Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 6 - Témoignages du 16 octobre 2006
OTTAWA, le lundi 16 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 11 h 5 pour étudier la politique de sécurité nationale du Canada et en faire rapport.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, j'aimerais présenter les membres du comité. Je vais commencer par le sénateur Moore, d'Halifax. Le sénateur Moore est un avocat qui a beaucoup travaillé au sein de la communauté. Il a été membre du conseil des gouverneurs de l'Université St. Mary's pendant 10 ans. Il est également membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce et du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation de la Chambre des communes et du Sénat.
À ma droite est le sénateur St. Germain, de la Colombie-Britannique. Il siège au Parlement depuis 1983, ayant été député à la Chambre des communes avant d'être nommé sénateur. Il est président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et il siège également au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation du Sénat et de la Chambre des communes.
À ma gauche, se trouve le sénateur Tommy Banks, de l'Alberta. Il a été nommé au Sénat après 50 ans de carrière dans l'industrie du divertissement. Il est président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles.
Notre comité a reçu le mandat d'étudier la sécurité et la défense et la nécessité d'avoir une politique nationale en matière de sécurité. Nous avons produit 15 rapports depuis 2001. Notre rapport le plus récent, s'intitule Face aux turbulences : de la nécessité d'actualiser l'aide extérieure et la force militaire du Canada, en réponse aux changements d'envergure qui surviennent, a été publié la première semaine d'octobre.
Nous recevons aujourd'hui Alan S. Williams. Il s'est joint à la fonction publique en 1972 et il y a occupé différents postes tout au long de sa carrière qui s'est échelonnée sur 33 ans. En août 1999, M. Williams a été nommé sous-ministre adjoint (Matériels) au ministère de la Défense nationale. Il a également été le représentant du Canada auprès de la Conférence des directeurs nationaux des armements de l'OTAN. En avril 2005, M. Williams a pris sa retraite de la fonction publique. Il est maintenant président de la société The Williams Groups qui offre des services d'experts- conseils en politiques, programmes et acquisitions.
Il est l'auteur d'un ouvrage intitulé Reinventing Canadian Defence Procurement : A View from the Inside. Il est en outre agrégé supérieur de recherche à l'Université Queen's où il donne des conférences sur l'approvisionnement militaire.
Monsieur Williams, bienvenue au comité.
Alan S. Williams, à titre personnel : Merci, monsieur le président, de m'avoir invité ici ce matin. L'approvisionnement militaire est un sujet qui me passionne. J'ai passé plus de 10 ans à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et au ministère de la Défense nationale où j'ai beaucoup appris à ce sujet lorsque j'étais chargé de ce dossier. Ayant constaté de première main et de très près le dévouement et l'engagement extraordinaires de nos hommes et de nos femmes militaires, je ne considère pas l'approvisionnement militaire comme étant un simple exercice administratif mais plutôt une question qui, par dessus tout, doit tenir compte des questions très importantes qui doit assurer la sécurité de ces hommes et de ces femmes.
Malgré la prolifération récente de rapports et de recommandations, le processus est toujours trop lent et trop coûteux. Pourquoi? À mon avis, c'est parce qu'on ne comprend pas clairement le processus global d'approvisionnement militaire. Par conséquent, on a fait des recommandations isolées plutôt que présenter une série de recommandations globales concernant tout le système, et pire encore, ces recommandations sont souvent faites en vue de corriger des faiblesses perçues plutôt que les faiblesses réelles. Par exemple, lors d'une conférence récente sur la gestion militaire à l'Université Queen's, j'ai demandé aux étudiants si à leur avis les cinq énoncés suivants étaient vrais ou faux : premièrement, le processus d'approvisionnement militaire bureaucratique est insensible aux besoins; deuxièmement, il y a trop d'ingérence politique dans le processus d'approvisionnement militaire; troisièmement, les principales pressions sur le financement à la Défense nationale sont les salaires et les avantages sociaux du personnel militaire et l'acquisition; quatrièmement, il est moins coûteux de faire la maintenance du nouvel équipement que de le remplacer; et cinquièmement, le Canada dépend des autres pays, particulièrement des États-Unis, pour ce qui est de sa capacité de transport stratégique. Ce n'est peut-être pas surprenant, mais la plupart des étudiants étaient d'accord avec chacun de ces énoncés. En fait, chacun de ces énoncés est plutôt faux que vrai.
Dans mon livre, Reinventing Canadian Defence Procurement : A View from the Inside, je réfute ces mythes et je fournis une description complète de l'ensemble du processus d'acquisition de matériel de défense, y compris les cadres juridique et industriel ainsi que les règles de base. Pour les incrédules et les opposants, je fournis également un plan qui indique de quelle manière la totalité des 25 recommandations peuvent être mises en œuvre dans un délai d'un an. Dans mon bref exposé ce matin, je vais mettre l'accent sur le processus d'acquisition de base. Bien entendu, je suis disposé à discuter de tous ces éléments après mon exposé.
Si je devais faire une observation d'ordre général, je soulignerais l'absence de responsabilité claire à tous les niveaux du processus. Par niveau, j'entends le niveau parlementaire, le niveau ministériel et le niveau bureaucratique. Dans mon livre, je cite un article du Ottawa Citizen dans lequel Anne McLellan, au sujet de l'acquisition de matériel de défense, mentionne le ministre de la Défense nationale de l'époque, Bill Graham, et le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux de l'époque, Scott Brison, comme étant les deux ministres responsables de l'acquisition. Elle avait raison, ce sont ces deux ministres qui sont responsables de l'acquisition du matériel de défense. Le problème est que lorsqu'il y a deux ministres responsables, aucun d'eux ne l'est vraiment. Il est temps de faire quelque chose à cet égard. Parmi les 25 recommandations, la plus importante est peut-être la création d'un organisme chargé de l'acquisition du matériel de défense qui regrouperait les personnes chargées des acquisitions au ministère de la Défense nationale et celles qui sont chargées d'établir les marchés à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, et qui deviendrait le seul organisme chargé de l'acquisition du matériel de défense. Je présente cinq modèles de gouvernance différents, mais celui que je préfère est celui où ce nouvel organisme relèverait directement du ministre de la Défense nationale. Dans ce modèle, le ministre de la Défense nationale serait responsable de tous les éléments du cycle d'acquisition, de la préparation du cahier des charges à la publication des demandes de propositions, en passant par l'évaluation, la signature du marché et l'administration.
Les avantages d'un tel modèle ne se limitent pas à la clarification des responsabilités. L'élimination des chevauchements et du dédoublement des fonctions et des responsabilités permettrait de réaliser d'importantes économies. D'après mon estimation prudente, ces économies seraient de 48 à 125 années-personnes et de 4,8 à 12,5 millions de dollars par année. Ce qui est tout aussi important, ce modèle atténuera le grave problème du manque des compétences qui ne fait que s'aggraver à mesure que la population vieillit. Ce processus sera rationnalisé. Lorsque deux ministères doivent intervenir, le processus avance à la rapidité du ministère le plus lent. Dans mon livre, je cite un exemple où il a fallu neuf mois pour que le ministère de la Défense nationale négocie un marché et plus de 21 mois pour que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada donne son approbation. C'est peut-être un cas extrême, mais le fait est que l'obtention d'approbations par deux filières plutôt qu'une seule prend plus de temps et ralentit donc le processus.
Cela étant, il y a deux questions évidentes qui se posent. Premièrement, pourquoi a-t-on structuré le processus de cette façon au départ? Deuxièmement, s'il est à ce point dysfonctionnel, pourquoi ne l'a-t-on pas modifié? En réponse à la première question, alors que la supervision de TPSGC vise à assurer l'intégrité du processus, il existe à l'heure actuelle d'autres mécanismes qui ont le même objectif : le Tribunal canadien du commerce extérieur, le système judiciaire, le Bureau du vérificateur général du Canada, les médias, et l'ouverture générale de notre société, qui contribuent à empêcher toute manipulation délibérée du système d'acquisition du matériel de défense. Le personnel du MDN est bien conscient des dangers qu'il y a à ne pas être entièrement ouvert, transparent et équitable dans ces activités. Un autre argument pour l'intervention de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada est son rôle en tant qu'organisme de service commun qui permet de réaliser des économies à l'échelle du gouvernement. Toutefois, il est clair que dans le cas qui nous intéresse, il s'agit uniquement de biens et de services qui ne servent qu'à la Défense et qu'il n'y a guère d'économies pour les autres ministères.
Passons maintenant à la deuxième question. Si les avantages d'un tel modèle sont de rationaliser le processus, de réaliser des économies, d'éclaircir les responsabilités et de simplifier les communications, et s'il n'y a pas de risque, pourquoi ne l'a-t-on pas déjà adopté? Ce n'est pas parce que personne ne l'a suggéré avant aujourd'hui. Le Comité permanent de la Défense nationale et des anciens combattants de la Chambre des communes, le CPDNAC, ainsi que le comité consultatif de John McCallum ont tous deux proposé que cette idée soit examinée. Malheureusement, il arrive parfois que les fonctionnaires refusent de céder de leurs responsabilités, et sans l'appui de tous les intervenants, cette idée ne pouvait pas avancer. C'est pourquoi, dans mon livre, je dis que la création d'un organisme d'acquisition du matériel de défense et la mise en œuvre de mes autres recommandations nécessiteront une directive claire et sans équivoque à cet effet.
Une responsabilité renforcée exige non seulement que les rôles soient clairement définis mais également des rapports du rendement adéquats. Il n'est pas surprenant aujourd'hui qu'on entende continuellement parler d'un processus d'acquisition qui prend 5,8 ans puisque ce sont les seules données qui sont rendues publiques. Or, ces données sont tirées d'une étude pour laquelle on a utilisé des données de la fin des années 90. Il faut des renseignements plus à jour sur le temps que prend le cycle d'acquisition actuel et les causes de tout retard, que ce soit le temps que prennent les politiciens à donner les approbations nécessaires, ou le temps qu'il faut aux militaires pour établir leur cahier des charges, ou aux bureaucrates pour appliquer les règles du système ou aux entrepreneurs pour livrer la marchandise. Je suis convaincu que la mise en œuvre des recommandations visant la création d'un organisme unique, de l'établissement de rapports sur le rendement et de l'adoption continuelle de toute une gamme de pratiques exemplaires, ce qui se fait déjà, contribueront à raccourcir d'environ 40 p. 100 le cycle d'acquisition qui passerait ainsi de 15 ans à 9 ans ou moins. Essentiellement, ce cycle se traduit ainsi : jusqu'à deux ans pour l'établissement du cahier des charges par les militaires, jusqu'à deux ans pour négocier et signer un mandat et jusqu'à cinq ans pour la livraison complète de l'équipement.
Au sujet de la responsabilité, j'aurais tort de ne rien dire au sujet de l'absence quasi totale de responsabilité du Parlement. Les dépenses annuelles du MDN au titre des immobilisations et du soutien des immobilisations ne sont pratiquement jamais examinées par un comité permanent. Les membres du comité ne sont pas rigoureux dans les questions qu'ils posent. En général, je passais plus de 50 heures à me préparer pour une comparution de trois heures devant le comité où les questions étaient souvent sans pertinence ou superficielles. Il faudrait interviewer les témoins avant leur comparution afin que les membres du comité comprennent mieux les positions des témoins et qu'ils puissent mieux cibler leurs questions.
Lorsque j'étais haut fonctionnaire, je me disais que la seule raison pour laquelle les gouvernements n'agissent pas c'est qu'on ne leur fournit pas l'information nécessaire. Votre comité a l'information et a maintenant l'occasion d'exercer son influence pour que les recommandations soient mises en œuvre et que nous prenions des décisions qui sont dans l'intérêt des hommes et des femmes des Forces canadiennes.
Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de m'avoir donné cette occasion de vous faire part de mes idées. Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci. Je tiens à ce que le compte rendu indique que je vous ai interviewé lors d'un petit déjeuner il n'y a pas très longtemps afin de me faire une idée de vos points de vue. À ce sujet, non seulement cela implique des coûts réels mais de nombreux hauts fonctionnaires ne sont tout simplement pas disponibles. Souvent, c'est en vain que les parlementaires invitent les hauts fonctionnaires. C'est un double fardeau lorsqu'ils demandent que les employés passent du temps avec les hauts fonctionnaires. Bien sûr, dans un monde idéal, nous pourrions interviewer tout le monde auparavant. Personne n'aime poser une question sans en connaître les réponses.
Cela dit, c'est rêver en couleur que de penser que les hauts fonctionnaires seront disponibles deux fois, une fois pour une réunion en privé à huis clos et une deuxième fois en séance publique sous les feux des caméras. Ce serait beaucoup demander.
M. Williams : Puis-je faire une observation à ce sujet?
Le président : Je vous en prie.
M. Williams : Si c'est le cas, il y a quelque chose qui cloche terriblement à la fonction publique. Lorsque j'étais sous- ministre adjoint, j'estimais que dans une démocratie, lorsqu'on me demandait de comparaître pour expliquer ce que nous faisions, c'était mon devoir de le faire. Que je sache, aucun de mes collègues ne pensait autrement. Je serais vraiment déçu d'apprendre que des SMA de n'importe quel ministère cherchent à se défiler lorsque vous les invitez. Je sais que la plupart de mes collègues pensent comme moi : c'est notre devoir et notre obligation de comparaître devant les comités parlementaires pour expliquer ce que nous faisons aussi souvent qu'il le faut. C'est une des principales responsabilités d'un haut fonctionnaire. Jamais un sous-ministre ou un ministre ne m'a demandé de ne pas comparaître devant un comité parlementaire. Bien au contraire, ils savaient que ma comparution permettrait à tout le monde de mieux comprendre et donc, de prendre de meilleures décisions. Ce serait décevant et, franchement, je ne tolèrerais pas que des fonctionnaires se défilent lorsqu'ils sont invités à comparaître devant un comité parlementaire. Ils n'y a aucune raison pour laquelle ils pourraient se soustraire à cette obligation.
Le président : Souvent, les comités peuvent se réunir seulement certains jours. Les fonctionnaires ont des engagements et parfois il est impossible de prévoir une réunion qui coïncide avec le plan de travail du comité. Ce que vous suggérez serait idéal sur le plan de l'organisation. Dans bien des cas, nous discutons de questions d'avance avec les ministres ou les hauts fonctionnaires. C'est difficile d'imaginer que cela pourrait se faire régulièrement, pas nécessairement parce que les gens sont entêtés ou qu'ils essaient de cacher la vérité, mais simplement parce qu'ils ont un emploi du temps qui n'est pas toujours compatible avec les horaires parlementaires.
M. Williams : J'aimerais dire deux choses. Comme je le mentionne dans mon livre, les comités devraient passer plus de temps à élaborer des plans stratégiques. Les plans sont toujours modifiés mais, si, par exemple, lorsque le CPDNAC s'apprête à étudier l'acquisition du matériel de défense, et s'il pouvait établir son programme au début de l'année en annonçant qu'il va examiner les 4 milliards de dollars environ qui sont dépensés pour l'achat de matériel, et qu'il va examiner deux ou trois grands projets. Ce serait son programme pour l'année; le comité ne peut pas examiner tous les projets. Que le comité examine les questions stratégiques sur l'intégration de ses besoins aux objectifs de la politique de défense, et qu'il prévoie mener cette étude au cours des prochains mois afin de permettre aux hauts fonctionnaires compétents de comparaître.
Parfois les horaires sont très chargés, mais si les fonctionnaires savent un mois ou deux d'avance qu'ils devront comparaître, le comité a tout à fait le droit de demander à ces fonctionnaires de réserver ce temps, même si les choses changent.
Le président : C'est précisément ce que font les comités. Notre comité fait exactement cela avant de recevoir son budget. Nous préparons un plan de travail et nous adoptons le budget et le plan de travail en même temps. Le comité n'examinerait pas un budget sans avoir un plan de travail. Tout est énoncé.
Cela dit, le comité doit également se réserver du temps dans son plan de travail au cas où quelqu'un écrirait un bon livre. Il veut pouvoir profiter de cette occasion.
Toutefois, nous constatons également des retards extraordinaires de la part du gouvernement. Nous avons attendu plus de huit mois pour obtenir des réponses aux questions que nous posons dans notre prochain rapport. Nous trouvons cela long, mais il y a eu un changement de gouvernement, et de nouveaux hauts fonctionnaires qui veulent présenter les questions au nouveau gouvernement. Ce n'est pas tout à fait déraisonnable, mais du point de vue du comité, ce n'est pas une affaire si simple. En outre, les comités ne sont pas créés dès le retour du Parlement. En moyenne, il faut environ 60 jours avant qu'un comité reçoive un ordre de renvoi, des fonds et qu'il soit prêt à fonctionner.
M. Williams : C'est un fait.
Le président : C'est la réalité.
Le sénateur St. Germain : Monsieur Williams, vous recommandez qu'il y ait un seul ministre responsable plutôt que deux et vous dites qu'il faudrait créer un organisme d'acquisition du matériel de défense.
Je suppose que vous avez longuement étudié cette question. Que font les autres pays du G8 ou du G7, je ne sais plus où ils en sont? Ce serait intéressant de le savoir. Avez-vous fait cette recherche et pouvez-vous nous informer des résultats de cette recherche?
M. Williams : Il est plus facile de répondre à la question de savoir quels pays fonctionnent comme nous le faisons, et la réponse est qu'il n'y en a aucun. Le Royaume-Uni a une agence d'acquisition du matériel de défense. L'Australie a une organisation du matériel de défense. Aux États-Unis, l'échelle est totalement différente et l'armée, la marine et l'aviation s'occupent de leurs propres acquisitions. Cependant, dans aucun de ces pays il n'y a deux groupes, l'un chargé de l'élaboration du cahier des charges et l'autre chargé de la passation du marché. Cela n'existe pas. Quelle que soit la structure organisationnelle que j'ai examinée, nous sommes les seuls à séparer ces fonctions. Cela veut dire qu'il y a un chevauchement de ressources et un double emploi puisque chacun a son propre mandat. Des fonctionnaires des deux groupes doivent rendre visite aux entreprises et cela fait augmenter les frais généraux. Ça obscurcit les responsabilités et les économies dont je vous parlais ne sont que la pointe visible de l'iceberg. Je suis sûr que vous pouvez faire encore mieux, mais j'ai voulu être prudent en parlant de 50 à 100 personnes.
Il ne s'agit pas uniquement d'économies. Il ne faut pas sous-estimer les 10 millions de dollars d'économies par an — c'est l'argent des contribuables — mais les deux organismes souffrent d'une pénurie importante de main-d'œuvre qualifiée, en ce moment. Chacune embauche les employés de l'autre. Chacune a énormément de postes à combler. Si vous regardez les données démographiques, vous observerez qu'un tiers des employés qualifiés ont plus de 55 ans et les deux tiers plus de 45. Et cela ne va pas en s'améliorant.
L'autre avantage, c'est qu'un seul organisme exigerait moins d'employés, et vous pouvez donc régler le problème de la pénurie du même coup.
Le sénateur St. Germain : Si l'on crée un service des acquisitions de défense du Canada, comment allez-vous concilier les intérêts divergents? Je suis un ancien pilote de la force aérienne. Si je vous ai bien compris, vous dites qu'aux États- Unis, chaque organisme a son propre service des acquisitions. Comment faites-vous pour tenir compte des priorités à la fois des forces aériennes, de l'armée et de la marine, au Canada?
M. Williams : On fonctionnerait de la même façon qu'on le fait aujourd'hui. Si vous regardez les responsabilités bureaucratiques et la reddition de comptes au sein du ministère de la Défense nationale aujourd'hui, vous verrez que l'armée est la seule responsable de la détermination de ses priorités et de ses besoins. Nous avons le Plan stratégique d'investissement dans les capacités, le PSIC, et nous espérons avoir un plan des acquisitions du matériel de défense sous peu. Par conséquent, ce sera l'armée et uniquement l'armée qui décidera de ses besoins, comme c'est le cas aujourd'hui. Ensuite, plutôt que les deux ministères examinent ces exigences et les mettent à exécution, ce serait cette agence qui en serait chargée. Par conséquent, ça ne change rien au rôle de l'armée.
Le sénateur St. Germain : J'ai déjà été ministre de la Couronne, et une des choses qui m'a toujours intrigué, lorsque j'étais ministre des Transports, c'est le transfert des responsabilités des aéroports. Aucun ministère ne voulait en assumer la responsabilité. Lorsque le premier ministre m'a demandé de me charger de ce portefeuille, il m'a dit : « Quels domaines vous intéresse? Dans quoi voulez-vous travailler? J'ai répondu le domaine aérien, compte tenu de mon expérience, et j'ai aussi choisi la Garde côtière, à cause des hélicoptères, etc. À l'époque, trois ministres avaient eu ce portefeuille et il n'y avait eu aucune déconcentration des responsabilités. Il fallait prendre tout cela en main et j'ai demandé de traiter avec une personne-ressource, mais c'était une directive du premier ministre.
À votre avis, quel rôle doit jouer le gouvernement dans la détermination des besoins stratégiques de l'armée au conseil des ministres et au Cabinet du premier ministre?
M. Williams : C'est une question intéressante. Ce n'est pas précisément mon domaine, que ce soit bien clair.
Mon livre comprend une grande partie sur l'équilibre militaire-civil et les rôles de chacune de ces entités. Lorsque j'étais au ministère de la Défense nationale, j'ai dit clairement que j'allais étudier les priorités de chacun. Il ne m'appartenait pas de remettre en question les priorités de l'armée. Dans le cadre de ce processus, à mon sens, les ministres avaient et ont toujours un rôle à jouer.
Le gouvernement actuel a clairement fait du transport aérien stratégique une de ses priorités, qu'il s'agisse ou non des priorités de l'armée. Les gouvernements précédents avaient eux aussi leurs projets de prédilection.
Ce qui se passe, sur le plan pragmatique, c'est que l'armée établit ses propres priorités, essai de mettre le ministre de son côté, puis le ministre pose des questions légitimes sur ces priorités et ensemble, ils arrivent à un consensus qui répond aux besoins de l'armée et aux exigences politiques. En général, c'est ainsi que ça marche. Il y a des compromis des deux côtés.
J'aimerais ajouter quelque chose qui n'est pas directement lié à ce sujet. Vous avez parlé de directives politiques. Je ne peux trop insister sur le fait qu'à mon avis, il y a deux conséquences possibles à votre livre. Soit le gouvernement demande à ses bureaucrates de faire de nouveau leurs devoirs, auquel cas les choses ne changeront pas pour les raisons que j'ai mentionnées, soit le gouvernement décide qu'il est temps de faire passer les soldats avant tout : nous avons les réponses sous les yeux, il ne reste qu'à agir; il n'est pas question de choix; nous allons le faire; voici notre plan d'action; voici nos échéances.
Nous avons parlé de modèles de gouvernance. Le plan prévoit une période pour discuter du modèle que l'on préconise. On ne devrait pas débattre sur le fait d'agir ou non. Sinon, on observera au cours de l'année qui vient la même chose que ces 10 dernières années. Nous allons continuer à accumuler des études. Or, je ne pense pas que ce soit juste envers nos soldats.
Le sénateur St. Germain : Avez-vous pensé à remettre votre livre au premier ministre?
M. Williams : Oui.
Le sénateur St. Germain : Dans le cas du transfert des responsabilités des aéroports, le premier ministre m'a dit : « Gerry, occupe-toi de cela ». C'était mes instructions, et c'est ce que j'ai fait. S'il s'agit de quelque chose d'absolument nécessaire dans notre système, c'est ce que nous devons faire, avec le soutien de comités comme celui-ci.
M. Williams : Sans aucun doute. C'est exactement ce que je dis dans mon livre, c'est-à-dire que le premier ministre, dans ses directives aux ministres, doit leur dire de le faire et non pas leur demander comment uniformiser le processus. J'ai trouvé cinq coquilles dans mon livre. Une fois qu'elles seront corrigées, j'en enverrai un exemplaire au premier ministre.
Le président : À partir de quand lance-t-on le chronomètre? Est-ce qu'on commence à compter une fois que le plan des capacités de défense est annoncé ou quand le personnel commence à travailler sur un projet? On nous dit que le chronomètre est lancé au moment où l'idée se forme dans l'esprit de quelqu'un quelque part.
M. Williams : Vous parlez des acquisitions?
Le président : Oui.
M. Williams : Le chronomètre est lancé une fois que le gouvernement a donné son feu vert.
Le président : En ce qui concerne la durée de lancement d'un projet, vous avez dit que même si le ministère travaille déjà sur ce projet depuis deux ans, ça ne compte pas?
M. Williams : Ça compte, dans la mesure où l'on a déjà sensibilisé le personnel à ce projet. Les hélicoptères sont un bon exemple. Année après année, on se demandait quand ce projet aboutirait. Comme je le dis dans mon livre, lorsque j'ai comparu au comité plénier du Sénat, je crois que c'est le sénateur Forrestall qui m'a demandé à quand remontait ce projet et j'ai répondu que je n'en savais rien. Il a dit qu'il datait de 1978.
Le sénateur Meighen : C'était le sénateur Stratton.
