Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 17 - Témoignages du 9 février 2011
OTTAWA, le mercredi 9 février 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières nations, se réunit aujourd'hui à 18 h 45 pour l'étude du projet de loi.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir. Je souhaite la bienvenue à mes collègues et aux téléspectateurs de CPAC ainsi qu'aux internautes qui suivent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je m'appelle Gerry St. Germain, sénateur de la Colombie-Britannique, et je préside ce comité.
Le comité a pour mandat d'examiner les lois et les enjeux concernant les peuples autochtones du Canada en général. De nombreux rapports ont fait état des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les communautés de Premières nations en matière d'approvisionnement en eau potable salubre : systèmes d'alimentation en eau vieillissants; accréditation et formation des opérateurs; manque de ressources indépendantes pour convenablement financer l'exploitation et l'entretien des systèmes, et manque de clarté en ce qui a trait aux rôles et responsabilités de différents acteurs.
Ce soir, nous poursuivons notre étude du texte législatif destiné à régler cette question, le projet de loi S-11, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières nations.
Nous entendrons quatre témoins et trois organisations : l'Assemblée des chefs du Manitoba, la Union of British Columbia Indian Chiefs et l'Institut sur la gouvernance.
[Français]
Avant d'entendre nos témoins, j'aimerais présenter les membres du comité qui sont présents ce soir.
[Traduction]
Le sénateur Dallaire vient du Québec. Le sénateur Banks de l'Alberta, le sénateur Demers de la province du Québec, comme le sénateur Brazeau. Le sénateur Poirier est du Nouveau-Brunswick, comme le sénateur Stewart Olsen. Le sénateur Raine vient de la Colombie-Britannique et le sénateur Patterson du Nunavut.
Chers collègues, je vous invite à vous joindre à moi pour accueillir nos premiers témoins : de l'Assemblée des chefs du Manitoba, le grand chef Evans, et de la Union of British Columbia Indian Chiefs, Robert Chamberlin, qui en est le vice-président. C'est une situation unique. Je suis né au Manitoba et j'habite en Colombie-Britannique. Nous avons ici des représentants du Manitoba et de la Colombie-Britannique.
Grand chef Evans, si vous êtes prêt à faire votre exposé, M. Chamberlin témoignera par la suite, et les sénateurs poseront des questions. Si vous voulez changer l'ordre, ça me va tout à fait.
Ron Evans, grand chef, Assemblée des chefs du Manitoba : M. Chamberlin aimerait faire une prière, et je suis d'accord.
Le président : Ça serait pour nous un honneur que vous fassiez une prière. Grand chef, nous nous en remettons à vous.
Chef Robert Chamberlin, vice-président, Union of British Columbia Indian Chiefs : C'est une courte prière chantée. Je pense qu'il est opportun de chanter lors de rencontres comme celle-ci. Ce chant implore le Créateur pour qu'il nous vienne en aide et qu'il donne du sens à nos vies ainsi qu'un meilleur avenir pour nos enfants. Il y est question d'un grand nombre d'aspects auxquels nous aspirons tous en matière de leadership. C'est une chanson courte.
[Le témoin chante dans sa langue autochtone.]
Le président : Merci, monsieur Chamberlin.
M. Evans : Merci, vice-président Chamberlin, pour cette chanson et cette prière d'ouverture.
Merci, honorables sénateurs, de nous donner l'occasion de présenter nos points de vue sur ce projet de loi et sur la position des Premières nations du Manitoba. L'Assemblé des chefs du Manitoba n'appuie pas l'idée de recourir à une mesure législative pour combler les besoins des Premières nations en eau potable salubre. L'eau est une partie intégrante et fondamentale de nos droits inhérents ancestraux et issus de traités et elle ne doit pas être limitée par des lois. Par conséquent, les décisions relatives à nos droits à l'eau doivent se prendre d'égal à égal, suivant un consentement donné librement et en connaissance de cause.
L'intention poursuivie avec ce projet de loi et le manque général de véritables consultations avec le gouvernement fédéral nous inquiètent profondément. Nous estimons que l'atelier d'engagement, d'une seule journée, destiné à présenter une « démarche conçue au Manitoba » n'a pas été suffisant pour permettre un dialogue avec le gouvernement fédéral sur cette question.
Selon la résolution adoptée lors de l'assemblée générale des chefs de l'Assemblée des chefs du Manitoba, nous avons formulé des recommandations visant à garantir des consultations véritables et des modalités d'adaptation. Nous avons notamment proposé d'élaborer une stratégie destinée à recenser les répercussions sur les droits inhérents et issus de traités en vue de les atténuer, et à ouvrir le processus législatif proposé de sorte à tenir compte des trois options avancées par le groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable. Il s'agit d'assurer aux Premières nations la capacité et les ressources essentielles pour leur permettre de participer au processus dans un délai réaliste, de garantir des communications régulières efficaces et de permettre la formulation de recommandations tout au long du processus.
En outre, nous recommandons qu'on nous donne l'occasion de discuter des protocoles actuels pour déterminer s'ils représentent le moyen approprié de garantir l'eau potable salubre. La version actuelle du projet de loi n'apporte aucune assurance précise pour ce qui est de la compétence et de l'autorité des Premières nations ou de leur capacité à prendre des décisions. Si le gouvernement a l'intention d'amoindrir nos droits inhérents et issus de traités en faisant main basse sur notre eau et en s'arrogeant toute compétence en la matière, tout en ne proposant aucun investissement notable à nos communautés, nous ne pouvons pas accepter la loi ni les intentions du gouvernement.
Jour après jour, les Premières nations doivent composer avec une crise de financement fondamentale. Le plafonnement à 2 p. 100 depuis 1996 nous a plongés dans des difficultés financières tandis que le coût de la vie a grimpé en flèche. Aux termes du Protocole pour la salubrité de l'eau potable dans les communautés de Premières nations, ces communautés sont maintenant considérées comme les uniques propriétaires des usines de traitement des eaux et, au final, elles en sont légalement responsables. Qu'est-il advenu de la responsabilité fiduciaire du Canada dans cette décision unilatérale? Il est difficile d'obtenir une assurance en fonction de ce genre de responsabilité quand on dispose de fonds limités pour gérer la ressource hydrique en général.
Il faut régler ce manque de ressources afin, dans un premier temps, de mettre les communautés aux normes, et il faut injecter des fonds neufs dans la construction d'installations de pompage et de traitement des eaux usées, dans la modernisation des installations défectueuses, dans l'exploitation et la maintenance et dans l'intégration et l'administration d'un nombre croissant de formateurs et d'opérateurs du programme de formation itinérante.
Dans les communautés qui ont une usine de traitement des eaux, il y a seulement un opérateur qui doit être en disponibilité tous les jours, 24 heures sur 24. C'est un risque sur le plan humain et sur celui de la santé, pour l'opérateur et pour la communauté.
Au Manitoba, nos Premières nations sont quotidiennement confrontées à de graves difficultés. Le Winnipeg Free Press a attiré l'attention de ses lecteurs sur les conditions de vie des Premières nations, s'apparentant à celles du tiers monde, surtout dans le cas des communautés d'Island Lake où de nombreux résidents n'ont accès ni à l'eau potable ni aux égouts. De nos jours, il est inacceptable de devoir utiliser un seau pour s'approvisionner en eau et de devoir transformer un récipient en toilette grâce à des sacs à poubelle. C'est honteux dans un pays comme le Canada. Ce n'est pas une loi misant lourdement sur l'exécution qui va remédier au problème, puisque les Premières nations ne peuvent même pas respecter les exigences de base en matière d'approvisionnement en eau potable salubre.
C'est une question de santé et de sécurité publiques justifiant qu'on amène d'abord les Premières nations au même niveau que le reste du Canada avant d'envisager l'option législative.
Ce projet de loi ne réglera pas les problèmes des Premières nations puisque ceux-ci sont plus graves que le titre ne le laisse entendre. Nous faisons appel au Canada pour qu'il respecte ses responsabilités fiduciaires et son obligation de nous consulter véritablement en collaborant avec les Premières nations. Nous faisons appel au Canada pour qu'il respecte et applique la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qu'il a ratifiée. Je vous en lis l'article 19 :
Les États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés — par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives — avant d'adopter et d'appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d'obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
En conclusion, nous recommandons que le projet de loi S-11 soit rejeté et que vous joigniez vos efforts aux nôtres afin d'éliminer les conditions tiers-mondistes qui sévissent dans nos communautés en faisant en sorte qu'elles disposent des infrastructures nécessaires pour bénéficier d'un approvisionnement en eau potable salubre. Nous vous invitons à travailler avec nous et à tendre vers une vraie collaboration respectueuse de l'esprit de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Ekosani. Meegwetch. Mahsee cho. Wopida. Merci.
Je vous remercie de m'avoir permis de faire cet exposé au nom de l'Assemblée des chefs du Manitoba.
Le président : Merci beaucoup grand chef.
Monsieur Chamberlin, à vous la parole.
M. Chamberlin :
[Le témoin parle dans sa langue maternelle.]
Mon nom traditionnel est O'wadi. Je viens du village de Kwicksutaineuk-ah-kwa-ah-mish. J'ai demandé que vous écoutiez ce que j'avais à dire ce soir. Je parle du fond du cœur au nom de toutes les tribus de la Union of B.C. Indian Chiefs. Sur les 203 Premières nations de la Colombie-Britannique, 99 en sont membres. Nous avons une longue histoire de défense et de promotion des titres et des droits des Premières nations et nous faisons régulièrement pression sur le gouvernement pour assurer le respect des arrêts de la Cour suprême et de la Constitution du Canada dans les activités de l'État.
Je vais aborder de nombreux enjeux dont mon ami a déjà parlé, mais je veux insister sur plusieurs d'entre eux. Je veux vous parler du vice de forme du projet de loi S-11. Je veux vous parler de la Constitution du Canada et de ce qu'elle dit au sujet des droits ancestraux. Je veux vous parler des arrêts de la Cour suprême du Canada et de l'obligation de consulter et d'adopter des mesures d'adaptation fixée par le plus haut tribunal de ce pays.
Je veux vous parler de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones que le Canada a finalement ratifiée en novembre. Honorables sénateurs, il est maintenant temps de passer à l'acte et le plus tôt sera le mieux.
Je veux vous parler des relations fondamentales des Premières nations et de la nécessité de tenir des consultations appropriées afin d'ouvrir la voie à de bonnes relations de travail. Je pense que le Canada a fait des progrès ces dernières années en reconnaissant des injustices du passé et en créant les conditions, un cadre, qui permettra de réparer ces injustices.
Je n'aime pas le projet de loi S-11 et je parle au nom de la Union of British Columbia Indian Chiefs. À la lecture de ces documents, j'ai l'impression que chercher à imposer le droit provincial sur des terres de réserve est une façon de contourner la Constitution. Cela ne règle pas le vrai problème.
Le vrai problème, c'est l'activité relative aux ressources dans les bassins hydrologiques et l'attribution des eaux souterraines de la province. La gestion des affaires est axée sur les revenus et les profits des entreprises. Je peux vous assurer qu'en Colombie-Britannique, rares sont les décisions indiquant que le gouvernement provincial a bien compris et considéré les droits ancestraux, et qu'il a pris des mesures d'adaptation à leur égard surtout quand il a été question d'eau, que ce soit d'eau souterraine ou d'activités concernant les bassins hydrologiques. Il faut débloquer des ressources suffisantes dès maintenant. Il faut des infrastructures, de la formation et des fonds opérationnels appropriés et suffisants.
En outre, il est tout à fait inacceptable que le Canada cherche à se décharger de ses responsabilités sur les Premières nations. Si l'État détient nos terres de réserve en fiducie et qu'elles ne nous appartiennent pas, et si le Canada décide que le réseau hydrographique nous appartient pour que nous puissions en être responsables en son nom, nous lui disons respectueusement : « Non, merci. C'est loin de suffire. »
Il est temps d'élaborer de nouvelles lois. Il faut laisser tomber celle-ci dans l'oubli. Il faut rédiger de nouvelles lois, à partir d'un véritable exercice de consultation des Premières nations, qui s'attaquent aux causes profondes. Le groupe d'experts sur la salubrité de l'eau potable dans les collectivités de Premières nations énumère clairement ces causes. Le groupe d'experts a sillonné le pays, ce qui a coûté très cher à l'État, soit dit en passant. Il faut épouser ces recommandations dans leur sens le plus complet et le plus large. Nous devons capitaliser sur le bon travail accompli par les fonctionnaires avec l'appui des Premières nations partout au pays.
La Union of British Columbia Indian Chiefs se présente ici aujourd'hui en vertu de la résolution 2010-36 qui réclame l'abandon du projet de loi S-11. Nous avons envoyé une lettre au ministre Duncan en novembre et n'avons toujours pas eu de réponse.
Il faut comprendre que les Premières nations jouissent d'une relation spirituelle avec l'eau. Quand je parle de financement fédéral défaillant en matière d'infrastructures dans les réserves, je parle d'expérience. Dans notre village sur l'île Gilford, nous avons passé 10 ans sans eau potable et sous le coup d'une ordonnance de non-consommation. La solution d'AINC a consisté à nous approvisionner en bouteilles d'eau.
Après avoir dépensé beaucoup dans une solution provisoire, le ministère nous a laissés en plan. C'est aussi loin qu'on ira pour les cinq prochaines années. Quant à moi, cela met en évidence le type de ressources qu'il nous faut, non pas seulement pour nous permettre d'assumer la responsabilité de l'eau, mais aussi pour répondre à nos besoins et respecter pleinement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
L'article 32 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dit bien ceci :
Les peuples autochtones ont le droit de définir et d'établir des priorités et des stratégies pour la mise en valeur et l'utilisation de leurs terres ou territoires et autres ressources.
Les États consultent les peuples autochtones concernés et coopèrent avec eux de bonne foi par l'intermédiaire de leurs propres institutions représentatives, en vue d'obtenir leur consentement, donné librement et en connaissance de cause, avant l'approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires [...]
Les États mettent en place des mécanismes efficaces visant à assurer une réparation juste et équitable pour toute activité de cette nature, et des mesures adéquates sont prises pour en atténuer les effets néfastes sur les plans environnemental, économique, social, culturel ou spirituel.
Le régime proposé par le projet de loi S-11 a de graves conséquences constitutionnelles du point de vue de la relation entre les Premières nations et l'État, et il représente un empiètement et une transgression injustifiés des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution du Canada.
L'article 88 de la Loi sur les Indiens rassemble les lois provinciales d'application générale aux Indiens, mais pas aux terres indiennes. J'ai bien dit « pas aux terres indiennes ». Ce texte que vous proposez dresse la table à un revirement de situation, car les lois provinciales pourraient s'appliquer aux activités du gouvernement sur les terres de réserves. Je soumets respectueusement, honorables sénateurs, que ce n'est pas acceptable. Ce n'est pas compatible avec la Constitution du Canada.
Si l'on s'interroge sur ce qui doit être fait sur les plans de la consultation et des mesures d'adaptation pour protéger les intérêts des Premières nations, on trouvera une réponse claire dans une myriade d'arrêts de la Cour suprême du Canada, comme Sparrow, Delgamuukw, Haida, et Mikisew Cree. Une longue liste d'arrêts définit ce que doit faire le Canada pour consulter les Premières nations et répondre à leurs besoins. Ce n'est pas une obligation pro forma. Les tribunaux prennent cette question au sérieux et ils ont dit très clairement au gouvernement qu'il a l'obligation de consulter de façon véritable.
Nous sommes ici aujourd'hui pour vous dire que le processus qui a mené au projet de loi S-11 est très, très loin de ce que la Cour suprême du Canada a ordonné de faire à l'État fédéral pour respecter les devoirs de la Couronne.
