Délibérations du comité sénatorial permanent des
Finances nationales
Fascicule 6 - Témoignages du 28 avril 2009
OTTAWA, le mardi 28 avril 2009
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales s'est réuni aujourd'hui à 9 h 30, pour examiner les éléments suivants du projet de loi C-10, Loi d'exécution du budget 2009 : parties 1-6, parties 8-10 et parties 13-15, particulièrement ceux qui ont trait à l'assurance-emploi; et pour examiner le Budget des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2010 (sujet : partie 6 — Paiements et partie 8 — Dispositions diverses).
Le sénateur Irving Gerstein (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, nous poursuivons ce matin notre examen de la Loi d'exécution du budget 2009, le texte qui constituait le projet de loi C-10. Nous allons porter notre attention sur les parties 6 et 8 de cette loi, et plus précisément sur les améliorations à apporter à l'infrastructure des universités et collèges et à l'aide financière accordée aux étudiants.
Nous accueillons aujourd'hui deux groupes d'intervenants, le premier représentant les étudiants et le second les universités et collèges.
Pour le premier groupe, nous avons le plaisir d'accueillir Zach Churchill, directeur national de l'Alliance canadienne des associations étudiantes. Il est accompagné de Rick Theis, son agent des relations gouvernementales. Nous accueillons également avec plaisir Ian Boyko, coordonnateur des relations gouvernementales et campagnes de la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants.
Honorables sénateurs, ce matin nous allons aussi entendre les témoignages d'un deuxième groupe d'intervenants. Je vous demande par conséquent de faire en sorte que vos questions soient aussi concises que possible. J'ajoute par contre qu'étant donné le nombre de personnes assises autour de cette table, vous allez peut-être avoir un peu plus de temps que vous n'auriez pu le penser. Nous aurons, j'en suis certain, tous l'occasion de poser des questions à nos intervenants.
Je vais maintenant vous demander de nous donner lecture de votre déclaration d'ouverture.
Zach Churchill, directeur national, Alliance canadienne des associations étudiantes : Nous tenons, en premier lieu, à remercier les membres du comité d'avoir invité l'Alliance canadienne des associations étudiantes à prendre aujourd'hui la parole devant vous. L'ACAE regroupe des associations étudiantes de 24 établissements d'enseignement postsecondaire représentant plus de 300 000 étudiants dans l'ensemble du pays.
Nos observations porteront essentiellement sur ce que nos membres pensent du projet de loi C-10 et du budget fédéral 2009. Je souhaiterais, si vous le voulez bien, commencer par parler des lacunes que nous avons relevées dans ce texte.
L'ACAE proposait que, outre ce que prévoyait le budget 2007, au moins 3,2 milliards de dollars soient, dans le cadre du Transfert social canadien, affectés au financement de l'enseignement postsecondaire. Cela permettrait de ramener le montant des financements à ce qu'il était au début des années 1990 avant que n'interviennent les coupures budgétaires de funeste mémoire. Une telle mesure s'impose avec d'autant plus d'urgence que l'actuelle situation économique a eu de sérieuses répercussions sur les revenus de nos universités et collèges.
C'est ainsi que l'Université Queen's, par exemple, a vu son fonds de dotation accuser une baisse de 152 millions de dollars. Malgré le gel de ses dépenses, et des coupures budgétaires qui n'ont épargné aucun secteur de son activité, l'université prévoit, d'ici 2011, un déficit de 33 millions de dollars, soit environ 9,5 p. 100 de son budget de fonctionnement. Le principal de Queen's, M. Tom Williams, a indiqué hier que, en raison de ce déficit, il ne sera peut- être pas possible d'éviter, dans les prochaines années, les licenciements ainsi que de nouvelles amputations des services offerts.
Cet exemple est assez représentatif de la situation à laquelle doivent actuellement faire face dans l'ensemble du pays de nombreux établissements d'enseignement postsecondaire. En raison de la baisse de leurs revenus, les établissements se voient contraints à des licenciements, y compris parmi le corps enseignant, et sont obligés de réduire le nombre de classes offertes et d'accroître le nombre d'étudiants dans les cours qui subsistent. Autrement dit, l'insuffisance des ressources commence déjà à affecter la qualité de l'enseignement.
Dans tous les secteurs de l'activité nationale, et à tous les paliers de gouvernements tant au niveau national qu'international, les responsables s'entendent pour dire que les crédits affectés à l'enseignement postsecondaire et à la recherche sont un des principaux facteurs de développement économique et de cohésion sociale. Ce consensus est le plus sûr indice du besoin de dégager les ressources nécessaires afin de mettre à la disposition, de la population et de notre industrie, un système d'éducation postsecondaire ouvert, abordable et de qualité, tant au cours de la récession que nous subissons actuellement qu'à l'avenir.
Personne n'ignore que de gros travaux d'entretien et de rénovation ne peuvent actuellement pas être assurés par nos universités et collèges et que cette accumulation de travaux en souffrance nuit aux efforts de nos établissements en vue d'attirer les meilleurs enseignants, les personnels les plus capables et les étudiants les plus motivés.
C'est votre comité qui, en 2001, a lancé la première étude gouvernementale sur le problème que constituent, au Canada, les retards en matière d'entretien. L'ACAE a contribué activement à vos délibérations et, depuis lors, a uni ses efforts à ceux de l'Association des universités et collèges du Canada, de l'Association des collèges communautaires du Canada et de l'Association canadienne du personnel administratif universitaire pour appeler les gouvernements successifs à faire quelque chose afin de pallier cette accumulation de retards au niveau des réparations et des améliorations dont ont besoin nos établissements d'enseignement postsecondaire.
C'est donc avec satisfaction que nous avons pris connaissance de la décision du gouvernement fédéral de dégager, dans le cadre du budget 2009, deux milliards de dollars sur deux ans pour les travaux d'entretien si longtemps reportés. S'ajoutant aux fonds de contrepartie accordés par les provinces, ces crédits permettront d'améliorer la qualité et les capacités d'accueil de nos établissements d'enseignement et de formation et renforceront nos moyens en matière de recherche de haut niveau. Cela permettra en outre de résoudre un certain nombre de problèmes qui se posent au niveau de la santé et de la sécurité et d'apporter à nos établissements les améliorations qu'exigent les normes environnementales en vigueur.
L'ACAE suit de près la répartition des crédits, s'intéressant notamment à la question de savoir si la répartition 70-30 des crédits en question entre les universités et les collèges répond de manière satisfaisante aux besoins des collèges, compte tenu de l'importance du rôle de ces établissements dans la formation d'une main-d'œuvre hautement qualifiée.
Nous sommes heureux de constater que, jusqu'ici, le traitement des demandes et la répartition des crédits s'effectuent sans retard. Le gouvernement fédéral a déjà fait part de l'accord de partage des coûts conclu avec la Colombie-Britannique et, d'ici la fin de l'été, la plupart des autres provinces seront probablement prêtes elles aussi à annoncer des mesures analogues.
Rick Theis, agent des relations gouvernementales, Alliance canadienne des associations étudiantes : Le budget de 2009 prévoit également pour les trois prochaines années, une augmentation provisoire du programme de Bourses d'études supérieures du Canada, y compris 17,5 millions de dollars pour le CRSHC, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, cet argent devant, aux termes mêmes des documents budgétaires, être affecté essentiellement à des études liées avec les affaires.
Si le gouvernement a inscrit ces dispositions dans le texte, c'est qu'il estime que les étudiants effectuant des études supérieures dans les diverses disciplines commerciales sont injustement traités dans le système actuel. Ces étudiants représentent environ 30 p. 100 des étudiants en sciences humaines, alors que ne leur sont, chaque année, attribués que 2 p. 100 des bourses d'études supérieures offertes au Canada.
Le gouvernement considère que les nouveaux crédits ainsi dégagés permettront d'offrir 300 bourses de plus dans ce domaine d'étude. Cela portera à 10 p. 100 la part des bourses d'études supérieures du Canada accordées par le CRSHC à des étudiants inscrits dans des programmes orientés vers les affaires.
Or, cette décision inspire à l'ACAE une double préoccupation. D'abord, nous estimons que c'est pour le gouvernement fédéral un moyen de s'immiscer dans la manière dont le CRSHC et, donc, les trois organismes attribuent des bourses d'études. C'est une évidence de dire que si l'on veut assurer, à longue échéance, nos capacités en matière de recherche, il faut que les crédits soient accordés uniquement en fonction du mérite et en vertu de mécanismes de contrôle confraternel, car c'est le meilleur moyen de faire en sorte que l'argent aille aux meilleurs et d'éviter que les recherches universitaires soient influencées par des motifs d'ordre politique ou soumises à des critères de popularité. C'est bien pour cela que la Loi sur le Conseil de recherches en sciences humaines donne au conseil toute latitude pour répartir les crédits qui lui sont confiés. C'est également pour cela que le CRSHC et les autres organismes se sont, dès l'origine, attachés à défendre le principe du mérite.
D'ailleurs, rien ne garantit que cet effort en vue de réserver certains crédits aux études liées aux affaires, aura les effets escomptés. D'abord, la notion d'études liées aux affaires est un concept tellement vague, qu'elle s'appliquerait à presque tous les domaines des sciences sociales, qu'il s'agisse d'histoire, d'économie, de sociologie ou marketing, ce qui sape les fondements mêmes de l'intention qui en est à l'origine.
L'ACAE reconnaît l'importance de la contribution des étudiants en études commerciales à l'activité nationale. Nous souhaiterions, cependant, que le gouvernement investisse dans un système qui soit à la fois plus efficace et qui réponde à une conception plus globale des choses. Il convient, en effet, selon nous, d'augmenter les moyens affectés à tous les programmes d'études supérieures en sciences sociales.
De plus, le nombre croissant de diplômes d'études supérieures ne faisant pas appel à des travaux de recherche, délivrés dans le cadre de programmes d'études en commerce et en gestion, ne s'accompagne d'aucune augmentation du nombre de bourses d'études supérieures offertes aux étudiants inscrits dans ces programmes. Aucune des nouvelles dispositions ne répond aux besoins des étudiants de deuxième et troisième cycles qui, malgré l'insuffisance de leurs moyens financiers, ne sont souvent pas admissibles aux bourses attribuées par les trois organismes.
Si nous voulons vraiment élargir l'accès aux programmes d'études supérieures, y compris aux programmes de hautes études commerciales, il nous faut changer cela.
Le projet de loi C-10 contient également des dispositions modifiant la Loi fédérale sur l'aide financière aux étudiants. Dans l'ensemble, l'ACAE n'a pas de reproches sérieux à adresser aux modifications envisagées. L'ACAE souhaite cependant attirer l'attention du comité sur l'article 363 du projet de loi C-10, qui nous semble, lui, devoir poser problème.
Avant l'adoption du projet de loi C-10, la Loi sur l'aide financière aux étudiants prévoyait une amende pouvant atteindre 1 000 $ pour tout étudiant ayant fait de fausses déclarations ou fourni des renseignements trompeurs pour obtenir une bourse ou un prêt. L'article 363 du projet de loi C-10 confère au ministère des Ressources humaines et Développement des compétences de nouveaux pouvoirs de sanction lui permettant, outre l'amende prévue, de refuser à l'intéressé tout prêt ultérieur, de lui refuser l'exemption d'intérêt prévu ou d'y mettre fin dans l'hypothèse où l'emprunteur a terminé ses études, et cetera.
Ces nouveaux pouvoirs ne s'accompagnent d'aucune possibilité de faire appel, étant donné que les nouvelles mesures décrétées n'autorisent le ministre à ne revenir sur sa décision que si de nouveaux faits lui sont présentés. Le texte ne semble en outre prévoir la prise en compte d'aucune circonstance atténuante ou recours fondé sur l'équité procédurale et la justice administrative ou, encore, invoquant le caractère disproportionné de la sanction.
L'ACAE s'est toujours inquiétée de l'absence de mécanismes d'appel permettant de faire valoir les besoins de l'emprunteur par rapport à la manière dont ceux-ci sont évalués dans le cadre du Programme canadien de prêts aux étudiants. L'ACAE estime en effet qu'il serait important d'instaurer des recours extrajudiciaires, car les étudiants en question, dans l'hypothèse où ils sont innocents des fautes qu'on leur impute, et qu'ils se trouvent dans le besoin, n'auront plus la possibilité d'obtenir un prêt, ni même de retenir les services d'un avocat pour faire appel devant les tribunaux. Une telle situation constitue un véritable obstacle à la poursuite de leurs études.
Pour ce qui est des solutions qui permettraient de remédier à cette situation, citons l'exemple de la Colombie- Britannique qui a établi un comité d'appel auquel siègent des représentants de la fonction publique, des services d'aide financière et des étudiants. Ce comité se prononce en dernier ressort sur les appels interjetés en matière d'aide financière aux étudiants. Or, il serait bon, d'après nous, d'adopter ce modèle, le comité en question étant chargé non seulement de statuer en matière d'appel, mais également de conseiller le ministre. Il conviendrait en outre d'élargir l'éventail des motifs d'appel.
Il faudrait, de plus, tenter, à l'avenir, d'éviter les lacunes que nous relevons en l'occurrence et faire en sorte, pour cela, que les étudiants, les principaux intéressés, puissent participer au débat qui précède l'adoption de ce genre de dispositions. Cela améliorerait beaucoup la communication, car le gouvernement annoncerait à l'avance ce qu'il entend faire et les étudiants auraient par conséquent la possibilité de faire valoir leur point de vue.
Encore une fois, nous tenons à remercier le comité de nous avoir accordé l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. C'est très volontiers que nous répondrons maintenant aux questions que vous voudrez nous poser.
Ian Boyko, coordonnateur des relations gouvernementales et des campagnes, Fédération canadienne des étudiantes et étudiants : Je vous remercie, à mon tour, de cette occasion de prendre la parole devant le comité. Dans le temps qui m'est imparti, je voudrais évoquer trois aspects du budget : les infrastructures universitaires et collégiales, le financement des travaux de recherche et les nouveaux moyens répressifs prévus en matière de prêts étudiants.
