Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants
Fascicule 5 - Témoignages du 9 mai 2007
OTTAWA, le mercredi 9 mai 2007
Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 12 h 3 afin d'étudier les services et les avantages sociaux offerts aux membres des Forces canadiennes, aux anciens combattants, aux membres des missions de maintien de la paix et à leurs familles en reconnaissance des services rendus au Canada.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bon après-midi, mesdames et messieurs. Je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous poursuivons notre examen des questions entourant la controverse qui a cours au sujet d'une exposition au Musée canadien de la guerre.
Aujourd'hui, nous entendrons les témoignages du général (à la retraite) Paul Manson, de M. Randall Hansen et de M. Serge Bernier.
Je suis le sénateur Day, président de ce sous-comité et je viens du Nouveau-Brunswick.
Je tiens également à saluer le sénateur Atkins, sénateur progressiste-conservateur. Nous devons le considérer comme un indépendant maintenant. Le sénateur Atkins est vice-président du comité. Nous recevrons bientôt le sénateur Kenny, de l'Ontario, qui préside le comité principal, soit le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense.
Enfin et surtout, nous sommes particulièrement honorés par la présence du sénateur Dallaire, qui représente le Québec. Lui et le sénateur Downe, de l'Île-du-Prince-Édouard, se joindront bientôt à nous. Il y a eu des réunions du caucus du Sénat de sorte que certains de nos collègues tardent à arriver.
Je ne vous présenterai pas ces sénateurs au moment où ils arriveront, car je ne voudrais pas interrompre vos exposés. Je crois comprendre que chacun de vous avez un mot d'ouverture après quoi, nous passerons à la période de questions et réponses. Avec votre accord, nous commencerons par le général Paul Manson, qui sera suivi de M. Hansen et enfin, de M. Bernier.
Général (à la retraite) Paul D. Manson, président, Institut de la Conférence des associations de la défense : Merci, monsieur le président et sénateur Atkins. Je vous suis vraiment reconnaissant de l'occasion qui m'est offerte de témoigner devant votre sous-comité sur la représentation controversée du Musée canadien de la guerre de la campagne de bombardement alliée durant la Seconde Guerre mondiale.
Permettez-moi tout d'abord de faire état de mes compétences en la matière. D'octobre 2000 à décembre 2006, j'étais non seulement membre du conseil d'administration de la Société du Musée canadien des civilisations, mais aussi le président du Comité du Musée canadien de la guerre. J'ai également présidé le Comité de construction du Musée canadien de la guerre pendant tout le processus de spécification, de conception et de construction du nouveau musée.
À part mes tâches de membre du conseil, j'ai présidé, de 1998 jusqu'à l'ouverture officielle du nouveau musée, il y a deux ans, la campagne Passons le flambeau qui a été parrainée par les Amis du Musée canadien de la guerre et qui a recueilli plus de 16,5 millions de dollars pour financer la nouvelle installation. Seulement à ce titre, j'ai travaillé pendant sept longues années comme bénévole à plein temps.
Je tiens tout d'abord à dire que je suis extrêmement fier du nouveau Musée canadien de la guerre. À titre de musée national de l'histoire militaire, il n'a pas son égal ailleurs dans le monde.
Il m'est, par conséquent, d'autant plus difficile d'exprimer ma profonde déception devant le refus du musée de corriger ce qui est, à mon avis, une grave erreur dans le libellé du dernier panneau sur la campagne de bombardement, intitulé « Une controverse qui persiste ».
Paradoxalement, la plus grande partie de la présentation de la campagne par le musée et de la contribution du Canada est exacte et équilibrée. Or, pour des raisons qui m'échappent, les auteurs du dernier panneau ont fortement appuyé un seul point de vue de la controverse en usant de mots mal choisis qui dénigrent la valeur stratégique de la campagne de bombardement et qui, en s'attardant sur le nombre de décès de civils et la destruction de maisons allemandes, insinuent de manière lugubre que la campagne et ceux qui y ont participé sont associés à une activité injustifiée et immorale. Les visiteurs du musée repartent donc avec une impression totalement injustifiée et défavorable de ce chapitre de l'histoire militaire du Canada. Je comprends tout à fait pourquoi les anciens combattants canadiens et en particulier les anciens combattants du Bomber Command sont si outrés de l'approche du musée.
Je n'ai pas l'intention de reprendre les nombreux arguments qui ont été présentés à cet égard par les membres de la communauté des anciens combattants, par des historiens, ainsi que par d'autres personnes qui s'intéressent à notre histoire militaire et qui, comme moi, s'indignent de la façon dont le musée traite le sujet. Vous avez déjà reçu une grande quantité d'information et d'avis à la défense d'un côté ou l'autre, et il y en aura encore plus, j'en suis certain, avant la fin de vos délibérations, y compris des points de vue personnels mal éclairés et mal informés. Des points de vue comme ceux-là sont inévitables dans une controverse semblable.
Voici un point important. Quiconque a étudié la question ne nie l'existence de la controverse sur « le bien-fondé et la moralité » de la campagne de bombardement alliée. Comme nous l'avons vu récemment, les quatre éminents historiens canadiens auxquels le musée a recouru pour examiner la question ont tiré des conclusions diamétralement opposées. Ce n'est pas le fait qu'il y ait divergence d'opinions sur la difficile question de l'efficacité stratégique et de la moralité qui nous réunit ici aujourd'hui, bien que les responsables du musée dans leurs annonces publiques et leur témoignage devant votre comité la semaine dernière voudraient bien le penser. La vraie controverse qui nous assaille aujourd'hui réside dans le refus obstiné du Musée canadien de la guerre d'infléchir sa position tendancieuse, comme nous pouvons le constater dans le panneau de conclusion de l'exposition, accompagné de l'énorme photo incendiaire de corps allemands. Ce panneau est fruste, il est biaisé et, pire encore, il ne tient pas compte de la réalité historique de la campagne de bombardement et il donne aux visiteurs du musée une compréhension tout à fait déformée d'un élément immensément important de la guerre stratégique contre l'Allemagne nazie et du rôle essentiel que des Canadiens y ont joué.
Pour avoir collaboré étroitement au fil des ans avec M. Rabinovitch, M. Geurts, M. Oliver et M. Granatstein, je tiens à souligner que j'admire ces personnes et que je les respecte pour leur apport à la création et à la mise en exploitation du nouveau Musée canadien de la guerre. Toutefois, nous divergeons d'opinion en ce qui a trait aux arguments qu'ils ont présentés à défense du panneau de la controverse qui perdure et du refus de le modifier.
Vous tirerez vos propres conclusions au sujet de la validité de leurs arguments, mais je suis en total désaccord avec les points principaux de leur défense. Selon moi, il y en a quatre. Permettez-moi de réfuter chacun de ces éléments tour à tour. La première ligne de défense du musée est de s'en tenir fermement au fait qu'il y a une controverse et qu'elle persiste. Franchement, c'est déroutant. Il n'y a pas de désaccord réel sur ce point comme je l'ai mentionné il y a quelque moment. Presque tous les promoteurs ont reconnu que la controverse au sujet du bien-fondé et de l'aspect moral a cours depuis 60 ans et qu'elle risque de se poursuivre indéfiniment. Les responsables du musée qui insistent pour dire que le débat porte sur le panneau tentent de détourner l'attention de la question réelle, qui est le choix de mots biaisés pour le panneau. J'arrive à voir pourquoi ils ont eu recours à cette tactique de diversion. Le choix des mots « Controverse qui persiste » sur le panneau est absolument impossible à défendre tellement le titre est laconique. Le panneau amoindrit, de manière flagrante, la valeur de la campagne de bombardement des Alliés, tout en attirant l'attention des visiteurs de manière fort peu subtile sur l'aspect moral du débat. Ce panneau dit à l'observateur que la valeur stratégique est douteuse, alors que 600 000 Allemands ont été tués et que des millions se sont retrouvés sans abri.
Ajouter à cela le sous-titre du panneau, inscrit en caractères qui font deux fois la taille de ceux du texte principal, qui se lit comme suit : « Les bombardements massifs de l'Allemagne causèrent de grandes destructions et d'immenses pertes de vie humaine. » Alors que le musée insinue que les bombardements ont eu une efficacité douteuse, à quelle conclusion en viendront les visiteurs si ce n'est que les bombardements étaient immoraux?
C'est dans cette seconde ligne de défense que la position du musée est la plus faible. Le panneau dénigre cavalièrement la valeur stratégique de la campagne avec une référence trompeuse au fait que « les raids n'ont entraîné qu'un faible ralentissement de la production de guerre allemande jusque tard dans la guerre », tout en omettant toute référence aux répercussions considérables des bombardements Alliés pour le transport, les communications, les activités anti-sous-marines, pour empêcher la présence de l'armée nazie sur les fronts de l'Est et de l'Ouest, pour atténuer les attaques des roquettes V-1 et V-2 contre l'Europe de l'Ouest et la Grande-Bretagne. Les bombardements ont eu aussi des répercussions incontestablement lourdes sur le moral des civils et des militaires en Allemagne et ont obligé l'Allemagne nazie à engager des ressources considérables pour la défense aérienne et pour la réparation des dommages, ressources qui autrement auraient pu être utilisées pour contrer le débarquement en Normandie.
Cette omission flagrante laisse au visiteur du musée une perception gravement déformée du bien-fondé et de l'efficacité de la campagne de bombardement alliée.
Cela m'amène à parler de la troisième lacune grave dans la défense du musée. MM. Oliver et Granatstein ont dit que chacun des mots qui figure sur ce panneau sont vrais.
Cela se peut, mais c'est trompeur, parce que l'on a oublié des faits historiques essentiels. Il est nécessaire d'avoir un contenu historique précis, mais il doit couvrir toute la période. L'histoire doit être complète et elle doit être pertinente. Le panneau échoue à ce chapitre.
