas incomber à une seule personne. Peut-être que nous sommes plus progressistes maintenant. Cela signifie qu'on doit enseigner ces compétences à un plus large éventail de gens. On doit l'enseigner non pas seulement aux mères, mais aussi aux pères et à l'ensemble de la collectivité, ainsi qu'aux enseignants et aux monitrices de garderie éducative.

Lorsqu'on s'occupe d'enfants qui souffrent de troubles mentaux, on doit très souvent composer avec les parents ayant également des troubles mentaux. Dans ce cas, on doit fournir des recommandations ou des conseils différents au sujet de leur rôle parental et les aider à l'assumer par d'autres moyens, ce qui nous amène à voir ce rôle de façon plus holistique.

Le rôle parental varie aussi d'une culture à une autre. Si vous devez enseigner ce que c'est que d'être parent, vous devez mieux comprendre les valeurs culturelles de la collectivité touchée; sinon, vous risquez en fait de vous mettre les gens à dos, de sorte qu'ils ne voudront pas écouter les conseils que vous avez à leur donner pour les aider à améliorer leur situation.

Mme Whitenect : Je voudrais élaborer sur ce point. Vous avez parlé des familles qui demandent de l'aide; à cet égard, je dirais qu'il est essentiel de se partager le rôle parental. Cela concerne non seulement les parents, mais aussi d'autres partenaires communautaires.

Autre chose : lorsque nous parlons des enfants, cela va sans dire que nous devons aussi aborder la question de leur protection. Nous devons envisager des mesures proactives visant à garantir le bien-être des enfants. Nous devons examiner les dispositions législatives relatives à la protection de l'enfance, car cela ne concerne pas uniquement la famille. Il s'agit de l'image que nous projetons en tant que collectivité.

Cela nous ramène au problème des jeunes âgés de 16 à 19 ans, dont nous avons parlé. Ce n'est pas pour rabâcher, mais c'est une question tellement importante. Il y a une loi relative à la protection des jeunes âgés de 16 ans et moins, et il y a une loi une protection des adultes, c'est-à-dire des personnes âgées de 19 ans et plus. Toutefois, les jeunes âgés entre 16 et 19 ans ne sont pas protégés par la loi.

Le président : Quelle serait la solution à ce problème? D'après vous, devrait-on inclure ces jeunes dans le groupe d'âge des enfants ou dans celui des adultes?

Mme Whitenect : Dans un sens ou dans l'autre, ce n'est pas grave, tant qu'ils sont protégés d'une manière ou d'une autre, et qu'on est en mesure d'intervenir.

Le président : Nous n'avons qu'à combler la lacune, alors?

Mme Whitenect : Exactement, et nous devons reconnaître que c'est une période cruciale. Nous devons constituer une famille pour eux, leur fournir une famille, mais nous ne pouvons pas le faire en vertu de la loi. Comme la santé mentale n'est pas légiférée, nous sommes pris entre l'arbre et l'écorce.

Le sénateur Pearson : J'ai deux ou trois points à soumettre. En ce qui a trait à la question que vous venez de poser, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents vise les jeunes de moins de 18 ans. La Convention relative aux droits de l'enfant porte également sur les jeunes de moins de 18 ans. Ça devrait être universel et c'est ce que nous devrions faire à l'échelle du pays. Cela permettrait de resserrer l'écart de façon tout à fait logique.

Entre autres choses, je voulais souligner l'importance d'aider les chercheurs dans certains domaines. En ce qui a trait à la violence et à la santé, nous avons déjà abordé la question dans une certaine mesure en discutant de la santé mentale des femmes et des parents, entre autres choses.

Le Rapport mondial sur la violence et la santé de l'OSM est excellent. Je coordonne une réunion prévue pour début juin, qui doit porter sur les enfants victimes de violence. La violence est un facteur très déterminant de l'état de santé mentale des enfants, comme nous le savons maintenant. Si nous ne faisons pas quelque chose à ce sujet, nous allons avoir des difficultés. Lorsqu'on entend parler de gens qui ont tué leur bébé pour se venger de leur partenaire — comme ça s'est passé dans les deux ou trois dernières semaines —, on se rend compte à quel point les choses vont vraiment mal.

