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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 18 - Témoignages du 28 février 2017


OTTAWA, le mardi 28 février 2017

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour étudier les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous ceux qui assistent à notre réunion aujourd'hui en personne ou qui la regardent sur la chaîne CPAC ou sur le web.

Dans un esprit de réconciliation, je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire non cédé des peuples algonquins.

Je m'appelle Lillian Dyck et je viens de la Saskatchewan. J'ai l'honneur et le privilège de présider ce comité. J'invite maintenant les membres du comité à se présenter, en commençant à ma droite.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l'Alberta.

La sénatrice Beyak : Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l'Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l'Ontario.

Le sénateur Christmas : Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Sandra Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Watt : Charlie Watt, du Nunavik.

La présidente : Merci, sénateurs. Notre vice-président, le sénateur Patterson, vient d'arriver.

Le sénateur Patterson : Bonjour. Merci.

La présidente : Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude sur les nouvelles relations entre le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous continuons d'étudier le contexte historique de ces relations.

Aujourd'hui, nous accueillons James Igloliorte, juge à la retraite de la Cour provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador et expert en relations entre la Couronne et les Inuits du Canada. Monsieur Igloliorte, vous avez la parole. Les sénateurs vous poseront ensuite des questions. Vous pouvez livrer votre exposé. Merci.

James Igloliorte, juge à la retraite de la Cour provinciale de Terre-Neuve-et-Labrador, à titre personnel : Merci.

Ullakut, illonase. Kuviasukpavunga maneligama Ottawame. Nakkumek. Kujunnamek.

[Français]

Bonjour à tous. Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de vous présenter mon rapport sur la relation entre les Inuits et le gouvernement du Canada.

[Traduction]

Le 17 avril 1982, je suis venu à Ottawa à titre d'invité du député du Labrador de l'époque, l'honorable Bill Rompkey qui, en passant, était le directeur de mon école secondaire à North West River, au Labrador. Cette visite s'est déroulée au mois d'avril pour assister au rapatriement de la Constitution du Canada par la reine Elizabeth II lors d'une cérémonie au Parlement. Je me souviens du caractère solennel de cette occasion très spéciale dans l'histoire démocratique du Canada. Je vous suis reconnaissant, tout comme je l'étais à l'époque à l'égard du sénateur Rompkey, de me donner l'occasion d'être témoin d'une nouvelle page de l'histoire du Canada.

Étant donné que la Charte a été façonnée peu de temps après, il était encourageant d'apprendre comment la lutte pour inclure les droits des Autochtones et les droits des femmes, bien sûr, dans la Charte canadienne des droits et libertés a été dirigée par les ancêtres persévérants des bénéficiaires des traités modernes d'aujourd'hui. Lorsque je vois qu'il existe aujourd'hui des dispositions qui prévoient une évaluation menée par le gouvernement fédéral pour vérifier l'efficacité de la mise en œuvre du processus, et lorsque j'apprends que votre comité sénatorial permanent souhaite entendre parler des éléments liés à cette relation, cela me prouve que des efforts sérieux sont entrepris pour modifier les anciennes normes institutionnelles.

En septembre 1982, avant que j'entre à l'école de droit de l'Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, notre quatrième enfant, Justin, est né. Naturellement, il tient son nom de notre premier ministre actuel, qui était un petit garçon à l'époque, en l'honneur de l'invitation que j'avais reçue plus tôt cette année-là. Votre invitation complète donc un cycle personnel qui a commencé dans ma famille il y a environ 35 ans.

J'aimerais vous parler d'une autre date, car c'est une date qui a eu un impact important sur les Inuits du Labrador — qui se nomment eux-mêmes les Nunatsiavimuits, le peuple de notre belle terre. Il s'agit de la création de notre territoire, en 2005, à la suite des négociations entre le Canada, Terre-Neuve et l'Association des Inuits du Labrador.

Vous vous souvenez peut-être que pendant les 30 années précédant la signature de l'Accord sur les revendications territoriales, les Inuits ont participé au grand mouvement mondial qui visait à exprimer les aspirations et les frustrations des peuples autochtones. Ce mouvement a possiblement été inspiré par des incidents comme la remise en question des autorités américaines lors de la folie apparente de la guerre du Vietnam. À l'époque, l'agitation sociale semblait monter dans tous les coins du monde, y compris le nôtre, et elle gagnait du terrain dans les défis liés à la relation du Canada avec les Inuits du Labrador.

Au Labrador, les Inuits ont choisi d'établir un précédent juridique et de mener des négociations en vue de lancer un processus officiel de règlement des traités. Pendant de nombreuses années, les membres de la nouvelle Association des Inuits du Labrador ont tenté d'entamer des négociations pour conclure un accord sur les revendications territoriales globales. En 2005, cet accord, comme vous le savez, a été finalisé, et il a donné aux parties l'occasion de faire la promotion d'une terre natale solide et autonome pour les Inuits du Labrador, d'améliorer le bien-être social et la prospérité économique pour les Inuits et d'obtenir une certitude dans le développement des ressources.

Parmi les éléments juridiques découlant de l'Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Labrador, ou l'ARTIL, il y a eu la création d'un nouveau gouvernement du Nunatsiavut, qui signifie notre belle terre, et des dispositions lui donnant une certaine autonomie gouvernementale dans des domaines comme la culture et la langue, l'éducation, les soins de santé, les services sociaux, le logement et la protection de l'environnement. Nous avons également obtenu des pouvoirs législatifs et certains pouvoirs de taxation.

Un autre aspect concerne la création de la zone visée par l'entente avec les Inuits du Labrador, dans laquelle les Inuits du Labrador ont obtenu des droits précis et définis sur leur territoire, par exemple la cueillette de plantes et l'utilisation de ressources naturelles sur le territoire.

Un troisième aspect de l'ARTIL concerne la création du Parc national des Monts-Torngat parallèlement à la signature de l'Accord sur les revendications territoriales des Inuits du Nunavik en 2008. Ces deux parcs nationaux recouvrent la pointe nord de la péninsule du Labrador-Ungava. Les Inuits du Nunavik et du Nunatsiavut ont traditionnellement habité dans cette région, et ils sont nombreux à avoir des liens familiaux à la fois dans la partie québécoise et la partie labradorienne de la péninsule.

Avant l'arrivée et pendant le séjour des missionnaires moraves au milieu des années 1700, de petits groupes d'Inuits habitaient les terres qui s'étendent de la pointe nord du Labrador, à Killinek, jusqu'aux nombreux fjords et anses remplis d'espèces sauvages menant à Gross Water Bay, près de Happy Valley-Goose Bay, dans le sud. Ces peuples qui vivaient plus au nord ont éventuellement dû s'établir à Okak, Nutak et Hebron en raison des pressions religieuses et coloniales exercées par les Moraves. Au milieu des années 1900, cette congrégation et le gouvernement provincial, en citant des raisons liées à la santé et à la prestation de services et d'autres raisons, ont forcé la réinstallation des Inuits dans des collectivités encore plus au sud. Cette période de l'histoire a été racontée par des observateurs externes ainsi que par des Inuits, et ces événements ont engendré des conséquences traumatisantes pour les familles qui vivaient là- bas et qui existent toujours aujourd'hui.

Comme il est décrit dans l'Accord sur les revendications territoriales, la création d'un parc national a eu pour effet de ramener certains de ces Inuits, 50 ans plus tard, sur leurs terres ancestrales, c'est-à-dire à l'entrée sud du parc national, pour de courtes visites estivales. Depuis la création du camp de base en 2007, Parcs Canada et le gouvernement du Nunatsiavut y ont fréquemment amené des aînés et des jeunes qui ont grandi dans la région pour qu'ils participent à des événements culturels pendant l'été.

Pour les aînés, ces courtes visites sur leurs terres familiales sont un rappel du territoire sauvage et magnifique sur lequel ils habitaient autrefois, et le traumatisme causé par les années de réinstallation est ravivé par leurs souvenirs. Toutefois, même ces événements doux-amers permettent aux participants de guérir dans une certaine mesure.

Le fait d'amener des jeunes à Torngats — comme on appelle maintenant le camp de base — en même temps que des aînés qui peuvent leur parler de leurs expériences et de leurs histoires permet de transmettre à ces jeunes la fierté de leur culture, car ils quittent leurs collectivités situées plus loin au sud où, comme tous les jeunes, ils profitent des communications et des données instantanées, et ralentissent le rythme pour parler aux aînés en personne. Ils comprennent également mieux le traumatisme subi par les membres de leur famille et peuvent reconnaître le pouvoir de guérison offert par la terre et la vie dans un camp isolé.

Le camp de base est situé sur le territoire inuit, à la frontière sud du parc national. Cela a permis la création d'un modèle opérationnel dans lequel des exploitants inuits tirent parti de ces possibilités touristiques. Même s'il est vrai que les Inuits du Nunavik et du Nunatsiavut utilisent le camp de base à des fins culturelles et sociales, et que cette infrastructure permet de mener d'importantes recherches nationales et internationales, l'espoir que nous avions de voir ce camp de base servir de modèle de prospérité économique ne s'est malheureusement pas concrétisé.