Je voudrais d'abord aborder les nouvelles dispositions répressives qui, de manière tout à fait inattendue, sont inscrites dans le projet de loi C-10. Il s'agit pour moi d'un sujet assez délicat car, comme mes collègues, je ne suis nullement opposé à l'adoption de mesures visant à renforcer l'intégrité du Programme canadien de prêts aux étudiants. Vous seriez, en effet, les derniers à conseiller à quelqu'un de faire sciemment de fausses déclarations dans une demande de prêt étudiant. Cela dit, nous déplorons, compte tenu notamment de tous les problèmes financiers auxquels ont actuellement à faire face les étudiants, que le gouvernement confère de nouveaux pouvoirs au ministère sans nous donner le temps d'étudier et de réfléchir aux mesures décrétées.
Si les étudiants et leurs familles se trouvent dans une situation désespérée au point où ils ressentent le besoin d'enjoliver la vérité en remplissant leurs demandes de prêt étudiant, c'est justement qu'il leur faudrait pouvoir obtenir une aide plus généreuse et c'est effectivement là que se situe le problème. On ne peut pas dire, je pense, qu'en matière de prêts aux étudiants, la fraude soit vraiment répandue. Le problème provient plutôt du fait que le gouvernement n'accorde pas suffisamment de crédits à l'enseignement postsecondaire et que cet enseignement devient, par conséquent, de moins en moins abordable.
Il se pourrait donc que l'actuelle procédure de demande de prêt étudiant ne réponde pas en fait, aux besoins des personnes à revenu ordinaire. Et, il se pourrait très bien que les nouvelles dispositions budgétaires en matière de prêts aux étudiants visent justement ceux pour qui le système de financement par emprunt n'a pas donné les résultats escomptés. La Fédération canadienne des étudiantes et étudiants souhaite que, avant de prescrire un remède, les membres du comité réfléchissent attentivement à quelle pourrait être la cause du mal que l'on cherche à guérir.
En ce qui concerne, maintenant, les infrastructures, le budget de 2009 témoigne d'un réel effort financier en faveur de nos établissements publics puisqu'il dégage plus d'un milliard de dollars en 2009 et un milliard de dollars en 2010 pour les infrastructures de nos collèges et universités. Le budget, cependant, ne prévoit que 25 à 30 p. 100 de ces crédits pour les collèges et instituts d'enseignement technique. Or, les collèges contribuent, de manière essentielle, au renouvellement de la main-d'œuvre qualifiée et nous avons quelque mal à comprendre la raison d'être d'une telle répartition des crédits disponibles.
Outre la distinction qui est faite entre collèges et universités, le gouvernement a décidé que l'affectation des crédits en question sera soumise à deux autres conditions que la Fédération canadienne des étudiantes et étudiants estime tout à fait contestables.
D'abord, les deux milliards de dollars de crédits d'infrastructure doivent, aux termes du budget, être affectés à des établissements de recherche. Disons, d'une manière générale, que ce n'est pas là que cet argent sera le plus utile. En effet, les établissements de recherche bénéficient déjà d'importantes subventions gouvernementales y compris les subventions accordées par la Fondation canadienne pour l'innovation. De nombreux établissements, grands et petits, mais plus particulièrement peut-être, les établissements de moindre envergure ne recevront par conséquent aucune part des crédits destinés à l'infrastructure, auxquels seuls auront droit les laboratoires de recherche puisque, ce dont les collèges ont besoin, en effet, c'est de salles de cours, de résidences étudiantes et de bureaux.
La seconde condition posée à l'obtention de ces crédits est que les subventions fédérales en matière d'infrastructure s'accompagnent d'un financement jumelé, ce qui, là encore, soulève de très sérieux problèmes. De nombreux établissements qui ont actuellement d'urgents besoins financiers auront vraisemblablement du mal à obtenir de certains gouvernements provinciaux les fonds correspondants, et plus de mal encore à les obtenir d'un secteur privé atteint par la récession. Nous espérons donc que le gouvernement appliquera de la manière la plus large possible, les critères au vu desquels seront évaluées les demandes de financement des projets d'infrastructure.
Je voudrais maintenant, pour terminer, vous dire quelques mots des Bourses d'études supérieures du Canada. Dans les divers mémoires que nous avons présentés en prévision du budget, nous avons plaidé énergiquement pour une augmentation du nombre de bourses d'études supérieures du Canada et nous avons été initialement heureux de voir que le budget 2009 prévoyait effectivement une telle augmentation.
Nous avons, cependant, été extrêmement déçus de constater que le gouvernement entendait limiter à certaines disciplines cette augmentation des crédits destinés aux recherches sociales et culturelles, comme nous avons été déçus de voir amputées de presque 150 millions de dollars les sommes accordées aux organismes subventionnaires. Selon nous, il est extrêmement imprévoyant de vouloir privilégier ainsi les recherches dans des domaines liés aux affaires et nous estimons qu'une telle politique fait fi des réalités de l'enseignement postsecondaire au Canada.
Je tiens à dire un mot aussi au sujet des sexospécificités. En effet, au Canada, environ 50 p. 100 des chercheurs étudiants œuvrent en sciences humaines. Or, une majorité de ces chercheurs sont des femmes. De celles-ci, environ 7 p. 100 font des études supérieures liées aux affaires, et peuvent, par conséquent, prétendre aux nouvelles bourses instaurées par le gouvernement, dont la plupart, il est clair, reviendront à des hommes.
Je ne parle pas là des études professionnelles ou des MBA car, généralement, les gens qui font de telles études n'effectuent pas de travaux de recherche leur permettant de prétendre à une bourse du gouvernement fédéral. Nous ne tenons donc pas compte dans ce que nous disons là des MBA. Or, abstraction faite des MBA, 7 p. 100 seulement des personnes effectuant des recherches en sciences humaines pourront postuler une de ces bourses réservées à ceux qui effectuent des études liées aux affaires.
Il n'appartient pas, d'après nous, au gouvernement d'orienter ainsi l'action des organismes subventionnaires et c'est justement pour cela qu'on avait souhaité que les trois organismes soient indépendants du gouvernement. Chacun des organismes subventionnaires se prononce sur les demandes de subvention à l'issu d'un processus de contrôle fraternel. Chaque dossier est, par conséquent, évalué en fonction de ses seuls mérites, et il n'y a aucune bonne raison de changer cette manière de procéder.
L'immixtion du gouvernement en ce domaine n'est pas souhaitable et elle serait en outre contraire à une conception saine des sciences. Nous vous conjurons de laisser les experts faire leur travail et, en l'occurrence, d'accorder les bourses de recherche à ceux qui les méritent, qu'ils étudient en sciences commerciales ou dans un autre domaine.
Le gouvernement a, à bon droit, relevé les besoins urgents qu'éprouve actuellement notre enseignement secondaire, au niveau en particulier des infrastructures et des recherches menées par des étudiants des cycles supérieurs. Les changements que l'article 8 prévoit en matière de prêts étudiants ne sont pas en soi superflus, mais ne font rien pour résoudre le problème de base qui est essentiellement dû à des frais de scolarité trop élevés et à la montée en flèche de la dette étudiante.
Les crédits consacrés à la recherche marquent un degré d'interventionnisme sans précédent. Cette réorientation des bourses d'études supérieures est du jamais vu. Ce genre d'ingérence est, de manière générale, mal venue et pourrait très bien nuire à l'objectif que s'est fixé le budget et qui est, justement, d'encourager l'innovation.
Je répondrai avec plaisir aux questions que vous voudrez me poser et je vous remercie de l'occasion qui m'est ainsi donnée de discuter des nouvelles mesures budgétaires.
Le vice-président : Merci, messieurs. Permettez-moi de commencer par demander à M. Churchill une petite précision. Si j'ai bien compris, la Loi d'exécution du budget 2009, prévoit un milliard de dollars pour chacune des deux prochaines années. Pourriez-vous nous dire d'où proviendront les subventions de contrepartie? Ces fonds doivent-ils être fournis tant par les universités que par les provinces?
M. Churchill : Selon notre interprétation, c'est aux établissements qu'il appartient de trouver les fonds de contrepartie, qu'ils obtiendront soit des provinces soit de particuliers.
M. Theis : Comme M. Churchill vient de le dire, c'est aux divers établissements qu'il incombe de voir où ils pourront se procurer les fonds correspondants, soit auprès des provinces, soit auprès de particuliers.
Selon le gouvernement, les divers établissements parviendront à se procurer les fonds correspondants et le gouvernement sera, par conséquent, en mesure d'affecter les deux milliards de dollars avant la fin de l'été. Je pense que M. Boyko pensait là aux établissements qui seront moins à même que d'autres de lever les fonds nécessaires, mais je pense que l'argent est cependant là.
Le vice-président : J'ai cru comprendre, également, que le gouvernement fédéral va, en outre, transférer 3,3 milliards de dollars aux provinces, cet argent devant être affecté à l'enseignement postsecondaire. Cela fait 100 millions de dollars de plus que l'année dernière et 900 millions de dollars de plus qu'il y a deux ans. Certains des problèmes que vous avez évoqués ne relèvent-ils pas des provinces plutôt que du gouvernement fédéral?
M. Churchill : C'est une question qu'on nous pose toujours lorsque nous intervenons auprès du gouvernement fédéral en faisant valoir les besoins des établissements d'enseignement postsecondaire. Nous savons qu'aux termes de la Constitution, l'enseignement est un domaine de compétence provinciale. Cela dit, nous estimons — et l'action, les programmes et les politiques du gouvernement fédéral montrent que celui-ci est lui-même de cet avis — qu'en matière d'enseignement postsecondaire, le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer que ce soit par des transferts aux provinces afin que celles-ci puissent financer l'enseignement postsecondaire, ou que ce soit par des subventions à la recherche et une aide financière aux étudiants.
D'ailleurs, le gouvernement fédéral s'est toujours intéressé de près à l'enseignement postsecondaire. Nous pensons, en outre, que compte tenu de la réduction des moyens financiers des provinces, le rôle du gouvernement fédéral va en fait augmenter. D'après nous, la situation actuelle exige d'ailleurs une plus grande participation.
M. Theis : Permettez-moi d'ajouter qu'il s'agit d'un domaine où le gouvernement fédéral s'est toujours activé. La pénurie actuelle est due aux déficits des années 1990 qui ont porté le gouvernement à réduire ses dépenses relatives aux programmes sociaux et notamment, à l'enseignement postsecondaire. Il s'agit donc d'un domaine où le gouvernement investissait à une certaine époque et dont il s'était retiré depuis. Nous demandons donc au gouvernement d'investir à nouveau dans un domaine auquel il s'est toujours intéressé.
Le sénateur Callbeck : Il y a plusieurs points que j'aimerais évoquer avec vous. En ce qui concerne les étudiants des cycles supérieurs, les nouvelles bourses ne pourront être attribuées qu'aux étudiants effectuant des études liées aux affaires. Avez-vous parlé de cela avec le gouvernement? Comment cette décision se justifie-t-elle? Des études ont-elles démontré que nous allons effectivement manquer de personnes qualifiées dans ce domaine?
M. Theis : Pour en revenir à ce que nous disions tout à l'heure, le gouvernement estime — et nous pourrions effectivement nous interroger sur les fondements de son analyse — que 30 p. 100 des étudiants en sciences humaines devraient pouvoir prétendre à ces bourses, alors que 2 p. 100 seulement des bourses accordées à des étudiants en sciences humaines sont actuellement attribuées à des personnes effectuant des études dans des domaines liés aux affaires. Le gouvernement tente donc de corriger la situation.
Pour nous, le problème est double. D'abord — et sur cela nous sommes tous d'accord — le gouvernement intervient dans des décisions qui relèvent en fait du monde universitaire. Les subventions doivent bien sûr être accordées aux recherches qui les méritent le plus, que ces recherches soient en rapport ou non avec les affaires. La question nous préoccupe énormément.
En outre, que convient-il d'entendre par études liées aux affaires? Peut-il s'agir d'études sociologiques, ou d'études économiques? Peut-il s'agir d'études portant sur la psychologie des personnes effectuant des opérations boursières? Qui donc pourra solliciter une bourse d'études?
S'agit-il simplement de garnir un peu mieux le portefeuille des bourses sans vraiment définir d'objectifs?
En outre, le gouvernement se montre, d'après nous, imprévoyant au niveau des besoins de tous les étudiants des cycles supérieurs, et notamment de ceux qui ont le plus besoin d'une aide financière. En effet, nous ne disposons actuellement d'aucun mécanisme d'allocation fondée sur les besoins des étudiants diplômés aux ressources insuffisantes. Actuellement, le système consiste uniquement de ces trois organismes et des aides accordés par les divers établissements. Nous avons évoqué ces problèmes avec les représentants du gouvernement fédéral.
Le vice-président : Monsieur Boyko, souhaitez-vous ajouter quelque chose au sujet de la question que vient de poser le sénateur Callbeck?
M. Boyko : Oui. Nous craignons que les arguments invoqués par le gouvernement pour justifier ces nouvelles mesures ne visent pas simplement à corriger certaines inégalités constatées depuis longtemps. Nous craignons, en effet, que ces nouvelles mesures soient davantage inspirées par des considérations idéologiques. S'il s'agissait de compenser des inégalités perçues depuis longtemps, presque toutes les bourses d'études supérieures seraient attribuées à des étudiants en sciences humaines, puisque c'est justement ce domaine d'études là qui, de tout temps, fait figure de parent pauvre. Malgré les nouveaux moyens accordés en 2006 aux bourses d'études supérieures du Canada, les étudiants de deuxième et de troisième cycles en sciences humaines, qui constituent environ 55 p. 100 de tous les étudiants de cycle supérieur, n'ont eu droit qu'à environ 20 p. 100 des bourses d'études supérieures accordées en 2006.
