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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 22 - Témoignages du 11 juin 2008


OTTAWA, le mercredi 11 juin 2008

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, saisi du projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi et des lois connexes, se réunit aujourd'hui à 16 h 10 pour en faire l'examen.

Le sénateur W. David Angus (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour et bienvenue, mesdames et messieurs. Je souhaite également la bienvenue à nos téléspectateurs sur CPAC et sur le web.

Je déclare ouverte la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

[Français]

Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur le projet de loi C-10, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, notamment en ce qui concerne les entités de placement étrangères et les fiducies non-résidentes ainsi que l'expression bijuridique de certaines dispositions de cette loi, et des lois connexes.

[Traduction]

C'est le titre officiel du projet de loi C-10, avec lequel nous nous colletons depuis la mi-novembre.

Je suis le sénateur David Angus, du Québec, et je suis président du comité. Le sénateur Yoine Goldstein, de Montréal, est le vice-président. Aujourd'hui, sont également présents, le sénateur Francis Fox, de Montréal; le sénateur David Tkachuk, de la Saskatchewan et le sénateur Wilfred Moore, d'Halifax.

Nos témoins aujourd'hui vont nous parler des problèmes que pose l'article 120 du projet de loi C-10 qui modifie la disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui énonce les règles qui s'appliquent au calcul du crédit d'impôt pour productions cinématographiques ou magnétoscopiques canadiennes.

[Français]

Vous avez sûrement suivi nos délibérations jusqu'à aujourd'hui. Nous avons entendu plus de 64 témoins sur les sujets couverts par ce projet de loi. Nous sommes très contents de vous compter parmi nous cet après-midi. Nous avons, de Cinéman Films Inc. et Sheltered Life Productions Inc., M. Carl Laudan, producteur et réalisateur et de l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son, Mme Brunhilde Pradier, présidente. Vous avez la parole.

Brunhilde Pradier, présidente, Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son : Je vous remercie, monsieur le président, messieurs et mesdames les sénateurs, de nous permettre de nous exprimer sur le projet de loi C-10. Je suis Brunhilde Pradier, présidente de l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son. Depuis deux ans, j'assume la présidence de l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son et c'est à titre de représentante d'une association de créateurs et de techniciens que je viens vous présenter l'avis des membres de notre alliance sur une disposition fort controversée du projet de loi C-10.

Avant d'aborder le sujet, permettez-moi en tout premier lieu de vous présenter l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son (l'AQTIS).

Notre syndicat fondateur, le SNC (le Syndicat national du cinéma), fut créé en 1969 de la volonté des professionnels du cinéma du Québec de bâtir une association à leur image, réunissant dans une organisation les artisans créateurs et les techniciens passionnés par leur art et travaillant à la concrétisation d'œuvres cinématographiques dans un contexte culturel particulier en Amérique du Nord.

L'AQTIS représente aujourd'hui plus de 2 800 artistes et techniciens membres et 1 200 techniciens permissionnaires appelés à devenir de futurs membres qui exercent plus d'une centaine de métiers différents à la caméra, au son, au montage, dans les décors, les costumes, les maquillages et coiffures, la régie, les effets spéciaux mécaniques, l'assistance à la réalisation, les scripts, la postproduction, les métiers techniques, les éclairages, la production de télévision et de cinéma. Les membres de notre alliance sont des travailleurs pigistes et œuvrent pour des producteurs indépendants québécois et étrangers.

C'est sous le signe d'une étroite collaboration entre les producteurs indépendants, membres de l'APFTQ, les scénaristes, membres de la SARTEC, les réalisateurs, membres de l'ARRQ ou du CQGCR, avec le concours des comédiens et des comédiennes, membres de l'UDA et de l'ACTRA, que les artistes créateurs et techniciens membres de l'AQTIS travaillent.

La mission fondamentale de notre organisation est de défendre les intérêts de ses membres. C'est pourquoi l'AQTIS a toujours participé activement aux débats publics concernant les politiques appliquées à notre industrie qui, faut-il le rappeler, n'est pas une industrie comme les autres puisqu'elle appartient à l'univers de la culture.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Madame Pradier, vous avez mentionné des organismes en utilisant leurs sigles. Pourriez-vous, aux fins du compte rendu, nous dire leurs noms au complet, s'il vous plaît?

[Français]

Mme Pradier : L'APFTQ est l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, la SARTEC est la Société des Auteurs de Radio, Télévision et Cinéma, l'ARRQ est l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec, le CQGCR est le Conseil du Québec de la Guilde canadienne des réalisateurs, l'UDA est l'Union des artistes et l'ACTRA est l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists, c'est-à-dire l'association qui représente les comédiens de langue anglophone au Québec et ailleurs au Canada.

Je vous disais que notre industrie appartient à l'univers de la culture, qu'elle est porteuse de sens et qu'elle participe en cela au débat de société.

En tant que praticiens de la culture, nos membres sont conscients d'être au cœur du développement de notre culture cinématographique et télévisuelle. Ils sont aussi préoccupés et vigilants des changements de politiques qui auront un impact sur la vitalité de notre culture et notre capacité à développer notre regard, une vision qui soit originale et canadienne.

M. Roger Frappier est venu le dire devant ce comité le 29 mai dernier, et je le cite :

[...] même les techniciens sont venus me voir en disant que ça n'a aucun sens.

Alors me voici, je suis venue ici vous le dire de vive voix et en leur nom : les artistes créateurs et techniciens membres de l'AQTIS sont très inquiets du sens qu'il faut comprendre de cette nouvelle mesure.

Pourquoi l'AQTIS intervient-elle? À titre de syndicat, notre mandat est de négocier les conditions de travail pour nos membres, mais nous sommes aussi préoccupés des changements annoncés qui auront un impact inévitable sur la capacité de financement des productions au sein desquelles nous œuvrons. Ces changements pourraient avoir des répercussions sérieuses sur la structure de financement rendant impraticable la mise en œuvre des projets sur lesquels nous œuvrons, si ce n'est la disparition pure et simple des emplois qui leur sont liés.

En ce qui concerne le projet de loi C-10 — et particulièrement l'article 120 —, je ne veux pas ajouter aux arguments qui vous ont été présentés par les producteurs. Malgré ce qui nous divise parfois, je peux dire que l'AQTIS et ses membres sont pleinement solidaires avec eux. Cette mesure du projet de loi C-10 serait préjudiciable à l'industrie du cinéma et nous sommes en accord avec les intervenants de tout le milieu pour nous y opposer. Sauf le respect que je dois à la ministre du Patrimoine, nous ne pouvons être d'accord avec la position qu'elle a défendue ici. Il nous semble que le projet de loi C-10 comporte en lui-même son lot d'effets pervers — sans vouloir faire de jeu de mots — et que les conséquences appréhendées sur notre industrie sont bien trop dommageables si on les oppose au petit problème que la ministre souhaite régler.

On nous dit qu'il y aurait eu depuis la création des crédits d'impôt une ou deux œuvres qui auraient été proscrites du financement. Alors peut-on vraiment parler d'un problème? Nos amis anglophones disent souvent : « If it ain't broken, don't fix it. »

En introduisant le risque que les crédits ne soient pas accordés, cette mesure met en péril le financement nécessaire au démarrage des projets et par conséquent, leur production. De nombreux producteurs et quelques représentants de banques sont venus ici vous exprimer comment se fait le financement des productions. Ils vous ont démontré que les banques ont le risque en aversion et que certaines productions pourraient ne plus avoir accès au financement de démarrage en raison de l'incertitude de l'attribution des crédits d'impôt a posteriori. Ils vous ont également démontré que le processus d'acceptation des projets risque de devenir plus compliqué pour ne pas dire loufoque, puisque les banques se préoccuperont dorénavant du contenu des films alors qu'à ce jour, elles se référaient aux décisions des organismes d'État pourvoyeurs de financement.

Le fondement même de cette nouvelle règle sur le crédit d'impôt introduite dans le projet de loi C-10 nous semble vicié au point de départ.

J'évoquais plus tôt le questionnement sérieux que nous avons concernant cette mesure nouvelle et du sens que nous devons y donner, puisqu'il est question ici d'ordre moral. Beaucoup d'intervenants ont fait valoir qu'il existe à l'heure actuelle au Code criminel toutes les dispositions nécessaires pour intervenir auprès des responsables d'une œuvre, au même titre que des personnes morales ou des individus qui sont tous redevables devant le Code criminel.

Ce qui nous préoccupe, c'est qu'il y a ici une surenchère des dispositions existantes. Les dispositifs qui se profilent par cette surenchère nous alarment au plus haut point.

Cela nous inquiète d'autant plus, lorsque la ministre déclare, par exemple, devant ce comité que, et je cite :

[...] que la pornographie n'est pas une balise suffisante, que le Code criminel n'est pas une balise suffisante.

Mais quelle balise veut-on imposer? Là est toute la question. La ministre semble elle-même évoquer que nos tribunaux et nos lois ne sont pas suffisants et propose, en lieu et place, de confier à une instance administrative le soin de juger si un film achevé, qui aurait par ailleurs franchi plusieurs étapes lors de son financement, contrevient à l'ordre public.

D'autant plus que la ministre renchérit en affirmant que, et je cite :

Enfin, cette façon de procéder permet de réaffirmer le principe selon lequel certains types de contenus, quoique légaux, n'ont pas à être subventionnés par les contribuables.

Mettre en place un système de jugement hors des tribunaux, fondé sur la subjectivité, à la discrétion d'un comité d'administrateurs, si éclairés soient-ils, nous apparaît comme une procédure malsaine pour une société démocratique.

Le Code criminel et les tribunaux de ce pays sont garants de l'ordre public et il nous semble que c'est un choix que notre société a assumé et nous pouvons en être fiers et reconnaissants. Nous ne souhaitons pas qu'il en soit autrement. Il nous apparaît dangereux de procéder de la manière proposée par le projet de loi C-10.

J'aimerais vous entretenir des caractéristiques des œuvres dramatiques pour comprendre comment ça se situe. En effet, la nouvelle disposition du projet de loi C-10 heurte de plein fouet les caractéristiques premières des œuvres dramatiques. Les œuvres dramatiques nous confrontent et nous interpellent. Elles mettent en lumière des gestes, des situations et des émotions qui, lorsqu'ils nous touchent, nous révèlent à nous-mêmes. C'est le propre des œuvres dramatiques de confronter des notions opposées. Comme l'ombre et la lumière sont les instruments de l'éclairagiste, un directeur photo vous dirait que c'est en créant des ombres que l'on révèle ce qui doit être mis en lumière, l'un permet de révéler l'autre.

Ce qu'on nomme ici des contenus sont des outils avec lesquels les créateurs composent des univers. Ils sont les maîtres artisans de ce regard fin sur notre société. Ils y trouvent 1 000 situations, attitudes, dogmes, gestes et pensées dans lesquels ils perçoivent un reflet révélateur de notre société. Ce sont souvent des précurseurs. Ils osent nous offrir cette palette comme un miroir de nous-mêmes. Parfois ils choquent, ils ébranlent nos certitudes et ils nous confrontent. Oui, ils dérangent, mais ils sont nécessaires aux débats d'idées et ces débats sont sains dans une société, ils lui permettent de se situer, d'évoluer et finalement, nous en sommes plus riches d'une réflexion assumée à l'inverse d'une réflexion qui serait occultée.

Nous doutons fortement que les gestionnaires du programme de crédits d'impôt soient à ce point avisés sur l'écriture cinématographique pour être en mesure d'apprécier le contenu d'une œuvre, ni en partie, ce qui serait pire, non plus que dans son ensemble, ce dont nous doutons et ce, même avec des lignes directrices, et à plus forte raison avec des lignes directrices. Ce n'est pas du moins ce qu'on attend d'eux.

Selon nous, le projet de loi C-10 va à l'encontre aussi de la liberté d'expression. Il impose des règles concernant l'accès aux crédits d'impôt qui inciteront probablement certains créateurs à s'autocensurer pour ne pas traiter de certains sujets ou à adopter un angle d'approche qui serait plus acceptable aux yeux des producteurs et aux représentants de l'administration publique. S'il ne nous est pas permis de présumer qu'il y aura censure, il est fort probable que nous ferons face à une forme insidieuse de censure sur le choix des sujets, sur le traitement et sur la qualité artistique de nos œuvres, soit par les artistes eux-mêmes, soit par les producteurs. Nous en serons tous perdants.

Cette règle aussi est inique. La nouvelle disposition du projet de loi C-10 est inéquitable puisqu'elle ne s'applique qu'aux productions domestiques et qu'elle échappe aux productions de service, c'est-à-dire les productions « clés en main » faites pour un producteur étranger par un producteur local. Cela est pour le moins paradoxal et c'est un autre aspect qui manque de cohérence.

Il me semble que cette politique tranche incontestablement avec l'habitude non interventionniste des gouvernements canadiens en matière d'œuvres audiovisuelles. Quand il a été question de réglementer la diffusion des œuvres à caractère violent à la télévision canadienne, le gouvernement a plutôt choisi de laisser les diffuseurs en avertir le public plutôt que légiférer dans le sens d'une contrainte.

Il se trouve que certaines stations de télévision canadienne n'ont pourtant que ces œuvres à offrir au public canadien. Il se trouve que la très grande majorité de ces œuvres sont des productions américaines et que quelques-unes d'entre elles sont parfois produites en production de service.

