Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 6 - Témoignages du 22 avril 2009
OTTAWA, le mercredi 22 avril 2009
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 40 pour examiner les éléments suivants du projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget 2009 : parties 1-6, parties 8-10 et parties 13-15, particulièrement ceux qui ont trait à l'assurance-emploi, et pour examiner le budget des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2010.
Le sénateur Joseph A. Day (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Merci à vous tous de vous être déplacés.
[Français]
Ce soir nous poursuivons notre étude des éléments du projet de loi C-10, Loi d'exécution du Budget 2009. Par la suite, nous étudierons le Budget des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2010.
[Traduction]
Hier matin, nous avons entendu les témoins d'Exportation et développement Canada ainsi que des Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Ce soir, nous continuons de nous intéresser à la partie 5 du projet de loi C-10. Comme je le soulignais hier, ce projet de loi comporte 13 parties, mais nous nous intéressons à la partie 5 qui concerne la stabilité et l'efficacité du système financier. C'est le titre que le gouvernement a retenu pour cette partie. Pour cela, nous avons le plaisir d'accueillir Avrim Lazar, président et chef de la direction de l'Association des produits forestiers du Canada. M. Lazar est accompagné de Marta Morgan, vice-présidente, Commerce et compétitivité, également de l'Association des produits forestiers du Canada.
Vous avez la parole pour vos remarques liminaires. Je ne pense pas que nous ayons reçu de document de votre part. Si vous en avez envoyé un, je ne l'ai pas encore vu.
Avrim Lazar, président et chef de la direction, Association des produits forestiers du Canada : Non, mais nous en rédigerons un plus tard. Vous avez déjà suffisamment de papiers comme ça. Nous croyons comprendre que vous affectionnez tout particulièrement le papier, ici.
Honorables sénateurs, merci de nous avoir invités pour traiter de cet excellent sujet. Dans le secteur forestier, nous apprécions tout particulièrement la stabilité du système financier, car l'instabilité est d'ailleurs l'un des plus gros problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis peu. Je vais vous parler brièvement des éléments composants le budget puis, si vous me le permettez, je vous parlerai un peu de la situation de notre industrie. Si vous êtes assez patients, je vous entretiendrai ensuite de ce qui pourrait être fait. Je vais essayer de faire tout cela en 10 minutes pour vous laisser suffisamment de temps pour les questions.
Nous retrouvons ici un grand nombre d'éléments que nous espérions voir dans le budget. Les éléments les plus importants sont sans doute ceux qui sont destinés à débloquer le marché du crédit. Nos clients, nos fournisseurs et les compagnies forestières dépendent tous du crédit. Comme vous le voyez, tout le monde est concerné. L'entrepreneur autochtone — nous travaillons avec des milliers d'entreprises autochtones — qui possède cinq gros camions de transport de billots de bois et qui ne parvient pas à faire renouveler ses prêts est aculé à la faillite. On vient lui prendre ses camions. La papeterie qui dépend d'emprunts n'est plus en mesure d'acheter du papier parce que la banque ne renouvelle pas les prêts. C'est ce qui arrive à tout le monde sur le marché, jusqu'à AbitibiBowater qui est actuellement en difficulté, non pas parce qu'elle n'a pas de marchés pour survivre, mais parce qu'aucune institution financière ne veut actuellement se risquer à renouveler un prêt. C'est très important.
Nous sommes heureux que le gouvernement ait placé cet aspect au centre de son budget. Nous sommes heureux de voir ce qu'il advient d'Exportation et développement Canada. Plus de 90 p. 100 de nos activités passent par Exportation et développement Canada. Nous sommes heureux que le gouvernement et EDC aient décidé de nous apporter un soutien plus actif.
Le budget renferme également des dispositions prévoyant le travail partagé sous le régime de l'assurance-emploi. C'est formidable. Des usines auraient pu fermer si les employés n'avaient pas été en mesure d'appliquer ce genre de programme. Cette disposition a permis à ces usines de continuer de travailler. C'est une bonne solution, favorable à la concurrence, grâce à laquelle les employés peuvent non seulement partager leurs difficultés, mais aussi les gains associés au maintien des emplois et de l'activité des usines.
Nous avons été un peu choqués de voir qu'on avait subrepticement glissé dans le budget la politique sur la concurrence. Je dis « subrepticement » parce que, si les parlementaires ont eu l'occasion d'examiner cette politique, celle-ci n'a fait l'objet d'aucune consultation. Ça m'a rappelé un peu la manière dont les Américains font de la politique quand ils glissent la construction d'un pont ou d'un autre ouvrage dans un projet de loi agricole. Ça nous a un peu surpris. Si nous avions été consultés, nous n'aurions pas accueilli favorablement ce genre de changement. L'économie canadienne est axée sur l'exportation. Nous sommes une petite économie ouverte. L'idée d'appliquer ici une politique favorisant les fusions, à l'instar de ce qui se fait aux États-Unis dont l'économie est davantage tournée sur elle-même, nous a surpris. Cela étant dit, c'est chose faite et il faut regarder l'avenir.
Comme beaucoup d'entre vous le savent sans doute, notre industrie continue d'employer directement 275 000 personnes — c'est-à-dire beaucoup de Canadiens — dans 300 villes qui dépendent de notre secteur. Malgré les 50 000 emplois que nous avons perdus au cours des deux dernières années, nous demeurons un très gros employeur. Beaucoup de nos emplois sont offerts dans les régions rurales, là où il est très difficile de trouver du travail. Presque tous ces emplois sont payés entre 30 et 50 p. 100 de plus que le salaire moyen. Beaucoup se situent dans la haute technologie, ce qui est difficile à trouver dans les régions rurales.
Nous souffrons énormément, à l'heure actuelle, à cause de l'effondrement des marchés. La demande de papier a chuté et elle ne retrouvera sans doute pas ses niveaux antérieurs. La demande de bois de sciage est en baisse, mais elle remontera, comme la demande de pâte. Les prix sont actuellement inférieurs aux coûts de production. La situation est difficile. Cependant, nous sommes optimistes quant aux chances de reprise. La demande de bois de sciage reprendra. Nous suivons les ventes de tentes aux États-Unis, et il semble que ce pays ne soit pas en train d'opter pour cette forme d'habitat. Les Américains continueront de vivre dans des maisons faites de bois. Compte tenu de la croissance démographique annoncée aux États-Unis, les Américains continueront d'avoir besoin de lieux où vivre et ils continueront de construire avec du bois canadien. Nous savons que ce marché reviendra. Le marché de la pâte reviendra aussi parce que la demande mondiale est en augmentation. En outre, il y a les économies émergentes. Des gens qui n'utilisaient pas de papier avant ou qui n'emballaient pas leurs produits en réclameront de plus en plus. Même les prévisions de croissance mondiale les plus modestes prévoient une progression de 2 à 3 p. 100. C'est énorme.
Ce qu'on ne dit jamais dans l'industrie canadienne du papier, c'est que nos concurrents souffrent encore plus que nous. Nous sommes conscients de la situation très difficile de l'industrie canadienne, mais on ne parle pas du fait que des usines russes ont dû fermer parce qu'elles étaient lourdement endettées, et on ne parle pas non plus de l'industrie brésilienne, qui était l'une de nos plus âpres compétitrices dans le secteur des pâtes, dont l'essor vient d'être brusquement interrompu. L'industrie brésilienne, aussi, est fortement financée. Les banques américaines ont tendance à rappeler les prêts brésiliens avant ceux qu'elles ont consentis ailleurs dans le monde. Cela a bloqué cette industrie dans son expansion. Les Européens se portent encore bien, mais certaines de leurs plus grandes entreprises ont opéré des compressions, outre que leur structure de coûts ne leur facilite pas les choses.
Ce qui est intéressant, c'est qu'à la reprise des marchés, nous serons bien positionnés. Le grand défi pour nous consistera à passer de notre situation actuelle à celle qui devra être la nôtre à la reprise des marchés, sans perdre de capacités entre-temps; nous devons nous demander comment nous préparer à prospérer sur des marchés revigorés. Si vous attendez le rebond pour préparer notre économie — c'est-à-dire si vous attendez que la reprise soit installée — quelqu'un d'autre, qui se sera préparé d'avance, viendra nous dérober notre part de marché. Nous avons donc deux missions : la première est de survivre assez longtemps pour pouvoir profiter de la reprise économique qui va arriver, comme nous le savons; et la deuxième consiste à nous préparer pour être plus compétitifs quand les marchés auront repris de la vigueur.
Le monde ne sera plus jamais le même. La demande sera énorme, mais ceux qui auront traversé cette récession en sortiront plus affamés et plus prêts que jamais à se battre. Nous devons nous demander comment nous préparer à cela.
Nous recommandons d'examiner les principes fondamentaux de notre secteur. Nous ne demandons pas aux gouvernements de stimuler l'augmentation des prix de la grume, parce que ce n'est pas là leur travail, mais nous leur demandons d'améliorer le climat des affaires et de faire d'autres choses fort simples.
D'abord, les gouvernements peuvent étendre et accélérer la dépréciation des immobilisations et permettre qu'elle soit plus prévisible. Pourquoi? Eh bien, parce que si les gens investissent dans les usines canadiennes, celles-ci seront plus efficaces et plus compétitives. Le gouvernement a fait un excellent travail en permettant l'accélération de la dépréciation, mais la progression d'un an ou deux à la fois est franchement loin d'être suffisante, parce qu'un scénario de planification est nécessaire pour les grands projets d'immobilisations et pour les investisseurs.
Deuxièmement, si le gouvernement a bien prévu un crédit d'impôt pour les investissements réalisés dans la recherche, celui-ci ne nous est accordé que si nous dégageons d'importants bénéfices en partant, ce qui est pervers. Autrement dit, il n'est pas possible de se prévaloir de ce crédit d'impôt à moins d'être déjà rentable. Or, c'est précisément quand on n'est pas rentable qu'on a le plus besoin d'un coup de main et, comme ce crédit d'impôt n'est pas remboursable, les entreprises qui investissent dans l'innovation et essaient de se débrouiller seules, plutôt que de réclamer les faveurs du gouvernement, se sentent abandonnées. Nous souhaiterions que ce crédit d'impôt soit remboursable.
