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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule no 22 - Témoignages du 2 décembre 2014


OTTAWA, le mardi 2 décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 17 h 5, pour poursuivre son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur le témoin, soyez les bienvenus à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Je suis président de ce comité. Pour commencer, je vais demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Merchant : Rebonjour, mon voisin du Manitoba. Je suis Pana Merchant, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonjour, je m'appelle Jean-Guy Dagenais, sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l'Ontario.

[Français]

Le sénateur Rivard : Bonsoir, je m'appelle Michel Rivard, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Unger : Betty Unger, de l'Alberta.

Le sénateur Lang : Dan Lang, du Yukon.

Le sénateur Ogilvie : Kelvin Ogilvie, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci. Je remercie notre témoin d'avoir accepté notre invitation à comparaître et à nous faire part de son point de vue, de ses idées et de ses recommandations relativement à l'objet du mandat que le Sénat nous a confié.

Le comité va poursuivre son étude sur les priorités du secteur agricole et agroalimentaire canadien en matière d'accès aux marchés internationaux.

[Français]

Le secteur agricole et agroalimentaire canadien joue un rôle important dans l'économie canadienne. En 2012, un travailleur sur huit au pays, représentant plus de 2,1 millions de personnes, était employé dans ce secteur.

[Traduction]

En outre, le secteur représente 6,7 p. 100 du produit intérieur brut du Canada.

À l'échelle internationale, le secteur agricole et agroalimentaire canadien a compté pour 3,6 p. 100 des exportations de produits agroalimentaires en 2012. La même année, le Canada se classait au cinquième rang mondial des exportateurs de produits agroalimentaires.

Ce soir, le comité a l'honneur de recevoir un représentant de Pulse Canada, M. Gord Kurbis, directeur, Accès aux marchés et politique commerciale. M. Kurbis, je vous inviterais maintenant à commencer votre exposé. Une fois l'exposé terminé, il y aura une période de questions à l'intention des sénateurs. Merci beaucoup. La parole est à vous.

Gord Kurbis, directeur, Accès aux marchés et politique commerciale, Pulse Canada : Mesdames et messieurs, merci beaucoup. Merci d'avoir invité Pulse Canada à faire cette présentation.

Le président du conseil d'administration de notre organisation, Nick Sekulic, vous présente ses excuses pour son absence. Nous étions censés faire cette présentation ensemble, mais il a dû rester en Alberta pour régler une affaire importante à sa ferme de Rycroft.

Comme nombre d'entre vous le savent, Pulse Canada est une association industrielle nationale financée par des agriculteurs qui produisent des lentilles, des pois, des fèves.et des pois chiches partout au Canada. La taxe prélevée auprès des organisations provinciales de légumineuses à grain, de pair avec le financement des transformateurs et exportateurs de légumineuses à grain, permet aux agriculteurs et à l'industrie de travailler de concert sous les auspices de Pulse Canada. Pulse Canada est depuis toujours un fervent partisan du commerce bilatéral et multilatéral. Étant sur un pied d'égalité avec d'autres nations exportatrices, le Canada est devenu le plus grand exportateur de légumineuses à grain au monde, et nous faisons régulièrement commerce avec près de 160 pays partout dans le monde.

Pulse Canada s'est aussi fait le défenseur des politiques et des processus réglementaires qui facilitent le commerce au Canada et à l'échelle internationale. J'aimerais utiliser le temps qui m'est accordé pour discuter d'un de ces enjeux stratégiques.

Les produits de protection des récoltes comme les fongicides et les herbicides protègent les récoltes contre les mauvaises herbes et les maladies qui en réduisent le rendement. Ces technologies de rendement sont essentielles à la production, sur les terres actuelles, de suffisamment d'aliments pour le monde entier; elles font partie de l'intensification durable de la production d'aliments.