Dans le dernier numéro de Transitions, revue publiée par l'Institut Vanier, on décrit les changements qui ont été apportés aux structures familiales en 40 ans. On y définit le tout comme une fonction, de sorte que ça ne devrait pas être un sujet de discorde entre vous et votre fille.

Le sénateur Keon : Ça ne l'est pas.

Le sénateur Pearson : J'en suis sûre, mais c'est un document utile, et je vous le recommande fortement. C'est le dernier numéro.

Entre autres enjeux, nous devons déterminer ce que le gouvernement fédéral pourrait faire et formuler des recommandations qui permettraient de faire bouger les choses. Par exemple, lorsque j'étais à Washington la semaine dernière, j'ai appris que nous n'avons pas participé à l'étude longitudinale qui a été entreprise au sujet de l'impact du milieu sur les enfants. David Anderson voulait que nous y participions. Ça aurait coûté plusieurs milliers de dollars pour inclure les enfants canadiens dans la cohorte. C'est une cohorte importante. Leur étude longitudinale doit porter entre autres sur l'hygiène du milieu, et je trouve bien dommage que nous n'en tirerions pas parti. Nous devrions passer le mot à l'échelle fédérale. Gardez les yeux ouverts et saisissez toutes les occasions de renforcer la base de recherche sans vous confiner à notre pays.

Aux États-Unis, plusieurs projets — par exemple, les travaux sur la prévention de la violence menés par le chef des services de santé, et les travaux des Centers for Disease Control — vont dans la même direction que nous et visent davantage de coordination et d'intégration, entre autres. Je recommande donc qu'on renforce les liens avec eux.

M. Mussell : En ce qui a trait à la question que le sénateur Keon a posée au sujet du rôle parental, je suis convaincu que le plus important, c'est le genre d'influence que nos enfants reçoivent pendant leur développement : nous devons veiller à ce qu'ils grandissent en acquérant une identité personnelle et culturelle relativement sûre. Je crois que c'est la clé.

À mon avis, le rôle parental est une part importante de cela dans notre culture, car, très souvent, les gens croient que l'âme survit et que nous sommes le reflet de nos arrières-grands-parents. Il y a des personnes âgées qui diront cela, et leurs propos ont une grande influence — généralement très positive — sur notre perception de nous-mêmes et de notre potentiel, entre autres choses. Nous devrions entretenir de bonnes relations avec notre mère, notre père, notre grand-mère et les autres membres de notre famille, car cela nous aidera à nous forger une identité personnelle et culturelle relativement sûre.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'aimerais tout d'abord répondre à la question du sénateur Keon, puis me pencher sur ce que j'appellerais de véritables troubles mentaux, pour finalement poser une question.

J'aurais tendance à me ranger du côté de votre fille, sénateur Keon. J'ai élevé seule mes enfants, après que mon mari est mort du cancer. Je crois effectivement que les premières années, pendant lesquelles se forment les liens affectifs et s'établit l'attachement, sont très importantes. Bon nombre de gens pourraient vous aider à assumer ce rôle parental. J'ai moi-même eu besoin de l'aide d'un grand nombre de gens, car, comme j'étais médecin, je travaillais beaucoup.

Ce qui compte pour les enfants, c'est qu'ils développent des liens affectifs et un attachement. Ils doivent être certains d'avoir une place toute spéciale dans le cœur et la vie de leurs parents, que ces derniers pourront les aider en période difficile, et qu'ils seront toujours là pour eux. Peut-être se marieront-ils et finiront-ils par divorcer, mais tant que leurs parents sont là, tout ira bien. En outre, vous devrez établir un bon réseau de soutien si vous comptez faire ce que votre fille a fait et ce que j'ai fait. Ça va de faire la même chose qu'elle, mais vous aurez besoin d'un bon réseau de soutien, et vous devez établir de bons liens affectifs et un attachement avec l'enfant dès le début.

Nous sommes entrés ici dans un grand débat social, un débat qui concerne la société sous tellement d'aspects. Je me demande si nous nous lancerions dans ce genre de débat autour d'autres maladies. Nous pourrions le faire pour certaines maladies comme les problèmes de cœur et le cancer, mais ce ne serait pas le cas pour beaucoup d'autres maladies comme la SLA, mis à part le fait que les gens reçoivent le soutien voulu.

