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OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 21 - Témoignages du 15 février 2018 (matin)


WINNIPEG, le jeudi 15 février 2018

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 8 heures, afin de poursuivre son examen de la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, je m’appelle René Cormier. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et j’ai le plaisir de présider la réunion d’aujourd’hui. Nous sommes très heureux d’être ici, à Winnipeg, et dans la région de Saint-Boniface pour entendre les citoyens et les citoyennes nous parler des enjeux et de leurs aspirations en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles poursuit donc le deuxième volet de son étude portant sur la perspective des communautés de langue officielle en situation minoritaire au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous recevons ce matin des organisations représentant les secteurs des communautés, de l’immigration, des arts et de la santé. Nous avons le plaisir d’accueillir, de la Société de la francophonie manitobaine (SFM), M. Christian Monnin, président. La SFM est un organisme à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français au Manitoba et qui agit comme porte-parole officiel de la population francophone de la province. Nous recevons aussi Mme Bintou Sacko, directrice de l’Accueil francophone, un organisme qui a pour but de faciliter l’établissement des nouveaux arrivants francophones au Manitoba.

Du Centre culturel franco-manitobain (CCFM), nous accueillons la directrice générale, Mme Ginette Lavack. Le CCFM a pour mission d’offrir des activités culturelles et artistiques en français et de fournir une programmation en arts de la scène et en arts visuels ainsi qu’une programmation communautaire éducative. Enfin, de l’organisme Santé en français, nous recevons M. Francis LaBossière, président, et Mme Annie Bédard, directrice générale. Cet organisme représente les francophones de la province pour promouvoir et leur garantir des services de soins de santé et des services sociaux dans leur langue.

Alors, avant de passer la parole à nos témoins, j’invite les membres du comité à bien vouloir se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Poirier : Bonjour. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Moncion : Bonjour. Lucie Moncion, de l’Ontario.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba. Bienvenue.

Le président : Merci beaucoup, messieurs et mesdames, d’être avec nous aujourd’hui. Monsieur Monnin, la parole est à vous.

Christian Monnin, président, Société de la francophonie manitobaine : Merci, monsieur le président. Je m’appelle Christian Monnin. Je suis président de la Société de la francophonie manitobaine. Je suis titulaire d’un bac de l’Université de Saint-Boniface et d’un bac en droit de l’Université de Moncton. En outre, deux de mes trois enfants sont nés à l’Hôpital Montfort, donc, j’ai un peu le parfum de la francophonie au Canada. Parlant de la naissance de notre fils, Zachary, à l’Hôpital Montfort, le fils de la sénatrice Gagné y était en tant que stagiaire, par pur hasard.

Comme vous l’avez bien constaté, je suis le président de la Société de la francophonie manitobaine. Je suis ici aussi avec Daniel Boucher, notre directeur général.

À titre d’organisme porte-parole de la communauté francophone du Manitoba, la Société de la francophonie manitobaine se soucie de l’avancement dans tous les domaines d’activités de la communauté. Avec nos partenaires et collaborateurs communautaires, nous sommes actifs dans plusieurs domaines, notamment le développement de notre économie, la formation de notre population francophone, l’établissement de liens entre nos communautés rurales et urbaines, la promotion de notre expression culturelle et artistique, la valorisation du français et la promotion des services en français.

L’exercice de modernisation de la Loi sur les langues officielles est important pour plusieurs raisons. D’abord, le temps est venu de passer à l’action, car la Loi sur les langues officielles n’a pas été revue dans son ensemble depuis 1988 et, si ma mémoire est fidèle, en 2006, à la suite de décision Doucet.

La francophonie manitobaine s’est adaptée aux changements. Nous avons ajouté une douzaine d’organismes et d’institutions à notre structure pour mieux répondre aux demandes de la communauté et à plusieurs secteurs d’activités. Nous comptons désormais près de 30 000 élèves dans nos écoles françaises et d’immersion. Depuis 2010, nous avons accueilli 823 réfugiés, dont 569 au cours des deux dernières années, et 1 154 nouveaux arrivants.

Je vais faire mon possible pour ne pas lire le mémoire que nous vous avons transmis. Donc, simplement, nous allons vous donner un aperçu du cadre législatif provincial et de la façon dont il peut mieux alimenter vos délibérations. De plus, nous allons parler de la mise en œuvre d’une loi modernisée, de la perspective de la SFM et de la façon dont ça pourrait évolue, tout en abordant le rôle du commissaire. Nous allons également toucher la partie VII et vous donner un aperçu des commentaires sur la Cour suprême du Canada.

Par rapport au cadre législatif provincial, ici au Manitoba, bien que la Loi sur les langues officielles soit la pierre angulaire au niveau de l’engagement du gouvernement fédéral, nous comptons maintenant le cadre législatif de la nouvelle Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative du Manitoba le 30 juin 2016.

Nous sommes très heureux de la nouvelle loi et nous avons énormément de confiance dans la portée de cette loi. Voici certains éléments et principes de cette loi qui pourraient alimenter vos réflexions. Tout d’abord, la définition de la francophonie manitobaine se veut inclusive et moderne et se lit comme suit :

[…] « francophonie manitobaine » s’entend de la communauté au sein de la population manitobaine regroupant les personnes de langue maternelle française et les personnes qui possèdent une affinité spéciale avec le français et s’en servent couramment dans la vie quotidienne même s’il ne s’agit pas de leur langue maternelle.

Cette définition est un reflet de la francophonie manitobaine d’aujourd’hui. Selon nous, la modernisation de la Loi sur les langues officielles devrait inclure une réflexion sur une définition moderne et inclusive de la francophonie canadienne.

C’est dans le contexte d’une communauté qui continue à évoluer que les projets de loi introduits par notre ancienne sénatrice franco-manitobaine, Mme Maria Chaput, et repris dans le projet de loi S-209 par notre sénatrice franco-manitobaine, Mme Raymonde Gagné, que la question de la demande importante est soulevée pour définir, entre autres, l’offre et les services bilingues.

Cette question mérite d’être clarifiée. La SFM y a ajouté sa voix en déposant une plainte auprès du commissaire aux langues officielles et en intentant un recours judiciaire devant la Cour fédérale pour contester la constitutionnalité du Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestations des services. Notre cause est présentement en suspens jusqu’en septembre 2018 en attendant le processus de consultation et de révision entrepris par le Secrétariat du Conseil du Trésor à la suite d’une annonce en ce sens par le ministre Scott Brison en novembre 2016.

Il serait essentiel de tenir compte des éléments soulevés dans le projet de loi S-209, du recours de la SFM et des consultations avec le Conseil du Trésor. La consultation est en cours et tient compte des concepts tels que la demande importante, la vitalité des communautés, le rattrapage et l’offre de services bilingues partout au Canada dans le contexte des avancées technologiques, de même qu’une définition plus large et inclusive de la francophonie qui va au-delà de la première langue officielle parlée. On pourrait facilement envisager un gouvernement du Canada où l’ensemble de l’appareil serait désigné bilingue, et où tous les citoyens et citoyennes pourraient recevoir des services en personne grâce à la technologie, peu importe où ils se situent.