M. Williams : Les deux sénateurs m'ont interrogé pendant une bonne partie de la journée.
Dans les projets d'envergure, comme celui des hélicoptères ou celui des navires de soutien interarmées, il devrait y avoir un rapport annuel sur les échéances des acquisitions. Il faudrait savoir où nous en sommes dans le processus, quels projets sont en retard ou n'avancent pas. J'ai établi une liste de quatre différents domaines auxquels on devrait faire correspondre une couleur. Si le gouvernement a donné son approbation mais que l'armée est toujours en train de finaliser son énoncé des exigences, alors nous savons sur quoi nous concentrer. Si le gouvernement n'a pas encore donné son approbation et que le projet prend du retard, il ne faut pas accuser les fonctionnaires, parce qu'honnêtement, tant que le gouvernement n'a pas donné son feu vert, ils ne peuvent rien faire.
Comme je le dis dans mon livre, je crois que c'est le 17 décembre 2003 que le ministre David Pratt a donné le feu vert au projet des hélicoptères et finalement, deux ans plus tard, nous avions le contrat. Quoi qu'il en soit, les fonctionnaires avaient travaillé sur le projet entre-temps. Le public doit connaître les raisons des retards et doit savoir où en est le projet. Je pense qu'il faudrait refléter tout cela dans un document public.
Le président : Est-ce vraiment si simple? Il y a plusieurs projets majeurs qui me viennent à l'esprit pour lesquels le ministère avait montré un intérêt mais que le gouvernement ne voulait pas faire progresser et par la suite, nous avons acheté de l'équipement d'occasion, et trop tard. Dans mon esprit, je ne sais même pas quand le projet a réellement été lancé. Nous savons tous que je parle des sous-marins. À un moment précis, quelqu'un a décidé qu'il fallait remplacer nos sous-marins. Est-ce réellement le point de départ de ce projet? Selon votre définition, le chronomètre serait lancé des mois plus tard, ou dans ce cas, des années plus tard.
M. Williams : Je pense que c'est une question qui mérite d'être étudiée. Il y a un processus précis qui existe, en vertu duquel une fois que les besoins mis en évidence sont approuvés, c'est le moment où le projet commence à faire son chemin au sein de la bureaucratie. On pourrait utiliser l'approbation comme un point de départ, mais il faut bien comprendre le processus. Si l'on utilise ce point de départ, ce qui est légitime du point de vue de la bureaucratie, à ce moment-là, le projet sur les hélicoptères maritimes a commencé à ce moment-là mais a été retardé indéfiniment parce qu'il n'a pas reçu d'approbation.
Ce que je veux dire, c'est que vous pouvez réfléchir pendant longtemps pour déterminer quel est le point de départ, mais quelle que soit votre décision ce sera toujours mieux que la situation actuelle. Tant que vous serez cohérent et que vous essaierez d'expliquer les choses, vous aurez un meilleur système, surtout si vous inscrivez les retards.
Je suis convaincu que si l'on vous donne neuf ans ou moins pour mener à bien un projet, neuf ans étant la période maximale — deux ans pour les exigences, deux ans pour la signature du contrat, et cinq ans pour la réalisation du projet — vous pouvez trouver le bon point de départ. Tant que vous savez que vous n'avez pas toujours le feu vert, vous pouvez catégoriser votre projet « en attente d'approbation ». Actuellement, nous avons le pire des deux mondes. Par exemple, aux États-Unis et au Royaume-Uni, ils connaissent le pourcentage de retard de leurs projets. Il s'agit de 14 et de 6 p. 100. Or, nous ne sommes même pas capables de chiffrer nos retards. Je pense que nous sommes en meilleure position que bien d'autres pays, mais nous ne pouvons pas le prouver. Le rapport du rendement fait partie des exigences lorsqu'il s'agit de rendre des comptes. Vous pouvez avoir un débat sur le moment où vous lancez le chronomètre et envisagez plusieurs options, mais quelle que soit votre décision, ce sera toujours mieux que la situation actuelle, puisque nous n'avons rien du tout.
Le sénateur Moore : J'ai l'impression que cette question du point de départ est une cible abstraite. Êtes-vous en train de dire que le point de départ devrait être le moment où le ministre donne son feu vert? Que se passe-t-il si nous sommes en compagne électorale? Est-ce qu'on commence à compter à ce moment-là ou lorsque le ministre est assermenté et peut dire « Je veux tel équipement pour telle force armée »?
M. Williams : La responsabilité des fonctionnaires commence une fois le projet et son budget approuvés, et une fois la phase d'identification en cours. Ce processus ne devrait jamais durer plus de neuf ans, à mon sens, et probablement beaucoup moins.
Cependant dans l'arène politique, souvent, on continue à débattre et à discuter de certains projets alors que tout le monde pense qu'ils ont été approuvés. Je propose simplement que, si le processus bureaucratique doit être de neuf ans au maximum, la première partie, soit l'approbation du projet par le gouvernement, ne devrait pas être oubliée. Les gens doivent comprendre que le processus n'a pas encore commencé puisqu'il est en attente d'approbation.
Le sénateur Moore : À votre avis, ce travail préliminaire devrait-il être compté dans les 15 ans que l'on devrait ramener à neuf?
M. Williams : Non.
Le sénateur Moore : Vous parlez du temps qui s'écoule entre l'approbation et la fin du projet?
M. Williams : Oui, ce devrait être neuf ans.
Le sénateur Moore : C'est votre référence.
M. Williams : C'est ma référence. Deux ans pour l'armée, deux ans pour les bureaucrates et cinq ans pour les entrepreneurs.
Le sénateur Banks : Je ne veux pas attribuer ma naïveté à mes collègues alors je vous dirais que moi, je suis assez naïf pour penser que deux ans et cinq ans, c'est encore trop long. Êtes-vous certain que pour garantir la pertinence, l'efficacité, l'efficience et la surveillance d'un projet, il faut neuf ans pour que l'armée puisse avoir ce dont elle a besoin?
M. Williams : Examinons chaque élément. D'abord l'armée doit déterminer ce dont elle a besoin. Deux ans, c'est le temps maximal. Dans mon livre j'insiste sur le phénomène de consolidation de l'industrie ces dernières décennies. Il existe environ cinq entreprises principales aux États-Unis, alors qu'il y en avait cinquante il y a une vingtaine d'années. Lorsque vous voulez acheter de l'équipement, il n'y a qu'une ou deux entreprises de toute façon, alors ça ne sert à rien d'avoir des exigences irréalistes que vous ne pourrez pas combler.
Le mois dernier, le numéro deux du Pentagone a dit qu'il pensait devoir revenir à la façon dont ils fabriquaient le modèle F-16 il y a 30 ans.
Le sénateur Banks : Grumman n'existe plus?
M. Williams : C'est exact, mais James Finley, le secrétaire adjoint des approvisionnements, a dit que l'on était en train de concevoir des exigences complètement déconnectées de la capacité de l'industrie. Aux États-Unis, ils sont beaucoup plus axés sur la R-D que nous le sommes. Ici, à juste titre, nous envisageons plutôt les produits d'emploi courant commerciaux et militaires.
Je pense que deux ans, c'est le maximum. Si les militaires se tournent vers l'équipement disponible à partir de leurs besoins, ce processus pourrait prendre beaucoup moins de temps.
En outre, vous n'avez pas toujours besoin d'autant de temps, et je vous ai donné un exemple. Si l'on est vif et précis, que l'on observe que quelqu'un fait exactement la même chose que nous, on peut économiser beaucoup de temps. Prenez, par exemple, le ravitaillement en vol. Nous nous sommes rendu compte que les Allemands faisaient exactement la même chose que nous. Plutôt que de perdre du temps à faire un énoncé des besoins, nous avons simplement conclu une entente de principe avec eux, intégré nos deux airbus à leur chaîne de production et économisé trois ans et 50 millions de dollars.
Si nous connaissons le marché et le travail de nos alliés, nous pouvons économiser du temps. Tout en sachant ce qui se fait à l'extérieur, nous devons nous assurer de ne pas fonder nos exigences sur les capacités d'une entreprise, car cela pose beaucoup de problèmes.
Deux ans, et peut-être moins, ce n'est pas déraisonnable. Pour les fonctionnaires, c'est sans doute assez réaliste, surtout parce que, comme vous le savez, nous sommes tenus de respecter certaines exigences en matière de compétitivité en vertu de l'Accord sur le commerce intérieur. Généralement, nous laissons à l'industrie trois mois pour examiner les acquisitions complexes. Nous voulons prendre le temps de discuter avec elle avant de finaliser nos projets.
Compte tenu de ces échéances, on peut compter un maximum de deux ans. Pour le contrat des hélicoptères maritimes, nous avons mis moins de deux ans, mais nous avions fait beaucoup de travail au préalable. Je ne pense pas que cela soit déraisonnable, mais peut-être pouvons-nous envisager trois ans au lieu de quatre.
Je parle des cinq ans prévus pour la livraison. Plus on favorise les produits d'emploi courant commerciaux et militaires, plus vous raccourcissez vos échéances. Souvenez-vous que plus de la moitié de ces neuf ans consiste à attendre que les produits arrivent. Plus votre commande est grosse, plus c'est long. Si vous demandez 40 unités, vous attendrez plus longtemps que pour 20.
Si l'on surveille ces échéances et qu'on les respecte, nous y arriverons.
Le sénateur Banks : Neuf ans, c'est le plus optimiste.
M. Williams : Non, neuf ans, c'est le maximum. Je pense que pour ce qui est du processus, on pourrait viser trois ans plutôt que quatre, et économiser un an. Si la livraison prend deux ans plutôt que cinq, cela vous fait gagner quatre ans sur les neuf.
Le sénateur Banks : Quoi qu'il en soit, dans des circonstances normales, neuf ans seraient une durée acceptable?
M. Williams : À mon avis, oui.
Le sénateur Banks : Lorsque nous nous sommes rendus sur une de nos bases, nous avons remarqué que l'équipement était plutôt dépassé. Il fonctionnait, mais il était caduc. Il lui manquait une pièce. Les opérateurs nous ont dit qu'ils pourraient aller chez Radio Shack et acheter cette pièce, mais qu'ils n'en avaient pas le droit, et que par conséquent, l'équipement était inutilisable.
C'était juste une anecdote.
M. Williams : Voulez-vous que je vous donne mon avis?
Le sénateur Banks : Certainement.
M. Williams : Je ne sais pas de quelle pièce vous parlez, mais lorsque nous achetons de l'équipement pour nos forces armées, il doit être suffisamment robuste pour supporter le conflit. Les gens parlent de cendriers qui coûtent des centaines de dollars. Cependant, si un dispositif explosif de circonstance, un IED, explose, vous ne voulez pas que le pare-brise de votre véhicule éclate. C'est pourquoi vous achetez les produits qui peuvent supporter ce genre d'environnement, et je ne suis pas sûr que l'exemple dont vous avez parlé soit très répandu.
En outre, quel que soit le produit que vous achetez, il faut l'entretenir. Vous devez choisir un produit qui a une bonne chaîne d'approvisionnement, afin que vous puissiez continuer à le recevoir de façon régulière. Je ne suis pas sûr que je voudrais risquer la vie de nos soldats avec une pièce que l'on peut acheter chez Canadian Tire ou Radio Shack, même si ce sont de très bonnes pièces pour les profanes.
Le sénateur Banks : Je parlais d'une pièce d'équipement de communication sur le terrain. Nous risquions plutôt la vie de nos soldats parce que cet équipement ne fonctionnait pas correctement, puisqu'il lui manquait une pièce.
M. Williams : J'aurais besoin de plus de détails sur votre exemple, mais, généralement, lorsque les gens me racontent des anecdotes je leur dis, « donnez-moi des preuves et soyez précis ». Elles tiennent rarement la route. Si nos soldats étaient en danger, je sais que tout le monde ferait le maximum pour obtenir la pièce manquante aussitôt que possible. Cela peut être l'exception qui confirme la règle.
Le sénateur Banks : J'espère que c'est vrai, je suis sûr que vous avez raison.
Dans votre livre, vous avancez qu'il faut changer le processus, mais je crois vous avoir entendu dire que la plupart des gens au gouvernement ne comprennent pas ce qui cloche dans notre processus d'acquisition du matériel de défense. J'imagine que s'ils le savaient, vous auriez pu régler le problème lorsque vous étiez à la barre. Il me semble que vous avez dit qu'il fallait une directive non équivoque du premier ministre, sans quoi cette recommandation n'aboutira pas.
M. Williams : C'est exact.
Le sénateur Banks : Est-ce une accusation envers la bureaucratie?
M. Williams : Oui : j'ai eu la chance de passer environ cinq ans à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada dans le domaine de l'octroi de contrats et de l'approvisionnement et j'ai passé un certain temps au ministère de la Défense nationale. Je ne pense pas que qui que ce soit d'autre ait eu la chance de vivre cette expérience et de comprendre toutes les dimensions des acquisitions au ministère de la Défense nationale et ailleurs. J'ai une vaste compréhension des cadres juridique et industriel de ce processus ainsi que des circonstances propres au ministère de la Défense nationale.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les changements que je propose sont nécessaires. Je ne suis pas le premier à les recommander. Comme je l'ai dit, le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants et John McCallum les ont recommandés également. Cependant, malheureusement, certains ont peur d'en sortir perdants. À mon avis, il faut faire passer nos soldats avant tout. Or, ce n'est pas toujours ce que l'on observe. C'est ce qui se passe lorsqu'il y a des guerres de clochers à la fonction publique, à moins qu'il y ait des directives claires pour les éviter. Le statu quo, c'est très bien. À TPSGC, les gens aiment traiter des dossiers de la Défense. C'est amusant de visiter des chantiers navals et des foires sur l'équipement aérien. Cet équipement est très intéressant, beaucoup plus excitant que des ordinateurs ou des meubles. Par conséquent, et ce n'est pas surprenant, TPSGC ne veut pas abandonner ce secteur. Pourtant, il ne s'agit pas d'un service commun. Ce ministère s'est engagé à économiser 2,5 milliards de dollars en service commun. Je suis convaincu que si on lui retirait cette responsabilité, il serait bien plus à même de se concentrer sur son réel mandat et de réaliser ces économies plutôt que de perdre énormément de temps, d'énergie et de ressources à s'occuper de ce dossier qui, honnêtement, ne fait pas partie de son mandat.
Deuxièmement, on dit que TPSGC assure un contrôle objectif et indépendant, et l'ouverture, l'équité et l'intégrité du processus, ce qui est un rôle valable, mais il était valable avant l'Accord sur le commerce intérieur et avant la création du Tribunal canadien du commerce extérieur. Aujourd'hui, tout le monde connaît les mécanismes de recours. S'il y a transgression ou acte répréhensible, les coupables se retrouvent devant le TCCE en moins de temps qu'il faut pour le dire.
Par conséquent, nous n'avons pas besoin d'eux en plus, pas au détriment du temps, de l'argent ou de la reddition de comptes. Ce rôle nous coûte trop cher.
Le sénateur Banks : Êtes-vous d'accord pour dire qu'en ce qui ce concerne l'approvisionnement et les dépenses en équipement, parmi tous les ministères du gouvernement, la Défense nationale est unique, doit être traitée et doit fonctionner différemment de tous les autres ministères?
M. Williams : Oui : Plus de la moitié du travail de Travaux publics et Services gouvernementaux concerne la Défense nationale. Le ministère est gros mais, ce qui est encore plus important, il n'a rien à gagner. Une agence de service commun fait de son mieux lorsqu'elle réalise des économies importantes.
Le sénateur Banks : Tout le monde a besoin de trombones.
M. Williams : Tout le monde a besoin de trombones, mais pas forcément de sous-marins, d'hélicoptères, de systèmes de canon mobile ou de véhicules blindés légers, VLB3. Il n'y a qu'un organisme qui a besoin de toutes ces choses, et sa taille et complexité nous obligent à fonctionner de cette façon. Je vous ai dit que l'on économiserait du temps et de l'argent avec une orientation et une reddition de comptes claires. Ça ne fait aucun doute dans mon esprit.
Le sénateur Meighen : Puis-je vous poser une question supplémentaire?
Le sénateur Banks : Allez-y, j'ai terminé.
Le président : Pour une précision, vous avez la parole.
Le sénateur Meighen : Le sénateur Banks vous a posé une question au sujet du ministère de la Défense nationale, qui est un ministère unique. J'ai entendu votre réponse et je suis tout à fait d'accord avec vous. En fait, notre comité a déjà recommandé que le ministère de la Défense soit traité de façon distincte, car il est unique.
Le président : Et nous ne voulons pas dire qu'il est pire que les autres.
Le sénateur Meighen : Cependant, maintenant que vous pouvez parler librement et honnêtement, pensez-vous que cette idée sera accueillie favorablement par les fonctionnaires? De plus, si vous êtes prêt à nous donner votre avis au sujet de la réponse politique, je serais heureux de la connaître.
M. Williams : Je peux vous dire ce que j'ai observé de mes yeux. Il est certain qu'à la Défense nationale, cette idée serait bien accueillie. Le sous-ministre et les ministres sont d'accord. À TPSGC, nous pensions parfois avoir leur soutien puis, lorsque nous leur proposions l'idée, il n'y avait plus personne. Je parle de tout cela dans mon livre, alors ce n'est pas une primeur.
Pour être honnête envers les ministres, je ne suis pas convaincu qu'ils aient vraiment eu toute l'histoire. C'est pourquoi je dis qu'une des raisons nous n'avons pas pris cette décision, c'est que les ministres ne comprenaient pas.
Le sénateur Banks : Excusez-moi d'intervenir, mais pourquoi donc? On s'attendrait à ce que les ministres comprennent cette question.
Le président : Sénateur Banks, vous devez bien avoir une idée.
M. Williams : Ce que je veux dire, c'est que je sais que l'information n'arrive pas toujours jusqu'aux ministres. Les fonctionnaires contrôlent l'information qu'ils reçoivent.
Le sénateur Meighen : Ils ont une version incomplète plutôt qu'une version inexacte.
M. William : Oui. Par exemple, je n'arrivais jamais à savoir si le ministre Scott Brison était d'accord ou non, parce que je n'étais jamais sûr qu'il avait reçu l'information exacte, telle que je l'avais exprimée. J'aurais été surpris qu'il dise non. Ce qui me dérange, dans ce que je vous dis — à moins que je me trompe mais cela m'étonnerait — c'est qu'on connaît les avantages de ce changement, et qu'il s'agirait de faire passer nos soldats avant les fonctionnaires. Cependant, je n'étais jamais sûr qu'il recevait l'information exacte et nous restions dans l'incertitude. À moins que les deux organismes soient d'accord pour travailler de concert, rien ne changera. Nous serons simplement frustrés, nous dirions trop c'est trop, qu'il faut nous laisser faire notre travail. Un jour à une autre époque, peut-être les deux organismes seront-ils partants pour coopérer.
Le sénateur Moore : Monsieur Williams, à la page 2 de votre exposé, vous dites que cela résout le problème de la forte pénurie de la main-d'œuvre qualifiée, qui s'aggrave au fur et à mesure du vieillissement de la population, et c'est aussi important. Vous dites également qu'un tiers du personnel a actuellement 55 ans et plus, et que les deux tiers ont 45 ans et plus.
M. Williams : Les deux tiers; 65 p. 100.
Le sénateur Moore : Que peut-on faire? Où est-ce que les gens reçoivent leur formation? Est-ce en cours d'emploi? Est-ce qu'il y a des universités qui offrent un cours sur les systèmes ou les procédures d'acquisition? Comment pouvons-nous former le personnel nécessaire pour combler les lacunes?
M. Williams : Premièrement, vous éliminez une grande partie du problème dès le départ en créant un organisme. Au lieu d'avoir deux organismes qui peuvent se faire des emprunts, chacun incapable de répondre à tous ses besoins, vous en aurez un seul qui aura des besoins moins élevés et qui sera donc plus en mesure de doter tous ses postes.
La réponse à la deuxième question est positive, car tant au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux qu'au ministère de la Défense nationale, il y a une abondance de cours de formation. On consacre des milliers d'heures-personnes à former tous les préposés aux achats, les PG comme on les appelle, pour qu'ils apprennent les processus et acquièrent les compétences nécessaires. Souvent, la formation est donnée en collaboration avec le secteur privé, avec l'Institut de gestion du matériel, et il existe un grand nombre de cours pour former les employés.
Il y a également de bons critères pour l'avancement aux différents échelons hiérarchiques : PG2, PG3, PG4, PG5 et PG6. De nombreuses mesures ont été prises à la fonction publique pour assurer l'avancement et la formation requise. Le problème n'est pas tellement le manque de formation, mais la pénurie d'employés au sein des deux organismes pour l'exécution du processus.
Le sénateur Moore : La pénurie d'employés pour exécuter quel processus?
M. Williams : Les projets dont nous parlons, pour l'acquisition de X, Y ou Z. C'est une autre contrainte. S'il n'y a pas assez de gens on ne peut pas entreprendre les projets comme on le souhaiterait. Il n'y a pas assez de gens pour doter telle ou telle équipe de projet.
Le sénateur Moore : Vous parlez de compression et maintenant vous dites qu'il nous faut plus de gens.
M. Williams : Non, je dis que le regroupement permettrait d'éliminer ou de régler le problème immédiat de la pénurie des compétences. S'il manque des employés dans les deux organismes et que vous les regroupez, vous aurez assez de gens pour répondre aux besoins d'un organisme. Ensuite, la clé c'est ce que vous dites. En prévision des retraites, il faut recruter assez d'employés aux échelons inférieurs et les former et être assez enthousiastes au sujet de la matière et de la formation, ce qui leur permettra d'avancer et de relever ces défis.
Le sénateur Moore : Si cette entité distincte, cet organisme d'acquisition du matériel de défense, était créée comme vous le recommandez dans votre livre et dans vos propos, quel effet est-ce que cela aurait sur l'esprit de corps des fonctionnaires qui travaillent dans cette section? Est-ce qu'ils se diront que si seulement cet organisme existait ils seraient plus zélés et réussiraient à attirer davantage de personnes mieux qualifiées et pourraient ainsi faire le travail avec plus d'enthousiasme?
M. Williams : Si c'est ce que pensait la fonction publique, ça existerait déjà, or ça n'existe pas donc, nous sommes forcés de conclure que ce n'est pas tout le monde qui pense ainsi.
Les fonctionnaires du ministère de la Défense nationale seraient certainement en faveur de cette mesure. Bon nombre de fonctionnaires du ministère de Travaux publics se sentiraient plus proches du client puisqu'ils feraient partie d'un organisme unique qu'ils appuieraient. Le défi se situe aux échelons moyen et élevé où les gens auraient peut-être le sentiment de perdre quelque chose qui leur plaît beaucoup. C'est pourquoi j'ai dit tout au long que si nous demandons aux bureaucrates ce qu'ils en pensent ils diront non.
Le sénateur Moore : Est-ce que ce serait uniquement pour préserver leur territoire?
M. Williams : Oui : je suis convaincu que ce n'est rien de plus que cela, mais ce n'est pas vrai pour tout le monde.
Le sénateur Moore : Il faudra donc en plus qu'une décision politique soit prise.
M. Williams : C'est justement ce que je disais.
Le sénateur Moore : Est-ce que votre expérience au ministère des Travaux publics où vous avez passé cinq ou six ans vous a aidé, une fois rendu au MDN, à éliminer des coûts ou à raccourcir les délais de livraison de l'équipement?
M. Williams : Ensemble, oui, absolument. Dans mon livre, je dis qu'il faut s'orienter vers l'acquisition globale. Il y a toute une liste de pratiques exemplaires, comme pour le ravitaillement en vol. En d'autres mots, il s'agit d'utiliser ce que font les autres comme levier.
Voyez aujourd'hui le nombre de pratiques exemplaires qui ont été adoptées par les fonctionnaires des deux ministères, et je suis convaincu que vous verrez que les délais sont bien inférieurs à 15,8 ans. À la condition de mesurer ces choses et de les rendre publiques, qui pourrait penser autrement?
Le sénateur Moore : Ma dernière question porte sur votre crainte que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ne reçoive peut-être pas toute l'information dont il devrait disposer pour prendre une décision en matière d'acquisition du matériel de défense. Grâce à la connaissance que vous avez acquise du dossier en tant que sous-ministre, est-il acceptable ou inacceptable que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux vous dise : « Monsieur Williams, pouvez-vous venir à mon bureau pour m'informer sur cette question? » Vous travaillez au ministère de la Défense nationale. Est-ce que cela se fait? Est-ce que c'est acceptable?
Si vous craignez qu'un ministre de la Couronne n'ait pas en main les meilleurs renseignements, comment est-ce que le ministre doit l'obtenir? Je pense que c'est le sous-ministre de la Défense qui doit les lui fournir.
M. Williams : Je ne peux pas être catégorique. Il serait surprenant que je n'aie pas rencontré des ministres et discuté avec eux lors de séances d'information organisées par le ministère de la Défense nationale à l'intention du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Cela se fait souvent.
Le sénateur Moore : Pendant que vous étiez au MDN, est-il arrivé que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux vous demande de passer le voir pour l'informer sur un dossier en particulier?
