Aller au contenu
NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Finances nationales

Fascicule no 92 - Témoignages du 10 avril 2019


OTTAWA, le mercredi 10 avril 2019

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45, pour étudier les processus et les aspects financiers du système d’approvisionnement en matière de défense du gouvernement du Canada.

Le sénateur André Pratte (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je m'appelle André Pratte. Je suis vice-président du comité et je présiderai les travaux du comité ce soir en l’absence de notre président, Percy Mockler, qui voyage avec un autre comité.

Je vais d’abord demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Forest-Niesing : Josée Forest-Niesing, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, du Yukon.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Forest : Bienvenue. Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan.

Le vice-président : Merci. Aujourd’hui, notre comité poursuit son étude spéciale sur l’approvisionnement militaire, commencée le 30 octobre dernier. Nous étudions les processus et les aspects financiers du système d’approvisionnement en matière de défense du gouvernement du Canada. Nous avons tenu cinq réunions sur le sujet jusqu’à présent. Aujourd’hui, nous voulons donner la parole aux associations d’industries liées à la défense.

Nous accueillons Christyn Cianfarani, présidente et chef de la direction de l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité. Nous recevons également deux représentants de l’Armed Forces Communications and Electronics Association : Kelly Stewart-Belisle, présidente de la section d’Ottawa et Greg Loos, major-général à la retraite. On m’a informé que plusieurs membres de votre association sont ici ce soir et, si nous avons besoin de leur contribution, nous serons certainement heureux de leur donner la parole. Enfin, nous entendrons Jim Quick, président et chef de la direction de l’Association des industries aérospatiales du Canada. Bienvenue au comité. Merci d’avoir accepté notre invitation.

Je vous demanderais maintenant de faire vos exposés à tour de rôle, en commençant par Mme Cianfarani.

Christyn Cianfarani, présidente et chef de la direction, Association des industries canadiennes de défense et de sécurité : Merci. Bonsoir, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à m’adresser à vous ce soir. Je suis présidente et chef de la direction de l’Association des industries canadiennes de défense et de sécurité, également connue sous l’acronyme AICDS. Nous représentons plus de 900 entreprises canadiennes de défense, grandes et petites, dont les technologies et services soutiennent les Forces armées canadiennes, le ministère de la Défense nationale, la Garde côtière canadienne, ainsi que les professionnels des forces policières et les spécialistes de la sécurité.

Nous vous avons distribué un bref document pour vous aider à mieux comprendre cette industrie.

D’abord, un petit mot sur mon parcours personnel. J’ai travaillé dans l’industrie de la défense pendant 20 ans, dont 17 auprès de sociétés canadiennes. Au cours de cette période, j’ai passé 10 ans à répondre aux demandes de propositions des gouvernements et des organismes d’approvisionnement en défense partout dans le monde.

Améliorer le système canadien d’acquisition en défense est particulièrement important, étant donné l’ambition du gouvernement — énoncée dans Protection, Sécurité, Engagement —, qui vise à porter le nombre d’acquisitions en défense à un niveau jamais vu depuis toute une génération, soit à quelque 250 projets ou plus.

[Français]

En fait, la semaine dernière seulement, dans le bilan des audiences des Forces armées canadiennes sur leurs projets, je crois que le nombre utilisé pour le suivi est de 333.

[Traduction]

Au cours de vos délibérations, vous avez peut-être remarqué deux principaux énoncés sur les acquisitions en défense au Canada. Le premier, issu principalement des représentants du gouvernement, est que le système fonctionne bien la plupart du temps, mais qu’il a besoin de certaines améliorations, particulièrement lorsqu’il s’agit de grands projets de la Couronne.

Le deuxième, entendu chez les médias, le milieu universitaire et les autres intervenants de l’extérieur du gouvernement, est que le système est fondamentalement déficient et qu’il a besoin d’une réforme radicale. À mon avis, la vérité se trouve quelque part entre ces deux énoncés.

De plus, il n’y a pas de consensus quant à ce qu’il faut faire avec cette situation.

[Français]

J’aimerais commencer par dire que le processus d’approvisionnement dans le domaine de la défense est l’une des choses les plus complexes qui existent au sein du gouvernement. Bon nombre de projets sont incroyablement coûteux, mais sont essentiels à la défense et à la sécurité nationale.

[Traduction]

La sécurité physique du personnel militaire est en jeu. On s’attend à ce que l’équipement acheté dure des dizaines d’années. Les enjeux ne pourraient être plus élevés. Les acquisitions en défense présentent aussi de graves risques attribuables aux facteurs financiers ou technologiques ou aux échéances. Il y a également la nécessité légitime au Canada, comme dans tout pays avancé, d’équilibrer trois objectifs : la capacité, les coûts et le rendement économique pour le pays.

En raison de cette complexité fondamentale, chaque pays, peu importe le système en place, a son lot de problèmes et de controverses relativement aux acquisitions en défense. Voici trois grands titres qui illustrent cette réalité.

Dans le Guardian, un article paru en 2018 et intitulé « Buyer’s remorse: Australia’s sorry record on defence hardware » porte sur le bilan lamentable de l’Australie concernant l’acquisition de matériel de défense. Dans le magazine Forbes, un article de 2011 a pour titre « How To Waste $100 Billion: Weapons That Didn’t Work Out », c’est-à-dire comment gaspiller 100 milliards de dollars en achetant des armes qui ne fonctionnent pas. Un autre article paru en 2018, dans le Financial Times, s’intitule « Spiralling cost of UK defence projects signals hard choices », c’est-à-dire la hausse exorbitante du coût des projets de défense au Royaume-Uni, d’où la nécessité de faire des choix difficiles.

Les problèmes et les controverses du Canada en matière d’acquisition en défense ne sont donc pas uniques. Cela étant dit, notre système d’approvisionnement en défense a acquis une réputation de moins en moins enviable, au pays et à l’étranger, particulièrement auprès des entreprises.

[Français]

Ce système est perçu comme étant l’un des plus lents à l’échelle mondiale, complexe à manoeuvrer, très risqué et opaque, et dont le résultat est incertain.

[Traduction]

Je crois qu’il est important d’expliquer que notre système actuel n’a pas été mis en place dans le cadre d’un projet grandiose élaboré par une seule et unique personne ni par un seul gouvernement. Au cours de nombreuses années, nous avons mis au point un système de processus, procédures, règlements, conventions, cultures et habitudes superposés et entrecroisés. Quelques erreurs ont entraîné l’accumulation de contrôle par-dessus contrôle dans chacun des ministères. Rares sont ceux qui connaissent ou qui comprennent le système sous toutes ses dimensions. Selon l’analyse du ministère de la Défense nationale, la durée totale du cycle de l’approvisionnement au Canada a atteint 16 ans et demi en 2010-2011, une hausse de 66 p. 100 par rapport à 2004. Cela dit, notre matériel était tombé en désuétude.

Nous n’avons pas de données plus récentes sur lesquelles nous baser, mais la plupart des dirigeants d’entreprise diraient que le processus n’est pas vraiment plus rapide aujourd’hui. À mon avis, plus de données sur le rendement du système pourraient vous aider dans le cadre de votre étude.

Selon nous, le système canadien a besoin de réformes importantes, quoique prudentes, afin de répondre aux ambitions en matière d’approvisionnement énoncées dans Protection, Sécurité, Engagement.

Il faut souligner que le gouvernement a pris certaines mesures positives au cours des trois dernières années, notamment la mise en place de la nouvelle politique des retombées industrielles et technologiques et, plus particulièrement, les propositions de valeur, qui font toutes deux l’objet de cycles continus de rétroaction et d’amélioration, ainsi que la publication du Plan d’investissement du ministère de la Défense nationale et le lancement d’une initiative connexe, soit le Programme des capacités de la Défense.

En ce qui a trait au Plan d’investissement, il s’agit d’une chose que l’industrie demande depuis des années. C’est un document important qui aide les entreprises à comprendre quelles sont les prochaines acquisitions, quand elles seront faites et combien le gouvernement prévoit dépenser pour se les procurer. Ce sont là des renseignements essentiels pour les entreprises en ce qui concerne leur planification et leur prise de décisions relativement aux investissements en recherche et développement, aux chaînes d’approvisionnement et aux accords de partenariats.

On nous a aussi dit que les coûts des projets prévus dans le Plan d’investissement seraient entièrement établis et financés, ce qui permet une meilleure gestion des priorités, de la surveillance et de la reddition de comptes. Le Plan d’investissement est certainement un pas dans la bonne direction, mais nous espérons que le gouvernement le considérera comme un travail en constante évolution. Ce plan peut, et devrait, continuer d’être amélioré grâce à un rétrécissement des fourchettes de coûts des projets, dont certaines sont tellement larges qu’elles ne veulent pratiquement rien dire pour l’industrie, et grâce à une plus grande précision de l’échéancier attendu.

Le gouvernement devrait être en mesure de présenter des fourchettes de coûts plus étroites pour les soi-disant technologies de série, qui se caractérisent par des risques peu élevés et un équipement en service dans d’autres administrations. Les projets de développement de plus grande envergure nécessiteront évidemment un plus large éventail de coûts en raison des incertitudes et des risques qui y sont associés.

[Français]

L’engagement du gouvernement visant à faire croître la protection, la sécurité et l’engagement et à rendre plus professionnelle la main-d’œuvre relative aux acquisitions est tout aussi bien accueilli, mais nous reconnaissons que cette initiative prendra des années avant de porter ses fruits.

Entre-temps, nous incitons le gouvernement à continuer de former du personnel pour l’aider à mieux comprendre comment les choses fonctionnent dans le milieu des affaires et à envisager des mandats plus longs et des partenaires civils du côté de la Défense nationale afin d’accroître la stabilité et la mémoire institutionnelle.

[Traduction]

Donc, que peut-on faire d’autre pour améliorer le processus d’approvisionnement en défense à court et à moyen terme? Tout d’abord, le gouvernement doit dresser un plan du système d’un bout à l’autre et rendre ce plan public. Cela aidera à établir un point de référence et à déterminer les domaines où l’on peut faire mieux.

L’actuelle structure de gouvernance universelle pour les acquisitions devrait être remplacée par un système qui adapte la gouvernance et la surveillance au niveau de risque et de complexité d’un projet.

Une des idées souvent défendues est celle d’un organisme d’approvisionnement unique qui regrouperait les fonctions dispersées dans trois ministères — à savoir le ministère de la Défense nationale, Services publics et Approvisionnement Canada, et Innovation, Sciences et Développement économique Canada —, en une seule entité. Il s’agit là d’une réforme à l’échelle macroscopique qui, à première vue, semble être logique. Je vous conseillerais toutefois d’y réfléchir à deux fois. Adopter l’idée de recourir à un seul organisme est un grand acte de foi, qui comprend une consolidation incroyablement complexe de fonctions, de pouvoirs juridiques et de cultures organisationnelles, sans parler des milliers de personnes, aussi bien des civils que des militaires. Il faudrait probablement des années avant qu’un organisme d’approvisionnement central prenne forme et devienne un tant soit peu fonctionnel. En outre, durant cette période de transition, les processus d’acquisition seraient sans doute interrompus.

Attribuer à un seul ministre l’ensemble des responsabilités liées à l’approvisionnement en matière de défense n’est pas un changement simple. Ce serait comme si une entreprise en venait à modifier fondamentalement sa chaîne de montage au plus fort de la période de production, compte tenu du nombre de projets prévus dans le système. La chaîne de montage restera brisée, peu importe la fréquence à laquelle on change de président-directeur général, ou peu importe la personne qui occupe ce poste.

Il ne faut pas non plus oublier que les organismes centraux d’acquisition, comme ceux aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie — sur lesquels portent les articles que j’ai cités —, sont dotés d’un mandat profondément ancré dans la politique industrielle en matière de défense. Sans cette protection, l’industrie canadienne se trouverait complètement érodée, et la croissance que nous connaissons à l’heure actuelle, c’est-à-dire un taux de 9 p. 100 de 2014 à 2016, pourrait être perdue.

Il vaut aussi la peine de souligner que les pays alliés qui ont récemment adopté le modèle de l’organisme unique — à savoir le Royaume-Uni et l’Australie — continuent d’être aux prises avec des dépassements de coûts et des retards dans l’exécution des projets. Un nouvel organisme devrait quand même trouver une solution aux processus sous-jacents d’approbation des projets et de gouvernance, dont bon nombre sont établis au sein du ministère de la Défense nationale. Il n’y a aucun moyen d’y échapper.

