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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 9 - Témoignages du 27 novembre 2006


OTTAWA, le lundi 27 novembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles de réunit aujourd'hui à 16 heures pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour, et bienvenue à cette 17e réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis Maria Chaput, présidente du comité et je viens du Manitoba. Avant de donner la parole à notre témoin, permettez-moi de vous présenter les membres du comité qui sont ici présents aujourd'hui : madame le sénateur Andrée Champagne, vice-présidente du comité, qui vient du Québec; le sénateur Lowell Murray, de l'Ontario; et le sénateur Gerald Comeau, de la Nouvelle-Écosse, madame le sénateur Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique et le sénateur Fernand Robichaud, du Nouveau-Brunswick.

Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles. Dans un premier temps, nous recevons une représentante de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada en la personne de la directrice des liaisons communautaires et gouvernementales, Mme Diane Côté.

Nous avons demandé à la FCFA de nous donner leur point de vue sur le projet de règlement modifiant le Règlement sur les langues officielles — Communication avec le public et prestation des services, publié récemment par le Conseil du Trésor.

Bienvenue à notre comité, madame Côté, la parole est à vous.

Diane Côté, directrice, Liaisons communautaires et gouvernementales, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Madame la présidente, permettez-moi d'abord de vous présenter les regrets de notre vice- présidente, Mme Lise Routhier-Boudreau, qui devait être présente aujourd'hui pour vous présenter le document. Une urgence familiale l'a obligée à se rendre à l'extérieur. Nous vous remercions de nous avoir invitées à prendre la parole aujourd'hui.

Nous aimerions vous faire part de nos préoccupations devant le projet de modification au Règlement publié dans la Gazette du Canada le 7 octobre dernier. Nous voulons également manifester notre très grande déception devant le fait que le gouvernement n'ait pas profité de l'occasion qui lui était offerte pour revoir de façon plus globale son approche en matière de langues officielles, particulièrement en ce qui concerne la réglementation sur les langues officielles.

Le projet de règlements que vous étudiez présentement donne suite au jugement de la Cour fédéral dans l'affaire Doucet c. Canada, cause qui portait sur les obligations linguistiques de la Gendarmerie royale du Canada sur le tronçon de la Transcanadienne desservi par le détachement d'Amherst en Nouvelle-Écosse. Le gouvernement a malheureusement choisi de répondre de manière minimaliste au jugement en limitant les obligations de services en français au seul tronçon de la route Transcanadienne où se trouve un lieu d'entrée dans une autre province qui est officiellement bilingue. C'est donc dire que la modification vise le détachement d'Amherst seulement.

De plus, le gouvernement ajoute encore un fardeau de preuve de la demande importante en imposant une exigence de 5 p. 100 de demandes dans la langue de la minorité au cours d'une année. Le projet de modification du Règlement nous semble donc tout à fait inacceptable dans sa forme actuelle pour plusieurs raisons : premièrement, parce que nous considérons qu'il est inutile d'exiger un pourcentage de demandes importantes lorsque la Cour fédérale a retenu la preuve selon laquelle la demande dépassait déjà largement le 5 p. 100 de la demande globale annuelle; deuxièmement, parce que nous aurions, à tout le moins, souhaité que le gouvernement reconnaisse les besoins de services dans les deux langues officielles du public voyageur sur l'ensemble de la Transcanadienne, et non pas seulement sur la route 104 qui relie le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

En effet, les Canadiens et les Canadiennes, ainsi que les touristes qui visitent notre pays, n'utilisent pas seulement l'avion, le train ou les traversiers comme moyen de transport, mais aussi l'automobile. Il serait tout à fait normal que la GRC, qui est une institution fédérale qui offre des services policiers dans plusieurs de nos provinces, ait l'obligation d'offrir des services dans les deux langues officielles sur l'ensemble de la Transcanadienne et même sur d'autres routes majeures à forte densité touristique.

Il faut reconnaître que le public voyageur est composé de personnes provenant d'une multitude d'horizons et non seulement de la ville ou de la région desservie par un poste spécifique de la GRC.

Nous regrettons aussi que le gouvernement n'ait pas tenu compte des recommandations de la commissaire aux langues officielles dans son rapport annuel de l'année dernière et des demandes maintes fois répétées de la fédération de revoir le Règlement sur les langues officielles — Communications avec le public et prestation des services.

Il nous aurait semblé approprié que l'adoption de la nouvelle partie VII soit l'occasion pour le gouvernement d'engager avec les communautés une réflexion plus profonde en ce qui concerne l'application du régime linguistique dans son ensemble.

En effet, l'obligation de prendre des mesures positives pour favoriser l'épanouissement et appuyer le développement des minorités de langues officielles et particulièrement l'obligation de prendre des mesures positives pour promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne devrait, selon nous, changer la perspective avec laquelle on regarde le régime linguistique. Les communications avec le public et la prestation des services sont le visage public du gouvernement pour la population canadienne. C'est le point de contact entre le citoyen, la citoyenne et son gouvernement.

Le Règlement sur les langues officielles — Communications avec le public et prestation des services définit comment ces services seront offerts et à qui. Il a été développé à la fin des années 1980 et mis en œuvre au début des années 1990. Pourtant, au cours des 15 dernières années, beaucoup de choses ont évolué, tant au niveau des gouvernements fédéral et provinciaux qu'au niveau des communautés francophones et acadienne. Entre autres, au fédéral, l'avènement de Service Canada et les nouvelles approches en matière de services par l'entremise de guichets uniques, de Gouvernement en ligne ou du 1-800 au Canada transforment la façon dont le gouvernement transige avec les citoyens.

Les politiques canadiennes en matière d'immigration font en sorte que de plus en plus de résidants canadiens n'ont ni le français ni l'anglais comme langue maternelle. Les arrêts de la Cour suprême du Canada, entre autres la Reine c. Beaulac permettent de mieux cerner certaines des obligations du gouvernement fédéral face à sa population de langue officielle en situation minoritaire.

L'adoption l'automne dernier de la nouvelle partie VII oblige les institutions fédérales à prendre des mesures positives pour favoriser l'épanouissement et le développement des communautés et pour promouvoir la reconnaissance et le plein usage du français et de l'anglais dans la société.

Au niveau provincial, certaines provinces ont adopté des lois ou des politiques sur les services en français qui prévoient parfois une offre de services plus généreuse que celle prévue par le règlement actuel.

Au niveau communautaire, l'obtention de la gestion scolaire a permis aux communautés de se donner des écoles francophones dans plusieurs nouvelles localités. Aussi, le phénomène croissant des mariages mixtes et de l'immigration a fait de plusieurs de nos communautés, des milieux de vie plus diversifiés où le français n'est plus nécessairement la langue maternelle, mais plutôt la langue de choix et la langue d'usage public.

La perception des Canadiennes et des Canadiens face à la dualité linguistique a aussi évolué de manière très importante. Une étude commandée par le Commissariat aux langues officielles et réalisée par Decima Research, en février 2006, révèle que 72 p. 100 des Canadiens et des Canadiennes sont en faveur du bilinguisme pour l'ensemble du pays, ainsi que 70 p. 100 pour leur propre province. Il s'agit d'une augmentation de 16 p. 100 par rapport aux résultats d'un sondage semblable effectué en 2003. Chez les jeunes de 18 à 34 ans, cet appui s'élève de 80 p. 100.

