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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 1 - Témoignages du 3 mai 2006


OTTAWA, le mercredi 3 mai 2006

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 5 pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Jerahmiel S. Grafstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : C'est notre première réunion officielle au cours de cette nouvelle législature. Nous sommes absolument ravis de souhaiter la bienvenue aux nouveaux et aux anciens membres du comité, y compris mon vice-président, le sénateur Angus. Nous sommes, bien entendu, enchantés d'accueillir encore une fois David Dodge, le gouverneur de la Banque du Canada, qui comparaît devant notre comité deux fois par an pour nous donner son point de vue, conformément au mandat que lui confie la Loi sur la Banque du Canada.

Monsieur le gouverneur, l'audience est télévisée, comme vous le savez, aux quatre coins du pays et, par Internet, dans le monde entier. Chacun est suspendu à vos lèvres. De temps en temps, l'adresse de notre site Web s'affiche à l'écran, et nous serons heureux de recevoir des commentaires ou des questions des Canadiens et des Canadiennes.

Notre comité invite la participation de la population canadienne. C'est pourquoi nous entendons téléviser autant d'audiences que possible en direct ou quasiment en direct chaque fois que possible. Nous voulons que les Canadiens et les Canadiennes aient le sentiment de participer à nos délibérations. Ce n'est pas juste pour opiner que nous sommes ici à Ottawa. Nous sommes ici pour vous écouter et écouter ce que la population canadienne souhaite dire au sujet de nos délibérations.

Monsieur le gouverneur, je vous souhaite la bienvenue. Peut-être auriez-vous l'obligeance de nous présenter votre collègue.

Lorsque le gouverneur aura terminé son exposé, les sénateurs suivront la pratique habituelle et notre auguste vice- président mènera la danse en posant les premières questions.

David A. Dodge, gouverneur de la Banque du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président, et membres du comité. Paul Jenkins et moi apprécions vraiment la possibilité que nous avons, deux fois l'an, de vous rencontrer à la suite de la parution de notre Rapport sur la politique monétaire.

Comme vous l'avez mentionné, ces séances nous aident à bien renseigner les sénateurs, et par votre entremise, tous les Canadiens, au sujet de notre point de vue sur l'économie, de l'objectif de la politique monétaire et des mesures que nous prenons pour l'atteindre.

Lorsque M. Jenkins et moi nous sommes présentés devant vous en octobre, nous vous avons indiqué que l'expansion des économies mondiale et canadienne se poursuivait à un rythme solide, que l'économie du pays semblait fonctionner à pleine capacité et qu'elle continuerait de le faire en 2006 et en 2007.

À ce moment-là, la banque projetait alors que le taux d'accroissement de l'IPC global et de l'indice de référence se situerait aux alentours de 2 p. 100 à partir du deuxième semestre de 2006. Cette projection suppose que les coûts du pétrole seraient de 64 $ états-uniens le baril environ, soit le niveau indiqué à ce moment-là par les prix des contrats à terme. Nous faisions aussi l'hypothèse que les prix des produits de base seraient stables, que les dépenses publiques progresseraient en gros au même rythme que les recettes et que le cours du dollar canadien continuerait à se négocier dans une fourchette de 85 à 87 cents états-uniens.

Ce sont des faits que je rappelle à l'intention des nouveaux membres du comité, qui n'étaient pas des nôtres lors de la rencontre de l'automne dernier.

Jeudi dernier, a paru le numéro d'avril du rapport sur la politique monétaire, dont vous avez des exemplaires.

[Français]

Dans le numéro d'avril du Rapport sur les pratiques monétaires, nous expliquons que l'économie mondiale affiche un dynamisme légèrement plus grand que prévu. Le prix du baril de pétrole est d'environ dix dollars américains plus élevé qu'en octobre dernier et les métaux se sont considérablement renchéris depuis octobre. Le cours du dollar canadien a évolué dans une fourchette de 85,5 à 88,5 cents américains.

La Banque prévoit dans ce rapport que la croissance sera d'environ 3,1 p. 100 en 2006, de 3 p. 100 en 2007 et de 2,9 p. 100 en 2008. L'inflation mesurée par l'IPC global continuera d'être volatile, de dépendre de l'évolution des marchés du pétrole brut et du gaz naturel et avoisinera 2 p. 100 en moyenne en 2007 et 2008, si on exclut les effets d'une modification de la TPS. La Banque s'attend à ce que l'inflation mesurée par l'indice de référence remonte à 2 p. 100 au second semestre de l'année et demeure jusqu'à la fin de 2008.

[Traduction]

Cette projection repose sur trois hypothèses clés : premièrement, les cours de l'énergie resteront essentiellement aux niveaux indiqués par les prix des contrats à terme d'ici à 2008; deuxièmement, les administrations publiques canadiennes continueront à gérer des budgets relativement équilibrés pendant cette période; et, troisièmement, quelque chose de particulièrement important, la résorption ordonnée des déséquilibres mondiaux ira de pair avec une baisse graduelle du taux de change réel effectif du dollar américain.

Autre point important, nous avions assumé que le dollar canadien ne sera que légèrement touché par le recul de la devise américaine et cet ajustement se produira vers la fin de l'horizon projeté.

C'est sur ces suppositions que repose notre rapport.

Il est important de noter que des risques, tant à la hausse qu'à la baisse, pèsent sur la projection de la banque en matière de croissance et d'inflation. Nous jugeons que ceux-ci sont à peu près équilibrés, mais que les risques à la baisse seront légèrement prépondérants plus tard au cours de la période de projection, en raison de la possibilité d'une correction désordonnée des déséquilibres internationaux.

Nous considérons que cette éventualité est un peu moins probable qu'elle ne l'était à l'automne, à en juger par les signes des modifications des politiques dans certains pays et de la composition de la demande mondiale.

À la lumière de ces perspectives et de son évaluation actuelle des risques, la banque estime qu'elle pourrait devoir relever encore quelque peu le taux directeur afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales et de garder l'inflation au taux cible à moyen terme. Nous suivrons de près l'évolution de l'économie canadienne, en tenant compte de la hausse cumulative du taux directeur depuis septembre dernier.

Monsieur le président, en conclusion, je tiens à souligner que ce que nous exposons dans le rapport sur la politique monétaire publié en avril est une projection relative à la croissance et à l'inflation, et que cette projection est fondée sur les hypothèses dont je viens de parler. Nous la rendons publique pour que les Canadiens et les marchés financiers sachent sur quelle base la banque fonde le jugement qu'elle porte sur la façon dont l'économie évolue.

Je tiens à signaler que, lorsque nous établissons notre taux directeur, ce que nous faisons huit fois par an — les deux prochaines échéances étant le 24 mai et la mi-juillet —, nous évaluons toutes les informations disponibles sur les économies mondiale et canadienne en fonction de notre scénario de référence et les hypothèses sur lesquelles repose cette projection. Ensuite nous prenons les décisions qui s'imposent dans le cadre de notre politique monétaire.

Je pense, monsieur le président, que je vais m'en tenir là. M. Jenkins et moi répondrons avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, monsieur le gouverneur et monsieur Jenkins. Nous avons hâte de vous poser des questions. Avant de passer la parole au vice-président pour entamer la série de questions, je voudrais le féliciter de son influence auprès de l'actuel gouvernement. Dans une étude qui n'a rien à voir avec la présente audience, notre comité avait fait des recommandations clés en matière de politique. Or, l'élément du budget qui permet aux dons d'actions à des fondations publiques d'être déduits comme dons de bienfaisance répond à presque deux tiers des recommandations du comité. D'où mes félicitations au vice-président, qui a nul doute beaucoup influencé son ministre de l'époque, maintenant ministre des Finances.

Le sénateur Angus : Bienvenue monsieur le gouverneur et monsieur le vice-gouverneur. Je suis particulièrement heureux, après 13 ans de participation au comité, de pouvoir poser mes questions aux représentants de la Banque du Canada en tant que partisan d'un gouvernement en fonction, à la suite des événements du 23 janvier 2006.

La conjoncture actuelle amène les Canadiens à s'intéresser aux questions qui préoccupent énormément la Banque du Canada. Le sénateur Grafstein a dit que les Canadiens et les Canadiennes étaient suspendus à vos lèvres. Personnellement, je vous rappellerai les risques inhérents à la fonction de gouverneur, mis en lumière dans le National Post de ce matin. La leçon tirée de l'incident est que le gouverneur d'une banque centrale ne devrait jamais participer à une fête. En effet, dès qu'il prend la parole, les marchés sont tout ouïe et systématiquement affectés. Nous savons que vous pèserez dûment ce que vous allez dire à notre comité et aux Canadiens, selon votre habitude. Et je me joindrai au président pour recommander aux Canadiens de vous prêter une oreille attentive.

Je sais que, sans être un grand économiste ou un grand théoricien, le Canadien moyen est profondément préoccupé par le niveau actuel du cours du dollar canadien par rapport au dollar américain et par le prix de l'essence, soit plus de 1,03 $ par litre. Tous les Canadiens en parlent et ils se demandent ce que vous pensez des chiffres actuels et en quoi ils influencent votre opinion de la situation mondiale. Les sénateurs conservateurs auront de nombreuses questions sur ces points précis. J'aimerais entendre ce que vous avez à dire sur le prix de l'essence et le cours du dollar, et leurs répercussions sur l'élaboration des politiques. J'aimerais aussi avoir votre opinion sur l'une des notions fondamentales auxquelles vous faites toujours référence : l'économie canadienne et son fonctionnement.

Dans l'un de vos rapports les plus récents, vous avez dit que l'économie fonctionne à pleine capacité, voire à un niveau supérieur à la pleine capacité. Je ne prétends pas être un économiste savant et je me demande donc quelle est la limite. Qu'est-ce qui est au-delà de la pleine capacité? Si, comme je le crois, sous les conservateurs les temps sont fastes, et si l'économie continue à progresser, qu'arrive-t-il lorsqu'on atteint un certain niveau? À quel chiffre est-on au-delà de la pleine capacité?

M. Dodge : Il y a trois questions : le pétrole, le dollar canadien et ce que nous entendons par « capacité ». Ces questions importantes sous-tendent nos points de vue et ont des répercussions sur notre processus décisionnel. Permettez-moi de traiter de cela comme s'il s'agissait de trois questions distinctes, monsieur le président, parce que ces trois questions touchent au cœur de cette politique monétaire et à l'essentiel de ce qui se trouve dans le rapport.