Il existe d'autres moyens d'intervention à part le régime fiscal. Ceux qui nous ont déjà entendu témoigner savent que, selon nous, le monopole des chemins de fer est un véritable désastre pour les régions rurales du Canada. Ce ne sont pas les compagnies ferroviaires en soi qui sont le problème. Elles se comportent mal, mais elles se comportent intelligemment sur le plan des affaires. Ce qui ne va pas, c'est leur monopole. Plus de 80 p. 100 de nos usines dépendent d'une seule compagnie ferroviaire et, quand l'économie va mal, ces transporteurs ne diminuent pas leurs tarifs. Quand les prix du pétrole augmentent, les sociétés ferroviaires nous imposent une surcharge et, quand ils diminuent, rien ne change. Elles agissent comme n'importe quelle entreprise responsable le ferait en situation de monopole : elles traitent mal leurs clients en leur offrant un service de piètre qualité et en les surfacturant, parce que cela leur rapporte. Nous sommes un vaste pays et les collectivités rurales doivent faire venir ce dont elles ont besoin de marchés situés très loin. Si nos compagnies de chemins de fer, appliquant les pouvoirs que le gouvernement leur a donnés, facturent trop et offrent un mauvais service, les résidents des régions rurales perdent leur emploi. Nous ne réclamons pas la mort des sociétés ferroviaires. Nous respectons leur efficacité et leur capacité. Tout ce que nous disons, c'est qu'il faut favoriser la concurrence dans ce secteur.
Quand nous avons libéré le marché des télécommunications, Bell Canada a déclaré que plus personne ne pourrait se payer le téléphone. Bell avait besoin de son monopole pour attirer les investissements et pour servir les régions rurales. Après tout, qui irait installer une ligne téléphonique au Yukon sans avoir le monopole? Ce raisonnement est complètement insensé. Les prix ont diminué et les services se sont améliorés dans le domaine des télécommunications, justement grâce à la concurrence et nous pourrions faire la même chose dans le secteur des chemins de fer.
L'industrie est consciente que les marchés recherchent les produits verts et nous avons beaucoup fait pour améliorer nos résultats sur ce plan. Si le gouvernement pouvait nous aider en sanctionnant le virage vert que nous avons pris, nous pourrions plus rapidement trouver un avantage commercial sur les marchés. Le bois reste du bois et la pâte reste de la pâte tant que personne ne demande si les méthodes de production sont responsables. Nous pouvons distinguer ce qui était une simple composante d'un produit de consommation identifiable en faisant la promotion de nos valeurs environnementales et en poursuivant notre virage écologique pour devenir l'une des industries forestières les plus vertes du monde.
Je mentionnerai trois autres choses. Comme vous n'avez pas d'autres témoins à entendre, vous me permettrez peut- être de le faire.
Les Américains subventionnent la liqueur noire, qui est un biocarburant. La loi qui permet cela est plutôt étonnante et la plupart des sénateurs américains estiment que c'était une erreur. Si les Américains n'éliminent pas très vite cette subvention, il faudra bien que nous fassions quelque chose d'équivalent pour survivre. Cette subvention représente 300 $ la tonne de pâte qui se vend à 500 $ la tonne. Nous ne résisterons pas.
Il y a aussi l'accord sur le bois d'œuvre. Je constate que le débat dans l'autre Chambre est très animé pour savoir si le gouvernement peut nous aider à cet égard. Il s'agit d'un débat coloré, mais qui n'est pas toujours aussi instructif qu'on le souhaiterait. En bout de course, nous avons besoin de l'accord sur le bois d'œuvre, sans quoi nous risquons d'avoir de gros problèmes à cause de l'Amérique protectionniste, mais ce n'est pas une excuse pour que le gouvernement n'agisse pas. Bien des choses peuvent être faites sans pour autant contrevenir aux dispositions de cet accord. Je ne pense pas que le véritable débat se situe sur ce plan. Il faudrait que quelques avocats spécialisés en commerce international se demandent ce qui est permis et ce qui ne l'est pas, car ce n'est pas une question politique, mais une question technique.
Je m'arrête ici et je vous remercie encore une fois de nous avoir invités. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions. Nous apprécions l'intérêt que vous nous montrez.
Le président : Madame Morgan, voulez-vous ajouter quelque chose?
Marta Morgan, vice-présidente, Commerce et compétitivité, Association des produits forestiers du Canada : Non, merci.
Le président : Pourriez-vous un peu nous parler de l'Association des produits forestiers du Canada? Représentez- vous l'ensemble de l'industrie ou y a-t-il d'autres associations également?
M. Lazar : Nous ne représentons qu'une partie de l'industrie, soit les gens assez intelligents pour avoir adhéré à notre association. Heureusement, ils représentent 60 à 70 p. 100 de tout le secteur, selon la façon dont on les comptabilise. Nous sommes présents d'un océan à l'autre, de Terre-Neuve à l'île de Vancouver. Nous représentons plutôt les grandes entreprises, parce que les petites jugent plus intéressant d'être représentées à l'échelon régional et de faire partie d'associations provinciales. Nous ne représentons pas l'industrie auprès des provinces, car nous en laissons le soin aux organisations régionales. Nous représentons nos membres dans les questions nationales et internationales. Nous nous exprimons au nom de l'industrie à l'ONU. Je préside d'ailleurs le comité consultatif de l'ONU sur l'industrie forestière. Nous remplissons aussi ce rôle.
Le président : Est-ce que les associations provinciales sont aussi membres de votre association?
M. Lazar : Non, les associations provinciales sont indépendantes. Nous estimons que, si l'on cherche à tout uniformiser, on finit par ne plus avoir grand-chose à dire. Nous reconnaissons tous que, le mieux, c'est que les associations provinciales puissent avoir des politiques indépendantes. Les enjeux se recoupent et nous travaillons en étroite collaboration les uns avec les autres. Elles sont nos petites cousines et très souvent nos sœurs.
Le président : En préparation à cette rencontre, j'ai lu quelque part que vos membres doivent être certifiés par une tierce partie.
M. Lazar : C'est une des nombreuses décisions que nous avons prises sur le chapitre de l'environnement. Nous avons demandé aux gens ce qu'ils voulaient que nous fassions sur ce plan. Ils nous ont dit, tout d'abord, qu'il fallait leur donner la certitude que la source de nos produits était légale, parce qu'il se trouve que 10 p. 100 des produits forestiers dans le monde proviennent de sources illégales. C'est un énorme problème qui occasionne la déforestation, parce que ceux qui volent les arbres ne vont certainement pas en replanter le lendemain. C'est un énorme problème pour ce qui est du changement climatique. Tous nos membres doivent pouvoir prouver la légalité de leur exploitation. Le public veut que nous soumettions nos pratiques forestières à l'examen d'acteurs extérieurs et nos membres doivent donc se soumettre à des vérifications très strictes.
Nous nous sommes engagés à atteindre la neutralité sur le plan des émissions de carbone d'ici 2015 sans acheter de crédits, et cela de l'étape de la production à celle de l'élimination des produits dans la chaîne de valeur. Nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de huit fois par rapport au niveau de Kyoto. En fait, nous produisons suffisamment d'énergie verte dans nos usines pour remplacer trois réacteurs nucléaires. Ce n'est pas ce que je recommande. J'estime que nous devrions garder le nucléaire.
Le président : Je me propose d'examiner l'ensemble votre industrie au Canada, et pas uniquement vos membres, en regard du secteur de l'automobile qui fait actuellement couler beaucoup d'encre. Vous avez dit que votre industrie emploie actuellement 275 000 personnes.
M. Lazar : Directement.
Le président : Avez-vous aussi les niveaux d'emplois indirects?
M. Lazar : Les économistes au gouvernement disent qu'il faut multiplier les emplois directs par deux et parfois par trois. J'ai appliqué une formule économique magique consistant à multiplier par 2,5, estimant qu'on peut se tromper d'un demi-point dans un sens ou dans l'autre. Nous sommes assez près du million d'employés, sans le dépasser.
Dans une ville où il y a une usine, il y a aussi l'industrie touristique, mais l'activité commerciale tourne autour de l'usine. Les gens prennent l'avion, vont à l'hôtel et empruntent les taxis. L'entreprise de nettoyage exerce à l'usine. En ville, il y a bien sûr des commerçants, des avocats, des notaires et autres. On peut donc affirmer que deux emplois sur trois dépendent de l'usine, ce qui représente près de un million de Canadiens.
Le président : S'agissant des répercussions économiques, pouvez-vous faire la comparaison avec l'industrie automobile afin que nous ayons une idée de la taille de votre industrie?
M. Lazar : Nous employons plus de gens directement que l'ensemble des grands constructeurs automobiles, outre que nous ne sommes pas concentrés dans une ou deux circonscriptions; puisque nous sommes partout au Canada.
Je dois dire que certaines composantes de l'industrie automobile se sont merveilleusement adaptées aux nouvelles réalités, tout comme des segments de l'industrie forestière, mais il est indéniable que, dans l'avenir, c'est la valeur ajoutée aux ressources naturelles qui placera le Canada en position d'avantage économique, et c'est ce que nous faisons.
Le président : Savez-vous quel pourcentage du produit intérieur brut représente l'industrie forestière?
M. Lazar : La dernière fois que nous l'avons calculé, je crois que nous en étions à 2,25 p. 100.
Mme Morgan : C'était 2,1 p. 100 et nous représentons environ 12 p. 100 du PIB total du secteur manufacturier au Canada.
Le président : Avez-vous des chiffres en valeur monétaire? Je ne sais pas ce que représente le PIB.
Mme Morgan : Notre volume de production se situe actuellement dans les 65 milliards de dollars, ce qui est considérablement moins qu'il y a quelques années. Tout dépend de la date que l'on retient pour ces chiffres.
Le président : Et ça, ce sont les 12 p. 100?
Ms. Morgan : Oui.
Le président : Pourriez-vous nous situer par rapport à l'industrie automobile?
Mme Morgan : Nous sommes légèrement plus importants en pourcentage de l'économie totale et légèrement moins gros en pourcentage du secteur manufacturier. Pour ce qui est de l'emploi et de l'étendue, je dirais que nous sommes plus gros. Nos deux industries sont de taille comparable quant à la capacité manufacturière.