Le Canada est le seul pays au monde à partager sa frontière avec le plus grand producteur d'émissions de télévision au monde et qui produit des émissions dans la même langue que lui. La disparité de la taille des marchés fait en sorte que face à l'omniprésence des produits audiovisuels et de la culture états-unienne, notre industrie ne peut vivre, survivre et progresser sans le soutien de l'État.

L'iniquité dans les politiques de crédit d'impôt à cet égard fait en sorte que l'impact positif appréhendé, s'il était véritablement question d'ordre moral, serait véritablement nul.

Nous avons bâti au Québec et au Canada une industrie cinématographique dynamique qui nous permet d'offrir à notre population des œuvres qui démontrent nos cultures nationales. Cela fait appel à la diversité des talents canadiens en très grande partie via la production indépendante tributaire, entre autres, des crédits d'impôt. Ce soutien gouvernemental nous permet d'ajouter notre voix à la richesse de la diversité culturelle. Nous en concluons que cette disposition tant décriée du projet de loi ne fait rien d'autre que fragiliser notre industrie face à ce concurrent puissant que sont les États-Unis.

La situation économique de nos membres est étroitement liée à la vitalité de l'industrie cinématographique québécoise. Dans le contexte mondial actuel, caractérisé par la domination de la production cinématographique des États-Unis, notre cinématographie ne pourra survivre et prospérer que si chacun des éléments qui a fait son succès est en mesure de repousser les limites de son expertise. On parle de la créativité de nos réalisateurs, de la compétence de nos équipes techniques, du savoir-faire de nos producteurs et certainement de l'ensemble des dispositifs de financement qui permettent de soutenir les productions. À ce titre, les programmes de crédits d'impôt jouent un rôle essentiel.

En conclusion, je sais que vous avez entendu depuis le début de vos travaux une foule d'intervenants venus vous dire l'ampleur des impacts négatifs des dispositions du projet de loi C-10. Faut-il le rappeler, les artisans de cette industrie sont unanimes.

En terminant, le message le plus important que je veux vous laisser est celui des 2 800 artisans et techniciens que je représente. Le projet de loi C-10 contient des dispositions qui sont préjudiciables à l'industrie du cinéma. Il contient des dispositions qui nuisent au développement d'une culture forte. En plus du point de vue de l'ordre public, elles sont totalement inacceptables, en plus d'être inutiles et inappropriées. Au nom des membres de l'AQTIS, je vous demande à vous, membres du Sénat, de faire tout en votre pouvoir pour que cette disposition soit retirée. Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée et je suis disponible pour répondre à vos questions.

Le président : Nous vous remercions de votre très intéressant exposé. Nous allons continuer avec le deuxième témoin

[Traduction]

Le président : Monsieur Laudan, s'il vous plaît.

Carl Laudan, producteur et réalisateur, Cinéman Films Inc. et Sheltered Life Productions Inc. : Merci de me donner l'occasion de comparaître aujourd'hui. Je ne suis ni aussi célèbre ni aussi illustre que bon nombre de vos récents témoins du secteur du cinéma et de la télévision. Comme je suis un nouveau cinéaste dans ce pays, je peux parler de certaines choses qui n'ont pas encore été mentionnées au sujet des dispositions du projet de loi C-10 concernant les crédits d'impôt pour productions cinématographiques ou magnétoscopiques. J'espère que mon témoignage vous sera utile. Je serai bref. Je vous signale que je comparais devant vous à titre personnel et que mes observations aujourd'hui ne reflètent que mes opinions personnelles.

La production cinématographique et magnétoscopique au Canada crée de l'emploi direct pour des comptables, des avocats, des techniciens, des acteurs, des spécialistes de la technologie de l'information, des compagnies d'assurance et leurs employés, des banques et leurs travailleurs, des ministères de tous les niveaux de gouvernement et bien d'autres sociétés et particuliers qui offrent des services connexes.

Si on nous enlève nos crédits d'impôt, on privera du même coup tous ces différents éléments de notre société ainsi que toutes ces personnes qui travaillent fort et leurs familles de leur emploi. Si les dispositions du projet de loi C-10 concernant les crédits d'impôt pour productions cinématographiques ou magnétoscopiques sont adoptées, sans les modifications proposées par l'Association canadienne de production de films et de télévision, je serai probablement forcé de quitter le Canada car il ne sera plus possible pour un résidant canadien de tourner des films dans ce pays. Seuls les Américains et d'autres étrangers pourront faire des films ici. Tous les cinéastes canadiens que je connais partagent ce sentiment.

Je suis originaire de l'Ouest, je suis né et j'ai grandi à Vancouver et j'habite maintenant à Montréal avec ma conjointe. Elle écrit; je dirige, je réalise et je fais le montage de nos films. Je fais partie des cinéastes canadiens qui tournent des longs métrages et, comme j'en suis aux dernières étapes de mon premier film, je suis un des plus nouveaux. Contrairement à David Cronenberg ou Atom Egoyan, comme la vaste majorité des réalisateurs de long métrage canadiens je fais partie des travailleurs pauvres. Vous devez être surpris d'apprendre que nous ne sommes pas riches. Vous pensez peut-être que dans le monde du spectacle, la célébrité et la richesse viennent spontanément. Ce n'est pas le cas.

Permettez-moi de prendre mon premier long métrage intitulé Sheltered Life comme exemple pour illustrer pourquoi la pauvreté est tellement normale dans l'industrie cinématographique canadienne. J'ai tourné Sheltered Life à Vancouver l'été dernier. Il a été présenté le mois dernier, dans le Sud de la France, dans le cadre de Perspective Canada Cannes, où il était l'un de quatre longs métrages canadiens de langue anglaise qui ont eu l'honneur d'être invités par Téléfilm et à bénéficier de cette promotion spéciale. Notre film a été réalisé avec un très petit budget; en fait, parmi les films présentés à Cannes, le nôtre avait le plus petit budget.

Mon réalisateur et moi avons passé six mois à plein temps à préparer la demande d'investissement à Téléfilm — un travail non rémunéré sans garantie que nous obtiendrions un prêt participatif. De 3 à 5 p. 100 des demandes sont acceptées. Téléfilm exige que soient inclus dans la demande un budget détaillé, un état de financement et des liquidités, parmi bien d'autres renseignements. Si un seul de ces documents ne résiste pas à l'examen rigoureux des pratiques commerciales de Téléfilm, tout s'arrête. Si, pour une raison ou une autre, Téléfilm n'aime pas un film sur le plan créatif, tout s'arrête. Téléfilm n'investit que dans les films dont tout le financement est en place, preuve à l'appui. Si une seule source de financement fait défaut, tout s'arrête. C'est un petit miracle, chaque fois qu'un long métrage est tourné au Canada.

Comme d'autres l'ont déjà expliqué en long et en large, le crédit d'impôt est la seule source de financement sûre pour les cinéastes canadiens. Il est encore plus important pour les nouveaux cinéastes comme moi, c'est-à-dire la majorité d'entre nous. Pour les petits films, les frais d'avocat relatifs à l'obtention d'un prêt bancaire avec comme garantie le crédit d'impôt sont prohibitifs. Ils sont trop élevés pour nous, alors nous devons trouver quelqu'un qui est prêt à garantir le prêt sans que nous passions par des avocats. Dans le cas de Sheltered Life, ce garant était mon père. Les cinéastes qui tournent leur premier ou leur deuxième film doivent compter sur l'aide de leur famille ou de leurs amis qui accepteront de partager le risque. Nous n'avons pas le choix.

Nous avons reçu une réponse positive de Téléfilm une semaine seulement avant le début du tournage, quatre semaines après le début de la préproduction. Nous avions déjà dépensé beaucoup d'argent. Si nous n'avions pas pu utiliser nos crédits d'impôt pour obtenir un prêt, nous n'aurions pas eu d'argent pour démarrer, pas d'argent pour trouver les lieux de tournage, pour acheter des biens non durables, des accessoires, des costumes, pour installer un bureau, dans mon cas, dans le garage de ma mère, pas d'argent pour embaucher qui que ce soit, et pas d'argent pour verser une caution au syndicat pour nos acteurs. Si nous avions attendu la réponse de Téléfilm avant de commencer la préproduction, nous aurions été obligés de remettre le tournage à l'an prochain parce que nos acteurs n'auraient plus été disponibles. Pour réaliser un film, il faut avoir la force de choisir une date et de s'y tenir. Si vous pouvez remettre le tournage jusqu'à l'an prochain, et repousser d'année en année, le film ne se fait jamais.

Toutefois, même avec la participation de Téléfilm, il nous manquait de l'argent que j'ai dû trouver quelque part. Téléfilm n'a pas le droit d'investir plus de 65 p. 100 du capital d'un film à faible budget, et quelques pourcentages de plus pour les plus grosses productions, de sorte que j'ai été obligé d'investir la totalité de mes honoraires de réalisateur et de producteur dans le budget du film, tout comme l'ont fait les cinq autres producteurs de mon film afin de compléter le financement et que Téléfilm puisse investir. Comme nos honoraires ont été différés, nous n'avons pas pu en tenir compte dans le calcul de nos crédits d'impôt qui ont donc perdu de leur valeur. Les coûts de main-d'œuvre admissible sont calculés uniquement en fonction de versement comptant. L'écart était moins grand, mais il existait néanmoins et, au bout du compte, c'est encore une fois mon père qui a sauvé la mise en comblant cet écart à un risque beaucoup plus élevé que le prêt contre les crédits d'impôt dont il s'était déjà porté garant. Ce n'est pas facile de demander à un proche d'assumer un tel risque.

Je toucherai mes honoraires uniquement si le film se vend sur le marché. Tous les autres sont rémunérés, sauf les cinéastes. C'est ainsi que cela fonctionne pour la vaste majorité d'entre nous au Canada. Très peu de films génèrent assez de revenus pour que les producteurs et les réalisateurs touchent même une infime partie de leurs honoraires. En fait, nous, les cinéastes, ne bénéficions pas directement des crédits d'impôt; cependant, grâce à ces crédits, nous pouvons embaucher nos acteurs et nos équipes du tournage, qui comptent généralement un grand nombre de personnes.

Pour mon minuscule film Sheltered Life, nous avions une équipe de production de 44 personnes, 17 acteurs, et au moins 25 autres personnes dans l'équipe de postproduction. Tout le monde a été rémunéré, sauf les cinéastes. Les films à plus gros budget et les grandes émissions de télévision emploient bien plus de personnes et assurent la subsistance d'au moins 125 000 familles canadiennes chaque année.

Si la ministre du Patrimoine trouve que notre film est de mauvais goût, qu'arrivera-t-il? Eh bien, nous n'obtiendrons pas les crédits d'impôt. Ainsi, nous n'aurons pas le droit de tourner un film canadien, nous devrons rendre l'argent à Téléfilm et à BC Film. Qui peut faire cela? Nous avons déjà tout dépensé jusqu'au dernier cent. Je suppose que le ministre du Patrimoine serait obligé d'expliquer à mon père pourquoi il est important d'acculer ma famille à la faillite sous prétexte qu'elle trouve notre film scandaleux. Ça me semble un traitement plutôt cruel et inhabituel pour les deux. Je ne voudrais pas être celui qui doit expliquer cela à mon père. Même s'il est un conservateur convaincu, je soupçonne qu'il se demanderait ce qu'il y a de conservateur dans un tel traitement.

Les banques ne gagnent pas beaucoup d'argent en finançant les crédits d'impôt pour le cinéma et la télévision. Si un seul de ces prêts n'est pas remboursé, il faudra de 50 à 100 prêts pour compenser ce seul défaut de remboursement. Nous tournons seulement quelque centaines de films par année dans ce pays, et il n'y a que quelques institutions qui consentent des prêts à l'industrie en acceptant le crédit d'impôt comme garantie. D'après mes calculs, et je ne suis pas un expert, l'annulation d'un seul crédit d'impôt aurait pour effet de supprimer d'un quart à une moitié les bénéfices que les banques tirent de l'ensemble de notre industrie chaque année.

La ministre du Patrimoine a dit qu'elle pense annuler seulement une poignée de crédits d'impôt par année. Ce serait la ruine pour nous tous. En fait, si les crédits d'impôt pour le cinéma et la télévision ne sont pas garantis, si la ministre du Patrimoine a le droit de les annuler pour n'importe quelle raison hormis un acte criminel, les banques ne les accepteront pas comme un nantissement pour accorder un prêt à qui que ce soit. C'est aussi simple que cela.

Le prêt bancaire contre le crédit d'impôt est l'argent comptant dont nous avons besoin pour commencer à réaliser un film. Sans argent, il n'y a pas de film. Sans cinéaste, il n'y a pas de film.

On a dit que si notre film est jugé contraire à la politique publique, nous pouvons réaliser nos films avec nos propres fonds. Il est absolument impossible de trouver ces sommes, surtout pour quelqu'un qui tourne son premier film ou qui n'a pas encore fait ses preuves. Les seuls qui échapperaient à cette règle sont les cinéastes qui ont la chance d'avoir assez d'argent pour financer eux-mêmes leur film ou de pouvoir compter sur la famille immédiate et leurs amis. Sachant qu'un film coûte plusieurs millions de dollars à tourner, il n'y a que les très riches qui pourront se faire entendre l'expression culturelle de notre nation se résumant à leurs voix.