Revenons brièvement à la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, car cette dernière contient d’autres éléments qui pourraient alimenter vos réflexions sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. La Loi manitobaine contient quatre principes qui sont non négligeables, soit la reconnaissance que la communauté continue à apporter à la province, l’offre active qui est à la base de la prestation de services en français de qualité, la collaboration et le dialogue entre les entités publiques de la province et la communauté francophone, et le progrès dans l’offre de services à la communauté. Ces principes seraient modifiés dans une nouvelle Loi sur les langues officielles, car ils reflètent une approche axée sur le respect de la communauté, sur les services aux citoyens et citoyennes, sur l’ouverture et sur la volonté de progresser.

Le deuxième point que nous allons aborder ce matin, c’est la mise en œuvre d’une loi modernisée. Avec égard, tous et toutes autour de la table reconnaissent que les communautés francophones et acadiennes travaillent ensemble à l’identification de pistes de solutions et de moyens concrets pour améliorer et moderniser la Loi sur les langues officielles. En plus de réviser les grands principes de la Loi sur les langues officielles, il faut analyser le cadre qui entoure sa mise en œuvre. Somme toute, une loi doit non seulement être pleinement respectée, mais elle doit être mise en œuvre de façon proactive et aux bénéfices des citoyens et des citoyennes qu’elle vise. Parfois le mécanisme de mise en œuvre doit être revu pour que nous puissions en assurer le plein respect.

Une fois que la Loi sur les langues officielles sera modernisée, nous aimerions voir une gouvernance qui reflète le fait que le respect des langues officielles est une valeur canadienne et une priorité gouvernementale à gérer par une agence centrale. Bien que le ministère du Patrimoine canadien soit sans doute un premier partenaire privilégié dans le développement de nos communautés, nous soutenons que la responsabilité transversale de la mise en œuvre ne doit pas reposer uniquement sur ses épaules. Aucune entité gouvernementale n’a l’autorité ni la responsabilité de veiller à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles par l’ensemble de l’appareil fédéral. Or, selon nous, le Conseil privé est l’agence centrale la mieux placée pour coordonner l’ensemble de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Le dossier des langues officielles a le potentiel de prendre un nouvel élan grâce à une loi moderne et dynamique. Alors, accordons-lui un statut de premier plan en en confiant la coordination au Conseil privé, qui, à son tour, pourrait diriger et coordonner les actions des dossiers de langues officielles des autres ministères.

Ce rôle pourrait inclure la coordination complète du processus de nomination du prochain commissaire aux langues officielles en collaboration avec un groupe de parlementaires pour assurer l’indépendance du processus. On y verrait aussi un lien direct de mise en œuvre des parties IV, V et VI de la loi avec le Conseil du Trésor.

Je vais maintenant passer au rôle du commissaire. Le commissaire aux langues officielles joue un rôle clé dans le contexte de la Loi sur les langues officielles et de l’appui aux communautés de langue officielle; cependant, nous croyons que les mécanismes de surveillance et d’imputabilité ne sont pas conçus pour assurer le plein respect de la Loi sur les langues officielles. Une Loi sur les langues officielles modernisée devra inclure une révision des principes et un renforcement des pratiques. Selon nous, le commissaire devrait avoir un rôle qui va au-delà des pouvoirs d’enquête, au-delà des vérifications et, même, des recours devant les tribunaux. Une modernisation devrait donner des pouvoirs de sanctions au commissaire, y compris des mesures de redressement et des mesures de suivi.

Trop souvent, nous avons l’impression que les recommandations du commissaire sont ignorées, car les mécanismes de reddition de comptes sont faibles ou ont peu de mordant. Par ailleurs, les rapports des ministères demeurent vagues. Ils présentent les bons coups, mais n’abordent pas les lacunes ou les défis. Les rapports reposent sur une auto-évaluation par les institutions fédérales où les suivis ne sont pas clairs. La notion d’imputabilité et de la reddition de comptes doit être modifiée pour refléter l’importance de faire des redressements au besoin et de confier au commissaire le pouvoir de sanction advenant le non-respect de la Loi sur les langues officielles et de ses règlements.

Je vais maintenant passer à la partie VII. Cet exercice de modernisation de la Loi sur les langues officielles donne l’occasion de revoir non seulement les principes et valeurs qui sous-tendent la loi, mais aussi le rôle des différentes parties tant au niveau gouvernemental qu’au niveau des institutions et des organismes communautaires. Une partie VII renouvelée préciserait que les structures de gouvernance communautaires reconnues sont les partenaires du gouvernement en ce qui a trait à l’engagement visant à favoriser l’épanouissement des minorités et à appuyer leur développement.

Une loi moderne doit non seulement contenir une reconnaissance explicite des partenaires communautaires dans l’application de la partie VII, mais doit avoir des mécanismes de consultation qui tiennent véritablement compte des besoins des communautés et qui informent les institutions fédérales de leurs obligations en termes de consultation et de prise de mesures positives.

En ce qui a trait à la question du bilinguisme à la Cour suprême du Canada, nous soutenons qu’il est impératif et qu’il est essentiel que tous les juges aient la capacité d’entendre et de comprendre les citoyens et citoyennes du pays dans la langue officielle de leur choix.

En guise de conclusion, je tiens à vous remercier de faire valoir notre point de vue sur la nécessité de moderniser la Loi sur les langues officielles. Donc, c’est le temps de saisir l’occasion de favoriser une transition à une loi qui, d’abord et avant tout, reflète qui nous sommes et notre vision d’une francophonie dynamique, ouverte, inclusive et toujours grandissante.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Monnin.

Maintenant, nous écoutons Mme Bintou Sacko, de l’Accueil francophone. Bonjour, madame.

Bintou Sacko, directrice, Accueil francophone, Société de la francophonie manitobaine : Bonjour. Je suis vraiment désolée d’arriver un peu en retard. J’habite dans un coin de la ville où le train nous bloque toujours le passage à des moments où on s’y attend le moins, comme aujourd’hui.

Bonjour, mesdames et messieurs. Mon nom est Bintou Sacko, et je suis la directrice de l’Accueil francophone, ici au Manitoba. Je vous souhaite cordialement la bienvenue à Winnipeg, et je vous remercie humblement de m’avoir donné cette occasion de vous communiquer en personne notre perspective sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles en lien, bien sûr, avec les services que nous offrons aux nouveaux arrivants francophones et allophones.

L’Accueil francophone est une structure qui est financée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et elle a été mise en place par la Société de la francophonie manitobaine depuis décembre 2003 pour assurer des services d’accueil, d’établissement et d’intégration des nouveaux arrivants. Nous travaillons actuellement avec deux types de nouveaux arrivants : les immigrants économiques et les réfugiés.