Pour ce qui est de la première question, c'est-à-dire du pétrole brut et des produits dérivés du pétrole, nous ne sommes pas des spécialistes en la matière. C'est pourquoi, en ce qui concerne notre façon d'envisager les prix, nous avons décidé qu'il valait mieux nous concentrer sur la courbe des contrats à terme. Je vais vous dire ce qui, selon moi, influe sur cette courbe et pourquoi elle a atteint ce niveau-là à ce moment-ci.

À l'échelle mondiale, depuis quatre ans, l'année 2006 étant incluse, le monde a connu une croissance réelle de 4 p. 100. Nous n'avons jamais eu cela depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cela signifie que la demande d'énergie, et plus particulièrement de pétrole, a augmenté très nettement. Les économies émergentes qui connaissent la croissance la plus rapide, c'est-à-dire la Chine et l'Inde, sont d'énormes consommateurs de pétrole et de gaz. C'est là leur source marginale d'énergie. Il n'est donc pas surprenant qu'avec cette croissance rapide de la demande de pétrole provenant de ces nouvelles économies émergentes, jumelée à une forte relance des États-Unis, qui sont les plus grands consommateurs de pétrole au monde, la demande des quatre dernières années soit largement supérieure à la capacité de production, même si celle-ci s'est accrue. En fait, à ce moment-ci, l'augmentation du prix du pétrole est nettement le résultat d'une croissance de la demande.

Cette augmentation est donc différente de celle que nous avons connue au cours des années 70, ou ce sont des limitations de l'offre qui avaient poussé les prix à la hausse. Voilà donc pour le premier élément.

Dans le monde entier, les grandes pétrolières et les grandes transnationales se démènent pour accroître la capacité, mais il n'est pas facile de faire cela rapidement, même pour le pétrole facilement accessible de l'Arabie saoudite. La nouvelle production finira bien par arriver sur les marchés, mais en attendant nous sommes aux prises avec des contraintes de capacité en raison de la croissance ultrarapide de la demande mondiale. C'est cela qui a poussé les prix du pétrole à la hausse. Nous sommes si près de la pleine capacité que, s'il se passe quoi que ce soit dans le monde, nous pouvons perdre une partie de la capacité de production. Le prix actuel du marché inclut donc une prime de risque. D'une semaine à l'autre, les prix des contrats à terme évoluent en fonction d'événements géopolitiques indiquant un accroissement ou une réduction de la probabilité que la production s'interrompe quelque part dans le monde.

Cette augmentation dépend donc des marchés. Par conséquent, à court terme, aucun gouvernement au monde ne peut y faire grand-chose. Pour l'instant, nous allons devoir nous habituer à vivre avec des prix de pétrole plus élevés, ce qui, à moyen terme, accroîtra la production de pétrole, effet qui, à son tour, aura tendance à ramener le prix réel à un niveau plus bas. En outre, la montée des prix va se répercuter sur la croissance de la consommation et cela aura pour effet d'entraîner un nouvel équilibrage de l'offre et de la demande. Le plus sage est de suivre la courbe des contrats à terme. Aux vues de cette courbe, nous ne pensons pas qu'il y ait un dérèglement fondamental du mécanisme d'établissement des prix.

Votre deuxième question, sénateur, porte sur le dollar canadien. Je vais y répondre, avant de laisser M. Jenkins aborder votre troisième question, celle de la capacité. Je suis heureux que vous ayez soulevé ces trois questions.

Le sénateur Angus : Au sujet du prix du pétrole je ne sais pas si ceci est pertinent. J'ai eu le privilège, dans le cadre d'un voyage du Comité permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, d'être reçu très dignement et très chaleureusement par l'organisation des pays exportateurs de pétrole, à Vienne, en septembre dernier.

À l'époque, le prix variait dans la gamme entre 70 et 75 $. Les membres de l'OPEP nous ont dit qu'ils envisageaient que le prix recule et se stabilise aux alentours de 60 $, mais qu'ils n'avaient pas de préoccupations quant à l'offre provenant des pays de l'OPEP ni des grands pays exportateurs et que nous ne devions pas nous en préoccuper non plus. Leur préoccupation concernait la demande.

C'est donc un contexte intéressant. Cela a-t-il la moindre influence sur ce que vous avez à dire?

M. Dodge : Je ne suis pas du tout surpris qu'on vous ait dit cela. À l'instar de toutes les entreprises pétrolières canadiennes qui exploitent nos propres ressources, les pays de l'OPEP craignent un affaissement soudain des prix, qui ramènerait les prix bien en deçà du niveau nécessaire pour recouvrer les frais de mise en valeur des sources pétrolifères les plus coûteuses. Cela préoccupe toujours les producteurs des marchés des produits de base, qu'il s'agisse du pétrole, des métaux, ou des aliments. C'est le problème le plus important.

Bien sûr, ces producteurs voudraient qu'il y ait une garantie de stabilisation des prix, de sorte que le prix reste supérieur à un certain niveau pour l'avenir. Ces garanties sont difficiles à donner et, en fait, d'amères expériences dans toutes sortes de marchés de produits de base nous ont appris que, très souvent, ces garanties ne sont pas d'une grande utilité.

Le président : Monsieur le gouverneur, je voudrais aborder une question d'intendance. Je vois qu'un bon nombre de sénateurs veulent vous poser des questions et le temps passe. Il nous reste une heure et demie avant de devoir mettre fin à cette séance en raison de la non-disponibilité des locaux.

J'ai accordé plus de temps au vice-président parce que je savais qu'il allait tout de suite aborder des questions de fond. J'espère que d'autres sénateurs se limiteront à trois ou quatre minutes et que vos réponses, si vous le permettez, pourront être plus concises. Cela nous permettra d'avoir un meilleur échange de points de vue, chose à laquelle nous voudrions parvenir, plutôt que de nous parler sans nous écouter.

Nous commençons par le côté libéral. La parole est à l'auguste sénateur libéral de la Colombie-Britannique, le sénateur Fitzpatrick.

Le sénateur Fitzpatrick : Merci. Monsieur Dodge, monsieur Jenkins, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de nous avoir présenté, comme toujours, un exposé clair sur la situation monétaire. Vous faites un travail compliqué et important.

Il semble d'ailleurs encore plus difficile actuellement. J'ai entendu ce que vous avez dit au sujet des contrats à terme. Il y a donc multiplication des facteurs à prendre en considération, et ils auront un effet cumulatif sur la façon dont vous aurez à les traiter.

Vous ne pouvez évidemment pas faire de prédictions sur ce qui arrivera aux taux d'intérêt. Toutefois, si ces facteurs — c'est-à-dire le prix croissant du pétrole et le cours du dollar canadien par rapport au dollar américain — ont le même type d'incidence qu'une augmentation du taux d'intérêt, j'imagine qu'un autre aspect curieux de l'évolution du taux de change sera celui-ci : le prix de détail des marchandises n'a pas encore diminué, comme on pourrait s'y attendre. Je sais qu'il faut un certain délai avant que cela ne se produise. Toutefois, les prix n'ont pas diminué, même si le cours du dollar canadien est à la hausse.

Pouvez-vous nous dire, compte tenu de la juxtaposition de tous ces éléments, dans quelle mesure cela vous rend la tâche encore plus difficile?

M. Dodge : À bien des égards, votre question amplifie la deuxième question posée par le sénateur Angus. Elle indique avec précision les difficultés auxquelles nous faisons face.

Rappelons d'abord que, depuis 2003, le Canada profite d'une embellie des échanges. Cette amélioration a accru nos revenus et la demande étrangère de marchandises canadiennes. Dans l'ensemble, elle a certainement fait augmenter les prix que nous nous faisons payer.

Cette augmentation a poussé à la hausse le fonctionnement normal des marchés ainsi que le cours du dollar canadien. En janvier dernier, dans le Rapport sur la politique monétaire, nous avons montré, dans un encadré, comment nous examinons cette question. Nous appelons forces de « type 1 » les forces réelles qui s'exercent sur les marchés. Il est évident qu'en réaction à ces facteurs vigoureux, le dollar canadien s'adapte, de la même façon qu'il s'est adapté à la baisse après l'effondrement des prix des marchandises à la fin des années 90. Il s'agit là d'une réaction primaire.

Nous avons également identifié ce que nous appelons des facteurs « de type deux », sans rapport avec la situation au Canada, mais en rapport avec ce qui se passe ailleurs dans le monde. La façon d'aborder ces questions dans le cadre de la politique monétaire est différente, parce que le rajustement de type un, le rajustement réel, fait partie des facteurs inhérents au marché, et nous n'avons pas à prévoir de compensation dans la politique monétaire pour ce rajustement. Le rajustement de type deux est bien différent, et nous devons y adapter soigneusement notre politique monétaire.

Nous avons dit que du moins jusqu'au début de cette année, l'essentiel du rajustement du dollar canadien a résulté des forces du marché. Mais de toute évidence, chaque fois que nous prenons une décision de politique monétaire, nous devons évaluer la situation du moment. Le 24 mai et à la mi-juillet, nous allons l'évaluer et considérer l'évolution du dollar canadien au cours de la période de référence pour voir comment elle peut infléchir nos politiques.

Le taux de change du dollar canadien n'est que l'un des nombreux facteurs dont nous tenons compte. Mais tous les Canadiens doivent comprendre que nous en tenons compte.

J'aimerais inviter M. Jenkins à dire quelques mots des autres éléments à considérer, car vous avez posé une question concernant les effets du dollar canadien sur le prix des biens et des services importés au Canada.

M. Jenkins : Merci, gouverneur. Permettez-moi d'ajouter quelques commentaires à ce sujet.

Tout d'abord, la force du dollar canadien contrebalance l'augmentation du dollar américain pour de nombreux produits, comme vous l'avez dit, sénateur. On le constate par l'inflation des chiffres dont nous suivons l'évolution, mais nous observons également d'autres facteurs en jeu. Par exemple, quand on considère l'indice des prix à la consommation, on voit bien l'effet des prix de l'énergie.

On constate également une pression à la baisse sur les prix à la consommation pour les biens qui entrent au Canada. Cette diminution est particulièrement évidente dans deux domaines, à savoir les biens semi-durables et les biens de consommation durables, à l'exclusion de l'automobile. Cette diminution est imputable à la concurrence mondiale.