Nous craignons une sous-évaluation croissante et systémique des recherches en sciences humaines. Il y en a peut- être, en effet, au BPM ou au Cabinet du ministre qui estiment que les recherches qui ne se soldent pas, dans les quatre ans, par la production d'un objet commercialisable, n'ont aucune valeur. Le manque de subventions destinées aux recherches sur la pauvreté chez les enfants ou sur les incidences du terrorisme sur le tourisme, par exemple, donne aux chercheurs en sciences humaines, l'impression qu'on va leur couper les vivres et que toutes les subventions à la recherche vont désormais être accordées aux sciences appliquées et aux études liées aux affaires.
Nous faisons, dans le secteur de la recherche, partie d'une coalition plus large, qui tient à faire savoir que les récentes mesures fédérales en matière de financement méconnaissent la valeur des recherches dans le domaine des sciences humaines et de la culture. Nous envoyons le plus récent indice dans ces nouveaux crédits destinés à des bourses dans des domaines d'étude liés aux affaires, mais tout cela fait partie d'un plus vaste problème qui découle de l'opinion que le gouvernement se fait de ce type de recherches.
Le sénateur Callbeck : En avez-vous parlé avec des représentants du gouvernement?
M. Boyko : Oui. Il y a 15 jours — un mois — nous nous sommes, avec certains de mes collègues, rendus sur la Colline parlementaire, où nous avons évoqué ce problème tant avec des députés des divers partis ainsi qu'avec des membres du Sénat. Nous avons l'impression d'avancer, mais ces décisions ne dépendent ni des députés de base ni de certains sénateurs. Nous ne voulons manquer aucune occasion de souligner la valeur des sciences humaines. Nombreux sont les sénateurs et les députés qui ont fait des études en ce domaine, mais, pourtant, le sort de l'actuelle génération de chercheurs semble leur être indifférent.
Le sénateur Callbeck : Certains de vos membres ont-ils obtenu, du gouvernement, des chiffres ou des études justifiant les décisions en question?
M. Theis : Les chiffres que nous avons cités proviennent du gouvernement, bien que celui-ci ne soit pas en mesure de nous dire comment il les a obtenus. Il s'agit là d'un détail qui mérite d'être relevé, car ce sont, en fait, les seuls chiffres que nous ayons.
Le sénateur Ringuette : Je suis surtout préoccupée par l'important changement que le budget 2007 a opéré au titre des transferts sociaux, dans le financement de l'enseignement postsecondaire. La formule a été modifiée afin de réduire la capacité fiscale — ce que les fonctionnaires appellent « péréquation associée ». Le gouvernement a retiré de la formule la capacité fiscale des provinces en matière de financement de l'enseignement postsecondaire. Cela fait que les provinces les moins à même de financer l'enseignement postsecondaire risquent de voir réduire les transferts qu'elles obtenaient jusque-là du gouvernement fédéral.
Permettez-moi de vous citer un exemple. Je viens du Nouveau-Brunswick, c'est-à-dire d'une province moins bien nantie. Eh bien, de 2007 à 2014, les subventions accordées au Nouveau-Brunswick dans le cadre des transferts sociaux, qui comprennent le financement de l'enseignement postsecondaire, ont baissé de 237 millions de dollars. Les sommes transférées par le gouvernement fédéral n'ont, au total, pas baissé, mais la plupart des provinces y ont perdu. Ainsi, le Québec a perdu plus d'un milliard de dollars, en raison des changements apportés à la formule de financement applicable à l'enseignement postsecondaire. Seulement deux provinces ont gagné. L'Ontario a gagné un petit peu, mais celle qui a gagné le plus c'est l'Alberta, qui a touché trois milliards de dollars de plus. C'est effarant et cela va tout à fait dans le sens de ce que vous disiez tout à l'heure. Il existe donc, effectivement, un écart entre les étudiants qui habitent une province moins bien nantie et ceux des autres provinces. L'actuel gouvernement opère une discrimination à l'encontre de ceux-là.
Comment avez-vous réagi à cela? Que pensez-vous que nous devrions proposer?
M. Boyko : Vous soulevez là un point important. Le vice-président du comité a raison de rappeler que le gouvernement fédéral a, ces dernières années, investi des sommes considérables dans le cadre du Transfert social canadien, des sommes en fait supérieures aux crédits dégagés au cours des dix années précédentes. Nous continuons à souffrir de l'austérité décrétée afin d'équilibrer le budget. Mais, malgré l'argent récemment investi dans ce domaine, nous sommes loin des sommes disponibles au début des années 1990 et il nous manque des milliards par rapport à ce qui était consacré à ce domaine au début des années 1980. La solution réside en partie dans le maintien des subventions pour dépenses courantes versées aux universités et aux collèges dans le cadre du Transfert social canadien. Dans l'idéal, ces subventions seraient accordées en fonction de certains principes directeurs qui pourraient peut-être être consacrés par un texte de loi analogue à la Loi canadienne sur la santé.
Il n'en reste pas moins qu'il ne suffit pas de subventionner la Fondation canadienne pour l'innovation, simples opérations ponctuelles, ou d'augmenter le montant des subventions. Il faut, en effet, définir en ce domaine une politique globale et accroître les subventions versées dans le cadre du Transfert social canadien. Nous sommes d'avis, et cet avis pourrait très bien trouver écho dans certaines régions de l'Atlantique, qu'il y a lieu de passer à un système dans le cadre duquel le Transfert social canadien est calculé non plus par habitant, mais par étudiant. Certaines provinces, en effet, attirent un grand nombre d'étudiants sans pour cela obtenir du gouvernement fédéral le même financement par étudiant que les provinces qui en attirent un moins grand nombre. La Nouvelle-Écosse est en cela un excellent exemple.
M. Churchill : Je vous remercie, monsieur le sénateur, d'avoir évoqué cette question, et je remercie M. Boyko de ce qu'il a dit à cet égard. Nous partageons vos inquiétudes. Nous avons de nombreux membres au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse et nous demandons, depuis un certain temps au gouvernement fédéral de travailler de concert avec les provinces afin d'élaborer pour l'enseignement postsecondaire, un projet national qui nous permettrait de régler ces problèmes. Nous souhaitons faire en sorte qu'il n'y ait au Canada aucune région ni aucun étudiant qui soit laissé pour compte. Nous souhaiterions que l'enseignement postsecondaire fasse l'objet d'une subvention particulière et estimons que cette subvention devrait être calculée en fonction du nombre d'étudiants et non en fonction du nombre d'habitants. Il paraît normal que les provinces qui, comme la Nouvelle-Écosse, attirent des étudiants venant d'autres régions, touchent des subventions calculées en fonction du nombre d'étudiants inscrits dans leurs établissements.
Le sénateur Ringuette : Je m'inquiète un peu de la situation que je viens de vous décrire. Les deux tableaux en question montrent bien que les changements qui sont intervenus n'ont aidé que deux provinces.
Les étudiants membres de votre association sont répartis dans tout le Canada. Je sais que l'Association des universités a soulevé le problème et formulé des reproches à cet égard, mais je n'ai rien entendu de la part des étudiants. J'espère que cela va changer.
Le sénateur Mitchell : Je suis du même avis que le sénateur Ringuette. Il me semble, en effet, que si, avant de toucher une subvention pour entretenir son infrastructure, un établissement doit lever des fonds, les établissements les mieux nantis sont ceux qui ont le plus de chances d'y parvenir.
En ce qui concerne les deux milliards de dollars en contrepartie desquels vous venez de nous dire que des fonds correspondants ont été levés, avez-vous des chiffres indiquant si les subventions vont en fait être accordées de manière disproportionnée aux régions les mieux nanties?
M. Theis : Pour l'instant, non. Une seule annonce a été faite jusqu'ici. Cela dit, si vous vous penchez sur l'annonce que la Colombie-Britannique a faite, le 8 avril, vous constaterez tout de même un certain équilibre au niveau du financement accordé aux divers types d'établissements et aux diverses sortes de projet.
Mais, comme M. Boyko l'a fait remarquer, nous craignons que les subventions à la recherche entraînent un délaissement d'autres priorités telles que le renouvellement des infrastructures. Les mises à niveau environnementales et divers autres projets qui contribuent à l'équilibre financier de l'université et qui prolongent la durée de vie utile des immeubles sont des actions prioritaires, mais il semble qu'effectivement, on soit parvenu, dans l'ensemble, à un équilibre entre les divers types de projet.
Mais tout cela dépend des délais de lancement de ces projets, car pour pouvoir prétendre à une subvention, les travaux doivent être en cours d'achèvement au plus tard en mars 2011. Cela impose donc une limite à certains des buts que vous envisagez.
Cela dit, c'est tout de même pour nous un objet de préoccupation et c'est bien pour cela que nous souhaitons suivre de près la situation. Bon nombre de nos membres proviennent des provinces que vous avez citées en exemple. C'est ainsi que nous souhaitons en particulier que les 500 millions de dollars de travaux d'entretien qui demeurent en souffrance en Nouvelle-Écosse soient pris au sérieux et nous n'avons cessé de le rappeler.
Le sénateur Mitchell : Ce qui m'inquiète le plus avec cette concentration des subventions dans les écoles de commerce, les facultés des sciences et les facultés d'ingénierie c'est qu'en raison d'affinités électives, ces écoles reçoivent déjà beaucoup d'argent du secteur privé. En effet, souvent les gens dans les affaires sont soit des ingénieurs, soit des scientifiques, soit des titulaires d'une MBA.
Les domaines qui apportent à notre société un enrichissement d'un autre ordre, tels que les arts, les beaux-arts, la philosophie, la sociologie ou la science politique font un peu figure de parents pauvres. Les arts libéraux — et je suis sur ce point d'accord avec M. Boyko — ont été un peu mis à l'écart par ce gouvernement pour des motifs essentiellement idéologiques.
D'après vous, l'accent ainsi mis au niveau des subventions à la recherche, sur les études liées aux affaires, aggrave-t- il un problème qui marquait déjà la vie de nos universités et de nos collèges? Serait-ce votre avis?
M. Churchill : C'est possible. Ce que nous pouvons dire, c'est que nous avons engagé des spécialistes chargés, justement, de répartir les subventions entre les divers domaines qui en ont besoin et qui les méritent. Nous ne souhaitons aucune ingérence qu'elle soit de type idéologique ou autre. Laissons les professionnels faire leur travail et répartir les subventions comme il leur appartient de le faire.
Le sénateur Mitchell : Vous avez dit, ce qui est à la fois vrai et regrettable, que les subventions en question vont être affectées de manière disproportionnée à des domaines qui attirent un nombre infime d'étudiantes par rapport au nombre d'étudiants. Savez-vous si, avant de s'engager dans cette voie, le gouvernement a procédé à une analyse comparative entre les sexes? Avez-vous été consultés avant l'adoption de ces mesures?
M. Boyko : Je pense pouvoir répondre « non » à ces deux questions. J'avais l'impression que, pour tout poste budgétaire, il fallait en effet procéder au préalable à une analyse comparative entre les sexes. Je pense que cette exigence a été abandonnée. Je ne pense pas que le problème soit nouveau.
En ce qui concerne d'éventuelles consultations, je dois dire que, pour nous, le Programme des bourses d'études supérieures du Canada était une de nos principales exigences au niveau du budget fédéral et je pense donc que, dans une certaine mesure, le gouvernement a répondu à nos desideratas. Il a, en effet, renforcé à la fois le Programme des bourses d'études supérieures du Canada et le Programme d'Emplois d'été Canada. Il s'agit maintenant pour nous de discuter des améliorations qu'il conviendrait d'apporter au niveau des sommes investies dans ces programmes.
Nos membres sont mécontents. Les étudiants des cycles supérieurs sont lents à se mettre en colère, mais ils sont furieux de cette nouvelle orientation imposée au CRSHC pour l'attribution des bourses d'études. Nous souhaitons que ce genre d'erreur ne se reproduise pas. C'est en effet, selon nous, une erreur, et je ne pense pas qu'hormis le doyen de la Faculté de commerce à l'Université de Toronto vous trouviez dans tout l'enseignement postsecondaire beaucoup de gens qui soient d'accord pour une telle focalisation des bourses d'études supérieures.
Le sénateur Nancy Ruth : Soyez, messieurs, les bienvenus devant le comité. Notre discussion intéresse en partie les sciences humaines et il est vrai que, comme le disait le sénateur Mitchell, on a souvent tendance à s'en remettre à la générosité du secteur privé. Il y a quelques années, Hal Jackman a fait un don qui a permis à l'Université de Toronto de créer 15 nouvelles chaires. Il y a en effet des particuliers qui savent se montrer généreux.
Il est fort possible que les sciences sociales contribuent à l'essor de notre économie, mais puisqu'il s'agit d'un but que s'est fixé le gouvernement, pensez-vous vraiment que 100 nouveaux archéologues puissent effectivement contribuer à la relance? Ils pourraient, certes, créer un nouveau musée consacré par exemple aux objets d'art autochtones, mais ne pensez-vous pas que, compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons, il serait peut-être plus utile de créer de nouvelles écoles de commerce?
M. Boyko : L'immense majorité des subventions accordées à des recherches universitaires en science et en ingénierie sont destinées à la recherche fondamentale. On ne peut donc pas dire qu'il s'agisse de travaux de recherche qui vont permettre de relancer l'économie dans les deux ou trois prochaines années.
Il est tout à fait faux de dire que les subventions à la recherche scientifique menée par les universités vont permettre de relancer l'économie. Les résultats de la recherche s'inscrivent en effet dans le long terme, à horizon de cinq, dix voire 15 ans. Il est donc inexact de dire que les recherches en ingénierie ou en chimie vont permettre de relancer à brève échéance notre économie. Ce n'est ni le but ni le résultat des travaux de recherche universitaires.