Le Parc national des Monts-Torngat a aidé les Inuits à renforcer et à renouveler leurs liens ancestraux avec une belle région du Nord du Labrador. Parcs Canada, en collaboration avec un conseil de cogestion composé de partenaires inuits locaux, a réalisé d'énormes progrès dans la préservation de la culture inuite, des artéfacts et des sites archéologiques. Pourtant, ce camp de base attend toujours un appui financier adéquat du gouvernement fédéral pour devenir durable sur le plan financier.

En effet, l'aspect financier est toujours au centre des préoccupations. Ce pilier du succès du parc et des activités inuites nécessite une importante injection de fonds du gouvernement fédéral par l'entremise de Parcs Canada; c'est la seule façon dont il pourra réaliser son potentiel et fournir l'appui nécessaire aux entreprises inuites. Les autres piliers de l'expérience, de l'identification et de la préservation de la culture inuites ont un fondement solide. Si on s'engageait à fournir un appui financier durable aux occasions touristiques, le défi auquel font face les promoteurs économiques inuits au Nunavik et au Nunatsiavut pourrait être relevé par l'entremise de communications déjà en cours entre les parties. Ces gens travaillent bien ensemble, car ils se connaissent et ils se font confiance. Ils ont besoin d'une aide financière.

Un autre sujet important pour les membres de la communauté autochtone du Labrador est le règlement, comme vous l'avez peut-être entendu au cours des derniers mois, d'un recours collectif entre les survivants des pensionnats du Labrador et le gouvernement du Canada. N'oubliez pas que les excuses offertes il y a quelques années par le premier ministre de l'époque, M. Harper, à tous les survivants des pensionnats sauf à ceux de cette province étaient mal avisées et blessantes.

Il a fallu 10 années interminables pour que l'affaire obtienne un règlement définitif au profit des plaignants, des cabinets d'avocats et du gouvernement, et tous ceux qui ont suivi ce cas de près auraient pu partiellement attribuer ce règlement à un changement d'attitude du gouvernement fédéral au plus haut niveau. L'optimisme présent chez les peuples autochtones de partout au Canada à la suite des promesses électorales, mais surtout la concrétisation de ces dernières en actions visibles et en consultations avec les communautés et les leaders inuits par le premier ministre lui- même, accompagné des ministres touchés — des ministres importants — est devenu pour nous un véritable message d'espoir concret, surtout pour les Inuits du Labrador.

Les détails de cette affaire, comme je l'ai énoncé, demandent une compensation financière pour les Inuits et d'autres groupes autochtones du Labrador, ainsi que des mesures incitatives qui permettent la commémoration et la guérison non seulement pour les Inuits, mais également entre la Couronne et les trois peuples du Labrador. De récentes directives en matière de politique formulées par tous les ministères responsables des peuples autochtones représentent un changement encourageant en ce qui concerne l'amélioration des relations. Dans cette mesure incitative, l'honneur de la Couronne ne pourrait pas être expliqué plus fermement ou clairement aux Canadiens. Ces deux interactions entre le gouvernement du Canada et les Inuits du Nunatsiavut, à savoir le transfert de pouvoirs d'autonomie gouvernementale aux Inuits et le règlement d'un héritage douloureux causé par les pensionnats, démontrent clairement la meilleure approche que peut adopter un Canada mature à l'égard du développement de sa relation avec notre peuple. La mise en œuvre des revendications territoriales est heureusement un processus assujetti à un examen périodique.

Les Inuits sont fiers des progrès qu'ils ont accomplis dans le domaine social, dans le domaine de la santé et dans la préservation de la culture dans la courte période qui a suivi la mise en œuvre de l'ARTIL. Sous la direction du gouvernement du Nunatsiavut, les collectivités elles-mêmes ont l'autonomie nécessaire pour prendre des décisions en matière de finances et de gestion, et tous les leaders communautaires inuits du Labrador se réunissent périodiquement et les gens échangent leurs idées, leurs espoirs et leurs frustrations. Tous les bénéficiaires qui vivent à l'extérieur de la région visée par les revendications territoriales continuent d'avoir accès aux programmes, aux avantages et à la participation au gouvernement dans le cadre d'un processus lié aux circonscriptions canadiennes.

Vous pouvez voir la différence entre cette forme de gouvernance communautaire et celle où, traditionnellement, un organisme religieux ou un gouvernement provincial en grande partie étranger dirigeait les affaires de la communauté.

Je n'ai aucune expérience personnelle ou expérience de gouvernance à vous offrir en ce qui concerne les activités quotidiennes des deux échelons de gouvernance communautaire inuite, à savoir le gouvernement central du Nunatsiavut et les gouvernements communautaires. Il suffit de préciser qu'à titre d'observateur externe — que ce soit vous ou moi —, il faut toujours vérifier si les Inuits eux-mêmes renforcent leur capacité, leur expérience et leurs pratiques, afin de gérer leurs propres affaires sans ingérence extérieure, mais avec une aide extérieure.

L'approche privilégiée consiste d'abord à collaborer afin de fournir des outils au gouvernement inuit pour évaluer les progrès — comme le font les Inuits et comme vous le faites aussi. Il faut ensuite mesurer le niveau de responsabilité dans les activités sociales, éducationnelles et culturelles. On doit aussi demander aux élus et aux résidents s'ils éprouvent de la fierté et un sentiment d'accomplissement dans le cadre de leurs efforts liés au renforcement de la capacité. Il faut également permettre aux gens d'apprendre de leur réussite et de leurs erreurs. Enfin, il faut manifestement s'efforcer d'établir des relations respectueuses et fondées sur la confiance.

Un seul Canadien ou une seule Canadienne peut créer un Canada unique. Un premier ministre qui indique, pas par des paroles, mais par des gestes concrets, qu'un changement est possible, et une jeune diplômée autochtone qui revient dans sa collectivité pour travailler en tant que travailleuse sociale et se bâtir une vie là-bas, représentent des façons de mesurer la valeur de ces réalisations.

Le respect et la confiance entre les nations indiquent le niveau d'engagement que les deux parties devraient manifester l'une pour l'autre. Lorsqu'on met en œuvre les accords sur les revendications territoriales et lorsque le comité sénatorial utilise ses pouvoirs pour examiner et comprendre les peuples autochtones à l'échelle du pays, les processus de réconciliation, de guérison et de commémoration peuvent s'amorcer.

Dans mon introduction, j'ai parlé de l'origine du nom de mon fils Justin, mais je ne vous ai pas raconté comment il avait reçu son deuxième nom, c'est-à-dire Peter. Il ne s'agit pas d'un hommage au père de Justin, le premier ministre de l'époque, Pierre Trudeau. En fait, c'est plutôt un scénario digne de Stuart McLean, comme je vais vous l'expliquer.

La nuit où mon épouse a accouché de bébé Justin, j'ai lu aux enfants leur livre préféré; étrangement, c'était Peter and the Wolf. Donc, lorsque mon épouse et moi avons dit à nos enfants que nous avions choisi le nom de Justin, nous leur avons demandé de lui choisir un deuxième nom, et ils ont évidemment répondu « Peter », car il avait attrapé le méchant loup dans le livre.

J'aimerais vous remercier de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions si je le peux. Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui et du respect que vous m'avez témoigné. Merci beaucoup.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le juge, de votre survol complet, mais concis, des Inuits du Labrador. Nous entamons maintenant la première série de questions. La parole est d'abord au vice-président, le sénateur Patterson.

Le sénateur Patterson : J'aimerais souhaiter la bienvenue au juge Igloliorte et le remercier du bon travail qu'il a accompli avec la commission de la vérité dans la région de Qikiqtani. C'était un événement historique important pour les Inuits de la région de Qikiqtani et du Nunavut.

Monsieur, dans notre étude sur la question des relations entre les Inuits et la Couronne et sur la création d'une nouvelle relation, je crois que nous devons reconnaître, comme vous l'avez souligné, que les Inuits du nord du Canada — et j'inclus le Nunatsiavut et le Nunavik dans cette dénomination — ont tous conclu des accords sur les revendications territoriales. Le Nunavik a conclu le premier accord — et le sénateur Watt a joué un rôle instrumental dans cet accord —, ensuite les Inuvialuits de la région Beaufort-Delta, les Inuits du Nunavut et enfin, plus récemment, les Inuits du Nunatsiavut.

Les Inuits font l'envie d'un grand nombre de peuples autochtones, car ils ont réussi à conclure ces accords sur les revendications territoriales globales, comme vous l'avez dit. Quelle est la place des Inuits et du Canada dans le cadre des négociations sur la création d'une nouvelle relation, étant donné que ces parties profitent d'un fondement solide grâce à tous ces accords sur les revendications territoriales globales?

