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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule 22 - Témoignages du 15 juin 2005


ST. JOHN'S, le mercredi 15 juin 2005

Le Comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 02 pour faire l'étude de questions concernant la santé et la maladie mentale.

Le sénateur Michael Kirby (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens à vous remercier d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Le premier témoin que nous entendrons ce matin sera Mary Bungay-Gaultois, de l'organisme Racines de l'empathie. Madame Bungay-Gaultois, nous avons entendu parler de votre organisme dans de nombreuses régions du pays. Ensuite, nous cèderons la parole à Dre Kellie LeDrew, directrice des Services cliniques, Newfoundland and Labrador Early Psychosis Program.

Mme Mary Bungay-Gaultois, monitrice et mentor, Racines de l'empathie : Honorables sénateurs, je suis ravie de venir vous parler à titre de témoin profane. C'est un honneur d'avoir l'occasion de vous faire connaître le travail de mon organisme, et je vous remercie de cette invitation.

Je me considère comme une éducatrice sociale. Au cours des 18 dernières années, j'ai travaillé auprès de jeunes, en leur apportant mon appui pour les aider à terminer leurs études secondaires, à se trouver et à conserver un emploi et à poursuivre des études postsecondaires. Dans une certaine mesure, cette mission peut sembler banale car il ne s'agit que des étapes habituelles de la vie des jeunes. Toutefois, je travaille auprès d'adolescents qui sont confrontés à toute une série d'obstacles sociaux et émotionnels pendant cette période déterminante de transition.

J'ai travaillé pour des écoles alternatives et des programmes destinés aux jeunes. Grâce à ces antécédents, j'ai constaté personnellement les besoins qu'éprouvaient un très grand nombre des adolescents que j'ai rencontrés. En aidant ces jeunes à franchir ces jalons importants, j'ai découvert que je devais pouvoir compter sur une série d'appuis et de services pour faire mon travail. Parfois, j'ai l'impression d'être chef d'orchestre car un très grand nombre de personnes doivent travailler de concert pour que nous obtenions des résultats.

À l'heure actuelle, je travaille pour le Community Youth Network, un organisme communautaire à but non lucratif qui offre un éventail de services à des jeunes de 12 à 18 ans, surtout des adolescents qui sont considérés comme étant à risque ou qui sont démunis. Comme coordinatrice de projet, j'ai participé à l'implantation du programme Racines de l'empathie à Terre-Neuve. Mes remarques porteront sur ce programme.

Je tiens d'abord à vous expliquer en quoi les programmes de prévention et d'intervention précoces revêtent une importance particulière, les résultats de recherches nous ayant démontré que cette stratégie était à la fois importante et adéquate. En effet, nous savons qu'une proportion croissante d'enfants d'âge scolaire sont touchés, ou risquent de l'être, par des problèmes psychologiques et comportementaux qui nuisent à leurs relations interpersonnelles et à leurs résultats scolaires tout en réduisant leur chance de devenir des citoyens productifs qui contribuent à la société. Selon certains rapports, près d'un enfant sur cinq est aux prises avec des problèmes de santé mentale qui nécessitent l'intervention de services spécialisés.

Les programmes d'intervention et de prévention qui renforcent les compétences sociales des enfants et qui réduisent l'agressivité sont de plus en plus répandus aux États-Unis et au Canada. Depuis quelques années, de plus en plus de données scientifiques confirment l'utilité d'une intervention précoce par l'entremise de programmes scolaires qui freinent l'escalade des comportements agressifs auxquels les enfants sont confrontés. Selon ces données, les écoles sont le milieu le plus susceptible d'avoir une influence favorable déterminante pour la santé mentale des enfants.

Cela étant dit, je veux vous présenter notre programme, Racines de l'empathie, de même que sa fondatrice, Mme Mary Gordon, qui est également une Terre-Neuvienne. Je suis certaine qu'elle aurait aimé participer à la séance d'aujourd'hui. Vous aurez peut-être la possibilité d'entendre Mme Gordon à un autre moment. Le programme Racines de l'empathie a été lancé il y a cinq ans dans deux écoles de Toronto. Il est désormais offert dans 2 500 salles de classe de tout le Canada. En outre, des élèves du Japon et de la Nouvelle-Zélande suivent aujourd'hui le programme Racines de l'empathie.

Nous voulons atteindre trois objectifs grâce au programme Racines de l'empathie : 1) faire progresser la compréhension sociale et la connaissance des émotions qu'ont les enfants, 2) encourager les comportements socialement acceptables chez les enfants et provoquer une diminution de l'agressivité, et 3) apprendre aux enfants en quoi consiste le développement humain normal et sain et leur faire découvrir le rôle des parents. Bien entendu, notre organisme a conçu un programme en fonction de ces objectifs, qui est adapté à chaque niveau scolaire.

Ce programme repose sur les visites d'un nourrisson et d'un ou de deux parents qui rencontrent chaque mois les élèves dans leur salle de classe. Ainsi, c'est le bébé qui devient l'enseignant. En effet, les élèves de la première à la huitième année acquièrent des connaissances sur le développement normal de l'enfant et sur la croissance des bébés. Les élèves tissent des liens avec le nourrisson et, surtout, ils ont l'occasion de voir à l'œuvre des parents aimants et encourageants qui dispensent à leur bébé tous les soins nécessaires. Parallèlement à ces visites, l'enseignant ou l'enseignante responsable des élèves intègre les notions apprises pendant les leçons de Racines de l'empathie au programme scolaire régulier.

Certains éléments inhérents au programme Racines de l'empathie permettent de transformer le contexte scolaire des élèves. Ainsi, non seulement le programme tel quel est important, mais les changements qu'il suscite dans la salle de classe le sont également. En effet, le sentiment d'appartenance, l'intérêt pour le bébé et la collaboration entre les élèves qui travaillent ensemble prennent le premier plan et, par conséquent, les enfants comprennent qu'il est très important d'être respectueux envers leurs pairs.

Cela peut sembler très simple, mais il convient de se pencher sur les résultats de ce programme. En effet, le professeur Kimberley Schonert-Reichl, de l'Université de la Colombie-Britannique a effectué des recherches sur le programme Racines de l'empathie à Toronto et à Vancouver à partir de 2001. Selon les résultats immédiats de ces recherches, le programme Racines de l'empathie conduit à une amélioration des compétences sociales et émotionnelles des enfants. Les chercheurs ont comparé des groupes d'élèves qui bénéficiaient du programme Racines de l'empathie à d'autres groupes du même âge et du même milieu socio-économique qui ne suivaient pas ce programme. Les recherches ont permis de constater que les élèves exposés au programme Racines de l'empathie comprenaient davantage leurs émotions et étaient mieux en mesure de les contrôler. Il y a, chez les élèves qui ont suivi le programme Racines de l'empathie une diminution des comportements agressifs et une augmentation des comportements socialement acceptables et des relations interactives appropriées entre pairs. Les enseignants autant que les élèves l'ont signalé.

Nous avons également fait une découverte intéressante qui, je le suppose, consiste en un résultat d'apprentissage. En effet, on pourrait s'attendre à ce que le niveau d'agressivité demeure stable chez les groupes d'élèves au cours de l'année scolaire. Or, des chercheurs ont découvert que les comportements agressifs ont naturellement tendance à augmenter chez les élèves tout au long de l'année scolaire. En outre, ce phénomène se manifeste à mesure que les enfants grandissent. Par conséquent, non seulement l'agressivité diminue grâce au programme Racines de l'empathie, mais la diminution des comportements agressifs chez les élèves qui bénéficient du programme Racines de l'empathie est très importante.

Pourquoi accorder autant d'importance aux comportements agressifs chez les enfants? Les résultats des recherches indiquent que l'empathie, l'un des traits essentiels de la personnalité morale qui est au cœur du programme Racines de l'empathie, constitue un trait de caractère qui prévient les comportements agressifs. Les effets des comportements agressifs sur les pairs sont très connus et bien documentés. Il en est de même pour les effets de l'intimidation. Or, le programme Racines de l'empathie a été qualifié de programme anti-intimidation et est très reconnu à cet égard. En outre, ce programme a aussi pour objet d'enseigner aux enfants le rôle parental. Nous estimons qu'il faut commencer très tôt à expliquer aux enfants en quoi consiste le rôle des parents. Mais le programme comporte également d'autres aspects importants : très tôt dans leur vie, à partir de la première année jusqu'à la huitième année, les enfants acquièrent des connaissances sur le développement du cerveau et les neurosciences. Et surtout, les élèves constatent personnellement à quel point il est important de répondre aux besoins d'un bébé. Ils voient d'eux-mêmes les résultats positifs de ces gestes car ils sont témoins de l'amour qui unit un parent à son enfant et de l'importance de ce lien pour le bien-être de l'enfant.

Le professeur Allan Schore, un pédopsychiatre et neuroscientifique de l'Université de Californie, a beaucoup écrit sur la théorie de l'attachement et sur les problèmes de santé mentale qui surviennent en l'absence d'attachement. Mary Gordon et le professeur Schore étaient tous les deux conférenciers invités par l'Organisation mondiale de la santé lors de sa conférence au Luxembourg. Le professeur Schore a dit à cette occasion que le programme Racines de l'empathie mettait en pratique tout le travail auquel il avait consacré sa vie. Selon lui, le programme Racines de l'empathie est fondé sur des principes solides de psychologie du développement et, bien entendu, il exhorte Mary à implanter ce programme aux États-Unis.

Mon mémoire contient les noms d'autres spécialistes du développement des enfants qui appuient le programme Racines de l'empathie. Le Dr Richard Tremblay, l'un de nos conseillers, affirme que le programme Racines de l'empathie a un effet rémanent, et il poursuit des recherches sur ce sujet. Cela signifie que les élèves garderont en mémoire les notions qu'ils ont acquises pendant leur petite enfance, et ces notions referont surface lorsque les circonstances appropriées se présenteront dans leur vie future. Les chercheurs croient que les enfants se souviendront des leçons apprises sur le rôle parental et de l'importance des soins parentaux pour la santé émotionnelle du bébé lorsqu'ils deviendront des parents à leur tour. Je suis convaincue que les travaux de recherche confirmeront cette hypothèse. En outre, je suis certaine que les chercheurs montreront que ces élèves deviendront de meilleurs parents qui encourageront leurs enfants tout au long de leur vie.

Parfois, le programme Racines de l'empathie est la seule occasion qu'ont les élèves de voir la merveilleuse relation d'amour qui unit un parent à son enfant. D'autres chercheurs, les Drs Fraser Mustard, Dan Offord et Aynsley Greene, se penchent également sur le programme Racines de l'empathie. Ils ont affirmé que ce programme est fondé sur de solides résultats de recherche et qu'il repose sur les facteurs déterminants qui permettent aux enfants de s'épanouir dans le monde d'aujourd'hui.

Pour ma part, je travaille auprès des jeunes qui suivent le programme Racines de l'empathie. Quel est le lien avec mon rôle professionnel au Community Youth Network? Hier, je dînais à St. John's avec une collègue du CYN et nous discutions de son travail auprès des jeunes et des difficultés auxquelles ils sont confrontés. Je lui ai demandé quels étaient, de façon générale, les contextes familiaux de ces jeunes. Elle m'a dit qu'il y avait un dénominateur commun : tous les liens familiaux étaient rompus. Cela nous mène inévitablement à la question suivante : Quel est l'effet de la qualité de ces rapports très importants? Que se passe-t-il lorsque personne n'encourage les adolescents et les jeunes pendant cette étape de leur vie?

Les recherches indiquent que les expériences de la petite enfance ont une influence déterminante sur la santé des enfants, sur leur bien-être et sur leur capacité d'adaptation pendant leur vie entière. Nous savons également que le développement de l'enfant dépend d'un grand nombre de facteurs. Le contexte prénatal joue un rôle déterminant dans le sain développement de l'enfant. De même, le milieu où l'enfant vit et interagit revêt une importance capitale. Le programme Racines de l'empathie permet aux enfants de connaître et de comprendre ces concepts complexes.

En conclusion, je voudrais vous citer John Bowlby, le psychanalyste britannique à qui nous devons la théorie de l'attachement. À partir des années 20, il a consacré sa vie professionnelle aux nourrissons et à l'attachement du nourrisson envers ceux qui lui donnent les soins dont il a besoin. Voici ce qu'a dit M. Bowlby :

Plus nous donnons aux jeunes l'occasion de rencontrer et d'observer des parents aimants et sensibles en relation avec leur enfant, plus les jeunes sont susceptibles d'agir comme ces parents. Les jeunes qui apprennent à connaître les difficultés et les joies du rôle de parents en observant directement des parents aimants et sensibles et qui discutent avec eux de leurs erreurs et leurs succès reçoivent un enseignement qui vaut, selon moi, une centaine de cours.

Le programme Racines de l'empathie donne aux enfants cette possibilité et a des chances d'influencer la façon dont ils élèvent leurs propres enfants. Ce n'est pas souvent que les adultes peuvent parler avec des petits de 10 ans, dans un cadre scolaire, de ce que cela veut dire élever ses enfants au niveau affectif et des difficultés qui accompagnent parfois ce processus.

Tous les programmes d'intervention réussissent dans une certaine mesure et c'est d'autant plus vrai quand les adolescents ont une relation personnelle avec la personne avec qui ils traitent et quand ils ont l'impression que cette personne les aide à traverser une situation difficile. Par contre, comme vous le savez, beaucoup de problèmes peuvent être éliminés au départ grâce à des mesures d'intervention précoces. Les administrations locales, régionales et nationales peuvent tirer profit de nouvelles recherches et de méthodes reconnues pour protéger les enfants et les familles à risque simplement en comprenant l'importance d'un milieu protecteur et en appuyant les initiatives de prévention comme le programme Racines de l'empathie.

Je terminerai en disant que le document que je vous ai remis contient également des remarques de Mary Gordon, qui n'a pas pu être des nôtres aujourd'hui.

Le président : Merci. Nous aurons beaucoup de questions à vous poser.

Docteure Kellie LeDrew?

La docteure Kellie LeDrew, directrice des services cliniques, Newfoundland and Labrador Early Psychosis Program : Honorables sénateurs, je voudrais vous remercier de m'avoir invitée à participer au débat d'aujourd'hui. Je suis désolée, je n'ai pas de mémoire à vous transmettre.

Je suis codirectrice du programme de psychose précoce et je suppose que j'assume beaucoup de rôles au sein de ce programme dans notre province. Je suis également professeure adjointe de psychiatrie à l'Université Memorial et je travaille comme psychiatre à la corporation de soins de santé à St. John's. Avant de vous parler du programme qui existe à Terre-Neuve-et-Labrador, j'aimerais vous parler brièvement des stratégies d'intervention précoce et de la psychose. J'espère que je ne répèterai pas ce que vous avez déjà entendu.

Pour ce qui est d'un bref résumé des stratégies d'intervention précoce visant les psychoses, on peut dire qu'on sait depuis longtemps que les troubles psychotiques comme la schizophrénie sont de vraies maladies persistantes et graves qui s'accompagnent d'un taux élevé de morbidité et de mortalité. D'après l'Organisation mondiale de la santé, la psychose active est le troisième trouble invalidant, plus handicapant encore que la cécité. Les troubles psychotiques engendrent des coûts économiques et médicaux énormes; par contre, les coûts humains ne peuvent être quantifiés. Les effets sont également souvent dévastateurs pour les personnes atteintes et leur famille. Je pense qu'on a tendance à sous-estimer les coûts émotifs de ces maladies, non seulement chez les patients mais également chez leur famille. Les troubles psychotiques constituent un problème important en matière de santé publique et pourtant, dans notre système médical, on ne leur accorde pas autant d'importance qu'aux autres problèmes physiques.

Malheureusement, on note depuis longtemps un certain pessimisme thérapeutique qui a fait obstacle au progrès dans les domaines de la psychiatrie et de la santé mentale et qui a eu des répercussions importantes sur les traitements et les services offerts aux personnes qui souffrent de troubles comme la schizophrénie. L'intervention précoce dans le domaine de la psychose représente un réel renversement de la façon dont on conçoit et traite les troubles psychotiques. Par intervention précoce, on entend les approches d'aujourd'hui en matière de traitement des psychoses qui accordent beaucoup d'importance aux types d'interventions retenues pour traiter les personnes qui souffrent leur premier épisode de psychose et le moment où commence le traitement. Par « précoce » on entend aussi rapidement que possible après la manifestation du trouble et on parle même, au sein du mouvement de traitement des psychoses par intervention précoce, de la possibilité d'intervenir avant la manifestation du trouble, c'est-à-dire pendant la période prodromique. Pour ce qui est de « l'intervention », il s'agit de traitements exhaustifs, intensifs, individualisés et personnalisés en fonction de la gravité du trouble.

Le mouvement de traitement de la psychose par prévention précoce a en fait commencé en Australie et ce sont les Australiens qui mènent dans le domaine de stratégies d'intervention précoce en santé mentale. Au cours des 10 dernières années, les concepts de la psychose précoce se sont renforcés, sont devenus plus crédibles et se sont répandus partout au monde. On estime que le Canada est un chef de file en matière de conception de programmes de traitement précoce de la psychose et des recherches menées dans ce domaine.

Grâce au mouvement de traitement précoce de la psychose, notre perception de la psychose et des maladies comme la schizophrénie a changé de façon radicale. Alors qu'à une époque on pensait que les troubles psychotiques comme la schizophrénie étaient des maladies chroniques invalidantes, on estime aujourd'hui que ces troubles pourraient éventuellement être guéris. C'est assurément une ère d'optimisme en matière de traitement de ces maladies mentales graves qui commence. Il va sans dire que les patients qui sont traités tôt se porteront le mieux, mais jusqu'à récemment ce n'est pas comme ça qu'on voyait les choses en psychiatrie et en santé mentale, et ce n'est que récemment qu'on a commencé à faire de véritables recherches dans ce domaine. Grâce à ces recherches, on a découvert que les jeunes souffrant de psychose devaient attendre très longtemps avant de commencer leur traitement, des fois jusqu'à deux ans. Ce qui veut dire qu'il y a des jeunes souffrant de psychose qui ont dû attendre pendant deux ans avant de pouvoir consulter un médecin ou un professionnel de la santé mentale et de commencer leurs traitements.

Ce sont la création et l'amélioration de divers programmes de prestation de services axés sur le traitement précoce de la psychose, en Australie, qui ont mené à l'approbation de traitements adaptés aux personnes souffrant de troubles psychotiques. On a pu démontrer qu'en traitant rapidement la psychose, on améliorait les chances de réussite. Ce qui est logique, d'un point de vue biologique mais également psychosocial.

On ne sait toujours pas avec certitude si la psychose non traitée aggrave la toxicité dans le cerveau. Il y en a qui vous diront que c'est le cas, et d'autres, l'inverse. Mais peu importe. Ce qui est clair, c'est que plus la psychose active et donc la maladie qui perturbe la façon de penser et de concevoir le monde du patient perdure, plus l'impact psychologique et social sera dramatique. Donc, plus le traitement est précoce, plus le patient s'en sortira, et je pourrais vous en dire davantage plus tard, si vous le désirez. Comme la psychose se manifeste souvent à l'adolescence, les jeunes ont beaucoup de mal à s'adapter aux nouvelles réalités qui accompagnent leur croissance. Si la psychose n'est pas traitée, elle risque d'avoir un impact important sur leur trajectoire de vie.

C'est à l'hiver 2001 que la Corporation de soins de santé de St. John's a lancé le projet pilote qui est par la suite devenu le programme de traitement précoce de la psychose à Terre-Neuve-et-Labrador. Notre programme s'inspirait du programme de Calgary et au départ nous n'étions que trois, moi-même, un collègue et un infirmier. Nous avons essayé de profiter de différentes ressources qui existaient déjà et nous avons demandé que certaines personnes travaillent exclusivement avec nos clients. Il ne s'agissait donc pas de nouvelles ressources mais plutôt de personnes qui travaillaient déjà au sein du système auprès de personnes souffrant de psychose. Nous avons simplement demandé que certaines personnes soient affectées à notre programme.

Au départ, il s'agissait d'un programme clinique comportant un petit volet de recherche. C'est un aspect important, parce que c'est en cela que notre programme se démarquait de beaucoup d'autres programmes au Canada, qui eux, étaient essentiellement des programmes de recherche, ce qui veut dire que si les clients ne participaient pas aux recherches, ils ne pouvaient pas non plus participer aux programmes. C'est du moins ce que j'en ai déduit.

Nous avons eu de la chance, au départ, parce que la corporation de soins de santé ainsi que diverses compagnies pharmaceutiques ont financé le programme qui était principalement de nature clinique. Nous acceptons les patients qui souffrent de leur premier épisode de psychose entre l'âge de 15 et de 55 ans. Notre programme se démarque des autres à ce niveau-là également en vertu de la diversité des personnes que nous accueillons. C'est un autre obstacle que nous avons dû surmonter parce que comme nous faisons partie du système pour les adultes, nous n'étions censés accueillir que les personnes de 19 ans et plus, mais nous avons réussi à convaincre la corporation d'inclure les patients de 16 ans et plus. Ça, c'est un autre problème, parce que la transition entre les services de santé pour enfants et les services pour adultes est souvent difficile.

Nous acceptions les personnes qui subissaient des traitements pour leur psychose depuis moins de six mois, c'est-à-dire les personnes qui connaissaient leur première épisode de psychose. Le critère de sélection des patients diffère de ceux des autres programmes ailleurs au Canada. À ma connaissance, il existe certains programmes dans le cadre desquels seules les personnes qui subissent des traitements depuis moins d'un mois sont acceptées.

Pour ce qui est des demandes de consultation, nous sommes moins stricts que les autres en ce sens que nous acceptons les renvois non seulement des médecins de famille mais aussi des travailleurs communautaires en santé mentale et des travailleurs communautaires ainsi que des familles et des patients eux-mêmes. Après la parution d'un article que nous avions écrit dans un journal, il y a des personnes qui ont commencé à venir nous voir pour prendre un rendez-vous pour un membre de leur famille. Nous avons un coordinateur de programmes qui s'occupe du tri et de l'évaluation initiaux, ce qui se fait en 24 à 72 heures en général parce que nous considérons que la psychose est une urgence psychiatrique et que dans le cas de psychose aiguë, on ne peut se permettre de faire attendre les gens. Nous devons donc éliminer tous les obstacles qui empêchent les gens d'accéder aux services de santé mentale, surtout dans le cas de personnes souffrant de psychose aiguë.