Nous disons que 20 p. 100 des enfants souffrent de maladies mentales, soit un enfant sur cinq. Nous nous rendons de plus en plus compte qu'ils naissent comme ça. J'aimerais savoir : en ce qui a trait aux maladies les plus graves — et tous les problèmes sociaux qui s'y rattachent, ainsi que l'éclatement de la famille, l'intimidation et la mauvaise image de soi —, par exemple, dans le cas des personnes qui sont sorties des hôpitaux psychiatriques et qui auraient besoin du soutien de la collectivité, est-ce que nous nous rendons compte qu'une forte proportion des maladies mentales touchant ces enfants sont liées à d'importants facteurs génétiques, chimiques, environnementaux ou de stress acquis dans le ventre de la mère?

Dans quelle proportion ces enfants atteints de maladies mentales sont-ils nés avec la maladie? Nous avons avec nous des psychiatres et des médecins de grande renommée qui pourraient peut-être répondre à cette question. Nous passons beaucoup de temps à parler de la société, mais nous devrions revenir aux maladies mentales graves.

La Dre Israël : Même lorsqu'on naît avec des troubles mentaux, c'est le milieu qui déterminera s'ils se développeront. À l'heure actuelle, nous ne nous pencherons pas sur ces enjeux, parce que tous les troubles génétiques — notamment dans le cas des maladies mentales, qui est un problème complexe — sont souvent liés à toute une série de gènes. Souvent, le fait que les enfants soient exposés à un certain milieu ou à certains facteurs de protection peuvent faire toute la différence entre ceux qui contracteront la maladie et ceux qui ne la contracteront pas.

Le sénateur Trenholme Counsell : Parlez-vous du trouble bipolaire ou de la schizophrénie?

La Dre Israël : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Dans quelle proportion le milieu peut-il faire une différence importante?

La Dre Israël : Le pourcentage de gens qui souffrent de la schizophrénie et du trouble bipolaire est relativement constant. Il y a peut-être d'autres maladies dont la prévalence augmente, mais cela se fait de façon relativement constante. Parmi les maladies qui varient le plus, mentionnons la dépression et les troubles de l'anxiété, qui sont probablement plus vulnérables aux facteurs environnementaux, qui se manifestent durant le développement et peuvent influer sur le cours de la maladie dans un sens ou dans l'autre.

En ce qui a trait à la schizophrénie et au trouble bipolaire, on estime actuellement que, en intervenant très rapidement, on peut modifier grandement le cours de la maladie et prévenir la chronicité.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je sais que plus tôt on détecte une maladie, plus tôt on peut intervenir. Toutefois, quel pourcentage est inné?

La Dre Lipman : En fait, nous ne le savons pas. C'est un nouveau domaine. Dans 10 ou 20 ans, nous comprendrons beaucoup mieux comment fonctionnent les gènes et leur effet sur les maladies mentales, mais ce sera non pas parce que ce n'était pas là, mais parce que nous aurons acquis la technologie et les moyens d'enquête requis. Donc, pour l'instant, nous ne le savons pas. Je crois que nous finirons pas en savoir beaucoup plus sur la manière dont les gènes peuvent influer sur ces choses.

Le sénateur Trenholme Counsell : Docteur Goldbloom, est-ce qu'on naît avec le THADA et le trouble des conduites?

Le Dr Goldbloom : Dans de nombreux cas, oui, on naît avec, mais le milieu peut modifier beaucoup les choses.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ça peut être modifié par la détection, l'intervention et toutes les choses qu'on fait.

Le Dr Goldbloom : Malheureusement, nous avons encore tendance à séparer le corps de l'esprit. Toutes les données scientifiques révèlent que c'est une division tout à fait arbitraire. Le corps et l'esprit sont inséparables. Ils interagissent l'un avec l'autre et de nombreuses et incroyables façons. Cela nous ramène à la constatation selon laquelle chaque personne est unique. Nous mettons souvent les gens dans le même sac, mais chaque personne est unique, tout comme chacun de nous autour de cette table. C'est pourquoi nous vous reconnaissons par votre ADN.

