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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 7 - Témoignages du 13 mai  2009


OTTAWA, le mercredi 13 mai 2009

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 2, pour procéder à l'élection d'un vice-président et pour étudier les éléments ayant trait à la partie 12 de la Loi sur la concurrence qui figurent dans le projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget de 2009.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, avant d'entendre la déclaration des témoins d'aujourd'hui, nous devons régler une agréable question administrative.

Comme vous le savez tous, le sénateur Goldstein a pris sa retraite. Il nous incombe donc d'élire un nouveau vice- président. Je suis prêt à recevoir des propositions.

Le sénateur Oliver : Je me fais un honneur de proposer la candidature du sénateur Hervieux-Payette.

Le président : Merci, sénateur Oliver. Y a-t-il d'autres candidatures? Si non, quelqu'un peut-il proposer que la période de mise en candidature est maintenant terminée?

Le sénateur Harb : J'en fais la proposition.

Le président : Merci. La proposition est appuyée par le sénateur Fox. La période de mise en candidature est terminée, et j'ai le plaisir d'annoncer que le sénateur Hervieux-Payette est la nouvelle vice-présidente du comité.

Bienvenue et félicitations. J'ai bien hâte de travailler avec vous.

[Français]

Je suis certain que nous aurons une relation fructueuse, mais nous avons du pain sur la planche et donc nous devrions passer tout de suite à la présentation de nos témoins pour cet après-midi.

Aujourd'hui, nous étudions les éléments du projet de Loi d'exécution du budget de 2009, mieux connu sous l'appellation de projet de loi C-10, qui relèvent de Loi sur la concurrence.

[Traduction]

Le Sénat a autorisé le comité à entreprendre son examen des changements à la Loi sur la concurrence proposés dans le projet de loi C-10. Le comité a entamé l'examen le 12 mars 2009, le même jour où le projet de loi a reçu la sanction royale.

Le projet de loi C-10 a modifié, entre autres, la Loi sur la concurrence pour y inclure de nouvelles exigences de divulgation de renseignements pour les grandes fusions, une définition élargie de « truquage d'offres », et des dispositions modifiées relatives aux sanctions qui sont prévues pour mieux protéger les consommateurs contre la publicité trompeuse et les pratiques commerciales fallacieuses.

Pour discuter de ces ajouts et d'autres changements, nous sommes ravis d'accueillir, du Bureau de la concurrence Canada, Mme Melanie Aitken, commissaire intérimaire de la concurrence. Nous recevons également Mme Colette Downie, directrice générale des politiques-cadres du marché à Industrie Canada.

Je vous souhaite la bienvenue. Merci d'être des nôtres. Je crois savoir que vous avez toutes les deux une déclaration préliminaire. Allez-y dans l'ordre que vous avez choisi.

Colette Downie, directrice générale, Direction générale des politiques-cadres du marché, Industrie Canada : Merci, honorables députés, de nous donner l'occasion de nous exprimer sur les modifications à la Loi sur la concurrence proposées dans le projet de loi C-10.

[Français]

Je vais vous présenter un aperçu des principaux éléments des modifications proposées à la partie 12 de la loi et leur raison d'être. Ma collègue présentera les questions portant sur la mise en œuvre et l'application de ces modifications.

Les marchés concurrentiels offrent le meilleur moyen d'avoir les prix les plus bas, davantage de produits et des produits de meilleure qualité, ainsi que de stimuler l'innovation, des facteurs qui profitent non seulement aux Canadiens mais à l'ensemble de l'économie.

[Traduction]

Des lois et des politiques efficaces en matière de concurrence sont essentielles pour assurer la compétitivité et l'efficacité de notre économie. Avant le projet de loi C-10, aucune modification n'avait été apportée à la Loi sur la concurrence depuis 1986. Les derniers changements à la disposition relative au complot remontent à bien plus longtemps, soit depuis 1889.

C'est peut-être un euphémisme de dire qu'il était essentiel de mettre à jour un certain nombre de dispositions clés afin de mieux tenir compte des réalités de l'économie mondiale moderne. Seulement quelques initiatives de moindre importance, y compris des propositions de réforme législative, ont été menées depuis 1986 dans le but de moderniser la Loi canadienne sur la concurrence.

[Français]

Comme vous le savez, en juillet 2007, le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence, présidé par Lynton Ronald « Red » Wilson a été créé afin de revoir les politiques canadiennes en matière de concurrence et d'investissement. Le Groupe d'étude a reçu plus de 155 soumissions écrites et a longuement consulté à travers le Canada et à l'étranger.

[Traduction]

Le groupe d'étude a présenté son rapport au gouvernement en juin 2008. Selon les conclusions de ce dernier, la réussite internationale du Canada dépend de la compétitivité de ses marchés intérieurs et de sa capacité de réduire, voire d'éliminer, les obstacles superflus à l'entrée. Les principales recommandations du groupe d'étude comprenaient la modernisation de la Loi sur la concurrence et, plus particulièrement, les dispositions relatives au complot, l'examen des fusions et l'abus de position dominante.

Les modifications à la Loi sur la concurrence proposées dans le projet de loi C-10 font suite aux principales recommandations du groupe d'étude et représentent une composante importante du Plan d'action économique du Canada en vue de stimuler la croissance à long terme.

Je vais maintenant expliquer un à un les principaux changements proposés dans le projet de loi C-10.

Premièrement, la disposition de la Loi sur la concurrence portant sur le complot, aussi connue sous le nom de disposition relative aux cartels ou à la fixation des prix, était demeurée la même depuis 1889. Elle ne cadrait plus avec les règlements de nos principaux partenaires commerciaux. Dans de nombreux pays industrialisés, si le tribunal est convaincu que deux ou plusieurs entreprises ont comploté pour fixer les prix, les auteurs sont déclarés coupables — point final. Ce n'était toutefois pas le cas au Canada. En vertu de l'ancienne disposition, même lorsqu'il était clair que des concurrents avaient comploté pour fixer les prix, les tribunaux devaient quand même approfondir davantage et examiner des éléments de preuve complexes sur le plan économique afin d'être convaincus hors de tout doute raisonnable que l'effet du complot en matière de fixation des prix sur le marché était considérable.

[Français]

Souvent, il s'est révélé trop difficile de confirmer la véracité des éléments de preuve sur le plan économique hors de tout doute raisonnable, même dans les cas où il était clair que les concurrents s'étaient entendus pour fixer les prix, un obstacle auquel ne sont pas confrontés les poursuivants aux États-Unis ou d'autres pays importants.

Avec ces modifications, le gouvernement a durci son approche face aux grands cartels, modifié la loi pour assurer de ne pas affecter le bon fonctionnement des entreprises honnêtes et simplifié plusieurs aspects de la loi.

[Traduction]

Les modifications éliminent la nécessité de prouver les effets économiques d'un complot et réduisent la portée de la disposition relative au complot qui s'applique seulement aux cartels injustifiables ainsi qu'aux accords de concertation sur les prix, de répartition des marchés ou de limitation de la production. Le processus relève tout de même du régime criminel, et donc la charge de la preuve qui incombe à l'État demeure élevée — c'est-à-dire une preuve qui doit être hors de tout doute raisonnable. Les modifications augmentent de manière significative les peines maximales d'emprisonnement de 5 à 14 ans, et les amendes peuvent se situer entre 10 et 25 millions de dollars pour ceux qui sont reconnus coupables de complot en vue de fixer les prix.

Le gouvernement a mis en place une nouvelle disposition civile pour l'examen de toute autre forme d'entente entre concurrents, qui exige une preuve des incidences économiques de cette entente et qui ne comporte pas de menace de sanction pénale. Ces ententes étaient autrefois couvertes par les anciennes dispositions relatives au complot.

[Français]

Les modifications reflètent l'importance d'accorder une période de transition jusqu'en mars 2010, soit une année après la sanction royale, de manière à permettre aux entreprises de respecter les nouvelles dispositions.

Pendant cette période d'un an, les entreprises peuvent s'adresser au bureau pour obtenir un avis écrit sur les conditions d'application des nouvelles dispositions sur une entente existante. Ainsi, ces entreprises seront en mesure de revoir leurs ententes avant que les nouvelles dispositions entrent en vigueur et ce, sans frais.

Lorsque le projet de loi a été déposé, il y a eu beaucoup de discussions sur la manière dont les dispositions modifiées seraient appliquées. Depuis ce temps, le Bureau de la concurrence a publié les lignes directrices afin d'assurer la transparence et la prévisibilité concernant l'approche du bureau en matière d'application de ces dispositions.

[Traduction]

Ma collègue, Mme Aitken, vous en dira davantage sur les initiatives du bureau.

Parmi les autres modifications importantes, mentionnons la réforme des dispositions relatives à l'examen des fusions. L'évaluation permettant de savoir si le regroupement de deux entreprises est susceptible de diminuer considérablement la concurrence constitue un aspect fondamental pour s'assurer que les marchés demeurent confidentiels. Cette notion est basée sur le fait qu'il est de loin préférable d'empêcher des fusions anticoncurrentielles plutôt que de tenter d'en défaire une après le fait ou de vivre avec ses conséquences probables — des prix plus élevés, des produits ou des services moins innovateurs et moins de choix pour les consommateurs.

Avant ces récentes modifications, les dispositions de la Loi sur la concurrence portant sur l'examen des fusions n'avaient pas fait l'objet d'une révision substantielle depuis 1986, comme je l'ai mentionné. Les choses ont beaucoup changé depuis, notamment le rythme des transactions entre sociétés et le degré de précision des données accessibles et nécessaires pour l'analyse des marchés.

Le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence a recommandé des changements à la Loi sur la concurrence, que le gouvernement a adoptés, pour faire en sorte que le processus d'examen des fusions au Canada permette au Bureau de la concurrence d'obtenir l'information requise de la part des parties à la fusion pour évaluer correctement les effets d'une fusion et prendre la bonne décision, soit contester, soit approuver la fusion, et ce, en temps opportun.

Il a aussi recommandé — et ceci a été mis de l'avant par le groupe d'étude — que les entreprises doivent avoir le plus de certitude possible quant au processus et au calendrier de leurs transactions. C'est ainsi que le Canada maintient sa réputation de pays de choix pour l'investissement.

En vertu des anciennes dispositions, les parties pouvaient conclure un projet de fusion après 42 jours, même si elles n'avaient pas transmis au Bureau de la concurrence l'information dont il avait besoin pour déterminer si la fusion pouvait nuire à l'économie. Plus encore, le Bureau de la concurrence devait avoir recours aux tribunaux pour faire face à la non-coopération des parties, un processus qui était rigide et qui ne laissait pas au Bureau de la concurrence suffisamment de temps pour examiner adéquatement des fusions complexes d'une manière informée et rapide.

Dans le cadre du nouveau régime, les entreprises qui fusionnent apprennent en moins de 30 jours si leur projet de transaction soulève de graves préoccupations. La vaste majorité des transactions devraient être autorisées au cours de la période initiale de 30 jours, et souvent plus rapidement.

Quant au petit nombre de fusions pouvant être nuisibles — soit entre quatre et six par année environ — les entreprises seront informées des renseignements supplémentaires qu'elles devront fournir pour nous permettre d'effectuer une analyse plus approfondie. Lorsque l'information supplémentaire est communiquée, le Bureau de la concurrence disposera de 30 jours pour décider de contester ou non la fusion.

[Français]

Quand la loi a été déposée, il y a eu beaucoup de discussions pour savoir comment les nouvelles dispositions relatives aux fusions s'appliqueraient. Depuis, le Bureau de la concurrence a diffusé des lignes directrices provisoires dans le but, notamment, de décrire les pratiques que suivra le bureau afin de s'assurer que les parties qui devront répondre à un besoin d'information supplémentaire n'auront pas à supporter un fardeau plus lourd que nécessaire. Ma collègue apportera davantage de précision sur cette question.

[Traduction]

La troisième série de modifications clés du projet de loi C-10 portent sur l'abus de position dominante. C'est une situation où une entreprise qui exerce une emprise sur le marché tente d'exclure, de discipliner ou d'éliminer un concurrent d'une manière qui nuit à la concurrence de façon durable ou permanente. Selon l'ancienne Loi sur la concurrence, une activité anticoncurrentielle n'entraînait pas de conséquences financières. Tout ce que le Tribunal de la concurrence pouvait faire était d'ordonner à une entreprise de mettre fin à un tel comportement; l'entreprise pouvait toutefois conserver tout l'argent qu'elle avait déjà gagné grâce à cette activité.

La mise en place de ce qu'on appelle des « sanctions administratives pécuniaires », ou SPA, a un plus grand effet de dissuasion, reconnaît la gravité d'une telle conduite et harmonise la loi du Canada avec les lois d'autres administrations.

Je vais parler brièvement du dernier ensemble de modifications clés. Outre le fait de répondre aux recommandations du groupe d'étude, les modifications proposées dans le projet de loi C-10 envoient un message sans équivoque à ceux qui voudraient violer la loi et aux tribunaux, à savoir que le gouvernement est sérieux dans sa volonté de sévir contre les crimes visés par la Loi sur la concurrence.

Certaines dispositions visent à protéger les consommateurs contre la publicité trompeuse en établissant des sanctions beaucoup plus sévères et à mettre en place un mécanisme de restitution, lequel permettra aux consommateurs qui sont victimes d'une telle conduite d'obtenir un remboursement. Ces changements devraient aider les entreprises à se livrer à des pratiques commerciales honnêtes et permettre aux Canadiens de faire davantage confiance aux messages publicitaires.