Je vais essayer de vous résumer. Ces accords sur les revendications territoriales sont prometteurs. Ils donnent aux Inuits beaucoup de moyens. Nous savons que les Inuits du Nunavut ont dû entamer des poursuites contre le gouvernement fédéral pour faire mettre en œuvre leur accord et que, l'année dernière, ils ont obtenu une décision importante. Vous avez fait allusion aux récentes directives d'orientation des ministères, qui ont des responsabilités à l'égard des peuples autochtones, en disant y voir un changement encourageant pour l'amélioration des rapports. Pour améliorer les rapports de la Couronne avec eux, les Inuits doivent-ils principalement amener les ministères à respecter la totalité des accords sur les revendications? Est-ce la principale difficulté et y faisiez-vous allusion quand vous avez dit que les nouvelles directives étaient encourageantes?

M. Igloliorte : Je pense que nous reconnaissons que nous essayons tous, dans la mesure de nos moyens, de répondre aux besoins et d'instaurer la durabilité dans les communautés. Nous devons privilégier toute solution qui semble conduire à cet objectif.

Pour les Inuits du Labrador, du moins, nous avons bûché, nous avons fait des choix et nous avons négocié un règlement renfermant des dispositions pour l'autonomie, en pensant que, par la négociation de ces dispositions avec le Canada et la province de Terre-Neuve-et-Labrador, nous trouverions la voie de la durabilité et de l'instauration de communautés pacifiques et prospères pour les Inuits.

Ayant mis nos espoirs dans ce processus, nous ne sommes pas près de l'abandonner. Je veux surtout dire que les efforts de mise en œuvre, la succession des événements, l'orientation qui semble se dessiner, tout ça donne l'impression que c'est la façon de répondre à ces besoins.

Le sénateur Patterson : Merci. Vous avez parlé des gestes d'un premier ministre qui, mieux que des paroles, annonçaient que le changement est possible. Je suis convaincu que vous vous êtes intéressé à la visite du premier ministre au Nunavut, ce mois-ci, et à son accord avec les dirigeants inuits du Canada, les présidents des organisations chargés des revendications territoriales et le président de l'Inuit Tapirisat du Canada. Et c'est là que certains observateurs se sont demandé ce qu'il y avait dans cet accord. C'était un accord rassembleur, la promesse de se réunir trois fois par année, une fois avec les principaux ministres, une fois avec le premier ministre. Certains, jugeant les mots encourageants, voulaient quand même voir des gestes, des gestes qu'on saura bien juger à quoi ils mènent.

Diriez-vous que c'est un bon début et que tout ce à quoi nous devrions nous attendre du Canada est un accord pour des rencontres aux plus hauts niveaux avec les dirigeants inuits et pour concerter un plan pour la suite des choses? Serait-ce le sens de la réconciliation pour les Inuits et, je suppose, les autres Autochtones du Canada?

M. Igloliorte : N'est-ce pas un changement d'orientation? Je pense que, de notre point de vue, notre responsabilité de chefs, et je parle pour les dirigeants politiques, est de continuer à vérifier la sincérité des intentions des ministres, du premier ministre lui-même et de la totalité du gouvernement canadien, qu'ils ont effectivement donné suite à leurs promesses. Je pense qu'il nous incombe vraiment d'en avoir le cœur net. Mais il m'est clairement apparu, depuis un an, un changement et un dégel dans les relations.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Soyez le bienvenu. Pensez-vous que le gouvernement s'acquitte de sa responsabilité fiduciaire à l'égard des peuples autochtones jusqu'à maintenant?

M. Igloliorte : D'après les Inuits du Labrador, c'était vraiment le test que j'attendais pendant toute l'affaire des pensionnats. Ça durait depuis 10 ans, au milieu de beaucoup d'acrimonie, de ripostes de part et d'autre, mais sans grand déblocage.

Je n'ai pas participé aux discussions; de fait, on ne m'a pas convoqué comme témoin. Ma vie de pensionnaire était trop exemplaire. Par ma réussite personnelle, je ne semblais pas être la sorte de témoin à convoquer dans une affaire contre le gouvernement pour le culpabiliser dans l'espoir d'une indemnisation.

Je dirai que la rancœur a semblé s'adoucir à un certain moment et que, très rapidement, on est au moins parvenu à un règlement. Personnellement, j'y ai vu un signal, la possibilité, en même temps qu'une indemnisation, que les survivants des pensionnats du Labrador reçoivent des excuses, puis la promesse de prévoir des éléments de commémoration et de guérison dans les accords. On m'a demandé d'y participer, ce qui semble l'une des façons, pour nous, de chercher à améliorer les relations entre les Inuits et le gouvernement.

La sénatrice Lovelace Nicholas : J'ai l'impression que le gouvernement est négligent. Pensez-vous que le seul recours des Autochtones serait de traîner le gouvernement devant les tribunaux pour négligence?

M. Igloliorte : Il y a du juge Sinclair là-dessous. Un long examen du rapport sur la réconciliation découlant de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens nous enseigne qu'on peut, de plusieurs façons, recommander vivement au Canada de collaborer à l'établissement de rapports de confiance avec les Inuits et les peuples autochtones en général. En ma qualité de juge, je serai le dernier à affirmer que le seul recours est les tribunaux. Pour la plupart de mes confrères, c'est l'option la moins souhaitable. Nous préférons des relations de confiance qui résultent de règlements négociés ou de règlements perfectibles.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci de votre réponse.

Le sénateur Enverga : Je vous remercie de votre exposé. Vous m'en avez appris beaucoup.

Ma question concerne votre déclaration selon laquelle la question à poser est si les Inuits eux-mêmes acquièrent la capacité, l'expérience et la pratique nécessaires pour gérer leurs propres affaires sans ingérence extérieure. Ça m'étonne. Je croyais qu'il y avait beaucoup de dirigeants inuits capables de gérer ou de diriger et de rendre la communauté plus productive. Pouvez-vous, s'il vous plaît, en dire plus sur la nature du leadership et l'attitude que vous attendez des Inuits?

M. Igloliorte : Ce matin, nous avons vu un reportage de Radio-Canada sur la protection de l'enfance au Labrador, selon lequel beaucoup d'enfants inuits de la région du Nunatsiavut sont envoyés dans l'île de Terre-Neuve et selon lequel le dernier recours, bien sûr, des fonctionnaires chargés de la protection de ces enfants est de les sortir de leurs communautés pour leur sécurité et pour les placer.

Dès leur première question, les journalistes voudront la réponse. Quelle est la réponse? Une phrase lapidaire et, j'ignore comment, que vous êtes la personne pour formuler cette réponse de manière à résoudre tous ces problèmes?

D'après moi, il faut, parce qu'on est un étranger, adopter la position selon laquelle il faut demander : La communauté collabore-t-elle beaucoup avec ses partenaires, le gouvernement du Canada et celui de la province. Un gouvernement autonome a-t-il la capacité de commencer à répondre à ces questions, qui ont pris beaucoup de temps pour faire apparaître le genre de comportements et de pratiques ainsi que les traumatismes qui ont rendu les familles incapables de s'occuper de leurs enfants? Elles ont autant d'espoir et d'amour pour leurs enfants que vous et moi, mais elles ont éprouvé beaucoup de traumatismes pour que la communauté en arrive là.

Je vous préviens : il n'existe pas de solution magique au problème. Demander plutôt si les personnes mêmes reçoivent l'appui et les services qui leur permettront de tenter eux-mêmes de répondre à la question. Le nombre de jeunes qui étudient pour travailler en protection de l'enfance est-il suffisant? Les programmes sont-ils prodigués avec l'aide de la province et du Canada pour collaborer à la résolution de ces problèmes? C'est tout ce que je voulais dire.

Le sénateur Enverga : Ces questions sur la capacité, l'expérience et la pratique dans la gestion de ses propres affaires sous-entendent-elles que l'une des solutions se trouve dans l'autonomie? Est-ce la solution pour la communauté?

M. Igloliorte : Ce n'est pas la seule solution. Visiblement, l'autonomie ne signifie pas s'isoler de la province ou du Canada, mais l'emploi de toutes les ressources pour essayer de se sortir des difficultés qu'on éprouve. L'instauration de la confiance entre les gouvernements, d'une certaine manière entre les nations, est de beaucoup préférable pour les parties qui se disent capables de s'occuper du problème.

Le sénateur Enverga : Vous avez parlé de formation et de leadership. Préférez-vous, à l'enseignement des étrangers, disposer de votre propre système d'éducation, apprendre à partir de vos racines et de votre culture?

M. Igloliorte : Je ne peux pas parler pour le gouvernement du Nunatsiavut, mais je pense que c'est visiblement un processus. Actuellement, il dit qu'on trouve manifestement d'excellentes sources d'inspiration au Canada, dans la province et dans le monde pour former de bons médecins, de bons travailleurs sociaux et ainsi de suite. Actuellement, nous ne cherchons pas chez nous de solutions aux problèmes, du moins c'est mon impression, mais on demande de faire partie de la collectivité canadienne. Éduquons-nous nous-mêmes selon ces normes. Quand nous en serons devenus capables, si nous pouvons nous servir des points forts de notre propre culture, c'est ce que nous ferons. Nous sommes visiblement dans une période de transition pendant laquelle nous ne refusons aucune aide et nous voulons adopter les normes canadiennes d'instruction et d'appui.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre contribution, pas seulement à titre de témoin, mais celle, aussi, de toute votre vie.