Le président : Avant de demander à mes collègues de vous poser des questions, pouvez-vous me dire à combien vous estimez le nombre de chômeurs dans votre industrie à l'heure actuelle? De combien parle-t-on?
M. Lazar : Au cours des deux dernières années, nous avons perdu environ 50 000 emplois.
Le président : Quand le marché reprendra, vous attendez-vous à retrouver ces 50 000 emplois dans l'industrie?
M. Lazar : Non, nous ne pensons pas retrouver tous ces emplois. Ce qui se produit notamment, dans une période comme celle-ci, c'est que les usines se regroupent, que les gens trouvent des façons plus efficaces de fonctionner et nous ne nous attendons pas à retrouver les niveaux d'emplois antérieurs. Cependant, nous voulons nous positionner de sorte à garantir les emplois à long terme grâce à des usines plus compétitives.
Le président : Voilà qui jette de bonnes bases et j'apprécie vos remarques. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Mitchell : Merci, monsieur Lazar et madame Morgan. Vous étiez venus nous rencontrer à l'occasion de la Loi sur l'accord de Kyoto, le projet de loi C-288. De tous les témoins que j'ai accueillis au comité, c'est de vous que je me souviens le plus. Je me souviens de vous et dans le bon sens du terme, ce que vous avez confirmé aujourd'hui.
D'ailleurs, j'ai cité votre organisation en exemple de réalisation environnementale. Quand vous aviez témoigné ici, il y a deux ans, vous étiez à 44 p. 100 sous la cible de Kyoto. Quand quelqu'un m'affirme qu'il n'est pas possible de réaliser les objectifs de Kyoto, je lui dis d'aller voir ce qu'a fait le secteur forestier. Vous en êtes maintenant à 48 p. 100, ce qui est huit fois plus que la cible de Kyoto, et lors de votre comparution à l'époque, nous avions aussi accueilli l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques qui était à 56 p. 100 sous la cible de Kyoto, ainsi que bien d'autres grandes organisations dont les membres traînaient de l'arrière. C'est donc possible et je vous remercie d'avoir montré le chemin.
Je suis intéressé par votre argument en faveur d'une politique nationale de l'énergie verte. Pourriez-vous nous expliquer davantage ce que vous entendez par là et nous dire ce que vous y inscririez si vous étiez premier ministre?
M. Lazar : Merci, sénateur, pour vos aimables remarques. Il est rare qu'un lobbyiste soit complimenté et c'est très agréable.
En ce qui concerne la politique nationale d'énergie verte, ce qui nous intéresserait le plus est la bioénergie. En règle générale, d'un point de vue politique, la bioénergie a toujours été le cousin pauvre des énergies éolienne et solaire. Je suppose que ce sont ces deux formes d'énergie qui viennent à l'esprit des gens quand ils pensent aux énergies renouvelables, mais le Canada a une capacité de production bioénergétique beaucoup plus importante que l'éolien et le solaire.
Nous aimerions avoir une politique qui repose sur une évaluation globale du bien public. Vous pouvez très bien opter pour une forme d'énergie ou une autre, mais nous voulons que quelqu'un réfléchisse à cela et nous avons d'ailleurs lancé une étude sur la biomasse forestière et nous nous sommes demandé, à partir des différentes utilisations envisageables, quel pouvait être le rendement économique et le rendement social et quelle serait l'empreinte environnementale?
Vous pourriez, par exemple, adopter des mesures incitatives favorisant l'utilisation du bois pour le chauffage, car ce serait une forme d'énergie verte en remplacement des hydrocarbures, mais vous ne créeriez qu'un septième des emplois et n'obtiendriez qu'un septième des retombées sociales par rapport à l'utilisation du bois dans des applications manufacturières. Nous sommes très inquiets de voir que certains gouvernements, qui se montrent enthousiastes envers les énergies renouvelables, ne retiennent qu'une seule partie de l'équation en se disant, par exemple, qu'il leur suffit de brûler le bois pour atteindre le niveau de 20 p. 100 d'énergie renouvelable.
Du point de vue environnemental, si vous remplacez les combustibles fossiles par du bois, vous devez envisager la question sous l'angle du cycle de vie du produit. Si vous envoyez une équipe de bûcherons avec un gros camion en plein milieu de la forêt pour couper un arbre, le traîner jusqu'à une chaudière où vous le brûlerez, et si vous comptez uniquement l'impact environnemental de la chaudière, vous vous mettez le doigt dans l'œil. Ce n'est guère différent de ces étranges politiques que les Américains ont appliquées dans le cas du maïs, politiques qui donnent lieu à une monoculture pratiquée sur d'énormes superficies, amendées avec de gros volumes d'azote qui consomment énormément d'hydrocarbures et qui nous font croire qu'il y a amélioration parce que ce biocarburant sert à faire avancer votre voiture.
Nous aimerions que la politique retenue au Canada découle d'une analyse du cycle de vie tenant compte des impacts environnementaux et sociaux. Nous ne doutons pas qu'une telle politique, tenant compte des déchets produits, serait gagnante pour tout le monde. Attention si vous vous contentez de récolter du bois pour le transformer en bioénergie.
Nous avons, par exemple, réduit nos rejets de 40 p. 100 en brûlant nos déchets dans nos usines, ce qui nous permet de diminuer énormément les gaz à effet de serre dus au méthane, particulièrement néfaste, produit par les sites d'enfouissement. Il est parfaitement sensé de brûler les déchets. En retirant le méthane des sites d'enfouissement, vous obtenez un déchet biologique que vous pouvez transformer en énergie verte. C'est fantastique.
Vous pouvez également aller au-delà en cultivant et en récoltant de la biomasse pour la transformer en énergie, ce qui fonctionne parfois comme dans le cas de l'aulne ou d'autres cultures à croissance rapide. Cependant, à moins que vous ne vous appuyiez sur une analyse du cycle de vie, vous risquez de vous retrouver avec une politique publique qui passe à côté de tous les impacts environnementaux et très certainement sociaux.
Le sénateur Mitchell : Poursuivons le débat sur l'éthanol. Vous venez de dire ce que l'on entend souvent, soit que l'éthanol revient à brûler un aliment. Je suis toujours frappé de voir que personne n'invoque le fait que nous buvons de la bière et du vin et que, pour cultiver les intrants de ces deux boissons, on utilise des superficies qui pourraient aussi servir à produire des aliments pour nourrir les gens. On peut manger le raisin, mais il n'arrive pas sur la table sous cette forme.
Ce n'est actuellement pas facile dans le cas de l'éthanol, mais si vous ne commencez pas quelque part, vous ne mettrez jamais au point les nouvelles technologies qui en sont maintenant à leurs balbutiements. Il y a toujours une bonne raison de ne pas mener à terme une invention. Nous en sommes au début dans le cas de l'éthanol et une technologie pourrait consister à utiliser les déchets du bois. Savez-vous si des progrès ont été réalisés à cet égard?
M. Lazar : Bonne remarque, sénateur. On ne peut avoir la solution parfaite en partant et il faut travailler très fort. Il existe, dans le cas de l'éthanol, des solutions dont les impacts sociaux, économiques et environnementaux sont excellents. Il faudrait sans doute que je fasse un gros effort pour admettre que le maïs américain est un exemple du genre. En revanche, dans les Prairies canadiennes, il y a toutes sortes de projets qui constituent d'excellentes utilisations des cultures pour la production d'éthanol. Il y a des projets pilotes menés un peu partout au pays.
Mme Morgan : Pour l'instant, la principale source de bioénergie dans l'industrie des produits forestiers est constituée par les déchets du bois, plus exactement par les déchets qui sont transformés en liqueur noire, sous-produit de la transformation du bois en pulpe.
L'un des grands domaines de recherche actuels est la création d'éthanol cellulosique, c'est-à-dire l'éthanol obtenu à partir de la fibre du bois. Cette forme d'éthanol présente de nombreux avantages du point de vue efficacité parce qu'on obtient beaucoup plus d'énergie pour un même type de fibre. On en est à la phase de R-D. Des entreprises aux États- Unis sont en train d'essayer de le commercialiser. Voilà où on en est pour ce qui est du développement technologique.
C'est une des voies et il en existe plusieurs que l'industrie forestière et le Canada pourraient suivre dans le cas des bioénergies et des biocarburants. Par ailleurs, en biochimie, la fibre ligneuse pourrait remplacer les combustibles fossiles dans la production de produits chimiques qui seraient essentiellement verts. Tout cela fait actuellement l'objet d'un examen attentif. Le Canada se trouve dans une phase déterminante parce qu'en tant que petit pays, il lui faut miser sur certaines de ces technologies en essayant de déterminer lesquelles lui rapporteront le plus sur les plans économique, social et environnemental de sorte à investir dans les quelques-unes qui seront rentables à terme.
Le sénateur Mitchell : Ce qui se passe dans l'industrie du pétrole lourd illustre parfaitement, par sa contradiction, ce dont vous parlez. Je viens de l'Alberta. Là-bas, on entend souvent dire qu'il n'existe pas de technologie pour capter le carbone. Pourtant, quand on a commencé à transformer le pétrole lourd, la technologie de raffinage n'était pas au point et on était très loin d'une solution commerciale, ce qui n'a pas empêché les gens de persévérer. Je pense que c'est donc possible dans votre cas en ce qui concerne la transformation de la fibre ligneuse en d'autres sources d'énergie.
Il est quasiment certain que les Américains adopteront un système de droits échangeables. Or, je crois que notre gouvernement n'y est pas prêt. Avez-vous une idée des problèmes que pourrait éprouver votre industrie à cause du système d'échange de permis pour lequel nous ne sommes pas prêts? Ce système sera, par exemple, assorti de compensations. Avez-vous réfléchi au genre de compensations monnayables auxquelles vos biocarburants pourraient donner droit?
M. Lazar : Bien sûr. Nous pensons que le système de droits échangeables pourrait, soit être brillant, soit, au contraire, s'avérer une catastrophe. Tout dépend de la façon dont il sera mis en œuvre, de l'octroi des capacités d'émissions et des crédits consentis pour toute mesure prise par anticipation. Il faudra savoir, par exemple, si l'on accepte les méthodes de captage ainsi que les produits proposés, et si les producteurs seront tenus responsables de ce qui se passe à la fin du cycle de vie. Dans notre cas, la question est de savoir quels crédits on accorderait aux usines. Elles pourraient n'émettre absolument aucune émission et, au net, nous pourrions viser un objectif de 100 p. 100 d'énergie renouvelable. Cependant, si le papier que nous produisons se retrouve dans des décharges, il se transformera en méthane nocif pour l'environnement.