Donc, depuis sa création, l’Accueil francophone a un slogan qui est le suivant : « Pour un établissement réussi au Manitoba. » Nous informons non seulement les clients, mais nous les guidons aussi en faisant des suivis réguliers pour nous assurer qu’ils s’intègrent très bien au Manitoba. L’Accueil francophone offre des services directs et indirects aux nouveaux arrivants et à la communauté. En termes de services directs, comme son nom l’indique bien, il y a une interaction directe entre les clients et le personnel tous les jours à l’Accueil francophone. Quant aux services indirects, l’Accueil francophone, par l’entremise de son réseau en immigration francophone, collabore avec des partenaires qui se concertent régulièrement sur des questions entourant l’immigration, l’avancement du dossier et la mise en place des projets qui répondent aux besoins des nouveaux arrivants.

Alors les programmes de l’Accueil francophone, comment ont-ils été élaborés depuis le commencement? Alors, dans le cas des services, c’est à partir des besoins du client. Donc, on a mis le client au centre, et à un moment donné, on a déterminé ce dont il aurait besoin pour bien s’intégrer dans la communauté. Ensuite, nous avons pensé aux partenariats qu’il fallait développer. Parce que dans une communauté, la collaboration, elle est très importante. Donc, on a essayé de développer des partenariats pour combler les lacunes, et nous avons misé aussi sur la sensibilisation, parce que dans l’accueil, nous avons constaté qu’il y a un besoin de sensibiliser non seulement la communauté immigrante, mais aussi la communauté d’accueil.

Donc, parmi les services qui ont été élaborés, il y a particulièrement l’accueil à l’aéroport. Nous l’avons établi comme première structure au Canada, en allant à l’aéroport accueillir les clients pour leur souhaiter la bienvenue au Manitoba. Nous leur donnons des séances d’orientation et nous les aidons à s’établir en les accompagnant et en les éduquant aussi sur la façon de mieux fonctionner dans la communauté. Alors, tout ce que nous faisons avec eux dans le processus de l’orientation et de l’accompagnement est un apprentissage en soi.

Quant aux partenariats qui ont été développés autour des lacunes à combler, nous avons mis en place des comités en immigration par l’entremise du réseau de l’immigration francophone du Manitoba et nous collaborons beaucoup avec le gouvernement fédéral, qui est notre bailleur de fonds, et avec le gouvernement provincial. Dans le domaine de la sensibilisation, nous avons développé des séances de sensibilisation sur la communication interculturelle, l’immigration et l’intégration. Donc, nous touchons une grande population, surtout des organismes et des institutions. On travaille avec la Division scolaire franco-manitobaine et aussi avec les organismes communautaires qui reçoivent de nouveaux arrivants. Nous leur donnons aussi des ateliers. Il y a 12 séries d’ateliers qui ont été développés et qui sont offerts tout au long de l’année.

Les besoins des deux types de clients sont différents. Les immigrants économiques, on dirait souvent qu’ils ont besoin de moins de services que les réfugiés, parce qu’ils ont un niveau d’éducation qui est assez élevé en arrivant ici. Ils ont eu à faire une préparation psychologique avant de venir ici. Ils ont fait des recherches sur le Canada et la culture. Ils savent exactement où ils doivent s’établir, donc, ils font le choix de leur province. Et parfois aussi, ils ont immigré dans d’autres pays avant d’arriver au Canada.

Par contre, pour les réfugiés qui ont vécu dans des camps de réfugiés et qui ont parfois accumulé des retards à tous les niveaux parce qu’ils ont été déconnectés du reste du monde, il y a un travail à faire sur le plan psychologique et le traumatisme qu’ils ont vécu, que ce soit les parents ou les enfants. Par exemple, il peut s’agir du meurtre de membres de la famille, de viols collectifs, de maladies transmissibles et, souvent, de la peur. De plus, le niveau d’éducation est parfois très bas, sinon inexistant et, une fois au Canada, pour eux, c’est comme mourir et renaître. Tout est à apprendre, ne serait-ce que le système de santé qui est très, très complexe pour ces gens-là. Donc, nous devons travailler avec eux et les appuyer constamment pendant une longue période pour qu’ils puissent vraiment bien s’intégrer dans la communauté.

Abordons maintenant les perspectives de l’Accueil francophone. Quand j’ai vu le mot « modernisation » de la Loi sur les langues officielles, je me suis dit qu’il s’agirait d’un exercice qui permettrait de faire une adaptation ou une mise à jour de la Loi sur les langues officielles, en fonction de la réalité du pays actuellement. Ensuite, je me suis posé la question suivante : en quoi cela peut être important pour une structure comme l’Accueil francophone? Évidemment, c’est important pour plusieurs raisons qui sont en lien avec la nouvelle tendance du Canada à l’immigration, surtout lorsqu’il s’agit de favoriser la multiplication de la diversité sur le plan économique, politique, social et culturel, ce qui a permis à la naissance de structures comme celle de l’Accueil francophone à travers le Canada.

Depuis 2010, l’Accueil francophone a accueilli environ 2 350 nouveaux arrivants dans la communauté et, depuis les trois dernières années, le nombre de réfugiés, surtout syriens et yézidis, est devenu très important. Nous sommes actuellement la seule structure francophone à travers le Canada qui a une entente formelle avec IRCC pour l’accueil et l’établissement de réfugiés conventionnels, et c’est un défi. Par contre, nous l’avons relevé.

L’augmentation du nombre de clients a certainement eu un impact sur la communauté francophone, car cela a permis la mise en place de partenariats solides et de faire des réflexions sur la façon d’adapter les services aux besoins des nouveaux arrivants. Il serait important de faire une sensibilisation continue sur l’interculturalité, la communication et l’ouverture. Un exemple concret de ce partenariat est l’acquisition de trois logements de transition depuis les six dernières années dans le cadre d’un partenariat avec la Corporation catholique du Manitoba. C’est ce qui nous permet d’héberger nos clients temporairement, le temps de les aider à trouver un logement permanent dans la communauté. Nous avons également développé des secteurs d’activité pour mieux encadrer et structurer l’orientation des nouveaux arrivants. Nous avons un secteur consacré uniquement à l’accueil et à l’établissement, un secteur de logement et de réinstallation des réfugiés, un secteur d’intégration, un secteur de connexions communautaires et un secteur de réseaux à l’immigration francophone. Tous les secteurs sont interreliés et appuient le client dans sa démarche d’intégration.

L’immigration, pour nous, les francophones, est surtout un projet de société et fait appel à la communauté dans son ensemble pour sa réussite. Depuis les 10 dernières années, le profil de la communauté francophone a beaucoup changé au Manitoba. On était dans une communauté homogène, mais elle est hétérogène maintenant.

Nous avons des ressortissants francophones de plus de 30 pays dans les universités, dans les écoles, dans les garderies qui reçoivent des services de presque tous les organismes de la communauté francophone. L’impact est surtout grand dans les écoles, et certaines organisations communautaires ont dû adapter beaucoup leurs services dans leur fonctionnement quotidien et dans l’offre de services aussi pour accommoder les nouveaux arrivants. Dans le cadre du travail que nous faisons avec les Syriens et les yézidis qui ne sont pas des anglophones, mais qui sont accueillis par la communauté anglophone, nous tentons de mettre tous les services en place pour qu’ils puissent rester dans la communauté francophone. Ainsi, on travaille beaucoup avec des interprètes et nous leur offrons aussi des cours de langue pour qu’ils puissent rester dans la communauté francophone.

