Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme
Fascicule 6 - Témoignages du 5 juillet 2010
OTTAWA, le lundi 5 juillet 2010
Le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi visant à décourager le terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, se réunit aujourd'hui, à 13 heures, pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, il s'agit aujourd'hui de la septième séance du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme que nous tenons dans le cadre de la troisième session de la 40e législature. Nous sommes heureux d'accueillir deux groupes de témoins aujourd'hui. Notre premier groupe est composé de David Sproule, jurisconsulte adjoint et directeur général de la Direction des affaires juridiques, à Affaires étrangères et Commerce international Canada, le MAECI, et Hugh Adsett, directeur de la Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, qui nous vient aussi du MAECI. Nous sommes reconnaissants envers les hauts fonctionnaires du MAECI de s'être libérés dans un délai relativement court.
Votre présence ici nous aidera à régler des questions qui ont été soulevées à la dernière réunion du comité au sujet des liens entre les dispositions du projet de loi S-7 relatives aux litiges et à l'inscription d'un État qu'on soupçonne d'appuyer le terrorisme, ainsi qu'à trouver les mesures à prendre pour s'en occuper.
[Français]
Je sais que vous avez des déclarations liminaires. Je vous invite donc à les faire, après quoi nous vous poserons des questions.
[Traduction]
David Sproule, jurisconsulte adjoint, directeur général, Direction des affaires juridiques, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Honorables sénateurs, merci de m'avoir donné l'occasion de comparaître aujourd'hui devant le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, dans le cadre de votre étude du projet de loi S-7, Loi visant à décourager le terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États.
Je serai heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir au sujet du projet de loi, particulièrement du point de vue des affaires étrangères. Cependant, j'aimerais profiter de cette occasion pour parler de deux questions qui ont été soulevées la semaine dernière au cours des délibérations du comité, si j'ai bien compris.
La première est la question du lien entre les modifications de la Loi sur l'immunité des États prévues dans le projet de loi S-7 et les obligations du Canada en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
Comme vous le savez peut-être, la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques a été adoptée en 1961 et elle est entrée en vigueur, pour le Canada, en 1966. La convention codifie, en somme, les règles du droit international coutumier établies de longue date et elle oblige les États à adopter un certain nombre de mesures pour favoriser les relations diplomatiques, y compris le fait que l'État accréditant doit accorder l'immunité diplomatique aux membres du personnel diplomatique. Le Canada a satisfait à ses obligations en vertu de la Convention de Vienne par l'intermédiaire de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales.
D'autre part, la Loi portant sur l'immunité des États se distingue de la loi sur l'immunité diplomatique, et son contenu découle largement des pratiques des États et de coutumes. De nombreuses pratiques généralement acceptées, comme les activités commerciales, sont des exceptions en ce qui concerne l'immunité des États. Certaines d'entre elles sont codifiées dans un traité sur l'immunité des États adopté en 2004, qui est connu sous le nom de Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens. Le Canada n'est pas un signataire de ce traité, qui jusqu'à ce jour a été ratifié par seulement 10 États.
En termes généraux, la loi sur l'immunité diplomatique prévoit des restrictions sur la compétence des États en ce qui concerne les diplomates accrédités et impose aux États des limites en ce qui concerne les États et leurs biens. La distinction entre l'immunité diplomatique et l'immunité des États que l'on retrouve en droit international existe également en droit canadien. L'article 16 de la Loi portant sur l'immunité des États se lit comme suit :
Les dispositions de la Loi sur l'extradition, de la Loi sur les forces étrangères présentes au Canada et de la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales l'emportent sur les dispositions incompatibles de la présente loi.
Autrement dit, en cas de litige entre la Loi sur l'immunité des États et la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, la Loi sur l'immunité des États ne s'appliquerait pas au litige.
J'ai cru comprendre qu'au cours de votre dernière réunion, des questions ont été aussi soulevées quant à savoir si les modifications à la Loi sur l'immunité des États prévues dans le projet de loi S-7 seraient incompatibles avec les obligations du Canada en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. En deux mots, il n'y aurait aucune incompatibilité. Les obligations du Canada sont mises en œuvre en vertu d'une autre loi, la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, et les modifications prévues à la Loi sur l'immunité des États n'auront aucune incidence sur ces obligations.
La deuxième question portait sur le processus qui serait utilisé pour l'inscription des États. Comme des collègues de Sécurité publique Canada l'ont indiqué, l'examen approfondi de cette question n'a pas encore été entrepris. Le projet de loi prévoit que le gouverneur en conseil peut, « sur la recommandation du ministre des Affaires étrangères faite après consultation du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile », établir une liste sur laquelle il peut inscrire tout État étranger qui soutient le terrorisme si « le gouverneur en conseil est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que cet État soutient ou a soutenu le terrorisme. »
Si le projet de loi est adopté, le MAECI préparera une liste de pays fondée sur une évaluation préliminaire des pays qui sont reconnus avoir soutenu une entité inscrite dans le Code criminel.
Un processus d'analyse des renseignements de sécurité serait mis en œuvre pour évaluer chaque cas en fonction de critères stricts établis dans la partie du Code criminel qui porte sur le terrorisme. Le nouvel article 2.1 proposé dans le projet de loi prévoit que les actes ou les omissions sur lesquels on se base pour déterminer si un État soutient le terrorisme sont ceux qui sont sanctionnés par l'un des articles 83.02 à 83.04 ou 83.18 à 83.23 du Code criminel. Ces actes comprennent le financement du terrorisme et la participation ou la contribution aux activités d'un groupe terroriste.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international serait le dépôt central responsable de la collecte et de l'analyse des renseignements. Parallèlement, le MAECI déterminerait les risques éventuels et les conséquences associées aux inscriptions proposées, y compris celles qui concernent les relations diplomatiques du Canada avec l'État en cause et les questions liées à la politique étrangère, à l'économie et aux autres priorités du gouvernement du Canada. Au cours de ces évaluations, le MAECI consulterait les autres ministères concernés.
Étant donné que ce projet de loi n'en est qu'à l'étape préliminaire, le MAECI n'a pas encore commencé la recherche et l'analyse qui seraient nécessaires pour faire ces recommandations au ministre.
Le président : Merci.
Monsieur Adsett, vouliez-vous ajouter quelque chose à cela, ou allez-vous simplement aider à répondre aux questions qui concernent votre champ de compétence?
Hugh Adsett, directeur, Direction du droit criminel, de la sécurité et des traités, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Je serai heureux d'aider à répondre aux questions.
Le président : Nous vous en saurons gré.
J'ai une question générale au sujet de la façon dont la liste sera préparée. Si j'étais l'ambassadeur de l'Arabie saoudite en poste ici à Ottawa, tandis qu'il pourrait y avoir une série d'histoires au sujet de diverses parties de l'Arabie saoudite qui appuieraient ou non des activités terroristes dans d'autres parties du monde, j'aurais une opinion très arrêtée à propos du fait que mon pays pourrait un jour être inscrit sur une liste du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
De mon point de vue d'ambassadeur, comment pourrais-je faire connaître mon opinion si j'entendais parler qu'il existait un risque que cela se produise sans aucune justification?
Deuxièmement, les Canadiens de diverses communautés, qui ont toutes sortes de préoccupations quant à la façon dont la liste est dressée, auront-ils la chance de présenter leurs observations au sujet de la liste finale? En vertu du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, le droit d'une personne de contester est fortement limité, sans l'ombre d'un doute, selon qu'un pays soit sur la liste ou non. En conséquence, ce droit pourrait être limité par les dispositions de cette loi.
Je suis certain que tout conseil que vous pourriez nous fournir nous sera très utile.
M. Sproule : Merci, monsieur le président. Permettez-moi tout d'abord de répéter que les modalités de ce mécanisme d'examen restent toujours à établir. Par conséquent, il serait trop tôt pour que je m'aventure à en parler trop en détail.
En ce qui concerne le premier point que vous avez mentionné, notamment ce que vous avez dit au sujet de l'Arabie saoudite et de son point de vue, on suppose que cela inclurait les spécialistes du ministère, nos divisions qui traitent des questions de politique étrangère, qui entretiennent des relations continues avec les gouvernements dont ils s'occupent, ce qui leur permettra de nous conseiller et de nous fournir ce genre de renseignements.
Le président : Pourrais-je demander, encore une fois, dans quelle position vous vous retrouveriez si l'Iran, qui réfute les allégations selon lesquelles il aurait des liens — autres que spirituels — avec le Hamas ou le Hezbollah, mais que nos propres services de sécurité considèrent comme impliqué, d'une façon ou d'une autre, dans le soutien à des activités terroristes ou à des groupes qui se trouvent sur la liste canadienne des groupes terroristes, était inscrit sur cette liste? Avez-vous une idée de la façon dont on pourrait s'en occuper? Il ne fait pas de doute que ses représentants diplomatiques verraient le fait qu'on les considère officiellement, d'une façon ou d'une autre, comme des commanditaires d'activités terroristes comme un acte hostile.
En ce qui concerne les autres pays qui, au fil du temps, vont se retrouver à entrer et sortir de cette catégorie — et si vous n'avez pas de réponse parce que le processus n'est pas établi, ce n'est pas grave —, est-il juste de conclure, en notre qualité de membres du comité, que dans ces circonstances, les recommandations que le comité fera dans son rapport seront utiles au ministère? En arriverais-je à une conclusion erronée et exagérément optimiste?
M. Sproule : Les recommandations du Parlement sont toujours utiles et bienvenues. Nous accueillerons favorablement tout conseil et toute recommandation du comité.
Le président : Merci, monsieur Sproule.
Le sénateur Jaffer : J'aimerais vous remercier tous les deux d'être venus ici. J'ai des questions préliminaires. Si je ne termine pas, je pourrais les poser au cours de la deuxième série de questions.
Vous ai-je bien entendu dire que, pour certaines des questions que nous avons soulevées la semaine dernière au sujet de la liste, entre autres, il n'y a pas eu assez de recherche pour vous permettre de nous donner une réponse? Par exemple, quels sont les critères pour établir une liste? Avez-vous dit qu'il n'y a pas eu assez de recherche pour vous permettre de nous dire, aujourd'hui, quels seraient ces critères?
M. Sproule : Nous devons établir les critères de sélection des États qui pourraient être inscrits sur la liste. Par conséquent, à ce stade, il est trop tôt pour que je puisse vous parler des critères parce qu'ils n'ont pas encore été établis.
Comme je viens tout juste de le dire au président, nous accueillerons favorablement les recommandations du comité s'il a une idée de la façon dont nous pourrions faire notre travail en fonction de ce qui a déjà été prévu dans le projet de loi, comme le fait qu'une recommandation du ministre des Affaires étrangères serait faite après consultation du gouverneur en conseil et de son collègue, le ministre de la Sécurité publique, notamment.
Le sénateur Jaffer : Ce projet de loi nous a été renvoyé, mais vous dites que vous n'avez pas pensé à la façon dont vous allez dresser la liste. J'ai de la difficulté à comprendre. Est-ce bien ce que vous dites?
M. Sproule : Nous savons que le principal critère, c'est que nous devons avoir de bonnes raisons de croire que l'État a soutenu le terrorisme. Cependant, les décisions relatives aux modalités relèvent du ministre. Nous allons certainement lui faire part de nos recommandations en ce qui concerne la marche à suivre pour ce faire.
Le sénateur Jaffer : En ce qui concerne la liste, lorsqu'on lit le projet de loi attentivement, j'en déduis que vous considérez d'abord le premier critère dont vous avez parlé, c'est-à-dire le soutien au terrorisme. Vous demandez ensuite aux ministères si ce pays devrait être inscrit sur la liste. Ai-je raison?
M. Sproule : Selon notre expérience, nous utiliserions les ressources auxquelles notre ministère a accès.
Le sénateur Jaffer : Non, pas votre ministère. L'article 10 stipule que dans l'exercice de ce pouvoir, vous demanderiez également aux autres ministères si le pays devrait être inscrit.
M. Sproule : La loi énonce précisément que notre ministre consulterait le ministre de la Sécurité publique. Au cours du processus, nous nous servirions des renseignements que nous aurions à notre disposition, à titre de gouvernement, sur les activités de l'État en cause.
Le sénateur Jaffer : Vous examineriez aussi la possibilité que la mesure soit préjudiciable aux intérêts du Canada sur le plan des relations internationales, n'est-ce pas?
M. Sproule : Oui, tout à fait.
Le sénateur Jaffer : Des critères ont déjà été établis.
M. Sproule : Nous prenons aussi ce fait en considération, oui.
Le sénateur Jaffer : Victor Comras, un ancien employé du département d'État américain, a témoigné sur la question devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Il a expliqué que la liste de pays désignés a eu pour résultat de miner la loi américaine. Il nous a recommandé de ne pas procéder ainsi, de ne pas adopter le projet de loi. Voici ce qu'il a dit exactement : « S'il fallait tout refaire, je suis persuadé que nous nous passerions de cette liste. » Il a aussi ajouté : « Je vous invite à tirer une leçon de notre expérience. [...] ne faites donc pas la même erreur. »
Ce n'est pas la première fois que vous entendez ces remarques; vous les connaissez. Qu'avez-vous à répondre?
M. Sproule : Sénateur, je suis fonctionnaire. Mon rôle est d'instaurer les politiques selon la volonté de mon gouvernement.
Le sénateur Jaffer : Je comprends; vous avez raison.
M. Sproule : Je demanderais peut-être plutôt à l'un de nos ministres de répondre à la question.
Le sénateur Jaffer : Vous avez raison. Nous allons inviter le ministre à se présenter devant le comité. Vous avez tout à fait raison. Je voulais que vous donniez cette réponse pour que je puisse dire au président qu'il faut que le ministre comparaisse. Merci beaucoup.
Ma dernière question porte sur les traités. J'ai parlé de la Convention de Vienne, et vous avez présenté une réponse détaillée; je ne vous interrogerai donc pas à ce sujet. Y a-t-il d'autres traités sur lesquels la mesure législative aurait une incidence?
M. Sproule : Pas à ma connaissance, mais je demanderais à mon collègue de répondre au cas où j'aie omis quelque chose.
M. Adsett : Pour ajouter à la réponse de M. Sproule, pas à ma connaissance non plus; je ne suis au courant d'aucun traité auquel le Canada est partie sur lequel la mesure législative aurait une incidence.
Le sénateur Wallin : J'aimerais revenir brièvement sur ce que vous avez dit au sujet des modalités. Lorsque vous parlez de modalités, entendez-vous que vous traiterez de la question au moyen de règlements, comme on le fait avec la plupart des lois?
M. Sproule : Je parlais des procédures qui seraient établies et qu'il faudrait considérer — sous la forme d'un comité pour déterminer qui serait consulté au moment de dresser la liste —; toutes les procédures qui seraient instaurées avant qu'un ministre présente une recommandation officielle au gouverneur en conseil.
Le sénateur Wallin : Vous parlez de ce qui sera fait avant et non après, c'est bien cela?
M. Sproule : Oui.
Le sénateur Wallin : Le règlement expliquerait comment, quand, où et pourquoi.
M. Sproule : Oui, une fois que le gouverneur en conseil aura pris une décision.
Le sénateur Wallin : À votre sens — si vous vous êtes penchés sur la question —, quel est le but de la mesure? Je sais qu'il semble plutôt clair qu'elle vise à donner une compensation aux victimes. On y sent une volonté de réparer ou de donner aux victimes la possibilité de tourner la page ou même peut-être de prendre en main leur destin. Or, il y a aussi le second volet, celui en vertu duquel la mesure servira à s'attaquer à ceux qui financent le terrorisme, qu'il s'agisse d'États ou d'autres entités, et au financement du terrorisme. La raison donnée suffit-elle, ses mérites sont-ils suffisants pour qu'on adopte une mesure législative qui englobe le tout?