[Français]

En conclusion, je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'expliquer les points saillants de la partie 12 du projet de loi C-10.

[Traduction]

Après les remarques de Mme Aitken, je me ferai un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir.

Melanie Aitken, commissaire intérimaire de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada : C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui pour discuter des modifications récemment proposées à la Loi sur la concurrence. Depuis janvier, j'ai eu le privilège d'occuper le poste de commissaire de la concurrence par intérim. Auparavant, j'ai administré la direction d'examen des fusions du Bureau de la concurrence. J'ai passé la majeure partie de ma carrière à travailler dans un cabinet d'avocats privé à Toronto.

Nous sommes satisfaits des modifications que Mme Downie a décrites. Nous sommes convaincus qu'elles nous aideront concrètement à remplir notre mission, qui consiste à contribuer à la prospérité des Canadiens en protégeant et en promouvant des marchés concurrentiels et honnêtes, où l'on favorise l'efficacité et l'innovation et où l'on communique aux consommateurs l'information nécessaire pour faire des choix éclairés.

Un marché honnête est profitable à tout le monde, tant aux entreprises qu'aux consommateurs. C'est l'objectif de la Loi sur la concurrence et le rôle du bureau de faire en sorte que ces conditions soient en place.

Et pourtant, comme Mme Downie l'a souligné, avant les modifications, notre disposition fondamentale relative aux cartels était inefficace et très déphasée par rapport à celle de nos principaux partenaires commerciaux. C'était un défi particulier auquel nous étions confrontés au bureau car en raison des effets néfastes des cartels sur l'économie, lutter contre ceux-ci était notre priorité et le reste.

La disposition relative aux cartels était à la fois trop vaste et trop étroite. Elle était trop étroite, car pour condamner quelqu'un, la partie poursuivante devait non seulement prouver qu'il y avait une entente entre les concurrents pour fixer leurs prix, mais aussi qu'il y avait, dans le contexte d'une conduite indéniablement nuisible, un effet anticoncurrentiel. Il va sans dire qu'il a fallu d'énormes ressources pour essayer de créer un effet économique complexe et, par conséquent, très peu de poursuivants ont réussi, et ce, même quand les conspirateurs se faisaient prendre en flagrant délit.

La disposition relative aux cartels avait également une portée trop vaste. Chaque collaboration entre des entreprises pouvait éventuellement faire l'objet d'une enquête criminelle et d'une poursuite. On parle ici de contrats de franchise, d'ententes en matière de R-D, et cetera. Par conséquent, cette vaste disposition relative aux cartels pouvait dissuader des entreprises de conclure des alliances et des collaborations bénéfiques.

Comme l'a expliqué Mme Downie, le gouvernement suggère la solution de réduire la portée de la disposition criminelle, de décriminaliser explicitement toutes les activités de cartel sauf les plus flagrantes tout en permettant de procéder à un examen au civil de la grande majorité des autres ententes conclues entre des concurrents. Par ailleurs, il propose de ne censurer que les ententes qui risquent de réduire sensiblement ou d'empêcher la concurrence. Même là, tout ce qu'on a pu exiger, c'est de mettre un terme à l'entente.

[Français]

Notre méthode d'examen des fusions était également déphasée. Les anciennes dispositions ne nous offraient ni les outils ni le temps nécessaires pour examiner le peu de transaction annuelle qui risque de nuire considérablement à la concurrence au Canada. Nous croyons que les nouvelles dispositions, qui sont axées sur la prévisibilité de l'harmonisation des mesures incitatives, permettront au bureau d'obtenir l'information dont il a besoin pour effectuer des examens responsables. Parallèlement, ces nouvelles dispositions offriront davantage de certitudes quant au processus d'examen et à son échéancier. Elles permettront également d'harmoniser notre processus avec celui des États-Unis. Cela devrait aider les parties à l'exploiter plus efficacement dans le contexte de la mondialisation des échanges commerciaux.

Il ne s'agit pas d'une mince affaire. La réduction des délais de contestation des fusions, ainsi que l'augmentation des seuils financiers prévus pour les avis de fusion, augmenteront la prévisibilité pour les parties qui fusionnent et allégeront leur fardeau lié à l'exigence de se conformer, surtout pour les petites entreprises qui peuvent moins que les autres assumer les coûts relatifs au dépôt d'un avis de fusion.

Il est dans l'intérêt public que nous disposions des outils nécessaires pour effectuer le meilleur travail possible et veiller à ce que les fusions n'occasionnent pas de diminution sensible de la concurrence tout en faisant tout ce qui est raisonnablement possible pour alléger le fardeau des entreprises.

Les modifications décriminalisent sensiblement de nombreuses pratiques d'établissement des prix en tenant compte de la réalité et de la reconnaissance internationale voulant que les méthodes créatives de fixation des prix peuvent être favorables à la concurrence et que des règles rigoureuses pouvant mener à une enquête criminelle peuvent réduire l'effet des activités d'entrepreneuriat et des mesures incitatives. Encourager les entreprises à faire preuve de créativité dans l'organisation de leurs pratiques d'établissement des prix ne peut être qu'une bonne chose. Si on abuse de cette liberté, il reste un recours en vertu des dispositions civiles.

Pour terminer, les modifications alourdissent les sanctions pour ceux qui enfreignent la loi. Avant ces modifications, le niveau de dissuasion pour certains types de conduites illégales était négligeable. Bien des gens le percevaient simplement comme étant un droit de permis pour tromper les consommateurs et les entreprises honnêtes. Maintenant, dans des secteurs comme la publicité fausse ou trompeuse qui cible les personnes vulnérables, les cours et les tribunaux peuvent non seulement appliquer des sanctions plus sévères, mais nous pouvons aussi agir au nom des consommateurs, au besoin, pour demander un dédommagement — ce qui constitue un autre puissant moyen de dissuasion et une façon pour les victimes de récupérer leur argent. De même, la loi ne décourageait pas efficacement la conduite anticoncurrentielle dans les cas d'abus de position dominante. En général, le tribunal ne pouvait qu'obliger l'entreprise fautive, même si nous avions établi qu'il y avait eu abus de position dominante, à cesser l'activité à l'avenir. Autrement dit, l'entreprise pouvait garder tout l'argent qu'elle avait gagné en excluant la concurrence saine par l'adoption d'une conduite anticoncurrentielle en vue d'éliminer des concurrents.

Il est essentiel que ces modifications créent des incitatifs concrets pour encourager les gens à se conformer à la loi et que l'on puisse y avoir recours, au besoin. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que les changements apportés à la loi, y compris ceux que j'ai soulignés ici, combinés au travail des excellentes équipes d'enquête et d'analyse au Bureau de la concurrence, nous permettront de mieux faire appliquer la Loi sur la concurrence pour le compte de tous les Canadiens. Je dirais que c'est d'autant plus important en cette période de récession. Les répercussions des crimes économiques sont plus néfastes quand les temps sont durs.

Les cartels et la conduite anticoncurrentielle sont plus présents dans les industries en déclin, tandis que le type d'innovation, de productivité et de rentabilité que la concurrence loyale peut offrir constituent des principaux moteurs de reprise. Pour cette raison, l'application fondée sur une politique de saine concurrence est essentielle pour que nous puissions promouvoir une reprise économique prompte.

Nous sommes conscients que notre rôle doit être judicieusement calibré. Nous devons faire preuve de diligence et nous devons déployer des efforts extraordinaires pour veiller à ce que nous communiquions clairement ce qui est en jeu et ce qui est peut-être illégal. De plus, nous devons faire appliquer la loi pour favoriser les alliances commerciales légitimes, l'innovation et le rendement. Soyons clairs : il ne s'agit pas de créer des obstacles pour rendre légitimes des activités commerciales, bien au contraire. Nous prenons au sérieux notre responsabilité visant à veiller à ce que les intervenants sur le marché le comprennent, et c'est la raison pour laquelle nous tenons des consultations et des séances d'éducation dans la communauté avec des représentants de groupes de consommateurs nationaux, du Barreau et du milieu des affaires partout au pays.

Par exemple, nous avons collaboré la semaine dernière avec la Chambre et le Conseil canadien des chefs d'entreprise — envers qui nous sommes reconnaissants pour leur aide — à mettre sur pied une séance d'éducation pour leurs membres à Toronto. Nous avons rencontré Mme Catherine Swift et ses collègues de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante. Une activité est prévue avec le Conseil canadien du commerce de détail. La semaine dernière, nous avons tenu des séances portes ouvertes pour les entreprises locales à Vancouver et à Montréal. Nous prévoyons en organiser d'autres. L'idée, c'est de veiller à ce que tous ceux qui veulent se faire entendre aient l'occasion de nous faire part directement de leurs opinions pour que nous puissions leur fournir le plus d'explications et d'informations possible en retour. Jusqu'à présent, les commentaires ont été positifs et encourageants. De nombreux participants ont décrit les séances comme étant utiles et ont dit qu'à la fin, ils avaient l'impression qu'ils pouvaient faire bon ménage avec la nouvelle loi.

Honorables sénateurs, je vous assure que nous ne nous contentons pas de discuter. Nous reconnaissons que cette possibilité s'accompagne d'une grande responsabilité. Nous nous engageons à veiller à ce que ces modifications soient mises en oeuvre de la manière la plus efficace et transparente possible. Nous avons rendu publiques des lignes directrices préliminaires qui présentent notre approche aux deux grands changements de fond apportés à la loi : le processus d'examen des fusions et la manière dont la loi traite les collaborations entre concurrents. Ces lignes directrices préliminaires énoncent le plus clairement possible la manière dont nous avons l'intention d'intervenir dans ces deux principaux secteurs. Les lignes directrices relatives au processus d'examen des fusions expliquent comment nous ferons tout en notre pouvoir pour alléger le plus possible le fardeau des parties à fusion tout en nous permettant de mener un examen assez approfondi.

Les consultations que nous avons menées avec le Barreau se sont conclues la semaine dernière. Les échanges ont été encourageants.

[Français]

Les lignes directrices préliminaires sur la collaboration entre concurrents ont été rendues publiques vendredi dernier et feront l'objet de consultations exhaustives ce printemps. Elles traitent en détail de notre approche à l'égard de chaque disposition de la nouvelle législation et mettent expressément certaines ententes à l'abri des sanctions criminelles. Elles offrent des exemples concrets qui illustrent les limites strictes de nos enquêtes en vertu de la disposition criminelle et décrivent notre approche à l'égard des autres formes d'ententes. Nous précisons clairement que nous ne nous intéressons qu'aux cas qui nuisent sérieusement à la concurrence.

Nous profiterons de la sagesse de nos interlocuteurs des milieux du droit, des affaires et de la consommation, puis nous apporterons les modifications nécessaires à nos deux ensembles de lignes directrices préliminaires avant d'en produire les versions définitives dans les mois à venir.

[Traduction]

J'ai eu le grand bonheur de diriger l'organisation quand ces modifications ont été adoptées. J'ai fait clairement savoir à l'ensemble de notre personnel que notre priorité absolue est de mettre en oeuvre ces modifications de manière appropriée. En tant que commissaire intérimaire de la concurrence, je prends mon rôle d'agent d'exécution de la loi au sérieux. Je n'hésiterai pas à intervenir si nous démontrons qu'une infraction à la loi a été commise. Tout le monde paie pour les crimes commerciaux. Les concurrents honnêtes méritent d'être pleinement protégés par la loi. Nous nous engageons à faire notre part de manière responsable au Bureau de la concurrence pour veiller à ce que le nombre d'entreprises légitimes augmente vigoureusement au Canada. Nous croyons que ces modifications nous aideront à y parvenir. Sur ce, honorables sénateurs, nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci pour la clarté et la brièveté de vos déclarations préliminaires. À la lumière de vos remarques, je suis certain que les sénateurs ont des questions à vous poser.

Le sénateur Harb : Ces modifications sont explicites. J'ai une question précise à poser au sujet du nouveau paragraphe 45(1) de la Loi sur la concurrence à la page 391, qui se lit en partie comme suit :

Commet une infraction quiconque, avec une personne qui est son concurrent à l'égard d'un produit, complote ou conclut un accord ou un arrangement :

a) soit pour fixer, maintenir, augmenter ou contrôler le prix de la fourniture du produit [...]

Il y a quelques années, avant que vous joigniez les rangs du Bureau de la concurrence probablement, deux entreprises d'Ottawa ont été accusées en vertu de la Loi sur la concurrence. On alléguait qu'elles communiquaient entre elles et qu'à la suite de ces échanges, les prix avaient baissé. On pourrait présumer qu'elles ont violé la loi à ce moment- là. En vertu de ce régime, aux termes de l'alinéa 45(1)a), on invoquerait dans cette situation l'exception qui se trouve au paragraphe 90.1(4), à la page 407. Le paragraphe 90.1(4), qui est une exception dans les cas de gains en efficience, vient préciser l'alinéa 45(1)a) :

Le Tribunal ne rend pas l'ordonnance prévue au paragraphe (1) dans les cas où il conclut que l'accord ou l'arrangement a eu pour effet ou aura vraisemblablement pour effet d'entraîner des gains en efficience, que ces gains surpasseront et neutraliseront les effets de l'empêchement ou de la diminution de la concurrence [...]

D'après cette clarification et aux termes de l'alinéa 45(1)a), ces deux entreprises seraient-elles accusées d'avoir fixé le prix d'un produit en vertu de la Loi sur la concurrence actuelle? Je ne nommerai évidemment pas les entreprises, car j'ignore quelle a été l'issue des accusations.

