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Sous-comité des anciens combattants

 

Délibérations du Sous-comité des Anciens combattants

Fascicule 6 - Témoignages du 13 juin 2012


OTTAWA, le mercredi 13 juin 2012

Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 12 h 12, pour étudier les services et les prestations dispensés aux membres des Forces canadiennes; aux anciens combattants; aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada et leurs familles.

Le sénateur Donald Neil Plett (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, la séance est ouverte. Je suis le sénateur Don Plett, de la province du Manitoba, et vice-président du comité. Aujourd'hui, je remplace le président, le sénateur Dallaire. Je vous souhaite à tous la bienvenue au Sous-comité des anciens combattants, qui poursuit l'étude de la transition des anciens combattants vers la vie civile. Aujourd'hui, nous entendrons des représentants du ministère des Anciens Combattants, ACC. Ils nous parleront du Centre national pour traumatismes liés au stress opérationnel, de ses cliniques et des services qu'il offre aux anciens combattants.

Nous accueillons Raymond Lalonde, le directeur général du centre en question et David Ross, coordonnateur clinique national du Réseau national pour blessures liées au stress opérationnel.

Merci d'avoir accepté notre invitation. Je vous souhaite la bienvenue. Je sais que vous avez un exposé à faire. Ensuite, nous passerons à la période de questions. Je pense que nous débutons par M. Lalonde. Vous avez donc la parole. Encore une fois, bienvenue au comité.

[Français]

Raymond Lalonde, directeur général, Centre national pour traumatismes liés au stress opérationnel, Anciens Combattants Canada : Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion d'être ici aujourd'hui pour témoigner au sujet des services offerts aux anciens combattants et à leur famille dans les cliniques de traitement pour blessures liées au stress opérationnel.

Je suis très heureux d'avoir l'occasion de pouvoir partager l'accomplissement du travail fait au sein des cliniques du réseau.

[Traduction]

Le réseau est constitué de 8 cliniques indépendantes qui dispensent des services en santé mentale. Elles ont été créées par ACC, à la faveur d'une série de protocoles d'entente conclus avec des organismes provinciaux de soins de santé. Le réseau compte aussi 2 cliniques placées sous la direction du ministère. Neuf des 10 cliniques réparties dans tout le Canada sont des cliniques de consultation externe, tandis que la dixième est une clinique nationale de traitement en résidence.

[Français]

Le réseau des cliniques de traitement pour blessures liées au stress opérationnel fait partie d'un plus grand réseau dénommé le Réseau conjoint des cliniques. Il inclut les sept centres de soutien pour traumas de stress opérationnel exploités par le ministère de la Défense nationale qui offrent des services similaires à ceux offerts dans les cliniques d'Anciens combattants Canada.

En partenariat, Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale ont mis en place 17 installations à travers le pays fournissant des services spécialisés interdisciplinaires en santé mentale pour blessures psychologiques liées au stress opérationnel pour les membres des Forces armées canadiennes, des anciens combattants et leur famille. Ce partenariat s'étend également aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale canadienne souffrant de blessures de stress opérationnel.

Depuis l'ouverture de la première clinique d'ACC en 2001 à l'hôpital Sainte-Anne, jusqu'au 31 mars 2012, le Réseau des cliniques d'ACC a reçu 5374 références pour des évaluations et traitements. Il s'agit d'un élément clé du continuum de services offerts par Anciens Combattants Canada.

Aujourd'hui, il me fait plaisir de répondre à vos questions pour que vous puissiez en apprendre plus sur le fonctionnement des cliniques et leur contribution pour le bien-être des anciens combattants.

[Traduction]

Le vice-président : Merci. Monsieur Ross, avez-vous quelque chose à ajouter? Non? Merci beaucoup.

Dans les notes d'information, nous lisons que les proches peuvent participer au traitement et que les membres admissibles de la famille peuvent également recevoir des services. Qui serait membre admissible de la famille?

M. Lalonde : C'est tout membre de la famille d'un ancien combattant dont les soins contribueraient au traitement de l'ancien combattant. Ici, un processus d'admissibilité intervient; s'il faut s'occuper du membre de la famille pour augmenter l'efficacité du traitement de l'ancien combattant, cette personne a droit au traitement, d'après les politiques des Anciens Combattants. Dans le réseau de cliniques, 11 p. 100 de notre clientèle est constituée de membres de la famille. C'est une augmentation de 83 p. 100 par rapport à l'année précédente, parce que nous nous sommes appliqués à rendre les cliniques accueillantes pour la famille. Nous avons cherché par tous les moyens à annoncer que nous dispensions des services aux membres de la famille. Chaque fois qu'un ancien combattant vient se faire évaluer, le membre de la famille est invité à participer à l'évaluation. Nous faisons beaucoup de promotion. Nous avons examiné des moyens de sélection et les meilleures méthodes de traitement pour les familles. Nous tenons également compte des compétences du personnel des cliniques pour le soutien aux membres de la famille. Bien sûr, nous sommes spécialistes des traumatismes. Dans notre réseau de cliniques spécialisées dans les traumatismes liés au stress opérationnel, nous ne pouvons pas traiter toute la palette des besoins de la famille. Parfois, il convient davantage d'effectuer les évaluations et de collaborer avec les membres de la famille pour trouver un service dans la communauté. Par exemple, les problèmes vécus avec de jeunes adolescents peuvent être le mieux résolus dans une clinique qui se spécialise dans l'adolescence. Il y a donc un peu de tout.