Il conviendra, surtout, d'effectuer des analyses très poussées sur le cycle de vie dans le contexte d'une bourse du carbone pour éviter l'adoption de mesures de stimulation perverses en un point de la chaîne de valeur dans le dessein de provoquer certains résultats.
Les Européens, par exemple, qui ne s'intéressent qu'à l'utilisation des biocarburants, s'approvisionnent en granulats de bois auprès du Canada. De notre côté, nous envoyons des équipes en pleine nature pour couper les arbres et les transformer en granulats, que nous acheminons par bateau jusqu'en Europe et les Européens considèrent que tout cela représente un avantage sur le plan environnemental parce qu'ils ne font que brûler du biocarburant. Il sera essentiel que la bourse du carbone tienne compte de tout le cycle de vie.
Il y a autre chose, dont nous avons parlé avec le gouvernement, soit l'humeur protectionniste qui règne aux États- Unis et dont nous ne pourrons nous affranchir. Il est normal, dans une démocratie, qu'en situation de perte d'emplois, le gouvernement subisse des pressions pour aider sa population, et le protectionnisme est une réaction possible. Comme il n'est pas question de s'avouer protectionniste, le protectionnisme prendra toutes sortes de déguisements, comme le système de droits échangeables et la lutte contre le réchauffement climatique, et l'on peut s'attendre à ce que le protectionnisme montre son visage en filigrane à la bouse du carbone.
Nous avons invité le ministre Prentice, les gens de son ministère et le ministre Day à demeurer en contact étroit avec nous quand ils négocieront ce système d'échange. Ils risquent, a priori, de penser que ce qui est proposé est logique parce qu'ils n'auront pas tous les détails techniques, mais par un simple changement de la définition vous risquez fort de parvenir à un résultat différent. Je suis très proche de mes homologues américains dans l'industrie et je dois vous dire qu'ils envisagent de procéder ainsi.
Le sénateur Ringuette : Merci de vous être déplacés. Il y a une usine de pâte dans ma ville. Il semble qu'à l'heure actuelle la question de la liqueur noire est très importante. Vous en avez parlé. Pourriez-vous renseigner davantage le comité sur les répercussions de cette question sur les coûts et sur le genre de mesures que vous souhaitez?
M. Lazar : Madame Morgan, voulez-vous parler des répercussions sur les coûts? Nous avons un peu étudié la question, mais où en sommes-nous?
Mme Morgan : Pour situer le contexte, il faut dire que le gouvernement américain, à la faveur de son train de mesures de relance adopté l'année dernière, a apporté des modifications au régime de crédit d'impôt consenti aux producteurs d'énergies de substitution. Les usines de pâtes ont désormais accès à ce crédit.
Cette industrie peut se prévaloir de ce crédit d'impôt en utilisant la liqueur noire, qui est un déchet de production, en tant que combustible renouvelable. L'industrie des pâtes s'en sert depuis de nombreuses années pour répondre à ses besoins énergétiques. Grâce à ce crédit d'impôt, elle peut désormais y ajouter du diesel, c'est-à-dire un combustible fossile, et réclamer la subvention que nous estimons entre 200 et 300 $ la tonne de pâte. Comme le coût de production de la pâte est actuellement de 500 $ la tonne environ et qu'on a même vu des prix du marché au comptant inférieurs à 400 $ la tonne, il s'agit donc d'une subvention très importante.
Nous sommes en train d'analyser l'impact de cette mesure sur les usines canadiennes, mais nous pouvons déjà affirmer qu'il pourrait être énorme, selon la durée pendant laquelle cette mesure demeurera en place. Des compagnies de pâtes et papier, qui ont des usines de l'autre côté de la frontière, songent très sérieusement à fermer leurs opérations canadiennes et à relancer leurs usines américaines qu'elles avaient fermées. C'est ainsi que des usines américaines beaucoup moins efficaces seront remises en production, tandis que des usines canadiennes plus efficaces seront fermées. Nous n'avons pas encore les chiffres, mais il faut s'attendre à un impact très marqué étant donné l'importance de cette subvention.
Le sénateur Ringuette : Je vous ai aussi demandé quelles mesures vous aviez prises jusqu'ici pour essayer de contrer cette subvention sur la liqueur noire dont bénéficient vos homologues aux États-Unis.
M. Lazar : Il existe trois possibilités qui ne sont pas plus intéressantes les unes que les autres. La première consiste à espérer que cette subvention soit retirée, ce qui peut paraître absurde, mais qui ne l'est pas parce qu'il est tout de même étonnant qu'on consente une telle subvention à une industrie pour ajouter du combustible fossile à un biocarburant. Le Sénat américain a clairement indiqué qu'il ne s'attendait pas à ce que cette subvention soit maintenue très longtemps. Les sénateurs sont moyennement scandalisés, mais cette option est sans doute la pire des trois, parce qu'à la façon dont fonctionne le système américain, on sait que les compromis prennent du temps.
Les usines de pâtes américaines recevront sous peu un financement. International Paper perçoit actuellement 70 millions de dollars par mois qu'elle peut consacrer à la modernisation de ses usines afin de devenir plus compétitive, même si cela ne devait durer que quatre ou cinq mois. Étant donné le mauvais état des marchés, nos usines ne pourront pas résister à cela. Il faut s'attendre à des fermetures d'ici deux ou trois mois. Même s'il y a de bonnes chances que cette subvention ne soit pas maintenue, il serait fou que nous misions là-dessus.
La deuxième solution consisterait à dire aux Américains qu'il faut arrêter, que ce n'est pas juste et que ça constitue un obstacle au libre-échange. Ce qui m'inquiète, c'est que si nous faisons trop de bruit et que les Américains se rendent compte que c'est vraiment mauvais pour les emplois au Canada, ils en viennent à se dire que ce n'est pas forcément une mauvaise idée. Nous avons beaucoup hésité à menacer les Américains à cause d'un possible retour de bâton.
La seule chose que l'on puisse vraiment faire consisterait à compenser cette subvention en adoptant un programme canadien. Nous ne recommandons certainement pas que ce programme soit régressif sur le plan environnemental, comme l'est le programme américain, mais il serait bien que celui-ci sanctionne le rendement écologique.
Toute la question est à présent de savoir comment s'y prendre. S'agirait-il, par exemple, d'un programme moins héroïque que celui adopté par les Américains, mais qui consisterait à verser des subventions pour encourager le rendement écologique à long terme ou plutôt d'un programme aussi radical que celui de nos voisins étant entendu que nous devrions y mettre un terme quand eux arrêteraient le leur? Sera-t-il spécifique au secteur forestier au risque d'attirer l'attention des avocats américains spécialisés dans l'accord concernant le bois d'œuvre? Sera-t-il d'application générale et fera-t-il lourdement appel au Trésor fédéral?
En vérité, il n'y a rien de facile. Les ministres et les hauts fonctionnaires avec qui nous nous sommes entretenus se sont montrés particulièrement mobilisés et nous pensons qu'il existe un véritable désir de parvenir à une solution viable, ce que nous souhaitons être pour bientôt.
Le sénateur Ringuette : Je l'espère aussi. Les trois dernières années ont été particulièrement désastreuses pour les petites collectivités dans votre industrie. Il n'a pas été question de plan de sauvetage de la même ampleur que ce dont on parle actuellement pour d'autres secteurs.
On a l'impression qu'à Ottawa, les gens pensent qu'il y a tellement de forêts au Canada — et cette position n'est pas due à la politique — que l'industrie forestière pourra survivre pendant des décennies, tandis que d'autres secteurs risqueraient de péricliter faute d'intervention.
Vous voyez ce que je veux dire. C'est très préoccupant. Je suis également d'accord avec cette question du monopole des chemins de fer qui est très coûteux pour l'industrie en ce qui concerne le transport des marchandises des collectivités rurales jusqu'aux Réno-Dépôt et Home Depot de ce monde.
L'accord sur le bois d'œuvre prévoit que l'industrie forestière américaine dispose de 1 milliard de dollars pour explorer d'autres marchés. Les Canadiens, eux aussi, doivent se tourner vers d'autres marchés. Or, quel genre d'aide le gouvernement fédéral apporte-t-il à l'industrie canadienne pour lui permettre de trouver et d'exploiter de nouveaux marchés?
M. Lazar : Bonne question. En fait, le budget précédent prévoyait des fonds importants au titre du développement des marchés et j'en accorde tout le mérite au gouvernement. J'aurais souhaité plus, mais je ne peux pas dire que ce montant n'est pas raisonnable.
Comme nous nous intéressions plus à la compétitivité à long terme plutôt qu'à court terme, nous avions réclamé des fonds pour la recherche, l'innovation et le développement des marchés, estimant que c'était la voie de l'avenir. Tous ces aspects se sont retrouvés dans le budget.
Serait-il utile d'en avoir plus? Toujours. Cependant, je m'inquiète maintenant davantage des facteurs qui conditionnent notre compétitivité de base, c'est-à-dire les taxes et impôts, les chemins de fer et la structure des coûts au Canada
Le sénateur Ringuette : La liqueur noire.
M. Lazar : C'est exact. Si nous avons un produit compétitif à un prix raisonnable, nous trouverons toujours une façon de le vendre. En revanche, si ce que nous offrons coûte plus cher que ce qui est produit ailleurs, ce n'est certainement pas la distribution d'épinglettes du Canada en Asie qui viendra nous sauver. Nous avons des produits de qualité, il nous reste à miser sur le prix.
Le sénateur Ringuette : Une autre petite question. Avez-vous exposé vos desiderata à un comité de la Chambre des communes?
M. Lazar : Pas récemment, nous étions beaucoup intervenus dans les mois passés, mais je crois que cela fait déjà un moment que nous ne l'avons pas fait.
Mme Morgan : Vous avez témoigné devant un sous-comité du Comité permanent de l'industrie, des sciences et de la technologie, il y a trois ou quatre semaines. De plus, le Comité permanent des ressources naturelles a publié un rapport complet sur l'industrie forestière l'année dernière.