Parallèlement à cela, l'économie canadienne fonctionne à pleine capacité, sinon légèrement au-delà de sa capacité et commence à manifester des points de tension. Notre mission consiste à faire le total de tous les facteurs en jeu, et c'est tout cela qui sous-tend les prévisions présentées dans notre Rapport sur la politique monétaire. Dans ce rapport, on voit l'indice des prix à la consommation et ce que nous appelons notre indice de référence de l'inflation qui se rapproche de notre taux cible de 2 p. 100 d'inflation au deuxième semestre de cette année, dans le cas de l'indice de référence, et au début de l'année prochaine dans le cas de l'inflation mesurée en fonction de l'indice des prix à la consommation.

À notre avis, il s'agit là de forces concurrentes. Notre tâche consiste à en faire la somme pour avoir une idée de la situation d'ensemble, des pressions inflationnistes et des politiques à mettre en œuvre pour y faire face.

Le sénateur Fitzpatrick : J'aillais dire que ce sont déjà des choses qui se produisent actuellement. Le maintien de l'inflation à ce niveau a-t-il des conséquences?

M. Jenkins : Nous constatons effectivement des forces qui exercent une pression à la hausse sur l'inflation. Il y en a aussi d'autres qui exercent une pression à la baisse.

Comme nous l'indiquons dans notre rapport, au point d'équilibre des forces, on constate que l'inflation se rapproche de notre objectif cible de 2 p. 100, mais nous indiquons également que conformément à ce bilan, une modeste augmentation du taux d'intérêt de notre politique pourrait s'imposer. Cependant, comme l'a dit le gouverneur, nous réévaluons la situation à chaque prise de décisions en matière de politique.

Le sénateur Tkachuk : J'aimerais poursuivre les propos du sénateur Fitzpatrick. Dans votre mémoire, vous dites que vous atteignez votre objectif de 2 p. 100 d'inflation malgré les prix de l'énergie. Il faut donc procéder à des corrections sur d'autres prix pour qu'il en soit ainsi. Le dollar a atteint 90 cents américains. Je suis favorable à un dollar fort, et le nôtre a connu une hausse rapide; or, depuis un an, le prix de l'argent, le loyer de l'argent, n'a augmenté que de 20 p. 100. Les taux hypothécaires, par exemple, sont passés de 3,9 p. 100 à 5 p. 100, tandis que le taux préférentiel a augmenté d'un point. Cette augmentation doit avoir à elle seule un effet inflationniste. Si les objectifs sont atteints et que les taux d'intérêt sont inférieurs à ceux des États-Unis, qu'est-ce qui pousse la banque à faire monter le prix de l'argent?

M. Dodge : Comme vous le savez, notre tâche consiste à maîtriser l'inflation à moyen terme. Après le ralentissement de l'an 2000 puis la crise du 11 septembre 2001, nous avons connu au Canada comme aux États-Unis une période de faibles taux d'intérêt. Notre taux directeur ainsi que les taux à long terme ont atteint des niveaux exceptionnellement bas. À partir de 2003, nous nous sommes efforcés d'empêcher la hausse de nos taux pour permettre à l'économie de s'adapter à la hausse du taux de change du dollar canadien. Nous avons été plus lents que les États-Unis à permettre une remontée des taux.

À l'heure actuelle, nos taux d'intérêt à long terme sont à un niveau exceptionnellement bas par rapport aux taux américains, et à un niveau nominal très faible. Les taux gouvernementaux à long terme sont à environ 4,4 p. 100, c'est- à-dire, pour ceux d'entre vous qui peuvent se souvenir de l'époque de l'emprunt de conversion, exactement aux taux qu'on a connus au milieu des années 50. Nos taux sont très bas, à un niveau historique par rapport aux États-Unis, et nous sommes à l'extrémité de la courbe.

On peut considérer que cette situation n'est pas très souhaitable à un moment où nous nous heurtons à la pleine capacité de production. Si notre taux directeur est toujours relativement bas, c'est notamment parce que nous voulons évaluer soigneusement les effets des mesures prises jusqu'à maintenant en prenant en compte leur interaction avec le taux de change.

L'hypothèse selon laquelle nous avons des taux élevés n'est pas tout à fait juste, sénateur.

Le sénateur Tkachuk : Le fait que les taux ne soient pas élevés ne signifie pas qu'ils n'ont pas augmenté. Ils ont augmenté de 20 p. 100. La banque a stimulé l'économie grâce à de faibles taux d'intérêt. Les taux étaient bas, l'économie s'en est trouvée stimulée et les gens ont trouvé du travail. Notre dollar se renforce, mais il faut que les entreprises aient le temps de s'adapter à la force du dollar. Elles auront du mal à le faire, compte tenu de la hausse du dollar depuis six mois ou un an. Vous aggravez leurs difficultés en faisant monter les taux d'intérêt.

Il ne suffit pas de dire que comme l'argent ne coûte pas cher, il n'a pas augmenté. Il a augmenté, et je vous demande pourquoi on a dû le faire augmenter aussi vite à un moment où le dollar s'envolait vers le niveau des 90 cents.

M. Dodge : En deux mots, nous pensons que cette augmentation est nécessaire pour maintenir l'inflation à 2 p. 100 à moyen terme.

Le sénateur Tkachuk : Vous allez mettre les gens au chômage à coup sûr.

Le sénateur Moore : Monsieur le gouverneur, il y avait vendredi dernier dans le Globe and Mail un article où l'on vous demandait ce qui était le plus urgent dans la gestion des affaires publiques pour amener le Canada au-delà de sa structure économique actuelle. Vous auriez alors répondu :

Le mieux que puissent faire les gouvernements est d'adopter des politiques qui nous permettent la plus grande souplesse face à une économie mondiale en évolution constante.

Autrement dit, laissons les marchés faire leur travail. Nous avons besoin de bonnes politiques macroéconomiques — d'une politique financière qui préserve l'équilibre des finances publiques et une politique monétaire grâce à laquelle l'inflation restera faible, stable et prévisible. Et nous avons besoin de politiques qui atténuent les obstacles au mouvement des ressources d'un secteur à l'autre, et qui permettent aux biens et aux services de circuler librement dans toutes les régions en fonction des écarts de rendement de l'économie.

En plus de l'influence de ces facteurs mondiaux dont vous avez parlé à propos de la demande de produits, notamment de produits énergétiques, et cetera, l'Alberta et la Colombie-Britannique ont annoncé qu'elles éliminaient certains obstacles, ce qui devrait rapporter plusieurs centaines de millions de dollars pour stimuler leurs économies. Que se passerait-il si les obstacles étaient éliminés de la même façon dans l'ensemble du pays? Qu'est-ce qui en résulterait pour notre économie? Deuxièmement, si nous avions une seule autorité de réglementation du marché des valeurs mobilières, qu'est-ce qui en résulterait pour notre économie interne, indépendamment des facteurs mondiaux dont il a été question aujourd'hui?

M. Dodge : Il serait très utile de supprimer les obstacles à la libre circulation des travailleurs dans le pays. Je ne peux pas vous donner de chiffre précis, mais je peux vous dire que depuis 40 ans que nous travaillons sur cette question, le bilan des progrès est vraiment décevant. Personnellement, je me suis réjoui de l'entente entre l'Alberta et la Colombie- Britannique. Ce serait bien que toutes les provinces en fassent autant et qu'on reconnaisse les titres de compétence des professionnels et des techniciens brevetés et qu'on les laisse exercer librement partout dans le pays. Il est évident que cela donnerait plus de souplesse à l'économie du Canada.

Pour ce qui est de la réglementation des valeurs mobilières, je ne veux pas me laisser entraîner dans le débat sur la question de savoir s'il faut un unique organe de réglementation ou diverses formes structurelles. Ce qui importe, qu'il y ait ou non un organisme de réglementation unique, c'est qu'il y ait un ensemble commun de règles pour le marché des capitaux au Canada de manière à ce qu'un émetteur installé à un endroit puisse avoir la garantie que ce sont les mêmes règles qui s'appliquent à lui ou à son entreprise partout dans le pays. C'est cela qui compte vraiment.

Deuxièmement, nous devons éviter de nous concentrer seulement sur la forme. Le fond compte énormément ici. Il faut bien comprendre qu'au Canada nous avons non seulement des entreprises qui brassent des affaires dans le monde entier et qui doivent émettre des valeurs à New York et à Londres, elles sont donc tenues par les règles de New York et de Londres, mais aussi de nombreuses petites et moyennes entreprises qui émettent des valeurs au Canada et fonctionnent au Canada. Il faut donc que les règles, et notamment leur application — les principes sont les mêmes pour tout le monde — soient correctes.

Naturellement, les détails de la réglementation qui s'applique à une petite entreprise minière ou à une jeune entreprise de haute-technologie sont très différents de celle qui s'applique à la Banque royale du Canada, par exemple. Mais l'intention demeure la même, il s'agit de garantir une divulgation raisonnable de ces valeurs à l'acheteur.

Le sénateur Moore : Les Américains s'inquiètent de l'augmentation du nombre d'émissions publiques à la Bourse de Londres, au point que le NASDAQ se propose d'acheter la Bourse de Londres.

Le NASDAQ dit que c'est à cause de la difficulté de faire respecter les « principes Enron », les règles mises en place en vertu de la Loi Sarbanes-Oxley, la SOX, dans la foulée de ces débâcles aux États-Unis. Notre économie peut-elle fonctionner sans un organe de réglementation unique? Les gens peuvent-ils se tourner vers l'étranger pour leur financement?

M. Dodge : Certainement. Nous sommes en concurrence avec New York, Londres et l'Australie. L'Australie a réussi récemment non seulement à regrouper ses bourses mais aussi à avancer sur sa réglementation des valeurs. Il est important que nous en fassions autant.

Les autorités canadiennes en valeurs mobilières, les ACVM, se sont entendues sur la question de la gestion des contrôles internes. C'est une démarche raisonnable qui convient bien aux entreprises canadiennes et n'obligera pas tout le monde à faire les mêmes contorsions que les émetteurs de New York qui doivent se conformer à la réglementation SOX 404. L'article 404 de la Loi Sarbanes-Oxley est à peu près long comme ceci. La réglementation correspondante fait à peu près ceci d'épais.

Le président : Je suis heureux que le sénateur Eyton soit maintenant arrivé. C'est un vieil ami mais un nouveau membre du comité. Bienvenue, sénateur Eyton.