En relisant les recommandations de la commission de vérité du Qikiqtani intitulée Creating Healthy Communities j'ai vu qu'on établissait des liens très évidents entre les questions de santé mentale, le suicide, les toxicomanies et les prisons, d'une part, et les politiques de l'État à l'époque, dans les années 1950 à 1975.

Ça m'a frappée que l'un des plans qu'on vient tout juste d'annoncer est de construire une prison dans le Nord. Vous avez déjà parlé de façon très éloquente, tout comme le rapport de la commission, de la nécessité de plus de services et de plus de pouvoirs, dans les communautés, pour réagir aux toxicomanies, aux problèmes de santé mentale, pour des programmes et des services de soutien contre les accoutumances et, en général, pour des services d'éducation. Pourtant, la construction d'une prison risque de priver la région de ressources. C'est ce qui est arrivé dans la plupart des régions du pays. Il est certain que trop d'Autochtones ont été incarcérés. Plutôt que d'y consacrer ces ressources, pourriez-vous parler de la possibilité de les investir dans les communautés, pour que les individus y reçoivent soins de santé, services sociaux, éducation et qu'ils bénéficient de programmes?

De plus, pourriez-vous parler de façon plus générale du rôle des discussions de nation à nation dans l'élaboration des sortes de normes nationales qui amplifieraient ces initiatives axées sur la prévention et, par conséquent, des solutions de rechange à la prison, si vous voulez, en aval mais aussi en amont, ce qui fournirait des options pour ne pas marginaliser, victimiser, criminaliser et institutionnaliser plus de personnes?

M. Igloliorte : Les juges en entendent souvent, des déclarations. L'un des mythes qu'on répète sans cesse sur les prisons est qu'un tiers de la population carcérale ne devrait jamais s'y retrouver, un tiers y est à sa place et l'autre tiers ne devrait jamais en sortir. C'est ce que pense le public du fonctionnement de ce système.

En servant de l'analogie du système de protection de l'enfance pour assurer la sécurité de la communauté, la civilisation telle que nous la connaissons aujourd'hui a manifestement affirmé que ces établissements étaient nécessaires pour loger divers types d'individus selon leurs interactions avec la loi et les normes.

Comme les prisons, à elles seules, ne sont pas la solution, d'autres solutions peuvent s'appliquer à ce genre de problèmes. Il faut les employer. J'apprécie ou je comprends mal beaucoup d'orientations décidées à ce sujet. Je dis simplement que les gouvernements sont peut-être toujours soumis à des pressions pour approcher le problème d'une façon ou d'une autre, et ils ont l'autorité de prendre des décisions en fonction des priorités. Des cerveaux beaucoup plus brillants que moi prennent ces décisions pour de nombreuses raisons.

Qu'il suffise de dire que, dans l'examen du comportement des personnes dans le contexte des comportements criminels ou des problèmes de santé mentale, il faut employer toutes les ressources qu'on peut, répondre aux questions particulières dont on est saisi et laisser aux fonctionnaires le soin de prendre les autres décisions sur la société en général. Je n'oserais pas m'aventurer à dire quoi que ce soit de plus sur la façon de s'attaquer à ce problème.

Quand on nous a demandé de siéger à la commission de vérité de Qikiqtani, c'était en réaction, comme beaucoup le savent, à un tollé exprimant un reste de ressentiment contre la GRC qui, dans le passé, avait commis un gros méfait en tuant des chiens de traîneau. Ç'a directement mené à certaines des questions qu'affrontent aujourd'hui les Inuits.

Quand, au conseil de direction, nous nous sommes consultés pour décider si nous allions nous attaquer à ce seul problème, nous avons compris que nous devions examiner beaucoup de questions profondément enfouies. Nous avons donc élargi le mandat qui nous était confié par l'association du Qikiqtani et la NTI pour scruter la totalité des rapports entre le gouvernement et les Inuits à l'époque. Ça devenait une histoire beaucoup plus intéressante, qui a relégué dans une certaine mesure au second plan ce qui aurait pu être une querelle très hargneuse sur la réalité de ces incidents et leur contribution directe à ce qui est arrivé.

J'essaie de dire que, à moins de connaître tous les antécédents de ce qui arrive dans une communauté, il est très rare qu'on essaie de leur trouver une réponse unique.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de cette réponse bien réfléchie.

J'invoque votre expérience de membre de la communauté et de juge. Quand l'une des rares ressources accessibles est une prison, d'après mon peu d'expérience, on cherchera trop souvent à caractériser tel comportement de criminel ou à conclure qu'il exige un retrait de la circulation, parce que c'est la seule ressource accessible. Je voudrais connaître votre point de vue : en avez-vous connaissance ou croyez-vous que mes craintes par suite de l'annonce d'une nouvelle prison ne sont pas fondées, alors que, apparemment, on ne publie pas d'annonces semblables pour des services convenables de soins en santé mentale, de soins de santé ou de services sociaux, y compris de services contre les toxicomanies et ainsi de suite et de services d'éducation.

À ma dernière visite dans le Nord, c'était l'endroit où on envoyait les femmes et les enfants pour les éloigner de situations de violence, en grande partie parce que c'était la seule ressource disponible et non parce que l'on croyait que ces personnes avaient besoin d'aller en prison.

M. Igloliorte : Le juge autochtone qui travaille dans sa communauté passe habituellement pour un cœur sensible, parce qu'il n'applique jamais les mêmes normes rigoureuses aux personnes qui viennent à lui, particulièrement quand elles sont autochtones.

Je suis d'accord avec vous : dans notre société, heureusement moins que dans d'autres et à l'étranger, c'est habituellement le premier recours et ce n'est pas le dernier. Je comprends votre point de vue. Ce que vous dites, j'en conviens, c'est habituellement vrai, et je laisse le soin à ceux qui ont le pouvoir nécessaire et qui travaillent dans ces domaines de s'en servir du mieux qu'ils peuvent. Pour moi, tous les éléments doivent travailler ensemble.

La sénatrice Pate : Seriez-vous d'accord pour dire, alors, que ces normes nationales ou que certaines de ces orientations peuvent trouver leur place dans le cadre de discussions de nation à nation?

M. Igloliorte : Je suis d'accord avec vous.

Le sénateur Sinclair : Bonjour, Jim.

M. Igloliorte : Je suis heureux de vous revoir. Nous avons été nommés juges la même année, je pense, et nous nous sommes rencontrés dès cette année-là. Ça fait un bon bout de temps.

Le sénateur Sinclair : Vous avez beaucoup mieux réussi que moi.

M. Igloliorte : Je ne m'engagerai pas ici dans ce débat.

Le sénateur Sinclair : Permettez-moi de vous féliciter pour votre travail.

Vous avez été invité à nous parler d'un enjeu sur lequel nous pourrions selon moi en apprendre beaucoup par rapport à l'information que nous avons; l'ensemble des Canadiens et des membres de notre comité seront probablement d'accord avec moi.

Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, permettez-moi d'abord de vous poser une question générale sur l'autodétermination ou l'autonomie gouvernementale des Inuits. Pourriez-vous nous parler quelques minutes de ce que vous savez sur les formes traditionnelles ou historiques d'autonomie gouvernementale inuite? Comment le peuple inuit se gouvernait-il? Ensuite, quel est l'intérêt de cette information dans le cadre de la discussion d'aujourd'hui?

M. Igloliorte : Je suis né en 1949, année où Terre-Neuve est entrée dans la Confédération canadienne. Au sein de ma collectivité inuite de Hopedale, dans le Nord du Labrador, les choses commençaient déjà à changer sous mes jeunes yeux. Le seul système de gouvernance que j'ai connu provenait de l'Église des Frères moraves, qui était arrivée au Labrador au milieu des années 1750. Cette église avait alors attiré surtout des missionnaires de l'Allemagne ou de la Moravie, une région d'Europe. Ces gens avaient tout un esprit scientifique. Ils étaient heureux de venir travailler parmi les Inuits. Ils ont appris leur langue, ils ont traduit la Bible en inuktitut, puis ils ont appliqué les normes chrétiennes protestantes pour faire régner l'ordre au sein de la communauté.

Par exemple, lorsqu'il y avait des conflits entre des familles de la communauté, mon grand-père, un responsable de l'église, réunissait d'autres adultes, surtout des hommes, pour aller parler à la personne qui avait des problèmes avec sa propre famille ou d'autres. Dans ma jeunesse, je me souviens que cette forme de contrôle et de rétablissement de l'harmonie était le fondement de toute procédure. L'objectif était de rétablir l'harmonie entre les gens.

Le fonctionnement ressemble à ce qu'on appelle un cercle de détermination de la peine. Plutôt que la prison soit la solution aux conflits, il n'y avait ni emprisonnement ni probation. Toutes les parties étaient plutôt réunies pour divulguer comment l'incident en question avait touché tout le monde. Les différentes versions du même événement étaient écoutées. L'affaire était écartée pendant un certain temps, après quoi on y revenait. Les personnes touchées par la situation avaient de nouveau l'occasion de présenter leur version des faits, et les personnes au cœur du conflit continuaient d'expliquer comment elles pourraient résoudre le différend aux autres personnes touchées, aux membres de leur famille et à la communauté.