Seuls les agriculteurs ont accès aux produits de protection des cultures, après une évaluation approfondie de ces produits d'un point de vue de la santé humaine et de la santé de l'environnement. Une LMR, soit une limite maximale des résidus, est attribuée à chaque produit de protection des cultures. Par définition, la LMR est la concentration maximale d'un résidu qui peut être détectée sur la culture lors de la récolte, et elle constitue un indicateur de l'utilisation adéquate du produit. Fait important pour les consommateurs, la LMR est un indicateur qui montre également que le produit alimentaire se situe bien en deçà du niveau de risque pour la santé et la sécurité de l'environnement. C'est un système scientifique d'évaluation des risques qui est tout aussi important pour les agriculteurs que pour le système pharmaceutique et le système de soins de santé. L'efficacité et la sécurité sont toutes deux les pierres angulaires du renforcement de la confiance du public à l'égard des systèmes alimentaires, tout comme elles le sont pour le système de soins de santé.

Les agriculteurs et l'industrie canadienne doivent être au fait de la LMR établie par les organismes de réglementation du Canada et de la LMR mise en place dans la destination d'exportation des cultures canadiennes. Le processus utilisé pour établir la LMR et le moment auquel une LMR est établie ont tous deux une grande importance.

Dans un système alimentaire mondial, il y a certes lieu de croire en la pertinence d'un organisme mondial d'établissement de normes efficace. La Commission du Codex Alimentarius a été créée par l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture — qui sont toutes deux des organisations des Nations Unies — afin de permettre l'élaboration de normes en matière d'innocuité des aliments. Cette commission est chargée d'établir des LMR pour les produits alimentaires.

Le défi auxquels les agriculteurs et l'industrie canadienne sont confrontés est que ni le processus d'établissement de LMR ni le moment de leur établissement ne sont synchronisés entre les organismes de réglementation comme la Commission du Codex Alimentarius, à l'échelle internationale, et les groupes nationaux et régionaux tels que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, l'ARLA, ici au Canada, l'Environmental Protection Agency, aux États-Unis, ou l'European Food Safety Administration, en Europe. Plutôt que de voir une harmonisation plus solide à l'échelle internationale, nous voyons davantage d'approches nationales à l'égard de l'innocuité des aliments, certains pays allant même jusqu'à mettre le Codex de côté pour établir leur propre système national.

Le problème sur le plan du commerce, qui n'est d'ailleurs pas étranger au secteur des légumineuses à grain, c'est qu'un produit peut être mis à l'essai et enregistré pour usage dans la croissance d'une culture dans le pays exportateur avant d'être jugé acceptable par l'organisme de réglementation du pays importateur. Cela met le commerce en péril. Il ne s'agit pas d'un enjeu en matière d'innocuité des aliments, mais bien d'un risque découlant d'une lacune sur le plan de la réglementation.

J'aimerais suggérer deux positions que votre comité pourrait examiner. Il est à noter que ces considérations soulèvent d'importantes questions qui touchent les politiques alimentaires du Canada, la position du Canada quant à la réforme du Codex et la position que le Canada doit prendre dans le cadre de discussions commerciales bilatérales et multilatérales.

Tout d'abord, sachez que nous sommes partisans d'une approche mondiale à l'égard des normes en matière d'innocuité des aliments et que nous reconnaissons que de nombreux pays, dont le Canada, sentiront le besoin d'établir des approches nationales distinctes. Je suggère toutefois que nous nous dotions d'un processus qui permette une reconnaissance mutuelle des normes qui ont été établies par d'autres organismes compétents. Cela ne sera acceptable aux yeux du public que si l'on reconnaît qu'une évaluation scientifique des risques réalisée par un autre organisme compétent, comme la Commission du Codex Alimentarius, permet d'assurer une protection adéquate de la santé des Canadiens.

L'ARLA a déjà fait un bout de chemin grâce aux progrès accomplis vers une pleine harmonisation des approches scientifiques avec les examens conjoints mondiaux de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques. Cela comprend le partage de processus et une certaine normalisation des approches d'enregistrement des produits. Nous devons continuer de nous employer à harmoniser les approches d'enregistrement, et le Canada doit insister sur la réforme du processus du Codex pour permettre une harmonisation du processus d'établissement de LMR et du moment de leur établissement avec l'approche de l'OCDE.

