Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule no 3 - Témoignages du 21 mars 2016
OTTAWA, le lundi 21 mars 2016
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 30, pour poursuivre son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.
La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Je suis Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta, et c'est avec plaisir que je préside la réunion ce soir.
Avant de donner la parole aux témoins, j'invite les membres du comité à se présenter, en commençant à ma droite.
Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, sénatrice du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.
Le sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Rivard : Michel Rivard, sénateur du Québec, de la circonscription des Laurentides.
La présidente : Le comité poursuit son étude sur l'application de la Loi sur les langues officielles, et des règlements et directives en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi.
Ce soir, les discussions porteront, entre autres, sur la collaboration entre les commissaires linguistiques du Canada et sur le suivi à effectuer au sujet de l'étude sur les obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Mme Ghislaine Saikaley, commissaire adjointe, Direction générale de l'assurance de la conformité, Mme Mary Donaghy, commissaire adjointe, Direction générale des politiques et des communications, ainsi que Mme Pascale Giguère, avocate principale et gestionnaire, Direction des affaires juridiques.
Avant de commencer, j'aimerais ajouter que le commissaire Fraser assure la présidence de l'Association internationale des commissaires linguistiques, qui a été créée il y a trois ans. Elle a pour mission de défendre l'égalité et la diversité linguistiques partout dans le monde.
Nous discuterons de la collaboration entre les commissaires. Je tiens à remercier M. Fraser de sa présence à notre comité à titre de président de cette association. Monsieur Fraser, vous pouvez commencer en nous présentant un bref exposé.
Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Je vous remercie beaucoup, madame la présidente.
[Traduction]
Membres du comité, bonsoir. Je suis heureux de me présenter aujourd'hui, devant le comité pour la première fois depuis le début de ce Parlement. J'ignore combien d'autres conversations nous aurons avant la fin de mon mandat, en octobre, mais j'ai été honoré d'avoir été reçu aussi fréquemment par le comité et d'avoir eu des échanges si productifs avec ses membres.
[Français]
Radio-Canada fait évidemment partie des dossiers que je souhaite faire progresser avant mon départ. Votre convocation est donc arrivée à propos.
Comme vous le savez, en 2010, j'ai déposé un recours devant la Cour fédérale contre la Société CBC/Radio-Canada. J'ai décidé de recourir à ce tribunal, parce que, depuis plusieurs années, CBC/Radio-Canada refusait de reconnaître ses obligations et avait une interprétation très restrictive de ma compétence de mener des enquêtes.
[Traduction]
Comme suite aux 876 plaintes déposées auprès du commissariat par des citoyens au sujet des compressions budgétaires effectuées par la société à CBEF Windsor, j'ai effectué une enquête qui m'a amené à conclure que CBC/ Radio-Canada n'avait pas respecté ses obligations en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, car elle n'avait pas tenu compte des répercussions négatives de sa décision sur la minorité francophone du sud-ouest de l'Ontario.
Malgré le fait qu'il s'agissait avant tout de décisions administratives, à savoir des compressions budgétaires et l'abolition de postes, CBC/Radio-Canada avait refusé de participer à l'enquête, soutenant que ses décisions portaient sur la programmation.
[Français]
Le recours que j'ai intenté visait à confirmer que je possède la compétence nécessaire pour mener des enquêtes au sujet de CBC/Radio-Canada et pour clarifier les obligations de la société en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.
Le 8 septembre 2014, le juge Martineau de la Cour fédérale a rendu une décision selon laquelle il confirmait ma compétence de mener des enquêtes et rejetait la position avancée par CBC/Radio-Canada, selon laquelle le CRTC avait une compétence exclusive. La décision rendue par la Cour fédérale déclarait que CBC/Radio-Canada était assujettie à la loi, y compris à la partie VII. Cela implique l'obligation de prendre des mesures positives pour favoriser l'épanouissement et appuyer le développement des communautés de langue officielle en situation minoritaire. CBC/ Radio-Canada a aussi l'obligation d'agir de façon à ne pas nuire au développement et à l'épanouissement des communautés minoritaires francophones et anglophones du Canada.
[Traduction]
CBC/Radio-Canada a porté cette décision en appel. Le 12 novembre 2015, la Cour d'appel fédérale a rendu une décision qui annulait celle de la Cour fédérale. Cependant, il importe de préciser que la Cour d'appel ne s'est pas prononcée sur les questions de fond, mais bien sur le fait que le juge de première instance avait commis des erreurs sur le plan procédural.
C'est d'ailleurs pour cette raison que je n'ai pas porté la cause devant la Cour suprême du Canada. En effet, puisque la décision de la Cour d'appel fédérale ne se prononçait pas sur le mérite, il m'aurait été difficile de faire valoir devant la Cour suprême que la Cour d'appel avait commis des erreurs d'importance nationale.
La Cour d'appel fédérale ne s'est pas prononcée spécifiquement sur ma compétence à l'égard de CBC/Radio- Canada. Toutefois, elle a précisé clairement que le CRTC n'avait pas le pouvoir de déterminer s'il y a eu violation des dispositions de la Loi sur les langues officielles.
[Français]
Cela peut sembler évident, mais CBC/Radio Canada a affirmé que le CRTC pouvait tenir compte des principes et des objectifs de cette loi dans le cadre de son mandat et qu'on pouvait donc présumer que la législature désirait laisser au CRTC le soin de traiter toute question relative aux langues officielles. La Cour d'appel fédérale a cependant clairement affirmé que le CRTC n'avait pas le pouvoir de tirer quelque conclusion que ce soit concernant l'inobservation de la loi. Ce faisant, elle a donc réitéré de façon indirecte que le mandat que m'a confié le Parlement m'autorise à enquêter sur toute question se rapportant à la Loi sur les langues officielles. Sur le plan pratique, il faut avouer qu'après cinq ans de litige, nous sommes de retour à la case départ.
[Traduction]
Cependant, depuis la décision de la Cour d'appel fédérale, je me suis entretenu avec les représentants de CBC/ Radio-Canada et je me permets d'espérer que nous trouverons un moyen de mettre fin à cette impasse au plus tôt.
Bien évidemment, mon rôle à titre de commissaire aux langues officielles n'est pas de dicter des choix au radiodiffuseur public national pour le contenu de sa programmation. Sur ce point, je suis d'accord avec CBC/Radio- Canada qu'il existe une indépendance en matière de choix journalistiques. Cependant, je maintiens que CBC/Radio- Canada est assujettie à la Loi sur les langues officielles, notamment à sa partie VII, et que j'ai pleine compétence pour mener une enquête lorsque des membres du public allèguent que CBC/Radio-Canada ne satisfait pas à ses obligations découlant de la loi.
Je m'intéresse également, comme vous, au virage numérique entrepris par CBC/Radio-Canada et à la façon dont les différentes régions du pays sont desservies. Selon moi, les mêmes principes continuent de s'appliquer à la nouvelle structure : le diffuseur public national doit à la fois être le reflet des communautés francophones et anglophones de tout le pays, et relier les Canadiens entre eux.
[Français]
Passons au deuxième sujet. L'une des réalisations dont je suis très fier est la collaboration établie au cours des dernières années entre le commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, le commissaire aux services en français de l'Ontario et moi-même.
Les protocoles d'entente qui ont été établis entre les trois organisations visent, entre autres choses, à assurer les mises en commun des bonnes pratiques et à faciliter le transfert des plaintes de l'une à l'autre.
Je rencontre les commissaires Boileau et d'Entremont chaque fois que nous nous trouvons dans la même ville, et les membres de notre personnel respectif communiquent régulièrement. En 2013, nous avons publié un rapport conjoint sur l'accès à la justice et la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures au Canada. En novembre 2014, le bureau de François Boileau et le mien ont publié conjointement un rapport sur l'immigration francophone. Étant donné les nombreux dossiers qui chevauchent les champs d'application, cette collaboration permanente nous permet d'intervenir avec plus d'efficacité et les services que nous offrons aux citoyens s'en voient améliorés.