C'était généralement ainsi que les Inuits réglaient leurs problèmes à l'époque où les Moraves étaient présents. Avant cela, j'en sais seulement ce que j'ai lu. La plupart des Inuits vivaient dans de petits regroupements familiaux nomades. Les gens interagissaient avec les autres membres du camp plutôt qu'avec la communauté. Je suppose que les différends étaient réglés par la violence, et que les gens respectaient les relations établies en l'absence de conflit. C'est le genre de travaux que j'ai vus à propos du comportement traditionnel.

Lorsque nous sommes devenus juges, comme vous le savez, nous faisions alors partie du système canadien et provincial aussi.

Le sénateur Sinclair : Compte tenu de votre expérience à ce chapitre, quelle est l'incidence de ce fait sur la discussion d'aujourd'hui, qui porte sur la relation entre les nations? À quoi ressemblerait une forme traditionnelle d'autonomie gouvernementale inuite qui serait en relation avec le Canada?

M. Igloliorte : D'après l'expérience du gouvernement du Nunatsiavut, bien sûr, nous adoptons différents domaines de compétence. À l'heure actuelle, nous avons des pouvoirs relatifs à la culture et au bien-être des enfants et de la communauté. Nous avons le pouvoir de prendre des décisions sur l'exploitation des ressources, la santé et l'éducation. Je pense que le gouvernement sera un jour prêt à s'occuper officiellement du domaine juridique, mais ce n'est pas encore le cas.

À vrai dire, je n'ai entendu aucune discussion sur ce que le gouvernement du Nunatsiavut peut faire concernant la justice. Puisqu'il s'agit de petites collectivités où tout le monde se connaît, je suis d'avis qu'un modèle qui permet ce genre d'interaction, qui vérifie les répercussions d'une situation sur les gens, et qui ralentit le processus décisionnel d'une affaire peut être fastidieux, mais vous et moi savons que cela donne de bien meilleurs résultats à long terme.

Le sénateur Sinclair : Peut-être devrais-je vous poser une question ouverte. Croyez-vous que la culture et la langue traditionnelles des Inuits ont une place, à l'avenir, dans l'autonomie gouvernementale ou l'autodétermination des Inuits? Dans l'affirmative, à quel point ces éléments sont-ils importants?

M. Igloliorte : En fait, la langue est de moins en moins utilisée quotidiennement au Nunatsiavut, comme les sénateurs Watt et Patterson le savent. Le premier défi consiste donc à assurer la survie de la langue, puisqu'elle illustre bien le fonctionnement de la culture. Ainsi, la première étape serait de s'assurer que tout le monde réapprenne la langue inuktitute. Il faudrait en deuxième lieu se demander comment l'utilisation et l'abandon de sa langue se répercutent sur les normes et le fonctionnement de la communauté.

Le sénateur Tannas : Merci beaucoup d'être ici. Je vous remercie également d'être au service du pays, de votre province et de votre peuple.

J'aimerais aborder la question sous un angle différent afin de vous soutirer quelques réflexions personnelles. Où habitez-vous en ce moment? Vous avez quatre enfants. Où Justin vit-il?

M. Igloliorte : Merci beaucoup. Je vous remercie de votre intérêt. Nous avons quatre enfants qui réussissent bien. Le plus âgé est ingénieur chez Husky, à St. John's, où il est architecte naval. Le deuxième est professeur d'art chez Emily Carr, à Vancouver. Notre fille est professeure d'histoire de l'art à l'Université Concordia, où elle se spécialise dans les arts autochtones. Justin est devenu chef, et il travaille maintenant à la mine de nickel de Voisey's Bay, dans le nord du Labrador. Il est très heureux. Nos enfants sont tous mariés, et nous avons quatre petits-enfants.

Ma femme dit qu'elle m'a suivi partout pour ma carrière, de sorte qu'il était temps de lui rendre la pareille lorsque j'ai pris ma retraite. Nous vivons donc à St. John's, connu pour son temps doux et ensoleillé. J'essaie de lui dire que j'ai porté ma croix, mais cela n'a pas fonctionné jusqu'à présent.

Le sénateur Tannas : Cela dit, je me pose une question. Trois de vos quatre enfants ne vivent plus au Labrador et n'y retourneront probablement pas, tout comme vos petits-enfants — ou peut-être qu'ils y retourneront. Je l'ignore, mais disons qu'ils n'y retournent pas. Compte tenu de cela, sur quels principes devrait selon vous reposer la relation entre le gouvernement et vos descendants inuits?

M. Igloliorte : Qu'avez-vous dit en dernier lieu?

Le sénateur Tannas : Si nous nous tournons vers l'avenir plutôt que vers le passé pour voir comment les choses vont se dérouler, sur quels principes vos descendants inuits, qui seront probablement forts et dont l'identité ne reposera pas exclusivement sur la géographie, voudront-ils établir leur relation avec le gouvernement fédéral d'ici 10, 20, 30 ou 50 ans?

M. Igloliorte : Merci. Je n'avais pas entendu le mot « descendants » à la fin de votre question. Ma femme et moi avons toujours cru que le plus grand défi de tout couple consiste à élever des enfants dans un foyer sécuritaire et rempli d'amour. Nous avons donc décidé de réussir notre famille par-dessus tout, avant même la langue, la culture, les relations avec mon foyer — et bien sûr, ma conjointe vient de Terre-Neuve, de sorte qu'elle est une Terre-Neuvienne.

Je conviens que lorsque les enfants grandissent, ils doivent choisir ce qu'ils veulent faire et l'endroit où ils veulent vivre. Nous ne leur avons donc jamais dit qu'une partie de leur culture était plus importante qu'une autre. Ils pouvaient aller là où ils le devaient pour faire des études et choisir leur façon de vivre afin d'avoir du succès et des moyens suffisants.

Ils tirent évidemment une fierté de leur culture, ce que vous pouvez constater puisque deux de nos enfants évoluent dans le domaine des arts. Ils mettent d'ailleurs l'accent sur l'art inuit le plus possible dans le cadre de leur travail et de leurs projets.

En ce qui concerne la façon dont les gouvernements doivent s'adresser aux gens, je pense que la responsabilité devrait incomber au gouvernement inuit. Le gouvernement canadien et le gouvernement du Nunatsiavut doivent donc établir des relations de confiance. C'est le gouvernement du Nunatsiavut qui dit que nous avons une population de bénéficiaires. Ces gens ont des désirs. Ils souhaitent rester au sein de leur communauté pour bâtir des milieux durables, et nous pouvons collaborer pour les aider à atteindre leurs objectifs. Mais pour ce qui est de choisir ce que les gens veulent faire sur le plan individuel, je pense que les Inuits porteront leur culture en eux, peu importe où ils aboutiront et ce qu'ils feront. Il faut donc vraiment se demander ce que nous voulons être en tant que Canadiens, mais pas nécessairement en tant que segment d'une région donnée.

Le sénateur Tannas : Si vous me le permettez, j'ai été étonné de votre commentaire à propos de votre épouse et du fait que vous vivez à St. John's. En Alberta, il y a une belle histoire d'un type de Los Angeles dont la femme vient d'Edmonton. Il a dit qu'ils ont fait un compromis, de sorte qu'ils vivent maintenant à Calgary. Votre remarque m'a rappelé cette histoire.

J'aimerais simplement m'assurer de bien comprendre votre réponse. Il me semble que dans une perspective d'avenir, si nous parlons de la relation entre le gouvernement et les personnes, ou entre le gouvernement et la nation, de même que de tous les mécanismes, enjeux et principes connexes, vous proposez que nous nous attardions au territoire et aux gens qui s'y trouvent. Si des personnes ne sont plus sur le territoire, elles doivent se débrouiller seules puisqu'elles ont choisi de voler de leurs propres ailes.

M. Igloliorte : Les dispositions sur l'autonomie gouvernementale font en sorte que je suis toujours un bénéficiaire, tout comme mes enfants et mes petits-enfants. Ils ont droit aux avantages sociaux et de santé au même titre que tout le monde. On souhaite bien sûr que des gens qui le désirent restent dans leur région et leur communauté, et nombreux sont ceux qui le font. Aussi, un grand nombre de jeunes vont faire des études, puis reviennent dans leur communauté.

Les dispositions sur l'autonomie gouvernementale prévoient que tous les membres de la communauté ont droit à des soins et des services de santé de base, s'ils le souhaitent. Par conséquent, le lieu de résidence fait vraiment partie des négociations sur les revendications territoriales. C'est ce qui détermine qui est bénéficiaire, mais le gouvernement inuit centralisé est défini dans le cadre des revendications territoriales qui sont issues des négociations. Il s'agit des communautés au sein du Labrador. Elles ont des représentants communautaires ainsi que du gouvernement du Nunatsiavut. Ce sont ces gens qui approuvent les dispositions et la portée du statut de membre.

Le sénateur Christmas : C'est un honneur et un plaisir de vous rencontrer, juge Igloliorte.