Bien que notre programme soit de nature communautaire, nos locaux se trouvent à l'hôpital Waterford, un hôpital psychiatrique provincial. En effet, c'est dans cet hôpital que nous avons trouvé des locaux, ce qui pose certains problèmes, mais nous faisons tout notre possible pour que les personnes qui nous consultent ne soient pas obligées d'aller à l'hôpital. Nous avons pour objectifs, entre autres, de traiter les patients dans un environnement le moins contraignant possible, et c'est pour ça que nous essayons de leur venir en aide chez eux, dans leur communauté, loin de l'hôpital, bien que ce ne soit pas toujours possible. Les objectifs du programme sont la détection précoce de symptômes psychotiques en écourtant les temps d'attente et la durée prétraitement. Nous essayons d'assurer des évaluations interdisciplinaires exhaustives et bien adaptées et de mener des interventions tant auprès des personnes souffrant de psychose que de leur famille. Je pourrais vous en parler plus longuement si ça vous intéresse.

Un autre objectif important, c'est de guérir la maladie et d'empêcher les rechutes afin d'éviter l'invalidité prolongée. Nous nous intéressons également à la sensibilisation des médecins de première ligne et des experts en santé communautaire; c'est un petit volet de notre programme. D'ailleurs, il y a eu des initiatives provinciales dans ce domaine. Comme je l'ai dit précédemment, nous avons un petit volet de recherche et nous nous sommes penchés sur la prestation de services et l'évaluation de l'efficacité des soins dispensés. Nous avons spécialement conçu une base de données qui nous permet d'étudier les premiers épisodes de psychose. Nous saisissons beaucoup d'informations, que nous n'avons pas encore pu étudier, malheureusement, parce que notre travail clinique est si accaparant, mais ça se fera.

Notre programme comprend plusieurs volets : les soins psychiatriques, la gestion de cas et les interventions auprès des familles. Ce dernier volet est particulièrement important parce que parmi les nouvelles ressources qui nous ont été attribuées, nous avons une personne qui travaille exclusivement avec les familles dans le cadre de nos programmes. Elle a une maîtrise en travail social et ne travaille qu'auprès des familles. Elle travaille auprès des familles une à la fois aux différentes étapes du programme, ainsi qu'en groupe. Elle a lancé de nouvelles initiatives qui tirent profit du réseau de télésanté pour venir en aide aux familles à l'échelle de la province. Nous faisons également appel à divers spécialistes qui travaillent à temps partiel : un ergothérapeute, des psychologues, des pharmaciens et des diététistes.

Comme on l'a déjà mentionné, le Canada est un chef de file à l'échelle internationale pour ce qui est des recherches et des applications pratiques relatives au traitement précoce de la psychose. En effet, comme vous le savez sans doute, il existe un certain nombre de sites bien établis au Canada. À notre avis, notre programme se démarque des autres en raison de la population qu'on dessert et de ses points forts.

Évidemment, nous devons relever des défis remarquables. Tout récemment, nous avons envisagé élargir notre programme pour mieux desservir la clientèle de l'extérieur de St. John's. En effet, j'estime qu'on devrait pouvoir obtenir des services pas seulement dans la capitale, mais également à l'extérieur de l'overpass — comme on dit à Terre-Neuve — où habitent beaucoup de gens. Je viens moi-même de l'extérieur de la capitale, et j'estime que les habitants de partout dans la province ont droit aux mêmes soins. Récemment, on nous a consenti des fonds en vue de doter un poste d'infirmière/gestionnaire de cas dans l'ouest de Terre-neuve, où nous tentons de mettre sur pied un service satellite pour notre programme.

Nous cherchons également à trouver de nouvelles façons novatrices d'offrir nos services, par exemple, la télémédecine et les initiatives de soins partagés. Évidemment, nous devons relever certains défis puisqu'il se pose des problèmes d'ordre géographique et des problèmes de pénurie d'intervenants en santé mentale, sans parler des lacunes dans le soutien communautaire tels les programmes de travail subventionnés, les perspectives de logement... Et je peux vous en parler plus longuement si vous le souhaitez.

Le président : Docteure Le Drew, vous avez parlé des premiers épisodes et de la psychose précoce : comment le parent fait-il pour voir la différence entre, d'une part, un comportement chez son enfant qui justifierait qu'il soit traité et, d'autre part, une simple mauvaise journée? Pour les néophytes, comment fait le parent, ou même l'enseignant, pour savoir s'il faut vraiment vous envoyer un enfant pour consultation? Quels sont les signes qui devraient vous alerter? Que devez-vous rechercher?

Dre LeDrew : C'est une excellente question. Supposons quelqu'un qui se trouve dans cette situation et qui se pose cette question; si un adulte soupçonne un changement de comportement chez un enfant, il peut l'envoyer voir notre coordonnatrice de programme qui lui posera alors toutes sortes de questions comme : « Est-ce que tu ressens ceci ou cela? » Si la coordonnatrice estime que l'enfant doit subir une évaluation, on peut envoyer l'enfant alors chez un psychiatre. Et si l'on estime que l'enfant est en psychose, alors on l'intègre à notre programme. Dans la négative, si on estime qu'il s'agit plutôt d'une dépression ou d'un programme d'ajustement, nous envoyons l'enfant vers un autre service.

Le président : Pouvez-vous expliquer pour les non-initiés ce que vous entendez par psychose?

Dre LeDrew : La psychose est un trouble du cerveau qui traduit une perturbation chez une personne et une difficulté chez elle de percevoir la réalité; cela se traduit aussi souvent par un changement dans son comportement, dans ses émotions et dans sa pensée. Au début, les signes peuvent être très subtils et très difficiles à déceler, et lorsque nous voulons sensibiliser les adultes aux signes et aux symptômes de la psychose, nous leur disons qu'ils peuvent souvent servir à plusieurs diagnostics tels que la dépression et l'anxiété. Il arrive souvent, lorsque quelqu'un fait de la psychose aiguë, qu'il soit facile de le diagnostiquer parce que les malades nous disent qu'ils entendent des voix; ils peuvent aussi délirer et avoir des idées fixes et s'imaginer des choses. Par exemple, ils vous disent que quelqu'un les pourchasse, et ils font de la paranoïa, entre autres choses; ils nous disent qu'ils entendent des voix, celle de Dieu, du Diable ou de quelqu'un d'autre. Donc, il est très facile pour un généraliste, pour un professionnel communautaire de la santé mentale, un enseignant, ou pour n'importe qui d'autre de déterminer clairement le problème lorsque le malade est en phase aiguë de psychose. Toutefois, c'est au tout début, lorsque les signes sont très subtils, et justement au moment où vous souhaitez intervenir, qu'il peut être très difficile de déterminer le trouble.

Lorsque nous voulons cibler nos interventions et sensibiliser la population, nous ne nous attendons pas à ce que les enseignants nous disent de façon catégorique que tel enfant est psychotique ou que tel autre souffre de dépression. Ce que nous voulons, c'est induire dans son esprit certains soupçons de sorte que si l'enseignant se trouve en présence d'un enfant dont le changement de personnalité persiste ou s'il y a détérioration psychologique, qu'il puisse conclure qu'il y a quelque chose qui cloche chez l'enfant. L'approche attentiste n'est pas la bonne : si vous connaissez quelqu'un chez qui vous avez remarqué un changement et si son fonctionnement est perturbé, il faut alors l'évaluer et la faire voir par un spécialiste, car il s'agit d'une personne à risque qui devrait sans doute faire l'objet d'un dépistage. Nous ne demandons pas nécessairement aux professionnels de la santé mentale ni aux enseignants de faire l'évaluation eux-mêmes, mais nous leur demandons de nous envoyer les enfants pour que nous les évaluions. S'il se trouve qu'ils ne sont pas psychotiques, nous pouvons néanmoins les aider en les orientant ailleurs.

Le président : Mais avez-vous un document de référence, qui n'est probablement pas aussi simple qu'une liste de contrôle, dont vous pourriez vous servir pour former des parents ou des enseignants afin qu'ils connaissent le genre de symptôme qui doit les alerter?

Dre LeDrew : Oui, la tendance en faveur de l'étude des premiers stades de la psychose a donné de très bons résultats. En effet, l'Australie, et le Canada dans une certaine mesure si l'on considère le groupe de la Colombie-Britannique, ont élaboré un abondant matériel de sensibilisation et les auteurs sont prêts à partager ces documents. Ainsi, ce matériel existe déjà et comprend un grand nombre d'outils de dépistage et toute une mine de renseignements.

Par exemple, on nous dit que si certains changements se manifestent chez une personne : elle s'isole des autres, ses résultats scolaires diminuent, elle agit de façon inhabituelle, alors il faut demander de l'aide. On explique les symptômes qui sont inquiétants. Il ne s'agit donc pas de réinventer la roue car il existe déjà du matériel de sensibilisation. Il faut plutôt diffuser ces documents adéquatement et les faire parvenir aux personnes concernées, c'est-à-dire certains groupes désignés qui ont besoin d'obtenir ces renseignements.

Nous avons déjà certaines de ces mesures auprès des conseillers d'orientation et du personnel scolaire. Nous leur avons expliqué que nous ne nous attendions pas à ce qu'ils fassent un diagnostic mais plutôt à ce qu'ils nous signalent leurs inquiétudes au sujet de certaines personnes. Nous voulions simplement les sensibiliser davantage à ces questions, car il y a des gens qui n'ont jamais entendu le mot psychose. Il s'agit donc d'un effort de sensibilisation. En outre, nous disposons déjà de matériel éducatif reconnu que nous pouvons fournir aux écoles, aux parents et à la population en général pour qu'ils comprennent ce qu'est la psychose et quels sont les signes avant-coureurs. En fait, nous n'avons pas les ressources nécessaires pour acheter un grand nombre de trousses de sensibilisation, ni pour les diffuser suffisamment.

Le président : Si vous étiez en mesure de faire une distribution efficace de ces documents, est-il possible que vous soyez inondés de demandes de services auxquelles vous ne pourriez pas répondre?

Dre LeDrew : Oui, c'est une possibilité qui nous a également préoccupés. Toutefois, nous pouvons compter sur une coordonnatrice de programme chevronnée. Ainsi, si un jeune nous téléphone pour consulter un conseiller en orientation, notre coordonnatrice est tout à fait capable de déceler des signes de psychose. Si elle estime que ce jeune souffre d'une dépression ou d'un problème d'anxiété, elle le convaincra de venir nous rencontrer pour que nous fassions des tests de dépistage et que nous le référions au spécialiste approprié.

Le président : Vous semblez avoir un système de triage qui fonctionne très bien.

Dre LeDrew : Oui, et d'ailleurs, je crois que les programmes d'intervention au premier stade de la psychose sont souvent assimilés à des points de services spécialisés. En réalité, les partisans de l'intervention précoce s'intéressent de plus en plus aux jeunes qui sont considérés comme étant à risque. Il doit y avoir un service centralisé consacré aux adolescents. Un grand nombre d'entre eux sont à risque, et, malheureusement, les symptômes de psychose chez les jeunes peuvent ressembler à ceux de la dépression, de l'anxiété et de la toxicomanie. Par conséquent, s'il existait un point de service et de triage unique auquel on pourrait référer des jeunes à risque, alors ils pourraient être dirigés vers des services d'intervention au premier stade de la psychose ou des services destinés aux toxicomanes. Nous serions plus efficaces si les choses étaient organisées de cette façon à Terre-Neuve.

En fait, comme il est si facile d'avoir accès à nos services, il arrive que des jeunes viennent nous consulter et que nous les référions ailleurs, ce qui occupe une part de notre temps et rend notre travail un peu plus difficile.

Le président : Nous avons constaté que la ville de Brandon au Manitoba s'est dotée du système de triage que vous décrivez. Il y a un seul point d'entrée pour l'ensemble du système de santé mentale. Ce centre de services est géré par une infirmière praticienne et dessert la ville de Brandon ainsi qu'une bonne part des régions rurales du nord du Manitoba. L'infirmière praticienne réfère les patients aux services spécialisés indiqués. Il peut s'agir de toxicomanie, de counselling ou de psychose. Ainsi, ce mécanisme correspond exactement à ce que vous avez décrit, ce qui prouve que c'est réalisable. Mais, je suis d'accord avec vous, comme vos services sont facilement accessibles, les patients laissent tomber la première étape. C'est exact?

Dre LeDrew : Oui, et les gens se présentent chez nous sans rendez-vous et nous disent : « Je veux... »

Le président : « Je veux qu'on m'examine. »

Dre LeDrew : Oui, et c'est un peu difficile.

Le président : Madame Bungay-Gaultois, nous avons entendu parler de votre programme qui semble fantastique. Mais vous êtes le premier témoin que nous entendons qui a travaillé pour le programme Racines de l'empathie dans un contexte rural. Vous habitez Stephenville, mais je suppose que vous travaillez notamment dans des écoles en milieu plutôt rural, n'est-ce pas?

Mme Bugay-Gaultois : Des écoles très rurales, comme celle de Ramea, qui est si éloignée qu'elle se trouve à une heure...

Le président : Je sais où se trouve cette école. J'ai visité toutes les usines de transformation du poisson de Terre-Neuve. Je suis désolé, c'était il y a longtemps. Je ne devrais peut-être plus en parler aujourd'hui. Certaines personnes ne m'apprécient pas du tout à cause des choses que nous avons dites. Margaret Lake existe probablement toujours, ou du moins, ce qu'il en reste.

Le programme est-il géré de la même façon dans les régions rurales par rapport aux régions urbaines?

Mme Bugay-Gaultois : Personnellement, je n'ai jamais travaillé pour le programme Racines de l'empathie dans des régions urbaines. Mais il est clair que de nombreuses écoles urbaines participent au programme dans la plupart des provinces. Nous avons constaté que la diversité culturelle n'est pas la même dans des contextes ruraux, par exemple, dans les régions rurales de Terre-Neuve.

Le président : Il y a moins de diversité?

Mme Bugay-Gaultois : C'est exact, il y a moins de diversité. En outre, les conditions socio-économiques ne sont pas identiques dans les contextes ruraux, surtout ici à Terre-Neuve. En revanche, les processus de développement de l'enfant sont les mêmes en milieu urbain et rural et nous avons constaté que le programme produit les mêmes résultats, dans une certaine mesure, à Toronto, Vancouver et Terre-Neuve. Les enseignants et les élèves expriment les mêmes taux de satisfaction à l'égard du programme dans tout le pays. En outre, lorsque nous comparons les expériences des élèves et des enseignants de Terre-Neuve à celles d'autres régions, nous constatons clairement qu'elles sont similaires dans l'ensemble. Si je puis me permettre, selon notre expérience ici à Terre-Neuve, les étudiants et les enseignants accordent une meilleure note au programme Racines de l'empathie dans un grand nombre de catégories que ne le font les enseignants et les élèves en milieu urbain.

Le président : Certaines écoles ou certains enseignants ont-ils déjà refusé de participer au programme? Pour ma part, il me semble qu'ils ont tout intérêt à vouloir adhérer au programme. Êtes-vous obligés de dire non à certaines écoles parce qu'il n'y a pas suffisamment de personnes qui peuvent dispenser le programme? Ou, au contraire, constatez-vous que le programme suscite davantage d'intérêt dans certains systèmes scolaires que dans d'autres? Il est très intéressant de se pencher sur ces questions dans votre province parce que vous avez plus d'écoles religieuses qu'ailleurs. Est-ce que cela pose problème?

Mme Bugay-Gaultois : Il y a plusieurs enjeux, bien entendu. Le programme Racines de l'empathie repose sur de nombreux principes. Il faut avant tout recueillir l'appui d'une commission scoolaire, par exemple, ou de l'enseignant concerné. En outre, nous avons besoin de la participation d'un partenaire communautaire, le Community Youth Network en ce qui nous concerne, qui souhaite implanter le programme dans une collectivité. Tous ces éléments sont interreliés.

Parmi les facteurs qui restreignent l'importation du programme figurent les coûts, comme c'est le cas pour tous les programmes. En outre, nous devons pouvoir compter sur un personnel formé et sur un enseignant réceptif. Pendant les étapes initiales de l'implantation du programme à Terre-Neuve, le Community Youth Network a assumé tous les coûts parce que nous estimions qu'une fois que le programme aurait fait ses preuves, nous trouverions d'autres partenaires qui seraient prêts à participer au financement. C'est ce qui s'est produit et nous devons actuellement former davantage d'enseignants pour répondre à la demande.

En effet, les directeurs d'école et les enseignants nous disent que nous devons offrir le programme Racines de l'empathie à un plus grand nombre d'élèves. À titre d'exemple, le directeur de l'école de Lourdes, où je travaille avec des élèves de 8e année, a dit que les enseignants incorporaient certains des principes du programme Racines de l'empathie au programme scolaire régulier en matière de santé. De plus, nous avons constaté que les pratiques sexuelles des jeunes ados de cette classe ont changé. L'enseignant vous le confirmera. Certaines jeunes filles envisageaient la possibilité d'avoir un bébé à l'âge de 14 ou 15 ans pour que ce bébé les aime, et non parce qu'elles voulaient aimer ce bébé. Elles ont complètement changé d'idée lorsqu'elles ont appris qu'il était très difficile de s'occuper d'un nouveau-né et que ce n'était pas une bonne façon de se débarrasser de son sentiment de solitude ou de bâtir un sentiment d'appartenance.

Le président : Vous nous avez dit que l'autre jour vous avez déjeuné avec vos collègues qui vous ont fait part de leurs problèmes et vous avez remarqué qu'il y avait un facteur dont ils ont tous parlé, c'est-à-dire la famille éclatée. Je suppose qu'un certain nombre de personnes qui participent au programme Racines de l'empathie sont issues de familles éclatées.

Mme Bungay-Gaultois : Un certain nombre c'est sûr.

Le président : Vous nous avez déjà donné certains résultats de vos recherches, mais dites-nous, d'après ce que vous avez pu constater, si le programme fonctionne aussi bien pour les personnes issues de ce qu'on appelle les familles éclatées, que pour les autres. En d'autres termes, il m'est facile de comprendre comment fonctionne le programme dans le cas de familles unies, mais j'aimerais savoir dans quelle mesure il est efficace quand les enfants concernés sont issus de familles éclatées.

Mme Bungay-Gaultois : Je vous répondrai oui, sans hésitation. Nous avons accueilli des enfants malmenés par la vie qui ont découvert pour la première fois ce lien d'amour et l'importance qu'il revêt dans la vie d'un enfant. Dans sa vidéo, Mary Gordon relate l'histoire d'un enfant ayant été déplacé d'une famille d'accueil à l'autre, qui tient dans ses bras un bébé après la fin des cours et qui demande « Est-ce qu'on peut être un bon père ou une bonne mère si on n'a jamais été aimé? ». Quand un enfant a été témoin de ce miracle, ça l'aide énormément à être une bonne mère ou un bon père plus tard.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je vous remercie toutes les deux de vos exposés extraordinaires.

Docteure LeDrew, vous avez parlé de guérison, je crois. Vous avez piqué mon intérêt. Quelle est la nature des recherches dont vous parliez et de quels troubles psychotiques s'agit-il?

Dre LeDrew : C'est une question controversée. Il existe une école de pensée qui veut qu'il soit éventuellement possible de guérir la maladie. Par contre, cette question est loin de faire l'unanimité.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je voudrais savoir à quelle école de pensée vous faites référence. Je veux savoir d'où émanent ces recherches ou cette idée.

Dre LeDrew : Je pense que l'idée émane de recherches génétiques. Il y a des scientifiques qui mènent des recherches en génétique, qui essaient de déterminer quelle est la population à risque, quels sont les gènes qui entrent en ligne de compte pour déterminer s'il est possible d'identifier les gènes qui font que certaines personnes sont plus à risque que d'autres pour ensuite les manipuler.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous parlez donc de quelque chose qui se ferait à très long terme?

Dre LeDrew : Tout à fait. L'autre volet, ce serait la recherche prodromique, qui est très controversée. D'aucuns pensent que s'il était possible d'identifier les individus à très haut risque, ou les individus qui sont à risque en raison de leur constitution génétique, et de déceler d'autres facteurs de risque d'ordre neurocognitif, par exemple, peut-être pourrait-on par le biais de médicaments ou d'interventions psychosociales stopper la maladie avant qu'elle ne se transforme en psychose aiguë. En d'autres termes, si l'intervention se fait pendant la phase prodromique. Est-il possible de mettre un frein aux troubles avant qu'ils ne se transforment en psychose active? Les interventions prodromiques sont très controversées pour le moment, on y travaille aux États-Unis et en Australie. Il y a aussi un groupe canadien qui s'intéresse à cette question dans un de nos établissements, mais il est clair que tout cela soulève beaucoup de questions éthiques et il est difficile de faire accepter ce genre de recherches par la CLS.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je suis plus ou moins au courant des recherches génétiques dans ce domaine, mais à l'exception des cercles purement scientifiques, je ne suis pas convaincue qu'on puisse vraiment parler de guérison. Je vous félicite de votre travail sur l'intervention et le diagnostic précoces ainsi que la communication de votre message un peu partout, surtout auprès des jeunes, mais vous mettez surtout l'accent sur les écoles. Ne diriez-vous pas, que pour le moment du moins, les recherches en sont aux toutes premières étapes?

Dre LeDrew : Oui, aux toutes premières étapes. Certains pensent peut-être que si on peut traiter la maladie lors du premier épisode, on peut éviter les rechutes et l'invalidité chronique qu'elles engendreraient par après.

Le sénateur Trenholme-Counsell : Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Dr. LeDrew : C'est vrai. Je suppose que c'est une façon d'interpréter la chose.

Le sénateur Trenholme-Counsell : C'est cela qui m'a vraiment frappée. Mais je reconnais que le travail effectué est excellent. Le seul fait que votre communauté et votre province mettaient l'accent sur la détection, le diagnostic et l'intervention ultra précoces est excellent.

Le programme ne m'est pas étranger et j'ai d'ailleurs rencontré Mary Gordon très rapidement. Il est excellent, sans contredit. Par contre, je ne savais pas que c'était un programme caritatif, à but non lucratif, et j'aimerais savoir quels sont les coûts qui s'y rattachent. Je sais à quel point il est difficile pour les écoles d'acheter du matériel et je vous demanderais de nous parler un peu des coûts et de nous expliquer le côté caritatif, c'est-à-dire à but non lucratif.

Je voulais soulever deux autres sujets. Le premier, c'est les adolescentes qui tombent enceintes. Je sais à quel point les jeunes sont vulnérables, surtout les jeunes femmes, mais pas seulement elles. Je connais de jeunes garçons qui pensent que leur vie aurait plus de sens s'ils étaient pères. C'est quelque chose dont on me faisait souvent part. J'aimerais que vous nous parliez de cela, même s'il est trop tôt pour savoir si votre programme permet de réduire le nombre d'adolescentes qui tombent enceintes.

Le deuxième, c'est de savoir dans quelle mesure vous incitez les pères à participer au programme, parce que je pense — si ce que je m'apprête à dire est féministe, je m'en excuse auprès des hommes, parce que je ne suis pas féministe — que les femmes jouent un rôle plus important. Est-ce que c'est difficile de faire participer les pères à l'éducation de leurs enfants et d'assumer leurs relations avec leurs enfants à titre de pères? Voilà donc mes trois questions.