Mme Aitken : Heureusement, comme je n'ai pas la moindre idée de l'affaire dont vous parlez, je peux répondre sans m'inquiéter des faits de ce cas précis. Il va sans dire qu'on étudierait les faits et les témoignages de chaque affaire. Je vais tenter de répondre à la question sous l'aspect structurel.

En vertu de la nouvelle disposition, nous avons deux dispositions relatives aux ententes. Nous avons une disposition très étroite pour les ententes indéniablement préjudiciables pour fixer des prix. Ces cas feront l'objet d'une enquête au pénal.

Cependant, la grande majorité des ententes, des collaborations et des communications entre concurrents seront examinées, le cas échéant, aux termes de la disposition 90.1, la deuxième disposition à laquelle vous vous êtes reporté. Aux termes de cette disposition, elles seraient analysées dans le cadre de ce que nous appelons l'approche de la règle de raison, ce qui signifie simplement une méthode au civil, en termes absolus, mais aussi l'équilibre de tous les facteurs combinés.

Croyons-nous que c'est une entente anticoncurrentielle qui réduira substantiellement la concurrence? Pour conclure ma réponse à la question, il y a des exceptions explicites dans les cas de gains en efficience qui stipulent que même si l'entente est anticoncurrentielle de par sa nature, si les gains en efficience y étant associés sont supérieurs à la préoccupation sur le plan de la concurrence et qu'ils neutralisent cette inquiétude, l'entente a tout à fait lieu d'être.

Le sénateur Harb : En ce qui concerne les gains en efficience qui font baisser les prix, est-ce une efficience ou une lacune sur le marché?

Mme Aitken : Ça peut démontrer des gains en efficience. Ce n'en est pas un à proprement parler. On retirerait un gain en efficience si on dégageait des ressources à d'autres fins dans l'économie et ce genre de choses. Toutefois, ce pourrait très bien illustrer le fait que parce que des entreprises ont pu collaborer et partager certains frais qu'elles ont en commun tout à fait légitimement, elles peuvent diminuer leurs prix, être plus concurrentiels et offrir aux consommateurs des prix moins élevés.

Le sénateur Harb : Ma deuxième question porte sur les dispositions relatives à l'intégration verticale que bien des États américains ont envisagées. Un certain nombre d'États, de même que certaines régions d'Europe et d'autres pays partout dans le monde, ont mis en place des lois en vertu desquelles un producteur peut ou non être un détaillant au bout du compte. Le cas échéant, le pourcentage que le producteur peut vendre au détail peut être, disons, entre 10 et 15 p. 100 de ce qu'il produit.

L'intégration verticale dissiperait toute l'idée du conflit d'intérêts d'un établissement qui fabrique un produit et qui vend lui-même le produit, qui est aussi en vente dans d'autres franchises. Elle vous donne directement le contrôle sur le marché en ayant votre propre point de vente, mais elle exerce des pressions indues sur les organismes ou les autres groupes qui achètent aussi votre produit et qui le vendent sur le marché.

Les dispositions relatives à l'intégration verticale ont été mises en place pour éliminer cette situation, en indiquant qu'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Soit vous voulez être un producteur et vous laissez d'autres personnes vendre votre produit, soit vous voulez être un producteur et vous vendez une partie de vos produits vous- même. Vous devez décider ce que vous voulez être, un détaillant ou un producteur. Si vous voulez être les deux, nous devons imposer certaines règles.

Je n'ai pas besoin de poser une troisième question, car dans une autre vie, quand je siégeais à la Chambre des communes, il y avait une disposition portant sur les dénonciateurs. Avez-vous déjà appliqué cette disposition? Le cas échéant, comment cela s'est-il passé?

Mme Aitken : Vous pouvez me dire s'il manque des éléments dans ma réponse. Pour répondre de façon générale à votre idée voulant que nous établissions des critères explicites entourant le genre d'ententes qui sont permises ou non, ce n'est pas l'approche que nous avons adoptée. Nous avons une loi-cadre ici au Canada, et ce n'est pas à cause des modifications; c'est l'approche que nous avons toujours adoptée à l'égard des ententes, des fusions ou des conduites sur le marché.

Le genre de situations que vous examiniez pourrait vraisemblablement tomber sous le coup de la loi pour que nous l'envisagions dans le contexte d'une fusion. Vous pourriez avoir une fusion verticale, c'est-à-dire un fournisseur et l'un de ses distributeurs qui fusionnent, et vous pourriez être inquiet et l'examiner, selon les niveaux de concentration. Il n'y a certainement aucun mal à cela à proprement parler.

Deuxièmement, ce pourrait être une entente quelconque. Vous pourriez avoir un fournisseur qui fait concurrence à quelques-uns des détaillants à qui il vend ses produits, mais qui vend aussi sur le marché secondaire. Ici aussi, ce pourrait être une entente qui, clairement, aux termes des nouvelles lois et de nos lignes directrices, est explicitement réservée à une méthode ou un examen au civil, si vous voulez. Ce sera seulement un problème si l'entente est plutôt anticoncurrentielle.

On ferait une dernière vérification si effectivement, un joueur prépondérant était partie à ce type d'entente; dans certaines circonstances, cela pourrait vraisemblablement donner lieu à une préoccupation si on pouvait démontrer que la conduite du joueur en question visait à éliminer la compétition et à discipliner ou à exclure l'un de ses concurrents.

Je ne suis pas certaine si ma réponse est complète. Mme Downie a peut-être quelque chose à ajouter.

Mme Downie : Je n'ai rien à ajouter.

Mme Aitken : En réponse à la question sur les dénonciateurs, à savoir si nous avons déjà eu recours à la disposition, je dois avouer que je ne suis pas trop au courant. Une grande partie de notre travail découle de plaintes, mais je pense que vous voulez parler d'un dénonciateur à l'interne.

Dans le milieu criminel, nous avons certainement une politique en matière d'immunité et de clémence, et c'est ainsi que nous avons le mieux réussi, en raison de la fragilité de notre loi ayant trait à l'exigence de causer du tort sur le plan économique que nous avons évoqué tout à l'heure. Nous avons eu des dénonciateurs dans ces cas-là, dans le cadre de notre programme d'immunité, et c'est un élément essentiel à l'administration de notre programme pénal.

Le sénateur Ringuette : Vous avez dit que la mise en oeuvre de ces modifications vise à mieux coordonner nos lois avec celles des États-Unis. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet? Quand je regarde votre déclaration, plusieurs éléments semblent avoir été supprimés. Je m'inquiète du fait que votre loi sera assez limitée en ce qui concerne les cartels injustifiables.

Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous en dire un peu plus long au sujet des cartels injustifiables par opposition aux cartels provisoires? Comment cela se compare-t-il à la législation des États-Unis? J'ai quelques préoccupations à cet égard.

Mme Downie : Il y a trois principaux secteurs où ces dispositions seraient mieux alignées sur les lois des États-Unis. Il y a tout d'abord, comme vous l'avez souligné, les nouvelles dispositions relatives aux cartels, les sanctions administratives pécuniaires pour les cas d'abus de position dominante et le processus d'examen des fusions. Je vais commencer par les cartels.

Les modifications visaient à faire en sorte que les consommateurs canadiens bénéficient de la même protection contre la hausse des prix causée par des cartels que les consommateurs américains. La disposition était conçue pour rendre illégaux les cartels injustifiables et fixer le prix de l'attribution des marchés et de la limitation de la production, et ce, sans exiger des preuves qu'il y a eu préjudice sur le plan économique. C'est aussi le cas aux États-Unis.

L'autre élément important à cet égard, c'est que les cartels sont souvent transfrontaliers et n'ont donc pas seulement une incidence sur le Canada ou les États-Unis, mais sur l'Amérique du Nord en général. Le Bureau de la concurrence enquêtait souvent sur des cartels en parallèle avec des agents d'exécution de la loi, qui devaient seulement trouver des preuves d'une entente en vue de fixer des prix, par exemple, pour ensuite porter des accusations et, nous l'espérions, obtenir une condamnation.

Au Canada, le bureau a été ralenti car outre le fait de devoir fournir la preuve de la fixation des prix, il devait par la suite prouver une réduction indue de la concurrence. Dans une affaire récente, cela a prolongé l'enquête de deux ans. Mme Aitken voudra peut-être nous en dire plus long à ce sujet. Le bureau est très en retard par rapport aux autres organismes, et pas seulement aux agences américaines, mais elles sont évidemment le principal partenaire.

En ce qui concerne les fusions, l'idée était d'harmoniser les deux processus de sorte que le nouveau processus soit très semblable, sur le plan de la structure à tout le moins, à celui des États-Unis, et que les calendriers se ressemblent aussi. S'il y a des transactions transfrontalières, les entreprises recevront, espérons-le, des demandes de renseignements semblables à des moments semblables, et les deux organismes de la concurrence devront travailler relativement en parallèle.

Le dernier point porte sur les sanctions administratives pécuniaires — ce sont essentiellement les amendes imposées dans les cas d'abus de position dominante. Comme Mme Aitken l'a mentionné, au Canada, le Tribunal de la concurrence n'était pas en mesure d'infliger aucune forme de sanctions financières pour décourager cette conduite. Aux États-Unis et dans les pays de l'Union européenne, on applique des sanctions très sévères pour dissuader les gens d'adopter une telle conduite. L'idée était que les entreprises et les consommateurs canadiens soient protégés contre une telle conduite, comme ils le sont ailleurs.

Le sénateur Ringuette : Madame Downie, dans votre déclaration préliminaire, concernant les cas d'abus de position dominante, vous avez parlé d'une « situation où une entreprise qui exerce une emprise sur le marché tente d'exclure, de discipliner ou d'éliminer un concurrent [...] ».

Pourquoi dites-vous « une entreprise »? Ne pourrait-on pas parler, par exemple, de deux entreprises qui détiennent 94 p. 100 du marché?

Mme Downie : Il s'agit généralement d'un seul concurrent; c'est pourquoi je parle d'» un concurrent «, mais vous avez raison; il pourrait y en avoir plusieurs. Les modifications ne changent en rien la disposition relative à l'abus de position dominante en tant que telle; elle s'applique donc, comme à l'habitude, qu'il s'agisse d'un ou de plusieurs concurrents qui abusent de leur position dominante, mais elle prévoit maintenant des sanctions administratives pécuniaires si le Tribunal de la concurrence conclut qu'une telle conduite a eu lieu.

Le sénateur Ringuette : Quelle part de marché, en pourcentage, serait considérée comme étant un abus de position dominante?

Mme Aitken : C'est moi qui réponds à la question facile. La part de marché s'applique à beaucoup de situations que nous examinons en vertu de la loi; quant à savoir à partir de quel seuil on doit commencer à s'inquiéter du comportement anticoncurrentiel, cela varie selon ce qu'on examine aux termes de la loi.

Dans le contexte de l'abus, c'est généralement un facteur important. Dans le cas des fusions, par exemple, il y a lieu de s'inquiéter devant un seuil aussi bas que 35 p. 100. Par contre, il est peu probable qu'on s'inquiète d'un niveau semblable de position dominante dans le contexte d'une domination unique ou conjointe. Il n'y a pas de règle coulée dans le béton, et cela dépend vraiment du marché particulier où se trouve une domination conjointe, qu'il s'agisse de 70 p. 100 ou de 80 p. 100. Bien entendu, pour ce qui est d'un monopole, la réponse est facile : c'est 100 p. 100.

Le sénateur Ringuette : La domination conjointe, j'aime ça.

Le sénateur Oliver : Pour suivre l'exemple du sénateur Harb, j'aimerais vous poser trois petites questions.

Tout d'abord, M. Red Wilson a produit un rapport sur les travaux du Groupe d'étude sur les politiques en matière de réglementation, et bon nombre de ses recommandations ont été intégrées dans le projet de loi C-19. Y a-t-il des éléments manquants dans le projet de loi dont nous sommes saisis, c'est-à-dire des recommandations importantes formulées par M. Red Wilson qui ne sont pas incluses ici mais qui devraient l'être?

Deuxièmement, vous avez toutes deux souligné l'importance d'avoir fait passer les peines d'emprisonnement de 5 à 14 ans dans le projet de loi, et le fait qu'il y a maintenant des sanctions pécuniaires de 10 à 25 millions de dollars; pourtant, dans certains cas, il se peut qu'une sanction de 25 millions de dollars ne soit pas adéquate. J'aimerais savoir comment une telle amende se comparerait à celles prévues pour des infractions semblables dans des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni.

Troisièmement, vous avez tous deux mentionné l'importance de prévoir, dans le projet de loi, la possibilité d'obtenir un dédommagement. Je veux juste savoir quel est le pourcentage. Est-ce que ce sera un dédommagement de100 p. 100? Quelle est la formule?

J'ai constaté, madame Aitken, qu'au moment de parler des villes où vous avez consulté des intervenants, vous avez mentionné Toronto, Montréal et Vancouver, mais vous n'avez fait aucune allusion au Canada de l'Est, à des villes importantes comme Halifax, en Nouvelle-Écosse et Saint John, au Nouveau-Brunswick. Sont-elles exclues de votre travail?

Le président : Ça fait trois questions et demie, sénateur. Je sais que la demi-question est très importante.