J’ai essayé de donner un peu une idée de la mise en œuvre d’une loi modernisée, mais je vais parler d’abord des services. Le principe fondamental des services qu’offre l’Accueil francophone est basé sur l’agrandissement de l’espace francophone qui a été lancé par la Société de la francophonie manitobaine depuis quelque temps, une de ses priorités d’ailleurs. La langue française, qui a un lien entre la communauté d’accueil et les nouveaux arrivants francophones et l’existence du français dans les communautés à travers le Canada, est l’élément attractif des immigrants économiques francophones. Donc, cette langue, qui est une des langues officielles du Canada, est actuellement l’élément rassembleur de la diversité dans la francophonie manitobaine. De ce fait, l’immigration francophone est un signe de vitalité pour les communautés et ne s’inscrit pas nécessairement ou forcément dans la même dynamique que celle de la communauté anglophone. Cependant, nous sommes souvent obligés de travailler avec les services anglophones et même d’y recommander nos clients pour répondre à leurs besoins, d’où un risque d’assimilation pour les francophones.

Nous espérons que la modernisation de la Loi sur les langues officielles fera une bonne évaluation des communautés francophones pour noter les disparités dans les services offerts dans les deux langues officielles. En plus du rôle que jouent les gouvernements fédéral et provincial, les municipalités devraient aussi avoir un grand rôle à jouer dans ce changement, car elles agissent souvent à titre de porte d’entrée et l’offre de services dans les deux langues n’est pas pareille. Donc, je tenais absolument à souligner le rôle que pouvaient jouer les municipalités, justement pour la mise en œuvre de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Je ne vais pas trop m’attarder, mais je vais essayer de conclure, bien sûr. Alors, je vous remercie encore une fois de m’avoir permis de vous présenter l’Accueil francophone ainsi que sa philosophie sur la question portant de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Ce changement, nous osons l’espérer, est une bonne occasion pour tenir compte de la diversité et de l’inclusion afin de s’assurer que le Canada est effectivement un pays bilingue doté d’une loi qui valorise équitablement les deux langues officielles. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Sacko. Alors, au bénéfice des participants du groupe de ce matin, nous avons jusqu’à 9 h 50. Il est 8 h 28, donc nous avons le temps de recevoir vos présentations et de prévoir un bon moment d’échange avec les sénateurs et les sénatrices.

J’invite maintenant la directrice générale du Centre culturel franco-manitobain, Mme Ginette Lavack, à prendre la parole.

Ginette Lavack, directrice générale, Centre culturel franco-manitobain : Bonjour, mesdames et messieurs, et bienvenue à Winnipeg. On est très heureux de vous avoir là. Merci beaucoup de cette occasion de m’adresser à vous lors de cette séance publique afin de vous partager mes réflexions en vue de la modernisation de la Loi sur les langues officielles et de ses implications sur le secteur culturel. Je suis Ginette Lavack, directrice générale du Centre culturel franco-manitobain (CCFM) et je suis heureuse d’être ici aujourd’hui. Je suis en poste au CCFM depuis l’automne 2017 et avant ça, j’ai passé sept ans au Festival du Voyageur en tant que directrice générale. C’est le plus grand festival hivernal et francophone dans l’Ouest canadien. Donc, j’œuvre dans le domaine de la culture depuis plusieurs années déjà, et j’étais très contente par ailleurs d’entendre que vous alliez faire un passage au Festival du Voyageur, donc, j’espère que vous allez vous amuser.

Permettez-moi de vous présenter un bref historique du CCFM. Alors, en 1972, la province du Manitoba a adopté la Loi sur le Centre culturel franco-manitobain. En tant que mandataire de la Couronne, la responsabilité revient à la province de nommer les membres du conseil d’administration du CCFM. Modifiée à quelques reprises depuis 1972, la loi stipule, dans sa mouture la plus récente datant de 2009, que le CCFM a pour mandat :

a) d’offrir, de promouvoir et de parrainer à l’intention de l’ensemble de la population du Manitoba des activités culturelles et artistiques se déroulant en français;

b) de gérer et d’aménager, en vue de la réalisation des objectifs indiqués à l’alinéa a), les bâtiments et les biens situés à l’intérieur des limites relevant de sa compétence en vertu de l’article 19.

L’article 19 aborde les compétences de la société en ce qui concerne la gestion des lieux et des édifices sur le site.

Le CCFM a officiellement ouvert ses portes au public il y a plus de 40 ans, en 1974, donnant aux francophones du Manitoba une maison de la culture qui abrite les principaux organismes culturels de l’époque, notamment Le 100 NONS (l’organisme de la musique francophone au Manitoba), le Théâtre Cercle Molière, l’Ensemble folklorique de la Rivière-Rouge, chacun représentant diverses disciplines artistiques telles que la musique, le théâtre, la danse. Au fil des ans, d’autres organismes ont trouvé logis dans les locaux du CCFM dont les Éditions du Blé, la Radio communautaire Envol 91 FM, Freeze Frame Manitoba, le Conseil jeunesse provincial.

Alors que le centre culturel subissait quelques transformations, la Société historique de Saint-Boniface a fait construire en 1998 son Centre du patrimoine pour qu’il soit adjacent au centre culturel et qu’il partage une même entrée principale, et plus récemment, le Théâtre Cercle Molière a aussi établi sur le site de la Couronne son nouveau théâtre ouvert en 2010. Le CCFM est ainsi devenu le gestionnaire d’un véritable lieu culturel pluridisciplinaire au centre de sa communauté.

La présence de nombreux artistes et organismes qui animent la vie culturelle en français et de lieux de diffusion et de rassemblement contribue au sentiment d’appartenance envers la communauté francophone et à la cohésion sociale, permet aux citoyens de vivre leur culture sur une base régulière et se traduit en bénéfices sur les plans du tourisme et de l’économie pour l’ensemble de la communauté.

Basé sur la tenue de cafés citoyens dans l’ensemble du Manitoba français en 2015, le rapport des états généraux de la francophonie manitobaine 2015, intitulé Des voix qui rassemblent : parcours identitaires, défis et aspirations de la francophonie manitobaine, indique que l’expérience familiale francophone, l’éducation et les activités culturelles ou récréatives en français sont les trois principaux vecteurs de vitalité de la francophonie manitobaine. Dans le même esprit, la présence d’organismes culturels francophones, le Théâtre Cercle Molière, le CCFM, Le 100 NONS, l’Association culturelle franco-manitobaine et les comités culturels, constitue l’essence même de la vitalité de notre communauté et permet aux gens de vivre leur francophonie en se rassemblant, en s’amusant et en se soutenant.