Le musée déclare qu'il ne doit jamais céder devant les groupes de lobbying. M. Granatstein l'a exprimé ainsi : « Un terrible précédent peut être établi si les faits sont adaptés pour un groupe. En pareil cas, comment le Musée de la guerre pourrait-il résister à d'autres groupes d'influence? »
Ce point de vue est troublant parce qu'il suppose que les historiens du musée sont toujours dans le droit chemin et que leurs interprétations, représentées au Musée canadien de la guerre, sont inattaquables. Bien sûr, cela est faux. Chaque cas doit être jugé selon son mérite.
Monsieur le président, vous remarquerez que ma réfutation des arguments présentés par les responsables du musée ne fait aucunement état de l'aspect émotif du débat. Et c'est de propos délibéré de ma part. J'agis ainsi parce que j'estime sincèrement que la position du musée est logiquement intenable.
Toutefois, les perceptions émotives ne sauraient être ignorées. Elles ont une importance, particulièrement lorsqu'elles sont exprimées par des personnes qui font partie de l'histoire dont nous discutons aujourd'hui.
Tous ceux qui respectent les anciens combattants du Bomber Command et ce qu'ils ont vécu devraient répondre à leur appel émotif en vue de corriger correction qu'ils considèrent, avec raison, être une représentation injuste de leur contribution à la victoire sur l'Allemagne nazie.
Ces personnes sont profondément offensées et attristées par ce qu'elles considèrent comme une froide interprétation historique de leur campagne, écrite et défendue par ceux qui ne peuvent possiblement comprendre ce qu'il en était à cette époque.
Elles sont étonnées de l'obstination du Musée canadien de la guerre dans ce dossier. Ces gens peuvent-ils avoir tort dans leur interprétation du panneau « Controverse qui persiste »? Je ne le pense pas.
J'aimerais faire valoir un point qui, à mon avis, est d'une importance cruciale à ce moment-ci et qui pourrait mettre un terme à ce conflit. L'impossibilité de corriger le déséquilibre qui réside actuellement dans le panneau de la « Controverse qui persiste » entraînerait de très graves conséquences pour des raisons qui sont, à mon avis, évidentes, alors que les anciens combattants survivants du Bomber Command, qui ont maintenant dans les 80 et 90 ans, quittent peu à peu la scène. La controverse qui fait rage aujourd'hui ne disparaîtra pas avec eux, parce qu'il s'agit d'une question de fait, de substance, de réalité.
Des gens plus jeunes comme moi continueront à viser la résolution et la réconciliation, mais pas à n'importe quel prix.
Que peut-on dire? voilà la question. La réponse simple est que, de mon point de vue, un changement modeste, mais bien pensé, à la formulation du dernier panneau satisferait les deux parties de ce malheureux différend. J'ai vu plusieurs formulations différentes qui permettraient de corriger le problème. Il suffit de rétablir l'équilibre en reconnaissant sans ambages l'énorme contribution que le bombardement allié de l'Allemagne et des territoires occupés a apportée à la victoire finale. Si je devais le réécrire, je mentionnerais aussi le courage extraordinaire, le courage moral, dont ont fait preuve les bombardiers canadiens devant de redoutables obstacles.
Ces deux faits, les conséquences stratégiques du bombardement et le courage de ceux qui y ont participé, méritent d'être transmis par le Musée canadien de la guerre aux générations futures. Réécrire ainsi le panneau incriminé ne représente pas nécessairement une humiliation pour le musée, ni un sacrifice à l'intégrité intellectuelle. Les Canadiens comprendraient sûrement.
Comme je vous l'ai dit au début, je suis peiné de parler contre une institution qui a été une partie très importante de ma vie au cours de la dernière décennie. Or, je le fais seulement dans le but de restaurer la réputation amplement méritée du Musée canadien de la guerre comme un superbe instrument de préservation et de diffusion de l'histoire militaire du Canada. Il incombe maintenant au musée de rétablir les faits.
Randall Hansen, professeur associé et chaire de recherche du Canada, Université de Toronto : Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de prendre la parole devant votre comité. C'est un grand honneur.
Au départ, je précise que mon intérêt pour cette question est théorique. Je rédige un ouvrage sur les bombardements anglo-américains. Je n'ai aucun lien institutionnel avec le Musée de la guerre lui-même.
Malgré tout le respect que j'ai pour le général Manson et ses distingués états de service pour le pays, je suis en désaccord avec les points qu'il a avancés. Permettez-moi d'en soulever trois.
Premièrement, les allégations qui sous-tendent l'exposition du Musée canadien de la guerre sont plus que plausibles. Il s'agit de faits acceptés qui ne sauraient être débattus.
Deuxièmement, l'argument selon lequel les pilotes de l'Aviation royale canadienne (ARC) et de la Royal Air Force (RAF), étaient des criminels de guerre est faux.
Troisièmement, j'estime que l'exposition ne saurait être revue d'une manière qui permette de conserver la précision historique et de plaire aux anciens combattants qui ne sont pas très heureux du contenu. Il serait possible d'en dire beaucoup plus concernant le caractère moral de la guerre de bombardement et ses effets stratégiques, mais le fait d'aller dans ce sens suscite des interrogations et mène à des conclusions avec lesquelles les anciens combattants risquent d'être encore moins d'accord.
Allégation numéro un : Je suis d'accord avec le texte selon lequel « Le bien-fondé et la moralité de l'offensive de bombardement stratégique [...] demeurent vivement contestés » est un fait non contesté. Aucun historien sérieux ne peut soutenir que le bombardement a eu un effet décisif, qu'il a permis de gagner la guerre. Il y a un vif débat entourant les effets stratégiques, mais ce débat se limite aux effets secondaires, particulièrement au transfert de ressources du front Est vers ce qui est devenu le front Ouest.
L'allégation numéro deux est que « L'objectif du Bomber Command était de saper le moral des civils allemands et de forcer l'Allemagne à se rendre en détruisant les villes et les installations industrielles. » Cet énoncé représente un fait absolu. À partir du moment où Arthur Harris a pris la relève en 1942, et bien qu'il n'ait pas pris la décision au départ, il a été un défenseur constant des bombardements de la ville et il croyait que les bombardements de précision d'objectifs industriels ou d'installations de communications étaient inutiles. Il a déclaré que l'objectif du Bomber Command
[...] était de détruire des villes allemandes, de tuer des travailleurs allemands et de déstabiliser la vie civile à l'échelle de l'Allemagne. Il faudrait insister sur le fait que la destruction de maisons, de services publics, de réseaux de transport et de vies, la création d'un problème de réfugiés à une échelle sans précédent, et de saper le moral à la maison comme au champ de bataille par la peur de bombardements prolongés et intensifiés sont des objectifs acceptés et prévus dans notre politique de bombardement. Ce ne sont pas des sous-produits de tentative de frapper les usines.
Un élément de base de ces propos est la mise à mort délibérée de civils. Il ajoute :
Ce que nous voulons faire en plus de l'horreur des incendies est de faire tomber les murs sur les Boches, de tuer les Boches et de terrifier les Boches, d'où la proportion d'explosifs détonants. Il s'agit d'un débat technique. Bien sûr, le mot « Boches » fait référence aux Allemands.
La troisième allégation est que « Les raids de bombardement en masse contre l'Allemagne ont entraîné une grande destruction et de nombreuses pertes de vie humaine ». Je le répète, on ne peut ignorer le fait que 500 000 tonnes de bombes ont été larguées sur des villes allemandes. Quelque 70 villes allemandes ont été détruites. Ainsi, le bombardement de Dresde n'a pas été exceptionnel dans son exécution ni dans son intention. Il s'agissait d'un raid normal comme bien d'autres.
La quatrième allégation est que « Même si les attaques du Bomber Command et des forces américaines tuèrent 600 000 Allemands et en laissèrent cinq millions d'autres sans abri, ils détruisirent à peine la production de guerre allemande avant la fin de la guerre. »
Le nombre d'Allemands tués ne peut être contesté, de sorte que je ne l'aborderai pas. En ce qui a trait à la production industrielle de l'Allemagne, les seuls faits clairs sont qu'elle a augmenté année après année jusqu'à la fin de septembre 1944, et qu'à partir de ce moment, elle a chuté rapidement. Tout le reste n'est que pure spéculation.
Quelle aurait été la situation sans bombardement, nous ne le savons pas. Le jeu de la spéculation hypothético- déductive ne saurait être limité à un aspect. Il est impossible de se demander comment la guerre aurait évolué si l'Allemagne n'avait pas eu à défendre ses villes. Nous devons cependant nous demander comment la guerre aurait évolué si les ressources considérables qui ont été consacrées au bombardement des villes allemandes avaient été utilisées ailleurs durant la guerre, par exemple en Normandie et sur le front Est. Je soumets qu'une telle spéculation n'aura jamais de cesse et qu'elle est inutile.
Je voudrais dire quelque chose au sujet de ce que suppose l'exposition. On a laissé entendre que ce sont les répercussions qui posent problème, qu'elles donnent l'impression que ceux qui ont servi notre pays étaient des criminels de guerre. Selon moi, rien de cela ne se dégage de l'exposition.
L'exposition présente des faits qui sont largement connus. Le simple fait d'accentuer la controverse qui entoure la campagne incite les visiteurs à se faire une opinion par eux-mêmes. C'est exactement ce qu'un musée devrait faire : informer, éduquer et susciter la réflexion et le débat.
Comment pourrait-on modifier l'exposition? Il est possible d'apporter une modification. Par exemple, il serait possible d'ajouter beaucoup d'éléments en disant que les aspects les plus efficaces des bombardements ont été les bombardements de précision, notamment des usines de billes de roulement, des dépôts de pétrole et des services de communications. Je suis bien d'accord avec le général Manson sur ce point, mais ces cibles étaient précisément celles auxquelles Arthur Harris s'opposait. Quand il les a bombardées, il le faisait contre son propre souhait.