[Traduction]
Avant de conclure, je tiens à mentionner brièvement certains des documents qui seront publiés par le commissariat d'ici la fin de mon mandat : mon rapport annuel, le 19 mai, qui sera accompagné d'une étude des différentes affaires juridiques dont s'est occupé mon bureau au cours des 10 dernières années, et de nouveaux bulletins de rendement pour 33 institutions fédérales; un rapport offrant un survol de la façon dont j'ai exercé mon rôle devant les tribunaux; une étude sur l'offre active au public par les institutions fédérales; une étude sur le développement de la petite enfance en milieu minoritaire francophone; les résultats d'un sondage sur l'opinion des Canadiens sur diverses questions liées aux langues officielles; et un suivi à ma vérification réalisée en 2012 au sein de Parcs Canada.
[Français]
Madame la présidente, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions et à celles de vos collègues.
La présidente : Merci, monsieur le commissaire.
Je constate que nous aurons le plaisir de vous revoir à plusieurs occasions, compte tenu des rapports et des documents que vous publierez au cours des prochaines semaines. Ce sera un grand plaisir pour nous de vous recevoir à nouveau.
Nous entamons maintenant la période des questions en commençant par la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Soyez le bienvenu et merci d'avoir accepté notre invitation.
Mes questions toucheront trois sujets. Ma première question fait suite à une partie des commentaires que vous avez faits dans votre présentation. Vous avez mentionné que, en novembre dernier, la Cour d'appel fédérale a tranché en faveur de CBC/Radio-Canada dans le cadre de votre recours judiciaire afin d'exercer votre pouvoir d'enquête sur la société CBC/Radio-Canada en ce qui concerne les manquements à ses obligations linguistiques envers les Canadiens et les Canadiennes. Pouvez-vous nous expliquer l'importance pour les communautés francophones de votre pouvoir d'enquête sur CBC/Radio-Canada?
M. Fraser : Je crois qu'une indication très claire de l'importance pour les communautés est l'enquête que nous avons menée, malgré le manque de collaboration de la part de CBC/Radio-Canada, et l'intervention devant les tribunaux sur CBEF Windsor. Cette intervention devant les tribunaux et le CRTC a mené CBC/Radio-Canada à améliorer ses initiatives de consultation. Des obligations de consultation ont maintenant été inscrites dans le cadre du renouvellement de licence de la société CBC/Radio-Canada, et cela ne se serait pas produit si nous n'avions pas passé à l'action concernant les 876 plaintes que nous avions reçues.
Je dois ajouter que je fais une distinction très claire quant à ma perception des plaintes sur lesquelles nous devrions ou non exercer notre pouvoir d'enquête. Je ne voyais aucun intérêt à être directeur des nouvelles lorsque j'étais journaliste, et je n'ai toujours pas le désir de l'être en tant que commissaire aux langues officielles. Un certain nombre de plaintes traite effectivement de décisions journalistiques, et je n'ai aucun intérêt à exercer mon pouvoir d'enquête à ce sujet.
Parfois, le public reconnaît cela. Par exemple, lors de la fusillade de 2014 à Moncton, RDI n'a pas interrompu sa diffusion des audiences de la Commission Charbonneau à l'époque pour couvrir cet événement de grande importance. Des plaintes envers l'ombudsman de Radio-Canada ont été déposées et, si j'en avais reçu, je ne les aurais pas acceptées, parce qu'il s'agissait d'une décision journalistique. Radio-Canada a d'ailleurs reconnu son erreur à la suite des observations presque immédiates de l'ombudsman Pierre Tourangeau. Je n'ai donc aucun désir de procéder à des enquêtes concernant ce genre de plainte. Toutefois, dans le cadre d'autres décisions qui concernent les budgets et les compressions budgétaires, lesquelles ont un impact potentiel sur les communautés, je crois qu'il est très important pour la société CBC/Radio-Canada de reconnaître ses obligations et, d'abord, de ne pas nuire aux communautés.
Radio-Canada, dans l'ensemble du pays, représente une ressource extrêmement importante pour les communautés. C'est un genre de babillard communautaire pour les communautés disséminées à travers le pays. Il est donc extrêmement important que ce service envers les communautés minoritaires continue d'être offert de la même façon que par le passé. Il y a un lien très important, qui a été reconnu par le juge Martineau, entre les services offerts par Radio-Canada et la vitalité des communautés linguistiques.
La sénatrice Poirier : Si je comprends bien, les 876 plaintes reçues ne concernaient pas les journalistes; quelle était donc la nature de la majorité des plaintes reçues? De quel sujet traitaient-elles?
M. Fraser : C'était au sujet de l'élimination de la programmation locale à Windsor et au sujet de la décision d'éliminer des postes à Windsor, faisant en sorte que toute la couverture de Radio-Canada soit fournie à partir de Toronto. Il s'agissait d'une réduction du temps de programmation locale initiale de 35 heures à un temps de programmation locale de 45 minutes, ou plus précisément, de trois segments de 15 minutes. Dans le cadre du renouvellement de la licence, le CRTC a obligé CBC/Radio-Canada à revenir à un temps de programmation de 15 heures par semaine.
La sénatrice Poirier : Selon vous, quelles sont les objections principales de CBC/Radio-Canada à l'égard de votre pouvoir d'enquête? De quoi la société a-t-elle peur?
M. Fraser : Je crois que, comme pour toute organisation journalistique, la peur d'un impact sur l'indépendance journalistique de l'organisation est présente. Comme je l'ai dit, c'est un réflexe que je respecte beaucoup. Elle craint le risque que cela ouvre la porte à une ingérence de la part du gouvernement. Il y a également une crainte par rapport au fait qu'il pourrait devenir impossible de modifier la nature des services. Dans le cas d'une initiative qui s'avérerait infructueuse, par exemple, elle craint de ne pas être en mesure de changer la situation.
J'ai déjà reçu des plaintes traitant d'une décision journalistique, à mon avis, soit une mutation par laquelle un journaliste a été transféré d'une ville à une autre. J'ai décidé que ce genre de décisions ne serait pas l'objet du type de plaintes dont nous allions traiter.
Les organisations journalistiques ne courent pas après la vigie d'une organisation extérieure. Souvent, les journaux sont réticents à faire l'objet d'une surveillance de la part des bureaux de presse. Il y a une crainte naturelle et compréhensible qu'un contrôle du contenu soit exercé. Dans mon cas, ce n'est pas le contenu que je veux contrôler, mais bien l'impact sur les services qui représentent un lien important avec la vitalité des communautés linguistiques.
La sénatrice Poirier : Je vais maintenant passer à un autre sujet.
Il y a deux semaines, un groupe d'Acadiens a envoyé une lettre à CBC/Radio-Canada concernant des propos haineux proférés contre l'Acadie et la francophonie. À la suite de pressions exercées par différentes personnes — 120 personnes ont signé une lettre et d'autres sont venues, comme la ministre fédérale et le premier ministre du Nouveau- Brunswick, et des audiences ont eu lieu à Moncton la semaine dernière —, la société CBC/Radio-Canada est revenue sur sa décision, et nous en sommes heureux. Elle a non seulement décidé de retirer les commentaires, mais elle a décidé que désormais, les gens qui émettent des commentaires devront indiquer leur nom. Je crois que la société effectuera également une révision de ses politiques. Elle nous dit qu'elle est une société indépendante qui suit les directives.
Selon vous, est-ce que cette mesure permettra de régler le problème pour les médias sociaux ou est-ce que vous avez autre chose à suggérer qui pourrait s'ajouter à cela, pour que nous puissions nous assurer que de tels commentaires haineux ne se répètent pas, que ce soit à l'encontre des francophones ou d'autres organisations? Y a-t-il d'autres suggestions que vous pourriez nous faire, d'autres manières d'agir à nous recommander qui pourraient permettre d'améliorer la situation?
M. Fraser : Le principe fondamental, c'est que tout diffuseur d'information, qu'il s'agisse des éditeurs de journaux ou de CBC/Radio-Canada, est responsable du contenu. Lorsque je travaillais pour un journal, avec la vieille technologie de la presse écrite, il y avait une politique : on publiait des lettres seulement si le nom et l'adresse de la personne figuraient sur la lettre, et on faisait l'effort de confirmer par téléphone que la personne avait réellement écrit cette lettre.