Le vice-président : Merci. Avant le début de la réunion, nous bavardions. J'ai dit que mon travail pour le comité et le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense m'avait permis de constater que la communication est si souvent importante dans tout ce que nous faisons. Bien sûr, les bonnes nouvelles ne circulent pas nécessairement comme les mauvaises. Dans tout programme, nous entendons davantage parler des mauvais coups, peu importe le programme.

Que faites-vous, aux ACC, pour faire connaître les bons programmes que vous offrez et les réussites que vous obtenez plus que les quelques échecs ou lacunes occasionnels?

M. Lalonde : Bien sûr, aux ACC, nous insistons beaucoup sur la fourniture de renseignements aux anciens combattants, à la faveur de séminaires et d'autres manifestations. Les cliniques TSO, ma spécialité, ont notamment pour mandat de rejoindre la clientèle. Je cède la parole à M. Ross pour qu'il explique ce dont il s'agit.

David Ross, coordonnateur clinique national, Réseau national pour blessures liées au stress opérationnel, Anciens Combattants : Pour la clientèle à rejoindre, le réseau de cliniques est principalement désireux de s'acquitter de ses tâches, qui ne sont pas de répéter inutilement les services, mais de les compléter et de s'assurer que nous collaborons avec nos partenaires pour dispenser des services près du domicile. Cela comporte principalement des interventions différentes. D'abord s'annoncer auprès des gens et continuer à le faire pour faire un peu comme dans les médias. Après une opération de relations publiques qui sensibilise les gens à notre existence, nous nous faisons discrets. Il faut répéter périodiquement.

L'autre opération qui est vraiment des plus utiles, est la formation « juste à temps ». Cela consiste à s'assurer que lorsque l'un de nos anciens combattants éprouve un besoin particulier, nous avons déjà déterminé à quels collaborateurs faire appel et nous les avons déjà informés. Nous veillons à leur fournir l'appui dont ils ont besoin pour travailler avec nous en continu. Cela pourrait comporter une courte formation, mais parfois, un simple coup de fil suffit. Nous devons nous assurer qu'un contact humain a été établi et qu'il est maintenu.

Nous nous sommes principalement concentrés sur cette sorte d'interventions. Nous avons également utilisé d'autres stratégies, mais nous constatons que nous obtenons les meilleurs résultats auprès de la clientèle quand nous nous concentrons sur celles que je viens de décrire.

M. Lalonde : Je dirais que nous nous concentrons avant tout sur nos rapports avec les professionnels de la santé dans les communautés. C'est eux, y compris les généralistes et les services de santé, qui voient les premiers nos anciens combattants et les membres de leurs familles. C'est à cette jonction que les cliniques augmentent et fournissent leur soutien, mais elles fournissent aussi des connaissances sur les pratiques exemplaires et elles travaillent en collaboration. Je crois que c'est une façon de faire très efficace.

[Français]

Le sénateur Nolin : Bonjour à vous deux, et merci d'avoir accepté notre invitation. Depuis plusieurs séances, nous examinons toute la question des blessures occasionnées par le stress opérationnel. Cependant, on ne s'est peut-être jamais arrêté à définir ce type de blessure.

Dans un premier temps, j'aimerais essayer de cerner ce qu'est « une blessure occasionnée par le stress opérationnel » puisqu'on a souvent passé par dessus cette étape de l'analyse. Pourriez-vous nous expliquer, ainsi qu'aux Canadiens qui nous écoutent, en quoi cela consiste? Qu'est-ce qui cause ce type de blessure? Quelles en sont les manifestations?

Vous faites référence, entre autres, à la GRC. Comment un membre de la GRC peut être confronté à ce type de blessure? Chez les militaires, cela semble un peu plus évident, mais je me demande comment relier les membres de la GRC à ce type de blessure.

M. Lalonde : Je vais laisser la parole au Dr Ross, un clinicien, qui est mieux placé que moi pour vous donner ces détails.

[Traduction]

M. Ross : Je vais tenter de vous donner l'idée générale de cette définition, qui a été élaborée pour une raison, tenter de « déstigmatiser » les conséquences d'une participation à des opérations militaires ou policières. La notion de traumatisme lié au stress opérationnel regroupe toutes sortes de problèmes de santé mentale consécutifs à la participation à un service actif.

Dans ma profession, on le décrit comme une catégorie. En fait, c'est une catégorie qui comprend toute une gamme d'éventuels problèmes aux possibilités diverses. La pathologie révélatrice est le syndrome de stress post-traumatique que vous connaissez déjà, je crois.

Le sénateur Nolin : Oui, en effet, mais je tiens à vous donner la possibilité d'expliquer la gravité de la situation.

M. Ross : Parlez-vous des répercussions possibles?

Le sénateur Nolin : En réalité, c'est l'aspect médical qui m'intéresse.

M. Ross : D'accord.

Le sénateur Nolin : Ensuite, nous verrons les cliniques et le réseau de centres et de cliniques.

M. Ross : Le syndrome de stress post-traumatique se traduit par trois catégories de symptômes. Le premier est l'hyperstimulation, qui donne une impression de tension constante, qui rend nerveux, qui tend au maximum le ressort du système nerveux autonome. C'est comme si on vivait constamment dans une situation dangereuse où tout est question de vie ou de mort.

Les personnes touchées éprouvent également un sentiment d'être victimes d'intrusions. Il peut s'agir de phénomènes mémoriels ou cognitifs survenant pendant le rêve, mais, également, en tout temps. Ils peuvent être déclenchés par des perceptions qui évoquent les circonstances originelles, mais ils rappellent des expériences personnelles qui ne se distinguent pas de la réalité. Ainsi, pendant une visite au centre commercial, on sera projeté au Rwanda, dans une expérience multisensorielle qui n'a rien de simulé : on sent les odeurs, on entend les sons. On les ressent comme si on était physiquement présent et c'est énormément troublant.