Mme Bungay-Gaultois : D'abord, pour ce qui est des coûts, vous avez raison il s'agit d'un organisme caritatif à but non lucratif pour lequel travaillent des employés qui participent à la conception des programmes et du matériel dont on a besoin pour former les instructeurs qui sont responsables de la mise en pratique du programme dans les écoles. Ça coûte environ 25 000 $ pour former 10 instructeurs qui se retrouveront dans 10 salles de classe. Ce montant comprend le matériel et la formation dispensée par un professionnel. Il faut ajouter à cela le prix des livres et des jouets dans les salles de classe.

Comment tout cela est-il négocié ou géré? Ça varie, en fonction de la situation des communautés visées. Par exemple, sur le côte ouest, il y a une organisation à but non lucratif, qui est en fait un réseau communautaire de jeunes qui s'appelle Community Youth Network, qui a décidé d'assumer la majorité des coûts d'emblée pour que le programme soit offert et que les avantages puissent se faire sentir.

Ensuite, au cours du deuxième cycle, il faut trouver des partenaires communautaires comme des organismes gouvernementaux, des entreprises, des écoles, des commissions scolaires ou encore des ministères de la Santé qui peuvent offrir notamment de former un instructeur dans le cadre du programme Racines d'empathie ou de faire un don de 2 000 $ ou de 3 000 $.

L'autre jour j'étais très encouragée par ce que m'a dit un collègue albertain qui est directeur d'une commission scolaire. Quand il m'a dit que le programme Racines d'empathie allait être offert dans son district, je lui ai demandé comment cela avait été possible. Après tout, c'est la première chose qu'on veut savoir puisque c'est une question d'argent. Il m'a répondu que le ministère des Services à l'enfance avait affecté dans son budget 3 000 $ par personne pour la formation de 85 instructeurs à l'échelle provinciale. Ça veut dire que les initiatives de prévention bénéficient d'un investissement du gouvernement de 255 000 $, ce qui témoigne de l'importance que l'on accorde au programme. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres pour ce qui est de la mise en place du programme, mais il est clair qu'il faudrait adopter une approche fondée sur le partenariat dans une province comme Terre-Neuve-et-Labrador pour y arriver.

Le sénateur Trenholme Counsell : Combien en coûte-t-il pour doter une classe de ce matériel? Est-ce 2 400 $, 2 500 $?

Mme Bungay-Gaultois : Le coût est de cet ordre-là, oui. Cela inclut la formation de l'instructeur, le matériel pédagogique et les jouets et les livres qui font partie de la trousse de matériel didactique.

Le sénateur Trenholme Counsell : Et ce serait pour combien de temps, un an ou deux?

Mme Bungay-Gaultois : Les livres et les jouets durent pour toujours et l'instructeur qui a reçu la formation peut être là pendant très très longtemps, à condition de rafraîchir sa formation. J'ai un instructeur qui est là depuis quatre ans maintenant. Le coût de la formation est de 2 000 $ par personne de sorte que si vous faites la moyenne sur quatre ans, le coût est minime. J'imagine que le coût peut devenir plus considérable si l'instructeur quitte après un an pour une raison ou pour une autre, parce qu'il quitte la région, ou je ne sais quoi.

Le sénateur Trenholme Counsell : Outre le coût de la formation, la personne qui la suit est-elle rémunérée?

Mme Bungay-Gaultois : En Alberta, par exemple, certains conseils scolaires et commanditaires versent une indemnité aux instructeurs. Dans d'autres cas, des professionnels — il peut s'agir de professionnels de la santé — le font dans le cadre de leurs fonctions. Dans le sud-ouest de Terre-Neuve, nous avons un employé d'un centre de ressources familiales qui agit à titre d'instructeur en salle de classe dans le cadre de ses fonctions, mais nous avons constaté que dans de nombreux autres cas, ce sont des volontaires de la collectivité qui agissent à titre d'instructeurs.

Le sénateur Trenholme Counsell : Des pères?

Mme Bungay-Gaultois : Les pères jouent un rôle aussi important que celui des mères dans le cadre du programme. Dans une classe de Racines d'empathie, toutes les formes imaginables de services de garderie sont représentées, de sorte que nous avons des familles avec deux parents, des mères et des pères. Dans une classe, la mère et le père venaient régulièrement en classe afin que les garçons, surtout, puissent voir l'importance de rapports chaleureux avec le père et avec le bébé. Dans certaines classes, c'était des grands-mères qui venaient parce qu'elles assuraient les soins de garde d'enfants la plupart du temps. Dans d'autres classes, nous avions des couples de conjoints de même sexe qui venaient parce que c'était aussi eux qui assuraient surtout les soins de garde de leurs enfants. Dans un autre cas, c'était un père qui venait en classe seul parce qu'il s'occupait de l'enfant pendant l'absence du conjoint.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce n'est manifestement qu'un volet de ce que vous faites au sein du Community Youth Network, mais vous avez choisi de mettre l'accent sur ce volet de vos activités plutôt que sur d'autres. J'aimerais que vous me parliez du centre d'information pour les jeunes du Community Youth Network.

Mme Bungay-Gaultois : Le centre d'information pour les jeunes de Port aux Basques?

Le sénateur Trenholme Counsell : Eh bien, je n'en sais rien, c'est indiqué seulement « Éducation communautaire, centre d'information pour les jeunes ». Ces centres m'intéressent toujours parce qu'ils sont toujours difficiles à administrer, mais ils font un travail important quand tout tourne rond.

Mme Bungay-Gaultois : C'est pour nous une toute nouvelle initiative. Nous sommes très emballés. Le centre a ouvert ses portes à Port-aux-Basques le 1er avril. Nous avons un employé du Community Youth Network qui travaille avec les jeunes de la région mais l'aspect le plus intéressant de ce projet c'est que toute une gamme de partenaires communautaires — cet effort concerté, encore une fois — se sont réunis et ont dit : « Il faut qu'il y ait un endroit où les jeunes puissent aller pour obtenir de l'information adaptée sur la santé mentale, l'emploi, l'éducation, les services généraux pour les jeunes et pour participer à un programme récréatif sain ». Quand les divers intervenants communautaires et les divers services ont arrêté cette vision, ils ont élaboré une proposition qui a été transmise à Ressources humaines et Développement des compétences Canada qui a très bien accueilli l'idée et qui a décidé d'accorder le financement requis. Nous comptons six employés qui travaillent sept jours sur sept, du matin jusqu'à tard en soirée.

Il est encore trop tôt pour dire si cette initiative sera couronnée de succès. L'autre jour, un de mes élèves est allé observer le fonctionnement du programme et il m'a dit : « Si j'avais la possibilité de travailler dans un endroit comme cela » — nous l'avons baptisé le Leap Centre — « j'y consacrerais toute ma vie ». Il a ajouté : « La diversité des visiteurs est absolument étonnante ». Nous soupçonnons que ce centre deviendra un carrefour d'information pour les étudiants et les jeunes et leur donnera accès à toute une gamme d'organismes gouvernementaux auxquels ils n'auraient pas normalement accès parce qu'il faut souvent être liés aux professionnels de la santé et aux spécialistes des services d'emploi qui travaillent dans la région.

La réponse est oui : c'est très emballant pour nous, et nous sommes ravis d'en faire partie. Dans un an environ, j'aimerais vous confirmer que ce fut un succès retentissant et que nous nous sommes lancés dans le projet à pieds joints.

Quant à votre troisième question au sujet de la grossesse chez les jeunes filles, c'est évidemment un problème pour nous et aussi un problème car il est plus difficile pour les adolescentes de jouer sainement le rôle parental. Plusieurs recherches démontrent que plus on a des enfants jeunes, et moins bon est le pronostic pour l'enfant, par opposition à celles qui attendent plus tard pour avoir des enfants et qui ont eu plus de soutien pendant les diverses périodes de leur vie.

Cela dit, lorsque nous avons fait beaucoup de sensibilisation au sida dans notre région au cours des années 80, nous avons constaté qu'il y avait moins de grossesses chez les adolescentes. La sensibilisation au sida a au moins eu cela de bon. Toutefois, on ne fait pas autant de sensibilisation au sida dans les salles de classe de nos jours — je ne sais pas à l'échelle du Canada, mais c'est vrai dans l'ouest de Terre-Neuve — et nous découvrons que le taux de grossesses chez les adolescentes est à nouveau à la hausse.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les jeunes garçons et les jeunes filles veulent avoir des enfants. Dans les grandes classes, autour de la huitième année, à une époque où un plus grand nombre d'enfants sont actifs sexuellement, certains jeunes de 14 ou de 15 ans deviennent des parents, et nous avons alors pour tâche de les soutenir tout au long de ce passage de leur vie pour qu'ils obtiennent un diplôme d'études secondaires et qu'ils puissent espérer faire la transition vers la vie normale. Toutefois, ces jeunes apprennent rapidement qu'il est difficile de devenir parents. L'année dernière, lorsque j'ai présenté Racines d'empathie à Corner Brook avec des professionnels de la santé mentale, une des psychologues dans le fond de la salle a levé la main pour nous dire qu'elle voulait nous raconter une histoire. Lorsque je lui ai demandé laquelle, elle a répondu que c'était une histoire qui démontrait que Racines d'empathie faisait vraiment une différence. Comme je ne l'avais pas rencontrée avant la réunion, je l'ai autorisée à raconter son histoire, sans savoir ce qu'il en serait. Elle a expliqué qu'elle traitait un jeune garçon qui avait grandi en foyer d'accueil et qui était actif sexuellement depuis son plus jeune âge. Or, chaque fois que ce jeune garçon va la voir, il lui parle de la salle de classe de Racines d'empathie, des bébés, des parents et de la difficulté d'être parent; de plus, il dit comprendre aujourd'hui à quel point cela a pu être difficile pour ses parents de l'élever quand il était petit et comprendre pourquoi il est passé d'un foyer d'accueil à un autre tout au long de sa vie. Ce jeune garçon a avoué ne s'être jamais préoccupé de la grossesse éventuelle de ses petites amies jusqu'à ce moment-là et de n'y avoir jamais accordé d'importance, mais qu'aujourd'hui, il utilisait un condom. C'est tout un changement de vie!

Le sénateur Cook : Merci de votre exposé des plus stimulants. J'ai eu, grâce au sénateur Cochrane, le privilège de rencontrer Mary Gordon il y a déjà quelque temps à Toronto. Je sais qu'elle a de nombreuses qualités, mais une chose est certaine, elle est une femme de vision.

Mme Bungay-Gaultois : Tout à fait.

Le sénateur Cook : Je vous écoute ce matin, et je vois clairement que vous êtes des gens de passion. Ce qui me préoccupe dans votre projet, c'est que, idéalement parlant, il devrait s'agir d'un programme complet pour nos jeunes. Mais lorsque je regarde vos partenaires qui vous financent, je constate que si l'un ou deux disparaît, c'est la crise.

Mme Bungay-Gaultois : Tout à fait.

Le sénateur Cook : J'imagine que vous y allez une étape à la fois, comme la plupart d'entre nous. Vous, vous avez une clientèle ciblée : vous vous intéressez aux services destinés aux jeunes à risque ou aux jeunes vivant dans la pauvreté. Comment parvenez-vous à transmettre ce message de façon durable à vos partenaires financiers et comment faites-vous pour miser là-dessus? Je suis moi-même très structurée et j'aimerais bien que votre programme soit dispensé par l'intermédiaire des offices d'éducation en matière de santé.

Mme Bungay-Gaultois : Ce serait l'idéal.

Le sénateur Cook : Vous faites du travail magnifique, et vous vous êtes dépensés sans compter pour réussir mais votre mandat ne pourrait-il aller jusqu'à faire en sorte que ce type de programme fasse partie intégrante de l'apprentissage dans nos écoles? Pensez-vous que vous pourriez en arriver là?

Mme Bungay-Gaultois : Personnellement, je me vois fort bien travailler à Racines d'empathie à plein temps, parce que cela exige effectivement tous ces efforts pour en faire un élément intégral de toute organisation, de la même façon que les enseignements sont intégrés aux écoles et qu'ils font partie intégrante des programmes d'éducation. Faute de cela, il nous faudra trouver de façon très créative de faire durer la programmation. Il est toujours possible que les sources de financement se tarissent et que la programmation disparaisse. Sur une note personnelle, cela fait 18 ans que le travail à contrat, pour de courtes périodes, et par conséquent, l'emploi à long terme et l'intégration de la programmation ne constituent pas des garanties que cela fera la différence. Parfois, ce sont les intervenants de l'extérieur qui n'ont rien à perdre mais qui croient sans réserve en nos programmes qui font des percées auprès des diverses organisations et qui font bouger les choses.

Est-ce suffisamment intensif? Certainement pas. Nous serions ravis que toutes les écoles de la côte ouest offrent un programme Racines d'empathie. Nous serions ravis qu'il soit implanté dans toutes les écoles de Terre-Neuve-et-Labrador. Les collectivités autochtones espèrent particulièrement se doter de programmes Racines d'empathie et sont en train d'injecter les ressources nécessaires pour que cela se concrétise, car ce type de programme sert de complément à leur culture et leur vision.

Il faut continuer à percer des brèches, et vous nous fournissez aujourd'hui l'occasion de faire connaître nos programmes, de sorte que ceux qui en entendent parler en parleront peut-être à d'autres qui se demanderont à leur tour quelles autres ressources peuvent être exploitées pour que les programmes de prévention et d'intervention précoces soient inaccessibles à tous les enfants dans leurs écoles. Je suis convaincue que ces programmes permettront d'assurer un avenir plus rose à nos enfants et à nos jeunes.

Le sénateur Cook : J'en suis convaincue, et je vois bien que je ne me rajeunis pas lorsque je parle de structurer les choses pour que tout se déroule bien. Je sais qu'aujourd'hui, dans notre société, on va chercher l'argent où l'on peut, mais je suis sûre que la passion que vous montrez à l'égard de ce projet et la recherche effectuée vous permettront de durer.

Le sénateur Gill provient d'une collectivité autochtone. Je suis sûre que ce type de programme pourrait profiter grandement à nos peuples autochtones. Puis-je vous suggérer d'aller le présenter au ministère des Affaires indiennes?

Mme Bungay-Gaultois : Je suis sûre que Mary Gordon a cela de prévu à son agenda.

Le sénateur Cook : Docteure LeDrew, si nous sommes accessibles, c'est sans doute parce que la population de l'île n'est pas très nombreuse. Vous êtes directrice clinique et vous enseignez également à l'Université Memorial. Pouvez-vous m'aider à comprendre votre modèle de dotation en personnel pour que je sache si l'on a suffisamment de gens pour qu'il y ait au moins un employé présent 24 heures sur 24 sept jours sur sept à notre seul hôpital ou si quelqu'un peut répondre aux appels.

Il y a une autre chose qui m'a sauté aux yeux au cours de votre exposé : Vous êtes subventionnés par une société de soins de santé et par une compagnie pharmaceutique. Si vous trouvez que ma question est inconvenante, vous pouvez ne pas y répondre, mais j'aimerais savoir comment la compagnie de produits pharmaceutiques finance votre programme?

Vous avez dit également que vous dispensiez votre programme à partir de Waterford, ce qui présente en soi un défi. J'ai sauté moi-même à cette conclusion, et peut-être que nous devrions en parler justement. Le simple fait que vous soyez logé à Waterford ne vient-il pas renforcer le stigmate de la maladie mentale? Voilà ma question.

Dre LeDrew : Vos questions sont intéressantes. Lorsque nous avons commencé, il s'agissait d'un programme pilote. Nous avons dû démontrer la valeur de notre programme et le Dr Hogan et moi-même avons eu la permission d'élaborer et de lancer le programme, grâce aux postes que nous occupions à l'université et à l'administration des soins de santé. Comme nous nous étions adjoint les services d'une infirmière, nous étions trois. Certaines compagnies pharmaceutiques nous ont effectivement financés sous forme de bouses d'éducation non affectées — c'était à l'époque où l'industrie pharmaceutique n'était pas dans la même situation qu'aujourd'hui. Nous avons reçu environ 50 000 $ de chacune des trois compagnies pharmaceutiques en question pour embaucher une infirmière, former diverses personnes et monter une banque de données. Au cours des trois ans, je crois que nous avons reçu au total 250 000 $ environ, en vue de mettre sur pied la banque de données, de monter les travaux de recherche, d'embaucher deux personnes et de faire la formation. Après, les compagnies pharmaceutiques ont cessé de nous financer, et tous nos postes sont aujourd'hui financés entièrement par l'administration des soins de santé.

Nous avons maintenant un mandat de la province qui nous permet de desservir des patients à l'extérieur de la région de St. John's. Au départ, nous pouvions uniquement offrir des services de gestion de cas aux patients de St. John's, mais nous pouvions toujours recevoir à titre de médecins des patients à Corner Brook et Ramea, ou ailleurs. Nous fournissions aux gens de l'extérieur de St. John's des services différents de ceux que nous fournissions aux habitants de St. John's. Toutefois, nous offrons aujourd'hui également le service dans la région est, et nous débordons de la capitale.

Pour ce qui est de notre personnel, nous avons des gestionnaires de cas, une travailleuse familiale et un coordonnateur de programme qui sont désignés et qui s'occupent particulièrement du programme de psychose précoce. D'autres personnes travaillent également à quart-temps ou à mi-temps pour notre programme et aussi pour d'autres programmes de santé mentale. Nous sommes toujours intéressés d'avoir des gens à temps partiel. Nous n'obtenons pas beaucoup de nouvelles ressources pour notre programme, puisque tous nos clients qui souffrent de psychose en bout de ligne, ont de tout temps été intégrés dans une communauté et, par conséquent, les travailleurs en santé mentale les ont desservis. Autrement dit, on parle ici d'une réorganisation des services que nous fournissons.

Pour ce qui est du financement, il nous est fourni à l'heure actuelle principalement par l'administration des soins des santé; mais nous obtenons également certains fonds du Western Board pour embaucher une infirmière qui fournit le service par satellite en lien avec notre programme d'ici.

Vous avez raison de poser la question au sujet de l'Hôpital Waterford. Lorsque nous avons commencé, ma charge universitaire était dispensée par le truchement de l'Hôpital Waterford, tout comme c'était le cas pour le Dr Hogan, je crois. L'administration des soins de santé nous fournissait l'espace et le soutien administratif là-bas, et les compagnies pharmaceutiques ne nous donnaient rien. Nos opérations étaient donc basées à partir de l'hôpital psychiatrique de la province. Cela pose évidemment un défi, puisque la plupart des programmes de détection des psychoses sont inscrits dans la collectivité, et s'il en est ainsi, c'est parce que nous cherchons à déstigmatiser les troubles mentaux. Nombre des services pour les jeunes sont dispensés dans la collectivité de façon conviviale, dans les centres commerciaux ou dans de jolies rues, dans de jolies maisons, peu importe où, mais nous, nous étions à Waterford.

L'Hôpital Waterford de Terre-Neuve charrie lui-même un stigmatisme; on l'appelait d'ailleurs l'hôpital des fous, et son nom charrie toutes sortes de mythes et d'idées préconçues. Nous avons tenté de protéger et d'isoler le programme grâce à son emplacement, et nous avons fait de celui-ci un endroit très joli et très agréable : les gens y parviennent dès leur sortie de l'ascenseur et se sentent isolés du reste de l'hôpital. Mais pour les jeunes, cela peut évidemment être très traumatisant d'avoir à se rendre dans un hôpital psychiatrique de la province. En effet, dès l'entrée, on côtoie des gens qui vivent depuis déjà un certain temps avec des maladies psychiatriques, et qui continuent à prendre les anciens médicaments qui avaient des effets secondaires débilitants, ce qui peut faire peur. Cela peut être très traumatisant parfois, mais j'avoue que c'est sans doute plus traumatisant pour les familles et sans doute les parents des jeunes patients, que pour ceux-ci.

Nous nous sommes beaucoup efforcés à surmonter cet obstacle. Les gens qui auraient besoin de nos services ne veulent pas toujours venir à notre centre et nous aimerions pouvoir envoyer sur place une équipe mobile d'intervention en cas de crise. Une fois que les gens viennent au Waterford, ils sont ravis, mais c'est de les amener à venir une première fois qui est difficile.

La stigmatisation liée aux cas de psychose précoce constitue en soi un très grand obstacle. Je crois que les professionnels de la santé mentale contribuent peut-être eux-mêmes parfois au problème. La stigmatisation peut se refléter dans la terminologie qu'on utilise. Il arrive parfois que les professionnels de la santé mentale eux-mêmes n'utilisent pas la bonne terminologie. Au lieu de parler d'une personne schizophrène, nous parlons de personnes vivant avec la schizophrénie ou vivant avec la psychose. Dans les cas de psychose précoce, il importe de ne pas utiliser une terminologie qui pourrait créer une stigmatisation étant donné que les personnes vivant avec ce problème ont de bonnes chances de vivre une vie normale. Nous pouvons offrir un environnement protecteur aux personnes qui participent à notre programme, mais lorsqu'elles quittent notre centre, quelqu'un peut leur tenir des propos qui créent une stigmatisation et qui vont à l'encontre de tout ce que nous avons essayé d'accomplir. C'est un véritable problème. Nous aimerions faire de la sensibilisation auprès de la collectivité, mais nous manquons pour l'instant de ressources.

Le sénateur Cook : Oui, il faut répondre aux besoins les plus urgents. J'ai fait partie du conseil d'administration de l'Hôpital Général et ensuite de ce qu'on a appelé à l'échelle locale le méga conseil d'administration. On nous a dit que nous allions nous réunir au Waterford et bien que personne n'ait dit quoi que ce soit, le message était très clair.

J'aimerais vous féliciter pour l'initiative que vous avez mise en œuvre et dont vos pairs disent beaucoup de bien. Vous ne nous avez pas dit si vous offrez des services 24 heures par jour et sept jours par semaine. Êtes-vous disponibles en tout temps, et si non, qu'est-ce qui existe?

Dr LeDrew : Nous offrons actuellement des services de 8 heures à 17 heures du lundi au vendredi, mais des services peuvent être obtenus en tout temps par l'entremise des services de santé mentale de la ville. Un psychiatre est actuellement toujours de service et nous avons un service de brefs séjours ainsi qu'un service d'évaluation psychologique. Nous pouvons dans l'ensemble répondre aux besoins. Les services de santé mentale de la ville peuvent aussi faire appel à moi à certains moments. Nous arrivons dans l'ensemble à gérer nos cas. Nous essayons de le faire à l'intérieur de notre programme et il est très rare que nos clients se retrouvent à l'urgence parce qu'ils peuvent habituellement dans un délai de 24 heures me voir, voir Dr Hogan ou voir notre gestionnaire de cas. Il est donc très rare, bien que cela se produise, que nos clients se retrouvent à l'urgence. En raison du manque de ressources, nous ne pouvons cependant pas offrir un service en tout temps. Nous ne sommes que deux, le Dr Hogan et moi-même. Nous devons donc recourir aux services de la ville.