Nous sommes dans une nouvelle ère, et cela fait partie du virage vers le numérique. Selon la déclaration de Jennifer McGuire, responsable du contenu à CBC/Radio-Canada, la société diffuse 1 million de textes par année. Donc, on ne peut pas exiger qu'elle effectue le même genre de contrôle de l'identité de ces personnes que celui que nous faisions dans le bon vieux temps des journaux, ou comme on continue à le faire aujourd'hui, dans la presse écrite.
Cependant, ce qui est important, et je pense que la CBC l'a reconnu, c'est d'exercer une surveillance et d'exiger d'abord que les personnes s'identifient. Cela signifie qu'il est nécessaire de consacrer des ressources humaines à cette surveillance, même si les coordonnées s'affichent automatiquement lorsqu'on soumet un commentaire. De la même façon, dans les lignes ouvertes à la radio, on prévoit une pause de 15 secondes afin qu'un employé dans le studio puisse déterminer si le commentaire est approprié et puisse y mettre fin s'il y a lieu. Je pense que le fait de mettre fin à l'anonymat est une première étape. Je crois que l'anonymat ouvre la porte à des commentaires tout à fait inappropriés, mais il faut s'assurer qu'il y ait tout de même une vigilance, parce que certaines personnes inscrivent leur nom même lorsqu'ils émettent des commentaires racistes, xénophobes ou misogynes de toutes sortes.
J'ai mentionné tantôt l'ancien ombudsman de CBC/Radio-Canada, Pierre Tourangeau. Il y a eu, à un moment donné, un échange entre un journaliste de Radio-Canada et un auditeur qui a tourné au vinaigre. L'auditeur s'est plaint à l'ombudsman, et celui-ci a dit dans sa décision que le mot important dans l'expression « médias sociaux » est le mot « médias », donc qu'aucun journaliste de Radio-Canada ne devrait dire quelque chose par l'intermédiaire des médias sociaux qu'il ou elle n'oserait pas dire en ondes. Je crois que le même principe s'applique à la diffusion des commentaires. On ne diffuserait pas des commentaires dans le cadre du Téléjournal qui seraient racistes, xénophobes ou misogynes, donc on devrait faire l'effort de s'assurer que le même contrôle existe pour toute diffusion de commentaires ou d'information.
La sénatrice Poirier : Je suis complètement d'accord avec vous.
Le sénateur Maltais : Bienvenue, monsieur Fraser. Vous savez, nous avons fait longue carrière ensemble.
M. Fraser : En effet.
Le sénateur Maltais : Dieu nous donne la santé, alors nous continuons, mais ce n'est pas la faute de Radio-Canada. Vous me connaissez fort bien, commissaire Fraser, et j'ai beaucoup de respect pour vous sur le plan professionnel et pour votre travail.
Vous êtes un mandataire du Parlement. Les parlementaires d'une démocratie vous ont confié la charge de surveiller l'application d'une loi. Je trouve tout à fait ridicule et aberrant que vous soyez obligé de vous servir des tribunaux pour surveiller Radio-Canada. Dans une démocratie normale, cela ne doit pas se passer ainsi. Le Parlement, dans l'application de la loi, c'est vous. L'ensemble des députés vous a donné le pouvoir de surveiller l'application de la Loi sur les langues officielles. Donc, dans un premier temps, je trouve cela aberrant, mais cela ne me surprend pas de la part de Radio-Canada. Radio-Canada du Plateau et la CBC de Toronto se moquent complètement du Parlement et, par la même occasion, de l'ensemble des Canadiens. On n'a qu'à voir leurs décisions.
J'aimerais vous raconter une histoire rapidement, que nous avons vécue la semaine dernière lorsque nous avons accueilli les gens de TFO. Lors du 400e anniversaire de l'arrivée de Champlain au Canada, Radio-Canada a commandité un gros party de bière sur les plaines d'Abraham, avec un orchestre qui venait de je ne sais plus où, de Londres ou quelque chose comme ça. De son côté, TFO a réalisé une émission tout à fait exceptionnelle. Vous la connaissez fort bien : Le Rêve de Champlain, faite à partir d'un livre américain, naturellement. Le plus drôle, ils l'ont dit devant ce comité, c'est que la majorité des artistes, des recherchistes et des réalisateurs provenaient de Montréal. Cependant, il y avait un parti-pris contre eux, parce qu'ils ne venaient pas du Plateau. TFO a donc pu les récupérer. Il s'agit ainsi d'une émission qui a été réalisée par TFO avec des Québécois.
Pendant ce temps, nous fêtions le 400e au pied de la statue de Champlain, dans le cadre d'une fête présentée par Molson et Coors Light. Quel a été le travail de Radio-Canada, d'après vous? Selon la Loi sur la radiodiffusion, son travail est de s'assurer que les deux communautés linguistiques puissent bien vivre ensemble. Or, Radio-Canada n'a pas tourné deux secondes de ruban, à part la fête. Pourtant, c'était l'occasion pour le Québec de se faire valoir, et nos voisins, les Ontariens, l'ont compris. Ils ont compris que Radio-Canada, c'était une gang de foul ball, en bon québécois — vous connaissez mon langage, je n'y vais pas par quatre chemins.
Aujourd'hui, Le Rêve de Champlain sert de modèle dans les écoles francophones, dans la francophonie autant au Québec qu'ailleurs au Canada. Toute la francophonie canadienne s'en sert, et Radio-Canada, avec le milliard qu'on lui donne, n'a pas été capable de nous dire avec qui Champlain était marié.
Alors, si on donne à Radio-Canada 75 millions de dollars de plus, d'après vous, quelle part de cette somme sera consacrée aux régions? Zéro. L'enveloppe profitera au siège social, à Montréal et à Toronto. Quelques centaines de milliers de dollars seront peut-être consacrés aux régions, maximum. Radio-Canada ne remplit plus sa mission.
En tant que commissaire aux langues officielles, j'aimerais que, dans un prochain rapport, vous nous disiez clairement, aux membres du Parlement, quelle devrait être la modification à apporter au statut de Radio-Canada afin que la société reflète la dualité canadienne et qu'elle soit prête à défendre la dualité linguistique, autant anglophone que francophone, dans le respect de tous.
Ce qui s'est passé au Nouveau-Brunswick est tout à fait inacceptable. Un président de compagnie serait congédié pour avoir laissé faire une chose pareille. Vous le savez, vous avez travaillé dans de grandes entreprises. Si vous aviez fait la même coche mal taillée, on vous aurait mis à la porte. Le président de Radio-Canada mériterait d'être mis à la porte. C'est à lui de surveiller ce qui se passe dans les médias sociaux. Rappelez-vous que c'est Radio-Canada qui tenait à adopter les médias sociaux. La situation est tout à fait inacceptable. Je ne comprends pas que cette personne dirige encore Radio-Canada — et ce n'est pas ma première incompréhension vis-à-vis Radio-Canada. À mon avis, non seulement c'est révoltant, mais je trouve que c'est tout à fait dégueulasse, et je le répéterai sur toutes les tribunes.
M. Fraser : Tout d'abord, en ce qui concerne notre intervention devant les tribunaux, je comprends que cela puisse sembler aberrant. Effectivement, la seule autre personne à m'avoir posé une question sur le paradoxe d'une institution qui se rapporte au Parlement, qui est financée par les contribuables et qui amène une autre institution publique devant les tribunaux, c'était une jeune fille de 12 ans lors d'une journée où les enfants des employés venaient nous rendre visite au bureau. J'ai trouvé cela assez perspicace de sa part.
Je n'ai jamais perçu notre intervention devant les tribunaux comme étant contre Radio-Canada. Nous avons un désaccord sur mon champ de compétences à savoir si Radio-Canada est assujettie à la loi ou pas. Pour moi, la seule façon de répondre à cette question était d'aller devant la Cour fédérale. Le juge Martineau a répondu par l'affirmative, et il y a un champ de compétences partagé avec le CRTC. Cette décision a été infirmée, et nous sommes de retour à la case départ. Toutefois, nous avons entamé des discussions informelles avec Radio-Canada pour essayer d'en arriver à une solution. Je reste donc optimiste.
