Aller au contenu
ANTT - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 1 - Témoignages du 3 décembre 2007


OTTAWA, le lundi 3 décembre 2007

Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, qui est saisi du projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (investigation et engagement assorti de conditions), se réunit aujourd'hui à 13 heures pour examiner ce projet de loi.

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, avant d'entendre nos témoins, je voudrais vous présenter Laura Barnett, notre nouvelle conseillère et attachée de recherche de la Bibliothèque du Parlement. Wade Riordan Raaflaub, qui était avec nous auparavant, a déménagé en Alberta.

Honorables sénateurs, aux deux dernières sessions, les membres du comité ont examiné en détail la Loi antiterroriste. Au cours de nos travaux, nous avons entendu plus de 140 témoins. Nous avons déposé, plus tôt cette année, un rapport comportant 40 recommandations relatives aux dispositifs canadiens de lutte contre le terrorisme.

Ce rapport couvre un peu plus que le seul projet de loi S-3. En effet, la mesure législative a été divisée entre les projets de loi S-3 et C-3, si bien qu'elle provient en partie de la Chambre des communes et en partie d'ici : le rapport englobe le tout.

Quand elle a été adoptée, la Loi antiterroriste comportait une mesure de temporarisation pour les dispositions relatives aux investigations et aux engagements assortis de conditions. Ces dispositions ont cessé d'avoir effet en mars dernier.

Le gouvernement a déposé un projet de loi pour remettre en œuvre ces dispositions, et c'est pourquoi nous sommes ici aujourd'hui. Notre but, c'est non pas de réétudier la Loi antiterroriste dans son intégralité ni de refaire le travail qui a déjà été fait, mais d'examiner ce texte législatif et de le modifier au besoin.

Nous avons été heureux que le projet de loi S-3 soit présenté au Sénat, et nous sommes enchantés que notre premier témoin soit l'honorable Robert Douglas Nicholson, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il est accompagné d'Yves Parent, avocat-conseil, et de Glenn Gilmour, avocat, tous deux de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice.

Honorables sénateurs, nous avons peu de temps, car monsieur le ministre doit quitter les lieux au plus tard à 14 heures pour assister à la période de questions de la Chambre des communes. Je vous demanderais donc d'être brefs et d'aller droit au but.

Bienvenue, monsieur le ministre. C'est très gentil à vous d'être venu à si court préavis. Nous avons hâte d'entendre ce que vous avez à nous dire.

L'honorable Robert Douglas Nicholson, C.P., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour parler du projet de loi S-3. Je voudrais remercier le comité d'avoir travaillé si fort, au cours des deux dernières sessions parlementaires, à examiner les questions liées à la Loi antiterroriste. L'étude exhaustive qu'a faite votre comité sur cette loi et son application est importante; elle a permis de produire en février dernier un rapport réfléchi, pondéré et fondamental sur la question.

Vous n'avez pas demandé de réponse du gouvernement, mais soyez assurés que mon ministère, celui de la Sécurité publique et bien d'autres ministères et organismes gouvernementaux ont entrepris d'étudier et d'analyser vos recommandations en détail.

Nous sommes réunis aujourd'hui pour discuter du projet de loi S-3, sur lequel porte une partie de votre étude approfondie, comme vous l'avez indiqué tout à l'heure. Ce projet de loi présente, dans leur forme modifiée après réexamen, les pouvoirs prévus par la Loi antiterroriste concernant les investigations et les engagements assortis de conditions.

Le projet de loi C-3 permet le témoignage forcé d'un témoin — non pas d'un accusé; il y a parfois confusion à ce propos — lorsque le juge est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de terrorisme a été ou sera commise et que le témoin détient des renseignements pertinents.

Le projet de loi S-3 permet à un agent de la paix de demander à la cour d'exiger ce qui constitue, essentiellement, un engagement de ne pas troubler l'ordre public. En règle générale, un agent de la paix peut déposer une dénonciation devant un juge de la cour provinciale pour imposer à une personne un engagement assorti de conditions s'il a des motifs raisonnables de croire qu'une activité terroriste sera entreprise et de soupçonner que l'imposition d'un engagement assorti de conditions est nécessaire pour éviter que l'activité terroriste ne soit entreprise. Le juge peut alors obliger la personne à comparaître au moyen, par exemple, d'une sommation.

Le juge peut ordonner que la personne contracte l'engagement assorti de conditions s'il est convaincu par la preuve apportée que les soupçons de l'agent de la paix sont fondés sur des motifs raisonnables. Dans certaines circonstances précises, par exemple lorsque l'agent de la paix a des motifs raisonnables de déposer une dénonciation mais que l'urgence de la situation rend difficilement réalisable le dépôt d'une telle dénonciation, l'agent de la paix peut, sans mandat, arrêter la personne en vue de la conduire devant un juge, en général dans un délai de 24 heures.

Dans son rapport principal de février 2007, votre comité reconnaît, à propos de ces pouvoirs, qu'« il est très difficile de trouver un juste équilibre entre la protection de la sécurité nationale et le respect des droits et libertés individuels dans le contexte de la lutte contre le terrorisme ».

Cet équilibre est effectivement difficile à trouver, mais je pense qu'on y est parvenu dans le projet de loi S-3.

Il ne s'agit pas de pouvoirs extraordinaires du point de vue du droit canadien ni par rapport aux pouvoirs de lutte contre le terrorisme qui existent dans d'autres pays développés démocratiques. Les dispositions concernant le pouvoir d'imposition d'un engagement assorti de conditions, par exemple, ont été inspirées par le Code criminel. En effet, celui- ci prévoit notamment, au paragraphe 810(1), le pouvoir d'exiger qu'une personne contracte l'engagement de ne pas troubler l'ordre public — pouvoir souvent invoqué pour imposer des conditions lorsqu'on veut prévenir des préjudices corporels. C'est sans doute surtout dans les cas de violence familiale qu'on a recours à cette disposition. Le paragraphe 810(1) du Code criminel prévoit un mécanisme d'engagement similaire pour assurer la protection des enfants contre les infractions sexuelles.

Quant au projet de loi S-3, il permet au juge de rendre une telle ordonnance pour prévenir l'exécution d'activités terroristes.

Comme les dispositions concernant les engagements assortis de conditions donnent le pouvoir d'arrêter une personne, et ce, même sans mandat dans certaines circonstances, on parle souvent d'« arrestation préventive » en l'occurrence. Je vous rappelle que le but ultime n'est pas de détenir la personne mais de lui imposer, avant de la libérer, des conditions visant à prévenir des activités terroristes.

Quoi qu'il en soit, le pouvoir d'arrêter une personne sans mandat est strictement limité; en principe, la détention doit durer au maximum 72 heures, soit 24 heures pour conduire la personne devant le juge et au plus 48 heures pour un éventuel ajournement. C'est seulement si la personne omet ou refuse de contracter l'engagement qu'on peut lui infliger une peine de prison pouvant aller jusqu'à 12 mois.

Comme vous l'avez constaté dans le cadre de vos travaux, il y a des pays qui vont beaucoup plus loin. En Grande- Bretagne, par exemple, un agent de la paix peut arrêter une personne sans mandat s'il a des motifs raisonnables de la soupçonner d'être terroriste, et cette personne peut être détenue jusqu'à 28 jours sans qu'aucune accusation n'ait été portée contre elle. Je sais que le comité s'est rendu à Londres dans le cadre de ses travaux et pendant les débats de la Chambre des communes britannique sur la prolongation de la période de détention, qui était auparavant de 14 jours. Comme vous le savez, la proposition du gouvernement consistant à étendre cette période à 90 jours a été rejetée, au lieu de quoi une période de détention de 28 jours a été adoptée. Toutefois, le premier ministre Brown semble indiquer qu'un projet de loi visant à passer de 28 à 56 jours pourrait être déposé. Le projet de loi S-3, en revanche, conserverait au Canada sa limite de 72 heures pour ce genre de détention.

Je voudrais aussi aborder un point qui a été soulevé pendant le débat de la deuxième lecture au Sénat : les dispositions du paragraphe 83.3(7) régissant la mise en liberté dans le cas d'une arrestation pour imposition d'engagement assorti de conditions, qui, lorsqu'elles ont été rédigées fin 2001, s'inspiraient de celles de l'article 515 du Code criminel relatives à la mise en liberté provisoire ou sous caution. Comme le sénateur Baker l'a fait remarquer, sans consulter ses notes, dans son discours en deuxième lecture, une partie de l'article 515 a été jugée trop générale par la Cour suprême du Canada en 2002, dans l'arrêt Regina c. Hall. Pour bien appliquer cet arrêt et résoudre le problème, je puis vous confirmer que le gouvernement proposera un amendement concernant les pouvoirs liés à l'imposition d'engagements assortis de conditions.

En ce qui concerne les investigations, bien que les témoignages forcés soient nouveaux dans le système de justice pénale canadien pour l'étape de l'enquête, ils ont toujours été acceptés à l'étape du procès. Par ailleurs, la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, qui est plus ancienne que la Loi antiterroriste, prévoit un mécanisme qui permet aux autorités canadiennes d'obtenir des témoignages par la contrainte pour d'autres pays. Parmi nos alliés, l'Australie et l'Afrique du Sud ont instauré des mécanismes similaires. Les États-Unis ont depuis longtemps leur système du grand jury. Le Royaume-Uni, quant à lui, a érigé en infraction pénale le fait de ne pas divulguer à un agent de la paix des renseignements pertinents relatifs à une infraction de terrorisme — mesure sans doute bien plus draconienne d'aborder le problème du témoin réticent.

De plus, en 2005, le Royaume-Uni a inclus les enquêtes liées au terrorisme dans les dispositions relatives au préavis de divulgation du Serious Organised Crime and Police Act selon lesquelles les personnes qui reçoivent un tel préavis doivent fournir les renseignements exigés à l'autorité chargée de l'enquête. Par exemple, un directeur des poursuites pénales qui refuse de transmettre ces renseignements commet une infraction.

Maintenant que j'ai expliqué ces pouvoirs dans le contexte juridique canadien et international, je veux aborder les mesures de protection en matière de droits de la personne qui sont contenues dans ce projet de loi. Commençons par l'investigation.

Comme vous l'avez constaté en menant l'étude sur la Loi antiterroriste, le recours à l'investigation est strictement limité. Les investigations sont contrôlées du point de vue juridique. Seul un juge du tribunal provincial ou de la cour supérieure de juridiction criminelle peut entendre la demande d'investigation présentée par un agent de la paix. Il faut au préalable obtenir le consentement du procureur général du Canada ou encore du procureur général ou du solliciteur général de la province. Le juge doit être convaincu que des efforts raisonnables ont été déployés pour obtenir l'information par d'autres moyens. Le juge peut stipuler n'importe quelle condition qui, selon lui, peut aider à protéger les intérêts du témoin ou du tiers parti. Le témoin a le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat à n'importe quel moment au cours de la procédure. Quelqu'un peut refuser de répondre à une question ou de remettre une chose si cela irait à l'encontre du droit canadien applicable en matière de privilèges ou de communication de renseignements protégés. Aspect qui est peut-être le plus important, les preuves incriminantes obtenues pendant un témoignage forcé, ce qui comprend les preuves dérivées, ne peuvent pas être utilisées contre quelqu'un pendant une procédure pénale, sauf dans une poursuite pour parjure et pour avoir donné des preuves contradictoires.

Le dernier élément montre clairement en quoi consiste vraiment l'investigation. En effet, l'investigation vise à obtenir d'un témoin, et non d'un accusé, des renseignements importants qui peuvent sauver des vies. En fait, la Cour suprême du Canada, en confirmant la constitutionnalité de l'investigation en 2004, a cité une exemption constitutionnelle selon laquelle une investigation ne peut pas être tenue quand elle vise principalement à déterminer la responsabilité pénale de la personne interrogée.

Je sais que le comité a entendu de nombreux témoins en ce qui a trait à l'auto-incrimination dans le contexte des investigations, mais la Cour suprême du Canada a confirmé clairement que les mesures de protection des droits de la personne sont complètement respectées et qu'en fait, la loi va au-delà des exigences de la jurisprudence de la Charte.

Le pouvoir d'engagement assorti de conditions offre de nombreuses mesures de protection semblables. Il faut, par exemple, le consentement du procureur général du Canada ou encore du procureur général ou du solliciteur général de la province.

Je veux également faire remarquer au comité qu'une personne mise sous garde doit comparaître devant un juge provincial sans retard justifié et, de toute façon, dans les 24 heures, à moins qu'un juge ne soit pas disponible pendant cette période. Dans ce dernier cas, la personne doit comparaître devant un juge le plus tôt possible. L'audience, si elle est suspendue, doit être tenue dans les 48 heures.

Seule une personne qui refuse de contracter un engagement peut être incarcérée. Elle a le droit d'être représentée par un avocat pendant la procédure et d'être protégée en vertu des dispositions de la Charte qui se sont toujours appliquées au contexte des procédures liées à l'engagement.

Comme je l'ai mentionné, ces dispositions ont été modifiées par suite des recommandations formulées par le comité et par le sous-comité de la Chambre des communes. Le gouvernement a précisément accepté de mettre en œuvre la recommandation du Sénat suivante : « Que le procureur général du Canada inclue, dans chacun des rapports annuels portant sur le recours aux audiences d'investigation et aux engagements assortis de conditions ou arrestations à titre préventif, une déclaration et une explication indiquant clairement si de telles dispositions sont toujours justifiées. »

En fait, en ce qui a trait au pouvoir d'arrestation sans mandat lié à l'engagement assorti de conditions, l'obligation concerne aussi maintenant le ministre de la Sécurité publique.