Nous sommes contre toute mesure imposée par le sommet, que ce soit au vu de la Constitution ou des décisions de la Cour suprême du Canada, outre que cette façon de faire n'est pas compatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Comment, en toute conscience, peut-on justifier la poursuite de cette démarche — quand on songe au fondement même qui a fait du Canada le pays qu'il est — et faire en sorte que les Canadiens qui nous écoutent puissent avoir confiance dans le système qui les gouverne? Ces principes fondamentaux doivent être respectés de tous, y compris du gouvernement.
Nous sommes ici pour dire qu'il faut rejeter le projet de loi S-11, que le Cabinet doit exercer son privilège et stopper ce projet de loi. Il doit être abandonné. Vous devez accepter les recommandations du groupe d'experts. Vous devez consulter pleinement les Premières nations et assurer des ressources adéquates pour ce faire. Là et seulement là le Canada pourra démontrer aux Canadiens et aux Premières nations que les décisions encadrant le fonctionnement du pays ne sont pas vides de sens et que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones n'est pas que du vent pour le Canada et qu'il y adhère pleinement.
L'alinéa 4(1)r) du projet de loi S-11 prévoit le rapport entre les règlements et les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones visés à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; il limite notamment la mesure dans laquelle les règlements peuvent porter atteinte à ces droits. Il existe de nombreux exemples de lois et d'instruments juridiques divers contenant des dispositions non dérogatoires relativement aux titres et aux droits des Premières nations. Ce projet de loi, lui, fait l'inverse en garantissant qu'il y aura dérogation.
Le paragraphe 6(1) porte que :
Les règlements l'emportent, sauf disposition contraire de ceux-ci, sur tout texte législatif ou règlement administratif incompatible pris par une première nation.
Effectivement, la province peut tout simplement décider d'être responsable de ce qui se passe concernant l'eau sur la réserve, et cela me semble inacceptable.
Le projet de loi S-11 donnerait lieu à une situation où le Canada pourrait imposer des ententes avec les gouvernements provinciaux et municipaux ou avec d'autres tierces parties sans le consentement des Premières nations. C'est inacceptable.
En résumé, il faut mettre fin à ce projet de loi. Je me présente devant vous, de bonne foi et en bonne conscience, sachant que vous allez faire la bonne chose dans les fonctions que vous occupez au sein de cette démocratie qu'on appelle le Canada. En disant cela, je pense seulement à la Constitution du pays, seulement aux arrêts de la Cour suprême du Canada et seulement qu'il faut rappeler au Canada qu'il a ratifié la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il va falloir, un jour, commencer par respecter cette déclaration et je propose que cet exercice en soit l'occasion.
J'attends avec impatience de lire que le projet de loi S-11 a été mis en veilleuse et que de véritables consultations avec les Premières nations seront entreprises avec des ressources suffisantes et adéquates pour que le Canada puisse respecter l'honneur de la Couronne et être à la hauteur.
J'ai sans doute dépassé les sept minutes que vous m'aviez accordées plus tôt. Comme je suis venu de si loin pour vous rencontrer, je voulais m'assurer que les points de vue de la Union of British Columbia Indian Chiefs seraient entendus clairement et bien compris.
Nous attendons et nous sommes prêts. Nous voulons faire partie de la solution. Nous nous engagerons à travailler au niveau politique avec l'APN et d'autres organisations de Premières nations au Canada pour mettre sur pied un véritable processus de consultation.
Une dernière chose : je voudrais savoir comment on peut envisager la mise en œuvre du projet de loi S-11 alors que l'évaluation nationale de l'état de l'eau dans les réserves n'est toujours pas terminée. Cette évaluation ne pourrait-elle pas être une feuille de route établissant les futures obligations financières? Comment progresser à partir d'ici et rédiger une loi sans comprendre entièrement les implications financières? Ce sont ces ressources mêmes dont nous avons besoin pour protéger les Premières nations. Ce n'est pas une simple question d'obligations, c'est une question de vie ou de mort pour les peuples des Premières nations.
Le président : Merci, monsieur Chamberlin.
Je vais ouvrir le bal des questions. À ce que je sache — et il est possible que mes informations soient un peu faussées — ce projet de loi a fait l'objet de quatre années de consultations. Il y en a qui contesteront la chose, mais je ne sais pas jusqu'à quel point.
Voici ma question. Nous sommes aux prises avec un problème de santé et de sécurité. Comme vous l'avez souligné, monsieur Chamberlin, la vie des Autochtones est menacée.
À partir de quel moment peut-on dire qu'il y a eu assez de consultations? Je ne dis pas cela sur un ton facétieux ou sarcastique. Comme vous le savez, nous comptons 600 Premières nations au Canada. Donc, à partir de quel moment peut-on dire qu'il y a eu assez de consultations? Voilà ma question, bien simplement.
M. Chamberlin : Je vous inviterais à vous asseoir avec les organisations et les Premières nations des provinces, où qu'elles soient, pour qu'elles vous disent ce qu'elles en pensent. Je ne suis pas en position d'autorité pour vous dire ce qui, au Manitoba par exemple, pourrait constituer de véritables consultations. Il faut respecter les détenteurs des titres et la façon dont eux envisagent de participer.
Le groupe d'experts a proposé un certain nombre d'options. Il faut comprendre le genre de dialogue que chaque province et chaque groupe de Premières nations désirent. Il me serait difficile de vous parler d'un modèle de consultation et de vous en faire une description précise quand il existe d'énormes différences entre les Premières nations en matière d'eau potable et de moyens pouvant être mis en œuvre.
Le président : Je suis d'accord avec vous. La Cour suprême a décrété que la consultation doit absolument précéder tout ce qui est susceptible d'avoir une incidence sur les Premières nations et les Autochtones en général.
Je recherche des réponses et des solutions. Je ne veux piéger personne. Je me rends compte qu'il n'est pas facile pour quelqu'un comme vous qui représente une partie bien définie du pays de fournir une réponse pour tout le monde, mais nous vivons le même dilemme.
M. Evans : Je vais veiller à bien préciser notre position en réponse à votre question.
Premièrement, au Manitoba et sans doute contrairement à ce que les fonctionnaires ont déclaré dans leurs exposés, nous affirmons ne pas avoir été correctement consultés. Une simple séance d'une journée, en février 2009, ne correspond pas, à nos yeux, à la définition de consultation véritable.
Je vous répondrai ainsi. Les concepts de la consultation sont énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, peuples autochtones dont il faut obtenir le « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». Hier, le chef national vous a dit que le gouvernement fédéral a maintenant l'occasion d'appliquer ce principe. Pourquoi donc le Canada ratifie-t-il un texte qu'il n'applique pas ensuite?
Pour nous, consulter veut dire communiquer les informations essentielles aux Premières nations et leur donner le temps de les examiner pour réagir, ce qui n'a pas été le cas. La consultation consiste à ce que les recommandations soient mises en œuvre. Elle vise à nous donner la possibilité de travailler ensemble sur des projets de politiques et de lois, et ainsi de suite. La consultation consiste à débloquer les ressources nécessaires pour permettre la participation à tous les niveaux de communication et de prise de décisions.
En 2009, on a financé les régions pour qu'elles évaluent l'impact des options proposées par AINC, mais comme elles n'ont eu qu'un petit mois pour réaliser ces analyses, elles ont manqué de temps pour faire du bon travail. Ça, ce n'est pas de la bonne consultation. Il aurait fallu financer de véritables analyses juridiques destinées à étudier toutes les options, puis à prendre une décision sur les solutions convenant le mieux à nos collectivités. Ça, ça aurait été de la consultation à nos yeux.
Le président : Des ressources ont été débloquées, n'est-ce pas?
M. Evans : Pas d'après nous. Nous estimons ne pas avoir disposé d'assez de temps. Nous jugeons que cela n'a pas été un exercice de consultation. Il n'y a tout simplement pas eu assez de temps. Quand nous avons envoyé des lettres au ministre des Affaires indiennes et à la ministre de la Santé pour leur faire part de nos préoccupations, et je crois que vous en avez des copies...
Le président : C'est une lettre de novembre 2010?
M. Evans : Oui.
Le président : Je n'ai pas pu la faire remettre aux membres du comité, parce qu'elle n'avait pas été traduite. Quoi qu'il en soit, je comprends ce que vous dites et je vous remercie pour votre réponse, grand chef Evans.
Le sénateur Brazeau : Merci pour vos exposés. Je comprends tout à fait les préoccupations que vous avez énoncées, mais permettez-moi d'être brutal dans mes propos. Avant cela, sachez tout de même que je suis passionné par toute cette question parce que ma collectivité, ma réserve est l'une des communautés à haut risque au Canada à cause de l'eau qui n'y est pas vraiment potable.
J'ai entendu les préoccupations que vous avez formulées. Je vous ai entendu dire que vous n'appuyez pas les mesures législatives, que vous avez d'énormes réserves vis-à-vis du projet de loi S-11, qu'il n'y a pas eu assez de consultations et que vous n'avez pas reçu de fonds relativement à ce projet de loi. D'un côté, je suis heureux de vous avoir entendu dire que vous-même et votre organisation représentez les chefs de vos provinces respectives, parce que je m'entretiens moi- même souvent avec les Autochtones de la base, un peu partout au pays et donc dans vos provinces également. Quand j'ai dit aux membres de Premières nations que le projet de loi S-11 a été déposé au Sénat, ils m'ont donné des réponses du genre : « Ça ne prenait pas la tête à Papineau »; « Il était temps »; « Ne permettez pas aux chefs de s'opposer à ça »; « Ne permettez pas aux chefs de bloquer ce processus ».
Vous nous avez fait part de vos préoccupations. Regardez cette petite carte postale qui a été distribuée à tout le monde; elle dit : « L'eau est un droit humain. Vous avez l'eau courante? Moi pas [...] et j'habite au Canada. Aidez-moi. »
Pour moi qui suis Autochtone, j'estime que le projet de loi S-11 est une solution, qu'il est une réponse à cette carte postale et que cette carte postale n'est qu'un épouvantail. Ça, c'est une solution. Comme je le disais, je suis passionné par toute cette question parce que, dans ma communauté, il faut que nous ayons accès à une eau potable salubre, comme les 600 autres collectivités de Premières nations partout au pays. Encore une fois, je vois une solution dans ce projet de loi.
Permettez-moi, chef Evans et chef Chamberlin, de vous demander quelles sont vos solutions à vous? Si nous jetons ce texte aux oubliettes, que nous le déchirons, quelles solutions proposez-vous? Quelles garanties exigeriez-vous pour que nous adoptions cette mesure afin que tous les citoyens de Premières nations, partout au Canada, aient accès à une eau propre et salubre? Ça, c'est une solution. Quelle est la vôtre?
M. Evans : Merci, sénateur Brazeau, pour vos remarques. Je me dois d'abord de vous demander si tout le débat concerne les chefs ou s'il concerne l'approvisionnement en eau potable.
Le sénateur Brazeau : Il vise à permettre aux peuples de Premières nations d'avoir accès à une eau propre et salubre.
M. Evans : Vous dites que vous êtes passionné. Je l'apprécie et je remarque d'ailleurs à quel point vous pouvez l'être. Je dirais que, nous aussi, nous sommes très passionnés et c'est pour cela que nous sommes ici.
Quant à la carte dont vous dites qu'elle est un épouvantail, elle était destinée à sensibiliser la population au sort des gens de la région d'Island Lake qui a été révélé par le Free Press. J'estime que le projet de loi n'aidera pas cette communauté. Pour nous, la solution consiste à s'occuper des communautés de façon holistique. Ce n'est pas en réglant le problème de l'eau potable à la façon dont vous le proposez que vous réglerez tous les problèmes. Votre projet de loi ne permettra pas d'y parvenir dans notre cas, certainement pas dans la région d'Island Lake, et il ne fera rien non plus pour un grand nombre de communautés de Premières nations au Manitoba.
Nous proposons que tous les partenaires au sein du gouvernement fédéral travaillent ensemble pour aider nos communautés de façon holistique, en tenant compte de la santé et de la situation des Autochtones dans la lutte contre la pauvreté et les problèmes de logement. Tout cela vous a été révélé grâce à des articles parus dans le journal Free Press qui n'ont fait que confirmer ce que nous n'avons de cesse de répéter devant d'autres comités sénatoriaux, que ce soit pour les questions de routes hivernales, d'isolement ou de nutrition.
M. Chamberlin : J'aimerais répondre. Sénateur, je parle au nom de la Union of British Columbia Indian Chiefs. Je suis investi d'un mandat clair pour cette comparution à laquelle je participe à la demande des 99 chefs de l'Union.
Le sénateur Brazeau a dit qu'il était allé en Colombie-Britannique et qu'il s'était entretenu avec les membres de Premières nations, mais j'aimerais savoir où et quand. Je ne vous ai jamais croisé à l'assemblée de la Union of British Columbia Indian Chiefs. Je ne vous ai jamais vu au Sommet des Premières nations. Je ne vous ai jamais vu aux assemblées de la BCAFN.
Je vous demande de respecter le fait qu'un certain nombre de personnes ont été élues chefs de leurs communautés et que ces communautés-là s'appuient sur un régime de bandes qui remonte à nos origines mêmes, des origines qui nous lient à la terre.
Ce projet de loi, et je vous demande de bien vouloir me laisser terminer, est plus qu'imparfait. Quand on le lit, on se rend compte qu'il propose une façon d'enfreindre les titres et les droits autochtones garantis dans la Constitution du Canada. Ça, ce n'est pas une solution.
Si vous voulez qu'on parle de solution pour corriger ce problème, je vous dirai qu'il faut établir un véritable mécanisme par lequel le Canada pourrait, dans chacune des provinces, en tenant compte de la façon dont les nations sont organisées, approfondir le débat et comprendre le point de vue de chaque région et sa relation avec l'eau. Ce n'est qu'une fois tout cela compris que le Canada pourra véritablement commencer à élaborer une solution utile adaptée aux besoins des Autochtones. La solution, c'est celle-là.
Ce n'est pas en participant à une seule réunion à quelques-uns, dans une province, qu'on apporte une réponse. Je vous le dis à tous, il est temps d'arrêter cela. Il est temps de trouver des ressources et de parcourir les régions pour ouvrir un dialogue utile avec elles plutôt que de participer à une seule séance dont mon ami vient de parler. Ça, c'est insuffisant. Voilà ce que je voulais dire.
Le sénateur Brazeau : Je vous ferais respectueusement remarquer que je n'ai pas besoin d'une invitation de la Union of British Columbia Indian Chiefs, de la BCAFN, ou du Sommet pour m'entretenir avec des membres de Premières nations. Je voulais répondre à ce commentaire, comme j'en ai le droit en tant que citoyen canadien et membre d'une Première nation.
De plus, nous ne sommes pas en contradiction. Nous sommes tous ici pour améliorer la qualité de l'eau dans les réserves. Nous sommes tous ici pour travailler aux mêmes fins. Je suis certain que nous pouvons nous entendre là- dessus. Je respecte le fait que vous ayez énoncé vos préoccupations. Je le respecte. Je vais examiner ce que vous avez dit, et ce que les autres autour de cette table ont dit également. Quoi qu'il en soit, moi je veux qu'on me propose des solutions et je n'ai rien entendu. Tout ce que j'entends dire c'est « Laissez-nous repenser le processus de consultation », sans compter qu'on exige telle et telle chose du Canada. Pendant toutes ces palabres, les membres de Premières nations n'ont toujours pas accès à une eau potable propre et salubre.
Enfin, je m'inscris en faux contre ce que vous avez dit, c'est-à-dire que ce projet de loi est imparfait quand, en réalité, dès qu'il sera adopté, les membres des Premières nations pourront, ensemble, élaborer les règlements dont eux-mêmes et leurs communautés voudront se doter. Ils pourront s'en remettre aux règlements provinciaux ou élaborer leurs propres règlements mettant en exergue leurs traditions, leurs coutumes et ainsi de suite. Dites-moi ce qu'il y a de mal là- dedans. Je veux des solutions. Quelles sont les solutions?