Le sénateur Eyton : Merci, monsieur le président. Je donne peut-être aussi l'impression d'être un débutant.

J'ai passé une bonne partie de ma vie à essayer d'éviter les risques, mais en vain la plupart du temps. Toutefois, vous m'avez intrigué lors de vos remarques liminaires quand vous avez dit que des risques, tant à la hausse qu'à la baisse, pesaient sur la projection de la banque en matière de croissance et d'inflation. Vous avez dit que la banque jugeait « que ceux-ci sont à peu près équilibrés, mais que les risques à la baisse seront légèrement prépondérants plus tard au cours de la période de projection » et que vous considériez que cette éventualité était un peu moins probable qu'elle ne l'était précédemment.

Tout cela m'inquiète un peu. On dirait que vous montez un animal plutôt nerveux et qu'il y a toutes sortes de considérations.

J'aimerais parler un peu du risque concernant le dollar canadien. Nous avons tous lu diverses projections qui semblent toutes faire de la surenchère, qu'il s'agisse d'une banque, d'un économiste ou d'un organisme international. D'après les fourchettes que je vois le plus souvent, notre dollar dépasserait largement les 90 cents, pour se situer probablement aux alentours de 95. Je crois que la banque nationale prévoyait la parité d'ici à la fin de l'année. Tout cela a des conséquences directes sur l'économie canadienne.

La banque a-t-elle envisagé ce scénario? Le jugez-vous vraisemblable dans le contexte actuel?

M. Dodge : Comme vous le savez, les marchés ont souvent tendance à exagérer, mais d'après notre expérience, les analystes de marché ont tendance à exagérer encore bien plus que les marchés eux-mêmes. Quand le dollar canadien valait 62 ou 63 cents américains, les analystes annonçaient que la prochaine étape allait être un dollar à 50 cents. Maintenant qu'il est à 90 cents, ils disent que la prochaine étape, ce sera la parité. On constate une tendance compréhensible mais néanmoins réelle à exagérer ces mouvements.

Comme nous l'avons souligné en janvier dernier — et je vais demander à M. Jenkins de revenir là-dessus, car il est important que les Canadiens et vous-même compreniez bien comment nous voyons les choses — il y a des facteurs fondamentaux à la base de l'économie et ensuite il y a ce que nous appelons les facteurs de type deux. Naturellement, pour établir la politique monétaire, nous devons bien connaître et bien analyser les questions fondamentales qui déterminent notre politique.

Puis-je vous demander d'enchaîner, monsieur Jenkins? C'est une question importante qu'on ne comprend pas toujours aussi bien qu'il le faudrait.

M. Jenkins : Oui, tout à fait, c'est une question fondamentale quand on établit la politique monétaire. Quand le taux de change fluctue, monsieur le sénateur, la première question qu'on se pose, c'est : pourquoi bouge-t-il? S'il bouge en raison de fluctuations de l'économie mondiale qui ne représentent ni une augmentation ni une baisse de la demande de produits canadiens, nous considérons que le taux de change joue correctement son rôle de dispositif d'ajustement des prix sur le marché en fonction de la conjoncture internationale. Prenez par exemple les crises qui se sont produites en Asie : à une époque où l'économie mondiale était faible et où de fortes pressions à la baisse se sont faites sentir sur les cours des denrées, le dollar canadien a logiquement réagi à la baisse. Depuis quelques années, c'est plus ou moins le contraire, l'économie mondiale est forte et le cours des denrées est à la hausse, et le dollar canadien se renforce en conséquence.

Mais, comme plusieurs d'entre vous l'ont souligné, la rapidité de cette hausse de notre dollar et le niveau qu'il a atteint entraînent des tensions dans certains secteurs de notre économie. Nous le savons très bien. Pour savoir quelle est la bonne politique à adopter, il faut poser la question fondamentale, à savoir pourquoi le taux de change évolue-t-il.

Je vous ai décrit ce que nous appelons, et le gouverneur en a parlé il y a quelques instants, un mouvement de type un dans le taux de change. Mais le taux de change peut évoluer pour d'autres raisons aussi. Il peut fluctuer en fonction de facteurs qui n'ont pas de lien direct avec ce qui se passe dans l'économie du Canada. Par exemple, si le dollar américain subit une pression à la baisse en raison de l'important déficit du compte courant des États-Unis, cela ne signifie nullement qu'il y ait une création de demande dans le monde. Cela ne correspond pas à une demande de produits canadiens. C'est tout simplement le marché qui réagit au fait que les États-Unis ont un déficit considérable de leur compte courant. Dans ce cas, il faut essayer de comprendre pourquoi le dollar change, mais les répercussions de ce genre de situation sur la politique monétaire canadienne ne sont pas les mêmes que dans le cas d'un mouvement de type un.

C'est une question excellente mais très complexe. Nous essayons de bien organiser notre réflexion. Autrement dit, nous essayons de voir comment nous percevons le taux de change, ce que nous appelons le paradigme ou le cadre en fonction duquel nous examinons toutes ces questions de façon à permettre aux analystes du marché d'examiner l'évolution de la situation à peu près dans le même contexte.

C'est une bonne question. C'est là quelque chose à laquelle nous accordons beaucoup d'attention et que nous examinons de près pour essayer de comprendre.

Le sénateur Fitzpatrick : Pourrais-je poser une question complémentaire? Je pense que cela s'inscrit dans la même veine, mais vous allez devoir me préciser ce qu'il en est.

En ce qui concerne les taux de change, l'une des choses que l'on peut constater, c'est que les ventes d'or montent et le prix aussi. Comme on semble acheter de l'or plutôt que des dollars américains, ce phénomène a-t-il un effet amortisseur sur la valeur du dollar canadien? À votre avis, que se passe-t-il dans le cas de l'or?

M. Dodge : Par rapport au dollar canadien, les métaux de base sont beaucoup plus importants que l'or lorsqu'il s'agit de déterminer les tendances. Nous exportons peu d'or mais beaucoup de métaux de base et, comme vous le savez, si vous consultez les graphiques, vous pouvez voir que le prix de l'or et celui d'un certain nombre de métaux de base sont à la hausse. Cette courbe haussière est beaucoup plus importante que tout ce qui se passe actuellement.

Le président : J'ai permis au sénateur Fitzpatrick de faire passer cette question par la petite porte, mais je vais maintenant être un peu plus strict. Sénateur Eyton, auriez-vous une dernière question complémentaire à poser?

Le sénateur Eyton : C'est bien une question complémentaire, mais elle appelle peut-être une réponse un peu plus longue.

Il est certain que l'appréciation du dollar et du taux de change a une influence variable selon le secteur et selon la région. Pourriez-vous nous dire brièvement en quoi l'économie canadienne pourrait réagir à ce genre de pressions?

M. Dodge : Sénateur, vous avez raison de dire que certains secteurs ont du mal à s'adapter, non seulement à l'évolution du cours du dollar, mais également à l'intensification de la concurrence, surtout de la part de l'Asie. Cet état de choses fait que les fabricants de produits de consommation, en particulier de produits textiles, de meubles, et cetera, ont de la difficulté à s'adapter.

Ces secteurs sont en régression. Les producteurs canadiens trouvent bien le moyen de faire des économies de main- d'œuvre et de sous-traiter à l'étranger. Depuis 18 mois, nous avons constaté un fléchissement de l'ordre de 7 ou 8 p. 100 des emplois dans le secteur manufacturier, ce qui correspond à peu près à l'augmentation des emplois et de l'activité du secteur manufacturier, soit environ 10 p. 100, que nous avions connue après la dépréciation du dollar en 1997.

Ici, c'est le marché qui est à l'œuvre. Cela ne veut pas dire que la vie soit facile pour les compagnies intéressées ou certains des travailleurs, surtout ceux qui sont situés dans les régions les plus éloignées. Sur les marchés de l'emploi plus concentrés comme la région de Montréal ou la grande région de Toronto, la situation n'est pas si mauvaise. À tout le moins, ces travailleurs peuvent-ils trouver un autre emploi. Mais la situation est plus difficile pour les salariés des localités plus éloignées. Et il est certain que nous sommes parfaitement conscients de cela.

Sénateur, vous avez comme moi connu des situations de ce genre dans les années 70 et dans les années 80. L'adaptation de l'économie canadienne est actuellement beaucoup plus rapide que ce que nous avions connu pendant ces années-là. Nous avons maintenu la demande à un niveau relativement élevé. Certains secteurs de l'économie sont vigoureux, contrairement à ce qui s'est passé au début des années 90, lorsque nous étions passés par une période d'adaptation relativement difficile. L'adaptation se fait, même si elle est difficile pour un certain nombre de salariés et d'entreprises.

Le président : Nous allons maintenant entendre le sénateur Harb, puis se sera au tour du sénateur Di Nino, qui représentent tous deux l'Ontario.

Le sénateur Harb : J'ai écouté avec intérêt ce qu'a dit M. Jenkins au sujet de la possibilité que la balance commerciale soit un facteur en cause dans la baisse de la devise américaine. Y a-t-il d'autres facteurs comme celui-là, par exemple le déficit américain et le fait que certains pays comme la Chine convertissent en euros et en d'autres devises une partie des réserves qu'ils détenaient jusqu'à présent en dollars américains?

Je pense que vous avez déjà répondu en partie à ma question dans votre réponse au sénateur Fitzpatrick. Même si les produits de base ne semblent pas être touchés, le secteur manufacturier, les produits manufacturiers et aussi, dans une large mesure, les services, s'en ressentent beaucoup. Le secteur de la technologie est également très vulnérable au cours des devises.

Savez-vous si les Américains font actuellement marcher la planche à billets? Sont-ils en train de fabriquer des dollars dans l'idée, quelque part au fond de leur cerveau, que cela pourrait stimuler davantage l'activité économique et rendre les États-Unis meilleur marché, dans le but de favoriser leurs exportations?

Et si c'est le cas, à quel moment décideriez-vous que le temps serait venu pour nous aussi, étant donné que notre devise sera quasiment à parité avec le dollar américain, de faire marcher la planche à billets pour mettre davantage d'argent sur le marché?

Le président : Monsieur le gouverneur, ce que vous auriez à dire tous deux à ce sujet nous intéresse au plus haut point.