Une approche plus dosée commencerait par une analyse en profondeur du système actuel pour en isoler les segments qui ont mûri avec le temps, qui ne sont désormais plus utiles ou qui ont été dédoublés. L’industrie, qui interagit chaque jour avec certains segments du système, doit probablement participer, elle aussi, aux discussions pour présenter son point de vue sur les processus et les fonctions qui causent de la frustration et des problèmes.

[Français]

Cette méthode n’est pas aussi audacieuse ni aussi flamboyante que la création d’une nouvelle agence gouvernementale, mais elle n’est pas non plus aussi risquée et pourrait même entraîner de meilleurs résultats, plus rapidement.

[Traduction]

C’est probablement le meilleur conseil que je puisse formuler pour l’atteinte de résultats concrets en vue d’améliorer les processus d’approvisionnement en défense. À la base, mon message pour vous, sénateurs, c’est qu’il n’existe pas de remède miracle ni de solution facile, mais l’industrie est prête à participer aux discussions et à travailler avec le gouvernement afin d’améliorer les résultats pour chacun de nous parce que sa réussite est aussi la nôtre.

Merci du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Kelly Stewart-Belisle, présidente, Armed Forces Communications and Electronics Association (AFCEA) Ottawa Chapter : Bonsoir et merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, de nous donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui et de vous faire part de notre point de vue sur les améliorations en matière d’approvisionnement militaire.

Je suis accompagnée aujourd’hui de membres de notre Armed Forces Communications and Electronics Association, connue sous le nom d’AFCEA Canada : il y a moi, présidente d’AFCEA Canada et directrice des services cybernétiques chez Accenture Canada; le major-général à la retraite Greg Loos; le brigadier-général à la retraite John Turnbull, de CFN Consultants; Kelly Williams et Rich Fawcett, de General Dynamics Mission Systems–Canada; Wayne Teeple, de RHEA Group; et, enfin, le lieutenant-général à la retraite John Leech.

L’AFCEA est une association professionnelle internationale sans but lucratif, constituée de membres. Depuis 1946, elle tisse des liens entre les gens, les idées et les solutions à l’échelle mondiale pour aider ses membres à faire avancer les capacités dans les domaines des technologies de l’information, des communications et de l’électronique. Pour ce faire, elle crée des possibilités de réseautage et de formation, le tout dans le cadre d’une tribune éthique sans lobbyisme.

L’AFCEA compte actuellement plus de 31 000 membres à titre personnel, 140 sections et 1 632 sociétés membres partout dans le monde. Sur la scène internationale, l’AFCEA suit des lignes directrices extrêmement strictes en matière d’éthique, comme en témoigne notamment sa décision de ne pas agir comme groupe de pression, permettant ainsi aux forces armées, au gouvernement, à l’industrie et au milieu universitaire d’allier technologie et stratégie pour répondre aux besoins de ceux qui servent leur pays.

L’AFCEA examine les enjeux liés à l’approvisionnement militaire sous l’angle de la gestion de l’information, des technologies de l’information et de la protection des renseignements. Étant donné la nature et l’importance de la sécurité nationale, nous devons envisager le tout dans le contexte du cyberespace. C’est un domaine de conflit stratégique international, d’où la nécessité d’y accorder une attention particulière et de le traiter différemment — parce que c’est différent — de la plateforme traditionnelle, qui repose sur l’environnement. Il est fortement recommandé que cet aspect fasse, à lui seul, l’objet d’une étude ou d’un engagement futurs à long terme.

Pourquoi est-ce différent? Parce que cela permet de mettre en évidence les technologies qui sont désuètes avant même leur acquisition. Le processus d’approvisionnement traditionnel est tout à fait dénué de sens quand vient le temps de déterminer les technologies auxquelles les Forces canadiennes doivent recourir.

Par conséquent, il est important de distinguer les différences entre, d’une part, les renseignements et les technologies à l’appui de l’environnement d’information et, d’autre part, les acquisitions fondées sur les plateformes traditionnelles, comme les navires, les armes, les avions, les véhicules, et cetera. En raison de la complexité de cet environnement et de sa grande différence par rapport aux domaines traditionnels intégrés de la sécurité terrestre, maritime et aérienne, il importe de faire la distinction entre l’impératif militaire d’assurer une continuité et la nécessité d’utiliser des systèmes qui fonctionnent ensemble.

La nature informationnelle du cyberespace et de la guerre de l’information étant ce qu’elle est, la gestion de l’information et les technologies de l’information imprègnent absolument toutes les facettes de l’approvisionnement militaire et, compte tenu de l’échéancier ou de la durée des méthodes d’approvisionnement pour les plateformes traditionnelles, le processus peut s’échelonner sur une période de 8 à 12 ans lorsqu’il s’agit d’acquérir d’importantes plateformes pouvant être utilisées pendant 20 à 40 ans, notamment dans le cas des navires ou des avions. Voilà qui ne se prête pas bien à l’environnement des technologies de l’information. Ce n’est tout simplement pas conçu de la même manière.

Les technologies évoluent à un rythme beaucoup plus rapide, et les grandes avancées technologiques dictées par Internet ou le Web surgissent maintenant en moins d’une année. Un cycle d’approvisionnement de deux à cinq ans, ce qui comprend la définition des exigences, ne peut pas suivre la cadence des progrès ou permettre de réaliser des gains d’efficience en raison de ces délais. L’équivalent dans le monde civil serait de passer de l’établissement des exigences au développement, puis à la production en moins d’un an afin de maintenir la compétitivité, la pertinence et l’efficacité.

Les membres de notre association estiment que la fréquence des acquisitions dans ce domaine doit correspondre à la vitesse des progrès et qu’il faut les différencier de l’approvisionnement traditionnel dans le contexte des conflits armés contemporains.

Pour ce faire, notre approvisionnement militaire doit s’intégrer aux produits technologiques commerciaux standards, par exemple, afin de maintenir la parité par rapport à nos homologues commerciaux et d’assurer une meilleure coordination tout au long du cycle de vie des technologies de sécurité.

Le cycle de vie accéléré des technologies est propulsé encore davantage par le contexte mondial des menaces, ainsi que par la nature et la fréquence des menaces émergentes et la façon dont elles se manifestent sur les plateformes de médias sociaux, ce qui accélère encore plus le rythme des changements dans ce milieu.

Alors que les tactiques de guerre traditionnelles peuvent s’adapter facilement à l’environnement physique, ces menaces sont largement tributaires de la technologie. Dans le contexte cybernétique, il faut vraiment comprendre la nature de la menace : quels sont les systèmes d’exploitation, les plateformes, les fonctionnalités? Il faut un environnement plus dynamique qui permet des acquisitions rapides afin de prévoir la nature des adversaires et des menaces; il faut aussi une plus grande souplesse à un échelon inférieur, ainsi qu’une souplesse parallèle dans le processus d’approvisionnement en technologies pour maintenir l’efficacité opérationnelle.

En ce qui concerne la réforme du processus d’acquisition, nous vous recommandons d’envisager la possibilité d’élaborer différentes méthodes d’acquisition pour cerner et déployer des systèmes avec plus de souplesse, en fonction des menaces opérationnelles en cause afin de permettre à l’industrie de mettre au point rapidement des systèmes qui répondent aux besoins en matière de défense du Canada.

Cet environnement est un domaine de conflit. Quand on examine l’environnement informationnel, cela se manifeste différemment de ce que l’on verrait dans le cas d’un véhicule blindé, d’un navire ou d’un avion. Le principal message à retenir du point de vue de l’approvisionnement, c’est que ces domaines de conflit stratégiques, à savoir les domaines du cyberespace et de l’espace, n’évoquent plus le futur, mais bien le présent, car ces changements sont déjà en train de se produire.

Qu’est-ce que cela signifie? Par le passé, nous avions des besoins opérationnels urgents. Maintenant, nous devons commencer à envisager d’avoir recours à des mécanismes comme notre processus national d’exonération pour l’approvisionnement ou les circonstances exceptionnelles, car l’approvisionnement requis pour satisfaire à ces besoins cybernétiques est encore plus urgent. Nous devons jouir d’une marge de manœuvre suffisante pour gérer les situations de combat comme celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Nous ne pouvons pas élaborer une stratégie d’approvisionnement pour des technologies cybernétiques dont nous ne ferons pas l’acquisition avant au moins cinq ans.

En résumé, nous considérons qu’il y a trois orientations ou messages fondamentaux à étudier. Nous devons adopter un cadre d’approvisionnement plus souple qui modifierait fondamentalement notre relation avec l’industrie, en mettant l’accent sur l’amélioration de la technologie et sur l’avancement des petites et moyennes entreprises.

Nous devons éviter les ajouts technologiques générationnels et adopter des cycles d’approvisionnement réguliers d’une à trois années, et non de cinq à quinze années.

Deuxièmement, parlons des contrats relationnels. Il est très clair qu’à l’avenir, la Défense nationale ne pourra pas accomplir ce travail par elle-même. La capacité du personnel, par exemple, ne se limite pas à la capacité des Forces canadiennes; elle concerne davantage le personnel responsable de l’approvisionnement — le Conseil du Trésor et SPAC, par exemple. Les militaires sont chargés d’expliquer les exigences, mais quelqu’un d’autre est responsable de l’intégration à l’environnement, des avantages industriels régionaux, des améliorations, et cetera.

Le modèle avec lequel nous travaillons actuellement érige clairement un pare-feu entre la Défense nationale et l’industrie. Nous devons trouver un meilleur moyen d’exercer nos activités. Nous devrions nous soucier de choisir des partenaires d’intégration — des partenaires particuliers qui nous permettraient d’établir une chaîne d’approvisionnement pour des technologies particulières. Nous devons renoncer aux processus traditionnels d’analyse des options et à leur désir d’atteindre une certitude relative aux coûts de produits qui ne seront pas achetés avant quelque cinq années, ou peut-être même plus.

L’un des problèmes que rencontrent les militaires canadiens est lié au fait que leurs programmes majeurs souffrent d’un manque chronique de personnel. Afin d’obtenir le personnel qualifié dont ils ont désespérément besoin, ils créent des projets visant à accroître le nombre d’employés, des projets qui faussent leur stratégie d’approvisionnement à long terme.

Le troisième et dernier message est lié à un cadre de responsabilisation partagée. Dans le monde commercial, les arrangements de collaboration entre des clients et des industries qui ne font pas partie du gouvernement du Canada fonctionnent très bien. Une responsabilisation partagée entraîne une responsabilité partagée, des risques partagés et une réussite partagée.

Le Canada occupe une position unique lorsque l’on considère son potentiel en matière d’exportation à l’échelle mondiale. Le gouvernement du Canada a désigné la technologie comme une ligne de percée importante. Par ailleurs, la relation entre le gouvernement et l’industrie est primordiale.

Les communications et les appareils électroniques représentent 75 p. 100 des coûts des navires, des aéronefs, et cetera. Par souci de clarté, je précise que cela comprend, entre autres, les capteurs, le contrôle des armes, l’avionique, les systèmes de la marine et l’intégration. Cela ne se limite pas aux communications et à la cybersécurité. Les gens se préoccupent beaucoup trop de la fonte de l’acier et pas assez de la technologie de l’information et des appareils électroniques. De plus, nous devons reconnaître que des éléments de cybersécurité sont liés à cette technologie et qu’il est beaucoup plus économique d’intégrer la cybersécurité dans le cadre, plutôt que d’essayer de concevoir la sécurité de manière rétrospective ou de l’intégrer après coup.

En conclusion, si le gouvernement du Canada dépend de l’industrie pour réaliser une croissance économique importante et le potentiel d’exportation du pays, il faut reconnaître que la vitesse à laquelle la technologie progresse ne cesse de croître. Nous devons absolument accroître notre agilité. Cette agilité accrue nous permettra de modifier nos relations, ce qui stabilisera davantage notre chaîne d’approvisionnement et entraînera de plus en plus d’innovations, étant donné que les petites et moyennes entreprises en saisiront la valeur.

En outre, si nous devons tirer parti des exportations du secteur de la défense pour réaliser cette croissance, nous devrons modifier fondamentalement nos pratiques en matière d’approvisionnement. Il est difficile de soutenir la concurrence mondiale quand le Canada met en œuvre un cycle d’approvisionnement de deux à cinq ans, alors que les autres pays ont un cycle d’approvisionnement de 12 à 18 mois. Les petites et moyennes entreprises ne peuvent simplement pas survivre à notre cycle d’approvisionnement. Par conséquent, si nous n’apportons pas les changements nécessaires pour accroître la souplesse de notre approvisionnement, nos processus concurrentiels auront certainement des répercussions sur les petites et moyennes entreprises. Nous devons étudier, mettre en œuvre et adopter des modèles de risque supérieurs pour nos approches itératives.