Le dernier symptôme que l'on tend à observer est l'évitement. C'est un problème silencieux, mais capital, parce qu'il a tendance à détacher lentement la victime de tout ce qui a de l'importance. Le matin, nous nous levons parce que nous voulons vivre notre vie. Nous voulons connaître le plaisir, parler avec nos amis, avoir des relations intimes, travailler. Le syndrome de stress post-traumatique, par sa nature même, incite lentement la victime à se retirer, au point où elle cesse de travailler ou d'avoir des liens avec autrui.

Un de mes patients sort rarement de sa cuisine, parce qu'elle est complètement entourée de fenêtres. C'est le seul endroit où il se sent en sécurité. Il y dort depuis longtemps. Il ne travaille pas. L'année dernière, il s'est acheté une motocyclette neuve. Il ne peut pas l'utiliser. Cela donne une idée du handicap que cause le syndrome.

Le sénateur Nolin : Merci. Cela répond à ma question.

J'ai mentionné la GRC. Je pense que je peux comprendre la situation des militaires. Qu'en est-il des policiers? Pour eux, quelle sorte d'événement peut être le déclencheur?

M. Ross : C'est un phénomène que, en fait, nous apprenons de mieux en mieux à comprendre, depuis quelques années. Je ne veux pas simplifier à outrance, mais deux pistes peuvent conduire à cette situation. La première est le tableau que je viens de décrire, constitué d'événements discontinus ou d'une série d'événements discontinus qui sont atroces. Ils échappent au domaine normal de l'expérience humaine. Les policiers vivent régulièrement de telles expériences.

Ma sœur est agente de police. Il lui est arrivé souvent de devoir ramasser des parties du corps ou d'être la première sur la scène d'un accident, et cetera. Cependant, une autre piste qui conduit à cette situation équivaut à une lente accumulation, chaque jour, chaque mois, chaque année, de toutes ces expériences traumatiques. Pour de nombreuses raisons, la victime ne se sent pas capable d'en parler.

[Français]

Ça mijote, ça mijote, et cela a tendance à pourrir.

[Traduction]

C'est comme un abcès.

Il est juste de dire que pour beaucoup de personnes, il y a des limites à ce que l'on peut encaisser dans l'exercice de ses fonctions. Vient un moment où on ne peut plus en prendre. Malheureusement, c'est le résultat d'une lente évolution, donc difficile à discerner; mais elle se termine souvent par le même tableau : les intrusions, l'hyperstimulation, les troubles sexuels, le désengagement et le retrait.

Le sénateur Nolin : Est-ce que cela peut se manifester longtemps après l'événement?

M. Ross : Nous avons vu des exemples frappants d'une manifestation survenue longtemps après l'événement. Le service des anciens combattants des États-Unis l'a reconnu. Il n'insiste plus comme avant sur l'établissement d'une relation temporelle manifeste entre les événements traumatisants initiaux et l'apparition du traumatisme. L'expérience a montré qu'il n'y a pas nécessairement de relation dans ce cas-là.

[Français]

Le sénateur Nolin : Monsieur Lalonde, j'aurais une question concernant le Québec, le centre à Sainte-Anne-de- Bellevue. Le ministère s'est finalement entendu récemment avec les autorités provinciales pour effectuer le transfert. Pouvez-vous expliquer comment, malgré ce transfert, le centre de Sainte-Anne-de-Bellevue continuera-t-il à opérer le service, si ce service est offert dans ce centre?

M. Lalonde : Il y a deux éléments dont on doit tenir compte à l'Hôpital Sainte-Anne : il y a deux cliniques, une en externe et l'autre en résidence. Ces deux cliniques, d'après l'annonce, feront partie du transfert à la province au même titre que les huit autres cliniques, et seront gérées par les provinces avec entente avec le gouvernement fédéral, avec le ministère Anciens Combattants Canada. Pour ce qui est des employés du Centre national pour TSO, ils demeurent avec le ministère. Les cliniques sont déjà sous la responsabilité de l'hôpital, les services de soins infirmiers, les services professionnels et tout ce qui touche au rôle d'expertise, à celui de la gestion du réseau et au mien, qui concerne l'établissement de l'administration des ententes. Tout cela demeurera fédéral et ne sera pas touché par le transfert à la province.

Le sénateur Nolin : Cela peut devenir assez complexe pour tout le monde, parce qu'il y a des centres qui sont sous votre responsabilité au ministère, d'autres qui sont confiés aux provinces, d'autres qui relèvent d'un partenariat entre vous et le ministère de la Défense. Tout le monde n'a pas accès à un ordinateur pour être capable de voir les pages Web et de votre ministère et de celui de la Défense. Y a-t-il une façon simple d'informer les gens sur les services offerts, et où?

M. Lalonde : Il y a une façon simple. Pour les dix cliniques du ministère, j'ai la responsabilité du financement et de la gestion des ententes. Lorsque le transfert de l'Hôpital Sainte-Anne ira à la province, les dix cliniques deviendront toutes provinciales. Il n'y aura pas de différences au plan du statut des cliniques que le ministère des Anciens combattants finance.

Pour ce qui est des cliniques de la Défense, elles servent essentiellement aux militaires en service. Et à quelques endroits, on a un certain accès pour les anciens combattants, comme à Halifax et à Ottawa, à l'occasion. Mais pour l'ancien combattant, dans le fond, les dix cliniques sont accessibles. Elles sont sur notre site Internet. Toutes les coordonnées de chacune des cliniques provinciales y sont avec les contacts, et les références sont faites par les gestionnaires de cas du ministère. C'est donc assez facile.