Je profite de cette occasion pour renchérir sur ce que vous ont partagé nos collègues nationaux par l’entremise du mémoire déposé par la Fédération canadienne culturelle française, notamment la précarité grandissante de nos organismes artistiques et culturels porte atteinte à leur capacité de jouer pleinement leur rôle de principal partenaire du gouvernement dans la mise en œuvre de l’esprit et de la lettre de la Loi sur les langues officielles, en particulier la partie VII.

Il existe depuis de nombreuses années une érosion importante du financement de base en faveur de financement de projet qui affecte la stabilité de nos organismes. Ceci nuit à notre capacité de recruter, de former et de retenir du personnel compétent ainsi que d’agir sur le renforcement des capacités de ce personnel et de professionnaliser le secteur.

De nos jours, nos organismes culturels et artistiques sont de plus en plus polyvalents et nos mandats sont élargis, passant de la diffusion à la production, de la promotion à la médiation culturelle ainsi que la formation, et cetera, tout cela avec moins de ressources. Il est aussi important de noter que le fardeau administratif est plus complexe et lourd, ce qui nuit à notre capacité de livrer de la production artistique et culturelle de qualité accessible et efficace. Il y a donc lieu de mieux définir les mesures positives que les institutions fédérales doivent prendre pour favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Lorsque nous parlons d’épanouissement des communautés, il est important qu’on définisse ces communautés afin de découvrir les bonnes pistes à suivre. Nous sommes du même avis que nos collègues de la Société de la francophonie manitobaine qui indiquent que la modernisation de la Loi sur les langues officielles devrait inclure une réflexion sur une définition moderne et inclusive de la francophonie canadienne.

Le visage de la francophonie dans notre province connaît des changements importants, et ce, depuis plusieurs années. Nos organismes culturels et artistiques desservent des publics englobants, très diversifiés et qui incluent les francophones de souche et ceux aussi des foyers exogames, les nouveaux arrivants, les francophiles ainsi que les anglophones, donc il serait bénéfique de revoir la façon dont nous définissons la francophonie canadienne puisque les statistiques actuelles ne reflètent pas l’ensemble de la clientèle que l’on dessert. Ainsi, des ressources plus importantes seraient mises à la disposition des organismes pour la création, la diffusion, et cetera, de produits artistiques et culturels.

La diversité et le métissage des identités qui caractérisent le Manitoba méritent de se faire valoir sur le plan national et international afin de contribuer à l’épanouissement des communautés francophones. Les échanges, tant entre communautés francophones qu’anglophones, favorisent un partage de connaissances et des échanges importants qui nourrissent tous les milieux, les artistes et ultimement nos communautés. La nouvelle politique culturelle du gouvernement du Canada mentionne un investissement de 125 millions de dollars dans une stratégie d’exportation pour l’industrie créative canadienne. Cette exportation peut favoriser de tels partages et échanges. Voilà un exemple où il serait bénéfique que le mécanisme de consultation auprès des communautés soit renforcé afin d’étoffer sa stratégie et que la Loi sur les langues officielles vienne davantage à l’appui de cette nouvelle orientation.

En conclusion, un financement qui assure la pérennité des organismes artistiques et culturels est essentiel en dépit des changements du gouvernement qui aujourd’hui peuvent fragiliser nos communautés. Une définition du concept des mesures positives à être prises par les institutions fédérales, une définition élargie de la francophonie canadienne afin de bien cerner les besoins grandissants miroitant la diversité qui caractérise nos communautés et une stratégie d’exportation développée de concert avec les communautés et renforcée par la Loi sur les langues officielles sont toutes des moyens par lesquels nous pouvons avancer nos communautés et notre francophonie.

Je vous remercie sincèrement de cette occasion de faire valoir notre point de vue sur l’importance de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Lavack.

Maintenant, la parole est à Mme Annie Bédard, directrice générale, et à M. Francis LaBossière, président de l’organisme Santé en français. La parole est à vous.

Francis LaBossière, président, Santé en français : Monsieur le président, madame la vice-présidente, membres du comité, nous sommes heureux de vous accueillir à Winnipeg. Nous vous remercions pour cette invitation à venir vous partager nos préoccupations et nos souhaits quant à l’avenir de la Loi sur les langues officielles.

Je me nomme Francis LaBossière. Je suis président du conseil d’administration de Santé en français et en terme professionnel, je suis directeur des Ressources humaines au Centre de santé Riverview, ici à Winnipeg. J’ai aussi occupé plusieurs autres fonctions dans le secteur de la santé. Je suis accompagné de Mme Annie Bédard, directrice générale de Santé en français.

Je voudrais tout d’abord exprimer à l’ex-sénatrice Maria Chaput notre reconnaissance pour son dévouement et l’excellence de son travail au sein de votre comité. Nous sommes aussi fiers et confiants que le Manitoba et toutes les communautés francophones canadiennes continueront d’être bien représentés au sein de votre comité et du Sénat par une autre éminente membre de la communauté francophone du Manitoba, l’honorable sénatrice Raymonde Gagné.

Un meilleur accès à des services de santé en français est reconnu comme un besoin prioritaire de nos communautés. C’est aussi l’un des grands succès du Plan d’action pour les langues officielles. Le rôle joué par votre comité dans ce succès a été important. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Mais en dépit de nos réussites, il y a encore beaucoup de francophones ici même au Manitoba qui éprouvent des difficultés à décrire leurs problèmes de santé en anglais, qui ne suivent pas ou suivent mal les recommandations de leur soignant parce qu’elles ne les ont pas bien comprises. Il y a de nouveaux parents qui doivent accueillir leur bébé dans une langue qui n’est pas la leur, des personnes âgées qui souffrent d’isolement dans des environnements où le français, la première langue qu’elles ont apprise, est absent. Il y a des personnes qui souffrent psychologiquement et qui ont de la difficulté à exprimer leur être profond en anglais, car la langue des émotions pour ces personnes est le français, des parents avec des enfants qui ont des besoins spéciaux qui s’anglicisent à contrecœur parce qu’il n’y a pas de spécialistes pouvant leur offrir les services dont ils ont besoin en français. Et ce n’est pas de la fiction. C’est la réalité que vivent quotidiennement des francophones au Manitoba.

Annie Bédard, directrice générale, Santé en français : Oui, bien sûr, des progrès ont été réalisés. Amorcés, devrions-nous dire. En effet, après avoir mobilisé nos communautés et de multiples intervenants, après avoir créé de solides partenariats, nous sentons que nous faisons du sur place. Nous voulons et nous devons passer à un autre niveau, à un niveau capable de répondre aux besoins de services de santé et de services sociaux pour nos concitoyens et concitoyennes. Mais on ne pourra le faire seuls.