De plus, l'étude réalisée par Léger Marketing en 2003, après le dépôt du Plan d'action pour les langues officielles, indique que 81 p. 100 des Canadiennes et des Canadiens sont d'accord à ce que les citoyens puissent se faire servir dans leur langue, soit le français ou l'anglais, par la fonction publique fédérale. Ce taux augmente à 94 p. 100 pour l'ensemble du Canada lorsque le répondant ou la répondante est âgé de 18 à 24 ans.

Les consultations du Commissariat aux langues officielles, l'année dernière, ont mis en relief l'importance de prendre en compte certains principes fondamentaux, dont celui de l'égalité réel des langues officielles, celui du caractère réparateur des droits linguistiques, la mise en œuvre cohérente et efficace de la Loi sur les langues officielles et une plus grande accessibilité à des services de qualité égale.

Certaines lacunes importantes dans le règlement actuel ont aussi été identifiées. Par exemple, la définition de la population de la minorité en fonction de la méthode 1 de Statistique Canada ne tient pas compte de la réalité sociologique actuelle, notamment l'identité bilingue des enfants de couples exogames, les immigrants dont la langue maternelle et la langue parlée à la maison n'est ni le français ni l'anglais, mais qui ont le français comme langue d'usage public et les familles où le français est parlé régulièrement à la maison, mais pas la langue parlée le plus souvent.

L'application actuelle des critères strictement numériques et géographiques ne tient pas suffisamment compte de la spécificité et de la concentration des communautés, les besoins du public voyageur ne sont pas suffisamment pris en compte et enfin, il n'existe pas, en ce moment, de règles ou de normes relatives à l'accessibilité, aux modes et à la qualité des prestations de services. À cela, j'ajouterais que la complexité du règlement actuel fait en sorte que seuls les experts peuvent vraiment comprendre la réglementation.

Il est donc souvent très difficile pour le citoyen francophone de connaître les endroits où il a le droit au service dans sa langue, surtout lorsqu'il voyage à l'extérieur de sa région. En fait, pour bien connaître ses droits, le citoyen a besoin d'être expert dans le moteur de recherche Burolis du gouvernement fédéral. Ce n'est pas ce qu'on s'attend d'un droit pourtant constitutionnel. Pour toutes ces raisons, nous croyons qu'il est important de revoir le règlement dans son ensemble.

Le projet de modification au règlement, qui est devant vous actuellement, a été conçu pour répondre de la manière la plus restrictive possible au jugement dans la cause Doucet. L'Agence de gestion des ressources humaines admet qu'elle n'a pas tenu compte des recommandations des groupes qu'elle a consultés parce que « la présente modification n'a pour but que de donner suite à l'ordonnance de la Cour. »

Même si une refonte complète n'était pas possible en ce moment, il nous semble que l'agence aurait pu tout au moins prendre en compte les recommandations touchant le public voyageur et étendre la portée de la modification pour que les obligations de la GRC s'étendent sur l'ensemble de la Transcanadienne.

Je vous remercie de votre attention et il me fera plaisir le répondre à vos questions.

[Traduction]

Le sénateur Jaffer : J'ai beaucoup apprécié votre exposé. Tous les membres de votre fédération parlent-ils français comme première langue?

Mme Côté : Nos membres sont les neuf organisations qui représentent les francophones vivant au Canada en dehors du Québec. Nous avons également neuf associations nationales qui ont un mandat sectoriel. Leurs membres sont francophones et viennent de toutes les sphères, immigrants et francophones traditionnels.

La présidente : Pourriez-vous nous donner le nom de l'organisation en Colombie-Britannique?

Mme Côté : En Colombie-Britannique, c'est la Fondation des francophones de la Colombie-Britannique. Leur bureau se trouve sur la 7e avenue Ouest.

Le sénateur Jaffer : Vous avez parlé à plusieurs reprises aujourd'hui de gens dont la première langue n'est ni l'anglais ni le français. Avez-vous des membres dont le français n'est que la deuxième ou troisième langue?

Mme Côté : Nous n'avons pas d'organisation représentant les immigrants. Ils sont normalement intégrés aux associations locales. Certaines organisations provinciales ont des associations d'immigrants francophones ou des associations multiculturelles qui sont membres de l'organisation provinciale. Cela commence également en Colombie- Britannique.

Le sénateur Jaffer : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Il semble que ce règlement ne fasse pas le bonheur de beaucoup de gens, n'est-ce pas?

Mme Côté : N'est-ce pas!

Le sénateur Robichaud : Comme vous le dites, on n'a pas réagi comme on aurait dû le faire. Ce règlement s'applique pour les voyageurs qui viennent au Nouveau-Brunswick et qui vont en Nouvelle-Écosse; la Transcanadienne est desservie par le détachement d'Amherst. Qu'arrive-t-il à ceux et celles qui vont à l'Île-du-Prince-Édouard? Le pont de la Confédération devrait être un tronçon de la Transcanadienne.

Le sénateur Comeau : Summerside est un détachement.

Le sénateur Robichaud : C'est Summerside qui dessert, mais avec la même application que le règlement va exiger. Vous auriez voulu voir beaucoup plus, n'est-ce pas?

Mme Côté : Absolument.

Le sénateur Robichaud : Pourriez-vous nous en parler un peu?

Mme Côté : C'est l'ensemble de la Transcanadienne, d'est en ouest et du nord au sud, qui devrait être desservie par une GRC capable de fonctionner dans les deux langues officielles. On pense que la route n'est pas strictement pour les gens de la région. Il faut considérer le public voyageur dans son ensemble et le public voyageur inclut les gens qui traversent une région, les touristes qui voyagent d'une province à l'autre; on reconnaît le droit de la mobilité au Canada.

La Gendarmerie royale, qui a des contrats de services pour remplir des fonctions de police dans les différentes provinces, devrait aussi avoir l'obligation de servir les Canadiens et les Canadiennes dans les deux langues officielles sur les routes principales du Canada; on parle de la Transcanadienne bien sûr, c'est le minimum pour nous. Nous considérons qu'il est aussi important d'identifier les routes à très haute fréquentation touristique qui auraient besoin d'être desservies par des services policiers bilingues.

On pense aux Jeux olympiques d'hiver de 2010, à Vancouver. La route de Vancouver à Whistler sera très achalandée et devra être desservie. Selon le règlement actuel ce n'est pas nécessairement le cas.

Le sénateur Robichaud : Il faudrait peut-être faire des recommandations, au comité organisateur pour assurer ce service sur ce tronçon. Les gens arriveront à Vancouver et loueront une voiture pour ensuite monter vers Whistler. S'ils n'ont pas les services, cela pourrait causer des problèmes et ce ne serait pas juste de toute façon.

Le sénateur Comeau : Madame Côté, vous dites que vous avez été consultés par l'Agence de gestion de ressources humaines. Est-ce qu'ils étaient mandatés pour vous consulter au sujet de la réponse qui serait proposée par le gouvernement?

Mme Côté : Dans le plan d'action sur les langues officielles, le cadre d'imputabilité exigeait que les ministères consultent. C'est dans ce contexte, je crois, que l'agence a consulté un certain nombre de personnes, dont évidemment les gens de la Nouvelle-Écosse et la fédération.

Le sénateur Comeau : Cela me surprend un peu que ce soit l'Agence de gestion des ressources humaines et non pas le Conseil du Trésor qui vous ait consultés. Même si l'agence est un département du Conseil du Trésor, j'aurais pensé que vous auriez été consultés par un autre groupe; même la GRC aurait pu vous consulter. Est-ce que la GRC vous a consultés en aucune manière?

Mme Côté : Non.

Le sénateur Comeau : Parmi les autorités du Conseil du Trésor, cela a été strictement l'Agence de gestion des ressources humaines, n'est-ce pas?