Mme Aitken : Nous allons répondre à vos questions dans l'ordre inverse. Dans le cadre de nos consultations, nous nous sommes rendus sur place. J'ai fait un effort personnel pour m'assurer que tout le monde sache que le personnel du bureau est engagé jusqu'aux échelons supérieurs. Je n'ai pas encore eu l'occasion de me rendre dans ces villes, mais nous avons eu recours à la téléconférence pour entendre des participants d'autres villes partout au Canada. Nous avons fait en sorte que notre invitation soit lancée à la grandeur du pays. Si les gens manifestent un intérêt quelconque, nous nous ferons un grand plaisir de les rencontrer sur place.

Au début, nous avons mené quelques études exploratoires pour voir si une tournée dans l'Est attirerait assez de public et, malheureusement, à l'époque, l'intérêt manifesté n'était pas suffisant. Toutefois, peut-être grâce à la diffusion récente de nos lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, ce travail suscitera un peu plus d'intérêt. Nous serons alors disposés à nous rendre sur place, et nous avons hâte de connaître l'avis des Canadiens qui souhaitent nous parler.

Mme Downie : Je vais répondre à la première question, à savoir si le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence a recommandé des modifications importantes qui ne figurent pas dans le projet de loi C-10. Toutes les modifications importantes recommandées par le groupe d'étude à la Loi sur la concurrence ont été intégrées dans le projet de loi. Elles ne figurent pas nécessairement dans le libellé exact recommandé par le groupe d'étude, mais la plupart d'entre elles sont là. Elles s'inspirent, en grande partie, du projet de loi C-19 précédent, auquel vous avez fait allusion.

Le sénateur Oliver : Qu'en est-il des sanctions?

Mme Downie : Vous parlez des sanctions pour les dispositions relatives au complot. Dans les autres pays, elles peuvent être considérablement supérieures, même si c'est comme un peu comparer des pommes et des oranges, en ce sens que la sanction maximale de 25 millions de dollars pour un complot est déterminée par les procureurs pour chaque accusation ou entente. Il peut y avoir de multiples accusations, ce qui augmenterait les sanctions.

Par exemple, aux États-Unis, les sanctions sont nettement supérieures. Le maximum est de 100 millions de dollars. Évidemment, il faut tenir compte de la taille relative de notre économie et du besoin de dissuasion quand on examine les niveaux de sanctions.

Le sénateur Oliver : Les dédommagements?

Mme Aitken : À titre de précision, pour l'instant, nous avons conclu des ententes de réparation, avec ceux qui ont enfreint la loi, de façon volontaire dans le cadre d'ententes de consentement. Ce qui est nouveau, c'est le pouvoir accordé, par voie législative, au Tribunal de la concurrence pour en tenir compte dans des causes pertinentes devant le tribunal. Nous essayons d'étendre le pouvoir de cette façon.

Lorsque les circonstances le permettent, c'est ce que nous recommanderions au tribunal, mais peu importe si nous le recommandons ou non, le tribunal aurait le pouvoir de structurer une ordonnance de dédommagement s'il le jugeait approprié. Ce serait, bien entendu, adapté aux circonstances.

Le sénateur Greene : Y a-t-il eu des cas où une activité illicite a été dévoilée aux États-Unis, puis poursuivie en justice et arrêtée, mais en raison de sa portée internationale ou continentale, elle a continué d'exister au Canada à cause de la faiblesse de nos lois?

Mme Aitken : Je n'arrive pas à penser à des exemples précis, mais je peux vous dire en principe en quoi consisterait la réponse à un tel cas, sans entrer dans les détails juridiques. En ce qui concerne le ressort fédéral, si un complot a des effets directs ou indirects sur les Canadiens — peu importe l'endroit où il a lieu —, nous avons compétence. Nous ne manquerions pas de nous attaquer à ce comportement, sans aucune hésitation. Votre question comportait-elle une autre partie? Vous vouliez savoir si la faiblesse de nos lois nous avait empêchés de poursuivre avec succès un cas en particulier.

Le sénateur Greene : Je ne demande pas d'exemples précis parce que je ne pense pas que ce soit correct.

Mme Aitken : Nous avons assurément éprouvé des difficultés. Nous sommes habituellement les derniers à être invités à la fête, pour ce qui est de la lutte contre les cartels. Nos lois sont assez faibles — jusqu'à maintenant, plus précisément jusqu'en mars; c'est pourquoi nous ne sommes pas les premiers à être consultés en cas d'inquiétudes. À cet égard, on intervient si tard qu'on se demande même s'il vaut la peine de consacrer des ressources pour poursuivre le comportement particulier.

Toutefois, au bout du compte, nous sommes convaincus que les nouvelles dispositions nous permettront d'intervenir plus activement — et je crois que cela répond à la question du sénateur Ringuette également — pour mettre fin au crime du col blanc et ce, de façon efficace et ciblée.

Le sénateur Greene : Je suppose que, dans certains cas, un cartel d'origine canadienne a eu des effets aux États-Unis?

Mme Aitken : Malheureusement, c'est ce qui se passe. En particulier dans les publicités mensongères et les indications trompeuses, le télémarketing trompeur, nous avons eu des cas où un cartel a commencé au Canada pour aboutir aux États-Unis. C'est un bon exemple qui illustre à quel point leurs sanctions sévères constituent un motif de dissuasion énorme. L'activité avait lieu ici, et les personnes extradées ont fini par écoper des peines de 19 à 23 ans.

Bien que nous n'en soyons pas rendus là, je pense que le nouveau niveau que nous avons établi permet de rendre les sanctions plus sévères pour des comportements comme le télémarketing déloyal.

Le sénateur Day : Merci d'être ici. Madame Aitken, vous venez d'évoquer le mois de mars prochain. Que se passera- t-il à cette date?

Mme Aitken : Je suis désolée. Toutes les modifications entrent en vigueur à partir de la date de la sanction royale, soit le 12 mars, sauf pour les nouvelles dispositions concernant le cartel et les collaborations et ce, de façon délibérée. Mme Downie pourra peut-être en parler. En gros, ce délai permet aux gens d'avoir suffisamment de temps pour organiser leurs affaires. Il y a une crainte évidente relativement au fait que cela touche le comportement criminel.

Le sénateur Day : Merci. Ça m'avait échappé.

Mme Aitken : Je regrette. J'aurai dû être plus précise.

Le sénateur Day : Madame Downie, en ce qui concerne les modifications auxquelles vous avez fait allusion, concernant la partie 12 du projet de loi C-10 — qui comporte 15 parties —, vous y travaillez depuis au moins 2005, en commençant par le projet de loi C-19 qui est mort au Feuilleton à la dissolution de la Chambre. Au lieu de présenter à nouveau le même projet de loi, le C-19, vous avez demandé au groupe d'étude de M. Red Wilson de faire un examen plus poussé, et son rapport a été publié en juin, l'année dernière.

Mme Downie : C'est exact.

Le sénateur Day : Vous avez décidé, semble-t-il, de prendre une partie du projet de loi C-19, d'il y a quatre ans, et une partie des recommandations du groupe d'étude de M. Wilson, pour élaborer une nouvelle mesure législative qui fait partie d'un projet de loi omnibus appelé « exécution du budget » en période de ralentissement économique.

Pourquoi auriez-vous envisagé de présenter ce genre de mesures législatives qui, selon vos dires, apporte un changement énorme et important à la politique de la concurrence au Canada, dans le cadre du projet de loi C-10?

Mme Downie : Évidemment, ce n'est pas moi qui ai pris les décisions quant à la rédaction de la Loi d'exécution du budget. Je ne peux pas me prononcer là-dessus, mais je peux vous dire deux ou trois choses.

Tout d'abord, le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence a constaté que la bonification de la Loi sur la concurrence était absolument nécessaire pour stimuler la productivité et la croissance. Il était primordial, selon le groupe d'étude et le gouvernement, que le bureau, surtout en cette période, dispose des outils dont il a besoin pour s'attaquer aux comportements anticoncurrentiels.

Deuxièmement, en période de ralentissement économique et d'incertitude, il peut être tentant pour des entreprises malhonnêtes — et je ne veux pas généraliser — de s'engager dans une activité anticoncurrentielle en réaction aux difficultés économiques. Par exemple, certaines entreprises malhonnêtes pourraient être tentées, dans de telles circonstances, de s'engager dans des activités de fixation des prix, ou de s'adonner à des pratiques commerciales dolosives — c'est-à-dire, prendre un raccourci parce que les temps sont durs. Nous voulions faire en sorte que le bureau dispose des outils nécessaires et que le cadre soit en place pour dissuader et contrer ce genre de comportements.

Le sénateur Day : Mme Aitken a dit qu'un grand nombre de consultations ont été menées depuis l'adoption du projet de loi, mais nous avons reçu des réactions importantes de la part de l'Association du Barreau canadien et de la Chambre de commerce du Canada qui ont exprimé leur stupéfaction et leur consternation devant l'approche utilisée pour adopter ce projet de loi sans aucune consultation. Je reconnais que M. Wilson a tenu beaucoup de consultations avant de publier son rapport, mais en ce qui concerne le projet de loi, les gens qui seraient les plus touchés ont estimé que le nombre des consultations n'était pas suffisant.

C'est comme si un comité sénatorial étudiait une mesure législative une fois que celle-ci a été adoptée; c'est exactement ce que nous sommes en train de faire. C'est comme si on mettait la charrue devant les bœufs.

Ne pensez-vous pas que l'adoption si urgente de ce projet de loi était une façon d'éviter la consultation habituelle qui a lieu au préalable?

Mme Downie : Je suis en fait d'avis contraire; on a bel et bien tenu de vastes consultations sur toutes les dispositions du projet de loi; le processus remonte à il y a 10 ans, à l'époque où le Forum des politiques publiques a mené des consultations sur un bon nombre des modifications. Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, les modifications se trouvaient, pour la plupart, dans le projet de loi C-19. On a tenu des audiences parlementaires de longue haleine sur ces modifications, précédées d'un rapport du Comité de l'industrie, qui a tenu des séances là-dessus et qui a formulé des recommandations semblables à celles qui figurent dans le projet de loi. Récemment, le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence a tenu des consultations, comme vous l'avez mentionné.

L'ensemble des dispositions ont fait l'objet de vastes consultations — et je dirais que c'était plus vaste que la plupart des consultations relatives à des propositions; nous avons passé ces dispositions au peigne fin sur une période extrêmement longue, particulièrement en ce qui concerne la disposition relative au complot de cartel. Durant cette période, on a préparé de multiples ébauches qui ont été discutées par un large éventail de commentateurs ainsi que par le Bureau de la concurrence. On a organisé des groupes d'experts sur la rédaction et des tables rondes techniques afin de discuter de la rédaction de cette disposition, et ce travail s'est avéré très utile.

Le sénateur Day : Êtes-vous surprise de m'entendre dire que la Chambre de commerce du Canada et l'Association du Barreau canadien se disent préoccupées par l'absence d'une consultation préalable?

Mme Downie : Non, ce n'est pas une surprise parce que j'ai lu leur témoignage.

Le sénateur Day : Vous rejetez l'avis de ces deux organismes?

Mme Downie : J'ai un point de vue différent.

Le sénateur Day : Je vous en suis reconnaissant. Merci pour votre consultation, après le fait.

Le président : Je pense que les preuves montrent bien que les consultations se poursuivent relativement aux lignes directrices.

Le sénateur Gerstein : Mme Aitken, j'ai remarqué avec grand intérêt que dans votre premier paragraphe vous dites que depuis janvier, vous avez eu le privilège d'agir à titre de commissaire de la concurrence par intérim pour le Bureau de la concurrence. Je dois vous dire que le mois de janvier est un jalon pour moi aussi parce que j'ai le privilège de servir au Sénat du Canada depuis ce temps-là.

Quatre mois après le début de mon mandat dans cet endroit merveilleux, je dois dire que mes opinions ont changé sur quelques points. Je suis donc curieux de savoir si votre perspective sur le rôle du Bureau de la concurrence a changé depuis que vous êtes commissaire par intérim, par rapport à celle que vous aviez quand vous assumiez le rôle de chef de la direction des fusions au bureau.

Mme Aitken : C'est une question très intéressante. J'ai compris à quel point il est important — et c'est peut-être par un concours de circonstances, c'est-à-dire ma nomination et le ralentissement économique — de maintenir le cap pour appliquer des politiques objectives et transparentes en matière de concurrence afin de garantir la compétitivité de nos marchés; pour s'assurer que nous prenons au sérieux notre rôle d'application de la loi; et pour fournir le plus d'encadrement possible, en parlant à nos intervenants et en cherchant à savoir ce qui se passe avec les consommateurs et les entreprises, qu'elles soient grandes, moyennes ou petites, et ce qui les incite à s'engager. En période économique difficile, il est particulièrement important de maintenir le cap et de veiller à ce qu'on ne soit pas persuadé de faire des exceptions, étant donné que certains milieux pourraient essayer de vous faire croire qu'utiliser la « concurrence légère » est la bonne chose à faire du point de vue de la concurrence.

Le sénateur Gerstein : Je partage l'enthousiasme que vous ressentez pour votre nouveau poste — dans mon cas, c'est pour le Sénat.

Mme Aitken : Merci.

Le président : Nous avons bien hâte de voir qui, d'entre vous deux, restera à son poste le plus longtemps.

Le sénateur Moore : Merci, mesdames et messieurs, d'être des nôtres. J'avais une question sur l'abus de position dominante, mais elle a été abordée par le sénateur Ringuette.

Dans vos observations, madame Aitken, vous avez dit que la lutte contre les cartels est la priorité première du bureau. Vous avez ajouté en disant que très peu de poursuites avaient porté fruit aux termes des anciennes règles et ce, en dépit du fait que les comploteurs avaient été pris en flagrant délit.