Mais, si nous voulons être justes, on ne peut pas le reprocher aux sciences humaines, sans le reprocher aux autres sciences, car une grande partie de la recherche fondamentale, de part et d'autre, n'a pas pour effet de stimuler l'économie. Il est donc tout à fait injuste d'affirmer que les « historiens ne font rien pour relancer l'économie, alors que les chimistes, eux, [...] ». En effet, les recherches universitaires ne sont d'une manière générale pas faites pour cela. Certes, il existe des recherches appliquées qui peuvent mener rapidement à la commercialisation, mais cela n'est vrai que d'une toute petite partie de ce qui se fait en science et en ingénierie.
Il nous faut, je pense, si nous voulons discuter des répercussions économiques de la recherche, soumettre toutes les disciplines aux mêmes critères.
Le sénateur Nancy Ruth : Mais les universités ont, en leur sein, des personnes dont le travail consiste justement à faire en sorte qu'il soit tiré parti, sur le plan industriel, du résultat des recherches. Elles s'occupent même de faire breveter les innovations. Or, on ne voit pas cela, par exemple, en archéologie. Le résultat certes n'apparaîtra peut-être pas dans l'immédiat, mais à horizon de quatre ou cinq ans. Vous avez, tout à l'heure, prononcé le mot « austérité ». Or, d'après moi, il appartient justement au gouvernement de relancer l'économie, et je pense que c'est là un meilleur moyen d'y parvenir.
Ma deuxième question concerne l'intéressante proposition que vous avez formulée tout à l'heure au sujet de l'instauration d'une procédure d'appel en cas de refus d'un prêt étudiant.
N'avez-vous pas posé en principe, que la fin justifie les moyens et qu'il est légitime de faire une fausse déclaration afin d'obtenir un prêt si votre famille n'a pas de quoi se nourrir, et qu'il devait par conséquent exister un recours permettant de faire appel d'un éventuel refus. J'aimerais savoir si en Colombie-Britannique, province qui a effectivement instauré une telle procédure d'appel, ce recours a souvent été exercé et si l'intéressé obtient généralement gain de cause.
M. Theis : La question est en effet pertinente. Je n'ai pas ici les éléments me permettant de vous répondre, mais je me ferai un plaisir de vous les obtenir.
Le vice-président : Pourriez-vous les transmettre à notre greffier afin que les membres du comité puissent en prendre connaissance?
M. Theis : Très volontiers. Tout ce qui contribue à la relance de l'économie est bien sûr souhaitable, mais je voudrais ajouter à ce que M. Boyko vient de dire que la question des retombées économiques est loin d'être évidente car rien ne garantit que les recherches engagées seront du type que le gouvernement estime souhaitable, ni même qu'elles donneront les résultats escomptés.
Je tiens en outre à insister sur l'importance essentielle de la contribution que les sciences humaines sont à même d'apporter à notre activité commerciale et notamment au processus de décision. Il était impensable, dans les années 1960, qu'un homme d'affaires n'ait pas lu The Great Crash, l'ouvrage de John Kenneth Galbraith, un économiste canadien. Voilà un peu le genre de considérations qu'il nous faut prendre en compte avant de nous prononcer sur ces diverses questions. Nous devons, en effet, envisager la situation de manière globale et mettre en place un dispositif de recherche fondamentale qui nous permette d'approfondir la connaissance que nous avons de nous-mêmes, car ces types de connaissances ont une incidence essentielle sur le commerce et l'économie ainsi que sur divers domaines de recherche à caractère plus technique.
Le sénateur Nancy Ruth : Je tiens à dire que tout gouvernement — autant l'actuel gouvernement, que le précédent et, sans doute, le prochain — aimerait, à n'en pas douter, dresser des plans permettant d'éliminer la pauvreté et doter chaque ville d'un réseau d'égouts performant. Chacun souhaiterait faire de telles réalisations, mais ce n'est que petit à petit que ces choses peuvent se faire.
Le sénateur Eggleton : J'espère que le gouvernement ne considère pas que, dans la mesure où il a transféré aux provinces 100 millions de dollars de plus l'année dernière et 900 millions de dollars de plus l'année d'avant, il n'y a pas de quoi se plaindre. Je ne pense pas que ce soit la bonne attitude à avoir, car l'enseignement nous concerne tous et c'est un élément essentiel de notre prospérité dans les années à venir.
Au lieu de simplement comptabiliser les sommes accordées ici et là, il serait beaucoup plus utile d'élaborer un véritable projet. Nous ne pouvons non plus éviter de nous interroger sur la question de savoir à quoi servira cet argent et s'il va vraiment être utilisé le mieux possible.
J'en reviens donc à ce qui a été dit au sujet de la politique de l'actuel gouvernement en matière scientifique, et de la place de la recherche parmi les mesures de relance économique. Je partage à cet égard l'avis que nous ont exprimé nos témoins.
Il y a eu des coupures dans certains domaines de la recherche, alors qu'au contraire, d'autres domaines ont bénéficié d'une augmentation. C'est une bonne chose, par exemple, qu'on consacre davantage d'argent à l'infrastructure, mais si vous ne financez pas l'activité des personnes occupant les locaux, vous aurez, effectivement, de belles installations, mais elles ne seront occupées qu'à moitié.
Regardez ce que font actuellement les États-Unis où le Président Obama n'hésite pas à dépenser des milliards et des milliards, car il sait que l'avenir de l'économie dépend des décisions qui sont prises aujourd'hui quant aux investissements à faire.
Nous, par contre, procédons actuellement à des coupures. Nous avons, en effet, réduit les crédits de nos trois principaux organismes subventionnaires. C'est un fait alors que le Président Obama, lui, a fait l'inverse. Les États-Unis finiront par attirer un grand nombre de nos chercheurs qui n'hésiteront pas à aller là où leurs travaux sont davantage prisés.
Je voudrais également vous poser une question au sujet de la recherche fondamentale. Je m'inquiète à l'idée que le gouvernement — qui semble surtout s'intéresser à la recherche appliquée, car il pense que ce genre de recherche peut avoir des retombées pratiques à brève échéance — ne semble pas vraiment s'intéresser à la recherche fondamentale. C'est tout à fait dommage, car si notre pays avait toujours eu en matière de recherche scientifique la politique actuellement appliquée, on n'aurait jamais subventionné les travaux qui ont abouti au bras spatial canadien ou au programme Dextre. On n'aurait jamais subventionné les travaux d'un chercheur tel que John Polanyi, dont les travaux ont été couronnés par le Prix Nobel de chimie, car tous ses travaux, même les applications pratiques, dépendent en définitive de la recherche fondamentale. Ne pas reconnaître cela, c'est mener une politique à la petite semaine.
Je suis donc très préoccupé par les mesures dont il est question ce matin. Je ne pense pas qu'elles soient dans l'intérêt de notre pays et peu m'importe que l'année dernière on ait effectivement transféré aux provinces 100 millions de dollars de plus. En effet, si nous ne mettons pas en place les programmes qui conviennent, si nous ne parvenons pas à élaborer un véritable projet permettant de faire progresser l'enseignement et la recherche, et les orienter dans un sens qui soit utile à notre économie, tant dans le contexte de la situation actuelle qu'en révision de l'avenir, nous allons à l'avant de graves difficultés. Pourriez-vous nous donner votre avis au sujet de la recherche fondamentale?
Il y a eu des coupures dans les sciences humaines. C'est d'après moi une erreur qui nous porte à nous interroger. J'estime que les sommes investies dans ce domaine permettront d'accroître nos connaissances de choses qui se révéleront très utiles à l'avenir, tant sur le plan économique que sur le plan social.
M. Theis : Nous sommes, je pense, sur la même longueur d'onde. Prenons l'exemple de Stephen Hawking qui, aux termes de certaines des actuelles dispositions budgétaires sur l'affectation des crédits, serait incapable de financer ses travaux. Or, est-il envisageable de refuser à Stephen Hawking une subvention de recherche?
M. Boyko : Je souhaite vous convaincre qu'il est important de continuer à investir dans les travaux des étudiants des cycles supérieurs. Il nous faut rattraper le temps perdu. En effet, de nombreux étudiants diplômés ne reçoivent actuellement aucune aide. Or, ce sont les chercheurs de demain. Nous avons la chance d'avoir un John Polanyi ou un Stephen Hawking, mais il nous faut assurer la relève et ne pas risquer de voir nos chercheurs les plus prometteurs s'envoler vers les États-Unis ou d'autres pays.
M. Churchill : Il s'agit donc de cultiver une pensée d'avant-garde, car, selon de nombreux économistes, c'est cela qui nous permettra de sortir de la récession ou, à tout le moins, de maintenir notre compétitivité. Or, la recherche fondamentale est un élément absolument essentiel d'une culture de l'innovation. Nous sommes tout à fait d'accord avec ce que vous venez de dire.
Le sénateur Di Nino : Nous sommes, messieurs, heureux de vous accueillir. J'ai eu de temps à autre l'occasion de m'entretenir avec certains de vos représentants qui se sont rendus sur la Colline, notamment des représentants de l'ACAE. Je tiens à vous féliciter du dynamisme de vos interventions auprès des pouvoirs publics. Vous faites valoir vos arguments de manière claire et efficace.
Mais, pourquoi y a-t-il deux organisations estudiantines distinctes?
M. Churchill : On nous demande souvent cela. Il existe deux groupements estudiantins distincts, car, dans l'histoire du mouvement étudiant au Canada, il y a eu des dirigeants étudiants optant pour des orientations différentes. Il existe, entre les deux organisations, certaines différences de structure et, dans le passé, il y avait également des différences au niveau de leurs politiques respectives.
Pour nous, l'essentiel est de privilégier les points sur lesquels nous sommes d'accord, notamment sur les questions que nous avons abordées aujourd'hui. Là, nous sommes d'accord sur presque tous les points. Nous avons la même manière d'envisager l'accès à l'éducation, le même souci d'un enseignement abordable et de qualité. Nous sommes d'accord également sur l'importance d'élaborer une stratégie nationale d'enseignement postsecondaire soutenue par le gouvernement fédéral et nous prônons un système de bourses d'études fondé sur les besoins et, pour les étudiants, une aide financière qui n'aurait pas à être remboursée. L'existence de deux associations distinctes ne veut aucunement dire qu'il n'existe pas des domaines de coopération. Nous œuvrons en effet toujours de concert avec le gouvernement afin de faire progresser nos idées et nos idéaux.
M. Boyko : À vrai dire, je ne sais pas très bien pourquoi il existe deux associations. Je ne pense pas que cela soit nécessaire, mais je crois que c'est essentiellement dû à des raisons historiques. Cela dit, nous sommes surtout ici pour parler du budget.
Le sénateur Di Nino : Un de mes collègues évoquait tout à l'heure les disparités régionales. Êtes-vous en mesure de nous dire si les crédits dégagés par le gouvernement du Canada ont eu pour effet de favoriser ou à défavoriser certaines régions?
M. Churchill : Le sénateur Ringuette a eu raison de soulever la question, car notre organisation se préoccupe elle aussi de ces disparités au niveau des financements. D'après nous, il s'agirait surtout de faire en sorte que les crédits soient calculés en fonction du nombre d'étudiants et non en fonction du nombre d'habitants.
Certaines provinces accueillent des étudiants qui viennent faire leurs études et personne ne sait si ces étudiants resteront dans la province en question après l'obtention de leur diplôme. C'est pourquoi il est essentiel que les crédits à l'enseignement secondaire soient calculés en fonction du nombre d'étudiants.
Depuis que je fais partie de cette association, c'est-à-dire depuis au moins quatre ans, les étudiants ont proposé plusieurs politiques susceptibles de régler le problème. C'est effectivement une question qui intéresse beaucoup les étudiants et nous souhaiterions pouvoir collaborer avec vous et avec d'autres sénateurs afin de faire accepter, tant par le Sénat que par la Chambre des communes, l'idée d'un tronc commun à l'échelle nationale, de transferts qui ne pourraient être affectés qu'à l'enseignement secondaire et d'un financement calculé en fonction du nombre d'étudiants.
Le sénateur Di Nino : J'ai ici quelques chiffres concernant, justement, la répartition des aides fédérales entre les diverses provinces et territoires. Selon ces chiffres, de 2005 à 2009-2010, le Nouveau-Brunswick a bénéficié d'une augmentation de quelque 20 p. 100, ce qui est considérable. Selon ma collègue, le sénateur Ringuette, l'Alberta serait indûment avantagée par rapport au Nouveau-Brunswick.
Toutes les provinces et tous les territoires ont-ils bénéficié d'une telle augmentation? Je vous demande, puisque vous suivez de près la situation, si vous pourriez me préciser cela, car le renseignement que m'a fourni le sénateur n'est peut- être pas exact.
M. Churchill : Le fait que le montant du financement ne soit pas calculé en fonction du nombre d'étudiants, nous paraît effectivement anormal. Nous estimons, en effet, que chaque province devrait bénéficier d'un financement calculé en fonction du nombre d'étudiants et non en fonction du nombre d'habitants puisque, et c'est le cas, de la Nouvelle- Écosse, il n'y a aucun rapport entre les deux chiffres. Si nous souhaitons que les provinces puissent correctement éduquer leurs étudiants, et les préparer à la vie active, il est essentiel que l'enseignement dispensé soit de qualité. Or, si les financements accordés ne correspondent pas, en fait, au nombre d'étudiants inscrits, il va manifestement y avoir des carences.
M. Boyko : Nous sommes, de ce côté-ci, tous d'accord pour dire que c'est au gouvernement fédéral qu'il appartient de prendre l'initiative. D'après nous, les mesures qui s'imposent vont plus loin que ce qui s'est fait jusqu'ici, et il conviendrait afin, justement, d'éviter les conséquences que je viens d'évoquer, d'adopter, en matière d'enseignement, un texte de loi analogue à la Loi sur la santé.
Dans le budget fédéral 2006, le gouvernement du Canada a, dans le cadre du Transfert social canadien, augmenté de 800 millions de dollars les crédits destinés à l'enseignement postsecondaire. Il s'agit là, évidemment, d'une augmentation tout à fait considérable. La part de la Colombie-Britannique s'est élevée à plus de 100 millions de dollars.