Les capacités de la TI évoluent à un rythme beaucoup plus rapide que celles des autres principaux systèmes d’armes. Le fait d’acheter des systèmes informatiques en suivant la même méthodologie que celle qui est employée pour l’achat de navires, de camions et d’aéronefs ne fonctionne pas. Merci.

Le vice-président : Merci beaucoup.

Monsieur Quick, la parole est à vous.

Jim Quick, président et chef de la direction, Association des industries aérospatiales du Canada : Monsieur le président, chers sénateurs, je vous remercie de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui de m’adresser au comité.

L’étude sur le système d’approvisionnement en matière de défense du gouvernement du Canada, que le comité a entreprise, est opportune. L’organisation que je dirige, c’est-à-dire l’Association des industries aérospatiales du Canada, l’AIAC, se soucie de cette question. Les membres de l’association désirent s’assurer que le système d’approvisionnement est efficace et qu’il profite à l’industrie aérospatiale du Canada, qui fournit des emplois intéressants et bien rémunérés à près de 200 000 Canadiens.

En novembre dernier, l’AIAC a donné le coup d’envoi à une nouvelle initiative appelée Vision 2025. Menée par l’honorable Jean Charest, l’initiative Vision 2025 est la réponse que l’AIAC a apportée à l’appel de ses membres en faveur de l’élaboration d’une stratégie aérospatiale à long terme par le gouvernement du Canada. Des questions liées à l’approvisionnement en matière de défense ont été soulevées au cours de toutes les consultations que nous avons menées, qui comprenaient des arrêts à Toronto, Montréal, Winnipeg, Vancouver, Halifax et Ottawa.

Que savons-nous à propos de l’approvisionnement en matière de défense et quelles observations avons-nous entendues à ce sujet?

Notre conclusion en ce qui concerne le mal qui afflige le système canadien d’approvisionnement en matière de défense peut être résumée en deux mots : phobie du risque. À notre avis, le système actuel est devenu un processus dans lequel tout le monde se soucie de prévenir les échecs, mais personne ne se préoccupe ou n’est chargé de garantir la réussite des projets.

Au cours des dernières années, le système a élargi de plus en plus la définition du mot « échec » afin d’inclure toute forme de controverse ou de remise en question par le public. Cette situation est problématique, car les hauts fonctionnaires qui participent au système comprennent très clairement qu’ils estimeront avoir échoué si leurs décisions attirent une attention négative quelconque.

Récemment, un nombre croissant d’étapes et de niveaux de surveillance ont été ajoutés au système. Cependant, les divers organismes de surveillance ne sont coordonnés d’aucune façon, en dépit du fait que leurs intérêts se recoupent souvent.

Par conséquent, les équipes responsables de l’approvisionnement sont obligées de franchir plusieurs jalons d’étape complètement distincts. Quand des changements sont apportés au cours du franchissement de jalons ultérieurs, les équipes sont souvent tenues de franchir de nouveau des jalons antérieurs afin de permettre à d’autres organismes d’examiner l’approvisionnement modifié.

Ce manque de coordination aggrave la phobie du risque des intervenants. Les équipes responsables de l’approvisionnement ont l’impression d’être incitées à choisir des stratégies ou des approches faciles à défendre, plutôt que des stratégies ou des approches plus appropriées qui pourraient exiger des explications plus complexes.

Le système d’approvisionnement actuel fonctionne lorsque les approvisionnements sont relativement simples, ce qui est la plupart du temps le cas. Même lorsque la valeur des approvisionnements est considérable, le système est tout à fait capable de les gérer s’ils sont faciles à expliquer et à comprendre.

Toutefois, lorsque les approvisionnements deviennent compliqués ou, pire encore, controversés, la phobie du risque qui est inhérente au modèle de surveillance arrête la progression du processus. Les hauts fonctionnaires commencent à craindre que leurs décisions soient remises en question. Étant donné que ces remises en question entraînent inévitablement des retards supplémentaires, les hauts fonctionnaires optent pour la solution la plus facile. La phobie du risque nuit au processus d’approvisionnement et a également une incidence sur ses coûts.

Un mythe persiste selon lequel le secteur canadien de la défense n’est pas compétitif et que ses produits sont coûteux comparativement à leurs solutions de rechange étrangères. Ce mythe subsiste en grande partie parce que le système d’approvisionnement et l’opinion publique prêtent trop attention aux coûts et pas assez à la valeur des produits.

D’après notre expérience, la seule façon acceptable dont les membres de l’équipe responsable peuvent démontrer qu’ils ont obtenu le meilleur rapport qualité-prix dans le cadre du système d’approvisionnement actuel consiste à organiser un processus concurrentiel ouvert qui donne lieu à au moins trois soumissions concurrentielles. Dans bon nombre de cas, les critères de sélection sont grandement orientés vers les coûts les plus faibles.

Tous les autres résultats d’approvisionnement sont considérés comme controversés parce qu’il est nécessaire de justifier leurs coûts supérieurs en démontrant la valeur des produits. Il faut donc prendre des risques, mais, comme la phobie du risque est inséparable de notre système actuel, l’équipe se donne souvent du mal pour éviter tout autre résultat.

Au cours des dernières années, il est arrivé à plusieurs reprises que des entreprises canadiennes aient offert des solutions novatrices et concurrentielles qui répondaient aux besoins particuliers de nos forces armées et que les responsables de l’approvisionnement en aient eu conscience. Toutefois, comme le fait de reconnaître l’avantage concurrentiel du fournisseur canadien de solutions aurait empêché la présentation de plusieurs soumissions dont les coûts auraient pu être chiffrés, l’équipe responsable de l’approvisionnement a « élargi » les exigences — non pas pour répondre aux besoins des Forces armées canadiennes, mais pour permettre à d’autres entreprises de présenter des soumissions.

Habituellement, les autres soumissionnaires sont des étrangers. Pour résoudre un problème canadien, ils tirent parti de leurs économies d’échelle et proposent des solutions semblables qui sont plus génériques et moins novatrices sur le plan technologique. Dans ces situations, le concurrent canadien est forcé de soutenir une concurrence axée davantage sur la faiblesse des coûts que sur le meilleur rapport qualité-prix. Il s’ensuit que les solutions canadiennes de qualité supérieure sont qualifiées de coûteuses et de non concurrentielles, même si elles sont mieux adaptées au problème canadien que l’approvisionnement cherche à régler.

Même si les politiques gouvernementales décrivent l’engagement du gouvernement à l’égard de l’innovation et du soutien d’un solide secteur de la défense, la mise en œuvre de l’approvisionnement en matière de défense favorise exactement l’inverse. Dans la mesure du possible, la phobie du risque inhérente au système d’approvisionnement force les équipes responsables de l’approvisionnement à rechercher des solutions prêtes à utiliser peu coûteuses et peu novatrices. Ces difficultés liées à un processus qui favorise des systèmes à faible coût plutôt que des systèmes de qualité ont été mentionnées par les membres de l’AICA au cours des consultations que nous avons menées dans le cadre de notre initiative Vision 2025.

Nous avons entendu les commentaires de l’industrie, des instructeurs et des représentants élus qui, dans la majorité des cas, ont déclaré que le Canada avait besoin d’une stratégie aérospatiale à long terme et que la prise de risques calculés, entre autres dans le domaine de l’approvisionnement et de l’innovation, devrait être un élément essentiel de la stratégie.

Il est important que nous travaillions ensemble à la résolution des problèmes difficiles comme celui de l’approvisionnement. Si nous voulons que ce secteur continue de surpasser nos attentes au sein d’une économie mondiale, c’est ce dont il a besoin.

Dans un avenir rapproché, nous publierons le rapport de l’initiative Vision 2025 et ses recommandations, y compris celles qui concernent l’approvisionnement. Nous serions heureux de vous faire parvenir ces documents.

En résumé, le système d’approvisionnement repose sur plusieurs niveaux de surveillance, une surveillance exercée par des gens qui sont obsédés par la prévention — la prévention des échecs et des erreurs, mais aussi la prévention de la controverse et des questions. Il y a une différence entre la prévention des échecs et la promotion de la réussite. Tant que nous n’aurons pas conçu un système qui comprend cette différence, le système en place aura toujours du mal à produire les résultats que les Canadiens attendent.

Le vice-président : Merci beaucoup.

La sénatrice Eaton : Pourquoi le système canadien est-il considéré comme le plus lent et le plus complexe du monde entier? Je pense que c’est Mme Cianfarani qui a dit cela.

Mme Cianfarani : La durée de notre cycle d’approvisionnement est plutôt révélatrice à cet égard — un cycle de 16 années et demie.

La sénatrice Eaton : Quels sont les autres cycles? Le nôtre a une durée de 16 ans et demi.

Mme Cianfarani : Tout dépend de l’approvisionnement en question. Le cycle peut durer de 18 ou 24 mois à cinq années pour un projet technologique simple, mais, pour l’achat d’une plateforme importante, il peut parfois être aussi long que celui du système canadien.

La sénatrice Eaton : Prenons, par exemple, les navires de combat de surface de la marine; pouvez-vous comparer cet approvisionnement à celui de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande?

Mme Cianfarani : C’est difficile, car nous risquons alors de faire des généralisations à propos de tous ces pays. Par exemple, en Australie, l’achat de submersibles de la classe Collins est une débâcle qui a duré plus de 12 ans. Leur système n’est pas meilleur que celui du Canada, selon la complexité de la plateforme à acquérir.

Toutefois, si nous examinons tous les approvisionnements — les petits, les moyens et les grands —, notre moyenne est beaucoup plus longue parce que nous avons recours à un système d’approvisionnement universel, que l’approvisionnement soit simple ou complexe. La Défense nationale franchit les mêmes 250 étapes du processus, qu’il s’agisse d’un projet de 20 millions de dollars ou d’un projet de 65 milliards de dollars et, pourtant, ces projets n’ont pas la même ampleur ni la même complexité, et ils ne devraient pas avoir la même durée.

La sénatrice Eaton : Vous avez parlé d’un plan du système en entier, ce qui est très intéressant. Cinq ministères participent au processus. Je crois que le Conseil du Trésor est actuellement le ministère responsable. Modifieriez-vous cela en confiant au MDN la fonction de ministère responsable?

Mme Cianfarani : Je pense que chaque ministère comprend son niveau de responsabilité. Il y a cinq ministères, dont quatre principaux ministères, et chacun d’eux est responsable d’une partie du système d’approvisionnement, en fonction de sa spécialisation.

La sénatrice Eaton : J’aimerais vous entendre poursuivre cette conversation; je le sais.

Mme Cianfarani : Je ne le ferais pas. Ma réponse est que je ne nommerais pas un ministère responsable.

La sénatrice Eaton : Major-général Loos.

Major-général à la retraite Greg Loos, Armed Forces Communications and Electronics Association (AFCEA) Ottawa Chapter : Nous parlons maintenant du responsable de l’approvisionnement. Il y a un aspect qui devrait être examiné, c’est-à-dire le fait que le responsable de l’approvisionnement doit travailler à proximité de ceux qui comprennent les exigences et la valeur qui est censée résulter de ces exigences, en ce sens qu’il faut tenir les fournisseurs responsables des produits qu’ils livrent. En ce qui concerne la durée du cycle d’approvisionnement, je dirais que plus il y a de ministères participants, plus le processus sera long.

Il est possible que la Défense nationale ait ses propres lacunes en ce qui concerne le temps dont elle a besoin pour réaliser des projets. Lorsque l’on ajoute à cela des participants et qu’on finit par avoir trois ou cinq ministères à consulter en succession ou des ministères qui se consultent entre eux, je dirais qu’un système d’approvisionnement universel est une mauvaise idée, en particulier dans le cas de grands projets complexes. Pour les petits et moyens projets, il serait probablement bon de restituer à la Défense nationale la responsabilité de l’approvisionnement.

La sénatrice Eaton : Je m’adresse de nouveau à Mme Cianfarani. Lorsque vous parlez d’un processus universel pour les petits projets, réduiriez-vous le nombre de ministères qui y participent?

Mme Cianfarani : Non, j’éliminerais probablement leur participation, en conférant à des personnes subalternes plus de pouvoirs pour l’achat de produits à un prix modique. Comme vous le feriez dans une entreprise, vous délégueriez des pouvoirs aux membres des échelons supérieurs et vous réduiriez le nombre d’étapes.