Le comité a aussi recommandé des dispositions de trois ans avec possibilité de prolongation au moyen d'une résolution adoptée par les deux chambres. Le projet de loi S-3 prévoit que ces pouvoirs cesseront d'exister s'ils ne sont pas prolongés au moyen d'une résolution après cinq ans.

Le gouvernement convient donc que le Parlement doit réaliser un examen supplémentaire pendant ces années, mais nous croyons qu'une période de cinq ans est appropriée.

Le comité devrait aussi remarquer la formulation du paragraphe 83.32(2) en ce qui a trait à la résolution qui doit être déposée auprès du Parlement pour prolonger la durée des dispositions. Nous avons modifié cette disposition dans le but explicite de prolonger un seul pouvoir tandis que l'autre cesserait d'avoir effet. Ainsi, les pouvoirs ne doivent pas nécessairement être liés. Si l'examen parlementaire supplémentaire recommandé par le comité avait lieu, il permettrait d'inspirer la décision du gouvernement à cet égard.

Le sous-comité de la Chambre des communes a formulé diverses recommandations dans un rapport provisoire qui porte uniquement sur ces dispositions. Le projet de loi contient la plupart des recommandations du sous-comité, qui visaient à préciser la loi; il s'agissait en fait de modifications de forme.

La Chambre des communes s'est également inquiétée de la détention possible des témoins pendant le processus d'investigation; par conséquent, nous avons ajouté le paragraphe 83.29(4), qui explique que les dispositions générales du Code criminel sur la détention de témoins s'appliquent au processus d'investigation. Alors que le sous-comité de la Chambre exigeait un examen obligatoire de ces dispositions, le projet de loi propose plutôt que le Parlement détermine l'opportunité et les modalités de cet examen.

Le projet de loi S-3 assortit le processus d'investigation d'une autre mesure de protection qui n'a pas été exigée par les comités et qui, et je suis sûr que vous serez d'accord, améliore la mesure législative. Conformément à la loi initiale, le juge doit être convaincu que tous les efforts raisonnables ont été déployés pour obtenir l'information de la personne quand l'agent de la paix a mené son enquête sur un geste terroriste qui n'avait pas encore été commis.

Le projet de loi S-3 accroît l'obligation de l'agent de la paix de deux façons. D'abord, l'agent doit maintenant démontrer que des efforts raisonnables ont été déployés pour obtenir l'information par d'autres moyens, pas seulement de la personne concernée.

Puis, le projet de loi S-3 établit cette obligation lors d'une investigation sur une ancienne infraction de terrorisme. Donc, nous veillons à ce que le recours à l'investigation se limite aux situations où des efforts raisonnables, mais infructueux, ont été déployés pour obtenir l'information par d'autres moyens.

Le présent comité, dans son rapport supplémentaire du 28 mars 2007, a demandé au gouvernement de considérer la réforme antiterroriste comme un tout exhaustif. Le comité nous a demandé d'étudier la décision Zarqawi de la Cour suprême ainsi que d'autres recommandations ressortant de votre étude, y compris les pouvoirs accordés par le projet de loi S-3.

Je suis heureux que nous ayons pu déposer ce projet de loi en même temps que le projet de loi C-3, qui modifiera la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés afin d'intégrer un défenseur spécial dans le processus de certification de sécurité et d'apporter les modifications nécessaires pour protéger notre sécurité nationale tout en respectant les droits de la personne.

Je veux également vous assurer que nous travaillons à d'autres changements possibles aux mesures antiterroristes du Canada en ne perdant pas de vue, par exemple, les recommandations formulées par votre comité et par le sous-comité de la Chambre des communes. Cela dit, des problèmes connexes nous empêchent d'examiner simultanément ces diverses questions. Par exemple, l'enquête Air India est en cours et nous ne voudrions pas devancer les examens et recommandations possibles du juge Major. J'estime qu'il est tout à fait raisonnable que le comité se penche sur les questions de sécurité nationale dans leur ensemble, et c'est ce que nous tentons de favoriser en déposant les projets de loi C-3 et S-3 en début de session.

Toutefois, comme je l'ai mentionné, nous ne pouvons pas étudier maintenant toutes les questions qui ressortent de l'étude de la Loi antiterroriste. De plus, vous connaissez très bien les échéances serrées imposées par la Cour suprême du Canada en ce qui concerne les certificats de sécurité. Le gouvernement croit aussi que la remise en vigueur de ces dispositions de temporarisation est tout aussi importante. La police, nos homologues provinciaux et les familles des victimes de l'écrasement d'Air India nous ont tous indiqué que ces pouvoirs étaient nécessaires. Je suis convaincu que les membres du comité se rappelleront aussi du témoignage de ces familles devant eux à l'automne 2005. Elles nous ont demandé d'améliorer notre capacité d'application de la loi, particulièrement en ce qui concerne les pouvoirs d'investigation pour résoudre le problème des témoins hésitants.

En conclusion, je vous remercie de l'invitation et de l'intérêt manifesté pour les questions importantes qui ont été abordées. Mes collaborateurs et moi sommes prêts à répondre à vos questions et à entendre vos commentaires.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre. J'ai une seule question et je souhaite la poser tout de suite puisqu'elle concerne la première recommandation.

Vous avez dit que vous ne pouviez pas aborder tout ce qu'il y avait dans les rapports, mais la première recommandation que nous avons faite concernait la définition du terme « activité terroriste », selon laquelle toute action ou omission doit avoir été commise « au nom — exclusivement ou non — d'un but, d'un objectif ou d'une cause de nature politique, religieuse ou idéologique ».

Nous avons entendu beaucoup de gens qui s'opposent à cette définition, en partie parce qu'ils ont l'impression que la définition oblige la Couronne à faire la preuve qu'il existe un motif idéologique, religieux ou politique et à établir le mobile. Beaucoup considèrent que cette définition favorise le profilage racial. Il nous semble — et nous sommes unanimes sur ce point — que, si c'est une activité terroriste, le mobile est sans pertinence.

Je me demande s'il y a une raison pour laquelle vous ne vous êtes pas penchés sur ce point ou si cette question sera abordée en temps voulu. Quelle est la raison, maintenant que nous traitons de nouveau de l'affaire, pour laquelle vous avez choisi de ne pas y donner suite maintenant?

M. Nicholson : Il existe, espérons-le, un motif rationnel qui justifie ce que nous choisissons de faire, sénateur, ou ce que nous choisissons de ne pas faire. Comme vous l'avez fort bien mentionné, dans certains cas, nous ne sommes pas allés aussi loin qu'il aurait été possible d'aller en raison de l'enquête sur la tragédie d'Air India. Cette affaire, comme vous le savez, est actuellement devant les tribunaux. Encore une fois, j'hésite à me prononcer tant qu'il n'y aura pas de jugement formel. C'est en partie pour cela qu'il semble y avoir une hésitation, sénateur. Peut-être que M. Parent souhaite ajouter quelque chose à ce sujet?

Yves Parent, avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice canada : Essentiellement, je réitère ce que le ministre a dit. Étant donné que l'affaire est devant les tribunaux, il est préférable de ne pas faire de commentaires, comme vous le savez.

Le président : Je souhaitais seulement indiquer que cette question est importante pour nous.

Le sénateur Baker : D'abord, j'aimerais féliciter le ministre d'avoir pris en considération la suggestion du Sénat formulée il y a deux semaines à peine, lorsque les sénateurs ont proposé, en chambre, d'apporter un changement important à ce projet de loi et de supprimer le passage « il est démontré une autre juste cause et, sans préjudice de ce qui précède... ». La proposition a été formulée, il y a environ deux semaines, non pas par la Chambre des communes mais par le Sénat, et cela représente une modification importante à la mesure législative.

Monsieur le ministre, une autre proposition a été formulée au Sénat, compte tenu des décisions de la Cour suprême du Canada, puisque ce projet de loi a été déposé initialement en décembre 2001. Si je me souviens bien, la Cour suprême du Canada a rendu trois décisions. Dans l'une d'entre elles, elle demandait de vérifier que l'investigation ne contrevient pas à l'article 7 de la Chartre, ce que le ministre vient tout juste de faire remarquer. Cependant, le vote a été de cinq contre quatre. Je voulais tout simplement le souligner au ministre.

M. Nicholson : L'appel a tout de même été accueilli.

Le sénateur Baker : Tout à fait, il n'y a pas de doute. C'est la loi.

Le ministre a fait référence à une des deux autres décisions il y a quelques instants, dans la foulée de la recommandation du Sénat de supprimer ce passage répréhensible du projet de loi, ce qu'il entend faire.

L'autre décision concerne le principe d'audience publique dans l'affaire du Vancouver Sun (Re).

Le paragraphe 57 de la décision de la Cour suprême du Canada — que j'ai sous les yeux — propose une modification.

Ce que la Cour suprême du Canada a statué est clair. Voici ce qu'on y lit :

d'ordonner que le nom de la personne désignée soit divulgué;

d'ordonner que l'investigation judiciaire proposée se déroule en public, sous réserve de toute ordonnance du juge qui préside que le public soit exclu ou que certains aspects du témoignage de la personne désignée fassent l'objet d'une interdiction de publication.

Monsieur le ministre, voilà en réalité la deuxième proposition faite au Sénat il y a deux semaines en vue d'améliorer le projet de loi. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

M. Nicholson : Merci beaucoup, sénateur Baker. Vous avez couvert deux points. Nous portons attention à ce que vous et vos collègues dites au Sénat sur ces projets de loi. Je me suis donné beaucoup de mal pour dire, me semble-t-il, que vous avez déployé beaucoup d'efforts sur cette question et sur d'autres questions; il n'est que logique de prendre en considération vos propositions et d'écouter ce que vous avez à dire. Comme je l'ai mentionné également la semaine dernière lorsque le Sénat a été saisi d'un projet de loi, nous tentons de prendre en considération ces propositions.

Vous avez mentionné le fait que la Cour suprême du Canada a prononcé un certain nombre de décisions, dont celle sur l'appel concernant l'investigation judiciaire qui a été accueilli à cinq contre quatre; quoi qu'il en soit, ça demeure cinq contre quatre. C'est une décision en faveur de l'investigation judiciaire. Encore une fois, j'ai fait allusion à ces investigations dans mon introduction.

Vous avez également parlé d'une autre proposition que vous avez formulée concernant l'affaire du Vancouver Sun (Re) et, de nouveau, vous avez cité la Cour suprême du Canada, sénateur. Cependant, nous devons prendre des décisions en la matière et, à notre avis, la codification de ces recommandations n'était pas nécessaire puisque les lignes directrices avaient été établies par la Cour suprême du Canada. Je crois qu'elles indiquaient les paramètres à suivre. Nous sommes d'avis que la décision était suffisante en ce qui concerne l'établissement des lignes directrices.

Mon collègue, M. Parent, est également au courant de l'affaire. Souhaitez-vous ajouter quelque chose?

M. Parent : Oui, c'est avec plaisir que je vais formuler des remarques complémentaires. Merci, monsieur le ministre.

En gros, comme vous le savez, il s'agit du principe d'accès du public à l'audience. Ce principe est bien accepté. Toutes les audiences du tribunal sont tenues publiquement. Le public y a accès et il n'existe aucune raison, en soi, de tenir une audience ex parte ou à huis clos.

Dans l'affaire du Vancouver Sun, les juges ont dit qu'ils avaient rendu une décision pour chacun des trois volets : conférence préalable à l'audience, audience et conférence consécutive à une audience. En ce qui concerne la conférence préalable à l'audience, la Cour a statué que, lorsqu'un agent de la paix demande le dépôt d'une dénonciation, il se produit une situation qui s'apparente à ce qui arrive avec un mandat de perquisition. Ces questions sont habituellement abordées, comme c'est le cas avec un mandat de perquisition dans le Code criminel. C'est-à-dire que ces procédures judiciaires se déroulent normalement ex parte, soit à huis clos. Il n'y a rien de nouveau à cet égard.

En ce qui concerne l'audience, il y a évidemment un problème lorsqu'une requête a été déposée afin d'obtenir une audience ex parte ou à huis clos et qu'il s'agit de déterminer si l'audience sera publique.

De telles requêtes sont justement déposées en raison du principe d'accès du public aux audiences. En pareil cas, la décision de la Cour suprême du Canada stipule, essentiellement, qu'il faut appliquer le critère de Dagenais/Mentuck qui établit les paramètres, comme nous l'a indiqué le ministre. Ces paramètres sont bien définis dans ces décisions.

Enfin, en ce qui concerne la conférence consécutive à une audience, il n'y a aucun problème si l'on présume que la décision du juge concernant la requête sera : « Non, l'audience se déroulera en public. Je refuse la requête. » Cependant, que se produit-il si un juge décide que « oui, il y matière à tenir l'audience ex parte »?

En conséquence, le public sort, et l'audience se tient à huis clos. Ce qui se passe alors et ce qu'ont dit les juges de la Cour suprême, c'est que même si l'audience est terminée, le juge reste dans l'obligation d'examiner les preuves qui ont été présentées afin de déterminer si certaines d'entre elles peuvent être rendues publiques. Dans l'affirmative, le juge doit veiller à les rendre publiques.

Je suis d'accord avec la formulation du sénateur Baker parce qu'il a correctement cité la Cour suprême du Canada. Toutefois, celle-ci a également déclaré :

Il est fort possible qu'une grande partie des investigations judiciaires soient, par nécessité, tenues secrètes. Il est également fort possible que leur existence même doive parfois demeurer secrète.