La question clé que nous devons aborder dans le cadre de nos discussions commerciales est de savoir si les nations accepteront les pratiques scientifiquement fondées et reconnues d'autres nations, ou d'organismes comme la Commission du Codex Alimentarius, lors de l'établissement de tolérances à l'importation. Il serait très certainement dans l'intérêt des agriculteurs canadiens qu'un pays importateur accepte, en guise de tolérance à l'importation, la LMR établie par l'ARLA pour l'enregistrement d'un produit. Il serait également dans leur intérêt de proposer à une partie avec qui nous négocions d'accepter la norme établie par un autre groupe d'évaluation des risques compétent, comme I'EPA, aux États-Unis ou I'EFSA, en Europe, ou la LMR du Codex Alimentarius.

Cette reconnaissance mutuelle est un moyen efficace d'éviter les lacunes en matière de réglementation dans l'établissement d'une norme. Elle est d'ailleurs déjà utilisée par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies, ainsi que par divers pays, de l'Indonésie à l'Égypte, en passant par le Costa Rica.

De plus, si nous demandons à d'autres pays d'accepter l'approche de reconnaissance mutuelle, nous pouvons nous attendre à devoir préciser comment le Canada réagirait à pareille demande. Le Canada serait-il disposé à adopter la reconnaissance mutuelle lorsqu'aucune LMR n'a été établie par les organismes de réglementation canadiens, mais que le travail a été effectué par I'EPA, ou encore par la Commission du Codex Alimentarius? Le pari est clair : l'adoption des nouvelles technologies est essentielle à l'intensification durable de la production d'aliments. Le Canada est un pays commerçant, et les besoins en matière d'exportation et les lacunes sur le plan de la réglementation mettent le commerce en péril.

J'attends avec impatience votre rapport, et j'ai hâte de voir comment le Sénat suggèrera de régler ces questions.

Le président : La première question sera pour la sénatrice Merchant. Elle sera suivie du sénateur Dagenais.

La sénatrice Merchant : Qui sont nos compétiteurs internationaux pour le commerce des légumineuses à grain?

M. Kurbis : Il y en a tout un lot, mais les États-Unis et l'Australie sont les deux principaux. En plus, le commerce proprement dit est complexe. Par exemple, la Chine est notre principal importateur de pois fourragers, mais aussi l'un de nos plus gros compétiteurs pour l'exportation de haricots secs comestibles à l'étranger. L'Europe nous achète beaucoup de haricots, mais elle est aussi notre compétitrice dans le commerce des pois.

En ce qui concerne notre principale denrée en vrac, le pois jaune, nous constatons une augmentation de la présence de l'ex-Union soviétique, avec la Russie, le Kazakhstan et l'Ukraine.

La sénatrice Merchant : Ces pays ont-ils les mêmes problèmes que vous en ce qui a trait aux preuves et à la réglementation scientifiques? Sont-ils arrivés à en régler certains? Y a-t-il d'autres pays qui pourraient nous donner des pistes de solutions?

M. Kurbis : Eh bien, oui. En ce qui concerne la reconnaissance mutuelle, la pratique exemplaire la plus en vogue consiste à recourir aux examens conjoints mondiaux réalisés sous l'égide de l'OCDE. Ces organismes de réglementation qui se penchent sur la santé et sur la salubrité des aliments viennent du Canada, des États-Unis et d'Europe, mais l'on en voit de plus en plus de la Chine et du Japon.

Il y a un exemple très prometteur qui devrait nous inspirer et qui consiste à réunir des équipes dans une même salle pour qu'elles étudient les mêmes données. Elles parviennent habituellement à harmoniser les différentes tolérances à l'importation et, ce qui est encore plus important, le moment où ces tolérances sont appliquées. Le processus n'est toutefois pas encore aussi complet qu'il devrait l'être.

La sénatrice Merchant : Ma prochaine question porte sur notre réseau de transport. Vous avez eu certaines difficultés à exporter vos produits parce que leur expédition doit se faire en temps opportun. Avez-vous des propositions à formuler pour régler les difficultés que nous avons eues l'an dernier pour le transport des grains? Que nous proposez-vous pour régler ces difficultés, du moins, en partie?