Mme Côté : Quand l'agence a été créée, elle a hérité de la direction des langues officielles qui était au Conseil du Trésor. Cette direction a été transférée à l'Agence de gestion des ressources humaines.

Le sénateur Comeau : Ce n'est même pas un département du gouvernement, c'est une agence. On devrait faire une constatation à partir de cela. On y reviendra.

C'est publié dans la Gazette du Canada. Je n'y connais pas grand chose concernant tout ce qui arrive par la suite. Ce que nous avons publié dans la Gazette du Canada est une réponse. Est-ce que vous observez si des démarches sont entreprises de temps à autre pour que le gouvernement retire l'annonce faite dans La Gazette ? Car en fin de compte, ceci est une réponse du gouvernement par l'entremise de l'agence.

Mme Côté : C'est cela. C'est eux qui avaient la responsabilité, de toute façon, de présenter le nouveau règlement. Nous n'avons pas de pouvoir sur ce qui a été annoncé dans la Gazette du Canada.

Le sénateur Comeau : Les parlementaires?

Mme Côté : Oui, ce sont vraiment les parlementaires, maintenant, qui peuvent agir.

Le sénateur Comeau : Est-ce qu'on devrait placer une pancarte à Amherst indiquant que c'est la seule section de la Transcanadienne où la dualité linguistique est respectée?

Mme Côté : Ce n'est pas nécessairement la seule section de la Transcanadienne où la dualité linguistique est respectée. Il faut comprendre que, là où il y a des nombres importants et dans certaines régions, la GRC a une obligation de servir, selon l'ancien règlement qui reconnaissait une question de nombre et de géographie spécifique.

Le sénateur Comeau : C'est une idée que je dois revisiter.

J'ai une question complètement sans rapport avec cela; j'ai noté, lorsque vous avez répondu à une question du sénateur Jaffer, que vous représentiez tous les communautés du Canada, sauf le Québec, si je comprends bien. Vous représentez les francophones et les Acadiens partout au Canada, sauf le Québec, n'est-ce pas? Avez-vous quelquefois été approchés par les Acadiens du Québec pour être leur porte-parole? C'est juste une question en passant.

Mme Côté : Non, pas encore. Nous avons de très bonnes relations avec les francophones du Québec.

Le sénateur Comeau : Donc les Acadiens font partie de la nation québécoise !

Le sénateur Champagne : Si on voyait les choses avec un ciel tout bleu dans ce qu'il y a de mieux dans le meilleur des mondes, on souhaiterait que tous les agents de la GRC, de Terre-Neuve à Victoria, à Yellowknife et partout au Canada, soient bilingues. Ce serait l'idéal.

Mme Côté : Effectivement. Du moins tous ceux qui font affaire avec le public.

Le sénateur Champagne : Si vous et moi avons réussi à apprendre deux langues, ils pourraient en faire autant.

Mme Côté : Absolument.

Le sénateur Champagne : Si on mettait quelques nuages dans notre ciel, on se rendrait compte que les sommes d'argent que le gouvernement devrait dépenser pour faire en sorte que tant de gens deviennent bilingues, malheureusement, seraient beaucoup plus importantes que ce que n'importe quel gouvernement serait en mesure de dépenser en ce moment.

Mme Côté : Oui, dans une certaine mesure on peut le voir de cette façon. Mais nous le regardons aussi selon la perspective que cela fait environ 30 ans maintenant que le gouvernement investit de façon extrêmement importante dans les jeunes pour les rendre bilingues avec les écoles d'immersion. Pourquoi n'y a-t-il pas de politique gouvernementale faisant en sorte que, dans les cas où il y a des besoins de services dans les deux langues officielles, il y ait une embauche de personnes compétentes dans les deux langues officielles?

Le sénateur Champagne : Cela revient à ce que j'ai dit à quelques reprises devant ce comité, depuis que j'ai l'honneur et le plaisir d'en faire partie : on n'aura plus ce problème le jour où, dans notre pays ayant deux langues officielles, tous les jeunes qui sortiront du niveau secondaire seront bilingues. Ils voudront automatiquement obtenir des postes, des emplois, dans des endroits qui demanderont des gens bilingues et la roue tournera.

Mais pour le gouvernement fédéral, aller s'immiscer dans l'éducation, qui est de juridiction provinciale en majorité, cela devient un autre problème. Comment va-t-on faire pour faire en sorte que les Canadiens se rendent compte que, plus on parle de langues, plus on a une vie extraordinaire et plus on peut profiter de la culture des autres langues. Des gens qui parlent trois langues, voire quatre et davantage, ont quelque chose que même vous et moi, avec nos deux langues — mais peut-être en parlez-vous une troisième —, n'avons pas.

Comment peut-on faire pour que, dans notre Canada d'un océan à l'autre, on puisse convaincre les gens de l'importance de parler les deux langues officielles de notre pays? À ce moment, on n'aura plus le problème parce qu'on aura des gens de la GRC, des gens qui travaillent dans les bureaux du gouvernement, qui seront bilingues. Comment fait-on pour convaincre les parents et les enfants de nos Canadiens de l'importance de parler nos deux langues officielles?

Mme Côté : Je pense que c'est important. Ce n'est pas pour rien que je mets l'accent sur la deuxième partie de la nouvelle partie VII. Je pense que les institutions gouvernementales ont, jusqu'à maintenant, négligé la question de la promotion des deux langues officielles au pays. On a bien fait certaines choses. On a voulu respecter le droit de parler le français ou l'anglais, mais je pense qu'on n'a pas encore été capable de réconcilier le fait de respecter le concept de dualité linguistique et de promouvoir le fait que l'on puisse bien posséder les deux langues officielles.

Par contre, on regarde une province comme la Colombie-Britannique, que je connais bien parce que j'y ai vécu pendant 17 ans. On parle de 63 000 personnes qui ont le français comme langue maternelle, mais de 275 000 personnes qui sont capables d'entretenir une conversation en français. Cela est important. La Colombie-Britannique a quand même investi et promu les programmes d'immersion de façon importante.

Le sénateur Champagne : On a au moins un premier ministre albertain qui s'est donné la peine d'apprendre le français.

La présidente : Madame Côté, selon vous, est-ce que l'ordonnance de la Cour fédérale visait uniquement la situation de l'affaire Doucet ou allait-elle plus loin?

Mme Côté : Je ne suis pas juriste, alors il m'est difficile de répondre de façon exacte. Si j'ai bien compris, en première instance, cela visait beaucoup plus large, et en appel, c'était plus restrictif. Mais c'est tout ce que je peux vous dire vraiment.

La présidente : Est-ce que la FCFA a l'intention d'envoyer une lettre au président du Conseil du Trésor pour faire connaître son insatisfaction par rapport au projet de règlement proposé? Avez-vous un libellé de fait?

Mme Côté : On avait déjà envoyé une lettre au président du Conseil du Trésor, après le jugement Doucet, pour lui demander de profiter de cette occasion pour examiner le règlement de façon plus large. Cela avait déjà été fait. On n'a pas encore écrit de lettre au président actuel, mais c'est certainement quelque chose que l'on pourrait faire.

Pour ce qui est d'un libellé, ce n'est pas nécessairement notre expertise. Des juristes pourraient aider. Mais l'on voudrait certainement, dans un premier temps, que le problème de la Transcanadienne soit réglé. Même au Manitoba, il y a eu des problèmes avec la GRC et certains tronçons de la Transcanadienne parce que les règlements étaient plus généreux dans la province que ce qui était permis par le règlement actuel.