Il faut comprendre pourquoi il est important de maintenir le secret. Si l'on procède à une investigation concernant un événement grave comme la perpétration d'un acte terroriste, il importe de garder secrets les éléments de l'investigation pour que les personnes qui préparent ces activités terroristes ne soient pas alertées, car cela risquerait de faire échouer l'investigation.

Les éléments qui sont protégés et dont on parle dans l'arrêt Dagenais/Mentuck ne sont pas différents de ceux dont il est question dans les procédures actuelles en droit pénal. L'article 47.3 prévoit des cas où le juge prononcera une interdiction de publication pour protéger, lorsqu'il y a un mandat de perquisition, l'identité de l'individu. On peut taire le nom d'un témoin ou d'un informateur afin de protéger les renseignements obtenus dans le cadre de l'investigation.

Ainsi, essentiellement, comme l'a souligné notre ministre, il ne serait pas approprié et il pourrait s'avérer difficile d'ajouter un article au Code criminel pour régler cette question, alors qu'il existe déjà des paramètres précis établis par la Cour suprême.

Le président : Sénateur Baker, comme le ministre doit quitter dans 22 minutes, nous pourrions revenir sur ce point plus tard et en discuter avec M. Parent. Nous voulons donner aux sénateurs l'occasion de poser des questions au ministre, si vous n'y voyez pas d'objection.

Le sénateur Barker : Tant que le président reconnaît que le fonctionnaire n'a pas répondu à ma question. Il y a fait allusion, mais il n'y a pas répondu de manière concrète.

Le sénateur Segal À l'instar du sénateur Baker, je félicite le gouvernement de s'être efforcé de se conformer aux décisions de la Cour suprême et de tenir compte des conseils de notre comité. Ces conseils n'étaient pas les miens, car je ne fais partie du comité que depuis tout récemment. C'est pourquoi mes questions ne sont pas aussi nuancées que celles de mes collègues qui ont plus d'expérience.

Monsieur le ministre, les lois antiterroristes sont généralement établies à la demande de la police et des organismes de sécurité. Ils disent en avoir besoin et ne pas pouvoir effectuer leur travail sans elles; ils affirment que nous nous exposons à des dangers extrêmes si nous ne nous dotons pas de ces lois. Selon vous, en sommes-nous rendus là en tant que société?

Je me souviens de la Loi sur les mesures de guerre et de l'arrestation au milieu de la nuit, sur les recommandations de fonctionnaires et de la police, de centaines de personnes qui n'ont jamais été inculpées.

M. Nicholson : Sénateur, je suppose que c'est un guêpier dans lequel nous pourrions tomber.

Il me semble qu'il s'agit d'une réponse à un problème mondial croissant et, effectivement, c'est ce qu'était la loi antiterroriste initiale. Une partie de notre tâche — et je me répète — consiste à tenter de surmonter les nouveaux problèmes qui se dressent devant nous. Je crois avoir mentionné à certains d'entre vous que, lorsque j'ai présenté les changements proposés à la mesure législative en matière de vol d'identité, un journaliste m'a demandé si nous tentions par cette mesure de devancer les criminels. J'ai répondu que, dans de nombreux cas, j'essayais simplement de les rattraper. C'est ce que nous essayons de faire. Nous tentons de maîtriser la situation. Nous voyons des tendances se dessiner et nous sommes conscients des défis que doivent affronter notre société et les responsables de l'application de la loi. C'est pourquoi nous essayons de concevoir des mesures qui permettront de faire face à ces tendances et à ces défis.

Ces mesures, avec quelques modifications, faisaient le plus souvent partie intégrante de la loi et, évidemment, elles ont cessé d'avoir effet. Nous les avons rétablies, même si certains protestent parce que ces pouvoirs n'ont pas été utilisés; mais ce n'est pas une raison de ne pas les rétablir. Nous avons besoin de ces outils. Comme je l'ai indiqué dans ma déclaration, les organismes d'application de la loi, les provinces et ceux qui étudient cette question, dont le comité, estiment que ces pouvoirs offrent un moyen raisonnable de parer aux difficultés qui se dressent devant nous.

Par ailleurs, je veux m'assurer, et je suis certain que vous et vos collègues le voulez également, que les mesures de sécurité sont appropriées. Je recherche un équilibre. En tant que société, nous avons le droit de nous protéger et de recueillir des renseignements sur les activités terroristes, mais parallèlement, nous voulons faire tout ce qui est possible pour protéger les droits fondamentaux des personnes impliquées dans ces activités.

Il est toujours difficile d'atteindre cet équilibre. Dans ma déclaration, j'ai mentionné que votre comité avait affirmé que le défi que nous devons relever consiste à établir l'équilibre entre ces pouvoirs et ces mesures de sécurité. Je suis heureux d'avoir réalisé cet équilibre. Notre collaboration avec des personnes exceptionnelles qui connaissent bien ce sujet et l'examen de rapports comme celui qu'a préparé votre comité me confirment que nous avons atteint cet équilibre.

Le sénateur Segal Comme je n'ai pas une formation en droit, pourriez-vous m'aider à faire la distinction entre la décision d'un agent de la paix de recommander l'arrestation d'une personne au motif qu'elle est impliquée dans un complot et la décision d'un agent de la paix de demander qu'une personne soit détenue pour en tirer des renseignements sur un éventuel complot?

M. Parent : La distinction est que le premier individu est un accusé et que l'autre est un témoin.

Le sénateur Segal Je veux simplement m'assurer que j'ai bien compris ce projet de loi. Accorde-t-on davantage de droits aux accusés qu'aux témoins?

M. Parent : Non, parce que tous les droits du témoin sont garantis dans le cadre d'une investigation ou d'un engagement assorti de conditions. La personne qui fait l'objet d'une investigation ou d'un engagement a le droit de garder le silence jusqu'à ce qu'elle ait consulté un avocat. Quand elle comparaît devant le juge, elle devient un témoin contraignable.

Il ne faut pas oublier que cette personne n'est pas un accusé, ce qui est différent. Lorsqu'une personne décide de parler, parce qu'elle y est contrainte, elle est protégée. Comme le ministre Nicholson l'a mentionné dans sa déclaration, rien de ce que dit une personne dans le cadre de cette investigation ne peut être retenu contre elle, ni comme une preuve directe, ni comme une preuve circonstancielle, ni comme une preuve dérivée que le juge présidant l'investigation aurait pu recueillir. Par conséquent, le témoin est protégé.

Cet outil a pour objet de permettre aux responsables de l'application de la loi de faire comparaître des témoins qui seraient au courant d'activités terroristes, et ce pour empêcher des actes terroristes, ce qui constitue le but ultime. Les témoignages de ces individus seraient utiles même après que des actes terroristes ont été commis, car nous pourrions recueillir des preuves qui nous permettraient de prévenir d'autres actes semblables. Les droits sont les mêmes.

Le sénateur Segal Quand la première loi antiterroriste a été adoptée par le gouvernement précédent, celui-ci était convaincu qu'il avait ébauché une loi tout à fait conforme à la Charte, mais il s'est trompé. J'ai posé la question à l'époque dans un autre contexte.

Êtes-vous convaincu que le libellé actuel est conforme à la Charte, au point où vous pourriez le défendre sans difficulté si on le contestait?

M. Nicholson : Nous sommes prudents. Évidemment, nous avons analysé la décision qu'a rendue la Cour suprême du Canada en 2004 et, bien sûr, nous nous inspirons de cette décision. Comme cette loi est en vigueur depuis un certain nombre d'années, elle a fait l'objet de beaucoup de commentaires. Je me reporte à la décision de la Cour suprême.

Sénateur Segal, j'estime que ce projet de loi est conforme à la Charte comme à la Déclaration canadienne des droits. Il était de mon devoir, à titre de ministre de la Justice, d'y veiller avant de le déposer. Nous estimons qu'il remplit ces deux critères.

Le sénateur Andreychuk Je vais reprendre certains des points soulevés par les trois intervenants qui m'ont précédée.

Dans la foulée de l'arrêt Hall, on pourrait soit apporter un amendement, soit régler la question au moyen d'une politique. J'ai cru comprendre que vous avez dit que l'on se conformera aux affaires qui ont précédé l'arrêt et à l'interprétation de l'affaire Hall. Si j'ai bien compris, il faudra envoyer des bulletins d'interprétation aux membres des corps policier, au corps judiciaire, et cetera. Est-ce bien le cas? À mon avis, en apportant un amendement, nous recréons une disposition qui soulèvera toutes sortes d'autres questions quant à la rédaction, à la formulation, et cetera. Je crois qu'il serait préférable de nous appuyer sur l'ensemble des décisions prises jusqu'à maintenant et sur les déclarations de la Cour suprême.

Toutefois, en pratique, tout cela n'aboutit pas si les personnes qui participent à l'administration de la justice ne comprennent pas ce qu'il en est. Y a-t-il un processus qui permet d'acheminer ces renseignements au corps judiciaire, aux procureurs et au corps policier?

M. Nicholson : Lors de ma dernière intervention, j'ai parlé de l'arrêt Hall de 2004. Il s'agissait en fait de 2002. J'aimerais rectifier les faits à ce sujet.

Vous parlez du processus de contestation de tout projet de loi que nous présentons. Les audiences, les travaux effectués par le comité et l'intérêt qu'ils ont suscité envers ces questions s'inscrivent dans le processus de diffusion du message. Nous faisons tout notre possible pour tenir les procureurs généraux des provinces informés, compte tenu de leur rôle dans l'administration et l'application de la justice. Nous tentons de faire entendre le message.

M. Parent : Pour ce qui est de l'affaire Hall, comme le sénateur Baker l'a mentionné, nous proposerons un amendement pour supprimer les termes « il est démontré une autre juste cause et, sans préjudice de ce qui précède », que la Cour suprême a jugés trop vagues. Aucune autre disposition ne sera ajoutée au texte législatif. Ces termes seront également supprimés de la version anglaise.

Le sénateur Andreychuk Je suis désolée. J'ai dit l'arrêt Hall alors que je voulais dire l'arrêt Vancouver Sun.

Le sénateur Baker croit qu'on devrait apporter un amendement. Je présume que vous n'êtes pas d'accord, bien que vous l'ayez fait dans le cas de l'affaire Hall. Est-ce parce que vous croyez qu'il y a un ordre de priorité à respecter et que les commentaires sur cette affaire seront ajoutés et diffusés comme traduisant la position du gouvernement?

M. Parent : Comme je l'ai mentionné précédemment, le principe est celui du caractère public de l'audience. Nous pourrions modifier la loi et dire que le principe veut que les audiences soient publiques, à quelques exceptions près déjà établies. S'avancer sur ce terrain pourrait poser problème, car combien d'affaires seraient éventuellement entendues ex parte ou à huis clos?

Si nous apportions cette modification au texte législatif, serions-nous en train de dire que le principe n'est plus le même et que toute loi doit disposer que les audiences se tiennent à huis clos, en principe, sauf indication contraire dans la loi? Voilà un autre point qui pourrait soulever des problèmes. Nous voulons que le principe demeure le même, c'est- à-dire que les audiences soient publiques, sauf dans les conditions énoncées dans les arrêts Dagenais et Mentuck. Par les critères qu'elle a établis dans le cadre de ces affaires, la Cour suprême a cerné tous les aspects dont doit tenir compte le juge afin de déterminer si une audience doit être tenue à huis clos ou publiquement.

Tenter d'intégrer les éléments établis par la Cour suprême pourrait occasionner des difficultés, c'est le moins que l'on puisse dire.

Le sénateur Andreychuk Monsieur le ministre, vous avez affirmé que la disposition relative aux 72 heures ne sera pas retirée du texte législatif. Pour ma part, je considère que ce délai est long dans le contexte législatif canadien.

Toutefois, en examinant ce que font les autres pays, je constate que notre disposition à cet égard est des moins sévères. Ici, il est question d'heures, tandis qu'ailleurs, il est question de jours. Je ne me considère pas comme une autorité dans ce domaine, mais nous continuons de nous interroger sur l'utilité de cette disposition dans les audiences d'investigation.

Le comité a jonglé avec l'idée de proroger ces deux dispositions. Après que la majorité du groupe en est venue à la conclusion que nous devrions les proroger, il fallait déterminer dans quelle mesure il fallait le faire. Nous savions que nous ne les voulions pas là, car elles deviendraient anodines. Nous voulions une disposition de temporarisation quelconque. Nous hésitions entre trois et cinq ans.

Avant, il était question de trois ans, compte tenu du fait que nous étions à l'époque de l'après 11 septembre et du temps dont nous avons disposé depuis. Nous avons eu trois ans. Vous proposez cinq ans. Comme vous proposez cinq ans et que le délai convenu après les événements du 11 septembre n'était que de trois ans, êtes-vous en train de nous dire qu'il y a maintenant un risque accru pour les Canadiens? Le Canada est-il exposé à un risque accru dont nous devrions être mis au courant? Sommes-nous aux prises avec un autre genre de risque? A-t-on affaire à un problème de gestion? D'un point de vue stratégique, pourquoi passer de trois à cinq ans?