M. Williams : Oui, à maintes reprises. Ça arrivait également à mes directeurs généraux. Souvent, je le faisais pour un dossier en particulier.
Le sénateur Moore : Si vous aviez craint qu'un ministre n'ait pas la meilleure information possible peut-être parce que la décision se faisait attendre ou parce que certains indices vous faisaient soupçonner qu'elle allait être négative, pouviez-vous prendre l'initiative d'une telle rencontre?
M. Williams : Seulement si on m'invitait à parler, ou alors je pouvais demander à mon adjoint de vérifier auprès de son homologue dans l'autre ministère.
Le sénateur Moore : Vous êtes le fonctionnaire responsable. C'est vous qui connaissez le dossier. Vous savez, ou à tout le moins vous croyez savoir, que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ne possède probablement pas toute l'information nécessaire à cause de l'obstruction d'un bureaucrate. Est-ce que vous vous sentez responsable de fournir au ministre une information plus complète? Est-ce qu'il n'y a aucun processus qui vous permet de faire cela?
M. Williams : Permettez-moi de dire deux choses. Vous présentez la chose comme s'il s'agissait d'un problème courant.
Le sénateur Moore : Ce n'était pas mon intention.
M. Williams : Ce n'est pas ce que je pensais non plus.
Le sénateur Moore : Même si cela ne se produit qu'une fois : si vous avez en votre possession des renseignements et que vous pouvez contribuer au bien-être du pays, pourquoi est-ce que vous ne pourriez pas agir? Est-ce que vous le pourriez?
M. Williams : Permettez-moi de faire la différence entre l'examen d'un dossier en particulier et ce dont je parlais, soit l'appareil gouvernemental de base.
Pour ce qui est de l'examen des dossiers je pense que nous sommes au même diapason. Nous travaillons en collaboration. Lorsque nous faisions des séances d'information ensemble, les choses se déroulaient sans heurt. Il n'était pas rare que les deux bureaucraties soient en contact avec les deux ministres.
Cependant, ce n'est pas de cela que je vous parle. Je vous parle d'une importante question qui touche à l'appareil gouvernemental. Je vous parle plus précisément de cas où j'étais convaincu que les deux ministres n'avaient pas été suffisamment bien informés de tous les éléments. Il faut que je trouve une explication rationnelle sinon cela voudrait dire que certaines personnes placent la bureaucratie devant le bien-être de nos militaires et je préfère croire que ce n'est pas le cas.
Le sénateur Meighen : Avant que le président ne me donne la parole, j'ai consulté de nouveau vos recommandations. Je crois me souvenir que vous en avez fait une sur la nécessité de reformuler les règlements concernant le déploiement des forces. Est-ce bien exact?
M. Williams : Je ne pense pas.
Le sénateur Meighen : Je veux parler non pas du déploiement, mais du développement des forces.
M. Williams : Je n'ose jamais en parler.
Les seuls règlements dont j'ai parlé concernent le tribunal canadien du commerce extérieur et les différentes lois pour créer un organisme d'acquisition du matériel de défense au Canada. J'ai fait des commentaires sur le nouveau plan d'acquisition du matériel de défense qu'on veut mettre en place et sur les améliorations qu'on pourrait y apporter. Cependant, je ne parle pas de règlement sur le développement des forces, du moins, je n'aurais pas dû en parler, et je ne pense pas l'avoir fait.
Le sénateur Meighen : Je vais essayer de retrouver le passage dans votre livre. Passons à autre chose.
Pensez-vous qu'on devrait s'approvisionner plus fréquemment auprès d'un fournisseur unique, ou est-ce que cela comporte des pièges? Le terrain est-il miné?
M. Williams : Si c'était à moi d'en décider, on ne procèderait jamais ainsi. Tout le monde y perd. Le contribuable y perd, l'armée aussi et l'industrie également.
Le sénateur Meighen : N'avez-vous pas dit que l'industrie s'était fortement consolidée et qu'il n'en existait pratiquement plus qu'une?
M. Williams : J'ai dit deux ou trois. Deux ou trois, c'est bien. Une seule, ça ne l'est pas. Les trois plus gros consortiums au monde ont participé au programme des hélicoptères maritimes. Un seul a remporté le marché. Il n'y a pas eu que des heureux. Néanmoins, trois d'entre eux ont jugé l'appel d'offres suffisamment intéressant pour consacrer de millions de dollars à leurs soumissions.
Chaque fois qu'on fait une présélection, on se prend pour Dieu. Pour une raison quelconque, on prétend savoir ce qui conviendra le mieux à l'armée. En réalité, personne ne peut le savoir avant que la concurrence n'ait joué.
Dans la meilleure des hypothèses, on a affaire à un budget fixe. Si on peut économiser 50 ou 100 millions en renonçant au fournisseur unique et en contraignant ce fournisseur à affronter la concurrence et à baisser ses prix, on peut réaffecter cet argent à d'autres priorités de défense.
Le sénateur Meighen : Je comprends. Mais n'y a-t-il pas des exceptions à la règle, comme dans le cas de la jeep Nyala en Afghanistan? De toute évidence, la Iltis ne faisait pas l'affaire. Il a fallu agir d'urgence.
M. Williams : C'est ce que l'on fait régulièrement. L'alinéa 506.11a) de l'Accord sur le commerce intérieur parle de la possibilité d'agir rapidement en cas d'événements imprévus. Il est absolument certain que nous faisons tout ce qu'il faut pour protéger la vie de nos militaires.
Lorsque nous avons acheté des véhicules aériens tétépilotés, nous avons agi rapidement parce que nous savions que nous en avions besoin. Lorsque nous avons obtenu les systèmes de radar de contre-bombardement de la Suède, nous avons agi rapidement parce que nous en avions besoin pour protéger nos effectifs dans les bases. Il est toujours possible de procéder ainsi.
Le fait d'agir ainsi pour ces raisons précises ne pose pas de problème. Il existe des besoins à court terme. On les satisfait en agissant de cette façon. Ce n'est pas de cela que nous parlons, mais de l'achat de transport aérien tactique ou d'une autre sorte de matériel militaire. On en parle depuis longtemps. Dans un tel cas, on perd plus de temps en essayant de contourner les règles qu'en agissant au grand jour. L'aéronef de recherche et sauvetage en est un parfait exemple.
En 2004, le ministère des Finances nous a dit : « On vous accorde une rallonge. Comment allez-vous l'utiliser? J'ai rencontré le vice-chef à l'époque et je lui ai dit : « Très bien, l'avion de recherche et sauvetage constitue un besoin essentiel. Tout le monde en convient. Le Canadien moyen comprend qu'il nous faut de quoi assurer le sauvetage de nos militaires. Prenons cet argent et passons à l'action. » C'était il y a trois ans, et rien n'a encore été fait, essentiellement parce qu'au lieu de passer par la grande porte et d'élaborer un cahier des charges jusqu'à l'étape ultime, on s'est constamment efforcé de présenter des spécifications qu'une seule compagnie pouvait remporter.
Nous avons perdu trois ans. Pourtant, j'ai toujours dit aux militaires : « Faites-nous confiance, nous allons satisfaire vos besoins ».
Le président : Monsieur Williams, il s'agissait d'une société qui avait de bons contacts politiques, qui savait en jouer et qui a court-circuité le système. Il ne s'agissait pas de trouver un raccourci; c'est la société qui a dit : « Attendez un peu que l'on modifie cette pièce et qu'on la mette à l'épreuve. »
M. Williams : Sauf votre respect, je ne pense pas que ce soit la raison véritable du retard. J'ai participé à l'affaire dès le début. Je connais toutes les sociétés qui étaient prêtes à miser. Nous leur avons toutes rendu visite. Nous aurions pu et nous aurions dû exiger qu'il y ait plusieurs concurrents. L'industrie canadienne aurait ainsi pu participer aux différents consortiums et cela aurait permis au ministre d'affirmer que son choix n'était pas fait d'avance et que l'adjudicataire serait celui qui allait répondre à nos besoins. Plusieurs sociétés prétendaient pouvoir adapter leurs produits de façon à répondre à nos besoins. Moi, je conseille aux militaires de ne pas réduire leurs exigences. Le ministre doit dire que la capacité des nouveaux équipements doit être égale ou supérieure à ce que nous avons déjà. On peut le dire de différentes façons et voir ce que l'industrie peut nous offrir.
Le président : Je vais modifier légèrement ma question et, croyez-le ou non, il s'agit d'une question supplémentaire. Que se passe-t-il lorsque la capacité baisse et se dégrade à un tel point qu'on se retrouve en situation d'urgence? On parle depuis longtemps d'un transport aérien tactique. Dans cet exemple, à quel stade va-t-on considérer que le Hercule C-130 s'est détérioré au point de provoquer un dysfonctionnement dans les Forces canadiennes? À quel stade peut-on enfreindre les règles et dire que l'on a besoin de cet équipement, car on ne peut pas fonctionner sans lui?
M. Williams : Je ne peux pas vous donner de réponse. Je sais qu'on a passé beaucoup de temps à s'inquiéter du Hercule et à élaborer des plans à court et à long terme. C'est toujours l'argument qu'on utilise pour éviter de faire jouer la concurrence.
Ce que j'affirme, c'est qu'en l'espèce, il n'y a pas d'imprévu. On a deux possibilités. Soit on invoque la sécurité nationale pour contourner les règles et acheter immédiatement, soit on accepte d'y consacrer les trois ou quatre mois nécessaires et on le fait comme il faut. J'ai toujours opté pour la dernière formule. Si on agit dès qu'on a le feu vert, on a des chances d'aller plus vite que si l'on s'efforce de convaincre les autorités qu'il n'y a qu'un seul fournisseur possible. En invoquant la sécurité nationale, on offre à un fournisseur, sur un plateau d'argent, des milliards de dollars provenant de la poche du contribuable canadien. Cela ne me plaît pas. Je préfère que plusieurs fournisseurs affûtent leur crayon. Le marché sera toujours adjugé, mais pour plusieurs millions de dollars de moins, qui resteront dans le budget de la défense et qui pourront servir ailleurs.
Le sénateur Meighen : Passons à autre chose, monsieur Williams. J'aimerais savoir si, à votre avis, il serait utile d'accélérer la procédure. Notre comité a demandé à plusieurs reprises que le niveau d'approbation du ministre de la Défense nationale pour les grands projets d'investissements soit porté à 500 millions de dollars. Je crois qu'actuellement, pour les projets de plus de 30 millions de dollars, le ministre doit s'adresser au Cabinet, et si la limite était portée à 500 millions de dollars, le Cabinet pourrait toujours demander des détails. Je crois qu'il y a actuellement 49 projets sur les tables à dessin, et que l'augmentation du plafonnement réduirait à 10 le nombre des projets nécessitant l'approbation du Cabinet.
Y a-t-il une raison qui s'oppose à ce changement?
M. Williams : Non. Mais permettez-moi de mettre les choses en contexte. Actuellement, deux organismes interviennent; au-delà d'un certain montant contractuel, il faut passer par le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Les deux doivent être combinés en un seul organisme. J'affirme que si l'on avait un plan des capacités de la défense suffisamment élaboré qui contienne tous les projets en ordre de priorité et que ce plan soit approuvé par le Cabinet, il est certain qu'on pourrait dès le début obtenir l'approbation du Conseil du Trésor, sans avoir à revenir devant le Cabinet, projet par projet. Vous avez tout à fait raison. On pourrait même faire encore plus simple. L'essentiel est de faire approuver au départ cette liste de projets, les ministres comprennent ce qu'elle signifie, ils savent comment on va procéder dans chaque projet et ils permettent à un ministre unique d'en assumer la responsabilité plutôt que de la répartir entre deux ministres. Chaque fois que l'on divise la responsabilité, il est difficile de situer exactement l'origine des problèmes. Avec un seul ministre, on peut prévoir une autorité contractuelle plus élevée une fois que le plan d'ensemble a été analysé, qu'il est bien compris et que l'on sait pourquoi chaque projet figure au plan. Ce n'est que lorsqu'on s'écarte du plan d'un certain pourcentage qu'il faut revenir devant le Cabinet, et à toute allure. On obtient ainsi une procédure simplifiée. J'ai fait des recommandations à cet effet dans mon livre.
Le sénateur Meighen : Puis-je vous poser une dernière question sur la vieille histoire célèbre de l'achat des sous- marins? En tant qu'ancien avocat, il me semble qu'on a là une illustration de la maxime caveat emptor. J'étais personnellement favorable à l'achat de ces sous-marins, mais il semble que l'erreur qu'on ait faite, c'est de les laisser en cale sèche ou à quai pendant plusieurs années car immanquablement, tout ce qu'on laisse ainsi à l'abandon se dégrade. C'est l'évidence même. Pourquoi a-t-on fait cette erreur? Est-ce une erreur de méthode ou une erreur humaine?
M. Williams : Je ne sais pas si on a fait souvent cette démarche qui consiste à remettre en service des sous-marins usagés. J'ai révisé les dossiers des sous-marins en préparant ma comparution devant ce comité et devant celui des Communes, et je sais que nombreux sont ceux qui se sont efforcés de prévoir les événements. Des ingénieurs des deux pays ont procédé à une révision. Ils ont fait du mieux qu'ils pouvaient pour comprendre l'ampleur des travaux de réfection à effectuer.
Il reste que c'est le Royaume-Uni qui a acquitté la facture de la grande majorité des améliorations, et non pas le contribuable canadien.
Le sénateur Meighen : Je ne m'en étais pas rendu compte et je ne sais pas si la plupart des contribuables canadiens s'en rendent compte.
M. Williams : En effet. Mon homologue britannique a sans doute dû en supporter plus que moi. Nous avons dû réparer des éraflures et des problèmes de ce genre, mais de façon générale, les dispositions contractuelles étaient telles que tous les problèmes ont été pris en charge par le Royaume-Uni. Nous avons également été pénalisés parce que les sous-marins n'étaient pas en service à une époque où nous voulions faire de la formation, pour que les sous-marins soient bien pourvus en personnel. Le haut-commandement de la marine devrait être plus en mesure de vous parler de ces délais.
Tout le monde était persuadé que les responsables du projet faisaient de leur mieux et s'acquittaient de leurs tâches avec rigueur. Tout le monde a été surpris de l'ampleur des problèmes et des retards qu'ils ont provoqués. En définitive, la valeur résiduelle des sous-marins est de 25 p. 100, à condition qu'on puisse les faire marcher.
Le sénateur Moore : Je crois savoir qu'une bonne partie des coûts que le Canada a dû prendre en charge dans ce programme d'acquisition des sous-marins tient au fait que nous n'avons pas voulu reprendre les systèmes d'armement britanniques qui étaient installés sur ces sous-marins. Nous avons préféré les réoutiller et les doter de systèmes canadiens alors qu'on aurait pu s'accommoder des systèmes britanniques. La Grande-Bretagne est un allié et vous avez parlé tout à l'heure des économies de temps et d'argent qu'on faisait en collaborant avec nos alliés.
Est-ce bien le cas?
M. Williams : Il est indiscutable qu'une bonne partie du programme portait sur la canadianisation du système. Là où mon avis diffère du vôtre - et vous devriez en parler avec des représentants de la Marine plutôt qu'avec moi - c'est que même si les systèmes britanniques avaient fait leurs preuves, nous travaillons dans un environnement différent. Nos responsabilités de communication et nos exigences concernant les radars sont différentes et je pense que la démarche de canadianisation n'a pas été entreprise simplement pour des raisons de temps et de coût, mais parce qu'elle était nécessaire au fonctionnement de nos systèmes dans notre environnement.
Vous devriez étudier la question de façon plus détaillée. En réalité, ça n'a pas été une surprise. Ce n'est pas au niveau de la canadianisation que les problèmes sont apparus. L'opération avait été organisée et figurait au budget.
Le sénateur Moore : Y compris les systèmes d'armement?
M. Williams : Oui.
Le sénateur Moore : Est-ce que tout a été prévu avec la diligence nécessaire dans les plans et les budgets pour qu'il n'y ait pas de surprises? Combien aurions-nous économisé en adoptant les systèmes britanniques de missiles qui étaient installés à bord des sous-marins?
M. Williams : Je ne peux pas vous donner un chiffre de mémoire. Je ne veux pas conjecturer.
Le sénateur Moore : Pourquoi n'avons-nous pas adopté ces systèmes?
M. Williams : Ces décisions sont prises par des gens qui s'y connaissent mieux que moi, car il est ici question d'un environnement opérationnel militaire.
De toute évidence, la Marine a considéré que pour faire naviguer ces sous-marins dans notre environnement, il fallait les équiper de systèmes exclusivement canadiens. Cela ne me surprend pas. Il faudrait demander aux responsables de la Marine pourquoi nos systèmes sont préférables.
Le sénateur Moore : Quand nous construisons un destroyer, les systèmes d'armement qu'on installe à bord proviennent de différents pays; ensuite, on en découvre les technicalités.
M. Williams : Non.
Le sénateur Moore : Tout ce qui est embarqué à bord d'une frégate construite au Canada est fait au Canada?
M. Williams : Je vais reprendre l'exemple de l'hélicoptère maritime. Son châssis et ses systèmes existent déjà, mais le danger, c'est d'intégrer tous les différents systèmes en une formule unique dans notre propre hélicoptère. Nous ne nous sommes pas dotés d'un hélicoptère équipé d'un système d'armement provenant de tel ou tel pays. Nous avons pris un châssis et nous y avons intégré des systèmes d'armement pour en faire un aéronef utilisable dans notre environnement.
Le sénateur Moore : D'où proviennent ces systèmes d'armement?
M. Williams : Il y en a toute une gamme.
Le sénateur Moore : Du monde entier, et c'est bien là que je voulais en venir.
M. Williams : Nous n'achetons pas un hélicoptère étranger dont nous retirons les systèmes.
Le sénateur Moore : Je sais. Ce que je veux dire, c'est qu'il y avait à bord de ces sous-marins un armement militaire éprouvé dont nous n'avons pas voulu, et que nous aurions pu reprendre, ce qui nous aurait permis d'économiser des millions.
M. Williams : Je ne suis pas certain que ces armes auraient pu fonctionner dans l'environnement canadien.
Le sénateur Moore : Je ne suis pas certain qu'ils aient été équipés de missiles et de torpilles.
Le président : Monsieur Williams, même avec tout l'argent consacré aux sous-marins, ils restent toujours beaucoup moins coûteux que les autres formules, n'est-ce pas?
M. Williams : Oui. Au moment de mon départ, leur coût représentait 25 p 100 de celui des autres options. Il a peut- être augmenté. Mais ces sous-marins coûtent beaucoup moins chers que des neufs.
Le président : Ces chiffres sont-ils toujours valides, même si nous en sommes presque à mi-chemin dans la durée d'utilisation des sous-marins, que le Chicoutimi ne soit plus en lice et que les autres ne seront sans doute pas pleinement opérationnels avant encore un an ou deux?
M. Williams : Oui. D'après le plan, ils doivent rester en service pendant au moins 20 ans, et c'est toujours ce qui est prévu. Vous vous souvenez qu'on avait sous-estimé le coût de l'entretien de chacun d'entre eux, mais qu'il a ensuite été pris en compte pour assurer une parfaite transparence des coûts. Nous avons effectivement fait des économies, à condition qu'on puisse rendre les sous-marins opérationnels.
Le président : Et que faites-vous de l'opinion publique, qui a l'impression que le contribuable a été floué par l'achat de ces sous-marins?
M. Williams : On a beau dire qu'ils ne coûtent que 25 cents quand les autres options auraient coûté un dollar, mais nous n'avons toujours rien en échange.
Tout le monde a entendu parler des problèmes et des retards et on se demande maintenant si nous pourrons nous en servir un jour. S'ils ne sont jamais opérationnels, les 25 cents auront été gaspillées. Je comprends que les gens tiennent ce raisonnement. Mais si les sous-marins peuvent être mis prochainement en service et qu'ils le restent pendant 20 ou 30 ans, ce sera une bonne affaire pour le Canada, compte tenu de notre budget limité.
Le président : Je me demande si vous ne nous racontez pas une histoire pour nous vendre votre salade.
Le sénateur Day : J'aimerais que l'on parle maintenant de l'annonce faite il y a quelques semaines à propos du radar haute fréquence à ondes de surface qu'on est en train de mettre au point. Si je me souviens bien, on en a prévu trois sur la côte ouest et deux sur la côte est. C'était un élément important du plan du MDN. Le programme a été annulé par le gouvernement actuel parce qu'apparemment, le ministère des Communications n'était pas prêt à accorder les fréquences utilisées par ce matériel, alors qu'on y a déjà consacré des millions de dollars. Le programme visait à nous permettre de savoir ce qui se passe en mer à l'approche de nos côtes. Est-ce que c'est un problème d'approvisionnement ou est-ce que la Défense nationale ne s'est pas rendu compte d'un problème potentiel? Comment un tel imbroglio a-t-il pu se produire?
M. Williams : Le problème n'est pas nouveau. Il se posait déjà lorsque j'y étais. En toute justice, je croyais à l'époque qu'Industrie Canada et Communications Canada cherchaient à établir où se situerait le projet sur le spectre.
Malgré les efforts déployés, ils n'y sont de toute évidence pas parvenus. Je ne sais pas si autre chose aurait pu être fait pour régler le problème. Cette impasse m'a quelque peu étonné, mais il semblerait que les deux organismes ne soient pas parvenus à s'entendre et leur haute direction respective n'a pas cru bon imposer une solution.
Le président : À ce sujet, sénateur Day, le lieutenant général Marc Dumais n'a pas pu nous expliquer la raison d'être de cette impasse, mais il s'est engagé, au nom du ministère, à nous fournir tous les renseignements s'y rapportant. M. Williams voit peut-être les choses sous un autre angle.
Le sénateur Day : Durant la phase des approvisionnements, laissez-vous ce genre de question à d'autres? Le ministère de la Défense se contente-t-il de faire connaître ses besoins et demande-t-il à un autre organisme de faire toutes les vérifications nécessaires?
M. Williams : Non. Tant l'armée, lorsqu'elle exprime ses besoins, que le service des approvisionnements, qui est chargé de l'exécution du projet, déploieraient tous les efforts voulus pour aplanir toutes les difficultés susceptibles de se poser.
Le sénateur Day : L'acquisition des licences nécessaires fait-elle aussi partie du processus des approvisionnements?
M. Williams : Tout à fait. Nous collaborons dans ce domaine et si les besoins des militaires ne sont pas satisfaits, nous essayons ensemble de trouver une solution. Comme bon nombre de ceux qui travaillent au sein du service des approvisionnements sont des militaires, nous n'épargnons aucun effort pour trouver une solution au problème qui se pose parce que nous avons à cœur l'intérêt de nos collègues.
Le sénateur Day : Nous verrons quelles explications nous obtiendrons d'autres sources, mais si j'ai soulevé la question aujourd'hui, c'est parce que vous étiez sous-ministre à l'époque.
M. Williams : Sous-ministre adjoint.
Le sénateur Banks : Avez-vous bien dit que les personnes qui seraient chargées du processus des approvisionnements seraient aussi celles qui seraient chargées d'obtenir une licence du CRTC, par exemple? Cela fait-il partie du processus des approvisionnements?
M. Williams : Si, au moment de définir nos besoins relatifs à ce radar à ondes de surface, nous constations qu'un problème se posait entre Industrie Canada et le service de communication, notamment sur la fréquence du spectre à utiliser, nous ne resterions pas les bras croisés en attendant qu'ils règlent le problème. Comme je le fais remarquer dans le livre, les civils devraient connaître le système tout aussi bien que les militaires. Nous convoquerions une réunion et nous tâcherions d'amener les divers intervenants à trouver une solution au problème. Voilà ce que j'essayais de dire.
Le sénateur Day : C'est important que vous le précisiez.
Vous avez soulevé plus tôt la question de la responsabilité, question sur laquelle je crois que nous devrions nous pencher quelque peu.
Le Parlement est actuellement saisi du projet de loi C-2, Loi fédérale sur la responsabilité. Ce projet de loi propose de créer le poste de responsable des approvisionnements. Avez-vous eu l'occasion d'étudier cette recommandation? À supposer que le projet de loi soit adopté, quelle serait, à votre avis, l'incidence de la création de ce poste?
M. Williams : J'ai effectivement étudié cette recommandation. Je suis tout à fait en faveur de la responsabilité, mais il est permis de se demander si la création de ce poste améliorera les choses à cet égard. Quel sera notamment désormais le rôle du Tribunal canadien du commerce extérieur et des règles actuelles? Aujourd'hui, lorsqu'un problème se pose, nous savons à qui nous adresser. Le titulaire de ce poste n'aura qu'une fonction consultative. Il ne sera pas un arbitre. Autrement dit, cette personne pourra donner des conseils, mais elle ne pourra pas prendre de décisions. Quelle sera la nature des pouvoirs qui lui seront conférés et quelle sera la valeur de ses décisions? Si le titulaire du poste formule une recommandation, cette recommandation pourra-t-elle être contestée? Nous ne connaissons pas la réponse à cette question. Les personnes qui n'auront pas présenté leur cas devant le TCCE dans les délais prescrits pourront cependant s'adresser à lui et il se penchera sur la question de la gestion du contrat. Il pourra peut-être faire œuvre utile, mais j'en doute. Avec l'Accord sur le commerce intérieur et le Tribunal canadien du commerce extérieur, notre système compte davantage de poids et de contrepoids que bien d'autres. Il faudra voir où s'inscrira cette personne au sein du cadre de responsabilité d'un organisme. Je me pose de nombreuses questions à cet égard.