Une des difficultés que l'on rencontre aussi avec le règlement, c'est que même si on nous dit que c'est supposé être le minimum et que les agences gouvernementales ou les ministères ont tous les choix d'en faire plus, il s'avère en bout de compte que c'est vraiment le minimum et c'est tout ce qui est respecté. Les gens ont peur de créer des précédents, faire des remous ou de recevoir des objections.

Le sénateur Murray : Madame la présidente, à notre dernière rencontre, on a entendu comme témoin une représentante des juristes francophones des Maritimes qui elle aussi se disait insatisfaite de ce règlement. On lui a demandé de nous fournir un libellé. Je me demandais si on avait reçu un document de son organisation.

La présidente : À ma connaissance, sénateur Murray, on ne l'a pas encore reçu, mais elle a promis de nous le faire parvenir. On pourrait s'informer pour savoir quand on devrait le recevoir.

Le sénateur Murray : Madame Côté, vous avez sans doute des experts à votre service. Serait-il possible de nous faire parvenir un libellé alternatif pour ce règlement?

Mme Côté : Malheureusement, nous n'avons pas de juristes à la fédération, actuellement. On pourrait avoir accès à des juristes à l'université, mais on n'a pas l'expertise juridique pour faire ce genre de chose.

Le sénateur Murray : Madame la présidente, il faudrait convoquer aussitôt que possible la Gendarmerie royale du Canada, d'autres fonctionnaires, le solliciteur général du Canada ou le ministère de la Justice, car c'est une affaire, à mon avis, qui est plus complexe, compliquée même.

On semble tenir pour acquis que l'autorité du gouvernement du Canada s'étend à tout. Mais il faut reconnaître d'abord que bordant la Transcanadienne, il y a les provinces du Québec et de l'Ontario, d'où la Gendarmerie royale du Canada est absente, et cela relève entièrement des autorités provinciales.

Pour ce qui est des huit autres provinces, je reconnais d'emblée que la Gendarmerie royale du Canada est une police fédérale, donc assujettie à la Loi sur les langues officielles. Mais lorsque les agents de la GRC sont en province, leur déploiement me semble être l'affaire du procureur général de la province ou des autorités provinciales.

Je ne sais pas comment les deux niveaux du gouvernement s'accordent lorsque la Gendarmerie royale du Canada, police fédérale, fonctionne comme sûreté provinciale, comme c'est le cas dans les huit provinces.

Mme Côté : C'est d'ailleurs une cause en litige qui sera entendue par la Cour suprême au printemps prochain.

Le sénateur Murray : Sur les langues officielles?

Mme Côté : Sur la question de la juridiction de la Gendarmerie royale du Canada quand elle agit en tant que police provinciale, pour savoir qui a l'autorité.

Le sénateur Murray : Mais ce n'est pas encore réglé.

Mme Côté : Non.

Le sénateur Murray : Si vous empruntez la Transcanadienne, vous constaterez que l'affichage est bilingue. Je suppose que c'est en fonction d'une entente ou de dix ententes entre le fédéral, les provinces et territoires. Je ne sais pas si de telles ententes existent, par exemple, entre Ottawa et Québec, Ottawa et Toronto, sur un service bilingue offert par les agents des sûretés provinciales.

Mme Côté : En ce moment, on ne touche pas nécessairement aux services policiers du Québec et de l'Ontario qui ne sont pas la Gendarmerie royale du Canada. Dans notre mémoire, actuellement, on parle vraiment de la GRC qui est quand même un symbole canadien international en plus de tout le reste et qui, elle, est une institution fédérale qui prête ses services policiers aux provinces. Et c'est ce contexte qui est pris en compte. On ne parle pas de l'Ontario ni du Québec, où ils ont une police provinciale qui leur appartient et qui est gérée par la province.

Le sénateur Murray : Sur la route Transcanadienne, il serait souhaitable qu'il y ait entente avec les autorités provinciales afin que la GRC offre des services adéquats dans les deux langues officielles, non seulement dans les huit provinces desservies par la Gendarmerie royale du Canada, mais aussi en Ontario et au Québec.

Mme Côté : Absolument. Je suis tout à fait d'accord avec cela.

Le sénateur Murray : Mais concernant les huit provinces en cause, il faudra discuter de questions complexes, à savoir quelle est l'autorité du gouvernement fédéral et quels sont les droits des procureurs généraux des provinces.

La présidente : Nous allons commencer une recherche à cet effet et ensuite il faudra traiter de la question de façon plus directe.

Le sénateur Robichaud : Je devrais peut-être poser ma question à quelqu'un d'autre, mais je vous la pose à vous puisque vous avez de nombreux contacts avec les francophones. Si ce règlement était applicable dans les huit provinces en question, croyez-vous que la GRC serait en mesure d'offrir des services bilingues?

Mme Côté : Dans une certaine mesure, la difficulté se pose dans les endroits plus ruraux, où la GRC a des points de service. Dans la plupart des grandes villes, que ce soit à Vancouver ou ailleurs, la GRC offre déjà des services bilingues.

Cela peut se faire graduellement, mais je n'ai pas toutes les statistiques sur le kilométrage qui n'est pas actuellement desservi. Nous abordons davantage la question comme étant une question de principe. Nous croyons que la route Transcanadienne peut être utilisée par l'ensemble des citoyens canadiens et aussi par les touristes internationaux. Il s'agit donc d'une route qui doit être desservie de façon standard dans les deux langues officielles du pays.

Le sénateur Robichaud : Si le règlement s'appliquait sur une couverture plus large, est-ce que cela forcerait la GRC à faire du recrutement de personnes bilingues?

Mme Côté : C'est possible.

Le sénateur Robichaud : Il faudrait poser la question à la GRC, à savoir quel est le pourcentage de personnes bilingues disponible au sein de leurs effectifs.

Le sénateur Comeau : Est-ce que vous avez rencontré la GRC pour discuter de la question?

Mme Côté : Nous n'avons pas encore rencontré la GRC pour discuter de la question. Nous sommes au stade du règlement et nous discutons présentement avec ceux qui ont travaillé sur le règlement.

Le sénateur Comeau : Vous êtes certainement au courant de la lettre de M. Graham Fraser, commissaire aux langues officielles. J'aimerais vous faire part de quelques-uns de ses commentaires. Il a qualifié la démarche de minimaliste. Il la trouve inacceptable et il ne l'appuie pas.

Au deuxième paragraphe de la lettre, il fait état du nombre considérable de véhicules qui traversent la frontière chaque année à Fort-Lawrence. En l'honneur de qui a été nommé Fort-Lawrence? C'est sûrement le fameux Lawrence qui avait signé l'ordre de déportation. Il est tout à fait intéressant de constater que Fort-Lawrence est toujours là pour faire des commentaires au sujet des Acadiens.

Peut-être que nous devrions aborder cette question avec le commissaire aux langues officielles. Il aurait peut-être des suggestions à faire pour ce qui est de la façon de s'y prendre.

La présidente : Madame Côté, j'aimerais vous remercier très sincèrement d'être venue ici aujourd'hui seule. Vous avez très bien répondu aux questions des sénateurs. S'il y a d'autres informations que vous aimeriez que nous ayons en main, vous n'avez qu'à les faire parvenir à notre greffière.

Nous recevons maintenant le professeur André Braën, de l'Université d'Ottawa. Nous lui avons demandé de venir nous faire part de son opinion sur deux éléments en particulier, soit les effets de la centralisation de bureaux principaux fédéraux sur l'application des parties IV, V et VII de la loi et la pertinence pour le gouvernement fédéral d'élaborer une réglementation pour encadrer l'application des parties V et VII de la loi.