Le sénateur Trenholme Counsell : Le cours d'une maladie dépendra en grande partie du milieu dans lequel une personne est née et de ce qu'elle a vécu. Dans notre rapport, nous devrons fournir les renseignements les plus à jour à ce sujet, car c'est si facile de blâmer la société et la famille. J'espère que nous pourrons obtenir les dernières données.

Le président : C'est ce que nous ferons, mais nous n'avons pas l'intention de blâmer qui que ce soit.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je ne voulais pas dire « blâmer ».

Le président : Comme dans l'étude précédente, nous avons toujours eu à l'esprit de restructurer le système pour qu'il fonctionne mieux. Nous essayons toujours de regarder en avant, au lieu de regarder en arrière.

Le Dr Manion : Vous devez faire très attention aux termes que vous employez ici. Vous faites fausse route lorsque vous avancez que, s'il y a des causes biologiques ou génétiques clairement définies, c'est une maladie mentale plus grave et plus importante. Après un très gros traumatisme, la maladie mentale qui en résulte peut être aussi grave, sinon plus grave que celle déterminée par la génétique dès la naissance. Ce n'est pas une bonne idée de classer les maladies mentales d'après leurs causes. Elles doivent plutôt être classées d'après la mesure dans laquelle la personne atteinte est dysfonctionnelle. Notre but, c'est d'aider la personne à être moins dysfonctionnelle.

Il arrive qu'un test sanguin ne révèle aucune anomalie chez quelqu'un souffrant d'une maladie mentale, et que celui-ci ne montre aucun signe de cette maladie dans sa vie quotidienne. Vous devez faire attention aux causes biologiques de ces choses.

M. Cox : Est-ce vrai de dire que certains facteurs environnementaux ne sont pas toujours négatifs, mais qu'ils sont parfois positifs? Je ne crois pas que ma vie a été négative, ni que ce sont uniquement des facteurs négatifs qui ont contribué à ma maladie. Il y a des facteurs positifs. L'université a été quelque chose de positif pour moi, mais cela a aussi révélé ma maladie.

Mme Forge : Je voudrais revenir au commentaire de la Dre Van Daalen relativement à l'importance de s'assurer que les familles et les parents ne craignent pas de demander de l'aide. Nous devons leur montrer non seulement qu'ils n'ont pas à avoir peur de le faire, mais aussi que cela est tout à fait normal. À titre de parent, j'ai eu besoin d'aide de temps en temps. Nous devons faire en sorte que ce soit normal et montrer non seulement que ça va de le faire, mais aussi qu'on s'attend à ce qu'un parent ait besoin d'aide de temps en temps. Il y a des hauts et des bas, selon l'âge de l'enfant ou de l'adolescent, et il arrive qu'on ait besoin d'aide. Nous devons montrer que c'est tout à fait normal.

Mon deuxième point porte sur la famille, plus particulièrement sur l'intégration. Dans le secteur de l'enseignement, nous parlons de la déprivatisation de notre pratique, de notre travail en tant qu'enseignant. Dans la plupart des cas, nous avons appris à rester devant une classe pendant toute la journée. Nous commençons à comprendre que ce n'est pas un moyen efficace d'améliorer notre pratique d'enseignant.

Nous avons fait face au même problème avec nos collègues des services sociaux lorsque nous avons essayé de mettre en place notre projet d'intégration. Ils étaient habitués à recevoir un client à la fois dans leur bureau, pendant une heure en général; puis, à la fin de cette heure, le client s'en allait pour laisser la place au prochain.

Même si notre personnel a eu de la difficulté au début, ce processus a donné des résultats très positifs, notamment le fait que les enseignants, les travailleurs sociaux et les intervenants auprès des enfants et des adolescents ont dû déprivatiser leurs fonctions, en ce qui concerne leur façon de faire et leurs motifs. Cela nous a permis d'apprendre beaucoup de choses concernant l'élaboration de traitements, d'interventions ou de mesures de soutien à long terme. Nous devons envisager le tout non pas comme une séance de counselling privée, mais comme un travail d'équipe. Une partie de l'équipe, sénateur Cook, c'est la famille. C'est notre soutien continu.