M. Sproule : À mon sens, la mesure législative vise d'abord et avant tout à décourager les États qui considèrent la possibilité de mener des activités de ce genre. Je pense que c'est l'objectif principal qui est décrit dans le projet de loi même.
Le sénateur Wallin : Quels seraient les autres objectifs?
M. Sproule : Il y a également d'autres objectifs secondaires. Je pense que les parrains de la mesure législative ont pris une décision, et ils viseraient aussi à faire en sorte que le tout soit appuyé par des mesures concrètes.
Le sénateur Wallin : Or, à votre avis, est-ce que la mesure s'attaque vraiment à la question du financement de la terreur par ceux qui ont de l'argent, qu'ils soient appuyés directement ou indirectement par l'État au moyen notamment de la reconnaissance ou de l'acceptation des barons de la drogue?
M. Sproule : Il existe un autre exemple, à l'échelle internationale, d'un pays qui a une loi semblable. Là, des décisions ont été rendues en faveur du plaignant, quoique je crois comprendre que seule une petite proportion des sommes importantes qui y étaient associées a été accordée sous la forme de compensation.
Le sénateur Wallin : Selon votre appréciation de la question, votre ministère craint-il qu'il y ait représailles ou que d'autres soulèvent à leur tour l'attentat commis contre Air India ou les 18 de Toronto pour montrer que de telles choses peuvent tout aussi bien se produire ici qu'ailleurs?
Quelles conclusions ont été tirées sur ce plan dans le cadre de l'examen de la mesure législative?
M. Sproule : Les critères qui peuvent être pris en considération par notre ministre, en consultation avec le ministre de la Sécurité publique, comprennent des préoccupations comme celles que vous venez de mentionner; notamment, les conséquences potentielles de la mesure sur nos relations diplomatiques et commerciales, sur notre sécurité et ainsi de suite.
Le sénateur Wallin : Les préoccupations ont-elles été prises en considération et ont-elles été jugées raisonnables?
M. Sproule : Le ministre a la possibilité d'examiner tous ces facteurs.
Le sénateur Furey : Merci d'être ici aujourd'hui, messieurs.
J'ai quelques questions. J'aimerais aborder brièvement la disposition épineuse visant l'établissement de la liste, qui semble la source d'une certaine confusion.
Or, avant de me pencher sur ce sujet, j'aimerais attirer votre attention, monsieur Sproule, sur le paragraphe 4(4) du projet de loi, qui contient essentiellement une clause d'arbitrage. Ce qui y est prévu n'est pas obligatoire, comme vous pouvez le constater; or, j'avancerais que la clause donne en quelque sorte au pays défendeur une disposition à laquelle se raccrocher. Les avocats ici présents savent que si vous allez cogner à la porte d'un juge à la recherche de certains types de recours, l'une des premières questions qu'il vous posera, c'est si vous avez épuisé toutes les autres voies de recours possibles, en particulier certaines formes de recours.
Pourquoi le projet de loi contient-il cette clause? Est-ce en raison de difficultés qui existent entre le Canada et d'autres pays sur le plan des relations extérieures, de relations contractuelles que nous entretenons ou de traités que nous avons signés? Pouvez-vous apporter certaines précisions?
Le président : Si vous me permettez, sénateur Furey, nous avons posé exactement la même question pendant votre absence. La précision que nous avons reçue des agents du ministère de la Justice Canada, c'est que le seul fait d'avoir présenté une demande d'arbitrage n'empêcherait pas quelqu'un d'intenter une action. Nous nous éloignons un peu de notre sujet.
Le sénateur Furey : J'ai lu ce que vous venez de dire, monsieur le président, mais je veux approfondir un peu la question.
Le président : Je vous en prie. Pardonnez l'interruption.
M. Sproule : Oui, ce que la clause prévoit est facultatif, et non obligatoire. Je crois que l'idée était exactement ce qui est énoncé dans la disposition, soit que la clause permettrait aux États de régler les poursuites au préalable, en particulier en ce qui a trait aux actes accomplis sur leur territoire.
Le sénateur Furey : Vous venez de décrire l'une des façons d'interpréter la clause, et je suis d'accord qu'on peut la comprendre ainsi. L'interprétation que j'en fais est peut-être plus compliquée. À mon sens, les États pourraient se servir de la disposition comme d'une pierre d'achoppement, d'une tactique dilatoire et d'une façon additionnelle de ne pas traiter les dossiers présentés par les plaignants. Or, le débat sur la clause pourrait sûrement se poursuivre indéfiniment.
Au sujet de la liste, je ne comprends tout simplement pas comment on peut exclure le gouvernement, le MAECI ou le gouverneur en conseil de l'élaboration d'une liste de pays en vertu de la loi. Comme vous le savez, certains opposants à la mesure législative — et sinon précisément à celle-ci, certainement à ses autres versions — ont déclaré qu'une disposition visant l'établissement d'une liste par le gouvernement risque de politiser, voire de politiser à outrance, le processus. Comme vous l'avez souligné, il existe déjà une disposition de ce genre à l'article 83 du Code criminel.
Quel chaos sèmerons-nous si nous n'adoptons pas une disposition visant l'établissement d'une liste, si nous suivons certaines des suggestions présentées par d'autres, par exemple : occupons-nous des pays qui n'ont pas conclu de traités d'extradition avec le Canada? Si vous êtes partie d'un traité d'extradition avec le Canada, vous ne serez pas inscrit sur la liste. Sinon, vous le serez.
Quel chaos cette façon de procéder sèmera-t-elle par rapport à notre politique en matière d'affaires étrangères?
M. Sproule : Je vais aborder d'abord précisément l'idée de fonder l'inscription à la liste sur l'existence de traités d'extradition.
Comme vous le savez probablement, sénateur, nombreux sont les pays avec lesquels nous n'avons pas conclu d'ententes relatives à l'extradition; nous considérons beaucoup d'entre eux comme des pays ayant des valeurs semblables aux nôtres et un système judiciaire solide. Par ailleurs, il y a de multiples raisons qui expliquent pourquoi nous n'avons pas conclu de traités d'extradition avec certains pays, et elles ne se limitent certainement pas au fait que nos systèmes judiciaires diffèrent grandement les uns des autres ou que nous percevons les leurs comme étant dissemblables au nôtre, ou même comme n'ayant pas la même valeur ou n'étant pas au même niveau.
Compte tenu de la multiplicité des raisons pour lesquelles nous n'avons pas conclu de traités d'extradition avec nombre de pays, raisons qui sont distinctes des considérations relatives au sujet à l'étude, à notre avis, ce fait ne constituerait pas la meilleure condition sur laquelle se fonder pour déterminer quels États inscrire sur la liste.
Le sénateur Furey : Le fait de ne pas passer par le gouverneur en conseil pour établir la liste, comme certains commentaires que j'ai lus suggèrent de le faire, voudrait dire que les juges de partout au pays prendraient les décisions sur les demandes qui leur seraient présentées. Autrement dit, ce serait les juges de tous les coins du pays qui décideraient qui inscrire sur la liste de terroristes et qui ne pas inscrire. Quels ravages cette façon de procéder ferait-elle dans notre politique en matière d'affaires étrangères?
M. Sproule : Je suis avocat et je fais confiance au système judiciaire. Toutefois, je suis aussi fonctionnaire, ce qui signifie, bien sûr, que je suis également à l'aise à l'idée que ce soit le gouverneur en conseil qui prenne les décisions.
Le sénateur Furey : Je ne tentais aucunement de calomnier notre système judiciaire. Or, le résultat serait essentiellement que les juges de différents coins du pays prendraient des décisions fondées sur des facteurs tout à fait distincts, ce qui finirait, à mon avis, par avoir des conséquences considérables sur nos relations extérieures avec les pays concernés. Je ne vois rien dans la loi qui servirait de guide aux juges et qui permettrait une certaine uniformité.
La question n'est pas vraiment de déterminer si les juges ont les compétences nécessaires pour ce faire — ils les ont certainement; or, il n'y aurait aucune uniformité dans la façon d'appliquer la loi. Voilà le point auquel je voulais en venir.
M. Sproule : Je pense que la plupart des commentateurs et des observateurs considéreraient une question d'une telle importance comme relevant de la prérogative de la Couronne.
Le sénateur Furey : Dans votre réponse à la question du sénateur Wallin au sujet de l'objectif, vous avez mentionné que le but réel du projet de loi est de servir de moyen de dissuasion pour les pays. Selon ce que j'ai vu et entendu, je pense que les personnes qui participent à l'initiative préféreraient de beaucoup que la mesure permette en fait d'introduire un recours pour les victimes et que ce soit là le véritable fond du projet de loi. N'êtes-vous pas d'accord?
M. Sproule : Je suis d'accord, mais ma réponse était fondée sur le premier objectif et aspect important que j'y ai vu. Toutefois, vous avez tout à fait raison; c'est aussi l'un des buts du projet de loi.
Le sénateur Tkachuk : J'ai une question complémentaire à celle du sénateur Furey au sujet des traités d'extradition du Canada et des pays avec lesquels nous n'en avons pas conclu. Vous avez mentionné que de nombreux pays ont des valeurs et un système judiciaire semblables aux nôtres. Combien y en a-t-il?
M. Sproule : Combien de pays ont des valeurs et un système judiciaire semblables aux nôtres?
Le sénateur Tkachuk : Oui, et les pays avec lesquels nous n'avons pas de traité d'extradition?
M. Sproule : Je pensais avoir entendu qu'il y en a plus de 100, mais je peux me tromper.
Le sénateur Tkachuk : Quel est le nombre de pays avec lesquels nous n'avons pas de traité d'extradition?
M. Sproule : Des douzaines, je crois. Par exemple, nous n'en avons pas avec l'Irlande.
Le sénateur Tkachuk : Je vois bien, mais avec combien de pays nous n'avons pas de traité d'extradition?
M. Sproule : Nous n'avons pas de traité d'extradition avec 110 pays.
Le sénateur Tkachuk : De ce nombre de pays, combien ont des valeurs et un système juridique comparables à ceux du Canada?
M. Sproule : Je ne sais pas, monsieur le sénateur.
Le sénateur Tkachuk : Mis à part peut-être l'Irlande, quel autre pays?
M. Sproule : L'Australie; il y en a d'autres, mais j'ignore lesquels.
Le sénateur Tkachuk : Je vous pose la question parce que c'est important. Le sénateur Furey vous a posé la même question et vous ne pouvez pas éviter d'y répondre. S'il y en a beaucoup d'autres, alors combien y en a-t-il?
M. Sproule : Monsieur le sénateur, tout ce que je peux dire, c'est que la réponse à cette question est complexe.
Le sénateur Tkachuk : Ils n'y en a probablement pas autant; c'est ce que j'essaie de vous faire dire. J'aimerais voir cette liste de 110 pays.
M. Sproule : Nous serons ravis de vous fournir la liste des pays avec lesquels nous n'avons pas de traité d'extradition.
Le président : Ce sont ces pays, avec lesquels nous n'avons pas de traité d'extradition qui, selon qu'ils répondent ou non aux critères, pourraient être inscrits dans la liste des pays susceptibles de poursuites au titre des dispositions du projet de loi S-7, n'est-ce pas? S'ils ont déjà un traité d'extradition avec nous, le projet de loi S-7 ne s'appliquerait donc pas. Quelqu'un pourrait engager une procédure pénale pour avoir accès à des particuliers ou à toute autre partie dans ces pays. Est-ce bien cela?
M. Sproule : La proposition n'a pas été incluse dans le projet de loi, mais j'ai cru comprendre que, si nous avions un traité d'extradition avec un pays, ce dernier ne pourrait pas être inscrit dans la liste.
Le président : Ce serait de prime abord, sauf en cas de preuves indiquant le contraire.
M. Sproule : C'est ce que j'avais compris. Peut-être que les auteurs des projets de loi précédents seraient en mesure d'en dire davantage.
Le sénateur Tkachuk : Cela expliquerait pourquoi la proposition n'est pas incluse dans le projet de loi. J'essaie d'approfondir la question du sénateur Furey parce que la réponse ne m'a pas semblé appropriée. J'essaie de comprendre si l'omission de la question de l'extradition est due au fait que des pays pourraient être poursuivis parce que nous n'avons pas de traité avec eux, et vous avez déclaré que beaucoup de pays ont des valeurs et des systèmes juridiques similaires. Je conclus alors que c'est la raison pour laquelle cette question a été mise de côté et que nous utilisons maintenant un système de liste. Voilà pourquoi je vous ai demandé le nombre de pays qui ont des valeurs et un système juridique comparables aux nôtres.
M. Sproule : L'autre explication que j'ai donnée, c'est qu'il peut y avoir d'autres raisons pour lesquelles nous n'avons pas de traité d'extradition avec un pays en particulier.
Le sénateur Tkachuk : C'est possible, mais j'attends de voir la liste des 110 pays; c'est ce que je consulterai en premier.
Le président : Nous prenons note de l'engagement que vous avez pris de nous communiquer cette liste dans les meilleurs délais et nous vous en remercions.
Le sénateur Dallaire : Le sénateur Tkachuk a demandé quels étaient les pays qui ont un système juridique semblable au nôtre, et c'est une bonne question, mais pour ce qui est des valeurs, il serait plus difficile d'y répondre. Vous avez cité l'exemple de l'Irlande. Je suppose que vous ne suivez pas l'Irlande du Nord comme modèle car ce n'est certainement pas l'exemple que nous voudrions utiliser pour régler les problèmes dans notre pays même si là-bas la situation s'améliore progressivement.
Vous êtes conseiller juridique adjoint, n'est-ce pas?
M. Sproule : Oui.
Le sénateur Dallaire : À ce titre, vous êtes qualifié pour répondre à une question sur l'efficacité du projet de loi au niveau de son application dans le cadre de nos activités diplomatiques, n'est-ce pas? Comme vous l'avez dit, en tant que fonctionnaire à ce poste, vous pouvez répondre à une question directe sur ce point particulier.
M. Sproule : Monsieur le sénateur, il a été décidé que le projet de loi aille de l'avant. Je ne suis pas sûr que mon avis sur son efficacité ou inefficacité soit encore important. Je ferai de mon mieux pour veiller à ce qu'il soit mis en œuvre comme prévu est aussi efficacement que possible.
Le sénateur Dallaire : Dès qu'il a quitté le ministère qui a recommandé l'inclusion de propositions dans le projet de loi, votre participation est arrivée à terme et le gouvernement a décidé de faire avancer le projet de loi. Vous êtes ici pour nous donner des éclaircissements. Cependant, est-ce que cela clarifie votre participation au projet de loi à cette époque?
M. Sproule : Je vous donne des éclaircissements au sujet des effets et des considérations éventuelles suite à la promulgation du projet de loi.
Le sénateur Dallaire : Entendu, et c'est ce que vous faisiez quand il a atterri sur votre bureau, n'est-ce pas?
Le président : Permettez-moi d'intervenir, monsieur le sénateur. Il me semble tout à fait légitime de demander à un ou une fonctionnaire son avis concernant les instruments que nous examinons et la façon dont ils pourraient fonctionner. Cependant, il n'est pas juste de lui demander de nous faire part des conseils qu'il ou elle a pu donner à titre confidentiel au sein du ministère parce que cela le ou la placerait dans une situation délicate.
Le sénateur Dallaire : Merci de le mentionner; je m'en tiendrai là.
J'aimerais utiliser un exemple. Nous étions tous les deux au Cambodge en 1992. Si le projet de loi entre en vigueur, que deviendra-t-il des personnes, qui vivent actuellement au Canada, mais qui ont été torturées et qui ont perdu leurs biens quand les Khmers rouges étaient au pouvoir? Sera-t-il possible de recourir au projet de loi pour intenter une action contre le gouvernement cambodgien ou pour tenter d'attaquer en justice ce qui reste de l'appareil des Khmers rouges? Des questions sur les Khmers rouges, le Cambodge, la levée de fonds, et cetera, demeurent sans réponse. Que peuvent réclamer ces personnes?