André Braën, professeur titulaire, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : J'aimerais remercier les membres de ce comité, ainsi que la présidente, pour cette invitation. C'est un honneur pour moi d'être invité.

J'ai eu cet honneur également dans le passé et je crois avoir compris qu'au sein de ce type de comité, le rôle d'un témoin comme moi, juriste, c'est d'amorcer une discussion avec les membres plutôt que de donner un cours universitaire avec un texte ou des notes au soutien. Ne soyez donc pas surpris si je n'ai pas de documents avec moi. Cependant, avec votre permission, je prendrai quelques minutes de votre temps pour rappeler certains principes.

Je n'ai pas de prétention en ce qui concerne les réponses à apporter aux deux questions que vous m'avez acheminées; en tant que législateurs et avec la sagesse qui vous caractérise, vous saurez trouver les réponses qu'il faut. Ceci étant dit, tout ce que je peux faire, je crois, c'est d'insister sur les principes qui doivent guider une réflexion à l'égard des deux questions qui m'ont été posées, et c'est ce que je vais faire très brièvement.

D'abord s'agissant des questions constitutionnelles — parce que même si l'on renvoie à la Loi sur les langues officielles, l'on renvoie également à des dispositions de nature constitutionnelle, en particulier les articles 16 et 20 de la Charte canadienne des droits et libertés — il est important de se souvenir des objets qui sont à la base d'une disposition linguistique soit-elle constitutionnelle ou législative. Ces objets, vous les connaissez : l'égalité de statut et de privilège des deux langues officielles, la promotion de ces langues et des cultures qu'elles véhiculent en ce qui concerne l'article 20, et donc, le droit du public de communiquer dans la langue officielle de son choix et d'en recevoir les services. C'est un droit qui se fonde sur le principe de l'égalité.

Nous devons avoir en tête la question de l'égalité dans les services ainsi que la question de l'approche positive que l'application de cet article commande. Nous devons également avoir en tête cette obligation — c'est l'affaire Beaulac que vous connaissez très certainement, de la Cour suprême du Canada — que à chaque droit linguistique correspond, pour l'État et son administration, une obligation de faire en sorte que, institutionnellement, le droit puisse être exercé dans un environnement qui lui est propice.

Bref, en vertu de la Constitution du Canada, il existe une obligation pour les autorités fédérales, en ce qui nous concerne, de tout mettre en œuvre pour s'assurer que les objets en particulier de l'article 20, mais aussi de l'article 16, soient rencontrés.

Ceci étant, la Loi sur les langues officielles de 1998 vise évidemment à mettre en œuvre de façon détaillée les obligations constitutionnelles qui incombent aux autorités fédérales, en vertu de la Constitution canadienne. Vous savez qu'elle vise à assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles, à appuyer le développement des minorités anglophone et francophone partout au Canada et à préciser les obligations de l'État fédéral dans ce domaine.

La partie IV que vous connaissez mieux que moi, vise à mettre en œuvre l'article 20 de la Charte, à savoir la question de la prestation des services et du droit de communiquer avec les bureaux des institutions fédérales.

La partie V ajoute, si vous voulez, en précisant — parce qu'on n'a jamais été certains de cela au niveau constitutionnel —, mais ajoute les droits et obligations qui s'appliquent dans le domaine de la langue de travail au sein de l'administration publique fédérale. Tout ce que je veux dire ici, c'est que cette partie IV de la Loi sur les langues officielles et la partie V, donc prestation et langue de travail, sont en réalité deux aspects d'une même réalité, tout simplement parce que le gouvernement est tenu, tant par la Constitution que par la Loi sur les langues officielles, à donner suite au droit de communiquer dans la langue officielle choisie par le public et à en rendre les services.

Pour ce faire, les autorités fédérales doivent s'adjoindre du personnel capable de travailler dans les deux langues officielles de sorte que le droit puisse s'exercer.

Je vous ferais remarquer que l'article 31 de la Loi sur les langues officielles, en cas d'incompatibilité entre une disposition législative traitant de la langue de travail au sein des institutions fédérales et celle traitant du droit du public de communiquer et de recevoir des prestations en cas d'incompatibilité stipule que c'est le droit du public qui prévaut sur les dispositions traitant de la langue de travail. On peut penser ici aux conventions collectives et autres.

Par ailleurs, vous savez que la partie VII de la Loi sur les langues officielles traite de l'engagement du gouvernement fédéral à promouvoir le développement des communautés de langues officielles à favoriser leur épanouissement. Vous êtes à l'origine de la modification de l'article 41 qui parle dorénavant d'un engagement. On s'est longtemps interrogé sur le véritable sens et la véritable portée de cette partie. Le législateur y a pourvu. Toutefois, la modification qui a été apportée n'est toujours pas en vigueur, bien qu'elle le sera éventuellement. Notons donc cet engagement à promouvoir l'égalité de statut des deux communautés.

La réglementation adoptée en vertu de la Loi sur les langues officielles pour traiter de façon plus particulière de la question de la prestation des services et de la communication a fait l'objet d'abord d'une réglementation. Je l'ai relue rapidement, alors il ne faut pas m'en demander les détails, car ils sont nombreux et très techniques, trop peut-être. Cette réglementation a été jugé incompatible avec l'article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés qui vise à définir ce qu'on entend par demande importante, c'est-à-dire là ou l'obligation constitutionnelle fédérale doit s'appliquer ou encore la vocation du bureau.

Les tribunaux n'aiment pas beaucoup les cadres réglementaires trop précis et trop numériques. La Cour suprême, en particulier, n'aime pas du tout qu'un droit constitutionnel soit tributaire d'un chiffre ou d'un nombre. Ce n'est pas quelque chose que les tribunaux apprécient. Compte tenu de l'importance qu'un droit linguistique constitutionnel revêt, la Cour suprême du Canada, en particulier, semble extrêmement réticente à l'assujettir aux besoins de nombres inscrits dans la loi ou encore dans la réglementation. Dans l'affaire Doucet, en Nouvelle-Écosse, dans la mesure où la réglementation pour définir la demande importante dans une zone rurale par rapport à un centre urbain renvoyait à certains nombres, les tribunaux n'ont pas aimé cela et l'ont déclarée incompatible.

Si jamais le comité veut insister sur la nécessité d'un cadre réglementaire, il faut se souvenir dans un premier temps que les tribunaux sont assez respectueux de la discrétion qui incombe à ce niveau, qui appartient à l'exécutif, pour mettre en œuvre ses obligations constitutionnelles et que, par ailleurs, les tribunaux sont très frileux à ce que l'exercice des droits constitutionnels des individus soient assujettis au respect de quantités ou de nombres.

Finalement, vous vous souviendrez du déménagement d'une agence fédérale, l'Agence canadienne d'inspection des aliments, dans l'affaire du Forum des maires de la péninsule acadienne, du Nord du Nouveau-Brunswick vers Shediac. L'article 20 de la Charte canadienne et la Loi sur les langues officielles n'exigent pas que l'administration fédérale soit contrôlée et gérée par la minorité. Ce n'est pas ce que cela veut dire du tout. Cela signifie que celle-ci, compte tenu de l'environnement qui est le sien, doit faire tout ce qui est possible pour donner suite à ces droits et à ces obligations linguistiques. L'une de ces obligations, avant de procéder à des réaménagements des structures, des institutions fédérales ou encore à des déménagements, c'est très certainement, ce que je retiens de l'affaire Forum des maires de la péninsule, une obligation pour les autorités fédérales de communiquer et de consulter la minorité de langue officielle de la région où sont exercées les activités du bureau en question.