Le sénateur Nolin : Cela peut le sembler pour vous, mais pour le commun des mortels ce n'est peut-être pas si évident.

[Traduction]

Le vice-président : Pouvez-vous m'expliquer ce qu'est la clinique d'hospitalisation? Est-ce typiquement un hôpital?

M. Lalonde : C'est une clinique de 10 lits. Ce n'est pas, en soi, un hôpital. Dans notre jargon, c'est une clinique de traitement en résidence. Elle fait partie de l'hôpital de Sainte-Anne et elle sera confiée à la province. Son rôle est double : d'abord stabiliser les clients dont on doit ajuster la médication, par exemple sous surveillance ininterrompue, pendant une certaine période, puis diminuer les symptômes du syndrome de stress post-traumatique; ensuite, appliquer un programme de huit semaines qui se fonde sur les capacités des anciens combattants qui y participent pour s'instruire sur le syndrome et les TSO. On y organise beaucoup d'activités de groupe et on y travaille sur, entre autres choses, la gestion de la douleur chronique et celle de la colère. C'est un programme intensif d'une durée moyenne de huit semaines, comportant deux parties : stabilisation et psychoéducation ainsi que réadaptation. La durée moyenne d'hospitalisation est 10 à 11 semaines.

Le vice-président : Merci de l'explication.

Le sénateur Day : J'ai suivi l'explication de M. Lalonde sur les diverses cliniques. Beaucoup d'appellations semblent désigner des réseaux. Huit plus 2 appartiennent aux Anciens Combattants et 7 autres à la Défense nationale, ce qui fait un total de 17 réseaux. Monsieur Lalonde, je crois que vous avez un rôle de coordination entre le personnel en service qui serait traité dans les cliniques de la Défense nationale, à la retraite ou au départ des forces armées, pour quelque raison que ce soit. Est-ce que la transition se fait en douceur vers une clinique différente? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Lalonde : La transition de la vie militaire à la vie civile s'étale sur deux à trois années. Dans la plupart de nos cliniques, nous voyons les militaires avant leur libération. En fait, 17 p. 100 de nos clients servent toujours dans les Forces canadiennes, pour faciliter la transition.

Au Manitoba, les Forces canadiennes ne possèdent pas de Centre de soutien pour trauma et stress opérationnels, ce qui fait que notre clinique de Winnipeg voit probablement la moitié de ses clients quand ils sont encore en service actif. Nous collaborons de cette manière avec les Forces canadiennes. Dans beaucoup de cliniques, dès que l'on s'achemine vers la libération, souvent au cours des six derniers mois, peut-être plus, cependant, on a déjà été transféré à la clinique des Anciens Combattants. Cela facilite la transition.

Le sénateur Day : Je suis ravi de l'entendre. Monsieur Ross, j'aimerais partir dans une autre veine pour parler davantage des symptômes, et il est possible que ce n'en soit pas un. Je ne sais pas comment vous qualifieriez les conséquences de pareille blessure. Quelles seront les conséquences si cette personne ne stabilise pas son état? Que voyez-vous?

M. Ross : C'est une excellente question. Le moment auquel les symptômes sont décelés change la donne. Plus nous les décelons tôt, plus le traitement sera efficace et vice-versa. Plus l'on retarde, plus l'on remarque une tendance marquée à l'évitement. Vous remarquez que le patient continue à être sujet à des intrusions et à de l'hypervigilance, qui peuvent empirer car une personne peut devenir très isolée. Nous ne nous en sortons pas bien en isolement puisque nous sommes des êtres sociaux. Plus nous sommes coupés des autres, plus nous avons tendance à broyer du noir; et cela ne peut qu'aggraver ce type de problème.

Les symptômes de la personne augmentent ainsi que sa détresse. Tout le monde est intégré au réseau de soutien, et il y a des limites à ce qu'ils peuvent supporter. Au fur et à mesure que ce fardeau s'alourdit, on décèle des failles dans le réseau. Quel que soit l'amour qu'ils portent à l'ancien combattant, les membres de la famille ont eux aussi leurs limites et ils peuvent finir par se sentir écrasés et présenter eux-mêmes des symptômes.

Encore une fois, ces symptômes ne s'appliquent pas seulement aux troubles de stress post-traumatique. Ils sont communs à tous les troubles de santé mentale chroniques. Ce n'est pas le genre de problème qui disparaît de lui-même; il peut s'aggraver s'il n'est pas traité. Le patient finit par s'isoler encore davantage, par être encore plus en détresse et par avoir encore plus de difficulté à fonctionner au travail, manifestement, car il ne travaillera pas dans ces conditions. Malheureusement, il est possible qu'ils aient tendance à prendre des mesures extrêmes pour s'isoler. Ils peuvent s'éloigner de plus en plus des centres urbains, ce qui peut faire en sorte qu'il nous soit difficile de les rejoindre, car nous avons un nombre limité de cliniques et de ressources.

Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Day : Oui, et j'en ai une autre. Il y a un certain temps, l'ombudsman des vétérans nous a parlé d'un certain nombre de militaires à la retraite qui étaient à la rue, et cela illustre peut-être l'isolement dont vous parliez. Il y a des installations à leur disposition, mais ils ne veulent pas y aller pour une raison ou une autre.