Deuxièmement, tout au long de la guerre les Américains ont insisté sur des bombardements de précision d'objectifs industriels mais non pour le bombardement de villes. Quelque 46 p. 100 de toutes les bombes larguées par le Bomber Command l'ont été directement au centre de villes allemandes. Cette proportion pour les Américains est de 6 p. 100. Au passage, je note l'exception à leur politique en février 1945, au-dessus de Berlin.
Je conclus en disant que l'exposition du musée est historiquement exacte et équilibrée dans sa présentation. Les conclusions sont soutenues par les historiens officiels britanniques, américains et canadiens, par des décennies de recherches universitaires et par les historiens les plus distingués du Canada, notamment Mme Margaret MacMillan et M. Desmond Morton. Si le musée devait modifier le texte de la présentation pour plaire aux anciens combattants — et je ne doute aucunement ni ne remet en question la sincérité de leurs sentiments — il devrait ignorer, supprimer et nier des faits historiques indiscutables. Selon moi, il serait préférable de n'avoir aucune exposition plutôt qu'une exposition où la fiction prend le pas sur les faits.
[Français]
Serge Bernier, historien, à titre personnel : Monsieur le président, étant donné tous les faits qui vous ont déjà été soumis, dont le court mémoire que j'avais présenté au président-directeur général du Musée canadien des civilisations sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, permettez-moi d'aller assez rapidement vers ce que je souhaiterais aborder avec vous en cette occasion.
La controverse dont on parle ici n'en est pas une dans le monde canadien de langue française que je fréquente. Il a fallu un appel téléphonique du président-directeur général du Musée canadien de la guerre l'automne dernier pour que je sois mis au courant de l'affaire très rapidement. Par la suite, j'ai pu constater qu'en effet, il y avait un important débat concernant une partie de l'exposition permanente du Musée canadien de la guerre consacrée au bombardement stratégique.
En décembre, le président-directeur général du Musée canadien des civilisations m'a demandé mon avis d'historien et j'ai accepté de le donner. Je résume ici mes réponses aux deux questions qu'on me posait — et que vous avez vues, et je me cite, c'est toujours bien d'avoir une note de bas de page dans un texte d'historien.
La section du Musée canadien de la guerre sur la campagne de bombardement stratégique présente généralement aux visiteurs une bonne idée de ce que le bombardement stratégique a cherché à accomplir, les résultats réels qu'il a obtenus par rapport à ses objectifs, les coûts humains et moraux qu'il a eus, autant du côté des attaquants que de ceux et celles qui l'ont subi.
Une seconde question : si le panneau — une controverse qui persiste — présentait de façon appropriée certaines des conséquences de la campagne du bombardement. En utilisant l'Interpretive Development Guidelines du Musée canadien de la guerre, daté du 11 janvier 2003, qu'on m'avait soumis, ainsi que le Visitor Bill of Rights, mis également à la portée des photos qui jouxtent ce panneau, je concluais qu'étant donné que la question du bombardement stratégique était bien couverte ailleurs dans la zone où se trouvait le panneau, le panneau lui-même devenait inutile.
Je voudrais profiter de l'occasion pour ajouter un point à ceux que j'ai déjà présentés et approfondir un de ceux que j'ai mentionnés dans mon rapport de janvier dernier. Le musée a choisi de souligner une controverse sur la moralité de certains gestes de guerre. Pourquoi pas? Mais on aurait pu débattre de la moralité de la guerre elle-même, de celle qui entoure la simple existence d'un Musée canadien de la guerre qui, en français, peut facilement être interprétée comme un encouragement à la guerre. En somme, parmi tous les débats moraux possibles en ce qui concerne l'activité guerrière, on en a choisi un en particulier. Je n'ai personnellement aucun problème avec ce choix, mais d'autres en ont, semble-t-il.
Le point que je veux approfondir quelque peu maintenant est celui des photos qui sont accolées au panneau qui nous intéresse. En leur absence, je crois que la levée de bouclier eût été moins forte. Comme très souvent chez les historiens — et je suis fautif en ce domaine ainsi que la vaste majorité de mes collègues —, les photos ne servent qu'à illustrer un propos. Or, elles ont leur propre histoire. Dans le cas qui nous préoccupe, est-ce que les photos viennent des victimes, des Allemands, ou des exécutants, les alliés? Qui étaient les photographes? Civils ou militaires? Pour qui travaillaient-ils? Leur arrivait-il de truquer des photos dans leurs fonctions habituelles? Quelles étaient les légendes qui accompagnaient les photos originales? Qui étaient les commanditaires? D'où vient l'éventuel visa de censure?
Si on tient à utiliser une photo en appui à une analyse, on ne peut passer à côté de la recherche nécessaire à la compréhension de cette photo et on ne peut éviter de faire la critique de la photo originale.
Dans le cas qui nous préoccupe, les photos choc accolées au panneau qui synthétise le débat sur la moralité du bombardement stratégique offrent une seule lecture de la situation. Il ne semble pas y avoir eu d'étude de ce qu'elles étaient vraiment, ce qu'elles représentaient en fait. Elles sont des sources historiques qui doivent être critiquées comme toutes les autres sources utilisées en histoire, sinon, elles risquent de fabriquer une histoire.
En terminant, permettez-moi d'ajouter ce qui suit. De mon point de vue d'historien, quelque modification que ce soit, qui serait désormais apportée à cette partie de l'exposition, serait interprétée comme une suite donnée à une pression politique. Cela, ni le Musée canadien de la guerre ni quelque autre historien canadien ne saurait le souffrir.
Un historien qui s'adonne à être aussi le PDG du Musée des civilisations m'a demandé mon avis et je l'ai fourni. En ce qui me concerne, j'aurais aimé qu'on en reste là.
[Traduction]
Le sénateur Atkins : Premièrement, nous parlons d'un musée canadien qui est maintenant un trésor national. Quiconque a participé à son élaboration mérite beaucoup de crédit pour le travail accompli.
Je trouve remarquable qu'il n'y ait pas eu davantage de controverses que celles que nous avons entendues. Il y a peut-être eu des controverses mineures, mais elles n'ont pas été publiques. Je ne crois pas que quiconque conteste l'exactitude historique des faits, du moins à la lumière de ce que j'ai entendu. Je ne crois pas que cela ait été un argument sérieux.
Toutefois, ayant visité le musée et ayant vu le panneau en question, il me semble que le titre et les photographies utilisées justifient la plainte des anciens combattants concernant ce qui s'est passé. Une photo vaut 1 000 mots, dit-on. Ne pourrait-on profiter de l'occasion pour examiner cet aspect de la présentation afin qu'elle adoucisse l'impression que les visiteurs pourraient? Il serait intéressant d'entendre les observations des témoins à cet égard.
Gén Manson : J'estime que le sénateur Atkins apporte des points intéressants. Il y a eu des controverses par le passé, dont une fort désagréable. Elle s'est produite dans les jours qui ont suivi l'ouverture du Musée national de la guerre concernant l'utilisation de trois toiles reliées aux événements désastreux survenus en Somalie au cours duquel des soldats canadiens ont tué un jeune Somalien. Plus particulièrement, les membres du régiment en cause, l'armée et les anciens combattants en général se sont opposés à la décision du Musée de la guerre d'afficher des photographies aussi incendiaires décrivant ce triste épisode de l'histoire militaire du Canada. Le Musée de la guerre, et j'ai fait partie du processus, a refusé avec raison d'enlever ces toiles. Elles dépeignaient un épisode réel et historiquement exact. Les événements se sont produits et même s'ils sont répugnants, ils font partie de l'histoire. Le Musée de la guerre a tenu son bout et a refusé toute modification.
Il y a eu un second cas où l'on a soutenu que le Musée de la guerre présentait des données statistiques inexactes sur les soldats canadiens au cours de la guerre de Corée. Le Musée de la guerre a modifié l'exposition parce qu'il a été déterminé que ces données statistiques étaient inexactes. Des responsables ont eu le courage de modifier une exposition qui était manifestement incorrecte.
Il y a donc un précédent attestant que le Musée de la guerre apporte des changements lorsque des expositions sont inexactes. Sur les 10 000 éléments d'exposition, seul un ou deux ne sont pas corrects, et lorsqu'ils ne le sont pas, le Musée de la guerre devrait apporter les changements nécessaires. Dans le cas qui nous intéresse, vous savez que plusieurs personnes jugent qu'un élément d'exposition, plus particulièrement le dernier panneau, doit être modifié et que le Musée de la guerre ne devrait avoir aucune hésitation à le faire pour rétablir l'équilibre. Le déséquilibre est une présentation incorrecte de l'histoire militaire du Canada.
M. Hansen : Je vous remercie de ces observations intéressantes et réfléchies. J'ai deux remarques à faire. Je ne suis pas sûr qu'il soit possible de séparer la question des faits historiques de la légitimité des plaintes des anciens combattants, qui est réelle et qui correspond à des sentiments sincères. Tous ces renseignements doivent être pris en compte. En ce qui a trait à vos observations concernant la photographie de victimes du bombardement de civils à Hambourg, il s'agit d'une photo standard du type montré dans presque tous les livres qui portent sur la guerre de bombardement, plus particulièrement du Bomber Command, des livres qui sont critiques et qui appuient la campagne. Ces photos sont loin d'être les plus incendiaires. Plusieurs d'entre nous l'avons vu, il y a des photos d'enfants décapités et ou de femmes réduites à la taille d'un accordéon, et d'autres photos qui sont beaucoup plus crues. Toutefois, c'est ce qui s'est produit à la suite d'une campagne de bombardement qui ciblait délibérément le centre des villes où les gens habitaient par milliers. C'était inévitable.