S’il était nécessaire de consulter un général dans deux autres ministères, je simplifierais probablement le processus afin qu’une seule étape soit requise pour faire avancer le processus. De plus, il est probable que je vérifierais s’il s’agit d’un approvisionnement auprès d’un fournisseur unique. Ainsi, j’éliminerais la nécessité de consulter deux ou trois autres ministères. En effet, si vous avez confirmé qu’il s’agit d’un approvisionnement à fournisseur unique et que le fournisseur est canadien, vous n’avez pas nécessairement besoin de consulter ISDE, car vous vous êtes déjà acquitté de l’obligation de vous assurer que l’achat aura des retombées économiques pour le Canada.

Vous pourriez élaborer quatre ou cinq différents modèles reposant sur un ensemble de lignes directrices, puis vous utiliseriez le système simplifié, le système moyennement complexe ou le système exhaustif, dont nous disposons pour gérer les approvisionnements beaucoup plus importants.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie des points de vue que vous nous donnez et des prochaines réponses que vous fournirez.

Je commence à penser que la simplification de l’approvisionnement en défense est un oxymore. À bien des égards, on se réjouit de la direction qui est prise, mais il y a la réalité. J’ai hâte de lire ceci. Il y a toujours de petites solutions, mais on semble les abandonner au fil des discussions.

Nous entendons toujours parler entre autres de trois choses sur lesquelles on met l’accent — les choses négatives. Tout le monde veut parler des dépassements de coûts, des délais dans l’exécution des projets, des exigences finales et du respect des exigences opérationnelles. Je crois que, à bien des égards, les exigences finales constituent la source.

M. Quick a mentionné qu’on arrive à une certaine étape, qu’on a franchi deux ou trois portes et que l’on comprend ce que seront les exigences finales, mais il faut revenir en arrière pour voir s’il faut modifier des choses aux étapes précédentes. Voilà ce qui cause les dépassements de coûts et les délais dans l’exécution des projets à mon avis. Parce qu’au départ, on a une excellente idée sur papier et on fait une estimation. Ensuite, les exigences finales sont connues, ce qui correspond à la réalité, et on se rend compte que les coûts seront plus élevés que ce qu’on avait estimé au départ. Cela retarde également l’exécution du projet. Une fois qu’on s’approche du but, on comprend quelles seront les exigences. Une solution possible consisterait à faire intervenir les fournisseurs ou les entreprises plus tôt pour qu’on puisse mieux comprendre les exigences finales.

Deux d’entre vous font davantage partie de ceux qui défendent des idées et qui ont donc l’occasion de discuter avec des fournisseurs et des entreprises qui se penchent là-dessus. Très souvent, lorsqu’ils examinent les choses d’un point de vue différent, il y a des moments où ils disent : « Tout ce qu’il faut faire, c’est... » Entendez-vous constamment : « Tout ce qu’il faut faire, c’est telle chose », mais il semble que ce n’est pas ce qui se passe? C’est une question que je vous pose.

Bien souvent, j’entends : « Vous devriez faire ceci puisque vous dirigez une entreprise. » Vous avez donné un exemple de différents niveaux d’autorité. « Nous devrions le faire à tel niveau et passer à autre chose rapidement; ici, on parle d’un autre niveau d’autorité, et on aura un autre processus. » Qu’est-ce qui empêche les choses? S’agit-il de la culture ou d’une façon de faire des affaires, que nous devons modifier? Qu’est-ce qui empêche de penser en fonction de ce paradigme?

Mme Cianfarani : Concernant la première question, un certain nombre de mesures ont été prises pour éviter de se retrouver avec ce que nous appelons des exigences auxquelles l’industrie ne peut répondre. La Commission indépendante d’examen des acquisitions de la Défense — l’amiral à la retraite Larry Murray a comparu devant vous — est un point de contrôle qui, essentiellement, détermine ce qui est demandé, soit un assemblage de ce que pourrait fournir l’industrie, mais en fait, aucune entreprise ne pourrait le faire. Ce sont essentiellement des spécifications incohérentes. Nous essayons de les éliminer.

Il y a la mobilisation rapide de l’industrie. Le problème, en partie, c’est que parfois, le fait de vouloir cocher des cases indiquant qu’on a communiqué avec les gens de l’industrie ne signifie pas nécessairement qu’on les a écoutés. Nous avons dit qu’on ne doit pas communiquer avec l’industrie à moins d’être prêts à ce qu’il y ait des échanges, car cocher simplement une case ne permettra pas d’avancer dans le processus.

Pour ce qui est du deuxième point que vous avez soulevé, sur quoi portait-il, déjà?

Le sénateur Klyne : Suivre le rythme des entreprises.

Mme Cianfarani : Suivre le rythme des entreprises et déléguer des pouvoirs, et les raisons pour lesquelles nous ne le faisons pas.

Je crois que cela nous ramène à ce que Jim a dit au sujet de l’aversion pour le risque. Lorsqu’on fait cela dans une entreprise, on donne plus de responsabilités aux gens qui sont aux échelons inférieurs. Un chef d’entreprise doit, par la suite, en assumer la responsabilité, c’est-à-dire qu’il a laissé ses employés faire cela et que, peu importe ce qu’il en découlera, s’il faut corriger le tir, il le fera avec eux, mais il ne s’agit pas d’un système de sanction. Si une erreur est commise, on ne doit pas punir la personne.

À ma connaissance, il s’agit d’un système de sanction. Quel bureaucrate est récompensé pour avoir pris un risque et voir son nom dans les journaux? Il faut voir les choses sous cet angle. Voilà pourquoi je crois que la culture en est une d’aversion pour le risque.

La sénatrice Marshall : Je vais d’abord poser des questions à Mme Cianfarani. S’il reste assez de temps, j’aimerais entendre le point de vue de deux autres témoins.

Vous avez parlé d’un sujet qui m’intéresse. Vous avez fait référence à la politique Protection, Sécurité, Engagement et au plan d’investissement. Vous avez dit que ce plan peut, et devrait, continuer d’être amélioré grâce à un rétrécissement des fourchettes de coûts des projets et grâce à une plus grande précision de l’échéancier attendu. Je sais que vous êtes là depuis longtemps.

Mme Cianfarani : Sénatrice, vous me vieillissez déjà.

La sénatrice Marshall : C’est vous qui l’avez dit.

En 2009, vous avez publié un rapport sur l’industrie canadienne de défense. On y recommandait d’accroître la transparence et de communiquer, chaque année, à l’industrie le plan en cours visant à équiper les Forces canadiennes, y compris les échéanciers des projets et les budgets. Voilà ce qui m’intéresse, les échéanciers, les budgets et les coûts.

Au cours des deux dernières années, ils n’ont dépensé que deux tiers de ce qu’ils pensaient dépenser dans le cadre de la politique. Pouvez-vous nous expliquer comment ils s’en tirent pour ce qui est de fournir cette information sur les finances et les coûts et nous dire quelles autres mesures ils pourraient prendre pour améliorer les choses?

Mme Cianfarani : Je vais me faire quelque peu l’avocate du diable. L’idéal — et je crois que l’industrie sait que cela ne se produira jamais —, ce serait d’avoir une feuille de calcul parfaite avec les échéanciers pour chaque projet et le calcul des coûts pour chacune des étapes. Nous comprenons qu’il s’agirait d’un travail colossal et que cela se fait au MDN, mais maintenir une feuille de calcul de ce type à jour constituerait un travail colossal, car il y aurait probablement des changements toutes les semaines.

La sénatrice Marshall : Mais on pourrait suivre les changements.

Mme Cianfarani : Oui. Nous avons quelque chose qui se situe au milieu. Il faut beaucoup creuser pour assembler les pièces du casse-tête. Il y a un plan d’investissement, et c’est vraiment à l’échelle macro.

Concernant le Programme des capacités de la Défense, il indiquera combien de temps durera un projet et nous donnera une idée de l’étape à laquelle on en est.

Ceux d’entre nous qui y ont consacré un peu de temps peuvent donner une estimation approximative et dire que si c’est un projet qui durera 10 ans, on nous donne une date de début et une date de fin, et nous avons une idée approximative de l’acquisition, alors nous prenons 64 milliards de dollars et nous échelonnons cela dans le temps. Il faut habituellement environ cinq ans pour sortir de l’étape de l’analyse des options, et nous soupçonnons une telle chose de l’examen de la conception préliminaire à l’examen critique de la conception. Nous prévoyons qu’un montant de 20 p. 100 sera débloqué au cours des deux ou trois premières années.

Dans nos entreprises, nous faisons ces calculs approximatifs pour mieux comprendre l’échelonnement lorsque nous faisons nos prévisions budgétaires pour les années à venir ou pour nos plans d’affaires.

Il ne s’agit pas d’une science exacte. Nous aimerions avoir le plan d’ensemble. Je crois que ce sont probablement des renseignements confidentiels du Cabinet. À vrai dire, chaque membre de l’industrie demanderait pourquoi tel élément ou tel autre a changé et pourquoi tel petit projet a changé, et ce serait probablement un cauchemar pour eux de gérer l’industrie.

La sénatrice Marshall : Ne serait-il pas nécessaire que ce soit en partie défini si vous examinez les changements dans le système?

Mme Cianfarani : Nous créons cela.

La sénatrice Marshall : On a besoin d’une partie de l’information pour déterminer quels changements doivent être apportés.

Mme Cianfarani : Nous créons cela. Dans nos entreprises, nous créerons une feuille Excel en fonction de tous les renseignements disponibles, et nous examinerons chaque projet inclus dans le Programme des capacités de la Défense pour avoir un échelonnement relatif, et la plupart des responsables du développement des affaires l’utiliseront pour leur volet du développement des affaires.

C’est de manière approximative.

La sénatrice Marshall : Je demanderai le point de vue des autres témoins au deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Forest : Madame Cianfarani, vous avez fait naître en moi un profond sentiment d’insécurité lorsque vous nous avez dit qu’il y a tellement de mesures de contrôle, de conventions et de réglementation que peu de personnes connaissent ou comprennent toutes les dimensions du processus. Est-ce que j’ai bien compris votre intervention?

[Traduction]

Mme Cianfarani : Oui.

[Français]

Le sénateur Forest : Je vais avoir de la difficulté à dormir ce soir. Que pouvons-nous faire? C’est assez inquiétant lorsqu’on regarde les sommes, la nature et l’ampleur des transactions dans ce secteur.

[Traduction]

Mme Cianfarani : Je crois que chaque ministère dispose d’un document assez élaboré qui décrit toutes les étapes qu’ils suivent dans leur processus d’acquisition. Le MDN en a un. Il y a environ 250 étapes. Il s’agit d’un document d’approbation de projet. Cependant, personne n’a de plan d’ensemble. Bien des gens qui travaillent au sein du système depuis des années savent en gros quelles parties du processus vont ensemble, mais aucun être humain n’a un gigantesque plan regroupant chaque processus de chaque ministère. C’est probablement une partie du problème.

[Français]

Le sénateur Forest : Vos collègues ont-ils la même impression?

[Traduction]

Mgén Loos : Je dirais que Christyn a probablement raison. Je crois que plus on est haut placé dans un ministère, plus on en sait sur ce qui se passe à l’extérieur du ministère. Il s’agit d’un processus intégré. Nous parlons d’un certain nombre de ministères qui doivent participer à l’approvisionnement. On en sait plus sur son propre ministère.

Pour notre part, c’est 250 étapes. Si l’on travaille à un projet en tant que capitaine, ou l’équivalent civil, on connaît certains aspects de la gestion de programme. Plus on est haut placé, plus on comprend comment ces 250 étapes sont censées fonctionner successivement. Plus on est haut placé, plus on comprend les points de correspondance entre les ministères, comment faire fonctionner le processus et les aspects politiques avec un petit « p » de cela entre les ministères.

Dresser un plan de tout cela? Je ne crois pas qu’il existe un document à cet égard. Pour revenir à un point soulevé plus tôt, si nous convenons qu’une meilleure solution ne doit pas être universelle, il faut brosser un portrait avant de décider ce qu’il en sera quant à des risques moindres, à des plus petites sommes en jeu ou à des choses qui doivent être accélérées.

[Français]

Le sénateur Forest : Étant donné qu’il y a cinq ministères qui sont impliqués, l’amélioration du système d’approvisionnement en équipements militaires ne devrait-elle pas être notre principal objectif?

[Traduction]

Mme Cianfarani : Je ne crois pas. Je ne pense pas qu’on obtiendrait les résultats recherchés, car ce sont les parties au-dessous qui constituent la source.