Les Canadiens, tels que je les connais, et j'en suis un moi-même, ne souhaitent pas limiter notre expression culturelle à la seule expression des très riches. Le cinéma, comme n'importe quel art, est un moyen qui devrait permettre l'expression des rêves et des réalités de tous les éléments de la société, et surtout d'exprimer la réalité de la majorité des Canadiens qui travaillent fort et dont les impôts les aident à lever la voix pour nous adresser à notre pays et au monde entier à travers notre cinéma.

Sheltered Life a été très difficile à réaliser. L'action se déroule dans un refuge pour femmes; c'est un film sur la violence. Il s'agit d'un film choral, dont 13 des 16 acteurs sont des femmes. Nous nous sommes heurtés à un refus à deux reprises en essayant d'obtenir du financement avant d'être en mesure de le faire à Vancouver. À ces deux reprises, le refus était attribuable au fait que différentes personnes participant au processus de sélection du projet n'étaient pas d'accord avec notre contenu. Un des rapports de ceux qui ont révisé le scénario comprenait la phrase suivante : « Traitez-moi de honky, mais je ne crois pas que ce personnage blanc se lierait jamais d'amitié avec ce personnage non blanc, surtout pas aussi rapidement que dans le scénario. » En raison du rapport de ce lecteur, des dizaines de milliers de dollars ont été soustraits au budget de notre film. Voilà un exemple du type de parti pris, de censure tendancieuse à laquelle nous devons déjà faire face.

En raison de l'intolérance personnelle de différentes personnes dans notre industrie, il est déjà très difficile de réaliser un film nuancé à conscience sociale. J'aimerais voir ce type de censure réduit. Le projet de loi C-10 fait tout le contraire. Il ajoute un nouveau palier de censure en plus de ceux qui existent déjà. Il ajoute un nouveau palier de censure subjective personnelle, plutôt que d'en enlever un. La seule différence est que cette fois-ci, le censeur pourra mener à la faillite les cinéastes, leur famille ainsi que toute autre personne qui a eu le courage de les aider à financer le film en leur offrant une garantie bancaire.

Le gouvernement insiste sur le fait que cette nouvelle mesure vise à empêcher la production de certains films qui sont contraires aux politiques publiques. Le gouvernement semble être d'accord avec certains groupes d'intérêt et de pression qui considèrent qu'au-delà du Code criminel, il faudrait appliquer une norme morale et éthique pour limiter le nombre de films que l'on produit avec l'argent du contribuable.

Toute norme morale et éthique utilisée pour limiter l'expression des réalisateurs, surtout de la façon proposée dans le projet de loi C-10, n'a aucun fondement moral ou éthique en raison des préjudices que cela apportera à notre industrie, à ceux qui y travaillent, ainsi que les amis et familles des cinéastes qui essaient de les aider. Ces groupes d'intérêt affirment qu'ils se portent garants des valeurs familiales, mais quelles sont ces valeurs familiales qui visent à détruire des familles réelles?

Le processus de sélection de films est déjà un champ de mines. Le projet de loi C-10 pose une mine supplémentaire dans ce champ qui viendra bloquer le dernier chemin auquel nous avions accès. Les seules personnes auxquelles on permettra de réaliser des films dans ce pays seront des personnes assez riches pour construire un pont au-dessus du champ de mines avec leur propre fortune personnelle, ou les Américains et autres étrangers qui auront accès à l'argent des contribuables canadiens par la porte d'en arrière. Leurs films, peu importe leur sujet et à quel point ils font offense, recevront des subventions à même nos impôts. C'est l'aspect le plus écœurant de cette situation.

Je vous remercie de votre attention et de l'occasion que vous m'avez donnée pour exprimer mes préoccupations et parler librement.

Le président : Merci, monsieur, de votre exposé très révélateur.

[Français]

Nous allons procéder maintenant à la période des questions.

Le sénateur Fox : Je poserai des questions à Mme Pradier et je reviendrai à M. Laudan. Madame Pradier, je vois que vous représentez 2 800 techniciens de l'image et du son. Il faut réaliser l'importance pour l'industrie du cinéma d'avoir beaucoup d'expertises. L'une des raisons pour lesquelles on attire à Montréal autant de productions domestiques et étrangères, c'est dû à l'expertise reconnue de vos membres, non seulement à Montréal et au Québec, mais à l'extérieur des frontières. Pourriez-vous faire un commentaire là-dessus?

Mme Pradier : C'est juste. Je dirais que, dans l'équilibre entre la production domestique et celle qu'on fait pour le compte des productions étrangères, américaines ou de coproductions avec l'Europe, la situation du Québec est assez privilégiée, car on a une production domestique très forte comparativement à d'autres provinces canadiennes.

Ceci fait en sorte qu'il y a une espèce de dynamisme où on profite des productions américaines pour aller chercher une expertise de pointe. Elle est réinvestie dans la production domestique et cette dernière, même si elle est moins riche, suscite beaucoup de créativité et de débrouillardise. Tout cela revient vers les Américains. Le fait qu'on ait une production domestique qui soit à ce point importante permet justement un continuum de production et un équilibre qui nous permet d'être relativement stables. Particulièrement cette année, par exemple, où il y a vraiment une chute des tournages américains à l'échelle canadienne en raison de la grève appréhendée des acteurs américains, de la parité du dollar et de l'apparition de nouveaux crédits d'impôt chez nos voisins du Sud, au Québec, on arrive à passer à travers cette année de crise relative dû au fait qu'on a une très forte production domestique.

Le sénateur Fox : J'aurais dû commencer par vous remercier d'être ici aujourd'hui. On l'apprécie énormément. On a entendu l'opinion de plusieurs membres du secteur, que ce soit l'APFTQ, la SARTEC et autres. Je voudrais avoir en plus l'opinion des gens qui sont dans les syndicats, parce que c'est extrêmement important pour nous. En parlant de syndicat, je ne veux pas bifurquer, mais est-ce qu'il y a eu un règlement ou une entente à l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son ou si c'est un sujet brûlant?

Mme Pradier : On y travaille encore. Il y a eu un premier projet de loi pour modifier la loi sur le statut de l'artiste québécois, qui a été déposé le 15 mai. Certaines ficelles restent à attacher pour que cela puisse être mis en application. On attend de voir si cela sera adopté lors de cette session ou si ce sera reporté à l'automne. On est en train d'attacher les dernières cordes.

Le sénateur Fox : On a eu la visite du maire de Montréal, qui nous a parlé du danger économique pour l'industrie qui pourrait résulter de ce projet de loi, à cause des conséquences néfastes qui en découlent. Vous avez pas mal le monopole des productions domestiques?

Mme Pradier : Oui.

Le sénateur Fox : Il est important d'attirer les productions étrangères également pour les défis que cela représente pour vos membres. Si je comprends bien, plusieurs productions étrangères ont ce genre de budget qui permet à vos membres de se servir de toute leur créativité. Est-ce que vous trouvez qu'il y a un problème du point de vue compétitivité? Par exemple, on nous dit qu'en ce moment, au Michigan, ils sont rendus avec des crédits d'impôt de 40 p. 100. Alors si vous ajoutez le dollar canadien, est-ce que ce projet de loi vient aider la compétitivité de Montréal ou ajouter au problème?

Mme Pradier : C'est-à-dire que le fait d'avoir les deux types de production, domestique et américaine, crée un dynamisme très intéressant. Les productions étrangères nous donnent accès à des technologies nouvelles et de pointe qu'on peut éventuellement intégrer. Cela crée aussi un volume de production qui nous permet de maintenir des centres de service et de postproduction adéquats pour tous les types d'envergure de production. C'est certain que cet apport est très intéressant.

Je parlais de l'iniquité tout à l'heure par rapport aux productions de service ou aux « coventures ». Je pense que cela, du point de vue citoyen canadien, est inacceptable au départ. Il ne s'agit pas seulement de la production, il y a une question de consommation de produits. À partir du moment où on met en péril la production domestique, il est évident que c'est une chose qui va avantager nécessairement la production américaine.

Le sénateur Fox : Effectivement, on pourrait avoir cette situation un peu cocasse, où un producteur canadien ou québécois voudrait tourner un film à Montréal et il y aurait une crainte que cela ne respecte pas les nouveaux critères développés par la ministre. Le même film pourrait être fait par une boîte américaine à Montréal et profiter du crédit d'impôt.

Mme Pradier : Absolument.

Le sénateur Fox : J'ai une autre question. Vous avez cité la ministre. Je me souviens à peu près de ce qu'elle a dit. La ministre disait que quoique légaux, certains films n'ont pas à être subventionnés parce que ce serait offensant. Cela veut dire qu'on aurait des films qui ne sont ni de la pornographie, ni de l'exploitation indue de quoi que ce soit, ni offensants du point de vue du Code criminel et qui seraient jugés inacceptables. Je ne veux pas vous demander de reprendre votre témoignage, mais vous avez dit que c'était là où le bât blesse.

Pour en arriver à une conclusion sur la façon dont ces films sont jugés, la plupart des témoins ont dit qu'ils acceptaient fort bien que les fonds publics ne devraient pas être utilisés pour la production pornographique. C'est déjà dans le règlement des crédits d'impôt de Téléfilm Canada; le film devrait respecter le Code criminel. Accepteriez-vous ces balises, le respect du Code criminel et la non-production de pornographie, qui diraient que, effectivement, tout film qui respecte ces deux aspects n'est pas offensant?

Mme Pradier : De notre point de vue, avec ce qui est dans le Code criminel, à partir du moment où quelqu'un fait une œuvre qui inciterait à la haine ou autre, c'est certain que les responsables de cette œuvre peuvent d'ores et déjà être poursuivis pour la réalisation de cette œuvre. Ce que je trouve incroyable, c'est que c'est à l'intérieur d'un bureau administratif qu'on va se mettre à discuter de ce qui est offensant et de ce qui ne l'est pas.

Le sénateur Fox : C'est ce qui est proposé.

Mme Pradier : Je trouve cela inacceptable. On fait confiance à des élus pour qu'ils adoptent des lois et qu'ils les fassent mettre en application. Je veux bien comprendre que c'est le système en place, mais qu'on fonctionne avec un système parallèle, de ce point de vue, je trouve cela inacceptable.

[Traduction]

Le sénateur Goldstein : Nous avons entendu, et vous venez tout juste de dire, que la majorité des gens du milieu seraient satisfaits, et considéreraient approprié, que le gouvernement n'appuie pas à l'aide de crédits fiscaux des films qui enfreignent le Code criminel ou qui sont de nature pornographique. Mais un film qui renferme de la violence extrême ne fait pas l'objet de mention dans le Code criminel mais il n'est pas pornographique. Que pensez-vous qu'en plus du critère du Code criminel et du critère pornographique, on utilise le critère de violence extrême pour interdire l'octroi de crédits fiscaux pour des films? Si vous considérez que cela serait approprié, comment pourrait-on définir ou limiter ce critère afin d'éviter qu'il soit discrétionnaire ou arbitraire? C'est une question difficile, mais nous devons en connaître la réponse.

M. Laudan : Votre question porte-t-elle spécifiquement sur la violence?

Le sénateur Goldstein : Beaucoup de films sont violents, et c'est une réalité. Roadrunner est aussi violent, et certains d'entre nous laissent nos enfants regarder. Je parle ici de violence extrême.

M. Laudan : La violence extrême est présente dans toutes sortes de films, surtout ceux en provenance des États-Unis. La violence que nous diffusons sur nos écrans a tendance à être un peu plus viscérale, un peu plus réaliste et dans certains cas, comme avec David Cronenberg, plus fantastique. Je ne crois pas qu'il devrait y avoir des limites sur cela pour les mêmes raisons qu'il ne faudrait pas imposer de limites sur la capacité d'exprimer des choses de façon réaliste. La scène d'ouverture de Il faut sauver le soldat Ryan, par exemple, est extrêmement violente. Je ne crois pas avoir déjà vu quelque chose d'aussi violent. C'était choquant, et c'était censé l'être.

Je me souviens d'un réalisateur britannique qui avait fait un film et qui a eu énormément de problèmes car le film comportait une scène de viol qui durait trois minutes. Le titre du film était The Baby of Mâcon, et on l'a fustigé pour cela au Royaume-Uni. J'y habitais à l'époque. Il y avait une séance de visionnement du film à laquelle j'ai assisté. Il a répondu à la critique en disant : « Écoutez, c'est un viol. C'est censé être dégoûtant et difficile à regarder. Le fait que ce l'est et que vous réagissez de cette façon est une bonne chose. » Je dirais la même chose de n'importe quel règlement qui viserait à limiter notre capacité à parler de la réalité à notre public. Ce serait une approche bien sotte. Je ne crois pas non plus que ce soit possible.

Le sénateur Goldstein : Laissez-moi parler de cela. Nous n'aimons pas les propos haineux, et cela est contraire au Code criminel, mais c'est aussi une réalité. On en entend de toutes sortes au Canada, malheureusement. D'autres choses interdites par le Code criminel sont une réalité. Vous n'êtes pas en train de suggérer qu'un film ou une production vidéo qui reflète n'importe quelle réalité devrait recevoir des crédits d'impôt?