Ce serait une grave erreur que de les retirer. Il serait possible d'ajouter une photo illustrant la destruction industrielle causée par cette campagne comme les aires de lancement de V-2 qui ont été détruites, le Krupp Works ou les chemins de fer, pour insister sur le fait que les deux types de destruction étaient le produit de la campagne de bombardement.
[Français]
M. Bernier : Une photo a souvent été utilisée dans des livres dont la légende était : « Des juifs qui sont conduits dans une chambre à gaz à Treblinka. » On montrait cette scène dans un livre une fois après l'autre. Quelqu'un a commencé à faire la recherche et poser des questions. Finalement, cela ne changeait pas le sort des juifs; ils avaient été tués, mais c'étaient des gens qu'on amenait dans une coulée, en Ukraine, qu'on abattait et qu'on enterrait sur place. Le résultat de l'histoire reste le même, les juifs ont été éliminés, mais la photo a porté un faux message durant des années.
Deux des trois photos de destructions — sans doute faites en grande partie par des bombardements ou de l'artillerie — ont été prises par la Défense nationale après la guerre et l'autre plus probablement par des Allemands. Je doute que des Canadiens soient allés prendre des photos immédiatement après le bombardement. Il faut aussi prendre en compte la propagande faite en temps de guerre avec ce genre de photo.
[Traduction]
Le sénateur Atkins : Monsieur Hansen, nous supposons que le Musée de la guerre est un trésor national, qu'il présente une grande partie de l'histoire canadienne. Toutefois, l'Association de la Force aérienne du Canada et la Légion royale canadienne, qui représentent un nombre important de personnes, ont soulevé un problème. Il n'est pas dans l'intérêt du musée de chercher à faire un compromis sur cette question, sans faire quoi que ce soit qui pourrait être interprété comme du révisionnisme historique, n'est-ce pas?
M. Hansen : Je suis d'accord avec vous, bien que je ne puisse parler au nom du musée et que je parle à titre d'observateur de l'extérieur seulement. Il ne fait aucun doute que le musée a tout intérêt à consulter les anciens combattants et d'autres intervenants dans cette campagne pour qu'ils puissent exprimer leurs points de vue. Si le musée estime que leurs objections sur ce point particulier manquent de validité historique, il est alors dans l'intérêt du musée et aussi dans l'intérêt des anciens combattants, bien qu'ils ne le disent jamais de cette manière, que le musée s'en tienne à son point de vue. Le message que laisse le reste de la section sur la guerre aérienne et le musée dans son ensemble évoque l'étendue et l'efficacité de la contribution Forces canadiennes au cours de la guerre pour défendre la liberté de notre pays. Les Forces ont apporté une contribution très largement disproportionnée par rapport à leur taille, compte tenu qu'il s'agissait d'un pays éloigné. Elles sont intervenues pour défendre les libertés et cela transmet un message impressionnant et émouvant.
Il serait dangereux pour le musée de capituler sur ce point parce que cela créerait l'impression qu'il y a quelque chose d'incongru concernant la conclusion plus large et très puissante. Il y a par exemple la controverse concernant Enola Gay. Bien que je ne connaisse pas suffisamment de détails de l'histoire pour prendre partie, un musée des États-Unis a donné l'impression aux historiens qu'il ne faut pas le prendre au sérieux s'il est motivé par la recherche de faits historiques et plutôt par une forme de rectitude politique. Au Canada, nous les anciens combattants avons tout intérêt à éviter ce genre de résultat.
Le sénateur Atkins : Est-ce vrai même s'il faut cacher les titres quelque part et en créer un nouveau?
M. Hansen : Je le répète, ce serait faire fausse route. L'ensemble de la guerre de bombardement a été un élément important de la stratégie des Alliés. Je suis tout à fait en accord avec le général Manson à l'effet que l'élément précision des attaques, plus particulièrement vers la fin de la guerre, menées par les Américains ont eu un effet important sur la conclusion de la guerre. Toutefois, le fait demeure que Arthur Harris et les Britanniques et, par extension, les Canadiens, bien qu'ils n'aient pris aucune décision pour aller de l'avant et qu'ils aient été englobés dans les décisions en raison de la structure qui existait à l'époque, ont mis leur réputation en jeu et qu'il y a eu perte d'un grand nombre de vies humaines chez les Alliés lors des bombardements des villes. Cette politique avait une validité morale douteuse et n'a pas fonctionné dans la pratique. Par conséquent, si le Musée de la guerre enterre ce fait, il ne rendra pas crédit à l'histoire ni aux anciens combattants.
Gén Manson : Le débat sur la question de savoir si l'intention des Alliés était de bombarder les villes ou de bombarder surtout des industries et la production de guerre des Allemands ne cessera jamais. Le professeur Hansen nous a fourni quelques données statistiques indiquant que les États-Unis qui ont obtenu un taux de précision de 60 p. 100 dans leurs frappes des industries, alors que pour le Bomber Command, y compris l'Aviation royale canadienne et les autres forces alliées, ce taux a été d'environ 6 p. 100.
Le professeur Hansen n'a pas mentionné — et cela est typique des arguments qui ont été apportés contre la position des anciens combattants — que les forces aériennes britanniques, canadiennes et du Commonwealth au sein du Bomber Command faisaient des bombardements de nuit, dans le noir, tandis que les Américains bombardaient en plein jour. Cette stratégie qui consistait à avoir une force aérienne chargée de bombarder les villes allemandes et les industries en plein jour et une autre de le faire la nuit était délibérée afin de maintenir une pression constante sur le régime nazi. Les pressions ont été considérables sur les travailleurs qui devaient se rendre dans les industries de l'armement. La pression était constante, 24 heures par jour, et elle a eu des répercussions considérables sur le résultat de cette campagne de bombardement des Alliés au cours de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a un autre fait qui saute aux yeux ou qui devrait le faire, mais qui semble être oublié dans plusieurs des arguments qui sont apportés ici aujourd'hui : les bombardements étaient horriblement imprécis à cette époque. Les techniques utilisées ne permettaient pas de larguer des bombes avec précision sur des cibles, sauf dans des circonstances idéales. La génération d'aujourd'hui tend à regarder les images qui nous viennent de la guerre du Golfe où on peut voir des missiles qui sont largués avec une précision incroyable, qui passent à travers des fenêtres pour atteindre leur cible. On ne peut juger les bombardements de la Seconde Guerre mondiale à la lumière de ces normes. L'imprécision était la norme.
On a constaté lors des bombardements, plus particulièrement lors des bombardements de nuit pendant la Seconde Guerre mondiale, que les premiers bombardiers larguaient leurs munitions près de la cible, sinon sur la cible, mais que les vagues successives de bombardiers qui visaient une même cible larguaient leurs bombes de plus en plus tôt. Les pilotes cherchaient à s'éloigner de la zone cible en raison de la fumée et du nuage de poussière qui résultaient des premières bombes, particulièrement la nuit; en plus, il y avait un très grand nombre de cibles très imprécises pour les bombardiers. La situation était différente. On ne saurait juger de la précision des bombardements et prétendre que le but était de bombarder le centre des villes et de tuer le plus de civils possibles. Cela n'a aucun sens.
M. Hansen : Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant la précision. Les bombardements étaient horriblement imprécis en raison des facteurs que vous avez mentionnés, et aussi à cause des conditions dans lesquelles évoluaient les pilotes. Les projecteurs et les tirs des canons antiaériens les énervaient au plus haut point. Le bombardement de précision dans ces conditions était extrêmement difficile à réaliser.
Je ne souhaite pas présenter les Américains comme les sauveurs de cette campagne. Ils ont tué de nombreux civils. Toutefois, il y a une distinction fondamentale et importante entre le fait de tuer des civils de manière accessoire et non intentionnelle et de les tuer de manière délibérée. Les Américains ont délibérément tué des civils pendant quatre semaines lors des raids menés en février 1945, au-dessus de la ville de Berlin. Le Bomber Command a délibérément tué des civils pendant trois ans. Ce sont là des faits historiques non contestables.
Quant à la campagne de bombardement 24 heures sur 24, elle ne procédait pas d'une analyse fondée sur des principes. Il s'agissait d'un compromis. Les deux côtés tenaient passionnément à leur approche aux bombardements. Les Britanniques estimaient que les bombardements en plein jour ne donneraient aucun résultat, qu'ils risquaient de sacrifier un trop grand nombre de pilotes et qu'il fallait par conséquent procéder à des bombardements de nuit dans les zones disponibles. Les Américains étaient quant à eux convaincus que les bombardements en plein jour et les bombardements de précision étaient ce qu'il fallait. Comme on ne pouvait s'entendre, les deux parties ont convenu de ce qui suit à Casablanca, en janvier 1943 : Nous acceptons d'être en désaccord. Vous bombardez le jour et nous bombarderons la nuit.
Cette décision n'était nullement fondée sur des principes. C'était tout simplement une façon de contourner le désaccord fondamental de deux alliés.
Le sénateur Kenny : Merci. Monsieur Hansen : l'histoire ne change-t-elle jamais?
M. Hansen : J'attendais le reste de la question.
Le sénateur Kenny : C'est tout.
M. Hansen : Est-ce que l'histoire change jamais? Bien sûr, notre interprétation de l'histoire varie considérablement. J'ai lu dans un des mémoires — je crois que c'est celui de Desmond Morton, mais je ne voudrais pas le citer sans texte — que la rébellion menée par Louis Riel en était une de trahison alors que l'on considère aujourd'hui qu'il a offert une résistance glorieuse. De toute évidence, l'interprétation historique change.