Le sénateur Day : Dans son rapport, le juge Gomery a recommandé vivement qu'on accorde aux comités parlementaires les ressources voulues pour qu'ils puissent demander des comptes aux ministres. Dans votre déclaration, vous avez dit que vous ne pensiez pas que les comités avaient jusqu'ici rempli ce rôle. Vous êtes donc de toute évidence d'accord avec le juge Gomery lorsqu'il dit que les comités ont besoin de ressources pour s'acquitter convenablement de leur rôle.
M. Williams : Probablement. Je dis « probablement » parce que bien qu'un accroissement de ressources ne soit jamais à dédaigner, je crois que les témoins qui sont invités à comparaître devant des comités devraient être interviewés avant leur comparution, soit à leur bureau, soit ailleurs, pour que l'on sache ce qu'ils comptent dire devant le comité. Cette information devrait être ensuite transmise aux membres du comité dans l'intérêt général. Faudrait-il pour cela augmenter les ressources des comités ou que ceux-ci utilisent mieux celles dont ils disposent, je n'en suis pas sûr. C'est sans doute un peu des deux. Au lieu d'adopter une position sectaire comme la plupart d'entre eux le font trop souvent, les comités de la Chambre des communes pourraient ensemble se pencher sur la question. Je crois que vous pourriez bien faire votre travail avec les ressources dont vous disposez, mais votre tâche serait facilitée si vous en aviez davantage. Je ne m'oppose certainement pas à ce qu'on accroisse vos ressources, mais je sais que cela risque de poser des difficultés. Voici ce que je recommande : si l'on n'accroît pas vos ressources, utilisez-les à tout le moins dans l'intérêt de tous les membres du comité. À cette fin, je crois qu'il conviendrait d'interviewer les témoins avant qu'ils ne comparaissent devant le comité et de faire profiter tous les membres du comité de cette information pour qu'ils comprennent mieux ce que les témoins diront devant eux.
Le sénateur Day : Cette recommandation figure dans votre déclaration et vous expliquez pourquoi il convient d'interviewer à l'avance les témoins.
M. Williams : J'ai dit que comme fonctionnaire, je me préparais longuement avant de comparaître devant un comité comme si je préparais une dissertation. Je me posais à moi-même de nombreuses questions en prévision des questions difficiles qui me seraient posées. Les témoins se prépareraient ainsi beaucoup plus qu'ils ne le feraient autrement.
Le sénateur Day : Ma dernière question portera sur les retombées industrielles des achats du ministère de la Défense nationale et de leur incidence sur le développement régional. Vous dites dans votre livre qu'il faut comprendre le processus et vous donnez trois différentes façons par lesquelles des contrats d'approvisionnement peuvent entraîner des retombées industrielles et régionales. Vous semblez être favorable au concept, mais vous formulez une recommandation intéressante à la fin de cet exposé, à savoir que le MDN devrait être indemnisé lorsqu'il achète un produit en raison des retombées régionales et industrielles qu'il peut avoir alors qu'il aurait pu l'acheter à moindre coût. Pensez-vous que le gouvernement peut légitimement utiliser le budget du MDN pour favoriser le développement industriel et régional?
M. Williams : Tout à fait. L'objectif premier des approvisionnements militaires est de répondre aux besoins militaires. Il serait cependant impensable que le ministère dépense des milliards en deniers publics sans que cela se traduise par la création d'emplois au Canada. Le système actuel le permet. Dans le cas des contrats d'approvisionnement supérieurs à une certaine somme, nous exigeons des retombées égales à celles qui sont prévues dans le contrat. Si un fournisseur obtient un contrat de 570 millions de dollars, on lui demandera de créer des retombées au Canada d'une valeur équivalente.
En raison de l'Accord sur le commerce intérieur, nous ne savons pas où ces retombées se manifesteront. Seule l'industrie peut le savoir. Or, l'industrie n'est pas stupide. Elle comprend la politique ainsi que le fait que les retombées doivent être équitablement réparties dans tout le pays. L'industrie veillera cependant à ne pas accroître ses coûts de façon inutile.
Du point de vue militaire, le processus concurrentiel est celui qui permet d'optimiser son budget. Comme d'autres gouvernements l'ont fait, le gouvernement canadien a cependant le droit d'exiger que les achats militaires entraînent des retombées pour les industries canadiennes. À l'heure actuelle, cela ne vaut que pour deux industries, celle de la construction navale et des munitions. Nous respecterions certainement les exigences à cet égard. Ce genre d'exigences s'accompagnent cependant habituellement d'un relèvement des coûts. On pourrait effectivement dire aux ministres de la Couronne et au Cabinet que ce genre de politique gouvernementale entraîne habituellement une augmentation des coûts et que ces coûts supplémentaires ne devraient pas être assumés par le ministère de la Défense nationale. Il y a peu de chance qu'on en tienne compte. Comme d'autres importants pays, le Canada compte mettre en œuvre une nouvelle politique industrielle visant à favoriser le développement de ces industries. Le MDN réclamera davantage de ressources financières et le gouvernement acquiescera à sa demande ou la rejettera. Le ministère manquerait d'intelligence s'il agissait autrement. Il serait à tout le moins bon que les décisionnaires connaissent le coût de cette politique. Nous ne savons pas ce que coûtent ces retombées industrielles et régionales ni ce que coûte l'exigence voulant que les navires soient construits au Canada. Nous devrions cependant connaître ce coût pour être en mesure de voir que cette politique se justifie pour de nombreuses raisons. Je recommande vivement au comité d'obtenir les réponses à ces questions.
Le sénateur Day : Peut-on vraiment chiffrer tout cela?
M. Williams : Il serait certainement possible au sein de la fonction publique ou à l'extérieur de celle-ci d'établir un chiffre approximatif. Je ne suis pas convaincu que le coût serait plus élevé en raison des retombées industrielles et régionales. Ce serait d'ailleurs utile de connaître ce coût parce que les détracteurs de cette politique se rendraient peut- être ainsi compte de la force de notre industrie et de sa capacité à faire concurrence aux industries étrangères. À mon avis, l'augmentation de coût, le cas échéant, ne peut qu'être minime. Nous pouvons certainement chercher à établir ce coût en gros.
Le sénateur Day : Avez-vous essayé de le faire lorsque vous étiez sous-ministre adjoint?
M. Williams : Non, parce que c'est à Industrie Canada de le faire puisque c'est de ce ministère que relève la politique relative aux retombées industrielles et régionales. Nous en avons beaucoup parlé, mais ce rôle ne m'appartenait pas.
Le président : Si je vous ai bien compris, monsieur William, vous avez dit que des retombées régionales intégrales de 100 p. 100 n'entraîneraient pas d'augmentation de coût?
M. Williams : Je ne suis pas sûr qu'il y a augmentation de coût ou que ce coût, le cas échéant, soit très élevé. J'aimerais aussi obtenir réponse à cette question.
Le président : Vous n'avez pas examiné la question.
M. Williams : C'est juste. C'est la façon dont les choses se font à l'échelle mondiale aujourd'hui.
Le président : Nous comprenons votre point de vue, mais où pourrions-nous trouver réponse à cette question?
M. Williams : Les responsables de la politique industrielle canadienne se trouvent à Industrie Canada.
Le président : Pensez-vous qu'ils sont en mesure de nous prouver que cette politique n'entraîne aucun coût supplémentaire pour le Canada?
M. Williams : Non, je ne suis pas sûr qu'ils puissent le faire. Je doute qu'ils puissent établir le coût éventuel des retombées industrielles et régionales.
Le président : A-t-on établi le coût supplémentaire de la politique relative aux minutions et à l'industrie navale?
M. Williams : Non. Nous ne faisons pour l'instant que respecter la directive du Cabinet.
Le président : On ne dit jamais au Cabinet ce que coûte de plus la décision de faire construire un navire par un chantier naval ou par un autre?
M. Williams : C'est juste, par opposition à ce que ça coûterait en Corée, par exemple.
Le sénateur St. Germain : Monsieur Williams, la clarté avec laquelle vous nous avez exposé votre point de vue montre bien à quel point vous comprenez ce dossier. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il s'agit d'une querelle de compétences. Je me souviens qu'en 1988, le gouvernement voulait se défaire des aéroports et que le SMA a dit qu'il s'en occuperait. J'ai rétorqué qu'il fallait une personne qui soit responsable du dossier. Le sous-ministre a convaincu son ministre que ce n'était pas le cas. Nous faisons face aujourd'hui à la même situation. Si nous devions créer un mécanisme chargé de l'acquisition du matériel de défense, il nous faudrait supprimer un certain nombre de postes au sein du système. Les ministres ne savent pas tout. Vous avez absolument raison. Ils se fient à l'information que leurs fonctionnaires et leur personnel politique leur transmettent même si l'information dont ils disposent sur ces dossiers complexes n'est pas très volumineuse.
Il est question de changer le processus. Nous pourrions tirer parti des enseignements du passé à cet égard. Comment recommanderiez-vous qu'on mettre en œuvre vos recommandations à l'égard de l'établissement d'un nouveau processus? Faudrait-il s'adresser directement au premier ministre? Le processus que vous recommandez tient aussi compte des besoins des hommes et des femmes qui sont déployés sur le terrain et dont la vie est menacée. Vous proposez une façon de réagir plus rapidement à l'évolution de la situation.
Ceux d'entre nous qui se sont fait élire et qui viennent de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse, par exemple, deviennent parfois soudainement le « ministre de ceci ou de cela ». Je suis sûr que des gens comme vous se disent « combien de temps ce ministre restera-t-il en fonction? » Si notre comité devait recommander de donner suite à vos idées, quelle serait la meilleure façon de s'y prendre?
M. Williams : Honnêtement, si le comité disait quelque chose comme ceci : « Après examen, ces recommandations devraient être mises en œuvre immédiatement », et que cela soit transmis au premier ministre, cela ne pourrait pas nuire.
Nous essayons de comparaître également devant le Comité de la défense des Communes pour présenter le même point de vue. Nous essaierons de transmettre cette information directement au premier ministre. Les gens comme vous doivent dire que le moment d'étudier la question est terminé et qu'il faut agir. Nous savons maintenant tout ce qu'il y a à savoir sur ce processus. Tout est là. Soit on décide de régler le problème, soit on décide de ne pas le faire. Je ne suis pas sûr que le gouvernement puisse continuellement dire à son ministre qu'il faut examiner le processus des approvisionnements en vue de le rendre plus rapide et moins coûteux. C'est ce que le gouvernement fait à chaque nouveau mandat. Le gouvernement connaît maintenant la façon de régler ce problème et il dispose maintenant non seulement de recommandations, mais d'une feuille de route de manière à mettre sur pied un processus d'ici un an. Il ne serait pas très compliqué de créer l'organisme recommandé et d'apporter des modifications législatives. Il suffirait de modifier les lois que j'ai indiquées. Si le gouvernement veut accorder la priorité aux hommes et aux femmes qui font partie de l'armée, il suffirait qu'il dise ceci : « Que cela vous plaise ou non, mettez en œuvre ce processus et soumettez- nous des rapports d'étape chaque mois à cet égard. »
Le processus doit être pris dans son ensemble. Nous nous sommes penchés aujourd'hui sur les retombées industrielles. Nous n'avons pas beaucoup parlé du Tribunal canadien du commerce extérieur. Il est impensable que les personnes qui dirigent ce tribunal n'aient pas d'expérience dans le domaine des approvisionnements. Ces personnes rendent des décisions sur des dossiers qui valent des centaines de millions de dollars, mais aucune d'elles ne compte de l'expérience dans le domaine des approvisionnements. Ça me paraît insensé.
Le sénateur Moore : Est-ce la situation à l'heure actuelle?
M. Williams : Oui. Il ne sert à rien de permettre à des fournisseurs qui n'ont même pas présenté de proposition de pouvoir présenter une plainte devant ce tribunal et parfois d'obtenir une indemnisation.
Nous devons donc nous pencher sur de nombreux éléments à la fois. Il faut améliorer l'ensemble du processus. La façon dont le TCCE fonctionne influe sur la culture des organisations. On peut devenir peu disposé à prendre des risques parce que des décisions insensées sont rendues. Je ne dis pas que c'est le cas de toutes les décisions, mais certaines d'entre elles nous laissent perplexes. Une telle situation peut mener à la stagnation par crainte de faire des erreurs.
Les 25 recommandations devraient être mises en vigueur. Elles constituent un tout et nous voulons améliorer l'ensemble du processus. Tous les éléments sont indissociables. Je vous recommande d'étudier l'ensemble du processus et de proposer un plan qui visera à l'améliorer de façon globale.
Le sénateur St. Germain : Vous venez de résumer la situation.
Le président : Nous n'allons pas tenir un vote maintenant, mais nous allons étudier soigneusement votre proposition. Nous avons pris bonne note du fait que vous considérez que tous les éléments de cette proposition sont indissociables. Je crois que nous comprenons le concept.
Nous vous remercions d'avoir comparu devant le comité. Comme toujours, vous nous avez présenté des idées intéressantes et provocatrices. Le comité vous en sait gré et pense qu'il faut adopter des changements fondamentaux dans ce domaine.
Le sénateur Meighen : C'est particulièrement vrai lorsque vos idées correspondent aux nôtres.
Le président : C'est vrai qu'il y a parfois convergence. Je dois reconnaître que vous proposez une approche beaucoup plus globale que nous ne l'avons fait jusqu'à maintenant, et nous en prenons aussi bonne note.
Nous vous remercions d'avoir comparu devant le comité.
Pour les membres du public qui regardent la séance, si vous avez des questions ou des commentaires, visitez notre site Web à www.sen-sec.ca. Vous y trouverez les témoignages et les horaires d'audiences qui ont été confirmés. Sinon, vous pouvez communiquer avec le greffier du comité au 1-800-267-7362 pour obtenir d'autres informations ou de l'aide en vue de communiquer avec les membres du comité.
La séance se poursuit à huis clos.
La séance publique reprend.
Nous recevons aujourd'hui le brigadier général A.J. Howard, directeur général, Opérations de l'État-major interarmées stratégique, quartier général de la Défense nationale. Il nous fera un exposé sur la situation opérationnelle à l'heure actuelle à Kandahar et nous parlera des opérations futures dans la région et des initiatives des Forces canadiennes à Kandahar.
Le brigadier général Howard s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1978. Il a reçu sa commission d'officier et a été affecté dans l'artillerie de l'Armée de terre canadienne. Il a été commandant à divers niveaux, de la troupe au groupe-brigade. Il a servi pendant un peu plus de 15 ans dans le cadre d'opérations ou à l'intérieur d'unités/de formations de campagne. À l'échelle internationale, il a servi à Lahr, en Allemagne, à Chypre, en ex-Yougoslavie et à Washington (DC).
Plus récemment, il a été nommé commandant du 1er Régiment du Royal Canadian Horse Artillery de 1991 à 2001, et du 2e Groupe-brigade mécanisé du Canada, de 2004 à 2006. Le brigadier général Howard a été nommé au poste de directeur général — Opérations de l'État-major interarmées stratégique du QGDN au cours de l'été 2006.
Il est accompagné du colonel J.G.E. Tremblay, directeur des opérations courantes au sein de l'État-major interarmées, quartier général de la Défense nationale. Le colonel Tremblay s'enrôle dans les Forces canadiennes en 1980. Il est officier d'artillerie de métier et il joint le 5e Régiment d'artillerie légère du Canada où il occupera tous les grades, notamment celui de commandant. Au cours de sa première année de commandement, il est déployé six mois en Afghanistan sur l'opération Athéna en tant que sous-chef d'état-major de la Brigade multinationale de Kaboul et commandant des troupes de brigade. En janvier 2006, il est promu colonel.
Bienvenue. Général, je crois comprendre que vous avez une déclaration à présenter au comité. Vous avez donc la parole, monsieur.
Brigadier général A.J. Howard, directeur général des opérations, État-major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale : Je vous remercie de cette aimable présentation. Honorables sénateurs, bonjour et merci de m'avoir invité à vous faire cette petite mise à jour sur les opérations des Forces canadiennes en Afghanistan. J'aborderai ces questions du mieux que je le pourrai tout en respectant les contraintes en matière de sécurité et en sachant que l'orientation stratégique relève du gouvernement du Canada et des élus.
Comme vous le savez, je suis le brigadier général Al Howard. La dernière fois que j'ai rencontré le comité, c'était à Petawawa à la fin du printemps dernier lorsque j'y étais commandant de la brigade. À Petawawa et dans cette brigade, j'étais un très gros poisson dans une toute petite rivière. J'étais le patron et cela me convenait bien. Ayant remonté la rivière des Outaouais pour venir ici, je suis maintenant un beaucoup plus petit poisson dans une plus grande rivière. Je suis certain que vous savez ce que cela signifie.
Je vais tenter de mon mieux cet après-midi de vous aider au fur et à mesure que nous allons aborder ces questions. Vous comprendrez également que même si j'ai une bonne expérience récente à titre de commandant d'unité, j'ai encore des choses à apprendre ici à Ottawa.
Je suis accompagné cet après-midi de mon compatriote, le directeur des opérations courantes, le colonel Éric Tremblay, un officier aux états de service impeccables et un de nos leaders exceptionnels pour l'avenir. Il a été déployé à Kaboul dans le cadre d'une rotation précédente, et il a donc une excellente perspective de l'ampleur de la mission que nous dirigeons en Afghanistan.
Permettez-moi tout d'abord de saluer les hommes et les femmes de la Force opérationnelle en Afghanistan. Ils méritent d'énormes remerciements pour le travail qu'ils font là-bas. Je ne voudrais trop insister sur ce fait, mais de savoir que nous parlons de cette question ici les intéresserait. Ce qui est le plus important pour eux, c'est de savoir que leurs compatriotes canadiens et le gouvernement du Canada s'intéressent à ce qu'ils font. Il est essentiel pour eux de le savoir, et on leur a certainement parlé, non pas tant des détails de cet entretien en particulier aujourd'hui, mais du travail que votre comité accomplit. Par exemple, le Vendredi rouge il y a quelques semaines voulait certainement dire beaucoup pour les troupes.
Elles risquent littéralement leur vie en tentant d'améliorer la situation en Afghanistan. Nous le savons tous, et cela n'est pas une tâche facile. Loin de là. Ce n'est pas non plus facile d'être un membre de la famille de ces soldats exceptionnels, et j'en suis tout à fait conscient.
Les soldats de la Force opérationnelle en Afghanistan qui sont actuellement en service là-bas sont à l'avant-garde de la politique étrangère du Canada. À mon avis, au sens le plus large, notre stratégie, en partenariat avec plus de 30 autres pays, est d'aider le gouvernement afghan à instaurer la paix et la stabilité.
[Français]
Notre « approche de tout le gouvernement » intégrée porte sur trois objectifs stratégiques : aider à stabiliser l'Afghanistan pour empêcher qu'il redevienne un abri sûr pour les terroristes; renforcer la gouvernance afghane; améliorer la vie des Afghans et réduire la pauvreté.
[Traduction]
Je ne crois pas que ces trois objectifs soient différents de ceux dont on vous a déjà parlé et que vous connaissez.
Notre engagement en Afghanistan, dans le cadre des engagements plus larges du gouvernement du Canada et de la communauté internationale, vise à atteindre trois niveaux. Au niveau national, nous tentons de fournir des capacités de mentorat et des capacités consultatives. Nous travaillons avec le gouvernement du président Karzai sur place à Kaboul. Bon nombre de ministères du gouvernement le font, pas seulement le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI, mais le ministère de la Défense nationale, avec une équipe d'aide stratégique, de sorte qu'il y a un effort à l'échelle nationale.
Au niveau régional, nous avons pris la tête de la brigade multinationale, et cela devrait changer en novembre. Voilà maintenant neuf mois que nous sommes à la tête de la brigade et ce sont nos collègues hollandais qui reprendront la tête de cette brigade en novembre. Nous avons par ailleurs fourni un groupement tactique robuste et une équipe de reconstruction provinciale capable que nous voyons hebdomadairement sinon quotidiennement à la télévision. Nous fournissons ce travail et ces équipes en Afghanistan au niveau le plus bas, sur le terrain.
Comme vous le savez bien, la communauté internationale et en fait le Canada, tentent d'aider l'Afghanistan sur trois plans différents : trois lignes d'opération, si vous voulez. La première est la gouvernance. Nous appuyons la capacité du gouvernement afghan de s'occuper de combler les besoins de ses gens et d'imposer la règle de droit dans tout son territoire tout en réduisant le commerce illicite.
La deuxième ligne est le développement. Nous espérons soutenir la capacité du gouvernement afghan de réduire la pauvreté, de créer une économie viable et de s'occuper des priorités d'infrastructure et sociales des autorités gouvernementales à tous les niveaux.
La troisième est la sécurité. Nous voulons éliminer ou réduire de façon significative la capacité opérationnelle des forces militaires d'opposition et leur soutien par la population locale. Nous voulons soutenir la capacité des forces de sécurité du gouvernement afghan à maintenir un environnement sécuritaire. Il est difficile de faire des progrès en ce qui a trait aux deux premières lignes d'opération sans assurer la sécurité. Cela est encore plus vrai dans la province de Kandahar.
À ce moment-ci, j'aimerais vous décrire un peu plus en détail où nous en sommes en ce qui concerne chacune de ces trois lignes d'opération.
Gouvernance : Du point de vue des Forces canadiennes, l'objectif est de renforcer et d'améliorer l'architecture de la gouvernance, en coopération avec les ministères du gouvernement canadien et les organisations internationales. Cet objectif est atteint grâce à l'intégration avec l'ambassade canadienne à Kaboul. L'équipe consultative stratégique — 14 officiers des Forces canadiennes qui se trouvent à Kaboul — aide le gouvernement afghan et conseille le président Karzai par le biais du groupe consultatif présidentiel.
En août 2005, le gouvernement du Canada a décidé de contribuer à la reconstruction de l'Afghanistan en aidant à établir des institutions durables par le déploiement d'une équipe consultative stratégique composée de 14 personnes, équipe que je viens tout juste de mentionner. Il s'agit d'une initiative canadienne unique et cette équipe demeure une ressource nationale qui ne travaille pas sous une chaîne de commandement opérationnelle de l'OTAN ou alliée. Elle travaille pour l'ambassadeur du Canada. Cette équipe a été créée pour travailler principalement avec le bureau présidentiel sur la planification stratégique et la coordination inter agences principalement liée aux enjeux de défense et de sécurité nationale. Les responsabilités de l'équipe consultative stratégique sont d'aider le bureau du président de l'Afghanistan, en particulier son chef de cabinet, à développer une capacité de planification stratégique et d'aider et de soutenir la réforme du secteur de la sécurité par la prestation de conseils militaires stratégiques.
La deuxième ligne d'opération est le développement. Les Forces canadiennes facilitent la prestation de programmes et de projets de soutien à la reprise économique et à la réhabilitation de l'Afghanistan. Nous insistons sur le soutien aux organisations gouvernementales canadiennes et aux ONG dont les efforts correspondent à nos objectifs nationaux. Le gouvernement du Canada a engagé 700 millions de dollars à cet égard. L'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, le MAECI et la GRC ont été intégrés dans l'équipe de reconstruction provinciale de Kandahar pour compléter l'ensemble de l'équipe du gouvernement.
Au niveau provincial, l'équipe de reconstruction provinciale cherche à appuyer le gouverneur grâce à une approche à multiples facettes. Le lieutenant-colonel Simon Hetherington et l'équipe de reconstruction provinciale travaillent pour aider le gouverneur à mettre en place une bureaucratie rudimentaire, à établir la reconstruction selon les priorités sur le plan de l'aide et à recruter des entreprises locales pour reconstruire les principales installations, notamment les écoles, les routes et les hôpitaux. Par ailleurs, ils aident le gouverneur à créer une force policière à partir de zéro. Ce n'est pas une tâche facile.
Bien que l'équipe de reconstruction provinciale s'occupe de bon nombre d'autres questions, permettez-moi de vous dire tout simplement que la composante militaire de l'équipe de reconstruction provinciale, avec un agent des Affaires étrangères qui se trouve là-bas, trois agents de développement de l'ACDI, quatre agents de la GRC et un agent de la police municipale de l'Île-du-Prince-Édouard, fait le meilleur travail possible. Leur objectif est de créer une capacité afghane au sein du cadre de travail du gouverneur, non pas tout simplement de faire tout le travail à toute vitesse eux- mêmes.
Il ne fait aucun doute que ce serait plus rapide et plus simple de faire cela, mais cela irait à l'encontre de nos objectifs à long terme. L'équipe de reconstruction provinciale tente de mettre l'accent sur le plus long terme, de sorte que nous travaillons au rythme afghan. Ce travail fait intervenir les « shuras », où chaque décision est prise par consensus. Au niveau du village local et à tous les autres niveaux supérieurs, comme vous le savez bien, personne ne peut ne pas tenir compte des décisions qui sont prises par cette jeune bureaucratie que nous tentons de mettre en place, si on peut même parler de bureaucratie.