Voici mis de l'avant les quelques principes qui doivent nous guider dans la réflexion qui suit les questions que vous avez posées, madame la présidente.

La présidente : Quelles sont les mesures les plus efficaces pour protéger les droits linguistiques des employés lorsqu'il y a déménagement? Peut-on parler de lignes directrices, de politiques ou de règlements?

M. Braën : Un règlement vient préciser un cadre mis de l'avant par une loi, en particulier par les parties V ou IV de la Loi sur les langues officielles. Le cadre réglementaire créé un ordonnancement juridique qui s'applique au tiers et à l'administration. Une directive quant à elle a une portée plus limitée, et cela ne s'applique qu'à l'administration. À ce moment-là, vous créez peut-être une zone discrétionnaire un petit peu plus grande lorsque vous utilisez des politiques et des directives. Alors je ne sais pas comment répondre à votre question : qu'est-ce qui est préférable pour donner suite aux droits du fonctionnaire de travailler dans la langue officielle de sont choix? C'est un droit tiré certainement d'une législation — la Loi sur les langues officielles. Est-ce que ce droit est fondé sur une source constitutionnelle? On ne le sait pas. Plusieurs prétendent que l'article 16 créé, et ainsi de suite, mais il n'y a pas de décision judiciaire à cet effet, de sorte qu'au plan juridique, on est dans l'inconnu. Par ailleurs, s'agissant de traiter avec les droits constitutionnels, c'est- à-dire celui de communiquer et celui de recevoir des prestations, à ce moment-là, il est évident que ces derniers doivent avoir préséance qu'importe le cadre adopté pour donner suite au droit de travailler dans sa langue.

Le sénateur Robichaud : Vous avez en conclusion dit que dans le cas d'un déménagement, l'autorité devrait tenir des consultations avec la minorité de langue officielle. Pouvez-vous élaborer, s'il vous plaît?

M. Braën : Dans cette affaire, le Commissariat aux langues officielles avait été saisi d'une plainte et il avait craint que le déménagement du bureau de l'Agence canadienne d'inspection des aliments vers Shediac se traduise par une négation ou une diminution des droits qui sont reconnus en particulier par l'article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Je n'ai pas les détails en tête présentement, mais il semble qu'on avait mis de l'avant la nécessité, pour les autorités fédérales, de procéder à une consultation avec le milieu avant de procéder à un déménagement. Cela avait été repris par la Cour fédérale dans la mesure où, apparemment, les autorités fédérales avaient admis qu'ils avaient une obligation de consultation avant de procéder à un déménagement.

Dans la mesure où la localisation d'une agence fédérale se traduit par un certain standard dans la prestation de services, et dans la mesure où le déménagement de cette agence pourrait diminuer ou affecter de façon quelconque ce droit, il y aurait donc une obligation de consulter à ce niveau.

Au plan juridique, vous savez que la Cour suprême du Canada, dans le renvoi sur la sécession — qui a été utilisé à plusieurs reprises depuis —, a mis de l'avant le principe de la protection des minorités comme principe interprétatif des textes constitutionnels. On pourrait peut-être en conclure que, compte tenu de ce principe, il y aurait une obligation de la part des autorités de consulter le milieu minoritaire avant de procéder à un réaménagement à ce niveau, obligation qui s'applique dans l'affaire que vous connaissez probablement, mais également sur la scène provinciale ontarienne de l'hôpital Montfort. Je ne parle pas du jugement de la Cour d'appel mais de celui de la Cour supérieure. On avait utilisé ce principe de la protection des minorités pour dire que le gouvernement conservateur ontarien de l'époque avait manqué à son obligation minimale de consulter la minorité avant de procéder à un réaménagement des structures administratives.

Je dis donc qu'il est possible, au plan juridique — si jamais les actions des autorités fédérales sont contestées devant une cour de justice —, de mettre de l'avant une obligation de consultation.

Le sénateur Robichaud : La Commission canadienne du tourisme, qui était établie dans la capitale nationale, est déménagée à Vancouver. Vous dites que le gouvernement aurait dû tenir une consultation — et c'est là que j'ai de la difficulté à enchaîner — avec la minorité de la Colombie-Britannique?

M. Braën : Non. Il faut préciser que le droit de communiquer et celui de recevoir les prestations de l'administration fédérale dans la langue officielle de son choix s'exercent sans limitation lorsqu'il s'agit du siège d'une institution du Parlement ou du gouvernement canadien, avec le siège ou l'administration centrale. Dans les autres cas, on tient compte de la vocation du bureau ou de la demande importante.

Dans le cas de la Commission canadienne du tourisme, s'agissant d'une agence fédérale, dans la mesure où vous déménagez son administration à Vancouver, on ne parle pas de consultation ici. Il y a une obligation à s'assurer que le droit prévu à l'article 20 soit respecté.

Je parlais des consultations dans les cas où les droits qui peuvent être revendiqués par le public, en vertu de l'article 20 de la Charte, ne sont pas absolus mais sont limités par les tests de la demande importante ou de la vocation du bureau.

Vous voyez la distinction entre les deux? Dans le cas de Vancouver, à mon avis, ils sont tenus de respecter les obligations prévues, non seulement dans la Loi sur les langues officielles, mais également dans l'article 20 de la Charte.

Le sénateur Champagne : M. Fraser, notre nouveau commissaire aux langues officielles, était avec nous il y a peu de temps et il nous disait que selon lui, le principe d'application que le gouvernement a adopté, en juin 2005, a une portée vraiment trop limitée. Il souhaiterait que nous prévoyions des mesures permanentes afin de protéger le droit des employés en matière de langue de travail et garantir aussi le droit des employés qui seront embauchés lors d'un déménagement.

Il dit que si vous arriviez avec un règlement bien établi, on n'aurait pas à intervenir chaque fois qu'une agence déménage; les choses seraient réglées et il n'y aurait pas de doute ni de souci à se faire pour savoir si on est conforme à la Loi sur les langues officielles et à la Charte.

Selon vous, quels sont les éléments les plus importants qui devraient faire partie de cette réglementation, afin d'éviter justement que l'on se mette les pieds dans les plats ou que l'on ait des problèmes face à nos gens, ceux qui vont déménager, ceux qui restent ou ceux que l'on va embaucher, du moment où nous seront rendus au nouvel endroit?

M. Braën : La question de la langue de travail au sein des institutions fédérales est relativement complexe. C'est un défi auquel les autorités de ce pays se sont attelées depuis de nombreuses années. Cela ne va pas sans heurt. Même aujourd'hui, on conteste, pour toutes sortes de raisons, les mesures qui peuvent être mises en place pour faciliter l'exercice de la langue de travail choisie par l'employé.

Ce n'est pas quelque chose de facile et je comprends les difficultés dans lesquelles nagent les autorités fédérales dans ce domaine. On ne veut pas heurter les droits acquis des individus ni les sensibilités. Mais il y a un moment où il faut faire progresser les choses.

Je pense qu'il y a eu une politique ou une directive adoptée par le Secrétariat du Conseil du Trésor concernant la dotation des postes dans la région d'Ottawa. Je ne suis pas certain si cette politique s'applique encore aujourd'hui.

Ce que je peux vous dire, c'est que le public a le droit de communiquer et de recevoir des services fournis par l'administration fédérale dans la langue officielle de son choix. Dans certains cas, ce droit connaît quelques limites et dans d'autres, aucune. L'assise de ce droit est constitutionnelle.