Je m'intéresse vivement aux relations futures entre la Couronne et les peuples autochtones, mais je ne voudrais pas passer à côté d'une question pratique. Vous avez mentionné la présence d'un camp de base inuit tout juste à l'extérieur du parc national des Monts Torngat. Vous avez dit dans votre exposé qu'une aide financière était requise pour assurer la prospérité économique du camp de base. Pourriez-vous préciser les besoins du camp? Quelle en était la vision initiale? Pourquoi n'avons-nous pas encore réussi à satisfaire certaines attentes?

M. Igloliorte : Je siège au conseil d'administration d'un organisme inuit de développement économique du nom de Nunatsiavut Group of Companies. Je n'en suis pas membre depuis la création du groupe, qui a vu le jour vers 2009 ou 2010, mais j'y suis probablement arrivé en 2012. Grâce à l'aide financière d'une fiducie, la Labrador Inuit Capital Strategy Trust, nous avons pu faire l'acquisition d'un certain nombre d'entreprises. Nous avons par exemple acheté une petite entreprise locale de transport aérien du nom de Labrador Airways. Avec l'aide du Fonds CAPE, les capitaux pour la prospérité et l'entrepreneuriat autochtone créés par Paul Martin, nous avons participé à l'importante acquisition d'Universal Helicopters Newfoundland and Labrador. Nous exploitons également un navire qui relie la côte nord du Labrador à partir d'une collectivité terre-neuvienne du nom de Lewisporte. Nous avons déjà eu deux ou trois remorqueurs et barges, mais nous essayons maintenant de nous en départir. Il s'agit essentiellement d'une entreprise de construction. Nous essayons de renforcer la durabilité au moyen du développement économique. Et une autre de nos entreprises s'occupe justement du camp de base situé dans le coin inférieur sud du parc national des Monts Torngat.

J'ai également présidé le Conseil d'administration coopératif de Parcs Canada chargé de la gestion du Parc national du Canada des Monts-Torngat créé en 2006. J'ai quitté mon poste il y a quelques années. C'est maintenant une jeune Inuite très compétente de Kuujjuaq qui occupe ces fonctions.

Quoi qu'il en soit, nous avons collaboré avec Parcs Canada à l'élaboration d'un projet. Évidemment, pendant de nombreuses années, le gouvernement inuit a discuté de la création du Parc national du Canada des Monts-Torngat. Plutôt que d'installer le camp de base du parc sur le territoire du parc, il a été convenu de l'installer à la frontière du parc, mais sur les terres inuites, afin d'encourager les occasions d'affaires pour les Inuits. Nous pourrions ainsi avoir autorité sur la construction du camp et des installations, tout en collaborant avec Parcs Canada à ce projet.

Nous avons examiné un autre site potentiel, mais celui-ci ne convenait pas. Il était trop humide. Nous avons ensuite trouvé un très bel endroit pour installer le camp. Nous avons probablement aussi un site web. Il vous suffit de faire une recherche du Parc national du Canada des Monts-Torngat pour voir des images des installations.

Il faut des débours énormes de capital. Dès le début, à titre d'exploitant du camp de base, nous n'avons pas réussi à tirer des profits, notamment car nous étions d'avis que le camp de base pouvait fonctionner comme un parc, c'est-à- dire, que les amants de la nature sauvage se rendraient au camp de base simplement parce qu'il avait été installé. Nous avons compris très rapidement que les visiteurs devaient avoir beaucoup d'argent pour se rendre si loin au nord, dans une région aussi éloignée, pour que ce camp payant soit viable.

Des Inuits qui travaillent au camp, 90 p. cent occupent un emploi continu, car nous comptons des surveillants d'ours polaires. Le camp doit être ceinturé d'une clôture électrique. L'été, nous accueillons des aînés et des jeunes pour des activités culturelles.

C'est un très bel endroit, un endroit sauvage. Il faut prendre un avion de Goose Bay à Nain, la communauté inuite la plus au nord. De Nain, il faut prendre un autre avion jusqu'à Saglek, un vieux réseau avancé de préalerte américain toujours en service en raison d'un accord conclu entre le Canada et les États-Unis pour continuer d'assurer une présence dans le nord. Nous avons eu l'autorisation d'utiliser la piste d'atterrissage qui s'y trouve. Ensuite, il faut prendre un avion ou un bateau pour se rendre au camp de base situé à environ huit ou neuf kilomètres plus loin. Le terme « éloigné » ne fait pas vraiment justice à l'endroit.

Ce que je veux dire, c'est que le camp ne peut être exploité que de la fin juin à la deuxième semaine de septembre, en raison des conditions météorologiques et de l'état de la glace, à la fin de la fonte printanière et au début de l'été.

À l'origine, Parcs Canada avait accepté d'investir un montant X pour aider à développer l'endroit. Le ministère a réussi un bon coup en faisant venir des journalistes et des gens de la CBC au camp. Vous avez entendu leurs histoires sur le parc national et tous les rassemblements qui y ont eu lieu. Mais, sincèrement, pour eux, c'était un voyage bon marché. Ce qu'il faut faire, c'est transformer cette expérience en expérience touristique.

Bien entendu, s'il le désire, le gouvernement inuit peut organiser des activités culturelles, mais Parc Canada doit travailler avec les Inuits au remodelage du programme pour faire de l'endroit une destination touristique. À cette fin, il faut y faire venir les gens qui se rendent à l'île Fogo, à Terre-Neuve, où une femme plutôt fortunée est revenue chez elle pour y construire un merveilleux hôtel où, semble-t-il, des vedettes du cinéma se rendent régulièrement au coût de 1 800 $, ou quelque chose du genre.

Le gouvernement Nunatsiavut et un groupe de sociétés Nunatsiavut souhaitent rentabiliser cette exploitation. Parcs Canada nous a été extrêmement utile sur le plan archéologique et culturel, mais si le ministère pouvait dénouer les cordes de sa bourse pour investir dans le camp de base, cela serait très positif.

Le sénateur Christmas : Ce projet semble avoir énormément de potentiel. On sait qu'à l'échelle mondiale, le tourisme autochtone, l'expérience authentique, comme on l'appelle, suscite beaucoup d'intérêt. Le potentiel est là. C'est clair.

À plusieurs reprises, dans votre exposé, vous avez parlé de la relation entre la Couronne ou le gouvernement et les Inuits et souligné qu'il fallait établir la confiance. Cela m'intrigue beaucoup. C'est très intéressant, car il est très rare d'entendre parler d'établir la confiance lorsqu'il est question de la relation entre la Couronne et les Autochtones. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par « établir la confiance » entre la Couronne et les Inuits? Selon vous, quels sont quelques-uns des principaux obstacles à l'établissement de la confiance?

M. Igloliorte : D'abord, je crois que cela découle de la relation historique entre les deux parties. Le Labrador n'est pas un territoire indépendant. Il fait partie de la province de Terre-Neuve et Labrador. Vous pouvez lire sur le sujet dans un document de recherche publié par l'Université Memorial où des universitaires, notamment, parlent de l'adhésion de Terre-Neuve au Canada. Comme vous le savez, à l'époque, celui que l'on appelait le plus vieux des Pères de la Confédération toujours vivants, Joey Smallwood, a conclu une entente avec le gouvernement du Canada selon laquelle tous les habitants de la province seraient des Terre-Neuviens; aucun peuple autochtone n'était reconnu.

Cela signifie que, dès le début, le Canada n'a pas satisfait son obligation fiduciaire et offert aux Autochtones de la province les mêmes programmes qu'il offrait aux autres peuples autochtones du pays. Les fonds étaient remis au gouvernement de Terre-Neuve qui les distribuait, par l'entremise d'un de ses ministères, aux communautés du Labrador. Donc, dès le début, les Inuits avaient très peu de raison d'avoir confiance au gouvernement du Canada.

Ensuite, il y a eu l'accord sur les revendications territoriales où le cadre de la relation a été négocié. Selon ce que j'ai compris, le gouvernement inuit souhaite qu'avec le temps, les priorités des deux ordres puissent se rejoindre grâce à une relation de confiance. C'est essentiellement ce que je veux dire. Le problème a des racines historiques.

Le sénateur Watt : [Note de la rédaction : le sénateur Watt s'exprime en Inuktitut.]

M. Igloliorte : Merci beaucoup.

Le sénateur Watt : Je vais traduire brièvement ce que j'ai dit. Essentiellement, je vous ai remercié d'avoir accepté notre invitation. C'est agréable d'accueillir un témoin ayant un large éventail de connaissances dans le domaine du droit.

Comme vous le savez, nous sommes confrontés à plusieurs problèmes et des décisions doivent être prises. Certaines ont déjà été prises et leur mise en œuvre est parfois problématique.

À ce sujet, j'aimerais vous poser des questions sur le bien-être des Inuits, la conclusion d'un traité avec la Couronne et ce qu'il faudrait faire pour corriger les problèmes créés par l'adoption du traité moderne. Je vais vous poser des questions sur plusieurs domaines.