Est-ce que certains faits historiques changent? Non, ils ne changent point. Les Allemands ont commencé la guerre et les Allemands ont perdu la guerre. Ces faits ne changeront jamais.
J'estime qu'il y a une distinction entre les faits et l'interprétation, bien que j'admettrais que les frontières sont parfois floues.
Le sénateur Kenny : Je vous ai entendu dire que les historiens changent leur point de vue concernant des aspects de l'histoire lorsqu'ils ont une chance de s'y plonger plus avant.
M. Hansen : Le contexte joue un rôle.
Le sénateur Kenny : N'y a-t-il qu'une seule façon de décrire la vérité?
M. Hansen : Tout dépend de ce dont on parle. Non, il n'y a pas qu'une seule façon de décrire la vérité. Je suppose que nous discutons de cette question dans le contexte du musée et c'est la raison pour laquelle la controverse persiste. Ce qui a été avancé dès le départ est qu'il est possible d'avoir des interprétations différentes des mêmes faits.
Le sénateur Kenny : J'ai certains problème concernant votre conclusion et aussi concernant la conclusion de monsieur Bernier.
Monsieur Hansen, vous concluez que l'exposition du musée est historiquement exacte et équilibrée dans sa présentation. Cela ne me pose aucun problème.
Vous dites que les conclusions sont appuyées par les historiens officiels britanniques, américains et canadiens, par des années de recherche et par des historiens distingués du Canada. Encore là, cela ne me pose aucun problème.
Si le musée devait modifier le texte de la présentation pour plaire aux victimes, il devrait ignorer, supprimer et nier des faits historiques. C'est une proposition bidon. Vous avez présenté une proposition bidon au comité et vous laissez entendre que toute modification au texte de l'exposition pour plaire aux anciens combattants serait une façon d'ignorer, de supprimer et de nier des preuves historiques incontestables.
Vous dites au comité qu'il n'y a pas dix façons pour les historiens de décrire ce qui s'est produit, d'être précis, de maintenir leur intégrité et d'avoir un résultat qui soit historiquement exact. Vous laissez entendre qu'il y aurait toutes sortes de choses terribles qui se produiraient. Ne croyez-vous pas que s'il y avait une dizaine d'historiens, hommes et femmes de grande intégrité, autour de cette table et que nous leur demandions de décrire l'événement, nous obtiendrions dix descriptions différentes? Ne pourraient-ils tous avoir raison?
M. Hansen : J'apprécie la force de votre point de vue et je serai heureux d'admettre que, au plan logique, mon énoncé peut paraître fallacieux dans le sens qu'il serait certainement possible, par voie de contre-exemple, d'apporter au texte un changement mineur qui ne viole pas les prétentions de précision historique. À un niveau logique, j'accepte ce que vous avez dit.
Toutefois, je ne veux pas renoncer au fait que les quatre allégations qui ont été faites par votre comité concernant la destruction massive, le ciblage délibéré pour saper le moral, le nombre de personnes tuées et la production industrielle. Ce ne sont pas des faits avec lesquels les dix historiens dont nous avons parlé pourraient être en désaccord.
Si le panneau disait, par exemple que la campagne de bombardement n'a eu aucun effet ou un effet décisif — prenons les deux énoncés — sur l'évolution de la guerre, cet exercice d'interprétation pourrait faire l'objet d'un désaccord très important. Tout ce que l'on dit est que la campagne visait à miner le moral. Si la conclusion est qu'elle a détruit le moral ou qu'elle n'a eu aucun effet sur le moral, les dix historiens ne seraient pas du tout d'accord.
Le sénateur Kenny : Vous ne comprenez pas mon point, monsieur. Je vous dis — et je crois l'avoir admis — qu'il est possible d'avoir un certain nombre d'historiens de grande intégrité qui rédigent un texte au sujet d'un événement et qui en donnent des descriptions différentes. Est-ce exact?
M. Hansen : Tout dépend de l'événement. Au risque de susciter la controverse, un historien, M. David Irving, a tenté de trouver une interprétation au nombre de juifs qui ont été tués au cours de la Seconde Guerre mondiale, un fait qui n'était pas sujet à interprétation. Si je devais soumettre à votre comité que l'Allemagne n'a pas unilatéralement amorcé la guerre, mais qu'elle a été forcée d'entrer en guerre à cause des intentions agressives de ses ennemis, ce qui est le fondement de la propagande nazie, ce débat ne serait pas raisonnable. Cet énoncé est inexact.
Le sénateur Kenny : Je dois revenir à la case départ. Au départ, nous posons ceci : je ne veux pas que vous me fassiez part de points de vue extrêmes d'un côté et de points de vue extrêmes de l'autre pour démontrer que les historiens peuvent agir sans intégrité. Je dis que si les historiens font des recherches appropriées et qu'ils font preuve d'intégrité, n'est-il pas possible qu'ils donnent des descriptions différentes d'un même événement?
M. Hansen : Je dis respectueusement que je comprends parfaitement ce que vous dites, mais nous ne pouvons...
Le sénateur Kenny : Cessez de tourner autour du pot, alors.
M. Hansen : Je ne tergiverse pas. Il est impossible de répondre à cette question de manière générale, de manière abstraite, car malheureusement tout dépend de ce dont nous parlons. Certains développements historiques sont sujets à une plus grande interprétation que d'autres. Les conclusions du Musée canadien de la guerre ne sont pas révisionnistes. Elles ne sont ni radicales ni contraires à l'opinion historique. Elles correspondent clairement aux conclusions de la majorité des historiens qui ont travaillé à cette campagne.
Le sénateur Kenny : Sans aucun doute, mais êtes-vous en train de me dire que les mots utilisés sur cette plaque sont parfaits?
M. Hansen : Les conclusions sont parfaites. Si l'on veut débattre du mot « même », je serai heureux d'en débattre. Par exemple, il serait possible, selon moi, d'éliminer le mot « même » et de conserver le reste de l'énoncé et de préserver la signification importante de l'énoncé. Toutefois, le mot aurait été changé, c'est-à-dire votre critère.
Le sénateur Kenny : Monsieur Bernier, si je puis me référer à votre paragraphe de clôture, vous dites à titre d'historien que tout changement à cette partie de l'exposition pourrait être interprété comme une façon de céder aux pressions politiques. Jusqu'à la fin des temps, si un changement était apporté, vous verriez cela comme « un recul face à des pressions politiques ». Est-ce exact?
[Français]
M. Bernier : Je faisais référence à la controverse actuelle. Évidemment, je ne vous dis pas que dans 50 ans on aura encore la même disposition des artefacts et la même histoire à raconter. Il y aura probablement une nouvelle exposition permanente. C'était simplement par rapport à ce qu'on débat aujourd'hui. J'ai été amené à faire une évaluation personnelle de ce qui se déroulait. Je pensais qu'on en resterait là. Pourtant, aujourd'hui, je me retrouve devant des hommes politiques. Si on effectue un changement, quelqu'un pourrait certainement interpréter ce fait à des pressions politiques.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Avez-vous eu l'occasion de lire la transcription ou de voir la retransmission de la séance au cours de laquelle les représentants du musée ont été entendus par le comité le même jour que M. Granatstein?
M. Bernier : Oui.
Le sénateur Kenny : Avez-vous l'impression qu'ils ont été soumis à des pressions politiques?
[Français]
M. Bernier : Non, chacun présente son point de vue à sa manière.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Avez-vous eu l'impression qu'on les dénigrait ou qu'on leur faisait des remontrances?
[Français]
M. Bernier : Non. L'interprétation éventuelle, que vous allez lire certainement dans un journal, sera qu'on aura quelqu'un — c'est peut-être faux, mais ce sera l'interprétation que l'on donnera.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Il s'agit donc de mettre les choses au point et d'éviter que tout cela soit mal interprété. J'estime pour ma part qu'ils ont été accueillis avec beaucoup de courtoisie. Ils ont eu l'occasion de s'exprimer pleinement, au point même où nous n'avons guère eu le temps de leur poser des questions. Ne pourrait-on pas, sans prétendre qu'il n'y a pas à revenir sur ce qui s'est passé, ne pas laisser entendre non plus que les modifications qui pourraient éventuellement être apportées seraient dues à des pressions politiques. Ne doit-on pas reconnaître, en bonne raison, qu'il y a diverses façons de dépeindre ce qui s'est passé. Je me demande si parmi ces diverses manières, il n'y en aurait pas une qui ne ferait pas injure à ces personnes pour qui nous éprouvons la plus grande estime, qui ont rendu à la nation d'immenses services et qui méritent bien que l'on soigne particulièrement la façon dont on évoque leurs faits d'armes et leurs contrecoups. Ne serait-ce pas possible?
[Français]
M. Bernier : De mon point de vue, oui. C'est ce que j'ai présenté avant et encore un peu aujourd'hui.
[Traduction]
Le sénateur Kenny : Je parlais uniquement du dernier point que vous avez soulevé, lorsque vous nous avez dit que l'on ne reviendrait pas sur ce qui a été fait.
[Français]
M. Bernier : Je comprends. Merci.
Le sénateur Dallaire : Je vous souhaite la bienvenue, messieurs. Général Manson, nous n'avons pas souligné assez souvent le travail que vous avez dû accomplir pour faire construire un musée de la guerre de grande d'envergure. Je vous félicite, ainsi que vos collègues. Nous en sommes très fiers.
[Traduction]
Je tiens à dire carrément qu'après avoir visité l'exposition, la grande majorité des gens qui, de près ou de loin, ont quelque chose à voir avec la chose militaire et la manière dont les opérations peuvent se dérouler en temps de guerre, semblent d'accord qu'il en est en l'occurrence donné une interprétation péjorative.