Le sénateur Maltais : Comment pouvez-vous croire à la sincérité de Radio-Canada? À la suite de vos discussions, à votre avis, la société est-elle sincère?
M. Fraser : Je crois que oui. Je ne pense pas qu'on puisse...
Le sénateur Maltais : Alors, je vous suggère d'encadrer la photo lorsque vous les rencontrerez, car ce sera la première fois que ces gens sont sincères.
M. Fraser : Ce n'est pas mon expérience.
Quant à l'exemple que vous avez soulevé sur la façon dont CBC/Radio-Canada a traité le 400e anniversaire et l'arrivée de Champlain en contraste avec TFO, c'est exactement le genre de sujet que je ne vais pas traiter comme plainte, car il s'agit d'une décision de contenu. La seule façon pour moi d'arriver à une entente avec CBC/Radio- Canada quant aux plaintes que je reçois, c'est d'être très clair que je n'interviendrai pas.
Je crois que l'on peut dire qu'un travail formidable est effectué par Radio-Canada dans les régions. Les animateurs d'émissions à travers le pays jouent un rôle formidable. La semaine dernière, dans le cadre de la Semaine de la Francophonie, RDI a diffusé une édition spéciale de l'émission 24/60 de Moncton partout au pays, avec des interventions de gens de Vancouver, d'Edmonton, de Winnipeg, de l'Ontario et des Maritimes. Vous avez mentionné la question de la collaboration entre commissaires. On nous a demandé, à tous les trois, de commenter ce que nous avions entendu durant les deux heures de l'émission.
Certaines nominations ont eu lieu récemment de gens qui prennent au sérieux les besoins des communautés, de gens qui sont conscients de la vitalité de ces communautés et des besoins de maintenir cette vitalité grâce aux interventions de CBC/Radio-Canada. Donc, je continue d'avoir beaucoup de respect pour ce qu'elle fait. Toutefois, on constate, année après année, un effet d'usure lié à la limitation du financement. Si on compare l'investissement d'aujourd'hui, à celui d'il y a 20 ans, le fait que le financement ait été gelé et réduit a eu un impact.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup, commissaire Fraser, pour votre présentation que j'ai beaucoup appréciée.
[Traduction]
Commissaire Fraser, vos propos me découragent passablement, car je considère la CBC comme un pilier de notre identité, tout comme votre bureau d'ailleurs. Je considère Radio-Canada comme un service très important dans ma province. Beaucoup de gens s'y fient, et je dirais même — même si je ne dispose d'aucun chiffre à ce sujet — qu'ils s'y fient davantage qu'à la CBC, car il existe bien d'autres chaînes ethniques. En vous écoutant, je me demande quel chemin nous avons parcouru.
Vous avez dit que votre mandat prendra fin en octobre. J'espère que ce ne sera pas le cas, mais vous avez déjà de nombreuses années d'expérience. Avons-nous fait des progrès? Les enfants diraient : « Est-ce qu'on arrive bientôt? Est- ce qu'on est bientôt arrivés? Quel chemin avons-nous parcouru et combien nous en reste-t-il à faire? » C'est dans cette optique que je vous pose cette question.
En tant que membre de ce comité, dont j'ai demandé à faire partie parce que je crois vraiment en son importance, je crois que nous devons créer une culture d'apprentissage des langues, ce que nous ne faisons pas. Notre pays résiste toujours à l'apprentissage des langues. Nous continuons de croire qu'une seule langue suffit. Auriez-vous l'amabilité de nous dire quels progrès ont été réalisés à ce chapitre, et ce qu'il faudra pour que nous développions cette volonté d'apprentissage des langues? La question ne se pose pas en Europe. On y retrouve cette culture de l'apprentissage des langues. Combien de temps nous faudra-t-il?
M. Fraser : C'est une vaste question.
Je crois que nous avons réalisé des progrès, mais qu'ils varient selon les domaines.
Une des choses alarmantes qui est ressortie du dernier recensement est la légère diminution du nombre d'anglophones bilingues. Un des défis à la création d'une culture de l'apprentissage des langues est lié au fait que le français n'est pas une matière obligatoire dans l'Ouest du pays. Il l'est dans l'Est, et pourtant — et cela m'a grandement surpris quand je l'ai appris — le meilleur programme d'immersion en vigueur au pays a été élaboré par les écoles publiques d'Edmonton. La demande pour l'immersion en français demeure grande en Colombie-Britannique.
Certains conseils scolaires continuent de fonctionner selon le principe du premier arrivé, premier servi, et des parents passent la nuit devant la porte des écoles. Je me souviens qu'il y a quelques années, le père d'un ministre de la Colombie-Britannique m'avait dit, non sans une certaine fierté, comment lui, le ministre et son gendre avaient organisé des quarts de veille afin d'assurer une permanence pendant la nuit et ainsi faire en sorte que sa petite-fille soit inscrite au programme d'immersion.
J'ai eu des réactions contradictoires devant cette affirmation. D'une part, je me suis dit « C'est plutôt impressionnant que notre société soit à ce point égalitaire que même un ministre de la Couronne ne peut bénéficier d'une sorte de passe-droit pour inscrire sa nièce à un programme d'immersion. » D'autre part, c'est une façon plutôt aberrante de distribuer les ressources, comme si l'accès à l'immersion devait ressembler à l'accès à des billets pour les Rolling Stones.
Il n'existe manifestement pas de problème de demande. Il s'agit plutôt d'un problème d'offre.
Dans les années 1980, une étude a conclu que si les programmes d'immersion continuaient de croître comme ils le faisaient depuis les années 1970, un million d'enfants seraient inscrits dans un de ces programmes en 2000. Ce chiffre s'est plutôt stabilisé aux environs de 300 000, en grande partie — mais pas uniquement — pour des raisons de financement. Des problèmes ont aussi surgi du fait que les conseils scolaires n'étaient pas préparés à répondre à la demande des parents. Bon an mal an, depuis les 25 dernières années, quelque 300 000 jeunes sont inscrits dans un programme d'immersion au pays.
Il existe aussi de merveilleuses réussites. Je devais me rendre à la conférence de l'Association internationale des commissaires aux langues. J'étais à une autre conférence, en Europe, lorsque j'ai rencontré l'ambassadrice canadienne. Elle m'a dit qu'elle était née et avait grandi dans un petit village du cap Breton. Plus jeune, elle avait insisté pour participer à un programme d'immersion, malgré l'hésitation de ses parents, qui ne parlaient pas français. Elle voulait pouvoir obtenir un emploi au fort de Louisbourg. Elle savait que pour être guide sur ce site fédéral, elle devait être bilingue. Elle est maintenant ambassadrice et affirme que si elle n'avait pas appris le français, sa vie aurait été très différente et ses rêves beaucoup plus restreints.
Donc, bon an mal an, il existe une culture de l'apprentissage des langues pour quelque 300 000 enfants et leurs parents. Le problème, c'est que cela ne dépasse pas ce nombre. Malgré les succès extraordinaires des programmes d'immersion depuis le milieu des années 1960, lorsque le premier programme a été implanté à St. Aubin à titre d'essai, environ tous les deux ans un journal ou un magazine publie un article décriant les lacunes du système : les élèves ne parlent pas parfaitement le français, c'est un programme élitiste, réservé à la classe moyenne supérieure qui recherche une éducation digne des écoles privées aux frais du système public.
Il existe effectivement une tendance vers l'élitisme, notamment parce que dès qu'un enfant inscrit en immersion démontre un quelconque signe de problème d'apprentissage, peu importe que la langue d'enseignement ait ou non un lien avec le problème, la réaction immédiate de l'école consiste à dire aux parents de retirer leur enfant du programme d'immersion. On élimine donc tous les enfants qui ont le moindre problème d'apprentissage. Le système d'enseignement anglophone ressent donc une certaine amertume à l'idée de devoir absorber tous les enfants qui ont des problèmes d'apprentissage, tandis que les enfants des programmes d'immersion sont bichonnés et gâtés, comme s'ils faisaient partie de l'élite.