M. Sproule : Le projet de loi ne mentionne pas spécifiquement la torture — il y est question de terrorisme ou du soutien au terrorisme. Nombreux sont ceux qui diraient que la décision d'un État de pratiquer la torture pourrait faire partie d'un acte terroriste plus général ou que peut-être le recours au terrorisme incluait de la torture exercée par l'une des entités énumérées dans le projet de loi.
Sur la question plus générale, sans viser de pays en particulier, dès qu'un État est inscrit dans la liste, il est possible d'intenter une action dans un tribunal canadien. Il sera également possible, si un soutien au terrorisme a été constaté par un autre tribunal, de demander l'exécution du jugement par un tribunal canadien.
Le sénateur Dallaire : Si une entité lève des fonds pour financer des activités terroristes qui auront lieu dans le pays de cette entité, nous ne serions pas impliqués puisque ce terrorisme ne cible pas particulièrement le Canada, n'est-ce pas?
M. Sproule : Il faut que l'affaire ait un lien réel et substantiel avec le demandeur, c'est-à-dire le Canada, et dans ce cas, la partie qui demande réparation pourrait intenter une action au Canada.
Le président : Est-ce que, d'après votre connaissance de la loi, le fait que cette personne vive au Canada en tant que résident permanent constitue un lien réel et substantiel suffisant?
M. Sproule : À lui seul, ce lien ne suffit pas, mais il sera pris en considération.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais revenir au processus de la liste car il sera approuvé au moment de l'application du projet de loi par le gouvernement.
Existe-t-il une méthode selon laquelle les critères et, finalement, la liste seront examinés par un comité parlementaire ou un organisme parlementaire mis sur pied afin de suivre la demande faite par une entité qui a une influence importante sur ces autres pays en ce qui concerne notre position sur la scène internationale?
M. Sproule : Dans son libellé actuel, le projet de loi prévoit un examen qui doit être fait au moins une fois tous les deux ans par le ministre des Affaires étrangères.
Le sénateur Dallaire : Seulement par le ministre, donc le Parlement ne serait aucunement impliqué dans l'établissement des critères ou l'examen de la liste; est-ce exact?
M. Sproule : À ce que je sache, il n'y a pas de disposition prévoyant un examen du projet de loi par le Parlement.
Le sénateur Dallaire : Je tenais à souligner ce point particulier.
Le projet de loi parle beaucoup de dédommagements versés aux personnes qui ont été blessées ou considérées comme ayant été potentiellement blessées lors d'attaques terroristes.
Voulons-nous faire de l'idée de dédommagements aux victimes une politique au MAECI? Est-ce quelque chose que nous étudions?
M. Sproule : À cet égard, je ne peux m'exprimer que sur les tendances internationales. Le fait que l'on accorde de plus en plus d'attention aux victimes qui ont souffert aux mains d'individus ou de gouvernements. Par exemple, la Cour pénale internationale dispose maintenant d'un système très sophistiqué pour régler les problèmes des victimes qui peuvent plaider devant la cour même.
De manière générale, les tribunaux et les forums internationaux s'intéressent de plus en plus aux victimes.
Le sénateur Dallaire : Le projet de loi ne suit-il pas cette tendance, dans une certaine mesure?
M. Sproule : La tendance générale qui se renforce est que les actions que le projet de loi cherche à dissuader ne devraient pas rester impunies, et cela est possible en partie en donnant aux victimes l'occasion de présenter des cas légitimes de maltraitance exercée à leur égard.
Le sénateur Dallaire : Si nous avions ajouté au projet de loi — le projet de loi C-35 en contenait une partie — la torture, le génocide et les crimes contre l'humanité, est-ce qu'il aurait été plus complexe ou tout simplement plus complet au plan de son application dans le cadre de la perspective internationale du Canada?
M. Sproule : Il me faudrait examiner plus attentivement les divers aspects du terrorisme énoncés dans le Code criminel. Toutefois, ces considérations serviront à déterminer s'il y a eu ou non un soutien au terrorisme.
Le sénateur Dallaire : Cela entrerait dans la définition de la torture.
M. Sproule : Pour répondre à cette question , je ferais mieux de m'en remettre à mes collègues du ministère de la Justice qui peuvent parler en toute connaissance de cause de l'article 83 du Code criminel.
Le sénateur Dallaire : Il manque terriblement de financement; vous pouvez rapporter à vos collègues que c'est ce que je pense
Le sénateur Furey : Monsieur Sproule, je veux revenir à la disposition relative à l'arbitrage, au paragraphe 4(4) du projet de loi qui dit :
Le tribunal peut refuser d'entendre une demande déposée à l'encontre d'un État étranger en application du paragraphe (1) si le demandeur a subi les pertes ou les dommages dans l'État étranger et qu'il n'a pas accordé à cet État la possibilité raisonnable de soumettre le différend à l'arbitrage conformément aux règles d'arbitrage internationales reconnues.
Je comprends maintenant votre point de vue voulant que la meilleure explication possible de ce paragraphe est qu'il est inclus pour donner aux pays étrangers l'occasion de régler tout différend avec des demandeurs prétendant être victimes d'actes terroristes.
Cependant, j'ai étudié un peu plus en profondeur ce paragraphe et je n'étais pas entièrement satisfait de la réponse de la semaine dernière. Je pense que ce paragraphe est plus susceptible d'être l'objet d'une utilisation abusive de la part d'États étrangers afin d'entraver, de retarder et de décourager les plaintes, et s'il peut être utilisé ainsi, pourquoi alors est-il inclus dans le projet de loi? Est-il vraiment nécessaire qu'il y soit?
M. Sproule : La question, comme vous l'avez suggéré, est de savoir si le paragraphe offre un délai raisonnable ou s'il empêche le litige. Nous pensons qu'il offrira un délai raisonnable.
Le sénateur Furey : Il offre un délai déraisonnable — pour un demandeur, le délai est probablement déraisonnable.
Je répète que je suis en faveur de l'intention du projet de loi, soit d'essayer de simplifier le plus possible la vie des demandeurs. À mon avis, il ne fait que compliquer un processus qui sera de toute façon assez compliqué. En fin de compte, il y a des problèmes de dédommagement que nous n'avons même pas abordés et auxquels se heurteront les demandeurs dans le cadre d'une réclamation complètement différente et dont nous n'avons même pas discuté.
Je me demande pourquoi il s'y trouve. Si un pays souhaite régler un différend au moyen de l'arbitrage, ne serait-il pas enclin à régler le problème dès le départ, dès que l'affaire lui est présentée? On n'accepte l'arbitrage que si l'on estime avoir quelque chose qui doit être arbitrée.
M. Sproule : C'est limité aussi aux actions intentées dans ce pays, et je pense qu'une action officiellement intentée dans un tribunal canadien dans le but d'attirer l'attention de l'État concerné est à l'origine de ce paragraphe.
Cet État pèsera supposément très attentivement les avantages et les inconvénients liés à un règlement du différend avec la victime présumée avant de s'engager dans le processus judiciaire canadien, une situation qui pourrait s'avérer également difficile pour cet État.
Le sénateur Furey : Puisqu'aucune obligation internationale n'exige du Canada qu'il ajoute un tel paragraphe dans un projet de loi, pensez-vous que le projet de loi serait affaibli par le retrait de ce paragraphe?
M. Sproule : Je laisse à nos ministres le soin de répondre à cette question. Il s'agit là d'une considération d'ordre politique très importante.
[Français]
Le sénateur Nolin : J'aimerais revenir sur une de vos réponses au sénateur Tkachuk.
Je veux que ce soit clair. Vous dites qu'il n'y a aucun critère quant à la constitution de la liste prévue dans le projet de loi S-7. Alors, toute cette question qui tourne autour de l'inscription d'un État avec lequel on aurait conclu un traité d'extradition n'a rien à voir avec le projet de loi S-7. Est-ce bien votre réponse?
[Traduction]
M. Sproule : La décision visant à savoir si un pays doit être inscrit ou non se fondera sur la recommandation prise par le ministre en consultation avec son collègue et sur une étude attentive des dispositions du Code criminel applicables, particulièrement dans l'article 83. La décision dépendra aussi largement des renseignements fournis au ministre par d'autres secteurs du gouvernement sur les activités de l'État concerné. Avant d'arriver à une conclusion, beaucoup de facteurs et de renseignements seront examinés.
[Français]
Le sénateur Nolin : Le fait que nous ayons conclu un traité d'extradition avec un État étranger pourrait être pris en considération, mais n'est pas prévu dans le projet de loi S-7 comme étant une considération sur laquelle le ministre doit se pencher pour se convaincre et convaincre ses collègues du Cabinet que la liste devrait contenir le nom de cet État.
[Traduction]
M. Sproule : L'existence ou l'absence d'un traité d'extradition n'est pas une considération énoncée dans le projet de loi.
[Français]
Le sénateur Nolin : J'aimerais avoir la liste des États avec lesquels nous avons conclu un traité d'extradition. Je devrais la connaître par cœur, mais ce n'est pas le cas.
[Traduction]
M. Sproule : Encore une fois, sénateur, je dois souligner que le critère énoncé par le ministre dans sa recommandation au gouverneur en conseil est de savoir s'il y a ou non des motifs de croire qu'un État soutient ou a soutenu le terrorisme.
[Français]
Le sénateur Nolin : Vous comprenez l'intérêt que nous portons à cette question puisque les juges auront aussi une assez grande marge de manœuvre pour faire qu'un État soit ou non dans la liste en vertu de l'alinéa 4(1)b). Une certaine confusion peut régner après certaines années de jurisprudence en application du projet de loi S-7. C'est la raison pour laquelle les critères d'évaluation qui seront utilisés par le gouverneur en conseil revêtent toute leur importance.
À la fois s'applique une prérogative et à la fois une demande d'un juge d'appliquer la loi. Notre préoccupation vient du fait de la coexistence de ces deux phénomènes, du moins en ce qui me concerne.
Le président : Une fois le projet de loi adopté, de quelles politiques administratives le ministre des Affaires étrangères pourra-t-il se servir pour faire des recommandations sur la liste elle-même et son contenu? Cette question clé, quand viendra le moment de signer des accords avec un pays ou un autre, devra être posée.
Le témoin nous indique que cela n'a à rien à voir officiellement avec le contenu de la loi comme tel en ce moment, mais en tant que comité, il est très important que nous soyons au courant des procédures administratives ou politiques que le ministère entend émettre, car ces procédures seront très importantes dans l'application du projet de loi dont nous sommes saisis. Nous sommes portés à étudier le contenu d'un projet de loi en termes parlementaires mais, dans la réalité, les événements qui surviennent, suite à l'adoption d'un projet de loi, comportent beaucoup d'imprévus.
Le sénateur Nolin : Ma préoccupation vient du fait que s'il n'y avait que l'alinéa 4(1)a), c'est-à-dire une liste établie en vertu de la prérogative royale par le gouverneur en conseil, je vivrais avec cela, surtout s'il y a une révision tous les deux ans et qu'elle est publiée.
J'ai un problème quant à la coexistence de deux types de listes, soit l'alinéa 4(1)a), celle dont on vient de parler, et l'alinéa 4(1)b), car les juges voudront du solide afin de pouvoir fonder leur décision sur des critères précis.
Le président : Je vais laisser aux témoins la chance de nous répondre.
[Traduction]
M. Adsett : En parcourant le projet de loi et les critères qui y sont énoncés, on entrevoit la possibilité de créer une liste d'États. Dans l'alinéa 4(1)b), la référence à l'État étranger doit être lue en consultant la liste d'États établie par le gouverneur en conseil. La liste d'États n'est pas créée par le système judiciaire; elle n'est établie que par le gouverneur en conseil.
Les entités inscrites qui apparaissent dans le Code criminel constituent la seule autre référence à une liste dans le projet de loi, mais ces entités inscrites sont établies par le processus visant à créer des entités inscrites aux termes du Code criminel, si cela aide à mieux comprendre la réponse. La liste d'États qui doit être créée aux termes du projet de loi S-7 n'est pas créée par le système judiciaire, mais par le gouverneur en conseil.
[Français]
Le sénateur Nolin : Pourquoi y a-t-il un paragraphe b) à l'alinéa 4(1)?
M. Adsett : Votre question est de savoir pourquoi il y a deux listes?
Le sénateur Nolin : À l'alinéa 4(1)b), on dit : l'« État étranger » ou « toute entité inscrite ». Pourquoi le mot « inscrit » n'apparaît-il pas après le mot « étranger »?
[Traduction]
M. Adsett : La meilleure façon d'expliquer cela serait peut-être de rappeler que ce paragraphe établit la cause d'action et son étendue à l'alinéa 4(1)b). Cette loi lève l'immunité des États dans certaines circonstances qui sont décrites dans le projet de loi. Une description de la cause d'action contre un État étranger se trouve à l'article 4. L'alinéa 4(1)b) décrit l'étendue de la cause d'action. À la prochaine partie — la question de savoir si une action peut être intentée ou non contre un État — il faut consulter la liste pour voir si l'État y est inscrit. Les deux questions sont séparées du point de vue conceptuel dans le projet de loi. Qu'est-ce que la cause d'action? C'est la première question que l'on trouve dans les alinéas 4(1)a) et b) décrivant le fondement juridique nécessaire pour intenter une action. Toute personne qui a subi au Canada ou à l'étranger des pertes ou des dommages par suite de tout acte ou omission qui est sanctionné par la partie II.1 du Code criminel, les dispositions antiterroristes du Code criminel, et y est écrit contre qui cette action peut être intentée. À l'alinéa 4(1)a), c'est une entité inscrite ou une personne et à l'alinéa 4(1)b), c'est un État étranger ou toute entité inscrite ou autre personne. Tout comme il est possible d'intenter une action contre une entité inscrite ou une personne, il est déjà pratiquement possible au Canada d'intenter des actions contre des États étrangers, quoique dans ce cas il faille passer par une étape de plus et lever leur immunité. Cette disposition apparaît ailleurs dans le projet de loi et permet de lever l'immunité des États inscrits dans la liste. C'est tout simplement un moyen de faire la distinction entre les éléments. L'élément au paragraphe 4(1) traite de la cause d'action — comment la décrire — et le deuxième élément est traité ailleurs, il concerne les États contre lesquels une action peut être intentée et ceux qui peuvent être poursuivis ou, plus précisément, ceux dont l'immunité est levée et ceux qui sont inscrits dans la liste.
[Français]
Le sénateur Nolin : Alors nous aurons la liste des États avec lesquels on peut conclure des traités?
[Traduction]
M. Adsett : Oui.
Le sénateur Furey : Vous avez parlé de lever l'immunité des pays étrangers. Je trouve que cela porte à confusion. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là dans ce contexte?
M. Adsett : La Loi sur l'immunité des États accorde l'immunité aux pays étrangers en vertu du droit canadien et elle prévoit également certains cas d'exceptions. Par exemple, il existe une exception concernant les activités commerciales, une exception quant au principe général de l'immunité des États.
Le sénateur Furey : Il se peut que des États figurant sur la liste n'aient pas d'immunité ou qu'ils ne soient pas régis par la Loi sur l'immunité des États; c'est exact?
M. Adsett : Le projet de loi S-7 prévoit que l'on peut inscrire des États étrangers sur une liste et que l'on peut lever leur immunité aux fins d'une poursuite intentée en vertu de ce même projet de loi. Le projet de loi décrit le motif d'action de la poursuite en justice. Enfin, l'immunité normalement accordée aux États inscrits sur la liste en vertu de la Loi sur l'immunité des États serait levée aux fins de ce motif d'action.
Le sénateur Furey : Je ne vous comprends peut-être pas bien. Afin de clarifier les choses, je crois que vous dites que l'immunité qu'ont ces États étrangers serait révoquée.
M. Adsett : C'est exact.
Le sénateur Furey : Il y a des États étrangers qui peuvent figurer sur la liste et pour lesquels cela ne s'applique pas.