D'abord, le gouvernement a recours à un concept d'extinction, de renonciation et de cessation si les groupes autochtones choisissent de négocier un traité moderne. Comment interprétez-vous ce concept sachant, en tant que premier habitant du pays, que l'on vous demandera de renoncer à vos droits, d'accepter l'extinction de vos droits et de céder ce que vous possédez?

M. Igloliorte : Je sais que vous et de nombreux autres du Nunavik avez beaucoup d'expérience à négocier directement avec la Couronne. Pendant de nombreuses années, vous avez dépensé beaucoup d'énergie et versé beaucoup de larmes pour tenter de trouver une façon de convenir, premièrement, de dispositions sur l'autonomie gouvernementale et, deuxièmement, comme vous l'avez souligné, d'une méthode pour renforcer le développement des ressources dans la région.

Je doute que les Inuits du Labrador auraient conclu un accord de revendication territoriale si la mine de cuivre Voisey's Bay n'avait pas été ouverte. À l'époque, le Canada et Terre-Neuve étaient soumis à des pressions financières et commerciales. La mine allait être exploitée pendant 30, 40 ou 50 ans, voire plus longtemps encore, et elle allait aider à développer l'économie de la région. Pour y avoir accès, le Canada et Terre-Neuve se sont dit qu'il serait peut-être préférable de prendre au sérieux la volonté des Autochtones du Labrador à vouloir négocier. C'est le catalyseur qui a mené à cette décision.

Comme vous l'avez souligné, pour que les peuples autochtones puissent conclure un tel accord avec la province et le gouvernement fédéral, ils devaient céder leurs droits et permettre aux gouvernements d'exploiter leur terre. En retour, les gouvernements leur accordaient l'autonomie gouvernementale.

Vous étiez à la table à l'époque et avez abordé ce genre de questions. Tout comme pour les anciens présidents de l'Association des Inuits du Labrador, il s'agissait pour vous d'un enjeu énorme. Évidemment, il ne s'agissait pas, selon nous, d'une façon équitable et basée sur la confiance de conclure un accord avec les peuples autochtones, les premiers habitants du territoire.

Bien entendu, outre les dispositions sur l'autonomie gouvernementale, la gestion des soins de santé et les impôts, notamment, la plupart des accords de revendication territoriale précisent quelles petites parties de leur terre d'origine les peuples autochtones peuvent conserver. Pour quiconque occupait des fonctions de gouvernance pour l'ensemble du groupe ou représentait l'ensemble du groupe, cela a dû être difficile à accepter.

On dit que l'on n'obtient pas ce que l'on mérite, mais bien ce que l'on négocie. C'est surtout le cas dans le cadre de négociations de haut niveau avec des avocats de tous les domaines. Il faut faire de son mieux et être prêt à se battre autant que possible et consentir le moins possible.

Même si les négociations se terminent par un accord écrit, cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir d'accommodements entre les parties au fil des ans. J'imagine que c'est ce que l'on souhaite, soit que le Canada comprenne que pour bâtir quelque chose de durable, il faut avoir les moyens financiers de le faire et une durabilité économique. Sinon, comme vous le dites, il y aura toujours des problèmes au sein des communautés. La lutte est impossible sans l'expérience et le soutien commercial.

Le sénateur Watt : Merci pour cette réponse. Nous avons une occasion que nous n'avions pas auparavant. Le premier ministre actuel tient à améliorer la vie de nos peuples. Nous devrions être reconnaissants de cette situation. Parallèlement, nous avons un problème à régler. Nous devons trouver une solution qui convient à toutes les parties concernées.

Comme vous le savez, un gouvernement ou un organe de gouvernance a besoin de deux choses pour être efficace : un pouvoir législatif et des fonds à investir. Les deux sont indissociables. C'est très important.

À mon avis, pour arriver à la conclusion d'une entente entre gouvernements, entre nations, avec les Premières Nations, les Inuits ou les Métis, il faudrait revisiter les accords passés. Je ne parle pas uniquement des accords modernes, mais aussi des vieux accords conclus il y a de nombreuses années.

Je crois qu'il y a une occasion qui se présente à nous et qu'elle risque de s'envoler si nous n'en tirons pas parti rapidement. Il suffit en effet d'une élection pour changer bien des choses.

Convenez-vous avec moi qu'il nous faudra tenir compte, au moment de formuler des recommandations concrètes au gouvernement, de ces deux enjeux fondamentaux que sont la capacité d'exercer un pouvoir législatif et l'accès à des capitaux, deux éléments primordiaux qui pourraient être interprétés de différentes manières.

Êtes-vous du même avis, pour autant qu'il s'agisse bien de l'orientation souhaitée pour les Autochtones de tout le pays?

M. Igloliorte : Oui. À partir du moment où vous êtes nommé juge — et je n'apprends certes rien au juge Sinclair —, vous le demeurez dans votre esprit toute votre vie durant. Il y a une réticence naturelle à agir comme un politicien. C'est une métamorphose qui ne se fait tout simplement pas.

Je connais les politiciens du Labrador et leurs aspirations, et je ne vais pas manquer de discuter avec eux. Vous ne risquez pas de me voir revenir ici pour affirmer que je m'attends à telle ou telle forme de soutien.

Vous avez tout à fait raison. À mes yeux, l'engagement à investir dans les infrastructures est l'une des grandes sources d'espoir pour les gens du Nord. Nous nous retrouvons en effet loin derrière la plus pauvre des autres collectivités du sud du Canada pour ce qui est des infrastructures de logement, de transport, de communications et de connectivité. Il s'agit donc assurément d'un secteur où des améliorations s'imposent. Je m'en remets donc à vous, mesdames et messieurs les sénateurs, pour que ce message continue de circuler.

Le sénateur Oh : Merci de votre présence aujourd'hui. Pourquoi est-il important que la culture et les traditions des Inuits et des Autochtones soient prises en compte dans le système de justice canadien?

M. Igloliorte : Notre langage et notre culture nous définissent; ils nous procurent la fierté et l'estime de soi dont nous avons besoin pour prendre notre place au sein de la société. Il va de soi que la meilleure façon pour tous les Autochtones du Canada d'assurer le maintien de leurs collectivités périphériques consiste à puiser leurs forces à la source de leur culture, de leurs traditions et de leur langue.

Ce ne sont pas tous les Autochtones qui veulent quitter leurs collectivités pour s'intégrer à la population générale. C'est un exercice particulièrement difficile pour ceux qui essaient de gagner leur vie au quotidien. Ils veulent bénéficier du soutien et de la force que leur procure la présence de leurs proches, tout en étant fiers d'être Canadiens.

Vous avez donc tout à fait raison de dire que la culture et la tradition sont essentielles pour les Autochtones du Canada.

Le sénateur Oh : Quels sont les avantages et les défis que vous avez pu vous-même observer?

M. Igloliorte : En fait, tout membre d'une communauté inuite peut considérer qu'il y a un territoire vers lequel il peut toujours retourner. C'est là que se trouvent ses racines et qu'il peut refaire ses forces. Bien que l'on s'expose à de nombreuses difficultés en quittant cette zone de confort, j'estime important que chacun puisse exprimer ses souhaits et ses rêves. Il arrive qu'une personne se retrouve ainsi à agir en tant qu'Autochtone dans le reste du pays en s'appuyant sur cette force que lui confère sa culture.

La présidente : Nous passons maintenant au second tour. Comme il nous reste seulement 15 minutes, je vous prierais de poser de brèves questions.

Le sénateur Enverga : Monsieur le juge, j'aimerais poursuivre dans le sens des questions posées par le sénateur Tannas.

Ma question porte sur la capacité à s'autogérer. Est-il possible que l'incapacité de certaines collectivités à le faire soit attribuable au fait que leurs chefs de file véritables, les professionnels, sont allés vivre ailleurs? En quelque sorte, ces gens-là se fondent dans la population canadienne. Est-il possible que les difficultés des collectivités autochtones puissent s'expliquer par le fait que ceux qui apprennent la langue et la culture des Blancs ne veulent pas y retourner par la suite? Avez-vous été à même de le constater chez vous ou dans d'autres collectivités? Est-ce l'un des facteurs qui pourraient entraver l'autonomie gouvernementale?

M. Igloliorte : Nous avons au Canada des centaines de collectivités autochtones : Métis, Premières Nations et Inuits. Chacune d'elles a sa situation bien particulière, notamment pour ce qui est du niveau de développement atteint.

Je peux vous parler uniquement du cas des Inuits du Labrador qui ont pu, grâce aux dispositions en matière d'autonomie gouvernementale, mettre l'accent sur l'éducation, bonifier les services de santé autant que faire se peut, et reprendre en main leur destinée pour ce qui est des services sociaux, de la fiscalité, de la gouvernance et de la gestion de leurs collectivités.

C'est ainsi que chaque collectivité peut retrouver la fierté et se sentir capable de subvenir à ses propres besoins. La solution passe donc assurément par les efforts importants à déployer en matière d'éducation de manière à savoir comment s'y prendre exactement pour stimuler l'activité économique tout en favorisant la paix et l'harmonie au sein de la collectivité. Même s'ils doivent s'absenter un certain temps pour faire des études, des membres de la collectivité peuvent revenir ensuite pour que tous puissent bénéficier de leur bagage de connaissances.