M. Evans : Les solutions sont nombreuses et il faut les appréhender globalement. Dans ce cas en particulier, les protocoles actuels fonctionnent, mais il aurait fallu les mettre au point en collaboration avec les Premières nations afin de répondre à leurs besoins. Ça ne s'est pas fait et ces protocoles ont été élaborés et mis en œuvre sans le bénéfice d'une véritable consultation et sans que les Premières nations soient au courant. Ces protocoles sont désormais en place, mais il est possible que nous travaillions en collaboration avec le gouvernement pour voir comment les améliorer afin de répondre à nos besoins. Tout cela existe déjà.
Il faut investir, dans les efforts de consultation avec les Premières nations, l'argent normalement destiné à l'élaboration des lois habilitantes afin de parvenir à de meilleurs protocoles et de disposer d'installations nouvelles ou améliorées, et de pouvoir compter sur un plus grand nombre d'opérateurs d'usines de traitement et de formateurs. La recommandation du groupe d'experts sur les eaux va dans ce sens. Il faut du temps pour créer et mettre en place un régime réglementaire. Il faut aussi beaucoup de temps et d'argent qu'on pourrait consacrer à meilleur escient, ailleurs dans le système, aux opérateurs, à la gestion et à la gouvernance. Le plus important, c'est d'avoir des ressources appropriées.
Hier, vous avez accueilli le chef régional Toulouse et avez entendu ce qu'il vous a dit à propos de la façon dont nous avons réglé nos problèmes d'eau dans les années 1980, par le truchement des ententes de contribution et d'une utilisation appropriée des ressources. Chaque région est différente. J'ai cru comprendre que l'Ontario a demandé à ses services techniques d'élaborer un règlement qui devrait répondre à ses besoins. Nous devrions tous consacrer le temps, l'énergie et les ressources nécessaires pour élaborer ou modifier les protocoles et les règlements dans nos régions respectives. Voilà une façon de garantir une eau potable salubre à toutes les collectivités, et cela en partant des protocoles existants.
M. Chamberlin : Voici ce que dit le paragraphe 6(1) du projet de loi S-11 :
Les règlements l'emportent, sauf disposition contraire de ceux-ci, sur tout texte législatif ou règlement administratif incompatible pris par une première nation.
D'après cette disposition, tout règlement pris en vertu de la loi éclipsera les lois et règlements des Premières nations. Voilà qui répond en partie à ce que vous avez soulevé, parce qu'il est clairement dit ici que ce projet de loi aura préséance sur tous les textes dont nous voudrons nous doter dans l'avenir.
Au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, combien de fois ai-je entendu des collègues dire qu'il faut aller « de la source au robinet ». C'est une phrase intéressante. Elle résonne bien. De plus, elle paraît encore plus intéressante par écrit. Il demeure qu'AINC n'a pas compétence pour tout ce qui concerne les eaux des bassins hydrologiques et les eaux souterraines. Ces aspects-là relèvent entièrement des provinces. AINC peut toujours s'exprimer, mais le ministère ne peut rien changer. Pour l'instant, le gouvernement provincial est davantage intéressé à créer des emplois et à remplir ses coffres, et nous reconnaissons que ce sont des aspects importants pour le pays, mais il nous faut revenir aux titres sous-jacents, ceux détenus par les Premières nations.
Je sais bien qu'il y a trois organisations en Colombie-Britannique. J'invite les gens d'AINC à venir nous rencontrer et pas seulement pour deux ou trois heures. Passons donc quelques jours ensemble pour nous atteler à cette tâche. Vous commencerez alors à comprendre nos préoccupations. Nous pourrons vous dire de façon très succincte et très claire les problèmes que nous voyons dans le projet de loi S-11 et nous pourrons ensuite parler du genre de solution que nous souhaitons. Après cela, il faudra trouver les ressources nécessaires pour passer de la parole au geste. Nous aurons, à ce moment-là, respecté ce que dit la déclaration. J'espère que cela répond aux questions que vous avez posées.
Le sénateur Dallaire : J'ai un exemplaire du rapport de notre comité intitulé L'approvisionnement en eau potable sécuritaire pour les Premières nations, daté de mai 2007. L'avez-vous vu?
M. Chamberlin : J'ai vu le rapport du groupe d'experts.
Le sénateur Dallaire : Vous n'avez pas vu le rapport du Sénat?
M. Chamberlin : Non.
Le sénateur Dallaire : Il a été publié en mai 2007. Comme nous allions parler de consultations, le comité a reçu une réponse du ministre en avril 2008. Il a fallu 11 mois pour que cette réponse soit transmise de ce comité à un autre comité ailleurs dans ce bâtiment et qu'elle nous revienne.
Au cours de cet exercice, le comité a soutenu, bec et ongles, qu'il fallait tenir des consultations poussées non seulement avec les Premières nations, mais aussi avec les provinces et les territoires concernés.
Voici ce que le rapport dit à cet égard :
Le comité doute de l'intention du ministre d'aller de l'avant avec un régime législatif, d'une part incomplet, et d'autre part, qui ne trouve que très peu d'appui parmi ceux qui doivent l'appliquer et s'y conformer.
S'agissant de l'Assemblée des Premières Nations et du groupe d'experts, le rapport recommande qu'AINC réponde financièrement à tous les besoins de ressources des communautés de Premières nations en matière d'approvisionnement en eau potable salubre, dès que cela constitue une condition préalable à la mise en place de la loi.
En 2007, le ministère a entamé une évaluation technique exhaustive qui était censée déboucher sur un rapport en 2009. À partir de là, le ministère était censé élaborer son plan d'investissement dans les infrastructures. Toutefois, il ne s'est pas arrêté là, puisqu'il a aussi rédigé un plan de salubrité de l'eau qui, et c'est intéressant, a permis d'obtenir de très bons résultats, après des investissements considérables.
Dans la réponse du ministre à notre rapport, on peut lire que les discussions ont débuté avec les chefs régionaux des Premières nations et les organisations de Premières nations sur des questions intéressant plus particulièrement les régions en regard de ce projet de loi, questions qui avaient été soulevées lors de séances de consultation et dans le cadre de l'analyse d'impact et des échanges de correspondance. C'est cela qui a été dit en septembre 2009.
Le 29 janvier, il a également été indiqué que les discussions avec les chefs régionaux de Premières nations et les organisations de Premières nations avaient pris fin en Colombie-Britannique.
Tout l'exercice avait débuté en 2007. On lit ici que ça s'est terminé en janvier 2010. Le ministre reconnaît que cela exige d'intenses consultations, mais vous nous avez dit que vous n'avez participé qu'à une seule journée de consultation.
Vous m'excuserez, comme il y a toujours le militaire en moi qui parle, j'aimerais savoir exactement en quoi ces consultations ont consisté. Personne ne vous a écrit, personne ne vous a parlé, ne s'est assis avec vous, n'a débattu avec vous, personne ne vous a invités pendant tout ce temps-là à des discussions de plus d'une journée portant sur un régime législatif destiné à régler le problème de l'eau potable?
M. Chamberlin : Vous avez dit que le ministère est venu en Colombie-Britannique le 29 janvier?
Le sénateur Dallaire : C'est à cette date que les consultations ont pris fin.
M. Chamberlin : Pour les 203 Premières nations?
Le sénateur Dallaire : Il est dit que les consultations avaient débuté en 2007.
M. Chamberlin : J'aimerais voir le procès-verbal de ces réunions, parce que je n'ai pas l'impression qu'il y en a eu autant. La « consultation » ne doit pas consister à rassembler des membres de Premières nations dans une pièce, à leur communiquer des informations et à leur servir du café. J'ai déjà vu ça avec le gouvernement fédéral, que ce soit dans le cas du MPO ou d'AINC. Ce ne sont pas de vraies consultations. C'est une chose de s'asseoir et de discuter, c'en est une autre de se retrousser les manches et de s'attaquer, dans un premier temps, à la formulation d'une entente sur ce que devront être les consultations. On aurait pu penser que la première chose aurait été de s'entendre sur une manière de faire fonctionner tout cela. C'est ensuite qu'on passe à la recherche de solutions dans le cadre établi. Si l'on ne procède pas ainsi, on se retrouve inévitablement avec le genre de questions que vous posez aujourd'hui. Si l'on ne part pas d'un cadre faisant consensus pour les consultations, personne ne ressort satisfait.
Le sénateur Dallaire : Je veux être précis. Nous parlons ici de ce qui s'est effectivement produit. Que s'est-il effectivement produit entre AINC et les organisations de la Colombie-Britannique et du Manitoba dans le cadre des consultations qui se seraient déroulées ces quatre dernières années? Avez-vous un compte rendu? Avez-vous des comptes rendus de décisions? Avez-vous participé, ensemble, à une série d'exercices? Qu'avez-vous?
Je vous pose la question à vous, mais j'espère que les fonctionnaires reviendront nous voir, car ils méritent bien une seconde discussion avec nous.
M. Chamberlin : Si je comprends bien, vous dites qu'il y a eu des consultations suffisantes, poussées, pendant quatre ans.
Le sénateur Dallaire : Non, je me renseigne.
M. Chamberlin : La Union of British Columbia Indian Chiefs a adopté en assemblée une résolution indiquant très clairement que ce qui s'est passé jusqu'ici est totalement inapproprié. Je représente près de la moitié des Premières nations de la Colombie-Britannique et c'est en fonction de ce mandat que je comparais devant vous. Cela étant dit, je peux enlever cette casquette de représentant de l'UBCIC pour m'exprimer en tant que chef de ma tribu. Nous n'avons absolument pas été consultés.
Vous avez parlé des conditions à réunir pour que nous soyons tous traités équitablement en matière d'eau potable. Je vous en félicite. Tout cela est tout à fait logique pour moi. Cependant, permettez-moi de vous parler de l'expérience des Premières nations. Nous sommes enfermés dans une solution temporaire. Des gens d'AINC m'ont dit sans ambages qu'ils n'ont reçu de fonds qu'au titre du train de mesures de relance économique et que cet argent a maintenant disparu. Nous sommes donc pris avec une usine de traitement qui ne tourne pas comme prévu et les gens du ministère nous disent que, dans cinq ans d'ici peut-être, ils pourront nous en obtenir une qui fasse le boulot.
Voilà les problèmes. Ce n'est pas par manque de réglementation que nos réserves n'ont pas accès à une eau potable salubre. C'est à cause du manque d'infrastructures. C'est à cause du manque de ressources adaptées et du manque de formation du personnel que nous n'avons pas la capacité de régler ces problèmes-là. C'est par là qu'il faut commencer. Il faut commencer par mettre tout le monde sur un pied d'égalité, par se faire une bonne idée de la situation sur l'ensemble du territoire avant d'adopter une loi qui soit la même pour tout le monde et qui ne repose pas sur des interprétations variant d'une province à l'autre et donnant lieu à un ensemble de mesures disparates.
Le sénateur Dallaire : Aidez-moi à cet égard. Si on me permet une deuxième question, nous parlerons ressources. Nous en sommes encore aux consultations. Vous avez dit qu'elles étaient insuffisantes. Le mot « insuffisant » n'est pas très bon sur un plan technique, surtout quand on travaille avec des fonctionnaires qui élaborent des lois parce que sans consultations, ils ne peuvent obtenir de fonds. Le mot « insuffisant » est trop vague. Or, dans le cas de votre tribu, vous avez dit que vous n'avez pas été consultés du tout.
M. Chamberlin : C'est exact.
Le sénateur Dallaire : Dans sa déclaration, M. Evans a affirmé qu'il n'y a eu qu'un jour de consultation. Je ne veux pas vous mettre les mots dans la bouche, mais il est fort possible que tout cet exercice de consultation, dont on nous avait dit qu'il était fondamental afin d'élaborer la loi à laquelle le ministre a donné son aval, n'a peut-être pas eu lieu.
M. Evans : C'est exact. En qualité d'organisation provinciale représentant 64 communautés de Premières nations au Manitoba, c'est nous qui avons organisé la consultation d'une journée en février 2009. C'est la seule discussion officielle à avoir eu lieu et il a été indiqué dans le compte rendu de la réunion que les dirigeants autochtones ne voulaient pas que cette séance soit considérée comme un exercice de consultation parce qu'il ne nous avait pas été présenté comme tel quand on nous avait invités à l'organiser.
Je ne peux pas vous dire s'il y a eu des séances de consultation dans les autres communautés et je ne peux que supposer qu'il n'y en a pas eu parce que l'assemblée a adopté une résolution indiquant qu'elle n'appuierait pas ce projet de loi. Voilà la réponse que je peux vous donner.
Le sénateur Dallaire : Merci beaucoup. Je ne sais pas si l'on va me permettre une seconde question.
Le président : Nous commençons à manquer de temps et je veux que nous passions au travers de ce sujet. Pouvez- vous donner une réponse au sénateur Dallaire, savez-vous jusqu'à quel point il y a eu des consultations en Colombie- Britannique?
M. Chamberlin : Nous devons entendre ce que les gens d'AINC ont à dire. Il faut voir ce qu'ils ont en dossier. On parle ici de séances d'information régionales, ce qui n'est pas la même chose que des séances de consultation. Quand ils sont venus nous voir pour tenir ce genre d'échange à l'échelle régionale, il ne s'agissait pas de consultation, monsieur. Nous devons aller au-delà de la simple communication d'informations pour avoir un véritable dialogue honnête. Des experts représentant tous les courants d'opinion devront y participer. Il faudra tenir compte, dans ce genre de dialogue, du savoir traditionnel des Premières nations en écologie et il faudra s'appuyer sur des études et des perspectives portant sur les utilisations traditionnelles. Il faudra tenir compte de ce que tout cela veut dire pour nous, sur un plan culturel, et de ce que nous voulons protéger par rapport à notre vision de la ressource hydrique.
Le président : Chers collègues, je vais prolonger cette séance de 20 minutes. Sénateur Dallaire, je vous inscris sur la liste pour une deuxième série de questions.
Le sénateur Banks : J'espère que nous assurerons un suivi des questions soulevées par le sénateur Brazeau, le président, le sénateur Dallaire et les témoins d'aujourd'hui parce que nous sommes en présence de deux groupes, d'une part ceux qui nous ont dit qu'ils ont consulté tout le monde et, d'autre part, ceux qui nous assurent ne pas avoir été consultés du tout. Nous devons mettre la main sur des chiffres et sur des dossiers. Je recommande que nous obtenions ces renseignements de tout le monde, bien sûr d'AINC, mais aussi des Premières nations.
Grand chef et chef Chamberlin, je suis tout à fait d'accord avec un projet de loi qui permettrait aux Premières nations d'avoir accès à une eau potable salubre. Dans le passé, le Sénat a proposé plusieurs projets de loi de ce genre qui ont tous été rejetés pour une raison ou une autre et qui n'ont pas été renvoyés devant la Chambre basse. Ils ne concernaient pas tous les Premières nations en particulier, mais les Canadiens en général. Dans la législation précédente, il n'y avait aucune distinction entre les deux.
Quoi qu'il en soit, je suis fermement opposé au projet de loi actuel. Je voterai contre s'il nous est soumis tel quel en troisième lecture. Avant cela, j'essaierai d'y faire apporter deux ou trois modifications et nous verrons ce que ça donne.
Vous avez tous déclaré qu'il faut abandonner ce projet de loi. Je suis d'accord avec vous et j'estime qu'il faut tout recommencer à zéro.
Grand chef Evans, vous avez déclaré que, selon vous, la solution n'est pas d'adopter un texte de loi. J'aimerais que vous nous expliquiez un peu votre raisonnement parce que je crois personnellement qu'une loi musclée, prolongée par un règlement applicable — une fois que tout sera en place et si nous nous rendons là un jour — est absolument nécessaire pour obtenir des résultats et faire ce qu'il faut faire. Qu'en pensez-vous?