Abstraction faite de l'exactitude ou non de cette interprétation, les gens qui l'ont vue restent sur une impression manifestement négative en ce qui concerne, certes, la campagne de bombardement, mais en ce qui concerne aussi tous ceux qui y ont participé, et même le rôle joué à l'époque par le Canada. A-t-on bien cherché à présenter les choses de manière équilibrée. A-t-on, par exemple, présenté dans une même optique les bombardements lancés, au début de la guerre, contre les villes anglaises? Présente-t-on, sous un même angle, les deux bombes atomiques larguées sur le Japon par les Américains? Rappelle-t-on que 27 millions de civils ont été tués au cours de la Seconde Guerre mondiale, dont une partie, certes, dans le cadre de la campagne en question? Le bombardement des populations civiles n'est pas, c'est clair, autorisé par les conventions relatives aux droits de la personne ou au droit de la guerre. Cela dit, ce genre d'opérations était, si l'on peut dire, conforme à la norme régissant à l'époque l'emploi de la force dans le cadre d'une guerre totale. Ce n'est pas cependant ce que je retiens de cette exposition. Ce n'est pas la conclusion qui en ressort. J'estime qu'il y a là, dès le départ, un certain déséquilibre.
Cela dit, je tiens à apporter quelques précisions. D'abord, monsieur Hansen, je voudrais évoquer les années que j'ai passées dans les collèges d'état-major, où nous effectuions des simulations stratégiques, nous penchant sur les opérations militaires et sur les choix qui s'offraient, dans le cadre de diverses campagnes, aux commandants. Or, il y avait quelque chose que certains appelaient des hypothèses contrefactuelles. Je ne suis pas certain que ce soit effectivement la nature de l'exercice auquel nous nous livrions, mais il s'agissait d'analyser ce qui s'était passé, ce qui aurait pu se passer, pourquoi le commandant avait opté pour telle solution plutôt que pour telle autre, et comment le commandant avait à l'époque analysé la situation. J'estime que l'analyse des décisions qui ont été prises, des raisons qui les ont motivées, et de la justesse de ces décisions, peut, comme les recherches ou les analyses menées dans d'autres domaines, faire l'objet d'un débat rationnel.
Deuxièmement, l'objet de l'exercice n'est pas de faire plaisir à tout prix aux anciens combattants. Il ne s'agit aucunement de faire en l'occurrence oeuvre d'imagination, mais bien de faire intervenir dans ce forum de la démocratie les points de vue de divers acteurs et de leur donner l'occasion de s'exprimer librement. Dans ce genre de débat, seuls les faits sont sacrés. Ma question s'adresse donc à M. Hansen, au général Manson et à M. Bernier car j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous avez dit au sujet de l'importance de cette exposition, et les arguments que vous avez fait valoir à l'égard des photos. Appartient-il à un musée d'interpréter l'histoire, et de privilégier une interprétation donnée, ou le rôle d'un musée n'est-il pas plutôt d'exposer les faits au moyen d'outils méthodologiques et pédagogiques et de mettre en avant, non pas une interprétation des faits, mais les faits eux-mêmes, car toute interprétation, quels que soient les raisonnements invoqués à l'appui, a quelque chose de conjectural.
Monsieur Hansen, j'aurais beaucoup aimé être un de vos étudiants.
M. Hansen : Vous êtes trop aimable. J'aimerais répondre à ce que vous avez dit, plus généralement, au sujet des ajouts qui pourraient être apportés aux autres expositions du musée. Je ne me sens pas en effet compétent pour me prononcer sur une exposition précise. Je n'ai d'ailleurs rien à y redire de manière générale.
La question de la guerre totale, que vous avez vous-même évoquée, est fréquemment soulevée. Cette guerre a, il est vrai, fait un nombre effroyable de victimes civiles, mais ça n'a jamais été une guerre totale. Il y avait la guerre entre les Russes et les Allemands, et entre les Japonais et les Alliés, mais les Allemands et les Alliés occidentaux ont, d'une manière générale, respecté les conventions de Genève relatives au traitement des prisonniers. Je m'empresse d'ajouter qu'il y a eu, certes, de notables exceptions à ce que je viens d'affirmer. C'est mon côté pédagogue qui ressort, j'en suis conscient. Mais, s'il s'était agi d'une guerre à outrance, rien n'aurait empêché les armées alliées, lorsqu'elles ont pénétré en Allemagne, de faire irruption chez les gens et de massacrer les habitants. Or, nous savons que ce n'est pas comme cela que les choses se sont passées. Tout a été fait pour réduire le nombre de victimes civiles. Je ne suis pas certain que l'on puisse faire avancer le débat en parlant en l'occurrence de guerre totale.
En ce qui concerne la conjecture, je dois dire d'emblée que les historiens ont plutôt tendance à s'en méfier. En ce qui me concerne, je n'y suis nullement opposé mais, alors, il ne faut occulter aucun aspect de la question. Il faut notamment songer à ce qui aurait pu se passer si nous nous étions abstenus de tout bombardement, ou du moins de tout bombardement de zone, nous en tenant à des bombardements sur des objectifs précis. C'est un débat qui nous entraînerait loin, mais qui serait très intéressant sur le plan intellectuel. Ce genre d'exercice vaut la peine d'être mené. On ne sait pas si cela pourrait se faire dans le cadre d'un musée mais, sur le plan intellectuel, ce genre de réflexion est important.
En ce qui concerne l'idée de donner satisfaction aux anciens combattants, je dois dire que je suis tout à fait désolé si j'ai pu donner l'impression que c'est en cela que consistait selon moi la tâche du comité. J'espère sincèrement ne pas avoir donné cette impression. Le comité contribue notablement au débat sur la question, et ses travaux confirment que, comme le rappelle notamment le musée, la question demeure hautement controversée. C'est donc une bonne chose que ce comité existe et que les divers points de vue puissent s'exprimer devant lui. J'espère vraiment ne pas avoir donné l'impression que ce n'était pas mon point de vue.
En ce qui concerne votre dernière question, je pense que le musée a pour mission de présenter les faits plutôt que de les interpréter si tant est qu'il soit possible de distinguer nettement l'un de l'autre.
Gén Manson : Permettez-moi de dire un ou deux mots au sujet de ces questions importantes. Les deux dernières questions que nous posent les membres du comité nous amènent au coeur du problème.
M. Hansen a bien sûr raison de dire que la tâche du musée ne consiste pas à faire plaisir aux anciens combattants. Ceux-ci ont, en cela, un intérêt tout à fait particulier et l'on comprend fort bien leur émotion.
Cela dit, la mission du musée, et la raison d'être de cette exposition, est de dire, complètement et véridiquement, ce qui s'est passé dans le cadre d'un volet important d'une guerre majeure à laquelle le Canada a participé. Ces événements doivent être racontés et le récit qui en est fait doit être exact et complet. Le sénateur Kenny nous a rappelé que les mêmes faits peuvent donner lieu à des interprétations historiques très diverses.
Ce qui me préoccupe dans tout cela c'est que, même si c'est seulement dans le dernier panneau, sous le titre « Une controverse qui persiste », on se trouve face à une interprétation qui est critiquable parce qu'elle privilégie très nettement une seule des thèses en présence. Ce n'est pas ce qu'est censé faire le musée de la guerre.
Le musée de la guerre s'adresse en effet aux visiteurs, c'est-à-dire à une clientèle qui vient s'instruire en parcourant l'exposition. Mais au-delà des personnes qui visitent le musée, il faut songer en outre à la population canadienne tout entière et protéger ses intérêts au niveau de ce qui se passe au Musée canadien de la guerre.
Ce musée est le dépositaire de faits historiques replacés dans le contexte particulier qui est le leur. J'ai eu maintes fois l'occasion de le dire, il s'agit là d'un travail que le musée accomplit admirablement. Nous nous trouvons donc en l'occurrence devant une sorte d'anomalie puisque, dans ce cas précis, on semble avoir mal interprété un pan important de notre histoire. Ce que nous voudrions, nous les anciens combattants mais également, je pense, tous les Canadiens, c'est que la question soit réglée en rétablissant l'équilibre de ce qui est avancé dans le dernier panneau. Cela ne devrait soulever aucune difficulté.
[Français]
M. Bernier : Dans le musée et dans toutes ses activités, disons académiques, les faits sont toujours rapportés. Il se pose une certaine difficulté parce qu'on s'appuie sur des artéfacts et certains faits sont parfois oubliés faute d'artéfacts.
Tout est matière à interprétation. On peut accepter ou non ce qui est présenté au fil de l'exposition permanente. Je suis persuadé que si des historiens font le tour de l'exposition permanente, chacun dira qu'il aurait fait les choses à sa façon. Il faut en arriver à un compromis pour présenter quelque chose qui rallie tout le monde.
On a fait référence à ce qu'on appelle la rébellion du Nord-Ouest. On se rend compte aujourd'hui que dans cet événement il n'y avait pratiquement pas d'ennemis, tout le monde était ami, même s'ils se sont tirés dessus durant quelques jours. On ne peut soulever un débat sur tous les aspects de l'événement, mais il en existe un sur cette partie en particulier.
Je me suis trouvé, par exemple, pris dans un débat, à une université française, sur le bombardement de Caen, qui a eu lieu à l'été 1944. Quelques historiens français étaient d'avis que ce bombardement avait été complètement inutile, ayant causé la mort de 3 000 personnes. Pour leur part, les Canadiens et les Britanniques, qui se trouvaient aux portes de Caen depuis un mois et qui voulaient faire sauter ce verrou ont pensé, à l'époque, que cette tactique était la bonne. Il y eut toutefois un prix à payer et plus tard ils se sont rendu compte que l'effort avait été inutile. Il est toujours plus facile de prendre des décisions avec un recul de 60 ans que sur le moment.
Dans ces musées, on sera toujours pris entre l'académique et le ludique, ce qui est matière à interprétation et au débat.