M. Jenkins : Le fait de penser à l'interventionnisme américain pour juguler le déficit est précisément la bonne façon de voir ce déséquilibre planétaire. Sénateur, vous avez parfaitement raison. Les États-Unis ont également un imposant déficit fiscal, mais le déficit du compte courant est l'étalon grossier du faible niveau d'épargne qu'on enregistre aux États-Unis, pas uniquement l'épargne au niveau des gouvernements, mais le faible niveau d'épargne des ménages.

À la base, ce qui se passe, c'est que l'économie américaine consomme davantage qu'elle ne produit, d'où ce déficit du compte courant qui est pour l'essentiel financé par les pays qui affichent des excédents, par exemple, mais pas exclusivement, en Asie. De plus en plus, pour en revenir à la question des prix de l'énergie, les producteurs pétroliers eux aussi engrangent des excédents.

À la base, ce qu'on voit, c'est que les pays asiatiques ont un excédent de leur compte courant mais également de très grosses réserves en devises étrangères qu'ils investissent aux États-Unis. C'est cette source d'épargne qui permet aux États-Unis d'avoir ce déficit de leur compte courant.

Cette question appelle toute une série de questions que le gouverneur et la banque ont publiquement commentées, la question des régimes des cours de change en Asie et les mécanismes axés sur les conditions du marché qui, selon nous, auront une grande importance pour se sortir de ces déficits du compte courant. L'un de ces mécanismes serait une plus grande souplesse des taux de change. Si vous voulez, nous pourrions y revenir.

Mais laissez-moi d'abord me hasarder à répondre au dernier volet de votre question. Le gouverneur pourra intervenir ensuite.

Si vous regardez ce qui se passe au niveau de la politique américaine, la Federal Reserve a graduellement augmenté ses taux d'intérêt parce que, pendant très longtemps, les taux avaient été maintenus bas pour aider l'économie américaine qui passait alors par une période de croissance lente. Cette augmentation des taux d'intérêt aux États-Unis aura pour effet d'accroître les niveaux d'épargne dans ce pays, c'est-à-dire aussi de réduire la consommation de la part des particuliers. Cet effet fait partie de ce que nous appelons la rotation de la demande, précisément ce que nous souhaitons. Nous voulons que la croissance américaine soit davantage basée sur les exportations et beaucoup moins sur la demande intérieure. Je n'aime pas utiliser l'expression « faire marcher la planche à billets », mais dans une certaine mesure, nous pensons que la politique monétaire américaine avec cette augmentation des taux d'intérêt a pour effet de faciliter cet ajustement qui est, à notre sens, nécessaire. Elle facilite, dans l'économie américaine, cette rotation de la demande que nous aimerions voir se généraliser à l'échelle mondiale.

Le président : Monsieur le gouverneur, voudriez-vous ajouter un mot?

M. Dodge : M. Jenkins l'a dit beaucoup plus succinctement que je n'aurais pu le faire.

Le sénateur Di Nino : Je voudrais revenir à la question de la montée du dollar américain et présenter un peu les choses en ces termes : le renchérissement rapide du dollar canadien, qui est dû en partie du moins à la richesse créée par l'industrie pétrolière de l'Ouest, à un effet négatif sur le centre du pays. Et ici, je pense en particulier au secteur manufacturier ontarien. La montée concomitante des taux d'intérêt commence à être ressentie dans l'industrie du bâtiment, ce qui risque d'avoir un effet encore plus négatif et encore plus dévastateur sur toute l'économie ontarienne.

Monsieur le gouverneur, d'aucuns ont laissé entendre que la hausse des taux d'intérêt alors que le dollar canadien prend de la valeur aussi rapidement devrait être établie en fonction de l'économie du centre du pays.

M. Dodge : Comme nous l'avons dit souvent, sénateur, nous ne pouvons avoir qu'une seule politique et cette politique doit être appropriée pour l'ensemble du Canada. Le poids économique du Canada central est d'environ les deux tiers; par conséquent, il est évident que si nous appliquons une politique convenant à l'ensemble du Canada, c'est dans le Canada central que se trouve le gros du poids.

Au sujet du conseil de direction, nous croyons que nos décisions à ce jour ont été appropriées pour garantir que l'inflation demeure à l'intérieur de la fourchette, autour d'environ deux pour cent à moyen terme. On suppose souvent qu'il n'y a pas de pression inflationniste au Canada central, mais ce n'est pas le cas. Sénateur, vous avez parlé du logement. Quand nous avons comparu devant le comité l'automne dernier, nous pensions qu'il y aurait un ralentissement dans le secteur du logement qui entraînerait une baisse du prix des nouvelles maisons. Pourtant, à notre surprise, nous avons vu les prix fluctuer dans l'autre sens, mais nous ne jugeons pas que c'est une crise ou une catastrophe. Nous constatons partout au Canada, dans les Maritimes, dans le centre et dans l'ouest, d'importantes pressions dans les marchés des travailleurs qualifiés, des professionnels et des techniciens. Ces marchés sont assez serrés.

Il importe de ne pas perdre de vue le secteur des services. Il est vrai que pour le secteur de l'hôtellerie, l'appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain nuit, parce que nous comptons beaucoup sur les touristes venus en voiture des États-Unis. Il y a une hausse du prix de l'essence et du taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain.

Dans l'ensemble, le secteur des services a été solide partout au Canada. La croissance de l'emploi dans le secteur des services, qui représente à peu près les deux tiers, a été solide. Il est vrai, sénateur, qu'en comparaison de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, les taux de croissance en Ontario et au Québec semblent quelque peu anémiques. Quand on compare les taux de croissance de l'Ontario et du Québec avec les taux observés à peu près n'importe où ailleurs dans le monde, sauf en Asie, la situation semble par contre assez bonne.

Au total, les deux tiers de l'économie qui se situe au Canada central, et l'économie dans son ensemble, tournent actuellement presque au maximum de leur capacité ou quelque peu au-dessus de ce seuil, comme le sénateur Angus l'a dit dans sa première question.

Le sénateur Di Nino : Certains ont dit qu'il est possible qu'en raison de notre capacité d'agir ou de réagir, nous ne sommes pas concurrentiels en comparaison d'autres pays comme la Chine et l'Inde.

M. Dodge : Le commentaire le plus court que je puisse faire a déjà été fait par nous devant le Fonds monétaire international, le FMI. Il conviendrait que les pays d'Asie, en particulier la Chine, laissent leurs devises fluctuer à la hausse. Cette mesure contribuerait de manière importante à résoudre ces déséquilibres.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Il est toujours très intéressant de vous recevoir et cela permet aussi à tous les Canadiens et Canadiennes de comprendre l'importance de la politique monétaire de notre pays et les conséquences que cela peut avoir sur leur train de vie.

Vous dites au début de votre rapport qu'il est important d'avoir une inflation stable et que tous les Canadiens et toutes les Canadiennes gagnent à ce que la politique monétaire s'assure que l'inflation demeure stable et en conséquence, les taux d'intérêt et la croissance économique peuvent être stables. Cela fait quand même plus d'une décennie que l'économie a une bonne croissance et qu'on n'a pas de surprise.

Cependant, la semaine dernière, suite à l'émission du rapport, vous avez fait un commentaire sur le fait que l'inflation, jusqu'à maintenant, a été assez modeste malgré l'augmentation des prix commandités à cause des prix aux consommateurs ; l'importation est moins élevée. Vous avez aussi dit qu'il est possible que ce constat ne continue pas. En même temps, le gouverneur de la Banque centrale américaine a dit presque la même chose. Il y a un souci d'inflation, car on ne sait pas si les prix aux consommateurs continueront d'apaiser cette tendance. Évidemment, il est toujours très difficile de prédire le futur parce qu'il y a un risque.

Pouvez-vous nous parler de ce risque ? Le taux d'inflation risque-t-il d'être plus élevé que votre projection ? Si oui, est-il possible que l'on se retrouve avec une augmentation des taux d'intérêt de 2 ou 3 p. 100 et pas seulement d'un quart de pourcent ? On dirait que la tendance a changé versus les attentes qu'on avait la semaine dernière.

M. Dodge : Pour le IPC global, il y a deux facteurs. Il y a l'énergie et on ne sait pas exactement ce qui se passera mais, on anticipe que dans le futur, surtout 2007-2008, il n'y aura pas une tendance très forte à la hausse de l'énergie, parce que la base est maintenant élevée. Pour le reste du IPC global, nous anticipons en ce moment une augmentation vers 2 p. 100. On a déjà parlé du prix du logement. On a parlé des prix des services, mais il y a une pression à la baisse qui vient de la consommation. L'indice est inférieur à celui de 1992, qui est la base pour l'appréciation. Il y a quelques tendances à la hausse, mais il y a aussi des tendances à la baisse. Nous croyons avec la politique monétaire en place que la trajectoire sera d'environ 2 p. 100 vers la fin de cette année. Il y a aura peut-être des surprises. Il y a des risques à la hausse et à la baisse pour le futur, mais on croit que pour 2007-2008, 2 p. 100 est à peu près la meilleure projection pour l'instant.

[Traduction]

Le président : Dans l'une de vos déclarations, monsieur Dodge, vous avez dit que vous n'aviez pas pris en compte l'intention annoncée par le gouvernement fédéral de réduire la TPS de sept pour cent à six pour cent. C'était à l'époque où vous vous en teniez à votre cible de deux pour cent. Maintenant que la réduction de la TPS est chose faite, est-ce que cela influe directement sur vos projections?

M. Dodge : Oui, monsieur le président, ce sera le cas. D'après nos prévisions — à la case 1, à la page 27 de notre rapport — ce changement va faire diminuer, de juillet à juillet, l'indice des prix à la consommation, l'IPC, d'environ 0,6 pour cent par rapport à ce qu'il aurait été autrement. Cependant, l'indice remonte par la suite, c'est une baisse momentanée. Pour le taux d'augmentation, c'est une réduction permanente de 0,6 pour cent de ce niveau. Pour l'inflation de base, l'impact est d'environ un demi-point de pourcentage.

[Français]

Le sénateur Massicotte : J'ai une deuxième question. Parlons un peu de la Chine et de l'équilibre mondial. Vous avez fait plusieurs discours à New York récemment. Ce sujet vous concerne et nous concerne tous. Nous espérons que la devise chinoise deviendra plus flexible afin de permettre l'équilibre surtout avec les Américains. On sait cependant que les chinois et les pays asiatiques ont investi énormément dans les bons du trésor américains.