Le président : Sénateur Furey, quelles sont les nations avec lesquelles nous avons des relations diplomatiques qui ne seraient pas régies par le règlement de la Loi sur l'immunité des États?
Le sénateur Furey : Je demande seulement au témoin de clarifier son observation pour savoir s'il faudrait que tous les États étrangers figurant sur cette liste se fassent d'abord révoquer leur immunité. Je présume qu'il dit qu'il y a des États étrangers qui ont une immunité en vertu de la Loi sur l'immunité des États.
Est-ce exact?
M. Adsett : Sénateur, dans l'état actuel de la Loi sur l'immunité des États, tous les États étrangers qui y sont assujettis ont une immunité.
Le projet de loi S-7 permettrait de créer cette liste d'États dont on pourrait lever l'immunité, dans le cadre du motif d'action défini dans la Loi sur l'immunité des États. Ce sont les pays se trouvant sur la liste qui se feraient révoquer leur immunité. Est-ce que c'est plus clair?
Le sénateur Furey : Oui. Merci.
Le président : Monsieur Sproule, monsieur Adsett, je vous remercie de nous avoir accordé votre temps aujourd'hui.
Chers collègues, nos prochains témoins sont M. Aaron Blumenfeld et Mme Saperia, de la Canadian Coalition Against Terror, la C-CAT. Je crois que M. Blumenfeld fera une déclaration préliminaire.
Nous entendrons également par téléconférence, depuis les États-Unis, M. Victor Comras, ancien contrôleur international onusien qui était chargé de surveiller la mise en œuvre des mesures contre le terrorisme et le financement des activités terroristes du Conseil de sécurité des Nations Unies. Avant de travailler à l'ONU, M. Comras a occupé diverses fonctions au département d'État américain pendant 35 ans. Il semble avoir survécu à cette expérience, ce qui constitue une réussite en soi.
Nous sommes ravis d'accueillir des témoins de la Canadian Coalition Against Terror. C-CAT est une importante organisation de parrainage civique à but non lucratif qui travaille sur cet enjeu. Nous avons soutenu activement une version antérieure de ce projet de loi, qui a fait l'objet d'un examen lors d'une précédente législature.
Veuillez faire votre déclaration préliminaire, monsieur Blumenfeld.
Aaron Blumenfeld, avocat, Canadian Coalition Against Terror : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous les sénateurs. Je vous remercie de nous avoir donné l'occasion d'être des vôtres.
La Canadian Coalition Against Terror, ou C-CAT est constituée de victimes du terrorisme et de professionnels engagés dans la lutte contre le terrorisme. Nous comptons parmi nos membres des victimes canadiennes de l'attentat à la bombe contre Air India, des attentats du 11 septembre, des attentats à la bombe de Bali ainsi que d'attentats perpétrés à Los Angeles, en Israël et ailleurs dans le monde.
Je pratique le droit commercial depuis 1993 au cabinet Borden Ladner Gervais s.r.l. de Toronto, et je vais mettre à contribution une partie de cette expérience pour faire mes observations.
Je vais aborder trois questions. Je parlerai d'abord de la nature du terrorisme, puis j'aborderai les fondements juridiques du projet de loi avant d'exposer les raisons qui nous font croire que le projet de loi S-7 constitue, en principe, une politique publique satisfaisante.
Le cadre conceptuel de ce projet de loi part du principe sous-jacent selon lequel l'argent est le moteur du terrorisme et que, par conséquent, les États qui soutiennent ce dernier font partie intégrante de l'économie terroriste, laquelle rapporte chaque année des milliards de dollars.
Les fonds investis dans une attaque terroriste ne sont toutefois que la pointe de l'iceberg de l'économie des terroristes. De nombreux groupes terroristes consacrent la grande majorité de leur argent et de leurs ressources à gagner la faveur du public en finançant des hôpitaux, des programmes d'emploi et, bien sûr, des écoles où ils enseignent leurs idéologies politiques et religieuses.
Par exemple, Oussama ben Laden a dépensé des centaines de millions de dollars pour soutenir les infrastructures et le régime en Afghanistan et au Soudan, y compris la construction d'une route reliant Khartoum à la mer Rouge. Il l'a fait pour s'attirer les bonnes grâces de la population locale et des dirigeants, ce qui lui a donné refuge pendant qu'il préparait des attaques ailleurs. Pour payer ces dépenses, il avait un réseau de financiers qui transféraient des fonds à son organisation par l'intermédiaire d'organisations caritatives et non gouvernementales. Al-Qaïda n'aurait pas pu lancer ses attaques si ce groupe terroriste n'avait pas eu de sanctuaire à partir duquel il pouvait organiser ses activités et faire du recrutement.
Le projet de loi S-7 utilise la définition des entités terroristes inscrites, qui se trouve aux articles 83.01 et 83.05 du Code criminel. Il y a actuellement 43 entités inscrites, dont beaucoup fonctionnent de manière semblable à Al-Qaïda.
Dans certains cas, des groupes terroristes financés par certains États prennent progressivement le pouvoir de certaines régions d'autres États. Fondamentalement, un tel État qui soutient le terrorisme porte atteinte à la souveraineté d'un autre pays, ce qui entraîne des conséquences juridiques, comme nous allons l'expliquer plus tard.
Ainsi, le financement du terrorisme est indissociable du terrorisme comme tel et il lui est indispensable. Par conséquent, si l'on réussissait à couper les vivres aux groupes terroristes, ils finiraient par disparaître, et c'est ce que vise le projet de loi S-7 au Canada.
En ce qui concerne le cadre juridique du projet de loi, il n'existe actuellement aucun recours judiciaire au Canada pour que les États qui soutiennent le terrorisme soient tenus responsables de leurs actes à l'étranger. Notre loi régissant la responsabilité des États étrangers tient pour acquis que les États doivent mutuellement respecter leur souveraineté — et ils le font, en général. Par conséquent, il est prévu qu'ils devraient jouir de certaines protections, y compris l'immunité contre les poursuites judiciaires conformément à la Loi sur l'immunité des États.
Cependant, les hypothèses du passé sur la souveraineté et le droit sont désormais confrontées à de nouveaux défis. En fin de compte, quand un État soutient des entités terroristes pour attaquer les citoyens, les actifs et les fronts intérieurs d'autres pays, il s'agit fondamentalement d'une attaque contre la souveraineté de ces pays. Toutefois, comme cela a été mentionné, en vertu de la loi actuelle, ces États qui soutiennent le terrorisme bénéficient d'une immunité et évitent ainsi toute responsabilité juridique au Canada. La loi empêche les victimes de fournir une réponse par l'intermédiaire de nos tribunaux. Les règles du jeu sont vraiment inégales.
La prémisse de ce projet de loi, c'est que l'immunité des États est fondée sur le respect universel de la communauté internationale et de la primauté du droit, mais que les attentats terroristes sont des actes allant à l'encontre de l'intégrité de l'ordre public international, et constituent une attaque contre tous les États, puisqu'ils minent cet ordre. Ainsi, le soutien du terrorisme constitue une attaque contre la société dans son ensemble qui transcende les répercussions sur les victimes immédiates. Par conséquent, un État étranger qui soutient le terrorisme ne mérite pas l'immunité.
Comme vous le savez et comme le précédent témoin l'a mentionné, la loi reconnaît que l'immunité des États n'est pas absolue. Les articles 4 à 8 du projet de loi comptent plusieurs exceptions, dont le droit de poursuivre des États étrangers devant les tribunaux canadiens pour violation de contrat et dommages à la personne au Canada. On présente régulièrement de telles revendications contre des États étrangers devant nos tribunaux. Elles ne font habituellement même pas les manchettes. Tout État peut être poursuivi.
Si les États ne sont pas immunisés contre les poursuites dans leurs entreprises commerciales, il n'est pas sensé de maintenir leur immunité en ce qui concerne le soutien du terrorisme. En résumé, le projet de loi S-7 représente une exception nécessaire et modeste à l'immunité des États pour répondre aux nouvelles réalités du XXIe siècle.
J'aimerais maintenant résumer les trois raisons qui nous font croire que le projet de loi constitue, à notre humble avis, une politique publique satisfaisante qui aura des effets positifs. Tout d'abord, une telle loi fonctionne. Elle permet de prévenir d'éventuels actes terroristes en comblant les lacunes du droit actuel. Ensuite, elle facilite la réorientation du débat public sur le terrorisme en permettant de reconnaître les vraies victimes. Cela pourrait également entraîner d'autres mesures de la part du gouvernement. Enfin, elle peut aider à donner aux victimes innocentes un certain sentiment de responsabilité et de finalité. C'est la bonne solution.
En ce qui concerne le premier point, ce type de projet de loi n'est pas une solution miracle qui, à lui seul, mettra fin au terrorisme. Cependant, avec des poursuites pénales et un règlement visant à geler le flux monétaire lié aux groupes terroristes, il pourrait s'agir d'un élément essentiel d'un cadre en vue de décourager le terrorisme.
Le projet de loi s'inspire d'une loi américaine en matière de droits civils qu'ont invoquée des groupes comme le Southern Poverty Law Center pour obtenir des jugements contre le Ku Klux Klan, ou le KKK, et ses leaders. Ce ne sont pas uniquement des procédures au criminel qui ont mis fin aux activités du KKK, mais plutôt les victimes qui ont intenté des poursuites civiles leur ayant permis de saisir les quartiers généraux du KKK et des groupes connexes et de mettre leurs leaders en faillite. Sans ressources, leurs activités étaient paralysées.
Nous sommes particulièrement préoccupés par le soutien du terrorisme. Il est difficile d'obtenir une condamnation en raison de l'exigence quant à l'intention criminelle et du fait que les États étrangers qui soutiennent le terrorisme ne sont généralement pas poursuivis en matière pénale. Bien que des rapports publiés par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, laissent entendre que, chaque année, des centaines de millions de dollars sont versés au Canada à des activités qui pourraient servir à financer des terroristes, il n'y a eu que deux poursuites pour financement du terrorisme au pays.
Les actions au civil comportent des avantages par rapport aux accusations criminelles dans ces cas-là. Outre le faible fardeau de la preuve, dans les affaires pénales, on ne peut pas obliger l'accusé à témoigner ou à révéler des renseignements en raison du droit contre l'auto-incrimination. Il est toutefois possible de le faire dans les poursuites civiles. Contrairement au manque de condamnations contre les financiers liés au terrorisme, des témoins experts dans de nombreuses affaires civiles américaines ont réussi à démontrer l'apport de fonds des États aux groupes terroristes, et les États qui soutiennent le terrorisme ont été tenus responsables de leurs actes. En outre, dans les actions civiles, la victime et son récit constituent une partie essentielle du processus auquel la victime prend part.
Les coûts immenses et les enjeux élevés découlant de procès criminels peuvent discréditer le gouvernement et les efforts de lutte contre le terrorisme s'ils échouent, comme c'était le cas pour le procès d'Air India. Les affaires au civil sont à tout le moins un complément efficace à cet égard.
Nous vous avons remis des documents. Tout d'abord, je dois présenter des excuses, car ils ne sont pas traduits en français. Nous les avons préparés à la dernière minute. Je vais parler de certains d'entre eux.
Vous y trouverez notamment un article du New York Times à propos de Ron Motley, l'avocat principal des demandeurs dans le litige sur les attentats du 11 septembre aux États-Unis. Il décrit certaines méthodes créatives auxquelles il a eu recours pour recueillir des preuves dans le monde entier à propos du soutien à Al-Qaïda — des preuves que le FBI n'a pas réussi à obtenir.
Si vous vous demandez si les poursuites civiles contre le terrorisme sont efficaces, M. Motley avait ce dossier tellement à cœur qu'il a dépensé 12 millions de dollars au cours des deux premières années dans le cadre de ses enquêtes sur l'affaire. Avant cela, il était l'avocat principal, représentant 25 États, qui ont obtenu un règlement de 246 milliards de dollars avec Big Tobacco. Il est un éminent avocat américain.
Il y a de bonnes raisons pour lesquelles les principaux avocats américains poursuivent et exposent les États qui soutiennent le terrorisme : le litige est considérable, et ils ont réussi.
Les États-Unis ont adopté une loi semblable au projet de loi S-7 dans les années 1990 à la suite des demandes des groupes de victimes. Grâce à cette loi, les membres de la famille des victimes de l'explosion au-dessus de Lockerbie du vol 103 de Pan American World Airways, connu sous le nom de vol 103 de Pan Am, ont pu intenter une action contre la Libye. Après toute la publicité négative dont la Libye a fait l'objet quant à son rôle dans cette affaire, elle a en fin de compte accepté de verser 10 millions de dollars à chacune des familles. La Libye a d'abord versé à ces victimes un montant qui, au fil du temps, a totalisé 2,3 milliards de dollars. En 2008, elle a effectué un paiement supplémentaire de 1,5 milliard de dollars pour indemniser ces victimes et d'autres victimes du terrorisme. Bien sûr, il n'y a eu aucune reconnaissance de responsabilité dans le cadre de cette compensation.
On peut soutenir qu'ensemble, les poursuites, la publicité et les sanctions ont amené la Libye à modifier sa politique, à mettre fin à son programme nucléaire et à abandonner ses activités terroristes. C'était une victoire colossale contre le terrorisme, et les victimes en ont été le moteur principal. Cela prouve qu'à la longue, les États qui appuient le terrorisme peuvent être raisonnables et qu'on peut les dissuader, ce qui est un objectif clé.
Pour vous donner d'autres exemples, d'après le Congressional Research Service, aux États-Unis, les victimes du terrorisme ont reçu 97 millions de dollars de fonds cubains bloqués, 377 millions d'un compte de ventes militaire étranger iranien et plus de 90 millions de dollars de biens du gouvernement irakien. Tous ces fonds sont détenus par le gouvernement américain.
En dehors des actifs étrangers détenus par le gouvernement, le montant total perçu par les avocats des demandeurs est inconnu. Nous en avons quelques exemples, mais les avocats des demandeurs gardent généralement cette information parce que, par exemple, si l'on découvrait dans un tribunal de district qu'un avoir iranien est peut-être sous un autre nom, toute publicité entraînerait le partage de cet avoir avec les autres personnes pour lesquelles un jugement a été rendu.
En 2008, le Congrès américain a adopté des modifications rendant le recouvrement plus facile. Entre autres choses, la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme facilite les poursuites contre les banques associées aux États qui appuient le terrorisme. Elle permet également aux victimes de percevoir des éléments d'actif commercial cachés de ces États si un lien satisfaisant est établi avec le pays. Enfin, elle crée en outre un privilège automatique lorsque la revendication porte d'abord sur des biens réels ou matériels dans le contrôle de l'État défendeur dans le district judiciaire. Il s'agit d'une loi très forte.
Quelques mois après l'adoption de cette loi, les familles des victimes du bombardement de casernes des Marines au Liban, qui a tué 241 militaires en 1983, ont immobilisé 2 milliards de dollars dans un compte d'une chambre de compensation appelée Clearstream. Ces fonds étaient détenus par la Citibank à New York. Le département du Trésor américain, avec la permission du tribunal, a fourni des renseignements aux demandeurs qui ont permis d'établir un lien avec l'Iran, le pays qui avait soutenu l'attentat, d'après le jugement qu'avait rendu plus tôt le tribunal. Ce dossier du tribunal est revêtu d'un sceau et presque aucune information n'est accessible au public, mais dans la documentation fournie, vous trouverez un article du Wall Street Journal, datant de la fin 2009 et intitulé « U.S. Freezes $2 Billion in Iran Case », qui décrit la situation.
Vous vous demandez peut-être pourquoi l'Iran aurait transféré 2 milliards de dollars aux États-Unis, et c'est en supposant qu'il s'agit d'argent iranien, ce qui, à ma connaissance, n'a pas fait l'objet d'un jugement rendu par un tribunal à ce stade. Pour convertir des dollars américains en une autre devise, il faut généralement passer par les grandes chambres de compensation américaines. Il est difficile de faire du commerce sur les marchés mondiaux sans la capacité de le faire en dollars américains.