M. Ross : Vous pouvez prendre cela comme un extrême, mais très visible et mémorable. Je veux aussi attirer votre attention sur les gens qui se trouvent dans une zone grise. Ils ne travaillent plus, mais ils pourraient le faire. Ils ne socialisent plus, mais ils veulent le faire. D'une certaine façon, c'est comme une mort à petit feu. Encore une fois, vous trouvez des personnes à tous les stades du continuum, et vous en verrez plus qui s'approchent de la norme et moins qui se retrouvent en situation extrême. Si vous voyez des sans-abri, songez qu'il y a beaucoup d'autres personnes qui ont des besoins très légitimes et qui sont un peu moins visibles.

Le sénateur Day : Dans ce continuum, y a-t-il un point où nous commençons à voir plus de suicides, de toxicomanie et autres conséquences regrettables?

M. Ross : Vous verrez une progression allant de l'abus d'alcool ou d'autres drogues à la toxicomanie si le patient attend trop pour recevoir des traitements. C'est un lien fonctionnel qui a été prouvé à plusieurs reprises dans le cas des troubles de stress post-traumatique; il est très important de comprendre que ces deux facteurs ont tendance à s'aggraver l'un l'autre.

Il est important que nous nous assurions de garder l'œil sur l'objectif et de ne pas isoler les éléments. Certaines de ces conditions sont interdépendantes du point de vue fonctionnel, et si vous les décelez et prenez rapidement les mesures qui s'imposent, vous vous évitez bien des désagréments. Nombre de travaux de recherche ont porté sur les trajectoires de vie de ces conditions. En intervenant rapidement, vous pouvez les écourter de 10 ans avec tous les avantages que cela suppose non seulement pour les anciens combattants, mais aussi pour leurs familles.

Le sénateur Day : Si vous pouvez montrer qu'il existe un lien clinique pareil, alors il y aurait plus de problèmes de toxicomanie si quelqu'un était...

M. Ross : Cela vous y prédispose.

Le sénateur Day : Vous examinez une chose et l'autre s'y trouve probablement.

M. Ross : Disons que je suis isolé, que j'ai des flash-back, que j'ai constamment l'impression d'avoir les doigts coincés dans une prise de courant, que je scrute mon environnement, que je vérifie les serrures et les portes, que j'ai toujours le sentiment de courir un danger, et que je sais qu'avec quelques gorgées d'alcool, ces symptômes disparaîtront d'un seul coup, que croyez- vous qu'il arrivera?

Encore une fois, je ne veux pas vous donner de mauvaise impression, car c'est réellement un cadeau empoisonné. L'alcool finit par aggraver les choses et rend le problème plus chronique et difficile à traiter. Je ne le présente pas comme une solution, mais si c'est tout ce que vous avez, et quand la vie est ainsi...

[Français]

Le sénateur Nolin : Je ne peux m'empêcher de mettre les forces policières qui sont confrontées à des individus qui peuvent, de toute évidence, ne pas avoir une attitude « normale » dans le mélange. Cela prend un policier qui est informé de ces manifestations pour être capable de prendre l'individu et de vous l'amener ou de l'amener à un des centres.

Est-ce qu'on peut présumer que ce n'est pas toujours le cas et que les policiers doivent interagir avec vos bénéficiaires? Comment cela fonctionne-t-il?

M. Lalonde : On ne pourrait pas donner une bonne appréciation du travail fait au niveau de la formation des forces policières.

Le sénateur Nolin : C'était une de mes sous-questions. Est-ce que vous interagissez à ce niveau?

M. Lalonde : Actuellement, nous n'avons pas de formation offerte au sein des forces policières. Et ce n'est pas spécifique aux anciens combattants. Ils ont à traiter de façon régulière avec des personnes qui ont des problèmes de santé mentale très différents. Cela peut être le syndrome de stress post-traumatique ou un problème de personnalité. Ils doivent avoir une formation, mais on n'a pas d'interaction avec les corps policiers pour les former.

Le sénateur Nolin : Le Sénat a produit un très long rapport sur la santé mentale il y a quelques années. Et toute cette question de l'interaction entre le personnel de la santé et le personnel de maintien de l'ordre est critique. De toute évidence, on n'a pas franchi ce degré d'amélioration. On devrait peut-être y réfléchir, en parler dans nos conclusions.

[Traduction]

Le président adjoint : Dans quelle mesure est-ce encore considéré comme une tare de demander de l'aide? Ils sont orgueilleux; ce n'est pas le genre de choses dont ils veulent parler. Ils boivent au lieu de consulter, ou ils gardent tout pour eux, ils se défoulent sur leur famille, et cetera.

M. Lalonde : On a fait bien du travail au sein des Forces canadiennes et cela a eu un effet de ruissellement sur les anciens combattants, s'agissant du traumatisme qui y est associé. Le dirigeant des Forces canadiennes, le CEMD, a fait valoir la responsabilité qu'ont les militaires de s'occuper de la santé mentale de leurs pairs.

C'est difficile pour nous, parmi les anciens combattants, d'évaluer l'ampleur de leur traumatisme, mais nous le voyons toujours, même si nous croyons qu'il est moins important qu'il était. Dans certains cas, nous voyons que des anciens combattants refusent de demander de l'aide. Nous offrons des services, notamment par le truchement de télésanté, aux anciens combattants qui vivent en région éloignée. Certains d'entre eux ne veulent pas être traités dans leur collectivité; ils préfèrent aller ailleurs pour que personne ne sache qu'ils consultent un spécialiste de la santé mentale. C'est une réalité. Voilà pourquoi nos services doivent être accessibles de différentes façons. Nous avons nos cliniques, nous nous rendons en région éloignée, et nous offrons des services par le biais de télésanté. Certaines cliniques ont commencé à afficher des témoignages. Par exemple, à Ottawa, l'Hôpital Royal Ottawa a collaboré avec la Défense nationale pour afficher des vidéos afin d'aider les membres de la famille à comprendre l'incidence qu'un traumatisme lié au stress opérationnel a sur eux. Toutes ces choses sont utiles.