M. Evans : Je vous répondrai en vous disant que ce projet de loi n'est pas la réponse qu'il faut, pour l'instant, pour nos communautés. D'abord, les normes qui y sont énoncées ne sont pas comparables avec le reste de la population canadienne. Donc, ce projet de loi présentera des problèmes sur le plan de l'application. Nos communautés ne sont pas encore suffisamment outillées pour appliquer le contenu prévu et il n'est pas envisageable de l'appliquer.
Pour être en mesure d'appliquer un tel contenu, il faudra que nos communautés aient une capacité minimale dans tous les autres domaines. En matière d'eau, il faut examiner où en sont les infrastructures. Il faut appréhender la situation de nos communautés de façon globale.
Je le répète, nous ne pouvons pas adopter un projet de loi qui empièterait sur nos droits, enfreindrait la Constitution et violerait les dispositions de la Déclaration des Nations Unies.
Nous devons créer un partenariat et travailler en collaboration les uns avec les autres. Pour l'instant, il faut examiner ce que sont les pratiques régionales et retenir les meilleures d'entre elles. Je ne crois pas que ce projet de loi puisse améliorer la vie des communautés de Premières nations.
M. Chamberlin : La Union of British Columbia Indian Chiefs a déclaré être favorable à tout projet de loi garantissant un approvisionnement en eau potable, mais encore faut-il que tout le monde progresse au même rythme. Il faut s'intéresser à chaque élément d'infrastructure et déployer des ressources pleinement adaptées pour parvenir aux résultats visés. La réalisation de ces conditions doit précéder tout le reste.
Je me suis vraiment demandé quand nous avons été invités à parler du projet de loi S-11 en Colombie-Britannique et je ne me rappelle pas un seul événement de ce genre. Je me souviens d'avoir reçu la visite de fonctionnaires d'Environnement Canada que j'ai aidés à concevoir un modèle de consultation à propos des égouts dans la région du Pacifique. Ces gens-là sont venus nous parler. Ils avaient organisé des séances d'une journée en différents lieux de la province. Il s'agissait de séances d'une seule journée auxquelles pouvaient participer deux représentants de Premières nations, mais pour ce qui est des consultations, je ne me souviens actuellement de rien d'autre.
J'aimerais bien voir ce que AINC considère comme étant des consultations en Colombie-Britannique, parce que personnellement, je n'ai pas souvenir d'en avoir vu.
Le sénateur Banks : Comme le sénateur Dallaire l'a dit, notre comité estime qu'afin de garantir l'efficacité de toute mesure législative, il faut d'abord s'assurer d'un financement suffisant, mais ce n'est normalement pas la façon dont fonctionne le gouvernement. Normalement, un projet de loi comme celui-ci, qui prévoit l'instauration d'un régime de réglementation, ne s'accompagne pas d'un financement prédéterminé. Le financement est annoncé dans les budgets, pas dans les projets de loi. Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter qu'aucun montant ne soit prévu au titre de l'application de ce projet de loi.
Quand nous avons accueilli les fonctionnaires pour parler de l'écart entre les exigences faites aux Premières nations et leur capacité d'y faire face, nous leur avons demandé si elles ne seraient pas pénalisées advenant qu'elles n'aient pas la capacité voulue par manque de fonds. Ils nous ont garanti que tel ne serait pas le cas, qu'ils ne sanctionneraient pas les Premières nations qui, par manque de fonds, ne seraient pas en mesure de respecter les exigences réglementaires.
Ces garanties vous rassurent-elles?
M. Evans : Je vais commencer par répondre à votre première remarque concernant la loi. Il faut absolument que votre comité comprenne que nous sommes favorables à toute loi susceptible d'améliorer le sort des Premières nations.
Nous collaborons avec le ministre des Affaires indiennes et avec les fonctionnaires de son ministère à la réforme électorale. C'est une forme de consultation des Premières nations. Tout a démarré au Manitoba et c'est devenu une initiative d'ampleur nationale. Aujourd'hui, c'est un projet national. Nous voulons d'une loi qui permettra d'apporter les changements dont nous avons besoin.
Dans le cas de l'eau potable, nous pourrions reprendre ce modèle. C'est pour ça que nous pouvons affirmer que les choses peuvent fonctionner à condition que vous soyez prêts à travailler en partenariat avec les Premières nations. Nous pourrions nous entendre sur une loi. Ce serait bien d'avoir une loi dans la mesure où nous participons à sa conception et à son application. C'est ce vers quoi nous devons tendre, selon moi.
Le président : Chef Chamberlin, excusez-moi de ne pas vous avoir appelé « chef » avant. Je ne m'étais pas rendu compte que vous êtes chef. Veuillez accepter mes excuses et je vous invite à poursuivre. Voulez-vous répondre brièvement?
M. Chamberlin : Vous vouliez savoir si l'engagement d'AINC de nous garantir les ressources nécessaires me rassure? Eh bien, non. Je me fonde en cela sur l'expérience de notre nation. Tandis que nous étions en train de régler nos problèmes d'eau potable, le ministère nous a abandonnés en cours de route et nous sommes comme suspendus entre ciel et terre. C'est ça que je veux vous dire. C'est notre expérience. Je revis la même chose aujourd'hui avec le ministère des Affaires indiennes et les bonnes paroles des fonctionnaires ne me rassurent pas. Il y a loin de la parole aux investissements et aux engagements. Nous devons trouver une solution pour élaborer la loi conjointement. Je veux dire par là qu'il faut collaborer avec les Premières nations. Il faut aussi débloquer les ressources nécessaires pour que nous puissions pleinement participer à cet exercice outre qu'il faut trouver les moyens de respecter pleinement nos titres et nos droits tels que définis dans la Constitution. Il faut appliquer un modèle de consultation tel que celui défini par la Cour suprême du Canada, modèle qui doit respecter la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il s'agit là de promesses faites par le Canada. Nous voulons passer du geste à la parole dans le cadre de consultations nationales avec les Premières nations.
Le sénateur Banks : Autrement dit, vous désirez donner suite à la recommandation privilégiée par le groupe d'experts.
M. Chamberlin : Oui.
Le sénateur Sibbeston : Cette question de l'eau est simple, mais je suis un peu confus et je me demande si ce projet de loi est bon. Je ne sais pas ce que je pourrais dire pour contribuer à faire avancer cette question.
Au fond, les Premières nations doivent avoir accès à une eau propre et salubre et à un réseau d'égouts de qualité. Il est là le fond du problème. Ce projet de loi est-il une réponse à cet égard?
J'ai l'impression qu'on y parle davantage de droits des Autochtones et de droits de la personne que de moyens pour garantir l'approvisionnement des Premières nations en eau potable.
À l'expérience, dans les Territoires du Nord-Ouest, j'ai appris que l'approvisionnement en eau douce est l'un des principaux défis auxquels le gouvernement est confronté, même s'il s'agit d'un territoire de glace et de neige. En certains endroits, on procède par tâtonnement. Pour assurer l'approvisionnement en eau potable de certaines communautés de l'Arctique, nous avions fait installer des aqueducs qui ont gelé le premier ou le deuxième hiver. Cette formule n'a pas fonctionné. Nous avons maintenant fait installer d'énormes châteaux d'eau, comme à Pangnirtung et ailleurs.
Je ne connais pas la situation dans le Sud ni les difficultés auxquelles les gens sont confrontés, mais quand j'examine ce texte de loi, je ne peux qu'être d'accord avec l'APN et certains chefs que nous avons entendus à ce comité. Si nous avions un projet de loi véritablement destiné à approvisionner les Premières nations en eau potable et s'il y avait eu des consultations, ce serait différent.
L'approvisionnement en eau potable est quelque chose de très technique, ce n'est pas simple. Il existe différents systèmes permettant de purifier l'eau. Il est possible de pomper l'eau d'une rivière à partir d'une petite station située sur les berges, de chlorer l'eau et ensuite de l'entreposer dans des réservoirs enfouis, comme les égouts. Toute cette question du traitement de l'eau est très technique.
Si le projet de loi précisait qu'il est question d'approvisionner les Premières nations en eau potable, d'installer un système, de tenir des consultations et de prendre une décision finale relativement à ces questions d'eau potable et d'égouts, si on parlait un peu de finances, tout irait bien. Malheureusement, j'ai l'impression qu'on s'est lancé dans toute une discussion qui tourne autour des droits des Autochtones et pas du problème de l'eau, et je redoute que nous nous enlisions dans ce débat.
Je suis d'accord avec l'APN et les autres. Cette loi a un caractère particulièrement paternaliste, puisque le gouvernement fédéral ferait tout pour les Premières nations. Quel rôle incombe aux Premières nations des réserves et quel rôle incombe aux communautés de Premières nations? Je n'en vois aucun. Il faut que ce projet de loi contienne des dispositions traitant de consultations et du reste.
Je suis étonné de voir que le gouvernement fédéral puisse envisager d'inscrire dans le règlement des dispositions aussi bénignes qu'une clause non dérogatoire. C'est ce qui est inscrit dans la loi, d'entrée de jeu, et qui revient à dire que cette mesure législative a préséance sur tous les droits des peuples autochtones et qu'il n'est pas possible de déroger aux dispositions qu'elle contient. Et voilà que les fonctionnaires sont favorables à l'idée d'inscrire cela dans le règlement. Si on les laisse agir à leur guise, on peut imaginer le tort que cela occasionnera sur le plan des droits des Autochtones.
J'en suis venu à la conclusion que ce projet de loi est compliqué et qu'il provoque un enlisement de la discussion sur le thème des droits des Autochtones. J'ai peur qu'il ne fasse pas l'affaire. Nous assisterons à une levée de boucliers de la part des organisations et des chefs autochtones de partout au pays et on constatera que les Premières nations et le gouvernement n'ont plus aucun désir de collaborer.
Malheureusement, je ne suis pas particulièrement enthousiasmé ni animé d'espoir par ce projet de loi. Au bout du compte, il est question d'eau, c'est-à-dire d'assurer l'approvisionnement des Premières nations en eau potable salubre. Il est possible que l'administration nous ait propulsés dans ce débat sur les droits des Autochtones, à cause de la façon dont ce texte a été rédigé. Tous les représentants de Premières nations qui sont venus témoigner ici nous ont parlé de leurs droits et pas tant de la question de régler le problème de l'approvisionnement en eau potable ni des solutions envisageables sur ce plan.
Le gouvernement est-il incapable de s'y prendre comme il faut?
Le sénateur Banks : Effectivement.
Le sénateur Sibbeston : Le ministère des Affaires indiennes est-il incapable de s'y prendre comme il faut? C'est là la question. C'est frustrant.
Le président : Permettez-moi de vous demander, cher collègue, si vous avez une question à poser. Je respecte votre droit d'énoncer votre position.
Le sénateur Patterson : Je vais poser une question au sujet des consultations. Les fonctionnaires nous ont dit qu'AINC avait financé 10 organisations régionales de Premières nations pour leur permettre de réaliser une analyse d'impact au sujet du régime de réglementation à partir de l'approche législative préférée par le gouvernement.
Je vous remercie pour vos exposés de ce soir. Vos organisations ont-elles effectivement été financées pour ce travail? Avez-vous fait ces analyses? À quels constats êtes-vous parvenus?
M. Chamberlin : Il y a bien eu une analyse d'impact de réalisée en Colombie-Britannique, mais il n'y a pas eu consultation. Le fait d'examiner les structures en place dans les réserves n'équivaut pas à une consultation, c'est simplement une analyse d'impact. Ce n'est tout simplement pas de la consultation.
J'ai cru deviner une question dans ce qu'a dit le sénateur Sibbeston, mais nous sommes passés à côté. Le sénateur Sibbeston se demandait pourquoi tout ce débat porte sur les droits et les titres et non pas sur l'eau potable. En fait, il est évident qu'il vise à mettre en place un mécanisme anticonstitutionnel destiné à enfreindre nos droits. Voilà ce qu'on peut affirmer à propos de la loi.
On ne s'intéresse véritablement à la question de l'eau potable que si on parle des investissements à réaliser dans les infrastructures afin d'amener tout le monde au même niveau. On en revient à la nécessité de s'intéresser d'abord et avant tout aux besoins constatés sur le terrain.
L'analyse d'impact, c'est une chose. Nous ne sommes pas d'accord avec le ministère parce que nous ne nous sommes pas assis ensemble et que nous n'avons pas convenu du genre de cadre dans lequel il fallait inscrire les consultations. Si nous nous en étions parlé et si nous avions conçu ce cadre avant le début des discussions, nous ne nous demanderions pas aujourd'hui où nous en sommes.
Au lieu de cela, nous avons réalisé une analyse d'impact, avons pris un petit café et peut-être un sandwich en compagnie des gens du ministère qui s'en sont allés après trois petits tours en affirmant avoir tenu des « consultations » à 10 reprises, ce qui leur permettait de rentrer chez eux pour faire leurs petites affaires de leur côté. Nous, nous affirmons qu'il aurait fallu arrêter la procédure à suivre avec nous. Ainsi, nous aurions pu savoir, en permanence, où nous en étions dans le processus. Cette formule aurait permis d'utiliser de façon très stratégique le peu de ressources dont nous disposons.
Pourquoi ne pas être stratégiques et prévisibles plutôt que d'être minimalistes avec le risque d'être confrontés à des tensions et à des différends par la suite? Le bon vouloir et la coopération doivent reposer sur des consultations véritables.
M. Evans : Le projet de loi est une délégation de pouvoirs aux provinces et peut-être même à des tiers qui se trouveraient à imposer les lois à nos communautés et à les faire respecter. Cela revient à empiéter sur nos droits.
En réalité, le projet de loi ne va pas permettre de régler le problème d'approvisionnement en eau potable auquel de nombreuses communautés sont aux prises. Ce projet de loi ne deviendra pas loi. Il inquiète apparemment beaucoup de gens.
De plus, nous accusons un manque de logements un peu partout au Canada. Quelqu'un serait-il disposé à proposer un projet de loi qui permettrait de régler ce problème également? Cela nous permet de comparer ce que ce projet de loi pourrait faire et ce que pourrait faire également un autre projet de loi visant à régler le problème de pénurie de maisons. Celui-ci ne s'attaque pas au fond du problème. Il ne va pas permettre d'obtenir ce qui est proposé ici.
Le sénateur Patterson : Les fonctionnaires d'Affaires indiennes et du Nord Canada — et je sais que vous ne leur faites pas confiance, comme vous nous l'avez clairement indiqué — nous ont dit qu'ils veilleront à ce que, avant de financer des systèmes d'approvisionnement en eau, les communautés des Premières nations soient en mesure de respecter les normes établies. Ils ont l'intention d'appliquer le régime de réglementation envisagé en procédant par étapes. Dès que les normes auront été établies, ils établiront un plan de réglementation et de conformité pluriannuel assorti de tous les coûts envisageables.
Vous avez clairement indiqué que les Premières nations de la Colombie-Britannique et du Manitoba ne veulent absolument pas de ce projet de loi. Nous avons appris qu'au Nouveau-Brunswick, les Premières nations ont récemment adopté une résolution radicalement opposée à la vôtre.
Si d'autres communautés sont disposées à se lancer et à faire confiance au gouvernement, vous opposeriez-vous à ce que ce projet de loi s'applique aux régions prêtes à « faire avec » et à collaborer avec le gouvernement fédéral?
Je crois que cette mesure législative pourrait permettre de garantir un financement qui, si je comprends bien, est un vrai problème. On nous a indiqué que certaines régions seraient disposées à adhérer à ce régime.
M. Chamberlin : Ce que vous venez de décrire est un bon exemple de la diversité des Premières nations au Canada. Cette diversité veut également dire que toutes les Premières nations n'en sont pas au même stade sur les plans de la capacité et des infrastructures.