Le sénateur Ringuette : Il y a eu bien des développements.
M. Lazar : Ce rapport est excellent. Il est le résultat du travail de tous les partis et il énonce un grand nombre de mesures qui n'ont pas encore été mises en œuvre. Les parlementaires ont fait un excellent travail à ce sujet et ils ont évité de tout tirer vers le bas. Son contenu est pas mal à la pointe.
Le sénateur Neufeld : Merci pour votre présence. C'est intéressant d'entendre ce que vous avez à nous dire et je suis certain que vous êtes au courant de l'épidémie de dendroctone du pin en Colombie-Britannique et dans l'Ouest du pays.
En Colombie-Britannique, nous sommes beaucoup intervenus pour ces peuplements forestiers, plutôt que de risquer qu'ils soient la proie des flammes, ce qui se produira sans doute un jour ou l'autre. L'éthanol cellulosique est un des axes d'intervention dans lequel le gouvernement de la Colombie-Britannique a investi beaucoup d'argent au titre de la recherche et du développement, notamment pour que ce produit soit également mélangé avec du diesel. Tout cela est en cours.
C'est la même chose dans le cas des granulats. Il s'agit d'un déchet du bois pour lequel il existe un marché. L'industrie — et je suis d'accord avec vous à ce sujet — est très novatrice et elle est en mesure de produire de tels granulats, de les envoyer en Europe où ils sont mélangés avec du charbon pour produire de l'électricité et donner lieu à des crédits. Ce marché est énorme et il concerne des déchets que nous avions simplement l'habitude de brûler sur place. Vous connaissez bien sûr la technique du brûlis. La question est donc de savoir si on laisse simplement les déchets sur place pour les brûler à certaines périodes de l'année ou si on les dirige vers un point central? Cela coûte bien sûr de l'argent, prend du temps et consomme de l'énergie.
Il faut examiner de près toutes ces choses-là.
Ce sont des marchés. En Colombie-Britannique, des entreprises utilisent les déchets de production pour remplacer le gaz naturel et elles s'en sortent très bien. J'ai d'ailleurs visité certaines de ces usines en Colombie-Britannique et j'ai vu que l'industrie était encouragée à vendre plus d'électricité au réseau. Elle produit déjà de l'électricité pour répondre à ses propres besoins, mais en plus elle a la possibilité d'utiliser ses déchets pour vendre l'électricité excédentaire au réseau.
Je suis d'accord avec vous, l'industrie est très novatrice et elle a travaillé très fort dans certains domaines. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, lui aussi, a travaillé très fort pour collaborer avec l'industrie afin de trouver de nouveaux débouchés et il continue de le faire dans le cas du développement des marchés. Un pour cent des droits de coupe en Colombie-Britannique est consacré au développement de marchés, surtout en Asie et en Chine pour essayer de diversifier les marchés plutôt que de se limiter aux États-Unis. Tout cela est certainement plus délicat qu'un projet décidé le vendredi après-midi et réalisé le lundi.
Vous n'avez parlé de rien de tout cela, bien que certaines de ces choses soient en train de se dérouler au Canada. Je tenais à rappeler pour mémoire ce qui se passe en Colombie-Britannique.
Je vais vous poser une question au sujet des chemins de fer. Je ne suis pas en désaccord avec vous et je reconnais qu'ils sont en situation de monopole. Aimeriez-vous voir davantage de compagnies ferroviaires?
Souhaiteriez-vous que les voies soient offertes à des usagers multiples pour favoriser la concurrence?
Que recommanderiez-vous? Il faut être conscient qu'à cause de la géographie de la Colombie-Britannique, la construction d'une voie de chemin de fer dans cette province ne correspond pas du tout au même exercice que dans le sud de l'Alberta. Il faut accéder à un port. Il faut aboutir à un point sur l'océan Pacifique d'où il sera possible d'acheminer nos produits ailleurs. Ainsi, qu'est-ce qui favoriserait ce genre de compétitivité?
Mme Morgan : Différentes options sont envisageables. Vous avez vu ce que la mise en concurrence a donné dans le secteur des télécommunications. Vous pourriez envisager d'appliquer des droits de circulation qui permettent, essentiellement, aux autres acteurs, aux autres exploitants de chemins de fer, d'emprunter les voies des grandes compagnies ferroviaires. Ainsi, vous favorisez la concurrence.
M. Lazar : Ce serait fondé sur un dédommagement équitable.
Mme Morgan : Oui. Vous pourriez fixer un tarif permettant à une compagnie ferroviaire d'exploiter les voies d'une autre compagnie, moyennant un tarif préétabli. C'est ce que prévoit déjà la Loi sur les transports au Canada dans les régions urbaines. Tout expéditeur qui a accès à plus d'un transporteur ferroviaire dans un rayon de 30 kilomètres peut se prévaloir d'un tarif d'interconnexion pour bénéficier du service le plus concurrentiel. Ça fonctionne bien. C'est pour ça que vous n'entendez pas se plaindre les expéditeurs qui se trouvent dans les régions urbaines : ils ont accès à la concurrence contrairement à ceux qui se trouvent en régions rurales.
Il ya plusieurs façons de parvenir à ce résultat et des variantes de cette formule ont été appliquées dans d'autres industries. Nous estimons qu'il est temps que le gouvernement envisage d'entreprendre une réforme de fond.
Le sénateur Neufeld : J'apprécie ce que vous dites. Je suppose que ça peut fonctionner dans certaines régions, mais je veux dire une chose au sujet de la situation en Colombie-Britannique. Pour acheminer des produits vers la côte Ouest, il faut franchir les Rocheuses. Je ne suis pas un spécialiste des chemins de fer, mais j'ai beaucoup parlé de cette question en Colombie-Britannique. De nos jours, il n'est pas possible de faire circuler plus de trains sur le réseau existant. Le trafic a nettement diminué et il conviendrait de revenir à ce qui se faisait à l'époque où c'était plus occupé. Vous pourriez sans doute faire cela aujourd'hui. Vous pourriez extraire davantage de charbon dans la partie sud-est de la province, mais vous ne pourriez pas l'acheminer vers les ports de la côte. À cet égard, ce n'est donc pas différent de ce qui se passe avec le bois. Il n'y a tout simplement plus de place sur ces voies de chemins de fer — celles du CN, du CP et de BC Rail, mais dans le sens est-ouest, c'est uniquement celles du CN et du CP — et il faudra que quelqu'un absorbe des coûts énormes pour poser plus de voies, pour doubler celles qui existent ou pour les jumeler afin d'accroître le trafic.
Votre formule peut fonctionner dans d'autres parties du Canada, mais vous vous retrouverez toujours avec un goulot d'étranglement au niveau des Rocheuses.
Mme Morgan : Ce sont deux questions distinctes. Il y en a une qui concerne la capacité globale de notre système de transport. Avant la récession, il existait de graves problèmes de capacité globale du réseau ferroviaire et du système portuaire dans l'Ouest du Canada et dans l'Ouest des États-Unis. L'amélioration de cette infrastructure est à la fois difficile et coûteuse, mais il va bien falloir composer avec cette situation en Amérique du Nord, parce que ce problème ne manquera pas de rejaillir.
L'autre question qui se pose consiste à savoir si l'on obtient un prix compétitif dans le cadre d'un système de transport limité. Malgré les actuelles limites de capacité, la mise en concurrence devrait favoriser des prix plus justes et plus concurrentiels et sonner le glas des rentes de rareté du service qui sont attribuables aux chemins de fer.
M. Lazar : Le calcul est simple. Il suffit de comparer les lignes où règne la concurrence avec celles où il y a une situation de monopole. La différence saute aux yeux.
Le sénateur Neufeld : Je ne suis pas en désaccord avec vous. La concurrence est une bonne chose. Je suis tout à fait favorable à la concurrence, mais après ces échanges, je vous proposerais de vous joindre à nous pour nous aider, en Colombie-Britannique, à amener le reste du Canada et surtout la ville où nous nous trouvons actuellement à reconnaître tous ces problèmes. À la faveur de l'agrandissement du port de Vancouver, des ponts et des routes ont été construits pour favoriser l'acheminement de marchandises. Cela nous a un peu aidés, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. Le véritable problème, c'est de faire passer les marchandises par les Rocheuses. Ce n'est pas aussi simple qu'on pourrait le penser. Vous pourriez nous aider à améliorer la situation dans cette partie de la province. Pour stimuler l'activité, il faut plus de voies ferrées. Je ne suis, cependant, pas en désaccord avec vous au sujet de la concurrence.
M. Lazar : L'industrie se heurte à un problème de transport et nous nous réjouissons de pouvoir travailler avec les parlementaires qui veulent collaborer avec nous dans ce dossier. Nous avons eu des entretiens avec le ministère des Transports et le ministre d'État, M. Merrifield, qui s'intéresse davantage à ce dossier parce que le ministre Baird doit débloquer les fonds destinés aux infrastructures, ce que nous applaudissons. Nous devinons aussi une grande ouverture chez les parlementaires désireux de trouver des solutions pratiques.
Le sénateur Neufeld : Je suis heureux de ce que vous avez dit au sujet de l'accord sur le bois d'œuvre, parce que beaucoup affirment qu'il faudrait le déchirer ou le renégocier entièrement. Je ne prétends pas qu'il soit parfait, et vous le connaissez sans doute mieux que moi, mais nous devons nous réjouir de son existence parce que l'industrie serait en bien plus mauvaise posture qu'elle ne l'est aujourd'hui sans cet accord.
M. Lazar : L'homme d'affaires qui estime ne pas être en mesure d'assurer la survie de son entreprise jusqu'à la fin de l'année pourrait se dire que, sans l'accord sur le bois d'œuvre, le gouvernement devrait lui lancer une bouée de sauvetage. D'où sa conclusion qu'il y aurait peut-être lieu de se débarrasser de cet accord. Pourtant, la majorité des acteurs de l'industrie qui envisagent d'être encore actifs dans les années à venir estiment qu'il serait téméraire de se lancer dans une telle aventure.
Le sénateur Neufeld : Je ne veux pas tant parler de l'industrie que des partis politiques. Vous n'avez pas besoin de réagir à ce propos, parce que je peux tirer les conclusions qui s'imposent.