Pourquoi faut-il autant de temps pour faire les choses en Afghanistan? C'est parce que nous tentons de le faire de la façon afghane. Nous tentons de mettre en place la capacité des Afghans à gouverner et à faciliter leur propre reconstruction, leur propre aide; c'est ce que l'équipe de reconstruction provinciale tente de faire. J'ai parlé longuement avec le lieutenant-colonel Hetherington à cet égard pendant le week-end. Il trouve cela frustrant comme tous les autres qui sont là-bas, mais je pense que c'est quelque chose d'important et qu'à long terme c'est la bonne façon de s'y prendre.
Enfin, en ce qui concerne la sécurité, les Forces canadiennes exécutent la gamme complète des opérations en soutien aux forces nationales de sécurité afghanes pour créer un environnement qui soit sûr et propice à l'amélioration de la vie afghane. À titre de nation responsable dans le Commandement régional (Sud) qui comprend des milliers de soldats incluant 2 400 Canadiens, le Canada a dirigé et exécuté la transition de l'OTAN dans ce commandement régional. On est passé de l'opération Enduring Freedom à la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS. C'est tout un accomplissement que d'avoir réussi à apporter un changement au niveau des organisations et de l'état d'esprit.
L'équipe de formation nationale canadienne de Kaboul a dirigé la formation de 4 800 soldats afghans. Ce travail ne se fait pas beaucoup remarquer à l'échelle nationale, mais il s'agit là d'un progrès qui mérite certainement d'être souligné.
Le 5 octobre dernier, nous avons achevé l'étape IV de l'expansion de l'OTAN. Cela a donné à la FIAS la responsabilité de tout l'Afghanistan. Le transfert au secteur auquel nous appartenons, la Force internationale d'assistance à la sécurité, s'est produit au début de l'été, en juillet. Le transfert au Commandement régional (Est) vient tout juste de se faire, de sorte que la FIAS a maintenant la responsabilité de tout l'Afghanistan.
L'opération Enduring Freedom existe toujours, mais elle est surtout dirigée par les Américains et il s'agit d'une mission de lutte contre le terrorisme.
Je voudrais prendre quelques minutes pour vous parler du concept des opérations de la Force internationale d'assistance à la sécurité. Le commandant de la FIAS, le lieutenant général David Richards, a invoqué ce qu'il a appelé la zone de développement afghane, le concept de ZDA. Ce concept offre une excellente occasion d'apporter à la fois la sécurité, la gouvernance et le développement de façon rapide et entièrement coordonnée. Nos trois objectifs en ce qui a trait à ces trois lignes d'opération sont également acceptés à l'échelle internationale et sont ceux également du quartier général de la FIAS.
Les zones de développement établiront des régions qui seront suffisamment sûres pour permettre de se concentrer sur la reconstruction. Je peux peut-être vous expliquer rapidement la séquence selon laquelle ces régions seront établies en théorie.
Il s'agit d'abord de déterminer les régions les plus peuplées en Afghanistan où nous pouvons faire le plus de différence. Si nous pouvons aller dans ces zones démographiques et dégager ces régions des insurgés, on pourra ensuite maintenir une présence pour assurer la sécurité des projets de développement en intégrant la sécurité avec une présence de l'armée nationale afghane et de la police nationale afghane ainsi que la FIAS et l'équipe de reconstruction provinciale.
La troisième étape consiste à faire en sorte que l'équipe de reconstruction et les autres agences de développement fassent des dépenses concentrées pour des projets qui ont une valeur économique et sociale clé à titre de facteurs multiplicateurs, notamment des ponts, des routes, des puits et des cliniques. La FIAS maintiendrait une capacité d'intervention rapide pour assurer une protection contre une reprise de l'activité des insurgés. Enfin, la FIAS continuerait d'aider en coordonnant la synchronisation générale gouvernement-donateurs à l'intérieur de la stratégie de développement à long terme du gouvernement.
Voilà donc ce que nous tentons de faire et ce à quoi nous travaillons dans la région à l'ouest de la ville de Kandahar, où un groupement tactique du commandement régional opère depuis quelques semaines. On a tenté de mettre en œuvre le concept suivant : sécuriser une région, permettre à l'aide d'entrer, assurer la sécurité de la région, tenter de procéder progressivement plutôt que d'adopter une approche générale couvrant tout le pays. Nous tentons de cibler les régions les plus peuplées.
Je vais vous entretenir brièvement des améliorations dont vous avez entendu parler afin que vous soyez à jour sur une ou deux de ces questions. Les Forces canadiennes ont été autorisées récemment à déployer les capacités de protection de la force suivantes pour une période minimum d'une année à partir de cet automne. En ce qui concerne les capacités de reconstruction, une compagnie d'infanterie a été envoyée pour mieux protéger l'équipe de reconstruction provinciale et pour fournir au groupement tactique des capacités d'escorte plus grandes, de réaction plus rapides et de sécurité améliorées. Cette compagnie viendra de la base de Valcartier. Pour ce qui est des capacités de stabilisation, un escadron de chars, des véhicules blindés de dépannage et des véhicules du génie assureront une plus grande protection, une plus grande mobilité, une plus grande puissance de feu et une plus grande capacité de survie. Pour contrer les changements de tactique des talibans, nous avons une capacité contre-mortiers pour localiser les armes ennemies, principalement les mortiers et les roquettes qui bombardent nos camps. Nous savons d'où ils proviennent et nous sommes mieux en mesure de les contrer. La grande partie de cette capacité vient d'Edmonton.
Nous avons envoyé des renforts pour les équipes de mentorat et de liaison travaillant directement avec l'armée nationale afghane. Environ 40 soldats de Valcartier, membres de l'équipe opérationnelle de mentorat et de liaison, que les soldats appellent affectueusement l'EOML, soutiennent la formation de l'armée afghane. Récemment, cette nouvelle initiative a commencé à opérer dans la région de Kandahar. L'objectif de l'EOML est simple : aider les bataillons de l'armée afghane que nous avons formés à Kaboul. Le travail de cette équipe dans la province de Kandahar est d'aider les bataillons de l'armée à maintenir la sécurité dans la province de Kandahar. Il a fallu beaucoup de temps pour que les bataillons de l'armée afghane se joignent à nous, mais cette équipe fera une différence pour les aider à fonctionner comme unités de combat dans la province de Kandahar. C'est avec plaisir que je vous en parlerai davantage plus tard.
Environ 200 soldats sous les ordres du brigadier général David A. Fraser sont au quartier général de la brigade depuis neuf mois. Il ne fait aucun doute que ce déploiement de neuf mois a été plutôt chargé pour eux, mais ils rentreront au pays en novembre. Le brigadier général Timothy Grant, qui dirige la Force opérationnelle en Afghanistan, et son équipe de commandement et de contrôle, qui sera plus petite, remplaceront le brigadier général Fraser et son équipe. Les Hollandais prendront la tête du quartier général de la brigade multinationale pour le Commandement régional sud. Ce changement se fera au début du mois de novembre.
L'engagement des Forces canadiennes en Afghanistan vise principalement à aider les Afghans, à les aider à progresser vers l'autonomie et la sécurité, à stabiliser leur pays, à développer leur gouvernement et à bâtir un meilleur avenir pour leurs enfants. J'ai de beaucoup dépassé le temps qui m'était alloué, et je m'en excuse, monsieur le président, mais je serai heureux de répondre à vos questions.
Le président : Cela a valu la peine et nous avons été heureux que vous preniez le temps.
Vous avez parlé de l'équipe opérationnelle de mentorat et de liaison et de l'instruction des soldats à Kaboul. Lorsque les membres du comité se sont rendus à Kaboul, ils ont bien vu des soldats canadiens, mais ils ne faisaient pas de formation des soldats. Ils faisaient plutôt de l'évaluation de la formation et cela les agaçait de ne pas faire de la formation. Y a-t-il eu du changement? L'équipe a-t-elle commencé à former ou est-elle encore en train d'évaluer?
Bgén Howard : Vous avez tout à fait raison. Au début du mandat, lorsque nous sommes arrivés à Kaboul, nous avons eu beaucoup de mal à incorporer les gens que nous avions fournis au centre d'instruction pour qu'ils puissent donner de véritables cours.
Il y a un an, nous avons assumé la direction du centre d'instruction des bataillons de l'armée afghane en collaboration avec nos partenaires de l'OTAN. À ce jour, nous n'avons pas accompagné les bataillons dans des missions opérationnelles.
Le président : Une restriction interdisait aux Canadiens d'accompagner les bataillons afghans, n'est-ce pas?
Bgén Howard : Oui. C'était une décision nationale.
Le président : C'est le Canada qui a empêché nos instructeurs d'y aller?
Bgén Howard : Oui.
Le président : Nos soldats sont-ils assujettis à d'autres restrictions? On en a beaucoup entendu parler.
Bgén Howard : Non. Les décisions nationales sur l'emploi de nos forces en Afghanistan sont contrôlées quotidiennement par le commandant du Commandement de la force expéditionnaire du Canada, CEFCOM, le lieutenant général J.C.M. Gauthier. Il bénéficie d'une grande latitude au sujet des commandants sur le terrain quand il s'agit des règles d'engagement et des secteurs d'opération. Je vais vous donner un exemple. Si le commandant de la FIAS devait nous demander de quitter la région sud pour aller dans la région nord, le brigadier général Fraser devrait contacter le lieutenant général Gauthier. Ils ont un bon cadre d'opération. À l'extérieur de ce cadre, ils doivent consulter les autorités au pays.
Le président : Le général Hillier a parlé publiquement du fait que certains de nos alliés imposent des restrictions qui les empêchent d'opérer la nuit, de sortir de la zone sécurisée, etc. La liste des restrictions s'applique jusqu'à la façon de nouer ses lacets.
Bgén Howard : Je ne veux pas déprécier nos alliés.
Le président : Ce n'est pas les déprécier. Je disais seulement qu'ils ont des restrictions qui limitent la marge de manœuvre du commandant.
Bgén Howard : C'est juste. Un des problèmes pour les opérations de la coalition, c'est de bien savoir ce que chaque force peut et ne peut pas faire. Les Canadiens ont opéré sous des restrictions par le passé en Bosnie, par exemple, ce qui contrariait aussi les commandants de la coalition.
Le président : Je crois savoir qu'une de nos restrictions en Afghanistan nous interdisait de réprimer des émeutes parce que nos soldats n'y avaient pas été formés et ne le feraient pas tant qu'ils ne le seraient pas.
Bgén Howard : On peut dire que chaque pays a un certain nombre de restrictions de divers types qu'il applique à ses soldats. Un pays ne les placera pas sous le commandement intégral d'un autre pays. Il y aura aussi, par exemple, des règles d'engagement. Chaque pays en impose à ses soldats, ce qui constitue des restrictions d'ordre général. Le commandant sur le terrain doit composer avec cette réalité.
Le sénateur Meighen : Brigadier général Howard, je vais d'abord vous demander des définitions. Nous ne connaissons pas aussi bien que vous les sigles et les titres militaires. Vous êtes le directeur général des opérations de l'État-major interarmées stratégique. Quand a-t-il été créé et que fait-il?
Bgén Howard : Avec plaisir. Je vais vous le décrire en termes généraux et je demanderai ensuite au colonel Tremblay de vous parler de ses fonctions précises.
L'État-major interarmées stratégique fournit des analyses militaires et des soutiens aux décisions au chef d'état- major de la Défense (CEMD), dans son rôle de conseiller militaire principal du gouvernement du Canada. Nous traduisons les directives gouvernementales en opérations efficaces et adaptées des Forces canadiennes. Le mot clé, c'est « opérations ». Le rôle de l'État-major interarmées stratégique est d'aider le CEMD et les autorités supérieures dans le domaine des questions opérationnelles des Forces canadiennes.
Le sénateur Meighen : Existe-t-il que nos forces soient déployées ou non?
Bgén Howard : Oui. Quel que soit l'organigramme du ministère de la Défense que vous consulterez, vous ne verrez pas de liste des états-majors. Par exemple, le chef d'état-major de l'armée de terre a son propre état-major, le vice-chef d'état-major a un gros état-major, le chef du Développement de la force, qui élabore le plan des capacités de défense, etc. Notre fonction première, ce sont les opérations, basées sur deux secteurs spécifiques. Le premier, ce sont les opérations en cours : donner du soutien au CEMD et au gouvernement sur le « hic et nunc », sur les facteurs quotidiens. Si nous manquons de munitions sur le théâtre, par exemple, c'est mon équipe qui examine la chose et s'en occupe sur- le-champ.
Le sénateur Meighen : Votre équipe examine la chose avant ou après que ça se produise?
Bgén Howard : Avant, j'espère.
Le président : Pourquoi n'est-ce pas au général Gauthier de s'en occuper?
Bgén Howard : Cela dépend du niveau dont on parle. Le mandat du général Gauthier est de conduire des opérations internationales. C'est ce qu'il fait mais il y a des problèmes qu'il ne peut pas régler.
Prenons un cas hypothétique. Imaginons que nous n'avons plus de munitions et qu'il faut en acheter. Le général Gauthier pourra dire au CEMD « j'ai fait tout ce que j'ai pu. J'ai expédié autant de munitions que j'ai pu, mais il m'en faut plus. » L'état-major stratégique collabore avec les autres niveaux du QG pour coordonner le règlement des problèmes de plus grande envergure.
Il s'agit en fait du niveau où on se situe. Nous essayons d'aider et de communiquer avec le CEMD au niveau le plus élevé, au niveau gouvernemental stratégique, alors que le général Gauthier travaille à un niveau légèrement inférieur. Un seul QG ne peut pas tout faire. La tâche serait trop vaste.
Le président : Pour moi, le ravitaillement en munitions est une affaire courante dont le général Gauthier devrait s'occuper chaque jour ou chaque semaine.
Bgén Howard : Mais s'il vient à manquer de munitions, qu'il faille en acheter et qu'il n'y en a pas au Canada, c'est nous, à l'état-major stratégique, qui nous occupons d'en faire l'acquisition.
Le président : C'est bien ainsi que cela passe?
Bgén Howard : Il y a certaines catégories qui sont réduites, mais il ne s'agit que d'un seul cas hypothétique. L'état- major stratégique s'occupe des problèmes que le CEMD et le gouvernement nous ordonnent d'examiner. Par exemple, quand on nous a ordonné d'aller au Liban, les directives ont été élaborées par l'État-major interarmées stratégique (EMIS), en collaboration avec le CEMD, qui lui travaille avec le gouvernement pour définir les objectifs stratégiques et nationaux. Mon personnel travaille à ces questions, fournit la documentation après quoi la responsabilité est transférée au commandant du Commandement de la force expéditionnaire, le général Gauthier, qui exécute ensuite la mission.
Le sénateur Meighen : Autrement dit, vous réagissez; on vous demande de faire quelque chose.
Bgén Howard : Non : Nous nous chargeons des plans. Ce n'est pas tout à fait réactif. Nous considérons un certain nombre de secteurs dans le monde. Cela varie en fonction du problème du jour.
Le cas de la Corée, par exemple, va être examiné par le gouvernement. Quelle sera la réaction du Canada? La question n'est pas uniquement de nature militaire; elle se situe au niveau du premier ministre et fait intervenir tous les autres ministères, le MDN y compris. Le personnel qui soutient la discussion, c'est l'État-major interarmées stratégique.
Le sénateur Meighen : Vu ce que nous avons tous lu dans les journaux, rien ne vous empêche de réfléchir à ce qui doit être fait si le gouvernement dit que nous devons faire quelque chose à propos de la Corée.
Bgén Howard : En effet. Si le gouvernement veut des plans et des conseils de nature militaire, il s'adresse au CEMD.
Le sénateur Meighen : Il se peut que vous soyez en train d'y réfléchir en ce moment même.
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Meighen : C'est vous qui décidez d'y réfléchir.
Bgén Howard : C'est au CEMD de décider des questions prioritaires à examiner. Nous ne sommes pas une entité indépendante. Nous travaillons pour le CEMD. C'est lui qui définit notre mandat et notre charge de travail. Nous avons des capacités de planification et de traitement des questions d'actualité de nature stratégique. Nous fournissons également un service de connaissance de la situation. J'aimerais que le colonel Tremblay vous décrive une partie de son activité. Vous aurez ainsi une meilleure idée de ce que fait l'état-major stratégique.
Colonel J.G.E. Tremblay, directeur, Opérations courantes, État-major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale : Je vous remercie de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant le comité.
Comme l'a dit le général Howard, nous sommes l'État-major interarmées stratégique, les planificateurs militaires qui traduisent les objectifs du gouvernement du Canada en stratégie militaire au niveau stratégique par opposition au niveau opérationnel. Le gouvernement du Canada fixe les objectifs et nous traduisons ces objectifs en objectifs militaires. Nous donnons des conseils et des précisions stratégiques aux commandants opérationnels dans l'exécution de leur mission.
Comme directeur des opérations courantes, je ne participe pas forcément à la planification à long terme pour les Forces canadiennes en matière de mise sur pied ou de développement de la force. Ce sont d'autres services qui s'en chargent. Moi, je m'occupe des opérations courantes, des opérations en cours des Forces canadiennes. Pour fournir de la clarté stratégique aux dirigeants supérieurs des Forces canadiennes et aux dirigeants politiques du gouvernement du Canada, comme les sénateurs, membres de divers comités, il est essentiel pour nous de comprendre ce qui se passe au niveau technique, au niveau opérationnel et aussi au niveau stratégique chez nos alliés. Nous suivons, dans le cadre du rythme stratégique du combat, la cadence quotidienne, hebdomadaire, de minute en minute, dans l'ensemble des missions des Forces canadiennes de manière à pouvoir donner des conseils au moyen du CEMD concernant la situation sur le terrain. C'est le volet connaissance de la situation.
Le deuxième volet, c'est l'aide au commandement, en vue d'assurer la clarté stratégique. Pour cela, nous veillons, lorsqu'une politique est élaborée ou que diverses questions sont débattues, à ajouter à la discussion la dimension de la stratégie militaire de manière à ce que la bonne décision soit prise. Du point de vue des opérations courantes, c'est exactement ce que fait ma direction.
Le sénateur Meighen : Merci, colonel Tremblay. Cela m'a aidé. Je suis certain que mes collègues auront d'autres questions. Le temps file, monsieur le président, mais il y a deux autres questions que j'aimerais aborder.
Général Howard, pouvez-vous me donner quelques chiffres? Depuis longtemps, on nous dit qu'il y a 2 300 soldats. Récemment, on nous a laissé entendre qu'il y a 2 500 soldats, voire plus, en Afghanistan. Vu les changements occasionnés par l'abandon du commandement de la FIAS, et l'arrivée de la compagnie du 22e Régiment, quel est l'effectif actuel du Canada en Afghanistan, au mieux de votre connaissance?
Bgén Howard : L'effectif est stable à environ 2 500 soldats. Nous n'irons pas beaucoup plus haut que ça. Nous n'avons tout simplement pas les forces pour faire plus. Quand nous aurons ramené le QG de la brigade et les renforts en Afghanistan, nous aurons à peu près 2 500 soldats. Aujourd'hui, par exemple, le chiffre est d'environ 2 390 sur le théâtre des opérations. Le chiffre baisse toujours un petit peu parce qu'il y a à peu près 200 soldats qui sont en permission, qui prennent un repos bien mérité, pendant la durée de la mission. Chaque jour, le chiffre tourne sans doute autour de 2 500 soldats.
Le sénateur Meighen : Mais ils sont bien déployés sur le théâtre des opérations, n'est-ce pas?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Meighen : Ils vont retourner sur le théâtre des opérations?
Bgén Howard : Oui, assurément.
Le sénateur Meighen : Si vous comptez les permissionnaires, le chiffre passera à 2 500. En plus de la compagnie du 22e Régiment, n'y aura-t-il pas aussi des chars?
Bgén Howard : Le total tournera autour de 2 500.
Le sénateur Meighen : Certains de mes collègues voudront peut-être discuter des chiffres pour chacune des unités de stabilisation que vous avez énumérées.
Col Tremblay : Comme il n'est pas nécessaire d'avoir un quartier général après le 1er novembre, il y aura un gain net d'effectifs. Des soldats rentrent chez eux et le chiffre va donc passer sous la barre des 2 200. Quand on ajoute le chiffre des renforts, l'effectif pourra rester au niveau de 2 500 soldats.
Le sénateur Meighen : Je veux vous poser des questions aussi bien au sujet de la livraison que des possibilités de livraison de l'aide à l'Afghanistan. Je pense pouvoir parler au nom de chacun des membres du comité quand je dis que nous sommes convaincus — et j'imagine que vous l'êtes aussi, même si j'aimerais l'entendre de votre bouche — que le succès en Afghanistan résultera, comme le brigadier général Howard l'a dit dans son allocution, à la fois de la stabilisation militaire du secteur et de l'octroi d'aide destinée à conquérir le coeur et l'esprit des populations qui habitent dans les secteurs stabilisés. Rares sont ceux, je crois, qui pensent que l'on puisse conquérir les coeurs et les esprits par la seule action militaire.
Le problème semble être que même les militaires, lorsqu'ils essaient de livrer l'aide, se font tirer dessus. Il est évident que les civils et même les équipes de l'EPR ont du mal à apporter de l'aide en volume appréciable à l'heure actuelle. Dans quelle mesure l'aide passe-t-elle dans ces circonstances éprouvantes?
Y a-t-il de la lumière au bout du tunnel? Les équipes de l'EPR auront-elles du succès dans l'immédiat, à votre avis? Nous sera-t-il possible de libérer et de stabiliser à court terme ou est-ce qu'on ne fait que s'accrocher de peine et de misère?
Bgén Howard : C'est une excellente question qui va au coeur de l'opération en Afghanistan.
Si vous considérez tout le territoire, l'OTAN a eu beaucoup de succès dans les trois quarts de l'Afghanistan. Les trois quarts du pays sont stables grâce à l'excellent travail qui a été fait. Il y a des dizaines d'EPR dans tout le pays. Le travail que nous avons fait à Kaboul depuis notre arrivée a presque transformé complètement la ville. C'est une réussite magnifique et le Canada a joué un rôle déterminant.
J'ai moi-même fait des patrouilles à pied dans divers secteurs avec des soldats à Kaboul. J'ai vu les résultats de l'aide apportée. De nouveaux puits ont été forés. Dans les écoles, il y a des meubles canadiens. C'est un modèle qui a été efficace.
Loin de moi l'idée de dire que le travail à Kaboul est terminé, mais il a progressé et le défi maintenant est d'en faire autant dans le Sud. La région sud est coriace et c'est là où est la difficulté. Avec nos collègues hollandais et britanniques, depuis deux mois, nous peinons à stabiliser la région pour pouvoir passer à l'excellent effort de reconstruction qui a été fait à Kaboul.
Il n'est pas raisonnable de précipiter la reconstruction et l'envoi d'aide tant qu'on n'aura pas stabilisé et sécurisé la région. Cela ne signifie pas qu'on ne le fera pas. Simon Hetherington essaie chaque jour de parler avec le gouverneur. Nous avons mis sur pied un centre de coordination du développement provincial qui regroupe non seulement le Canada mais aussi toutes les ONG internationales qui essaient d'agir dans la région.
Je vous mentirais si je vous disais que la situation est sûre et que tout baigne dans l'huile. Il est certain que nous avons besoin d'aide. Nous demandons à nos partenaires de nous prêter main-forte. Si nous pouvons retourner la situation dans le Sud — et il n'y a pas de raison que nous ne puissions pas le faire, mais cela va demander du temps et du labeur — alors nous sommes en bonne voie. Actuellement, c'est difficile.
L'EPR de Kandahar a adopté l'approche pangouvernementale. Elle compte un agent des Affaires étrangères et trois agents de développement de l'ACDI. Ils ont prévu plusieurs projets de développement prêts à lancer. Nous essayons d'assurer le financement pour que ces projets puissent aller de l'avant. La GRC fait de son mieux pour collaborer avec la police nationale afghane. Par exemple, la PNA a à peu près deux ans de retard par rapport à l'armée nationale afghane.
Oui, la situation est difficile. Les soldats canadiens sont au premier rang de ceux qui essaient d'instaurer la stabilité. Nous avons demandé de l'aide de nos partenaires de l'OTAN, mais cela ne signifie pas pour autant que la reconstruction et l'envoi d'aide traînent. Il se fait toutes sortes de choses pour la concrétiser. Pourrions-nous faire mieux et plus vite?
Le sénateur Meighen : Pardon, général. Avez-vous dit « pour essayer de la concrétiser »? Ce n'est pas un reproche, mais ne seraient-ils pas en train d'attendre que la situation se stabilise?
Bgén Howard : Pas du tout. Par exemple, pendant l'opération Méduse, de l'aide a été apportée dans la région pour venir en aide aux populations déplacées. Les ONG internationales livraient de l'aide alimentaire.
Le sénateur Meighen : Il n'avait pas que les livraisons de l'armée; c'était aussi celles des ONG?