Imaginez les répercussions que pourrait avoir cette démarche si on l'appliquait à d'autres grands régimes monétaires, dont le dollar canadien, l'euro, la livre sterling et ainsi de suite.
Enfin, nous vous avons remis une autre lettre provenant du chef du Israel Law Center, qui se spécialise dans ce genre de causes. Cette société a établi des privilèges de 600 millions de dollars sur les avoirs des terroristes ou sur des biens d'État et perçu 72 millions de dollars pour les victimes du terrorisme. La semaine dernière, le centre a fait allusion à une affaire dans laquelle la New York State Court of Appeals a confirmé l'octroi aux victimes du terrorisme d'une propriété à New York appartenant à une banque iranienne.
De plus, les poursuites sont efficaces en raison de la publicité qui en découle. Elles permettent de redéfinir le débat public. Elles peuvent même galvaniser l'opinion publique contre les terroristes et les groupes qui les appuient.
En Angleterre, l'an dernier, un avocat du nom de Jason McCue a réussi à obtenir un jugement contre l'Armée républicaine irlandaise concernant l'attentat à la bombe perpétré à Omagh. Il a écrit que les terroristes utilisent les médias pour justifier leurs activités auprès du public. D'après lui, ils s'en servent également pour se présenter comme des opprimés ou des victimes et leurs ennemis, comme des oppresseurs de taille. Une action au civil peut donner aux victimes l'occasion d'humaniser leur souffrance, tout en montrant les terroristes sous leur vrai jour. Une poursuite civile juxtapose le meurtrier sans pitié à la mère qui a perdu son fils.
Souvent, ceux qui appuient le terrorisme pensent différemment des groupes terroristes. Ils craignent la publicité négative qu'ils attireraient s'ils étaient nommés dans des poursuites. Comme l'a fait observer David Aufhauser, ancien avocat général du Trésor américain :
[...] les banquiers qui financent des activités terroristes sont des lâches. Ils ont trop à perdre s'ils sont transparents : leur réputation, leur fortune, leur liberté et leur statut. Ils sont le talon d'Achille de la chaîne de violence. Ils ne sont pas à l'abri de la dissuasion.
À mon avis, cela ne s'applique pas seulement aux banquiers, mais aussi aux États qui appuient le terrorisme.
Voici un dernier exemple : la publicité découlant des actions civiles pousse parfois les gouvernements à mener des enquêtes et à intenter des poursuites au criminel. Par exemple, les poursuites intentées aux États-Unis par des victimes de terrorisme contre une banque étrangère soupçonnée d'avoir aidé sciemment un groupe terroriste en dédommageant les familles des kamikazes ont incité la Jordanie, où la banque était basée, à adopter de nouvelles lois ou à modifier ses lois existantes. Par ailleurs, cela a déclenché une enquête par l'organisme de réglementation des banques aux États-Unis ainsi qu'une enquête criminelle par le département américain de la Justice.
Par conséquent, la publicité qui accompagne les poursuites au civil peut être un outil clé dans la guerre contre le terrorisme.
Enfin, les victimes ont un certain sentiment de réconfort, de justice et de finalité lorsqu'elles racontent leur histoire au tribunal et qu'une décision est rendue pour tenir publiquement les auteurs responsables du préjudice de manière permanente. Pour nombre d'entre eux, cette mesure offrant la possibilité de clore l'incident peut être plus importante que la compensation.
Aujourd'hui, le terrorisme est monnaie courante, et la lutte engagée par les États comme le Canada à cet égard est extrêmement difficile. Vu ce contexte, le projet de loi S-7 permettra aux particuliers de se venger des terroristes et de leurs bailleurs de fonds en intentant des poursuites qui risquent de miner la viabilité et la légitimité des organisations terroristes et de leurs promoteurs.
Si, comme nous l'espérons, vous appuyez le projet de loi, nous vous demandons respectueusement de l'adopter sans tarder. Ce serait rendre un bel hommage aux familles des victimes d'Air India, qui ont récemment célébré le 25e anniversaire de leurs pertes. La Canada India Foundation a fourni une lettre d'appui solide qui vous a été remise avec nos documents.
Sheryl Saperia, conseillère principale, Canadian Coalition Against Terror : Chers sénateurs, merci de nous donner l'occasion de vous parler aujourd'hui. Comme l'a expliqué mon collègue, M. Blumenfeld, nous sommes ici au nom de la Canadian Coalition Against Terror. C-CAT parle au nom des victimes pour promouvoir des mesures renforcées de lutte contre le terrorisme, non seulement pour que les familles de ces victimes en particulier voient une certaine justice au cours de leur vie, mais aussi pour éviter aux autres Canadiens d'éprouver les mêmes horreurs de terroristes tuant leurs parents, leurs conjoints ou leurs enfants, ou encore d'être blessés eux-mêmes.
Comme certains d'entre vous le savent, il y a maintenant cinq ans que C-CAT a lancé cette campagne visant l'adoption d'une loi fédérale qui permettrait aux victimes du terrorisme au Canada d'intenter des poursuites civiles contre les États qui soutiennent le terrorisme. Pendant ce temps, pas moins de huit projets de loi d'initiative parlementaire et deux d'initiative gouvernementale ont été déposés, le projet de loi S-7 étant le plus récent.
Bien que différent à certains égards du modèle législatif que nous avons proposé par le passé, le projet de loi S-7 constituerait un ajout essentiel à notre arsenal d'outils de lutte pacifique contre le terrorisme. Il s'agit d'une lutte qui respecte la primauté du droit et qui ne porte pas atteinte aux libertés civiles de qui que ce soit. Il est temps que le projet de loi S-7 soit adopté.
Cela dit, étant donné qu'aucune victime ne témoigne aujourd'hui, j'aimerais défendre leurs intérêts pour veiller à ce que ce projet de loi ne soit pas rédigé de manière à offrir sans raison valable des avantages aux États qui soutiennent le terrorisme, au détriment des victimes. Bien que je vous exhorte à adopter ce projet de loi maintenant, j'aimerais respectueusement vous inciter à envisager plusieurs modifications qui sont à la fois mineures et non controversées et qui permettraient de renforcer considérablement le projet de loi sans retarder son adoption au Sénat.
Permettez-moi de commencer par le processus d'établissement d'une liste. Bien sûr, par « établissement d'une liste », je fais allusion au processus selon lequel le gouvernement décide quels États étrangers figurent sur la liste des États qui soutiennent le terrorisme et qui peuvent faire l'objet d'une poursuite en vertu de la loi.
Avant d'aborder ce sujet, vous êtes nombreux à avoir posé des questions au sujet du processus d'extradition et du traitement particulier qui lui serait réservé. Je serai ravie de répondre à toutes vos interrogations à cet effet pendant la période de questions. J'aimerais toutefois me pencher sur la description de la liste qui figure actuellement dans le projet de loi d'initiative gouvernementale.
Honorables sénateurs, les amendements du projet de loi que l'on propose d'apporter à la Loi sur l'immunité des États présentent une lacune frappante, un déséquilibre. Le langage utilisé dans les descriptions du processus d'ajout et de retrait à la liste oriente la situation sur une pente qui semble favoriser les présumés États qui soutiennent le terrorisme, et ce, aux dépens des victimes.
En ce qui concerne le processus d'établissement de la liste, C-CAT aimerait proposer les légères modifications suivantes, qui sont tout de même importantes.
Tout d'abord, la question qui est pour nous de la première importance, c'est l'utilisation de verbes soulignant l'idée d'obligation tels que « doit », au lieu de verbes laissant un choix, comme « peut ». Il faut que ce soit impératif que le gouverneur en conseil amorce le processus d'établissement d'une liste des États qui soutiennent le terrorisme. Sans cette clarification du texte, il est fort probable qu'une telle liste ne verra jamais le jour.
En second lieu, il est essentiel qu'une liste des États désignés soit établie dans les six mois suivant l'adoption du projet de loi pour permettre aux victimes du terrorisme de faire appel à la loi sans tarder. Nous ne devrions pas ajouter au fardeau des années déjà passées à attendre l'adoption du projet de loi. Il devrait par la suite y avoir un examen annuel de la liste qui viserait à déterminer s'il y a lieu de croire qu'il serait judicieux d'ajouter des États étrangers à la liste plutôt que d'en retirer. À l'heure actuelle, la seule exigence en matière d'examen porte sur la décision de retirer ou non un État étranger de la liste.
Troisièmement, en réponse à l'excellente question posée la semaine dernière par le sénateur Jaffer, nous proposons d'apporter un amendement au projet de loi de sorte qu'une fois une poursuite civile intentée contre un État figurant sur la liste, le procès pourra poursuivre son cours jusqu'à la perception desmontants imposés par la cour lors du jugement en dommages-intérêts, même si l'État étranger venait à être retiré de la liste en cours de processus. Ainsi, les demandeurs auront l'assurance que leurs ressources et efforts n'auront pas été investis en vain dans une poursuite qui pourrait à tout moment être neutralisée par le retrait d'un État figurant sur la liste.
J'aimerais vous entretenir de deux amendements extrêmement mineurs qui ne portent pas sur le processus d'établissement de la liste, mais aideraient de façon significative les victimes dans leurs démarches.
Tournons premièrement notre attention vers le nouvel article 12.1 des amendements à la Loi sur l'immunité des États. Cet article permet aux ministres des Finances et des Affaires étrangères d'aider les victimes à dresser la liste des biens et des actifs d'un État étranger soutenant le terrorisme. Nous remarquons encore une fois que l'on utilise le verbe « peut », et non « doit ». Dans le cas qui nous occupe, le fait de rendre simplement optionnelle la divulgation de renseignements par le gouvernement érode presque intégralement l'efficacité de la disposition. Vous pouvez constater que le projet de loi d'initiative gouvernementale est truffé d'expressions comme « dans le cadre de son mandat » et « dans la mesure du possible » ainsi qu'une longue liste d'exceptions permettant aux ministres d'omettre la divulgation des renseignements dans des circonstances déraisonnables ou inappropriées.
Le dernier amendement que j'aimerais vous recommander porte sur le paragraphe 4(2) du projet de loi, qui exige que la poursuite civile ait un lien véritable et substantiel avec le Canada afin que la cause soit entendue par un tribunal canadien.
L'affaire Van Breda v. Village Resorts Limited, présentée devant la Cour d'appel de l'Ontario, nous révèle qu'il n'existe actuellement aucune présomption selon laquelle le fait de vivre dans un territoire en particulier constitue un lien suffisant aux yeux de la loi. Par conséquent, il est essentiel que le projet de loi énonce clairement que la citoyenneté canadienne et le statut de résident permanent sont suffisants pour établir un lien véritable et substantiel avec le Canada. Sans cette clarification, le projet de loi pourrait admettre des situations inacceptables où des victimes canadiennes ne seraient pas en mesure de demander que justice soit faite devant les tribunaux canadiens.
La plupart des poursuites qui seront intentées contre les États étrangers en vertu de ce projet de loi, sinon la totalité d'entre elles, concerneront des dommages subis à l'extérieur du Canada, ce qui est dû en partie au fait que, selon la Loi sur l'immunité des États, ceux-ci ne bénéficient d'aucune immunité lorsqu'ils occasionnent des dommages à quelqu'un au Canada. Dans la plupart des cas, il est probable que les actes de terrorisme n'auront aucun lien avec le Canada, mis à part la nationalité de la victime. Le projet de loi devrait donc être modifié de façon à ce que la citoyenneté canadienne du demandeur ou son statut de résident permanent au Canada suffise à lui garantir l'accès à un tribunal canadien. En effet, il est important de noter que des questions de compétence ont empêché bon nombre de défendeurs d'être poursuivis aux États-Unis relativement aux événements du 11 septembre. Nous devrions en tirer des leçons et rendre le projet de loi S-7 plus favorable aux Canadiens, si je peux m'exprimer ainsi.
Pendant les minutes qu'il me reste, je désire aborder brièvement certaines questions qui ont été soulevées et qui exigent peut-être des précisions, et non des modifications.
Les mots « rétrospectif » et « rétroactif » sont souvent utilisés de manière interchangeable, ce qui est incorrect. La C- CAT est d'avis que la mesure législative est rétrospective plutôt que rétroactive, car elle tient les États responsables d'événements passés, mais ne modifie pas les lois qui étaient en vigueur au moment où ces événements ont eu lieu.
Quoi qu'il en soit, sur le plan juridique, la législature peut adopter une loi rétroactive ou une loi rétrospective, à condition que ses intentions soient indiquées clairement dans le libellé, ce qui est le cas dans ce projet de loi. Comme le sénateur Baker l'a mentionné la semaine dernière, étant donné que le projet de loi n'entraîne pas de responsabilité criminelle, mais seulement une responsabilité civile, le paragraphe 11g) de la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas transgressé.
Au bout du compte, il est essentiel que cette mesure législative permette aux victimes d'Air India, dont le traitement au cours des 25 dernières années a été déplorable — le public en est maintenant pleinement conscient —, de poursuivre les gens qui leur ont causé des torts, même si, comme le sénateur Jaffer l'a souligné la semaine dernière, il se peut qu'aucun État étranger ne soit responsable. Les victimes d'Air India sont extrêmement favorables à ce projet de loi.
En outre, le paragraphe 4(4), qui exige que la victime accorde à l'État étranger la possibilité de soumettre le différend à l'arbitrage avant d'être en mesure de le poursuivre, a fait l'objet de discussions, en particulier de la part du sénateur Furey. Je voudrais préciser encore une fois que ce paragraphe s'applique seulement si la victime souhaite poursuivre un État étranger à propos d'une attaque terroriste qui s'est déroulée sur son territoire. Il est peu probable qu'on ait souvent recours à ce paragraphe, car il est rare qu'un État étranger lance une attaque terroriste sur son propre territoire. Par conséquent, je ne me préoccuperais pas trop de cette disposition.
Enfin, j'aimerais aborder la question des répercussions que ce projet de loi aura sur nos relations étrangères. Premièrement, les principaux alliés du Canada ne seront pas assujettis à cette mesure législative parce qu'en clair, le processus d'inscription empêchera cette éventualité. Deuxièmement, la mesure législative n'est qu'un léger ajout à toute la série de mesures que le Canada a déjà prises depuis les événements du 11 septembre. À l'instar d'autres pays, le Canada a adopté des mesures législatives antiterroristes strictes et controversées, a réexaminé ses politiques en matière d'immigration et s'est élevé contre les organisations terroristes. Nous sommes allés à la guerre en Afghanistan. Nous avons pris toutes ces mesures en dépit des risques qu'elles présentaient pour notre politique étrangère. Ce changement indique que nous avons pris conscience de la menace transnationale particulière que constituait le terrorisme et des interventions particulières qu'elle nécessitait.
Troisièmement, la réputation du Canada à l'échelle internationale ne sera pas ternie parce que nous autoriserons des actions en justice dans ce que d'éminents avocats canadiens estiment être des cas bien définis de parrainage flagrant de la terreur par des États.
Quatrièmement, comme le sénateur Wallin l'a mentionné plus tôt, notre crainte des représailles violentes et notre peur d'être poursuivis à notre tour ne peuvent pas être les seuls principes qui influencent la diplomatie canadienne. Comme John Norton Moore, un professeur de droit à l'Université de la Virginie et le directeur du Center for National Security Law, l'a expliqué, l'argument relatif aux représailles ne tient pas compte de nature réactive du contexte. Il trouve étrange que les gens s'inquiètent des mesures que quelques nations terroristes pourraient prendre pour nuire à nos avoirs, alors qu'elles sont prêtes à nous torturer, à nous assassiner et à participer activement à des activités qui nous causent du tort de toutes les façons possibles.
Comme c'est le cas chaque fois que nous agissons de manière défensive, nous nous demandons si nous devrions vraiment riposter avec les outils dont nous disposons.