Le président : C'est ce que nous pouvons tous faire à notre niveau.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Lazar, avec ce que vous nous avez dit dans vos remarques liminaires, je suis étonné que le représentant d'une industrie qui a subi de tels revers se présente ici avec une attitude très positive qui nous amène à lui prêter une oreille attentive et à prendre ses propos au sérieux en espérant que nous contribuerons à faire un peu avancer sa cause. Merci beaucoup pour cela, c'est très rafraîchissant. Il nous arrive trop souvent de n'entendre parler que du côté négatif des choses.
Je vais revenir sur une question qu'a posée mon collègue. Nous sommes tous deux des rats des villes. Je crois que nous comprenons la situation, mais en ce qui me concerne, j'aimerais savoir comment on utilise la liqueur noire. Certes, il s'agit d'un combustible, mais comment l'utilise-t-on?
M. Lazar : Tout dépend du parti à qui vous vous adressez. Je plaisante.
Le sénateur Di Nino : Cela intéresse également notre auditoire qui se pose sans doute des questions.
M. Lazar : Si vous me le permettez, je vais revenir sur le caractère positif de la question, parce qu'il y a un aspect sur lequel il vaut la peine de s'arrêter un peu. Commençons par la liqueur noire. La fibre de tout arbre servant à faire le papier est liée par la lignine, sorte de colle. C'est cette colle qui est transformée en liqueur noire, un peu comme le pétrole. On élimine ce polymère à l'étape de la fabrication du papier et on peut ensuite le brûler comme du pétrole. On l'appelle liqueur noire à cause de sa couleur. Les chimistes baptisent « liqueur » tout ce qui est une solution. Il s'agit d'un produit naturel qui lie les fibres de l'arbre ensemble. Pour faire de la pâte, puis du papier, il faut séparer les fibres.
Le sénateur Di Nino : Jusqu'ici, je comprends, mais comment utilisez-vous ce produit?
M. Lazar : Nous l'utilisons dans les chaudières à la place du pétrole pour produire de la vapeur et faire tourner l'usine.
Le sénateur Di Nino : C'est donc un combustible qu'on brûle?
M. Lazar : C'est exact. Nous utilisons la plus grande partie de la liqueur noire pour alimenter les usines en électricité, ce qui nous permet de ne pas consommer de combustible fossile. Je pense qu'à l'heure actuelle, nous produisons jusqu'à 60 p. 100 de notre énergie à partir de ressources renouvelables, essentiellement sous la forme de liqueur noire. Nous utilisons aussi la sciure et les écorces que nous ramassons sur le plancher. Les usines de pâtes dépendent surtout de la liqueur noire provenant du processus de dépulpation qui consiste à séparer les fibres. Cette sorte de mélasse noire est un sous-produit de ce processus.
Le sénateur Di Nino : Pouvez-vous utiliser la liqueur noire plus efficacement?
M. Lazar : Oui.
Le sénateur Di Nino : Comment les Américains subventionnent-ils cela?
M. Lazar : C'est toute une histoire. Ça deviendra un classique de l'administration publique.
Les Américains se sont dit, à juste titre, qu'il fallait augmenter le pourcentage de combustible renouvelable dans leurs véhicules. Comme ils voulaient le faire pour le camionnage et le transport commercial, ils ont adopté un stimulant pour que les entreprises optent pour les biocarburants. Pour obtenir la subvention de 50 ¢ par gallon, il fallait ajouter une quantité minimale, je ne me rappelle pas combien, mais au moins 10 ou 15 p. 100 de biocarburant au diesel. Un ingénieur éclairé travaillant pour une usine de pâtes américaine a alors dit qu'il suffisait de brûler du bois contenant un certain pourcentage d'énergie biologique dans du diesel. Comme le bois est entièrement biologique en partant, on lui a ajouté du diesel.
La loi le permet. On ne parle pas ici simplement de millions de dollars, mais bien de milliards de dollars qui sortent de la poche des contribuables américains pour aller dans celle d'entreprises qui n'ont absolument pas amélioré leurs performances environnementales. Évidemment, certaines des entreprises bénéficiaires, jadis athées en matière d'environnement, sont en train de se convertir. C'est un miracle. Des sénateurs disent qu'ils n'auraient jamais imaginé cela, tandis que d'autres se demandent s'il faut supprimer cette subvention. Le sujet est politiquement délicat aux États- Unis, mais il est le résultat d'un accident survenu sur le plan de l'administration publique.
Le sénateur Di Nino : Je pense comprendre.
M. Lazar : Parlons un peu, maintenant, de souffrance et de promesse. Il serait injuste de ne pas parler des deux. Dans les villes touchées par la fermeture d'une usine, les gens ne font pas que perdre leur emploi, ils perdent tout leur tissu social. Tout ferme — le restaurant et l'épicerie. J'ai parlé avec quelqu'un dont l'oncle possédait une épicerie et dont la belle-sœur conduisait un taxi. Tous deux ont perdu leur emploi. Pas question de vendre la maison pour laquelle vous avez économisé toute votre vie, parce qu'il n'y a plus de communauté autour.
Les répercussions sur le plan médical sont très grandes. Soudainement, on constate l'apparition de maladies liées au stress, sans compter les répercussions sociales. Les adolescents se conduisent plus mal qu'à l'habitude. Il y a des cas de violence familiale. C'est très dur et si l'on peut toujours estimer, d'après les statistiques, que c'est simplement le résultat d'une économie ébranlée, la situation est bien pire pour des petites villes unisectorielles comme les nôtres. Autour de soi, on a l'impression que c'est la fin du monde.
Ce qui est prometteur, c'est que la nature a fait au Canada un cadeau incroyable, les ressources naturelles. Regardez ce qui se passe dans le reste du monde. Des milliards de bébés naissent, le PIB mondial doublera dans les 20 prochaines années et une chose viendra à manquer : les ressources naturelles. Il est toujours possible de reproduire les puces informatiques ou des iPod très sophistiqués. Les produits techniques sont des marchandises parce qu'ils sont reproductibles à l'infini. La seule différence entre un produit nouveau et une marchandise est de six à sept mois. Après cela, il devient soudainement reproductible à l'infini.
Or, les ressources naturelles, l'eau, l'énergie et le bois, la nature dans son ensemble, ne sont pas reproductibles. Dans l'avenir, nous aurons, en partant, l'avantage social de vivre dans un lieu béni des dieux, mais nous aurons aussi l'avantage économique de pouvoir extraire et transformer nos ressources naturelles. C'est en nous montrant particulièrement imaginatifs et respectueux de l'environnement dans l'extraction et la transformation que nous parviendrons à maintenir notre niveau de vie. Les gens ne cessent de me demander pourquoi nous n'ajoutons pas davantage de valeur. Les fabricants de meubles en Chine travaillent pour rien. Ceux qui travaillent dans nos usines de pâtes, ici au Canada, touchent d'excellentes rémunérations.
Je prétends qu'il faut prendre tous les emplois qui passent en étant conscient que ceux qui se trouvent en haut de la soi-disant chaîne de valeur sont peu rémunérés, contrairement à ceux qui sont en bas et qui sont des emplois de haute technologie et de grande qualité, bien rémunérés. Nous devrions arrêter de nous blâmer parce que nous coupons du bois et commencer à nous rendre compte de la chance que nous avons de pouvoir compter sur les usines de pâtes parmi les plus avancées du monde et sur le matériel d'extraction de ressources naturelles le plus perfectionné qui soit pour travailler dans le respect de l'environnement. Plutôt que de verser des salaires dignes de l'esclavagisme, ce qui se produit le long de la soi-disant chaîne de valeur, nous versons de bons salaires et nous devrions nous féliciter plutôt que de nous flageller parce que nous ne sommes pas concurrentiels avec la Chine. Même dans le cas d'IKEA, les gens pensent que les meubles sont fabriqués en Suède. Ce n'est pas vrai, car IKEA fait fabriquer ses meubles en Europe de l'Est et en Chine.
Le sénateur Di Nino : Je suis heureux que vous ayez parlé de souffrance parce que ceux qui nous regardent doivent le savoir; il demeure que je suis transporté de voir que vous vous montrez aussi positif.
Qui sont vos principaux concurrents dans le monde?
M. Lazar : Grande question. Nous pouvons en faire le tour. Partons du Brésil. Le Brésil a une industrie forestière brillante. Les forestiers prennent la terre, coupent la forêt à blanc et, quand j'ai vérifié la situation il y a sept ans, ils faisaient pousser de l'eucalyptus. Un de mes homologues m'a dit qu'ils étaient passés à six et demi et que très bientôt ils en seraient à six. Ils ont dressé le génome complet de l'eucalyptus et, si vous visitez une plantation au Brésil, vous constaterez qu'on y parle du clone no 1 082 ici et du clone no 2 011 là. Leurs usines sont très modernes et, pour tout dire, c'est une industrie brillante. Cependant, les Brésiliens ont un gros problème. Cette situation qui consiste à faire pousser des arbres est trop bonne et elle est illogique quand on songe aux perspectives d'avenir constituées par des arbres pouvant entrer dans la composition de biocarburants. Au Brésil, on parle de la canne à sucre alimentaire.
Mes homologues brésiliens estiment que leur expansion, qui obéissait à des impératifs socio-économiques — voulant que si l'emplacement est propice à des cultures de haute densité à croissance rapide, il faut opter pour une production destinée aux biocarburants — ne sera plus viable à cause de l'énorme demande de produits alimentaires. Ce sera notre chance, au Canada.
Un autre de nos grands concurrents est la Russie qui est aussi bénie par la nature grâce à ses énormes superficies de forêt boréale, à son énergie et à son eau. Son problème, c'est l'infrastructure. Les Russes ont dû améliorer de beaucoup leurs infrastructures, mais ils se sont arrêtés en cours de route à cause de la crise. Ils y reviendront. Et puis, ils subissent les affres du gangstérisme également présent dans le secteur forestier. Il est très difficile de bâtir une solide industrie quand la confiance n'est pas au rendez-vous. Les entreprises ont besoin d'un certain niveau de confiance et tant que cet aspect ne sera pas réglé, la croissance sera limitée.