M. Ross : J'aimerais souligner que lorsque nous parlons de traumatismes, nous devons vraiment penser à deux groupes. Il y a les nouveaux anciens combattants, qui sont plus jeunes, et je suis tout à fait d'accord avec M. Lalonde. Nous continuons aussi à voir des anciens combattants qui ont servi dans l'armée bien avant le début de cette vague et qui ont toujours la mentalité qu'il faut « serrer les dents et assumer ».

Je ne veux pas brouiller les faits ou faire comme s'il s'agissait d'un groupe homogène, car ce n'est pas le cas. Il y a deux types de cas distincts, et avec les anciens combattants âgés, j'ai bien peur que le traumatisme soit toujours bien présent. C'est toujours très difficile à traiter, car cela fait 15 ans qu'on leur répète d'« assumer ».

Je ne veux absolument pas laisser entendre qu'il s'agit d'une question de caractère; c'est ainsi qu'ils ont été entraînés et cela leur a été utile. Cependant, ils n'ont pas eu de suivi, alors ils ont tendance à suivre les mêmes trajectoires.

Le président adjoint : Je vous remercie beaucoup de cette réponse.

Lorsque nous aurons terminé notre étude, nous avons l'intention de rédiger un rapport. Selon vous, quelles recommandations devrions-nous y intégrer? Si vous aviez une, deux ou trois recommandations à formuler, quelles seraient-elles?

M. Lalonde : Je ne voudrais pas me mettre à votre place et vous dire quoi écrire. Cependant, je crois que nous devons poursuivre nos efforts en vue d'assurer la communication, la sensibilisation et la collaboration avec les professionnels de la santé. C'est quelque chose que nous faisons avec les cliniques et que nous devrions probablement faire davantage.

Comme le disait M. Ross, il y a bien des anciens combattants qui ne consultent pas. Cependant, s'ils entendent dire qu'un pair qui a vécu la même chose, qui était dans la même unité — qui est passé par là — a souffert, est allé à la clinique et a pris du mieux, ils viendront; ils seront plus enclins à venir consulter eux aussi. La communication est très importante.

Une autre chose que nous faisons dans le contexte du réseau des cliniques de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel, c'est de promouvoir la pratique axée sur des données probantes. Bien des travaux de recherche sont menés sur la façon de traiter des clients qui ont des troubles de la santé mentale et des blessures liées au stress opérationnel, et nous travaillons d'arrache-pied dans notre réseau pour en faire la promotion afin de veiller à ce que nos cliniciens soient bien formés.

Nous tentons d'échanger ces informations avec les intervenants en matière de santé dans les collectivités, car même si la recherche révèle que certains traitements donnent de meilleurs résultats, ils ne sont pas toujours utilisés. L'une des mesures que nous avons prises dernièrement a été de travailler avec l'Université Ryerson, qui a demandé une subvention des IRSC, les Instituts de recherche en santé du Canada. Ils ont obtenu un montant appréciable, alors nous avons formé 140 cliniciens. Une quarantaine d'entre eux venaient de nos réseaux, un certain nombre venaient du MDN et les autres étaient des cliniciens privés, pour la plupart des psychologues, dans les collectivités. Nous les avons formés à l'une des pratiques fondées sur des données probantes.

Nous menons des travaux de recherche sur la meilleure façon de faire de la supervision clinique après la formation non seulement pour s'assurer que la formation a été bien comprise, mais aussi qu'elle est appliquée au traitement. C'est aussi une option, qui aide les professionnels de la santé dans la collectivité à acquérir les connaissances et les compétences nécessaires.

La communication et le type d'approches — je crois qu'il serait bon que nous continuions dans cette voie.

[Français]

Le sénateur Nolin : Nous allons produire un rapport. On pense faire des recommandations sur la qualité de la coopération qui existe entre vous, votre service, le reste du ministère des Anciens combattants et le ministère de la Défense nationale. À moins que vous disiez : « Ne touchez à rien, tout va bien, on n'a pas besoin d'ajuster rien, les violons sont bien accordés et la musique est belle ». On doute que ce soit le cas.

Quels sont les domaines dans lesquels il devrait y avoir une amélioration de la coopération entre vous, votre service, le reste de votre ministère et le ministère de la Défense nationale? Cela complète un peu la question du vice-président.

M. Lalonde : C'est certain que le Réseau conjoint des cliniques a été amorcé il y a dix ans. On est parti d'une clinique à l'hôpital Sainte-Anne, et en 2007, on a obtenu du financement pour passer de cinq à dix cliniques. Le nombre de références que nous recevons de la part des bureaux des gestionnaires de cas du ministère...

Le sénateur Nolin : Quand vous dites le ministère...

M. Lalonde : Je parle du ministère des Anciens combattants et des agents de pension qui évaluent une demande d'invalidité. Cela a augmenté de façon graduelle. Je pense que la communication se fait de mieux en mieux. Je peux vous donner un exemple. L'année passée, nous avons servi, dans nos cliniques, 36 p. 100 de plus de clients, de vétérans et de membres de la famille que l'année précédente, et l'année précédente, c'était 28 p. 100. Donc le roulement est commencé.