Quel est le risque pour l'équilibre? Quels sont les risques auxquels nous n'aurions pas de solution? Quelles sont les conséquences pour l'ordre mondial et sur le plan économique si toutefois les choses n'allaient pas comme on le désire?

M. Dodge : Il existe un risque. À la page 30 de notre rapport, il en est question. Nous jugeons que ce risque est un peu moindre maintenant qu'il y a six mois car nous assistons au début d'un ajustement des politiques en Asie. Mais il ne s'agit qu'un début de changement dans les politiques.

Je dois dire que la décision de la Banque centrale de Chine, la semaine dernière, de hausser ses taux d'intérêt n'est pas très encourageante pour le rééquilibre de la demande dans le monde. D'un autre côté, le gouvernement chinois a commencé à faire quelque chose pour les régions rurales de la Chine, ce qui augmentera la demande interne en Chine et aidera la situation.

Il existe donc certains risques et nous en prenons note. Toutefois, ces risques nous rendent un peu moins craintifs aujourd'hui qu'il y a six mois.

Le sénateur Massicotte : Si toutefois on ne règle pas le problème, quelles seront les conséquences pour le Canada, pour les Canadiens et les Canadiennes?

M. Dodge : Il s'ensuivra soit une dépréciation très rapide du dollar américain, ce qui implique une appréciation du dollar canadien. Le risque probablement le plus sévère sera un important ralentissement de la demande globale, ce qui rendra la situation plutôt difficile pour le Canada. C'est pour cette raison qu'à la réunion du FMI, il y a deux semaines, nous avons travaillé si fort pour en arriver à un consensus afin de résoudre cette situation. Pour nous, une économie très ouverte risque d'être très pénible.

M. Jenkins : L'autre risque est certes celui du protectionnisme, à cause des déséquilibres qui existent maintenant.

[Traduction]

Le sénateur St. Germain : Merci, messieurs le gouverneur et le sous-gouverneur, d'être présents aujourd'hui.

Ma question sera brève. En mars, je crois que vous avez fait savoir, monsieur le gouverneur, que vous envisagiez peut-être d'adopter un objectif inférieur à deux pour cent pour l'inflation. Est-ce encore une possibilité, monsieur?

M. Dodge : J'ai dit que nous avions fait beaucoup de recherche dans ce domaine. À ce jour, nos recherches n'indiquent pas qu'un niveau inférieur aurait d'énormes avantages à long terme, mais peut-être que l'avantage est un peu plus prononcé que nous l'avions constaté quand nous avons examiné cette question il y a cinq ans. De nouveaux travaux venaient tout juste d'être lancés et nous devons vraiment continuer, parce que nous avons des raisons de croire qu'à l'avenir, une cible un peu plus basse pourrait être plus avantageuse que celle que nous avons. Cependant, ce n'est pas pour tout de suite.

Le sénateur St. Germain : Mon autre question porte sur l'Ouest vis-à-vis l'Est, je veux parler des régions. Est-ce que vous mesurez l'inflation dans les régions?

Je viens de Colombie-Britannique, mais je vais souvent en Alberta et je fais des affaires dans cette province avec des membres de ma famille. C'est incroyable ce qui se passe dans l'Ouest. Le taux d'occupation est quasiment de zéro dans les motels et les hôtels d'un bout à l'autre du pays. Tout augmente.

Je me rappelle qu'il y a des années, je formulais des critiques dans l'Ouest, je disais qu'on augmentait les taux d'intérêt pour juguler l'inflation dans l'Est. Vous avez évoqué la demande de pétrole. Cette demande va rester. Dans le nord-est de la Colombie-Britannique, ma province natale, et aussi en Alberta, c'est extraordinaire. C'est excitant, mais cette situation comporte certains inconvénients pour ceux qui ont des revenus fixes, et cetera. Le prix du logement a augmenté de manière spectaculaire.

Est-ce qu'un jour viendra, à votre avis, où nous devrons nous pencher sur les régions? Je sais que pour fixer la valeur du dollar et le taux d'inflation, nous devons tenir compte de l'ensemble de notre pays. Cependant, en ce qui a trait à cette région en particulier, est-ce que nous serons en mesure de faire quoi que ce soit? Les banques pourront-elles faire quoi que ce soit pour atténuer les inconvénients d'une économie qui s'emballe?

M. Dodge : Sur le plan de la politique monétaire, nous avons établi celle-ci pour le pays dans son ensemble. Dans la mesure où la demande est créée à cause de l'essor dans les secteurs du pétrole et du gaz, les mines et d'autres secteurs sont également touchés à cause de la demande de tuyaux, de machines, d'équipements, d'automobiles, et cetera. L'influence se fait sentir au Canada central et se répand.

À la banque, nous devons établir une politique pour le pays dans son ensemble; mais j'en reviens à la question de tout à l'heure au sujet de la souplesse. Dans la mesure où nous pouvons avoir dans notre pays des marchés de l'emploi et des produits plus souples, nous pouvons composer beaucoup mieux avec ces différences entre les secteurs ou les régions.

Le président : Monsieur le gouverneur, vous serez heureux de savoir que l'une de nos prochaines études portera sur les barrières commerciales interprovinciales et le fait qu'elles constituent un obstacle à la mise en place d'une économie nationale. Notre comité ne croit pas que nous ayons une économie nationale; nous avons une économie fragmentée, en dépit de vos efforts et de votre sagesse.

Le sénateur Goldstein : Dans le Globe and Mail de ce matin, on trouve une citation et l'auteur de l'article en tire deux conséquences. Si vous me permettez, je voudrais lire cette citation, après quoi je vous demanderai de commenter chacune des conséquences.

La citation est de Jason Myers, économiste en chef chez Manufacturiers et Exportateurs du Canada.

Il fait une mise en garde : « le budget pourrait relancer les dépenses des consommateurs suffisamment pour exercer des pressions sur M. Dodge pour qu'il maintienne des taux d'intérêt plus élevés — de même qu'un dollar canadien fort ».

Voici la première citation :

Une hausse de 1 p. 100 de la valeur du dollar va faire disparaître une grande partie des avantages qui pourraient se trouver dans le budget.

Je voudrais vos commentaires là-dessus.

Voici maintenant la deuxième citation :

M. Myers a dit qu'un dollar plus fort va signifier la fin d'un grand nombre de produits canadiens et entraîner d'autres mises à pied. « Cela ne m'étonnerait pas qu'il y ait encore une perte nette de 100 000 emplois dans le secteur manufacturier dans l'ensemble du Canada en 2006. »

Je voudrais vos commentaires sur chacune de ces deux citations.

M. Dodge : Je serai bref, monsieur le président.

Pour ce qui est de l'impact du budget d'hier sur notre manière d'envisager l'impact sur l'économie, du point de vue macroéconomique, le gouvernement a fait exactement ce que nous supposions qu'il ferait, en ce sens qu'il a présenté un budget prévoyant un petit excédent. Nous avons supposé que les gouvernements, de manière générale, autant le gouvernement fédéral que les gouvernements provinciaux, présenteraient des budgets qui seraient à peu près équilibrés ou qui prévoiraient de petits excédents. De ce point de vue, c'est exactement ce que nous avions supposé.

Cependant, nous avions posé l'hypothèse que les dépenses gouvernementales augmenteraient au même rythme que les revenus. En fait, le gouvernement a réduit le taux de croissance des revenus par rapport à ce qu'il aurait été autrement. Dans la mesure où cela a une incidence, procéder de cette manière a un léger effet de contraction, qui n'est pas immense, loin de là, mais qui ne va certainement pas dans le sens que M. Jason Myers a indiqué.

Pour ce qui est de la deuxième question, franchement, nous pensons que tout n'est pas dit pour ce qui est de l'emploi dans le secteur manufacturier dans son ensemble. Si ça va bien dans certains secteurs, d'autres vont subir une contraction encore plus prononcée et nous sommes donc douloureusement conscients des difficultés que va causer le rajustement qui doit encore survenir dans l'économie.

Le sénateur Goldstein : Ma deuxième question porte sur les conséquences de la réduction de la TPS du point de vue macroéconomique en comparaison de ce qu'il adviendrait dans l'économie si une quantité d'argent équivalente était sacrifiée par une baisse de l'impôt sur le revenu.

M. Dodge : Je n'utiliserais jamais le mot « sacrifice » à propos de baisses d'impôt. Nous n'avons rien fait d'autre que l'analyse économique standard; or l'analyse économique standard nous apprend qu'une réduction équivalente des taxes à la consommation réduit de façon marginale le taux d'épargne par rapport à une baisse équivalente de l'impôt sur le revenu. Une réduction de l'impôt sur le revenu, par opposition aux taxes à la consommation, serait marginalement plus favorable à l'investissement. Cependant, il s'agit de différences marginales et cette analyse économique standard ne tient pas compte de la situation actuelle. Voilà ce que nous apprendrait une analyse économique standard.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai deux questions. La première concerne les analyses de risque. Si d'ici à la fin de l'année il y avait une intervention en Iran, il est question encore de pétrole, d'énergie et autres sujets difficiles que ce soit par les Nations Unies ou par les États-Unis, selon vos scénarios cela représenterait-il un facteur de risque?

Ma deuxième question : lorsque vous augmentez même d'un quart de point les taux d'intérêt, avez-vous, avant de vous coucher le soir, quelques remords face aux 100 milliards de dettes du gouvernement provincial du Québec et au déficit annuel qu'on ne verra pas disparaître avant plusieurs années? Prenez-vous en considération les économies provinciales en même temps? Tenez-vous un dialogue avec les provinces? Il y a une province qui est en surplus, mais le Québec, actuellement, a une dette de 100 milliards de dollars. Prenez-vous en considération les économies provinciales en même temps? Je comprends qu'il y a des provinces qui ont des surplus — en fait, une province a des surplus —, mais le Québec a une dette de 100 milliards de dollars. Vous devez être conscient de l'impact d'une augmentation de 1 p. 100 sur l'économie du Québec.

M. Jenkins : Pour ce qui est de la première question. Comme le gouverneur Dodge l'a mentionné dans le rapport sur la politique monétaire, nous avons une section qui concerne les risques pour nos prévisions. Un des risques que nous avons mentionnés est le risque géopolitique. Certainement que le risque le plus important concerne le prix du pétrole et son impact sur l'économie mondiale. La réponse à votre première question est oui, c'est un élément dans notre analyse.