M. Kurbis : Pulse Canada participe à un projet de transport pour denrées diverses qui compte plusieurs éléments. L'un de ces éléments est la constitution d'un ensemble de données apte à documenter avec une précision accrue et à étayer de preuves les problèmes particuliers que les services ferroviaires causent aux exportateurs. Les recommandations que nous formulerons seront fondées sur ce que les données auront démontré. Nous en sommes encore à la collecte de données. Par l'intermédiaire de ce projet, Pulse Canada s'emploie également à préparer une présentation qui sera soumise à l'Office des transports du Canada aux fins d'examen.

Nous avons quelqu'un qui s'occupe spécifiquement de la question des transports, mais ce n'est pas moi et je ne suis pas certain de vouloir parler du projet proprement dit.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Kurbis, pour votre présentation.

J'aimerais revenir à vos exportations, et vous me corrigerez si je me trompe, mais on me disait que 65 p. 100 des exportations de vos légumineuses étaient destinées à cinq marchés principaux, soit l'Inde, la Turquie, la Chine, le Bangladesh et les Émirats arabes unis.

L'environnement réglementaire de ces pays est-il suffisamment stable et prévisible pour assurer la croissance de vos exportations? Si oui, pourquoi pensez-vous que vos exportations vers ces pays peuvent augmenter?

[Traduction]

M. Kurbis : C'est une bonne question. Je répondrai en vous disant qu'il y a actuellement deux catégories de marchés dont l'accès est prévisible, ou relativement plus prévisible. Le premier est formé de pays comme le Japon. Bien que les exportations vers ce pays ne sont pas exemptes de problèmes, les processus, la réglementation et l'application de cette réglementation sont de manière générale assez clairs. Il peut arriver que nous n'aimions pas les règlements, mais, au moins, ils sont prévisibles, ce qui est crucial lorsque vous faites du commerce.

D'autres pays ont cependant une capacité de réglementation très déficiente. De façon générale, ces pays ne sont pas problématiques, mais ils sont tout de même moins prévisibles.

Les problèmes sont surtout avec les pays qui sont en train de passer du statut de pays en voie de développement à celui de pays riche, ces pays — et certains font partie des cinq que vous avez mentionnés — qui disent : « Maintenant que nous avons des moyens, nous pouvons nous permettre d'avoir un organisme semblable à l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada et, plutôt que de continuer d'utiliser le Codex, nous allons établir nos propres paramètres de tolérance en matière de salubrité des aliments, paramètres qui seront adaptés à notre population. »

C'est une tendance inquiétante et, parmi les pays que vous avez nommés, il faut savoir que la Chine a récemment décidé de renoncer au Codex. Alors, comme ils sont en train de remplacer cela par autre chose, la prévisibilité est nulle, et vous savez ce que représente le marché de la Chine, tant pour les légumineuses que pour de nombreux autres produits canadiens. Dans certains cas, nous n'avons aucune idée des tolérances officielles en vigueur qu'il nous faut respecter.

Les Émirats arabes unis s'acheminent vers l'adoption d'une liste nationale bien à eux de normes sur la salubrité des aliments. Ils vont établir 20 000 limites maximales de résidus individuelles. Heureusement, la plupart d'entre elles sont déjà harmonisées avec ce qui se fait dans l'Union européenne.

L'Inde tergiverse avec l'application du Codex, mais elle applique certaines LMR nationales pour des produits particuliers. Nous ne savons pas si elle est dans une position où elle pourrait annoncer qu'elle renonce au Codex pour se rabattre sur ses propres LMR, mais c'est ce que certains intervenants du milieu pressentent.

Bref, en ce qui concerne la stabilité, nous voyons plutôt une diminution qu'une augmentation de l'harmonisation à l'échelle mondiale, et c'est une tendance qui nous inquiète beaucoup. C'est d'ailleurs pour cela que nous affirmons qu'il devient de plus en plus urgent d'adopter une méthode quelconque pour mettre à profit le principe de reconnaissance mutuelle.