J’essaie de voir cela comme une chaîne de montage. On peut apporter sans cesse des changements à la tête d’un ministère ou augmenter le rythme, mais si ce qui est au-dessous ne fonctionne pas, on ne fait qu’ajouter des lacunes au système. S’attaquer au sommet équivaut à une solution temporaire pour un processus qui doit être rationalisé en profondeur. Est-ce que ce que je dis est censé?

C’est ce que nous faisons souvent en affaires. C’est ce qu’on appelle l’ingénierie des processus d’affaires. De façon générale, on ne presse pas un service sur un autre. La première chose à faire, c’est établir un plan de tous les volets du processus pour ensuite commencer à supprimer des goulots d’étranglement et des processus d’approbation. On peut réduire le processus de moitié plutôt que d’apporter des changements en haut, qui correspond essentiellement à conserver la même structure inefficace en dessous et parfois, en fait, en ayant une personne à la tête qui met plus de pression, on se retrouve avec de plus en plus de lacunes, ce qui étouffe le processus.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à Mme Cianfarani. Vous dites que vous avez travaillé au sein de l’industrie pendant 20 ans.

Mme Cianfarani : Oui.

Le sénateur Oh : Dans quoi avez-vous fait carrière? Dans l’armée?

Mme Cianfarani : J’ai été membre des Forces armées canadiennes. J’étais dans la marine. J’ai quitté l’armée très tôt dans ma carrière. En fait, j’ai travaillé surtout dans l’industrie de la défense, à CAE.

Le sénateur Oh : Vous dites que vous avez plus de 900 membres.

Mme Cianfarani : Notre association compte plus de 900 membres, en effet.

Le sénateur Oh : Les gens ici présents font-ils partie de vos membres?

Mme Cianfarani : Oui, certains d’entre eux. La plupart des entreprises du secteur de la défense font partie de notre association.

Le sénateur Oh : D’accord. Dans un rapport de 2009, vous avez recommandé que le gouvernement mette en œuvre une politique industrielle de défense, qui harmoniserait les objectifs économiques et les approvisionnements militaires.

Mme Cianfarani : Oui.

Le sénateur Oh : Comment le gouvernement peut-il mieux appuyer l’industrie canadienne de la défense tout en maintenant son engagement à l’égard de concours ouverts et équitables? Comment le gouvernement peut-il s’assurer que les entreprises ne gonflent pas leurs coûts?

Mme Cianfarani : Je suis bien connue pour être contre l’idée d’opter pour des concours ouverts, équitables et transparents à tout prix. Je serais la première personne à vous dire que le meilleur moyen d’appuyer l’industrie canadienne de la défense, c’est d’avoir une capacité industrielle d’achat. En fait, créer une exception relative à la sécurité nationale et acheter de l’équipement canadien, pour autant que ce ne soit pas de calibre mondial. C’est en effet un volet de ce qu’on considérerait comme une politique industrielle de défense, que la plupart des pays du G7 utilisent très bien, en fait. Le Canada n’a pas de politique industrielle de défense. Il en a une ossature. Nous avons une politique des retombées industrielles et technologiques qui encourage les entrepreneurs à embaucher au Canada. Nous sommes loin d’être aussi directifs que nous le serions si nous avions une politique industrielle de défense.

Pour mes amis qui parlent du monde cybernétique, ce serait le scénario de test parfait que de nombreux Canadiens qui profitent d’exceptions relatives à la sécurité nationale puissent travailler directement avec le MDN et créer des cybertechnologies, sans devoir participer à des concours. C’est probablement la direction que nous devons prendre, qui est un volet d’une stratégie industrielle de défense nationale. Ai-je répondu à votre question?

Le sénateur Oh : Oui. Cela veut-il dire que, au fil des ans, vous avez beaucoup fait affaire avec le gouvernement canadien?

Mme Cianfarani : Désolée, mais je ne suis pas certaine d’avoir bien saisi votre question.

Le sénateur Oh : Je me demandais si, au fil des ans, vous aviez traité beaucoup avec les forces militaires.

Mme Cianfarani : Oui, j’ai effectivement traité énormément avec notre propre gouvernement ainsi qu’avec d’autres. L’entreprise pour laquelle je travaille fournit de nombreux services aux Forces canadiennes.

Le sénateur Oh : Qu’en est-il des entreprises étrangères? Des gouvernements étrangers?

Mme Cianfarani : Notre entreprise est le leader mondial dans le domaine des technologies de simulation.

Le sénateur Oh : Merci.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci. J’ai l’impression que vous avez déjà répondu à ma question. Nous avons amplement entendu parler du fiasco Phénix. Certains estiment qu’il est en grande partie attribuable au fait que les exigences ont été établies avant même que l’industrie n’ait été consultée. Je me demande si l’on ne se retrouve pas ici un peu dans la même situation.

Vous avez parlé des exigences totalement irréalistes qui sont parfois établies. La solution ne consisterait-elle pas à consulter les gens de l’industrie pour qu’ils contribuent à la détermination des exigences en matière d’approvisionnement?

Mme Cianfarani : Il y a deux éléments à considérer. Il y a d’abord les mécanismes de frein et de contrepoids nécessaires à l’intérieur même du système. Lorsque vous consultez les gens de l’industrie relativement à un produit ou un service, une entreprise vous dira : « Voici ce qu’il y a de mieux », alors qu’une autre vous assurera qu’elle a justement ce qu’il vous faut. Il arrive que l’on réfléchisse à deux offres semblables en se disant qu’il faudrait prendre ce qu’il y a de mieux de part et d’autre et combiner le tout pour acquérir un produit nous procurant le meilleur des deux mondes. Dans les faits, il n’y a toutefois aucune entreprise qui fabrique un tel produit.

La Commission indépendante d’examen des acquisitions de la Défense est justement là pour éliminer ces exigences visant l’acquisition d’un produit aux propriétés exceptionnelles que personne n’est capable de fabriquer. On consulte les gens de l’industrie pour savoir ce que les différentes entreprises peuvent offrir, mais lorsqu’on tente de combiner ces offres, le tout n’équivaut pas nécessairement au cumul de l’ensemble des parties. Il y a deux points de contrôle. Dans un premier temps, on doit consulter l’industrie et obtenir sa contribution dans le cadre d’une boucle de rétroaction se poursuivant tout au long du processus pour permettre de bien définir ce que l’on souhaite acquérir. Il y a par ailleurs au sein du ministère de la Défense un mécanisme interne empêchant qu’un projet d’acquisition puisse aller de l’avant lorsque les exigences établies sont totalement irréalistes. C’est essentiellement ce qu’il faut retenir.

La sénatrice Forest-Niesing : Merci pour cette réponse. Madame Stewart-Belisle, vous avez noté dans votre exposé la nécessité de se montrer plus flexible — ce qui m’apparaît tout à fait logique — pour pouvoir suivre l’évolution incessante de la technologie et ainsi mieux gérer les risques encourus.

Comment peut-on accroître la flexibilité sans compromettre la prévisibilité d’un processus d’approvisionnement qui est déjà long et complexe?

Mgén Loos : Il y a bien des façons de répondre à cette question. Il faut d’abord considérer les pouvoirs en cause et l’optimisation des ressources dans un contexte où l’on veut toujours débourser le moins d’argent possible. C’est l’un des domaines où il n’est pas vraiment possible d’être flexible, compte tenu de toutes les entités en cause. Les choses se passent différemment. Chaque ministère a une série de dossiers à régler. Ceux-ci sont classés par ordre de priorité. Notre travail consiste en grande partie à nous assurer de bien établir cet ordre de priorité de telle sorte que les questions les plus importantes soient réglées en premier.

Le système en place ne permet tout simplement pas d’obtenir la flexibilité requise, surtout en réaction à une situation d’urgence pouvant découler par exemple d’une cybermenace. Nous devons faire mieux en adoptant une approche plus novatrice qui consisterait à procéder à des acquisitions de façon progressive en menant au fur et à mesure les tests nécessaires pour savoir rapidement ce qui fonctionne ou non de manière à atténuer les risques. C’est déjà chose possible. Cela faisait partie de mes tâches lorsque j’étais en service. On voudrait pouvoir mettre à l’essai une solution au coût de 5 millions de dollars avant d’investir 100 millions de dollars dans sa reproduction à plus grande échelle, mais on n’a pas accès aux mécanismes nécessaires à cette fin. On en revient encore une fois à cette stratégie d’approvisionnement censée convenir à toutes les situations. Vous avez réduit quelque peu les risques, mais vous devez tout de même vous en remettre à un processus d’approvisionnement ouvert avec un certain nombre d’autres options que vous n’avez pas nécessairement pu mettre à l’essai. Il vous faudra ainsi compter encore au moins de deux à cinq ans pour un processus que l’on pourrait peut-être mener en douze mois à peine.

Mme Stewart-Belisle : Au bout de deux à cinq ans, la technologie n’est plus valide.

La sénatrice Forest-Niesing : Et tous ces efforts auront été vains.

Mme Stewart-Belisle : Tout est perdu.

La sénatrice Andreychuk : Je vais essayer d’être claire, même s’il est un peu tard. Nous parlons sans cesse des approvisionnements, mais je me suis principalement intéressée aux préoccupations relatives à notre défense et à notre sécurité. Le gouvernement est là pour protéger et défendre les citoyens; il doit assurer leur sécurité. Le rôle des forces militaires est d’offrir la capacité d’action requise. C’est toutefois le gouvernement qui détermine la manière dont on s’y prendra, si je puis dire.

La menace vient toujours de l’extérieur. Par le passé, elle prenait surtout la forme de guerres et de conflits. Dans les années 1990, nous avons connu les dividendes de la paix, qui se sont traduits par une réduction des effectifs et une perte de capacité. Nous nous sommes retrouvés soudainement exposés à des cybermenaces qui nous ont obligés à augmenter nos budgets. Je suis de près ce qui se passe à l’OTAN. Nous abordons toutes ces menaces émanant de sources externes qui évoluent rapidement. Nous avons des capacités militaires que nous nous efforçons de maintenir à niveau. Il y a des décisions politiques qui sont parfois prises sans crier gare. Il arrive que l’on en discute au Parlement, mais ce n’est pas toujours le cas.

Nous voulons d’abord et avant tout avoir accès à des solutions pouvant être rapidement mises en œuvre lorsque les différentes menaces se manifestent. Sommes-nous vraiment en train de discuter d’un système d’approvisionnement ne permettant pas de réagir aussi rapidement qu’on le voudrait? Je suis consciente de toutes ces couches dont nous avons parlé et du fait qu’il y a de meilleures façons de faire les choses. J’ai tout de même encore l’impression que nous avons un système d’approvisionnement qui exige, comme c’est le cas pour Phénix, différents ajustements, notamment pour ce qui est des projections et de la programmation. Nous n’avons pas tout ce temps à notre disposition. Nous avons pu le constater en Afghanistan. Ce fut la même chose avec la cybersécurité.

Convient-il d’abord d’adopter un modèle différent du point de vue politique pour voir où cela nous mène? Regardez ce qui s’est passé du côté de l’OTAN. Nous n’avions pas les capacités nécessaires pour appuyer les actions entreprises. Il n’y avait pas de transport aérien. En Afghanistan, nous ne disposions pas de blindés capables de vraiment faire le travail. On se tourne alors vers toutes sortes de formules de location et d’échanges pour en arriver à l’interopérabilité voulue, l’approvisionnement étant au cœur de tous ces efforts. Lorsque je regarde le système en place, j’ai encore l’impression que l’on s’en remet à des mesures d’approvisionnement à long terme qui font penser à ce qui existait au moment des deux grandes guerres mondiales. On rajoute simplement les nouvelles technologies par-dessus tout cela.

Je me demande donc comment nous, politiciens, pouvons nous employer à répondre aux besoins des militaires de telle sorte que le gouvernement puisse remplir son mandat de défense et de sécurité. Est-ce que tout cela se tient?

Mme Stewart-Belisle : Certainement. Je dirais que nous devons en arriver à une solution — sans nécessairement aller jusqu’à l’exemption nationale, mais quelque chose de semblable — nous amenant à considérer les différents éléments visés par un processus d’approvisionnement de manière à éviter encore une fois une approche trop universelle. Si l’on veut acquérir les outils technologues nécessaires, la marche à suivre doit varier, selon qu’il s’agit d’appuyer les opérations sur le terrain ou dans les navires.