M. Dodge : L'impact de l'accroissement des taux d'intérêt sur les provinces vient surtout des taux à long ou moyen terme à cause des structures de la dette provinciale, peu importe la province. Un des grands succès de notre politique depuis 1991 a été la réduction des taux d'intérêts à long terme. Maintenant, nous avons un taux d'intérêt de 4,4 p. 100 sur 10 ans. C'est à peu près la moitié du taux que nous avons eu il y a 15 ans. Cela aide beaucoup les provinces. La politique de contrôle de l'inflation est extrêmement importante pour le fardeau des dettes provinciales parce que cela maintient les taux à moyen et long terme à un niveau assez bas.

[Traduction]

Le sénateur Gustafson : Ma question découle de l'idée exprimée par le vice-président au sujet du prix élevé des produits de base. Vous savez probablement que sur le marché des céréales et des oléagineux, il n'y a pas de prix élevé des produits de base. En fait, en 1972, un baril de pétrole coûtait le même prix qu'un boisseau de blé. Aujourd'hui, un boisseau de blé dur no 3 coûte 2 $ et un baril de pétrole coûte environ 75 $. Si l'on place ces chiffres dans le contexte de l'économie, on se retrouve avec une situation épouvantable.

Les marchés n'allaient pas trop mal à l'époque où le dollar valait 0,60 $, mais quand on a un dollar à 0,90 $, c'est une autre histoire. On obtient environ 25 p. 100 de la valeur d'un boisseau de canola ou de quoi que ce soit. Cette baisse crée d'énormes difficultés.

Est-ce que vous voyez un secteur quelconque dans lequel le marché mondial s'ouvre, ou bien ne comprenons-nous pas au Canada le marché mondial?

M. Dodge : Je pourrais répondre cavalièrement que, malheureusement, nous n'avons pas vraiment de marché mondial des denrées agricoles parce que les gouvernements partout dans le monde s'ingèrent dans ce marché. C'est ainsi que des pays comme le Canada qui produisent ces denrées pour le monde entier doivent faire concurrence à des produits subventionnés venant d'un certain nombre d'autres pays et doivent affronter des barrières pour pénétrer dans des marchés qui ne produisent pas nécessairement beaucoup.

Nous reconnaissons que c'est extraordinairement difficile et j'espère avoir bien pris soin d'ajouter les minéraux, le pétrole et le gaz, quand je parlais du prix des produits de base, parce que nous n'avons pas des prix particulièrement forts pour les produits forestiers ou agricoles.

Le sénateur Gustafson : Bien sûr, c'est une difficulté énorme, il n'y a aucun doute là-dessus. Cela fait 20 ans que je suis ici et j'entends dire depuis 20 ans que nous allons nous débarrasser des subventions versées par les Américains et les Européens. Cela n'est pas arrivé. Nous avons gobé cela et j'appelle cela un mensonge.

Le sénateur Moore : C'est le contraire qui s'est passé.

Le sénateur Gustafson : Nous avons cru ce mensonge pendant vingt ans. Maintenant, le Canada doit examiner la situation dans une perspective mondiale et se demander s'il tient vraiment à une économie agricole ou non. À mon avis, il fallait dire cela en comité et devant des gens influents qui pourront peut-être nous aider dans la bonne voie que nous avons choisie.

Le président : Monsieur Dodge, mon collègue songe sans doute ici à l'un des aspects de votre mandat, soit, par votre action, d'atténuer dans la mesure du possible les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l'emploi, au moyen de la masse monétaire. Le secteur agricole de l'Ouest fait certainement face à ce problème par rapport aux prix des produits de base. Peut-être votre mandat pourrait-il tenir compte de cela.

M. Dodge : Malheureusement, sénateur, il y a peu de choses que nous puissions faire à cet égard sur le plan de la politique monétaire. Cela nous ramène cependant à la question qui nous préoccupe au plus haut point, nous mais aussi tous les Canadiens; il s'agit de l'enlisement des négociations du cycle de Doha. M. Jenkins en a parlé dans sa réponse au sénateur Massicotte. Cette stagnation comporte en effet un risque très réel, celui du protectionnisme. Or, nous y sommes plus exposés que bon nombre d'autres pays, car notre économie est ouverte. Dans la mesure où nous discutons du sujet à la Banque et où nous effectuons des recherches, nous pouvons agir, et nous le faisons d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître l'existence de ce risque. Je suis sûr que le gouvernement du Canada et tous ses employés font tout leur possible pour mettre la question de l'avant, mais c'est un risque réel.

Le sénateur Gustafson : Le sénateur St. Germain et moi-même avons assisté à quelques ventes d'exploitations agricoles. Dans un cas, les terres à vendre couvraient quarante quarts de section et étaient situées dans une des régions les plus fertiles du pays, le long du 49e parallèle. Chaque quart s'est vendu en moyenne 45 000 $. Il y a cinq ou six ans, les mêmes terres se seraient vendues 100 000 $. De l'autre côté de la frontière, le long du même 49e parallèle, les terres se vendent 120 000 $ le quart de section et ne trouvent pas preneur. Telles sont les situations respectives à l'heure actuelle.

Le sénateur St. Germain : À ce sujet...

Le président : Sénateur St. Germain, nous vous redonnerons la parole lors du second tour.

Le sénateur St. Germain : Il s'agit d'une brève question supplémentaire. Le sénateur Gustafson a raison. Dans une ville, vous pourrez voir six fermes à vendre, les agriculteurs ayant apporté tout leur matériel agricole en ville, sauf les machines à pulvériser, qui leur servent à tuer les mauvaises herbes. Pour le reste, ils ne peuvent plus se permettre de faire leurs semailles. Lors de vos réunions internationales, pouvez-vous exercer une influence quelconque, monsieur Dodge, afin d'aider un peu? Nous allons carrément perdre notre industrie agricole, pourtant l'un des piliers de notre nation. J'ai vu de mes propres yeux ce que le sénateur Gustafson a évoqué au sujet de la Saskatchewan. Cela a un effet dévastateur, non seulement sur les gens mais aussi sur la culture de la province et de tout l'Ouest canadien, et même aussi sur l'Ontario.

Le président : Le gouverneur a dit quelque chose de juste auparavant. Peut-être pourrait-il nous en dire un peu plus long sur le sujet, s'il le veut bien.

M. Dodge : Nous avons certainement soulevé la question, mais elle déborde vraiment notre champ de compétence.

Le président : Monsieur Dodge, j'ai moi-même quelques questions à poser. Nous aurons ensuite tout le temps voulu pour un autre tour.

Je vais m'efforcer d'être bref, monsieur Dodge. J'ai posé une question supplémentaire sur les effets de la réduction de la TPS sur vos prévisions des taux d'intérêt. Selon un communiqué de presse émis aujourd'hui, le mois dernier, la Banque centrale a laissé savoir qu'on peut s'attendre à d'autres hausses de taux d'intérêt pour faire échec à l'inflation.

Vous nous avez dit que la baisse de la TPS n'avait pas encore été comptabilisée. Maintenant c'est fait, et si je vous ai bien compris, on prévoit une augmentation réelle de 0,6 p. 100 ou de 0,5 p. 100. Est-ce que cela signifie que cet énoncé sera rajusté, qu'à court terme, on ne peut prévoir le niveau des majorations?

M. Dodge : D'abord, monsieur le président, permettez-moi de vous lire le texte précis que nous vous avons soumis.

Nous avons dit : « À la lumière de ces perspectives et de son évaluation actuelle des risques, la Banque estime qu'elle pourrait devoir relever encore quelque peu le taux directeur afin de maintenir l'équilibre entre l'offre et la demande globales et de garder l'inflation au taux cible à moyen terme ».

Je tiens ici à insister sur le terme « pourrait » et aussi sur la phrase suivante : la Banque « [suivra] de près l'évolution de l'économie canadienne en tenant compte de la hausse cumulative du taux directeur depuis septembre dernier ».

Voilà ce que nous avons dit. Si le Parlement adopte la loi et que le 1er juillet la TPS est réduite, que se passera-t-il? De juillet à juin de l'année prochaine, l'IPC devrait diminuer de quelque six dixièmes de point par rapport à ce qui aurait été prévu autrement. Pour la même période, nous estimions en effet un IPC d'à peu près 2 p. 100 ou d'un peu moins de 2 p. 100. Nous pensons donc que l'indice devrait se situer à près de 1,4 p. 100 au cours de l'année qui vient, ou tout au moins pendant la première moitié. Les indicateurs de base ne tiennent pas compte de l'impôt. Ils devraient encore s'établir à quelque 2 p. 100, tel qu'indiqué.

Voilà pour le fonctionnement. Nous avons dit examiner l'effet temporaire de cette mesure sur l'inflation. Nous examinons aussi ce qui se passera après, si vous voulez. Nous continuerons à mettre en œuvre la politique pertinente. Ce dégrèvement fiscal pourrait entraîner une modification de la politique monétaire à la seule condition qu'il s'accompagne d'effets secondaires. Telle est notre politique depuis 1991, depuis que nous ciblons l'inflation.

Le président : Je vous remercie, gouverneur. Cela nous aide à prévoir plus clairement le taux d'intérêt.

Le sénateur Moore : Monsieur le président, j'aimerais poser une question supplémentaire; qu'entendez-vous par des effets secondaires?

M. Dodge : Supposons qu'à cause du ralentissement temporaire de l'augmentation de l'IPC, tout le monde rajuste ses attentes et s'attende à 1,5 p. 100 en permanence.

Après avoir réduit ces attentes, nous aurions ensuite un changement dans la façon dont fonctionne le système, un changement dans l'inflation à l'avenir. Lorsque nous avons instauré le ciblage de l'inflation, nous avons tenu compte de la mise en œuvre de la TPS sous la forme d'une remontée temporaire, et avons dit tout à fait la même chose. Cette fois-là, nous n'avons observé aucun effet secondaire et n'avons donc pas dû intervenir. Nous ne prévoyons pas non plus devoir le faire cette fois-ci.

M. Jenkins : Sénateur, cela s'explique en partie du fait que les attentes vis-à-vis de l'inflation se situent à peu près constamment à 2 p. 100.

Le président : J'aimerais revenir à votre mandat. L'une de vos principales responsabilités consiste à réglementer le crédit et la monnaie dans l'intérêt de l'économie de la nation. C'est d'ailleurs la première et la principale de vos responsabilités.