L'autre problème des Russes tient à l'importance de l'exploitation illégale des forêts. Un très fort pourcentage de bois provient de l'exploitation illégale, ce qui amène le reste du monde à freiner des quatre fers à l'importation. Les Russes seront nos concurrents, mais il leur faudra encore longtemps. La Russie doit composer avec un territoire encore plus vaste que le nôtre et, si le prix des carburants est élevé, l'exploitation forestière là-bas sera coûteuse. En outre, ils sont très loin de leurs marchés.
Les Européens, quant à eux, ont une très bonne industrie, très efficace qui tend à être mondiale.
Le sénateur Di Nino : Essentiellement dans le Nord?
M. Lazar : Essentiellement en Scandinavie.
Les défis là-bas sont énormes. La structure de coûts découlant des politiques énergétiques européennes a donné lieu à l'adoption de subventions très élevées pour les agrocarburants. Le bois qui devrait contribuer à l'expansion du secteur des pâtes et papiers est désormais très coûteux, parce qu'il est en concurrence avec l'industrie de la bioénergie et qu'il est difficile au secteur des pâtes d'obtenir de la matière ligneuse à l'état brut. Jusqu'ici, les pays scandinaves comptaient sur le bois russe, mais le gouvernement de la Russie commence à leur dire qu'ils doivent venir construire leurs usines de pâtes en Russie.
Le sénateur Di Nino : Souffrent-ils comme au Canada?
M. Lazar : Tout à fait.
Le sénateur Di Nino : Plus que ça?
M. Lazar : Ça dépend où. L'industrie brésilienne est en grande difficulté parce qu'elle est lourdement financée par emprunts. Les Européens souffrent autant que le Canada. Je suis très proche de l'association européenne qui me dit que les temps sont durs.
L'économie mondiale s'effondre et nous voyons bien ce qui se passe au Canada. Tout le monde souffre. Mon homologue brésilien me dit que les Canadiens et les Européens ne comprennent pas vraiment la situation parce que, eux, ont l'assurance-emploi et l'assurance-médicaments. Les usines de pâtes au Brésil font vivre l'école, l'hôpital et l'infirmière du coin, et elles contribuent au logement. Quand une usine de pâtes ferme au Brésil, les gens ne perdent pas uniquement leurs emplois, mais ils perdent tout leur réseau de soutien social. Ils sont durement touchés.
Le sénateur Di Nino : Le président va me demander si je veux intervenir lors d'une deuxième série de questions et je lui réponds tout de suite oui, avant même qu'il pose la question.
Le sénateur De Bané : Il y a quelques jours, on a pu lire dans le Globe and Mail un éditorial critique de votre industrie. On y disait, pour l'essentiel, que l'industrie forestière n'est pas correctement gérée. Dans les bonnes années, vous n'auriez pas investi suffisamment pour améliorer la productivité. L'industrie a distribué de généreux dividendes quand tout allait bien et elle est encore au bord de la faillite. De nos jours, les gens lisent moins, ils utilisent leurs ordinateurs et regardent la télévision. Cet éditorial était très dur pour l'industrie forestière. L'auteur disait même que l'impact sur l'économie canadienne n'est pas aussi important que celui du secteur de l'automobile, et ainsi de suite.
Je ne connais pas aussi bien ce dossier que vous. Avez-vous envisagé d'écrire à tous les députés provinciaux, à tous les députés fédéraux et aux responsables de relations publiques pour réagir aux critiques sérieuses formulées dans cet éditorial? Allez-vous répondre à cet éditorial et à ces critiques?
Dans votre communiqué de presse d'aujourd'hui, vous dites que vous ne voulez plus parler avec les bureaucrates, mais cette opinion exprimée dans l'éditorial du Globe and Mail au sujet de l'industrie forestière est-elle répandue au sein de la fonction publique?
M. Lazar : C'est une grande question, sénateur. Les avis sont partagés. En général, ceux qui vivent dans le corridor Montréal-Ottawa-Toronto pensent que nous plaisantons quand nous parlons de l'industrie forestière. Ils n'en comprennent pas l'importance. Au sein de la fonction publique fédérale, les gens ont généralement l'impression que nous sommes un secteur d'activités en déclin. C'est la bonne vieille attitude voulant que, si l'on ne fabrique pas d'ordinateurs, on n'a plus de valeur économique.
C'est plutôt l'opposé qui est vrai. Les Chinois fabriquent des ordinateurs et ils ne sont pas beaucoup payés pour cela.
L'attitude à laquelle nous nous heurtons est un problème. Nous avons publié un article, dans la page en regard de l'éditorial du Globe and Mail, pour parler de ce dont il est question cette après-midi. Cet article était assorti de statistiques et il est juste. Il y en aura sans doute un autre lundi, s'il est accepté. Nous avons soumis cet article et la rédaction s'est dite intéressée. Ainsi, nous pouvons exposer notre point de vue.
Il y a des vérités dans l'éditorial du Globe and Mail, mais il y a aussi des demi-vérités. La confiance d'une entreprise dépend de trois choses. D'abord, les marchés. AbitibiBowater est le premier producteur mondial de papier journal. La demande de ce type de papier est en recul et les petites annonces sur Internet tuent cette industrie. Le modèle d'entreprise des journaux était fonction des petites annonces qui finançaient l'information.
La publicité du secteur de la vente au détail finance aussi les imprimés. De nos jours, à cause du problème structurel occasionné par le passage des lecteurs sur Internet et de la récession, les écarts importants qui existaient par rapport à la presse, sur le plan de la publicité de détail, sont en train de se réduire. Il y a des marchés et il y aura encore une demande pour le papier journal, mais nous ne retrouverons jamais les niveaux d'antan.
Deuxièmement, il y a la stratégie commerciale. Parmi les entreprises canadiennes, certaines ont fait le bon pari, et d'autres pas. Le monde des affaires est tel que les récompenses et les sanctions n'ont rien de subtil. Les analystes qui s'intéressent aux différentes entreprises ont des points de vue dissemblables. Nous savons, essentiellement, qu'AbitibiBowater a grandement amélioré sa compétitivité ces derniers temps. Elle est passée de la queue à la tête du peloton à cet égard.
Dans l'ensemble, l'industrie forestière canadienne s'est plus améliorée que l'industrie américaine et que l'industrie manufacturière canadienne en général. Cela est essentiellement dû aux obstacles dans le commerce du bois d'œuvre. Pour être compétitive sur le plan des prix, cette industrie a dû se renforcer et se montrer plus intelligente.
Troisièmement, il y a les politiques gouvernementales. Au Québec — et dans une moindre mesure dans le reste du pays, particulièrement en Ontario — des politiques stipulent que chaque collectivité a le droit d'exploiter la forêt voisine. Les populations sont propriétaires des arbres et elles peuvent prétendre à des emplois dans ce secteur. C'est un peu la version moderne, façon bûcheron, de la poule-au-pot. Toute petite ville doit avoir sa scierie.
Quand le marché se portait bien, le dollar était à 70 ¢ et les Brésiliens n'avaient pas encore compris ce qui se passait. À l'époque, cette politique était brillante. Elle a permis de maintenir en vie le Canada rural. Il était question de répartir la richesse et de ne pas permettre la concentration des grandes entreprises. Il fallait favoriser la recherche partout. Nous n'aimions pas cela, mais la démocratie veut que l'on se plie aux volontés du peuple.
Puis, les marchés se sont écroulés; les Brésiliens ont compris; notre dollar a pris de la valeur et nous n'avons pas pour autant changé nos politiques. Quand il y a trois scieries inefficaces, il y a trois faillites. Si nous avions investi dans une seule et même grande scierie, nous aurions pu protéger les emplois. Cependant, quand nous avons tenté d'investir dans une seule grande scierie, les provinces ont refusé, nous disant que nous n'aurions pas accès au bois.
C'est ce qui se faisait en Colombie-Britannique et qui ne se fait plus. L'Ontario a fait un bout de chemin et le Québec en est encore là. Ce qui a commencé par une politique sociale s'est transformé en catastrophe sociale. L'industrie a dû cesser d'investir parce qu'elle n'était plus en mesure de s'approvisionner en bois.
Il nous est souvent arrivé, quand des scieries perdaient de l'argent, de demander aux provinces de mettre un terme à cette politique. Il y a une limite aux pertes qu'on peut encaisser. Les provinces nous ont alors dit qu'elles ne fourniraient plus de bois à d'autres scieries.
Le manque d'investissements et une partie du manque d'efficacité s'expliquent par les politiques de l'époque. C'est facile d'en parler aujourd'hui, mais c'est beaucoup plus difficile de réparer les dégâts. Je n'ai pas constaté de grands changements d'attitude. J'ai bien vu quelques changements, mais pas au point où les marchés ont évolué.
Le Globe and Mail n'a raconté qu'une partie de la vérité.
Le sénateur De Bané : J'espère que vous allez transmettre à tous les députés provinciaux et fédéraux une copie de l'article qui a été publié, de même que du prochain article.
Enfin, je voudrais vous poser une question personnelle. À la lecture de votre CV, je constate que vous avez été actif dans le domaine de la politique publique avant de vous joindre à l'industrie forestière. Sur quoi avez-vous travaillé?
M. Lazar : Pendant 25 ans, j'ai été fonctionnaire spécialisé dans le domaine de la politique publique. J'ai travaillé au ministère de l'Agriculture, au ministère de la Justice, à Environnement et à Ressources humaines sur de nombreux dossiers, de Kyoto à la politique sociale, en passant par le travail des enfants et la politique en matière de justice. C'est une bonne chose de savoir comment on fabrique les saucisses quand on veut avoir son mot à dire sur les recettes.
Le sénateur De Bané : Je vois que vous comprenez les questions d'intérêt social et public, ça se sent à la façon dont vous analysez les problèmes. Je tenais à vous en féliciter.
M. Lazar : Merci. La soirée commence à devenir intéressante, parce qu'il est toujours bon de savoir qu'on va garder son emploi par les temps qui courent.
Le sénateur Callbeck : Merci de votre témoignage. Je vais vous poser deux ou trois questions. Premièrement, l'année dernière, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a déposé un rapport concernant la pauvreté rurale. Il s'intitule Au-delà de l'exode : mettre un terme à la pauvreté rurale. Il y est question de l'industrie forestière et de son importance pour le Canada rural. Il y est notamment recommandé de convoquer un sommet national afin d'élaborer une stratégie nationale pour le secteur forestier.