Le sénateur Dallaire : On touche à un volet sur lequel, à mon avis, on ne met pas suffisamment l'accent.
[Traduction]
Nous discutons ici de la signification historique de l'événement. général Manson, vous avez parlé d'interprétation et de mauvaise appréciation des faits. J'hésiterai beaucoup, en ce qui concerne le musée, à employer de tels termes. Vous avez pris comme exemple la Somalie et les tableaux qui traitent de cette campagne. Or, si ces tableaux étaient, à l'entrée du musée, la première chose qui leur tombait sous les yeux, les visiteurs, je pense, trouveraient cela choquant. Quelle que soit l'importance que l'on attache à un événement, il s'agit de quelque chose qui fait partie de l'histoire des Forces canadiennes. Il s'agit en l'occurrence d'une balafre que l'on peut légitimement évoquer, mais la question est de savoir si la présentation qu'on en fait est équilibrée.
Cela soulève une question de muséologie, c'est-à-dire des techniques au moyen desquelles l'événement est présenté au public. Je ne parle pas, là, de la rigueur scientifique de l'analyse des phénomènes historiques, mais de l'aspect pédagogique de la muséologie. J'estime que, bien que les faits soient effectivement exposés, la faiblesse de la présentation réside peut-être dans les moyens employés, ces moyens ne restituant peut-être pas les faits avec suffisamment de soin, que l'on se place du point de vue de la muséologie ou d'un point de vue pédagogique.
Diriez-vous que ces deux approches, qui se complètent dans la présentation des événements, ont parfois pour effet de projeter une signification qui ne correspond pas toujours pleinement à un contenu néanmoins historiquement exact. Cela ne serait-il pas vrai en l'occurrence?
M. Hansen : En ce qui concerne le sens général de votre propos, dans l'abstrait, ou devrais-je dire théoriquement, je suis entièrement d'accord avec vous. S'interroger à cet égard c'est effectivement répondre à la question dans le contexte qui lui est propre. Cela étant, le panneau en question a-t-il le même effet qu'auraient, s'ils s'offraient à la vue du visiteur, dès qu'il entre au musée, les tableaux somaliens dont vous parliez tout à l'heure? Je ne le pense pas.
Le débat était déjà lancé et j'ai lu, avant de me rendre moi-même au musée, ce que la presse avait à dire de cette exposition. On en retire l'impression que l'on tombe tout d'un coup sur cette exposition, comme ça, un peu au milieu de nulle part, et que c'est tout ce qui nous est dit du Bomber Command, mais, bien sûr, ce n'est pas du tout le cas. En effet, l'exposition consacrée à la guerre aérienne soulève des questions qui méritent d'être posées, et permet de se faire une idée de ce que c'était d'être pilote de bombardier, même si je ne pense pas que l'on puisse vraiment se faire une idée de cela à moins de s'y être trouvé à l'époque. L'exposition évoque également des morts tragiques — c'est ainsi que l'on prend connaissance des lettres écrites à la famille dont le fils a perdu la vie au cours d'un raid aérien.
L'exposition explique bien qu'un des objectifs des bombardements était d'opérer une diversion en obligeant l'ennemi à retirer du front une partie de ses forces pour aller défendre les villes allemandes. Ces opérations ont peut-être pesé sur le cours de la guerre. Si donc l'on prend en compte l'ensemble des expositions présentées au musée, je pense que les faits y sont exposés de manière équilibrée. Si le panneau en question était, effectivement, le seul à évoquer les bombardements aériens, bien que les faits qu'il expose soient historiquement exacts, j'estimerais que les critiques formulées seraient davantage fondées. Étant donné cependant que les autres aspects de la question sont également traités, les critiques adressées à l'exposition me paraissent beaucoup moins justifiées.
Gén Manson : Permettez-moi une petite précision. Il est bien sûr extrêmement difficile pour un musée, pour les muséologues et, plus précisément, pour le Musée canadien de la guerre, de présenter dans un cadre somme toute assez restreint des milliers d'années d'histoire militaire. L'exposition a environ 2,4 kilomètres de long, simplement en sa partie principale. Mais ça ne suffit pas pour faire une présentation intégrale des faits. Le récit est forcément incomplet. Après des années passées dans l'aviation, à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD), tant en Europe qu'au Canada, j'estime que ce pan de l'histoire du Canada aurait pu être présenté de manière sensiblement plus détaillée. Je précise tout de suite cependant que cela est vrai de presque tous les événements de notre histoire militaire.
Je considère que, sauf en ce qui concerne le dernier panneau, la chronique de la guerre aérienne est tout compte fait excellente. C'est pourquoi je ne comprends pas qu'après ce récit fidèle des événements, les organisateurs, dans le panneau final, fasse une impasse complète sur quelque chose qui a puissamment contribué à l'efficacité des opérations de bombardement et présentent en fin de compte une vue déformée des choses.
En ce qui concerne l'exactitude historique, je tiens à dire ceci. À trois reprises M. Hansen a parlé des pilotes aux commandes de ces bombardiers. Il n'est pas le seul. L'historien principal du musée de la guerre a lui-même employé le mot « pilote » pour parler du personnel navigant. En effet, outre les pilotes, il y avait à bord de ces bombardiers des navigateurs, des viseurs de lance-bombes, des opérateurs radio et des bombardiers mitrailleurs. Il ne faut pas l'oublier. Je dis cela car les membres de ces équipages sont un peu horripilés de n'entendre parler que des pilotes. Vous pourriez y voir un point de détail, mais la chose nous paraît importante car elle nous rappelle l'importance, en matière historique, de l'exactitude.
M. Hansen : J'en conviens.
Le président : Sur ce point, les représentants de l'Association canadienne du personnel navigant sont heureux, j'en suis sûr, de vous l'entendre dire.
[Français]
M. Bernier : Cela revient un peu à ce que j'ai déjà dit plus tôt, c'est-à-dire que lorsqu'on entre dans cette salle en particulier sur le bombardement stratégique, un premier panneau résume très bien le tout : le nombre de personnes qui ont été tuées, le fait qu'il y ait eu des dommages collatéraux, et cetera. On se déplace ensuite et on a effectivement les autres explications avec des artéfacts et tout. Puis, tout d'un coup, on arrive à ce panneau.
Comme j'ai dit plut tôt, on a choisi de faire ce débat plutôt qu'un autre. Une pléthore d'autres débats auraient pu voir le jour, mais on a décidé de faire celui-là et il semble qu'il y ait un prix à payer pour cela. De plus, je trouve que les photos nous en disent presque plus que le texte qui nous amène dans une direction seulement.
J'avais également expliqué autre chose plus tôt; à savoir que j'avais suivi leur guide et répondu à certaines des questions dans ma présentation du mois de janvier, mais à certaines occasions on peut se rendre compte qu'on n'a pas tout à fait suivi les directives du guide qui avait été offert aux muséologues.
[Traduction]
Le sénateur Dallaire : En 2005, David Bashow a publié un ouvrage historique intitulé No Prouder Place : Canadians and the Bomber Command Experience, 1939-1945. Je voudrais, afin qu'il soit consigné au compte rendu, en citer un court extrait. L'auteur cite un autre historien, Franklin D'Olier, lui même auteur d'un ouvrage intitulé United States Strategic Bombing Survey.
Si, avant juillet 1944, le bombardement de l'Allemagne n'a guère affecté l'appareil productif de ce pays, ce n'est pas simplement parce que l'Allemagne possédait en réserve des ressources auxquelles elle a pu faire appel, mais parce que notre offensive aérienne n'avait pas encore atteint son plein rendement. À partir du moment où la guerre aérienne contre l'Allemagne a tourné à plein régime, l'effet a été immédiat.
Il y a donc, entre historiens, un débat à ce sujet et il conviendrait de préciser qu'il s'agit bien d'un débat plutôt que de livrer sur ce point une opinion. Or, compte tenu des renseignements présentés, je vous demande si ce n'est pas plutôt, dans le dernier panneau, une opinion qui est offerte au visiteur. Je n'y vois même pas une interprétation des faits car, avec une interprétation, on reste tout de même dans le cadre du débat entre historiens, alors qu'ici je ne vois plutôt qu'une simple opinion. D'après moi, cela ne semble pas témoigner de la cette rigueur intellectuelle que l'on trouve dans d'autres parties du musée.
Ma dernière question s'adresse au général Manson. Il y a eu, à l'époque, un débat quant au nom qu'il convenait de donner au musée, et M. Bernier en a parlé plus tôt. Les responsables du musée ont-ils, à l'époque, donné à l'évocation de la guerre une coloration morale qui aurait peut-être influencé la manière dont a été rédigé le panneau?
Gén Manson : Que cela ait influencé la formulation qui a été retenue, franchement je ne le pense pas, mais vous avez parfaitement raison. Lorsque nous en étions à dresser les plans du musée, nous avons reçu des lettres de plusieurs groupes nous disant : « Comment pouvez-vous envisager de l'appeler musée de la guerre? Il faudrait l'appeler musée canadien de la paix », ce qui aurait été bien sûr ridicule. Ce musée traite de la guerre et c'est donc bien ce nom qu'il fallait lui donner.
On trouve, au Royaume-Uni, l'Imperial War Museum et, historiquement, c'est bien le nom qui lui convient. C'était une polémique inutile, mais nous l'avons prise au sérieux et nous avons beaucoup réfléchi à la question. En fin de compte, nous avons décidé de l'appeler musée de la guerre.
Je ne pense pas que le choix de ce nom ait influencé la manière dont l'histoire du Canada est présentée. J'estime que le nom n'a joué aucun rôle dans tout cela car l'objection formulée sur ce point à l'époque n'était guère fondée.
Le président : Messieurs, vous avez chacun visité l'exposition. Y avez-vous vu mentionner le bombardement de Londres et de Coventry?