La situation semble vraiment problématique lorsque vous en brossez un tableau de cette manière, mais le fait est que bon nombre de collectivités, surtout chez les Autochtones, mettent les bouchées doubles pour changer les perceptions à cet égard. Je pourrais vous citer de nombreux exemples de jeunes du Labrador qui sont allés faire des études pour rentrer ensuite dans leur collectivité. Ce n'est pas seulement unidirectionnel.

Le sénateur Sinclair : Nous pourrions discuter bien longtemps de l'importance de l'expérience internationale des Inuits compte tenu de la situation de nos frontières nordiques et de l'influence exercée par la Conférence circumpolaire inuite, tout au moins dans l'histoire récente de notre pays. Pourriez-vous nous dire quels enseignements notre comité pourrait selon vous tirer des échanges qu'ont pu avoir les Inuits du Nord canadien avec des Inuits d'autres régions du monde?

M. Igloliorte : Je ne fais pas partie de cette organisation. J'ai des amis qui ont visité d'autres secteurs du Nord où vivent des sociétés inuites différentes de la nôtre. D'après ce que j'ai pu comprendre, tous ces échanges avec des gens d'une culture similaire qui vivent ailleurs sont très positifs. Il est très important que le Canada puisse ainsi démontrer que ses Autochtones, et les Inuits plus particulièrement en l'espèce, peuvent s'intégrer à une communauté internationale beaucoup plus vaste. Sinon, je n'ai pas vraiment d'expériences personnelles dont je pourrais vous faire bénéficier.

Le sénateur Watt : J'aurais encore deux points à soulever. Il y a d'abord la question des titres de propriété.

Comme vous le savez, les traités modernes définissent notre accès à nos terres en fonction de titres de propriété en fief simple. C'est en quelque sorte la même chose que pour les autres Canadiens. C'est normalement au moyen de titres en fief simple qu'une personne ou une famille peut accéder à la propriété. Les traités modernes reprennent donc ce concept.

Auriez-vous une solution à proposer pour faire en sorte que nous ayons davantage l'impression que nos droits à l'égard de nos propres terres sont bel et bien reconnus? C'est ma première question.

M. Igloliorte : La seule chose que j'ai apprise en grandissant dans une collectivité inuite, c'est que la terre appartient à tout le monde et que tous y ont accès. Les Inuits qui m'ont précédé au Labrador croyaient que les rochers et tous les fruits de la terre étaient dotés d'un esprit et pouvaient parfois nous avaler, parfois nous nourrir.

Il m'a donc fallu faire un effort important pour arriver à comprendre à la faculté de droit tous ces concepts de propriété et tous ces moyens qu'il faut prendre pour acquérir des biens et des terres que nous croyions accessibles à tous. Encore aujourd'hui, je ne peux pas vraiment affirmer que je comprends tout cela.

Vous soulevez bien sûr une question d'ordre politique. Il s'agit pour un peuple de déterminer, via son mode de gouvernance, la nature de ses relations avec la Couronne tout en misant toujours sur la négociation. Je peux seulement vous dire une chose à ce sujet. Plus votre équipe de négociation peut compter sur des gens instruits et qualifiés, meilleures sont vos chances de faire changer d'idée des interlocuteurs qui ont un point de vue différent quant à la propriété des terres et des richesses qu'elles recèlent.

De mon point de vue d'Inuit, je vous dirais que nous tirons notre force de notre présence même sur nos terres. Toute une série de nouveaux litiges deviennent envisageables lorsque des intérêts commerciaux commencent à convoiter ces ressources dont regorgent nos terres, tout au moins dans la mesure où nous sommes capables de les exploiter commercialement. C'est à peu près tout ce que je peux vous dire à ce sujet.

Le sénateur Watt : Le sénateur Sinclair a déjà fait allusion au volet international de nos responsabilités en tant que membres d'un Sénat qui doit faire un second examen objectif des choses.

Voilà sept ans que je m'emploie à faire valoir les droits nationaux des Inuits et leurs droits à l'échelle internationale. J'ai pu obtenir des interprétations juridiques de firmes d'avocats quant à la nature des droits nationaux par rapport aux droits internationaux.

Si l'on examine la question des frontières canadiennes et de la souveraineté dans l'Arctique, il faut constater que certains secteurs géographiques occupés par les Inuits ne relèvent pas de la compétence du gouvernement fédéral, ni d'aucun autre État d'ailleurs.

Comment doit-on composer avec une situation semblable? Pour ma part, j'ai toujours cherché au cours des sept dernières années à me présenter devant n'importe quel gouvernement en préconisant la recherche d'un terrain d'entente pour la conclusion d'un traité à l'échelle internationale. De cette manière, le gouvernement canadien courrait moins de risque, surtout dans les dossiers où différentes entités internationales souhaitent avoir accès aux matières premières.

Non seulement avons-nous un intérêt dans ce secteur, mais il faut assurément que nous puissions jouer un rôle direct et participer à la prise de décisions. Je n'irai pas jusqu'à dire que le gouvernement hésite à traiter avec vous, mais son silence peut laisser songeur quand on sait qu'il y a une véritable possibilité pour lui de travailler en partenariat avec les Inuits dans l'Arctique. Je poursuis mes pressions en ce sens, car nous n'en sommes pas encore tout à fait là. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Igloliorte : Je peux seulement vous encourager à continuer votre combat en mettant à contribution vos homologues inuits et les avantages que peuvent vous procurer les pressions qu'ils exercent partout au pays. Je suis persuadé que les Inuits de tout le Canada partagent votre façon de voir les choses aussi bien dans la région d'Inuvialuit qu'au Nunatsiavut et au Nunavik. Bien souvent, des changements peuvent être apportés aux politiques, aussi bien internationales que nationales, grâce aux pressions exercées par des gens comme vous qui n'ont pas eu peur de tester de nouvelles idées. Je vous encourage à poursuivre dans le même sens.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je veux revenir à une question posée tout à l'heure par le sénateur Watt. Est-ce qu'il y a un moment au cours des négociations où le gouvernement vous a indiqué que son offre était à prendre ou à laisser?

M. Igloliorte : Je faisais partie de l'équipe de négociation qui a conclu de longues années de pourparlers entre Terre- Neuve, le Canada et l'Association des Inuits du Labrador. C'était en 1996. Je n'étais pas alors au fait de toute l'histoire qui s'était amorcée bien des années auparavant.

Comme je l'ai expliqué, il semblerait que la ratification ait été notamment rendue possible par les pressions que nous avons exercées. Si le gouvernement voulait bénéficier d'une certitude raisonnable aux fins du développement des ressources, il allait devoir consentir à certains compromis, sans doute plus difficiles qu'il ne l'aurait souhaité, et ce tant pour Terre-Neuve que pour le Canada. C'est la nature même des négociations. Nous pouvions compter sur un avocat chevronné digne de confiance. Il a bien sûr suivi les directives que nous lui avions données, mais il nous a également prodigué de bons conseils quant à la façon de nous y prendre.

Pour répondre directement à votre question, je n'ai jamais entendu d'ultimatum semblable, mais j'oserais dire que ce fut le cas à plus d'une reprise. Différentes affirmations sont faites de part et d'autre dans le cadre d'un processus de négociation au cours duquel on parvient à s'entendre sur un certain nombre de façons de présenter les choses pour en arriver bien évidemment au bout du compte à une solution pouvant être jugée acceptable pour toutes les parties. Je ne peux donc pas vous le confirmer, car il est très rare que des choses semblables sortent du cadre des négociations, mais je présume que cela n'a pas fait obstacle à la bonne marche des choses, car nous sommes satisfaits des dispositions sur l'autonomie gouvernementale dont nous pouvons maintenant nous prévaloir au sein de nos collectivités. J'oserais dire que c'est sans doute ce qui est arrivé, mais que cela n'a, de toute évidence, pas influé sur le résultat des pourparlers.

La sénatrice Lovelace Nicholas : Je pose la question dans le contexte des négociations qui sont en cours relativement au projet minier Sisson dans ma région. Selon ce qui est proposé, si l'on n'accepte pas certaines choses, on risque de tout perdre. C'est ainsi que les négociations se sont déroulées. Je vous remercie.

La présidente : Nous sommes arrivés à la fin de notre séance. Au nom de tous les sénateurs faisant partie du comité, je veux remercier le juge James Igloliorte pour sa comparution. Merci pour votre merveilleuse synthèse de l'histoire des Inuits à Terre-Neuve-et-Labrador.

Il y a un commentaire que je voulais faire en terminant. Bon nombre d'entre nous ont été vraiment interpelés lorsque vous avez dit que, en votre qualité de juge, vous aviez une réticence à agir comme un politicien. En tant que scientifique, je suis de tout cœur avec vous. Je suis persuadée que tous mes collègues sénateurs sont du même avis, peu importe leur profession.

Le Sénat doit bien sûr remplir son rôle de second examen objectif, et nous essayons de le faire en agissant comme un juge le ferait, c'est-à-dire en prenant tous les facteurs en considération.

(La séance est levée.)

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