M. Laudan : En général, lorsque j'ai vu de la violence ou de la nudité qui frise la pornographie dans des films, ces scènes sont là pour une bonne raison. Les réalisateurs les utilisent pour essayer d'exprimer quelque chose. Sinon, c'est qu'ils font preuve de lubricité et ne sont intéressés qu'à faire de l'argent avec ce spectacle, et c'est bien différent. Je crois que cela se retrouve déjà dans les dispositions pour les crédits d'impôt, surtout en ce qui a trait à la pornographie, mais pas pour la violence. Toutefois, il est vrai qu'en Amérique du Nord, nous avons généralement tendance à mieux accepter le sexe que la violence.

[Français]

Le sénateur Goldstein : Seriez-vous du même avis, madame Pradier?

Mme Pradier : Oui, absolument. Je ne veux pas me répéter, mais c'est la même chose.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Merci de votre témoignage aujourd'hui. Madame Pradier, vous avez dit que les films font partie de l'industrie de la culture. Les films font-ils partie de l'industrie de la culture ou de l'industrie du divertissement, ou est-ce la même chose? Le divertissement est-il de la culture?

[Français]

Mme Pradier : Il y a un très grand débat là-dessus. À notre avis, il est évident que la cinématographie est, avant toute chose, un art, comme la photographie est un art. Est-ce qu'à partir du moment où on fait une photo et qu'elle devient une annonce publicitaire, ce n'est plus de l'art? Je ne le crois pas. Ceci dit, les Américains ont développé cette industrie d'une façon assez fantastique pour en faire essentiellement un produit où une très grande majorité de ce qu'ils produisent est avant tout un divertissement avant d'être une réflexion. Cependant, il y a toujours, dans les produits cinématographiques, un art au moins pictural ou une composition, ou quelque chose comme ça. Est-ce que le fait qu'on réussisse à développer une industrie dans laquelle on peut tirer une rémunération fait que ce n'est plus de la culture et que ce n'est plus de l'art? Je ne le crois pas.

Essentiellement, je pense que même si c'était une diffusion large dans laquelle on prévoit en faire une industrie, elle est quand même porteuse de message et à ce titre, on peut considérer que c'est de la culture.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Vous avez parlé de photographie. Je regardais la télévision dimanche, et il y a eu une entrevue avec un photographe sur Fox news. Il était le photographe à bord du train, car il s'agissait de l'anniversaire du transport de la dépouille de Bobby Kennedy à sa tombe. Les photos qu'il a prises étaient incroyables. C'est de l'art. Rien qu'à les regarder, on sait que ces photos sont de l'art. Par contre, toutes sortes de photos existent; mon fils a pris des photos qui ne sont pas de l'art, ce sont des photos de couchers de soleil. N'est-ce pas la même chose dans votre industrie? Des cinéastes font des films qui contribuent à la culture et d'autres qui la discréditent.

Je ne parle pas censure. Il doit y avoir un certain seuil qui soit plus exigeant que le Code criminel. Je vais en parler dans un instant avec M. Laudan. De nombreux films n'ont aucune valeur culturelle. Ils sont censés divertir et certains ont une certaine valeur, mais ils ne contribuent aucunement à notre culture.

[Français]

Mme Pradier : Je pense que la contribution à la culture se fait comme dans n'importe quelle forme d'art. L'art est un art, mais il devient de la culture à partir du moment où il porte un message et, pour porter un message, quelqu'un doit le recevoir. La culture est porteuse de sens, il y a quelqu'un qui envoie un message et quelqu'un qui le reçoit.

Est-ce qu'on dit que ça dégrade la culture parce que le message est moins bon? On peut identifier que celui qui est l'émetteur du message a ce type de message à transmettre. Est-ce qu'on considère qu'il est moins bon ou meilleur? Ce qui est important, c'est la réaction qu'il suscite chez la personne qui le reçoit et chez les différentes personnes qui le reçoivent et qui peuvent en discuter, qui auront une réflexion sur cette question. Si, socialement, il y a unanimité pour rejeter ce type de message, au moins la société aura assumé cette réflexion et elle aura pu faire un pas en avant. Le projet de loi C-10 propose de faire cette réflexion à la place de la société. C'est ce que je dis quand je parle d'un message et d'une réflexion de société qui sont occultés. Le projet de loi propose d'occulter la réflexion que les productions cinématographiques en place proposent à la société canadienne.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas forcément d'accord, et c'est la raison pour laquelle nous en discutons. Comme je l'ai indiqué plus tôt à M. Laudan, j'aimerais bien savoir s'il y a un plan d'affaires qui nuirait à l'industrie du cinéma.

J'ai deux questions auxquelles vous deux pourraient répondre. Si le projet de loi n'est pas adopté maintenant et reste dans les limbes jusqu'à l'autonome, l'industrie du cinéma ne saura pas ce qui se passe. L'industrie du cinéma pourra-t- elle patienter jusqu'à septembre? Le projet de loi sera peut-être adopté en septembre ou en octobre, mais en attendant, les cinéastes perdraient du temps.

M. Laudan : J'étais tout récemment à Cannes, et j'ai pu discuter avec des producteurs internationaux et des agences nationales d'autres pays qui œuvrent dans le secteur du divertissement et du cinéma plus précisément. Ces personnes étaient préoccupées car elles réalisent des productions nationales en coproduction avec le Canada. Si le projet de loi est adopté, c'est sûr que ces productions iront aux États-Unis. De grandes sommes d'argent pourraient être perdues. Ces cinéastes devront peut-être trouver de nouveau des bailleurs de fonds pour leurs films. Parfois, il faut dix ans pour trouver les crédits nécessaires à un film. Nous sommes bien sûr préoccupés, mais nous ne pouvons pas arrêter notre travail en attendant l'adoption ou le rejet du projet de loi. Nous allons continuer.

Le sénateur Tkachuk : Donc, dans l'intérim, vous allez présenter des demandes en vertu des directives actuelles. J'ai obtenu le formulaire de demande du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens, le BCPAC, qui fournit les directives pour le crédit d'impôt pour production cinématographique ou magnétoscopique canadienne.

M. Laudan : J'ai la chance de ne pas avoir à remplir ce formulaire. C'est mon régisseur qui s'en occupe.

Le sénateur Tkachuk : Une « production exclue » désigne une production cinématographique ou magnétoscopique ou encore une société canadienne assujettie à l'impôt. Les critères sont établis : il faut être citoyen canadien, résident permanent ou encore une société sous contrôle canadien. Il y a une liste d'exceptions intéressantes d'inadmissibilités : la pornographie, les événements sportifs, et les productions visant à lever des fonds. Une exception très intéressante est « production à laquelle, de l'avis de la ministre du Patrimoine canadien, il serait contraire à l'intérêt public d'accorder des fonds publics ».

C'est le formulaire qu'a rempli M. Laudan.

M. Laudan : Je ne l'ai pas rempli.

Le sénateur Tkachuk : Soit. Tous les autres cinéastes remplissent ce formulaire pour obtenir leur crédit d'impôt. Un numéro paraît sur le formulaire. Je vais remettre ce document au greffier. On peut obtenir ce formulaire sur le site web. Je vous dis tout simplement que le formulaire est disponible sur le site web. Je m'intéresse de plus en plus à la question au fur et à mesure que nous progressons. Il existe toutes sortes d'exclusions, telles que les interviews-variétés, les événements sportifs et les présentations de gala. L'exception la plus intéressante est la dernière, qui indique « une production à laquelle, de l'avis de la ministre du Patrimoine canadien, il serait contraire à l'intérêt public d'accorder des fonds publics ». C'est le formulaire que l'on remplit actuellement pour obtenir le crédit d'impôt.

Le sénateur Fox : Y a-t-il un article correspondant dans le Règlement de l'impôt revenu?

Le sénateur Tkachuk : J'ai cité les directives pour remplir le formulaire tel qu'il existe actuellement. C'est la même disposition concernant la politique publique. La directive doit être conforme à la loi. En d'autres termes, la ministre pourrait refuser. Cela n'a rien à voir avec le Code criminel. Cela n'a pas eu d'incidence sur l'industrie du cinéma jusqu'à ce jour. Vous ainsi que d'autres personnes obtenaient vos crédits d'impôt pour vos productions. Savez-vous ce qui arrivera si le projet de loi n'est pas adopté avant l'autonome? Les cinéastes continueront à obtenir des crédits d'impôt.

Je ne dis pas que cela n'a pas son importance. Je tente tout simplement de comprendre quelles seraient les conséquences si le projet de loi était adopté.

M. Laudan : La déclaration de la Banque Royale indique clairement que celle-ci ne sait pas si elle sera en mesure d'appuyer l'industrie du cinéma si la ministre refuse des crédits d'impôt aux films déjà réalisés. Elle ne l'a pas fait à ce jour. Si les directives permettraient à la ministre de refuser un crédit d'impôt à une production, c'est à ce moment-là que les banques fermeraient le robinet des crédits pour les industries du cinéma et de la télévision au Canada.

Le sénateur Tkachuk : Cette directive existe pour empêcher les abus de la part des cinéastes. Dans les faits, si un cinéaste remplit le formulaire et réalise un film désigné inadmissible au titre des directives, à ce moment-là on peut refuser le crédit d'impôt. C'est la raison pour laquelle vous devez remplir ces formulaires.

M. Laudan : D'accord, mais une telle situation ne s'est jamais encore produite.

Le sénateur Tkachuk : C'est ça.

[Français]

Mme Pradier : Est-ce qu'il y a une différence entre les lignes directrices et une loi dans le pouvoir d'application de la réglementation?

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : C'est moi qui pose les questions.

[Français]

Mme Pradier : Je ne suis pas rigide mais il me semble qu'il y a une différence. Excusez-moi.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : La question a été posée et figure dans les témoignages recueillis par le Comité. Il se peut qu'un avocat puisse faire la distinction qui est minime.

Le sénateur Jaffer : À l'heure actuelle, il s'agit seulement de directives et la ministre n'est pas habilitée par la loi. C'est ce que vous entendez?

[Français]

Mme Pradier : Si c'est effectivement écrit dans les lignes directrices et que ça n'a pas été défini de façon beaucoup plus claire, ce que je comprends, c'est qu'il y a eu peu d'exemples. Depuis la création de ces crédits d'impôt, en fait, un ou deux films — dont je n'ai pas vu les titres — n'auraient pas été admissibles aux crédits à la fin de leur tournage. Je ne connais pas la nature de ces tournages, mais je suis persuadée que la ministre, qui se voit octroyer la discrétion de retirer les crédits d'impôt, alors que la ligne directrice est imprécise, doit avoir une raison vraiment hors du commun et très différente pour faire ce qu'on nous propose ici, c'est-à-dire l'inscrire dans la loi et, a posteriori, travailler sur des lignes directrices.

Si on doit refaire le débat sur la moralité au Canada, combien d'années allons-nous y passer avant de pouvoir établir des lignes directrices qui puissent être appliquées? À mon avis, il y a suffisamment de réflexions qui ont été faites à ce sujet pour en arriver à nos lois actuelles et à notre Code criminel pour qu'on puisse s'y référer.

[Traduction]

M. Laudan : Le sénateur Tkachuk a posé une question légèrement différente plus tôt. Elle portait sur la culture canadienne présente dans le contenu. Vous utilisez le mot « culture » pour indiquer que les mauvais films n'aident pas notre culture, au contraire, ils y nuisent.

Le sénateur Tkachuk : J'ai vu beaucoup de mauvais films qui ne minent pas notre culture. Elle est peut-être mécontente parce que c'est ma question et elle souhaite que l'on réponde à sa question. Allez-y, sénateur Jaffer. Je pourrai parler à M. Laudan après.

Le sénateur Jaffer : Non, je vous en prie.

Le sénateur Tkachuk : J'essayais de dire qu'il y a des films qui discréditent peut-être notre culture. Plutôt que de la valoriser, ils la minent. La plupart des films que j'aime sont des films de divertissement. Je ne crois pas qu'ils aient une influence sur mes opinions culturelles. C'est tout simplement un divertissement. Ce sont des films formidables. J'adore le cinéma.

Le président : Il est 17 h 15. L'Union des artistes doit comparaître et les représentants ont d'autres obligations. Le sénateur Ringuette n'a pas pu encore intervenir. Pouvons-nous terminer et entendre les prochains témoins?

Le sénateur Jaffer : Ma question est très brève. Afin que je comprenne mieux, lorsque vous allez à la banque pour y déposer votre plan d'affaires, vous ne parlez pas du contenu du film, n'est-ce pas?

M. Laudan : Non. Le crédit d'impôt devait tout d'abord servir à encourager l'industrie du cinéma à embaucher des Canadiens. C'était tout. Cela n'avait rien à voir avec le contenu. La même logique s'applique aux banques. Ce sont tout simplement des bailleurs de fonds qui souhaitent faire de l'argent. C'est formidable. Ce sont eux qui financent des crédits d'impôt. Les banques ne souhaitent aucunement s'engager dans une discussion sur la créativité du film. Là n'est pas leur affaire. Et, fait intéressant, je ne crois pas que ce soit l'affaire du gouvernement, non plus.

Le sénateur Jaffer : Si la ministre avait un comité chargé d'examiner des directives, et c'est ce qu'elle a offert de faire, quelle serait la réaction des banques?