Sénateurs, je vous ai parlé en tant que défenseur des victimes, lesquelles sont l'élément moteur de cette initiative. Comme je l'ai mentionné plus tôt, c'est la dixième fois qu'un projet de loi de ce genre est présenté. Les victimes et les collectivités qui les soutiennent ont le sentiment que cette question est de plus en plus urgente. Comme une victime d'Air India l'a mentionné récemment, les victimes meurent pendant qu'elles attendent l'adoption de ce projet de loi.
Nous avons maintenant besoin de votre appui pour nous assurer que le projet de loi n'est pas avorté une fois de plus. Bien que nous ayons suggéré certaines modifications, nous ne voulons pas qu'elles retardent davantage son adoption. Nous croyons qu'il est impératif que le Sénat approuve ce projet de loi et qu'il soit adopté dans les plus brefs délais.
Les principes généraux qui sous-tendent ce projet de loi sont appuyés par le premier ministre, le chef libéral, Michael Ignatieff, les sénateurs, les députés de tous les partis ainsi que par d'éminents experts juridiques et d'éminents experts en matière de lutte contre le terrorisme. Je vous prie d'examiner la section qui contient les citations dans votre dossier. Il est temps d'adopter le projet de loi S-7.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de m'écouter, et c'est avec plaisir que je répondrai à toutes les questions que vous pourriez avoir.
Le président : Merci, madame Saperia, de votre exposé très clair.
Nous passons maintenant à M. Comras des États-Unis, qui a attendu patiemment et qui nous communiquera son point de vue sur la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre de son travail au département d'État des États-Unis et ailleurs pendant de nombreuses années, il a été l'allié du Canada dans ce domaine.
Victor D. Comras, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l'occasion de vous exposer mon opinion à propos de cette importante mesure législative antiterroriste qui est actuellement à l'étude. Je vais m'efforcer d'être bref, et c'est avec plaisir que j'étofferai ma déclaration en vous fournissant des renseignements supplémentaires au besoin.
Pendant deux ans, j'ai été l'un des cinq observateurs internationaux à qui le Conseil de sécurité de l'ONU avait confié la tâche de surveiller ce que les pays faisaient pour mettre en œuvre les mesures contre Al-Qaïda, les talibans et d'autres terroristes connexes que l'ONU préconisait. Ma principale responsabilité consistait à rendre compte des mesures qui étaient prises pour bloquer leurs avoirs et pour les empêcher d'obtenir les fonds et les autres ressources économiques dont ils avaient besoin pour fonctionner. J'ai pu constater de mes propres yeux les difficultés que posaient ces efforts antiterroristes et les failles qu'ils comportaient.
Malgré nos efforts, nous n'avons pas interrompu jusqu'à maintenant le financement des organisations terroristes, et nous n'avons pas très bien réussi à tenir responsable ceux qui fournissent et gèrent sciemment ces fonds.
Il est vrai que la plupart des pays ont maintenant pris des mesures pour bloquer les avoirs d'Al-Qaïda et les ressources des talibans également. En fait, les Nations Unies, les États-Unis et d'autres pays ont signalé dans ce but de nombreuses personnes et de nombreuses entités, y compris des soi-disant œuvres de charité ou organismes sans but lucratif, et, pourtant, bon nombre d'entre elles poursuivent leurs activités et continuent de financer le terrorisme. Cela représente un énorme problème pour nous tous, en particulier parce que le terrorisme ne se limite pas à Al-Quaïda et aux talibans.
Nous sommes encore loin d'être tombés d'accord à l'échelle internationale sur ce qui constitue une organisation terroriste ou du financement destiné au terrorisme. N'oubliez pas que, dans la plupart des pays du monde, il n'est toujours pas illégal de financer des organisations terroristes comme le Hamas, l'Hezbollah ou d'autres organisations terroristes qui ne sont pas directement liées à Al-Qaïda. En ce sens, la Convention internationale sur la répression du financement du terrorisme des Nations Unies est utile seulement jusqu'à un certain point.
Ce qui est encore plus inquiétant, c'est que plusieurs pays continuent d'appuyer, d'approvisionner et de financer divers groupes terroristes, souvent en prétextant fournir une aide sociale, contribuer à l'éducation religieuse ou soutenir la libération nationale. À cet égard, la liste des États commanditaires du terrorisme qu'a dressée le département d'État des États-Unis est grandement déficiente. À l'heure actuelle, elle compte seulement quatre pays : Cuba, l'Iran, le Soudan et la Syrie. Toutefois, quand on lit plus attentivement le rapport d'évaluation du terrorisme international que le département d'État publie annuellement, on constate clairement que le parrainage du terrorisme par les États est certainement beaucoup plus répandu.
À ce sujet, j'aimerais vous inviter à consulter l'excellent rapport que Daniel Byman a publié en 2008 pour le compte de la Brookings Institution et qui est intitulé « The Changing Nature of State Sponsorship of Terrorism » et son livre intitulé Deadly Connections : States that Sponsor Terrorism. Dans ses écrits, on peut constater aisément qu'un nombre important de pays continuent de financer des organisations terroristes parce qu'ils croient que c'est dans l'intérêt de leur État. Prenez, par exemple, le soutien que le Yémen ou l'Arabie saoudite apporte à divers groupes terroristes liés à la Palestine, y compris le paiement d'allocations aux familles des kamikazes; ou l'aide que le Pakistan fournit aux groupes terroristes qui combattent en Inde; ou l'appui qu'Hugo Chávez apporte aux FARC.
Les États-Unis sont l'un des endroits où l'on travaille le plus activement à dénicher ceux qui financent le terrorisme et à tenter de mettre un terme à leurs activités ou de les faire incarcérer. À ma connaissance, nous sommes toujours le seul pays où les victimes du terrorisme peuvent tenter de tenir les commanditaires du terrorisme responsables civilement. J'espère que le Canada suivra bientôt notre exemple à cet égard et montrera la voie aux autres pays afin qu'ils prennent plus au sérieux la nécessité d'offrir un tel recours aux victimes du terrorisme.
La principale loi américaine en vigueur à cet égard est appelée la Antiterrorism and Effective Death Penalty Act adoptée en 1996. La loi mentionne le financement du terrorisme dans sa définition du terme, et elle criminalise tout soutien matériel apporté à une organisation terroriste étrangère désignée. L'article 2333 de cette loi autorise les tribunaux américains à accepter des demandes provenant des personnes qui sont touchées le plus directement par ces actes de terrorisme, c'est-à-dire les victimes elles-mêmes. Elle stipule ce qui suit :
Tout citoyen des États-Unis dont la personne, les biens ou les affaires subissent des dommages en raison d'un acte de terrorisme international, ou sa succession, ses survivants ou ses héritiers peuvent intenter des poursuites dans n'importe quelle cour de district appropriée des États-Unis et récupérer trois fois la valeur des dommages qu'il a subis ainsi que le coût de la poursuite, y compris les honoraires de l'avocat.
En outre, les tribunaux américains autorisent des victimes de terrorisme non américaines à présenter des demandes concernant certains actes de terrorisme qui ont eu lieu à l'étranger, lorsqu'une personne ou une entité aux États-Unis ou une personne ou une entité assujettie à la compétence américaine aurait apporté un soutien matériel aux personnes responsables des actes de terrorisme. Ces procès sont intentés en vertu de la Alien Tort Claims Act américaine.
Les procès intentés en vertu de ces lois ont démontré l'applicabilité de ces dernières et l'utilité d'autoriser des litiges civils contre les terroristes et ceux qui leur apportent un soutien matériel. Ils ont produit une jurisprudence qui a permis de définir et d'aborder bon nombre des questions complexes qu'ils comportent. Cet ensemble de règles de droit évolue toujours, mais leurs grandes lignes de base restent claires dans la décision historique rendue dans l'affaire Boim. Cette cause découle de l'assassinat en 1996 d'un citoyen américain âgé de 17 ans appelé David Boim par des agents du Hamas. Sa famille a poursuivi devant une cour fédérale américaine plusieurs entités américaines, dont la Holy Land Foundation et le Quranic Literacy Institute qui sollicitaient activement des donateurs et recueillaient des fonds destinés au Hamas.
La cause a été examinée à plusieurs reprises à l'étape de l'appel, mais la décision finale a confirmé le principe selon lequel le financement d'organisations terroristes étrangères désignées, pour quelque raison que ce soit, relève bien de l'article 2333 qui autorise les poursuites civiles.
De nombreux procès ont suivi visant également ceux qui finançaient ces organisations terroristes. Bien que, parfois, il ait été difficile de recouvrer l'argent accordé par les jugements rendus, ceux-ci ont plutôt bien réussi à mettre un terme aux activités de ces organismes de financement néfastes et de ceux qui les dirigeaient.
En juillet 2004, six familles américaines — victimes du terrorisme palestinien en Israël pendant l'intifada d'Al-Aqsa — ont poursuivi la Banque arabe de Jordanie en vertu de l'article 2333. Ils ont soutenu que la Banque arabe avait versé des millions de dollars en allocations aux familles des kamikazes, ce qui incitait les Palestiniens à mener d'autres attaques. La Banque arabe avait utilisé sa succursale de New York pour acheminer la majeure partie de l'argent afin de convertir les fonds en dollars américains. Dans une affaire semblable, la cour a également permis à des étrangers qui avaient été victimes du terrorisme du Hamas de poursuivre celui-ci et les cours fédérales américaines en vertu de la Alien Tort Claims Act.
Ces affaires, et beaucoup d'autres comme elles, ont eu des effets majeurs sur la façon dont les institutions financières internationales mènent maintenant leurs activités, en particulier en ce qui a trait à l'adoption de procédures basées sur la connaissance du client et sur la diligence raisonnable. Les organisations caritatives, sociales et financières américaines et étrangères sont maintenant doublement prudentes quand elles traitent avec des organisations qui ont recours à des actes terroristes ou qui les tolèrent; et cela a été avantageux pour nous tous.
Lorsque le Congrès américain a adopté l'Antiterrorism and Effective Death Penalty Act de 1996 et l'a modifié par l'USA PATRIOT Act — dont le titre complet est la « Loi de 2001 pour unir et renforcer l'Amérique en fournissant les outils appropriés pour déceler et contrer le terrorisme » —, il voulait faire en sorte qu'une fois que l'organisation terroriste étrangère aurait été désignée, elle ne recevrait plus de fonds recueillis par des organisations locales à quelque fin que ce soit. Le Congrès a reconnu que les fonds sont fongibles et que tous les dons qui sont destinés à des groupes terroristes, peu importe l'objectif déclaré, seraient utiles pour leurs activités, y compris l'exécution de leurs attaques terroristes. Le Congrès était déterminé à éliminer une échappatoire qu'utilisent les organisations terroristes pour solliciter et amasser des fonds pour leurs activités.
Pour les législateurs américains, il était également clair qu'il fallait faire quelque chose pour régler le problème épineux de l'appui de certains États aux actes de terrorisme. De tels actes étaient apparemment protégés par l'idée d'immunité des pays souverains, que des gouvernements et leur personnel utilisaient depuis longtemps et dont ils avaient abusé pour éluder toute responsabilité pour de telles violations du droit international. L'idée classique que l'immunité de la souveraineté protège de tels actes est clairement en déclin, tant pour le terrorisme que pour la torture. Manuel Noriega, Augusto Pinochet, Radovan Karadzic et Slobodan Milosevic ne sont que quelques exemples d'anciens chefs d'État qui ont dû répondre de leurs actes, malgré leurs revendications du droit à l'immunité de la souveraineté.
Le Congrès a modifié la Foreign Sovereign Immunities Act, la FSIA, pour permettre aux victimes de terrorisme américaines de poursuivre les pays que le département d'État américain avait désignés comme parrains du terrorisme. Le fait d'étendre la compétence de la Cour fédérale américaine pour couvrir de telles affaires contre les pays et les agents étrangers a soulevé des questions complexes et controversées, et pendant plusieurs années, le Congrès américain et l'administration américaine se sont livré un combat interminable devant les tribunaux pour mettre au clair la portée et les nuances prévues de cette exemption importante à l'immunité de la souveraineté étrangère.
En janvier 2008, le Congrès américain et l'administration américaine ont conclu un accord à cet égard et ont adopté et signé la Department of Defense Appropriations Act. L'article 1083 de cette loi prévoyait clairement un droit privé d'action contre les États et les entités qui soutiennent le terrorisme. Les demandeurs qui atteignent leur but peuvent également imposer un droit de rétention sur les biens des entités et des États qui se trouvent sur le territoire américain.
L'exception de « l'État qui parraine le terrorisme » qui figure dans la Foreign Sovereign Immunities Act s'applique dans les procès intentés contre un État étranger désigné. Cette loi se lit comme suit :
[...] contre un État étranger pour des lésions corporelles ou le décès qui ont été causés par un acte de torture, une exécution sommaire, le sabotage d'un avion, une prise d'otage, ou le fait de donner un soutien matériel ou des ressources pour un tel acte, si un fonctionnaire, un employé ou un agent de cet État étranger commet un tel acte ou donne un soutien matériel ou des ressources dans le cadre de ses fonctions.
Le facteur contraignant, c'est que dans les faits, seul un petit nombre de pays qui soutiennent le terrorisme ont été désignés. Nous devons à nos citoyens et à toutes les victimes de terrorisme de combler cette lacune.
Entre-temps, les avocats qui représentent les demandeurs qui ont été victimes de terrorisme ainsi que des juges utilisent et explorent certaines approches juridiques très nouvelles pour contourner ces limites et pour rendre justice à ces victimes. Par exemple, dans le cas des poursuites liées aux événements du 11 septembre 2001, les avocats cherchent à tenir responsables des pays comme l'Arabie saoudite en utilisant les principes traditionnels du droit de la responsabilité délictuelle concernant le contrôle présumé de l'Arabie saoudite exercé sur les activités de financement d'organisations caritatives saoudiennes qui ont contribué au financement des attaques du 11 septembre 2001 et de l'appui présumé de ce pays à de telles activités.
Le projet de loi que vous examinez aujourd'hui constituera une étape importante pour tenir responsables de leurs actes les personnes qui financent le terrorisme, y compris les États qui le parrainent. Le projet de loi est particulièrement louable, car il reconnait, comme il le devrait, le droit légitime des victimes du terrorisme de demander réparation, de réclamer une compensation et d'obtenir justice.
Adoptez le projet de loi, et vous aurez amélioré considérablement votre arsenal pour lutter contre le terrorisme international. Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Comras.
Chers collègues, nous disposons d'un peu de temps pour poser des questions. Je signale également que Mme Lévesque, des Services juridiques de Sécurité publique Canada, a demandé de comparaître devant nous pour apporter des précisions sur quelque chose qu'elle nous a dit lors de sa dernière comparution. Je crois qu'il est opportun que nous lui donnions l'occasion de témoigner aujourd'hui, avant la fin de nos travaux.
Le sénateur Jaffer : Merci à vous trois de vos déclarations préliminaires.
Monsieur Comras, je crois comprendre que vous avez déjà comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 30 octobre 2009; est-ce exact?
M. Comras : La dernière fois que j'ai témoigné, je crois que c'était au sujet d'une question liée à l'Iran. J'ai peut-être un trou de mémoire. C'est la seule dont je me souviens pour 2009.
Le sénateur Jaffer : Concernant la liste des États dont vous avez parlé indirectement, à votre avis, devrions-nous faire du profilage de pays ou avoir une liste d'États, ou bien ne pas avoir de liste d'États, mais permettre aux victimes d'obtenir une compensation?