Nous devons permettre aux familles de dire sans ambages : « Il y a deux ans, nous avons passé par une période vraiment difficile. Grâce à votre aide et à notre dur labeur, nous nous en sommes sortis, mais ça fait maintenant deux ans, et nous devons réintégrer le système afin d'obtenir de l'aide, même si nous sommes plus vieux et plus matures. » Ce processus d'échanges mutuels devra faire partie intégrante du système qui sera établi, quelles que soient nos recommandations.

Le Dr Goldbloom : Nous avons parlé de la manière dont les choses ont changé. Nous devons nous rappeler ce qui n'a pas changé, ce qui est resté exactement pareil.

La médecine est un bon exemple. Nous diagnostiquons et traitons des maladies comme jamais nous n'aurions pu le faire auparavant. Toutefois, comme l'un de mes professeurs les plus estimés l'a déjà dit, la mission d'un médecin n'a pas changé. Lorsque je dis « médecin », je parle aussi d'un psychiatre ou d'un psychologue. Il a dit que le médecin a pour mission de réduire l'anxiété. Tout ce que nous faisons sur le plan des diagnostics, des traitements et même des recherches n'est qu'un moyen d'arriver à une fin. C'est un concept des plus fondamentaux.

De même, comme nous parlons ici des familles, et que mon domaine d'intérêt est évidemment lié aux enfants, nous avons parlé du fait que la vie et la société ont changé, mais certaines choses n'ont pas changé. C'est ce dont la famille a besoin.

C'est ce que William Westley et Nathan Epstein ont défini il y a environ 50 ans dans une étude menée à McGill auprès de 100 familles. Les conclusions sont présentées dans un livre intitulé The Silent Majority : Families of Emotionally Healthy College Students. Ils ont étudié en détail 100 familles apparemment normales afin de cerner les caractéristiques des enfants qui n'ont pas de troubles mentaux ou émotionnels. Au bout du compte, cela revenait à trois choses bien simples : un, des communications chaleureuses et ouvertes entre les membres de la famille; deux, le leadership — chaque comité a besoin d'un président, et une famille est pour ainsi dire un comité; et, trois — chose la plus importante de toute du point de vue thérapeutique — le partage des tâches — quelque chose qui n'existe plus dans beaucoup de familles. Quel que soit l'aspect de ce problème auquel nous devons faire face, ce sont les objectifs que nous devons atteindre. Rien qu'au niveau d'une seule famille, c'est ce qui fait la différence dans la vie quotidienne : le partage des tâches, qu'il s'agisse de soigner un enfant malade ou d'établir de meilleures relations familiales, car il arrive très souvent qu'un parent démissionne, parfois en utilisant son travail comme excuse.

Ce sont des facteurs qui peuvent être facilement manipulés. Nous ne voulons pas trop compliquer les choses. Je voulais simplement souligner que ce sont certains des enjeux relatifs aux familles et à la santé mentale qui n'ont pas changé depuis 1 000 ans.

Le président : Je tiens à vous remercier tous d'être venus ici. Je sais que vous avez dû nous consacrer beaucoup de temps, non seulement les six heures d'aujourd'hui, mais aussi les heures que bon nombre d'entre vous ont prises pour vous rendre ici et que vous prendrez pour revenir chez vous. Nous l'apprécions.

Ce qui est moins bien pour tout le monde, c'est que chaque fois que nous demandons à un groupe de venir nous aider comme vous l'avez fait, nous n'hésitons aucunement à vous demander en plus de revenir pour nous aider à réviser différentes choses et à examiner les documents, même si ce n'est pas nécessairement pour venir à des réunions.

Notre Comité est assez inhabituel, et je dis cela parce qu'il y a un certain nombre d'universitaires autour de cette table. Comme le sénateur Keon et moi-même avons été formés à l'Université, nous croyons au bien-fondé d'un processus d'examen par les pairs. Notre rapport précédent a été bien reçu notamment parce que chaque chapitre avait fait l'objet d'un examen par des pairs, c'est-à-dire des personnes clés, avant d'être publié. Par conséquent, nous nous réservons le droit de vous déranger encore une fois pour que vous lisiez certains documents et nous donniez ensuite votre opinion.

Nous avons passé une très belle journée.

La séance est levée.


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