La population canadienne ne comprend peut-être pas en quoi consiste un cartel. Pourriez-vous nous expliquer ce dont il s'agit? Les poursuites seraient de notoriété publique. Pouvez-vous nous donner un exemple de cartel dont la poursuite a été engagée par votre bureau, en nous précisant les parties en cause et la nature du cartel?

Mme Aitken : Avec grand plaisir. Un cartel est, au fond, une simple entente entre des concurrents pour fixer des prix ou diviser des marchés entre eux — un peu comme si on disait : « Je ne piétinerai pas sur ton territoire si tu ne piétines pas sur le mien » — ou encore, pour restreindre la production de sorte qu'il y ait moins d'approvisionnement, haussant ainsi le prix parce que les gens ont besoin de votre produit. Voilà les trois catégories générales d'accords de cartels injustifiables. Ces ententes doivent être conclues entre concurrents et viser de tels objectifs, sans aucune intention proconcurrentielle. Les cartels ne comprennent pas des ententes de nature plus générale, comme une clause de non- concurrence dans un gros contrat d'acquisition.

À première vue, si on examine la question de façon isolée, on pourrait se dire que c'est une façon de contrôler des comportements qui autrement nous inquiéteraient. Toutefois, dans ce contexte, ce n'est pas le cas. Ces types d'accords sont explicitement exclus du champ d'application de la disposition sur les cartels.

Un exemple d'un cartel que nous avons récemment poursuivi en justice a été le cartel de fixation des prix de l'essence au Québec. Sur quatre marchés au Québec, nous avons découvert des preuves que des concurrents étaient en train de fixer des prix à la pompe, en s'entretenant là-dessus au préalable. Ils étaient en train de synchroniser les hausses au moyen de communications. Plusieurs cocomploteurs étaient en cause.

Il nous a fallu trois ans d'enquête sur ce dossier avant que nous puissions recommander au directeur des poursuites pénales de porter des accusations. S'il y a eu un tel délai, c'est en grande partie à cause du fait que nous devions non seulement déterminer si les concurrents s'étaient entendus pour fixer les prix, mais aussi prouver, hors de tout doute raisonnable, que la concurrence avait été indûment réduite.

Le sénateur Moore : Les parties à la transaction étaient-elles en train d'approvisionner des entreprises ou des stations-service?

Mme Aitken : Il s'agissait de détaillants, de particuliers.

Le sénateur Moore : Maintenant que ces nouvelles dispositions sont adoptées et proclamées, combien de temps faudrait-il pour intenter une poursuite?

Mme Aitken : Je ne connais pas les faits précis, mais je peux vous donner une idée générale. La collecte de preuves visant à confirmer l'entente occupait, grosso modo, le tiers du temps.

Il s'agit quand même d'une norme criminelle de preuve. On ne va pas poursuivre des gens sans fondement. On cherche des éléments de preuve qui démontrent un comportement grave et injustifiable. Nous sommes conscients de la responsabilité quand nous accusons quelqu'un de participer à un cartel ou quand nous recommandons au directeur des poursuites pénales de le faire; nous devons disposer d'une preuve claire, hors de tout doute raisonnable, qu'une telle entente a été établie.

Dorénavant, nous n'aurons plus à nous occuper de la deuxième étape, à savoir celle de prouver une réduction indue de la concurrence. Comme je l'ai dit tout à l'heure, si on a deux économistes dans une salle, on obtient trois opinions. Il devient très difficile de recueillir des éléments de preuve sur le dossier et de prouver l'absence de tout doute raisonnable.

Le sénateur Moore : Est-ce à dire que l'enquête ou la poursuite d'une cause sera accélérée du tiers du temps requis?

Mme Aitken : Je ne saurai vous dire s'il en sera ainsi dans tous les cas, mais le délai requis sera nettement réduit; on pourra ainsi faire avancer le dossier au point de pouvoir le renvoyer au directeur des poursuites pénales pour qu'il intente une poursuite.

Le sénateur Moore : Dans vos observations, vous avez dit que l'ancienne disposition était à la fois trop large et trop étroite. Non seulement la portée est trop étroite, mais elle constitue aussi une aberration. En plus d'être le titre d'un bestseller anglais, intitulé « Outliers », que je n'ai pas encore lu, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste une aberration?

Mme Aitken : En tout cas, je vous recommande de lire le livre. Ce que j'ai voulu dire en utilisant le mot « aberration » dans le cas qui nous occupe, c'est que parmi les pays avancés et nos grands partenaires commerciaux, le Canada était le seul pays à exiger la preuve d'un effet économique pour intenter une poursuite contre un cartel injustifiable.

Le sénateur Moore : Par « aberration », vous voulez dire qu'on ne suit pas les règles juridiques typiques qu'utilise le reste du monde industrialisé pour intenter des poursuites, n'est-ce pas?

Mme Aitken : Oui, en ce sens que nous avions un fardeau supplémentaire : prouver l'effet économique. Voilà en quoi notre approche était inhabituelle. Nous étions déphasés par rapport aux autres, ce qui rendait plus difficile la coopération avec nos homologues internationaux.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : J'ai rencontré des ambassadeurs européens, alors que nous sommes à la veille d'entamer des discussions avec l'Europe pour un marché commun avec 27 pays. La plupart des ambassadeurs m'ont dit qu'ils étaient très malheureux des amendements apportés à Loi sur la concurrence. Cela m'inquiète un peu et je me demande si vous les avez consultés, si M. Wilson les a consultés et si vous étiez impliqués dans le processus avant la rédaction du projet de loi.

[Traduction]

Mme Downie : Je suis surprise d'apprendre que les Européens sont contrariés, parce que comme j'ai expliqué pour les États-Unis, il y a de nombreux points en commun entre les propositions dans ce projet de loi et les lois de l'Union européenne et de certains des pays membres.

Pour répondre spécifiquement à votre question, le groupe d'étude de M. Wilson s'est entretenu avec les représentants de l'Organisation de coopération et de développement économiques et s'est rendu en Europe pour mener une consultation dans le but de s'assurer que nos lois sont conformes à celles de ces autorités législatives. Bon nombre des mêmes considérations en matière d'application de la loi et de coopération s'appliquent à l'Union européenne, comme c'est le cas avec les États-Unis, pour s'assurer que nos processus sont parallèles.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Concernant la décriminalisation, est-ce que vous avez procédé d'une façon pratique en vous disant que, plutôt que d'attraper seulement les gros poissons avec la nouvelle formule consistant à amener une preuve au civil vous allez pouvoir faire cesser des pratiques illégales plus facilement, avec un niveau de preuve qui serait quand même moins exigeant que dans le domaine du criminel?

[Traduction]

Mme Aitken : Si je comprends bien, vous voulez savoir si nous avons l'intention d'adopter une approche pratique dans le cas des cartels, une approche que nous choisirions d'appliquer pour déterminer ceux qui ont le plus d'effet sur les consommateurs ainsi que dans notre autre nouveau...

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez enlevé plusieurs dispositions qui avaient un caractère criminel. Vous en faites une infraction mais vous avez mis CES dispositions au civil. Est-ce que l'objectif était tout simplement de vous assurer de l'efficacité de la loi, donc d'être un peu plus pratique ou pragmatique quant à l'application de la loi? De fait, il y avait très peu de poursuites qui aboutissaient et on avait l'air d'avoir une Loi sur la concurrence relativement peu applicable.

Mme Downie : Le principe à la base de la décision de décriminaliser certaines des dispositions repose sur la reconnaissance que les comportements éminemment nuisibles devraient être réservés au régime criminel. Les comportements ayant des effets anticoncurrentiels nuisibles, mais ayant aussi parfois des effets proconcurrentiels, devraient être traités dans un contexte non pénal par le Tribunal de la concurrence, qui peut vraiment trancher la question de savoir si c'est nuisible ou bénéfique. C'est le principe à la base de cette proposition particulière.

[Français]

Le président : Merci sénateur Hervieux-Payette. Il est maintenant 17 h 08, il nous faut mettre fin à notre session. Je vous remercie tous et chacun.

La deuxième partie de notre rencontre cet après-midi nous donnera la perspective des commerçants par rapport aux changements à Loi sur la concurrence instaurés par le projet de loi C-10.

[Traduction]

Nous sommes heureux d'accueillir Mme Shirley-Ann George et M. George Addy, tous deux de la Chambre de commerce du Canada. Nous sommes également heureux de recevoir, du Conseil canadien du commerce de détail, MM. Peter Woolford et Terrance Oakey.

Madame George, on vous écoute.

Shirley-Ann George, vice-présidente principale, Politiques, Chambre de commerce du Canada : Je suis accompagnée de George Addy, qui est président du comité des politiques. M. Addy est également associé au sein du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg. Auparavant, il a également assumé la fonction de commissaire de la concurrence.

Je suis heureuse de présenter au comité les points de vue de la Chambre de commerce du Canada et de nos membres sur les modifications apportées à la Loi sur la concurrence dans le cadre de la Loi d'exécution du budget. La Chambre de commerce du Canada appuie les mesures destinées à favoriser le succès continu et la compétitivité de notre économie.

Comme bon nombre d'entre vous le savent, la Chambre de commerce du Canada est la plus grande organisation commerciale au Canada, représentant plus de 175 000 entreprises de toutes les régions du pays. Nos membres varient des entreprises les plus grandes aux entreprises les plus petites, et nous sommes fiers d'être le porte-parole des gens d'affaires canadiens. Nous travaillons fort avec toutes les allégeances politiques pour faire en sorte que le milieu d'affaires canadien soit en mesure de maximiser ses contributions économiques et sociales à notre bien-être national.

Pour ce qui est des modifications à la Loi sur la concurrence, la Chambre de commerce du Canada déplore le fait que le gouvernement a inscrit des changements importants à la loi-cadre dans le projet de loi C-10. Bien entendu, nous appuyons vigoureusement le plan visant à remettre l'économie canadienne sur les rails, mais ces modifications auraient dû faire l'objet d'une consultation et d'un examen rigoureux avant d'être adoptées, et non après coup. En ce qui concerne le fond, la Chambre de commerce craint que ces modifications entraînent de sérieuses conséquences non voulues pour les entreprises. Elles pourraient créer un fardeau inutile et coûteux à un moment où le milieu des affaires se démène pour faire face à la récession la plus grave depuis plusieurs générations. La Chambre de commerce est particulièrement inquiète de deux dispositions clés : le complot et les fusions.

Nous avons tenu des réunions avec le Bureau de la concurrence afin de discuter de ces modifications. Les réunions ont donné lieu à des dialogues constructifs qui nous ont permis de dresser une clôture autour des dispositions générales contenues dans les lignes directrices proposées sur les fusions. Des consultations semblables sont également prévues pour les dispositions en matière de complot. Nous présenterons des observations officielles sur les lignes directrices du processus d'examen des fusions et les dispositions en matière de complot. Même si ces consultations ont permis de dissiper bon nombre des préoccupations de nos membres, il est important de noter que les changements généraux sous- jacents apportés à la loi demeurent intacts et que les lignes directrices peuvent être modifiées, sans faire l'objet d'un examen parlementaire. Je cède maintenant la parole à M. Addy qui discutera de ces dispositions plus en détail.

[Français]

George Addy, président, Comité des politiques du conseil d'administration de la Chambre du commerce du Canada : Monsieur le président, malheureusement, mon exposé n'est qu'en anglais. Toutefois, si vous avez des questions, je serai heureux d'y répondre dans les deux langues.

[Traduction]

Avant d'entrer dans les détails des modifications que nous jugeons inquiétantes, j'aimerais faire quelques observations. La Chambre de commerce du Canada et tous les témoins ici présents appuient entièrement les avantages qui découlent des marchés concurrentiels. Personne ne les remet en question. Mes remarques ne visent personne en particulier au Bureau de la concurrence. J'ai beaucoup d'amis là-bas. Mes observations reposent davantage sur ce que nous devrions faire, du point de vue de la politique publique, pour administrer la Loi sur la concurrence du Canada, ainsi que les politiques et le cadre juridique qui s'y rattachent.

La loi a été modifiée, et on doit se rendre à l'évidence. Personnellement, certains changements n'auraient pas dû être apportés, mais ils font maintenant partie de la loi et nous devrons composer avec cette réalité, tout comme nos membres. Je vais m'attarder aujourd'hui sur les façons de réduire au minimum les incertitudes que soulèvent les changements apportés à la loi, et je vais proposer des moyens pour remédier à la situation. Comme Mmes Aitken et George l'ont dit, des tables rondes ont été tenues pour essayer de régler certaines des préoccupations relativement aux lignes directrices. Malgré tout, le milieu d'affaires nage dans l'incertitude, ce qui m'inquiète en tant que membre du conseil de la Chambre de commerce du Canada et en tant qu'ancien fonctionnaire. Ces incertitudes s'avèrent coûteuses pour l'économie. Il ne faudrait pas croire qu'elles ne coûtent rien.

Quelles sont nos préoccupations? Premièrement, comme Mme George l'a dit, le processus adopté pour l'adoption du projet de loi n'était pas assez long pour avoir le temps de régler les questions, ce qui fait que nous devons les corriger maintenant.