C'est certain qu'on veut améliorer notre accès dans différentes parties du pays. On peut comprendre, avec la grandeur d'un pays comme le Canada, qu'avec dix ou neuf cliniques externes, on ne peut pas être partout. Comment peut-on, par différentes méthodes, être plus près des anciens combattants? Il y a des gens qui vont voyager dans telle ou telle ville pour offrir des services; il y a des cliniques qui ont des gens positionnés dans certains endroits plus éloignés. Ils travaillent en collaboration avec la grande équipe, mais plus près des anciens combattants.

Le sénateur Nolin : Donc il y a plus de ressources?

M. Lalonde : Le nombre de ressources, on l'ajuste en fonction des besoins, étant donné que c'est un bénéfice statutaire auquel les anciens combattants ont droit. Au fur et à mesure, on a ajusté le niveau de ressources pour faire face à la demande croissante, et on va continuer à le faire dans le futur.

Le sénateur Nolin : Avec la Défense nationale?

M. Lalonde : Avec la Défense nationale, il y a deux volets. Il y a l'interface entre les gens qui sont en libération, et également tout l'aspect de développement des compétences. Les gens de la défense ont participé en grand nombre à la formation qu'on a eue avec l'Université Ryerson. On travaille de façon étroite avec la défense au nouvel institut pour la recherche sur la santé des militaires et des anciens combattants, à Kingston.

Pour les cliniques, cela fonctionne bien. On a des approches interdisciplinaires similaires et on a tous les deux l'intention d'avoir des pratiques fondées sur l'évidence. Dans le fond, il s'agit de maintenir la formation, de se mettre à jour sur les connaissances et de regarder les projets de recherche qui vont nous permettre de mieux saisir les enjeux.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Monsieur Ross, comment pourrions-nous nous y prendre pour mieux le faire?

M. Ross : Je dirais que la façon la plus rapide d'obtenir de meilleurs résultats serait d'appliquer les principes de la pratique fondée sur des données probantes. Cela a été le plus grand défi, non seulement dans notre réseau, mais dans tous les autres. C'est drôle, car quand nous y songeons, nous avons tendance à penser à diffuser différentes techniques de traitement. Nous l'avons fait; nous avons axé nos efforts sur des pratiques fondées sur des données probantes. Cependant, ce que l'on n'a pas fait au Canada, mais un peu plus aux États-Unis, a été de mettre l'accent sur la surveillance et la gestion de nos résultats.

Le sénateur Nolin : Évaluer les résultats?

M. Ross : Pas seulement cela, mais utiliser les systèmes à disposition pour faire une évaluation très rapide et donner une rétroaction instantanée au clinicien et au client avant le début de la séance pour qu'ils sachent s'ils sont ou non sur la bonne voie. Ces systèmes vous permettent d'obtenir les meilleurs résultats avec les personnes les plus vulnérables.

Nous venons justement de passer trois ans à élaborer ce type de système et nous sommes sur le point de le mettre en œuvre à l'échelle nationale. C'est la première fois qu'on l'utilise à ce niveau au Canada. Cependant, il est important de former votre personnel à surveiller et à gérer les résultats. C'est aussi un effort très concerté. L'évaluation se fait très rapidement; vous obtenez immédiatement une feuille imprimée et vous demandez au client si l'évaluation a du sens. Lorsque vous faites cela, vous constatez que le taux de décrochage, de départs prématurés et de détérioration des plus vulnérables descend en flèche. C'est le type de stratégie qui vous permet de réaliser des gains importants. Je crois que là est la question. Il ne suffit pas de savoir si nous pouvons avoir un impact, mais plutôt de savoir comment faire pour que notre investissement rapporte le plus. Nos ressources sont limitées et elles le seront toujours.

Le sénateur Nolin : De quoi avez-vous besoin pour y arriver — de plus de ressources?

M. Ross : Nous avons des ressources pour ce projet, fort heureusement. C'est ce que nous faisons depuis quelques années.

Il sera prêt très bientôt. Il nous permettra de donner une réponse claire concernant nos résultats et la façon dont nos gens réagissent. Il porte aussi sur les questions de perception et de communication, car ensuite, nous ne dirons plus : « Eh bien, nous pensons bien nous en tirer », mais plutôt : « Eh bien, en fait, je peux vous dire combien de temps cela prend », et nous pouvons voir ce que nous ne faisons pas très bien, nous pouvons apprendre de nos expériences, et nous pouvons vraiment aller de l'avant.

Le sénateur Day : J'ai pensé que les blessures liées au stress opérationnel sont très probablement causées par un incident important. Cependant, avez-vous conclu qu'il se forme au fil du temps à partir d'un certain nombre d'incidents?

M. Ross : La question qu'on nous a posée plus tôt au sujet des policiers, c'est le cas typique. Encore une fois, je ne veux pas simplifier à l'extrême, car il leur arrive de voir des choses assez horribles, et un seul incident suffit. Cependant, notre recherche nous a montré que c'est l'exposition cumulative à ces incidents qui accroît la probabilité de se retrouver avec ce problème.

La réalité est que, là-bas, vous vous retrouvez à cheval sur deux mondes, plus vous êtes exposés à ces incidents. J'ai entendu dire à tellement d'occasions que c'était la fois de trop — l'accident de voiture de trop, l'agression de trop. Il arrive parfois qu'un seul incident suffise, mais dans d'autres cas, non.

Le sénateur Day : Je présume que cela pourrait commencer pendant le service dans les forces armées, mais qu'il survient ensuite un incident dans la vie civile qui sert d'élément déclencheur?

M. Ross : Effectivement.

Le sénateur Day : C'est intéressant.

Est-ce que ce sont toujours le MDN et Anciens Combattants qui mènent le bal en ce qui concerne la recherche clinique au Canada ou constatez-vous que des entités civiles prennent maintenant les devants?