M. Laudan : Je l'ignore, car si un tel comité était constitué, les banques ne voudraient rien savoir de moi.

[Français]

Le sénateur Ringuette : Madame Pradier, je ne voudrais pas vous laisser sous l'impression que les législateurs canadiens, qu'ils soient élus ou non, ne font pas la différence entre des lignes directrices et la législation. Il y a une différence fondamentale.

Vous représentez beaucoup de membres. On nous a répété à maintes reprises que les différents programmes, qu'ils soient provinciaux ou fédéraux, sont très importants pour l'infrastructure qui a été mise en place depuis environ dix ans pour l'industrie cinématographique. Cela fait un bon moment que vous êtes dans le domaine. S'il n'y avait pas ces programmes provinciaux ou fédéraux, comment se porterait l'industrie ou l'employabilité de vos membres?

Mme Pradier : Je ne peux même pas l'imaginer. Je pense qu'on n'aurait pas cette industrie qui exige des fonds extraordinaires pour pouvoir fonctionner. Je ne connais pas beaucoup d'industries qui sont en mesure d'investir sept, huit ou dix millions de dollars pour ensuite disparaître six mois plus tard. C'est une industrie qui est vraiment très particulière et qui demande d'énormes investissements. Tant que le produit n'est pas fini, c'est comme si c'était un prototype. On fait des prototypes. On fait un seul produit qui sera diffusé. Tant qu'il n'est pas diffusé, il n'y a pas un sou qui entre. J'imagine très bien ce que serait l'industrie sans crédits d'impôt et sans un soutien de l'État et cela vaut autant pour les francophones que pour les anglophones qui vivent avec la concurrence, c'est-à-dire avec des productions américaines qui sont absolument fantastiques. Nous, on a heureusement cette barrière, qui parfois n'est pas évidente non plus.

Le sénateur Ringuette : Il ne faut pas vous sentir mal à l'aise parce que l'industrie cinématographique au pays a besoin d'un coup de main de l'État. Ce n'est certainement pas la seule industrie qui reçoit l'aide de l'État.

J'ai une question très importante à vous poser, monsieur Laudan.

[Traduction]

Je vous suis reconnaissante d'être venu aujourd'hui car vous représentez un groupe de jeunes cinéastes canadiens qui méritent notre respect et notre soutien.

M. Laudan : Merci.

Le sénateur Ringuette : Je ne saurai probablement jamais dans quelle mesure vous avez dû vivre dans la pauvreté, comme vous l'avez dit plus tôt, pour consacrer une bonne partie de votre vie afin de faire de l'argent, du moins vous l'espériez, mais tout au moins de transmettre votre message. Je salue vos efforts.

Lorsque la ministre Verner a comparu devant le comité, je lui ai demandé si l'on avait effectué une évaluation des conséquences économiques du projet de loi sur l'industrie. Elle n'a pas pu répondre, et elle s'en est remise à son collègue, qui a dit non. Essentiellement, aucune étude des conséquences économiques n'a été effectuée avant que le projet de loi soit déposé.

Que peut-on faire afin que vous, lorsque vous réalisez un film, ne soyez pas le dernier à se faire payer?

M. Laudan : On pourrait se servir du crédit d'impôt tel qu'il a été conçu à l'origine, c'est-à-dire pour appuyer les cinéastes et les sociétés de production cinématographique entre les productions. Les cinéastes recevraient un chèque 18 mois après la réalisation d'un film, ce qui leur permettait de joindre les deux bouts entre les productions. Faute d'argent, il est très difficile d'assurer entre les productions.

Inévitablement, puisqu'il s'agissait de fonds considérables, Téléfilm Canada et d'autres agences gouvernementales de prêts ont intégré le crédit d'impôt à la structure de financement, et nous devions en tenir compte lorsque nous demandions des prêts. Je crois que c'est comme cela que ça s'est passé. Ce serait formidable si l'on augmentait le crédit d'impôt afin que nous puissions emprunter davantage et réduire le manque à gagner persistant et ainsi ne pas devoir ruiner nos amis et nos familles afin de réaliser un film.

Il serait intéressant également que l'on assouplisse les directives. Je comprends que le problème réel soit que le gouvernement ne souhaite pas accorder de soutien financier aux arts. Les films coûtent cher et ce sont des biens culturels. Cela représente bien sûr beaucoup d'argent, mais j'ai toujours cru que les crédits d'impôt généraient de l'argent. Je croyais que le gouvernement nous accordait des crédits d'impôt parce que nous avions embauché des gens. Chaque dollar dépensé pour embaucher des gens dans le domaine de la télévision et du cinéma génère quatre fois plus de retombées économiques. Les crédits d'impôt sont plus que rentables, n'est-ce pas? C'est ce que j'ai toujours cru.

Le sénateur Ringuette : C'est pourquoi le même crédit d'impôt a été accordé aux productions étrangères ou américaines au Canada, sans quelque forme de censure que ce soit.

M. Laudan : C'est exact. Pour l'instant, c'est une situation qui satisfait tout le monde. Je ne comprends pas ce qu'est le problème. On pourrait rétablir une solution qui existait auparavant en permettant aux investisseurs privés de bénéficier d'une certaine sécurité ou d'incitatifs pour investir leur argent dans des films, de sorte que les investissements privés augmenteraient. Au Canada, le problème lié à la dépendance à l'égard du financement du gouvernement, c'est qu'il n'y a pas d'investisseurs privés. S'il existait un abri fiscal ou un incitatif pour que les investisseurs privés placent leur argent dans l'industrie du film, cela permettrait de supprimer certaines des pressions exercées sur le gouvernement pour qu'il nous appuie.

Le président : Merci.

[Français]

Au nom de tous les membres de ce comité, j'aimerais vous remercier pour votre témoignage et votre contribution d'aujourd'hui. Cela va beaucoup nous aider dans nos délibérations.

[Traduction]

Le sénateur Fox : J'aimerais que les témoins entendent un bref rappel au Règlement. Le sénateur Tkachuk a lu aux fins du compte rendu un document du BCPAC qui précise que toute production qui ne satisfait pas aux critères de l'ordre public est exclue. C'est ce que dit le document du BCPAC, qui est un document ministériel interne. Cette règle ne figure pas dans le Règlement de l'impôt sur le revenu. J'ai un exemplaire à jour en date du 19 mai 2008. Il est clair que le ministère veut retirer le non-règlement du BCPAC de sa ligne directrice pour l'inscrire dans la loi. Cela fait toute la différence. Je voulais simplement le faire remarquer.

Le président : C'est un excellent point.

[Français]

Le président : Nous sommes très chanceux d'avoir pour témoins deux représentants de l'Union des artistes de la belle province de Québec. Nous avons Mme Anne-Marie Des Roches, directrice des affaires publiques de l'Union des artistes et le président, M. Raymond Legault.

Bienvenue au nom de tous mes collègues, nous sommes intéressés à vous entendre.

Raymond Legault, président, Union des artistes : Merci beaucoup de nous donner la chance de pouvoir nous prononcer devant vous. Anne-Marie Des Roches est directrice des affaires publiques et travaille aussi à l'accueil, ce qui fait qu'elle entend souvent parler les membres sur leurs conditions de travail et leurs conditions de vie. Techniquement, elle a beaucoup œuvré au sein du CRTC et de plusieurs organismes gouvernementaux. Ce n'est peut-être pas une experte, mais elle connaît très bien la réglementation qui existe. Cela nous sert beaucoup à l'Union des artistes.

Je voudrais compléter ma présentation en disant que depuis un an, je suis à la présidence de l'Union des artistes, depuis dix ans à la vice-présidence et, au conseil d'administration depuis 1992.

J'assume les fonctions de président du Fonds d'investissement de la culture et des communications, ce qui dans le contexte peut être intéressant. Je suis aussi président d'un comité sur les conditions socioéconomiques des artistes à Québec, au ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

J'aurais aimé que 11 000 artistes se présentent aujourd'hui dans la salle, mais elle aurait été un peu petite. L'Union des artistes représente des chanteurs, des danseurs, des animateurs et bien sûr des interprètes. Nous avons 7 000 membres, 4 000 stagiaires, donc 11 000 artistes.

On aimerait aborder certains sujets; ce n'est pas la totalité du projet de loi C-10 qui nous gêne, ce sont plus les aspects du projet de loi qui traitent des productions audiovisuelles et plus particulièrement des crédits d'impôt accordés en fonction des critères d'ordre public.

D'abord, il y a certains aspects du projet de loi qu'on veut souligner et avec lesquels on est d'accord, puisqu'on était en tête de file. On appuie tout ce qui touche et tout ce qui est en faveur d'une plus grande transparence dans l'octroi des crédits d'impôt dans le secteur de l'audiovisuel. On était en première ligne lors de l'affaire Cinar. On a continué à réclamer que des renseignements sur des œuvres financées par des mesures fiscales soient publiés. Il faut être transparent et cela évite que des glissements — dans certains cas, des fraudes — se produisent.

Les crédits d'impôt sont des outils essentiels dans le secteur de l'audiovisuel et, bien sûr, on veut éviter que l'affaire des prête-noms se répète. Toutes les modifications à l'ancien article 241 — le nouveau 186(2) — qui permettra la publication de l'identité des bénéficiaires de crédits d'impôt et les noms des principaux créateurs associés à une production sont les bienvenues.

Maintenant, la deuxième partie du projet de loi fait moins notre affaire. Vous en avez entendu parler depuis des semaines, plusieurs artistes et artisans ayant témoigné devant votre comité. J'ai entendu la présidente de l'Alliance québécoise des techniciens de l'image et du son, Mme Pradier, se prononcer. Elle parlait de l'ombre et de la lumière.

L'image qu'on choisit à l'Union des artistes, je l'emprunte à Pierre Lebeau — un comédien très connu dans la cinématographie québécoise — qui ne pouvait pas être ici aujourd'hui. Il utilisait plutôt celle de la rose et des épines. Filmer une rose est toujours agréable. Voir une rose est peut-être ce qui nous intéresse le plus, mais on ne peut pas oublier que pour avoir une rose, il faut des épines et que parfois, l'épine est la partie la moins agréable. Elle permet à la rose d'être si belle.

Pour l'Union des artistes, la liberté d'expression est une valeur fondamentale. Je pense que le Canada a toujours prôné la liberté d'expression. Cela doit toujours être fondamental : la liberté d'expression et la démocratie. Ces deux éléments sont essentiels à la création et au développement de notre expression culturelle et ne devraient surtout pas être soumis à des critères subjectifs quels qu'ils soient.

Je reviens de Banff, où se tient le Festival international de télévision de Banff. Un conférencier, Richard Florida, a écrit L'indice bohémien. Dans ce dernier livre, il parlait de l'ouverture d'une société. L'ouverture à la créativité d'une société, c'est ce qui rend probablement la société plus dynamique. Je ferai grâce de toute la démonstration qu'il nous a faite de photos satellites prises sur les endroits où il y avait plus de lumière et qui traduisaient les villes les plus actives et les plus ouvertes. Il en venait à la conclusion que plus une société était ouverte, plus elle devenait tolérante à l'égard de ce qui est communément accepté par la société. Il a même réussi à établir qu'un certain pourcentage de population gaie dans une ville pouvait amener une plus grande activité économique et une plus grande progression économique pour ces villes ou ces pays qui étaient ouverts et tolérants.

Pour nous, les règles sont importantes, c'est sûr qu'il y en aura toujours. Toutes les institutions ont des règlements; l'Union des artistes ne fait pas exception. On revendique que des règles claires soient établies pour embaucher des artistes canadiens pour la création d'œuvres audiovisuelles.

Par exemple, la SODEC qui gère les crédits d'impôt au Québec a des règles et même une liste de genres d'émissions que les crédits d'impôt ne soutiendront pas. Téléfilm Canada a aussi ses règles, de même que le Fonds canadien de télévision. Quand on veut traiter de pornographie ou de violence, il y a le Code criminel. Cela ressemble beaucoup à ce que vous avez déjà entendu, on ne s'était pas concerté. C'est la même chose pour les propos haineux.

Pourquoi vouloir régler une question prévue dans d'autres lois par une loi sur la fiscalité qui touche l'octroi des crédits d'impôt aux productions audiovisuelles? Pourquoi vouloir toucher à la base même de la liberté des artistes? Est- ce qu'avant cette modification ou ce projet de loi modificatif, il y a eu des problèmes? Est-ce qu'il y a déjà eu un excès de films? Aussitôt qu'il y a eu un excès, comme par exemple avec les prête-noms, la société a réagi et les gouvernements ont décidé d'y mettre un frein. Il n'y a jamais eu de censure ou ce genre de directives. Si ce sont des directives, on les inscrit dans une loi. Cela finit par s'arranger et cela démontre une ouverture et une tolérance à l'ensemble des sujets qui peuvent être traités, même si certains des sujets peuvent être extrêmement pénibles parfois.

Je remonte dans le temps. Pensez à Mourir à tue-tête, un film sur le viol où il y avait des scènes extrêmement violentes. Si on doit appliquer des critères sur certains types de scène qu'on ne devrait pas voir parce qu'elles sont violentes, comment faire pour dénoncer une situation intolérable, soit le viol?