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé. Nous venons de terminer notre étude sur les abeilles. Vous affirmez avoir des problèmes en ce qui concerne l'utilisation des herbicides pour protéger les plantations et la présence de faibles concentrations. Lorsque l'on parle d'une présence de faible concentration, de quel type d'herbicide vous servez-vous? Utilisez-vous toujours les néonicotinoïdes ou s'agit-il d'une autre sorte?

M. Kurbis : En général, la culture des légumineuses à grain ne requiert pas beaucoup d'insecticide. Supposons qu'il y ait une épidémie de sauterelles en fin de saison — ce qui ne s'est pas vu depuis près de 20 ans — l'usage d'insecticide ne durera pas si longtemps que ça. On se sert surtout d'herbicides et de fongicides. Si vous me le permettez, revenons en arrière et observons quels sont les niveaux par défaut actuels dans la plupart des pays qui ont des politiques par défaut et qui se sont dit : « En l'absence d'une tolérance à l'importation, que devrions-nous utiliser comme norme passe-partout? » Eh bien cette norme est de 10 parties par milliard, 0,01 PPM, et elle est en place depuis de nombreuses années. Au Canada, la norme est de 100 parties par milliard. À ces niveaux-là, la grande majorité des tests qui nous reviennent sont négatifs, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas été en mesure de déceler le moindre résidu. Selon les normes mondiales, la salubrité de nos cultures est exemplaire.

Ce qui nous préoccupe, ce n'est donc pas la concentration de résidus sur nos cultures, qui est de 10 parties par milliard. Nous craignons que, à l'avenir, la technologie soit avancée au point de détecter 1 partie par milliard, ensuite 500 parties par trillion et peut-être même davantage. Nous en sommes au point où, si nous maintenons une politique de tolérance zéro, cette technologie d'analyse pourrait être très problématique lorsqu'il y a ce genre de lacunes dans la réglementation et que nous n'avons pas obtenu l'approbation du pays importateur. La limite actuelle de 10 parties par milliard est-elle problématique? Non, ce qui veut dire que nous avons l'occasion de prendre les devants dans ce dossier. Je pense d'ailleurs que ceux qui composent avec des traces accidentelles de produits génétiquement modifiés non approuvés vous diraient fort probablement la même chose.

Le sénateur Enverga : Vous êtes donc préoccupé par l'avenir, l'avenir de cette technologie de détection de ces résidus, n'est-ce pas? Il n'y a donc pas de véritable problème à ce point-ci, n'est-ce pas?

M. Kurbis : La réponse est un peu plus floue, comme vous pouviez vous y attendre. La valeur par défaut partout dans le monde est actuellement de 10 parties par milliard, ce qui représente ce que l'on considère comme la limite de ce qui peut être détecté. Cela dit, au cours des dernières années, des concentrations de résidus de moins de 10 parties par milliard ont été détectées. L'année dernière, nous avons fait des analyses de résidus qui ont révélé une concentration de 500 parties par trillion. Nous en sommes déjà là. S'agit-il des méthodes actuellement employées à des fins commerciales? Nous aimerions être mieux informés à ce sujet?

Le sénateur Enverga : Utilise-t-on les mêmes herbicides sur ces cultures?

M. Kurbis : Oui.

Le sénateur Enverga : Sont-ils particulièrement préoccupés par certains herbicides?

M. Kurbis : Il ne s'agit pas d'une catégorie précise d'herbicides. Comme vous le savez, certains pesticides font l'objet de préoccupations liées à des questions environnementales et à la santé des abeilles. Ce ne sont généralement pas les insecticides qui nous posent problème. Les fongicides sont habituellement autorisés pour un large éventail de cultures : les légumineuses, les céréales, les oléagineux. C'est un peu différent dans le cas des herbicides compte tenu de leurs divers degrés de persistance, mais, en général, nous appliquons ces produits très tôt dans la saison. Aucun résidu n'est détectable au-dessus du seuil actuel de 10 parties par milliard.

Le sénateur Enverga : Puis-je poser une autre question?

Le président : Oui.