M. Comras : À ce sujet, j'ai toujours été d'avis que le terrorisme international est une violation du droit international. Le terrorisme international et le recours à la torture par des États devraient constituer une catégorie à part, il devrait y avoir une justice universelle, et les États devraient être tenus responsables de tels actes dans nos tribunaux et dans les vôtres, en particulier si nous pouvons trouver le lien qui convient pour notre propre État. J'ai toujours dit que nous devrions inclure le plus d'États possible. J'aurais préféré qu'on définisse l'exemption plutôt que de donner une liste désignée, mais il est préférable d'avoir une liste désignée que de ne rien avoir du tout.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Comras, j'ai les remarques que vous avez faites devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles où vous nous avez dit de ne pas le faire, de ne pas suivre cette voie et d'aller de l'avant avec ce projet de loi, et que s'il fallait tout refaire, vous étiez persuadé que les États-Unis se passeraient de cette liste. Vous avez terminé en nous invitant à tirer une leçon de votre expérience et à ne pas faire la même erreur.
M. Comras : C'est toujours mon opinion. Toutefois, je reconnais, peut-être encore plus maintenant, que bien des gens ne partagent pas mon point de vue aux États-Unis. Mon point de vue correspond à la voie à suivre, et à mon avis, la voie que le Congrès suivrait aujourd'hui serait d'élargir cette exemption le plus possible. Je crois que les Américains l'ont montré grâce aux mesures qui ont été prises en 2008, la dernière fois qu'ils ont adopté une loi à cet égard.
Mme Saperia : Monsieur Comras a effectivement témoigné en 2008, donc il y a deux ans, au sujet d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui était une version antérieure de celui-ci. De plus, je veux seulement apporter des précisions sur le contexte dans lequel, à mon avis, il a fait cette déclaration. Il est vrai qu'il a dit de ne pas aller de l'avant en ce qui concerne la liste, mais il ne disait pas qu'il ne devrait pas y avoir de liste du tout. Il encourageait plutôt les mesures d'extradition. En d'autres mots, il n'a pas dit qu'il ne devrait pas y avoir de restrictions sur la désignation des États à poursuivre, mais qu'il devrait y avoir un différent type de restrictions.
Le sénateur Jaffer : Comme je n'ai pas beaucoup de temps, je veux parler d'un autre sujet. J'espère que M. Comras précisera ce que vous avez dit une fois que j'aurai terminé de vous poser des questions. Peu de temps après que le projet de loi a été présenté de nouveau comme le projet de loi C-35, vous étiez à l'émission de Tom Clark, et l'intervieweur vous a demandé si le projet de loi donnerait des résultats. Vous avez dit qu'il serait davantage symbolique et qu'il y avait certaines autres choses pratiques, et je crois qu'aujourd'hui, grâce à vos modifications, vous avez mis cela au clair. Je ne vais pas poser cette question.
Le président : Seulement par principe, si vous dites quelque chose au sujet de propos qu'a tenus un témoin ailleurs, elle a le droit d'apporter des éclaircissements. Il doit en être ainsi pour que les choses soient bien claires. Nous n'attaquons pas les gens pour ensuite passer à autre chose.
Le sénateur Jaffer : Je ne l'attaque pas.
Le président : C'est seulement une question de principe et de courtoisie.
Le sénateur Jafer : Vous sentez-vous attaquée?
Mme Saperia : Merci. Non, je ne me sens pas attaquée.
Le sénateur Jaffer : Je la félicitais. Je souhaiterais que vous me laissiez terminer ma question. Ce que je m'apprêtais à dire, avant que le président m'interrompe brutalement, c'est que je vous félicite de votre travail et du travail que vous faites pour les gens d'Air India. Des victimes souffrent depuis 25 ans. Je voulais obtenir des précisions sur certains points, et l'une d'elles concerne votre participation à l'émission de Tom Clark. Il se demandait essentiellement si c'est vraiment une façon pour les gens de se sentir mieux. Ce sont ses paroles, et non pas les miennes. Vous avez ajouté qu'il y avait un aspect symbolique aux décisions judiciaires, et vous avez continué, et je suis heureuse que vous ayez clarifié les choses aujourd'hui.
L'idée du projet de loi est très importante. Les victimes ont besoin d'obtenir une compensation. J'aimerais que vous donniez tous les deux votre opinion sur ce que les États-Unis ont fait. Ne serait-ce pas une meilleure façon de procéder? Grâce à sa Justice for Victims of Terrorism Act de 2000, le gouvernement américain peut indemniser des victimes pour le tort qu'elles ont subi par suite d'actes terroristes parrainés par un État étranger, ce qui laisse au gouvernement le soin de réclamer une compensation à l'État en question. Si je peux seulement m'exprimer un peu plus clairement, monsieur Blumenfeld, j'ai entendu vos propos, et vous avez dit à quel point vous trouviez que ce projet de loi est compliqué et à quel point ce serait difficile pour les victimes d'intenter elles-mêmes ces recours. J'aimerais savoir ce que vous en pensez tous les deux. Nous faut-il ou devrions-nous, ce que j'encouragerais certainement, faire autre chose pour aider les victimes à obtenir le jugement qui leur revient, le jugement auquel elles ont droit?
Mme Saperia : Tout d'abord, j'ai trouvé amusant qu'on me cite. C'est une expérience intéressante. Il est certain que le projet de loi comporte un élément symbolique important, mais j'espère que ce que j'ai communiqué lors de cette émission, car mon opinion n'a pas changé du tout à cet égard, c'est qu'au-delà de l'élément symbolique, le projet de loi a des effets concrets. C'est ce dont M. Blumenfeld parlait dans son témoignage. Le projet de loi peut empêcher le terrorisme, car des jugements favorables peuvent mettre en faillite les organisations terroristes. Il peut empêcher que des attaques aient lieu, et il peut empêcher de futures attaques terroristes, car les parrains du terrorisme craignent de figurer sur la liste d'un document judiciaire. Ce sont ceux qui misent sur l'anonymat, contrairement aux terroristes mêmes, qui eux, aiment qu'on leur fasse de la publicité. Les parrains ne veulent pas qu'on les nomme. Il y a également la question de la compensation, qui est importante pour les victimes, et du fait que les victimes ont une possibilité de participer à des procédures judiciaires. Comme nous le savons, dans des affaires criminelles, c'est la Couronne qui représente la victime, mais la victime ne joue pas un rôle officiel. Cela est important également. Pour toutes ces raisons, je pense qu'il y aura des conséquences pratiques énormes et que l'aspect symbolique n'est que la cerise sur le sundae.
Je sais que vous avez posé des questions sur l'expérience des États-Unis et également, de façon générale, sur la façon de rendre ce projet de loi plus efficace et sur d'autres modifications. Il est certain que pour ce qui est des modifications dont j'ai parlé aujourd'hui, mon objectif, c'était de vous permettre à tous de prendre en considération, comme je le dis, des façons modestes d'améliorer le projet de loi, qui, selon moi, auront des répercussions importantes. Ce que j'espère, c'est qu'on ne tarde pas davantage à adopter le projet de loi, car les victimes attendent depuis un trop grand nombre d'années. À toutes les étapes, nous avons dû nous heurter à la tenue d'élections, à des prorogations et à de simples retards au cours du processus. À ce moment-ci, je vous prierais très respectueusement d'examiner les modifications dont nous avons parlé aujourd'hui. En fait, nous sommes allés jusqu'à vous suggérer les mots à utiliser pour ces modifications, ce qui est dans votre dossier.
M. Blumenfeld : Personnellement, je crois que c'est en levant l'immunité de certains États qu'on verra une différence majeure. En outre, l'efficacité de cette mesure législative dépendra notamment beaucoup du nombre de pays sur la liste et de qui sont ces pays. Si seule la Corée du Nord est visée, je peux vous dire avec assurance que la loi aura peu d'impact, mais si elle touche d'autres pays davantage engagés dans le commerce international, il y a des chances que les effets soient considérables. L'expérience américaine montre que ce genre de mesure législative a eu d'énormes répercussions et peut même avoir une influence sur les politiques intérieures et étrangères des États concernés.
Sinon, pour ce qui est des victimes canadiennes, je ne peux dire à leur place ce qu'elles cherchent à obtenir, car chaque cas est particulier, mais je ne vois aucun mouvement, au Canada, destiné à demander de l'argent au gouvernement pour cela. Les victimes savent, en se fondant sur l'expérience aux États-Unis, qu'avec des avocats de la défense motivés qui mènent les enquêtes et lancent les poursuites, on peut obtenir des résultats, avec un peu de persévérance, et que les responsables finiront par devoir rendre des comptes. Je pense que cela les satisfera.
Enfin, je dirais qu'on peut toujours améliorer la mesure législative. Aux États-Unis, on y a apporté de nombreux amendements depuis 1996, mais la priorité est maintenant d'adopter le projet de loi.
Le sénateur Furey : Je tiens à remercier les témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui et du temps qu'ils nous accordent. Monsieur Blumenfeld, vous avez parlé de la Loi sur l'immunité des États. Je ne sais pas si vous avez entendu les témoins qui vous ont précédés.
J'essaie de comprendre l'état actuel de la loi au Canada. Selon vous, la Loi sur l'immunité des États présentement en vigueur n'accorde l'immunité à aucun pays étranger pour des actes causant des lésions corporelles ou des dommages matériels au Canada, n'est-ce pas?
M. Blumenfeld : Effectivement.
Le sénateur Furey : Par conséquent, l'objet de cette mesure législative consiste à créer une nouvelle cause d'action extraterritoriale pour les avocats de la défense.
M. Blumenfeld : Oui.
Le sénateur Furey : Merci. Je tenais à ce que ce soit précisé.
Madame Saperia, merci d'avoir soulevé la question de la clause d'arbitrage. Si on devait l'invoquer, et ce serait bien sûr dans des circonstances exceptionnelles, si on décidait de la laisser, est-ce qu'on ne créerait pas deux catégories de demandeurs? À cause d'un certain type de circonstances, nous demanderions à une catégorie de demandeurs, advenant le cas où cette clause serait invoquée, de suivre ce que je qualifierais de processus laborieux et coûteux.
Croyez-vous que la portée de la loi serait restreinte, si on retire cette disposition?
Mme Saperia : Personnellement, je ne suis pas très attachée à cette disposition. Si vous, en tant que groupe, décidez qu'elle ne devrait plus y figurer, je ne pense pas que le fait de l'enlever nuirait grandement au projet de loi. Je comprends très bien vos préoccupations au sujet des victimes. Vous ne voulez pas d'obstacle supplémentaire dont pourrait profiter un pays étranger pour retarder les choses.
Je me réjouis que ce libellé recommande fortement que le demandeur donne à l'État étranger la possibilité raisonnable de soumettre le différend à l'arbitrage. Cela ne signifie pas que la procédure d'arbitrage devra être complétée, mais qu'il faudra faire des efforts raisonnables pour soumettre le différend à l'arbitrage. J'espère qu'un tribunal examinera le contexte, de sorte que si, malgré les tentatives raisonnables, un État étranger fait quand même la sourde oreille, le tribunal acceptera que la cause soit entendue.
Le sénateur Furey : Merci.
Monsieur Comras, il semble évident, à en juger par votre exposé et votre curriculum vitae, que vous vous êtes grandement intéressé au financement des activités terroristes. Il y a une question, en particulier, que je trouve troublante, inquiétante et assez intrigante.
Sans vouloir faire le gérant d'estrade, je dirais que dans le cas des attaques du 11 septembre, des attentats à la bombe de Londres et même du groupe des 18 de Toronto, tout le financement des participants à ces activités terroristes s'est fait au moyen du versement de petits montants d'argent. Par exemple, le terroriste Hani Hanjour, impliqué dans les attaques du 11 septembre, a reçu plusieurs virements télégraphiques étalés sur une période de quatre à cinq mois en 1998, tous inférieurs à 2 500 $. Il a payé comptant sa formation de pilote, par tranches de 200 $, par exemple. C'était un peu la même chose pour plusieurs des autres terroristes impliqués.
Étant donné les méthodes utilisées, que pouvons-nous faire pour améliorer la loi sur le financement des activités terroristes en vigueur au Canada, que vous connaissez bien? Je ne suis pas sûr que les dispositions actuelles nous permettent de coincer les terroristes actifs qui reçoivent des sommes aussi minimes.
M. Comras : Vous avez bien raison de dire que le coût de lancement d'une attaque terroriste peut être très faible. Les dépenses liées à la création, à l'aide matérielle, à la sollicitation, au recrutement et à l'endoctrinement sont nettement plus élevées. Le budget de n'importe quelle organisation terroriste se calcule normalement en millions de dollars. C'est une grosse affaire, même si le coût de la phase finale, de l'attaque comme telle, peut être dérisoire.
Il est essentiel de cibler le financement sur lequel reposent les activités terroristes. On peut y parvenir, je crois, en s'en prenant à l'appui logistique et en neutralisant ceux qui fournissent cet appui aux organisations terroristes qui cherchent activement à réunir, par tous les moyens possibles, les fonds considérables dont elles ont besoin.
Étant donné que les sommes consacrées aux attaques sont minimes, le mieux que nous puissions faire serait de déterminer leur provenance et de s'en servir comme outil d'enquête. Il nous faut suivre la trace des fonds pour remonter jusqu'à la cellule terroriste avant que celle-ci n'utilise les petits montants qu'elle reçoit pour mettre ses plans à exécution. Nous y arrivons de mieux en mieux. Couper les sources de financement des activités terroristes permet d'empêcher l'endoctrinement, le recrutement, le soutien matériel et la formation des terroristes.
Le sénateur Wallin : Vous nous avez tous livré des témoignages convaincants aujourd'hui. Je suis d'accord avec vous que même si ce projet de loi n'est pas parfait, nous ne devons pas faire du mieux l'ennemi du bien.
Ceci étant dit, après avoir lu des écrits au sujet des inquiétudes entourant les États-Unis et leurs lois, et compte tenu du fait que nous sommes confrontés à des problèmes uniques ici, comme celui concernant la Charte, j'aimerais savoir si vous êtes prêts à aller de l'avant, quitte à ce que nous fassions des changements plus tard, à mesure que certains éléments seront mis à l'épreuve? Est-ce une position raisonnable?
Mme Saperia : Si on doit choisir entre faire passer le projet de loi tel quel ou le modifier et l'adopter à une date ultérieure indéterminée, je préfère qu'on l'adopte dans sa forme actuelle, car les victimes attendent depuis trop longtemps déjà.
M. Blumenfeld : Je partage ce point de vue. Toutefois, je crois que les amendements proposés sont assez mineurs, et que s'il est possible de les faire facilement, il ne faudrait pas s'en priver.
Le sénateur Wallin : Monsieur Comras, pensez-vous aussi que le temps presse?
M. Comras : Le moment est certainement propice pour adopter ce projet de loi. Comme je l'ai dit, nous l'avons fait et ce serait bien que le Canada nous emboîte le pas. Il vaudrait mieux consolider nos assises pour convaincre d'autres pays d'adopter comme nous des lois pour les victimes d'actes terroristes.
Le président : J'ai une question qui s'adresse à nos trois témoins. J'aimerais prendre un peu de recul par rapport au processus, comme vous tous en avez pris, j'en suis sûr. D'une certaine manière, la dynamique n'est pas difficile à comprendre. Indépendamment de la dynamique de ce comité, qui est selon moi relativement peu partisane, la dynamique au sein d'un gouvernement est compréhensible. Au MAECI, on cherchera à donner au projet de loi une tournure qui confèrera au ministre auquel on se rapporte, ainsi qu'au gouverneur en conseil, le plus de latitude possible, de façon à exercer son jugement au moment de déterminer qui devra figurer sur la liste.
Sécurité publique Canada voudrait un projet de loi donnant de réels pouvoirs de poursuite à ceux qui se considèrent victimes d'actes terroristes, pouvoirs qui seraient au cœur de la mesure législative et de l'engagement canadien de lutte contre le terrorisme. Je suis sûr qu'il y a eu des manœuvres de la sorte, monsieur Comras, entre l'État et Dieu seul sait qui au sein du gouvernement américain.