M. Nicholson : Vous avez évoqué quelques problèmes, sénateur. D'abord, il y a le pouvoir d'arrestation sans mandat à la lumière de l'expérience et de la décision canadiennes. Je crois qu'il est important de souligner que nous figurons parmi les pays les moins stricts si nous nous comparons à ceux dont le système est quelque peu semblable au nôtre. J'ai précisé, au début de mon intervention, que le premier ministre Brown a songé à doubler le délai de 28 jours pour le faire passer à 56 jours. On ne parle pas d'heures ici. Je crois que cette proposition du premier ministre aide à relativiser la disposition canadienne à ce sujet. Je crois que la plupart s'entendraient pour dire que notre disposition est raisonnable.

Pour ce qui est du délai de trois ou de cinq ans, il me semble que la loi au départ prévoyait cinq ans, n'est-ce pas?

Glenn Gilmour, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Oui, il était question d'un délai de trois ans pour l'examen, mais de cinq ans pour la disposition de temporarisation.

M. Nicholson : C'est ce que nous proposions, et vous avez évoqué la disposition de cinq ans. À mon avis, il s'agit d'un délai raisonnable pour faire l'examen de toutes nos dispositions. Ce délai me paraît raisonnable. En effet, avec un tel délai, si ces dispositions sont appliquées, elles pourront se frayer un chemin dans le système, en passant par les tribunaux, le processus d'appel et la Cour suprême du Canada.

Nous aimons pouvoir nous fonder sur de nombreux cas. Mais il n'y a pas tellement de cas en lien avec cette loi. De toute évidence, les pouvoirs conférés sont extraordinaires. Nous espérons que notre pays ne sera pas la cible d'activités terroristes, mais nous ne vivons pas dans un monde utopique. Nous devons être prêts. Et il est plus probable que nous aurons un bon nombre de cas si la période s'étend sur cinq ans plutôt que sur trois. Je le répète, c'est une question de jugement.

Le sénateur Andreychuk Dois-je en conclure que, parce que ces choses changent plus ou moins d'une journée à l'autre, le risque terroriste au Canada se maintient dans certaines limites? Je veux dire qu'il n'a ni augmenté de manière marquée ni diminué? Nous sommes toujours aux prises avec les mêmes problèmes qu'il y a quelques années?

M. Nicholson : Je crois qu'il n'y a aucun doute à ce sujet. Mon collègue, le ministre de la Sécurité publique, et d'autres qui travaillent activement à ces dossiers pourraient aussi apporter leurs précisions. Par contre, nous vivons dans un monde dangereux et nous devons être préparés à toute éventualité dans la mesure du possible.

Le sénateur Andreychuk Le témoin a parlé d'arrestation préventive, et mon collègue a souligné la différence entre un accusé et un témoin. De quelle façon le programme de protection des témoins entre t-il en jeu dans ce cas-ci? Y fait-on appel?

M. Nicholson : Vous voulez savoir si le programme s'appliquerait dans ces circonstances?

Le sénateur Andreychuk La peur de l'intimidation et de représailles constitue l'une des raisons par lesquelles les gens expliquent leur refus de se manifester, particulièrement dans les cas de terrorisme. Les personnes contre qui elles peuvent témoigner auront recours à des moyens odieux pour éliminer les preuves.

Que faisons-nous dans de tels cas, si nous exposons ces personnes à un risque?

M. Nicholson : Comme vous le savez, le Programme de protection des témoins est appliqué au cas par cas. Tout témoin y est admissible. Je comprends le sens de votre argument, sénateur, et j'y suis sensible, mais on pourrait se prévaloir du programme.

M. Gilmour : Je crois que cette question des mesures à prendre pour prévenir l'intimidation des témoins fait aussi l'objet de l'enquête qui se déroule actuellement sur la tragédie d'Air India. Il va sans dire que nous attendons avec impatience le rapport de cette enquête, dont le gouvernement pourra tirer profit.

Le sénateur Day : J'aimerais que vous jetiez un coup d'œil à l'article 1 du projet de loi, qui porte notamment sur l'alinéa 83.28(4)b).

Je ne sais pas si ce point soulève un problème, mais dans l'alinéa b), il est question d'une infraction de terrorisme qui sera commise. Les sous-alinéas (i) et (ii) font mention d'une infraction de terrorisme. Au sous-alinéa (ii), il est précisé qu'il s'agit de l'infraction de terrorisme visée au sous-alinéa (i).

Si nous nous reportons au libellé de l'alinéa 83.28(4)a) proposé, le sous-alinéa (i) emploie les termes « qu'une infraction de terrorisme a été commise », alors que le sous-alinéa (ii) ne reprend pas « infraction de terrorisme », mais utilise seulement le terme « l'infraction ». Est-ce que le fait de ne pas reprendre les mots « de terrorisme » dans un sous- alinéa pourrait susciter des problèmes d'interprétation?

Il serait facile de faire suivre le mot « infraction » par « de terrorisme » au sous-alinéa (ii) de l'alinéa a). Me suivez- vous?

M. Parent : Oui, vous soulevez un bon point. On renvoie au sous-alinéa (i). Je remarque que les rédacteurs ont aussi indiqué « de terrorisme » dans le sous-alinéa (ii) de l'alinéa b), alors que cette précision a été omise dans le sous-alinéa (ii) de l'alinéa a). C'est la même chose dans la version française. Cependant il m'apparaît évident qu'il est aussi question d'une infraction de terrorisme.

Voilà essentiellement une question de forme dont nous pourrions parler aux rédacteurs. C'est un point intéressant qui a échappé à notre attention. Il nous fera plaisir de le soumettre aux rédacteurs.

Le sénateur Day : Merci.

M. Nicholson : Sénateur Day, je vous promets que nous nous pencherons sur ce point. De toute évidence, la version anglaise doit être conforme et comparable à la version française. Nous vérifierons cela.

Le sénateur Day : Merci, monsieur le ministre.

Le sénateur Baker : Si je comprends bien la réponse, la Cour suprême du Canada a rendu une décision dans l'affaire Vancouver Sun, décision qui a eu des répercussions pour Global Television et plusieurs médias. En vertu de cette décision, le juge a été tenu, entre autres, de tenir une audience ex parte au début, puis d'entreprendre une audience publique. Dans ce cas particulier, le juge doit communiquer au public tout renseignement qui est obtenu lors de l'audience et dont la publication ne compromet pas indûment les intérêts de diverses personnes.

La cour a ordonné que ce processus soit public. Cependant, cette décision était assujettie à toute ordonnance d'exclusion du public ou de non-publication qu'aurait pu rendre le juge, ce qui correspond à la procédure établie, comme vous le dites, monsieur Parent.

Vous êtes en train de dire que vous ne voulez pas intégrer cette décision au projet de loi parce que ce principe a ses propres règles. Vous ne voulez pas le faire. Vous déclarez qu'à l'avenir les juges recourront à ce jugement de la Cour suprême du Canada en vertu de la loi précédente, qui ne correspond pas tout à fait au projet de loi, et appliqueront les mêmes principes. Est-ce exact?

J'ai une dernière question. Vous affirmez que, dans le cadre d'une investigation, rien ne peut être retenu contre la personne qui fournit l'information, soit directement ou indirectement.

M. Nicholson : À moins qu'il y ait eu parjure.

Le sénateur Baker : Oui, à moins qu'il y ait eu parjure ou entrave à la justice. Cette disposition est prévue ailleurs, entre les articles 132 et 133 du Code criminel. Toutefois, ne seriez-vous pas disposé à accepter que la preuve puisse être utilisée dans le cadre d'une future action en justice, pour évaluer la sincérité ou la crédibilité du témoin interrogé dans le cadre d'une investigation?

Enfin, à partir de quel moment a-t-on le droit d'être représenté par un avocat? Selon ce projet de loi, ce droit peut être exercé n'importe quand durant la procédure, qui, dans ce cas-ci, est l'investigation. En temps normal, une personne détenue, pour quelque raison que ce soit, peut immédiatement se prévaloir de son droit de consulter et de mandater un avocat.

Voulez-vous dire qu'en intégrant cette décision au projet de loi, une personne aurait droit aux services d'un avocat à n'importe quelle étape de la procédure, c'est-à-dire l'investigation, et qu'elle est privée de ce droit avant la procédure?

Je m'excuse de la longueur de la question.

M. Parent : J'essaierai de répondre un à un aux points que vous avez soulevés.

Le président : Permettez-moi d'apporter une précision. Monsieur le ministre, je sais que vous devez nous quitter. Si vous désirez dire quelque chose à ce sujet... nous pourrions prendre une pause de deux minutes pour vous permettre de participer à la période des questions. Aimeriez-vous faire un commentaire en rapport avec cette question?

M. Nicholson : Tout d'abord, je me prépare à assister au service commémoratif pour le juge Antonio Lamer cet après-midi et vous me facilitez la tâche.

Là encore, je vous remercie de tous vos commentaires. Je disais au sénateur Day que nous vous savons gré de votre analyse de ce projet de loi. En tant que membres d'un comité, vous vous intéressez à ce projet de loi depuis un certain temps. Comme je l'ai indiqué au sénateur Baker, à mon collègue, le sénateur Segal, et à d'autres, nous vous écoutons attentivement, et je suis d'avis que ce projet de loi représente un juste équilibre. Je sais que plusieurs questions de forme ont été soulevées, et je suis heureux de pouvoir compter sur l'aide des hauts fonctionnaires du ministère, qui continueront à répondre aux questions en mon nom.

M. Parent : Si j'oublie de répondre à un des points de la question du sénateur Baker, je suis certain qu'il le soulèvera de nouveau. Pour paraphraser ses paroles, je crois que le premier point consistait à déterminer si les juges sont liés par la décision de la Cour suprême.

Le sénateur Baker : Non, ce n'est pas le sens de mes propos. J'ai plutôt dit que le fait de permettre l'application de la décision de la Cour suprême marquerait une rupture avec la nature ex parte de l'étape initiale de cette procédure. Vous laissez supposer que le ministère de la Justice s'attend à ce qu'un juge qui entend une telle instance se reportera à cette décision particulière de la Cour suprême du Canada et appliquera le jugement de la Cour suprême concernant l'audience publique à la procédure qui suit immédiatement la procédure ex parte. En d'autres mots, d'en faire une procédure inter partes. La question n'est pas de savoir si les juges doivent se conformer aux décisions de la Cour suprême du Canada, car il va sans dire qu'ils doivent les respecter. Est-ce que le ministère de la Justice dit qu'il souhaite que les juges tiennent une audience publique, comme l'a prescrit la Cour suprême et que c'est pourquoi il ne juge pas nécessaire d'intégrer le tout à la loi?

M. Parent : Tout à fait. Nous n'espérons pas que les juges accepteront de tenir des audiences publiques, nous sommes convaincus qu'ils le feront. Ce principe vaut pour toute audience devant la cour, et le juge respecterait ce principe.

Le sénateur Nolin : Pourquoi avez-vous convenu d'apporter une modification en raison de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Hall?

M. Parent : Parce qu'elle l'a précisé.

[Français]

Le sénateur Nolin : C'est le même raisonnement. Si la Cour suprême a déjà décidé que ces mots étaient inopérants parce que contraires à l'article 7, l'article 11 de la Charte, pourquoi amender la loi?

M. Parent : Pour la simple raison que, dans le cas de l'arrêt Hall, les mots spécifiques auxquels faisait référence la Cour suprême du Canada, à savoir :

[Traduction]

il est démontré une autre juste cause et, sans préjudice de ce qui précède [...]

[Français]

Ce sont les mots spécifiques qui ont été déterminés comme dépassant le cadre pouvant faire en sorte que la disposition demeurait constitutionnelle. Quand c'est aussi spécifique, c'est facile pour nous, suite à la recommandation du sénateur Baker lors de la deuxième lecture, de la suivre et dire qu'il a raison, on devrait enlever cette partie de la disposition car cela retire toute confusion possible quant à l'interprétation.

[Traduction]

Pour ce qui est du deuxième point, celui qui est soulevé par le sénateur Baker, ce n'est pas exactement la même chose. Il y a plusieurs critères sur lesquels le juge doit fonder sa décision. Il ne s'agit pas d'une question unique et identifiable. La cour a mentionné un certain nombre de critères en rapport avec le critère Dagenais /Mentuck. Chaque affaire sera traitée au cas par cas. C'est à ce stade que le juge, confronté à une situation, doit prendre une décision.

Je vais de nouveau décrire le processus, qui comporte trois volets. La procédure préalable à l'audience s'apparente au mandat de perquisition. Le juge est saisi de l'information fourni par l'agent de la paix. À partir de cette information, il détermine si la personne doit être traduite devant les tribunaux et assure le dépôt de l'information ex parte. C'est ainsi que les choses se passent actuellement pour l'obtention d'un mandat de perquisition. Cette situation est semblable.

Pour ce qui est de l'audience, le principe de la transparence s'applique là encore, à moins qu'il y ait une motion demandant que l'audition se déroule dans le secret. Je ne devrais pas employer le mot « secret », je devrais plutôt dire ex parte. Je ne dirai pas « secret », parce qu'il est possible qu'à la fin de l'audience, le juge décide de publier le compte rendu de l'audience ou ordonne qu'une partie en soit rendue publique parce que, selon lui, les critères Dagenais/ Mentuck ne s'appliquent pas dans ce cas particulier.