Deuxièmement, c'est le degré de discrétion dont dispose le Bureau de la concurrence et l'exercice de cette discrétion en l'absence d'un mécanisme de surveillance dans notre système. Contrairement aux autres pays, le Canada n'a pas de mécanisme de surveillance sur le plan judiciaire ou autre. Il existe donc une lacune en matière de responsabilisation, ce qui est inquiétant parce qu'on ne dispose pas d'examen continu ni de mécanisme pour déterminer comment le Bureau de la concurrence fait son travail, comment il déploie ses ressources, combien de cas il présente et sur quels types de cas il se penche. Ce genre de système n'existe pas au Canada. Je sais que cette question dépasse probablement le mandat du comité, mais je recommande fortement aux sénateurs d'y réfléchir et de voir comment nous pouvons combler cette lacune importante. Ce sentiment est partagé par bon nombre de mes collègues, tant dans la profession qu'à la Chambre de commerce du Canada.

Sir Christopher Bellamy, un éminent juriste à la retraite, qui a déjà été juge du Tribunal de première instance des Communautés européennes et du Tribunal d'appel de la concurrence du Royaume-Uni, s'y connaît dans ce domaine. Il a d'ailleurs parfaitement résumé la situation : selon lui, pour que le droit de la concurrence évolue, il doit être ancré dans la loi et non pas seulement dans des lignes directrices administratives. À mon avis, le Bureau de la concurrence est d'abord et avant tout un organisme d'application de la loi, et il faut élaborer des mécanismes pour s'assurer qu'il accomplit son travail. Bon nombre des autres organismes d'application de la loi utilisent ces types de mécanismes, que ce soit les forces de police municipales par l'intermédiaire des commissions de police ou le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, par l'entremise de ses comités. On ne trouve aucune institution de ce genre au Canada, et c'est quelque chose qu'il faudrait envisager. Le comité pourrait peut-être en tenir compte dans ses délibérations.

Je passe maintenant aux dispositions particulières de la loi. Comme vous le savez et comme Mme Aitken l'a expliqué, les nouvelles dispositions en matière de complot créent une approche à deux volets. Au terme d'une enquête, la commissaire peut choisir de présenter une affaire au criminel ou, si elle préfère, au civil. Les affaires au criminel sont renvoyées au ministère de la Justice, au directeur des poursuites pénales, et aboutissent aux tribunaux criminels. Les affaires au civil, pour leur part, sont renvoyées au Tribunal de la concurrence où le bureau agit à titre de partie poursuivante.

Selon moi, les dispositions liées à ce qui vient avant et après cette décision pourraient avoir des conséquences non voulues, et ces conséquences pourraient, à leur tour, nuire tant aux commerces qu'aux consommateurs.

Certes, personne n'aime les cartels irréductibles, mais la portée de ces modifications est plus vaste que nécessaire. Je pense que cette nouvelle mesure législative découragera les collaborations commerciales légitimes.

À mon travail, certains de mes clients me racontent qu'ils envisagent d'entreprendre telle ou telle activité, et je leur explique qu'une nouvelle loi comportant des risques, aussi minimes soient-ils, entrera en vigueur en mars prochain. Je leur dis également qu'étant donné la nature quelque peu changeante des lignes directrices relatives à cette question, ils doivent être conscients des risques.

De nos jours, même s'il s'agit de légers risques — vous connaissez tous les risques auxquels les PDG, les dirigeants et les administrateurs sont exposés maintenant —, les clients préfèrent ne pas en prendre et, malheureusement, ces modifications entraînent des risques.

Comme la commissaire par intérim l'a mentionné, elle s'efforce de calmer ces inquiétudes à l'aide de l'ébauche des lignes directrices. Ses efforts sont méritoires, mais les lignes directrices n'engagent en rien la commissaire par intérim, le prochain commissaire ou les tribunaux et, honnêtement, elles peuvent être modifiées à tout moment.

Depuis que les gens ont entendu parler de la disposition transitoire — parce que la disposition relative aux cartels n'entre pas en vigueur avant mars prochain —, ils examinent dès maintenant leurs collaborations à venir. Comme Mme Aitken l'a déclaré, le délai de grâce d'un an vous donne le temps de mettre de l'ordre dans vos affaires. Cette affirmation vous informe de deux choses : d'abord, qu'il y a des transactions légales aujourd'hui qui ne le seront plus dans un an, et ensuite que, si vous planifiez des affaires qui se poursuivront après le mois de mars prochain, vous feriez mieux de réfléchir aux répercussions de la loi à venir en plus de celles de la loi actuelle. Selon moi, cela pourrait contribuer à refroidir dans l'avenir les ardeurs commerciales de bon nombre d'entreprises.

L'autre problème que pose cette disposition, c'est qu'elle ne comporte aucune dérogation de minimis. Peu importe l'entente, qu'il s'agisse de deux concurrents qui s'entendent sur un prix ou de deux magasins du coin qui décident de vendre leur pain au même prix, c'est une infraction criminelle punissable d'une peine de 14 ans et d'une amende de 25 millions de dollars. Il n'y a aucun facteur de minimis. Honnêtement, c'est une des raisons qui nous a poussés à procéder à un examen des effets : nous ne voulons pas que les gens se préoccupent de choses qui n'ont pas de graves répercussions sur le marché. La question de la dérogation de minimis devrait être réglée.

Pour ce qui est de la dérogation relative aux entreprises affiliées, la loi leur permet de conclure des ententes. Ce n'est pas illégal mais, selon la définition du mot « affiliée » donnée dans la loi, seules les sociétés affiliées se rangent dans cette catégorie. Vous et la société qui détient 51 p. 100 de vos actions êtes affiliées. Cela exclut les coentreprises et les partenariats, ainsi que tous les autres instruments que les gens utilisent aujourd'hui en toute légitimité et légalité. Ce problème devrait également être réglé.

On vous a dit aujourd'hui, et je suis certain qu'on vous le répétera demain, qu'une partie de la motivation derrière cette décision était de mieux harmoniser notre modèle avec celui des États-Unis. J'aimerais faire quelques observations à ce sujet. D'abord, si on fait le compte, je soutiens que les pays qui possèdent des dispositions de nature non criminelle à l'égard des cartels sont plus nombreux que ceux dont les dispositions sont de nature criminelle.

Comme le sénateur Hervieux-Payette l'a mentionné, les cartels ne sont pas des infractions criminelles dans l'Union européenne. Ils constituent des infractions administratives qui ont permis de recueillir des milliards d'euros en amendes. Ce n'est pas comme si les Européens se tournaient les pouces parce qu'ils n'accusent pas les entreprises d'infractions criminelles.

Si vous souhaitez harmoniser vos pratiques avec celles de vos principaux partenaires commerciaux, lesquels choisirez-vous, les États-Unis ou les Européens? Si vous choisissez les États-Unis, permettez-nous au moins de suivre exactement ce qu'ils font.

Aux États-Unis, la disposition relative aux cartels tient essentiellement en une ligne : tu ne t'entendras pas avec tes concurrents. Au fil des décennies, ils ont élaboré une loi, appelée la règle de raison, parce que les tribunaux se sont rendu compte que cela n'avait aucun sens. Mon exemple de minimis l'illustre. Ils ont conçu une règle de la raison. Il est faux de dire qu'en accusant automatiquement les entreprises d'une infraction, nos pratiques coïncident parfaitement avec celles des États-Unis.

Deuxièmement, si nous voulons faire comme les Américains, nous devons nous rappeler que leur loi prévoit un délai de prescription de cinq ans. Si la conduite remonte à plus de cinq ans, elle est dépourvue de pertinence et ne fait pas l'objet de poursuites criminelles. Le Canada n'a pas de délai de prescription. Au cours de la prestation de nos services de consultation et de nos discussions avec d'autres avocats de clients établis partout dans le monde, nous nous sommes rendu compte que c'était un grave problème. Si nous voulons rectifier les choses, ne pas être marginaux et nous inspirer du modèle américain, pourquoi n'aurions-nous pas un délai de prescription?

Comme je l'ai dit, en ce qui concerne la disposition relative au complot civil, la commission peut choisir la voie qu'elle désire emprunter. Malheureusement, rien ne l'empêche de modifier sa décision tant qu'elle n'a pas engagé des poursuites. Selon la façon dont les choses fonctionnent, les parties consultent souvent le bureau bien avant que des accusations soient portées ou que la demande soit déposée devant le tribunal. Maintenant, lorsque vous entamerez ces discussions, le bureau ne sera pas tenu de vous révéler la façon dont il procédera. Cela est un peu déroutant du point de vue de la procédure.

De plus, même si la commissaire choisit d'engager des poursuites civiles, les demandeurs des recours collectifs au civil ne sont pas liés par cette décision. Donc, vous pouvez résoudre vos problèmes avec la commissaire et recevoir la mesure que le tribunal juge appropriée, mais vous pourriez tout de même faire l'objet de recours collectifs au civil déposés par le barreau, et je pense que ce problème devrait également être réglé. Si la commissaire prend une décision, elle devrait s'appliquer tant aux poursuites engagées par le bureau qu'aux procédures intentées au civil qui en découlent.

En ce qui concerne le processus de modification des fusions, je pense que vous êtes probablement déjà au courant de nos préoccupations, mis à part celles liées au processus d'examen. Les demandes d'information peuvent être présentées unilatéralement. Encore une fois, on peut présenter une deuxième demande d'information sans qu'un contrôle judiciaire soit exercé ou qu'il soit nécessaire d'obtenir une approbation judiciaire. Je m'élève contre l'idée que, d'une manière ou d'une autre, ces dispositions accéléreront le processus d'examen des fusions et amélioreront sa prévisibilité.

Vous avez entendu parler du premier délai d'attente de 30 jours ainsi que du second délai d'attente de 30 jours lorsque la commissaire demande un supplément d'information pendant la première période. À la fin de ces délais d'attente, selon la loi, la commissaire n'est pas obligée de faire quoi que ce soit. Elle n'a pas besoin de prendre de décision. Les lignes directrices stipulent qu'elle le fera, mais elle a un an pour le faire. Elle peut se tourner les pouces et vous dire que, si vous concluez la transaction, vous le faites à vos propres risques et qu'elle a un an pour la remettre en cause. Cela est également un problème qu'on devrait régler. Si nous nous engageons dans cette voie, le délai d'attente devrait être interrompu.

Encore une fois, si nous suivons ce que les Américains font, nous devrons nous accommoder des résultats. Honnêtement, ces modifications sont un véritable plan de relance pour le secteur juridique. En ce qui concerne le prix moyen qu'il en coûte pour donner suite à une deuxième demande d'information, l'American Bar Association a mené une étude là-dessus il y a deux ans et a conclu que le coût s'élève à cinq millions de dollars par fusion. Je vous le mentionne au cas où vous voudriez vous lancer dans ce domaine. Donc, lorsqu'on entend parler de quatre ou six fusions, cela représente immédiatement des dépenses de l'ordre de 20 ou 30 millions de dollars. Ce coût peut être imposé au secteur des affaires sans contrôle judiciaire.

Enfin — je sais que nous sommes à court de temps —, j'aimerais colmater une autre section du projet de loi C-10 qui ne fait pas partie de votre mandat. Elle porte sur la Loi sur Investissement Canada. Il y a de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles. La bonne nouvelle, c'est qu'ils ont augmenté le seuil et cette nouvelle portée vous permet maintenant de vous concentrer sur les transactions d'envergure. Les mauvaises nouvelles, à notre avis, ce sont les modifications relatives à la sécurité nationale. Vous vous demandez peut-être pourquoi il s'agit de mauvaises nouvelles puisque la sécurité nationale est une bonne chose. Malheureusement, elles ne sont pas définies, il n'y a pas de délai de prescription et il n'y a pas de seuil financier à franchir avant qu'elles s'appliquent. Si vous êtes étranger et que vous achetez 5 p. 100 des actions d'une entreprise, ces modifications pourraient vous faire courir certains risques.

Je peux vous dire que, d'après ce que j'ai observé dans ma pratique, ces modifications inquiètent les investisseurs. À mon sens, cela n'incite pas les gens à investir au Canada. Je sais que ce n'est pas le sujet qui vous occupe aujourd'hui, mais j'ai pensé que, si j'en avais l'occasion, je vous ferais part de mes observations à ce sujet.

Peter Woolford, vice-président, Élaboration des politiques et recherche, Conseil canadien du commerce de détail : Je remercie les membres du comité sénatorial de nous avoir invités à comparaître devant eux aujourd'hui. Je vois dans mes notes que j'avais préparé quelques remarques pour présenter le Conseil canadien du commerce de détail au comité, mais après le mois dernier c'est probablement inutile.

Notre situation est quelque peu différente de celle de bon nombre de représentants commerciaux qui comparaîtront peut-être devant vous. Comme Mme Aitken, la commissaire par intérim, l'a mentionné cet après-midi, dans de nombreux secteurs et de nombreuses parties de la loi...

Le président : Excusez-moi. Je ne souhaite pas vous interrompre, mais avez-vous une déclaration?

M. Woolford : J'ai fourni une déclaration, une série de points de discussion, à l'intention des traducteurs et c'est tout. Je n'ai pas un exposé officiel.

Le président : C'est bien.

M. Woolford : Je suis désolé. Permettez-moi de recommencer à zéro. Dans de nombreux secteurs, la préoccupation du gouvernement et l'objectif de ses modifications en ce qui a trait à la concurrence sont motivés par la petite taille du marché canadien et, donc, par le risque que le nombre de concurrents y soit peut-être insuffisant. Dans le secteur du détail, les modifications qui nous préoccupent et sur lesquelles le bureau a mis l'accent sont diamétralement opposées. Elles se préoccupent qu'il y ait trop de concurrence et que le côté impitoyable des détaillants qui les a rendus célèbres dépasse de temps en temps les bornes et engendre des résultats négatifs. Par conséquent, les modifications qui m'inquiètent découlent d'un marché hautement concurrentiel plutôt que d'un marché trop petit et trop commode. Vous devez ajuster vos lunettes lorsque vous examinez la loi en tant que détaillant.