Je crois que c'est là une autre aberration de notre système d'enseignement. Si on disposait de ressources suffisantes, ces parents et ces enfants en difficulté d'apprentissage qui souhaitent être en immersion bénéficieraient d'un soutien.
Je crois que la base de la culture d'apprentissage des langues existe. D'après ce que j'ai constaté auprès des enfants de mes amis et des amis de mes enfants, l'immersion crée un pont vers l'apprentissage d'autres langues dans d'autres régions du monde.
Je pourrais parler encore longtemps de ma passion pour l'immersion.
[Français]
Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, je tiens à vous remercier, ainsi que votre équipe, pour votre présence parmi nous ce soir.
Je crois savoir qu'avec l'aide du commissaire Boileau, de l'Ontario, et de la commissaire d'Entremont, du Nouveau- Brunswick, vous avez formulé 10 recommandations en ce qui a trait à l'accès à la justice dans les deux langues officielles.
M. Fraser : Oui.
Le sénateur McIntyre : De plus, avec la collaboration du commissaire de l'Ontario, vous avez formulé huit recommandations, dont sept s'adressent au gouvernement fédéral, alors que l'autre concerne le gouvernement de l'Ontario.
Je note que votre mandat se termine cet automne, j'aimerais donc savoir quelles sont vos priorités d'ici la fin de votre mandat. La surveillance de la mise en œuvre de ces recommandations fait-elle partie de ces priorités?
M. Fraser : Je vais commencer par la fin de votre question. Concernant nos recommandations au sujet de l'immigration, une rencontre a déjà eu lieu avec le ministre. Je dois vous dire que je suis très heureux de son attitude quant au dossier de l'immigration ainsi que des annonces qu'il a faites récemment.
La semaine dernière, à Winnipeg, lors d'un forum de discussion sur l'immigration que nous avons organisé, il a fait une annonce précise sur la question du renouvellement du programme qui s'appelait autrefois « Avantage significatif francophone ». Il sera présenté sous un nouveau nom, mais il s'agit du même programme. Il s'est également entretenu avec son homologue du Nouveau-Brunswick sur la question de l'intégration des réfugiés syriens dans des communautés acadiennes. Je suis très heureux de voir qu'il considère avec sérieux nos recommandations, ainsi que le dossier de l'immigration francophone en général pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
En ce qui concerne la justice, un rendez-vous est planifié avec la ministre. Des discussions sont en cours avec le gouvernement provincial. Le sous-ministre est préoccupé par le sujet. Nous avons l'intention de poursuivre ces discussions de façon assez intense.
En ce qui a trait aux autres priorités, notre rapport annuel inclura un bilan des interventions devant les tribunaux durant mon mandat. Nous ferons référence également aux interventions faites par mes prédécesseurs depuis 1988, moment où la loi a été modifiée afin de permettre ce genre d'intervention.
De plus, une étude sur la petite enfance sera entamée avant la fin de mon mandat, qui, je l'espère, apportera matière à réflexion pour la révision de la feuille de route. Cette étude faisait partie du plan d'action de M. Dion il y a 10 ans, mais elle a été éliminée par le gouvernement précédent. J'ai l'intention d'insister sur l'importance d'un soutien à la petite enfance comme élément clé de la vitalité des communautés.
Également, il y aura un rapport spécial au Parlement qui sera fait en juin. Je crois que c'est tout. Il y a aussi une étude sur l'offre active par certaines institutions. C'est une étude qui essaie de répondre à la question de savoir comment il se fait qu'année après année, d'un rapport de commissaire à l'autre, les institutions fédérales n'ont pas réussi à intégrer l'offre active dans leur façon d'accueillir le public. Nous avons donc un menu assez chargé.
Le sénateur McIntyre : Si je comprends bien la réponse à ma question, au moment où on se parle, vous sentez une certaine volonté politique de la part du nouveau gouvernement pour mettre en œuvre ces recommandations?
M. Fraser : Il y a un intérêt. On revient avec un nouveau gouvernement et il y a des gens qui revoient des choses où il n'y a pas eu d'action par le passé. Pour ce qui est de l'accès à la justice, j'ai eu une réponse du ministre précédent selon laquelle il était satisfait de la procédure en place. L'impression que j'ai, c'est que le ministère de la Justice revoit un peu ce qui se passe sur le terrain avec la compétence linguistique de la magistrature.
Il n'y a pas eu d'engagements, mais ce que je vois, je le vois aussi dans les lettres de mandat qui ont été données au ministre, soit l'engagement du gouvernement à se préparer à la nomination des juges bilingues à la Cour suprême. Donc, on revoit ces dossiers, et il y a parfois certaines difficultés qui ne sont pas nécessairement évidentes à première vue, mais je suis heureux de constater que le gouvernement analyse toutes ces questions.
Le sénateur McIntyre : Ainsi, en ce qui concerne la capacité bilingue des cours supérieures, j'attire votre attention sur la question qui touche l'accès à la justice dans les deux langues officielles.
M. Fraser : Vous parlez de notre rapport?
Le sénateur McIntyre : Oui, plus spécifiquement de la recommandation visant à définir le nombre approprié de juges et/ou de postes désignés bilingues. Lorsque vous indiquez « définir le nombre approprié de juges et/ou de postes désignés bilingues », croyez-vous que, au minimum, un individu bilingue est nécessaire pour l'ensemble des districts juridiques du pays, ou estimez-vous qu'il n'y a pas de seuil minimal?
M. Fraser : Je ne dirais pas qu'il y a souvent des districts dans lesquels il n'y a pas de demandes. L'important, c'est de faire une analyse sérieuse de la demande réelle et de la capacité linguistique des gens qui posent leur candidature pour devenir juges. Je demanderais à Me Giguère de répondre plus en détail à votre question.
Pascale Giguère, avocate principale et gestionnaire, Direction des affaires juridiques, Commissariat aux langues officielles : En fait, ce que le commissaire vient de mentionner, c'est effectivement ce qui est recommandé dans l'étude.
C'est parce qu'il y a des différences sur le plan provincial et même à l'intérieur d'une province qu'il appartient à chaque cour de déterminer quels sont les besoins en termes de capacité de la magistrature. Il n'y a pas de formule proprement dite qui s'appliquerait uniformément à toutes les cours à l'échelle du pays, mais plutôt une évaluation qui doit se faire pour déterminer quelle est la demande.
Le sénateur McIntyre : Donc, l'évaluation se fait au niveau provincial?
Mme Giguère : Elle se fait au niveau provincial par les juges en chef des cours supérieures, et cette évaluation devrait être communiquée au ministre avant que des nominations soient faites.
M. Fraser : Un des problèmes qu'il y a actuellement, c'est que l'évaluation de la capacité linguistique se fait sous forme d'auto-évaluation. Donc, souvent, des candidats croient qu'ils sont suffisamment bilingues pour présider une cause, et à la première occasion, ils découvrent que ce n'est pas tout à fait le cas.
J'ai déjà eu des conversations avec des juges réellement bilingues qui étaient très frustrés. Chaque fois qu'un juge qui se croyait bilingue ne l'était pas réellement, les juges bilingues étaient appelés à la rescousse pour présider des causes que certains juges qui n'étaient pas capables de traiter dans l'autre langue officielle. Donc, il est important d'avoir une évaluation réelle et pratique, mais également d'évaluer la compétence linguistique des candidats.
La présidente : Avant de passer au sénateur Rivard, j'aimerais poser une question complémentaire à celle du sénateur McIntyre.
Dans certaines provinces, on constate qu'il n'y a pas d'offre active dans le domaine des services liés à l'administration judiciaire. Est-ce qu'il n'est pas difficile pour une province de transmettre une demande réelle si aucune offre active n'est faite dans cette province?
M. Fraser : J'ai l'impression que, il y a quelques années, le Code criminel a fait l'objet de modifications, car il fallait s'assurer que l'accusé soit informé de ses droits linguistiques, et ce, au tout début du processus judiciaire.