Dans le cadre d'une investigation au cours de laquelle un témoin comparaît pour tenter de faire la lumière sur la perpétration éventuelle d'un acte terroriste, cette information permettrait, à toutes fins utiles, de prévenir l'acte en question. On voudrait s'assurer que la diffusion de tout renseignement fourni par le témoin n'aurait pas de conséquences fâcheuses sur l'affaire dans son ensemble — si elle contribue à désamorcer la menace d'un attentat terroriste, ce serait fantastique, mais nous ne voulons pas, parce que l'audience est publique, que les auteurs de l'acte terroriste éventuel apprennent que leur complot est éventé, nous voulons éviter qu'une telle situation se produise. À l'heure actuelle, des dispositions empêchant une telle divulgation sont prévues dans le Code criminel. Nous disons simplement que nous demeurons favorables au principe de la transparence, l'exception étant l'audience secrète ou ex parte.

Pour répondre à votre question, sénateur Baker, je suis persuadé que les juges se fonderont sur les paramètres que la Cour suprême a établis pour tenter de déterminer si une audience devrait être publique ou ex parte.

Le sénateur Baker : Vous n'avez pas répondu à la question du sénateur Nolin, telle que je la comprends. En effet, en vertu de la loi précédente, les juges choisissaient de garder ces audiences secrètes, personne n'en était au courant. C'est pourquoi les médias ont porté la question à l'attention de la Cour suprême du Canada. Le projet de loi actuel diffère du projet de loi précédent à cet égard et en différera encore plus une fois que vous présenterez l'amendement que vous avez l'intention de proposer. Le problème, c'est qu'une mesure extraordinaire est d'abord ex parte. L'autre partie ignore ce qui se passe à ce stade, la procédure n'est pas inter parte. Ce projet de loi ne mentionne nulle part que la nature ex parte de la procédure change. C'est pourquoi les juges ont agi comme ils l'ont fait dans le passé, et c'est pourquoi les médias se sont adressés à la Cour suprême du Canada.

La question qui vous a été posée est la suivante : le ministère de la Justice est-il maintenant d'avis que dans ce genre de procédure, tous les juges se reporteront à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun(Re), considéreront que l'affaire dont ils sont saisis est semblable à celle qui a donné lieu à cette décision et tiendront donc une audience publique, contrairement à ce qu'ils faisaient auparavant, en vertu de la précédente loi?

La question du sénateur Nolin est celle-ci : si vous modifiez l'article en entier du projet de loi qui a trait à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hall, pourquoi ne feriez-vous pas de même dans le cas de Vancouver Sun (Re), de façon à ce que le projet de loi soit explicite, simple et clair?

Je ne m'attaque pas à votre position, j'essaie tout simplement de la comprendre. Vous semblez dire : « Messieurs les juges, reportez-vous à la décision de la Cour suprême et voyez de quoi il en ressort. Le nouveau projet de loi ne le précise pas, mais cet aspect y est traité de la même manière que dans l'ancien projet de loi. Les juges se sont trompés par le passé, et nous ne voulons pas que vous fassiez la même erreur. »

M. Parent : À l'époque de l'enquête sur l'écrasement de l'appareil d'Air India, c'est sur ce principe que l'article 83.28 a été soumis aux tribunaux dans l'affaire Vancouver Sun (Re); on avait cité à comparaître un témoin dont on pensait qu'il détenait des renseignements. Je le répète, sauf le respect que je dois au juge qui a entendu l'affaire, chaque cas est différent. Le juge devra déterminer, lorsqu'il sera saisi de la requête, si les renseignements que ce témoin est en mesure de lui communiquer justifient une audience ex parte.

Dans le cas du procès relatif à l'affaire Air India, les juges... ou plutôt les motifs pour lesquels le juge de première instance a décidé de tenir les renseignements secrets ou de les entendre en l'absence de toute autre partie et le critère sur lequel il s'est fondé pour rendre cette décision n'étaient pas appropriés. Il aurait dû se fonder sur le critère énoncé dans l'arrêt Dagenais/Mentuck, et je n'entrerai pas dans les détails parce que vous en avez probablement pris aussi connaissance. La Cour suprême a statué que le juge de première instance avait commis une erreur dans son appréciation des éléments qui allaient lui être soumis lorsque l'information lui a été présentée et que l'audience a débuté.

C'est au cas par cas que le juge déterminera si les renseignements que nous tentons d'obtenir justifient une audience ex parte. Quant au critère à appliquer, ce devrait être le même que celui qui a été énoncé dans l'arrêt Dagenais/ Mentuck.

Le projet de loi ne prévoit rien de différent à cet égard particulier. Il est toujours question d'une investigation. Il est toujours question d'une procédure et ce projet de loi ne change rien à cela. Rien n'a changé parce que le principe demeure le même, et nous ne voulons pas qu'il en soit autrement. Nous tenons au principe de l'accès du public. Une audience ne pourra se tenir ex parte que sur requête d'un avocat du ministère public.

Le sénateur Baker : La décision rendue dans l'affaire Vancouver Sun (Re) explique dans les détails le concept et le principe de l'accès du public. Cette décision de la Cour suprême du Canada a été particulièrement significative. Elle n'a pas déclaré qu'il s'agissait d'un aspect donné d'une audience donnée. Elle a énoncé un principe en termes précis, que l'on pourrait facilement considérer comme un amendement.

Jusqu'ici, vous avez répondu à nos questions en disant qu'une ordonnance de non-publication pourrait être nécessaire et que les audiences pourraient devoir se tenir à huis clos. Effectivement, on peut agir ainsi maintenant, comme vous le signalez, dans l'ordre actuel des choses. Ce qui distingue la position des médias et la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Vancouver Sun (Re), c'est qu'il ne s'agissait pas de l'interprétation que faisaient les juges de ce projet de loi, à commencer par les audiences ex parte. Ce projet de loi est extraordinaire en ce que la personne qui serait appelée à témoigner pourrait n'être aucunement liée à une quelconque infraction; il pourrait simplement s'agir d'une personne susceptible de savoir où se trouve quelqu'un qui pourrait être lié à une infraction. C'est un document législatif extraordinaire.

Cela dit, les juges l'ont interprété de cette façon, et ils n'ont pas commis de faute. C'est la loi qui a mal guidé ce jugement, selon la Cour suprême du Canada. Celle-ci n'a pas dit que la loi était mal faite, mais elle a expliqué ce qui devait se produire dans des affaires semblables.

Il vaut mieux que nous passions tout de suite à un autre point car nous risquons sinon de consacrer toute la journée à cette question, monsieur Parent. Je vous prierais de répondre aux deux dernières questions que je vous ai posées sur le droit de retenir les services d'un avocat en tout état de cause, droit que le projet de loi établit précisément, et dont un individu pourrait se prévaloir à tout moment au cours de la procédure. La jurisprudence abonde sur le début de l'instance, mais je suppose que vous parlez de l'audience d'investigation. Cela empêche-t-il le témoin de retenir préalablement les services d'un avocat, ainsi que le garantit l'alinéa 10b) de la Charte qui reconnaît le droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat en cas de détention, détention qui serait ordonnée en l'absence de toute autre partie en vertu de ce projet de loi?

L'autre question visait simplement à obtenir une clarification. Vous avez dit que les renseignements fournis par un témoin ne peuvent servir à l'incriminer dans une procédure en première instance ni être utilisés comme preuve dérivée dans une poursuite ultérieure. Le projet de loi emploie l'expression « poursuites criminelles ». Je me demande pourquoi vous avez qualifié les poursuites, car il est tout simplement question de procédure ultérieure dans la loi. Vous parlez de poursuites criminelles, mais vous admettrez que la preuve peut servir à confronter un témoignage donné dans le cadre d'une investigation avec un témoignage donné au cours de poursuites criminelles ultérieures. N'êtes-vous pas de cet avis?

M. Parent : Peut-être est-ce par déformation professionnelle que nous avons opté pour l'expression « poursuites criminelles », ayant moi-même été procureur pendant de nombreuses années. En effet, ce principe s'applique à toute procédure. Commençons par la première question, qui porte sur le droit de faire appel à un avocat. Les principes applicables sont les droits énoncés dans la Charte; les droits garantis dans la Charte sont enclenchés dans les mêmes circonstances dans ce cas-ci que dans tout autre cas. Dès qu'un témoin est assigné, il est détenu, si vous voulez. Dès ce moment, l'individu peut exercer le droit de faire appel à un avocat et de s'entretenir avec lui; c'est ainsi que j'interprète le projet de loi.

Le président : Le droit de recourir aux services d'un avocat choisi à partir d'une liste, et le droit de bénéficier d'une assistance juridique gratuite, est-ce là votre interprétation?

M. Parent : Vous faites intervenir le concept d'un intervenant spécial. Ce n'est pas tout à fait ce dont je parle.

Le président : Oui, mais c'est pour clarifier.

M. Parent : L'individu aurait le droit de faire appel aux services d'un avocat en vertu des principes que reconnaissent les tribunaux : les individus choisissent leur propre avocat, celui qu'ils veulent essentiellement. Seulement, aussitôt que débute une audience, même l'avocat ne peut plus dire à son client qu'il peut refuser de répondre aux questions. L'investigation est une procédure contraignable, et le témoin est tenu de répondre, tout simplement parce que l'audience a pour objet d'obtenir les renseignements qui nous permettront d'éviter un attentat terroriste.

Il ne faut pas oublier, puisqu'il est ici question d'infraction de terrorisme, que le juge doit avoir des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de terrorisme risque d'être commise. Il y a donc fardeau normal de la preuve. Notre fardeau consiste à montrer qu'il y a probabilité d'infraction. Les motifs raisonnables sont pris en compte, et ce critère est le premier. S'il n'y a pas de motifs raisonnables, il est inutile de continuer.

Le sénateur Baker : Le président vous a toutefois posé une question, une question de première importance à ce stade- ci. Il vous a demandé si la personne qui est détenue avait non seulement le droit de choisir l'avocat de son choix, mais aussi le droit d'obtenir des conseils juridiques gratuits avant de parler à la police. C'est prévu à l'alinéa 10b) de la Charte, vous savez; c'est un droit acquis. Le président vous a demandé si l'individu pouvait se prévaloir gratuitement de services juridiques selon les normes provinciales, si cet individu avait le droit de garder le silence et si la police s'abstiendrait de l'interroger tant que l'individu ne se serait pas prévalu de ce droit dans les faits. Cela s'applique-t-il toujours? Vous avez bien dit contraignable.

M. Parent : Nous essayons d'établir un parallèle entre le droit d'un accusé et le droit d'un individu qui est assigné à témoigner.

Le sénateur Baker : L'alinéa 10b) ne s'applique donc pas?

M. Parent : Ce n'est pas ce que j'ai dit. Si la personne devient automatiquement détenue, les droits prévus par la Charte s'appliquent et la personne a le droit de recourir à un avocat. Ici encore, dans le cadre de l'investigation — soyons pratiques —, l'agent de paix commencerait à interroger un individu, croyant qu'il pourrait être un témoin ou qu'il détient des renseignements qui permettraient d'empêcher ou d'éviter la perpétration d'un acte terroriste.

Le sénateur Baker : Est-ce que vous parlez de détention pour fins d'investigation?

M. Parent : Le témoin a deux choix : répondre aux questions de la police pendant l'enquête ou ne pas y répondre. Si le témoin ne répond pas et que le policier a des raisons de croire que l'individu détient les renseignements dont il a besoin, il peut assigner le témoin à comparaître et déposer une dénonciation en s'appuyant sur ce qu'il sait.

Le sénateur Baker : Oui, mais le policier dispose déjà d'une ordonnance ex parte pour appeler l'individu à témoigner. Il a déjà affirmé qu'il a des motifs raisonnables de croire que l'individu sait quelque chose. Je vous pose donc cette question à nouveau : L'alinéa 10b) de la Charte s'applique-t-il? Vous dites qu'il ne s'agit ici que d'une partie de l'enquête et que l'alinéa ne s'applique pas.

M. Parent : Je dis que dès qu'une personne est détenue, la Charte des droits s'applique et que, par conséquent, la personne a le droit de consulter un avocat. La personne a-t-elle le droit d'obtenir gratuitement les conseils d'un avocat? Ici aussi, les mêmes principes s'appliquent que dans le cas d'un accusé. La personne pourra choisir l'avocat qui la représentera. Les agents et commissariats de police doivent avoir un numéro sans frais afin que l'individu puisse communiquer avec un avocat. Cette obligation reste la même, elle ne change pas.

Le sénateur Baker : La personne peut attendre d'avoir consulté un avocat avant de répondre aux questions.

M. Parent : Oui, à moins qu'elle ne se trouve devant un juge.

Le sénateur Baker : Non, supposons que la personne se trouve chez elle à ce moment-là et que le policier s'amène avec une ordonnance ex parte.

M. Parent : Aucun témoin n'est tenu de parler. Cette personne est un témoin. Elle n'est pas obligée de parler. Si elle ne veut pas communiquer des renseignements, rien ne l'y oblige.

Le président : La torture n'est toujours pas de mise au Canada, monsieur le sénateur Baker.

Le sénateur Day : Il arrive que les témoins décident de ne pas parler sur les conseils d'un avocat.

[Français]

Le sénateur Nolin : La discussion que nous avons, monsieur Parent, m'éclaire un peu plus sur une discussion que nous avons déjà eue concernant la question de savoir pourquoi on devrait répéter des droits que la Charte prévoit déjà. Je comprends que l'article 10b) ne s'applique pas parce que la personne n'est pas détenue, au sens de la Charte. Vous voulez que la personne puisse avoir accès à un avocat à toutes les étapes de ce processus, qu'elle soit détenue ou pas.

M. Parent : C'est sûr et certain.

Le sénateur Nolin : C'est la réponse, non?