[Français]

Dans ma présentation, je toucherai trois questions. Je traiterai du rôle des nouvelles amendes dans les enquêtes du bureau. Deuxièmement, j'attirerai l'attention du comité sur une expertise touchant la constitutionnalité de telles amendes. Enfin, je parlerai des implications relativement au maintien des prix.

[Traduction]

Permettez-moi de les aborder une à la fois. D'abord, il y a le rôle des sanctions administratives pécuniaires, les amendes. Je suis content que la commissaire par intérim et Mme Downie leur aient donné le nom d'amendes parce que c'est ce qu'elles sont, et non pas des sanctions administratives. Lorsqu'elles ont été mises en vigueur dans le cadre du projet de loi C-19 il y a quatre ans de cela, nous nous sommes prononcés contre elles avec véhémence. Cette préoccupation existe toujours aujourd'hui au sein du commerce de détail. D'abord, nous croyons que ces amendes sont disproportionnées par rapport aux infractions qui les entraînent. Ensuite, nous sommes préoccupés par l'incidence potentielle que ces infractions pourraient avoir sur les actions du bureau lorsqu'il enquête sur les pratiques trompeuses du commerce de détail. Permettez-moi de vous expliquer de quoi il s'agit.

Nos membres sont déjà insatisfaits de la façon dont les agents du bureau utilisent leurs pouvoirs actuels pour inciter les détaillants à plaider coupables au moyen d'un accord consensuel, et faire augmenter le montant de l'amende. Le meilleur exemple de cela — et M. Addy l'a mentionné en passant — est le vaste pouvoir discrétionnaire dont dispose la commissaire pour choisir d'engager soit des poursuites civiles, soit des poursuites criminelles lorsqu'elle enquête sur un détaillant. Cette souplesse permet aux agents de manipuler l'entreprise et de l'inciter à plaider coupable, comme je l'ai dit, pour en finir une fois pour toutes et éviter que des accusations encore plus graves soient portées contre les dirigeants de l'entreprise et l'entreprise elle-même.

Outre le pouvoir de porter des accusations criminelles contre l'entreprise et ses dirigeants, le bureau peut faire peser sur eux la menace d'énormes amendes et d'un dédommagement, ce qui lui fournit un arsenal d'outils encore plus grand qu'avant pour soutirer à l'entreprise le résultat escompté. Nous sommes simplement d'avis qu'il faudrait rééquilibrer la relation qui existe entre l'organisme d'application de la loi qui mène les enquêtes et les parties qui en font l'objet.

Je vais maintenant changer un peu d'optique et insister sur le fait que nous entretenons une excellente relation avec le bureau. Au fil des années, nous avons collaboré avec eux afin d'élaborer des lignes directrices et des pratiques exemplaires, et d'encourager les commerçants à les respecter. Récemment, nous avons travaillé étroitement avec eux sur des questions telles que les remises et l'étiquetage des textiles. Cette collaboration a engendré de meilleurs résultats tant pour les commerçants que pour le bureau.

Jusqu'à maintenant, nous avons cherché à faire appliquer la loi en publiant des lignes directrices, en favorisant les pratiques exemplaires et en consultant les principaux intervenants du marché, pour que le tout ait un certain sens en contexte, soit gérable et respecte la loi selon l'interprétation que le bureau en fait.

Nous demeurons convaincus que, pour la grande majorité des problèmes touchant la vente au détail, c'est la bonne façon de faire. C'est beaucoup plus efficace, en tout cas, que les poursuites judiciaires et les amendes. C'est donc particulièrement malheureux que la nouvelle loi prenne une nouvelle direction. Si vous sortez vos gros canons et que vous imposez des amendes de plusieurs millions de dollars, vous dites aux gens que vous êtes beaucoup plus intéressé à les poursuivre en justice et à leur imposer des amendes qu'à compter sur la collaboration des acteurs du marché pour mieux faire appliquer la loi.

Permettez-moi d'aborder brièvement l'aspect constitutionnel de la question. Je tiens simplement à rappeler aux membres du comité que, lorsque le projet de loi C-19 a été présenté, le Conseil canadien du commerce de détail a demandé à Peter Hogg, l'un des plus éminents experts sur la Constitution canadienne, de donner son avis sur les sanctions administratives pécuniaires associées aux changements bien précis que proposait le projet de loi C-19. M. Hogg a conclu que ces sanctions contreviendraient à plusieurs dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés sans pour autant être raisonnablement justifiables, parce que les personnes ou organismes à qui l'on imposerait ces sanctions ne bénéficieraient pas des protections habituellement associées au processus pénal. Les sanctions administratives pécuniaires maintenant inscrites dans la loi ne sont pas sans rappeler celles qui figuraient dans le projet de loi C-19, comme on l'a d'ailleurs fait remarquer plus tôt, et nous sommes d'avis qu'elles ne résisteraient probablement pas à une éventuelle contestation judiciaire.

Reste maintenant la question du prix imposé. Le marché de vente au détail n'est pas toujours de tout repos. La compétition y est féroce, ce qui est tout à l'avantage du consommateur canadien, qui accorde beaucoup d'importance à la valeur. Il est en effet entouré de détaillants qui rivalisent d'ingéniosité et de créativité pour lui faire connaître leurs meilleures offres. De par les modifications apportées, les fournisseurs peuvent maintenant fixer un prix minimum plus facilement. Selon nous, c'est la concurrence qui pourrait en souffrir, tandis que le prix de vente final risque d'augmenter. Et je ne suis pas en train de vous énoncer une théorie : c'est exactement ce qui se passe, en ce moment, sur le marché.

Certains de nos membres se sont déjà plaints au Conseil canadien de commerce de détail du fait qu'ils doivent se débattre avec leurs fournisseurs, qui veulent les forcer à augmenter leurs prix. Prenons l'exemple d'un détaillant qui vend un produit de marque nationale. Il subit la pression de son fournisseur, qui veut que son produit se vende à un prix minimum. Le prix du produit monte donc par le fait même. D'accord, la concurrence n'en souffrira pas directement, car le consommateur a encore l'embarras du choix, mais il n'en demeure pas moins que le prix de certains produits va augmenter.

Nous croyons comprendre que cette modification tire en partie sa source de certaines décisions des tribunaux américains. Pourtant, plusieurs États des États-Unis sont sur le point d'adopter des lois qui protègent les consommateurs contre ce type de pression de la part des fournisseurs, maintenant que les détaillants ne peuvent plus rien faire contre ce type d'augmentation.

C'est ce qui conclut mon exposé préliminaire. Je répondrai maintenant à vos questions avec plaisir.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Woolford. Avant de passer à notre première série de questions, j'aimerais demander à M. Addy ce qu'il pense du montant des amendes. Pour le bénéfice des gens dans l'auditoire, êtes-vous aussi d'avis que le montant des amendes prévu dans la loi est trop élevé, en général ou dans certains cas en particulier, ou qu'il n'y a au contraire aucune disposition de minimis? Expliquez-nous, s'il vous plaît.

M. Addy : Ce n'est pas le niveau des amendes qui pose problème. Le montant des amendes me convient tout à fait. Si l'on regarde le nombre de causes que le bureau a plaidées, force nous est de constater que, de toutes les poursuites intentées par le bureau depuis plus de 10 ans, très peu ont été contestées. Les chiffres que vous voyez dans les rapports, c'est habituellement parce que les gens plaident coupables. Ce n'est pas toujours le cas, c'est vrai, et je songe par exemple à l'entente intérieure que nous avons mise au jour au Québec encore tout récemment, mais sur les centaines de millions de dollars qui ont alors été imposés en amendes, une bonne partie portait en fait sur le volet canadien d'une affaire dont les ramifications s'étendaient à l'échelle planétaire. En fait, le message des parties était le suivant : « Nous voulons clore le dossier partout dans le monde, alors nous avons décidé de régler avec le Canada. » C'est une première chose.

Ce qui me chicote, c'est qu'il n'y a pas de critères tenant compte des effets de la loi, et qu'il n'y a pas non plus de disposition de minimis. Il n'y a rien qui nous dise : « Si la somme en jeu est inférieure à un million de dollars, rien ne sert d'intenter des poursuites. » Il n'y a rien du genre. Je peux vous donner un exemple extrême, celui de deux épiciers qui s'entendent entre eux sur le prix du pain. Il suffit qu'ils se soient entendus, et rien d'autre; il n'est pas nécessaire qu'un seul pain n'ait été vendu au prix fixé.

Le président : Mais ils sont de connivence. Qu'ils soient condamnés ou qu'ils plaident coupables, à quel montant s'élèvera l'amende?

M. Addy : Qui sait? C'est le type d'entente injustifiable dont nous entendons toujours parler.

Le président : Il y a tout de même un maximum, non?

M. Addy : Oui : 25 millions de dollars. Les deux épiciers en question auront un casier judiciaire et ne pourront plus se rendre aux États-Unis. Leur nom sera inscrit dans le registre de surveillance frontalière. On ne blague pas avec les infractions criminelles. Prenons les plaidoyers qui ont été enregistrés dernièrement au Québec. Certaines personnes ont accepté un an de détention à domicile. Je vous invite à lire ces décisions, et vous verrez que ce n'est pas de la petite bière. Les personnes condamnées se promènent avec un bracelet électronique à la cheville, et elles ne peuvent pas quitter leur domicile, sauf à certaines heures fixes. Elles ne peuvent pas utiliser de téléphone cellulaire. C'est du sérieux. Ce qui m'inquiète, pour reprendre la métaphore des canons, c'est que nous avons en main un très gros canon, mais rien pour le contrôler.

Le sénateur Moore : J'aimerais savoir autre chose : monsieur Addy, vous avez dit à plusieurs reprises qu'il n'y avait aucune prescription quant au temps que pouvait prendre le comité pour faire enquête sur un dossier ou pour intenter des poursuites. Il faut parfois des années. La loi générale de prescription ne s'applique-t-elle pas au bureau?

M. Addy : Pour les complots en sol canadien, il n'y a aucune prescription qui tienne. Les coupables peuvent toujours être poursuivis. Aux États-Unis, la prescription est fixée à cinq ans; dans d'autres pays, elle est de sept ans. La plupart des pays qui ont des lois contre les pratiques cartellaires sont assujettis à des périodes de prescription. Pas nous.

Le sénateur Moore : Je n'ai pas étudié en détail la législation sur la prescription, mais est-ce qu'on y dit quelque part que les poursuites pour collusion sont acceptées?

M. Addy : Non, mais la prescription s'applique généralement au civil, et non au criminel.

Le sénateur Moore : Il n'y a donc pas de délai dans le cas qui nous intéresse?

M. Addy : C'est exact. Mais c'est le cas aux États-Unis, et je vous rappellerai que nous tentons justement de nous inspirer de ce qui se fait là-bas.

Le sénateur Moore : Cinq ans.

M. Addy : C'est exact.

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce à dire que s'il s'agissait d'une affaire civile, il y aurait prescription?

[Français]

M. Addy : Non, il n'y a pas de prescription, madame le sénateur.

Le sénateur Hervieux-Payette : Est-ce que c'est cela que veut dire « the statute of limitation »?

M. Addy : Aux États-Unis, si l'activité illégale a eu lieu il y a plus de six ans, il n'y a pas d'accusation criminelle possible du tout. Ce n'est pas le cas au Canada. Je le vois dans ma pratique tous les jours; les Américains se grattent la tête et se demandent comment il se fait qu'il n'y a pas de prescription au Canada là-dessus.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Vous avez donné l'exemple de sociétés affiliées ou de coassociés d'une entreprise qui s'allient le temps d'un projet. Ce type de pratique peut-il maintenant mener à des poursuites judiciaires?

M. Addy : En principe, oui. En fait, la loi reconnaît que si vous êtes affilié, vous ne pouvez pas comploter avec vous- même. Ce raisonnement ne vaut cependant que pour les sociétés; il faut donc détenir 50 p. 100 des actions avec droit de vote plus 1.

Si vous décidez de vous affilier par voie de partenariat, vous vous exposez tout de même à des poursuites criminelles. Même chose si vous vous affiliez par voie de coentreprise.

Vous savez, dans le marché d'aujourd'hui, les gens ont recours à ces autres types d'outils pour des motifs tout à fait légitimes, par exemple pour des raisons de planification fiscale. Pourtant, ce faisant, ils s'exposent à des conséquences dont les sociétés affiliées sont à l'abri. Je ne comprends pas.

Le sénateur Moore : Moi non plus.

Le sénateur Ringuette : L'exposé préliminaire du bureau mettait beaucoup l'accent sur le temps qu'il fallait pour monter un dossier menant à des poursuites et sur le fait que la loi révisée supprimait la disposition obligeant à en justifier les répercussions économiques. Vous êtes-vous penché sur la question?

M. Addy : Je vous répondrai simplement : oui. Je suis dans le métier depuis une trentaine d'années, alors c'est un argument que j'ai souvent entendu, de tous les côtés.