Ce qui m'inquiète davantage, ce n'est pas nécessairement la question de heurter les employés, mais plutôt de savoir comment pourrions-nous faire pour que la langue de travail puisse aussi coïncider avec le respect de ce droit constitutionnel. Parce que dans la mesure où, encore une fois, le cadre mis de l'avant pour donner suite à la partie V de la Loi sur les langues officielles trouve son assise dans une loi plutôt que dans la Constitution, mon réflexe est de donner tout de suite préséance à la question du droit du public.

Par ailleurs, savoir comment les règles applicables à l'administration fédérale au niveau de la langue de travail doivent être réaménagées, c'est une question difficile.

Le sénateur Champagne : J'avais peut-être espéré que vous décrocheriez quelque chose qui nous mettrait sur la bonne piste.

M. Braën : Cela demanderait réflexion et analyse.

Le sénateur Champagne : Je vous écoute avec beaucoup de soin.

Le sénateur Comeau : Les droits de prestation de services aux Canadiens, parce qu'ils sont protégés dans la Charte, ont préséance sur les droits des employés qui travailleraient pour un département ou une agence? Est-ce que je comprends bien?

M. Braën : L'article 31 de la Loi sur les langues officielles dit que s'il y a incompatibilité entre les mesures qui découlent de la partie V (langue de travail) et la partie IV (droits du public), c'est la partie IV qui l'emporte, mais cela se comprend aussi dans une assise constitutionnelle.

Le sénateur Comeau : Au moment du déménagement de la Commission canadienne du tourisme à Vancouver, une protection a été offerte aux employés qui ne voulaient pas déménager ou qui voulaient garder leur droit dans une région bilingue. On leur a offert ce droit et ils l'ont pris, en grande partie. À peu près 90 p. 100 des employés ont choisi de demeurer ici, ce qui a causé beaucoup d'ennuis, bien sûr, mais ces droits ont été protégés. Ceux qui ont choisir d'y aller avaient une protection moindre que celle qu'ils avaient à Ottawa. C'est peut-être un moyen par lequel des déménagements peuvent avoir lieu, mais toujours en respectant les droits offerts au public.

Selon ce que j'ai pu comprendre, la Commission canadienne du tourisme est très respectueuse de cette obligation. Cela revient au fait que c'est constitutionnel?

M. Braën : Oui, tout à fait.

Le sénateur Comeau : Cela répond à ma question.

M. Braën : Encore une fois, étant une agence centrale de l'autorité fédérale, elle a une obligation de pouvoir offrir des services bilingues en vertu de la Constitution. Pour pouvoir offrir des services bilingues, cela veut dire qu'il y a un personnel capable de travailler dans les deux langues officielles. Qui doit composer ce personnel? Il y a, si je comprends bien, plusieurs avenues possibles.

La présidente : Vous avez parlé tout à l'heure du principe de protection des minorités qui donne au gouvernement fédéral une obligation de consultation. Comment, à votre avis, doit-on définir l'obligation de consultation? Que veut vraiment dire cette obligation?

M. Braën : D'abord, je ne serais pas prêt à dire que c'est une obligation qui s'applique de façon générale dans la mesure où, encore une fois, le droit de communiquer dans la langue officielle de son choix n'est pas absolu lorsqu'il s'agit d'administration autre que le siège ou l'administration centrale d'une institution fédérale et qu'entre en jeu la notion de vocation du bureau ou encore de demandes importantes. Dans la mesure où il y a implantation de services capables de rencontrer les exigences de l'article 20 — c'est-à-dire de fonctionner de façon bilingue — dans un milieu minoritaire, dans la mesure où le déménagement d'une agence — comme cela avait été démontré dans l'affaire du Forum des maires de la péninsule acadienne — se traduit par une diminution de cette capacité de travailler de façon bilingue, il y a une obligation de consulter.

Il faut comprendre que lorsque le gouvernement fédéral installe un bureau ou une agence à un endroit donné, l'agence ou le bureau occupe un environnement, est influencé par cet environnement, mais il influence aussi cet environnement. Dans la mesure où l'implantation d'une agence fédérale permet la progression et la promotion des langues officielles afin d'offrir plus de services à la minorité française ou anglaise, peu importe, il faut être conscient de cet impact. Dans la mesure où le gouvernement entend modifier la structure en question pour l'envoyer ailleurs, il y a, je pense, une obligation de consulter. Selon moi, les autorités fédérales ont une longue tradition sur ce plan. Elles savent à qui s'adresser. Normalement, ce sont les organismes politiques ou porte-parole de la minorité et de l'environnement où le bureau fédéral œuvre. Il ne s'agit pas d'un processus formel avec auditions publiques, rencontres, et cetera.

Ce qui est important, c'est l'objectif. C'est-à-dire faire en sorte que les deux langues officielles soient respectées, que leur statut soit égal et que le public puisse effectivement compter sur l'exercice de son droit constitutionnel. La procédure en tant que détail est moins importante et probablement qu'il y aurait lieu à prévoir des procédures souples et flexibles permettant aux autorités de pouvoir réagir compte tenu de toutes les circonstances.

Le sénateur Robichaud : Vous êtes au courant du projet de règlement qui est devant nous ou suggéré par le Conseil du Trésor en ce qui concerne la gendarmerie dans l'affaire Doucet. On limite les services à un tronçon de la Transcanadienne qui est limité par la région desservie par le détachement d'Amherst. L'article 23. (1) dit, et je cite :

Il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l'une ou l'autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux ou à en recevoir les services, là où, au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante.

On a dit que cela devait être au moins 5 p. 100 de la demande de ces services par le public, mais on l'a quand même limitée au public voyageur. On laisse la province du Nouveau-Brunswick et peut-être 50 kilomètres où on doit offrir des services bilingues, mais ailleurs, l'article 23 ne s'applique plus. Pouvez-vous nous donner vos commentaires là- dessus?

M. Braën : Je ne suis pas surpris de cette décision. D'abord, on s'entend tous pour dire que la GRC constitue une institution du Parlement et du gouvernement du Canada, au sens de l'article 32 de la Charte canadienne. On s'entend aussi pour dire qu'en Nouvelle-Écosse, en l'occurrence, il y a une obligation des institutions à veiller à ce que la prestation des services se fasse dans les deux langues. Dans ce cas, des mesures avaient été adoptées dans la réglementation fédérale. On avait tout simplement, d'après les données du Recensement, comptabilisé le nombre d'individus qui formaient la minorité de langue officielle dans cette région pour déterminer les obligations linguistiques de la GRC.

La Cour fédérale a dit que ce n'est pas ainsi que cela fonctionne, d'abord parce que c'est une autoroute qui est utilisée en particulier par beaucoup d'Acadiens qui demeurent dans la province voisine, au Nouveau-Brunswick. Dans le comté adjacent, au Nouveau-Brunswick, 28 ou 30 p. 100 de la population était d'origine acadienne. On a jugé que cette réglementation était incompatible avec le droit prévu à l'article 20.

C'est ce que je disais tantôt. Les tribunaux, dans un premier temps, lorsqu'ils interviennent, doivent d'abord déclarer l'existence d'un droit constitutionnel. Est-ce qu'il existe un droit à l'éducation dans la langue de la minorité? Est-ce qu'il existe le droit à un service dans la langue officielle de son choix? On doit d'abord vérifier l'existence des droits, les déclarer et ensuite vérifier s'il existe une violation à ces droits, puis éventuellement l'article 1 pourrait même s'appliquer.

Le problème se situe lorsqu'on met de l'avant un droit constitutionnel — on parle de services ici, au sens de l'article 1 — et qu'on le soumet au respect de normes arbitraires.