M. Lalonde : L'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans compte 20 universités affiliées. Il s'agit d'une collaboration entre les universités, les principaux chercheurs, le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada. Ils ont tenu leur deuxième forum en novembre dernier et ils en tiendront un troisième cette année à Kingston.

Le sénateur Day : Diriez-vous que le Canada est un chef de file dans ce domaine de recherche?

M. Lalonde : Il est difficile de nous comparer à nos voisins du Sud, qui ont 30 millions d'anciens combattants et des budgets énormes. Nous sommes bien placés pour ce qui est de collaborer avec les principaux chefs de file, à l'échelle internationale, s'agissant des questions relatives aux anciens combattants.

Nous avons, par exemple, le Forum international des aînés. Nous sommes en contact avec les Australiens avec lesquels nous examinons les indicateurs de résultats et la formation. C'est un milieu où règne la collaboration. Tous les pays sont disposés à partager leurs connaissances et outils pour collaborer au plan de la recherche. Ce n'est pas comme si nous étions seuls et tentions d'être les meilleurs; nous collaborons avec des gens qui ont parfois plus de ressources et d'expérience que nous.

Le sénateur Day : Vous parlez à la fois du côté civil et du côté militaire?

M. Lalonde : Oui.

Le président adjoint : Monsieur Ross, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Ross : Oui. Une des leçons que nous avons apprises au cours des 30 dernières années dans le domaine de la santé mentale est que nous travaillons ensemble, ou nous travaillons chacun de notre côté. En réalité, nous avons des partenaires internationaux qui composent avec des problèmes semblables. Eux aussi ont des budgets limités, mais ils ont des chercheurs très brillants.

Je suis allé en Australie l'an dernier et j'ai passé trois mois à l'Australian Centre for Posttraumatic Mental Health. J'ai consulté le ministère australien des Anciens Combattants, précisément pour voir comment nous pourrions collaborer. Je vais chaque année à la conférence internationale de l'ISTSS, c'est-à-dire l'International Society for Traumatic Stress Studies. Nous formons des groupes internationaux pour pouvoir partager nos ressources et concentrer nos efforts en vue d'éviter les chevauchements et d'être aussi harmonisés que nous le pouvons afin d'obtenir les meilleurs résultats possible dans les plus brefs délais. C'est vraiment une question de collaboration.

Le sénateur Day : Le nom de la collaboration internationale figurera dans le compte rendu. Y a-t-il d'autres conseils que vous pourriez nous donner pour nous aider à élever cette question au-dessus de l'échange de renseignements à l'échelle internationale?

M. Ross : Cela peut sembler banal, mais je crois qu'il faut penser dans une optique internationale et agir localement. Lorsque j'ai rendu visite aux Américains et aux Australiens, j'ai été frappé par la quantité de chevauchements et aussi l'ampleur de la bonne volonté, la générosité de ces gens, et leur empressement réel à travailler avec nous et à mettre en commun leurs ressources. Je vous suggère humblement de mettre l'accent sur ce point, comme une façon plus rapide d'arriver à nos fins, si vous voulez.

[Français]

Le sénateur Day : Voulez-vous ajouter quelque chose, M. Lalonde?

M. Lalonde : Je pense que les propos du Dr Ross viennent à point. Nous avons une opportunité de collaboration; il faut en profiter et travailler en collaboration avec nos collègues sur des projets précis afin de mettre en place des projets de collaboration de recherche et d'échange de renseignements.

[Traduction]

Le sénateur Nolin : Monsieur Ross, j'hésite à vous poser cette question parce que je ne veux pas avoir l'air bête. Cependant, pour ce qui est de la détection et de la prévention, est-ce qu'on vous demande de rédiger un genre de manuel sur la façon de déceler le problème?

M. Ross : De déceler?

Le sénateur Nolin : À l'avance, très à l'avance.

M. Ross : Non.

Le sénateur Nolin : Est-ce possible, au départ?

M. Ross : Oui. En fait, c'est difficile. On mène beaucoup de recherches sur les facteurs qui prédisposent les personnes à développer ces troubles. J'aurais à parler de stades naissant et émergent. Serait-il possible de fonder un programme clinique sur cela? Pas au point où nous en sommes, non. Je veux rester dans ma propre sphère de connaissances, car à ACC, par définition, lorsque nous entrons en jeu, la détection n'est pas un défi.

Le sénateur Nolin : Voilà pourquoi je pose la question. Je n'étais pas sûr de pouvoir le faire, mais c'est vous l'expert.

[Français]

M. Lalonde : Comme le disait Dr Ross, de la recherche est effectuée dans ce domaine, mais pas suffisamment pour tirer des conclusions qui permettraient de mettre en place des outils précis de détection des militaires qui pourraient développer un symptôme.

Le sénateur Nolin : Ou encore au moment du recrutement.

M. Lalonde : Peut-être aurez-vous ou avez-vous eu l'occasion d'entendre des représentant des Forces armées canadiennes; ils seraient mieux placés que nous pour répondre à cette question.

Le sénateur Nolin : Merci.

[Traduction]

Le président adjoint : Messieurs, au nom des membres de notre comité, je vous remercie beaucoup d'être venus aujourd'hui. Vous nous avez fourni bien des renseignements utiles et nous vous en sommes reconnaissants. Nous nous réjouissons à la perspective d'intégrer dans notre rapport une grande partie de ce que vous nous avez dit aujourd'hui. Nous vous encourageons à continuer le merveilleux travail que vous faites au nom de nos anciens combattants et, en fait, de notre pays.

Sur ce, je déclare que la séance est levée.

(La séance est levée.)


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