Le sénateur Enverga : Supposons que vous utilisez actuellement des herbicides et des pesticides. Que se passerait-il si vous arrêtiez? Comme les autres pays, n'est-ce pas? Quelle proportion de récoltes perdriez-vous? Avez-vous un pourcentage à nous donner?

M. Kurbis : Il serait bien d'avoir certaines données à ce sujet, car je pense que cela pourrait nous aider à défendre cette pratique. Cela dit, de façon générale, les agriculteurs vous diraient qu'ils pourraient subir de très lourdes pertes s'il y avait une épidémie ou une grave infestation d'insectes qui ne pouvait pas être maîtrisée. Des mauvaises herbes pourraient également se répandre de manière graduelle dans les champs et entraîner de très graves problèmes.

Je n'ai actuellement pas de bons chiffres à vous donner sur le pourcentage de pertes que cela entraînerait.

Le sénateur Oh : Merci, monsieur.

Pulse Canada recommande de prendre des mesures proactives pour réduire les obstacles au commerce international. Pouvez-vous nous parler de celles que vous avez prises?

M. Kurbis : Pouvez-vous préciser un peu plus la question, s'il vous plaît?

Le sénateur Oh : Oui, je parle des mesures proactives que vous avez prises pour accroître davantage vos échanges commerciaux à l'échelle internationale, pour ouvrir votre marché. Vous recommandez d'être plus proactif. De quelle façon vous y prenez-vous?

M. Kurbis : L'industrie des légumineuses prend de l'expansion sur les marchés internationaux depuis des dizaines d'années. L'ampleur de nos démarches en ce sens varie selon les objectifs de notre organisation. Au départ, il y a 20 ans, alors que la culture des légumineuses ne prenait pas beaucoup d'expansion au Canada, nous avons déployé beaucoup d'efforts pour développer les marchés en faisant la promotion des avantages d'un approvisionnement canadien sur les plans de la qualité, de l'accessibilité et de la fiabilité. Au fil du temps, la plupart des acheteurs du monde entier sont devenus bien conscients de l'accessibilité et de la qualité des légumineuses du Canada. Nous sommes passés du statut de très petit joueur à celui de premier exportateur au monde. C'est une des approches que nous avons adoptées.

De plus, l'ONU a désigné 2016 comme l'Année internationale des légumineuses. Le comité responsable a nommé cinq domaines dans lesquels nous aimerions accroître l'intérêt pour les légumineuses. Nous mettons entre autres l'accent sur la sécurité alimentaire, la santé et la nutrition, la durabilité et l'accès aux marchés.

Dans un des comités sur l'accès aux marchés, nous tendons actuellement la main à la commission du Codex, par l'entremise de la FAO, pour essayer de prouver que les retards que le Codex accuse vont directement à l'encontre de ses objectifs plus vastes en matière de sécurité alimentaire. Ce ne sont que quelques exemples du travail accompli par notre organisation.

Le sénateur Oh : Que prévoyez-vous? Quelle est la croissance enregistrée tous les cinq ans grâce à ces démarches? En avez-vous une idée?

M. Kurbis : En ce qui a trait à l'accès aux marchés, je pense que nous craignons que ces problèmes empirent avant de connaître une amélioration. J'ai décrit les deux défis majeurs auxquels nous faisons face en matière d'harmonisation. Le premier est attribuable à une technologie d'analyse plus avancée qui pourrait faire en sorte que les tolérances non harmonisées existantes deviennent problématiques. Cela dit, ce qui pose peut-être le plus grand défi, ce sont les nombreux pays qui ont maintenant tendance à adopter leurs propres approches en matière de douanes. Depuis quelques années, la Corée du Sud, Hong Kong, Taïwan, la Chine, les Émirats arabes unis et, plus récemment, le Mexique laissent tomber leurs anciens systèmes au profit de nouvelles listes. De façon générale, ces listes seront établies par des organismes de réglementation en matière de santé qui n'ont pas de mandat portant sur le commerce. Ces changements nous rendent très nerveux. C'est préoccupant.

Le sénateur Oh : Est-ce que cela signifie que chaque pays établira ses propres normes?