Mme Cianfarani : Oui. Il y a la guerre conventionnelle qui exige le recours à certaines plateformes. Vous avez aussi noté la nécessité de demeurer présents et actifs, que ce soit en situation de conflit ou en temps de paix. Nous devons par exemple défendre nos frontières et protéger notre souveraineté dans l’Arctique. Je vois bien où vous voulez en venir. Nous pouvons concevoir différents modèles d’approvisionnement, mais reste quand même que d’un point de vue strictement fondamental et philosophique, je reste convaincue que les Canadiens, aussi bien dans les hautes sphères politiques qu’au sein de la population en général, ne croient pas nécessairement que nous sommes en guerre. C’est pourtant bel et bien le cas. Il y a une cyberguerre qui fait rage actuellement. Je suis persuadée que vous êtes tous au courant, car vous étudiez ces questions. La guerre nous entoure, mais nous ne la ressentons tout simplement pas.

Selon moi, c’est aussi le cas des Canadiens par extension. Nous avons ressenti le conflit en Afghanistan parce qu’il était tout à fait concret et que certains des nôtres n’en sont pas revenus. C’est un argument des plus convaincants pour inciter les politiciens à reconnaître la nécessité d’acquérir les équipements dont nos militaires ont besoin pour demeurer en vie. Une cyberguerre n’a pas le même effet sur nous. Nous n’allons pas nous mettre à courir dans tous les sens en réclamant la mise en place d’un nouveau système de cyberapprovisionnement parce que quelqu’un a perdu la veille un milliard de dollars en étant victime d’un hameçonnage. Cela ne change toutefois rien à la réalité.

Je comprends bien ce que vous essayez de nous dire. Je ne sais pas comment faire avancer les choses de manière à recadrer cette problématique dans l’esprit des gens. Les politiciens vont bien évidemment chercher à gagner les faveurs de l’électorat pour le scrutin qui s’en vient. Il faudra voir comment leurs processus décisionnels se traduiront par des mesures susceptibles de leur valoir l’appui du grand public.

M. Quick : Madame la sénatrice, j’ajouterais que si vous regardez ce qui se fait ailleurs dans le monde, dans des endroits comme Israël par exemple, vous constaterez que l’on comprend très bien que la menace qui pèse sur nous est d’un ordre différent, que l’on sait pertinemment ce dont cet ennemi est capable et que l’on connaît les moyens qu’il convient de prendre au quotidien pour le contrer.

Pour répondre à votre question, j’ajouterais que les différents pays structurent leur régime d’approvisionnement en fonction de leurs besoins particuliers et de ce qu’ils souhaitent pouvoir construire et acheter au pays même pour s’assurer de pouvoir protéger leurs frontières, leurs littoraux, leur espace aérien et tout le reste. Selon moi, c’est l’un des éléments qui diffère du système en place au Canada. Comme d’autres l’ont indiqué avant moi, nous nous limitons en grande partie à une approche fondée sur une solution universelle.

Les autres gouvernements partent, pour leur part, du principe que certains éléments vont être fabriqués ou achetés au pays. De notre côté, nous nous en remettons principalement à une solution unique censée être applicable dans toutes les situations.

La sénatrice Duncan : Je remercie tous nos témoins pour l’information qu’ils nous ont transmise. Je veux revenir à cette solution unique qui n’en est pas une, de même qu’à votre commentaire concernant la nécessité de cartographier le système. J’aimerais de plus amples détails à ce sujet. Qui et comment? L’échéancier serait de quel ordre? Quelle forme devrait prendre la structure en place? Si je devais vous dire que c’est une excellente idée en vous donnant tous les moyens d’agir, comment procéderiez-vous?

Permettez-moi de situer un peu les choses dans leur contexte avant de vous laisser répondre. Dans les années 1980, le Groupe de travail Nielsen chargé de l’examen des projets a mené des travaux qui ont duré des années et abouti à des tonnes de rapports. Tout le monde pouvait avoir accès à l’information. J’ai dirigé un gouvernement qui a conclu un accord de dévolution en vertu duquel les pouvoirs relatifs aux terres, à l’eau et aux ressources ont été transférés d’Ottawa au Yukon. Nous nous sommes alors penchés sur le fonctionnement des différents ministères gouvernementaux et les mesures de reddition de comptes à mettre en place dans chaque cas.

Une telle démarche de cartographie peut avoir un effet secondaire que j’aborde avec une très grande prudence compte tenu des difficultés que nous avons connues avec Phénix. Cela crée en effet beaucoup d’incertitude chez les fonctionnaires qui sont chargés de gérer la carte en question ou qui doivent la consulter. Pour certains, c’est une grande source d’anxiété. J’aimerais que vous nous disiez ce qu’il en est dans cette optique-là également.

J’ai une dernière observation au sujet du système de communication. Une approche universelle ne devrait jamais être utilisée dans un pays comme le nôtre. Rien ne garantit que ce qui fonctionne à Tuktoyaktuk va également être efficace à Antigonish. C’est un aspect essentiel. J’ai l’impression que les nouveaux systèmes causent bien des soucis aux responsables des communications. Je ne sais pas si vous avez regardé le bulletin de nouvelles de ce soir à CTV, mais on y parlait du nouveau système de communication radio acquis par la Police provinciale de l’Ontario. Devinez quoi? Il ne fonctionne pas ou, tout au moins, on arrive difficilement à le faire fonctionner.

Dans un tel contexte, auriez-vous tendance à isoler dans votre cartographie les différentes composantes du processus d’approvisionnement?

Mme Cianfarani : Vous voulez savoir si j’isolerais certains éléments? Oui. Dans certains cas, je voudrais sans doute que l’on passe d’un modèle fondé sur un produit à un modèle de service. Nous passons ainsi de l’achat d’équipement informatique nécessitant toute une série de serveurs au simple recours à l’infonuagique. Nous demandons à des entreprises comme Microsoft ou Amazon de nous fournir un service.

Le gouvernement pourrait appliquer le même principe en renonçant à acquérir un éventail de produits informatiques qu’il doit administrer et coordonner pour plutôt obtenir les services correspondants. Il s’agit pour ainsi dire de créer un partenariat public-privé avec l’industrie. Celle-ci vous fournit les outils nécessaires en offrant partiellement le service que vous n’avez qu’à utiliser. Il y a transition d’un modèle axé sur le produit où l’on s’efforce sans cesse d’acquérir de nouvelles composantes pour demeurer à jour vers une formule où c’est un fournisseur qui s’assure de demeurer à la fine pointe pour offrir le service. C’est l’une des options possibles. C’est un modèle différent qui représente une transformation fondamentale par rapport à un régime fondé sur l’acquisition.

Quant à savoir la méthode que je privilégierais pour procéder à cette cartographie, je ne peux pas vous dire comment le ministère de la Défense devrait s’y prendre, car je n’ai pas l’expérience du travail dans un ministère. Je peux toutefois vous indiquer comment notre entreprise s’y prendrait. Les gens en viennent à beaucoup tenir à leurs processus. Nous demanderions sans doute l’aide d’une firme de spécialistes en cartographie qui ferait appel à ses propres experts, et nous leur fixerions des objectifs. Il faut rassurer les gens qui craignent de perdre leur emploi si l’on sabre une série d’étapes dont ils étaient responsables.

Pour que cette démarche soit efficace, il faut que chacun comprenne bien qu’elle ne lui coûtera pas son emploi. Chacun va pouvoir continuer à travailler parce qu’on va lui confier des tâches plus utiles. On fait intervenir un spécialiste en ingénierie des processus qui amorce cette démarche de cartographie avec le ministère pour voir comment les choses se déroulent.

En général, on ne consacre pas énormément de temps aux premières étapes. On divise les tâches par grands secteurs pour cerner les principaux obstacles à l’efficience. Si l’on prend l’exemple du ministère de la Défense, nous savons que l’analyse des options est un important goulot d’étranglement qui fait en sorte que le traitement des dossiers est bloqué et doit être repris fréquemment. Dans l’espoir de rationaliser le tout, on ciblerait donc cet élément du processus exigeant sans cesse énormément de temps et d’énergie que l’on consacre à des activités récurrentes. C’est ce que je ferais au départ, car il ne faut pas s’attaquer à de trop gros morceaux à la fois.

C’est la façon dont une entreprise s’y prendrait normalement. Quant à la manière dont cela pourrait se faire au sein du gouvernement, je laisse à ceux qui ont travaillé dans la fonction publique le soin de le déterminer. Ce n’est certes pas mon cas.

La sénatrice Duncan : Faudrait-il alors une table de concertation réunissant les représentants du gouvernement, de l’industrie et de cette firme de spécialistes? Combien de temps faudrait-il compter?

Mme Cianfarani : Ce ne sont pas des processus qui relèvent de nous. Nous entrons simplement en interaction avec ces processus. Je pense que l’on ferait intervenir ces gens-là à la toute fin pour savoir s’ils éprouvent des difficultés et s’il est possible de rationaliser certaines composantes qu’ils jugent moins efficientes. C’est au gouvernement lui-même à le faire en collaboration avec ceux qui sont en charge du processus. En fin de compte, ce sont eux qui devront administrer le nouveau processus. Il faut qu’ils croient en la pertinence de celui-ci sans quoi ils ont souvent tendance à laisser traîner les choses en attendant le prochain cycle de report pour ramener les anciennes méthodes qui ont été supprimées, car ils se sentent ainsi beaucoup plus à l’aise. Personne ne voudrait que l’on modifie les façons de faire qui sont utilisées depuis 20 ans. Cela crée beaucoup d’inconfort. C’est le genre de choses qui peuvent se produire.

Le sénateur Boehm : J’aimerais surtout que nous discutions de la possibilité de créer une agence responsable des approvisionnements. J’ai posé la même question à tous les groupes de témoins que nous avons reçus.

Je mettrais de côté l’expérience des États-Unis compte tenu des choses qui se sont passées là-bas. Pour leur part, le Royaume-Uni et l’Australie se sont plutôt bien tirés d’affaire récemment. Madame Cianfarani, vous avez laissé entendre dans vos observations que ces pays n’ont peut-être pas aussi bien fait qu’ils l’auraient souhaité. Ils ont connu des dépassements de coûts et des retards. Ce sont des problèmes que nous connaissons très bien. Nous connaissons également très bien les périls associés à la participation de cinq ministères ou organismes qui doivent faire montre de la diligence suffisante et lutter contre l’inertie bureaucratique tout en agissant avec prudence.

Vous avez également fait valoir dans vos observations que notre industrie s’exposerait à un risque plus élevé en adoptant le modèle d’une agence unique du fait que la composante industrielle est intégrée à la politique de défense de certains autres pays, notamment parmi ceux du G7.

Je me demande jusqu’à quel point c’est vraiment le cas. Quel que soit le modèle d’agence retenu, son établissement exigerait énormément de temps. Il faudrait faire appel à des avocats. Il faudrait mettre en place certaines structures et il en résulterait sans doute des retards dans l’approvisionnement. Cependant, une fois que tout est mis en place sous un même toit, ne pourrait-on pas s’attendre à une plus grande efficience et peut-être même à des décisions plus judicieuses en matière d’approvisionnement?

Mme Cianfarani : Je ne suis pas encore convaincue. Vraiment pas. J’estime que la composante industrielle doit être intégrée. Il faudrait bien sûr que cela soit prévu dans la loi, car je peux vous garantir que cette composante serait la première à disparaître en cas de pépin. On achèterait alors un produit de série ou bien on s’adresserait à une entité étrangère. Nous ne fabriquons pas de plateformes au Canada. Nous avons une expérience assez vaste en la matière. Il y a trois plateformes que nous avons achetées directement d’un fabricant d’équipement d’origine avec très peu de retombées pour notre industrie. Si je peux me permettre une mise en garde, la difficulté réside alors dans l’entretien de ces plateformes tout au long de leur cycle de vie.

On peut faire le parallèle avec une automobile. Je ne sais pas si vous êtes nombreux à confier encore l’entretien de votre véhicule au concessionnaire 10 ans après son achat, mais ce n’est certes pas mon cas. Je me tourne plutôt vers un mécanicien local capable de faire le même travail pour une fraction du prix.

Ce sont d’autant d’éléments dont il faut tenir compte dès le départ lorsqu’on envisage la création d’une organisation unique de la sorte.

Toutes les compétences devraient être regroupées au sein de cette unité. Il faudrait des années pour inculquer ces notions à des gens qui n’y ont jamais réfléchi auparavant.