Je ne vais pas me prononcer sur les aspirations d'une autre région; je suis ici pour parler au nom des Premières nations de la Colombie-Britannique et, parmi les 203 Premières nations en question, il existe d'énormes disparités sur le plan de l'eau. Il nous faut examiner plus sérieusement cette question en Colombie-Britannique et trouver une façon, à cette occasion, de pleinement tenir compte des titres et des droits autochtones.
Le sénateur Raine : Merci. Cette discussion est très intéressante.
Quand des gens se réunissent pour s'attaquer à un sujet complexe, surtout un sujet aussi vaste que celui-ci comprenant les droits et les titres des Autochtones, la nécessité d'approvisionner les communautés en eau véritablement potable et toute la diversité des situations d'une région à l'autre à cause de capacités qui varient d'un coin à l'autre du Canada, je sais à quel point il est utile de consigner tous les éléments du puzzle sur un bout de papier si l'on veut que les choses fonctionnent.
Il serait sage que les différents groupes concernés prennent ce projet de loi tel qu'il est, qu'ils l'examinent en compagnie de leur conseiller juridique et de leurs experts techniques pour voir ce qu'ils pourraient en sortir pour parvenir à des résultats. Ce projet de loi se veut un cadre pouvant être modifié, jusqu'au niveau de chaque Première nation, grâce à un règlement. Il ne se veut pas une mesure législative d'application universelle. Comme il comprend quelques bons éléments et que les deux parties font preuve de bonne foi, je pense que nous pourrions y ajouter des dispositions pour protéger vos droits et vos titres et faire en sorte qu'il donne les résultats escomptés.
Est-on vraiment intéressé à faire en sorte que ce projet de loi fonctionne?
M. Evans : Dans ma réponse, je vais sans doute répondre aux questions du sénateur Raine et du sénateur Patterson qui veulent savoir si nous aurions un problème à ce qu'une autre région opte pour ce projet de loi, qu'elle en permette l'adoption.
Nous affirmons ne pas avoir été consultés. Les autres régions non plus n'ont pas été consultées, et ce fut assurément le cas du Manitoba. Si le gouvernement décidait d'adopter cette loi sans consulter l'ensemble des intervenants, surtout nous-mêmes, et de faire adopter ce projet de loi par le Sénat ou la Chambre des communes, selon la façon dont les choses fonctionnent, il se trouverait à violer nos droits constitutionnels. Au Manitoba, nous estimons que ce projet de loi est en contravention de nos droits.
Si vous voulez faire adopter cette loi, je crois que vous devrez sérieusement envisager de revoir la façon dont nous pourrions travailler tous ensemble sur ce texte. Je suis d'accord avec l'idée d'adopter une mesure législative, mais cela doit se faire en partenariat.
Le sénateur Raine : Je suis inquiète parce que je ne veux pas qu'on reprenne tout le processus de consultation depuis le début, tout aussi utile que cet exercice puisse être pour bien d'autres raisons. Pour l'instant, l'accès à l'eau est un problème fondamental et il serait bien de mettre en place les infrastructures nécessaires pour régler cette question.
M. Evans : J'estime que le gouvernement est en mesure de favoriser cela sans recourir à une mesure législative, sans ce projet de loi. Cependant, pour bien faire les choses, il faut tout reprendre depuis le début et travailler ensemble.
M. Chamberlin : Merci pour vos questions. Aujourd'hui, il y a eu un appel téléconférence avec AINC. Les fonctionnaires se sont dits ouverts à nos commentaires, mais ils ne nous ont pas dit jusqu'à quel point ils sont prêts à tenir compte de nos remarques pour modifier le projet de loi. Comme nous ne partons pas sur des bases saines avec le ministère, nous ne sommes pas convaincus par ce que les fonctionnaires nous disent.
Vous nous avez dit de consulter éventuellement notre conseiller juridique, mais nous l'avons fait et, après une analyse exhaustive, celui-ci nous a dit de nous débarrasser du projet de loi et de tout recommencer, de garder l'amorce de la lettre et la formule de politesse et de remplacer tous les paragraphes du milieu. Cela montre à quel point ce projet de loi est défaillant.
Je suis d'accord avec mon grand chef pour dire que les ressources constituent l'enjeu fondamental. Nous pourrons régler cette question en travaillant sur les infrastructures et sur le genre de capacités dont nous avons besoin. Il est possible d'élaborer une loi qui convienne, mais avant ça, le gouvernement doit donner suite à son engagement de garantir la salubrité des réseaux d'approvisionnement en eau et de permettre la distribution d'une eau potable propre et sans danger aux Premières nations.
Le sénateur Brazeau : Chef Evans, vous avez dit que les normes énoncées dans ce projet de loi ne sont pas les mêmes que celles qu'on retrouve dans l'ensemble du Canada. Histoire de préciser vos propos, et afin que cela soit consigné au compte rendu, j'aimerais savoir pourquoi vous affirmez cela étant donné que le règlement n'est pas encore rédigé et que celui-ci devrait permettre aux Premières nations d'adopter leurs propres normes.
Vous avez aussi déclaré que cette mesure enfreindrait les droits des Premières nations. Vous n'avez pas à me répondre maintenant et vous pouvez le faire par écrit, en vous adressant à la greffière, mais j'aimerais savoir en quoi le fait d'assurer l'approvisionnement en eau potable salubre des Premières nations partout au Canada, comme nous le faisons dans le cas de tous les citoyens canadiens sur le territoire national, irait à l'encontre des droits des Premières nations.
Voici ma principale question : vous avez dit qu'il n'y a pas eu assez de consultations. Il est possible que vous ayez raison, je ne le sais pas. J'espère que vous allez pouvoir m'éclairer à cet égard.
Cela étant posé, pourriez-vous nous dire quelle somme exactement vous avez reçue d'AINC pour cette unique journée de consultation? Pourriez-vous nous dire combien vous avez reçu au cours des quatre dernières années et combien chaque communauté que vous représentez dans vos provinces respectives a reçu du ministère, y compris pour les analyses d'impact régionales? Ce serait bien que vous puissiez communiquer cette information à la greffière plus tard, à moins que vous n'ayez la réponse tout de suite.
M. Evans : Nous le ferons assurément. Je crois que vous avez mal compris la question quand j'ai parlé de normes. Dans la région d'Island Lake, les normes appliquées en matière de salubrité de l'eau potable ne sont pas les mêmes qu'à Winnipeg. C'est cela que je veux dire. Quant aux données que vous avez demandées, nous les ferons parvenir à la greffière.
Le président : Pourriez-vous faire la même chose, chef Chamberlin, si vous le voulez bien?
M. Chamberlin : Oui. Permettez-moi de répondre brièvement à la question. La Union of British Columbia Indian Chiefs est entièrement d'accord avec l'idée d'assurer un approvisionnement en eau potable salubre. C'est ce que nous voulons. C'est ce dont notre peuple a besoin. Or, ce n'est pas ce que ce projet de loi permettra. Celui-ci se trouve à transférer la responsabilité sur nos conseils de bande qui n'ont pas les ressources suffisantes pour assurer l'approvisionnement en eau potable. C'est ça, le fond du problème. C'est ça qu'il faut régler.
Je crois que vous vous trompez quand vous parlez de violation des droits des Premières nations dans le cas de l'approvisionnement en eau.
M. Evans : Permettez-moi de poser une question au comité. Comment se fait-il que le projet de loi S-11 ait été déposé au Sénat et pas à la Chambre des communes? Si, comme AINC l'affirme, des investissements seront prévus au titre de ce projet de loi, comment se fait-il que ce texte n'ait pas d'abord été déposé à la Chambre des communes, comme il est de coutume de le faire pour la plupart des projets de loi à caractère financier?
Le président : Nous vous répondrons plus tard.
Le sénateur Brazeau : Eh bien, je vais répondre à cette question, puisque c'est moi qui pilote ce projet de loi.
La Chambre haute et la Chambre basse ont toutes deux le privilège de déposer des projets de loi. Celui-ci a été déposé au Sénat parce que d'autres textes se trouvaient devant la Chambre des communes et que les deux chambres ont également le privilège de déposer des projets de loi comme bon leur sied.
Nous sommes ici aux prises avec l'hypothétique question des 2,3 milliards de dollars. Si demain, par miracle, Affaires indiennes et du Nord Canada déclarait que le projet de loi a été adopté, que vous aurez les garanties et les ressources nécessaires pour vous doter des infrastructures voulues afin d'assurer l'approvisionnement en eau potable salubre dans toutes les communautés de Premières nations au Canada, seriez-vous d'accord avec ce texte?
M. Evans : À question hypothétique, réponse hypothétique.
M. Chamberlin : La Union of British Columbia Indian Chiefs a adopté une résolution selon laquelle notre conseil doit indiquer au gouvernement qu'il faut se débarrasser de ce projet de loi. Vous ne prenez ici qu'une partie de ce texte et vous ne l'examinez pas dans sa totalité comme nous l'avons fait aujourd'hui. Toute mesure qui comporte une disposition susceptible d'enfreindre les titres et les droits autochtones, c'est qu'il y a un problème, un point c'est tout. Cela n'a rien à voir avec l'eau potable, mais bien avec la mesure législative elle-même. Il faut régler cela.
Je vous le rappelle, les chefs et l'assemblée m'ont ordonné de venir vous dire qu'il faut laisser tomber le projet de loi S-11. Il faut penser à une autre mesure législative après de véritables consultations et en tenant compte des titres et des droits des Autochtones suivant un processus régulièrement documenté. Faisons donc cela.
Je suis conscient que nous approchons de la fin de la période qui nous était réservée et je tiens à remercier toutes les personnes présentes aujourd'hui. J'ai beaucoup apprécié vos questions et ce n'est que grâce à un véritable dialogue comme celui-ci que nous ferons des progrès.
Le sénateur Dallaire : En 2006, nous avons déposé le Protocole relatif à l'approvisionnement en eau potable des communautés de Premières nations qui précise un ensemble de normes mesurables relativement à la conception, à la construction, à l'entretien, à l'exploitation et à la surveillance des systèmes de distribution d'eau potable. Ce protocole exige la tenue d'inspections annuelles réalisées par une personne qualifiée. Après cela, Affaires indiennes et du Nord Canada nous a déclaré qu'il entamerait une vérification technique détaillée comportant des inspections in situ des systèmes d'approvisionnement en eau potable des communautés de Premières nations et porterait sur l'examen des investissements en capital, de la maintenance et des ressources humaines nécessaires. C'est ce que le ministre a déclaré en avril 2008. Il a ajouté que les évaluations techniques seraient terminées à l'automne 2009 et qu'un plan d'investissement serait ensuite préparé pour coïncider avec le renouvellement des crédits d'immobilisations d'Affaires indiennes et du Nord Canada.
Avez-vous reçu des réactions d'AINC à la suite de l'évaluation des infrastructures ou du programme d'investissement en capital qui serait nécessaire afin de rendre ces infrastructures pleinement fonctionnelles? L'un de vous deux a-t-il vu quoi que ce soit de ce genre?
M. Evans : Non, nous n'avons rien vu de cela et je vous remercie pour cette question.
Je tiens à compléter ma réponse à la question du sénateur Brazeau. Les questions que nous soulevons ici ne sont pas hypothétiques. Elles sont réelles. C'est la réponse que nous donnons à cette question.
Eh bien non, je n'ai vu aucun document parce que, comme je le disais, il n'y a pas eu de consultation, il n'y a rien eu. Ce faisant, nous n'avons pas pu fournir de copies de quoi que ce soit.
Le sénateur Dallaire : Nous avons la loi sous les yeux. Nous n'avons pas le plan ni les résultats des évaluations, mais nous avons tout de même un projet de loi. Le plan de mise en œuvre de 2006 a donné de bons résultats, puisque sur les 2,3 millions de dollars prévus, le ministère a consommé 1,7 million de dollars et que tout le monde affirme que tout va bien. Personne n'a jeté ce plan à la poubelle; il donne de bons résultats. Celui-ci est censé renvoyer à des normes mesurables applicables à la conception, à la construction et au fonctionnement des systèmes. Que voulez-vous de plus?
Voici ma question. Il est écrit que l'APN
[...] favorise l'application d'un régime fédéral comme mesure provisoire pour l'application de normes nationales concernant l'eau potable sur les réserves jusqu'à ce que les conseils des Premières nations soient en mesure d'exercer leur propre pouvoir sur la gestion de l'eau.
On lit que, pour l'APN, il aurait pu être utile d'appliquer une mesure transitoire. Tout indique qu'elle a changé d'avis et qu'elle réclame maintenant une mesure permanente. Y a-t-il une raison pour laquelle l'APN ne croit pas que les communautés des Premières nations peuvent exercer leur compétence en matière de gestion de l'eau?
M. Evans : La raison pour laquelle l'APN en est là, c'est sans doute parce que toutes nos dépenses ou presque sont plafonnées à 2 p. 100, qu'il s'agisse d'éducation ou de formation, parce qu'il faut former nos gens afin de nous doter des moyens nécessaires pour gérer et gouverner nos communautés.
J'en reviens à la question de la démarche globale. Pour mettre des systèmes en place et moderniser des infrastructures, il faut avoir la capacité d'agir et, pour cela, il faut éduquer et former des gens. Or, pour l'instant, nous sommes plafonnés sur ce plan. Le ministère le sait bien et c'est pour cela qu'il a adopté cette position. Nous serons contraints de penser la même chose que lui tant et aussi longtemps qu'il ne nous donne pas les moyens d'agir.
M. Chamberlin : En réponse à votre question sur le plan d'investissement d'AINC et sur les budgets qui ont été débloqués, permettez-moi de vous rappeler ce qui est arrivé à la Première nation Kwicksutaineuk-ah-kwa-ah-mish à qui on a fait faire un bout de chemin et qu'on a ensuite laissée en plan. Pour moi, le plan d'investissement, c'est ça. C'est le genre de comportement que nous devons dénoncer aujourd'hui.
Je veux savoir combien AINC dit avoir dépensé en Colombie-Britannique à part les analyses d'impact. Je sais que la Union of British Columbia Indian Chiefs n'a pas obtenu un seul sou, même si nous représentons la moitié des tribus. On pourrait donc penser que nous sommes un interlocuteur valable à contacter pour faciliter le dialogue.
Le président : Merci à vous deux. On voit que toutes ces questions vous passionnent, comme les sénateurs. C'est excellent, parce que ce genre de dialogue peut être profitable à tout le monde. Nous avons tous quelque chose à apprendre et nous avons tous quelque chose à apporter.
Grand chef Evans, c'est vous qui vous occupez de ma province d'origine et, chef Chamberlin, vous vous occupez de ce qui se passe dans mon actuelle province de résidence.
Nous accueillons maintenant le second groupe de témoins qui représente l'Institut sur la gouvernance en la personne de John Graham, associé principal, et de Jane Fulford, vice-présidente, Gouvernement autochtone. Veuillez nous faire vos exposés.
Jane Fulford, vice-présidente, Gouvernance autochtone, Institut sur la gouvernance : Bonsoir. Je remercie le comité de nous avoir invités ce soir et sachez que nous apprécions beaucoup cette occasion qui nous est donnée de vous parler d'une partie de nos recherches. Nous tenterons d'être brefs, bien que cela soit difficile pour les chercheurs, afin de laisser un maximum de temps aux questions.
Je vais dire quelques mots à propos de l'Institut sur la gouvernance afin de contextualiser une partie du travail que nous avons réalisé jusqu'ici. Nous sommes un organisme de réflexion indépendant sans but lucratif. Au cours des 20 dernières années, nous avons fait avancer la connaissance et les pratiques en matière de bonne gouvernance et avons réalisé quelque 350 projets de gouvernance autochtone.