M. Kurbis : Le cas échéant, cela serait cauchemardesque.

La sénatrice Unger : Ma question est complémentaire, à peu de choses près. Vous recommandez que le Canada réclame la réforme du Codex. Je me demande pourquoi, car d'autres pays y renoncent. Je ne suis pas certaine de savoir de quelles mesures réformatrices vous parlez, mais une réforme du Codex pourrait-elle convaincre certains pays de ne pas y renoncer?

M. Kurbis : C'est exactement cela. C'est une question très controversée dans les cercles de protection des cultures, car le Codex accuse maintenant de nombreux retards. Je crois que l'ampleur de ces retards et les lacunes liées aux LMR — qui font en sorte que les tolérances qui devraient figurer dans le Codex n'y sont pas encore compte tenu de la très longue liste d'attente — incitent les pays à délaisser le Codex, dans une certaine mesure.

Par contre, je pense que nous avons maintenant tous une meilleure idée de ce que serait l'environnement commercial si deux fois ou trois fois plus de pays renonçaient au Codex, comme l'ont fait les quelques pays que je vous ai énumérés. Cette perspective nous convainc encore plus de la nécessité de créer un organisme de réglementation mondial responsable d'établir ce genre de tolérances ou, si nous échouons, de la nécessité d'en arriver à une sorte de reconnaissance mutuelle de ces tolérances.

La sénatrice Unger : J'ai une autre question. Sommes-nous confrontés à des problèmes lorsque nous exportons des produits vers des pays concurrents? En découle-t-il de nouveaux problèmes? Pensons par exemple à la Chine.

M. Kurbis : Pouvez-vous m'aider à comprendre la question? Je suis désolé.

La sénatrice Unger : Nous exportons certains produits vers la Chine, qui est également un pays exportateur. Je me demande seulement si cela entraîne de nouveaux problèmes. Certains de ces pays sont nos concurrents.

M. Kurbis : Je ne pense pas que cela entraîne des problèmes concrets, de nouveaux problèmes. La Chine a besoin des pois que nous lui faisons parvenir, et nous avons besoin de les exporter là-bas. Nos exportations ont presque atteint un million de tonnes en 2013. Cela dit, les haricots représentent pour nous un marché distinct. Dans le cas d'autres produits, cela pourrait peut-être poser un problème, comme vous l'avez indiqué.

La sénatrice Unger : Donc, un Codex réformé en ferait beaucoup ou a le potentiel d'en faire beaucoup pour résoudre ce problème commercial mondial?

M. Kurbis : Oui, en effet. Je pense que je comprends mieux la question. Si je peux me permettre, l'adoption de normes harmonisées est sans doute aussi importante pour les pays importateurs que pour les pays exportateurs. Ce n'est donc pas que cinq ou six pays exportateurs qui exerceraient des pressions en ce sens. La Chine, qui est une grande importatrice, pourrait en faire autant, mais elle devrait également adopter la même approche pour ce qui est de ses exportations. Je sais que l'Inde, qui achète de loin la plus grande proportion de nos légumineuses, a subi une réduction de ses exportations de riz vers l'Union européenne à cause des mêmes problèmes. Au moment où le commerce devient plus complexe — tous les pays du monde importent et exportent —, je pense qu'il pourrait être possible de fournir l'impulsion nécessaire à ce genre d'approche.

Le président : Pour le deuxième tour, nous allons demander au sénateur Enverga de poursuivre étant donné que c'est son anniversaire.

Le sénateur Enverga : Merci.

Voici ma deuxième question. Dans le contexte du libre-échange que nous pratiquons avec d'autres pays, quelle est notre capacité? Allons-nous avoir un problème de gestion de l'offre? Comment envisagez-vous l'avenir dans le contexte actuel du libre-échange?

M. Kurbis : Il serait formidable d'accomplir trois choses dans le cadre de nos accords de libre-échange. Premièrement, il faudrait éliminer tous les droits de douane auxquels nous sommes confrontés sur les marchés clés, qu'il s'agisse de ceux où nous sommes déjà ou de ceux dans lesquels nous devons percer.