Notre rapport mentionne que, parfois, les choses se compliquent du fait que certains avocats, après avoir eux-mêmes évalué la capacité linguistique du juge en question, disent au client qu'ils défendent qu'il est possible de procéder en français, mais que cela prendra plus de temps et coûtera plus cher, et qu'ils ne sont pas sûrs que le juge comprendra tout à fait leur point de vue.
Il y a parfois une tendance très pragmatique des avocats et des accusés à choisir la langue de la majorité par prudence et par manque de confiance en la capacité linguistique réelle de la cour. Cependant, je crois comprendre que la question de l'offre active a été réglée à la suite d'une modification au Code criminel.
Mme Giguère : Le Code criminel ne prévoit pas que ce soit nécessairement le juge qui doive faire cette offre active, mais dans tous les cas, elle doit se faire afin que les accusés soient informés de leurs droits.
Le sénateur Rivard : Monsieur le commissaire, toujours dans le cas de Radio-Canada, est-ce que la radio et la télévision française de CBC/Radio-Canada sont disponibles dans les territoires, soit le Yukon, les Territoires du Nord- Ouest et le Nunavut?
M. Fraser : Il s'agit d'une très bonne question. Il y a Radio-Canada Nord qui opère dans tout un éventail de langues autochtones. Je pense que Radio-Canada est disponible partout sur le territoire, mais il est possible que ce ne soit pas le cas dans certaines régions. Aujourd'hui, avec la radiodiffusion et la télédiffusion par satellite, tout devient accessible. Pour ce qui est de la radio, je pense que les deux réseaux sont accessibles partout sur le territoire canadien.
De plus, dans le Grand Nord, il y a le service du Nord qui diffuse dans plusieurs langues autochtones. Je ne peux pas vous nommer toutes les langues autochtones qui sont disponibles, mais il y en a plusieurs.
Le sénateur Rivard : Je vous pose la question, parce que je me souviens qu'au Comité des langues officielles, il y a quatre ou cinq ans, dans le cadre de l'étude sur les crédits liés à la feuille de route, nous avions entendu un témoin francophone du Yukon. Celui-ci nous disait qu'il avait constaté que les sommes attribuées pour les cours de français langue seconde ou d'immersion avaient été « détournées » du budget provincial pour être affectées à d'autres programmes. Cela m'a amené à poser la question à savoir si des sommes attribuées à certaines régions peuvent être réaffectées par le territoire sous prétexte qu'il a d'autres priorités. Qu'en est-il, à votre connaissance?
M. Fraser : Nous avons fait une étude sur la reddition de comptes dans le cadre des transferts d'argent, en outre pour l'éducation. La difficulté est qu'une fois que l'on franchit les frontières provinciales, on ne peut pas faire enquête sur l'utilisation de l'argent du gouvernement fédéral. Nous avons examiné les mécanismes qui existent à Patrimoine canadien par rapport à l'attribution des fonds. Cette frustration exprimée par ce témoin ne se limite pas au Yukon. Beaucoup de parents sont convaincus que l'argent qu'ils croyaient être consacré à l'immersion ou à l'enseignement de langue seconde se trouve dépensé ailleurs.
À un certain moment donné, un ministre de l'Éducation provincial m'a dit que lorsqu'il reçoit un chèque du gouvernement fédéral, il ne lit pas la lettre qui l'accompagne.
Lorsque les parents se plaignent que de l'argent destiné à l'immersion est consacré à des gymnases ou à de l'équipement sportif, la réponse des ministères de l'Éducation, bien souvent, est que les étudiants en immersion utilisent l'équipement sportif également. On peut donc voir ce débat de deux côtés.
Je n'ai jamais entendu d'histoires selon lesquelles l'argent supposément destiné à Radio-Canada pour les régions était réaffecté. Je crois que la société est assez claire. Lorsqu'il y a des coupures, on découvre que des postes ont été éliminés ou qu'il y a eu des réductions et des coupures considérables.
Le sénateur Rivard : Le fiasco du français lors des Jeux olympiques de Vancouver est encore frais dans nos mémoires. L'année prochaine, nous fêterons le 150e anniversaire de la Confédération. Jusqu'à présent, vous a-t-on consulté sur la programmation et le respect du français dans le cadre de ces événements? Sinon, souhaitez-vous être consulté pour avoir un mot à dire afin de veiller à ce que le français soit respecté dans la programmation du 150e anniversaire?
M. Fraser : Si vous me le permettez, j'aimerais dire un petit mot au sujet des Jeux olympiques. Sur beaucoup de plans, les Jeux olympiques de Vancouver ont été un grand succès, à une exception près, soit les cérémonies d'ouverture. Si on regarde l'affichage, les annonces durant les jeux, l'accueil à l'aéroport, l'appui offert aux athlètes et à leurs familles, c'était souvent exemplaire. Toutefois, ce fiasco a été, dans bien des cas, la seule chose que les Canadiens ont vue à la télévision à travers le pays.
À la suite de cela, nous avons préparé un dépliant à l'intention des organisateurs de grands événements sportifs, et on le voit ici. Il a été utilisé par les organisateurs des Jeux du Canada qui se sont déroulés à Sherbrooke et à Prince George et par les organisateurs des Jeux panaméricains. Nous avons ensuite pris ce modèle et préparé une autre version de ce dépliant intitulée Canada en fête — Guide pour réussir un événement bilingue. Ce livret présente les étapes préparatoires nécessaires pour atteindre le succès. J'en ai parlé avec des fonctionnaires de Patrimoine canadien et j'ai eu une rencontre avec la ministre. Des membres du commissariat siègent à un comité interministériel sur la préparation des célébrations prévues pour 2017. J'espère donc qu'il y aura en place suffisamment de préparation, comme on l'a fait pour tous ces grands événements sportifs, de sorte que les célébrations soient organisées dans le respect des deux langues officielles.
La sénatrice Poirier : Présentement, pour qu'un individu âgé de 18 à 64 ans puisse devenir citoyen canadien, il doit avoir une connaissance de l'une des deux langues officielles. Le gouvernement libéral a présenté le projet de loi C-6, à la fin du mois de février, qui vise à modifier la loi. Si la loi n'est pas modifiée et qu'elle est adoptée telle quelle, on enlèverait 10 ans et cette mesure viserait les personnes âgées jusqu'à 55 ans plutôt que 65 ans.
Quelle est votre opinion à ce sujet? À votre avis, quel serait l'impact pour les communautés francophones en situation minoritaire si le projet de loi allait de l'avant avec sa modification pour faire passer l'âge à 55 ans?
M. Fraser : Je vous avoue que je ne me suis pas penché sur la question du changement d'âge pour ce qui est de l'impact sur les communautés.
Il y a aussi une question de frais facturés, et nous avons reçu des plaintes à ce sujet. Je ne peux donc pas vous répondre sur la question des frais étant donné que nous faisons enquête.
Concernant le changement d'âge, je présume qu'il s'agit d'un changement qui tient compte du nombre de grands- parents qui n'ont pas encore 65 ans, mais qui sont venus avec leurs enfants et leurs petits-enfants au Canada. Le gouvernement a décidé, probablement après avoir entendu des témoignages, que ces personnes âgées de 55 à 65 ans auraient de la difficulté à passer un test linguistique dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.
La sénatrice Poirier : Par contre, une grande majorité de Canadiens âgés de 55 ans se trouvent encore sur le marché du travail. Ils doivent donc avoir une connaissance de l'une des deux langues officielles.
M. Fraser : Comme je l'ai indiqué, je spécule quant à la raison de ce changement.
En tant qu'organisation, nous n'avons pas été informés de la nature du changement, et je n'ai pas de commentaire à formuler en ce sens en tant que commissaire aux langues officielles.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie.
Le sénateur Maltais : Monsieur Fraser, j'ai deux courtes questions à vous poser.