Nous allons, aujourd'hui, vous faire part des constats que nous avons tirés à la suite de nos travaux réalisés en 2009, pour le compte d'AINC pour qui nous avons animé 13 séances de consultation sur la conceptualisation du cadre législatif proposé par le gouvernement fédéral en matière d'eau potable et d'eaux usées dans les communautés de Premières nations.
John Graham, associé principal à l'Institut sur la gouvernance, a dirigé cette initiative et participé à la moitié des séances offertes. Il va vous donner un résumé des renseignements recueillis à l'occasion de ces séances et vous parlera de l'importance de ces travaux et des autres projets que nous allons réaliser dans l'avenir.
[Français]
John Graham, associé principal, Institut sur la gouvernance : Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation à venir nous exprimer sur une question assez intéressante et même épineuse. Je vais m'exprimer en anglais, mais vous pouvez me poser vos questions en français.
[Traduction]
Cela fait plus de 10 ans que nous planchons sur la question de la salubrité de l'eau potable pour les Premières nations. La plupart de nos clients sont des ministères fédéraux comme AINC, Santé Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et Environnement Canada à l'occasion. Nous avons aussi travaillé avec différentes Premières nations. Nous avons réalisé des travaux très intéressants pour un groupe de Premières nations, le United Anishinaabeg Council, qui, il y a quelques années de cela, était en train de négocier son autonomie gouvernementale. Nous l'avons aidé à concevoir un régime réglementaire pour l'eau. Nous avons aussi travaillé pour les Mohawks d'Akwesasne.
Les ouvrages que nous avons publiés vont vous donner une idée de notre parcours. En novembre 2001, nous avons produit un mémoire de politiques qui a été très important dans la négociation des ententes d'autonomie gouvernementale. Nous avions alors estimé que les parties ne traitaient pas suffisamment bien de toute la question de l'eau potable. L'un des principes fondamentaux de la gouvernance veut que l'organisme ou le gouvernement qui exploite les systèmes ne soit pas en même temps l'organisme de réglementation. Or, de façon tout à fait fortuite, un grand nombre de ces ententes d'autonomie gouvernementale imposent tout un ensemble de responsabilités à un seul et même ordre de gouvernement. Force est de constater que c'est là un mauvais modèle de gouvernance, parce qu'un gouvernement ne peut pas s'autoréglementer.
C'était là le premier avertissement que nous émettions, en novembre 2001. Puis, nous nous sommes intéressés à l'ensemble des questions concernant les Premières nations et, en janvier 2003, nous avons recommandé que le gouvernement adopte une loi sur la salubrité de l'eau, loi qui serait prolongée par des règlements provinciaux, car nous estimions que ce serait la meilleure façon de progresser. À cette occasion, nous avons tout de même affirmé que cela devait être réalisé en partenariat avec les Premières nations.
Dans la publication suivante, intitulée Building Governance Capacity : the Case of Potable Water in First Nation Communities, nous avons parlé des difficultés à réaliser cet objectif, de tous les enjeux délicats qui se présentaient et avons naïvement prédit qu'il faudrait 10 ans pour que le projet aboutisse. Quand on songe à ce qui s'est passé dans ce dossier au cours des quatre ou cinq dernières années, il est évident que nous péchions alors par excès d'optimisme. Puis, nous avons notamment animé 13 ateliers dont il a été question avec le groupe de témoins précédent et avons résumé 10 analyses régionales relatives aux Premières nations.
Ces analyses ont permis de dégager des thèmes clés dont les deux témoins précédents vous ont assez bien parlé. Le premier thème fort a été la reconnaissance du caractère sacré de l'eau dans les cultures et les visions du monde des Premières nations. Ce thème est ressorti à presque toutes nos séances et il a occupé une place importante dans presque toutes nos analyses régionales.
L'autre thème, dont il a été question tout à l'heure de façon on ne peut plus claire, c'est que le processus d'engagement comportait de graves lacunes, puisque les résultats semblaient prédéterminés, qu'il n'y a pas eu suffisamment de temps, que le processus risquait d'avoir des répercussions sur les droits des Autochtones, que la portée de l'exercice était trop limitée, que le gouvernement n'avait pas inclus la notion de protection des eaux de source et que la consultation n'était pas axée sur la communauté. Autrement dit, comme on vous l'a indiqué, les gens se sont plaints du fait que le processus de consultation régionale n'a pas permis d'atteindre les collectivités. On a noté une insatisfaction générale à l'égard du statu quo, personne n'étant convaincu de son bien-fondé. Les deux témoins de tout à l'heure vous ont bien dit que la situation peut être dramatique.
Je me permets de rappeler aux sénateurs qu'au début des années 1980, dans le Nord du Québec, huit enfants cris sont morts de gastroentérite, maladie sans aucun doute hydrique. Il s'agit là d'un problème de santé et de sécurité qui n'est pas simplement théorique. Le taux de mortalité dans cette région a été supérieur à celui enregistré à Walkerton où six personnes sont décédées.
Dans certaines de ces séances, si ce n'est toutes, les participants ont plus ou moins reconnu la nécessité d'appliquer un système de réglementation à l'échelon régional, moyennant un grand nombre de conditions que les témoins précédents vous ont expliquées. On nous a notamment dit qu'il fallait trouver des moyens de respecter les valeurs et les visions du monde des Premières nations. Il fallait aussi faire en sorte que le système actuel soit mis aux normes. On nous a dit qu'il fallait financer le renforcement des capacités et prévoir un budget de F & E suffisant. Il était question d'assurer la protection des eaux de source. Certains ont dit se méfier de l'intervention des provinces à cause, je pense, d'une certaine confusion, les gens ayant assimilé l'inclusion des normes provinciales à une forme de participation des gouvernements provinciaux. Cela a provoqué beaucoup de confusion. Il n'y a pas forcément de lien de cause à effet et ce n'est pas parce qu'on incorpore des normes et des règlements provinciaux que les administrations provinciales vont automatiquement se transformer en organismes de réglementation, puisque la loi en question demeure une loi fédérale. Quoi qu'il en soit, cette question a fait l'objet d'une certaine confusion. Puis, nous avons pris note des craintes exprimées à propos des responsabilités des chefs et des conseils. Là encore, les témoins précédents vous ont beaucoup parlé de cet argument-là. Enfin, il est ressorti très clairement que les gens veulent travailler en partenariat avec le gouvernement fédéral.
Comment voyons-nous l'avenir à partir de là? Selon moi, la formule demeure celle d'un régime de réglementation établi en vertu d'une loi, puisque l'actuel système qui repose sur des ententes de financement présente de graves lacunes. Personne ne devrait douter que nous disposons déjà d'un système de réglementation et que ce n'est pas là un nouvel instrument. L'actuel système de réglementation est nul parce qu'il repose entièrement sur des accords de financement qui empoisonnent les relations. Il a fallu un protocole de 30 pages, qui est une condition à l'exécution des accords de financement. Pour qu'il y ait accord, il faut que le protocole soit respecté.
Le problème, c'est qu'en cas de non-respect du protocole, il n'existe que très peu de sanctions. On ne peut pas vraiment retirer les fonds destinés à régler le problème d'adduction d'eau et d'égout. Ce n'est pas envisageable. Il n'y a pas vraiment grand-chose d'autre qu'on puisse faire.
Ce n'est pas un système particulièrement valable, puisqu'il est particulièrement partial. C'est un système fédéral. Ce sont des fonctionnaires fédéraux qui réalisent les tests. Du point de vue des Premières nations, je dirais que ce système est très mal fichu. Il est possible de l'améliorer, et de beaucoup. Il est possible d'habiliter les Premières nations à condition de s'y prendre correctement.
Si nous ne parvenons pas à combler la brèche sur le plan de la réglementation, nous risquons de nous trouver prisonniers de cette Loi sur les Indiens, la seule échappatoire consistant à placer les terres domaniales sous le coup de l'article 92. Tous ces problèmes d'ordre réglementaire empêchent le bon déroulement des débats sur l'autonomie gouvernementale. Enfin, des régimes élaborés conjointement pourraient faciliter l'autonomisation des Premières nations.
Selon moi, toute cette argumentation au sujet de la consultation ne sera jamais résolue. Bradford Morse a bien dit que, du point de vue des Premières nations, il n'existe en fait que deux types de consultations satisfaisantes. La première consiste à parvenir à un véritable accord et la deuxième à une entente d'application optionnelle. Tout exercice de consultation qui n'aboutirait pas à l'une de ces deux solutions ne serait pas considéré comme satisfaisant.
Je n'épuiserai pas mon temps à essayer de déterminer combien d'argent a été versé et qui a parlé à qui. Ce qui est important, c'est que du point de vue des Premières nations, la consultation n'a pas été satisfaisante parce qu'elle n'a pas permis de dégager une forme de consensus ou qu'on ne s'est pas entendu sur une formule quelconque à laquelle les gens pouvaient adhérer s'ils le désiraient.
Quant à moi, sans règlements, ce projet de loi est inutile. Sans règlements, il serait une coquille vide.
Il est évident que les règlements doivent être établis conjointement et s'appuyer sur des accords formels entre le gouvernement fédéral et les organismes autochtones régionaux. Cela est excellent pour des raisons de politiques publiques, mais pas forcément pour le respect des droits, au nom de la raison ou que sais-je encore. La raison à tout cela tient au fait que les règlements sont des instruments coercitifs inhérents à la gouvernance et qu'il serait illogique de se doter d'un régime de réglementation jugé illégitime par les personnes à qui il devrait s'appliquer. Il serait illogique, du point de vue de la politique publique, d'agir de la sorte.
En réalité, le seul moyen consiste à parvenir à un accord sur la question des règlements qui constitue le fondement même de ce genre de système. Sans les règlements, la loi perd tout son sens.
Pour améliorer ses chances de parvenir à un accord, il faut que le gouvernement fédéral réponde aux préoccupations des Premières nations, préoccupations qui ont été formulées lors des séances, et qu'il se montre ouvert et honnête quant à la façon dont il compte s'y prendre. Le gouvernement fédéral doit d'abord chercher des façons de respecter les valeurs et les visions du monde des Premières nations. Il pourrait toujours se livrer à des déclarations symboliques, mais il faudrait qu'il trouve des mécanismes d'application, peut-être même des normes différentes tenant compte des préoccupations et des visions que les Premières nations ont du monde. Il est possible d'y parvenir grâce à la réglementation et le gouvernement doit se montrer ouvert à cet égard.
Deuxièmement, le gouvernement devrait envisager d'appliquer toute une diversité d'options en matière d'exécution des lois, solutions qui pourraient consister à confier cette responsabilité aux organisations de Premières nations, au fédéral, aux provinces ou à en faire une responsabilité conjointe. Le gouvernement fédéral devrait se montrer ouvert à un certain nombre d'options de ce genre.
Et puis, se pose la délicate question de la responsabilité des chefs et des conseils. Imaginez que vous soyez chef et soumis à ce projet de loi. Celui-ci permet l'adoption de règlements et l'imposition de sanctions plutôt lourdes pour tout ce qui touche à l'eau. En Ontario, par exemple, les amendes se chiffrent dans les millions de dollars et il existe même une peine possible de six mois d'emprisonnement. Si vous dites à un chef que cette formule est bonne pour lui, que sa communauté aura accès à une eau salubre, vous le verrez inquiet parce qu'il risque une peine d'emprisonnement de six mois. Pourquoi serait-il emballé par cela?
Je crois qu'une façon de contourner tout ce problème consiste à créer des services publics régionaux. La plupart des Premières nations sont trop petites pour exploiter leurs propres usines de traitement. Elles doivent confier ce travail à contrat.
Nous avons réalisé une étude pour la région Ontario d'AINC. Nous avons étudié la situation de tous les opérateurs d'usine de traitement et d'épuration. À partir de projections prévoyant un certain taux d'attrition, nous avons conclu que, dans le meilleur des cas, la région de l'Ontario pourrait avoir la moitié seulement d'opérateurs d'usine de traitement accrédités.
Il faut envisager une réduction naturelle des effectifs de 10 à 15 p. 100. À cause de leur petitesse, les communautés de Premières nations ne peuvent compter que sur un seul opérateur accrédité et il faut savoir que, pour obtenir cette accréditation, les normes sont très strictes. Il faut 12 mois d'expérience, avoir terminé sa 12e année pour travailler dans des usines de catégorie 1. Pour les usines de catégories 2, 3 et 4, les qualifications sont encore plus strictes et il y a des usines de catégories 2 et 3 en Ontario.
Si une Première nation perd soudainement son opérateur, elle éprouve d'énormes problèmes du point de vue réglementaire, parce qu'elle n'a plus personne pour s'occuper de l'usine de traitement, ce qui constitue pourtant un des principes de l'approche à barrières multiples.
Il faut régler ce problème. Le système actuel ne fonctionne pas du point de vue réglementaire. La seule façon de faire en sorte qu'il fonctionne consiste à mettre sur pied des services publics régionaux. En Ontario, l'Agence ontarienne des eaux assume la responsabilité pour les opérateurs de même que pour toutes les petites municipalités. C'est précisément ce que nous devons faire. Nous devons retirer cette responsabilité des chefs et des conseils pour la confier à une sorte d'administration régionale qui exploiterait effectivement l'installation à contrat. C'est un gros problème.
L'autre problème est celui du budget de F & E. Dans l'univers non autochtone, le budget de F & E est alimenté par les impôts fonciers. En Ontario, le régime de réglementation impose à toutes les usines de traitement des eaux de produire des états de revenus et de dépenses. La province veut voir quels sont les revenus et les dépenses des usines pour s'assurer qu'elles sont viables parce que, si tel n'était pas le cas, l'usine ne pourrait être exploitée dans le respect de la réglementation.
Dans l'univers des Premières nations, 80 p. 100 du budget de fonctionnement provient d'AINC. On ne peut pas dire qu'il soit particulièrement intéressant pour un chef d'être soumis à un tel régime réglementaire en vertu duquel 80 p. 100 de votre budget est arbitrairement décidé par le gouvernement fédéral. Si j'étais chef, je demanderais qu'on me garantisse mes budgets afin de me permettre de me conformer au règlement.
Nous devons penser à ce problème difficile. Nous ne nous sommes pas très bien débrouillés en matière de transfert fiscal. D'autres pays, comme l'Australie, l'Autriche, l'Allemagne et l'Inde, ont trouvé des formules beaucoup plus originales en matière de transferts entre les différents ordres de gouvernement. Au Canada, nous n'avons pas fait grand-chose à cet égard et cette situation constitue l'occasion d'y remédier.
Pour ce qui est des budgets de F & E au regard de ce projet de loi, il faut envisager de recourir à un tiers neutre qui conseillerait les parties sur le niveau approprié de F & E. Pourquoi une Première nation devrait-elle signer cela si les dispositions sont arbitraires au point que le gouvernement fédéral prend toutes les décisions? Il est fort peu probable que le gouvernement fédéral confie un jour son pouvoir de dépenser à une tierce partie, mais une commission d'experts en matière de transferts fiscaux, comme celle qui existe en Australie, pourrait être un grand pas en avant et pourrait permettre de rassurer quelque peu les Premières nations. Si la commission d'experts recommandait un certain budget de F & E et que le gouvernement accorde moins que le montant en question, la Première nation ne serait pas en mesure de faire face à ses obligations, mais elle aurait un argument de défense. Il faut examiner attentivement toute cette question des budgets de F & E.
Il y a aussi la question de la protection des eaux de source qui a régulièrement été mentionnée. En Ontario, il existe un régime de protection des eaux de source auquel participent les Premières nations. C'est donc une formule envisageable. Le gouvernement fédéral devrait se déclarer prêt à envisager la prise en compte des eaux de source si les provinces le sont également. Il serait illogique que le gouvernement fédéral se montre disposé à agir de la sorte si les provinces ne l'étaient pas, parce que les terres relevant de l'article 92 ne sont pas des terres domaniales.