Le sénateur Cook : Monsieur le président, nous n'avons pas beaucoup parlé de la contribution des entreprises pharmaceutiques dans le domaine de la santé mentale. Les nombreux projets pilotes que ces entreprises financent donnent de bons résultats. Comme je le disais cependant à Mme Bungay-Galtois, nous devons passer des projets aux programmes pour aider les gens de façon durable. Je crois fermement que nous devons mettre en place des programmes pour vraiment aider ces personnes. Je vous remercie.

Le sénateur Cordy : J'aimerais revenir à la question de la stigmatisation et je songe notamment au fait que cela empêche des adolescents de demander de l'aide par crainte de cette stigmatisation. Il peut s'agir d'adolescents qui n'ont pas de maladie mentale, mais qui ont une mauvaise estime de soi et qui se sentent très inquiets. Lorsque des adolescents qui souffrent de maladie mentale s'adressent à vous, ne devez-vous pas les aider à savoir comment faire face à la perception de la société à l'égard des personnes atteintes de maladie mentale?

Dre LeDrew : C'est effectivement le cas et nous avons constitué des groupes pour venir en aide aux adolescents. Nous sommes chanceux, car il y a eu beaucoup de travail dans le domaine de la psychose précoce et nous disposons donc de beaucoup de matériel éducatif. Il faut cependant que les membres de notre équipe accordent leurs violons pour éviter que cette stigmatisation se perpétue. Nous faisons donc très attention à ce que nous faisons.

Permettez-moi de vous donner un exemple. Je travaillais avec un patient qui ne voulait vraiment pas prendre ses médicaments et qui ne reconnaissait pas qu'il était malade. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il pensait qu'il venait me voir et pourquoi il était toujours en colère. Il m'a dit que je lui avais dit qu'il était psychotique. Je lui ai dit que je ne l'avais jamais dit et que ce que j'avais dit, c'était qu'il avait une psychose. Ce que nous disons et ce que les gens comprennent n'est pas toujours la même chose. Je fais très attention aux mots que j'utilise. Il faut répéter continuellement la même chose aux patients.

Il faut aussi que le médecin, le gestionnaire de cas, les groupes ainsi que le matériel d'information transmettent le même message. Je fais donc très attention aux brochures que je remets à mes patients et qui peuvent provenir d'entreprises pharmaceutiques ou d'autres organismes. Notre équipe s'entend là-dessus. Les campagnes d'éducation publique peuvent aider à contrer le problème de la stigmatisation. Un groupe en Colombie-Britannique a lancé une campagne ciblant les jeunes qui s'appelait « Psychosis Sucks ». Le but de la campagne était de faire accepter aux jeunes le fait que certaines personnes peuvent souffrir de psychose. On fait aussi de l'excellent travail de sensibilisation en Australie. Le groupe de la Colombie-Britannique fait du travail semblable au Canada.

Je viens de commencer à voir un client qui s'est rendu compte qu'il souffrait de psychose parce qu'un de ses amis a dit qu'il pensait qu'il avait cette maladie. C'est parce qu'un parent a mis une affiche de la campagne « Psychosis Sucks » à l'école. C'est donc en raison de cette campagne que cette personne s'est rendu compte qu'elle avait la psychose. Il ne s'agit pas de réinventer la roue. Il faut cependant avoir le financement voulu pour diffuser cette information dans toute la province. L'information existe. Il nous faut simplement des fonds pour pouvoir la diffuser. L'autostigmatisation est certainement un grand problème parmi cette population.

Le sénateur Cordy : Vous avez dit aussi que le travail auprès des familles constitue une composante de votre programme. J'ai enseigné au niveau élémentaire pendant 30 ans et je sais que les familles connaissent parfois des crises lorsque leurs enfants souffrent. Toute la famille souffre alors. Pourriez-vous nous parler de votre travail auprès des familles?

Dr LeDrew : Notre programme n'est pas comme tous les autres programmes au Canada. Nous nous inspirons d'un programme mis en œuvre à Calgary et non pas des programmes qui existent en Ontario. Un membre de notre équipe travaille seulement auprès des familles. Pendant trop longtemps les familles ont été exclues dans le domaine de la santé mentale. Il était impossible aux familles d'obtenir l'information voulue. Les familles participent à notre programme dès le départ. Même si le parent refuse que nous divulguions l'information le concernant, cela ne signifie pas qu'il faut exclure la famille. Il est possible d'aider la famille tout en respectant l'exigence de confidentialité. La personne qui est le soutien principal du patient peut avoir accès au membre de notre équipe qui intervient auprès des familles même si le patient refuse que nous divulguions des renseignements personnels le concernant à sa mère, par exemple. La famille peut obtenir de l'information sur les sujets comme la psychose et la Mental Health Act.

Lorsqu'un client m'est adressé, la seule personne avec laquelle je peux communiquer ou avec laquelle le travailleur social peut communiquer, c'est la mère ou le père du patient ou les deux. Le patient ne voit pas simplement le médecin comme dans le modèle traditionnel, mais il voit toute l'équipe. Autrement dit, on ne peut pas me voir sans voir tous les autres membres de l'équipe. Le patient voit donc le gestionnaire de cas, le travailleur social et d'autres personnes selon ses besoins. Les familles reçoivent autant d'aide qu'elles ont besoin, et habituellement, elles ont besoin d'aide parce qu'elles traversent une crise. Lorsque le patient se rétablit, la famille peut avoir besoin de soutien. Au moyen de conférences téléphoniques, nous essayons actuellement de permettre à toutes les familles de Terre-Neuve de participer à un échange. Nous aimerions idéalement pouvoir organiser des vidéoconférences parce que même lorsqu'elles vivent dans une région éloignée de Terre-Neuve, les familles peuvent avoir accès à ce moyen de communication à la bibliothèque, à l'hôtel de ville ou à un autre endroit. Ces groupes de soutien pour les familles constituent notre dernière initiative.

Chaque famille a accès à du soutien parce que le soutien principal du patient devrait être sa famille. Ce sont de nouveaux intervenants dans le système parce que comme beaucoup de personnes que je vois dans ma pratique générale, les patients ont perdu contact avec leur famille en raison de leur maladie. Nous essayons de faire en sorte que le patient puisse se réintégrer à sa famille. Nous sous-estimons parfois ce que la maladie mentale d'un des membres de la famille signifie pour l'ensemble de la famille. Il arrive souvent que la mère se soit absentée de son travail. J'ai souvent dû donner des notes à des mères qui devaient justifier leur absence du travail et qui étaient restées à la maison pour que leur fils n'ait pas à être hospitalisé. Ces mères ne veulent pas quitter leur fils parce qu'elles craignent qu'il lui arrive quelque chose. On sous-estime donc le coût indirect des maladies mentales pour les familles. Voilà pourquoi notre équipe compte une personne qui travaille auprès des familles.

Le sénateur Cordy : Madame Bungay-Gaultois, je m'interrogeais sur votre programme. Étant une ancienne enseignante, je trouve qu'il semble fantastique. Est-il difficile d'amener les conseils scolaires à participer au programme?

Mme Bungay-Gaultois : Une fois qu'ils comprennent les avantages du programme, les conseils scolaires y souscrivent. Ce n'est pas le cas de tous les conseils scolaires, mais de plus en plus de conseils scolaires y participent volontiers compte tenu du fait que Roots of Empathy prend de l'ampleur et que ses résultats deviennent de plus en plus manifestes. Les directeurs d'école parlent à d'autres directeurs d'école et les surintendants font de même. Roots of Empathy existe maintenant au Canada depuis cinq ans et il suscite de plus en plus d'intérêts parce qu'il se répand dans le pays mais aussi parce qu'il est maintenant mieux connu.

Notre programme est favorable aux recherches biologiques et neurologiques qui ont lieu à l'heure actuelle et qui font ressortir l'importance des premières années de vie dans le développement ultérieur de l'enfant. Comme notre programme s'appuie sur ces recherches, on peut dire que c'est un mariage très réussi. Je pense qu'on peut dire que l'ensemble des conseils scolaires sont maintenant favorables au programme. La grande question c'est évidemment comment nous pouvons financer sa mise en œuvre.

Le sénateur Cordy : Je crois comprendre que vous avez des moniteurs qui vont parler du programme dans les écoles, mais j'aimerais savoir si un suivi est fait par les enseignants auprès des élèves? Vous avez des jouets éducatifs, des outils et des livres, mais ce matériel demeure-t-il dans la classe ou le moniteur le ramène-t-il?

Mme Bungay-Gaultois : Le moniteur ramène habituellement le matériel, mais il arrive parfois que l'enseignant demande qu'on lui prête un livre parce qu'il veut le relire avec les élèves. Nous faisons le lien avec le programme scolaire dans le cadre des projets en art et des rédactions. La leçon peut porter sur un thème en particulier comme le tempérament de l'enfant et l'enseignant voit ensuite s'il ne peut pas confier aux élèves un travail en art ou en musique sur ce thème. Il y a des enfants qui écrivent des chansons, composent des poèmes, font des dessins, écrivent des lettres et discutent de ce qu'ils ont appris. La réponse à votre question est oui. Ce que nous offrons se reflète dans le programme scolaire.

Le sénateur Cordy : Y a-t-il un programme de suivi qui s'adresse aux enseignants ou s'en remet-on à chaque enseignant pour assurer un suivi?

Mme Bungay-Gaultois : Il n'y a pas de programme de suivi destiné aux enseignants. Nous rencontrons l'enseignant au début de l'année scolaire et nous lui donnons un aperçu du programme. L'enseignant participe ensuite à la mise en œuvre de la stratégie d'exécution du programme. Il incombe ensuite à l'enseignant de trouver des façons d'intégrer le programme à son enseignement.

Le sénateur Cordy : Est-il difficile d'amener un parent qui a un bébé de consacrer autant de temps en classe?

Mme Bungay-Gaultois : Dans certaines collectivités rurales de Terre-Neuve, il n'y a pas de bébé, nous avons dû mettre fin à deux programmes pour cette raison. C'est malheureux. Dans d'autres collectivités, notre programme fonctionne en raison du bouche à oreille. Deux ou trois femmes qui attendent un enfant nous diront qu'elles veulent que leur bébé soit le bébé Roots of Empathy. Elles ne veulent pas simplement faire partie du programme et c'est vrai qu'elles doivent s'engager à consacrer du temps à cela — une mère et son bébé, un père et son bébé ou une grand-mère et un bébé viennent dans la classe chaque mois pendant neuf mois — mais elles se rendent compte que leur enfant est adopté par les élèves et dans une petite collectivité, ce bébé devient une célébrité. Une mère ou un père qui se promène sur la rue avec leur bébé seront parfois accueillis par des enfants qui diront : « C'est notre bébé. » Cela favorise la socialisation de l'enfant et de nombreux parents qui n'ont qu'un enfant recherche des façons de favoriser la socialisation de leur enfant. Beaucoup de mères disent que leur enfant a appris à aimer les gens parce qu'il a vu pendant toute une année de 20 à 30 enfants dans une classe.

Le bébé devient vraiment une étoile et je pense que le programme profite aussi aux parents. Beaucoup de mères disent que le programme leur a beaucoup appris sur la façon d'élever un enfant. J'ai eu trois enfants, et il y a beaucoup de choses sur la façon d'élever un enfant que j'aurais aimé savoir il y a 20 ans.

Le sénateur Cordy : Ma dernière question porte sur la recherche. Je sais que le programme date de cinq ans seulement, mais recueillez-vous des statistiques ou des renseignements anecdotiques? Des renseignements ont été recueillis notamment sur l'intervention précoce, mais j'aimerais savoir si vous recueillez des renseignements portant sur votre propre programme?

Mme Bungay-Gaultois : Vous parlez de notre centre?

Le sénateur Cordy : Oui. Sur ce qui se passe à Terre-Neuve, par exemple.

Mme Bungay-Gaultois : Dans le cadre de la stratégie nationale, chaque classe est évaluée et les résultats de cette évaluation sont transmis à Toronto. Les résultats nous reviennent par la suite. Pour ce qui est des renseignements anecdotiques, ce sont les cas dont je vous ai parlé aujourd'hui et nous savons qu'à certains niveaux...

Le sénateur Cordy : Vous consignez ces cas, n'est-ce pas?

Mme Bungay-Gaultois : Oui, et nous voyons que notre programme donne des résultats. À l'échelle nationale, on recueille des renseignements sur l'ensemble du programme.

Le président : Je vous remercie tous deux de votre présence aujourd'hui. Le comité vous est vraiment reconnaissant d'avoir comparu.

Mesdames et messieurs les sénateurs, notre prochain groupe de témoins compte trois personnes. Nous accueillons Geoff Chaulk, directeur administratif de la section provinciale de l'Association canadienne pour la santé mentale, Ted Callanan, président de la Psychiatric Association of Newfoundland and Labrador, et Jocelyn Greene, dont bon nombre d'entre vous avez rencontré hier, qui est directeur administratif de Stella Burry Community Services.

Je vais d'abord demander à M. Chaulk de faire sa déclaration préliminaire. Les autres témoins feront ensuite la leur et il y aura une période de questions. Je vous remercie tous de votre présence. Je vous signale que vous devez appuyer sur le petit bouton blanc avant de parler pour que les interprètes puissent vous entendre et pour que vos propos puissent être enregistrés. Monsieur Chaulk, vous avez la parole.

M. Geoff Chaulk, directeur exécutif, Association canadienne pour la santé mentale, Division de Terre-Neuve et du Labrador : Je vous remercie, le sénateur Kirby, de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de prendre la parole devant vous. Notre association vous sait gré de lui permettre de vous faire part de ses vues.

J'ai décidé dans ce mémoire de vous donner un aperçu du rôle tout à fait particulier que joue notre organisme dans la province. Je vais vous dire quelques mots au sujet du travail que nous faisons et je traiterai ensuite d'un certain nombre de questions qui sont abordées dans votre document sur les enjeux et les options.

La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'Association canadienne de la santé mentale est un organisme de bienfaisance à but non lucratif créé en 1964 qui vise à promouvoir la santé mentale dans notre société. Notre division œuvre à améliorer la compréhension de la santé mentale et des maladies mentales par l'entremise d'activités de sensibilisation, de défense des intérêts, de recherche et de développement communautaire.

Au cours de l'exercice financier 2004-2005, nous avons reçu du gouvernement des fonds s'élevant à 80 000 $. Nous n'avons pas obtenu de financement de base pendant 10 ans et tout ce que nous avons reçu du gouvernement, ce sont des subventions pour mettre en œuvre certains projets. Notre division a créé une fondation de financement en 1997 dans le but de nous permettre de poursuivre notre travail. C'est en grande partie à la générosité de nos concitoyens de Terre-Neuve et du Labrador que nous avons pu recueillir ces fonds. La division a un budget de fonctionnement annuel de 240 000 $ et quatre employés à temps plein : un coordonnateur des services éducatifs, un coordonnateur du centre de ressources, un administrateur des services de bureau et de finance et moi-même. Je dois ajouter que le gouvernement provincial constatant que nous ne serions pas en mesure cette année de trouver les fonds nécessaires pour payer notre coordonnateur des services éducatifs a offert de nous donner une subvention de 50 000 $ à cette fin. La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM est au nombre des deux divisions de l'association au pays qui ne comptent pas une structure de direction malgré l'étendue de la province et de la population rurale qu'elle dessert.

J'aimerais attirer votre attention sur l'un de nos principaux services, soit un centre de ressources provincial qui reçoit au moins 120 appels et visites par mois de personnes qui souhaitent obtenir des renseignements sur la santé mentale et la maladie mentale ainsi que des services d'aiguillage. Une bonne part de mon travail de coordonnateur est actuellement d'obtenir les services voulus pour les personnes qui ont du mal à les obtenir parce qu'ils font face à certains obstacles.

J'ai maintenant des réponses à donner à certaines des questions soulevées dans votre document sur les enjeux et les options. La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM convient avec le comité que la santé mentale et le système de traitement des dépendances doivent être intégrés, accessibles et offrir des services de qualité. Nous appuyons également la position voulant que le système soit axé sur les besoins du patient ainsi que sur son rétablissement. La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM pense qu'on ne peut trop insister sur l'importance de ces deux points. Comme je suis sûr que les sénateurs le savent, le système axé sur les besoins du patient constitue la pierre d'accise d'un modèle fondé sur les ressources communautaires, modèle qui fait partie du nouveau cadre de soutien pour les personnes atteintes de maladie mentale grave élaborée à l'échelle nationale par l'Association canadienne pour la santé mentale.

Nous savons maintenant qu'il est possible à un patient de se rétablir après une maladie mentale et de jouir d'une bonne santé mentale. Le fait de commencer à parler de rétablissement dans le contexte de la santé mentale et des maladies mentales donne aussi espoir à tous ceux d'entre nous qui sont aux prises avec différents types de maladies mentales. Les modèles fondés sur les ressources communautaires qui sont axés sur les besoins du patient comportent les éléments essentiels à l'intégration communautaire et au rétablissement de la santé mentale, dont un logement et un revenu adéquat, du travail, des rapports sociaux et des services et des mécanismes de soutien dans le domaine de la santé mentale.

La coordination et l'intégration des services et des mécanismes de soutien dans le domaine de la santé mentale ont depuis si longtemps fait défaut qu'on ne peut pas dire qu'il existe un « système » à proprement parler. Dans une étude locale récente qui a été menée pour établir s'il convenait de créer un centre de services à St. John's, on a recommandé que, compte tenu des services et des mécanismes de soutien disponibles, lesquels ne suffisent toujours pas pour répondre adéquatement aux besoins, on cherche à obtenir des fonds pour recruter un coordinateur qui travaillerait de concert avec les services existants dans le domaine de l'emploi et des services sociaux. Ce coordonnateur veillerait à faire en sorte que les fournisseurs de services et les consommateurs sachent exactement quels sont les services disponibles ainsi que les critères d'admissibilité à ceux-ci. Cette étude a aussi fait ressortir la nécessité éventuelle d'un centre d'évaluation ainsi que d'un point d'accès unique pour les services reliés à l'emploi.

Ce modèle pourrait être un exemple d'intégration et de coordination des services. L'établissement de partenariats et de protocoles d'entente officiels entre les fournisseurs de services pourrait aussi être une façon de rendre les services et les mécanismes de soutien plus accessibles aux consommateurs.

J'ai acquis une expérience dans ce domaine en Ontario où j'ai travaillé pendant 17 ans. Le ministère de la Santé de cette province a fortement recommandé et parfois même imposé des partenariats entre les fournisseurs de services pour réduire la compartimentalisation des services.

Pour ce qui est du dépistage et de l'intervention précoces auprès des enfants et des adolescents, je crois qu'il faut mettre l'accent sur une approche à plusieurs volets dont l'élément central est cependant une meilleure compréhension de ce que constitue la santé mentale et les maladies mentales. C'est en intervenant à l'école auprès des enfants le plus tôt possible en ayant recours à du matériel adapté à leur âge qu'on peut aider les enfants et les adolescents à savoir ce qui favorise la santé mentale et peut-être à éviter qu'une maladie mentale ne se développe.

En intervenant dans les écoles, on peut aussi s'attaquer aux stéréotypes et aux mythes qui existent sur la santé mentale, ce qui pourrait, à son tour, aider à réduire la stigmatisation des personnes atteintes de maladie mentale. La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM, comme bon nombre de nos partenaires, est d'avis que la stigmatisation continue d'être un problème grave dans notre société qui peut avoir une incidence négative sur la vie des personnes qui sont atteintes de maladie mentale et qui peut empêcher celles-ci de demander de l'aide lorsqu'elles en ont besoin.

L'Association canadienne pour la santé mentale a déjà organisé des séances éducatives s'adressant aux élèves de l'école secondaire pour les sensibiliser à la question de la santé mentale et des maladies mentales et a produit et diffusé en 2000 une vidéo intitulée Out of the Dark : Youth and Depression ». Cette vidéo a été largement diffusée dans toute la province. Nous n'avons malheureusement pas pu assuré un véritable suivi en raison d'un manque de ressources humaines et du manque de fonds pour les déplacements. Si seulement nous avions les ressources voulues, nous pourrions faire davantage dans ce domaine, en particulier en partenariat avec les écoles et le ministère de l'Éducation. Ces partenariats nous permettraient d'accomplir davantage et l'ACSM pourrait se servir de ses compétences pour élaborer des produits éducatifs, pour former des professionnels qui diffuseraient ces produits dans les collectivités locales et pour fournir des services de consultation au besoin.

Il y a quelques mois, nous avons lancé, par l'intermédiaire de notre bureau national, un site Web appelé La santé mentale et l'école secondaire. En nous adressant au ministère de l'Éducation, nous avons pu informer de l'existence de ce site tous les conseils scolaires et les écoles de la province et le but de ce site est de permettre aux jeunes qui connaissent suffisamment bien l'informatique de se renseigner par eux-mêmes sur la santé mentale et sur les symptômes des maladies mentales. En partenariat avec le ministère de l'Éducation, nous avons pu diffuser ce message.

Pour ce qui est des personnes qui s'occupent de parents âgés, le problème le plus important qui se pose, c'est qu'il n'y a pas suffisamment de mécanismes de soutien de services communautaires comme les services de logement, les soins à domicile et la gestion de cas. Une étude provinciale du système de santé mentale communautaire a révélé qu'il faudrait investir davantage de ressources pour répondre aux besoins des citoyens de la province. Le gouvernement provincial doit diffuser sous peu son plan en matière de services de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie. La diffusion de ce plan ainsi que l'attribution des fonds nécessaires à la mise en œuvre de services devraient aider les personnes qui vivent avec des parents âgés.

L'enquête Luther portant sur les décès de Norman Reid et de Darryl Power a aussi fait ressortir les lacunes dans le système de soutien et de services communautaires. Le juge Luther a formulé de nombreuses recommandations qui, si elles sont mises en œuvre, pourraient améliorer la vie des personnes qui sont atteintes de maladies mentales graves.

La division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM a obtenu récemment une subvention de 5 000 $ du gouvernement provincial dans le but de proposer des façons d'accroître le mécanisme de soutien destiné aux familles dans la province. Deux des membres de notre conseil d'administration qui sont actuellement membres de notre groupe de soutien aux familles, lequel tient des rencontres tous les mois, participeront à la planification de cette initiative.

La Division de Terre-Neuve et du Labrador de l'ACSM lancera aussi à l'automne un groupe de soutien de famille à famille. Il s'agit d'un modèle particulier qui a été élaboré par NAMI, soit la National Alliance for the Mentally III. Nous avons obtenu une subvention de 1 300 $ de la Health Care Foundation of St. John's pour lancer cette initiative. Nous ne sommes pas encore parvenus à trouver les fonds qui permettront le maintien de ce programme.