Or, l'automne suivant, le gouvernement de la Colombie-Britannique a amputé de plus de 50 millions de dollars les crédits destinés aux universités et collèges de la province. Cela lui a permis d'équilibrer son budget, mais bien que la province ait reçu plus de 100 millions de dollars en plus du gouvernement fédéral, les étudiants et leurs familles ont dû absorber cette baisse de 50 millions de dollars en raison des coupures apportées tant aux programmes qu'au corps enseignant.
Nous ne voulons pas dire par cela que le gouvernement fédéral aurait dû immédiatement intervenir et imposer sa loi à Gordon Campbell. Nous voulons simplement dire qu'il conviendrait d'harmoniser par un texte de loi national les conditions d'octroi des crédits à l'enseignement postsecondaire. Il conviendrait donc de s'entendre sur un certain nombre de principes et d'objectifs afin d'assurer la qualité de nos universités et collèges, de rendre l'enseignement postsecondaire plus abordable et de s'entendre aussi sur un certain nombre d'objectifs en matière de recherche universitaire. Or, on n'y parviendra pas si le gouvernement fédéral se contente de transférer l'argent aux provinces sans poser de conditions à la manière dont il est employé. Il s'agit en effet de l'argent du contribuable fédéral que le gouvernement fédéral dispense sans veiller à son utilisation.
Le sénateur Di Nino : Vous n'ignorez pas, je pense, la véritable boîte de Pandore qu'on ouvrirait en conditionnant les transferts aux provinces. Ça nous ramène un peu à ce que disait notre vice-président au début de la séance. Il est clair que la question doit être débattue avec les provinces étant donné qu'il s'agit d'un domaine qui relève constitutionnellement de leurs compétences et qu'il s'agit, par conséquent, d'un sujet extrêmement délicat.
M. Churchill : Nous avons parlé d'une stratégie nationale et peut-être aurions-nous dû dire stratégie « pancanadienne ». Il ne s'agit pas, en effet, d'imposer aux provinces des politiques fédérales, mais bien d'agir de concert comme le pays a su le faire dans le passé, et de s'attaquer collectivement à un problème qui intéresse tous les habitants. Il s'agirait donc de réunir les provinces et le gouvernement fédéral pour s'entretenir de la question, ce que nous n'avons pas su faire jusqu'ici.
Que voulons-nous faire de l'enseignement postsecondaire au Canada? Quels sont les programmes et les politiques sur lesquels nous pourrions nous entendre afin de travailler de concert pour tenter d'atteindre les buts que nous nous fixons en tant que pays? Je parle bien de collaboration et non pas de l'imposition de telle ou telle politique ou de tel ou tel point de vue. Nous souhaitons que le gouvernement fédéral prenne en cela l'initiative afin de lancer un débat national sur la question et de nouer ce partenariat qui nous paraît essentiel.
Le sénateur Ringuette : Les chiffres dont j'ai fait état proviennent du ministère des Finances et je regrette que le sénateur Di Nino n'en ait pas eu connaissance.
Je dois dire, pour revenir à ce que M. Boyko disait au sujet de la Colombie-Britannique et des 50 millions de dollars retranchés du budget de l'enseignement postsecondaire, que pour l'année financière 2008-2009, le transfert social vers la Colombie-Britannique est passé de 1,5 milliard de dollars à 1,4 milliard de dollars. Au niveau des transferts sociaux en direction de la Colombie-Britannique, transferts qui comprennent les crédits destinés à l'enseignement postsecondaire, cette province a donc vu réduire de 100 millions de dollars les sommes qu'elle a reçues. Je souhaiterais que ces données chiffrées soient distribuées à tous les membres du comité afin que chacun sache exactement ce qu'il en est.
[Français]
Le sénateur Rivard : On sait qu'une fois les études terminées, les débouchés sont extrêmement rares, si l'on compare avec le début des années 1970 où les employeurs venaient nous rencontrer à l'université. À cette période, c'était les étudiants qui avaient le choix, alors qu'aujourd'hui, c'est très difficile.
Ma question concerne les prêts étudiants. Est-ce qu'il existe une loi au fédéral qui vous oblige à rembourser le prêt, mais qu'advenant le cas d'une faillite, vous pouvez être libéré après tant d'années?
Si je prends comme exemple le gouvernement du Québec, les prêts étudiants sont remboursables sur une période de dix ans; si vous faites faillite avant sept ans, la dette n'est pas effacée, vous n'êtes pas libéré de la faillite, alors qu'après sept ans, cela entre dans les créanciers. Est-ce qu'une telle clause existe au fédéral? Et le cas échéant, c'est la même chose, sept ans?
[Traduction]
M. Boyko : Il s'agit en effet d'une question importante, car il y a une toute petite minorité de diplômés qui, en raison de leur prêt étudiant et de diverses circonstances, se retrouvent tout à fait démunis. En 1997, le gouvernement fédéral a modifié la loi, introduisant une période d'interdiction de deux ans, alors qu'auparavant cette interdiction n'existait pas, passant, en 1998, sans préavis, d'une période d'interdiction de deux ans à une période d'interdiction de 10 ans. Cette interdiction de déclarer faillite à l'égard de prêts étudiants a été maintenue jusqu'à il y a environ un an et demi, lorsque le gouvernement fédéral a finalement décidé de ramener de 10 à sept ans la période d'interdiction de déclarer faillite à l'égard d'un prêt étudiant.
Nous travaillons actuellement de concert avec le sénateur Goldstein, de Montréal, qui doit, je crois savoir, prendre sa retraite le mois prochain. Nous poursuivrons peut-être avec le sénateur Baker nos efforts en vue d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui ramènerait à cinq ans pour tout le monde la période d'interdiction. Le sénateur Goldstein propose actuellement une période de deux ans pour les personnes se trouvant en grande difficulté, ce qui me paraît essentiel.
Certains fonctionnaires pensent que les gens n'ont aucun scrupule à faire faillite, mais l'idée même me paraît insultante. Il existe, en effet, une infime minorité de diplômés qui ne peuvent tout simplement pas assumer les dizaines de milliers de dollars de dette qu'ils ont encourue. Je pense qu'ils devraient avoir la possibilité de soumettre leur affaire à un juge qui décidera alors s'il y a des chances qu'ils parviennent un jour à s'acquitter de leurs dettes. Je vous demande à tous de contribuer à l'adoption par le Sénat de ce projet de loi émanant d'un sénateur.
[Français]
Le sénateur Chaput : Peut-être que nos témoins répondraient à ma première question par écrit, cela pourrait nous faire sauver du temps.
Ma première question concerne le pouvoir additionnel octroyé à la ministre. Elle a maintenant le droit de refuser ou de suspendre de l'aide financière.
Vous avez mentionné qu'il n'y a pas de mécanismes d'appel dans le projet de loi. Alors, un étudiant ne peut pas se défendre ou présenter son point de vue.
Je me demandais ce que vous auriez aimé retrouver en termes de mécanismes d'appui. Avez-vous des exemples de ce genre de mécanismes dans une province ou une autre? Et j'aimerais savoir ce que vous voulez dire par « mécanismes d'appui ».
Ma deuxième question concerne les fraudes ou les abus qui peuvent survenir lorsque la ministre a la latitude de refuser ou de suspendre de l'aide financière. À votre connaissance, est-ce qu'il y a eu, dans le passé, beaucoup de ces incidents d'abus ou de refus? D'après vous, qu'est-ce qui a motivé cette mesure? Est-ce qu'il y a des chiffres à l'appui qui démontrent qu'il était nécessaire d'octroyer ce pouvoir additionnel?
[Traduction]
M. Theis : Permettez-moi de vous donner, pour l'instant, une réponse succincte. Je vous ferai parvenir par écrit davantage d'éléments.
En ce qui concerne la première question, il y a, effectivement, un modèle qui nous semble bon. C'est ce qui se fait actuellement en Colombie-Britannique, où une sorte de commission constituée de personnes préposées à l'aide financière aux étudiants, de fonctionnaires et d'étudiants est chargée de conseiller le ministre quant à la manière dont il convient de se prononcer dans tel ou tel appel.
En ce qui concerne les mesures à prendre par le ministre en cas de fraude, et le nombre de cas enregistrés, nous avons justement posé la question à la Division des prêts aux étudiants du ministère des Ressources humaines et Développement des compétences. Nous attendons la réponse et nous nous ferons un plaisir de vous en faire part.
Le sénateur Mitchell : Le gouvernement vient de rétablir à l'intention des étudiants le programme Emplois d'été Canada. Pourriez-vous me préciser en quelle année ce programme avait été annulé? Je pense que cela fait deux ans. Pourriez-vous nous dire, en outre, à peu près combien d'emplois avaient été annulés par la même occasion? Je suis un peu surpris de les voir se vanter d'instaurer un programme alors que ce sont eux qui l'avaient annulé.
Pourriez-vous nous donner une idée, pas tout de suite bien sûr, de ce que pourrait donner, en 2009-2010, un financement calculé en fonction, non pas du nombre d'habitants, mais du nombre d'étudiants?
M. Boyko : En réponse à votre première question...
Le vice-président : Pourrions-nous vous demander de répondre par écrit?
M. Boyko : Au sujet du programme Emplois d'été Canada?
Le vice-président : Si vous avez la réponse, allez-y, sinon, nous vous demandons de nous la faire parvenir par écrit.
M. Boyko : Le programme Emplois d'été Canada a été amputé de 50 p. 100 en 2007, et presque immédiatement rétabli à hauteur de 90 p. 100 de son financement antérieur et il me plaît de croire que c'est grâce aux pressions exercées par les étudiants. Après cela, le budget de ce programme a été augmenté de 10 p. 100. Sur le plan financier, nous en sommes donc à peu près où nous en étions à l'été 2006.
Le vice-président : Je vous remercie. Je tiens, au nom de mes collègues, à remercier les témoins qui ont bien voulu comparaître devant nous aujourd'hui. Vos propos nous ont été des plus utiles et nous tenons à vous en remercier.
Notre deuxième panel est composé de membres de deux organisations représentant les universités et les collèges. Nous accueillons en effet, pour l'Association des universités et collèges du Canada, Claire Morris, présidente-directrice générale et André Dulude, vice-président, Affaires nationales. L'Association des collèges communautaires du Canada est représentée par James Knight, président-directeur général et par Terry Anne Boyles, vice-présidente, Affaires publiques.
Souhaitez-vous faire une déclaration d'ouverture?
Claire Morris, présidente-directrice générale, Association des universités et collèges du Canada : Merci. C'est avec plaisir que nous comparaissons aujourd'hui devant votre comité.
Les universités canadiennes travaillent d'arrache-pied pour apporter leur contribution au pays autant sur le plan économique que sur le plan social au cours du plus important repli économique que le monde ait connu depuis des décennies. Les universités sont modernes et dynamiques, profondément enracinées dans leurs collectivités, et elles constituent d'importants partenaires pour les entreprises, les gouvernements et les organisations à but non lucratif. En outre, tel un portail ouvert sur le monde, elles attirent plus de 70 000 étudiants étrangers et envoient des étudiants et des chercheurs canadiens dans d'autres pays.
Nous continuons de fournir au marché du travail un nombre record de diplômés dans une grande variété de disciplines. Ces diplômés sont non seulement les plus susceptibles d'être embauchés, mais sont également plus enclins à obtenir d'excellents résultats dans les secteurs qui créent des emplois.
Les Canadiens sont pleinement conscients de 1'importance de la formation universitaire; les effectifs atteignent actuellement des niveaux sans précédent à l'échelle nationale, avec plus de 815 000 étudiants qui fréquentent nos établissements à temps plein.
[Français]
Les universités continuent d'effectuer des projets de recherche de pointe, qui génèrent des idées et grâce auxquels les entreprises peuvent créer de nouveaux produits et améliorer des procédés et qui aident les collectivités et les gouvernements à relever des défis d'ordre social, économique, culturel et environnemental.
En fait, le secteur universitaire arrive au deuxième rang sur le plan de la recherche effectuée au Canada. En 2007, les universités canadiennes ont effectué environ 36 p. 100 des activités de Recherche et Développement au pays dont la valeur est estimée à plus de 10 milliards de dollars. Ces activités n'auraient pu être menées sans les sommes considérables investies dans les universités canadiennes par le gouvernement fédéral.
Bien que les gouvernements fédéraux successifs, formés par un parti ou l'autre, aient fait de l'enseignement supérieur et de la recherche universitaire une priorité, il vaut la peine de mettre en évidence l'ampleur des investissements destinés à l'infrastructure postsecondaire dans le budget 2009. Ces fonds consacrés à l'infrastructure constituent la réponse aux demandes de nombreux intervenants, dont l'AUCC, et permettent à court terme de créer des emplois et d'aider les universités à attirer, à former et à maintenir en poste des chercheurs très qualifiés.
[Traduction]
Dans le cadre du Plan d'action économique du Canada de 2009, le gouvernement fédéral a présenté le Programme d'infrastructure du savoir, une mesure de relance économique d'une valeur de deux milliards de dollars sur deux ans visant l'amélioration de 1'infrastructure des établissements d'enseignement supérieur canadiens, y compris les universités et les collèges communautaires.
L'obligation du gouvernement de doubler les fonds versés par les gouvernements provinciaux, le secteur privé et les universités elles-mêmes multiplie les retombées de ce financement. On prévoit qu'au cours des deux prochaines années, au moins quatre milliards de dollars seront investis dans diverses collectivités canadiennes dans le but de restaurer l'infrastructure postsecondaire et d'y ajouter de nouveaux éléments. Un investissement de cette ampleur permettra de rattraper une grande partie du retard dans 1'entretien de 1'infrastructure dans les universités canadiennes.