Il y a lieu d'envisager certains processus novateurs pour parvenir à conclure des accords régionaux. Le gouvernement fédéral et les Premières nations participent depuis longtemps aux négociations sur l'autonomie gouvernementale. Nous avons beaucoup appris sur les recettes à appliquer pour que le processus de négociation fonctionne. Il est notamment question de nommer un président neutre, d'organiser un grand nombre de séances communautaires, d'organiser des ateliers d'information, de s'entendre sur un échéancier et d'ouvrir les canaux de communication dès les débuts. Pour parvenir à la signature d'un accord régional, il y a un grand nombre de choses à faire correctement.
Je vais passer une minute à vous parler d'une initiative connexe en Colombie-Britannique. Sénateur St. Germain, cela devrait vous faire chaud au cœur. Je veux parler d'un transfert en santé en Colombie-Britannique. On pourrait penser qu'un transfert en santé représente un droit autochtone ou un droit de traité très important. La plupart des Premières nations pourraient en effet revendiquer leurs droits en matière de santé. Cette fois-ci, les parties sont parvenues à mettre toute la problématique des droits autochtones de côté parce qu'elles ont négocié un accord. Dans ce genre de situation, l'aspect pratique des choses prend le pas sur l'idéologie et vous reconnaîtrez avec moi que cet accord est bel et bien une solution pratique pour l'avenir. Les deux parties à cet accord ont reconnu que cela n'avait rien à voir avec les droits ancestraux, mais que l'entente leur permettait de progresser d'un point de vue pratico-pratique.
Santé Canada a signé un projet d'accord-cadre en matière de gouvernance en santé avec les trois grands groupes autochtones de la Colombie-Britannique, y compris la Union of British Columbia Indian Chiefs. Il est prévu qu'une autorité de la santé des Premières nations travaille dans le cadre juridique de la province dans le domaine de la santé. Le personnel et les budgets du bureau régional de Santé Canada sont transférés à cette nouvelle autorité. En Colombie- Britannique, il y a cinq autorités régionales en santé et cette sixième autorité couvrira l'ensemble du territoire de la province.
Tout cela s'accompagne d'un fonds de démarrage de 17 millions de dollars et d'une entente de financement de 10 ans. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que le rôle de l'autorité sanitaire des Premières nations pourra évoluer. Par exemple, cette autorité pourra étendre son rôle à la santé publique, notamment en ce qui a trait à la gestion de l'eau potable et à la gestion des eaux d'égout.
C'est là une évolution intéressante, parce qu'en Colombie-Britannique, l'autorité sanitaire des Premières nations pourra devenir un organisme de réglementation pour toutes les Premières nations. La portée de cette autorité sanitaire étant provinciale, tous les services seront donc regroupés. On l'a conçue de sorte qu'elle échappe à toute ingérence politique. Elle sera administrée par des professionnels. Si le projet de loi S-11 vient se greffer sur tout ça, on se retrouvera avec une formule très prometteuse en Colombie-Britannique.
Vous pouvez imaginer que celle-ci sera nettement plus intéressante que le régime actuel. Les organismes de réglementation fédéraux ne viendront plus empiéter sur le territoire des Premières nations; l'autorité sanitaire sera administrée par les Premières nations elles-mêmes. Il demeure qu'elle s'inscrira tout de même dans le système provincial. Cela ne revient pas à dire que les mêmes règlements provinciaux s'appliqueront, mais comme elle fera partie du système provincial, elle pourra accéder à toutes les ressources provinciales.
Ce qui est intéressant, par ailleurs, c'est que le déploiement des moyens est immédiat, puisque les spécialistes en écosalubrité de Santé Canada seront mutés au sein de cette autorité sanitaire des Premières nations, ce qui lui permettra dès lors d'avoir la capacité de prendre des règlements. C'est un aspect intéressant qu'un comité pourrait peut-être étudier davantage.
Enfin, il y a les répercussions du projet de loi S-11. Il y aurait peut-être lieu de prévoir un préambule, ne serait-ce que pour reconnaître symboliquement et respecter la place sacrée que l'eau occupe dans la vision que les Premières nations ont du monde. Il serait utile de préciser qu'aucune Première nation ne sera sujette à un régime réglementaire quelconque avant de s'être d'abord conformée aux normes établies. Il est possible que le ministre doive s'en charger, par voie d'annonce, parce que cela ne pourra peut-être pas se retrouver dans le projet de loi, mais il semble évident qu'il serait insensé d'avoir un régime réglementaire dont un tiers des usagers ne respecteraient pas les normes.
J'ai déjà parlé de la désignation d'un tiers neutre chargé de fournir son avis sur un budget de F & E. Il y aurait peut- être lieu de produire une déclaration ministérielle sur la formulation de règlements en partenariat, après quoi il serait possible de signer un accord de protection des eaux de source avec le consentement des provinces.
Le sénateur Banks : Vous avez dit que vous travaillez essentiellement pour différents ministères fédéraux.
M. Graham : Oui, sur cette question.
Le sénateur Banks : Envisagez-vous de vous retirer, parce que votre exposé ressemblait à un discours de départ à la retraite?
M. Graham : De quel point de vue? J'estime que l'essentiel de ce que nous faisons correspond à la voie du milieu. Le gouvernement fédéral ne nous aime pas particulièrement et les groupes autochtones ne nous apprécient pas nécessairement. J'estime que c'est là un des avantages de pouvoir compter sur une cellule de réflexion comme la nôtre.
Le sénateur Banks : Pouvez-vous nous parler de la façon dont se sont déroulés les ateliers axés sur la participation dont vous avez parlé tout à l'heure? Que s'est-il passé lors de ces ateliers, au nombre de 13 d'après ce que vous nous avez dit?
M. Graham : Il y a eu 13 séances d'une journée qui se sont typiquement déroulées ainsi. D'abord, le gouvernement déposait un document de discussion d'une vingtaine de pages que les gens avaient la possibilité de consulter. Il y était question du régime réglementaire et il résumait les différentes études réalisées jusqu'ici, y compris l'étude du Sénat. On y retrouvait trois séries de questions s'articulant autour de la préférence du gouvernement, soit une législation englobant les règlements provinciaux. Venaient ensuite certaines questions auxquelles on consacrait l'essentiel des séances d'une journée.
Il était prévu d'accueillir deux représentants de chaque Première nation, un pour l'aspect politique et l'autre pour l'aspect technique. Les discussions se déroulaient en groupes, autour des questions posées. Des fonctionnaires étaient assis parmi les participants, comme des spécialistes en écosalubrité. Tous les échanges étaient enregistrés. Les groupes pouvaient présenter les solutions auxquelles ils étaient parvenus qu'ils consignaient sous la forme d'un résumé. Tout cela durait un jour. Parfois, les choses ne se déroulaient pas ainsi, mais c'est comme ça qu'elles avaient été imaginées.
Le sénateur Banks : Savez-vous si des discussions ou des consultations ont eu lieu?
M. Graham : J'ai participé aux analyses régionales des 10 régions. Vous devriez poser cette question aux fonctionnaires d'AINC, mais ils disposaient d'environ 25 000 $ et il est certain qu'ils étaient pressés par le temps. Les 10 régions ont produit des documents qui, d'après moi, étaient généralement d'assez bonne qualité. Nous les avons donc résumés, puis avons rencontré les auteurs pour leur donner la possibilité de lire nos résumés qui n'étaient pas neutres. Nous avons tenu compte de leurs remarques pour rédiger les versions finales de ces résumés que nous avons soumises au ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.
Le sénateur Banks : Estimez-vous que l'essentiel de ces résumés se retrouve dans le projet de loi S-11?
M. Graham : Comme le projet de loi est un texte de niveau très élevé, qu'il constitue un cadre, il pouvait difficilement traiter de certains des enjeux sur lesquels nous nous sommes penchés. Les normes ne constituent pas les enjeux fondamentaux, ce ne sont pas les normes en matière de qualité de l'eau ou d'accréditation des opérateurs qui font problèmes, ce n'est pas non plus la manière dont on décidera d'inspecter, d'accréditer ou de réaccréditer les usines de traitement. Là ne sont pas les vrais enjeux. Les techniciens pourront régler tous ces problèmes-là, mais il y aura de grands écarts par rapport aux normes provinciales ne serait-ce qu'à cause de la petite échelle des opérations en question.
Les vrais problèmes, ce sont la gouvernance et le financement, la désignation d'un organisme de réglementation constituant un enjeu majeur sur le plan de la gouvernance. Vient ensuite la question du financement. Qu'adviendra-t-il à ceux qui ne respecteront pas les normes? Vous avez entendu la litanie de problèmes de la bouche des témoins précédents. Il y a le problème des budgets de F & E. Il faut régler ces grands problèmes et il faut le faire en faisant preuve d'imagination, parce qu'ils sont délicats.
Je vais répondre d'avance à une question que vous pourriez poser. Relativement à l'enchaînement des événements, j'estime que si vous attendez que tous ces systèmes soient en place, rien ne se passera. Les fonds ne seront pas débloqués. De plus, comme je vous l'ai dit, le système n'a pas été conçu pour que la totalité des opérateurs d'usine de traitement soient qualifiés. Vous en aurez tout au plus 50 ou 60 p. 100. Je crois que les fonctionnaires fédéraux ont parlé de 60 p. 100 et je suis prêt à parier qu'on a atteint un plateau. Il ne sera jamais, absolument jamais possible d'amener les systèmes au niveau de la norme et il faut trouver une autre solution. Il faudra commencer par quelque chose d'autre.
Si l'on s'y prend bien, si l'on élabore ces règlements dans le cadre d'un partenariat, nous pourrons espérer parvenir à des solutions novatrices très intéressantes pour nous attaquer à certains problèmes fondamentaux. Le système actuel ne permettra pas de régler les problèmes et l'argent non plus.
Le sénateur Banks : Faisons fi des questions d'argent et dites-moi si les questions de gouvernance mentionnées dans les 10 rapports régionaux se retrouvent dans le projet de loi S-11.
M. Graham : Pour l'essentiel, le projet de loi S-11 indique que nous sommes ouverts à toutes sortes de régimes de gouvernance. Celle-ci pourrait être confiée à un organisme de gouvernance. Lors de nos ateliers axés sur la participation, certains ont dit qu'il faudrait effectivement mettre sur pied un organisme de Premières nations. L'exemple que je vous ai donné à propos de la Colombie-Britannique rejoint ce cas de figure. D'autres ont dit qu'il faudrait confier la gouvernance à un organisme fédéral. Personne n'a vraiment mentionné l'hypothèse d'organismes provinciaux.
Comme le projet de loi S-11 est très ouvert, il permet la mise sur pied de n'importe quel type d'organisme de réglementation. En ce sens, je pourrais répondre oui à votre question. Le projet de loi S-11 le permet.
Le sénateur Banks : Pour autant que vous sachiez, à la lecture du projet de loi S-11 — car je suppose que vous l'avez vu — avez-vous relevé une disposition indiquant clairement que des règlements seront rédigés en consultation avec d'autres, parce que moi je ne l'ai vue nulle part.
M. Graham : Non.
Le sénateur Banks : On dit simplement que le ministre peut prendre un règlement.
M. Graham : Tout à fait. C'est la formule classique dans les projets de loi fédéraux. Voilà pourquoi j'ai dit que le ministre ou quelqu'un d'autre devrait peut-être faire une déclaration afin d'indiquer la façon dont les choses vont se dérouler. Il faudrait dire que tout va se faire en partenariat et qu'on va conclure des accords régionaux relatifs à l'adoption de règlements. Agir ainsi constitue une bonne politique publique et ce n'est pas nécessairement une question de droits. C'est de la bonne vieille politique publique. Il est inimaginable d'imposer un régime réglementaire qui ne soit pas légitime.
Le sénateur Banks : Nous pourrions également inscrire cela dans le projet de loi, n'est-ce pas?
M. Graham : Je m'en remettrai à vous pour ça.
Mme Fulford : J'estime que la loi permet une certaine souplesse en matière d'adoption de règlements et de modèles de mise en œuvre pour régler les problèmes de capacité et de budget de F & E. La loi prévoit la tenue de consultations ou une collaboration fonctionnelle autour de la préparation des règlements.
Le sénateur Dallaire : Dois-je comprendre que c'est grâce à votre travail de plusieurs années que vous êtes à l'origine de cette idée voulant qu'il faille passer par une loi? Vous pouvez simplement répondre par oui ou par non.
M. Graham : Honnêtement, je ne le pense pas. Nous aimerions croire que nos écrits sont lus et qu'ils influencent les lecteurs, mais je pense que d'autres forces sont intervenues.
Le sénateur Dallaire : Je ne veux pas paraître désinvolte, mais revenons sur la consultation d'une journée. Je ne veux pas m'étendre trop sur le sujet, mais j'essaie de comprendre comment le processus s'est effectivement déroulé. En Colombie-Britannique, vous comptez quelque 250 nations qui ont toutes été autorisées à déléguer deux personnes pour cette rencontre d'une journée. Si tout le monde s'est rendu à cette invitation, vous avez donc dû accueillir 500 personnes en une seule journée pour faire tout ce travail.
M. Graham : Il y a eu trois ateliers en Colombie-Britannique. En tout, nous en avons eu 13. En Colombie- Britannique, il y en a eu trois, mais en Ontario il n'y en a eu que deux étant donné le nombre et la taille des Premières nations.
Le sénateur Dallaire : Combien de personnes étaient présentes lors de ces ateliers?
M. Graham : Je pense qu'il y en a eu 540 en tout, pour les 13 séances, ou à peu près. C'est dans notre rapport.
Le sénateur Dallaire : Et tout le monde a eu la chance de participer dans cette seule journée?
M. Graham : Dans les Territoires du Nord-Ouest, il n'y a que deux Premières nations et nous avons donc accueilli cinq ou six personnes.
Le sénateur Dallaire : Vous avez recommandé que le ministre fasse une déclaration sur la procédure d'élaboration des règlements, mais les gens d'AINC travaillent auprès des Premières nations depuis plus d'un siècle. On aurait donc pu penser qu'ils seraient assez malins pour ouvrir leur jeu avant de donner un grand coup de marteau sur la tête de ceux avec qui il y a déjà beaucoup de frictions. C'est pas merveilleux, ça, de tenir la main du ministre dans le feu et de lui demander d'expliquer comment les choses vont se dérouler?
Je ne comprends pas cette démarche, si ce n'est que vous avez besoin de la loi pour créer les règlements — je pense — parce que cette formule ne fournit aucune garantie de financement. Vous aurez une loi qui n'assurera pas de financement et qui ne donnera aucune garantie du côté des budgets de F & E. Songez aux ententes de traité qui comportent une clause de mise en œuvre outre que, dans la plupart des accords de financement appliqués par AINC, il n'y a même pas de disposition de mise en œuvre.
Ne pourrions-nous pas parvenir au même résultat sans avoir à souffrir les affres d'un processus législatif et sans aggraver les frictions avec les Premières nations? Le ministre n'a-t-il déjà pas le pouvoir voulu pour prendre de tels règlements et les mettre en œuvre afin de régler les problèmes de gouvernance et d'application de la législation?
M. Graham : Il faudrait sans doute mieux que vous posiez cette question aux avocats de Justice Canada. J'aurais tendance à vous répondre par la négative. Le ministère n'a pas le pouvoir légal d'agir ainsi et c'est pour cela que ce projet de loi S-11 est proposé. Je ne connais pas une seule loi — et ça fait 10 ans que je travaille là-dedans — permettant de mettre en œuvre le genre de régime réglementaire exhaustif qui s'impose dans le cas de l'eau.