Pour ce qui est des programmes fédéraux de sécurité du revenu, nous pensons effectivement que le gouvernement fédéral doit modifier le régime d'invalidité du RPC pour que les gens puissent toucher des prestations partielles ou réduites tout en travaillant à temps partiel. Cette modification au régime de retraite permettrait aux gens de tirer parti des avantages monétaires et non monétaires que procure le fait d'occuper un emploi. Il faut cependant que le fait pour une personne d'occuper un emploi à temps partiel présente un intérêt financier pour elle.

Pour ce qui est des programmes de soutien du revenu en général comme l'aide sociale, des obstacles doivent aussi être supprimés de manière à ce que la personne qui est atteinte d'une maladie mentale puisse travailler sans perdre des avantages comme l'assurance-médicaments. Nous savons tout ce que de nombreux médicaments psychiatriques coûtent très cher et que de nombreuses personnes doivent prendre ces médicaments toute leur vie. Or, l'assurance-médicaments leur est enlevée après un certain temps si elles travaillent.

La lutte contre la stigmatisation et la discrimination revêt beaucoup d'importance et il conviendrait de lancer une campagne nationale dans ce but pour sensibiliser les consommateurs et les familles à cette question. Nous sommes d'accord avec les éléments proposés de cette campagne et nous pensons aussi qu'il faut mettre en œuvre la stratégie nationale de prévention du suicide.

Le renouvellement des soins primaires au pays doit reposer sur des soins interdisciplinaires. Les soins primaires ne devraient pas simplement comporter les services d'un médecin ou d'une infirmière praticienne. Des travailleurs sociaux, des infirmières et des ergothérapeutes devraient faire partie des équipes de soins primaires. Dans cette province, je pense que 40 p. 100 des services facturés à l'assurance-maladie sont des services de santé mentale. Comme vous le savez, il peut être difficile d'intervenir dans le domaine de la santé mentale et des toxicomanies et il serait bon que le médecin traitant puisse avoir accès aux conseils de collègues d'autres disciplines pour aider son patient. Il faudrait évidemment apporter des modifications au barème de tarification des médecins pour que ceux-ci puissent facturer le temps qu'ils consacrent à consulter des collègues appartenant à d'autres disciplines.

CMHA NL est d'accord pour dire qu'une plus grande uniformité dans la formation des travailleurs de soutien communautaire et des policiers profiterait à tous les intéressés. C'est un travail exigeant et stressant que d'être en première ligne, et la formation peut faciliter certaines choses et assurer un meilleur service aux consommateurs.

Faisant suite à l'enquête Luther, CMHA Newfoundland and Labrador Division met la dernière main à un programme de formation expérientiel en huit modules et qui sera sur support DVD. Ce programme a été conçu pour les travailleurs de première ligne de divers milieux. Par exemple, les agents de police, les ambulanciers, le personnel des foyers, pour n'en nommer que quelques-uns. Les modules traitent de toutes les maladies mentales importantes, et les consommateurs témoignent à la caméra des divers aspects de leur maladie et des incidences sur leurs vies. Le programme invite également les participants à améliorer leurs compétences en matière de communication et leur connaissance, si bien que si vous êtes en première ligne et que vous vous retrouvez dans une situation où vous faites affaire avec quelqu'un qui est de toute évidence en détresse à cause de sa maladie mentale, vous serez mieux outillés pour intervenir. Le programme a franchi la phase pilote, et jusqu'à présent, nous avons reçu d'excellents commentaires, même si nous n'avons pas encore le rapport d'évaluation final. Le projet doit être lancé officiellement en septembre, et nous allons utiliser l'approche du formateur pour faire connaître ce matériel à nos collègues de toute la province, et nous pensons qu'un tel programme pourrait avoir une utilisation nationale. À notre connaissance, c'est un programme unique.

Le gros des fonds pour ce projet provenait de la stratégie de prévention criminelle du gouvernement fédéral, et nous avons reçu des contributions du gouvernement provincial, de GlaxoSmithKline et du Club Rotary de St. John's Northwest.

Le manque de fonds pour les soutiens et services pour la santé mentale, particulièrement au niveau communautaire, fait problème dans notre pays depuis de nombreuses années. Le problème a essentiellement commencé avec la désinstitutionalisation, alors que le financement n'a pas suivi les patients en réinsertion sociale. Dans certaines provinces, cela s'est traduit d'abord et avant tout par un manque de logements et de suivi. Des fonds réservés aux services et aux soutiens en santé mentale qui seraient prévisibles, durables et alloués équitablement favoriseraient la création d'un système communautaire plus complet pour la santé mentale et la toxicomanie, particulièrement pour ceux qui souffrent de maladies mentales graves et chroniques.

En ma qualité de Terre-Neuvien récemment rapatrié qui a œuvré comme travailleur social et plus tard au sein de la fonction publique de l'Ontario à titre de conseiller en politiques et en programmes relatifs aux services de santé mentale, j'ai été grandement surpris par la gammes de services et de soutiens qui sont offerts aux Ontariens mais non aux Terre-Neuviens et aux Labradoriens. Il faut égaliser les chances et accorder plus d'attention aux écarts entre les provinces nanties et les provinces défavorisées. Ces écarts se traduisent par une piètre qualité de la vie, particulièrement pour ces personnes atteintes d'une maladie mentale grave et chronique.

Le président : Merci beaucoup.

M. Ted Callanan, président, Psychiatric Association of Newfoundland and Labrador : Je tiens d'abord à marquer mon appui à M. Chaulk qui a décrit avec éloquence les problèmes que pose la prestation de services en santé mentale.

Honorables sénateurs, merci beaucoup pour cette invitation. Je représente aujourd'hui la Newfoundland and Labrador Psychiatric Association. Nous sommes une petite association de psychiatres comptant une cinquantaine de membres établis partout à Terre-Neuve et au Labrador, même si aucun d'entre nous n'est en fait basé au Labrador. Cela représente environ deux tiers du nombre, c'est-à-dire qu'il y a un poste de psychiatre vacant sur trois partout à Terre-Neuve et au Labrador, selon les normes démographiques établies par l'Association des psychiatres du Canada. La psychiatrie est une spécialité médicale qui est unique dans la mesure où c'est la seule spécialité dont l'action et parfois même son existence même sont contestées, certains aspects de la santé mentale étant considéré comme le produit de phénomènes sociaux et ne faisant pas partie du domaine médical comme tel.

La maladie mentale est un phénomène terrifiant parce qu'il frappe au cœur même de l'existence de la personne. S'en trouvent affectés la pensée, l'humeur, la perception, le jugement et, ce qui est très important, le comportement, car c'est le comportement modifié qui est l'aspect le plus visible pour les autres et pour la société qui voit les effets de la maladie mentale. C'est ce comportement modifié, parfois inacceptable et terrifiant, qui, à mon avis, est la cause de la stigmatisation.

Le traitement psychiatrique intensif est influencé par la perception que l'on a de la maladie mentale. La personne et les membres de la famille s'imaginent souvent que le comportement modifié est volontaire et, par conséquent, contrôlable et blâmable. On ne voit pas d'emblée la maladie, et cela retarde la recherche d'aide. Je pense qu'on vous a déjà parlé de l'importance d'une intervention précoce pour le rétablissement à long terme. Ainsi, lorsque la maladie est constatée, la stigmatisation peut parfois retarder davantage la recherche d'aide.

Au cours des 20 dernières années, la psychiatrie intensive telle qu'elle est pratiquée en milieu hospitalier et communautaire a évolué, et elle a évolué du fait des circonstances que M. Chaulk vient de décrire : c'est-à-dire, la désinstitutionnalisation de nombreuses personnes qui étaient auparavant soignées dans de grandes établissements pour malades mentaux. La recherche a prouvé hors de tout doute que la qualité de la vie et la satisfaction par rapport aux services sont de loin supérieures en milieu communautaire. Cependant, il faut qu'il y ait un transfert suffisant de fonds vers le milieu communautaire si l'on veut créer le genre d'équipes dont nous avons besoin pour assurer un suivi communautaire généralisé.

Dans la mesure où l'hôpital continue de faire partie de l'ensemble de services dont les malades mentaux ont besoin, il est vrai aujourd'hui que ceux qui sont admis à l'hôpital se retrouvent souvent dans des unités plus petites où l'on cherche à tout prix à abréger la durée du séjour. Ce que nous appelons dans les hôpitaux la « clientèle » est devenue beaucoup plus diverse; c'est-à-dire que vous y retrouverez des personnes qui en sont au premier stade de la démence et qui sont admis pour un diagnostic; vous allez rencontrer des personnes qui en sont aux premiers épisodes de leur psychose; vous allez voir des personnes qui ont d'autres maladies mentales graves et qui sont admises aux soins intensifs ou qui en sont à une phase de la maladie où la perte de contrôle est totale. Il existe en fait de bonnes recherches qui indiquent que plus la clientèle est diverse, moins les personnes traitées à l'hôpital sont satisfaites.

Pour ce qui est des services communautaires, je sais que l'une des choses qui a été mentionnée dans le rapport Luther, que vous allez sans aucun doute lire, c'est la révision de la Loi sur la santé mentale de Terre-Neuve et du Labrador. L'Association des psychiatres de Terre-Neuve et du Labrador voudraient incorporer, parmi les modifications à la Loi sur la santé mentale, la capacité d'intervenir tôt auprès des personnes en milieu communautaire souffrant de maladies mentales graves et chroniques avant l'internement obligatoire à l'hôpital. C'est ce qu'on appelle souvent dans certaines provinces, par exemple la Saskatchewan, l'Ontario et peut-être aussi le Québec, l'« ordonnance de traitement en milieu communautaire ». Je crois qu'il y a certains éléments de la population qui manque de jugement, et c'est une caractéristique de la maladie, et qui profiterait d'un système de contrôle, de surveillance et de garde respectueux facilitant leur hospitalisation lorsque leur maladie s'aggrave.

J'ai un autre commentaire d'ordre général à faire avant de faire quelques observations sur le contenu de votre troisième rapport, et je veux parler de la médication. Le régime varie d'une province à l'autre pour ce qui est de l'accès à la médication, et le nombre de médicaments qu'on a pour traiter les grandes maladies mentales est beaucoup moins élevé en termes absolus que, par exemple, pour la cardiologie ou d'autres maladies graves. Je crois que nos patients se portent mieux lorsqu'ils ont un accès illimité aux quelques médicaments qui existent pour eux.

Je voulais faire quelques observations sur le document Enjeux et options pour le Canada, volume III, et c'est en réponse à la question qui était posée : « Comment peut-on encourager une relation de collaboration entre les fournisseurs de soins de santé primaires et les professionnels de la santé mentale? » Chose intéressante, c'était justement le thème de la table ronde de samedi dernier qui réunissait des représentants de l'Association des psychiatres du Canada et de l'Association des psychiatres de provinces Atlantiques. On y a fait état des divers modèles qui existent au pays pour le partage des soins. Je crois que l'une des étapes les plus critiques pour l'encouragement de cette approche, c'est la mise au point au sein des facultés de médecine, des écoles de pharmacie, des écoles de travail social, des écoles de sciences infirmières, et à l'intérieur des écoles et des secteurs qui font du travail de réinsertion en psychiatrie, de curriculum communs portant sur la collaboration interprofessionnelle. Je pense qu'il existe divers modèles aujourd'hui parce qu'il y a des personnes qui ont pris l'initiative de travailler ensemble. Elles voudraient qu'il y ait davantage de collaboration. Lors de la table ronde à la conférence de samedi, nous n'avions qu'une poignée d'exemples, et tous étaient fondés sur des initiatives personnelles. Je pense que si nous voulons une pratique axée sur la collaboration, nous devons commencer la formation aux soins collaboratifs le premier jour que les étudiants sont admis aux écoles de santé professionnelles partout au pays.

J'aimerais aussi faire un autre commentaire en réponse aux questions que vous avez posées sous la rubrique « Le transfert du savoir acquis ». Je crois que cela est pertinent dans le contexte des localités rurales et éloignées de Terre-Neuve et du rôle de la télésanté et de la télépsychiatrie. Les diverses études qui ont été faites sur les moyens d'assurer des services en milieux éloignés par le biais de la télétechnologie nous apprennent qu'il y a des niveaux de concordance extrêmement élevés entre les diagnostics qui sont faits par un psychiatre à distance par voie de vidéoconférence comparativement au diagnostic de la même personne examinée sur place. Comparativement à toutes les autres spécialités médicales, la psychiatrie peut offrir la gamme la plus vaste de services d'une manière efficiente et adéquate par le biais de la télétechnologie. Cela étant dit, on n'adhère pas encore à cette idée, et je ne sais pas très bien pourquoi. Je pense que c'est un domaine où il faut faire plus de recherche. Étant donné qu'il est bien prouvé que nous pouvons pratiquer à distance, pourquoi cette préférence pour la salle de consultation? Ce qui nous vient à l'esprit ici, c'est cette anecdote de Josh Billings qui disait : « Ce n'est pas l'ignorance qui fait problème. C'est le fait que les gens savent tant de choses qui sont fausses. » Je crois que l'incorporation des télétechnologies dans les services de santé mentale est essentielle pour l'avenir, et particulièrement dans des provinces comme Terre-Neuve et le Labrador.

Le président : Merci. J'ai aimé cette citation. Je crois qu'elle va finir par se retrouver dans notre rapport.

Mme Jocelyn Greene, directrice exécutive, Stella Burry Community Services : Bonjour, et merci au comité d'avoir accepté de m'entendre de nouveau.

Je crois que les sénateurs Gill et Trenholme Counsell étaient les deux seuls membres du comité qui n'ont pas assisté à mon exposé hier sur Stella Burry Community Services, je ne vais donc pas vous donner une description détaillée de nos programmes et services. Auriez-vous peut-être l'obligeance, monsieur Chaulk, de faire circuler des copies de mon mémoire.

Sachant que je n'ai qu'entre cinq et sept minutes, j'ai essayé de m'en tenir à certains éléments où notre organisation possède à mon avis une certaine expérience et une certaine expertise. Pour structurer mon texte, j'ai rédigé certains de mes commentaires en style télégraphique et j'y ai annexé une copie du résumé de l'évaluation qu'on a faite de l'un de nos principaux programmes qui, à mon avis, présente une certaine valeur pour votre comité.

Pour ce qui est du contexte, M. Chaulk en a parlé parce que, comme il l'a dit, il vient de rentrer à Terre-Neuve, et nous sommes heureux de l'avoir chez nous, mais je tenais seulement à revenir sur certaines choses qui, à mon avis, ont eu une incidence considérable sur le statut des services de santé mentale à Terre-Neuve et au Labrador. L'une des choses auxquelles M. Chaulk a fait allusion et que j'aimerais reprendre, c'est que je me rappelle avoir assisté à diverses conférences nationales en Ontario où les délégués se plaignaient de toutes les compressions qui avaient été opérées au niveau du logement et des services de soutien, et je me rappelle avoir pensé : « Et bien, ils ont perdu plus que ce que nous avions. » Ce que je veux dire, c'est que nous avions commencé avec presque rien.

Chose certaine, je crois que l'abolition du Régime d'assistance publique du Canada, et des normes nationales qui l'accompagnaient, a été un facteur important. Même si le gouvernement fédéral a maintenu son financement avec l'introduction du TCSPS, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, tout ce que nous savons, nous, c'est qu'on a réduit le financement général et aboli aussi les lignes directrices régissant l'emploi des crédits. Cela a eu un effet catastrophique sur la santé mentale dans notre province, à mon avis. En particulier, en 1995, les compressions du gouvernement fédéral ont provoqué d'autres compressions dans notre province en santé et, en particulier, la fermeture de 97 lits sur 127 lits voués aux soins de longue durée à l'Hôpital Waterford, l'institut psychiatrique provincial. Il n'est nullement exagéré de dire qu'aucune des économies qu'on a réalisées avec la fermeture de ces lits n'ont été réinvesties en milieu communautaire. J'ignore ce qu'on en a fait, mais chose certaine, ceux d'entre nous qui oeuvrons en milieu communautaire n'en avons nullement profité.

Si vous étiez admis à l'unité des soins de longue durée au Waterford, c'était manifestement parce que vous aviez de graves problèmes de santé mentale. Subséquemment, certaines personnes ayant des antécédents de maladies graves et chroniques dans notre province se sont retrouvées dans des taudis et des foyers, mais un grand nombre d'entre elles ont également abouti en prison. Parce qu'elles étaient incapables de s'en tirer, le seul lieu où elles pouvaient être sûres qu'on les garderait et qu'on les aiderait, c'était en prison, en particulier, pour les femmes dans nos établissements fédéraux.

Comme je l'ai dit à bon nombre d'entre vous hier, les Stella Burry Community Services, les SBCS, sont un chef de file reconnu dans notre province et même au niveau national pour la prestation de services de traitement résidentiel s'adressant aux clients en santé mentale et aux jeunes femmes sans abri. En particulier, étant donné que nous garantissons deux lits à Service correctionnel Canada, SCC, et que nous sommes leur partenaire depuis 1985, on reconnaît que nous avons accompli un travail particulièrement efficace dans le soutien aux personnes qui réintègrent la société. Nous avons en fait un accord satellite sur le logement avec SCC et nous louons un certain nombre d'appartements et fournissons des services de soutien à ces personnes.

En conséquence, en 1999, Service correctionnel a conclu un contrat avec nous pour la création de toute une gamme de services de soutien et d'options de logement pour un groupe de délinquantes ayant des problèmes de santé mentale complexes et qui allaient être libérées des établissements fédéraux au cours de l'année à venir. Nous avons fait la recherche documentaire voulue et visité des modèles de soutien au logement partout au pays et, à partir de notre propre réussite, nous avons adressé une série de recommandations aux quatre ministres provinciaux responsables de la santé, du logement, du soutien au revenu et de la justice, ainsi qu'aux responsables de Service correctionnel.

Les SBCS ont subséquemment piloté un programme novateur de soutien communautaire basé sur un modèle de soutien au logement quelque peu semblable aux équipes TCA que vous avez mentionnées dans vos rapports, mais avec des différences importantes dans la mesure où bon nombre des équipes TCA dans des provinces comme l'Ontario sont davantage des modèles institutionnels installés en milieu communautaire. Le nôtre est très ancré dans notre milieu communautaire et branché à nos services de soutien. L'évaluation du programme a démontré qu'il y avait eu une réduction considérable dans les taux d'hospitalisation et d'incarcération. Comme je l'ai dit, le résumé que vous avez tous explique le programme, mais son point saillant est la diminution du nombre de jours de prison, qui était de 73 p. 100, et la diminution de jours d'hospitalisation, qui était de 39,2 p. 100. Si l'on établit le coût de cela, il reflète des économies importantes dans les deux systèmes, et je ne parle même pas des perturbations que causent les incarcérations, où les gestionnaires de cas sont obligés d'intervenir, et tout le reste, comme je le mentionnais hier.

Je pense qu'il était important de faire cette analyse de rentabilité. Je crois aussi que nous devons en faire davantage. Il est difficile d'avoir accès à ces dossiers, et nos évaluateurs se sont vraiment donnés beaucoup de mal. En outre, les descriptions de la qualité de la vie qu'on retrouve partout dans ce document, les douze récits, dont l'un est annexé, reflètent très bien les changements qui se sont opérés dans la vie des intéressés.

Lorsque nous avons amorcé ce processus, je ne plaisante pas, nous avions autour de nous des personnes qui représentaient tous les systèmes et qui disaient : « Ce n'est pas mon problème », ou « ils étaient en établissement fédéral et ils n'étaient pas sur notre territoire. » Autrement dit, il n'y avait aucune adhésion au départ parce qu'il s'agissait du groupe de personnes qui rend tout le monde fou. Je ne peux pas le souligner assez. Nous bénéficions aujourd'hui de l'adhésion massive des systèmes psychiatriques et sociaux et des gestionnaires des unités de soins intensifs, mais nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Mais chose certaine, nous avons besoin de crédits beaucoup plus importants et nous espérons élargir le programme.

Les liens avec le logement et l'emploi sont essentiels. Je vous en ai parlé hier, je ne m'attarderai donc pas là-dessus.

J'aimerais maintenant aborder certaines conclusions dont je ne vous ai pas parlé hier. Même si à mon avis on a sûrement fait beaucoup de progrès dans le système de santé mentale structuré, par exemple avec le programme d'intervention précoce pour la psychose, ou les commentaires du Dr Callanan sur la collaboration interdisciplinaire, et cetera., nous devons aller encore plus loin. Le système de santé mentale établi est encore trop hiérarchique et axé sur la pathologie. Oui, il est évident qu'il existe des maladies mentales graves qui nécessitent un traitement et une médication, mais je crois qu'on oublie souvent de prendre en compte les causes systémiques de nombreux problèmes de santé mentale, par exemple, la pauvreté, la maltraitance, la discrimination, l'absence de services de garde pour les enfants et l'absence de logements abordables. Je pense que si l'on intervenait dans bon nombre de ces problèmes, il y a beaucoup de monde qui entre dans le système qui n'aurait pas besoin d'être là.

Le système établi est souvent inefficace et, malheureusement, il aggrave souvent les problèmes de la personne. Certains de mes collègues ici présents ont assisté à des rencontres où l'on discutait de notre nouvelle stratégie en santé mentale et les médecins eux-mêmes disaient : « Il faut fermer le Waterfortd. Il fait du tort aux patients ». Il faut former les professionnels de la santé différemment à tous les niveaux pour qu'ils puissent tenir compte des causes systémiques des problèmes de santé mentale et répondre aux problèmes de chaque patient. Je ne dis pas que nous ne devons pas traiter les personnes, mais je dis que ce traitement doit être assuré dans un contexte plus global.

Nous devons développer des ressources communautaires. Le développement communautaire est résolument absent. Il y a plusieurs années de cela, dans notre province, avec le service d'extension, nous étions probablement les premiers au pays au niveau du développement communautaire. C'est une ressource très importante qui a en quelque sorte disparu. On parle d'édifier des capacités communautaires, mais où forme-t-on les professionnels? Lorsque j'ai fait ma maîtrise en travail social, je ne pouvais pas faire de stage en développement communautaire autrement qu'en demandant à suivre un cours particulier.

Si l'initiative locale pour les sans-abri a réussi chez-nous, c'est parce que nous avons pu obtenir les services d'un travailleur de développement communautaire à plein temps. Notre initiative a été l'une de celles qui a le mieux réussi au pays. Nous avions un travailleur de développement communautaire à temps plein qui a réuni tout le monde, les paliers de gouvernement et les services communautaires, et nous avons tracé un plan qui disait : « Quelles sont nos priorités? Comment allons-nous régler la situation? ». Et nous nous sommes entraidés dans la mise en oeuvre de ce plan. S'il n'y a personne en particulier pour faire ce travail, on est sûr de manquer le bateau.