Deuxièmement, il faudrait s'assurer qu'aucun autre pays qui vient tout juste de terminer des négociations ne profite à nos dépens d'un avantage tarifaire que nous n'avons pas encore obtenu à défaut d'avoir conclu notre propre accord de libre-échange.

Troisièmement, il serait avantageux que des accords de libre-échange qui établissent ce que j'appellerais les règles commerciales du XXIe siècle soient conclus. Nous pourrions ainsi délaisser la tolérance ou la quasi-tolérance zéro qui est appliquée dans de nombreux marchés du monde entier où la technologie d'analyse serait très problématique pour nous. Je crois que nous aurions un avenir très prometteur si nous pouvions bénéficier de ces trois avantages.

Le sénateur Enverga : Avons-nous la capacité de produire davantage?

M. Kurbis : Nous avons une énorme capacité.

Le sénateur Enverga : De quelle façon les autres pays font-ils face aux difficultés que vous avez énumérées, celles auxquelles vous êtes vous-mêmes confrontées? Lorsqu'ils essaient d'exporter leurs légumineuses, sont-ils aux prises avec les mêmes problèmes, les mêmes difficultés?

M. Kurbis : Je pense que le Canada est un des premiers pays à faire face à ce genre de problèmes, car de nombreuses autres régions productrices dépendent beaucoup moins du commerce. Notre population est de 35 millions d'habitants, et, compte tenu du grand nombre de terres agricoles que nous avons, nous serions en mesure d'exporter de 80 à 90 p. 100 de nos récoltes. À titre d'exemple, le Brésil est un des premiers producteurs de haricots secs au monde, mais il exporte et importe très peu, ce qui signifie qu'il est pratiquement autonome. Ces questions seront importantes pour ces pays producteurs, mais je crois que les exportateurs canadiens sont les premiers à y faire face étant donné qu'ils sont largement tributaires du commerce.

Il y a toutefois partout dans le monde d'autres groupes de producteurs dont la situation est semblable, mais ils sont plus petits — l'industrie californienne des cultures spéciales, les noix et ainsi de suite, nous vient à l'esprit. Nous travaillons en étroite collaboration avec eux pour cerner nos problèmes communs d'harmonisation.

Le président : Pour terminer, monsieur Kurbis, nous sommes curieux de savoir si votre industrie est touchée par la politique américaine sur la mention du pays d'origine sur l'étiquette, connue sous l'acronyme COOL. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Kurbis : Nous ne sommes pas touchés par cette politique, mais nous sympathisons avec les groupes semblables au nôtre qui le sont, car elle semble effectivement poser de grandes difficultés.

Le président : En 2011, le Canada a exporté une quantité record de légumineuses, soit 4,7 millions de tonnes d'une valeur de près de 2,7 milliards de dollars. Nous avons des règlements provinciaux. Quels sont les rôles et les responsabilités des provinces? Créent-elles des barrières commerciales qui nuisent à votre industrie.

M. Kurbis : Il n'y en a aucune qui me vient à l'esprit. Je dirais qu'aucune barrière commerciale découlant d'une politique provinciale ne pose un problème concret.

Le président : Monsieur Kurbis, merci beaucoup de nous avoir fait part de vos points de vue et de vos recommandations. Il ne fait aucun doute que l'industrie écoute et regarde ce que nous faisons pour donner suite à l'ordre de renvoi que nous a fait parvenir le Sénat du Canada. N'hésitez pas à communiquer avec le greffier si vous désirez nous faire parvenir des renseignements supplémentaires.

Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Kurbis : Je félicite le comité d'examiner cette question très importante. En tant que groupe de producteurs et de commerçants, nous réfléchissons à ce qu'il nous faut pour contribuer davantage à l'économie canadienne, et l'accès aux marchés est une de nos principales priorités. Je vous félicite d'examiner sérieusement cet enjeu, comme vous semblez le faire.

Le président : On sait qu'il y a quelques années, le Canada avait cinq accords commerciaux. Aujourd'hui, nous sommes en train de signer ou nous négocions 42 accords avec d'autres pays.

Sur ce, honorables sénateurs, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)


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