Je vais remonter dans le temps, et j'ose espérer que mes renseignements sont bons. Ils proviennent de Radio-Canada. Vous devrez les corriger s'ils ne reflètent pas la vérité. Un journaliste anglophone accuse les institutions fédérales et les universités du Canada anglais de traiter trop souvent le français comme une langue étrangère. Je reprends des passages du rapport de Radio Canada :
C'est un problème évident quand des ministres importants ne sont pas capables de faire valoir leur position en français et en anglais. C'est le cas notamment de la ministre de l'Environnement, Mme Rona Ambrose, qui ne parle pas français.
Selon le journaliste, les universités anglophones ont une part de responsabilité, puisqu'elles forment de futurs dirigeants souvent unilingues. La grande majorité des universités anglophones continuent de traiter le français comme une langue étrangère en la confinant au cours de littérature. L'auteur s'offusque également de l'affichage unilingue à quelques pas du Parlement. Depuis ce temps, et à votre connaissance, y a-t-il eu des changements?
M. Fraser : Ce sont des propos que j'ai tenus après la publication de mon livre, il y a presque 10 ans. Certains changements ont été apportés. Lorsque j'ai été nommé commissaire, on a mené une étude sur les occasions d'apprentissage de la langue seconde dans les institutions d'enseignement postsecondaire. À ma grande surprise, j'ai découvert qu'il y avait plus d'occasions d'apprentissage que je ne le croyais. Bon nombre d'universités organisent des échanges avec la France, moins avec le Québec, dont les établissements universitaires sont moins connus. Nous avions créé une carte interactive qui permettait, par exemple, à un étudiant en immersion qui souhaitait continuer son apprentissage du français d'accéder par un clic aux services disponibles dans les universités, et par quelques clics, de comparer sur le champ les diverses possibilités qui lui étaient offertes.
Dans le domaine de l'administration publique, on commence peu à peu à reconnaître que le bilinguisme est un atout essentiel pour l'avancement des cadres dans la fonction publique fédérale. Tout au long de mon mandat, j'ai martelé le même message aux cadres supérieurs, soit qu'il est important que les universités sachent que le gouvernement fédéral est l'employeur de personnel bilingue le plus important au Canada.
Nous constatons une amélioration. La dernière fois que j'ai posé la question, la secrétaire du Conseil du Trésor à l'époque m'avait dit que — cela date de deux ou trois ans, mais je crois que cela continue d'être le cas — 40 p. 100 des nouveaux employés de la fonction publique sont déjà bilingues, ce qui est une amélioration de la situation. De plus en plus, les programmes d'administration publique en reconnaissent l'importance et commencent à offrir des cours. Depuis quelques années, le Collège universitaire Glendon offre une maîtrise en administration publique, qui vise spécifiquement à former des administrateurs bilingues. Les autres écoles d'administration commencent à reconnaître l'importance du bilinguisme. Lorsque j'ai présenté mon rapport aux recteurs et aux présidents des universités canadiennes, ils ont répondu qu'ils étaient tous favorables à cette mesure s'il y avait du financement. Toute question universitaire revient à une question de financement.
Le sénateur Maltais : J'ai une toute dernière question à vous poser, parce que je veux laisser du temps à mes collègues.
L'an dernier, nous avions projeté d'aller en Suisse pour examiner le multilinguisme ailleurs. Vous vous êtes rendu en Suisse où vous avez eu l'occasion de parler avec les responsables de l'éducation. Que retenez-vous de cette visite?
M. Fraser : J'étais l'invité de la déléguée fédérale au plurilinguisme, Mme Nicoletta Mariolini. Elle avait organisé une série de rencontres avec des fonctionnaires, des politiciens de tous les paliers gouvernementaux, y compris les fonctionnaires de la municipalité de Berne, du canton de Berne, la capitale.
Ce que je retiens, c'est la complexité du système politique suisse qui est basé sur un principe de compromis et de démocratie directe. Bon nombre des décisions du gouvernement passent par des référendums, soit à la demande du gouvernement, soit après l'initiative populaire. Ce qui m'a frappé aussi, c'est cet esprit de compromis, de collaboration, qui est au cœur de l'identité suisse. En entrant dans le Parlement, il y a une grande statue symbolique des trois figures historiques du XIVe siècle qui sont venues ensemble pour se mettre d'accord sur la défense de leur territoire, Les trois Confédérés qui mettent les mains ensemble. Cela m'a fait réfléchir. Il est rare de voir un pays où la mythologie nationale est basée sur l'entente, la collaboration et le compromis plutôt que sur la victoire militaire et la conquête.
Donc, il y a une volonté réelle d'avoir un esprit de respect et de collaboration entre les groupes linguistiques. La majorité parle le suisse-allemand, une minorité s'exprime en français et une plus petite minorité parle l'italien. J'avais l'impression que le plurilinguisme était plus problématique que le bilinguisme officiel. C'est une chose pour la majorité des gens d'apprendre une deuxième langue minoritaire, mais d'aller au-delà et d'apprendre la troisième langue d'une minorité qui compte 8 p. 100...Je pense que c'est la minorité italienne qui pousse un peu pour obtenir une plus grande reconnaissance de sa langue, de sa culture, et de sa place comme groupe de langue officielle.
Le sénateur Maltais : J'ai fait le même exercice que vous dans un autre temps, et je suis arrivé à la même conclusion. Nous ne sommes pas loin d'y perdre notre latin. C'est compliqué. Ce que j'avais retenu, c'est un chef de canton qui me disait que la langue, c'est la patrie. Je lui ai répondu : « Oui, mais vous en avez quatre. » Il m'a répondu : « Lorsqu'on parle de la patrie, elle n'a pas de langue. » Allez donc comprendre. En tout cas, merci de vos observations, vous êtes arrivés aux mêmes conclusions que moi.
M. Fraser : Je vais ajouter un commentaire de Pascal Couchepin, l'ancien président de la Confédération suisse, qui était le Grand Témoin de l'Organisation internationale de la Francophonie aux Jeux olympiques. Il m'avait dit : « En Suisse, on s'entend bien, parce qu'on ne se comprend pas! »
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Commissaire, je crois que la croissance d'une langue passe par l'immigration. Certains immigrés proviennent de pays membres de la Francophonie, mais ils ne s'établissent pas nécessairement au Québec. Je constate — cela ne provient pas des statistiques, mais de ce que des habitants de ma province me disent — que lorsqu'ils arrivent au pays, ils ne savent pas qu'ils ont automatiquement droit à une éducation en français et que leurs enfants n'ont pas à faire partie d'un programme d'immersion, mais bien à être éduqués en français.
Est-ce que votre bureau a un rôle à jouer dans tout cela? Y a-t-il une façon d'améliorer cette situation? Lorsque des immigrants arrivent au pays, s'ils ne s'établissent pas au Québec ou au Nouveau-Brunswick, ils ne le sauront peut-être pas et leurs enfants perdront peut-être leur langue maternelle parce qu'ils ne recevront pas une éducation dans cette langue. Cela nous cause du tort en tant que pays, car nous n'encourageons pas la langue seconde.
M. Fraser : Vous avez tout à fait raison. J'ai essayé de faire comprendre au ministère de la Citoyenneté, de l'Immigration et maintenant des Réfugiés combien il est important de faire en sorte que les organismes qui accueillent les immigrants et les réfugiés soient eux-mêmes au courant des établissements d'enseignement francophones qui existent dans leur province.
J'ai visité des centres communautaires et des cliniques francophones, où on m'a raconté que plusieurs années après leur arrivée au pays, des immigrants provenant du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne leur avaient dit : « Si nous avions su qu'il existait une école ou une clinique où on pouvait envoyer nos enfants, nous l'aurions certainement fait. Mais maintenant, nos enfants aiment leur professeur et se sont faits des amis. Nous avons un médecin ou nous allons dans une autre clinique, et nous ne voulons plus vraiment en changer maintenant. » Ce sont les organismes qui les ont accueillis qui les ont dirigés vers ces établissements. Il est extrêmement important que le ministère de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté fasse en sorte que tous ces ONG bien intentionnés, motivés et dévoués au soutien des immigrants soient au courant de cette situation.