Si on prend l'exemple de la SODEC, elle ne certifiera pas des films destinés à un auditoire adulte et comportant des scènes de sexualité explicite. La SODEC se demandera si l'auteur, le réalisateur et le producteur sont des gens d'expérience. Est-ce que ce film sera destiné aux salles ou aux DVD? Quel sera le marché pour ce film?

Voilà ce qui fera la différence pour un film comme Borderline, qui a été cité tantôt. Si un comité passait au crible un film comme Borderline, qui contient des scènes de beuverie ou sexuellement explicites, est-ce que cela voudrait dire qu'une fois que ce film a été fait, il se verrait retirer ses crédits d'impôt? Cela mettrait fin à ce film. Je ne crois pas que les scènes dans ce film soient faites pour montrer la situation de quelqu'un qualifié de borderline.

Si je prends un autre exemple, il y a eu le film Octobre. Ce film avait eu beaucoup de difficulté à obtenir le financement de Téléfilm Canada, car certaines personnes pensaient que c'était une promotion du terrorisme. Il est vrai, à la lecture de cela ou à travers les événements d'octobre, que c'est une situation extrêmement délicate à traiter. Mais tous ceux qui ont vu le film Octobre n'ont jamais dit : « Demain matin, je me mets à faire du terrorisme. » C'était beaucoup plus l'histoire de quatre jeunes hommes embarqués dans une spirale dans laquelle ils se sont retrouvés à procéder à un enlèvement. C'était le côté beaucoup plus humain qui était traité. Je ne pense pas que cela fasse l'apologie du terrorisme. Au contraire, en sortant de ce film, il n'y avait pas un petit Québécois qui avait le goût d'aller enlever un député ou qui que ce soit.

Le sénateur Fox : Un sénateur.

M. Legault : Il y a d'autres personnes pour qui Cronenberg représente beaucoup de violence. Effectivement, il y a des gens pour qui cela devient intolérable. Je me souviens de scènes que j'ai vues au cinéma que je trouvais intolérables, comme des exécutions. Par exemple, dans Dancers in the Dark, à la toute fin, la personne est exécutée et je trouve cela intolérable. Je ne suis même pas resté dans la salle de cinéma.

En même temps, c'est justement cette violence qui me rejoint et qui fait que je peux sentir encore mieux le thème ou le sujet du film abordé. C'est là justement la qualité de l'artiste, d'être capable de rejoindre, même jusqu'à l'intolérable, les spectateurs. Cela revient à ce que je disais tantôt; lorsqu'on filme la rose, c'est toujours agréable et lorsqu'on filme les épines, c'est parfois un peu moins agréable. C'est peut-être ça qui est le plus difficile à supporter, mais c'est en même temps ce qui fait la beauté de la rose.

L'autre aspect dont j'aimerais parler est un aspect plus terre à terre. Je pense que certains représentants d'institutions financières vous en ont déjà parlé. Comme vous le savez, en attendant que les crédits d'impôt soient disponibles, des institutions financières prêtent de l'argent. Si un tel article était intégré à une loi, il pourrait arriver qu'un directeur de banque — ou toute personne en charge des prêts ou du financement intérimaire — dise : « Oui, mais ce n'est pas sûr que ton film va avoir les crédits d'impôt, alors tu vas comprendre que moi, ou j'augmente mes taux d'intérêt ou encore je te refuse le financement intérimaire. »

Cela aurait un impact majeur et pas seulement sur les films qui pourraient, disons socialement, ne pas correspondre à ce qu'un gouvernement ou une ministre en place pourrait privilégier ou ne pas privilégier; cela toucherait l'ensemble des films. Si je fais un film pour enfants, peut-être qu'un directeur de banque dirait que ce n'est pas trop grave, mais pour un film comme Borderline, j'aurais peut-être beaucoup de difficulté à obtenir du financement. Alors pour d'autres films de ce genre qui sont un peu plus épineux, il serait probablement plus difficile d'obtenir le financement intérimaire et cela ne toucherait pas qu'un film, mais plusieurs films.

Comme jusqu'à maintenant il n'y a pas eu de problème, pourquoi rajouter un article qui mettrait en péril une industrie? Pour nous, cet article crée plus de problèmes qu'il n'en règle. Merci de m'avoir écouté. Si vous pouviez demander le retrait de cet article, je pense que personne n'y perdrait, au contraire.

Le président : Très bien, monsieur. Vous avez fait une analogie très intéressante avec la rose et les épines.

M. Legault : Elle est de Pierre Lebeau, alors je voudrais rendre à l'auteur sa citation.

Le sénateur Fox : Merci d'être avec nous; j'apprécie beaucoup le témoignage que vous avez rendu au nom de vos membres. Je dois dire que j'ai été surpris par leur nombre : 11 000 artistes. C'est essentiellement au Québec, je présume?

M. Legault : Nous avons environ 450 membres à Toronto, il y en a une dizaine au Nouveau-Brunswick, mais la majorité de nos membres sont au Québec, soit 90 p. 100 d'entre eux.

Le sénateur Fox : Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser car vous avez été clair dans votre exposé. Si le sénateur Dallaire était ici, il dirait que le film J'ai serré la main du diable pourrait être qualifié de film extrêmement violent et que les scènes de violence du film ne sont pas là pour glorifier la violence, mais plutôt pour témoigner du fait que le génocide est un problème réel. Il peut donc y avoir des scènes extrêmement violentes, mais pour lesquelles il y a une raison.

M. Legault : Je pense au film dans lequel Luc Picard parlait de la situation au Rwanda où on voyait beaucoup de Noirs mutilés à la machette : Un dimanche à Kigali.

Anne-Marie Des Roches, directrice, Affaires publiques, Union des artistes : Qui a d'ailleurs été tourné au Rwanda.

M. Legault : Je ne pense pas que ça donne le goût de faire un génocide et que ce soit une violence gratuite.

Le sénateur Fox : Nous sommes ici parce que la ministre, dans sa déclaration, a dit qu'elle n'était pas satisfaite des balises du Code criminel et de la définition de la pornographie telle que décrite très clairement dans les règlements de l'impôt concernant les crédits d'impôt. Il y avait donc une ouverture pour dire qu'il y a une catégorie de films qui, sans être contre le Code criminel ou sans être pornographiques, devraient ne pas avoir accès aux fonds publics. Vous avez déjà donné votre point de vue là-dessus. Évidemment, pour ces films, on peut aller dans cette direction, mais il y a également d'autres balises comme le marché. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?

Mme Des Roches : M. Legault l'a évoqué un peu. Quand des analyses et des visionnements de films sont effectués, on essaie de voir l'historique du producteur, du réalisateur ou de l'auteur et de comprendre leur intention. Quand la SODEC écrit qu'il n'y a pas de crédits d'impôt pour les films pour adultes parce que ce sont des films érotiques qui s'adressent à un auditoire de 18 ans et plus, nous savons que le marché est pour le DVD. Il n'y a pas nécessairement de censure, mais le film pour adultes ne sera pas soumis aux règles. Personne n'est contre et cela n'a jamais empêché un producteur comme Roger Frappier de soutenir un film comme Borderline ou Mourir à tue-tête à l'ONF. Il y a des balises naturelles qui n'ont même pas besoin d'être évoquées dans une loi.

Le sénateur Fox : La plupart des témoins qui ont comparu devant ce comité ont été unanimes pour dire qu'ils étaient d'accord avec la proposition suivante : des fonds publics ne devraient pas servir à aider à la production de films pornographiques et outre la définition de pornographie, une autre balise est présente, soit le Code criminel qui renferme les valeurs de la société canadienne. Êtes-vous d'accord avec ces balises?

M. Legault : Oui, je les accepte. J'ai un commentaire concernant votre question précédente. Vous parlez des crédits d'impôt qui seraient retirés dans le cas de certains films, mais pas dans le cas de productions américaines. Il y a une incohérence. On devient plus exigeant envers nous-mêmes que vis-à-vis des films — je parle des États-Unis parce que c'est malheureusement le cas — que d'autres sociétés pourraient produire.

Le sénateur Fox : J'ai une dernière question. Je suis heureux que le sénateur Tkachuk soit de retour parce que nous avons eu un imbroglio tout à l'heure. Le sénateur Tkachuk a lu les documents du CAVCO sur le site Internet du ministère, où il était indiqué que des catégories sont exclues — on sait que les variétés sont exclues, de même que la pornographie — pour finalement ajouter que cela valait également pour tout film qui, dans l'opinion du ministre, irait à l'encontre de l'ordre public.

J'ai noté que cette partie ne se trouve pas dans le règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu en ce moment, et donc que le ministère publie sur son site Internet quelque chose qui n'existe pas dans le règlement de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[Traduction]

Nous avons le formulaire de demande qui doit être présenté au BCPAC. Tout ce que doit faire le producteur, c'est de s'engager à respecter les règles énoncées au paragraphe 1106.1 du Règlement de l'impôt sur le revenu, qui ne comprennent pas ce qui se trouve sur le site web. Je voulais simplement le faire remarquer pour plus de précision et pour que ce soit consigné au compte rendu.

Si je me trompe, je ne demanderais pas mieux que les attachés de recherche se penchent là-dessus. Le site web du BCPAC dit quelque chose qui ne se trouve pas dans le Règlement de l'impôt sur le revenu, et le formulaire de demande du BCPAC n'exige pas que le producteur se conforme à la formulation qui se trouve sur le site web, mais uniquement à l'article 1106 du Règlement de l'impôt sur le revenu, qui ne dit rien à ce sujet. Je ne peux que conclure que cet élément a été retiré de là pour l'inclure dans la loi. S'il y a un objectif à cela, c'est celui que la ministre nous a indiqué clairement.

Le sénateur Tkachuk : Il faudrait clarifier cela.

Le sénateur Fox : Il s'agit du formulaire de demande.

Le président : Avez-vous d'autres questions, sénateur?

Le sénateur Fox : Je n'ai plus de questions ni de remarques à faire.

Le président : C'est très bien. Vous avez su vous retenir assez bien aujourd'hui.

[Français]

Le sénateur Ringuette : J'aimerais d'abord vous remercier de votre présence. Nous apprécions beaucoup vos commentaires, surtout ceux concernant la transparence.

Si ma mémoire est bonne, sans remettre en question les autres témoignages que nous avons entendus, peu nous ont indiqué cette référence particulière au besoin de transparence, c'est-à-dire que la population canadienne doit être en mesure de savoir qui a reçu des deniers publics pour sa production. Je crois que c'est tout à fait correct et je voulais vous remercier d'avoir soulevé ce point.

En fin de compte, vous en êtes certainement arrivés aux mêmes conclusions que plusieurs de nos témoins. Nous étions anxieux de savoir si les gens de l'industrie avaient des opinions contraires et nous voulions les entendre. Nous n'avons pas reçu de la part de l'industrie des témoignages contraires quant à ces deux balises, c'est-à-dire que tous sont d'accord que des crédits d'impôt ne soient pas accordés aux films impliquant des éléments du Code criminel et de la pornographie. D'ailleurs, même les gens qui étaient complètement en faveur du projet de loi et qui ne venaient pas de l'industrie proposaient les mêmes balises. Donc, le message est clair de la part de tous les intervenants.

En terminant, je voudrais vous remercier d'être venus renchérir sur tout cela et d'avoir soulevé le point très important de la transparence.

Le sénateur Goldstein : Merci d'être venus nous rencontrer. Selon les balises indiquées par Téléfilm Canada, je vois la phrase suivante — je m'excuse, je ne l'ai qu'en anglais —, et je cite :

[Traduction]

[...] ne contenir aucun élément de violence grave et gratuite ou explicite et excessive, aucun élément se distinguant principalement par une exploitation indue de questions de nature sexuelle, ou de questions de nature sexuelle et d'un ou plusieurs des sujets suivants : crime, horreur, cruauté et violence ou toute autre infraction sexuelle prévue par le Code criminel, ou toute question de nature diffamatoire, obscène ou autrement illégale.

[Français]

Ce sont là des balises qui existent depuis des décennies. Je me pose donc la question : pourquoi le milieu en général a-t-il réagi de façon si importante?

M. Legault : Avant l'arrivée de ce projet de loi, nous nous référions aux politiques publiques. Pour nous, les politiques publiques faisaient référence à ce qui existait déjà. Nous ne voyions pas d'autres interventions que les quotas, les nombres, c'est-à-dire le pointage canadien qui fait qu'une production est reconnue canadienne à condition qu'il y ait tel nombre d'acteurs canadiens et que tant d'éléments de la production soient canadiens. Je ne sais pas de quelle façon le gouvernement fonctionne, mais je sais qu'à l'Union des artistes, nous avons des statuts, des règlements et des lignes directrices. Bref, nous nous référons à des lignes directrices. Le projet de loi fait référence à tout ce qui est gratuit. Le milieu n'a aucun problème à éviter la violence gratuite. D'ailleurs, quand Téléfilm Canada fait un choix, il peut dire à un moment donné : « On ne subventionnera pas tel type de film. » Cela ne nous cause aucun problème.

Ceci dit, de là à l'inclure dans une loi, il y a une énorme différence. L'arbitrage se fait au quotidien, au cas par cas. Cependant, nous croyons que ce type de directive sur le plan de la loi permettrait à n'importe qui d'arguer qu'en vertu de tel article, tel film ne devrait pas se retrouver sur les écrans. C'est ce qui crée un profond malaise au sein de l'industrie. Qu'il y ait des directives, c'est normal, mais, selon les humeurs de la société en général et le climat politique, un film pourrait subir un déplacement.