Permettez-nous une comparaison avec l’éducation, un peu boiteuse peut-être, mais quand même révélatrice. En 2014-2015, le gouvernement fédéral investissait pour le volet Éducation dans la langue de la minorité, c’est-à-dire les écoles francophones, 168 millions de dollars, dont environ 10 millions au Manitoba. Pour l’amélioration des services de santé en français, la contribution fédérale totale au Manitoba pour une année est d’environ 1,4 million de dollars, ce qui inclut la province du Manitoba via le Centre du Patrimoine, l’Université de Saint-Boniface et nous, Santé en français. Si ce montant en santé n’est pas plus élevé, ce n’est pas parce que le gouvernement fédéral ne contribue pas financièrement au système de santé. Comme vous le savez, le transfert canadien en matière de santé s’élève, en 2017-2018, à 1,350 milliard de dollars pour le Manitoba. Et ce, sans aucune condition ni même mention de langues officielles. On nous dit que la santé, c’est une responsabilité provinciale.

Tout comme la santé, l’éducation est aussi une responsabilité provinciale et pourtant, le gouvernement fédéral contribue aux progrès dans l’apprentissage du français au Canada et ces progrès bénéficient à l’ensemble des Canadiens et Canadiennes.

C’est peut-être de même pour la santé. Par exemple, ici au Manitoba, les centres de santé de Notre-Dame-de-Lourdes, de Saint-Boniface et la clinique à Sainte-Anne desservent autant leurs concitoyens et concitoyennes anglophones que francophones, mais les francophones savent qu’en franchissant cette porte, ils seront servis en français.

La contribution fédérale nous a permis d’intéresser et de mobiliser de nombreux partenaires et grâce à la participation de notre gouvernement provincial, des Offices régionaux de la santé, de l’Université de Saint-Boniface, d’établissements de santé et de services sociaux, de professionnels dévoués et de la communauté déterminée, des progrès ont été réalisés bien sûr. Cependant, les ressources à notre disposition sont bien limitées face à un système de santé qui représente 40 p. 100 du budget de la province, et croyez-moi, il ne s’agit pas que de dollars. Le leadership politique et législatif est tout aussi, sinon plus, important.

Aujourd’hui, après des progrès réels, nous sentons que nous stagnons. Pire, si rien n’est fait, c’est à un recul certain que des facteurs tels que les changements démographiques et les transformations du système de santé nous condamnent. Pour faire face à ce défi, ce qu’il faut c’est un leadership fédéral renouvelé, renforcé. Un leadership qui s’exerce certes dans le respect des compétences de chacun, mais un leadership qui est clair, fort, inspirant.

C’est dans ce contexte que nous voyons les travaux que mène votre comité pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles comme un puissant moyen de mettre fin à la stagnation actuelle.

M. LaBossière : Voici quelques éléments qui, du point de vue de notre expérience, peuvent contribuer à moderniser la Loi sur les langues officielles et en faire un puissant outil pour un progrès réel de la dualité linguistique au bénéfice de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens. Pour l’instant, nous ne ferons que les énumérer. Nous pourrons en dire davantage dans la discussion qui suivra ou en répondant à vos questions.

1. Il est essentiel que toute personne qui peut s’exprimer en français soit prise en compte lorsqu’il s’agit de déterminer l’offre de services en français dans une région donnée. Il est tout aussi important cependant qu’on ne soit pas à la merci d’un simple calcul mathématique, mais que la vitalité d’une communauté soit aussi considérée.

2. Une nouvelle loi devrait veiller à ce que les obligations qu’elle contient soient aussi reflétées dans les ententes et programmes fédéraux-provinciaux territoriaux auxquels contribue le gouvernement canadien. Tous les organismes du gouvernement canadien devraient être tenus de contribuer concrètement à l’atteinte de ses objectifs.

3. Les obligations contenues dans la Loi sur les langues officielles devraient être reflétées dans les autres lois votées par le Parlement canadien telles que la Loi canadienne sur la santé, par exemple.

N’étant pas des juristes, nous ne sommes pas en mesure d’indiquer si une telle garantie peut être spécifiée dans la Loi sur les langues officielles ou si elle devrait plutôt faire l’objet d’une clarification de l’un des cinq principes qui sous-tendent la loi. Ceux qui visent à garantir l’universalité ou l’accessibilité nous semblent les plus propices. Ou encore, faire l’objet de l’ajout d’un sixième principe dans la Loi canadienne sur la santé.

4. L’impulsion nécessaire à une adhésion par l’ensemble du gouvernement doit venir du centre du pouvoir, du Bureau du Conseil privé. C’est fondamental.

5. Il est aussi important de prévoir des mécanismes de concertation qui assurent la collaboration et l’adhésion des différents acteurs, incluant les communautés, à la conception et à la mise en œuvre des stratégies pour l’atteinte des résultats.

6. Il faut un renforcement de l’imputabilité et de la reddition de comptes ainsi qu’un renforcement des pouvoirs du Commissariat aux langues officielles, autant son pouvoir d’enquête que celui d’imposer des amendes aux organismes pris en défaut de même qu’une obligation de corriger leur manquement.

En terminant, nous vous remercions pour cette invitation à venir vous partager nos réflexions. Nous formons le souhait que les travaux de votre comité, que ce soit par la voie de modifications législatives ou réglementaires ou par le poids politique, mèneront à un renouvellement de l’engagement fédéral envers l’amélioration des services de santé en français. Nous vous sommes sincèrement reconnaissants pour l’important travail que vous faites. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup à vous. Donc, nous allons maintenant entreprendre la période des questions et des échanges avec les témoins, en commençant par la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci pour vos présentations. Très intéressant. J’ai quelques questions pour commencer. Je pense que c’était Santé en français et la Société de la francophonie manitobaine qui avaient tous les deux parlé des amendes et des sanctions liées au rôle du commissaire, et de la possibilité de lui donner ce pouvoir-là. Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de ce que vous envisagez comme amende? Quel type de sanction le commissaire pourrait-il avoir comme pouvoir? Selon vous, quel mécanisme pourrait entraîner des résultats?

M. Monnin : Merci pour la question. Tout dépend, amendes et sanctions, et ça dépend de l’entité à laquelle on fait face, si c’est Air Canada, qu’on voit de temps à autre, ou comme on a vu par le passé avec l’Office national de l’énergie. Je pense que ça dépend de la situation. Ça dépend de l’organisme, mais une sanction, une amende, dans un premier temps, quelque chose qui a du mordant. Si on impose une amende de 250 $ à une compagnie comme Air Canada, ce n’est véritablement pas la mer à boire. Je ne vise pas Air Canada spécifiquement, mais je donne un exemple. Donc, je suggérerais que ça soit une amende importante, une amende qui a un impact pécuniaire assez important pour l’entité.

La question des sanctions a besoin d’être étoffée, mais il s’agirait simplement d’être en mesure de donner à une entité le pouvoir d’imposer des sanctions, le pouvoir de diriger d’une façon obligatoire un geste concret. Il n’y a rien qui me vient à l’esprit présentement, malheureusement, mais il s’agirait simplement de donner le pouvoir d’imposer des sanctions, ce que la loi n’offre pas en ce moment.