Je sais que, récemment, le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral ont mis sur pied une équipe chargée de coordonner les efforts au Québec. Que pensez-vous de cela? Estimez-vous que ce soit la voie à suivre et qu'on doive faire la même chose dans chaque province? Pensez-vous qu'il conviendrait de suivre la recommandation de l'étude dont je vous parlais?
M. Lazar : Je suis intimement convaincu que nous ne pouvons pas appliquer une approche unique pour toutes les provinces, parce que la situation dans une province a des répercussions sur les autres. Si l'on confère un avantage au Québec, ceux qui essaient de gagner leur vie ailleurs vont perdre leurs emplois. Le rôle d'un gouvernement national est d'intervenir à l'échelle nationale.
L'autre problème, outre qu'elle fait partie d'un réseau et qu'elle se livre concurrence sur les mêmes marchés à l'échelle nationale, c'est que l'industrie est interdépendante parce que nous dépendons tous de l'accord sur le bois d'œuvre. Si le groupe de travail fédéral-provincial fait quelque chose spécifiquement pour le Québec qui aille à l'encontre des dispositions de l'accord, beaucoup de travailleurs en Colombie-Britannique perdront leur emploi.
Nous avons publié un communiqué de presse qui est très négatif à propos de ce groupe de travail, et pour deux raisons. D'abord, nous ne pensons pas que ce genre d'action bilatérale soit la bonne façon d'élaborer une politique. Deuxièmement, nous avons eu l'impression que le fait d'annoncer quatre semaines de discussions entre bureaucrates n'était qu'une tactique pour gagner du temps. Je ne veux pas paraître insensible, mais nous disposons d'un rapport sur l'industrie forestière qui a été rédigé par tous les partis. Il n'y a pas grands mystères à résoudre et certainement aucun qui ne pourra être résolu en quatre semaines. Il vaudrait mieux que les gouvernements se penchent sur la chose. Il est toujours bon que les bureaucrates d'Ottawa et des provinces travaillent ensemble — et nous applaudissons à cette initiative — mais nous espérons qu'on ne la considère pas comme une percée. Il faut plutôt y voir une activité habituelle.
En règle générale, nous ne sommes pas critiques à l'excès, mais dans ce cas, nous n'avons pas été emballés par l'initiative. C'est peut-être même un euphémisme.
Le président : Le communiqué de presse en question a été distribué dans les deux langues officielles aux sénateurs. Je pensais nécessaire de vous le préciser.
Le sénateur Callbeck : L'un des articles indique que vous réclamez l'adoption de mesures urgentes dans certains domaines, notamment l'accès au crédit.
Si les mesures prévues dans le budget sont mises en œuvre, pensez-vous que ce sera suffisant?
M. Lazar : Si elles sont correctement mises en œuvre, mais ça ne sera jamais assez. Les programmes gouvernementaux ne peuvent remplacer un système financier. Le secteur privé est nourri par le crédit. C'est un peu comme l'oxygène sans lequel rien ne peut brûler. Quand le système de crédit est défaillant, les entreprises sont durement touchées.
Les systèmes financiers se sont effondrés. Nous estimons que le gouvernement a fait ce qu'il devait pour essayer de compenser la situation, mais ce ne sera jamais assez, parce qu'un gouvernement ne peut remplacer le marché.
Cela étant posé, nous apprécions l'attitude. Nous aimons ce qui a été annoncé. Nous estimons qu'Exportation et développement Canada est intervenu de façon tout à fait admirable. Son mandat a été élargi et EDC agit de façon plus courageuse, ce que nous n'allons pas critiquer.
Le sénateur Callbeck : Estimez-vous qu'une des mesures proposées dans le budget pourrait être la cible des Américains au motif qu'elle serait contraire à l'accord sur le bois d'œuvre?
M. Lazar : Je ne pense pas que ce budget contienne quoi que ce soit qui puisse être attaqué. C'est le plus souvent à cause d'initiatives provinciales que nous avons eu des problèmes avec le bois d'œuvre. Il arrive qu'en situation de statu quo, les gens soient avides d'attention à cause du jeu de la démocratie. En situation de routine, il suffit de faire du tapage pour attirer l'attention; c'est ainsi qu'on se fait réélire. Malheureusement, quand on fait ça dans le secteur forestier, les Américains considèrent que c'est une subvention.
Plusieurs provinces sont tombées dans les effets d'annonces en promettant parfois de l'argent que nous avions déjà ou des sommes qui n'ont jamais été versées, ou encore en apportant des ajustements normaux.
Je ne critique pas particulièrement ce genre d'actions, parce que la démocratie a ses effets, mais les Américains considèrent, dans de tels cas, qu'un ministre vient d'accorder une subvention. J'estime que ce budget traduit une modération admirable à cet égard.
Le sénateur Callbeck : L'autre question que je veux poser concerne l'assurance-emploi. Vous voyez d'un très bon œil le travail partagé.
Voudriez-vous faire d'autres suggestions afin d'aider votre secteur en ce qui concerne le programme d'assurance- emploi? Beaucoup de témoins nous ont fait des suggestions pour les secteurs qu'ils représentaient. Je me demandais si vous en avez vous-même.
M. Lazar : Je sais que beaucoup réclament la levée du délai de carence de deux semaines. Nous ne sommes pas convaincus que cela changera grand-chose, outre que le coût va être énorme. Y aurait-il autre chose?
Mme Morgan : Rien de particulier. Comme ce secteur a été touché très tôt au début de la récession, surtout l'industrie du bois de sciage, puisque tout a commencé par l'effondrement du marché de l'habitation aux États-Unis, on constate que de plus en plus de nos anciens travailleurs n'ont plus droit à l'assurance-emploi. Ils sont arrivés en fin de droits.
Le président : Diriez-vous que la prolongation de cinq semaines est une bonne chose pour votre industrie?
M. Lazar : C'est très bien.
Le président : Il est important de le préciser.
[Français]
Le sénateur Rivard : Monsieur Lazar, je vous ramène au communiqué de presse du 20 avril que vous avez publié. Le troisième point concerne le transport ferroviaire. À lire le paragraphe, où on parle de prix gonflés, c'est quasiment un cartel, car deux compagnies, le CN et le CP, sont propriétaires des rails. Vous suggérez que le gouvernement fédéral intervienne pour mettre fin à ces abus. De quelle façon vous attendez-vous à ce que le gouvernement réagisse? Par une loi ou un contrôle, un peu comme dans le transport routier à une certaine époque où entre Québec et Montréal, cela coûtait tant, peu importait la compagnie? Est-ce vraiment cela que vous désirez que le gouvernement fasse?
M. Lazar : Je vais laisser la réponse à Mme Morgan, c'est son dossier.
Mme Morgan : Le gouvernement a déjà pris action lors de la dernière session parlementaire. Dans le contexte du projet de loi C-8, il a créé des outils pour que les compagnies puissent contrer les pratiques injustes dans le secteur ferroviaire. Ces pratiques nous aideront.
[Traduction]
Le projet de loi C-8, qui a été adopté, aidera les expéditeurs à ce sujet, parce qu'il sera possible de contester plus efficacement le mauvais service et les tarifs.
M. Lazar : Avant, nous devions nous en prendre à une compagnie à la fois. Or, les compagnies de chemins de fer ont toujours eu les reins solides et ce genre de contestation judiciaire pouvait nous coûter 1 million de dollars. Le projet de loi nous permet de regrouper différentes questions et de les soumettre à l'arbitrage final des offres. L'arbitrage final des offres est un superbe système où les parties à un différend doivent soumettre leur meilleure proposition à un arbitre qui tranche. Votre réussite dépend de votre capacité à vous montrer raisonnable. Nous pensons être davantage capables de nous montrer raisonnable que les compagnies ferroviaires. Les expéditeurs qui se sont prévalus de l'arbitrage des offres finales ont presque toujours gagné, mais les coûts sont tellement élevés que très peu d'entre eux l'ont fait. Nous remercions le gouvernement d'avoir lancé ce nouveau système parce que nous pouvons désormais regrouper nos griefs. À force d'agir ainsi, il n'y a plus à contester les compagnies ferroviaires, parce que la norme d'équité finit par faire partie intégrante du système, ce qui est une bonne chose.
Cela ne concerne cependant que les questions annexes et la prochaine étape consistera à instaurer la concurrence. La règle concernant les distances d'interconnexion prévoit qu'on peut faire appel à un autre transporteur si l'on est assez près des voies. Il pourrait suffire d'augmenter cette distance, mais nous travaillons encore sur les aspects techniques de la question. Entre la mi et la fin mai, nous lancerons une campagne de lobbying à grande échelle très détaillée.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je partage votre avis quant au projet de loi C-8 sur la concurrence. Il incitera les compagnies à être plus raisonnables. Des poursuites ont déjà été intentées contre les distributeurs de pétrole. La même chose pourrait se reproduire pour l'industrie du transport ferroviaire si on se rend compte qu'il y a un cartel pour fixer les prix. Il est à souhaiter que le projet de loi C-8 soit efficace pour régler votre problème.
M. Lazar : Je dois avouer que je n'ai rien contre le CN et le CP. Ce sont des entreprises excellentes, efficaces et brillantes. C'est seulement un problème de réglementation et de loi qui donne des pouvoirs qui les forcent à surcharger.
Le sénateur Rivard : Alors il reste à espérer qu'ils lisent bien le projet de loi C-8 pour les ramener à l'ordre.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, voilà qui met un terme à nos questions pour la journée. Je remercie nos témoins de nous avoir si bien situé cette industrie importante pour le Canada. Je les invite à transmettre au greffier du comité toute remarque additionnelle qu'ils pourraient juger bon de formuler à la suite de nos discussions.
M. Lazar : Je serais heureux de le faire.
Le président : Nous sommes maintenant chargés de beaucoup mieux comprendre votre industrie et sachez que nous souhaitons la voir se rétablir rapidement.
M. Lazar : Parfois, quand on passe devant un comité, on se demande si les parlementaires agissent par curiosité ou par automatisme. Votre ouverture d'esprit et votre intérêt signifient beaucoup pour nous.
Mme Morgan : Nous avons apprécié notre passage.
(La séance est levée.)