D'ailleurs, je vous dirais que même à l'intérieur du monde des artistes, de façon générale, il y a des sujets qu'on aborde moins. Le 11 septembre, par exemple, beaucoup de temps s'est écoulé avant qu'on commence à en faire un film, car le sujet était trop sensible et délicat. Et pourtant, ce n'était pas une question de censure. De plus, je vous dirais qu'il existe une morale intrinsèque dans notre société. Voudrions-nous réduire cette morale à deux ou trois lignes ou, au contraire, voulons-nous la laisser suffisamment ouverte pour qu'elle puisse respirer et se montrer ouverte à toutes sortes de chose? C'est ce à quoi servent les artistes dans la société.

De plus, le chemin est tellement long avant d'obtenir un crédit d'impôt que cette loi serait superflue. D'autant plus que dans le cas des directives de Téléfilm Canada, lorsque nous amorçons le processus de demande de crédits d'impôt, le film est déjà terminé. Si la demande de subvention se faisait avant le film, je ne dis pas, mais ce n'est pas le cas.

Le sénateur Goldstein : C'est une réponse qui me soulage, merci.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Au Québec, quand vous obtenez des crédits d'impôt, n'y a-t-il pas des dispositions sur l'intérêt public qui s'appliquent? Il y a un certain nombre de gouvernements provinciaux qui ont des lignes directrices sur l'intérêt public.

Mme Des Roches : Je n'ai vu aucune ligne directrice sur l'intérêt public, comme je l'ai déjà indiqué. Il s'agissait surtout de films pour adultes ou d'émissions vérité; c'était simplement une liste de productions qui ne donneront pas droit à un crédit.

[Français]

L'intérêt public, pour nous, surtout dans le contexte des crédits d'impôt, on l'interprète beaucoup plus en termes de politique publique conforme au contenu canadien, aux résidences, aux règlements en vigueur. Au Québec, pour avoir droit aux crédits d'impôt, les gens doivent faire des déclarations qui sont véridiques; par exemple, les gens doivent habiter au Québec depuis plus de six mois. Il y a un tas de balises et, pour nous, la politique publique et l'intérêt public y sont inclus. Pour moi, l'ordre public, ce n'est pas la même chose que « public policy », au départ. Cependant, on l'a toujours interprété de cette façon : est-ce conforme à l'esprit de ce qu'on voulait faire avec cet outil de financement?

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Nous avons beaucoup discuté de cette question, et nous essayons de trouver un moyen d'assurer la clarté du processus de dépôt de demande, afin que l'industrie sache quelles sont les règles. N'y aurait-il pas un moyen de faire en sorte qu'il y ait un peu plus de clarté qu'il n'y en a dans le Code criminel, qui est le plus bas dénominateur commun? C'est sûr que l'argent des contribuables mérite plus de respect que cela. Y aurait-il un moyen de rendre plus clair ce projet de loi? Nous en discutons depuis longtemps. Tout le monde ici veut une mesure, un amendement ou quelque chose qui nous permettra d'atteindre cette clarté, et nous y sommes, bien sûr ouverts. Nous avons eu beaucoup de discussion sur le sujet, et nous semblons tourner en rond. Nous savons ce que nous devons cibler. Y aura-t-il un moyen que vous puissiez nous aider à cet égard? Vous pourriez avoir plusieurs mois pour le faire.

M. Legault : Pourquoi?

[Français]

La seule question qui me vient, c'est : pourquoi y a-t-il eu un problème? Il y a eu un problème sur la transparence et il y a eu des modifications à la loi parce qu'il y avait un problème. Or, je ne sais pas quel est le problème, je ne comprends pas. Est-ce que vous pouvez me nommer un film qui a fait l'objet d'un crédit d'impôt, qui a créé un problème et qui, de façon générale, a été à l'origine d'un scandale?

Est-ce qu'il y a eu un film comme, par exemple, Les hôtesses de l'air en goguette, qui a été fait avec des crédits d'impôt? Je n'arrive pas à comprendre d'où vient le problème. L'introduction de cet article cause plus de dommage que de bien. Je cherche à savoir où est l'avantage de cet article. Je comprends que la ministre veuille intervenir parce que, comme elle le dit, c'est l'argent des contribuables. Mais si l'argent public ne doit pas servir à cela, pourquoi, du côté américain ou d'une production qui viendrait d'ailleurs, les crédits d'impôt ne s'appliqueraient pas dans ces cas? Il y a quelque chose d'incohérent à tout cela!

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi cet article existe et ce qu'il cherche à prévenir. Que l'argent des contribuables soit mal dépensé? Je vais reprendre l'exemple qui a déjà été cité : est-ce qu'on devrait couper le crédit d'impôt octroyé au bois d'œuvre qui sert à fabriquer un bâton de baseball qui éventuellement tuera quelqu'un? Je pense que cet article crée beaucoup de problèmes. Trouvez un article qui va créer moins de problèmes. Il y a déjà des directives qui existent.

Je ne peux pas trouver des solutions sur quelque chose que je n'arrive pas à cerner comme problème.

Mme Des Roches : Le gros problème qu'il y avait à régler, c'était la transparence, les possibilités de frauder. C'est important, en ce qui concerne l'argent des contribuables, de nous assurer qu'il n'y a pas de fraudes, pas de passe-droits utilisés pour dépenser cet argent à mauvais escient. Sur le plan moral, c'est beaucoup plus subjectif et, en plus, c'est après-coup. Nous sommes venus vous dire que cette loi a apporté les clarifications qui devaient être faites par rapport à la transparence, à la gouvernance d'un fonds et de l'assurance que ces fonds ne soient pas utilisés à des fins frauduleuses. Bravo! Les clarifications apportées sont formidables à cet égard. Je crois qu'elles étaient de mise, mais tout ce qui porte sur la moralité n'est pas nécessaire.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Permettez-moi de deviner ce que veut l'industrie cinématographique. Quand on fait abstraction de tout ce dont nous avons parlé, ce que vous voulez, c'est de la clarté. Quand vous obtenez votre crédit d'impôt, vous voulez avoir l'assurance que ce crédit d'impôt sera bon jusqu'à ce que vous finissiez votre film, parce que ce crédit vous donne accès à des fonds de la banque. Vous voulez que la banque ait confiance que le crédit d'impôt sera là au bout du compte, sinon il y aura des problèmes. Voilà ce que vous voulez. Ce que vous ne voulez pas, c'est que quelqu'un vienne vous dire après coup que vous ne pouvez pas faire cela.

M. Legault : C'est cela en partie.

Le sénateur Tkachuk : C'est cela en partie. Quelle est l'autre partie?

[Français]

M. Legault : C'est la liberté d'un artiste de pouvoir s'exprimer sur un sujet qui n'est pas lié à un financement qui fait que tout tombe. C'est le critère subjectif. Il y a deux aspects : l'aspect artistique et l'aspect du point de vue du président de l'Union des artistes qui voit pertinemment que cette façon de faire risque d'avoir un impact important.

[Traduction]

Le sénateur Tkachuk : Vous savez bien que, si vous remplissez un formulaire où vous dites que vous comptez faire un film pornographique, vous n'obtiendrez pas de crédit d'impôt, parce que les lignes directrices l'interdisent. Vous n'obtiendrez pas de crédit d'impôt si vous voulez produire un film qui sera de la publicité ou de la publicité gala. Vous savez quelles sont les lignes directrices. Nous essayons d'établir les lignes directrices pour que tout le monde sache en quoi elles consistent. Ce n'est pas si compliqué que cela.

À l'heure actuelle, il y a des lignes directrices qui sont proposées et il y a celles qui s'appliquent, que vous le sachiez ou non et que vous le vouliez ou non, car vous savez quelles sont ces lignes directrices. Si une de ces lignes directrices est inscrite dans la loi, quelle différence cela fera-t-il? En quoi le contexte dans lequel vous exercez votre activité sera-t-il différent? C'est pour cette raison que nous n'avons jamais eu de problème, parce que vous vous conformiez déjà à ces lignes directrices. Qu'on l'ait dit ou qu'on ne l'ait pas dit, vous vous conformiez à ces lignes directrices.

[Français]

Mme Des Roches : Avec les lignes directrices, on peut beaucoup plus travailler avec l'esprit; avec la loi, on doit travailler avec la lettre. Parfois, certains peuvent trébucher dans les fleurs du tapis avec la loi. Il y a des répercussions à la loi. Les lignes directrices sont un guide, quand même avec une marge de manœuvre, de la flexibilité. Lorsqu'on va à l'encontre de la loi, il n'y a presque pas de marge de manœuvre. Du moment où on commence à être très directif dans une loi, on commence à s'ouvrir à la subjectivité.

Le président : Dans le projet de loi, il y a une disposition qui dit que le ministre doit faire imprimer ou faire circuler les lignes directrices, lesquelles seront établies après des consultations, avec des personnes inconnues. C'est le problème, ce n'est pas clair et il y a beaucoup de discrétion. Vous n'aimez pas voir ces mots parce que même les lignes directrices ne sont pas vraiment des règlements, elles sont complètement à la discrétion du ministre et l'industrie du film n'apprécie pas.

Est-ce vraiment le point? Si on enlève cette question, est-ce que cela réglerait un peu le problème?

M. Legault : À l'intérieur de ce qui existe déjà?

Le président : Non, à l'intérieur du projet de loi ...

[Traduction]

Par exemple, ils prévoient que le ministre publiera des lignes directrices. Quelles sont ces lignes directrices? C'est ce que disent tous les témoins. Nous ne savons pas quelles seront les lignes directrices. Non seulement nous ne savons pas ce qu'elles seront, mais elles pourront être changées à n'importe quel moment, comme on le voudra, et nous ne savons pas quand elles seront changées. Les banques ne le sauront pas.

[Français]

Il y a beaucoup de doutes, et cela cause un gros préjudice à notre financement et à notre capacité de gérer nos propres affaires.

[Traduction]

C'est cela qui est le pire, selon moi.

[Français]

Au Québec, on a une loi qui dit qu'on n'accorde pas de crédits d'impôt aux films ou aux productions audiovisuelles qui sont contre l'ordre public, contre la politique publique. Point final. Est-ce que l'absence de lignes directrices discrétionnaires vous donnerait plus de liberté artistique?

M. Legault : C'était ce qui était proposé à l'origine, l'ordre public?

Le président : C'est la loi au Québec actuellement et nous n'avons pas de problème avec cela.

Mme Des Roches : Je ne me souviens pas de la loi sur l'ordre public au Québec.

Le président : C'est la politique publique.

Mme Des Roches : C'est toujours ainsi qu'on a perçu la politique publique. C'est conforme à l'esprit de l'outil ou aux règlements de l'outil de soutien.

[Traduction]

Le président : Est-ce que cela pourrait être une solution? Je suis ici en tant que président. J'entends toutes ces observations. Il me semble très clair que le problème que pose le projet de loi C-10 pour l'industrie cinématographique, c'est qu'il sème le doute, qu'il n'y a pas de clarté. Nous en sommes convaincus. Je sens que c'est ce que pensent tous mes collègues. Nous voulons aider à corriger cette lacune pour que la clarté soit assurée et que les banques disent : ne vous inquiétez pas; c'est clair, si vous suivez les règles normales.

Si nous supprimions tout ce qui concerne les lignes directrices discrétionnaires — parce qu'il y a pas mal de choses dans le projet de loi qui touchent votre industrie; vous le savez —, si nous supprimions cette partie-là qui sème le doute et que nous laissions un libellé semblable à celui qu'on a au Québec, cela sera-t-il acceptable pour vous?

[Français]

M. Legault : J'aimerais revoir les mots.

Mme Des Roches : S'il s'agit de politique publique... Mais encore là, je ne crois pas qu'il soit nécessaire que ce soit dans la loi. Dans les règlements, lorsqu'il y a des exigences comme celle, par exemple, de ne pas faire de demandes qui seraient contraires à la politique publique, on est capable de lire le formulaire; on n'a pas à mettre cela dans la loi.

C'est dans l'ordre des choses.

Le président : Si c'est dans la loi, au moins c'est clair. Cependant, comme le sénateur Fox vient de nous le démontrer, on peut changer la formule avec discrétion d'un jour à l'autre. C'est plus douteux.

M. Legault : La différence entre le Canada et le Québec pour les crédits d'impôt, c'est que la SODEC administre à la fois les subventions et les crédits d'impôt. C'est donc le même organisme qui applique les mêmes règles. Or, au Canada, ce n'est pas la même chose. Téléfilm Canada et CAVCO, ce sont deux entités différentes. C'est comme si Téléfilm Canada disait à Revenu Canada : « Oui, c'est correct, vous pouvez émettre des crédits d'impôt parce que cela satisfait nos critères. » S'il y a des choses à venir, ce sont les directives de la SODEC qui s'appliquent pour l'émission des crédits d'impôt. Si, pour la SODEC, c'est écrit « ordre public » ou « intérêt public » — ce dont je ne suis pas certain...

Le sénateur Fox : C'est « politique gouvernementale ».