M. Parent : De la façon dont vous le dites, je ne suis pas certain de bien comprendre. Ce que je veux dire c'est que, si on a un témoin qui ne veut pas collaborer avec la police, alors que la police a tous les éléments nécessaires pour croire que cette personne peut fournir de l'information valide qui pourrait faire en sorte que l'on préviendrait la commission d'un acte terroriste, dans de telles circonstances le policier doit se présenter au juge. Il y a une obligation morale, c'est dans le cadre de ses fonctions de s'assurer qu'il se rende vers le juge pour demander qu'une dénonciation soit déposée de façon à amener cet individu pour le forcer à répondre. À partir du moment où une procédure de détention enclenchée, les droits de la Charte sont enclenchés automatiquement.

Donc, la réponse est à mon avis, que l'article 10b) entre en application pour ce témoin à partir du moment où l'individu en question fait l'objet d'une détention. Il n'est pas rare de voir un individu faire l'objet d'une détention sans faire l'objet d'une accusation formelle. À partir du moment où il est détenu, il a droit à un avocat.

Nous sommes dans une situation similaire ici. Cela ne veut pas nécessairement dire que l'individu sera accusé. L'idée est que l'on veut essayer d'obtenir la collaboration d'un individu dans le but de prévenir la commission d'un acte terroriste.

Le sénateur Nolin : Pour la personne visée par l'ordre prévu à l'article 83.28, paragraphe 5, ce n'est pas un ordre de l'arrêter mais plutôt un ordre qui lui est intimé de se présenter et de répondre à des questions.

M. Parent : Oui.

Le sénateur Nolin : Vous me dites donc que, du moment où la personne reçoit la signification de cet ordre, elle peut se considérer comme étant détenue.

M. Parent : Il faut faire attention, car l'ordre peut émaner de différentes façons. L'officier de police peut partir avec son ordre, aller faire l'arrestation et amener la personne devant le juge. C'est un moyen, c'est une arrestation avec mandat. En d'autres mots, le juge a donné considération aux propos du policier et a décidé que c'était important d'arrêter l'individu, sous mandat, dans ces circonstances. C'est l'extrême.

L'autre façon de faire est par voie de sommation ou par voie de citation à comparaître. Ce sont deux autres formules. Il est certain que si c'est par citation à comparaître, telle date vous vous présenterez devant le juge, on va vouloir vous entendre par rapport à telle chose. Tout va dépendre des circonstances du cas, parce que si la situation est imminente, il est bien évident qu'on ne donnera pas à la personne une citation à comparaître pour se présenter devant un juge un mois plus tard alors qu'on sait qu'il y a un danger, que la commission d'un acte va avoir lieu incessamment. On va procéder autrement, probablement par voie d'arrestation pour emmener la personne directement devant le juge, de façon à ce qu'elle puisse répondre aux questions.

Mais que ce soit l'un ou l'autre des mécanismes qui est utilisé, à partir du moment où l'individu est confronté à cette demande judiciaire, à partir du moment où ce processus est enclenché, l'individu a le droit de consulter un avocat, c'est clair. En tout temps, il peut consulter un avocat pour savoir quels sont ses droits et s'il est tenu de répondre aux questions. Car il est bien évident que l'on reconnaît que c'est une législation quand même assez draconienne, il faut l'avouer, étant donné que l'on force un individu à répondre à des questions en regard d'un événement qui peut être tragique.

Dans les circonstances, en droit canadien, c'est quelque chose qui est inconnu.

[Traduction]

Il en va autrement du Traité d'entraide judiciaire en matière pénale pour ce qui est de la contraignabilité d'un témoin qui vient de l'extérieur du Canada.

Ce traité est le seul texte de loi canadien que je connaisse qui force une personne à témoigner. À part ce traité, cette exigence est totalement inconnue en droit canadien.

M. Gilmour : L'investigation est en fait visée par deux articles, dont l'un établit la procédure relative à l'investigation proprement dite. Il y a aussi une disposition de l'article 83.29 du Code criminel qui permet à un juge qui a rendu une ordonnance d'investigation de délivrer un mandat autorisant l'arrestation de la personne dans certaines circonstances bien précises. Par exemple, si l'on craint que la personne visée se soustraie à la signification de l'ordonnance ou qu'elle soit sur le point de s'esquiver, on peut obtenir un mandat d'arrestation, arrêter la personne en exécution du mandat et l'assigner à comparaître aux fins de l'investigation.

Évidemment, la personne qui fait l'objet d'un tel mandat d'arrestation sera considérée comme détenue. À mon avis, c'est à ce moment précis que s'enclencheront les droits prévus par la Charte parce que la personne est détenue en vertu d'un mandat d'arrestation.

Si vous voulez savoir ce qui arrive dans les circonstances où la personne n'est pas détenue en exécution d'un mandat d'arrestation, mais qu'un policier se présente plutôt chez elle avec l'ordonnance et une sommation à comparaître, d'après moi, elle ne serait pas détenue, mais elle serait libre de consulter un avocat à ce moment et de se présenter avec lui. Bien sûr, comme la disposition le prévoit, dès que l'investigation et la procédure sont engagées, la personne a le droit de consulter un avocat. La disposition l'établit précisément pour la procédure.

Je le répète, il s'agit d'un témoin qui n'est pas accusé d'une infraction criminelle, mais qui est contraint de répondre à certaines questions conformément à cette procédure.

Pour revenir à votre question sur la procédure, monsieur le sénateur Baker, vous avez raison de signaler que le paragraphe 83.28(10) dispose que :

la réponse donnée ou la chose remise aux termes du paragraphe (8) ne peut être utilisée ou admise contre lui dans le cadre de poursuites criminelles, sauf en ce qui concerne les poursuites prévues aux articles 132 ou 136;

Il s'agit des infractions de parjure et de témoignages contradictoires.

Le sénateur Baker : Ou d'entrave à la justice.

M. Gilmour : Il n'est question que de ces deux infractions. L'article 132 porte sur le parjure et l'article 136, sur les témoignages contradictoires, il me semble; je ne pense pas qu'il soit question d'entrave à la justice.

Si vous me donnez une seconde, je vais vérifier l'article 136.

Le sénateur Baker : Il faut remonter à l'article 118, selon lequel il s'agit d'une procédure judiciaire.

M. Gilmour : Cet article traite des témoignages contradictoires, et aussi de la preuve dérivée.

Vous avez rappelé deux affaires, soit l'arrêt Vancouver Sun (Re) qui portait sur la présomption de l'accès du public à la procédure judiciaire et l'autre, sur la constitutionnalité des investigations. La Cour suprême du Canada a étendu la protection contre l'utilisation de la preuve dérivée à deux autres procédures, à savoir l'expulsion et l'extradition. Ainsi, toute preuve fournie par une personne lors d'une investigation ne peut être utilisée contre elle dans une procédure d'extradition ou d'expulsion. C'est ce que la Cour suprême du Canada a statué dans cette affaire.

Le sénateur Nolin : Ma question est de forme.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Parent, le ministre nous a déclaré qu'il acceptait de déposer un amendement au quatrième sous-alinéas du paragraphe 83.3(7). En principe, quand allez-vous déposer cet amendement?

M. Parent : Dans les meilleurs délais.

Le sénateur Nolin : Vous comptez le déposer au Sénat ou à la Chambre des communes?

M. Parent : Que je sache, il devrait être déposé au Sénat, car c'est ici que le projet de loi se trouve.

Le sénateur Nolin : C'est pourquoi j'ai commencé par dire qu'il s'agissait d'une question d'ordre technique. Je ne voulais pas soulever un débat.

M. Parent : Nous voulons nous assurer qu'il plaise au Sénat.

Le sénateur Nolin : Vous lisez mes pensées.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Si des amendements sont déposés à la Chambre des communes, le projet de loi repassera par le Sénat; je ne comprends donc pas pourquoi les amendements ne pourraient être déposés ici.

Le sénateur Andreychuk : Le ministre a indiqué qu'il y aurait un amendement. Je ne pense pas que nous adopterions le projet de loi avant d'avoir pris connaissance de cet amendement. Je suppose que le ministère y travaille fébrilement.

Le sénateur Segal : Je veux m'assurer de bien comprendre les prérogatives qu'exerce la police avant le début de toute procédure judiciaire. En ce qui concerne l'interaction avec l'individu auquel s'intéresse la police, c'est dans une certaine mesure la façon dont la police agit avant que les dispositions de la loi ne prennent effet qui constitue la réalité avec laquelle doit composer cet individu ou sa famille.

Supposons que le Centre de la sécurité des télécommunications, le CST, et d'autres sources fournissent à la police des renseignements qui la portent à croire que je pourrais être un témoin intéressant dans le but d'empêcher des actes terroristes, et que je sois invité, en vertu des dispositions de cette loi, à coopérer à titre de témoin.

Pourriez-vous, en tant que conseiller juridique de l'État, m'expliquer à titre comparatif la différence entre le type de renseignements qu'un policier doit présenter au procureur du ministère public pour m'inculper d'une infraction s'il me considère coupable d'une infraction et s'il a des preuves à l'appui, et le type de renseignements qu'un policier doit présenter dans le but de m'assujettir à l'application de cette loi et de me faire comparaître à titre de témoin désigné en vertu des dispositions de celle-ci.

Si je n'ai que brièvement mentionné le CST, ce n'est pas que ses activités m'inquiètent. Le CST agit légalement et est régi par la loi, mais d'après ce que je comprends de son cadre administratif, il n'a pas à obtenir d'ordres explicites d'un juge pour entreprendre ses activités, mais, plutôt, seulement une approbation du ministre. Comme vous le savez, l'approbation ministérielle a posé problème à nos collègues de la Chambre des lords dans certaines situations connexes. Pourriez-vous m'aider à comprendre les modalités de ces deux types de renseignements qu'un policier peut présenter soit à un juge soit à un procureur du ministère public?

M. Parent : Dans le premier cas, si, à la suite d'une enquête, un policier a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction, ou est sur le point d'en commettre une, il est indiscutable qu'il peut l'arrêter et l'accuser en se fondant sur les preuves recueillies. Tous les éléments essentiels de l'infraction qui permettraient d'accuser l'individu doivent être présentés. Les « motifs raisonnables de croire » constituent la norme à atteindre.

Quant à l'autre point, je reviens sur le fait que cet individu est un témoin. Par exemple, une personne tient un commerce où elle vend toutes sortes de produits pour le jardin, y compris des engrais. À la suite d'une enquête et grâce aux renseignements qu'elle a obtenus du CST et d'autres sources, la police a toutes les raisons de croire qu'un acte terroriste sera perpétré.

La police apprend qu'un individu se rend régulièrement chez ce commerçant pour acheter des engrais. Elle ne sait pas si le commerçant est impliqué dans les activités terroristes, mais elle veut mettre un terme à ces activités. Dans ce cas, un engagement serait utile. Ce commerçant pourrait être appelé à comparaître.

Consciente du fait que ce commerçant sert probablement d'instrument en vue de la perpétration d'un acte terroriste, la police pourrait l'assujettir à une ordonnance d'engagement s'il ne veut pas coopérer. Ici encore, tout est question de coopération. Il n'y a pas de problème si l'individu auquel sera imposée une ordonnance d'engagement ou une ordonnance de comparaître pour répondre à des questions lors d'une investigation accepte de coopérer. Mais il pourrait y avoir un problème si le témoin ne coopère pas.

Le sénateur Segal : Quand on parle d'un vendeur d'engrais par exemple, le rapport entre son activité et le risque potentiel pour le public me semble évident à certains égards.

Mais c'est plutôt un autre genre de situation qui m'inquiète. Un de nos concitoyens peut être propriétaire d'un café où les gens se rencontrent pour bavarder. Il n'a rien fait d'autre qu'exploiter ce commerce. Nous n'insinuons pas pour un seul instant qu'il ait fait quelque chose de mal, et personne n'a aucune raison de le croire. Toutefois, si des personnes d'intérêt décident de se réunir régulièrement dans ce café, le policier qui ne cherche qu'à faire son travail et à protéger le public pourrait vouloir appeler ce propriétaire à titre de témoin pour qu'il donne des renseignements sur les clients de son établissement.

Si je comprends bien le principe, il s'exposerait aux mêmes contraintes et incarcérations éventuelles que le commerçant d'engrais; mais des dispositions relatives à la protection sont intégrées dans la loi afin d'éviter que des individus soient traités injustement de façon arbitraire. Êtes-vous en train de nous dire que la police a besoin d'exercer tous ces pouvoirs pour nous protéger adéquatement?

M. Parent : Pour répondre à votre question, si j'étais le procureur du ministère public qui examine l'exemple que vous m'avez donné, je ne recommanderais pas que soit déposée une dénonciation contre le propriétaire du café. Les motifs ne me semblent pas suffisants pour établir la nécessité d'assigner le propriétaire à comparaître; il faudrait plus de motifs. La première étape pour le policier serait de déterminer si le propriétaire sait quelque chose, ou s'il peut coopérer. À partir de là, il pourrait essayer d'obtenir des éléments matériels.

Cette fois-ci, la loi va plus loin, car elle établit que le policier a une autre obligation. Aux termes de cette loi, le policier ne peut se limiter à poser des questions à l'individu et, si celui-ci ne coopère pas, s'en tenir à ça et s'en aller. La première question que le juge lui poserait serait : « Quels autres moyens avez-vous utilisés pour obtenir des renseignements? Vous prétendez qu'une infraction terroriste risque de se produire. D'accord, vous avez des motifs raisonnables, mais vous voulez appeler un individu à comparaître et déposer une dénonciation contre lui, et c'est tout ce que vous avez? »

Le juge déclarerait cela irrecevable sans aucun doute. Cette situation ne correspond pas à la norme établie par la loi. Non seulement il n'y a aucun lien avec cette personne autre que le fait que cet homme sert du café et perçoit de l'argent pour ce service, mais encore n'y a-t-il eu aucun suivi relatif à l'exigence obligatoire d'appliquer d'autres méthodes.