L'AUCC appuie le Programme, conçu de façon à améliorer une grande variété d'installations d'enseignement et de recherche. La large portée de cette définition est importante, car elle permet de reconnaître que la contribution qu'apportent les universités à l'économie grâce à la recherche ne se limite pas aux sciences et à la technologie, mais comprend également les sciences sociales et les disciplines artistiques, puisque les diplômés de toutes les disciplines mettent leurs compétences et leur talent au service de 1'économie créatrice.
Il semble que la plupart des établissements et des provinces ont présenté leurs propositions de projet à Industrie Canada et que la première annonce de projets qui recevront un financement égal de la part des deux ordres de gouvernement a été faite le 8 avril en Colombie-Britannique.
Les 150 millions de dollars promis dans le budget de 2009 pour les concours existants de la Fondation canadienne pour l'innovation en 2009-2010 et les 600 millions destinés aux concours à venir permettront de continuer à bâtir une solide infrastructure de pointe afin de soutenir la recherche universitaire. Le budget prévoit également 87,5 millions de dollars de plus sur trois ans pour accroître le Programme des bourses d'études supérieures du Canada, ainsi que 3,5 millions de dollars pour financer des stages dans les domaines des sciences et des affaires, ce qui souligne l'importance des investissements dans les travailleurs hautement qualifiés.
Ces investissements aideront le pays à atteindre ses objectifs socioéconomiques à court et à long terme. À court terme, ils constitueront un stimulant économique fort nécessaire. À plus long terme, ils aideront le Canada à créer et à conserver ses avantages sur le plan du savoir et des ressources humaines, tels qu'ils sont décrits dans la stratégie en matière de sciences et de technologie du gouvernement.
Nous croyons qu'il importe de considérer ces investissements comme une partie du plan pluriannuel que le gouvernement a dévoilé dans sa stratégie en matière de sciences et de technologie. Dans les trois budgets ayant précédé celui-ci, les nouveaux investissements consacrés à des activités liées aux sciences et à la technologie comprenaient un financement accru des trois organismes subventionnaires fédéraux afin qu'ils élargissent leurs programmes de base ainsi que la création de nouveaux programmes, comme les Chaires d'excellence en recherche du Canada et les bourses Vanier, qui visent à mettre en valeur les chercheurs du Canada.
Fait important, ces investissements tirent parti des investissements tout à fait substantiels dans la recherche- développement obtenus des précédents gouvernements et démontrent 1'engagement du Canada envers 1'excellence et l'évaluation par les pairs. Les nouveaux investissements dans la Fondation canadienne pour l'innovation, la création du Programme d'infrastructure du savoir et les investissements dans les Chaires d'excellence en recherche du Canada et les bourses Vanier indiquent clairement 1'engagement à long terme du gouvernement envers la recherche.
Ces investissements dans la recherche universitaire doivent, au fil du temps, appuyer les quatre éléments fondamentaux d'une façon équilibrée qui crée un environnement idéal pour la recherche novatrice. C'est lorsque des chercheurs hautement qualifiés œuvrent au sein d'une infrastructure de calibre mondial et profitent du financement nécessaire de la recherche et d'un soutien aux établissements que la recherche universitaire canadienne pour apporter sa contribution.
Le Canada doit continuer d'être concurrentiel sur la scène mondiale, laquelle constitue le théâtre des activités de ses chercheurs. Les pays du monde entier continuent de consacrer des sommes importantes à la recherche.
La nouvelle administration américaine a récemment approuvé l'injection de milliards de dollars dans la recherche- développement au cours des 18 prochains mois. Une partie considérable de ces fonds est destinée à accroître le financement à la disposition des chercheurs. Dans l'important discours qu'il a prononcé hier au sujet des politiques en matière de recherche, le président Obama a confirmé que ces investissements font partie d'un plan exhaustif qui prévoit des hausses significatives du financement de la recherche aux États-Unis au cours des prochaines années.
Les investissements constants du Canada en recherche dans le cadre de sa stratégie pluriannuelle en matière de sciences et de technologie détermineront la capacité du pays à livrer concurrence sur la scène mondiale.
À l'heure actuelle, nos membres s'affairent à prendre les mesures qui leur permettront d'entreprendre les projets d'entretien, de réparation et de construction rendus possibles par les investissements notables prévus dans le dernier budget. L'AUCC et ses membres sont déterminés à rendre compte aux Canadiens des sommes reçues et à démontrer les retombées à court et à long terme de ces investissements dans 1'enseignement supérieur et la recherche. L'ensemble des sénateurs aura récemment reçu un exemplaire de notre publication phare, En plein essor, qui dresse la liste de tout ce que la recherche universitaire a apporté au Canada.
[Français]
Nous sommes donc déterminés à travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral et les parlementaires de tous les partis afin d'optimiser l'utilisation de ces investissements comme catalyseurs du dynamisme de la recherche universitaire qui continuera d'être le berceau des travailleurs hautement qualifiés et de l'innovation nécessaire à la prospérité sociale et économique à long terme.
[Traduction]
Encore une fois, monsieur le président, je vous remercie, vous et le comité, du temps que vous nous avez accordé, et je serai heureuse de répondre à toutes les questions que les membres du Comité pourraient avoir.
Le vice-président : Je vous remercie de cet exposé préliminaire.
Monsieur Knight, souhaitez-vous faire une déclaration d'ouverture?
James Knight, président-directeur général, Association des collèges communautaires du Canada : Je tiens d'abord à vous remercier, vous et les membres du comité, de l'occasion qui nous est donnée de prendre la parole ici. L'Association des collèges communautaires du Canada représente 155 cégeps, polytechniques, collèges universitaires, collèges communautaires et instituts techniques, c'est-à-dire 1 000 campus répartis dans l'ensemble du Canada. Cela représente une implantation locale tout à fait remarquable. Ce n'est qu'assez récemment que nous avons reçu votre invitation et si nous sommes néanmoins parvenus à rédiger à votre intention un mémoire, plutôt que de vous en donner lecture, je souhaiterais plutôt vous livrer quelques observations.
Je suis relativement nouveau dans ce domaine puisque je n'occupe mes présentes fonctions que depuis 18 mois. Dire qu'il y a neuf mois seulement nous nous trouvions dans une situation économique entièrement différente. À l'époque, en effet, les employeurs et associations d'employeurs qui nous contactaient nous disaient que le principal obstacle au développement économique était la pénurie de main-d'œuvre qualifiée.
Environ 20 de ces associations avaient pris le temps de s'entretenir avec nous, essentiellement dans le but de lancer une campagne pour promouvoir les investissements dans nos établissements et permettre à leurs entreprises d'attirer les compétences nécessaires pour alimenter la croissance.
En septembre 2008, le groupe a lancé cette campagne lors d'une réunion publique. Ce groupe d'employeurs œuvrant en faveur des compétences spécialisées réunissait la plupart des principales associations d'entreprises à qui vous avez eu affaire ces dernières années.
Puis, tout d'un coup, la situation changea. Il était clair que l'économie était en perte de vitesse. Ce n'est qu'en janvier de cette année que j'ai eu à nouveau l'occasion de me réunir avec ces mêmes personnes dans le cadre d'une consultation organisée à Toronto par le ministre des Finances. Je me suis alors retrouvé avec 20 présidents de grandes entreprises canadiennes, des banques, des compagnies pétrolières, des entreprises de fabrication.
Pendant deux heures au moins, la discussion a porté uniquement sur la pénurie de capitaux, sur combien il était difficile de réunir l'argent nécessaire et sur les difficultés que tout cela leur posait. Toute la conversation a porté sur la gravité de la situation. Personne n'avait parlé du capital humain. C'est alors que j'ai dit : ça fait maintenant deux heures et demie que nous parlons du capital financier; or, il y a quelques mois seulement, vous ne parliez que du capital humain et de la nécessité d'investir dans les collèges qui assurent la formation de compétences spécialisées. Je crains par contre qu'après la reprise économique, qui me paraît assurée, notre économie manquera du dynamisme nécessaire si dès maintenant nous ne faisons rien pour surmonter cette crise des compétences qui freine l'essor de nos industries et de nos commerces.
Un ange est passé. En effet, ils se sont rendu compte soudainement que leur manière d'analyser la situation avait totalement changé, et qu'au cours de la réunion, personne n'avait même songé à évoquer la manière dont ils avaient, peu de temps avant, envisagé le problème.
En ce qui concerne le budget, nous avons formulé deux grandes recommandations. La première est que le gouvernement saisisse l'occasion d'investir dans l'enseignement postsecondaire, et plus particulièrement dans l'infrastructure des établissements. La pénurie de main-d'œuvre qualifiée est essentiellement due à trois choses : d'abord, il y a l'évolution démographique et le fait qu'un grand nombre de travailleurs vont bientôt prendre leur retraite.
Ensuite, il y a la capacité d'accueil des collèges. Cette capacité demeure tout à fait inadaptée aux besoins. Ainsi, l'année dernière, le Collège Algonquin d'Ottawa a dû refuser 7 000 candidats parfaitement compétents, faute des moyens de leur assurer la formation qui leur offrirait des débouchés. Cela est assez symptomatique de la situation dans laquelle se trouvent nos grands établissements urbains en particulier, mais cela vaut généralement pour l'ensemble de nos établissements. Il y a un énorme manque de capacité.
Nous étions convaincus que le train de mesures adoptées pour relancer l'économie devait nécessairement favoriser l'acquisition de compétences avancées. Cela a été effectivement fait. Comme le disait ma collègue, Mme Morris, le budget prévoit deux milliards de dollars sur deux ans pour les établissements d'enseignement postsecondaire, dont une partie considérable destinée à l'infrastructure des collèges.
Notre seconde grande recommandation prônait l'aide au perfectionnement professionnel des travailleurs des nombreux secteurs frappés par la crise. Nous constatons avec satisfaction que, là encore, les décisions vont dans le bon sens puisque 1,5 milliard de dollars vont être transférés aux provinces, essentiellement pour encourager l'acquisition de compétences avancées. Le perfectionnement professionnel de la plupart de travailleurs ayant perdu leur emploi sera en effet assuré par les collèges, dont c'est justement la mission d'assurer une formation débouchant sur un emploi. Les collèges n'offrent en effet pas de cours qui ne correspondent pas étroitement aux besoins de l'économie locale et aux débouchés professionnels. Ils sont en contact permanent avec les entreprises locales et autres employeurs, ce qui permet aux diplômés de trouver rapidement un travail dans leur domaine de spécialisation.
On est surpris de constater que même dans la situation économique actuelle, un très grand nombre de diplômés parviennent à trouver rapidement un emploi. Dans de nombreux domaines, on continue à relever une pénurie de main- d'œuvre qualifiée et nous continuons à manquer de moyens d'assurer à suffisamment de personnes la formation dont elles ont besoin pour trouver un emploi.
Nous vous avons parlé de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée et nous avons formulé un certain nombre de recommandations précises qui pourraient être retenues lors de l'établissement des prochains budgets. Nous avons en outre déjà pris nos dispositions en perspective d'une nouvelle batterie de mesures de relance de l'économie. Il y a bien des choses que nous pouvons faire.
Cela dit, il conviendrait de faire en sorte que l'argent destiné à l'enseignement postsecondaire et transféré au titre du transfert social soit effectivement affecté à l'enseignement postsecondaire. Or, il n'est pas certain qu'il en soit ainsi. Les organismes fédéraux de développement économique sont les grands alliés des collèges, car ils savent que les diplômés sont facilement employables et que les établissements d'enseignement exercent à cet égard une mission essentielle.
J'ajoute, et c'est peut-être l'aspect le plus important, que les collèges, en raison de leur implantation locale dans des milliers de localités, sont pour les petites entreprises des partenaires idéaux. Ils ont les moyens d'aider ces entreprises, car les résultats obtenus dans le cadre de leurs travaux de recherche appliquée. En effet, la recherche appliquée peut améliorer la productivité et la rentabilité des entreprises. Or, le Canada n'investit presque rien dans la recherche appliquée qui se fait dans les collèges. Nous souhaiterions que 5 p. 100 des crédits fédéraux destinés à la recherche et au développement soient affectés aux collèges et à leurs partenaires du secteur privé afin d'améliorer la productivité et la rentabilité des entreprises et créer des emplois.
Le vice-président : Monsieur Knight. Je vous remercie.
Pourrais-je, madame Morris, vous demander une petite précision? Les crédits dégagés par le gouvernement fédéral et destinés aux réparations et à l'entretien d'établissements postsecondaires vont-ils transiter par les provinces ou seront-ils directement affectés aux établissements?
Mme Morris : Lorsque le programme a été annoncé, les provinces ont été contactées directement, comme l'ont été les établissements. Sauf au Québec, il s'agit de s'assurer que les priorités des établissements correspondent aux priorités provinciales, car, évidemment, les provinces vont devoir assurer 50 p. 100 du coût des projets. C'est comme cela que les choses se sont passées en Colombie-Britannique. Là, la province et les établissements concernés se sont entendus sur les priorités, le plan a été soumis au gouvernement fédéral et le programme a pu être annoncé.
Au Québec, compte tenu de la législation en vigueur, l'affaire se traite directement entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec.
Le vice-président : Je vous remercie de cette précision. Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Neufeld : J'aurais quelques questions au sujet de ce qu'ont dit certains de nos témoins.
D'abord, je dois dire à Mme Morris que j'étais content de l'entendre dire, contrairement à ce qui avait été affirmé précédemment, que les mesures de relance et la manière dont les collèges et universités envisagent l'avenir, correspondent à une stratégie à long terme, tout en permettant de stimuler l'économie à court terme.
Pourrions-nous vous demander de nous en dire un peu plus sur ce point, car cela ne correspond pas à ce que nous ont dit les témoins précédents.