Bgén Howard : Ce sont les ONG qui ont apporté le gros de l'aide de reconstruction dans la province de Kandahar. Nous les avons aidées à faciliter et à coordonner leurs efforts.
Le président : Il y a quelque chose que vous avez dit qui me laisse perplexe. Vous avez dit attendre que certains problèmes de financement se règlent. Cela nous inquiète. La ministre est venue ici au printemps. Elle a été incapable de nous dire quelle sorte d'aide était livrée à Kandahar. Par la suite, nous avons reçu d'elle une lettre que nous avons publiée dans notre dernier rapport. Nous avons du mal à établir ce qui se passe à Kandahar. Nous nous demandons pourquoi l'information n'est pas disponible. Vous dites que cela se fait; si c'est le cas, pourquoi n'avons-nous pas de liste? Vous avez l'air d'avoir sous les yeux un tableau très bien fait. Seriez-vous prêt à nous le communiquer?
Le sénateur Meighen : Pourriez-vous aussi nous dire d'où vient l'argent? Je crois savoir que l'armée a 1,9 million de dollars de budget d'aide, prélevé sur son propre budget. Celui du MDN, pas de l'ACDI.
Je crois aussi savoir que l'ACDI a des fonds. Je crois comprendre que votre budget pourrait être augmenté parce que c'est vous qui êtes actuellement les plus à même d'apporter l'aide, vu la situation.
C'est l'argent de qui qui est dépensé où?
Bgén Howard : La fourniture d'aide et la reconstruction en Afghanistan ne sont pas uniquement l'affaire du Canada. Au niveau des plus élevés, il y a tout un ensemble d'ONG nationales et internationales. L'ONU elle-même opère en Afghanistan. Elle apporte toutes sortes de formes d'aide, que ce soit de l'aide financière, alimentaire ou autre. Je ne sais pas combien cela représente, mais l'ONU est active dans la province de Kandahar.
Il est important de le souligner parce que l'EPR contribue à la coordination avec le gouverneur de Kandahar pour la fourniture de ce genre d'aide. Cela se fait. Je serai heureux d'essayer de vous obtenir d'autres chiffres, mais l'EPR travaille à la fois au niveau canadien et international.
Le président : Nous comprenons.
Bgén Howard : Si vous me laissez finir.
Le président : Bien sûr, mais je veux préciser ceci. Les gens disent que l'aide n'opère pas seulement au niveau canadien, mais nous n'avons pas le sentiment qu'il y a la moindre reddition de comptes pour la contribution du Canada. Ça semble être caché sous le boisseau de l'aide globale mais nous sommes curieux de savoir d'où vient l'apport du Canada. Nous pensons qu'il est important qu'il y ait un lien direct entre voir des gens avec la feuille d'érable sur leurs épaules et l'argent qui arrive en même temps. Nous aimerions que vous nous en parliez.
Bgén Howard : La ministre Josée Verner est venue ici. Elle a parlé des 100 millions de dollars par année qui vont en Afghanistan et des 10 p. 100 qui sont destinés à la province de Kandahar. Cela figure dans les comptes rendus de sa comparution ici la dernière fois. Basés sur ces 10 p. 100, un certain nombre de projets sont prêts à commencer, créés par l'EPR avec les trois agents de développement. Ils attendent simplement que ces fonds arrivent. Une fois qu'ils auront les fonds, ils pourront exécuter ces projets.
Le président : Les soldats sont là depuis combien de temps, et nous attendons toujours l'argent de l'ACDI?
Bgén Howard : Oui.
Le président : C'est ce que nous ne comprenons pas. Peut-être n'est-il pas juste de vous poser la question à vous parce que vous n'êtes pas à l'ACDI, mais je trouve un peu curieux que nous ayons des soldats là-bas. Ce n'est pas la première rotation, nous n'avons pas les fonds, et pourtant les fonds sont essentiels au succès là-bas.
Bgén Howard : Je ne peux pas répondre à la question de savoir pourquoi l'argent n'est pas là.
Le président : Entendu, pouvez-vous répondre à la question de savoir si le personnel de l'ACDI ou du MAECI pourra jamais sortir de la zone sécurisée? On nous dit qu'ils restent au camp à longueur de journée.
Bgén Howard : Je ne veux pas vraiment parler de qui est autorisé à aller où pour des raisons de sécurité.
Le sénateur Meighen : Est-ce que la décision de savoir qui peut aller où est une décision militaire?
Bgén Howard : Si les gens sont autorisés à sortir de la zone sécurisée, où ils vont est une décision militaire.
Le président : Pourquoi ne voulez-vous pas en parler? Si vous prenez la décision militaire de les faire rester dans la zone sécurisée, pourquoi ne dites-vous pas « Écoutez, nous ne pensons pas qu'il est sûr de sortir de la zone »? Vous ne mettez personne dans une situation dangereuse en nous disant que vous les maintenez au sein de la zone sécurisée.
Bgén Howard : Il n'est pas dans mes attributions de discuter des mouvements des agents de l'ACDI.
Le sénateur St. Germain : Sauf votre respect, ayant moi-même été militaire, je ne pense pas qu'il est juste de poser cette question. Je comprends que vous avez cette prérogative comme membre du comité, mais je comprends ce que le brigadier général est en train de dire. Si vous êtes à l'intérieur de la zone sécurisée, ou à l'extérieur, s'il s'agit d'une question de sécurité, je pense que toute révélation pourrait nuire aux intéressés.
Le sénateur Meighen : Si le général disait « Cela ne nous dérange pas que les agents de l'ACDI sortent, mais ils nous disent qu'ils ne veulent pas sortir » — je ne dis pas que c'est le cas — est-ce que cela compromettrait la sécurité de quelqu'un?
Le sénateur St. Germain : C'est à l'ACDI de répondre.
Le sénateur Meighen : Je veux bien m'en tenir à cela.
Une dernière question, monsieur le président.
Le président : En toute justice, j'ai interrompu le général. En tout cas, je l'ai interrompu après qu'il nous a donné à peu près 20 p. 100 de sa réponse. Donnons-lui la parole après quoi vous pourrez poursuivre, sénateur Meighen.
Bgén Howard : En fin de compte, c'est nous qui avons le budget, qui vient du MDN. Les commandants locaux disposent d'une certaine somme.
Le président : Il s'agit du 1,9 million de dollars dont le sénateur Meighen parlait?
Bgén Howard : Oui, ils peuvent se servir de cet argent pour des projets, et ils l'ont fait. Par exemple, la réfection de certains réseaux routiers. Actuellement, dans le dernier secteur des opérations, à l'ouest de Kandahar, nous essayons de construire et de renforcer les routes.
Nous participons à d'autres genres de projets, comme la fourniture de matériel de lutte contre les incendies aux casernes de pompiers et nous nous occupons d'autres types de questions d'accès et de sécurité. Nous pouvons vous donner une liste du genre de projets auxquels nous travaillons.
Pouvez-vous la donner à la greffière?
Bgén Howard : Certainement.
Le président : Ce serait utile d'avoir la liste complète du travail qui a été réalisé.
Le sénateur Meighen : Par les militaires, à partir du budget militaire?
Le président : À partir du budget militaire, et si vous pouviez aussi nous donner de l'information sur d'autre travail qui a été fait, si vous savez ce qu'ont fait d'autres ONG là-bas, cela nous aiderait.
Le sénateur St. Germain : En ce qui concerne l'ACDI, a-t-il déjà été question d'inviter l'Agence à comparaître devant le comité?
Le président : Nous l'avons déjà entendue et nous lui avons demandé de nous écrire.
Col Tremblay : En ce qui concerne le rôle de l'État-major interarmées stratégique, j'ai dit que nous sommes en rapport avec nos collègues d'autres ministères, et l'ACDI prépare actuellement une liste intégrée de ses projets et des projets des Forces canadiennes. Le travail est en cours et je ne peux donc pas vous dire s'il est terminé, mais je sais que cela se fait. J'aimerais mentionner ici que l'EPR du commandement régional sud, même si elle est là depuis août 2005, doit s'adapter à la réalité sur le terrain. Le fait est que le contingent britannique n'est arrivé qu'en mai et que le contingent hollandais n'est arrivé qu'en août. Il se fait beaucoup d'organisation, et il s'en fait aussi à Kandahar. Nous occupons le terrain que les talibans ont occupé pendant bien des années, et nous commençons à peine à reconnaître le terrain pour pouvoir le sécuriser et améliorer la gouvernance.
Il faut regarder un projet à travers la lentille des projets à long terme et des projets à court terme qui font une différence en termes d'impact rapide sur le terrain : les abris et la nourriture où nous faisons une grosse différence pour les habitants par rapport aux projets comme la construction de routes, qui vont façonner ce à quoi l'Afghanistan va ressembler dans le moyen et le long terme.
Je vais vous donner un exemple d'endroits où l'argent de l'ACDI pourrait être investi. Une grande route de ravitaillement est actuellement en cours d'examen et d'évaluation. Il y a de la construction jusqu'à un certain degré, mais la chaussée n'est pas encore en dur et ne permet pas une grande circulation de marchandises dans les deux sens.
Il y a eu beaucoup de coordination entre les deux ministères pour infléchir la situation sur le terrain mais tout dépend de la réalité sur le terrain. La réalité sur le terrain actuellement c'est que nous sommes toujours en train de développer la Zone de développement Afghanistan, Kandahar. Une fois qu'on l'a établie, parce que nous avons des forces du projet sur le terrain et que nous avons repoussé les talibans, nous avons créé une zone tampon. Par la même occasion, nous avons effectué une évaluation des besoins et des exigences. Après ça, on peut vraiment exécuter les projets à moyen et à long terme par rapport au projet à court terme pour faire une différence auprès des déplacés. Nous avons cela à l'esprit pour veiller à ce que les déplacés soient pris en charge.
Le président : Merci, colonel. Il s'agit évidemment ici d'une séance d'information pour le comité sur ce qui se passe à Kandahar et nous sommes donc heureux que vous nous communiquiez toute l'information que vous pouvez nous donner. Ça se situe dans le contexte de notre visite à Kaboul où, lorsque le général Hillier a demandé ce que nous avons vu à Kaboul quand nous y sommes allés et que nous avons répondu pas grand-chose, il a dit « eh bien, attendez d'aller à Kandahar parce que là nous allons vous montrer comment les 3D marchent vraiment. » Le comité a souscrit d'emblée au concept des 3D : défense, diplomatie et développement. Nous trouvons l'idée très sensée, mais ne vous étonnez pas si nous vous demandons maintenant comment fonctionnent les autres D parce que le chef d'état-major de la Défense nous a dit que Kandahar serait très différent de ce que nous avons vu à Kaboul. Il a dit que nous verrions des Canadiens avoir des interrelations entre eux et que nous verrions des projets d'aide canadiens aller de l'avant parallèlement avec ce que nos soldats font.
De toute évidence, les choses ne se passent pas comme prévu. La situation est dynamique, et nous le comprenons. Le but de la rencontre est de nous mettre à niveau pour que nous la comprenions mieux et je vous remercie de vos explications.
Le sénateur St. Germain : Vous nous avez fait une description vivante de ce qui se passe là-bas. Je pense que les Canadiens veulent savoir. Il est important que nous sachions, mais il est plus important que les Canadiens sachent, ainsi que ceux qui nous regardent. Quand vous êtes allés à Kandahar la première fois, étiez-vous seuls, colonel? Est-ce que nos soldats étaient les seuls et est-ce que les Britanniques et les Hollandais ne font qu'arriver maintenant? Quand vous essayiez de déstabiliser l'ennemi, de construire une route et le reste, est-ce que les soldats canadiens faisaient le travail seuls ou est-ce que les Hollandais, les Américains, les Britanniques ou d'autres étaient là? Étions-nous seuls là- bas au début et recevons-nous actuellement des renforts? Pouvez-vous nous brosser un tableau vivant pour que les Canadiens comprennent ce qui se passe là-bas?
Col Tremblay : Moi-même je n'ai pas été à Kandahar, mais les soldats canadiens y étaient et infléchissaient la mission dans une certaine mesure. Au moment de la prise en charge par l'OTAN, il est apparu clairement que les partenaires de l'OTAN devaient être déployés sur le terrain. Dans le cadre de ce déploiement, le rôle des Canadiens a été déterminant pour s'assurer que nos alliés ont pu se projeter sur le théâtre, occuper le terrain, conduire un cadre de patrouille et s'organiser dans la zone d'opération.
De ce point de vue, les Canadiens et le brigadier général Fraser, comme éléments du commandement de la brigade internationale sud, ont fait du travail exceptionnel.
Le sénateur St. Germain : Les soldats canadiens étaient les seuls dans ce secteur et reçoivent aujourd'hui des renforts des autres forces de l'OTAN, n'est-ce pas?
Bgén Howard : Au début, le Commandement régional Sud ne disposait pas de beaucoup de soldats de combat. Au début, la mission en Afghanistan tout entière était dirigée par les Américains sous le nom d'opération Enduring Freedom (Liberté immuable) et dans le cadre de l'OTAN, nous avons commencé dans le Nord dans divers secteurs. La troisième étape de l'expansion de l'OTAN dans la FIAS était de venir dans la province de Kandahar où les Américains opéraient à un certain degré de force. Par exemple, il n'y avait pas de soldats dans la province de Helmand, ni dans la province d'Oruzgan.
Les Américains opéraient à Kandahar, de sorte que les Forces canadiennes qui sont arrivées en mars ont pris le relais de la force opérationnelle américaine. Nous avons alors commencé notre mission dans la province de Kandahar. D'autres opéraient, mais en petits nombres. Depuis, les Britanniques sont allés vers la province d'Helmand et les Hollandais dans l'Oruzgan. Cela a placé des soldats supplémentaires dans la région et c'est un peu un nouveau visage pour les habitants de l'endroit.
Le sénateur St. Germain : Les Canadiens voient les pertes que nous subissons et il semble que ce soit nous qui en ayons le plus. Beaucoup de Canadiens me demandent ce qui se passe là-bas. Est-ce qu'il n'y a que nous?
Bgén Howard : Pendant toute la durée de la mission de la FIAS ces dernières années, tous les pays ont subi des pertes partout en Afghanistan. Par exemple, quand nous sommes arrivés à Kaboul, les Allemands ont subi des dizaines de blessures provenant des mêmes menaces qui pèsent sur nous aujourd'hui : des EEC, engins explosifs de circonstance, et des kamikazes. Les Américains ont subi des pertes plus lourdes que les nôtres tout au long de la mission.
Dans le Commandement régional Sud, nos soldats ont été attaqués au cours des deux dernières rotations de six mois, dont l'une est à mi-parcours. Nous opérons dans une situation difficile. C'est tout aussi difficile dans la province d'Helmand, où les Britanniques subissent des pertes également. Pendant le week-end, il n'y a pas que nous qui avons subi des pertes; un soldat américain a lui aussi été tué par un EEC.
C'est toute la coalition qui subit des pressions en Afghanistan. Personne ne le nie. Le secteur sud, dans lequel nous opérons, semble et est effectivement le plus dangereux actuellement.
Le sénateur St. Germain : Il y a certaines comparaisons entre ce théâtre d'opération et celui du Vietnam. La région environnante semble être un terrain d'entraînement ou un vivier pour les talibans ou quiconque veut déstabiliser l'Afghanistan. Est-ce que cela relève de votre service, les plans de lutte contre cela dans l'avenir, et est-ce une source d'inquiétude?
Bgén Howard : Il est certain que c'est une source d'inquiétude. Récemment, le ministre s'est rendu au Pakistan et je sais que le brigadier général Fraser travaille étroitement avec son homologue militaire de l'autre côté de la frontière, près de Spin Boldak. Il a traversé la frontière deux fois pour discuter de la situation sécuritaire. Cette frontière n'est pas facile parce qu'il y a beaucoup de mouvements normaux de civils chaque jour. C'est un des secteurs d'inquiétude et c'est quelque chose que le ministre a cherché à corriger avec ses collègues du Pakistan.
Le sénateur St. Germain : Est-ce que sécuriser la frontière entre l'Afghanistan et ses voisins fait aussi partie de la stratégie de sécurisation du pays pour son développement futur?
Bgén Howard : Le plus que je puisse dire sur ce point c'est qu'il faut certainement surveiller de près la frontière pour comprendre les mouvements et les méthodes d'opération des insurgés pour que nous puissions apporter à la région une certaine stabilité et une certaine sécurité. Ce n'est pas quelque chose que nous pouvons faire seuls : il nous faut la collaboration des autres pays limitrophes de l'Afghanistan.
Le président : Général, l'impression des membres du comité, c'est que le Pakistan sert de zone de R et R aux talibans. Quand ils veulent se délasser, ils vont au Pakistan et vont et viennent à peu près à leur guise. C'est vrai?
Bgén Howard : C'est un secteur où il est difficile d'opérer. Malheureusement, il y a des tribus qui ne connaissent pas les frontières internationales tracées après la Première Guerre mondiale. Quand on trace ainsi des frontières arbitraires, les tribus des deux côtés se sentent coupées les unes des autres. Les menaces en Afghanistan, ce sont évidemment les insurgés et leurs affiliations tribales. C'est un problème qu'il faut examiner.
Il y a aussi la menace pour nos soldats que représentent les mines dans le sol qui remontent aux guerres antérieures. Il y a beaucoup de mines sur le terrain. Le trafic interne afghan de stupéfiants représente aussi une menace immense pour la paix et la stabilité de ce pays, ainsi que l'absence de lois et l'activité criminelle très répandue à l'intérieur des frontières. Il n'est pas juste de tout blâmer sur un facteur en particulier, mais en ce qui concerne les insurgés en tout cas, il ne faut pas ignorer la structure tribale qui transcende les frontières internationales.
Le président : Le gouvernement du Pakistan se sent-il tenu de faire respecter ses frontières pour qu'il n'y ait pas autant de gens qui la traversent dans un sens et dans l'autre?
Bgén Howard : C'est une bonne question à poser au ministre après sa visite récente au Pakistan. Je peux dire que le général David Fraser a parlé avec son homologue militaire pakistanais pour voir si nous pouvons contenir et comprendre ce mouvement d'insurgés un peu mieux.
Le sénateur Banks : Je veux poursuivre dans la même veine que le sénateur St. Germain parce que nous avons besoin aujourd'hui d'un cliché de l'endroit où les Forces canadiennes sont en train d'opérer. Nous n'en avons pas qui soit clair et les Canadiens n'en ont pas non plus. Les Canadiens opèrent pour l'essentiel dans la province de Kandahar, n'est-ce pas?
Bgén Howard : Oui, à l'exception de certains actifs stratégiques à Kaboul.
Le sénateur Banks : Dans la province de Kandahar, où les Canadiens sont très actifs, aujourd'hui — je sais que cela peut changer demain après-midi — combien y a-t-il d'Américains, de Britanniques et de Hollandais? Que je sache, il n'y a pas de Britanniques à Kandahar. Ils sont dans l'Helmand, je crois. C'est bien ça?
Bgén Howard : C'est juste. Les Britanniques sont dans la province d'Helmand. Ils ont une grosse force opérationnelle, plus importante que la nôtre, et les Hollandais sont au nord de nous. Nous partageons le même champ d'aviation, celui de Kandahar. Tous les pays sont représentés là avec leurs têtes de pont aériennes internationales et le reste, mais pour l'essentiel, le pays qui mène dans la province de Kandahar, c'est le Canada. Nos partenaires sont les bataillons de l'Armée nationale afghane qui opèrent avec nous. Deux ou trois au moins sont actuellement déployés avec nous.
Le sénateur Banks : Quand les Hollandais prendront le commandement général de la région du sud, les Canadiens seront-ils toujours la principale force militaire en opération dans la province de Kandahar?
Bgén Howard : Oui, sénateur. Au nouveau QG de la brigade hollandaise, ce sont les Hollandais qui dirigent, mais un colonel canadien sera le chef d'état-major. C'est le colonel Mike Kampman qui deviendra chef d'état-major.
Le sénateur Banks : Le général Grant sera-t-il le commandant général des Canadiens?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Banks : Il est d'Edmonton, d'où je viens.
Bgén Howard : Il était le commandant de zone et est actuellement en permission avant son déploiement.
Le sénateur Banks : Le problème dont vous avez parlé tout à l'heure, c'est celui des restrictions dont les autres sénateurs ont parlé, à savoir les différentes règles d'engagement en Afghanistan, qui sont de toute évidence larges et autorisent l'agressivité dans la poursuite de la tâche première, c'est-à-dire la sécurité. Toutefois, nous savons que les autres partenaires de l'OTAN ont des règles d'engagement moins robustes, c'est bien ça?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Banks : Est-ce que cela ne rend pas les choses extrêmement difficiles? Je sais que l'on mène toujours la dernière guerre, mais pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, ou même en Corée, nous n'avions pas à opérer, si je me souviens bien, avec des partenaires et des alliés qui avaient des règles d'engagement différentes des nôtres. Tous nous avions le même but et étions prêts à consentir le même effort pour l'atteindre.
Je sais qu'il s'agit en grande partie d'une question politique, mais avez-vous constaté du mouvement à cet égard afin que nos partenaires puissent agir de la même façon et appuyer ce que nous avons entrepris de faire?
Bgén Howard : Le chef d'état-major de la Défense et le ministre ont au cours des dernières semaines parlé à leurs partenaires en Afghanistan, aux chefs de leurs forces armées et de leurs ministères de la Défense, afin de leur demander de leur prêter main-forte dans le Sud. Il serait prématuré de dire qu'aucun d'entre eux n'acceptera. Le dialogue se poursuit.
Le sénateur Banks : En ce qui concerne ces forces, est-ce que ce sont les gouvernements qui prendront ce genre de décisions?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Banks : Si vous me le permettez, j'aimerais aborder un autre sujet.
Le sénateur St. Germain : Nous a-t-on dit que les Français étaient en train de retirer leurs troupes de cette région?
Le président : J'ai appris aujourd'hui par les nouvelles que les Français sont en train de retirer 700 troupes. Je pense que c'est la question.
Le sénateur St. Germain : Il s'agit d'une question supplémentaire.
Le président : Elles travaillaient en collaboration avec les forces spéciales des États-Unis.
Bgén Howard : Je ne suis pas sûr. Les Français sont dans plusieurs régions. Ils sont également à Kaboul, et je crois qu'il s'agit de forces opérationnelles spéciales, dont il faudrait que j'examine la situation de plus près. Je ne suis pas au courant de cette initiative en particulier.
Je n'ai pas l'intention de préconiser quoi que ce soit. La seule mise en garde que je ferais, c'est que les pays ont toujours eu des restrictions. L'armée canadienne avait des restrictions lorsqu'elle a décidé de participer à la Première Guerre mondiale. Elle a refusé que ses brigades relèvent des divisions britanniques. Nous avons exigé de nous battre en tant que Canadiens et, de la même façon, chaque pays, en fonction de la situation, doit évaluer ses positions et décider qu'il est prêt à ce que ses troupes relèvent d'un autre commandement national.
Nous avons besoin d'aide dans le sud de l'Afghanistan, car c'est là où la situation est critique aujourd'hui. Nous avons besoin de forces supplémentaires dans le Sud, et des discussions raisonnables sont en cours. Il serait prématuré de dire si cette démarche donnera des résultats, mais l'OTAN en tant qu'entité qui représente 26 pays membres doit nous prêter main-forte.
Le sénateur Banks : J'espère qu'ils y réussiront. Nous avons parlé plus tôt de la stratégie des 3D et de la nécessité qu'à long terme, sinon à moyen terme, après que l'on aura établi un certain niveau de sécurité, on s'occupe de développement, afin d'apporter des changements tangibles dans la vie des citoyens afghans.
Lorsqu'il a comparu devant nous, le lieutenant général Gauthier nous a dit que l'EPR comptait entre 55 et 60 personnes. Avons-nous une équipe provinciale de reconstruction dans la province de Kandahar?
Bgén Howard : Oui, elle est installée dans la ville de Kandahar. Elle est installée là pour travailler avec le gouverneur afin d'essayer de donner une dimension provinciale aux initiatives qu'il prend. Il doit de toute évidence établir le dialogue avec les collectivités et les aînés parce que tout est fait par comité — les shuras — aux paliers inférieurs.
Cependant, comme je l'ai indiqué dans mes remarques, ce ne sont pas uniquement des problèmes de sécurité qui ralentissent l'aide et la reconstruction. Il faut également développer les capacités au sein du système de gouvernance afghan même pour qu'il puisse le faire. Il s'agit d'un pays qui, de par son histoire, ne possède pas de mécanisme solide de contrôle central et où il faut essayer d'établir une capacité administrative, une forme de bureaucratie car cela est nécessaire pour que les choses se fassent. Il s'agit d'une culture différente. On n'y fait pas les choses comme au Canada, donc en soi cela pose certains problèmes.
Si vous posez la question au lieutenant colonel Hetherington, il vous dira qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question d'argent. Ce n'est pas la difficulté à laquelle il se heurte. Il s'agit également d'essayer d'établir la capacité de le faire localement. Nous pourrions prendre le mors aux dents et construire une école sans aucune difficulté demain, mais lorsqu'on le fait par le biais du système de gouvernance locale, il existe certaines façons de procéder.