Mme Bédard : J’ajouterais aussi qu’il y a plusieurs recommandations qui ont été faites par le commissaire, comme vous le savez, et, par la suite, il n’y a rien qui se passe. Il n’y a pas d’actions concrètes, donc, je crois que dans les sanctions, on doit exiger des actions de rectification concrètes, un suivi de la reddition de comptes pour s’assurer que la rectification a été faite. Je vous donne l’exemple de l’Agence de la santé publique qui a eu quelques mauvaises notes par le passé, de très mauvaises notes même, de la part du commissaire. C’est une agence qui offre très peu en matière de langues officielles à travers le pays et qui est obligée de le faire en vertu de la partie VII. On sait qu’au niveau de la promotion de la santé, comme vous le savez, c’est un enjeu qui est crucial, il y a tellement à faire, et ce n’est pas seulement avec des fonds comme ceux de Santé Canada qu’on peut réaliser ces progrès-là. L’Agence de la santé publique fait très, très peu, alors dans les recommandations du commissaire quant aux sanctions, il faudrait exiger des actions concrètes, comme je le disais, et des suivis de la reddition de comptes très serrés. C’est un exemple, mais il pourrait y en avoir beaucoup plus aussi s’il y avait un comité qui pouvait se pencher sur cette question-là.

La sénatrice Poirier : Merci. Je l’ai soulevé, parce qu’il y a plusieurs témoins, depuis le début de notre étude sur la Loi sur les langues officielles, qui ont apporté ce point. Je voulais entendre votre point de vue.

Ma deuxième question s’adresse aux gens de Santé en français. Vous avez parlé un peu de la difficulté pour les francophones de recevoir des services de santé en français, du manque de spécialistes et des difficultés de ceux qui doivent comprendre la langue anglaise. Étant donné que je viens de la seule province officiellement bilingue du Canada, le Nouveau-Brunswick, je me demande si ces services-là ou les possibilités que vous puissiez les obtenir sont liés au recrutement de la main-d’œuvre, des spécialistes et des médecins. Cet aspect vous pose probablement un défi, comme c’est le cas pour nous parfois, mais est-ce qu’il y a quelque chose qui pourrait être ajouté dans la loi qui pourrait vous aider de ce côté, pour que les services soient offerts en tout temps? Par exemple, si le médecin n’a pas la capacité de le faire, qu’il y ait toujours quelqu’un qui puisse faire de la traduction pour s’assurer que la personne puisse recevoir une réponse ou poser ses questions ou exprimer ses inquiétudes dans la langue de son choix. Est-ce que c’est quelque chose que vous faites ici, au Manitoba?

Mme Bédard : Eh bien, oui. L’Office régional de la santé de Winnipeg, par exemple, offre des services d’interprétation et de traduction simultanée, mais pour nous, ce n’est pas un service. C’est une stratégie de dernier recours, parce que dans la communication, l’interprétation, c’est comme une discussion à trois. Ce n’est pas un service direct, et il y a plein d’études que vous pouvez consulter et qu’on pourrait vous transmettre, si vous le désirez, qui démontrent que les services directs ont un meilleur impact sur la santé de la personne qu’un service d’interprétation qui est un service de dernier recours. C’est sûr que la main-d’œuvre est la clé, parce que ce sont les gens qui offrent les services, et ça, c’est un grand enjeu au Manitoba et partout ailleurs au pays. C’est de trouver la main-d’œuvre qui peut offrir les services en français, et c’est pour ça qu’on a besoin de former encore plus de gens dans nos institutions francophones, comme à l’Université de Saint-Boniface. Comme je le disais tout à l’heure, il y a seulement 1,4 million d’étudiants qui viennent au Manitoba pour étudier dans le domaine de la santé à l’université. Il y a des fonds qui sont versés à la province par l’intermédiaire de Patrimoine canadien, mais on voudrait déblayer le terrain et travailler avec nos partenaires quand le besoin est immense. Alors, l’enjeu demeure énorme.

La sénatrice Poirier : D’accord, merci. Ma dernière question s’adresse à la Société de la francophonie manitobaine. En février 2015, vous avez intenté un recours à la Cour fédérale concernant l’offre de services au public en français et en anglais. Ce recours a été suspendu l’automne dernier afin de donner le temps au Conseil du Trésor d’annoncer les changements qu’il compte apporter. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos attentes ou quels changements le gouvernement pourrait proposer?

M. Monnin : Quelles sont nos attentes?

La sénatrice Poirier : Oui.

M. Monnin : Non. Je ne suis pas en mesure présentement de vous donner une réponse à ce sujet. C’est un dossier dont la cour est saisie, donc je ne suis pas en mesure d’en discuter, mais on attend une rétroaction du gouvernement et, à ce moment-là, on sera en mesure de répondre. Je m’excuse.

La sénatrice Poirier : D’accord, merci.

Le sénateur McIntyre : Merci pour vos présentations. Tout d’abord, j’ai une observation en ce qui concerne le Centre culturel franco-manitobain. Les organismes du secteur culturel que nous avons entendus à ce jour, madame Lavack, sont d’avis que les arts et la culture doivent être considérés comme un pilier du développement des communautés francophones en situation minoritaire au même titre que la santé et l’éducation. Donc, je pense que vous seriez d’accord avec moi en ce qui concerne l’importance de faire le lien entre la langue et la culture, et de le reconnaître dans la Loi sur les langues officielles.

Mme Lavack : Oui, je suis entièrement d’accord que c’est notre réalité aujourd’hui. C’est ça qui enrichit nos communautés. C’est ça qui véhicule la langue et l’apprentissage pour qu’on puisse vivre pleinement. Ce sont des activités qui rassemblent au sein de la culture même, donc, il vaudrait certainement la peine que ça soit reconnu de façon officielle dans la loi.

Le sénateur McIntyre : Merci.

Pour ce qui est de la santé, monsieur LaBossière, vous avez mentionné que des dispositions relatives à la santé en milieu minoritaire devraient être incluses dans la Loi sur les langues officielles, c’est ça?

M. LaBossière : Oui.

Le sénateur McIntyre : Alors, en gardant cet aspect à l’esprit et en gardant également à l’esprit la présentation de M. Monnin — je fais référence à la page 5 de votre mémoire dans lequel vous parlez du rôle du commissaire. J’ai beaucoup aimé les paragraphes 24, 25 et 26 de votre mémoire, et je dois avouer que je suis entièrement d’accord avec vous. Cependant, j’irais un peu plus loin, et ma question s’adresse aux trois témoins. Quels sont les mécanismes manquants pour assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée? Selon moi, il faudrait revoir les pouvoirs accordés au Conseil du Trésor, renforcer les pouvoirs accordés au commissaire aux langues officielles, faciliter le recours aux tribunaux en cas de non-respect des obligations linguistiques, sanctionner les institutions qui ne se conforment pas à leurs obligations linguistiques et, possiblement, accorder des pouvoirs à une institution centrale chargée de voir à la mise en œuvre de l’ensemble de la loi. Alors, monsieur Monnin, pourriez-vous nous donner votre point de vue sur cette question? Ensuite, ce sera M. LaBossière et Mme Lavack.