La loi et les règlements concernant l'eau sont particulièrement complexes. En Ontario, ce type de législation représente des milliers de pages, quand on tient compte des règlements et des lois. Ici, il est question de pouvoirs s'apparentant à des pouvoirs de police. On parle de perquisitions et de saisies, de la possibilité de jeter des gens en prison, raisons pour lesquelles il faut pouvoir s'appuyer sur une base législative très solide. Il s'agit de pouvoirs dits in extremis, de dernière limite. Normalement, ils ne sont utilisés que très rarement, voire jamais. Il arrive que les organismes de réglementation imposent des amendes aux municipalités, mais celles-ci sont relativement faibles.
Le sénateur Dallaire : Vous faites intervenir cet instrument extraordinaire pour mettre en œuvre des dispositions réglementaires visant à garantir la salubrité de l'eau, mais ceux qui auront des comptes à rendre à cet égard ne disposeront même pas des outils nécessaires pour s'acquitter de leur tâche. Vous avez parlé d'un tiers qui pourrait jouer un rôle d'intermédiaire.
Pourriez-vous nous donner l'exemple d'une telle commission ou d'un tel commissaire en mesure d'exercer de tels pouvoirs et d'influencer le gouvernement? Songez aux commissaires qui existent actuellement, voyez la façon dont le Cabinet les congédie et fait fi de leurs recommandations. Personnellement, je n'aurais pas beaucoup confiance dans cette formule.
M. Graham : Je doute que le gouvernement en vienne jamais à être d'accord avec un arbitre qui rendrait une décision exécutoire en matière de financement du genre : « Cette Première nation doit obtenir un budget F & E de tant. » Je ne crois pas que le gouvernement fédéral sera jamais d'accord avec cela. Toutefois, il pourrait être d'accord avec la mise sur pied d'une commission consultative, un peu comme les Australiens l'ont fait pour leurs transferts fiscaux entre le Commonwealth et les États. Au Canada, nous n'avons jamais fait preuve d'une grande imagination à cet égard, ce qui s'explique peut-être par le fait que nous sommes l'une des plus vieilles fédérations du monde. Nous en sommes encore au XIXe siècle, tandis que des fédérations plus jeunes se sont mieux débrouillées que nous sur le plan des transferts fiscaux.
Le sénateur Dallaire : C'est malheureux qu'on ne retrouve rien de cela dans ce cas.
Le sénateur Brazeau : Bienvenue parmi nous, madame Fulford et monsieur Graham.
Je retiens de ce que vous avez dit que l'actuel régime ne fonctionne pas. À la page 7 de votre diaporama, vous proposez ce qu'il faudrait faire dans l'avenir. Seriez-vous d'accord pour dire qu'en confiant la préparation des règlements conjointement au gouvernement fédéral et aux communautés de Premières nations, un grand nombre de ces problèmes seraient automatiquement réglés?
Si je vous ai bien compris à propos du résumé des ateliers, c'est l'Institut sur la gouvernance qui a rédigé ces documents.
M. Graham : C'est nous qui les avons rédigés.
Le sénateur Brazeau : Je vois ici que les participants de la Colombie-Britannique ont indiqué que les règlements pourraient être adaptés aux communautés de la province. Ailleurs, les gens ont dit qu'il serait plus facile d'appliquer les règlements provinciaux qui existent déjà et la plupart des groupes sont tombés d'accord sur le principe d'un régime réglementaire. Certains groupes estiment que la réglementation provinciale pourrait s'appliquer en dehors des réserves et la plupart des participants se sont dits d'accord avec une démarche régionale. Au Manitoba, des groupes ont dit que les normes provinciales existent déjà et qu'elles pourraient servir de point de départ, d'où leur adhésion à la notion de régime réglementaire. Voilà pour ceux qui étaient pour.
Hier, nous avons accueilli le chef régional de l'Ontario qui s'est exprimé au nom de tous les chefs de la province. Ce soir, nous avons entendu le représentant des chefs de la Colombie-Britannique et un autre qui s'est exprimé au nom des chefs du Manitoba. Quand on voit tous ceux qui se sont prononcés en faveur d'un tel régime dans le résumé que vous avez rédigé, j'ai l'impression que la plupart des participants à vos séances sont d'accord avec le processus proposé dans le projet de loi S-11.
Je ne veux pas vous mettre en position de devoir contredire ce que d'autres nous ont déclaré, mais pourriez-vous m'expliquer cette grande différence entre ce que vous soutenez et ce que les chefs nous ont dit?
M. Graham : Il aurait fallu que vous participiez à certaines séances. Certaines se sont mieux déroulées que d'autres. En Alberta, il n'y a eu véritablement aucun dialogue. Des chefs se sont simplement présentés pour la première matinée; nous n'avons jamais entamé l'ordre du jour; ils sont revenus encore et encore sur leur situation, pour toute une diversité de raisons, puis ils ont mis un terme à la séance à midi. C'est comme ça que les choses se sont déroulées en Alberta.
Dans une séance qui a eu lieu en Ontario, à Thunder Bay, où j'étais présent, les participants ont voulu nous faire la démonstration du caractère sacré que l'eau revêt pour eux. Ils ont consacré la plus grande partie de la première matinée à toute une série de manifestations cérémonielles axées sur l'importance de l'eau sacrée. Là non plus, nous n'avons jamais pu entamer l'ordre du jour et il n'y a pas eu de dialogue. En revanche, dans les trois ateliers de la Colombie- Britannique, nous avons assez bien suivi l'ordre du jour. Nous avons pu avoir des échanges intéressants. Tout cela pour dire, sénateur, que les choses ne se sont pas déroulées partout de la même façon.
Je ne pense cependant pas que la vraie question soit de savoir si la consultation a été suffisante. La vraie question, c'est ce qu'il faut faire à partir d'ici et cela passe par une forme de partenariat.
On pourrait nous rétorquer qu'il aurait fallu instaurer un tel partenariat dès le début. Qu'il aurait peut-être fallu travailler dès le début avec le Québec pour rédiger une loi et des règlements et voir ce qu'il fallait faire pour réaliser un tel exercice. Quand on regarde les choses a posteriori, c'est peut-être ce qu'il aurait fallu faire. Pour une raison ou pour une autre, ça ne s'est pas fait, mais compte tenu des fonds et des efforts politiques qui ont été investis là-dedans, le mieux est de partir sur cette base et d'appliquer cette formule dans les régions qui sont disposées à le faire. Pas de problème si le Manitoba rejette cette formule. Pas de problème si c'est la même chose en Alberta. Cela étant, on pourrait choisir une région qui est disposée à élaborer la réglementation en partenariat avec les autres intervenants pour trouver des solutions novatrices meilleures que la formule actuelle afin que nous puissions dire à toutes les autres Premières nations : « Nous sommes prêts à vous parler de ce qui s'est fait au Manitoba, par exemple, mais êtes-vous disposées à vous asseoir avec nous pour cela? »
Compte tenu de toute l'énergie et de tout le temps jusqu'ici consacrés à cet exercice, c'est la meilleure façon de s'engager sur la voie de demain. Il faut trouver des solutions novatrices. Le statu quo est tout simplement inacceptable. Ce qui ne marcherait pas, ce serait de vouloir tout mettre en œuvre avant même de parler de la réglementation. On n'y parviendra jamais et il faudrait un siècle pour que la loi encadrant la salubrité de l'eau potable soit mise en œuvre
Il ne faut pas se faire d'illusions à cet égard. Ça ne marchera pas si on commence par dire qu'il faut commencer par respecter les normes partout, et cela avant même de commencer à parler de règlements. Si vous faites ça, vous n'y arriverez jamais.
Le sénateur Brazeau : Si ce projet de loi était adopté à la faveur de la rédaction conjointe de règlements, pensez-vous que les aspects que vous avez mentionnés à la page 7 de votre exposé pourraient être corrigés?
M. Graham : J'estime que le gouvernement fédéral doit se montrer proactif sur ces points. En disant aux Premières nations : « Nous vous comprenons, vous avez éloquemment présenté votre position et nous sommes prêts à travailler avec vous sur ces différents aspects. Nous sommes disposés à parler de budget de F & E. Nous sommes ouverts à l'idée qu'au moment de la mise en œuvre des règlements, tout le monde ne sera pas au même niveau. En revanche, qu'allons- nous faire à cet égard? Nous sommes prêts à voir comment nous allons réglementer tout cela et de quel genre d'instruments nous disposons. Nous sommes ouverts à tout cela; nous sommes ouverts à tout. »
Mme Fulford : Cette démarche à caractère régional a fait l'objet d'une entente. Le résumé porte même le titre de Résumé des ateliers axés sur la participation et il n'est pas question de consultations. Lors de ces séances, nous avons recueilli des informations très intéressantes, mais il n'y a pas eu accord au sujet de l'approche. Ce n'était pas une consultation, c'était une série d'ateliers axés sur la participation.
Le sénateur Dallaire : Devez-vous passer par la voie législative pour appliquer le processus que vous avez décrit ou commencer par créer l'unanimité avant de passer à la loi pour réaliser une grande partie de tout ce que vous avez décrit?
M. Graham : Ce serait une option. Le ministre est en fait le mieux placé pour parler de cette option et savoir si elle est réalisable.
Il aurait fallu ajouter à la diapositive 3 qu'à l'étape de la mise en œuvre du processus réglementaire, le gouvernement serait disposé à modifier le projet de loi si besoin était. Autrement dit, au moment de passer à la réglementation, le gouvernement pourrait aussi envisager d'apporter des changements au projet de loi.
Le sénateur Dallaire : C'est pour ça que je pensais qu'il était déjà investi des pouvoirs nécessaires.
M. Graham : Le gouvernement pourrait alors dire qu'il est même prêt à modifier le projet de loi, mais que l'existence d'une loi-cadre contribuerait, par définition, à mettre un cadre en place. Compte tenu de tous les efforts qui ont été déployés et du capital politique qui a été investi dans ce projet, j'estime que le mieux serait d'adopter ce projet de loi avant de sélectionner une région ou deux afin de voir, dans un exercice conjoint, s'il est possible de parvenir à des règlements.
Le président : Est-ce que le fait de mentionner une période fixe pour l'examen de la loi suffirait?
M. Graham : Comme une clause d'extinction à terme de cinq ans, par exemple?
Le président : Oui, une échéance d'examen.
M. Graham : Je ne connais pas beaucoup les clauses d'extinction. Je ne suis pas sûr qu'elles fonctionnent très bien. Je ne suis pas particulièrement expert du sujet et je ne peux pas dire si de telles clauses sont bonnes ou mauvaises, mais si elles peuvent en rassurer certains, alors il vaut la peine d'envisager cette solution.
Le sénateur Raine : Merci. Comme je suis néophyte en matière de réglementation de l'eau, j'aimerais que vous m'expliquiez succinctement pourquoi un régime efficace de protection de l'eau potable et de gestion des eaux d'égout doit nécessairement passer par l'adoption d'une loi.
M. Graham : Parce que ça permet d'imposer des peines d'emprisonnement. On peut aussi imposer des amendes assez lourdes. On peut exiger des opérateurs qu'ils dépensent un certain montant dans les installations. Une loi confère toutes sortes de pouvoirs de police. Il s'agit d'une loi particulièrement coercitive, d'extrême limite.
Il faut des règlements. Il n'est pas possible de perquisitionner une voiture ou une installation de traitement des eaux si l'on ne s'appuie pas sur des dispositions législatives conférant aux fonctionnaires certains pouvoirs législatifs qui les habilitent à agir de la sorte. Il s'agit de pouvoirs coercitifs. Il n'est pas ici question de débloquer des fonds pour permettre la construction d'usines de traitements des eaux. Pour cela, il n'est pas nécessaire de s'appuyer sur une loi. En revanche, une loi serait nécessaire pour emprisonner le sénateur Nancy Greene Raine. C'est pour cela qu'il faut s'appuyer sur une loi.
Le sénateur Raine : Les Premières nations nous disent qu'elles ne veulent pas envoyer leurs amis en prison, qu'elles veulent simplement de l'eau salubre. En quoi un régime réglementaire va-t-il garantir l'acheminement des ressources nécessaires pour construire les infrastructures qui s'imposent?
M. Graham : Un tel régime réglementaire favoriserait l'injection de fonds fédéraux. Jamais aucun fonctionnaire fédéral ne vous le dira et encore moins ceux du ministère des Finances. Savez-vous ce que ferait le ministre si, après que vous aurez passé deux ans à claironner que vous rédigez des règlements, quelqu'un lui disait que la moitié des Premières nations ne répondent pas aux normes? Eh bien moi, je crois que le ministre dirait à ses fonctionnaires d'amener tous ces gens-là aux normes précisées dans la réglementation. Dès lors, j'estime que le régime réglementaire favoriserait les investissements, plutôt que de les contrecarrer. Aucun fonctionnaire fédéral ne vous dira jamais cela.
Si je me fie sur mon expérience de collaboration avec les fonctionnaires fédéraux, je peux affirmer qu'un régime de ce genre attirera les investissements et non le contraire. Si, après tous ces efforts montrant bien qu'il s'agit là d'une question de santé et de sécurité, on demande pourquoi certains ne sont pas conformes aux normes établies dans le régime réglementaire, il faudra certainement corriger la situation. Je pense donc que ça va favoriser les investissements.
Le sénateur Banks : Le sénateur Raine a posé ma question. Qu'y a-t-il de magique dans cette formule? Il faut bien être conscient que ce gouvernement et ceux qui l'ont précédé, aussi loin que vous voudrez bien remonter dans le temps, ont formidablement échoué dans leurs tentatives visant à s'attaquer à cette question. Personne n'a réussi, pas plus les libéraux et les progressistes-conservateurs que les conservateurs d'aujourd'hui. Nous avons tous échoué.
M. Graham a dit qu'il fallait adopter une législation exécutable.
Si les céréales de Kellogg ne nous rendent pas malades, c'est que le président de la compagnie sait très bien qu'il risque d'être emprisonné si ses flocons rendent les gens malades. Il veille à la salubrité parce que c'est un bon gars. Je force un peu le trait pour illustrer mon propos. En réalité, nous disposons des moyens légaux nécessaires pour poursuivre les fabricants de produits alimentaires qui mettraient dans leurs bouteilles ou leurs emballages des substances susceptibles de nous rendre malades. C'est pour ça qu'ils veillent à ne pas le faire. Je crois que c'est ça que M. Graham veut nous dire.
Vous n'avez eu de cesse de répéter que nous n'y arriverons pas sans une loi musclée. Je suis d'accord avec ça. En revanche, je me demande si une loi digne de ce nom doit comporter toutes les dispositions draconiennes envisagées ici, y compris l'abrogation de certains droits ou la dérogation à des droits et la possibilité d'imposer un modèle de gestion ou d'exiger que les Premières nations fassent certaines choses qu'elles ne voudraient pas.
Je suis d'accord cependant pour dire qu'il faut une loi musclée. Il faut une loi pouvant être appliquée. Je ne crois pas qu'il faille aller jusqu'à inclure dans ce texte de loi un texte marteau-pilon ni à prévoir l'annihilation de certains droits. Ce n'était pas une question.
Le président : C'était une remarque et fort valable par ailleurs.
Le sénateur Brazeau : J'ai une remarque à faire, pour mémoire. Je suis entièrement d'accord avec ce que le sénateur Banks a dit au sujet des gouvernements successifs qui ont abandonné les Premières nations dans le dossier de l'eau. Quoi qu'il en soit, ce gouvernement, lui, essaie de régler le problème.
Le président : Monsieur Graham et madame Fulford, merci beaucoup à vous deux d'avoir participé à cette réunion. Merci de vous être déplacés et d'avoir pris le temps pour cela. Tout cela a été très instructif et je suis heureux que vous ayez fait partie de nos témoins.
M. Graham : Vous pourrez remercier votre personnel qui fait un excellent travail.
Le président : Il me fait bien paraître et je sais que ce n'est pas facile.
Sénateur Patterson, je vais traiter la question que vous avez soulevée au comité de direction.
La séance est levée.
(La séance est levée.)