Le sénateur Segal : Laissez-moi poser brièvement une dernière question. Elle concerne le protocole d'exécution ou les procédures administratives qui régiraient la façon dont les agents de la paix de compétence fédérale-provinciale- municipale assumeraient leurs obligations relatives à certains fondements rationnels permettant d'invoquer les parties de ce texte législatif.

Nous savons tous que la limite de vitesse sur les routes est de 100 km/h, mais le protocole d'exécution laisse entendre à la police qu'il existe une marge dans laquelle elle doit faire preuve de jugement. Nous savons que lorsque les policiers des diverses forces se sont réunis pour planifier le Sommet des Amériques, ils ont participé à une séance d'information détaillée portant sur divers facteurs pour lesquels ils devaient se préparer si le pire des scénarios devenait réalité. Ces préparations portaient sur la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, le droit de rassemblement et d'autres questions de procédure.

Les agents de la paix jouent souvent le rôle de premiers intervenants lorsqu'il y a un risque de terrorisme dans diverses collectivités. Du point de vue du ministère fédéral de la Justice, pour ce qui est de ses instruments accessibles et instruments non accessibles dans d'autres territoires, quelle mesure sera prise pour veiller à ce que les agents de la paix observent les orientations que vous avez eu la gentillesse de nous décrire cet après-midi? Quel est le processus ou la directive qui en découlerait? Quel degré d'assurance pouvez-vous donner au comité que nous faisons tout notre possible pour veiller à réduire le plus possible les erreurs qui pourraient être commises? Cette question, bien entendu, sous-entend qu'il n'y a jamais d'uniformité totale puisqu'il y aura des erreurs et que nous sommes tous humains.

M. Parent : J'ai bien peur que ma réponse ne soit pas satisfaisante puisqu'il s'agit d'une question beaucoup plus opérationnelle que législative.

Le sénateur Segal : Je comprends.

M. Parent : Par conséquent, je sais que des cours sont offerts pour informer les policiers et qu'il existe un programme de sensibilisation des diverses collectivités pour les informer de la loi antiterroriste. De plus, le programme des Équipes intégrées de la sécurité nationale (EISN) a été mis en œuvre. Il permet aux policiers et aux organismes d'application de la loi de collaborer avec leurs collectivités au dossier de la lutte contre le terrorisme et à d'autres enjeux également.

C'est pourquoi je suis certain que la sécurité du public a été intégrée. Il y a des programmes en place qui permettent d'informer les policiers de leurs tâches et de leur donner les cours requis pour régler la question de la loi antiterroriste en bonne et due forme.

M. Parent : Comme l'a mentionné mon collègue, il faut également que le procureur général ou le ministre de la Sécurité publique donne son consentement. À ce stade, cette question doit aussi avoir, d'une certaine façon, été étudiée minutieusement.

Le sénateur Andreychuk : Cette preuve nous a été présentée, et le sénateur Segal peut donc être certain que nous avons étudié ces préoccupations.

Le sénateur Joyal : Ma question met davantage l'accent sur l'examen de ces deux articles après cinq ans. Veuillez jeter un coup d'œil au paragraphe proposé 83.32(1.1) au bas de la page 8 du projet de loi. Je cite :

Un examen approfondi des articles 83.28, 83.29 et 83.3 et de leur application peut être fait par le comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, que le Parlement ou la Chambre en question, selon le cas, peut désigner ou constituer à cette fin.

Vous vous souviendrez tous les deux que le paragraphe 145(1) du projet de loi antiterroriste mentionnait l'obligation de la Chambre et du Sénat d'entreprendre un examen. Je cite :

Dans les trois ans qui suivent la sanction de la présente loi, un examen approfondi des dispositions et de l'application de la présente loi doit être fait par le comité soit du Sénat...

... et ainsi de suite.

La recommandation 40 de notre rapport de février 2007 dit :

Que la Loi antiterroriste soit modifiée pour prévoir la tenue, dans les huit ans suivant la sanction royale (c'est-à- dire au plus tard en décembre 2009) et tous les cinq ans par la suite, d'un nouvel examen complet de ses dispositions et de son fonctionnement par un ou des comités parlementaires. . .

Pourquoi avez-vous choisi de ne pas donner suite à la recommandation unanime du comité, selon laquelle il faudrait examiner ces deux dispositions? Compte tenu de votre déclaration selon laquelle nos textes de droit pénal n'en donnent pas les significations exactes jusqu'à maintenant, il demeure difficile de cerner leur sens exact sur le plan pratique. Un jour ou l'autre, un tribunal du Canada devra donner effet à une de ces dispositions après cinq ans.

M. Parent : Essentiellement, nous avons discuté de la recommandation que vous avez faite. On estimait préférable de laisser aux sénateurs ou à la Chambre des communes le soin de déterminer la nécessité et le moment d'un examen. Au lieu d'imposer à la Chambre et au Sénat l'obligation statutaire d'examiner la loi dans un certain délai, nous voulions les laisser décider. Ils ont le pouvoir inhérent d'examiner cette loi et il n'est pas nécessaire de leur imposer cet examen.

De plus, compte tenu des différentes recommandations faites par la Chambre et le Sénat concernant la prorogation des dispositions concernées, lorsque nous avons tenu compte de toute cette information, nous avons décidé qu'il était préférable de laisser la Chambre et le Sénat décider s'ils voulaient effectuer l'examen en question, et de choisir le moment de cet examen.

Vous souhaiteriez peut-être qu'il se déroule avant la fin des cinq ans que nous aurions proposés, ou encore plus tard. Cela dépend des circonstances qui auront cours d'ici à ce que vous vouliez un examen. Nous ne le savons pas. Y aura-t- il des actes terroristes durant les deux prochaines années? N'y aura-t-il aucun acte terroriste durant les cinq prochaines années? À ce moment-là, allez-vous souhaiter imposer un examen et déterminer si ces dispositions devraient être maintenues?

Étant donné ce qui précède, nous avons décidé de les laisser en place et de remplacer le mot « doit » par « peut ». Vous avez donc un plein pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la façon dont vous souhaitez étudier cette question.

Le sénateur Joyal : Si après mûres réflexions nous décidons de rétablir l'article 145 de la législation antiterroriste et de remplacer le mot « peut » par « doit » — en anglais « may » par « shall » — vous ne présenteriez pas d'objection de principe? C'est à nous de décider de la manière d'aborder cette question. C'est bien cela?

[Français]

M. Parent : C'est votre prérogative, bien sûr.

[Traduction]

Vous avez un commentaire?

Le sénateur Joyal : Même commentaire.

[Français]

M. Parent : Absolument, comme je l'ai mentionné, c'est un pouvoir inhérent aux Chambres de décider du sort de la législation en question, de décider si on veut une révision ou pas.

[Traduction]

Le sénateur Joyal : Je vais pousser la question un peu plus loin. Au ministère de la Justice, avez-vous étudié la différence entre le fait pour le Parlement d'effectuer un examen lorsqu'il y était obligé par rapport à lorsqu'il avait la possibilité de le faire? Je pense ici à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, qui prévoyait la possibilité d'un examen à laquelle on n'a jamais donné suite.

D'après mon expérience, lorsqu'il n'existe qu'une possibilité, il y a tellement d'autres situations et circonstances politiques plus urgentes que la plupart du temps le Parlement doit passer à d'autres politiques gouvernementales d'actualité. J'estime que si cette obligation d'examiner cette loi après trois ans n'est pas impérieuse, il est possible que d'autres enjeux concurrentiels attirent l'attention des parlementaires.

Lorsqu'une loi comprend une obligation, surtout un texte législatif d'une grande importance telle que la loi antiterroriste, le Parlement — et surtout la présente Chambre — estimera que cette obligation ne peut pas être écartée et y donnera suite.

M. Parent : Je comprends. Cependant, ce que vous avez soulevé en fait de législation comparée et quant à savoir si l'examen de cette loi est facultatif ou obligatoire, ne m'est pas familier. Je le répète, nous pensons que la décision relève du pouvoir inhérent aux deux Chambres de déterminer si elles veulent un examen et quand cet examen doit avoir lieu.

Le sénateur Joyal : Permettez-moi d'avancer un autre argument. Avez-vous lu l'étude de M. Kent Roach, professeur de droit à l'Université de Toronto? M. Roach a publié une longue étude dans Choices, le magazine de l'Independent Research in Public Policy, IRIPP.

Le sénateur Segal : Une organisation remarquable.

Le sénateur Joyal : Mon collègue, en face, louera sans doute cette étude, qui a été publiée en septembre de cette année. Le professeur y compare minutieusement la façon dont le Sénat et la Chambre des communes se sont acquittés de leurs obligations respectives aux termes de l'article 145.

Je voudrais le citer pour mémoire :

Cela changera peut-être avec la réforme du Sénat, mais la relative stabilité du Sénat est un avantage. La courbe d'apprentissage raide que suppose la complexité de l'élaboration des politiques en matière de sécurité milite en faveur de la continuité des comités parlementaires dans ce domaine.

Les élections de 2004 et de 2006 ont eu pour conséquence que seulement quatre des sept membres du sous- comité de la Chambre des communes sont restés en fonction, même pendant la durée de l'examen trisannuel reporté de la Loi antiterroriste, alors que la majorité des membres du comité sénatorial ont pu s'atteler à la tâche en connaissance de cause parce qu'ils avaient déjà fait partie du comité sénatorial qui avait examiné la Loi antiterroriste en 2001.

Il est clair pour moi que le Sénat a l'obligation d'examiner la loi — par exemple, ces deux dispositions dans un délai de cinq ans — et si on en juge par la longévité des sénateurs réunis autour de cette table, nous serons tous de nouveau réunis autour de cette table, si Dieu le veut, dans cinq ans. Nous nous souviendrons des réponses que vous avez faites aujourd'hui aux questions de mes collègues, le sénateur Baker, le sénateur Nolin et les autres. Nous sommes donc mieux placés pour réévaluer les répercussions de ces deux dispositions sur le système criminel du Canada.

Il me semble que c'est une question de bon sens que, lorsqu'on a affaire à des dispositions exceptionnelles du droit criminel comme celles-ci, le Parlement ait l'obligation de les examiner et pas de les mettre en concurrence avec d'autres exigences que la politique de l'heure pourrait imposer aux parlementaires. Quand on a affaire à des dispositions législatives exceptionnelles, on doit imposer des obligations aux parlementaires quant à la règle de droit et au service de la Charte canadienne des droits et libertés. Il me semble que ces obligations relèvent d'une bonne politique.

M. Parent : Nous n'avons pas d'objection en soi. Nous voulions vous laisser la possibilité de décider de la manière d'agir — si vous le voulez et quand vous le voulez.

Si le Sénat désire amender ce projet de loi, nous respecterons les règles qui seront appliquées par après. Par conséquent, c'est votre prérogative. Que ce soit dans le contexte de la loi principale, après l'entrée en vigueur, ou dans le contexte d'une modification que vous pourriez vouloir mettre de l'avant, nous accepterons votre décision quant à la façon dont cette question doit être traitée à l'avenir.

Le sénateur Baker : Cette audience a été intéressante parce que le ministre et les responsables ont déclaré qu'ils amendent le projet de loi comme le Sénat a recommandé de le faire il y a deux semaines, et qu'il faut l'amender pour l'accorder à la loi.

Pour ce qui est du second amendement suggéré par le Sénat, qui concernait l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vancouver Sun (Re), le ministère dit : non, cette modification n'est pas nécessaire. C'est peut-être exagérément compliqué pour la raison que le libellé devrait être choisi soigneusement; et peut-être que le Sénat pourrait se pencher sur les termes employés par le juge en chef dans l'affaire Vancouver Sun (Re) et déterminer s'ils sont adéquats pour l'amendement visé.

Finalement, je trouve l'échange intéressant du fait que M. Gilmour et M. Parent ne s'entendent pas sur une question en particulier soulevée par le président et le sénateur Segal, concernant les motifs raisonnables et les personnes qui feraient l'objet d'une détention. M. Gilmour a exprimé l'opinion qu'une personne à qui un policier rendrait visite avec une ordonnance « ex parte » ne serait pas détenue. L'ordonnance « ex parte » est émise par le juge. Comme l'a souligné le sénateur Segal — et je suis plutôt d'accord avec lui si c'est ce qu'il suggérait —, le propriétaire de café serait visé par l'article du projet de loi, dans lequel on parle de motifs raisonnables de croire que cette personne peut révéler les allées et venues d'un individu que le policier « soupçonne » de vouloir commettre un acte terroriste — « soupçonne » et non « croit ». Cependant, la personne à qui l'on remet l'ordonnance est la personne qui aurait l'information sur les allées et venues de l'individu. Cette personne pourrait être le propriétaire de café. Cette personne pourrait être son prêtre, son avocat, son médecin ou un membre de sa famille, et c'est elle qui ferait l'objet de l'ordonnance « ex parte ».