Je vais vous donner un petit exemple. La plupart d'entre vous avez entendu parler de la crise qui sévit à Harbour Breton, et l'on entrevoit aisément ce qui va se passer là-bas avec tout ce chômage. On va bientôt parler d'alcoolisme accru, d'augmentation du nombre de dépression, de violence familiale. Il y a trois façons de réagir. On peut créer un modèle caritatif où l'on ouvrira des banques alimentaires et assurer le soutien du revenu. L'Autorité de santé peut dépêcher sur place une armée de travailleurs en santé mentale, de travailleurs sociaux et de médecins qui soigneront les personnes déprimées et les aideront de se sortir de l'alcoolisme sur une base individuelle, et il se peut que certaines interventions de ce genre soient nécessaires. Cependant, on pourrait aussi créer un poste de travailleur de développement communautaires qui irait sur place et qui unirait les gens et dirait : « Vous avez parfaitement le droit d'être en colère, mais comment allons-nous trouver une nouvelle infrastructure, de nouvelle façon de travailler et de maîtriser cette colère? » Ce que je veux dire, c'est que nous devons faire ces trois choses. Les gens ont besoin de manger, il faut combler les besoins des gens, mais le troisième élément est souvent absent, et personne ne finance ce genre d'initiatives.

Il faut financer massivement le soutien au logement et les programmes d'emploi. Les ministères doivent travailler la main dans la main et en finir avec le cloisonnement Nous essayons de faire cela à l'échelle provinciale. Pour ce qui est des représentations communes au Conseil du Trésor, si vous me donnez de l'argent pour faire du logement, je vais vous économiser de l'argent pour votre système de santé mentale. Il faut que les gens se parlent. Le plan stratégique social de Terre-Neuve a commencé à mettre en œuvre des éléments en ce sens. Comment allons-nous opérationnaliser cela? Le gouvernement fédéral a échoué de manière lamentable sur ce point. Les systèmes de prestation sont trop lourds et inefficients. Les gens comme vous, les ministres, réagissent très bien, mais les bureaucrates fédéraux ne font qu'entraver le financement. Je vous dis que je n'ai pas eu une bonne semaine. Il faut rédiger des propositions qui n'en finissent plus, puis faire de nouvelles présentations, et ensuite présenter un budget. De toute évidence, il y a un gros problème de ce côté.

Le modèle IPAC s'est avéré très efficace. Je pensais qu'il serait trop lourd, mais je me suis rendu compte depuis qu'il marche en fait très bien, et qu'on devrait peut-être en faire un modèle pour le financement des initiatives communautaires en santé mentale.

J'ai quelques recommandations à vous faire qui s'inspirent de ce que j'ai lu dans votre rapport. Je crois sincèrement qu'il faut adopter un plan d'action national. Je crois cependant que le gouvernement fédéral doit s'ôter du chemin. Il doit accorder des crédits ciblés et importants pour les services de santé mentale, et les provinces n'auraient droit à ce financement que si leurs programmes sont conformes en tous points à des normes nationales, sans porte de sortie pour personne.

Il faut des fonds et de la formation pour les services spécialisés de soutien à domicile. C'est ce que proposait le rapport Romanow. Cette proposition ne s'est pas concrétisée. Notre programme prouve que nous utilisons très efficacement nos ressources. Cependant, il faut verser à ces personnes un salaire équitable, leur offrir la formation et les avantages sociaux voulus. Payer 7 $ l'heure à quelqu'un qui va s'occuper toute la nuit d'une personne que l'Hôpital Waterford n'arrive pas à contrôler, c'est un peu ridicule.

Nous devons assurer des ressources accrues aux groupes communautaires. Je ne sais pas comment on va faire cela à cause de toute cette bureaucratie, mais les groupes comme le nôtre ont besoin de financement pour le logement, les fonctions de contrôleur et le développement de projets. Nous avons en ce moment 45 unités. J'ai besoin d'un agent chargé des relations avec les locataires. Mon budget est de 3 millions de dollars, et j'ai 71 employés.

Je le répète, il faut financer le développement communautaire et aider les systèmes et les organisations à passer d'une approche de réinsertion à un renouvellement radical. Il est essentiel de faire cela si nous ne voulons pas nous limiter à une approche individuelle. Les services de santé mentale doivent vraiment valoriser les clients, les encourager à trouver des solutions à leurs problèmes et travailler vraiment main dans la main avec eux. En parallèle, nous devons aussi nous attaquer aux causes systémiques de nombreux problèmes de santé mentale; sans quoi, lorsqu'il s'agit de traiter des personnes déprimées, ou quel que soit le désordre dont elles souffrent, nous allons simplement les maintenir dans leur misère. Cela est inacceptable.

Le président : Permettez-moi de vous remercier tous les trois pour ces commentaires réfléchis et audacieux.

Madame Greene, j'ai trois questions à vous poser. Tout d'abord, je ne m'y retrouve pas dans tous ces sigles. Que veut dire « SCPI »?

Mme Greene : Initiative de partenariats en action communautaire.

Le président : J'ai deux questions à ce sujet. D'abord, qu'est-ce qui explique votre succès? Mon instinct me dit, et corrigez-moi si j'ai tort, que cette réussite est attribuable à la ministre et non au programme lui-même.

Mme Greene : Chose certaine, la ministre Claudette Bradshaw était une force qui croyait dans...

Le président : Était une force avec laquelle il fallait compter. Croyez-moi, si vous étiez à l'intérieur du système fédéral, c'était une force avec laquelle il fallait compter, et elle était formidable.

Mme Greene : Je vous le dis, j'étais accrochée à ses lèvres pendant 10 minutes lorsqu'elle a donné un discours à Ottawa. Et je me disais, qu'est-ce que je fais maintenant?

Quel était le processus de planification communautaire? Certains d'entre nous en avons discuté au début, mais le programme disait qu'il devait exister un plan communautaire qui réunirait tous les intervenants des paliers municipal, fédéral et provincial chargés du logement, du soutien au revenu, de la santé et de tout le reste : tous les acteurs ainsi que les groupes communautaires y trouvaient leur intérêt. Le groupe que nous avons engagé a en fait employé des consommateurs pour faire une partie de la recherche. Nous avons rédigé un plan qui disait : « Voici les priorités de notre milieu. » L'une de nos priorités était le recrutement d'un travailleur de développement communautaire, et nous avons engagé l'un des meilleurs au pays : Bruce Pearce, qui était une personne très compétente qui a vraiment su unir les gens dans une véritable optique de développement communautaire afin de les aider à faire état de leurs problèmes tout en les encourageant à collaborer vraiment. C'était l'essentiel.

L'autre chose que je veux mentionner, c'est que je croyais que le système de prestation serait lourd, mais en fait, nos demandes étaient adressées directement au secrétariat. Une fois qu'on avait décidé, d'accord, voici les propositions que nous avons, nous voulons un abri, ou nous avons ces besoins urgents à Carew Lodge, ça passait par un comité local qui était très efficace et nous n'avions pas à passer par DRHC, ce que nous devons faire maintenant sans compter les autres étapes. Nous avions un très bon facilitateur. C'était un employé de Développement des Ressources humaines Canada, mais il connaissait très bien son affaire et il était avec nous. De là, on allait directement au secrétariat, et je dois vous le dire, il y avait non seulement Claudette Bradshaw là, mais son adjoint exécutif était un Terre-Neuvien très compétent. Vous savez que tous ces Terre-Neuviens à votre table représentent vos racines à vous. Donc, cela a fonctionné; nous avons envoyé notre demande, elle est passée par le système et nous avons obtenu les fonds voulus. Je me suis rendue compte depuis que si je croyais que ce système était lourd, les étapes qui ont été ajoutées depuis au processus l'alourdissent vraiment. Cependant, je crois que les éléments essentiels étaient que le projet provenait du milieu, les gens embarquaient, et nous nous encouragions les uns les autres. Par exemple, l'Armée du Salut vient d'obtenir 1,18 million de dollars pour le Centre Wiseman. J'avais besoin de 800 000 $ pour Rawlins Cross, mais il ne faisait aucun doute que nous devions rebâtir le Centre Wiseman, donc nous avons dit : « Très bien, c'est la priorité numéro un. Voici la priorité numéro deux. » Nous nous sommes réunis et nous avons fait cela, et nous nous sommes retrouvés avec un système de prestation assez efficace, même si, comme je l'ai dit, je le trouvais extrêmement lourd à l'époque. Je me suis rendu compte depuis, pour avoir fait affaire avec d'autres organismes gouvernementaux, que pour le gouvernement fédéral, ce n'était pas si lourd que ça.

Le président : Ma deuxième question porte sur le travail que vous avez fait avec les détenus.

Mme Greene : Oui.

Le président : Je pense que nous étions tous horrifiés — même plus qu'horrifiés — par les propos des fonctionnaires de Service correctionnel Canada au sujet du manque de traitement en santé mentale chez les détenus. C'est eux-mêmes qui ont parlé des lacunes. C'est incroyable. Ces lacunes ont été décelées par les évaluations qu'ils ont faites de leur système, donc nous ne parlons pas de commentaires provenant de l'extérieur.

Mme Greene : Oui.

Le président : Nous sommes horrifiés. C'est peut-être tout aussi vrai qu'ils estiment qu'ils ont un des meilleurs systèmes dans le monde occidental. Mais ce serait bien possible — vous n'avez qu'à penser aux équipes de travail qu'on voit si on passe en voiture dans le sud des États-Unis, par exemple.

Je viens de lire votre rapport en diagonale, hier nous avons parlé de la rentabilité de votre programme, qui est énorme. Pouvez-vous nous dire pourquoi un programme comme celui-ci, qui semble fonctionner, et qui est aussi très rentable, une chose très importante du point de vue des comptables — n'existe pas dans toutes les régions du Canada? Je suppose qu'il n'existe pas autre part, parce que nous n'en avons pas entendu parler. Pourquoi est-ce qu'il n'existe pas autre part? Est-ce que votre programme pourrait être élargi? Je sais que vous avez travaillé avec certains hommes, mais est-ce que cette question est vue comme étant principalement une question touchant les femmes?

Mme Greene : Non, nous allons faire preuve d'équité. Nous avons élargi le programme pour inclure les hommes.

Le président : Pourquoi vous êtes-vous concentrés sur les femmes? Est-ce que les hommes sont plus difficiles à traiter? Pourquoi est-ce que ce programme n'existe pas autre part?

Mme Greene : Nous avons commencé avec les femmes parce que, comme j'ai déjà mentionné, en 1999, le Service correctionnel avait décelé six ou huit femmes avec des troubles de santé mentale. Terre-Neuve a la triste réputation d'avoir le taux le plus élevé de troubles mentaux complexes chez les femmes aux prises avec le système judiciaire fédéral à l'époque. Quand nous sommes allés au pénitencier de Kingston avant qu'il ne ferme, une unité pour les femmes ayant des besoins spéciaux était encore ouverte et ne contenait que 10 femmes. Deux d'entre elles étaient de Terre-Neuve.

Le président : Deux sur 10?

Mme Greene : Oui. En fait, le Service correctionnel a dû maintenir le pénitencier de Kingston ouvert pendant si longtemps, même s'il ne restait presque personne dans l'institution, parce qu'ils essayaient de décider quoi faire avec ces 10 femmes. Pour ce qui est de notre travail, ça devient une question de politique. Nous n'avons toujours pas de politique. D'après la politique officielle de notre gouvernement provincial, il n'y a toujours pas d'appui au domicile pour les personnes avec des troubles mentaux. Tout cela a commencé à cause d'une seule femme. Son histoire est la première qui est annexée au rapport. Elle a eu des expériences terribles au sein du système de santé mentale. Elle dit qu'elle ne peut pas être seule. Elle a passé tant de temps en institution, et elle en est sortie et y est revenue de nombreuses fois. Nous avons dit que nous allions recommander des soins à domicile. Elle téléphonait sans arrêt à Brian Addison, le superviseur, qui est allé à la commission pour dire qu'il avait accepté sa demande. Parce qu'il semble être un bon gars et il a compris que cette femme a été...

Le président : Est-ce que c'est l'histoire de Tina Marie, à la fin du rapport?

Mme Greene : Oui. Cela a commencé avec une personne, et nous avons bâti là-dessus. J'ai comparu lors de l'enquête Luther au sujet de l'impact de ce programme. À cause de cela, notre gouvernement provincial nous a donné un plus grand budget l'année passée. Je suppose que c'est comme tout le reste — il faut que tous les ministères acceptent de participer, et il faut que le tout soit coordonné. On travaille avec tous ces bureaucrates différents dans différents ministères, comme celui qui s'occupe du logement, le ministère de la justice, et cetera. C'est aussi une question de ressources. Une des choses que je veux faire, c'est une présentation pour les quatre nouveaux ministres provinciaux.

Dans le reste du Canada, il y a certainement des programmes qui ressemblent à celui-ci. Une fois encore, c'est une question de ressources. Le Service correctionnel nous a donné des fonds pour faire des recherches dans ce domaine, et nous avons visité certaines provinces canadiennes. Calgary fait du très bon travail avec son service de médecine légale. En Colombie-Britannique, un des modèles que nous avons vus était le projet Intermin(?) Stereo, qui ressemblait à celui que nous avons développé. Dans le nôtre, les gens se regroupent, il y a un intervenant pour chaque groupe de 10 personnes, et un fonds pour le café, et en fait on donne aux gens le financement qu'il faut pour ce travail pratique. Donc, il y a certains modèles dans d'autres parties du Canada, et nous recevons du financement des services de prévention du crime pour documenter le projet et pour l'élargir. Nous espérons voir ce qui se fait dans la province et ce qu'il nous faut pour encourager les autorités à mieux participer. Or, c'est souvent une question de ressources et une question de regrouper les gens et de les éduquer. C'est ça, le travail de développement communautaire.

Le président : Docteur Callanan, j'ai deux brèves questions. Ce que vous appelez une « ordonnance de traitement en milieu communautaire », c'est bien ce qu'on appelle le suivi intensif dans le milieu dans d'autres parties du Canada, n'est-ce pas?

Dr Callanan : Le suivi intensif dans le milieu? Non. Les ordonnances de traitement en milieu communautaire, qu'on appelle parfois des ordonnances de traitement obligatoire, découlent des dispositions des lois provinciales sur la santé mentale. En vertu de ces lois, certaines personnes en milieu communautaire peuvent être obligées de continuer le suivi de traitement psychiatrique.

Le président : Elles sont obligées de continuer à prendre des médicaments?

Dr Callanan : Elles sont obligées de prendre des médicaments et d'aller à leurs rendez-vous de traitement. Les programmes de suivi intensif dans le milieu sont des programmes volontaires. Les intervenants ont tendance à être des équipes interdisciplinaires, un groupe idéal pour répondre aux besoins de personnes avec des troubles mentaux graves et persistants. Ce serait le groupe idéal à mandater pour le maintien du contact avec une personne qui a reçu une ordonnance de traitement obligatoire.

Le président : Je sais que vous avez raison pour ce qui est de l'Ontario, mais dites-vous que dans certaines provinces on peut vous obliger à être traité, mais pas à Terre-Neuve? Est-ce que c'est correct?

Dr Callanan : C'est correct, et c'est la même chose en Saskatchewan. Je pense que la Saskatchewan a été la première province à établir ce système, et le Québec aura bientôt un système semblable. Ces dispositions ont été incluses dans la loi pour les personnes qui ont intégré l'hôpital de façon involontaire, et elles doivent être traitées si elles veulent quitter l'hôpital.

Le président : Cela nous amène dans le domaine des programmes obligatoires, de la vie privée et d'autres questions. Je suppose que c'est à cause de ça qu'on est réticent à établir ces programmes?

Dr Callanan : Je pense que oui.

Le président : Bon. Ma deuxième question porte sur la télésanté mentale. Au début de nos travaux, mais pas pendant cette session, quelqu'un l'a qualifiée de « thérapie Greyhound » parce qu'il n'y a pas de programme de télésanté, donc la personne devait passer deux heures dans un autobus Greyhound pour aller à une session de counseling. Si je suis mon instinct, j'ai l'impression que la télésanté mentale devrait fonctionner mieux que presque tout autre domaine du système de soins de santé, parce que la procédure est essentiellement la même. Vous n'avez pas besoin de contact physique. Vous avez dit que le programme fonctionne bien?

Dr Callanan : Oui, et nous avons les données pour prouver cela aussi.

Le président : Est-ce que le personnel de recherche a essayé de prouver d'une certaine façon que ça fonctionne vraiment bien? Est-ce qu'ils ont été plus loin que mon intuition? En d'autres mots, vous avez dit que le système fonctionne vraiment?

Dr Callanan : Absolument. Il y a des données publiées pour le prouver.

Le président : Pouvez-vous faire parvenir des données là-dessus à notre personnel de recherche?

Dr Callanan : Absolument.

Le président : Ce serait très utile.

Monsieur Chaulk, comme vous êtes revenu de l'Ontario, j'aurais deux questions très brèves pour vous. Premièrement, hier certains témoins nous ont dit que les provinces les mieux nanties offrent plusieurs services qui ne sont pas disponibles ici.

M. Chaulk : Oui.

Le président : Pourriez-vous nous envoyer une liste de ces services? Pour nous, il serait intéressant de documenter la différence, ou l'iniquité, si vous voulez, dans les services offerts dans les différentes provinces. Comme vous avez travaillé au sein du service de l'Ontario, cela serait très utile.

M. Chaulk : Oui.

Le président : Pourriez-vous aussi nous envoyer une copie de la vidéo de votre école secondaire, celle intitulée Out of the Dark? Je sais qu'elle a été faite il y a cinq ans, mais ce serait tout de même utile.

M. Chaulk : Je vous en ferai parvenir une copie.

Le président : Vous avez aussi parlé du concept de regroupement. Que voulez-vous dire par là?

M. Chaulk : Le concept de regroupement est un modèle de prestation de service qui remonte probablement à la fin des années 1960 ou au début des années 1970. Au début, c'était une approche sociale et récréative pour donner aux gens sortant des hôpitaux psychiatriques un endroit où aller pendant qu'ils étaient en milieu communautaire. Le concept a été élargi pour inclure des choses comme les programmes d'emplois de transition pour que les gens puissent être prêts à intégrer un emploi et puis à aller en milieu communautaire pour travailler pendant certaines périodes. Normalement, ils ne finissaient pas avec des emplois permanents à temps plein. Par exemple, Canadian Tire offrait un emploi au regroupement, et puis les membres du regroupement pouvaient intégrer l'emploi à tour de rôle. Puis, ils ont ajouté...

Le président : Un peu comme un programme d'éducation coopérative?

M. Chaulk : Oui, le programme ressemblait beaucoup à cela. Si la personne ne pouvait pas aller au travail à Canadian Tire un jour particulier, les membres du personnel du regroupement pouvaient y aller et faire le travail du client ou du consommateur ce jour-là. Dans les dernières années, ils ont élargi le programme qui comprend maintenant un service de logements subventionnés, de logements permanents. J'étais conseiller de programme pour Progress Place à Toronto, qui est probablement le plus grand regroupement du Canada. Je ne le considère pas comme étant un modèle actuel de prestation de service. En fait, j'habitais très près de Progress Place, au centre-ville de Toronto, et ça me faisait penser un peu à une mini-institution en milieu communautaire. Les gens y allaient pour satisfaire leurs besoins fondamentaux, comme des repas. Le regroupement pouvait offrir un service d'alimentation, un café ou un restaurant, donc ils pouvaient avoir un repas à prix modique. Pour beaucoup de gens qui ont des troubles mentaux graves et persistants, c'est ça la réalité. Quand leurs revenus sont faibles, il faut bien sûr répondre à certains de leurs besoins fondamentaux. Mais même si certains appuient ce modèle qui est accrédité dans toutes les parties du monde, j'estime que nous sommes allés au-delà de cette approche. Par exemple, vous parliez des services qui ne sont pas offerts ici et de ceux qui pourraient l'être en Ontario, et vous connaissez probablement certains exemples, comme A-Way Express, le service de messagerie géré seulement par les consommateurs.

Le président : Oui.

M. Chaulk : Ce sont les approches plus modernes et actuelles pour aborder les problèmes que le regroupement essayait d'aborder par le biais de son programme d'emplois temporaires.

Le président : Donc vous considérez que les projets du genre Mill Lane sont plus modernes, dans le sens qu'ils constituent une meilleure voie à suivre?

M. Chaulk : Je pense que les programmes évoluent dans cette direction. On veut qu'ils soient plus axés sur le consommateur et qu'ils dépendent moins de l'expertise professionnelle. L'idée c'est d'intégrer le milieu communautaire et d'offrir un service que la communauté recherche.

Le président : Et des emplois pour les consommateurs?

M. Chaulk : C'est exact. J'étais le premier expert-conseil pour le projet A-Way Express quand il était financé par le gouvernement de l'Ontario. Il y a 15 ans de cela. On leur a donné un demi-million de dollars pour organiser le projet ou le programme, et le gouvernement craignait beaucoup d'entrer dans ce domaine. Il avait l'impression de s'ingérer dans le secteur privé, dans le marché. On investissait des deniers publics dans un programme privé. On s'est demandé si, à un certain point, on pourrait non pas cesser mais réduire les investissements avec les années. Mais ça n'a pas été possible. L'infrastructure reste nécessaire. Mais à tout moment ils ont 100 messagers qui sont disponibles pour offrir un service et augmenter leur revenu.

Puis-je ajouter quelque chose à ce qui vient d'être dit?

Le président : Certainement.

M. Chaulk : L'ACSM se préoccupe beaucoup de la criminalisation des personnes atteintes de maladie mentale. Dans une province où les ressources sont rares, on a parfois recours à des solutions innovatrices. Au cours des derniers mois — et Mme Greene a participé aux discussions portant sur ce projet —, le gouvernement fédéral a financé le salaire d'un avocat qui est chargé de représenter les personnes atteintes de grave maladie mentale qui sont accusées d'une infraction en vertu du Code criminel. Nous avons aussi proposé au gouvernement fédéral de financer le salaire de personnes qui seraient des défenseurs des personnes atteintes de maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice. Cette proposition n'a pas été retenue, mais le gouvernement fédéral a décidé de financer le salaire d'un avocat. Cela nous place dans une situation assez difficile. L'ACSM est l'un des organismes qui ont appuyé cette proposition parce que nous avons vu qu'il y avait des personnes atteintes de maladie mentale qui se retrouvaient en prison et ce n'est certainement pas l'endroit indiqué pour une personne qui souffre de psychose. Les choses bougent cependant lorsque les gens commencent à se parler. Une personne obtient un rendez-vous avez le juge en chef de la Cour provinciale et elle commence à parler avec des membres de son personnel. Le juge convoque une réunion des fournisseurs de santé, les membres du groupe de Mme Greene, et cela aboutit à la mise sur pied d'un tribunal pilote de la santé mentale et la Health Care Corporation détache auprès de l'ACSM deux membres supérieurs de son personnel qui connaissent très bien la question de la criminalisation des personnes atteintes de maladie mentale. Cette initiative aide les personnes qui doivent comparaître devant les tribunaux. Si la Couronne convient que l'infraction qui est reprochée à une personne est liée à sa maladie mentale, le travailleur social et l'infirmière praticienne autorisée qui ont été détachés chez nous pour faire les évaluations cherchent à voir s'il n'y a pas des services qui conviendraient mieux à cette personne dans la collectivité. Il s'agit d'éviter qu'une personne atteinte de maladie mentale se retrouve à la prison locale.