Mme Morris : Lorsque, début décembre, nous avons présenté notre projet au ministre Flaherty, nous étions tous convaincus que le budget devait comprendre des mesures de relance économique. Nous savions que ce serait l'élément essentiel du budget. Après la réunion de notre conseil d'administration, au mois d'octobre, nous avons publié à l'intention des Canadiens, une lettre ouverte dans laquelle nous disions « Les universités canadiennes sont implantées dans plus de 80 localités dans les diverses régions du pays. Dans bon nombre de ces localités, nous sommes le principal employeur et nous allons faire de notre mieux pour contribuer à la relance de l'économie ».
Nous avons été en mesure de documenter tous les travaux d'entretien que nous avions dû remettre à plus tard. Les immeubles universitaires ont, en moyenne, 32 ans. C'est dire qu'ils exigent presque tous des travaux de réfection.
L'Association canadienne du personnel administratif universitaire, qui suit de près la situation, a fait valoir, pièces justificatives à l'appui, que les besoins au niveau des infrastructures s'élèvent à environ 5 milliards de dollars. Nous avons fait état de ce chiffre au gouvernement, en lui disant que les travaux nécessaires pourraient être entrepris très rapidement, qu'ils permettraient d'employer tout un éventail d'ouvriers spécialisés mis à pied dans d'autres secteurs et permettraient de créer des emplois dans les diverses régions. Nous avons ajouté qu'il s'agissait d'investissements dans des établissements capables de contribuer à la relance de l'économie en formant la main-d'œuvre qualifiée et en effectuant les recherches innovatrices dont le pays a besoin pour sortir de la crise.
Voilà les arguments que nous avons développés dans le mémoire que nous avons remis au ministre Flaherty avant l'élaboration du budget.
Le sénateur Neufeld : Je vous remercie. Quelqu'un a parlé d'éléphants blancs, faisant valoir que nous allons effectuer des travaux de rénovation dans des universités qui ne seront plus guère fréquentées une fois les travaux terminés. Or, vos propos ne vont pas du tout dans ce sens-là et je suis heureux de vous l'entendre dire.
Certains affirment aussi que les crédits transférés aux provinces et destinés aux universités et collèges devraient être calculés en fonction du nombre d'étudiants plutôt qu'en fonction du nombre d'habitants. Or, j'entrevois les problèmes que cela pourrait poser. Je sais pertinemment que le système actuel n'est pas parfait et je ne suis pas ici pour le défendre, mais j'entrevois les difficultés qui surgiraient si nous proposions de modifier l'actuel mode de calcul. Je n'ai aucun mal à imaginer les résistances que nous rencontrerions.
J'aimerais que les représentants des deux associations des collèges et universités nous disent un peu comment cela se passerait à leur avis.
M. Knight : Merci pour cette question, monsieur le sénateur. Je dois dire, en ce qui concerne notre association, que le calcul en fonction du nombre d'habitants ne nous gêne pas vraiment, étant donné qu'actuellement, tous nos collèges manquent de place et se voient obligés de refuser des candidats ayant par ailleurs toutes les qualités requises pour être admis.
Lorsque nous avons discuté de cela avec le ministre Flaherty, nous lui avons dit que nous n'avions aucune objection quant au mode de calcul fondé sur le nombre d'habitants. Cela dit, je comprendrais qu'il n'en soit pas ainsi des collèges ou des établissements qui ne tournent pas actuellement à pleine capacité. En ce qui nous concerne, ce n'est pas le cas et aucun des établissements membres de notre association n'a actuellement les moyens d'accueillir davantage d'étudiants.
Mme Morris : La question des transferts aux provinces est une question délicate qui se situe, bien sûr, dans le contexte plus large des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces. L'AUCC prône depuis longtemps le transfert de fonds réservés en particulier à l'enseignement postsecondaire; autrement dit, les établissements d'enseignement secondaire se verraient garantir l'affectation des crédits en question.
Je crois que le transfert annoncé dans le cadre du budget 2008 était effectivement un transfert ciblé qui n'était pas, cependant, assorti de telles conditions. S'il en est ainsi, c'est que chaque province se trouve dans une situation particulière au niveau des investissements qu'elle a prévus. L'actuelle formule n'est bien sûr qu'un élément parmi les nombreuses considérations dont le ministère des Finances doit tenir compte lorsqu'il s'agit de transférer des fonds aux provinces. Nous n'avons pas nous-mêmes prôné l'adoption d'une formule différente pour le calcul de ces transferts.
Le sénateur Neufeld : Monsieur Knight, vous avez évoqué la pénurie de main-d'œuvre qualifiée mais, pourtant, il n'y a pas longtemps, le taux de chômage en Colombie-Britannique se situait aux environs de 3 p. 100, cela étant vrai également de l'Alberta. Nous souffrions, effectivement, d'une pénurie de main-d'œuvre qualifiée dans tous les domaines.
Je sais que la Colombie-Britannique a réfléchi aux moyens d'assurer que toutes les études postsecondaires débouchent sur un emploi, en menuiserie, par exemple. Ainsi, au lieu d'attendre que chaque étudiant ait acquis, en menuiserie, une formation complète, il a été possible de diviser la formation en modules. Ainsi, après un certain temps d'études, un étudiant peut obtenir, par exemple, un emploi de monteur de charpentes, spécialité dont on manquait beaucoup à l'époque. On a su innover et ce que je viens de vous dire n'en est qu'un exemple.
Cela s'est-il fait dans tout le Canada, car je sais qu'à l'époque où notre économie tournait à plein rendement, la plupart des provinces et territoires souffraient effectivement d'une pénurie de main-d'œuvre spécialisée.
M. Knight : D'après moi, la situation se présente un peu différemment, car à l'époque le secteur privé avait tendance à considérer que les collèges les concurrençaient sur le marché de la main-d'œuvre, puisqu'il leur fallait, eux aussi, attirer les compétences dont ils avaient besoin dans les diverses spécialités. Les étudiants étaient attirés par les emplois les mieux rémunérés même s'ils ne possédaient pas toujours l'ensemble des aptitudes nécessaires.
Le marché de la main-d'œuvre s'était adapté à la situation mais, depuis, le marché a changé et maintenant un nombre très important de personnes souhaitent achever leur formation ou acquérir les compétences nécessaires. Cela nous pose un gros problème à court terme, car nous manquons de place pour accueillir ces nouveaux candidats.
Le sénateur Neufeld : La réponse à la question...
M. Knight : Il y en a des exemples, mais je considère que le marché joue un rôle plus important au sein de cette dynamique.
Le sénateur Mitchell : J'aurais quelques questions à poser au sujet des bourses de recherche et du financement de l'infrastructure. Je relève, Mme Morris, que vous n'avez rien dit au sujet des coupures intervenues au niveau des subventions de fonctionnement destinées aux activités de recherche. Or, lorsqu'on parlait, tout à l'heure, d'éléphants blancs, le terme s'entendait non pas des universités, mais des établissements de recherche.
D'après vous, comment la réduction des subventions de fonctionnement destinées à la recherche va-t-elle affecter les universités et collèges canadiens étant donné qu'aux États-Unis, le président Obama a décrété une politique scientifique digne du XXIe siècle, et que par rapport à ce qui va s'y faire, les mesures prévues dans ce budget 2009-2010 paraissent tout à fait dérisoires.
Mme Morris : Nous avons, je le répète, toujours adopté une perspective à long terme. Il était évident que cette année, le budget devait privilégier la relance économique et c'est l'argument que nous avons fait valoir auprès du ministre.
Cela dit, nous allons continuer à œuvrer dans le cadre de la Stratégie des sciences et de la technologie, qui est une stratégie pluriannuelle d'investissements dans la recherche et le développement. Je rappelle que des investissements considérables ont été faits au niveau du recrutement. Les Bourses Vanier qui seront annoncées dans quelques jours, et les Chaires d'excellence en recherche du Canada annoncées la semaine dernière, représentent en effet des investissements considérables en vue d'attirer des chercheurs de très haut niveau du Canada ou d'ailleurs.
Il est essentiel de parvenir à un équilibre. L'idéal, bien sûr, serait d'avoir les meilleurs chercheurs travaillant dans les meilleurs établissements avec tous les équipements qui leur sont nécessaires. Cela dit, dans la mesure où il s'agit d'une stratégie pluriannuelle, nous entendons continuer à prôner un certain équilibre au niveau des investissements. D'après nous, les crédits considérables destinés à l'infrastructure signifient que nous sommes tout à fait conscients de la contribution que ces établissements apportent à notre économie. En effet, on n'investirait pas dans des établissements appelés à disparaître. Il est bon que chacun le sache.
Il est bien évident que le gouvernement ne peut pas tout faire en même temps; c'est impossible. Il s'agit donc, dans tous ces domaines importants, de faire peu à peu avancer les choses.
Vous savez sans doute que les organismes subventionnaires fédéraux vont, comme ce sera le cas de tous les ministères, faire l'objet d'un examen stratégique. Il leur a été demandé de signaler quels sont, parmi leurs activités prioritaires, les 5 p. 100 d'activités qui, pour ainsi dire, le seraient le moins. Chacun de ces organismes subventionnaires a donc dû signaler les domaines d'activité où il estimait possible de procéder à certains ajustements. Une partie des crédits qui leur étaient affectés a donc été réinvestie dans le Programme des bourses d'études supérieures du Canada destinées, encore une fois, à attirer les meilleures compétences.
Le sénateur Mitchell : Vous venez de dire qu'il s'agit, dans tous les domaines, de faire avancer les choses, mais en fait, en ce qui concerne les subventions de fonctionnement destinées à la recherche, nous sommes en retrait. Êtes-vous en mesure de nous dire combien de chercheurs de haut niveau vont s'expatrier — vraisemblablement vers les États- Unis — en raison de cette baisse des subventions?
Ma question concerne ce que vous disiez au sujet des bourses de recherche destinées spécifiquement aux recherches dans des domaines liés aux affaires et cet énorme problème, bien sûr, qui consiste à définir ce qu'on entend par domaine d'études liés aux affaires. Êtes-vous d'accord pour orienter ainsi les subventions à la recherche alors que chacun sait que la recherche doit avoir une large assise et faire appel à la créativité. C'est en ne sachant pas toujours ce que l'on cherche que l'on parvient parfois à trouver. Voulez-vous nous dire pourquoi vous ne prônez pas un tel équilibre — pour reprendre l'expression que vous avez employée — en matière de subventions à la recherche dans des domaines d'études qui ne sont pas nécessairement liés aux affaires, puisque la recherche dans des domaines ayant trait aux affaires peut, plus facilement que les sciences humaines, obtenir une aide du secteur privé? Cela étant, pourquoi ne pas prôner le même équilibre au niveau des recherches en sciences humaines, car de telles recherches revêtent une importance vitale, pour notre économie, bien sûr, mais aussi pour nos valeurs essentielles, pour la qualité de vie de notre société?
Mme Morris : Si vous reprenez les nombreux exposés que nous avons présentés devant le comité des finances, tant du Sénat que de la Chambre des communes, vous vous apercevrez que nous nous sommes toujours prononcés en faveur de ce que nous appelons les quatre éléments fondamentaux. Nous avons vigoureusement défendu l'augmentation chaque année des budgets de fonctionnement des organismes subventionnaires et des ressources leur permettant, justement, d'accorder des subventions. Nous avons également défendu l'augmentation correspondante des crédits accordés aux programmes contribuant aux dépenses de fonctionnement des universités.
Comme vous le savez, le nouveau Programme des bourses d'études supérieures du Canada est réparti entre les trois organismes subventionnaires. Ce n'est que la part destinée aux sciences humaines — cette portion seulement des nouveaux crédits débloqués — qui devait être affectée à des études liées aux affaires, reconnaissant, par ailleurs, que de nombreuses disciplines contribuent au succès d'une entreprise commerciale.
Comme vous pouvez le constater, les recherches deviennent de plus en plus multidisciplinaires, car on comprend désormais mieux la complexité et l'enchevêtrement des phénomènes. Nous allons donc continuer à défendre cela, comme nous allons continuer à défendre la recherche fondée sur une large assise, c'est-à-dire la recherche fondamentale qui ne va pas nécessairement vous donner en trois ans des résultats exploitables, mais qui est susceptible d'aboutir à des découvertes de la plus haute importance.
La lecture de notre rapport, Momentum, permet de constater que nous parlons à la fois des apports de la recherche fondamentale, mais aussi des avantages d'une recherche plus précise dans des domaines que le pays estime prioritaires.
Le sénateur Mitchell : Dans la mesure où vous êtes partisan de recherches ciblées, et puisque vous relevez les orientations très précises imprimées aux bourses d'études supérieures, n'êtes-vous pas déçue de voir ce que le budget propose à cet égard?
Mme Morris : Le Programme des bourses d'études supérieures du Canada est, je le répète, réparti entre les trois organismes subventionnaires.
Le sénateur Mitchell : Mais, selon la nouvelle orientation, celles-ci sont destinées à des études liées aux affaires ou à des recherches scientifiques.
Mme Morris : Ce n'est pas le cas des bourses d'études supérieures accordées par l'IRSC, c'est-à-dire les Instituts de recherche en santé du Canada, ou par le CRSNC. Il est vrai qu'il a été demandé au CRSHC de privilégier, lors de l'attribution des bourses d'études supérieures du Canada, ces domaines d'étude. Mais cela n'intéresse qu'une partie des nouvelles bourses, et les trois organismes subventionnaires continuent à pouvoir, comme par le passé, attribuer des bourses dans tous les autres domaines d'étude.
Nous sommes, je le répète, prêts à contribuer aux mesures de relance économique. Il était évident, en novembre et en décembre, qu'il convenait d'investir davantage dans ces domaines. Cela dit, nous continuons à défendre le nécessaire équilibre des compétences, des infrastructures, des subventions à la recherche et une contribution aux coûts de fonctionnement de nos établissements.
[Français]
Le sénateur Chaput : J'ai deux brèves questions. La première s'adresse plutôt à Mme Morris et à M. Knight. Il y a, si je ne m'abuse, une association des universités et collèges francophones du Canada. Est-ce que cette association fait partie de vos membres ou est-ce une entité séparée? Et si c'est le cas, quels sont les liens de communication que vous entretenez avec cette association?