Le sénateur Banks : Lorsque vous avez parlé de trois représentants de l'ACDI, d'un représentant du ministère des Affaires étrangères, de quatre membres de la GRC et d'un policier de l'Île-du-Prince-Édouard, font-ils partie de l'équipe de reconstruction provinciale?
Bgén Howard : Oui. L'équipe est dirigée par le MDN simplement parce que le travail comporte des aspects qui concernent la sécurité. Il s'agit toutefois d'un partenariat et même si les militaires aimeraient commander ce groupe, il fonctionne selon une approche concertée pangouvernementale. Il s'agit d'une approche unique pour nous, mais il ne fait aucun doute que les compétences que possède l'agent des Affaires étrangères dépassent nettement celles que posséderait un militaire, et sont très utiles.
Les trois agents de développement de l'ACDI font un travail remarquable pour ce qui est d'établir un cadre.
Quant à Simon Hetherington, il se trouve à la tête. Si nous devons organiser un groupe pour visiter l'équipe provinciale de reconstruction ou dans le cadre d'un échange, il s'occupera du transport. Je pourrais vous donner une centaine d'autres exemples de ce soutien courant que l'EPR offre à ces membres importants.
Le sénateur Banks : Les mécanismes sont en place mais pas les fonds; n'est-ce pas?
Bgén Howard : Il y a un certain nombre de projets qui attendent des fonds supplémentaires avant de pouvoir être exécutés. Je suis sûr que les fonds seront dégagés. Il ne fait aucun doute qu'en ville on comprend qu'un besoin existe à cet égard.
Le sénateur Banks : Vous parlez de cette ville-ci?
Bgén Howard : Oui, à Ottawa. Au niveau national, les différents ministères travaillent d'arrache-pied pour que cela se fasse. Je ne veux pas vous donner l'impression que je critique l'ACDI. Cette agence a ses méthodes et son protocole. Ce sont des spécialistes dans le développement à long terme. Nous devons nous en remettre à leur jugement.
Le sénateur Banks : Cependant, pour déterminer ce qui fait obstacle au financement qui permettrait à l'EPR de réaliser pleinement son potentiel, à qui devrions-nous nous adresser?
Bgén Howard : Vous devriez demander à l'ACDI.
Le président : En ce qui concerne le montant de 2,9 millions de dollars dont dispose le général Fraser, est-ce qu'on est en train de consacrer ce montant à des projets?
Bgén Howard : Oui.
Le président : Les fonds que l'on consacre à l'heure actuelle aux projets proviennent-ils du MDN?
Bgén Howard : Un certain financement a été attribué au colonel Hetherington, pas pour exécuter les projets à moyen et long terme dont a parlé mon collègue, mais davantage pour répondre à des besoins ponctuels. Par exemple, un engin explosif a été déclenché à Kandahar et a démoli un magasin. Le magasin a brûlé. Le colonel Hetherington a pu rapidement réunir les fonds pour reconstruire ce magasin.
Le président : Cet argent est important pour assurer la sécurité des troupes, afin que vous ayez des renseignements et que la population considère que les soldats sont là pour faire de ce pays un meilleur endroit où vivre. Est-ce bien ce dont il s'agit?
Bgén Howard : C'est exact.
Le président : Le général Fraser dispose-t-il de tout l'argent dont il a besoin?
Bgén Howard : Il s'agit d'une question particulière qu'il faudrait que je lui pose. Je ne lui ai pas posé la question.
Le président : Notre comité a recommandé de doubler le montant pour qu'il passe à quatre millions parce que nous ne voyons pas grand-chose se passer. Si un retard à cet égard risque de nuire à la sécurité des troupes et fait en sorte que vous ne recevez pas le genre de renseignement et de coopération que vous obtiendriez si ce projet de développement était exécuté grâce à un financement provenant d'ailleurs, notre comité tient à dire que l'on prenne l'argent et qu'on le donne au général Fraser jusqu'à ce que la situation change et que vous ayez d'autres forces là-bas.
Bgén Howard : Il ne fait aucun doute que l'argent est un problème. Je ne peux pas parler de l'argent de l'ACDI. Ce n'est pas ma responsabilité et je ne suis pas vraiment au courant de ce dossier.
Ce que je tiens à vous dire, c'est qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question d'argent. Il s'agit d'essayer de travailler par l'intermédiaire du système de gouvernance afghan qui existe là-bas. Cela peut prendre du temps.
Le président : Nous en avons pris bonne note et nous en tiendrons compte.
Le sénateur Atkins : Croyez-vous que les Canadiens reçoivent la reconnaissance qu'ils méritent pour les efforts qu'ils déploient là-bas, tant de la part des populations des grands centres que des populations de l'extérieur?
Bgén Howard : En me promenant aux alentours de Kaboul, j'ai pu en déduire de mes contacts avec les jeunes Afghans, qu'ils sont bien disposés envers les Canadiens. Je demanderai au colonel Tremblay de faire des commentaires sur cette question parce qu'il a passé six mois là-bas. Nous leur avons appris des phrases comme, « Hey, Joe, as-tu un stylo? ». Je ne compte plus le nombre de fois où on m'a posé la question pendant que je me promenais.
Nous avons reçu un accueil favorable. Les Canadiens se distinguent parce qu'ils sont prêts à aller sur le terrain. C'est la raison pour laquelle nos soldats se trouvent parfois dans des situations dangereuses. Ils sortent de leurs véhicules pour essayer de parler aux gens de la localité.
Nous tenons à agir de la même façon dans le Sud. Les gens là-bas sont effrayés par ce qui se passe. Lorsque des combats font rage autour de vous, il est difficile d'être aimable. Je pense que les Canadiens ont une bonne réputation à cet égard.
Le colonel Tremblay pourrait peut-être répondre lui aussi à cette question.
Col Tremblay : Je pense que la dimension humaine qu'apportent nos soldats sur le terrain est réelle. En fait, elle est profonde. Nos militaires, hommes et femmes, ne perdent pas de vue la raison pour laquelle ils sont là-bas. Ils mettent l'accent sur la mission. Cependant, ils comprennent aussi qu'il faut tenir compte de la dimension humanitaire pour changer les choses afin que les Afghans puissent profiter des libertés qu'ils n'ont peut-être jamais connues auparavant.
Il est difficile de convaincre certaines personnes qu'une telle approche est nécessaire lorsqu'elles ont énormément à perdre au niveau de leur influence et de leur pouvoir. Il est difficile de créer des liens et de s'assurer qu'elles comprennent notre position. Nous devons leur faire comprendre que nous ne sommes pas là pour remplacer le gouvernement, mais que nous appuyons le gouvernement afghan pour qu'il établisse la stratégie de développement qui a été déterminée par les Afghans, non seulement dans la capitale mais en périphérie.
Le sénateur Atkins : À votre avis, dans quelle mesure la population locale, plutôt que le gouvernement en tant que tel, a-t-elle confiance dans les Canadiens?
Bgén Howard : Il est encore trop tôt pour le dire. La recrudescence du mouvement des insurgés complique les choses. Cela a donné lieu à des circonstances difficiles. Les soldats ont passé beaucoup de temps au combat et à faire face aux insurgés mêmes. Là où nous le pouvons, nous avons mis sur pied un certain nombre de programmes d'extension des services. Le programme médical, par exemple, a obtenu beaucoup d'appui, avec raison. Cependant, c'est toujours un travail en cours de réalisation lorsqu'il s'agit d'établir des relations avec les gens de la région de Kandahar et leur donner l'espoir d'une vie meilleure : la reconstruction et l'aide dont nous avons besoin. Si nous pouvons maintenir une situation stable, si certains de nos partenaires peuvent nous prêter main-forte et si on intensifie un peu plus certaines des activités qui, comme je l'ai décrit, nécessitent une aide financière et sont fondées sur la gouvernance, cet appui augmentera de façon spectaculaire.
L'une des choses que nous avons accomplies — et nous l'avons tous vu à la télévision — c'est soigner les Afghans. Les gens se présentent aux barrières, certains des enfants, qui sont peut-être gravement malades. Nous prenons le temps, là où nous le pouvons et où nous avons la capacité, de les aider. Cela contribue considérablement à transmettre le message. C'est l'une des choses que nous devons continuer de faire.
La situation sera probablement plus facile à analyser au cours des mois à venir, si nous obtenons ce dont nous avons besoin.
Le sénateur Atkins : Cela doit être extrêmement difficile.
Bgén Howard : Effectivement.
Le sénateur Atkins : J'aimerais passer à la question de la sécurité et du recrutement des membres de la Police nationale afghane. Est-ce que nous leur offrons de l'aide dans le cadre de leur processus de recrutement ou même de l'aide à l'armée?
Bgén Howard : L'Armée nationale afghane, si je peux commencer à ce niveau, sa création et son renforcement des capacités représentent une approche multinationale qui est toutefois dirigée par les Américains. Elle est sur la bonne voie. Elle existe depuis le début.
Je crois que vous êtes bien au courant de certaines initiatives que nous avons tâché de prendre à cet égard avec notre équipe à Kaboul et notre Équipe opérationnelle de mentorat et de liaison dans la province de Kandahar. Nous voulons intensifier nos efforts à cet égard. Plus nous pourrons accroître cette capacité et plus il y aura de forces militaires de l'ANA, plus nous serons sur la voie du succès qui sera fonction des conditions et où la sécurité pourra être assurée par les Afghans.
L'initiative concernant la Police nationale afghane a débuté plus tard que celle concernant l'Armée nationale afghane, donc elle n'est pas aussi avancée. Dans la province du Sud, je ne dirais pas qu'elle est inexistante mais elle est fragile. Former des policiers, vous le comprendrez, est une énorme entreprise. Cela prendra des années.
Dans la province de Kandahar, nous n'avons pas l'effectif que nous aimerions avoir. Il existe peu de policiers professionnels qui sont en mesure d'exercer leurs activités. Le gouvernement afghan a lancé comme initiative la création d'une police auxiliaire nationale afghane. Cette force sera d'un niveau inférieur à celle de la PNA, recevra beaucoup moins de formation et fonctionnera davantage en région; mais l'idée d'un système de paiement central...
Le président : Pardonnez-moi, pouvez-vous me dire ce qu'est la PNA?
Bgén Howard : Il s'agit de la Police nationale afghane. La Police auxiliaire nationale afghane, la PANA, est une nouvelle initiative qui a suscité certaines préoccupations — que nous n'armons pas simplement des milices locales mais qu'elles relèveront d'un contrôle central. L'objectif visé, c'est qu'un plus grand nombre d'Afghans s'occupent de la sécurité.
Il s'agit d'une bonne initiative. Les Canadiens y participent. Le brigadier général Gary O'Brien travaille au quartier général de la FIAS à cette initiative en collaboration avec une équipe internationale.
Le sénateur Atkins : Que font-ils pour s'assurer qu'ils ne recrutent pas des insurgés?
Bgén Howard : Nous devons travailler avec ce que nous avons. Je n'ai pas tous les détails, mais il y aura une police auxiliaire qui possède une formation rudimentaire et qui a fait l'objet d'une vérification. Cette police vise à combler un vide. Il faudra du temps avant d'avoir une force policière afghane nationale professionnelle et suffisante. L'idée est d'utiliser les gens des provinces locales pour combler cette lacune.
Cela comporte certains risques, mais si cette police relève d'un contrôle central, c'est-à-dire que les armes, la rémunération et ce genre de choses sont essentiellement contrôlées, on espère qu'il y aura un certain contrôle aux échelons supérieurs.
Le sénateur Atkins : En ce qui concerne l'équipe consultative stratégique, vous avez mentionné qu'elle comptait 14 membres. Est-ce que le général Fraser en fait partie?
Bgén Howard : Non, l'équipe consultative stratégique est dirigée par un colonel, le colonel Mike Capstick. Je vous recommande fortement de l'inviter à venir vous en parler. Il connaît l'Afghanistan et il a fait de l'excellent travail là- bas; il se ferait un plaisir de venir vous parler de ces questions.
Il a été remplacé récemment par une personne dont le nom m'échappe pour l'instant. Cependant, le colonel a deux équipes, chacune dirigée par un lieutenant-colonel, et il y a quelques majors qui travaillent pour lui. Ils se tiennent à la disposition du gouvernement afghan pour contribuer à la planification stratégique qui permettra d'établir un cadre pour certaines de leurs prises de décisions.
Il s'agit d'une initiative entre le général Hillier et le président Karzai. Mike Capstick pourrait venir vous décrire de façon détaillée la façon dont ils fonctionnent. Il vaut la peine de mieux comprendre cette remarquable initiative canadienne.
Le sénateur Atkins : Nous entendons constamment parler de relance et de redressement économiques. Pouvez-vous me donner certains exemples de cette réussite?
Bgén Howard : Le ministre des Affaires étrangères a commenté certaines des réalisations qui ont été accomplies selon le point de vue du président Karzai. Sur le plan de la gouvernance — et je parlerai de l'économie dans un instant — l'Afghanistan possède une constitution. Elle a un président élu et un Parlement. Cela peut sembler peu de choses pour ceux d'entre nous qui vivent dans une démocratie, mais pour l'Afghanistan, c'est très important.
Si je comprends bien, la croissance réelle du PIB en Afghanistan est d'environ 85 p. 100 et le taux d'inflation tourne autour de 10 p. 100. Il ne s'agit certainement pas d'une série complète de statistiques économiques et je ne veux pas vous donner l'impression que je suis un économiste. Toutefois, je peux voir les différences de mes propres yeux lorsque je marche dans Kaboul, par rapport à la situation qui prévalait au début. Les gens étaient couchés dans la saleté, dans les rues; au moins, ils vivent maintenant dans des conteneurs maritimes et on peut voir des travaux de construction dans la ville. Quand je marche dans Kaboul, il y a des boutiques ouvertes et des marchés un peu partout.
Nous devons veiller à ce que cette situation s'étende à tout le pays, et en particulier dans le sud. J'en ai été témoin moi-même à Kandahar; cela existe bel et bien. Selon les normes de l'Afghanistan, l'économie devient prospère.
Le plus grand défi à relever est celui du commerce des drogues illégales. Les Forces canadiennes ne participent pas du tout à la résolution de cet enjeu. C'est plutôt le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que l'ACDI, qui travaillent avec le gouvernement afghan afin de faire avancer les choses. Nous ne participons pas à l'éradication, mais il faudra finir par régler ce problème.
Le sénateur Atkins : Nous avons entendu dire que le commerce des drogues est florissant.
Bgén Howard : Vous avez raison. À l'ouest de Kandahar, nos soldats combattent dans des champs de marijuana. Le CEMD a indiqué à la presse qu'il est difficile de faire fonctionner l'équipement de vision nocturne. Les plants de marijuana masquent les véhicules parce qu'ils font dévier la signature dont a besoin notre équipement de vision nocturne. Par contre, les drogues sont un mode de vie là-bas et je ne crois pas que l'on puisse changer cela du jour au lendemain.
Je ne dis pas que je suis un expert, mais si on tente de tout faire cesser sans mettre en œuvre d'autres mécanismes, on pourrait répandre la misère encore davantage. Il s'agit d'une situation difficile.
Le sénateur Moore : J'ai un certain nombre de petites questions. Quelqu'un a posé une question au sujet des autres soldats dans la province de Kandahar. Vous avez mentionné que le Canada aura 2 500 soldats et que l'armée britannique en aura environ autant. Vous avez également mentionné les armées américaine et hollandaise, mais vous n'avez pas donné de chiffres. Serait-il possible de les avoir?
Bgén Howard : L'armée américaine n'est pas présente dans le Commandement régional Sud. Elle est plutôt présente dans le Commandement régional Est et à Bagram. Je crois que l'armée américaine a fourni environ 13 000 soldats. Ce chiffre a-t-il du sens ou est-ce que je me trompe?
Col Tremblay : Le chiffre est probablement un peu plus élevé, monsieur. J'aimerais mentionner une chose. Pendant l'Opération Medusa, il n'y avait pas seulement des Canadiens dans la zone d'opération; il y avait également des Américains, des Hollandais et des Britanniques. Ce n'est pas parce qu'il s'agit de notre zone d'opération en particulier que nous étions les seuls soldats dans la zone.
Bgén Howard : Ce sont les Canadiens qui sont basés de façon permanente.
Le sénateur Moore : Et les Hollandais?
Bgén Howard : Ils sont environ 2 000.
Le sénateur Banks : Ils sont dans une province différente.
Bgén Howard : Ils sont dans la province de l'Oruzgan. Ils font partie du Commandement régional Sud, mais ils se trouvent dans la province au nord de Kandahar.
Le sénateur Moore : À l'heure actuelle, combien de soldats compte l'Armée nationale afghane?
Col Tremblay : Je crois qu'elle compte environ 27 000 soldats.
Le sénateur Moore : S'agit-il des soldats qui ont suivi l'exercice complet de formation des Américains?
Col Tremblay : Oui, mais dans le cadre du concept de l'Afghanistan, je crois que le chiffre final, d'ici la fin de 2010, sera environ 70 000.
Le sénateur Moore : Il s'agit de l'objectif?
Col Tremblay : Oui.
Le sénateur Moore : Qui prépare vos séances d'information lorsque vous venez ici? Est-ce le personnel du bureau de l'État-major interarmées stratégique?
Bgén Howard : Je reçois de l'aide du personnel parlementaire de la politique du SMA.
Le sénateur Moore : Qu'est-ce que cela signifie?
Bgén Howard : Un groupe de politiques au sein du QGDN.
Le sénateur Moore : Au sein du quartier général de la Défense nationale?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Moore : J'ai vu de nouveaux mots. Lorsque le général Hillier était ici, il a parlé des trois D : défense, diplomatie et développement. Je me demandais si vous aviez un nouveau rédacteur. C'est simplement une petite question.
Vous avez dit que vous deviez travailler moins rapidement, au rythme des Afghans, avec les shuras. De quoi s'agit-il, une tribu?
Bgén Howard : Ce sont les aînés.
Le sénateur Moore : Parlons-nous de tribu au pluriel ou au singulier?
Bgén Howard : Au singulier.
Le sénateur Moore : Les membres d'une tribu se réunissent et ils acceptent, par consensus, la proposition que vous avez avancée, puis ils la mettent en application; est-ce la façon de fonctionner?
Bgén Howard : Oui.
Le sénateur Moore : Quelqu'un a posé une question au sujet du drapeau canadien lié aux mesures de soutien. Y a-t-il de la corruption? Avons-nous de la difficulté à remettre cet argent aux bonnes personnes? Veillons-nous physiquement à ce que ces dollars canadiens soient remis aux gens qui effectuent le travail et la reconstruction, ou est-ce que nous le remettons aux shuras, aux chefs des tribus, en espérant qu'ils feront la bonne chose avec cet argent? Sommes-nous certains que l'argent va où il devrait aller?
Bgén Howard : Je dirais que oui, nous sommes certains. Nous demandons l'avis du gouvernement afghan et des shuras avant de décider quoi faire et où le faire. Par exemple, nous construirons un puits. C'est l'élément le plus important : décider, dans une région, où sont les sites les plus importants afin d'installer un puits. Plutôt que nous choisissions les entrepreneurs, ce sont les habitants de la région qui les choisissent.
Le sénateur Moore : Très bien. Disons que nous donnons le contrat à Joe là-bas et que cela coûtera 100 $ canadiens. Nous remettons les 100 $ à l'un de ces chefs de tribu, qui paie Joe et le puits est terminé. Est-ce fait selon le processus commercial traditionnel nord-américain, ou dit-il : « J'ai besoin de 200 $ pour construire ce puits »?
Bgén Howard : Je ne suis pas au courant du processus exact de passation de contrats. Selon moi, les contrats sont accordés par le truchement du gouverneur. Nous travaillons en étroite collaboration avec lui, nos gens fournissent l'argent et une entreprise locale reçoit le contrat et l'argent. Toutefois, je ne connais pas les détails exacts du processus. Je devrai faire des recherches à cet égard.
Le sénateur Moore : J'aimerais le savoir. Je crois que les Canadiens voudraient également le savoir. S'agit-il d'une situation de corruption ou en avons-nous pour notre argent, comme on peut s'y attendre, en raison du milieu dans lequel vous travaillez?
Col Tremblay : Selon un haut fonctionnaire de l'ACDI, la corruption ne constitue pas un problème.
Le sénateur Moore : Très bien. Je n'ai pas compris, mais vous avez donné les chiffres relatifs à l'ACDI, au MAECI et à la GRC. Quels étaient ces chiffres, encore une fois?
Bgén Howard : Avec l'EPR, il y a un représentant des Affaires étrangères, trois agents de développement de l'ACDI, quatre agents de la GRC — de niveau officier de police ou plus élevé; ainsi qu'un agent de police de l'Île-du-Prince- Édouard, j'imagine qu'il provient de la force policière de Charlottetown.
Le sénateur Moore : L'opération américaine « Enduring Freedom » se poursuit. À quel endroit? Parlons-nous de tout l'Afghanistan ou du sud afin de nous aider? Si c'est le cas, les efforts sont-ils coordonnés?
Bgén Howard : L'opération « Enduring Freedom », l'effort continuel des Américains contre le terrorisme, se poursuit partout en Afghanistan. Les Américains ont une base à Bagram, près de Kaboul. Cela s'inscrit fortement dans leurs activités visant à planifier et à baser leurs forces.
Les Américains nous aident beaucoup à Kandahar; ils nous fournissent du soutien au moyen d'hélicoptères, entre autres. Sans eux, nous ne pourrions mener notre mission. Notre besoin en matière de gros hélicoptères, comme l'a dit le général Leslie, est satisfait par un autre pays parce que nous n'avons pas les ressources. En raison des annonces récentes faites par le gouvernement, nous finirons par avoir les ressources suffisantes, mais sans les efforts déployés par les Américains, nous serions perdus.
Le président : Nous étions inquiets de savoir si l'opération « Enduring Freedom » empiéterait sur les efforts de l'OTAN. Y a-t-il eu chevauchement? Y a-t-il eu des problèmes pour ce qui est de la coordination des activités entre les deux organisations?
Bgén Howard : Il est un peu tôt pour se prononcer. Maintenant que la FIAS a la responsabilité de tous les secteurs — vous parlez de l'opération « Enduring Freedom » qui chevaucherait tout ça — je crois que la coordination sera beaucoup plus facile. Un protocole sera mis en place afin de faciliter ce niveau de coordination.
Cela peut être difficile si, par exemple, des forces spéciales tentent de mener des opérations dans certaines zones non coordonnées; cela peut poser des problèmes. Selon ce que je comprends de ces derniers changements et de l'architecture que nous avons maintenant, cela devrait être plus facile.
Le sénateur Moore : Je regarde les bulletins de nouvelles, je lis différents documents et j'ai entendu des témoins tels que vous-mêmes et ce que vous avez dit aujourd'hui, et je me demande qui est l'ennemi? Nous entendons souvent le nom et l'étiquette « taliban », mais la force des talibans est-elle composée de membres de différentes tribus ou d'une seule? Savons-nous combien de personnes sont au combat? Nous entendons les mauvaises nouvelles. Je suis certain qu'il y a des histoires positives, parce que vous avez fait des avancées dans vos efforts afin de sécuriser le territoire ainsi que dans vos efforts de reconstruction, mais l'ennemi semble réussir à déranger nos efforts. Disposent-ils de quelques « bons » ou y en a-t-il plusieurs? Qui sont les ennemis et combien y en a-t-il?
Bgén Howard : Nous sommes là-bas pour appuyer le gouvernement de l'Afghanistan.
Le sénateur Moore : Je sais; je comprends ce cadre de travail.
Bgén Howard : Leur ennemi constitue une menace comportant de multiples facettes. Nous avons frappé la première, soit les talibans. C'est une organisation que, évidemment, les Américains...
Le sénateur Moore : C'est la structure; ils étaient là avant.
Bgén Howard : Les Américains leur ont montré la porte, pour ainsi dire, et ils se sont sauvés. Ils se sont sauvés vers des endroits au Pakistan, etc. Les talibans ne sont pas une armée étrangère. Ils peuvent aussi être de jeunes Afghans. Il s'agit d'un groupe idéologique composé de fanatiques. C'est la meilleure façon de les décrire. Il s'agit de l'une des menaces ou de l'un des ennemis auxquels nous faisons face, mais pas le seul.
Le sénateur Moore : Proviennent-ils d'une seule tribu ou de plusieurs? S'agit-il de membres de différentes tribus? S'agit-il de vieux territoires? Si je comprends bien, ils ne voient ni ne reconnaissent la ligne sur la carte. C'était leur territoire traditionnel pendant des centaines ou des milliers d'années, et ils n'écouteront pas ce que nous disons. Y a-t-il des tribus de ce groupe de chaque côté de la frontière pakistanaise?
Bgén Howard : Je vais demander au colonel Tremblay de décrire la situation et voir s'il connaît la composition des talibans.
Nous pourrions obtenir ces renseignements et vous les transmettre, plutôt que d'improviser une réponse.