Le président : Très bien.

M. Chaulk : Il y a aussi la question des services de soutien à domicile dans la province. Ce problème qui existe depuis longtemps soulève la question de la discrimination dont font l'objet les personnes souffrant d'une déficience. Comme Mme Greene le sait sûrement, la province a cependant fait de grands progrès dans ce domaine au cours de l'année et a attribué des fonds à la mise en œuvre d'un projet pilote qui permettra aux consommateurs de services de santé mentale d'obtenir des services de soutien à domicile. Nous formons à l'heure actuelle des travailleurs de soutien à domicile en nous appuyant sur le projet dont j'ai parlé dans mon mémoire et qui s'appelle Changing Minds. Dans les quatre régions de la province, nous avons formé des travailleurs de soutien à domicile qui aideront chez eux les consommateurs de services de santé mentale. Même si ce projet est toujours un projet pilote, il a jusqu'ici donné de bons résultats.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous nous avez fourni tant d'information et nous vous avons déjà posé tellement de bonnes questions qu'il est difficile de savoir si nous pouvons toujours vous en poser. Vous êtes ici grâce au soutien que vous avez obtenu du gouvernement fédéral. Nous sommes un comité sénatorial, mais nous représentons le gouvernement du Canada d'une certaine façon. Compte tenu des querelles qui existent entre les gouvernements provinciaux et fédéral, j'aimerais soulever une question sur laquelle j'aimerais connaître l'avis d'un d'entre vous.

Dans votre mémoire, madame Greene, vous dites que les programmes et les fonds fédéraux ne sont actuellement pas intégrés aux initiatives provinciales. Je me demande comment ces initiatives sont mises en œuvre étant donné que c'est le gouvernement fédéral qui transfère des fonds au gouvernement provincial dans le cadre du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Je sais que le gouvernement fédéral peut évidemment mettre en œuvre certains projets et je sais aussi évidemment que le système correctionnel relève du gouvernement fédéral. Vous nous demandez de recommander l'adoption d'un plan d'action national, mais vous dites aussi clairement que le gouvernement fédéral ne devrait pas intervenir dans ce domaine. J'aimerais donc que vous nous en disiez un peu plus long sur cet aspect de la question, c'est-à-dire sur le partage des compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux dans ce domaine.

Mme Greene : J'aimerais avoir tous les éléments qui me permettraient de répondre à cette question. Je vais vous donner un exemple de ce dont il s'agit. La Société canadienne d'hypothèques et de logement a récemment parrainé une consultation menée auprès de spécialistes du logement et des services de soutien. Ces spécialistes sont censés être allés dans tout le pays pour établir quelle forme pourrait prendre un cadre national en matière de logement qui ressemblerait à un plan d'action national. Ils ont tenu des consultations dans toutes les grandes villes et cinq consultations auprès de spécialistes. J'ai été invitée à participer à celle qui a eu lieu à Halifax. Je vous rappelle que cette consultation porte sur le logement et les services de soutien et que les services de soutien dans le domaine de la santé mentale sont actuellement financés par les gouvernements provinciaux. Ces consultations sont organisées dans tout le pays mais personne ne représente les provinces. Je pose la question de savoir pourquoi nous discutons de ce sujet en l'absence de nos homologues provinciaux. Le ministre du Logement de la Colombie-Britannique se trouvait sur place. Il a été heureux que je pose la question. On m'a cependant dit que je ne devais pas poser cette question. On m'a dit qu'on avait apparemment tenu une consultation auprès des spécialistes à Vancouver sur la question de l'« Horizontalité » — ce qui est apparemment le nouveau terme qu'on utilise dans le domaine du logement pour parler des échanges entre le fédéral et les provinces — , mais les représentants provinciaux qui avaient été invités à cette séance ne savaient même pas de quoi il s'agissait.

Voilà le genre de chose qui suscite beaucoup de frustration. Comme je l'ai dit au sénateur Kirby, j'ai lu vos rapports dans lesquels vous présentez une analyse approfondie de la situation. Au fin fond de moi-même, je me demande cependant ce que vous pouvez faire de concret. Le gouvernement provincial qui nous donne des fonds dispose de fonds limités. En fait, la province a perdu des fonds. Vous devriez donc établir des normes. Je pense d'ailleurs que c'est ce qu'un gouvernement national devrait faire.

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui.

Mme Greene : Le gouvernement doit établir des normes, augmenter le niveau de financement et veiller à ce que les fonds soient affectés au financement de services comme les soins à domicile et l'assurance-médicaments. Je peux cependant vous dire que la feuille de route du gouvernement fédéral n'est pas très bonne notamment dans le domaine du logement où il intervient par l'entremise de la SCHL. Nous n'avons pas à gaspiller des sommes importantes ou des ressources si les soins de santé relèvent du gouvernement provincial comme c'est le cas. Si, comme M. Chaulk l'a dit, la responsabilité du gouvernement fédéral est d'assurer l'équité dans le pays, ce qui signifierait qu'une personne de l'Ontario pourrait obtenir dans cette province un logement subventionné ainsi qu'un programme d'emploi subventionné, le gouvernement ne devrait pas hésiter à prendre les mesures voulues à cette fin, mais il doit éviter de créer des mécanismes superflus. J'hésite à le dire, mais des projets pilotes efficaces sont parfois la solution. Comprenez-vous ce que je veux dire?

Le sénateur Trenholme Counsell : Oui.

Mme Greene : J'aimerais que vous me disiez que vous allez créer des mécanismes par lesquels nous obtiendrons le financement dont nous avons besoin et nous verrons quel résultat cela donnera. Voilà plus ou moins quelle est ma position sur le sujet.

Le sénateur Trenholme Counsell : Il a été beaucoup question des avantages comparatifs des projets pilotes et des programmes. À mon avis, les projets pilotes sont souvent une très bonne façon de voir s'il convient de financer à long terme une initiative qui donne de bons résultats. Nous avons aussi beaucoup parlé d'un programme ou d'une stratégie à l'échelle nationale qui viserait à lutter contre la stigmatisation dont font l'objet les personnes atteintes de maladie mentale. Puisque j'ai lu votre biographie, monsieur Chaulk, je vais vous poser la question à vous. Comment pourrions-nous nous y prendre?

M. Chaulk : Comme vous le savez, l'organisme national auquel j'appartiens préconise l'adoption d'une stratégie pancanadienne en matière de santé mentale. Je suis d'accord avec un certain nombre d'observations qu'a faites Mme Greene. Je pense que le gouvernement fédéral devrait s'en remettre à nous, à l'échelon local, pour établir le contenu des programmes et des projets et devrait se contenter d'assurer un accès aussi équitable et facile que possible aux fonds nécessaires. En tant qu'ONG comptant quatre employés, nous avons du mal à accepter de devoir présenter pour une troisième fois une demande de subvention de 40 000 $ pour nous permettre de poursuivre notre travail.

Pour ce qui est de l'idée d'une campagne nationale de lutte contre la stigmatisation, je crois que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de chef de file et...

Le sénateur Trenholme Counsell : Nous voulons votre avis.

M. Chaulk : ... et vous voulez mon avis. Il faudrait que des ministres fédéraux se fassent les champions de cette campagne. Lorsqu'on examine l'évolution du système d'assurance-invalidité ainsi que les coûts liés aux jours de travail manqués pour cause de dépression, on voit que le problème est grave et qu'il s'aggravera d'ici 2020 d'après l'Organisation mondiale de la santé si rien n'est fait pour essayer de le régler.

Pour qu'une stratégie d'action nationale puisse porter fruit dans le domaine de la santé mentale, des maladies mentales et des toxicomanies, il faudrait que des ministres s'en fassent les champions. Un sous-ministre adjoint, par exemple, pourrait se faire le promoteur de cette cause au sein de la bureaucratie. Il faudrait que davantage de personnes connues admettent souffrir d'une maladie mentale. J'ai moi-même admis dernièrement avoir lutté pendant 20 ans contre la dépression. Comme je travaillais dans un hôpital psychiatrique et pour le ministère de la Santé, il y a une époque dans ma carrière où je n'aurais pas admis souffrir de dépression et cela parce que je n'aurais pas pu avoir accès à des projets intéressants. Quand une personne se sent bien, elle ne veut pas admettre avoir une maladie mentale de crainte que cela nuise à sa carrière.

Je pense qu'il serait bon que des personnes disent que les maladies mentales sont des maladies comme les autres. Il faudrait cependant que cela fasse partie d'une stratégie mise en œuvre à partir de la base. Il faudrait commencer à intervenir auprès des enfants dès qu'ils entrent à l'école en ayant recours à des moyens adaptés à leur âge et à leur niveau de développement. On pourrait aussi sensibiliser le public par l'intermédiaire des médias comme on le fait en disant qu'une personne sur cinq souffrira de maladie mentale au cours de sa vie. Une campagne ne peut cependant pas connaître le même succès si personne ne s'en fait le champion. Il faut que des personnes connues admettent publiquement avoir déjà souffert d'une maladie mentale.

Le sénateur Trenholme Counsell : Les champions sont des personnes, mais pouvez-vous penser à du matériel qui serait utile? Vous avez dit qu'on pourrait apposer des affiches dans les autobus ou les rames de métro. Pensez-vous qu'on pourrait trouver des champions au sein du ministère de la Santé publique? Il ne fait aucun doute que Carolyn Bennett joue le rôle de champion dans son domaine et que Ken Dryden est un champion du développement de la petite enfance.

M. Chaulk : Oui. Comme vous le savez sans doute, les deux ministres ont participé aux consultations et nous avons discuté avec eux de la promotion de la santé mentale et de la lutte contre la stigmatisation.

Le sénateur Trenholme Counsell : Pensez-vous que cela devrait relever du ministère de la Santé publique?

M. Chaulk : Je ne sais honnêtement pas à qui ce mandat devrait être confié. Il faudrait peut-être le confier au ministère qui pourrait assurer une optimisation des ressources. Le ministère de la Santé a certainement un mandat très vaste. La question a été soulevée lors des consultations avec Carolyn Bennett, mais on n'y a pas consacré beaucoup de temps. La santé publique est aussi un domaine de portée très vaste. Je ne pense pas pouvoir répondre de façon plus complète à cette question.

Le sénateur Trenholme Counsell : Permettez-moi de prendre quelques instants pour vous dire que la frustration que vous éprouvez au sujet des demandes à faire et des rapports à produire est pour moi le signe que les choses ont changé au gouvernement fédéral à cause des événements des dernières années, la mauvaise justification des fonds et l'insuffisance des règles.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je travaille de près avec des gens qui font de l'alphabétisation et ils ont dit exactement la même chose : il y a désormais beaucoup plus de formulaires à remplir et de rapports à produire. Cela ne changera sans doute pas sous peu; peut-être qu'avec le temps...

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Dans tous les ministères fédéraux, on tient à ce que les dépenses soient mieux justifiées.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Vous avez dit votre frustration. Je pourrais m'étendre là-dessus, mais je vous remercie.

Mme Greene : J'aimerais vous dire comment on combat la stigmatisation. Malgré l'argent qui est allé aux commandites et aux conséquences que cela a eues, je ne pense pas que ces fonds devraient aller à la Santé publique. En fait, il faut s'adresser au secteur privé, aux spécialistes du marketing. Quand je dis ça, je suis bien consciente du climat actuel. Nous avons néanmoins réussi à faire la campagne en faveur du port de la ceinture et de la lutte contre la conduite en état d'ébriété, deux réussites de notre génération. Je me souviens quand j'étais à l'université, tout le monde conduisait ivre. Personne ne portait sa ceinture de sécurité. Notre campagne a tellement réussi que c'est maintenant instinctif pour mes enfants. Je pense qu'on peut en faire autant pour la santé mentale, mais il faut une campagne de ce genre. Personnellement, je ne pense pas que c'est à un ministère fédéral qu'il faut la confier. Il faut aller voir ailleurs.

Le sénateur Trenholme Counsell : Pourtant, dans les deux exemples que vous donnez, la loi y est pour quelque chose.

Mme Greene : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : Ce que je veux dire, c'est qu'il y a une loi pour le port de la ceinture et des règles plus strictes pour combattre la conduite en état d'ébriété...

Mme Greene : Oui.

Le sénateur Trenholme Counsell : ...si bien que ce n'est pas forcément la même chose. J'avais l'impression que le développement communautaire se développait au Canada. Or, madame Greene, vous avez dit qu'il ne se fait absolument aucun travail de développement communautaire. Il y a longtemps que je m'occupe des affaires publiques. Il y a 30, 40 ou 50 ans, on misait beaucoup sur le milieu local puis, avec le temps, cela a perdu de son importance. Au cours des 10 dernières années, je pensais qu'il y avait eu un retour en force du développement communautaire, de la solidarité, du travail de proximité, toutes expressions d'emploi courant et que l'on y accordait à nouveau du prix pour faire bouger les choses.

Mme Greene : L'idée est revenue mais sous une forme différente. Si vous vous souvenez de l'époque de Linsky, le développement communautaire était considéré à la fois comme un concept et une méthode, ce qui suppose de travailler avec les gens et de les aider à se doter de moyens.

J'ai été une des premières à siéger au conseil du premier ministre provincial et nous étions animés par des principes merveilleux comme celui des solutions issues du milieu et « aider les gens à être un élément de solution », et nous accordions du financement à une personne dans chaque région.

Cela suppose surtout de rassembler les groupes, comme les conseils de soins de santé et les conseils scolaires et peut-être des représentants des ONG. C'est différent de ce que moi j'appelle le développement communautaire, qui est vraiment de travailler avec des groupes pour les aider à trouver leur propre voix. Il est certain que CHANNAL, que M. Chaulk et l'ACSM ont vigoureusement encouragé, en est un exemple. Ce que je dis, c'est que nous n'inculquons pas aux gens les vrais principes du développement communautaire, qui est de permettre aux gens et aux groupes de vraiment s'investir dans leur milieu.

Vous avez raison de parler d'un retour en force, mais les bases ne sont pas encore en place. Le nursing est revenu dans une certaine mesure, mais la formation est tout à fait différente. En travail social, mon domaine, je trouve que nous avons oublié nos racines et que nous sommes devenus des aspirants psychologues il y a bien des années. Je ne cesse de répéter qu'il faut revenir à ce qui nous distingue et nous donne de l'importance dans le continuum. Il y a de la place pour tout le monde. C'est pourquoi je pense qu'on ne soutient le développement communautaire que du bout des lèvres.

Dr Callanan : Je voulais faire une courte intervention au sujet de la stigmatisation de la maladie mentale. J'ignore quelle est la meilleure façon de vendre le programme, mais il est certain que la sensibilisation est essentielle. Quand on parle de l'ampleur de la maladie mentale, il faut savoir qu'à peu près 20 p. 100 de la population connaît des épisodes nettement symptomatiques. La stigmatisation est la conséquence du comportement d'un très petit nombre. Mme Greene nous a donné des cas tout à l'heure et la maladie mentale désigne soit un sujet troublé, soit un sujet qui trouble les autres. C'est lorsque le sujet trouble les autres que la stigmatisation apparaît en raison de fausses craintes de criminalité ou de violence.

Le sénateur Gill : Dans un document, peut-être celui de M. Chaulk, j'ai vu que vous appuyez la recommandation du comité d'aider les populations autochtones à constituer leurs propres programmes. Il y a quelques années, le ministère des Affaires indiennes transférait des fonds au gouvernement provincial ici pour offrir des services aux Autochtones, notamment de santé mentale. Je sais que la situation des Autochtones est particulière. Ces services leur sont-ils offerts?

M. Chaulk : Vous voulez dire en général?

Le sénateur Gill : Des traitements.

M. Chaulk : Oui, à ma connaissance, mais je connais mal ce secteur.

Dr Callanan : Certains services sont offerts. Il y a effectivement certains services qui le sont, mais sans doute peu par rapport à la demande globale. À mon avis, la meilleure façon d'assurer les services à notre population autochtone passe par le développement communautaire.

Le sénateur Gill : Oui.

Dr Callanan : C'est un secteur où nous commençons maintenant à reconnaître que ce que nous pouvons apporter, nous l'apportons sous l'angle de la médecine occidentale, et la psychiatrie étant une spécialité médicale, si je peux parler de ce point de vue, je pense qu'il faut beaucoup mieux comprendre cette collectivité, et certaines des façons dont nous pouvons le faire. Évidemment, certaines interventions spécialisées seront nécessaires mais la question est de savoir comment cette collectivité peut être aidée pour qu'elle puisse réagir elle-même.

Le sénateur Gill : Ces services locaux sont-ils offerts par le gouvernement provincial? Le savez-vous?

Mme Greene : Il y a tout un éventail de services. Par exemple, à Emmanuel House, un des seuls programmes de traitement alternatif de santé mentale dans la province, il y a souvent des Autochtones, de la côte du Labrador, et moi-même j'ai travaillé à Sheshatshiu et à Goose Bay. Les services sont offerts par la Labrador Inuit Association. Comme le Dr Callanan, je pense qu'il faut agir de façon plus systémique. Récemment, j'ai participé à une conférence de travailleurs sociaux et une d'elles est mariée à un Inuit. Elle a parlé des conséquences de son retour dans la nature et de ce genre de choses. Même si l'on reconnaît la situation catastrophique qui existe sur la côte du Labrador, les problèmes existent toujours. Il faudrait que vous en parliez aux gens de l'endroit, mais il reste beaucoup à faire pour résoudre les problèmes de santé mentale et de toxicomanie dans notre population autochtone.

Le sénateur Cordy : Monsieur Chaulk, vous parlez des difficultés qu'éprouvent les personnes âgées qui doivent s'occuper d'enfants adultes. Il y a quelques années, j'ai fait partie du Groupe de travail du premier ministre sur les aînés et c'est une des questions qui a été soulevée par des septuagénaires et des octogénaires qui devaient s'occuper d'enfants adultes à leur charge.

Je sais qu'on ne peut pas considérer la maladie mentale isolément et vous avez tous parlé des facteurs qui y contribuent : pauvreté, maltraitance, logement, discrimination, et ainsi de suite. Y a-t-il des programmes auxquels n'ont pas accès les personnes âgées qui soignent leurs enfants adultes parce que ceux-ci vivent avec eux? Je pense aux programmes de logement. S'ils cohabitent, cessent-ils d'avoir droit aux programmes qui sont offerts?

M. Chaulk : Voulez-vous dire : si vous êtes dans un programme pour personnes âgées?

Le sénateur Cordy : Je veux dire si vous êtes une personne âgée qui s'occupe d'un enfant adulte, avez-vous quand même droit au logement pour personne âgée? Les municipalités ont bien des logements pour les personnes âgées.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cordy : Êtes-vous non admissible au logement si vous vous occupez d'un enfant adulte?

M. Chaulk : Je ne suis pas sûr. Dans certains endroits, des règles limitent qui peut occuper le logement. Ce que je disais dans le mémoire, c'est qu'il faut des options pour l'enfant adulte atteint d'une grave maladie pour que cette personne puisse s'intégrer dans le milieu, comme n'importe quel autre adulte, sans forcément avoir à vivre avec ses parents à l'âge de 45 ans.

Un des problèmes pour nous ici, c'est le revenu que vous touchez si vous êtes un célibataire qui vit seul, c'est-à-dire environ 630 dollars par mois pour payer le loyer, le chauffage, la nourriture, tout. Si vous habitez chez vos parents et s'ils vous aident à mener votre vie, il vous faudra des appuis pour le faire vous-même comme de l'aide à domicile à laquelle nous n'avions pas droit par le passé mais qui commence à l'être. Le problème, c'est la disponibilité de l'assistance communautaire pour alléger la responsabilité du parent âgé et travailler avec l'enfant adulte qui peut ensuite vivre en société grâce à des aides adaptées. C'est ce que l'on pense aujourd'hui : les personnes atteintes d'une maladie mentale grave et persistante peuvent grâce à des aides adaptées vivre en société.

Le sénateur Cordy : C'est une solution gagnante pour le parent et pour l'enfant adulte qui devient alors autonome.

M. Chaulk : Oui. Dans mon mémoire, je parlais de petites sommes accordées par le gouvernement et des fondations de soins de santé pour faire plus de travail auprès des familles qui sont souvent les soignantes oubliées, n'est-ce pas? Au bureau, nous recevons des coups de téléphone d'une mère de 80 ans qui a un fils de 58 ans qui habite toujours avec elle et qui demande ce qu'on peut faire pour elle. Pour des parents âgés comme ceux-là et pour les familles en général, il doit y avoir des endroits où demander de l'aide. Quand vous leur parlez, ils se sentent coupables parce que leur enfant n'aura droit qu'à une certaine somme et il n'aura les moyens de vivre que dans un studio de transition délabré dans un quartier mal famé. Ils sont déchirés. Je sais que l'argent ne pousse pas sur les arbres, mais vu la prévalence de la maladie mentale et de l'invalidité qu'elle cause, notre secteur n'a jamais vraiment reçu un financement proportionné aux besoins du milieu.

Le sénateur Cordy : Vous avez parlé d'un groupe d'aide familiale qui sera créé à l'automne. De quoi s'agit-il exactement? Est-ce un groupe d'entraide? Expliquez-moi de quoi il s'agit.

M. Chaulk : Ce que j'en sais, c'est que c'est un modèle conçu aux États-Unis par la National Alliance for the Mentally Ill et adopté par des groupes canadiens. Des animateurs de groupes vont suivre une formation pour appliquer le modèle; les membres de la famille sont sélectionnés pour voir s'ils répondent aux critères du programme. C'est vraiment une méthode psycho-éducative d'une durée de 13 semaines, je crois. Nous avons les fonds pour lancer le programme et si les choses vont bien, s'il est bien accueilli, nous aimerions le conserver.

Le sénateur Cordy : Vous avez aussi parlé de prestation ininterrompue de services.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cordy : De fait, vous avez dit que l'on ne devrait peut-être même pas parler de système à cause de la fragmentation qui existe.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cordy : À Ottawa, quelqu'un a comparu et nous a présenté un diagramme de tous les services offerts : gouvernement fédéral, gouvernement provincial, ONG. À le regarder, je n'aurais aucune idée vers quels services orienter quelqu'un. Par où commencer? À qui faut-il s'adresser pour ouvrir la porte et recevoir de l'aide?

M. Chaulk : Il y a actuellement plusieurs points d'entrée. Souvent, il s'agit du médecin de famille qui l'orientera en fonction de ce qu'il sait des services qui existent localement. Comme je l'ai dit, à peu près 120 personnes nous téléphonent ou passent à notre bureau chaque mois simplement pour obtenir de l'information ou savoir à qui s'adresser. Il se peut qu'après la restructuration, les conseils régionaux puissent améliorer l'accès, mais le problème existe toujours. Le consommateur doit quand même frapper à plusieurs portes et répéter sans cesse son histoire, avec toutes les difficultés que cela suppose, à plusieurs personnes avant de trouver le bon endroit.