Pourquoi 500? Est-ce que 498 n'est pas assez? Les tribunaux détestent cela. Prenez le cas des droits scolaires, l'article 23. Est-ce vrai que l'article 23 met de l'avant trois droits différents, le droit à l'instruction dans la langue de la minorité, le droit à ce que cette instruction soit dispensée dans un établissement de la minorité et le droit à ce que l'établissement et le programme soient gérés par la minorité? La cour a dit : on ne fonctionne pas comme cela. On va parler d'un seul droit, qui vise des objets bien précis dont le contenu est variable.

Dans l'affaire Solski, la Charte de la langue française parle du parent qui a reçu la majorité de son éducation dans la langue de la minorité. La Cour suprême a été assez claire : elle utilise le terme « majorité », ça va. Mais si le législateur utilise un pourcentage — le Manitoba le fait parce qu'il parle de 50 p. 100 — cela ne marche pas du tout.

On oublie souvent que plusieurs des droits linguistiques sont constitutionnalisés. Dans ce pays, parfois, on a l'impression que les droits linguistiques constitutionnels sont moins importants que d'autres droits constitutionnels. Pour ma part, je ne vois pas de différence. Les droits linguistiques de l'article 20 sont aussi importants que les libertés fondamentales de l'article 2. Ils sont enchâssés dans la Constitution.

La cour ne peut pas comprendre pourquoi l'exercice de droits aussi importants dépend d'un zéro ou d'une virgule quelque part, alors que ce qui est important c'est de voir l'objectif poursuivi par le constituant. Pourquoi veut-on que le public ait droit à communiquer? C'est ce qui est important; tandis que lorsqu'on insiste trop sur le cadre réglementaire, ce qui devient important, si vous lisez le règlement, c'est la différence entre zone urbaine, zone rurale, le pourcentage, les 5 000, et ceci, et cela, et cetera.

Le sénateur Robichaud : Si je m'en tiens à l'article 23, il dit « les institutions fédérales offrant des services aux voyageurs » et termine en disant « au Canada comme à l'étranger, l'emploi de cette langue fait l'objet d'une demande importante ».

Ici, au Canada, sur certaines sections de la Transcanadienne on ne peut pas exiger ces services, mais si j'étais à l'étranger, je pourrais l'exiger, n'est-ce pas?

M. Braën : L'article 23 vise surtout l'étranger, les missions diplomatiques, les ambassades, les consulats canadiens. On veut s'assurer que les Canadiens à l'étranger puissent entrer en contact avec leur représentation nationale dans la langue officielle de leur choix.

Je vous entendais tout à l'heure parler de la route Transcanadienne; le problème c'est que les routes sont de compétence provinciale. Donc en principe ce sont les provinces qui interviennent dans le domaine, par exemple, de la signalisation routière. Cela ne veut pas dire que les autorités fédérales ne peuvent pas intervenir. Absolument pas. Vous savez qu'on peut toujours conclure des ententes, on peut toujours dépenser son argent en exigeant que certaines conditions soient remplies. C'est possible à ce niveau.

Mais il y a une différence entre exiger que la signalisation sur la Transcanadienne soit bilingue — on rencontre là la difficulté qui découle du partage des pouvoirs — et, par ailleurs, faire en sorte qu'une institution fédérale comme la GRC, qui offre à l'extérieur du Québec et de l'Ontario des services de polices provinciaux aux autres provinces, puisse faire en sorte que ces services soient offerts dans les deux langues officielles.

L'affaire Paulin traite de cette question. Lorsque la GRC, en vertu d'un contrat, offre des services policiers aux provinces, est-elle tenue de respecter les obligations constitutionnelles? Je pense que oui.

Fondamentalement, la Constitution met de l'avant des obligations qui s'imposent aux autorités fédérales, et les autorités fédérales ne peuvent pas se décharger de ces obligations sous prétexte qu'il s'agit d'un contrat. D'autant plus que, dans la Loi sur les langues officielles, il y a des dispositions particulières concernant les services fournis par les tiers. Si on veut que les services fédéraux offerts par les tiers respectent la prescription du bilinguisme, cela vaut encore beaucoup plus s'il s'agit d'une institution fédérale comme la GRC, qui œuvre à l'intérieur de chacune des provinces.

Le sénateur Robichaud : Je comprends, mais ici on a un projet de règlements. Les modifications proposées par le gouvernement fédéral ne touchent qu'au paragraphe 6.1 du règlement des langues officielles et est ajouté à ce paragraphe l'alinéa suivant, qui dit qu'on doit fournir des services. Si le gouvernement dit « on va mettre en place un règlement qui exige que la GRC, qui est au service de la province de la Nouvelle-Écosse, donne des services en français sur une certaine portion de route », est-ce que vous comprenez où je veux en venir?

M. Braën : Oui. Je n'ai malheureusement pas copie de ce projet de règlements, je suis dans l'ignorance dans ce côté mais voici ma réaction.

Même si par règlement on dit que, pour cette petite portion de route, il faut que la GRC offre des services bilingues, que se passe-t-il pour moi qui habite juste à côté de cette portion? Je pense que réglementer de cette façon, c'est s'attirer des ennuis si jamais les dispositions sont contestées devant les cours de justice.

Le sénateur Murray : Je profite de votre présence pour poser une question sur l'article 23.2 de la Loi sur les langues officielles. On a fait référence tout à l'heure au fait que la Gendarmerie royale du Canada, bien qu'elle soit une institution fédérale, agit dans les huit provinces concernées comme sûreté provinciale sous contrat dûment signé entre le fédéral et les provinces. Je viens de lire l'article 23.2 de la loi et je vous demande si ce paragraphe s'applique au rôle de la Gendarmerie royale du Canada en sa qualité de police provinciale.

Il incombe aux institutions fédérales — la police montée, comme on dit — de veiller à ce que dans les bureaux visés au paragraphe 1, les services réglementaires offerts au voyageur par des tiers conventionnés par elle à cette fin le soient dans les deux langues officielles selon les modalités réglementaires.

Est-ce que cette disposition s'applique à la Gendarmerie royale dans son rôle de sûreté provinciale?

M. Braën : L'article 23, vous l'avez mentionné, a un champ d'application sur le territoire canadien à proprement parler; on peut penser aux autorités aéroportuaires, par exemple, à la GRC, car ces institutions offrent des services aux voyageurs — on ne défini pas le mot voyageur. Je suppose que cet article doit être interprété comme facilitant l'exercice du droit de circulation, qui est un droit constitutionnel prévu à l'article 6 de la Charte canadienne, et cela s'applique aussi à l'extérieur.

Pour être honnête, je ne sais pas, il faudrait que je fasse un avis juridique sur la question; cela demanderait une analyse. Si on adopte une approche libérale, une approche conforme aux objectifs poursuivis par la Charte canadienne des droits et libertés et aussi par la Loi sur les langues officielles, je serais porté à dire de façon affirmative que le GRC serait incluse.

On pourrait certainement déterminer cette participation tout en étant très prudents avec les dispositions réglementaires, de façon à ne pas brimer l'exercice du droit. Je pense qu'il y aurait certainement une argumentation à faire de ce côté, malgré le fait que d'autres pourraient penser que cela va trop loin.

Depuis l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire de la Ville de Saint-Jean, nous sommes un peu retombés dans l'obscurité et la confusion règne sur le plan de l'interprétation des textes qui mettent de l'avant des droits linguistiques.

Je ne peux pas vous donner une réponse plus précise, je suis désolé.

Le sénateur Murray : Merci beaucoup. C'est tout de même intéressant.

La présidente : Au nom des membres du comité, je tiens à remercier M. Braën, qui a bien voulu répondre à nos questions.

La séance est levée.


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