Le sénateur Moore : Cette situation est à mon avis frustrante. Traditionnellement, dans les combats, les belligérants portaient des uniformes, et si on avait fait notre travail de renseignement, on savait qui ils étaient et où ils étaient. La situation aujourd'hui n'est pas la même.
Bgén Howard : L'ennemi auquel nous faisons face a adopté une approche asymétrique et ne dispose pas d'un bon réseau structurel. Différents groupes peuvent déclarer appartenir à la cause générale, si vous voulez, mais il y a différents niveaux d'expertise au sein des talibans. Certains sont des combattants extrêmement bien entraînés, alors que d'autres sont moins bien entraînés — il peut s'agir d'agriculteurs locaux qui vont tout simplement s'emparer d'une arme, au besoin, et combattre par sympathie. La question de savoir qui sont les talibans est particulièrement bonne.
Col Tremblay : Je vais tenter de répondre à la question. Il y a d'anciens combattants talibans ou des représentants de l'ancien gouvernement taliban. Certains se trouvent toujours dans la région ou ailleurs. Selon eux, leur programme est toujours valable. Ils ont un objectif et préféreraient avoir la charge de l'Afghanistan, plutôt que de voir Hamid Karzai en avoir la charge. Certains, qui ont des racines profondes parmi les différentes tribus dans la région, et ce depuis des années, avaient obtenu la gouvernance et ont été en mesure d'établir de nombreuses relations avec des représentants locaux et la population locale. Les individus qui souhaitent survivre dans cet environnement changent d'allégeance, selon le besoin. Il y a également le facteur de l'intimidation : certaines personnes tentent d'en convaincre d'autres qu'il serait dans leur intérêt de se joindre au mouvement taliban et de participer à l'action si elles veulent survivre le lendemain. De plus, il y a des talibans à temps partiel qui peuvent avoir besoin de travail, et qui vont combattre les partenaires de l'Afghanistan parce qu'ils sympathisent légèrement avec leur cause.
Si l'on tient compte de ces facteurs et du fait que nous avons augmenté notre présence afin d'occuper certains sanctuaires, nous pouvons être certains que nous allons entendre parler des individus qui planifient un peu à l'avance pour fournir des orientations, que ce soit d'un point de vue plus élevé ou moins élevé.
Le sénateur Moore : Qui finance les efforts des talibans?
Bgén Howard : Je n'en suis pas certain, mais je peux vous dire que les talibans sont heureux d'obtenir des montants d'argent même très peu élevés. Ils peuvent convaincre des jeunes gens impressionnables de se joindre à eux. Les faire participer à des activités ne demande pas beaucoup d'argent. Comme le colonel Tremblay l'a indiqué, les sympathisants viennent de l'Afghanistan.
Le sénateur Moore : Je serais intéressé de savoir combien de talibans sont en Afghanistan. Il nous faudrait nous fier aux renseignements provenant de là-bas pour le déterminer. Ces renseignements seraient-ils fiables, étant donné ce que vous venez de dire?
Bgén Howard : On entend souvent dire que les talibans se comptent par milliers. Ils ne sont pas concentrés comme une armée conventionnelle mais sont répartis sur tout le territoire.
Le sénateur Moore : Brigadier général Howard, vous avez mentionné que le Canada demande l'aide des autres pays de l'OTAN afin de lui prêter main-forte dans le sud de l'Afghanistan. Ces autres pays de l'OTAN doivent savoir ce que nous tentons de faire, ce à quoi nous faisons face et pourquoi nous avons besoin de leur aide. Que se passera-t-il si nous n'obtenons pas d'aide? Agirons-nous seuls? Il s'agirait du pire scénario possible. Avons-nous un plan à cet effet? Je ne sais pas comment vous pouvez faire votre planification pour l'État-major interarmées stratégique pour les Forces canadiennes dans cette situation en particulier, sans savoir si nos amis vont nous aider.
Bgén Howard : Nous voulons...
Le sénateur Moore : Sans vouloir être sévère envers nos alliés, est-ce que quelqu'un ne devrait pas prendre des mesures et commencer à contribuer?
Bgén Howard : Il faut garder en tête le temps et l'espace. Les Forces canadiennes ont réalisé du travail remarquable à l'ouest de Kandahar. Elles ont montré aux talibans qu'ils ne pouvaient pas occuper du terrain et menacer les habitants de la région de Kandahar. Nous leur avons dit que nous ne le permettrions pas. L'opération Medusa a permis de prouver aux talibans que nous ne supporterions pas la situation, et nous avons réussi à les faire partir.
Il est toutefois difficile d'exploiter cette réussite, parce qu'il faudrait sortir un peu plus de Kandahar et aller vers l'est, vers l'ouest, vers le nord et vers le sud, un peu plus loin. Parcourir de telles distances nécessite de l'aide.
Nous sommes en discussion avec les alliés depuis plusieurs semaines afin d'obtenir leur aide. Ce n'est pas comme si nous leur avions demandé de l'aide depuis des mois ou des années et qu'ils ne nous avaient fait aucune offre.
Le sénateur Moore : Je comprends.
Bgén Howard : Nous avons besoin d'un peu plus de temps pour les discussions requises.
Le sénateur Moore : Parlons-nous de début novembre quand il y aura changement de commandement ou plutôt vers la fin de l'année civile? Tout cela doit demander beaucoup à nos ressources. Vous sauriez ce que vous pourriez faire si vous aviez du soutien.
Bgén Howard : Nous aurons besoin d'aide dans les mois à venir. Cela ne fait aucun doute.
Le sénateur Moore : Avant la fin de l'année civile, vous devez savoir si vous recevrez de l'aide.
Bgén Howard : Je ne veux pas fixer de date, mais il s'agit d'une bonne façon de considérer la situation. Il ne s'agit pas d'une crise.
Le sénateur Moore : Toutefois, vous ne voulez pas perdre l'initiative.
Bgén Howard : Nous ne voulons pas quitter la région où les Canadiens ont donné leur vie. L'OTAN est une des solutions que nous envisageons. Nous avons eu une autre solution lorsque le président Karzai était à Ottawa, parce que cela s'est avéré une excellente occasion pour le Canada de demander de l'aide additionnelle à l'Armée nationale afghane, dans les provinces du Sud. Il y a une grande concentration d'unités de l'Armée nationale afghane dans les provinces du Nord, et nous avons demandé que certaines de ces unités soient transférées vers le Sud. À la suite de cette demande, des bataillons sont arrivés au Sud. Il s'agit d'une autre façon de renforcer notre capacité, afin de pouvoir étendre notre présence.
Ces deux angles devraient porter fruits.
Le sénateur Moore : Combien de troupes ont-ils envoyées dans le Sud?
Bgén Howard : À l'heure actuelle, il y en a environ 1 000, et nous espérons en voir quelques milliers de plus qui arriveront dans le Sud.
Le sénateur Day : Je remercie nos témoins de leurs observations aujourd'hui. Cela nous aide à mieux comprendre les Forces canadiennes et, plus particulièrement, ce qui se passe à Kandahar et en Afghanistan.
Il semble clair que la situation évolue. Vous avez parlé de la force auxiliaire afghane dont nous n'avions jamais entendu parler auparavant, et d'un certain nombre d'autres initiatives.
Nous espérons qu'avec les troupes supplémentaires, nous serons en mesure de passer à la reconstruction provinciale, c'est-à-dire tout ce concept auquel l'OTAN a donné son aval, plutôt que de nous limiter presque exclusivement à une opération militaire. Vous nous avez dit que dans certaines régions de l'Afghanistan il y avait des signes réels de reconstruction provinciale, et nous sommes heureux d'entendre cela également.
Je pense que nous aurons besoin d'une séance d'information sur une base régulière si nous voulons rester au courant de ce qui se passe là-bas. Votre groupe est-il celui qui est le mieux placé pour nous donner de l'information périodique, régulière sur l'évolution de la situation en Afghanistan?
Bgén Howard : La réponse courte est oui. L'une de nos responsabilités consiste à donner une perception globale de la situation, à faire une mise à jour quotidienne de ce qui se passe en Afghanistan, de sorte que nous le faisons quotidiennement au sein du ministère. Nous avons cette fonction. Nous nous tenons au courant de la situation actuelle et des nouvelles initiatives.
Le sénateur Day : Vous avez hésité et vous avez pensé : « Oh non, pas un autre fardeau pour notre ministère qui est déjà très occupé ».
Bgén Howard : Nous avons besoin de l'appui de tous les Canadiens et de votre comité, et si en fournissant de l'information à cet égard — et si le ministre est d'accord — j'aurais dû le dire — et que cela peut aider, nous serions certainement heureux de le faire.
Le sénateur Day : Nous pensons que vous pouvez aller chercher l'appui de la population en expliquant la situation et en disant très clairement ce qui se passe, plutôt que de laisser courir des rumeurs. C'est une question qui préoccupe beaucoup la population canadienne.
Beaucoup de soldats canadiens ont perdu la vie sur la route nord-sud qu'on est train de construire près de Kandahar. Est-ce là un projet de l'Équipe provinciale de reconstruction ou un projet stratégique militaire?
Bgén Howard : C'est un projet de l'Équipe provinciale de reconstruction, mais la région dans laquelle nous opérons, la région de Pashmul, où nous avons affronté les talibans, s'est avéré extrêmement difficile pour ce qui est de se déplacer avec des véhicules motorisés.
Je ne sais pas comment je pourrais vous décrire cette route. Il y a d'énormes trous. C'est à peine si on peut reconnaître qu'il y a là une route. Il est très difficile de se déplacer sur cette route qui ressemble plutôt au lit d'une rivière. De toute évidence, certains habitants locaux ont été déplacés. Une façon de les aider à l'avenir serait de construire une route qui leur permettrait de se déplacer et de faire un peu de commerce.
Vous aurez lu dans les journaux les commentaires de Dave Fraser qui disait que les talibans n'aiment pas les routes parce que les routes représentent le progrès. C'est exactement ce que nous tentons d'accomplir. Initialement, nous avons voulu améliorer notre mobilité militaire dans la région. Pendant le week-end, nous avons perdu deux soldats qui travaillaient sur cette route, mais nous allons continuer de l'améliorer afin de faciliter l'aide, la reconstruction et les efforts de développement dont nous aurons besoin dans cette région. Nous espérons que les forces de sécurité nationales afghanes — l'Armée nationale afghane et la Police nationale afghane — pourront aider à prendre le contrôle de cette région, afin que les habitants locaux puissent y revenir. Ils auront ensuite cette route qui leur donnera un meilleur accès à la route principale est-ouest, qui est la Route 1, une route bien pavée qui traverse l'Afghanistan.
Le sénateur Day : C'est donc à la fois une infrastructure militaire et une bonne reconstruction pour l'économie de la région?
Bgén Howard : Oui, monsieur le sénateur.
Le sénateur Day : Si j'ai bonne mémoire, lorsque le général Gauthier a comparu devant notre comité, il nous a dit que l'équipe provinciale de reconstruction — et je croyais qu'il parlait de Kandahar — comptait entre 50 et 60 personnes, et vous nous dites maintenant qu'il s'agit là d'un groupe beaucoup plus petit. Y a-t-il d'autre personnel militaire, alors? Comment expliquez-vous cette différence?
Bgén Howard : L'EPR compte entre 50 et 60 personnes, des militaires de tous les grades. Il s'agit là de la composante militaire, que j'ai eu le plaisir de former lorsque nous étions à Petawawa, et vous en auriez certainement rencontré quelques-uns. J'ai mentionné des personnes venant d'autres ministères. Or, avec la compagnie de sécurité, la compagnie d'infanterie qui leur sera assignée, 150 autres personnes viendront s'y ajouter. Nous aurons alors plus de 200 personnes qui travaillent pour la reconstruction provinciale, la majeure partie d'entre elles étant la composante de sécurité, non seulement le camp de la garde, le Camp Nathan Smith, mais aussi pour aider à escorter ceux qui doivent aller à l'extérieur de la zone sécurisée pour travailler. L'EPR comptera un peu plus de 200 personnes.
Le sénateur Day : Le groupe de sécurité n'exécutera pas le projet mais assurera la sécurité de ceux qui travaillent à la reconstruction?
Bgén Howard : Les membres du groupe de sécurité escorteront les dignitaires, que ce soit des représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, de l'ACDI, ou des officiers militaires. Par exemple, s'ils doivent se rendre en véhicule motorisé du Camp Nathan Smith au palais du gouverneur, ou s'il y a des réunions, ils pourront assurer leur sécurité. Pour ce qui est de la conduite des projets comme telle, on espère toujours pouvoir utiliser des locaux, et nous n'assurons pas leur sécurité. Ils vont aller de l'avant et faire le travail. Il y a d'autres tâches pour lesquelles nous interviendrons, par exemple, la construction de la route nord-sud.
Le sénateur Day : Lorsque notre comité a visité Petawawa, on nous a dit que ces soldats qui étaient envoyés là-bas étaient les mieux entraînés, qu'ils comprenaient les défis qu'ils avaient à relever et qu'il y avait des leçons à tirer des rotations précédentes. Je suppose qu'il y a toujours des leçons à tirer à chaque fois, mais est-ce que nous faisons tout notre possible pour aider ces soldats avant de les envoyer là-bas relever les défis qui les attendent?
Bgén Howard : Nous faisons de notre mieux pour leur donner la meilleure instruction possible avant leur départ. L'établissement du Centre canadien d'entraînement aux manœuvres à Wainwright nous a permis de recréer l'environnement dans lequel ils peuvent pratiquer pendant quelques semaines le genre de tâches et de défis qui les attendent dans le théâtre.
Nous tentons par ailleurs de ne pas appliquer de vieilles leçons à de nouveaux problèmes. Par exemple, ce que nous avons réalisé et appris à Kaboul peut s'appliquer dans certains cas, mais l'environnement auquel nous devons faire face à Kandahar est différent. Si je peux être franc, j'ai dit aux soldats avant qu'ils ne quittent Petawawa que je ferai de mon mieux pour leur donner environ 60 p. 100 de ce dont ils ont besoin. Pour le reste, les autres 40 p. 100, ils ne pourront l'obtenir que lorsqu'ils pourront évaluer eux-mêmes la situation et entreprendre l'opération comme telle. Ils doivent apprendre tous les jours. Ils doivent s'adapter aux défis auxquels ils font face. Nous ne voulons pas avoir une approche dogmatique qui dit que nous ferons toujours les choses de la même façon. Nous avons fait d'excellents progrès. Il y a encore d'autre travail à faire, par exemple, pour échanger de bons secrets entre le sergent X, qui faisait partie de la patrouille et a vu quelque chose se produire, et le reste de ses camarades. Nous pouvons améliorer tout cela grâce à la technologie. Tirer des leçons de l'Afghanistan et en faire part à toute l'armée ici de façon à ce que nous ne répétions pas les mêmes erreurs est certainement quelque chose que nous devons faire et que nous allons continuer de faire.
Ce que nous avons fait pour entraîner les soldats qui se rendent en Bosnie, par exemple, est différent de la façon dont nous avons entraîné ceux qui vont en Afghanistan; cela ne fait aucun doute. Je n'ai que beaucoup de respect pour les soldats qui opèrent dans un environnement de combat, dans une situation extrêmement difficile, et tout le mérite leur revient.
Le sénateur Day : Avez-vous tiré des leçons particulières que vous avez intégrées à l'entraînement et dont vous pouvez nous parler?
Bgén Howard : D'abord, nous insistons sur la nécessité de tenir des discussions dans les meilleurs délais après un incident pour tenter de mieux nous adapter et d'apporter les changements nécessaires. Cela peut sembler évident, mais cela n'a pas toujours été ainsi.
En ce qui concerne certains des protocoles que nous suivons en patrouille, quand quelque chose se produit, nous modifions les protocoles en fonction de nos observations et cela a été fait en l'occurrence.
Nous nous adaptons continuellement, nous nous assurons que les bons systèmes d'armement sont là où ils pourront servir de renfort à ceux qui en auront besoin. Nous sommes toujours devant le dilemme que représente l'identification des aéronefs alliés et ennemis, car nous voulons éviter de tirer sur nos alliés. Nous travaillons à ce genre de choses quotidiennement.
Le sénateur Day : Est-ce que cela comprend les nouveaux casques dont nous avons entendu parler récemment dans les médias?
Bgén Howard : Nous améliorons constamment le marquage afin que tous sachent bien qui est sur le champ de bataille. Voilà déjà bien des années que cela nous préoccupe et c'est encore le cas de nos jours.
Notre institution apprend aussi à mieux écouter ceux qui sont sur le terrain. Je tente de me rappeler à quand remonte la dernière fois qu'un commandant déployé à l'avant m'a dressé la liste de ses besoins : un escadron de chars d'assaut, une compagnie de plus et des radars antimortier. Voilà ce que le brigadier général Fraser a demandé au chef d'état-major de la Défense qui a transmis ses demandes au gouvernement, et on s'apprête à accéder à ses demandes. C'est donc utile, puisque nous pouvons donner aux soldats sur le terrain les outils dont ils ont besoin.
Nous avons aussi appris que nous devons être prudents dans notre usage des véhicules utilitaires légers à roues, les VULR, et nous tentons de réduire leur usage. Nous ne pouvons pas les exclure complètement. C'est un véhicule qui a son utilité, mais il serait fou de s'en servir comme on l'a fait jusqu'à présent. Nous avons réussi à adopter le Nyala et d'autres nouveaux véhicules dans le théâtre des opérations par suite de dommages qu'ont subis certains véhicules et nous continuons de suivre ce dossier de près.
Le sénateur Day : Vous nous dites donc que notre pays a su réagir rapidement et a modifié en conséquence l'entraînement et l'équipement de nos troupes en Afghanistan?
Bgén Howard : Je vois mal comment nous aurions pu le faire mieux ou plus vite. Bien sûr, il est toujours possible de s'améliorer, mais cette mesure a démontré que le gouvernement voulait donner suite à son engagement d'appuyer les troupes sur le terrain.
Le sénateur Moore : J'ai posé une question sur l'OTAN mais je ne crois pas avoir reçu de réponse. Qu'arrivera-t-il en cas de refus de l'OTAN?
Bgén Howard : C'est une excellente question dont est actuellement saisi le chef d'état-major de la Défense. Manifestement, nous tentons d'obtenir plus de soutien des Afghans, et nous y travaillons, mais quelles sont nos options si nos partenaires de l'OTAN ne joignent pas leurs efforts aux nôtres? C'est une bonne question et nous y réfléchissons. Je n'ai pas de bonne réponse à vous donner. Il est évident que nous ne pouvons que faire ce que nos capacités nous permettent. Nous devons donc réfléchir attentivement à cette question.
Nous avons eu des réponses positives. Je ne peux vous donner de noms, mais des pays nous ont dit qu'ils nous aideraient. J'espère que d'ici quelques semaines, le ministre et le chef d'état-major auront de bonnes nouvelles.
Le sénateur Moore : Je vous souhaite bonne chance, et j'espère que les règles d'engagement de ces troupes seront semblables à celles des hommes et des femmes des troupes canadiennes.
Bgén Howard : Quand on commande une coalition, l'avantage, c'est qu'on peut mettre à contribution les points forts de chacun. Même si chaque pays impose certaines conditions, il y a beaucoup de travail à faire en Afghanistan. Il ne s'agira pas de conditions ridicules, mais le brigadier général Fraser devra en tenir compte quotidiennement.
Le sénateur Atkins : Est-ce que le fait que nous déployons maintenant des chars en Afghanistan renforce l'argument en faveur du rôle futur des chars blindés dans l'armée?
Bgén Howard : Le déploiement des chars montre que si on a quelque chose en inventaire qui peut servir aux soldats sur le terrain, on n'a qu'à leur remettre les chars et reporter les débats philosophiques sur l'avenir à plus tard. Nous sommes tous un peu décontenancés par les tactiques employées par l'ennemi, qui a un grand répertoire et qui a essentiellement décidé qu'il voulait défendre un endroit; il y a concentré ses efforts. Si c'est ce qu'il fait, si nous avons un système d'armes pour protéger nos soldats, nous donner la capacité de tirer directement afin de vaincre cet ennemi de façon plus sécuritaire pour nos gars et de réduire les pertes — après avoir pesé tous ces facteurs — alors nous verrons l'avantage d'envoyer les chars.
Il s'agit d'équipement dans notre inventaire. Ce n'est pas à moi de faire des commentaires sur l'avenir des chars, mais je suis heureux de voir que nous nous servons d'une capacité que nous avons dans notre inventaire.
Le sénateur Atkins : C'est exactement cela : L'équipement est dans notre inventaire.
Le sénateur Banks : Mon général, complétez la phrase suivante : « Le Canada connaîtra un succès en Afghanistan si... »
Bgén Howard : ... si les conditions suivantes sont remplies. D'abord, du point de vue de la gouvernance, le président Karzai dit : « Je n'ai plus besoin de vous, j'ai un appareil de sécurité ici qui peut s'occuper du pays, nous soutenir et nous protéger. » La deuxième condition, en termes d'aide économique pour la reconstruction, c'est que le sort des Afghans est en voie d'amélioration. Évidemment, cela prendra des années.
Le Pacte pour l'Afghanistan vise la création d'une véritable armée nationale afghane d'ici 2010. Cela dépendra de la façon dont on définira le succès. Elle ne prendra peut-être pas une forme vraiment évidente pour nous, au Canada, car les Afghans doivent trouver des solutions qui cadrent avec leur propre paradigme, qui n'est pas nécessairement le même que le nôtre, mais les questions qu'il faut poser c'est est-ce qu'ils ont une meilleure vie maintenant qu'auparavant? Je crois, comme le président Karzai, que oui, la vie est meilleure. Nous avons ce problème dans le Sud et il faut s'en occuper.
Quand est-ce que le travail des Forces canadiennes sera fini en Afghanistan? Lorsque le gouvernement nous dira de rentrer au pays; en dernier ressort, c'est au gouvernement de prendre cette décision. Le gouvernement a dit que notre déploiement durera jusqu'en 2009, mais ce serait formuler des hypothèses pour moi que dire ce qui se passera au-delà de cette date.
Je crois que tout dépend des conditions, et je ne crois pas que l'on soit en mesure de prévoir un échéancier, monsieur le sénateur.
Le président : Mon général, au début de votre mémoire, vous avez soulevé un point dont nous sommes très conscients, c'est-à-dire que les troupes en Afghanistan veulent savoir qu'elles ont l'appui de la population canadienne et que le gouvernement et les parlementaires les appuient également.
Quelle est la meilleure façon pour nous de transmettre aux soldats et à leurs familles un message leur disant que nous les appuyons et que nous en sommes très fiers. Pouvez-vous leur transmettre ce message, ou y a-t-il un meilleur moyen de le faire?
Bgén Howard : Je sais que la dernière fois que le CEMD a comparu devant vous, vous lui avez demandé de transmettre ce message pour vous. Chaque fois qu'il se rend sur le théâtre des opérations, il transmet ces pensées aux troupes, qui en sont très reconnaissantes. Les soldats savent ce qui se passe au Canada en ce qui concerne le « Vendredi rouge », etc.
Nous avons essayé d'organiser un voyage en Afghanistan pour ce comité, et je ne veux pas ouvrir une boîte de Pandore, mais pour des raisons de sécurité...
Le président : Je recevrai un appel demain matin à onze heures.
Bgén Howard : La situation s'est améliorée, et il ne s'agit que de préciser les détails.
Une façon de transmettre ce message aux troupes c'est en vous rendant là-bas, et je sais que c'est ce que vous voulez faire.
Je peux transmettre le message à d'autres personnellement. Le commandant de l'EPR sait que je comparais devant vous aujourd'hui et il a hâte de savoir comment la réunion s'est déroulée. On s'y intéresse là-bas.
Le président : Nous avons passé du temps avec un groupe représentatif des familles à Petawawa. Je sais que les familles connaissent des moments très difficiles aussi. Quelle est la meilleure façon de leur transmettre un message?
Bgén Howard : Il y a beaucoup d'envois provenant des agences centrales, y compris du réseau du Centre de ressources pour les familles des militaires, le CRFM, et du centre de soutien là-bas. Elles seront heureuses d'envoyer un message aux familles. Vous pourriez envisager de vous adresser à elles. Le Centre pourrait certainement envoyer un message à chaque famille, et je suis sûr qu'un tel message serait grandement apprécié.
Le président : Au nom du comité, permettez-moi de vous dire que nous avons apprécié votre témoignage. Il nous a été très utile. Le sénateur Day a raison, nous devrions chercher à avoir des séances d'information plus régulièrement sur l'évolution de la situation en Afghanistan. Nous vous savons gré d'avoir essayé aujourd'hui de nous expliquer la situation et de l'expliquer à ceux qui nous regardent à la télévision. Nous croyons que ce genre d'échanges est utile et nous vous remercions.
Je m'adresse aux membres du public qui regardent cette séance. Si vous avez des questions ou remarques, veuillez consulter notre site Web à www.sen-sec.ca. Nous y publions les témoignages et nous y confirmons l'horaire des audiences. Vous pouvez aussi prendre contact avec le greffier du comité en composant le 1-800-267-7362 pour obtenir d'autres renseignements ou pour obtenir de l'aide pour entrer en communication avec des membres du comité.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.