M. Legault : La politique gouvernementale traite très rarement de la morale, sauf dans le cas de la pornographie, par exemple, parce qu'on dit qu'on ne va pas se servir des films. De façon générale, on regarde le contenu québécois et les critères — qui sont beaucoup plus terre à terre — et les années d'expérience et on regarde qui fait partie du film.

C'est la façon dont fonctionne, au Canada, l'obtention des crédits d'impôt, qui relève beaucoup plus de CAVCO que de Téléfilm Canada. Les critères sont différents. Est-ce que les critères pourraient être les mêmes? Je pense qu'ils pourraient être les mêmes pour Téléfilm Canada et pour CAVCO.

Le sénateur Goldstein : Est-ce que vous avez eu des problèmes jusqu'à maintenant avec le gouvernement du Québec, étant donné le libellé de cette disposition?

M. Legault : Non, pas à ce que je sache.

Mme Des Roches : Si c'est vraiment conforme à la politique gouvernementale, ça vient vraiment rejoindre notre interprétation de « politique publique ». Dans ce cadre, il est clair qu'il faut être conforme à l'ensemble des politiques culturelles et des outils de soutien à la culture et au cinéma. Oui, allons-y. C'est l'esprit. Dès qu'on touche à la moralité ou à des choses beaucoup plus subjectives dans la société, on va commencer à se « peinturer dans le coin ». Quand on parle de politiques de soutien, c'est parfait. La Loi sur la radiodiffusion, ça va, mais sur le plan de la moralité, on ouvre une boîte de Pandore.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur le président, vous avez mis le doigt sur le problème en ce qui concerne les lignes directrices, tout comme le sénateur Tkachuk, c'est-à-dire quelles sont les lignes directrices et quelle est leur importance.

Le projet de loi contient une disposition selon laquelle la ministre peut modifier ces lignes directrices. Premièrement, les lignes directrices ne sont pas des textes réglementaires et ne peuvent donc pas faire l'objet d'un examen par le Parlement, la Chambre des communes, le Sénat ou notre Comité mixte d'examen de la réglementation, ce qui signifie qu'elles peuvent être modifiées, et qu'elles peuvent faire l'objet d'ajouts ou de retraits sans que vous ne soyez au courant. Que pensez-vous de cela?

[Français]

M. Legault : On parle du financement et je cherche vraiment quelles sont les implications. Est-ce que la loi pourrait dire que la ministre peut changer les lignes directrices? À ce que je sache, elle le fait déjà à l'heure actuelle; si elle veut le faire, elle peut le faire. J'ai l'impression qu'on mélange deux choses. On parle de financement et de crédits d'impôt. On parle de ce que la ministre souhaite faire à l'intérieur de son propre ministère. Pour moi, c'est comme si on voulait résoudre, avec le projet de loi C-10, un problème qui est autre. Il est possible que la ministre ait des problèmes avec l'argent qu'elle donne de façon générale, que ce soit en subventions au théâtre ou n'importe où, elle peut subventionner un projet, puis ne pas être d'accord avec ça.

J'ai l'impression qu'on veut résoudre deux problèmes à la fois, c'est-à-dire faire d'une autre façon ce que la ministre ne peut pas faire à l'intérieur de son ministère. Je ne dis pas que la ministre ne devrait pas avoir de lignes directrices. Si on n'est pas content, on ne réélit pas ce parti-là ou on critique la ministre. C'est une chose. Cependant, je ne crois pas que ce soit l'endroit pour inclure cet article. Je ne dis pas que cela va tout régler et que cela met toute l'industrie cinématographique à l'abri d'une directive que pourrait donner la ministre. Cela n'enlève rien. Toutefois, je ne crois pas qu'il faille que cela apparaisse dans ce projet de loi.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, sommes-nous satisfaits? Cette discussion a été très utile et ouvre un nouveau point de vue.

[Français]

Je vous remercie sincèrement au nom de tous les sénateurs.

[Traduction]

Nous allons mettre un terme à la partie officielle de la séance.

Les membres du comité de direction se sont réunis et nous devons adopter des budgets. Nous approchons de la fin d'une session. Depuis le début du nouvel exercice financier, nous n'avons pas mis en place nos budgets. Notre mandat général permanent consiste à assurer la surveillance générale du secteur des services financiers. Nous disposons d'un budget spécial pour étudier des projets de loi individuels, comme celui-ci. Il faut renouveler notre budget pour entreprendre l'étude des obstacles au commerce interprovincial. Nous avons terminé les audiences, et nous avons commencé à rédiger une ébauche de rapport, sur laquelle nous nous pencherons une fois que nous aurons terminé l'étude du projet de loi.

Les membres du comité de direction se sont réunis et ont rédigé ces trois ébauches de budget. Si cela vous va, j'accepterai une seule motion touchant les trois. Si vous aimeriez avoir plus de détails, il me fera plaisir de vous expliquer.

Le sénateur Ringuette : J'ai une question afin de préciser le budget du projet de loi. Dans la catégorie « Autres dépenses », je vois un montant de 6 000 $ pour des livres et des périodiques. De quoi s'agit-il?

Le président : C'est une bonne question. Chaque matin, nous recevons toutes les nouvelles du secteur financier. Certains d'entre nous les consultent, d'autres non, mais presque tout le personnel en fait usage. C'est très utile, et c'est ce que cela coûte.

Le sénateur Ringuette : Très bien.

Le président : Au sujet de la question de notre mandat général, nous envisageons d'aller en Europe. Nous avons déjà un budget de voyage pour Washington.

La première motion est la suivante :

Que l'ébauche du budget concernant la législation au montant de 36 000 $ soit adoptée et que le président présente la demande au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

Le sénateur Moore : Je propose la motion.

Le président : Tous les membres du comité sont-ils d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : La deuxième motion est la suivante :

Que l'ébauche du budget concernant les questions relatives aux obstacles interprovinciaux au montant de 6 700 $ soit adoptée et que le président présente la demande au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

Le sénateur Moore : Je propose la motion.

Le président : Tous les membres du comité sont-ils d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : La dernière motion est la suivante :

Que l'ébauche du budget concernant la situation actuelle du régime financier canadien et international au montant de 223 600 $ soit adoptée et que le président présente la demande au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration.

Le sénateur Moore : Je propose la motion.

Le président : Tous les membres du comité sont-ils d'accord?

Des voix : D'accord.

Le président : Merci.

Pour la gouverne des sénateurs Jaffer et Ringuette, nous étudions ce projet de loi depuis novembre, de sorte que nous n'avons pas pu nous pencher sur les problèmes importants auxquels fait face l'économie mondiale, des questions comme le crédit, et ainsi de suite. Nous devons reprendre notre examen de ces questions.

Je pense que vous serez satisfaits. Le comité de direction a élaboré un plan afin que nous puissions mener à bien l'étude du projet de loi. Immédiatement après l'ajournement, nous y travaillerons. Nous nous concentrerons sur cette question et nous vous tiendrons au courant.

Le sénateur Goldstein : J'espère que nous serons en mesure de terminer notre étude du projet de loi S-205 au début de septembre.

Le président : Oui.

Le sénateur Jaffer : Ce qui m'aiderait, c'est d'avoir une idée générale de ce que ce travail entraîne et de la façon dont nous avons l'intention de nous y attaquer; ce n'est qu'une suggestion. Par exemple, quand pensez-vous planifier le voyage, et ainsi de suite, pour que nous puissions avoir une idée? Pour ce qui est des autres comités, nous saurions que ce voyage aura lieu, de sorte que nous pourrons planifier en conséquence.

Le président : Nous n'avons pas encore déterminé de date, mais votre question est très raisonnable. Je consulterai mes collègues du comité de direction, puis j'entreprendrai d'envoyer une lettre à tous les membres du comité, à la fin de juin, pour donner un aperçu de ce qui s'en vient.

Le sénateur Tkachuk : J'ai parlé à un journaliste aujourd'hui qui m'avait téléphoné pour discuter du projet de loi C- 10. Il avait déjà discuté avec quelques sénateurs libéraux qui font partie du comité, mais il n'avait pas...

Le président : Cette personne s'appelle-t-elle Simon quelque chose?

Le sénateur Tkachuk : Oui.

Le président : Je refuse de lui parler.

Le sénateur Tkachuk : Oui. Bien entendu, il ne m'a pas donné les noms des sénateurs. La conversation s'est très bien déroulée. Nous avons discuté de certains problèmes. J'ai lancé quelques pointes aux libéraux parce qu'ils nous avaient lancé quelques pointes aussi, mais ce n'était rien de méchant, bien entendu. Toutefois, il a dit quelque chose qui a piqué ma curiosité, et je voudrais simplement clarifier la question. Il a parlé des amendements. J'ai dit que nous avions fait pression sur les libéraux pour qu'ils déposent des amendements. Je me doute de la raison pour laquelle il n'y en a pas, et cetera. Il a dit qu'il avait parlé à un sénateur libéral. Je pense que c'était peut-être vous, sénateur Goldstein. Je pense qu'il l'a dit, mais peut-être que non, parce qu'il n'était pas très clair. Il a dit que les libéraux devaient déposer publiquement les amendements avant de les déposer devant le comité, qu'ils allaient le faire au printemps.

J'ai dit que je trouvais cela un peu étrange, puisque nous avons tenu de bonnes discussions entre nous pour tenter de trouver une solution commune au problème. J'ai dit que s'ils devaient agir publiquement avant que nous ne puissions examiner les amendements, cela détruirait une bonne partie des sentiments positifs que nous avons au sujet de la résolution de ce problème.

Je serai honnête et je vous poserai la question directement. Si vous avez des amendements, certainement, je... Si nous avions des idées, monsieur le président, je pense que nous les proposerions au comité. Je ne tiendrais pas une conférence de presse pour dire ce que nous avons décidé.

Le président : Nous avons entrepris un projet. Le comité de direction travaille actuellement à déterminer des amendements conjoints, de sorte qu'on ne parle pas de « nous » par opposition à « eux »; je pense que les membres du comité de direction sont unanimes.

Le sénateur Tkachuk : Ce serait parfait.

Le président : C'est ce que fait le comité depuis des années. Si c'est possible, les amendements seront proposés et adoptés à l'unanimité avant que le projet de loi ne fasse l'objet d'un rapport.

Le sénateur Tkachuk : Ce serait parfait.

Le président : Tous semblent d'accord pour dire que ce projet de loi est comme un chiot malade qui a besoin de beaucoup de médicaments.

Le sénateur Tkachuk : Il faut y travailler.

Le président : Nous ne pourrons pas le guérir complètement.

Le sénateur Fox : Nos délibérations sont-elles publiques?

Le président : Non, nous ne sommes pas diffusés. Nos délibérations sont inscrites aux témoignages.

Line Gravel, greffier du comité : Oui, nous sommes diffusés.

Le président : J'ai demandé qu'on éteigne. Je suis désolé.

Mme Gravel : Nous ne sommes pas à la télévision, mais nous sommes sur diffusion.

Le sénateur Goldstein : Nous avons déjà été dans une telle situation.

Le sénateur Tkachuk : C'est reparti. Ces satanés micros.

Le sénateur Goldstein : Je n'ai rien dit.

Le président : Je ne vois pas le problème.

Le sénateur Moore : La séance est-elle levée?

Le président : Proposez-vous que nous levions la séance?

Est-ce clair? Tout le monde a compris?

Le sénateur Tkachuk : Je pense que c'est une excellente idée.

Le sénateur Goldstein : J'ai dit au sénateur Angus hier, lors de la séance du comité de direction, que j'aimerais voir ce que vous considérez comme amendement. Les membres de l'industrie ont été assez unanimes dans leurs propos. Ils ont présenté le Code criminel comme étant le...

Le sénateur Tkachuk : Avons-nous ajourné?

Le sénateur Goldstein : Non, pas encore — ou oui? Ça m'est égal. Je ne m'exprime pas différemment que nous soyons diffusés ou non.

Je crois qu'il est important que l'industrie ait la chance d'étudier une façon appropriée de régler le problème.

Il y a bien sûr le problème de la pornographie. La pornographie est couverte par la réglementation, et on ne peut pas produire de pornographie. Ma préoccupation est d'un ordre différent. J'ai un problème avec la violence excessive, et personne dans l'industrie n'en a parlé.

Le sénateur Tkachuk : La violence gratuite.

Le sénateur Goldstein : Oui, la violence sans fondement.

Je crois que nous devons laisser l'industrie nous parler librement de ces questions et des problèmes qui existent. Je sais, par exemple, que le film du sénateur Dallaire n'aurait pas pu être réalisé si la violence était le seul critère, donc cela ne peut pas être le seul critère. Il faut qu'il y ait autre chose. Mais quoi? Je ne sais pas. Dites-moi ce que vous avez en tête. Je suis ouvert aux suggestions.

Le président : Nous devons apporter des précisions.

Le sénateur Goldstein : Nous devons trouver une façon.

Le président : Puis passer à autre chose.

Le sénateur Goldstein : Nous avons aussi d'autres questions relatives aux impôts à traiter, et nous avons un plan à cet effet, sénateur Tkachuk. Je ne sais pas si vous êtes au courant. Je vous en parlerai plus tard, si vous le souhaitez.

Le sénateur Tkachuk : Vous savez, c'est pourquoi il y a des personnes responsables au comité de direction, et je leur fais confiance pour représenter mes opinions.

Le président : La séance est levée.

La séance est levée.


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