M. Hansen : Je ne suis pas sûr.
Le président : Supposons un instant que l'exposition parle effectivement de ces bombardements, et puisque l'exposition porte sur les bombardements stratégiques, on pourrait s'y attendre, mais si l'exposition traite exclusivement du Bomber Command et non pas du thème, plus général, des bombardements stratégiques, peut-être ne parle-t-on en effet pas de Londres et de Coventry.
Gén Manson : Je ne peux pas vous répondre sur ce point. Je pense qu'on parle tout de même des bombardements allemands sur les villes anglaises. Je me souviens d'avoir vu un film montrant les bombes volantes V-1 en route vers l'Angleterre. On en voit même une qu'on a pu abattre, mais les bombardements allemands de villes telles que Londres, Coventry et Rotterdam, ne font l'objet d'aucun traitement particulier.
Le président : C'est justement la question que je voulais aborder. On voit évoquer, dans l'exposition, le bombardement de Londres et de Coventry, mais pas, je crois, celui de Rotterdam. La dernière chose que nous dit le panneau en question, c'est que l'utilité et la moralité des bombardements stratégiques menés contre l'Allemagne demeurent âprement controversées. Cela veut-il dire que les bombardements de Londres et de Coventry ne sont pas, eux, âprement controversés?
M. Hansen : La controverse existe, bien sûr, également sur ce point. En ce qui concerne le bombardement des villes allemandes, une des questions qui se posent, sur le plan purement stratégique et non sur celui de la morale, c'est pourquoi ces bombardements ont eu lieu étant donné leur inefficacité. Après le bombardement de Londres, pensions- nous vraiment que le bombardement de l'Allemagne aurait davantage d'effet? Ajoutons que le bombardement de l'Allemagne était, par rapport au bombardement de l'Angleterre, incomparablement plus intense. Il faut le dire, je pense. Je suis d'accord avec vous.
Le président : Nous sommes, vous le voyez bien, à la recherche d'un certain équilibre et je ne pense pas que le musée ait songé que certains interpréteraient les choses de cette manière. N'est-ce pas un des points à préciser? S'il s'agit de revenir sur les bombardements stratégiques, ne devrait-on pas évoquer l'action des deux bords?
M. Hansen : Rappelons tout de même que le débat ne porte pas sur le bombardement de Londres, dont nul ne conteste l'immoralité, le fait qu'il a frappé aveuglément les populations civiles et, aussi, qu'il s'est révélé inefficace. On aurait beaucoup de mal à trouver, tant en Allemagne que dans les pays anglophones, un auteur raisonnable qui cherche à défendre le bombardement des villes anglaises. S'agissant de dire laquelle des deux offensives aériennes a été la plus critiquée, c'est indéniablement l'offensive allemande. Peu de gens cherchent à défendre la campagne de bombardement contre les villes anglaises.
Le président : Mais il s'agit de l'exposition « Une controverse qui persiste » et d'un débat concernant l'utilité et la moralité des bombardements stratégiques.
Je voudrais maintenant vous demander si, pendant la guerre, lors des événements que nous évoquons ici, les personnels navigants se sont trouvés mêlés à une controverse concernant l'utilité et la moralité des opérations auxquelles ils prenaient part?
Gén Manson : Je peux vous assurer que non. J'ai lu de nombreux livres, des récits faits par des membres des équipages alliés ayant participé à la campagne de bombardement et je n'ai pas une seule fois vu évoquer le sentiment qu'il y avait dans ce qu'ils faisaient quelque chose d'immoral. Ce que l'on constate c'est un certain fatalisme étant donné qu'ils n'avaient que peu de chances d'en sortir indemnes. M. Granatstein nous a rappelé la semaine dernière que pas un seul membre des équipages alliés n'a quitté son escadrille pour cas de conscience.
M. Hansen : Il est vrai que la question ne s'est guère posée parmi les personnels navigants. Au cours de mes lectures, je suis cependant tombé sur certains, des pilotes notamment, qui se demandaient tout de même comment ça se passait à terre, du côté des bombardés, et s'il y avait des enfants parmi les victimes. J'ai à l'esprit le cas d'un pilote qui ne voulait pas bombarder Munster mais à qui on a dit c'est la guerre, il faut l'accepter. Des scrupules se sont manifestés, mais très peu dans l'ensemble et, comme le général l'a rappelé, personne n'a refusé de participer à ces missions, bien qu'ils en aient eu la possibilité.
Le président : L'exposition concerne des individus et, comme vous le disiez tout à l'heure, seuls les membres de ces équipages peuvent vraiment savoir comment ça s'est passé. C'est l'objet du débat et de l'exposition. Puis, enfin, en guise de conclusion, ce thème de la controverse qui persiste. Cette controverse se situe non pas au niveau des équipages, dont l'action est évoquée dans l'exposition, mais à un autre niveau, en effet au niveau politique, au niveau du commandement et non pas au niveau des individus auquel cette exposition est consacrée.
M. Hansen : C'est vrai que le débat se situait au niveau de l'état-major de l'aviation alliée où les responsables n'étaient pas tous d'accord. Certains d'entre eux y voyaient un massacre d'enfants. Là, il y avait effectivement un débat sur la question, mais le débat plus général est venu par la suite, après la fin des bombardements.
Je ne vois pas très bien les conclusions à en tirer. Le débat tient en parti au vécu des équipages chargés de missions de bombardement. Les pilotes le disent bien. Ils volaient à des milliers de pieds d'altitude, avec, arrivant de toutes parts, le tir des défenses antiaériennes. Aucune visibilité, pour eux, de ce qui se passait à terre. Sur le plan de l'éthique, il y a comme un grand vide qui sépare ce qui se passe à bord de ce qui se passe à terre. Si ces pilotes avaient eu, à bord de leurs appareils, une caméra leur permettant de voir ce qui se passait plus bas, ils auraient vu des mères qui fuyaient avec leurs enfants, qui cherchaient à sortir de la cave où elles s'étaient réfugiées, un enfant décapité par la chute d'un pan de mur, et c'est alors qu'on aurait vu se manifester des scrupules. Il faut tenir compte de la manière dont les choses se sont passées. Les pilotes des bombardiers ne voyaient en effet pas ce qui se passait plus bas.
Le président : J'aurai eu une dernière question très brève à vous poser, mais je vais passer la parole à mon collègue le sénateur Atkins qui a lui-même une question à poser. Il nous reste quatre minutes environ.
Le sénateur Atkins : Merci, monsieur le président. Je fais partie de ce sous-comité depuis un certain nombre d'années et je n'ai jamais pensé qu'un jour j'assisterais à un débat comme celui-ci. On se trouve en effet dans l'impasse puisque tant d'un bord que de l'autre, chacun campe sur ses positions. Je m'adresse au général et je lui demande comment sortir de l'impasse?
Gén Manson : C'est effectivement la question qui se pose et qui se pose depuis deux ans. Il faudrait la résoudre. La réputation du musée est engagée non seulement dans l'esprit des anciens combattants, mais dans l'esprit aussi des forces canadiennes et de simples citoyens. En l'occurrence, le musée se voit reprocher ce que certains appellent son entêtement et son refus de reconnaître le rôle joué, il y a plus de 60 ans, par ces équipages courageux. La solution est simple. Il faudrait que quelqu'un de bien disposé se réunisse avec des gens du musée et rédige une nouvelle version du panneau en question. Je l'aurais volontiers fait moi-même, d'autres aussi. Il est possible en effet de s'entendre sur une formule acceptable aux deux parties et qui permettrait à chacun de sauver la face.
Si l'on n'y parvient pas, la querelle va se poursuivre, ce qui serait tout à fait regrettable tant pour le Musée canadien de la guerre que pour les anciens combattants et l'histoire militaire du Canada.
Le sénateur Atkins : Nous avons pour tâche de rédiger un rapport, mais non d'écrire l'Histoire.
Comment devrions-nous procéder?
Gén Manson : On pourrait réunir dans une salle les principaux intéressés, fermer la porte à clé et leur dire qu'ils ont deux heures pour convenir d'une nouvelle rédaction. Je me porte volontaire. Je suis persuadé qu'on y arriverait.
Le président : Nous le sommes aussi. Nous ne sommes pas ici pour réécrire l'Histoire. Nous ne sommes pas des révisionnistes. Nous soutenons l'activité du Musée canadien de la guerre et nous constatons qu'un des panneaux de l'exposition livre peut-être une interprétation qui n'était pas voulue au départ puisque l'exposition porte sur le Bomber Command alors que le panneau en question semble soulever la question, beaucoup plus vaste, de la moralité des bombardements stratégiques. Or il s'agit, me semble-t-il, de deux choses différentes puisqu'un débat sur les bombardements stratégiques n'entre pas vraiment dans le cadre d'une exposition sur le Bomber Command.
Le panneau en question est le dernier, juste avant la sortie. C'est donc l'impression qui est laissée au visiteur. Je sollicite vos observations sur ce point. La chose me paraît importante puisque c'est sur cela que se termine le parcours de l'exposition. Le visiteur a sous les yeux, en partant, cette grande photo d'une zone dévastée par les bombes, puis ce commentaire concernant la moralité et l'utilité de ce qu'on lui a montré jusque-là.
Je ne peux malheureusement pas vous demander de vous prononcer sur ce point en direct, mais vous pourriez peut- être nous écrire afin de proposer un nouveau texte pour ce dernier panneau. Ça mérite réflexion et j'essaierai d'en reparler la semaine prochaine avec nos nouveaux invités. Nous accueillerons notamment l'auteur du livre cité par le général Dallaire et nous pourrons donc poursuivre le débat.
Général Manson, monsieur Hansen et monsieur Bernier, je vous remercie.
La séance est levée.