Il arrive que les gens soient au courant. Je suis certain que vous connaissez tous des gens qui ont parrainé des réfugiés syriens. Un de nos amis a déclaré que les deux adolescents de la famille qu'ils avaient parrainée fréquentaient une école francophone à Beyrouth. Ils avaient donc veillé à ce que l'appartement qu'ils avaient loué soit situé près d'une école francophone ici, à Ottawa. Il faut ce genre de support.
J'ai toujours trouvé intéressant qu'entre 80 et 90 p. 100 de la communauté francophone de la Colombie-Britannique vienne d'ailleurs. Il n'existe donc pas vraiment de sentiment de grief historique. Les gens sont là-bas parce qu'ils veulent y être, parce qu'ils adorent la Colombie-Britannique. Mais ils veulent aussi pouvoir envoyer leurs enfants à l'école francophone. Ils veulent faire partie d'une communauté francophone. Cela signifie qu'il s'agit d'une communauté très riche et diversifiée, mais il est très important qu'à leur arrivée, ces gens soient au courant des services qui existent.
Il y a aussi ce problème constitutionnel, selon lequel ces gens n'ont pas le droit de fréquenter l'école francophone. Selon l'article 23 de la Charte, un enfant peut aller à une école pour la minorité linguistique si au moins un de ses parents a reçu une instruction dans cette langue au Canada. Cet article a été conçu ainsi en réponse à la loi 101 et au débat sur la langue qui avait lieu au Québec à l'époque. L'article 23 n'a pas été rédigé de façon à tenir compte des besoins des communautés linguistiques en situation minoritaire situées à l'extérieur du Québec afin qu'elles puissent mieux accueillir des immigrants francophones.
Il y a eu des cas où ces enfants ont été accueillis dans les écoles afin de permettre la croissance de la communauté. Dans d'autres cas, la province ou le territoire a réagi en disant : « Si vous vous débarrassiez des écoles à la recherche de financement pour s'agrandir et des enfants qui n'ont pas le droit constitutionnel d'y être, il n'y aurait pas lieu de chercher à croître. » Un tel cas a fait son chemin jusqu'à la Cour suprême pour des motifs n'ayant aucun lien avec la teneur de l'affaire et fait maintenant l'objet d'un nouveau procès, mais l'accès aux écoles pour minorités linguistiques aux immigrants francophones n'est pas garanti par la Constitution. Cela dépend du bon vouloir de l'école, du conseil scolaire et de la province.
La sénatrice Jaffer : Je crois que notre comité pourrait se pencher sur la façon de rendre cet accès peut-être pas constitutionnel, mais conforme à la loi.
J'aimerais aller plus loin, si vous me le permettez. Je ne crois pas que cela soit de la responsabilité des ONG. Ils en ont déjà assez à faire. C'est le genre de responsabilité qui nous incombe à nous, parlementaires, et à vous.
Je vais demander à ce comité de se pencher sur les conseils scolaires. Nous savons que, pour bien des enfants syriens, le français est la langue maternelle ou la langue seconde. L'arabe est probablement leur langue maternelle. Si nous sommes véritablement le pays bilingue que nous prétendons être, nous ne pouvons pas dire que parce que quelqu'un n'est pas né ici, il n'a pas droit à une éducation en français. Je comprends cependant ce que vous dites. C'est dans la Constitution.
Madame la présidente, nous devrions peut-être étudier cette question afin de déterminer comment faire avancer les choses. S'il y a un parent francophone, peu importe son lieu de naissance; l'enfant devrait avoir accès.
Avez-vous étudié cette question?
M. Fraser : Oui, en ce sens que nous sommes intervenus devant les tribunaux à la défense de conseils scolaires des Territoires du Nord-Ouest qui voulaient que ce droit soit garanti.
Quant à la définition de ce qui constitue véritablement l'égalité, nous sommes intervenus dans le cadre d'une affaire en Colombie-Britannique, où une décision favorable a été rendue concernant l'obligation, pour la province, de veiller à ce qu'il y ait une éducation de même qualité.
Pascale, y a-t-il d'autres exemples d'interventions de notre part que je devrais mentionner? Dans le cas des Territoires du Nord-Ouest...
Mme Giguère : Du Yukon.
M. Fraser : Désolé. Il s'agissait du Yukon.
[Français]
La présidente : Le temps file à toute vitesse, malheureusement. Je demanderais donc aux sénateurs et à M. le commissaire d'être les plus brefs possible afin de permettre à tous de respecter leurs engagements de la soirée. Je vous remercie.
Le sénateur McIntyre : J'aimerais revenir sur les obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada. Comme vous l'avez mentionné, monsieur le commissaire, cette question des obligations linguistiques de CBC/Radio-Canada a été traitée par les tribunaux - d'abord par la Cour fédérale et ensuite par la Cour d'appel fédérale. Vous en avez résumé les jugements. J'aimerais savoir pourquoi vous avez décidé de ne pas porter cette cause devant la Cour suprême du Canada. Est-ce parce que le radiodiffuseur public a suffisamment amélioré sa performance à l'égard des obligations linguistiques énoncées dans la Loi sur les langues officielles?
Je sais que vous avez effleuré la question de la compétence pour enquêter sur les manquements du radiodiffuseur. Croyez-vous toujours que vous avez la compétence pour enquêter sur les manquements du radiodiffuseur public à l'égard de la partie VII de la Loi sur les langues officielles?
M. Fraser : Oui, pour répondre à votre dernière question. Concernant les tribunaux, la raison pour laquelle nous n'avons pas porté la décision du juge Nadon de la Cour d'appel fédérale devant la Cour suprême, c'est parce que les éléments de procédure de la décision du juge Martineau étaient techniques. Nous avons conclu qu'il serait peu probable que la Cour suprême accepte un tel recours, alors que la décision de la Cour fédérale ne touchait pas le contenu, mais bien des questions techniques.
Si vous désirez de plus amples explications, je vais demander à Me Giguère de m'aider.
Le sénateur McIntyre : Ce pouvoir d'enquête s'étendrait-il, selon vous, à la programmation? C'est ce que j'aimerais savoir.
M. Fraser : Non. Moi, je suis d'accord avec l'argument de Radio-Canada que le contenu de la programmation est la responsabilité de Radio-Canada. Cependant, la question est de savoir ce qu'est la programmation. Radio-Canada a une interprétation très large de ce concept : tout ce qui se passe une fois passé la porte du bureau de Radio-Canada, c'est de la programmation. Si quelqu'un se plaint qu'une fois arrivé à la porte, le commissionnaire n'a pas pu le diriger vers les bureaux de Radio-Canada, il ne s'agit pas de programmation et Radio-Canada est d'accord avec cela; j'ai donc le droit de faire enquête sur le commissionnaire qui était à la porte.
Le sénateur McIntyre : Cependant, malheur à celui qui touche à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, par contre.
M. Fraser : Oui.
Le sénateur Rivard : Monsieur le commissaire, je crois me souvenir que l'année dernière ou il y a deux ans, le gouvernement a aboli la prime au bilinguisme pour les fonctionnaires fédéraux. Suis-je dans l'erreur?
M. Fraser : Je pense que vous vous trompez.
Le sénateur Rivard : Elle n'a pas été abolie?
M. Fraser : Non.
Le sénateur Rivard : Je retire ma question. J'ai peut-être fait un mauvais rêve.
M. Fraser : À mon humble avis, si on investissait ce montant de 70 millions de dollars dans la formation linguistique au lieu de le distribuer en primes, je crois que cela ferait avancer davantage la cause du bilinguisme dans la fonction publique. Si j'ai bien calculé, cette fameuse prime représente l'équivalent d'une caisse de bière toutes les deux semaines, mais elle est tellement ancrée dans les conventions collectives qu'on n'a pas voulu y mettre fin.
Le sénateur Rivard : C'était donc un cauchemar et non un rêve.
La présidente : Au nom du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier, monsieur le commissaire, ainsi que votre équipe, d'avoir accepté notre invitation ce soir et d'avoir partagé avec nous votre expérience et votre expertise.
Sur ce, je déclare la séance levée.
(La séance est levée.)