Le sénateur Cordy : Ou alors on téléphone et on entend : « Pour tel service, appuyez sur un; pour tel autre, appuyer sur deux; pour tel autre encore, appuyez sur trois » et à la fin il n'y a personne.

M. Chaulk : Oui.

Dr Callanan : Vous avez tout à fait raison et c'est une plainte que l'on entend souvent. Il n'y a pas de portail d'entrée et j'espère qu'au bout du compte un nombre appréciable de personnes sont satisfaites du service avec lequel on les a mises en rapport, mais elles disent : « Savez-vous que vous êtes la neuvième personne à qui j'ai téléphoné avant d'arriver ici; aucune des huit autres ne m'avait parlé de vous ».

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cordy : Madame Greene, vous avez parlé de la paperasserie qui vous est imposée. Combien de temps consacrez-vous à remplir des papiers? Avez-vous un pourcentage? Ça semble tellement lourd.

Mme Greene : Il est certain que ça m'occupe beaucoup et, pour être honnête, en plus de remplir des formulaires, je passe incroyablement de temps à des consultations comme celle-ci. Comme je l'ai dit au sénateur Kirby hier, je n'ai pas encore commencé la révolution et je dois encore faire de l'infiltration et mener des batailles. On se dit qu'il faut saisir chaque occasion, mais cela doit se faire entre les périodes où l'on s'occupe du logement, des itinérants, du soutien du revenu, de problèmes d'emploi, et cetera. J'aimerais insister là-dessus.

Je ne sais trop quelle est la façon la plus simple de procéder si vous me demandez une idée. C'est ce qui manque dans les organismes, et je sais que M. Chaulk est du même avis. Nous consacrons énormément de temps et d'énergie à des consultations et à nous déplacer parce que nous savons que si vous nous demandez d'échanger avec vous, nous devons le faire. Mais nos moyens sont limités surtout depuis que les cadres intermédiaires ont été supprimés. Les chances de prendre du recul, de réfléchir, d'écrire sur ce qui est efficace, tout cela s'est envolé, mais je ne cesse de répéter que nous devons trouver les fonds et des moyens.

J'aimerais mentionner quelque chose : il y a un ensemble domiciliaire vraiment extra à New York. Ils ont pris un vieil hôtel délabré de Times Square et l'ont transformé en ensemble domiciliaire extraordinaire. Ils ont reçu des fonds sous forme de crédits d'impôt. Je ne dis pas qu'il faut suivre le modèle américain mais dans ce cas, ils ont une unité de réplication, ce qui veut dire qu'ils ont des gens qui ne font que ça.

Pourquoi ne reproduisons-nous pas cette expérience? C'est qu'il faut de l'argent et les bailleurs de fonds ne fournissent habituellement pas de l'argent pour des adjoints exécutifs, des administrateurs, des contrôleurs. Cela suppose la mobilisation de moyens considérables; or, nos gens sont polyvalents à outrance; ils en font beaucoup trop pour essayer de répondre aux exigences.

Pour ce qui est de la présentation des demandes, les choses ont vraiment changé depuis le scandale des commandites. Oui, il faut rendre des comptes et avoir des normes mais cela demande des moyens. Je veux dire : s'assurer d'avoir de bons manuels d'orientation pour tout le personnel et des codes de conduite et tout le reste, ça demande énormément. À un moment donné, si c'est cela que vous voulez, il faut que cela entre en ligne de compte. Je sais qu'il y a l'initiative du secteur bénévole et j'hésite à dire « Tope là » parce que ça semble être une couche de plus, mais il faut des moyens auxquels les groupes peuvent s'adresser pour ce genre d'infrastructure, surtout ceux qui font le gros du travail du gouvernement en partenariat.

Le sénateur Cordy : Nos bureaux reçoivent souvent des coups de téléphone de gens qui doivent passer à travers la multitude de couches qui existent dans le système et une partie du problème aujourd'hui, vous pouvez l'imaginer, c'est que quand un député téléphone à un bureaucrate, il se fait répondre : « De quel droit osez-vous me téléphoner? » Je suis donc d'accord avec vous. Je pense que c'est un gros problème et que l'on pourrait gagner beaucoup de temps et éviter le surmenage.

J'ai déjà siégé au conseil d'administration de Phoenix House à Halifax et notre directeur exécutif passait un temps fou à faire des relations publiques qui étaient néanmoins importantes. Quand vous faites quelque chose de bien, les gens d'ailleurs vous téléphonent, vous demandent des renseignements et veulent en savoir davantage sur votre programme. C'est donc difficile.

J'ai aussi été intéressée quand vous avez parlé de champions. À Vancouver, Svend Robinson, Bill MacPhee et Rafe Mair ont tous comparu devant le comité. Comme vous, je pense que lorsqu'on associe un visage à une maladie mentale, la stigmatisation semble être moindre, mais c'est un cercle vicieux : tant que la stigmatisation existe, les gens ne veulent pas s'afficher.

Monsieur Chaulk, vous avez dit que vous aviez hésité à en parler au travail de peur de ne pas obtenir de l'avancement, par exemple. Michael Wilson fait beaucoup de bon travail dans ce domaine et a même été embauché par le gouvernement pour en faire plus.

M. Chaulk : J'ai entendu parler de sa nomination dernièrement et cela m'a fait très plaisir parce que j'ai déjà travaillé avec lui au Toronto-Peel Mental Health Implementation Task Force. Il sait par expérience quelle est la rançon de la maladie mentale. C'est une question épineuse et je pense qu'il faut une démarche multidimensionnelle. Tout à l'heure, je ne voulais pas dire qu'un ministère fédéral devrait s'en charger parce que pour avoir travaillé au gouvernement, je ne pense pas que l'expertise s'y trouve. Il faut s'adresser à des experts en communication pour élaborer une stratégie antistigmatisation. Cela prend du temps avant qu'elle donne des résultats.

Pour m'être prévalu pendant 20 ans des services de santé mentale, je sais maintenant que les choses changent et qu'il est plus facile de sortir du placard, en quelque sorte. À un certain âge, après avoir trouvé une certaine stabilité dans sa carrière, il faut faire le saut. J'aurais dû le faire il y a quelques années parce que ça été une libération. Quand les gens apprennent ce qui vous est arrivé, cela leur permet d'en faire autant : « Eh bien, vous savez, il se trouve que ma sœur aussi... » Dans les séances de sensibilisation que je donne, je parle de mon propre vécu. Cela brise la glace tout de suite parce que comme les chiffres le disent, une personne sur cinq et tout son entourage sont touchés. C'est un peu à chacun d'entre nous de saper cette stigmatisation et d'y associer son propre visage.

Le président : La semaine dernière, Svend Robinson a comparu devant nous à Vancouver et il nous a dit que d'avouer sa maladie mentale était sa deuxième sortie du placard. Elle était infiniment plus difficile que la première, a-t-il dit. C'est la première chose que je veux dire.

Deuxièmement, vous avez dit que cela brisait la glace. Je l'ai peut-être dit à Mme Greene hier. Quand nous parcourons le pays ou faisons des discours, la très grande majorité des membres du comité ont un membre de leur famille qui a eu une maladie mentale grave. Chaque fois que je fais un discours, c'est par cela que je commence. Le fait que cela brise la glace est tout à fait vrai. Tout d'un coup, nous ne sommes plus des gens qui élaborent des politiques dans l'abstrait, mais bien un des leurs et l'effet est immédiat.

M. Chaulk : Oui. Je suis d'accord avec Svend. Moi aussi, je suis sorti deux fois du placard. La première fois, comme gay, cela a été beaucoup plus facile parce qu'il y avait une communauté identifiable vers qui se tourner, dont vous faites partie et où vous n'êtes pas perçu comme différent. Pour moi, c'était il y a 20 ans.

Le président : La même chose pour Svend, en fait.

M. Chaulk : Il est vraiment intéressant que cela ait été plus facile pour moi qui travaillais à l'intérieur du système que de prendre le risque de dire : « Oui, j'ai recommencé à prendre des médicaments et je ne suis pas en vacances pour deux semaines. J'attends que le nouveau médicament me remette en état de revenir au travail et de me sentir un peu plus à l'aise. »

Ce qui est très important actuellement, c'est le travail fait par CHANNAL, le groupe que vous avez entendu hier, car il offre un lieu sûr à ceux qui veulent amorcer le processus de sortie du placard.

Le sénateur Cook : Merci à tous de vos témoignages très convaincants. Si nous regardons la personne au centre, je pense que la force est dans les histoires que nous nous racontons parce que, actuellement, je ne sais pas du tout comment trouver la personne qui est au centre parce qu'il y a tant de couches et tant d'éléments disparates qu'il faut considérer de manière holistique.

Si l'on parle d'éducation — alors oui, monsieur Chaulk, voici ma première anecdote. Samedi soir, je me suis rendue à un souper qui était une réunion des Guides du Canada qui se tient à cet endroit depuis plusieurs années. Pour nous divertir, il y avait un groupe d'environ 120 écoliers d'une école élémentaire de Paradise, et ils ont fait une présentation contre la stigmatisation. Je ne sais pas comment l'appeler autrement. Il y avait du chant, il y avait du dialogue, il y avait de l'action, il y avait des récitations, mais il y avait un thème commun. Lors de leur présentation, ils disaient : « Cela dépend de vous et cela dépend de moi. Ensemble, nous sommes une grande famille heureuse. » Je ne sais pas d'où cela venait, mais c'était incroyable. Je pense que l'éducation se fait sur le terrain.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cook : C'est dans une école parce qu'ils s'avançaient vers le microphone en disant : « Il ne faut pas être bête avec ses amis. Il ne faut pas voler ses voisins. » Tous les éléments étaient là, et cela m'a encouragée.

S'il s'agit d'une prestation ininterrompue de services, alors les choses se compliquent parce qu'une personne peut avoir un grand nombre de besoins. Si j'ai bien compris, je suis ici ce matin dans l'espoir que si nous vous écoutons avec votre expertise, alors nous pourrons offrir au gouvernement fédéral un plan national pour ce pays, une stratégie nationale pour la santé mentale. Nous serons en mesure de le faire après avoir écouté les récits des témoins.

Docteur Callanan, aidez-moi au peu au sujet du coût de la prestation des services. Après tout, vous êtes un expert. Même avec une grande vision et tout le matériel nécessaire, il s'agit toujours, en fin de compte, de dollars lorsqu'on traite avec le gouvernement. La prestation d'un système de télésanté et de télémédecine en bon état de fonctionnement coûterait combien? Je prendrai seulement mon île natale comme exemple car je viens d'ici, et ensuite nous pourrons servir d'exemple pour les autres parties du Canada, parce que l'Ontario rural n'est pas très différent de la Terre-Neuve rurale, et sa population est peut-être moins éparse.

Dr Callanan : Oui.

Le sénateur Cook : Madame Greene, depuis tout le temps que je vous connais, vous n'avez jamais renoncé à votre vision, et vous avez fait beaucoup de chemin dans la vie. Vous voulez savoir comment on peut enlever les obstacles afin de mieux réaliser l'objectif, qui est de fournir des soins à l'individu qui se trouve au centre de toute cette question. J'ai une seule question à vous poser : si le premier palier, c'est la bureaucratie fédérale ici même dans cette ville, dans cette province, alors où sont les obstacles? Quelles seraient les pierres qu'il faudrait ôter et comment pourrions-nous vous aider à le faire, car il est évident d'après votre présentation, que ces obstacles existent. Alors, voici mes questions. Comment pourrions-nous aider? Votre présentation, comme les présentations de tous les témoins que nous avons entendus dans tout le pays, montre que votre intention est claire, vous avez des réponses semblables et vos besoins ressemblent à ceux des autres parties du Canada.

Monsieur Chaulk, voulez-vous dire quelque chose?

M. Chaulk : Est-ce qu'on parle maintenant de télésanté?

Le sénateur Cook : Non, je laisserai ce sujet-là au docteur Callanan. Vous parliez d'éducation et de la prestation ininterrompue de services. Par où faut-il commencer, car d'après moi, ce n'est pas de la stigmatisation, c'est de la discrimination. Il faut appeler les choses par leur nom.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cook : Notre première étape devrait-elle viser le système scolaire et le programme d'études?

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cook : Et comme l'a proposé Mme Greene, devrions-nous faire faire ce travail par une agence de marketing? Il faut faire quelque chose.

M. Chaulk : Oui.

Le sénateur Cook : Si vous aviez un souhait à formuler ce matin, qu'est-ce que ce serait?

M. Chaulk : Il y aurait plusieurs composantes. Je crois qu'il faut qu'on puisse se fier aux médias et à la technologie qui pourraient présenter des renseignements et des images au public pour corriger certains des mythes et des stéréotypes, et je crois qu'il faut commencer chez les jeunes, en effet. Comme je l'ai dit dans mon exposé, notre ancien coordonnateur de l'enseignement — qui, malheureusement, est mort soudainement il y a à peu près un mois et demi — avait la capacité d'aller parler aux étudiants de 6e année. C'était un homme qui souffrait de schizophrénie, a beaucoup accompli dans sa vie, avait un diplôme universitaire et travaillait à temps partiel.

Tout dépend du matériel conçu, de l'approche qui est prise, et je crois que pour rejoindre les enfants et les adolescents — les adolescents tout particulièrement à cause de leur susceptibilité — il faut commencer par le système scolaire, et c'est en partie ce que nous avons essayé de faire.

Cependant, ce n'est pas le seul endroit où l'on rencontre des jeunes. Il faut aussi aller là où ils se sentent chez eux, dans les endroits qu'ils revendiquent comme étant les leurs, et où il est possible d'avoir un rapport différent avec eux. Cependant, je crois que le système scolaire est le point de départ.

Le sénateur Cook : Les concepts de la télésanté et de la télémédecine m'intéressent beaucoup, mais est-ce que la mise sur pied et l'entretien de tels systèmes coûtent très cher?

Dr Callanan : Il se trouve qu'à Terre-Neuve nous avons le réseau de télésanté le plus vaste et le plus ancien au Canada, et nous avons accès à 70 communautés à Terre-Neuve-et-Labrador grâce à ce réseau. Le printemps passé, le 25e anniversaire de la conférence du TETRA a eu lieu dans cet hôtel. Le problème, encore une fois, c'est que nous n'en faisons pas usage comme nous devrions le faire. Pour ce qui est du coût, la plus vaste étude faite sur la question a été menée par Richard O'Reilly à London en Ontario qui a travaillé avec un groupe de plus de 200 patients s'étant portés volontaires pour participer à l'étude, randomisée et contrôlée. En d'autres mots, le protocole de recherche a identifié les patients qui auraient une consultation télépsychiatrique plutôt qu'en personne avec le Dr O'Reilly à Thunder Bay. À la fin de l'étude d'un an, et malgré le fait que toutes les données n'ont pas encore été reçues, il s'est avéré que la télépsychiatrie permet d'épargner 20 p. 100. La comparaison incluait une évaluation du coût de l'achat de l'équipement et de son installation.

À Terre-Neuve, l'équipement et l'installation existent. Certaines régions ont leurs propres réseaux régionaux et dans le Canada atlantique, il y a un groupe qui s'appelle Tele-Mental Health Working Group, et malheureusement nous n'avons pas les mêmes capacités pour rejoindre et créer des liens entre les diverses communautés, comme par exemple entre Terre-Neuve et le Nouveau-Brunswick. On a eu du mal à tenir certaines réunions parce que nous n'avons pas tous le même type d'équipement. Je n'ai pas les connaissances techniques pour vous expliquer les différences, mais les liaisons par satellite, que je connais bien, se différencient des protocoles Internet, de la large bande et des lignes téléphoniques plus étroites que la large bande.

Le président : C'est la version moderne des chemins de fer à voies étroites.

Dr Callanan : Sauf que dans ce cas-ci, le problème n'existe pas uniquement à Terre-Neuve-et-Labrador, mais plutôt dans tout le pays.

Le président : D'accord.

Dr Callanan : Je peux vous donner un exemple anecdotique. Nous avons un réseau à Terre-Neuve. Une personne est venue nous voir dans notre clinique. C'était un professionnel qui s'apprêtait à commencer un poste dans une petite collectivité, et nous avons offert de lui offrir des services de télésanté plutôt que d'essayer d'organiser une visite à St. John's. À cause du stigmate qui existe, la personne a refusé d'aller au centre de télésanté local pour parler à un psychiatre à St. John's. Cependant, puisque le suivi était offert par un de nos étudiants, qui voulait faire la réservation et dire « un rendez-vous est disponible à telle date et à telle heure », nous nous sommes rendu compte que la liaison coûterait à peu près 240 $, mais personne n'était là pour payer la facture. La liaison coûte d'habitude à peu près 95 $ et puis c'est à peu près 60 $ l'heure pour continuer la consultation.

Cependant, il y a du travail qui se fait dans ce domaine. C'est à Terre-Neuve que le projet pilote est né, et maintenant qu'on a dépassé l'étape du projet pilote, ce programme devrait être déployé dans tout le pays.

Le ministère des Anciens combattants a un programme de soutien par les pairs et un programme de traitement pour les personnes qui ont servi dans l'armée et souffrent du syndrome de stress post-traumatique et d'autres conditions. Ces personnes peuvent venir à St. John's si elles le veulent, c'est là que la plupart des services sont offerts. Il y en a aussi à Corner Brook. Cependant, elles peuvent maintenant avoir accès à leurs conseillers via la technologie de la télésanté, et c'est en fait plutôt populaire. On s'est interrogé pour savoir pourquoi certaines personnes choisissent d'utiliser les centres de télésanté dans les petites villes, quelque chose qui commence à se faire maintenant en Nouvelle-Écosse et ailleurs au pays. Ce n'est pas pour remplacer ce qui existe, mais pour offrir aux anciens combattants une autre façon d'y avoir accès.

Le sénateur Cook : Madame Green, comme je l'ai dit, j'essaie de comprendre ce que nous pouvons tous faire pour aller de l'avant. Vous avez mentionné Harbour Breton, qui est à 20 milles de là où je suis née et où j'ai grandi. Hier, une jeune de Grole a comparu devant nous. Dans les années 80, elle avait été réinstallée à Harbour Breton. On parle d'un continuum. Je sais que depuis janvier ou février des délégations de cette communauté vont à Ottawa, elles essaient de trouver une façon de vivre là où elles veulent vivre du mieux qu'elles peuvent. Je suis consciente de mes faiblesses. Je ne suis pas une travailleuse communautaire. Nous ne sommes que leur porte-parole, et c'est malheureux pour les collectivités dans ma province, mais c'est un des défis de l'endroit où on vit, j'imagine. Cependant, en tant que leaders, il serait dommage que les ONG, les organismes à but non lucratif ou autres, les professionnels et les soi-disant politiciens ne travaillent pas ensemble pour aller de l'avant, essayer de se comprendre l'un l'autre et essayer de faire ce qu'il est possible de faire étant donné la réalité actuelle.

Je reviens à ma question : comment pouvons-nous vous aider?

Mme Greene : J'ai quelques idées là-dessus. D'une part, si les services que nous offrons sont des services provinciaux, il nous faut plus d'argent. Je sais qu'il y a eu une hausse importante du financement pour la santé, mais ce que j'aimerais voir ça serait peut-être des conditions rattachées à ce financement, ce qui obligerait les provinces à étudier certaines soumissions mixtes. On parle d'intégrer les services, et on se fonde sur le modèle de l'ACSM, en essayant d'intégrer l'emploi, la collectivité, la santé et le logement. Si certains fonds étaient dégagés pour les provinces, le gouvernement fédéral devrait stipuler que l'argent n'est accordé que si les provinces peuvent démontrer qu'elles éliminent toute forme de cloisonnement et prennent une approche intégrée et variée. Il faut créer des lignes directrices, mais je crois très honnêtement que vous allez devoir trouver une façon de faire fonctionner la collaboration fédérale-provinciale si le gouvernement fédéral veut fournir des services provinciaux. Je sais que vous avez rencontré notre ministre de la Santé. Il faut créer un milieu propice à la collaboration. J'aimerais rassembler les gens dans une pièce pendant cinq jours et tenir un atelier de transformation organisationnelle avec les décideurs pour savoir comment nous pourrions faire les choses différemment. En tout cas, ce serait une idée.

On a parlé d'une analyse coûts-avantages. Vous avez parlé du coût des choses. Il faut pouvoir rendre des comptes quant à l'argent que nous dépensons aujourd'hui. Soixante ou 95 $ de l'heure n'est pas un montant énorme quand on considère l'effet que cela a sur la vie des gens et le coût des établissements. J'ai entendu dire que nous avons la situation inverse ici. Quatre-vingt pour cent de nos patients se retrouvent dans des établissements psychiatriques plutôt que dans des hôpitaux généraux. Beaucoup d'argent est dépensé pour des systèmes onéreux, mais je crois qu'il faut faire de la recherche sur toute cette question.

Cela étant dit, les IRSC et le Secrétariat national pour les sans-abri nous ont demandé de mener de la recherche sur le logement et sur la santé. Quand il s'est agi des appels d'offres avec concours, on a dit : « Que ce soit pertinent. Ne gaspillez pas notre argent pour compter les sans-abri, et cetera. » Le processus d'appel d'offres avec concours s'est révélé bien trop théorique. Et on demande des ressources pour faire quelque chose! On a fait venir Bruce Pearce qui ne pouvait pas nous expliquer de quoi il était question. On a dit tout simplement : « Ça ne marche pas. On n'arrive pas à retracer cet argent. » Donc, l'argent continue à être versé à des universitaires. Je ne dis pas que tous les universitaires manquent de liens avec les collectivités. Il y a d'excellents universitaires de par le pays. Mais je crois que ce qu'il faut faire, ce sont des analyses coûts-avantages pour évaluer les solutions communautaires de façon conviviale.

Le sénateur Cook : Monsieur le président, vous vous souvenez sûrement du Programme de la santé du cœur qui était financé par le gouvernement fédéral et fourni par les provinces. Une fois le programme terminé, c'était fini. J'imagine que les personnes qui ont participé au programme en ont bénéficié, mais pour ce qui est de la population en général et du renforcement des capacités, ça n'a pas fonctionné. Je crois que je sais ce qu'il nous reste à faire. Il faut privilégier les programmes plutôt que les projets.

M. Chaulk : Tout à fait.

Le sénateur Cook : J'espère qu'on y arrivera. Je veux vous remercier de nous avoir fait part de votre vision, votre expertise, et cetera. Dites-nous tout simplement ce que nous pouvons faire pour vous aider.

Le président : J'aimerais remercier tous les témoins qui ont comparu aujourd'hui.

La séance est levée.


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