Étant donné la nature de cette dynamique, j'aimerais réfléchir aux amendements, que j'ai d'ailleurs trouvés particulièrement rationnels, réfléchis et rigoureux à bien des égards. Vous comprendrez que cela va donner lieu à une toute nouvelle dynamique, et j'ignore complètement comment pourrait réagir le ministre.
Je sais que le sénateur Jaffer, entre autres, voudrait que le ministre comparaisse encore une fois. Nous pourrions donc réserver cette question pour lui, quand il reviendra témoigner devant le comité. Toutefois, vous pouvez comprendre comment la dynamique que vous décrivez pourrait relancer le débat au sein de la fonction publique. Tout le monde agira de bonne foi en essayant de faire ce qu'il croit juste.
Pourriez-vous nous donner des conseils sur la manière d'engager cette dynamique et nous expliquer également comment cela s'est passé aux États-Unis?
En tant que comité, lorsque nous examinons la teneur de ce projet de loi et de nos recommandations — ou des amendements, comme l'a laissé entendre un de nos témoins aujourd'hui —, nous voulons le faire de manière constructive et non retarder le processus involontairement. J'aimerais avoir votre avis à tous sur la question.
Je commencerais par vous, madame Saperia, car je crois que vous êtes celle qui a présenté les amendements de façon articulée.
Mme Saperia : Je suis d'accord avec vous sur la dynamique. J'en ai été parfaitement consciente aujourd'hui, pendant que je structurais mon témoignage. Si on m'avait dit que je pouvais prendre tout mon temps pour rendre ce projet de loi parfait, ma liste d'amendements serait beaucoup plus longue. Toutefois, mon objectif a été de renforcer la mesure législative au profit des victimes et de manière à ne pas susciter de débats houleux ni de la controverse. Je crois que ces amendements peuvent être faits rapidement. Si je me trompe, je dirais qu'on pourrait adopter le projet de loi tel quel et faire les modifications à une date ultérieure. On revoit des mesures législatives tous les jours; cela fait partie du processus courant. Permettons au moins aux victimes d'avoir la possibilité de lancer des poursuites et, du même coup, d'empêcher que d'autres Canadiens deviennent victimes à leur tour.
Le président : Monsieur Blumenfeld, vouliez-vous ajouter quelque chose?
M. Blumenfeld : Il y a deux ans, lorsque des victimes sont venues témoigner à propos d'un projet de loi antérieur, un sénateur libéral avait dit, en toute bonne foi, que ce projet de loi serait adopté. Évidemment, la dynamique à laquelle vous avez fait référence demande du temps. Je pense que dans les circonstances, il serait important d'éviter de prolonger cela davantage.
Le président : Je comprends. Monsieur Comras, pourriez-vous nous donner votre point de vue sur la question, à la lumière de votre expérience américaine?
M. Comras : À Washington, on pense que le facteur temps est primordial. Il semblerait que ce soit le moment opportun, alors j'espère que vous allez agir. On ne sait jamais ce qui nous attend et s'il y aura un moment plus propice dans l'avenir. À Washington, on applique toujours le principe de base suivant : quand c'est le moment d'intervenir, il faut passer à l'action. Quand les points de vue semblent converger et qu'il y a consensus, il faut aller de l'avant.
Le président : Merci beaucoup pour ces observations.
Honorables collègues, je n'ai pas d'autres noms sur ma liste de sénateurs qui voulaient poser des questions. Alors, avec votre permission, je vais remercier M. Blumenfeld, Mme Saperia et M. Comras pour leurs interventions pertinentes, directes et éclairantes devant notre comité aujourd'hui. Vos témoignages nous seront fort utiles dans nos travaux futurs.
Nous allons maintenant entendre Mme Agnès Lévesque, avocate à Sécurité publique Canada, qui a demandé la possibilité, à la suite de son témoignage de la semaine dernière, de venir préciser certains éléments de ses interventions. Nous lui sommes reconnaissants de cette initiative, ainsi que de sa diligence raisonnable, et nous la remercions d'être ici aujourd'hui.
Nous nous gardons un peu de temps pour vous poser quelques questions, le cas échéant. Allez-y, je vous en prie.
Agnès Lévesque, avocate, Services juridiques, Sécurité publique Canada : Merci beaucoup. L'un des éclaircissements que j'aimerais apporter concerne plus précisément la question de savoir quelles seraient les conséquences pour le demandeur dont la requête aurait été acceptée, advenant le cas où un État serait retiré de la liste.
Après mûre réflexion, il apparaît que deux scénarios sont possibles. Si un État figure sur la liste, le demandeur pourra lancer des procédures. Avant qu'une décision ne soit rendue, si l'État est retiré de la liste, sans être en mesure de prédire ce qu'un tribunal dirait, il est probable que l'État en question bénéficierait encore de l'immunité. Par conséquent, le tribunal ne serait plus habilité à entendre la cause.
Selon le deuxième scénario, si un État est retiré de la liste après qu'un tribunal aura rendu sa décision, le demandeur aura une décision favorable exécutoire. Toutefois, il est peu probable que les dispositions consistant à offrir de l'aide, prévues dans la mesure législative, s'appliquent.
Le président : J'aimerais que ce soit bien clair. C'est une proposition assez importante et fondamentale. Vous dites maintenant que si moi, en tant que victime d'un acte terroriste, je me lance dans une poursuite contre un État figurant sur la liste, mais qu'au bout d'un certain temps — c'est-à-dire au cours du déroulement normal du processus —, l'État en question est retiré de la liste, ma cause d'action est susceptible d'être nulle et non avenue, sans présumer de ce que pourrait dire un juge, si on se fie aux dispositions actuelles de cette mesure législative. Est-ce bien ce que vous venez de dire?
Mme Lévesque : Pour ce qui est du pays étranger, oui. Néanmoins, toute poursuite contre n'importe quel autre défendeur demeurerait valide, comme le prévoit le projet de loi.
Le président : Je trouve que c'est un virage à 180 degrés par rapport au point où nous étions la dernière fois. J'apprécie ce genre d'éclaircissements, car je veux que mes collègues soient pleinement informés des enjeux. Étant donné que nous réfléchissons aux amendements, je suis frappé de voir que — et je me rends compte que vous ne serez pas en mesure de nous conseiller là-dessus — l'une des propositions, si je comprends bien les questions de mes collègues, consisterait à resserrer cette condition, de façon à ce qu'une personne ne voie pas ses efforts réduits à néant parce qu'un pays, à cause de divers intérêts géopolitiques, est retiré de la liste. C'est-à-dire qu'un État peut être retiré de la liste pour une raison quelconque, même si les preuves retenues contre lui ab initio par les tribunaux sont significatives.
Inutile de vous prononcer là-dessus. Si nous ne voulons pas que pareille situation se produise, nous devons modifier le projet de loi en conséquence. Si nous refusons que quelqu'un perde son droit de poursuite à cause du retrait d'un État de la liste, nous devrons changer cette mesure législative, si je vous ai bien compris.
Mme Lévesque : Effectivement, si vous voulez la changer.
Le président : Je comprends.
Mme Lévesque : J'hésite à en parler, mais je crois comprendre qu'il y aurait des dispositions — je ne me rappelle pas très bien dans quelle loi, alors je ne sais pas si je vous aide beaucoup — indiquant que, pendant une certaine période, un certain gouvernement aurait été considéré fautif, par exemple entre 1939 et 1945, mais qu'ensuite, il ne l'aurait plus été.
Le président : Faites-vous allusion à un certain énoncé législatif au sujet de la limitation?
Mme Lévesque : Oui.
Le président : Je comprends. C'est pertinent.
Mme Lévesque : C'est peut-être quelque chose à envisager.
Le président : C'est très utile.
Le sénateur Jaffer souhaite poser une question.
Le sénateur Jaffer : Cela me préoccupait, mais maintenant, vous me voyez plus inquiète qu'avant. Pourriez-vous m'expliquer davantage — même si vous avez déjà donné des précisions à ce sujet — en quoi consiste le nouvel alinéa proposé au paragraphe 12.1 concernant l'aide accordée au créancier bénéficiaire du jugement?
Admettons qu'un État A se trouve sur la liste, puis qu'il soit retiré, et que nous ayons une décision de tribunal. Est- ce à dire que le Canada ne pourrait aider la victime?
Mme Lévesque : Je veux être sûre de bien comprendre votre question.
Le sénateur Jaffer : L'aide consiste à identifier les biens. C'est le ministre des Finances qui s'en chargerait. Il communiquerait avec différents ministères pour leur demander s'ils veulent bien lui fournir l'information voulue. Le paragraphe 12.1 dit que l'aide que le ministre des Finances serait susceptible d'accorder aux victimes pourrait être supprimée. Ai-je bien compris?
Mme Lévesque : J'ignore comment le gouvernement ou les ministres réagiraient. Toutefois, si je me fie au libellé du nouveau paragraphe 12.1 proposé, il faudrait avoir un jugement rendu contre un État étranger dans le cadre des procédures visées dans le nouveau paragraphe 6.1 proposé.
Et le nouveau paragraphe 6.1 proposé fait référence à un État étranger figurant sur la liste. Si l'État est retiré de cette liste, je doute que le ministre puisse faire grand-chose.
Le président : La question du sénateur Jaffer est très importante. On dit que si un citoyen a poursuivi un gouvernement étranger devant les tribunaux et que ces derniers ont rendu une décision en faveur du citoyen, les biens doivent être liquidés et donnés au citoyen lésé. Mais si le pays visé est retiré de la liste, le ministère des Finances et tous ceux qui, en vertu de cette mesure législative, auraient l'obligation d'aider le citoyen, seraient dégagés de cette obligation parce que le pays ne figurerait plus sur la liste, ce qui rendrait du même coup nul le jugement contre le pays en question. Il faut que ce soit bien clair, car c'est très important dans les circonstances.
Je crois qu'en répondant à la question du sénateur Jaffer, vous avez dit que l'accusation se ferait en vertu du nouveau paragraphe 12.1 proposé, et que le ministère des Finances agirait conformément aux dispositions du nouveau paragraphe 6.1 proposé. Selon ces dispositions, l'État visé doit figurer sur la liste. Si un jugement est rendu contre un pays donné et que celui-ci s'arrange, d'une manière ou d'une autre, pour ne plus être sur cette liste, le ministère des Finances ne sera plus dans l'obligation d'identifier les biens et d'aider le demandeur, simplement parce que la loi dit que si le pays n'est plus sur la liste, on ne peut plus chercher à localiser ses actifs.
Mme Lévesque : Cependant, la validité du jugement demeure.
Le président : Peut-être, sauf que la capacité du ministère des Finances d'agir de manière constructive pour aider le citoyen à appliquer la décision du tribunal est sapée, parce que le pays visé a été retiré de la liste, si je suis bien votre raisonnement.
Mme Lévesque : Oui; je crois que c'est probablement ce qui arriverait.
Le président : Je comprends.
Le sénateur Furey : Avez-vous dit que c'est ce qui arriverait ou que c'est ce que vous pensez qui arriverait, madame Lévesque?
Mme Lévesque : Je ne suis pas certaine. Je ne peux prédire l'avenir; je me fie au libellé et aux dispositions de la loi.
Le sénateur Furey : C'est votre opinion?
Mme Lévesque : Je n'essaie pas d'émettre un avis juridique, mais plutôt de vous aider à interpréter le projet de loi.
Le sénateur Furey : Comme l'a dit le président, il est très important que nous sachions ce que vous en pensez.
Mme Lévesque : Je suis ici pour vous aider à interpréter le projet de loi.
Le sénateur Tkachuk : Était-ce le but visé, lorsque le projet de loi a été rédigé?
Mme Lévesque : Eh bien, je ne vois pas très bien comment je pourrais exprimer l'intention du Parlement.
Le sénateur Tkachuk : Non, quel était le but de ceux qui ont rédigé le projet de loi? Était-ce celui-là?
Mme Lévesque : Quel est mon objectif personnel? Je n'en ai pas.
Le sénateur Tkachuk : Non, non. Vous faisiez partie du groupe venu accompagner le ministre la semaine dernière.
Mme Lévesque : C'est exact.
Le sénateur Tkachuk : Ce n'est pas une question qu'on n'aurait pas pu poser à ce moment-là aux trois personnes présentes, dont vous étiez, et au ministre. Quel était l'objectif visé avec cette mesure législative? Était-il de faire en sorte que si un pays est retiré de la liste, la personne qui a obtenu gain de cause devant un tribunal verra disparaître ses chances de retirer des bénéfices de la poursuite civile?
Mme Lévesque : Comme je l'ai dit précédemment, le jugement demeure valide.
Le sénateur Tkachuk : Je le sais.
Mme Lévesque : En examinant les dispositions du projet de loi, vous pouvez constater qu'on accorde beaucoup d'importance au rôle du ministre des Affaires étrangères dans le cas où l'aide pourrait être préjudiciable aux intérêts du Canada.
Le président : Je crois que la semaine dernière, nous avons dit, quand la même question a été abordée sous un angle légèrement différent, que si on présume qu'il existe une procédure négociée entre le Canada et le pays devant être retiré de la liste, et qu'on a connaissance de l'existence d'une décision favorable à un citoyen canadien, il est fort probable que les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères, notre ambassadeur dans le pays concerné ou même le ministre lui- même essaieront d'obtenir satisfaction auprès du pays à l'égard du jugement rendu, avant que ce dernier ne soit retiré de la liste dans le cadre d'une négociation globale, même si la loi, bien sûr, ne peut prévoir une chose pareille, par définition.
Mme Lévesque : Je crois que ce pourrait être quelque chose à considérer au moment de déterminer si un pays doit rester sur la liste ou pas.
Le sénateur Jaffer : Que ce soit clair, monsieur le président, la dernière fois, j'ai dit que si cette mesure législative devait aller de l'avant, nous devrions faire une observation indiquant que c'est ce à quoi nous nous attendons.
Le président : Bien sûr.
Le sénateur Dallaire : J'aimerais obtenir davantage de précisions au sujet de l'interprétation que pourraient faire les fonctionnaires et, au bout du compte, le ministre, dans le cas où on aurait une marge de manœuvre aussi grande. Même si je suis optimiste de nature, j'ai aussi été sous-ministre adjoint au gouvernement fédéral. Il serait tout à fait normal que le gouvernement se protège et ne s'engage pas au-delà du strict mandat que lui confère la loi. On peut faire preuve de bonne volonté, mais cela ne tiendrait pas la route quand on remonterait la voie hiérarchique jusqu'aux personnes qui décideraient si c'est faisable ou pas, pour toutes sortes de raisons. Je crois que c'est pour cela que vous avez dit que le libellé du projet de loi permet de laisser tomber l'affaire.
Mme Lévesque : Je pense que c'est une question de souplesse.
[Français]
Le sénateur Dallaire : Je vous félicite de votre optimisme.
[Traduction]
Le président : Je crois que nous sommes en train d'examiner, chers collègues, si je puis me permettre, la tension classique dans la conception et le façonnement des instruments gouvernementaux. Nous disons souvent que c'est bien dommage que le ministre ou les parlementaires n'aient pas bénéficié de plus de pouvoir discrétionnaire, et que ce n'était pas prévu ainsi dans la loi.
D'un autre côté, quand on essaie d'apporter des solutions et d'accorder une certaine souplesse, les gens demandent si ce n'est pas, d'une certaine manière, contradictoire avec l'objet de la loi. Je ne crois pas qu'il y ait de tentative délibérée d'atténuer les objectifs de la loi. Ce que l'on veut, c'est trouver un juste équilibre. Notre travail, comme membres de ce comité, consiste à exposer nos points de vue à mesure que le processus avance.
Madame Lévesque, je tiens à vous remercier d'être venue nous aider à mieux comprendre les tenants et les aboutissants.
Si quelqu'un veut proposer une motion d'ajournement, je l'accepterai.
Le sénateur Furey : J'en fais la proposition.
Le président : La séance est levée.
(La séance est levée.)