Vous n'ignorez pas que notre comité a effectué une étude poussée du secteur financier du point de vue de la protection du consommateur. Or, nous avons observé une aberration économique qui a troublé tous les sénateurs, à savoir la croissance des prêts sur salaire et le coût du crédit accordé aux travailleurs de certains secteurs. Nous avons remarqué que, sur une base annuelle, les taux d'intérêt varient entre un minimum de 50 p. 100 et un maximum de 300 p. 100 ou même de 400 p. 100, en raison des montants accordés sur une brève période.

Nous n'avons pas encore déposé notre rapport, mais d'emblée, et ici je pense m'exprimer au nom de tous les sénateurs, nous avons été troublés par cela. La réglementation du crédit et de la monnaie, tant fédérale que provinciale, n'a pas tenu compte de cette aberration qui alourdit beaucoup le coût du crédit pour les travailleurs et pour d'autres encore.

Est-ce que la question vous préoccupe? L'avez-vous étudiée? Quant à nous, nous allons nous prononcer bientôt. Je reconnais que nous ne vous avons pas avisés d'avance, mais nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous donner votre avis. Nous sommes très troublés.

M. Dodge : Monsieur le président, n'ayant pas étudié la question, je ne pense pas que notre avis puisse vous être bien utile.

Le président : J'en arrive maintenant à ma dernière remarque. Nous allons devoir aussi nous pencher sur le crédit et la monnaie, et nous sommes d'ailleurs prêts à le faire.

Pour ma part, j'ai passé un certain temps avec les gens de la Réserve fédérale américaine. Cet organisme a pris des initiatives intéressantes par rapport à la productivité régionale, pour stimuler de nouveaux moteurs de croissance. Nous nous soucions tous de la croissance. Notre comité va d'ailleurs étudier la question à son tour dans quelque temps.

Si je me reporte aux énoncés budgétaires toutefois, on a beau y mentionner la productivité, je n'ai quand même rien vu de précis, tout au moins au premier coup d'œil, sur les mesures fiscales susceptibles de l'améliorer.

Monsieur le gouverneur, nous avons entendu parler des changements récents apportés par Statistique Canada à sa façon de mesurer la productivité et des difficultés inhérentes à cela. Pouvez-vous nous donner une idée de ce que vous envisagez de faire pour étudier de manière plus poussée la productivité? À mon avis et de l'avis sans doute de tous les membres de ce comité, la productivité et la croissance sont inextricablement liées, et nous tenons absolument à encourager la croissance.

M. Dodge : Monsieur le président, si vous me le permettez, je vais répondre en même temps à votre question et à la troisième posée par le sénateur Angus, étant donné leur grande importance.

Le sénateur Angus : J'allais y venir après, ça me convient donc tout à fait. Je me réjouis que vous n'ayez pas oublié.

Le président : Vous remarquerez sans doute, monsieur le gouverneur, que sur bien des points, nous sommes d'accord.

M. Dodge : Permettez-moi de commencer après quoi je céderai la parole à M. Jenkins.

La productivité revêt énormément d'importance aux yeux des Canadiens. À long terme c'est elle qui nous permet de jouir d'un niveau de vie élevé, et nous devrions tous nous en soucier.

Pour ce qui est de nos préoccupations plus précises, lorsque nous élaborons la politique monétaire à la Banque, pour l'essentiel, nous adoptons pour postulat une croissance de la productivité du travail d'à peu près 1,75 p. 100. Nous n'ignorons pas que cette croissance ne sera pas constante. D'ailleurs, la croissance de la productivité mesurée au Canada a été faible au début de cette décennie, à tel point que nous nous demandons si notre postulat d'une croissance économique de 3 p. 100 par année n'était pas trop optimiste. Ainsi que nous l'avons affirmé devant ce même comité il y a un an, nous devrions peut-être modérer à court terme la mesure de notre capacité.

Depuis 2004, nous observons une hausse cyclique de la productivité. Nous allons d'ailleurs recevoir les chiffres rectifiés pour 2004, ce qui nous permettra peut-être de réviser quelque peu la productivité fin mai. Dans un an, nous recevrons aussi les chiffres rectifiés pour 2005 et ainsi de suite.

Nous estimons constater un effet conjoncturel. On observe une progression des investissements, ce qui devrait avoir pour effet à court terme une hausse de la productivité du travail.

Le sénateur Moore : Est-ce à dire en usine?

M. Dodge : En usine et en tenant compte aussi du matériel. En fait, les machines et le matériel sont le facteur déterminant ici.

Nous estimons qu'il y a présentement une remontée conjoncturelle. Cela explique que nous soyons plus satisfaits maintenant qu'il y a quelques années de notre postulat d'une croissance de 3 p. 100 de la capacité économique. Nous commencions alors à être un peu nerveux.

Toutefois, je le répète, cette poussée est de nature conjoncturelle. Elle ne diminue en rien la nécessité pour nous de nous conformer à des politiques structurelles qui, à terme, stimuleront la productivité.

Permettez-moi maintenant de donner la parole à M. Jenkins là-dessus parce qu'il est impératif d'aller de l'avant.

M. Jenkins : Nous avons un excellent programme de recherche sur la question de la productivité, que nous étudions sous plusieurs aspects. Ainsi que le disait le gouverneur, nos prévisions de la croissance de la production potentielle tiennent compte de la croissance de la productivité. Pour revenir à votre question, monsieur le sénateur, le taux de croissance de la production potentielle a une importance fondamentale à nos yeux lorsqu'il s'agit de la politique monétaire.

Pour répondre à la première question du sénateur, nous parlons des taux de croissance de l'économie canadienne, mais nous devons aussi penser à son niveau d'activité. Si nous estimons que l'économie tourne à un niveau bien inférieur à ce qu'elle peut produire, alors nous allons certainement la stimuler pour la faire remonter à sa capacité réelle. C'est dans une telle conjoncture que le taux d'intérêt sera abaissé pour soutenir l'économie.

Si, au contraire, nous estimons que l'économie tourne à un régime trop élevé par rapport à sa capacité de production, ou que cela risque d'arriver, alors nous chercherons à la freiner quelque peu afin de maintenir constante la croissance à terme.

C'est alors qu'il faut faire preuve de beaucoup de jugement car nous n'avons pas de connaissance directe du niveau réel de la capacité. Nous consultons donc divers indicateurs, des modèles, des données et nos collaborateurs de nos bureaux régionaux, afin de bien évaluer le niveau de l'économie par rapport à sa capacité de production à un moment précis.

Le président : Monsieur le gouverneur et monsieur le sous-gouverneur, je vois l'heure. Il ne nous reste que cinq minutes et cinq sénateurs souhaitent encore intervenir. Je leur proposerai donc de poser leurs questions l'une à la suite de l'autre. Répondez à celles auxquelles vous pouvez jusqu'à 18 heures, et, s'il en reste, vous pourrez nous envoyer votre réponse par écrit ultérieurement.

Le sénateur Angus : Merci de revenir à la question de la capacité. Bien qu'elle me paraisse déroutante, comme à la plupart des Canadiens, elle est néanmoins importante. Monsieur Dodge, vous avez dit avoir tenu compte de la réduction de 1 p. 100 de la TPS dans vos autres projections. Toutefois, vous n'avez pas parlé de l'effet des 20 milliards de dollars d'abattements fiscaux annoncés dans le budget de 2006. Cette réduction aura-t-elle l'effet voulu par le ministre des Finances?

Le président : Je vais demander aux autres sénateurs de poser d'abord leurs questions avant de permettre au gouverneur de répondre.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Ma question se veut un suivi sur le sujet de la productivité. On parle des Indes, du Brésil et de la Chine. Évidemment, il faut être compétitifs. Si nous devions faire des prédictions pour les dix prochaines années, quel serait notre bilan en ce qui a trait à la compétitivité avec ces pays? Y a-t-il un manque majeur ou quelque chose que l'on devrait faire immédiatement?

[Traduction]

Le sénateur Eyton : Nous applaudissons le consommateur, mais est-ce que rendue à un certain niveau la dette à la consommation préoccupe la Banque du Canada, et quel est ce niveau?

Le sénateur Di Nino : En quoi la dette nationale influe-t-elle sur la politique monétaire?

Le sénateur Moore : La semaine dernière, le Conference Board du Canada a publié un rapport détaillant les objectifs à atteindre par le Canada pour qu'il soit plus concurrentiel. L'un d'eux serait de doubler l'investissement du secteur privé en R-D et en innovation au cours des 10 prochaines années. Cela me rappelle le nombre croissant de fiducies de revenu. Or ce genre d'instrument financier semble privilégier la répartition des recettes obtenues plutôt que le réinvestissement en R-D. Avez-vous étudié la question? Est-ce qu'elle vous préoccupe? Vous avez dit aujourd'hui que l'investissement semble à la hausse. Estimez-vous que ce genre d'outil financier risque de diminuer les sommes à consacrer à la R-D, et partant, de nuire à la compétitivité future de l'économie?

M. Dodge : Je vais répondre aux questions sur l'équilibre budgétaire et sur la dette parce qu'elles sont assez semblables. Ainsi que je le disais précédemment, nous tenons compte de l'équilibre à respecter entre les recettes et les dépenses. Nous nous attendons que les gouvernements maintiennent assez bien un tel équilibre, et c'est d'ailleurs ce sur quoi nous fondons notre politique. Ce que nous avons entendu hier ne modifie en rien ce que nous avons présenté ici. Le niveau d'endettement influe nettement sur la confiance que le monde peut avoir envers le Canada. Notre pays est l'un de ceux dont la dette publique est faible, et c'est pour cette raison que nous pouvons maintenir des taux d'intérêt à long terme bien inférieurs à ceux des États-Unis.

Honorables sénateurs, je dirai une chose en conclusion. Il est très important que tous les Canadiens reconnaissent que chaque fois que nous prenons une décision en matière de politique monétaire, nous la prenons en tenant compte de toutes les données disponibles. On ne peut jamais anticiper exactement ce que nous allons faire. On devrait toujours examiner nos critères, y ajouter son point de vue sur l'économie canadienne, et ensuite, juger de ce que nous devrions faire.

Le président : Merci, monsieur Dodge et monsieur Jenkins, d'être venus comparaître aujourd'hui. Nous avons hâte de vous revoir bientôt. Nous invitons les Canadiens à répondre, en tout ou en partie, à toutes ces questions et réponses. Je remercie les sénateurs de leur patience car il y avait beaucoup plus de questions que de temps pour y répondre.

La séance est levée.


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