Je pense également aux soubresauts de nos cycles d’achat. Nous vivons actuellement une période où nous achetons de nombreuses pièces d’équipement qui vont nous durer de 40 à 50 ans. Nous allons en arriver à une étape où nous achèterons moins. C’est sans doute le temps qu’il nous faudra pour mettre sur pied cette entité unique. D’ici à ce que nous y parvenions, nous aurons déjà acquis tout ce qu’il nous faut pour les 50 prochaines années, et ce, dans un contexte qui risque d’être chaotique et de nous empêcher d’acheter exactement ce que nous voudrions. Nous arriverons ensuite à une période creuse où il n’y aura en fait plus d’achat du tout.

Je ne suis vraiment pas persuadée que nous pourrions réaliser des gains d’efficience dans un délai raisonnable. Peut-être bien que ce modèle aura fait ses preuves dans 100 ans d’ici, mais je ne vois pas du tout comment nous pourrions gagner en efficience d’ici là avec tout cet équipement que nous devons acquérir au cours des 10 prochaines années.

M. Quick : Je suis d’accord. Nous avons une certaine expérience de la centralisation vers un seul organisme. Un nouveau secrétariat de la défense devait être établi en vertu de la SAMD. Ce devait être un genre de carrefour d’information qui nous aiderait en matière de décisions et de coordination. Cela n’a pas fonctionné. C’est désormais un organe d’information pour les sous-ministres. Cela n’a pas fonctionné, et ce, en partie parce qu’il n’avait pas de pouvoir décisionnel et qu’il ne pouvait pas exercer de coordination entre les ministères.

Cela revient à ce que je disais un peu plus tôt sur l’aversion du risque. Les responsables du secrétariat avaient l’impression qu’ils ne pouvaient pas prendre de décision qui exposerait un autre ministère à un risque. C’est notre expérience. La fonction du secrétariat a donc complètement changé depuis.

La sénatrice Eaton : Monsieur Quick, les cycles de croissance et de ralentissement se succèdent depuis la Seconde Guerre mondiale. Je me pose la question suivante : compte tenu des cycles constants de croissance, puis de ralentissement, puis du cycle de vie de l’équipement que se procure l’armée, qui permettrait de prévoir le cycle de vie des bateaux, des sous-marins et des avions, comment se fait-il que l’armée ne semble pas avoir de stratégie en matière d’approvisionnement qui lui permettrait de suivre le cycle de vie de son matériel et de savoir qu’elle aura besoin de chasseurs à réaction, parce qu’ils sont anciens. Pourquoi le processus d’approvisionnement n’a-t-il pas commencé il y a 10 ou 15 ans? Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

M. Quick : Je connais mieux le côté aviation.

La sénatrice Eaton : C’est la raison pour laquelle je vous pose la question.

M. Quick : Si vous construisez un aéronef conçu pour durer 30 ans, votre plan se fondera sur le fait qu’il aura une durée de vie de 30 ans. Vous saurez aussi qu’il devra, un jour ou l’autre, être modernisé et tout et tout.

La sénatrice Eaton : Ce qui prolongera sa vie de 10 ans?

M. Quick : Peut-être, oui, cela dépend de l’aéronef.

La sénatrice Eaton : Ce que j’essaie de vous dire, c’est que, selon votre stratégie — si vous avez un document que vous pourriez remettre au comité par écrit —, selon votre stratégie aéronautique, cela suppose-t-il que le processus d’approvisionnement devrait commencer beaucoup plus tôt, ou croyez-vous que, en raison des cycles constants de croissance et de ralentissement qu’on connaît au Canada, ce ne sera jamais possible?

M. Quick : Je pense que cela fait partie de l’équation, absolument, nous connaissons des cycles. Il y a aussi qu’il nous faudrait une stratégie industrielle pour la Défense nationale, qui préciserait de quoi elle aura besoin quand et qui tiendrait compte de besoins de plateformes et d’outils spéciaux en cas de conflit. Il n’y a pas de stratégie industrielle de la défense, au Canada, qui dresse ce portrait pour nous.

C’est la même chose dans le domaine de l’aviation. Nous n’avons pas de stratégie nationale pour nous guider dans la façon de construire notre industrie. On passe d’un projet à l’autre, selon les circonstances, et quand nous avons besoin de quelque chose, nous devons nous le procurer.

Mme Cianfarani a mentionné que nous avions un processus d’approvisionnement auparavant, mais que nous n’avons jamais rien fait pour stimuler le développement industriel au Canada parce que nous prenons nos décisions au gré de nos déploiements. Nous n’avons pas de stratégie industrielle pour nous guider dans nos décisions.

La sénatrice Eaton : Nous n’avons pas de stratégie industrielle sur laquelle s’appuierait notre stratégie de défense nationale?

M. Quick : C’est une stratégie industrielle pour la Défense nationale.

La sénatrice Eaton : Avez-vous des documents ou une synthèse que vous pourriez nous transmettre par écrit?

M. Quick : Nous avons divers petits documents d’information ici et là.

La sénatrice Eaton : Auriez-vous l’obligeance de les transmettre au comité?

M. Quick : Certainement.

La sénatrice Eaton : Si vous pouviez les remettre à notre greffière, je vous en serais très reconnaissante. Nous voulons produire un rapport à ce sujet, donc ce serait apprécié. Merci.

Le sénateur Klyne : J’aimerais revenir à une question du sénateur Boehm. Vous disiez qu’il peut y avoir plusieurs niveaux dans le système d’approvisionnement, si l’on veut.

Pour faire une analogie, à tel niveau, on pourrait acheter de la peinture de bâtiment. Il y aurait là un certain pouvoir d’achat. À un autre niveau, on achèterait de la peinture devant résister à la chaleur du désert sur les camions de transport. Il faudrait alors s’adresser à tel groupe. Au niveau suivant, on achèterait le revêtement pour cuirassé devant résister à l’océan et au sel pendant 10 ans. Cela relèverait d’un autre groupe. Tout ne passerait alors pas par un même organisme. J’extrapole un peu, mais à un niveau, il y aurait un organisme, puis il y en aurait un autre à l’autre niveau, et ainsi de suite.

À certains niveaux, les décisions pourraient se prendre assez vite pour faire diverses choses. Au niveau suivant, le processus serait un peu plus lourd, mais on saurait que c’est là où sont prises ces décisions. Je ne pense pas qu’il soit possible d’assurer une pleine horizontalité, il devrait y avoir trois canaux verticaux, n’est-ce-pas, trois organismes différents?

Mme Cianfarani : Tout dépend de l’objectif visé.

Le sénateur Klyne : Le but serait de pouvoir faire certaines choses rapidement et d’obtenir de bons résultats, selon des normes de qualité bien établies.

Mme Cianfarani : On confond un peu la structure et les pouvoirs. Je ne pense pas que la structure compte tant que cela dans cette agence. Ce n’est pas vraiment sa structure qui compte, mais plutôt la délégation des pouvoirs.

Selon notre modèle d’entreprise, quand j’ai besoin de TI, j’ai un service d’acquisition et j’ai un service informatique. Mon service d’acquisition achète tel article 25 fois par année. Son pouvoir de dépenser est de 1 million de dollars. Nous savons que nous nous approvisionnons de sources canadiennes et que nos fournisseurs sont excellents. Nous achetons, tout simplement. Nous ne sommes pas en concurrence. Nous achetons, un point c’est tout.

Cela n’a rien à voir avec la structure du service. Il n’y a personne au service informatique qui doit intervenir pour cela. Nous avons adopté des critères qui rendent notre processus d’acquisition agile. Si les critères X, Y et Z sont respectés, on peut faire l’achat.

C’est le même principe. Au niveau intermédiaire, on peut dire : « D’accord, mon service est responsable des retombées industrielles, donc que si tels critères sont respectés, on peut faire l’achat, mais s’ils ne le sont pas, il nous faut une stratégie pour nous approvisionner de manière avantageuse pour le pays. »

Vous voudriez probablement que ces deux entités se parlent. L’une serait spécialiste d’un certain domaine, comme notre service informatique, et l’autre serait spécialisée en acquisition.

Je suppose, quand je regarde tout cela, que ce ne serait pas nécessairement horizontal ou vertical; c’est une question de délégation de pouvoirs et de modules interreliés, selon une structure logique, pour accélérer certaines parties du processus.

Le sénateur Klyne : L’approvisionnement est tellement complexe à la Défense nationale et à la Garde côtière canadienne. Je pense que c’est la raison pour laquelle on veut favoriser la création d’une agence centrale.

Mme Cianfarani : Je pense que cela nous rassurerait. Nous croyons que cela viendrait résoudre un problème foncièrement complexe qui requiert de trouver l’équilibre entre les avantages économiques, les coûts, la valeur pour le Canada et les besoins.

Nous aimerions qu’il y ait une personne responsable qui puisse essentiellement en rendre compte. La réalité, c’est que pour beaucoup de mesures d’approvisionnement laissées pour compte, ce n’est pas le cas.

Le sénateur Klyne : Tout va bien jusqu’à ce que l’on commence à creuser.

Mme Cianfarani : Exactement.

La sénatrice Marshall : À la fin de notre étude, nous devons formuler des recommandations. Je vois vos deux domaines presque comme des domaines de spécialité. Je ne sais pas si mon interprétation est bonne, mais ce sont vos domaines de spécialité.

Monsieur Quick, quelle serait la grande recommandation que vous voudriez nous voir formuler? Quelque chose de tangible. Je sais que vous avez parlé beaucoup de l’aversion du risque. Je ne veux pas que vous me fassiez cette recommandation, ce n’est pas assez concret. Quelle serait la grande recommandation que vous voudriez voir dans notre rapport, qui aurait un effet positif sur votre industrie?

M. Quick : Pour moi, ce serait qu’on se dote d’une stratégie industrielle en matière de Défense nationale. Il y a aussi beaucoup d’autres choses aussi que vous avez entendues de la bouche de mes collègues, qui amélioreraient le processus et permettraient de le simplifier et de gérer les pointes et les creux dans les cycles d’approvisionnement.

La sénatrice Marshall : Ce serait comme une sous-stratégie de la stratégie globale, d’accord.

Mme Stewart-Belisle : Je dirais à peu près la même chose. Je pense à une sous-stratégie pour tout l’approvisionnement en matière de TI et d’informatique, qui pourrait conférer certains pouvoirs à différents services, comme Mme Cianfarani l’a dit, sous réserve de seuils, de valeurs financières ou de listes de fournisseurs et de logiciels préapprouvés, pour rendre l’approvisionnement plus agile, plus rapide, pour qu’on puisse suivre le rythme de l’évolution.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Je pense qu’un des éléments clés et incontournables de votre témoignage est l’importance de se donner une stratégie industrielle d’approvisionnement. L’une de ces stratégies est sectorielle, soit celle qui touche à l’approvisionnement dans le secteur de la marine où, par exemple, on a confié à un chantier tous les contrats de navires de combat de surface.

Il y a tout de même quelques années que cette stratégie est en œuvre. Selon votre expérience, est-ce qu’elle porte ses fruits?

[Traduction]

Mme Cianfarani : Soit dit en passant, les trois constructeurs navals sont membres de notre association. Le secteur de la construction navale a connu un bond de 150 p. 100 entre 2014 et 2016, donc oui, elle porte ses fruits. L’industrie canadienne a été mise à contribution dans son élaboration comme jamais auparavant.

J’ai eu le plaisir, dans le cadre de mes fonctions précédentes, de participer aux premières discussions sur les alliances possibles pour la construction des navires de combat de surface. Rien n’a pu être fait concernant ces navires avant que le gouvernement n’évalue les propositions de valeur des constructeurs navals pour que l’industrie canadienne participe à leur conception. En réalité, si on laisse la porte ouverte à la concurrence étrangère, elle essaiera de rafler tous les contrats, ce qui est tout à fait normal dans le monde des affaires. Est-ce que j’appuie la stratégie de construction navale au Canada et toutes les mesures pour inciter les chantiers navals à se partager la richesse, à investir au Canada, à éviter les cycles de croissance et de ralentissement à long terme, puis à concevoir eux-mêmes les chantiers afin que ces navires soient construits au Canada, selon ces plans, à l’aide de technologies canadiennes? Absolument, je pense que c’est la bonne stratégie à adopter.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai l’impression que c’est un peu comme en informatique où, lorsqu’on adopte un système d’exploitation, on est pris avec ce système et on doit souvent mettre les logiciels à jour. Ne pensez-vous pas que le fait qu’on ait confié tous les vaisseaux de surface au même chantier a eu pour effet d’accorder un monopole à ce chantier? Est-ce qu’il n’y a pas un impact sous forme de perte de plus-value dans cette approche?