M. Gilmour a dit que la personne n'est pas détenue aux termes du paragraphe 10b) de la Charte, soit le droit à l'assistance d'un avocat, comme le souligne le président, à des conseils juridiques gratuits, et ainsi de suite. M. Parent donne l'impression qu'elle est peut-être détenue en vertu — mais il m'indique maintenant en secouant la tête qu'il ne donne pas cette impression.

Nous sommes dans une situation intéressante. Je peux comprendre qu'il y ait confusion parce que l'article n'a jamais été remis en question. Je parlerais de détention si quelqu'un jure qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne connaît les allées et venues du suspect, lorsqu'il a déjà juré que de tels motifs existent et qu'il a tenté par d'autres moyens d'obtenir l'information auprès de la personne, de son avocat, de son médecin, de sa mère, de son père, d'un politicien, du président de ce comité ou de qui que ce soit.

Si la personne est détenue aux termes du paragraphe 10b) de la Charte, a-t-elle le droit de consulter un avocat? On nous dit aujourd'hui qu'elle n'a peut-être pas ce droit, et que les tribunaux trancheraient probablement la question.

Les témoins parlent de détention pour fin d'enquête. Le terme est souvent utilisé; la Cour suprême du Canada a rendu de nombreuses décisions quant à la durée de détention constituant une violation des droits de la personne; mais le terme est validé par l'article 1 de la Charte parce que la durée de la détention est raisonnable.

La présente mesure législative soulève une question importante, une question qui concerne le fait que je conclue, après avoir entendu les témoins, qu'une personne n'a pas droit à l'assistance d'un avocat si on lui présente une ordonnance « ex parte », émise par un juge, l'obligeant à comparaître et à répondre à des questions. Cela soulève une question intéressante pour les délibérations futures, monsieur le président.

Le président : Voulez-vous répliquer?

Le sénateur Andreychuk : Si je comprends bien, les commentaires du sénateur Baker ne visent pas les articles que nous amendons, mais plutôt la loi que nous avons adoptée, la Loi antiterroriste.

Le sénateur Baker : Je le dis à la lumière des témoignages présentés au comité aujourd'hui.

Le sénateur Andreychuk : Les deux sont concernés toutefois.

Le sénateur Baker : Oui.

Le président : Le témoin veut-il commenter?

M. Parent : J'ai un petit commentaire : il y a deux scénarios possibles. Dans le premier, l'individu est arrêté et, donc, cette loi ne s'applique pas.

Dans le second scénario, la personne est un témoin qui pourrait fournir de l'information dans le cadre de l'investigation en cours. Dans ce cas, il y a trois possibilités. L'une de ces possibilités, c'est que la personne est arrêtée en vertu d'un mandat d'arrestation parce qu'elle refuse de collaborer ou qu'il y a une question d'urgence, et ainsi de suite. Cet élément indiquerait clairement que la personne est détenue. Dès qu'il y a détention, les droits prévus par la Charte s'appliquent.

Selon ce scénario, il existe deux autres possibilités, soit une citation à comparaître, soit une sommation. Je suis de l'avis de mon collègue, M. Gilmour, qui affirme que dans les deux cas la personne n'est pas détenue. La personne ne reçoit qu'une citation selon laquelle elle doit comparaître devant un juge à un moment précis. Entre-temps, qu'est-ce qu'elle peut faire? Elle peut retenir les services d'un avocat ou tout simplement dire : « Je n'ai pas besoin d'un avocat. Je témoignerai de mon plein gré et ferai tout en mon pouvoir pour faire avancer le dossier. »

Comme le souligne à juste titre le sénateur Baker, ces questions feront un jour l'objet d'un litige. Nous espérons que ce ne sera pas le cas, puisque cela signifierait que nous n'avons pas de problème de terrorisme. Or, s'il y a des problèmes, ils seront portés en justice.

Étant donné qu'elles ont fait l'objet de litiges aux termes de la loi pénale, nous étudierons et évaluerons les particularités de la détention, notamment le lieu où la personne est détenue et les droits de cette personne.

Par ailleurs, le Code criminel actuel ne fait pas mention du moment où une personne doit être détenue. Les cas sont traités individuellement, et la décision appartient au juge qui entend les preuves.

Le sénateur Baker : La jurisprudence est on ne peut plus clair quant aux cas nécessitant la détention d'une personne.

M. Parent : Tout à fait. C'est pourquoi j'affirme que la jurisprudence s'applique à l'arrêt Vancouver Sun (Re).

Le sénateur Day : J'aimerais revenir aux investigations. Monsieur Parent, vous avez répondu au sénateur Baker que, si quelqu'un refuse de coopérer, un mandat pourrait être délivré. Je me pose des questions à ce propos. J'ai jeté un coup d'œil à l'article 83.29, et le refus de collaborer n'est pas l'une des raisons citées pour la délivrance d'un mandat d'arrestation aux termes de la loi.

J'aimerais des éclaircissements au sujet du processus : lorsque la personne se présente devant le juge, ne s'esquive pas, mais respecte une citation à comparaître dans lequel on dit : « Nous voulons obtenir réponse à certaines questions, nous souhaitons recueillir des documents; nous voulons vous poser des questions », et la personne visée refuse de répondre aux questions.

M. Parent : Vous faites manifestement référence à l'alinéa 83.29(1)c).

Le sénateur Day : Selon le texte de l'alinéa, la personne « ne s'est pas présentée. » J'ai dit que la personne se présente devant le juge, mais refuse de répondre aux questions. Elle ne répond pas aux questions.

M. Parent : L'article 707 s'applique dans ce cas. La personne sera détenue jusqu'à ce qu'elle décide de coopérer avec les autorités.

Le sénateur Day : Cela s'applique aux personnes mises sous garde aux termes de l'article 707. Selon ce que nous venons de dire, la personne n'est pas encore mise sous garde. Conformément à l'article 4 du projet de loi, l'article 707 du code s'applique lorsqu'une personne a été mise sous garde.

M. Parent : Ou qu'elle peut être détenue. L'article 707 concerne les témoins conduits devant un juge aux fins de comparution. On ne doit pas confondre le témoin et l'accusé. L'article en question s'applique également dans les affaires au civil. Une personne qui refuse de répondre aux questions aux termes du Code criminel peut être détenue jusqu'à ce qu'elle décide de coopérer. Si elle se présente devant le juge, c'est qu'elle a été citée à comparaître. Elle doit alors répondre aux questions qui lui sont posées. Peut-être n'est-elle pas au courant du dossier; elle doit donc le dire. C'est à l'avocat de la Couronne de poursuivre comme bon lui semble. Cependant, si la personne connaît les réponses aux questions, elle commet un parjure en affirmant qu'elle ne sait rien.

Le sénateur Day : Il s'agit d'une situation différente.

M. Parent : Tout à fait. Prenons pour hypothèse que la personne assignée à témoigner ne s'est pas présentée. On peut alors délivrer un mandat recommandant son arrestation.

Le sénateur Day : C'est prévu à l'article 83.29.

M. Parent : Entre autres. En bref, la personne est conduite devant le juge et, bien entendu, à ce point-ci, elle est sous garde. Il ne faut pas oublier la disposition selon laquelle la personne doit être conduite devant un juge dans un délai de 24 heures. Si la cour ne peut instruire l'affaire, celle-ci sera renvoyée au plus tard 72 heures avant le début de l'audience.

Le sénateur Day : J'essayais de savoir pourquoi vous n'avez pas mentionné le cas du témoin qui comparaît, mais qui ne coopère pas et qui ne répond pas à la question posée. Vous avez énuméré tous les autres critères, soit la personne qui se soustrait à la signification de l'ordonnance, qui est sur le point de s'esquiver, qui ne s'est pas présentée, qui n'est pas demeurée présente et qui est partie, mais vous n'avez pas fait mention du refus de répondre aux questions posées.

M. Gilmour : Je crois que ce critère est abordé dans l'article 83.28, qui traite du témoin qui refuse de répondre aux questions.

Le sénateur Day : À quel paragraphe?

M. Gilmour : J'essaie de le trouver.

Le sénateur Day : Éclairez-moi sur cette question, et nous aurons fini.

M. Parent : Le paragraphe 83.28(8) dit :

La personne visée par l'ordonnance répond aux questions qui lui sont posées par le procureur général... et remet au juge qui préside les choses exigées par l'ordonnance...

et donne notamment d'autres indications semblables sur la divulgation des renseignements protégés.

Le sénateur Day : Qu'en est-il du témoin qui refuse de répondre? Que se passe-t-il si le témoin se présente, mais ne répond pas aux questions?

M. Parent : L'article 707 s'applique alors automatiquement.

Le sénateur Day : Le présent projet de loi n'aborde-t-il pas la question?

M. Parent : Oui, au paragraphe 83.29(4).

Le sénateur Day : Cette disposition s'applique aux personnes mises sous garde.

M. Parent : Elle s'applique à la personne mise sous garde avec les adaptations nécessaires.

Le sénateur Day : La personne n'a pas encore été mise sous garde. Vous l'avez déjà répété plusieurs fois au sénateur Baker.

M. Parent : Permettez-moi de souligner que la mention « avec les adaptations nécessaires » s'appliquerait.

Le sénateur Day : Je ne cherche pas à contourner ce que vous dites.

M. Parent : Ce cas pourrait en être un où la mention « avec les adaptations nécessaires » s'appliquerait pour permettre le recours à l'article 707 du Code criminel.

Le sénateur Day : Vous devriez peut-être vous pencher sur cette question, car vous avez dit que la personne n'était pas mise sous garde. Le paragraphe 83.29(4) se rapporte à l'article 707, qui s'applique aux personnes mises sous garde. Je parle d'une personne qui n'est pas mise sous garde, qui est là et qui coopère par sa présence, mais qui ne répond pas aux questions qui lui sont posées et qui se justifie en disant : « Si je réponds, c'est fini, on me tuera. »

M. Parent : C'est précisément de ces circonstances que traite l'article 707. La personne est présente sans avoir été mise sous garde. On fait appel à elle et elle vient témoigner de son plein gré, mais elle est alors mise sous garde en vertu de l'article 707 parce qu'elle ne coopère pas. D'abord, la personne refuse de répondre aux questions qui lui sont posées, et elle est ensuite mise sous garde, ce qui permet d'avoir recours à l'article 707.

Le sénateur Day : La personne a alors le droit de consulter son avocat, qui lui dira qu'elle a bien fait de ne pas répondre aux questions.

Le président : Je remercie les témoins pour ce contre-interrogatoire qui a largement dépassé deux heures. Ils se sont bien défendus et nous les remercions de leur coopération. Vous pouvez maintenant partir. Je ne vous retiendrai pas.

Honorables sénateurs, nous devons discuter de notre prochaine séance. Pour des motifs indépendants de ma volonté, je ne pourrai pas être présent la semaine prochaine, et le sénateur Nolin non plus. Je crois que le sénateur Fairbairn pourra être présente. C'est ce que j'ai entendu. Pour la prochaine étape, nous avions prévu essayer d'entendre le témoignage des associations policières et des universitaires à qui nous avons fait appel. Nous n'avons reçu qu'une réponse, une confirmation, et je me demande si nous ne devrions pas attendre deux semaines pour nous assurer de réunir deux bons groupe d'experts. Si la séance dure les trois heures prévues, nous pourrons probablement consacrer une heure et demie à chacun des groupes. Jusqu'à maintenant, nous n'avons reçu qu'une réponse positive.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez parlé de la prochaine étape. Combien d'étapes prévoyez-vous?

Le président : Quelques-unes. Nous avons tenu une réunion du comité de direction, avec le sénateur Nolin, et nous avons décidé de ne pas revenir sur les témoignages que nous avons déjà entendus, car ils sont consignés au compte rendu et nous avons eu l'occasion de les consulter. Cependant, certains sont éloquents et nous les avons rassemblés sur une courte liste. Nous pouvons passer cette liste en revue si vous le voulez.

Le sénateur Andreychuk : Non, vous avez parlé de la prochaine étape et je ne savais pas si vous aviez prévu cinq étapes de plus ou deux de plus. J'espère que nous traiterons rapidement cette étude. Dites-vous que nous pourrons terminer dans deux semaines?

Le président : Non, pas exactement. Laissez-moi m'expliquer. Je ne crois pas que suffisamment de témoins aient confirmé leur présence jusqu'à maintenant pour que nous puissions nous engager à tenir la séance la semaine prochaine, compte tenu du nombre de personnes à qui nous avons fait appel. Cependant, je suis entièrement convaincu que deux bons groupes d'experts seront présents la semaine suivante. Nous devrons peut-être mettre de côté le projet de loi S-3 pendant un certain temps et passer au projet de loi C-3, car il fait l'objet d'une date limite. Contrairement au projet de loi S-3, le projet de loi C-3 doit respecter une date limite qui lui a été imposée par la Cour suprême du Canada. Essentiellement, la question du projet de loi C-3 doit être réglée avant la fin de février étant donné la décision rendue par la Cour suprême l'an dernier. C'est ce à quoi nous nous attendons. Nous n'avons pas encore reçu le projet de loi C-3, mais lorsque nous le recevrons, si les délais sont serrés, nous mettrons de côté le projet de loi S-3, pour lequel nous disposons de plus de temps. Nous pourrons alors traiter le projet de loi C-3 en respectant la date limite.

Le sénateur Andreychuk : Envisagez-vous de finir de traiter ce projet de loi avant Noël?

Le président : Non, mais nous continuerons de persévérer. Vous n'y voyez pas d'inconvénient?

Le sénateur Andreychuk : C'est d'accord.

Le président : Je remercie encore les témoins.

La séance est levée.


Haut de page