En ce qui concerne la préparation, beaucoup disent que, s'il y aussi peu de poursuites qui sont contestées avec succès, c'est parce que la préparation est déficiente. Je ne suis pas d'accord. La dernière poursuite qui n'a pas abouti mettait en cause des entreprises de taxi à St. John's et, si mon souvenir est exact, l'affaire est tombée pendant l'enquête préliminaire. Ce n'est pas l'effet de la loi qui était en cause. Dans sa décision, le juge a dit ne pas croire le témoin de la Couronne. C'était donc une question de crédibilité, et non de droit.

À mon avis, c'est une bonne chose que l'on perde un certain nombre de causes, parce que la loi est vague et que les causes perdues nous aident à la rendre plus précise. Dans l'une des causes que j'ai perdues pendant mon mandat, nous avons donné une certaine définition du marché du fret, mais le juge n'était pas d'accord et a affirmé que, contrairement à ce que nous prétendions, le fret englobait aussi le transport par camion, par train, et cetera.

À mon avis, ce n'est pas le critère relatif aux effets de la loi qui a été appliqué. Il s'agit d'une divergence légitime d'opinion avec les juges, qui doivent après tout rendre leur décision d'après la preuve qu'on leur présente. Mais bon, je m'arrête ici car, comme vous pouvez le constater, c'est un sujet qui me passionne, et je pourrais en parler des heures sans m'arrêter.

Tout cela pour dire que, à mon avis, s'il y a eu si peu de causes contestées avec succès, ce n'est pas à cause du critère des effets de la loi.

Le sénateur Ringuette : Est-ce que c'est une question de temps, alors? Tout à l'heure, un témoin nous a parlé du temps requis pour monter un dossier. Dans un cas, il lui a même fallu trois ans, parce qu'elle a dû en évaluer les répercussions économiques.

M. Addy : Je dois dire que je suis un peu sceptique. Le problème réside aussi dans la manière dont le bureau affecte ses ressources. Selon ce qu'ont dit certaines personnes qui travaillent au bureau, le budget de la Direction générale des politiques publiques et des affaires législatives a longtemps été plus élevé que celui de la Direction générale des affaires criminelles. C'est le genre de choses qui me fait sortir de mes gonds, et qui illustrent bien le manque de surveillance.

Il y a des gens très compétents qui travaillent dans les directions générales, peu importe lesquelles, et je ne doute pas que le travail stratégique et les études de marché aient leur place. Je ne remets rien de tout cela en question, mais qui s'interroge sur la manière dont le bureau utilise ses ressources? Ressources, je le rappelle, que les Canadiens confient à l'organisation pour qu'elle fasse appliquer les lois sur la concurrence, ce à quoi personne n'oserait s'opposer, j'imagine. Qui remplit ce rôle?

Le sénateur Day : Ma première question s'adresse à M. Woolford. Vous dites avoir sollicité l'avis juridique de Peter Hogg sur les sanctions administratives pécuniaires.

M. Woolford : C'est exact.

Le sénateur Day : Ces sanctions, que la loi à l'étude fait augmenter, se trouvaient déjà dans le projet de loi C-19 il y a quatre ans. C'est bien ce que vous avez affirmé?

M. Woolford : C'est exact.

Le sénateur Day : Ce projet de loi est mort au Feuilleton, comme nous le disions tout à l'heure. Aviez-vous alors exprimé vos réserves?

M. Woolford : Absolument.

Le sénateur Day : Malgré tout, les sanctions administratives pécuniaires se trouvent toujours dans la loi; c'est exact?

M. Woolford : Oui. À l'époque où les audiences ont eu lieu, nous avons présenté nos réserves à la Chambre des communes et les avons rendues publiques. J'en remettrai volontiers une copie aux membres du comité, dans les deux langues officielles.

Le sénateur Day : Oui, s'il vous plaît. Remettez-les à notre greffière, qui nous les distribuera.

M. Woolford : Je crois qu'il serait utile que vous preniez aussi connaissance de la réponse de la commissaire. Mme Scott a comparu peu de temps après nous pour donner la réponse du bureau, alors je vous suggère de vous adresser à ses collaborateurs pour obtenir une copie de sa déclaration. De mon côté, je m'engage à vous faire parvenir nos commentaires.

Le sénateur Day : Je vous remercie. Êtes-vous du même avis que la Chambre de commerce du Canada, et croyez- vous aussi qu'il aurait mieux valu tenir des consultations avant que la loi soit présentée ou adoptée?

M. Woolford : C'est aussi notre avis.

Le sénateur Day : Mes prochaines questions s'adressent à Mme George et à M. Addy.

Vous, monsieur Addy : je dois dire que vos commentaires concernant les portions du projet de loi C-10 qui portaient sur Investissement Canada étaient les bienvenus, et Dieu sait qu'il y en avait beaucoup. Le comité doit se pencher sur l'une des parties du projet de loi C-10, c'est-à-dire sur la partie 12 sur un total de 15, mais sachez que nous ne sommes pas le seul comité à l'œuvre, et que toutes les parties du projet de loi seront étudiées par le Sénat à un moment ou un autre. Vos commentaires nous ont été des plus utiles, et j'en prends bonne note.

J'aimerais également avoir des précisions sur ce que vous avez dit à propos de la surveillance. Vous avez dit qu'il y avait beaucoup de pouvoirs discrétionnaires, mais peu de surveillance. Vous avez également dit qu'il n'y avait pas de suivi en continu.

J'aimerais savoir, par rapport à ce qui se fait ailleurs, est-ce que cette responsabilité serait ici partagée entre plusieurs instances — vous avez parlé du SCRS et du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité, qui est un organisme indépendant de surveillance — ou est-ce qu'elle serait confiée à un groupe de surveillance parlementaire? Pouvez-vous nous donner des exemples de ce qui se fait ailleurs?

M. Addy : Par exemple, les fonctionnaires du gouvernement américain doivent comparaître chaque année devant divers comités du Sénat. Je ne connais pas assez bien le processus pour savoir jusqu'où va cet examen, ni la manière dont les ressources sont affectées ou dont l'organisme établit les priorités.

Je n'ai pas la prétention de pouvoir vous dire quel modèle il faudrait suivre. Sauf qu'à voir l'étendue des pouvoirs discrétionnaires découlant des modifications, je suis de plus en plus inquiet. Peut-être est-ce parce que je me fais vieux, que je ramollis ou au contraire que je m'endurcis. J'ai été avocat, j'ai travaillé au bureau, j'ai été en affaires puis je suis revenu au droit, alors je m'inquiète des coûts économiques associés à l'exercice de pouvoirs discrétionnaires dans un organisme d'application de la loi comme le Bureau de la concurrence, où les personnes qui les exercent ne sont surveillées par personne d'autre. Je n'ai aucune idée de la manière dont les choses fonctionnent aujourd'hui, mais lorsque j'étais au bureau, je rendais compte de mon budget une fois par année au sous-ministre, et seulement à lui. Après cela, j'avais carte blanche et je pouvais faire ce que je voulais. Bien sûr que c'est une façon de faire qui me plaisait, je suis le premier à l'admettre. Mais maintenant que j'ai grandi en âge, et aussi en sagesse, du moins je l'espère, elle me semble poser problème du point de vue de la responsabilisation.

Le sénateur Day : Estimez-vous aussi que le moment était mal choisi pour adopter cette loi, alors que nous traversons une grave crise économique et que nous connaîtrons possiblement un ralentissement des activités commerciales, et alors même qu'elle devait faire partie d'un train de mesures visant à stimuler l'économie? Selon vous, est-ce que la loi réussira oui ou non à stimuler l'économie?

Mme George : Comme vous l'avez dit vous-même, le projet de loi sur le budget comptait de nombreuses parties. Même si, dans l'ensemble, le budget visait à stimuler l'économie, certains éléments d'ordre administratif, que le gouvernement aurait eu du mal à faire passer en temps normal, ont peut-être pu s'y glisser. Je crois que nous en avons ici un bon exemple.

Le sénateur Day : Tout à fait d'accord.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Je pense que quelques questions en français ne sont pas malavisées.

On a utilisé souvent le mot « guidelines «, la « consultation sur les guidelines ». En français on dit « les directives «. On semblait penser que c'était nécessairement pour avoir un rôle qui faisait que cela pouvait changer selon la personne qui administrait et que cela ne clarifiait rien.

Je parle en tant que législateur, au nom de ceux qui adoptent la loi. Au sein du Comité de la réglementation, on révise la réglementation afin qu'elle soit en accord avec la loi. Et les directives arrivent après la réglementation et souvent ce sont des règlements déguisés.

J'aimerais connaître vos opinions à ce sujet parce que les manuels de directives, qu'ils proviennent du Bureau de l'inspecteur des institutions financières ou autres, sont généralement des briques assez importantes. Et lors de l'administration de lois, la directive est appliquée à la lettre, elle est très spécifique.

Je serais plutôt d'avis que c'est plus contraignant que ce soit moins contraignant. J'aimerais savoir comment vous conseilleriez le gouvernement sur cette question qui, à mon avis, peut aller encore plus loin que la loi ?

M. Addy : C'est pourquoi j'ai suggéré la création d'un conseil administratif qui puisse faire un genre de surveillance. Cette surveillance pourrait se faire annuellement par votre comité, par d'autres comités parlementaires ou par d'autres institutions.

Vous avez demandé s'il y a eu des consultations sur tous les éléments de la loi et la réponse à votre question c'est non. Quand on parle des changements apportés aux mesures de fusionnement et aux nouveaux pouvoirs d'émission d'une demande d'information, cette suggestion a été soulevée et incluse dans le rapport de M. Wilson et ses collègues. Mais l'idée n'a pas fait l'objet de débats. Je dirais même que l'idée n'a pas été déposée devant le panel pendant les audiences.

La première fois que le public a pris connaissance de cette idée, c'est quand elle est sortie dans le rapport final. J'admets qu'il y a eu des consultations sur les changements à la Loi sur le complot, et comme M. Woolford l'a mentionné, il y a eu beaucoup de débats là-dessus et il n'y a pas de consensus.

En ce qui concerne les lignes directrices, elles ne lient pas le bureau d'aucune façon. Et, à mon avis, c'est pour cela qu'on doit développer un mécanisme de vérification à savoir si les lignes directrices ont été suivies.

En ce qui concerne la mesure des fusionnements, j'aimerais savoir combien de «second requests « ont été soumises et combien a coûté cette mesure? C'est le genre de question qu'on devrait trancher à un moment donné. Je vous laisse le soin de trouver le bon forum pour le faire.

[Traduction]

Le sénateur Hervieux-Payette : Monsieur Woolford, vous avez émis un avis juridique. Pouvez-vous nous en communiquer la teneur? Vous pourriez ainsi nous aider à bien comprendre la portée véritable du projet de loi.

[Français]

M. Woolford : Comme je l'ai dit au sénateur Day, il me fait grand plaisir de le faire pour vous.

Le sénateur Hervieux-Payette : Madame le greffier le recevra avec plaisir. Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

Le président : Il ne faut pas oublier que nous parlons ici d'une loi, et que tout le monde doit se conformer à la loi. Vous avez des réserves, et je le comprends. Monsieur Addy, vous avez suggéré que l'on recommande la création d'un mécanisme ou d'une institution de surveillance. Je ne suis pas convaincu, et je m'explique. D'abord, ce type de processus prend beaucoup de temps; ensuite, on ne ferait qu'ajouter une autre couche à la bureaucratie et une autre série de dépenses.

N'y a-t-il pas déjà une institution qui pourrait jouer ce rôle? Y a-t-il un autre mécanisme que vous pourriez ou que nous pourrions recommander? Par exemple, est-ce que, dans un an ou deux, le Bureau de la concurrence et divers représentants du milieu, comme vous, ne pourriez pas vous rassembler et évaluer les répercussions qu'a eues la loi pendant cette période?

M. Addy : Je ne sais pas à quoi pourrait ressembler l'outil parfait. Je m'inquiète seulement du fait que nous n'avons pas d'outil du tout. Est-ce que votre comité ne pourrait pas annoncer qu'il va se réunir de nouveau dans un an pour demander à la commissaire de faire le point sur les différents enjeux abordés? Ce serait déjà un bon départ. Je ne sais pas s'il s'agirait du mécanisme parfait, mais pour le moment, on ne fait rien d'autre.

Le président : Soyez sans crainte, nous ne laisserons pas le mieux être l'ennemi du bien. Si nous pouvons être utiles à quelque chose, nous verrons ce que nous pouvons faire.

Le sénateur Harb : Mon commentaire fait suite aux exposés de la Chambre de commerce du Canada, de l'Association du Barreau canadien et de l'Association canadienne de l'immeuble.

Je commence à croire que, comme la question a été renvoyée au Comité sénatorial des banques, peut-être devrions- nous prendre le temps qu'il faut pour l'étudier à fond. Nous devrions prendre le temps de nous assurer que les amendements qui sont proposés sont concrets et légitimes. Dans cette optique, le défi de la Chambre de commerce du Canada et des autres organismes consistera à proposer des amendements que nous pourrons présenter à notre tour au Sénat et pour donner suite à la volonté de la population. L'Association canadienne de l'immeuble et la Chambre de commerce du Canada ont soulevé le même point et donné le même exemple. Ainsi, aux termes de la loi, deux agents immobiliers qui se donneraient l'un l'autre en référence seraient considérés comme des criminels. Je recommande que nous étudiions les amendements proposés par ces organismes.

Le président : Je rappelle au comité que nous avons seulement jusqu'au 11 juin. Nous entendrons d'autres témoins lors de la séance de demain, que le sénateur Hervieux-Payette aura le plaisir de présider.

Je remercie les témoins d'avoir comparu cet après-midi.

(La séance est levée.)


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