[Traduction]

Mme Cianfarani : Quand la Stratégie nationale d’approvisionnement en matière de construction navale a été lancée, une macroanalyse fine a été effectuée, et c’est la meilleure façon de séparer le travail pour assurer la continuité des projets sur une cinquantaine d’années, parce que ce sera la durée de vie des navires et parce qu’il faudra aussi les remettre en état de temps en temps, en plus d’une certaine partie de la flotte, donc on peut prévoir environ 600 000 heures-hommes ou heures-personnes par année. Ne me corrigez pas si c’est quelques milliers de plus ou de moins ou un million. Entre combien de côtes ou de chantiers peut-on répartir le volume de travail pour éviter les pointes et les creux, les périodes de forte croissance, puis celles de ralentissement dans l’industrie navale comme nous en avons toujours connu? C’est ce qui a causé l’érosion complète de l’industrie.

Quand cette étude a été réalisée, on a déterminé que le Canada pourrait soutenir deux chantiers pour l’ensemble des navires à construire. Pour moi, peu importe le chantier où le travail est fait, tant que c’est au Canada. Nous avons des chantiers canadiens qui procurent des emplois au Canada. Pour l’industrie, toutefois, le nombre de chantiers compte, parce qu’il n’y a qu’un certain volume de travail possible à chaque chantier à long terme. Nous savons qu’à court terme, il y a des défis à l’horizon, qu’il y aura des pointes et des creux, nous savons qu’il faut tenir compte du projet de navire de soutien interarmées, nous savons qu’il y a un certain volume de travail en retard, faute de ressources pour l’exécuter. Quand on analyse la situation sur 50 ans, il faut prévoir qu’il y aura des remises en état, des aléas, des mises à niveau technologiques et que dans les faits, il s’agit d’un projet d’une cinquantaine d’années sur deux chantiers et qu’il faudra gérer le volume de navires à construire et veiller à ce que la marine ait toutes les ressources opérationnelles nécessaires.

Le sénateur Boehm : Je continuerai là où je m’étais arrêté, si vous le voulez bien. Si nous sommes vraiment allergiques au risque et qu’il ne semble pas y avoir de recette miracle, croyons-nous qu’il y a suffisamment de mécanismes de contrepoids dans le système entre les cinq organismes et les divers comités des SM et des SMA pour que nous puissions continuer ainsi, en gros? Ou comme M. Quick le disait, si nous voulons nous doter d’une stratégie industrielle de défense, devons-nous plutôt créer quelque chose de plus gros pour en assurer la supervision? Nous connaissons maintenant les périls auxquels nous nous exposons si nous adoptons trop vite un système unique comme ceux de Services partagés Canada et de Phénix, qui doit toujours renaître de ses cendres. Je serais curieux d’entendre votre recommandation. Comme le disait la sénatrice Marshall, auriez-vous une sous-recommandation à nous faire pour essayer d’établir un pont entre notre stratégie industrielle et notre stratégie de défense?

Mme Cianfarani : Je pense que vous n’y ajouterez rien. Je pense que ces stratégies existent déjà d’une certaine façon aujourd’hui. Nous avons les capacités industrielles clés nécessaires. Il suffirait d’établir, si l’on veut d’un processus d’approvisionnement qui mette à profit les capacités industrielles canadiennes, par exemple, que tous les sous-ministres doivent connaître la marche à suivre et que la première étape consiste à obtenir une exemption aux fins de la sécurité nationale. Les entreprises canadiennes seraient ensuite placées en concurrence, parce que nous avons les compétences nécessaires ici, au Canada, et que nous voulons que ces activités aient lieu au Canada. Nous voulons nous approvisionner au Canada, parce que nous savons déjà que cela fait partie de nos capacités industrielles clés et que nous voulons les conserver. Cela nous affranchirait immédiatement de l’obligation d’obtenir cinq soumissions, de vérifier s’il y a une entité étrangère qui se plaint de ne pas avoir sa part du gâteau, et tout et tout. Tous ces éléments de la guerre du partage des compétences disparaîtraient. Cela ne signifie pas qu’il y aurait moins d’intervenants dans le processus, mais il y aurait moins de négociations, moins de goulots d’étranglement dans l’analyse des options parce qu’il y aurait déjà un certain nombre de directives qui nous permettrait d’avancer beaucoup plus vite.

Puis, vous pourriez déterminer que, à tel niveau, compte tenu de tous les rouages en place au MDN, vous n’avez peut-être pas besoin d’un certain seuil. Si vous vous entendez sur les principes, il peut être établi que jusqu’à un certain seuil, il suffit d’une signature d’un gestionnaire inférieur ou du directeur des besoins de la marine grâce à cette délégation de pouvoirs. Encore une fois, c’est pour le MDN. Le Conseil du Trésor saurait qu’à ce niveau, cela fait partie des fonctions établies. Nul besoin d’en débattre, cela a déjà été approuvé par X, Y et Z. C’est conforme à nos grandes capacités industrielles. Il n’est pas question de nous regarder le nombril. Tout peut se régler en 18 mois.

Je n’ajouterais pas de niveau décisionnel; je n’en réclamerais pas plus. Je chercherais plutôt à diminuer le nombre d’interlocuteurs par niveau au moyen de la délégation de pouvoirs, des niveaux décisionnels et en fonction de la complexité et du risque, encore une fois. Je simplifierais le processus de cette façon.

M. Quick : C’est pour l’aspect structurel. Pour ce qui est du fond, nous sommes en train de moderniser, de numériser l’approvisionnement et de voir ce que nous pouvons faire pour accélérer le processus et le rendre plus efficace. Sur le plan stratégique, nous misons sur des choses comme la gestion du rendement des fournisseurs. Nous voulons tenir compte d’autres facteurs entourant les coûts, les profits et moderniser nos politiques en ce sens.

Nous avons créé des propositions de valeur, ce qui a beaucoup aidé. Elles s’améliorent à chaque nouveau processus d’approvisionnement. Les comportements changent.

Il y a donc une question de structure, mais il y a aussi l’essence du processus lui-même. Nous nous améliorons à ce chapitre. Je ne jetterais pas trop vite le bébé avec l’eau du bain. Nous constatons des progrès, et nous devons cheminer là-dedans. Je suis d’accord avec Chris : si nous pouvions revoir la structure et le fond du système actuel, ce serait intéressant de voir à quel point nous pourrions rendre le système actuel plus efficace.

Le sénateur Klyne : J’aimerais avoir une précision de Mme Stewart-Belisle. Je n’ai pas bien compris ce que vous avez dit, mais vous parliez de circuits ou de matériel électronique dont la durée de vie n’est que de 1 à 3ans, qui seraient installés sur des navires conçus pour durer de 5 à 15 ans. Il faut être conscient que ce matériel ne durera pas tout ce temps. Est-ce ce que vous vouliez dire?

Mme Stewart-Belisle : Oui. Le avancées technologiques ont plutôt une longévité de 12 à 18 mois, probablement même de pas plus de 12 mois, donc ce n’est pas le genre de chose qu’on veut mettre en place pour 15 ans.

Il y a deux aspects. D’abord, il faut accélérer le processus d’approvisionnement, mais vous avez raison de dire que la modernisation et les mises à jour doivent suivre un autre calendrier.

Le sénateur Klyne : Donc, on installe du matériel pour trois ans, puis on le remplace par la génération suivante au bout de trois ans?

Mme Stewart-Belisle : Exactement.

Le sénateur Klyne : Est-ce qu’ils comprennent cela?

Mme Stewart-Belisle : Oui.

Le sénateur Klyne : Ils en sont à croire que ce matériel devrait durer 10 ou 15 ans.

Mme Stewart-Belisle : Non. Je pense qu’il n’y a personne qui pense cela de la technologie.

Mgén Loos : Non, mais dans notre système d’approvisionnement, quand on analyse les coûts, il faut attester de leur rentabilité future, mais quand on sait qu’un programme ne produira pas de résultats avant 5 à 10 ans, la technologie ne sera pas gérée de la même manière, puisqu’il est sûr que, dans 5 ans, l’analyse des coûts ne tiendra plus la route. Cela dit, on passe beaucoup de temps à essayer d’améliorer l’analyse des coûts. Les gens du milieu nous disent qu’ils consacrent beaucoup de temps et d’efforts à préparer leurs analyses de coûts, leurs soumissions et tout ce qu’il faut pour être prêts. Ils veulent faire des affaires, mais ne veulent pas s’imposer de travail ni de coûts supplémentaires, ils ne veulent pas non plus devoir faire des estimations de coûts trop précises qui ne seraient pas réalistes sur les technologies de l’information.

Le sénateur Klyne : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Dans vos secteurs d’activité, le fait que le fournisseur assume pleinement le facteur de risque a un impact sur le coût. Pourriez-vous nous transmettre des renseignements par écrit à ce sujet? Dans vos secteurs d’activité, avez-vous des modèles de partage du facteur de risque? D’après votre expérience, y a-t-il de bonnes pratiques qui favorisent un partage du facteur de risque et qui permettraient de réduire les coûts à la fin de l’achat de l’équipement?

[Traduction]

Mme Cianfarani : Nous avons à notre disposition un éventail complet de modèles, de celui à prix ferme — un bon modèle à utiliser si on travaille avec une entité bien connue — à celui à prix coûtant majoré, parfois assorti d’un plafond. Si un entrepreneur construit quelque chose d’inconnu, comme un navire de guerre, par exemple, les risques sont assez élevés. De façon générale, l’industrie préfère donc un modèle de partage du risque reposant sur une entente de partage des dépassements de coûts ou du coût de l’augmentation potentielle de l’envergure, quitte à peaufiner la solution au fil des ans, à mesure que la construction avance.

Sur le plan de l’entretien, nous avons des modèles de partage du risque et des profits. Par exemple, si on accorde un contrat d’entretien en sous-traitance pour 20 ans et que le sous-traitant s’améliore constamment, on veut l’encourager dans cette voie. On paie donc moins au fil des ans, et le sous-traitant peut alors retourner une partie des profits et en garder une partie pour s’améliorer dans l’avenir. Ce modèle existe.

On peut aussi conclure d’autres ententes, afin de payer un service ou une location avec option d’achat, par exemple. Tous ces modèles existent. Le choix dépend de ce qu’on se procure, du niveau de risque inhérent et de la tolérance au risque des divers organismes. Chacun de ces facteurs modifiera le comportement du fournisseur. Si on achète un bien à risque très élevé dans le cadre d’un contrat à prix ferme, ce genre de projet tend à aller assez mal, de façon générale, parce que le fournisseur tente ensuite de trouver des moyens d’éviter d’assumer les dépassements de coûts. C’est un peu comme quand on achète une maison dans le Glebe pour s’apercevoir ensuite que la tuyauterie est en plomb. Si on oblige l’entrepreneur à respecter le prix initial, les choses vont rapidement s’envenimer. Le même principe s’applique ici, selon les risques en présence.

Les genres de comportements qu’on obtient des entrepreneurs tendent à dépendre du fait qu’on choisit mal le modèle selon le profil de risque de ce qu’on cherche à construire. Tous les modèles sont à notre disposition : il suffit d’effectuer le bon choix pour le projet que l’on entreprend.

Mgén Loos : Je peux ajouter quelque chose. Vous avez soulevé un point plus tôt. Nous sommes sur le point d’instaurer les technologies de l’information dans l’industrialisation des services, et ce, de bien des manières. Les services eux-mêmes et la sécurité des services feront partie de l’avenir numérique du gouvernement et de l’armée. Selon moi, le système d’approvisionnement au sein du ministère et de tous les autres organismes n’est pas adéquatement placé pour bien faire en ce qui a trait aux services et à la manière dont nous nous les procurons.

Pour en revenir à votre point sur le risque, il existe une manière d’agir. Avec les services, si la rémunération dépend du rendement, alors l’entrepreneur assume tous les risques. Il doit fournir le service, sinon il ne sera pas rémunéré pour les niveaux de services.

Quelqu’un a évoqué le spectre de Services partagés Canada. Même s’il est sage de faire appel à un seul organisme, il n’en demeure pas moins que le système en place ne nous rapproche pas nécessairement de l’avenir numérique où nous serions plus souples afin d’obtenir ce que nous voulons. Il s’agit d’une étape de plus vers l’obtention de ce dont nous avons besoin, qu’il s’agisse d’équipement ou de service. C’est certainement le cas pour la défense.

Le vice-président : Je tiens à remercier les témoins d’avoir comparu au cours de ce qui a été une longue soirée. Nous avons eu une séance fort intéressante, au cours de laquelle nous avons beaucoup appris. Merci beaucoup d’avoir témoigné ce soir.

(La séance est levée.)

Haut de page