Mme Morris : Merci, madame le sénateur. Oui, les membres de l'Association des universités de la francophonie canadienne sont les universités francophones qui sont aussi membres de l'AUCC. À l'intérieur de l'AUFC, ils sont en mesure de porter un regard beaucoup plus spécifique vis-à-vis le rôle des universités francophones hors du Québec et au Canada. Les liens sont très étroits, on se rencontre souvent, nous sommes invités à leurs réunions.
Évidemment, les réunions de nos membres, qui regroupent les 94 présidents, recteurs à travers le pays, incluent toujours les recteurs des universités francophones qui sont membres de l'AUFC. Donc, c'est très bien intégré.
M. Knight : Pour nous, c'est exactement la même chose.
Le sénateur Chaput : Ma deuxième question concerne les projets d'infrastructures. Mme Morris, dans votre présentation, vous avez dit — et je cite : « À l'heure actuelle, nos membres s'affairent à prendre les mesures qui leur permettront d'entreprendre les projets. »
Je me demandais si certains des projets étaient déjà en tête de liste. Le cas échéant, quel genre de projets est-ce et quelle est la base de mérite qui décide qu'un projet a une valeur plus élevée qu'un autre? Mis à part du fait que l'université doit être prête, qu'ils ont besoin du financement de la province et du secteur privé. Qu'est-ce qui arrive aux plus petits collèges et universités dans des régions comme l'Île-du-Prince-Édouard ou au Manitoba? Est-ce qu'une université francophone, comme le Collège universitaire de Saint-Boniface qui est beaucoup plus petit, est prise en considération?
Mme Morris : Absolument. On peut seulement en ce moment citer l'exemple de la Colombie-Britannique, mais cela vaudrait la peine d'aller sur le site Internet et de regarder le détail des projets qui ont été approuvés en Colombie- Britannique. Cela inclut les universités, les collèges, les grandes universités et les petites. Vous y retrouverez un aperçu de l'étendue des projets qui ont été approuvés.
La raison pour laquelle la Colombie-Britannique était la première province en ligne, c'est parce qu'ils s'attendaient à un appel d'élection; il fallait donc faire les annonces avant que l'appel d'élection soit déclenché.
Si je comprends bien, on prévoit que toutes les annonces seraient faites avant la fin du mois de mai dans toutes les provinces. Et cela implique évidemment, comme je l'avais dit au tout début, une entente entre le gouvernement fédéral et la province en question, des projets prioritaires, de l'engagement du provincial à partager les coûts du projet. Et les projets, en grande mesure, sont approuvés selon les critères qui ont été énoncés au moment du lancement du programme d'infrastructures. Mais une très grande attention est apportée sur les projets qui sont vraiment prêts à être lancés rapidement parce qu'ils ont une période de deux ans pour compléter tous les projets.
Le sénateur Chaput : Mais qu'est-ce que cela veut dire, « readiness », dans votre esprit? Le fait qu'ils sont vraiment prêts, est-ce que c'est un plan d'affaires, est-ce que c'est le financement, c'est quoi?
Mme Morris : « Readiness », cela inclut soit l'approbation de la municipalité, soit le financement qui est déjà en place, soit les évaluations environnementales qui ont été faites, soit les prix qui ont déjà été demandés. En d'autres mots, cela veut dire que le projet, un plan d'affaires, est prêt à être lancé.
Le sénateur Chaput : Tout cela a été demandé aux universités depuis que le projet d'infrastructures a été annoncé. Cela ne donne pas tellement de temps, n'est-ce pas?
Mme Morris : Non. C'est pour cela d'ailleurs que nous étions très confiants, étant donné le travail que l'association avait fait avec nos universités. On savait qu'il y avait des projets qui attendaient depuis longtemps, et qui pourraient être animés et avancés très rapidement. Je vous encourage à regarder le site Internet de la Colombie-Britannique, car cela vous donne une très bonne idée de l'envergure des projets dans les collèges et les universités.
[Traduction]
Le vice-président : Pour en revenir à la question du sénateur Chaput, concernant la manière dont les crédits sont répartis entre les diverses provinces, puis entre les universités et les collèges communautaires, puis-je vous demander qui, actuellement, pâtit de cette répartition?
M. Knight : Les crédits sont calculés en fonction du nombre d'habitants. C'est ce qui était prévu au départ et nous en étions nous-mêmes partisans. Les sommes transférées aux provinces sont calculées en fonction du nombre d'habitants. Pour ce qui est de la répartition à l'intérieur même d'une province, là il faut que le gouvernement fédéral et le gouvernement de la province concernée s'entendent sur la pertinence des divers projets. Il semble que cela se soit bien passé en Colombie-Britannique. Le gouvernement fédéral n'est lui-même pas en mesure de jauger les besoins précis de l'enseignement postsecondaire dans les diverses provinces et il s'en remet donc pour cela aux gouvernements provinciaux.
Le sénateur Ringuette : D'après moi, les investissements en matière d'infrastructure ne se limitent pas aux seuls immeubles. De tels investissements doivent également comprendre les technologies permettant de s'attaquer au premier problème évoqué par M. Knight, c'est-à-dire l'insuffisance des moyens d'accueil. En effet, dans la mesure où une partie de l'enseignement peut être dispensée à distance, il est possible d'augmenter le nombre d'étudiants à qui une formation est assurée.
La présence dans les locaux de l'établissement n'est peut-être nécessaire que pour les cours qui exigent un laboratoire avec ses divers équipements. Les autres cours pourraient en effet être dispensés à distance via Internet. Ainsi, l'éloignement et l'insuffisance des locaux cesseraient de poser un problème aux collèges communautaires. La question des besoins matériels nécessaires à l'apprentissage de métiers pourrait être réglée par des stages, les équipements et locaux étant fournis par l'employeur.
Compte tenu de l'évolution démographique, de la population étudiante, notamment j'y vois le moyen de répondre aux besoins en matière d'infrastructure. En matière de formation, nos besoins sont actuellement très importants, mais il ne faut pas perdre de vue que, compte tenu de l'évolution démographique, les besoins en matière d'enseignement postsecondaire sont appelés à baisser dans un avenir assez rapproché.
M. Knight : Selon Statistique Canada, dans les cinq années à venir, le nombre d'inscriptions dans nos établissements d'enseignement postsecondaire est appelé à augmenter de 30 p. 100, car ces établissements assurent une formation qui débouche sur un emploi. La demande est grande alors que notre capacité d'accueil est limitée. C'est pour cela que nos établissements sont appelés à se développer.
L'enseignement à distance constitue, effectivement, une solution dans certains domaines d'enseignement. Il est vrai que de nombreux établissements ont d'ores et déjà adopté les technologies nécessaires. Yukon College, par exemple, a 13 campus, un dans chaque communauté du Yukon. Tous sont desservis par les moyens techniques installés sur le campus principal. Il en va de même du Nova Scotia Community College ainsi que du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick.
Mais, comme vous venez de le dire, de nombreuses formations ne peuvent être dispensées que sur place. L'apprentissage de métiers s'y prêterait effectivement, mais ce genre de formation ne compte que pour 15 p. 100 des inscriptions. Il existe de nombreux autres domaines de formation avancée. Il y a, par exemple, environ 40 professions paramédicales qui, elles, exigent une formation sur place. C'est dire que les besoins en infrastructure sont bien réels.
Vous évoquiez tout à l'heure la coopération des employeurs. Une grande partie de l'équipement employé dans les collèges a effectivement été contribuée par les employeurs. J'ai eu l'occasion de me rendre dans les laboratoires technologiques du Collège Algonquin, à Ottawa. Ces laboratoires possèdent du matériel de haute technologie qui leur a été donné par les entreprises de la région, dont Nortel, qui ont besoin des diplômés issus de cet établissement. C'est actuellement moins vrai de Nortel, mais les étudiants formés par ce collège étaient très recherchés. À Montréal, le Collège Édouard-Monpetit assure une formation aux métiers de l'aérospatiale et c'est Bombardier qui a fourni une grande partie des équipements et du matériel technologique.
Je voudrais que les sénateurs aient à l'issue de cette séance le sentiment que les employeurs et les collèges font partie intégrante des communautés dans lesquels ils sont implantés. Nos collèges forment des diplômés prêts à entrer dans la vie active et, bien sûr, le placement de nos diplômés et les stages auprès des entreprises constituent un élément essentiel de l'enseignement qui y est dispensé.
Le sénateur Ringuette : J'entrevois, justement, la possibilité d'accroître le recours à des stages afin d'augmenter la capacité d'accueil de collèges dans certains domaines.
M. Knight : Je précise par ailleurs que les collèges ont allongé les horaires. Ainsi, le Collège Algonquin est maintenant ouvert de 7 h à 22 h, et l'établissement fonctionne sept jours par semaine, ce qui est remarquable.
Le sénateur Ringuette : Je suis d'accord. Je vous remercie de nous l'apprendre.
Le sénateur Di Nino : Madame Morris, en ce qui concerne la question posée par le sénateur Chaput, j'aimerais savoir si votre organisation représente toutes les universités du Canada?
Mme Morris : Oui. Les 94 universités qui font partie de notre association, dont certaines sont publiques et d'autres privées, sont des universités à but non lucratif habilitées à conférer des grades universitaires.
Le sénateur Di Nino : Je tenais à ce que cela soit précisé. Êtes-vous la seule association à les représenter?
Mme Morris : Oui, nous nous considérons comme la voix des universités canadiennes, sur le plan tant national qu'international.
Le sénateur Di Nino : Je retire du budget 2009 l'impression qu'en fait les crédits destinés aux bourses d'études en sciences humaines ont augmenté. Y a-t-il eu, effectivement, une augmentation sensible du nombre de bourses offertes à des étudiants diplômés. Est-ce votre avis?
Mme Morris : Oui. Comme je le disais dans ma déclaration d'ouverture, le budget 2009 prévoit une augmentation de 87,5 millions de dollars destinés aux Bourses d'études supérieures du Canada offertes par les trois organismes subventionnaires, y compris le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Le sénateur Di Nino : Nos témoins précédents ont évoqué une inégalité au niveau de la répartition des bourses entre les sexes. Qu'en est-il selon vous?
Mme Morris : Je ne sais pas ce que les témoins précédents ont dit au sujet des bourses d'études supérieures, mais depuis des années, nous nous intéressons de près à la question du nécessaire équilibre au sein du Programme des Chaires de recherche du Canada. Le conseil d'administration de l'AUCC, constitué de présidents d'université provenant des diverses régions du pays, nous a demandé de faire état, à chaque réunion du conseil, des progrès accomplis sur ce plan. Petit à petit un équilibre s'instaure au niveau de l'attribution des Chaires de recherche du Canada.
Le sénateur Di Nino : Il nous serait utile d'avoir à cet égard les dernières données disponibles, car la question revient toujours lors de nos discussions.
Le vice-président : Madame Morris, voudriez-vous les faire parvenir à notre greffier?
Mme Morris : Volontiers.
Le vice-président : Les renseignements en question seront alors distribués aux membres du comité
Le sénateur Di Nino : Monsieur Knight, vous avez tout à l'heure fait état d'une statistique tout à fait inattendue. Vous avez bien dit, n'est-ce pas, que l'année dernière, le Collège Algonquin avait dû refuser 7 000 candidats?
M. Knight : En effet.
Le sénateur Di Nino : Constate-t-on un taux analogue dans les autres régions du pays?
M. Knight : Oui, bien que cette proportion soit plus faible dans certains collèges installés en zone rurale. Il est exact qu'en ce qui concerne les grands établissements urbains, le nombre de candidats dépasse de loin le nombre de places disponibles. Dans certains programmes, il y a 20 candidats pour chaque place disponible. Cela représente, pour notre économie, un énorme coût de renonciation, car ces candidats malheureux pourraient sans cela occuper un emploi et être pour notre économie un atout plutôt qu'une charge. J'estime que le Canada doit se pencher très attentivement sur le problème de la capacité d'accueil de nos établissements.
Le sénateur Di Nino : Seriez-vous disposé à transmettre au comité une note succincte sur la question, accompagnée de statistiques ventilées par région?
M. Knight : Je vous ai fourni des données de caractère général, mais je pourrais effectivement vous fournir des chiffres plus précis. C'est très volontiers que je le ferai.
Le vice-président : Vous nous avez, madame Morris et monsieur Knight, fourni de nombreuses réponses. Puis-je demander à M. Dulude et à Mme Boyles, s'ils souhaitent ajouter quelque chose?
André Dulude, vice-président, Affaires nationales, Association des universités et collèges du Canada : Je souhaiterais pour ma part, apporter une petite précision au sujet de l'équilibre entre les sexes au niveau de l'attribution des Chaires de recherche du Canada. Ces dernières années, la proportion de femmes nommées à une chaire est passée de 8 à 25 p. 100, ce qui représente une très sensible augmentation.
Terry Anne Boyles, vice-présidente, Affaires publiques, Association des collèges communautaires du Canada : Je voudrais, en ce qui me concerne, insister à nouveau sur l'importance de la formation dispensée par les collèges dans l'optique des programmes d'assurance-emploi. Votre comité se penche actuellement sur la question de la durée des prestations dans l'idée d'accroître les possibilités de formation en fin de prestations d'assurance-emploi.
Je voudrais en outre insister sur le rôle des collèges en matière de recherche appliquée, les résultats des programmes de recherche et développement pouvant être mis à la disposition de petites et de moyennes entreprises à même d'en tirer parti. Les résultats dépendent beaucoup des partenariats locaux noués avec les collèges et instituts techniques. Des 2,9 milliards de dollars que le Canada consacre chaque année à la recherche, moins de 10 millions sont investis chaque année par l'intermédiaire des collèges.
Le vice-président : Au nom des membres du comité, je tiens à remercier tous ceux qui se sont rendus aujourd'hui à notre invitation.
(La séance est levée.)