M. Monnin : Merci pour la question. Je suis entièrement d’accord avec ce que vous dites. Les recommandations que vous avez proposées, non seulement je les accepte, mais je les appuie énormément. Un point qui me tient à cœur, c’est le deuxième point que vous avez soulevé, ou plutôt le troisième point, soit de faciliter les recours judiciaires, ce qui se rattache un peu à la question de Mme la sénatrice Poirier au sujet des amendes et des sanctions. Souvent, des plaintes sont présentées au commissaire et il y a des réponses en tant que suggestions sur la façon de rectifier le problème, mais on ne suit pas ces suggestions. Donc, j’ai le sentiment que tout le monde ici autour de la table sait que tous les gains qu’on a eus, tous les grands pas qu’on a pris, malheureusement, c’était par l’entremise des décisions rendues par les tribunaux. Ça a pris des années, ça a pris des générations pour se rendre là, pour être en mesure de favoriser l’accès à des recours judiciaires d’une façon expéditive. Pour moi, ce serait une des choses les plus importantes qu’on puisse assurer.

En même temps, si on peut éviter les recours judiciaires, on peut donner plus de pouvoirs au commissaire, comme on en a parlé, plus de pouvoir avec des amendes, des sanctions, de vraies sanctions qui obligent une entité ou un ministère à véritablement rectifier et à remédier au problème. Donc, monsieur le sénateur McIntyre, je veux simplement renchérir et préciser que je suis entièrement d’accord avec les propositions que vous avez ajoutées aux paragraphes 23, 24 et 25 de notre mémoire, et je vous en félicite. Merci.

Le sénateur McIntyre : Parfait, parce que je trouve que, jusqu’à présent, on traîne la patte avec la Loi sur les langues officielles. Moi, ça fait cinq ans et demi que je siège au Comité des langues officielles et je trouve que l’on traîne beaucoup, beaucoup, et qu’on devrait décidément renforcer les pouvoirs accordés au commissaire aux langues officielles, et d’autres pouvoirs aussi.

Brièvement, monsieur LaBossière, est-ce que vous voulez ajouter quelque chose?

M. LaBossière : Je suis totalement d’accord avec ce que vous avez dit. J’ai œuvré dans des centres de santé dans ma longue vie, des centres désignés bilingues, des centres non désignés bilingues, et je peux vous assurer qu’il doit y avoir un engagement qui provient des gens au pouvoir pour véhiculer le fait qu’il s’agit d’un engagement que tous doivent respecter afin que nous mettions en place des mécanismes pour offrir des services. Souvent, la volonté n’est peut-être pas là au début, mais en véhiculant toujours le message, il est important que ça vienne d’un centre de pouvoir. C’est pour ça qu’on parlait du Conseil privé, parce que ça doit venir du bureau où est concentré le pouvoir du gouvernement.

Je crois qu’au cours des nombreuses années où le Commissariat aux langues officielles a produit des rapports, il n’y avait pas ce sens d’un pouvoir, d’un marteau qui existe à ce niveau. On entend et on lit beaucoup les mêmes constatations et les mêmes recommandations auxquelles on ne donne pas de suivi. Alors, je pense qu’il doit y avoir du mordant et du pouvoir. Je suis pleinement d’accord avec tout ce que vous avez dit. On traîne la patte, c’est vrai, et puis je crois qu’il faut y aller avec un plan très concret et ajouter du mordant aux lois.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup de vos présentations. Je les ai trouvées toutes intéressantes, je les ai trouvées rafraîchissantes. Étant donné qu’on s’est beaucoup attardé sur l’Est du pays, je trouve rafraîchissant de venir vers l’Ouest, parce que vous avez eu des commentaires et des suggestions qui sont quand même très intéressantes. Dans le travail qui se fait, on sait qu’il y a des choses qui se rejoignent, mais il y a aussi de nouveaux éléments que vous avez présentés.

J’ai trois différents secteurs de questions, si vous voulez. Madame Lavack, vous m’avez amenée à réfléchir sur l’aspect économique de l’industrie culturelle canadienne qui est extrêmement importante, parce que c’est une industrie qui est génératrice de revenus. Le problème, c’est que c’est une industrie qui est génératrice de revenus, mais qui n’est pas beaucoup soutenue à la base. En tout cas, je parle pour l’Ontario. Les arts, les arts dramatiques, la musique et tout ça, c’était enseigné dans les écoles jusqu’à il y a un certain nombre d’années. Je ne sais pas si c’est comme ça ici. Maintenant, ce n’est plus enseigné dans les écoles. Le curriculum d’éducation est maintenant davantage axé sur l’éducation financière, c’est-à-dire les mathématiques et la linguistique. Maintenant, si on a des enfants qui ont des aspirations artistiques, les parents doivent financer ces activités-là pour que leurs enfants puissent apprendre à mieux dessiner ou à mieux chanter, à mieux s’exprimer en musique et tout ça. C’est tout ce côté-là du travail qu’on fait, c’est comme si c’est une industrie qui vit seule, qui se développe seule. Oui, il y a un peu d’argent qui provient du gouvernement fédéral, mais ça pourrait être une partie de la culture qui pourrait être aussi bien financée que l’éducation, par exemple. J’aimerais donc vous entendre sur cet aspect-là.

Mme Lavack : Merci beaucoup pour la question et, oui, je partage votre opinion que le secteur culturel devrait avoir la même importance que d’autres secteurs tels que la santé, l’éducation, et cetera, parce que ça apporte tellement à la vie de nos communautés et de nos citoyens.

De nos jours, certainement, les cours qui ont trait aux aspects culturels et artistiques sont en déclin. Ce ne sont pas des choses qu’on enseigne partout. Il y a certaines écoles qui le font peut-être parce qu’elles sont un peu axées dans ce sens-là, mais en général, l’accent est mis sur les sciences, les mathématiques, et cetera, ce qui fait en sorte que toutes ces activités-là sont faites à l’extérieur de l’école. Le fardeau est confié aux parents de prendre en main la charge d’un apprentissage culturel et artistique pour leur jeune, ce qui fait en sorte qu’on doit créer les occasions.

Comme je l’ai dit dans mon allocution, avec le financement qui est vraiment axé sur les projets, on n’est pas en mesure de développer les choses en profondeur. Même nous, nous offrons des cours de danse au Centre culturel franco-manitobain, mais nous n’avons personne pour administrer le programme. Mon personnel se divise en cinq pour trouver des instructeurs pour donner les cours, pour s’occuper de l’inscription des jeunes, pour aider à tout ça, mais c’est un projet en soi qui pourrait rapporter encore plus. L’organisme 100 NONS, qui est abrité chez nous, se cherche du personnel. Il a une personne et demie qui travaille, mais il n’a pas les ressources complètement bilingues pour offrir un service de qualité et un service qui va apporter quelque chose de bien aux jeunes. Donc, il y a certainement place à améliorer l’appui que reçoivent les organismes du secteur culturel, mais aussi de façon à alléger le fardeau administratif pour qu’on puisse se concentrer sur notre spécialité, qui est de promouvoir et de créer ces occasions-là plutôt que d’avoir à remplir de nombreuses demandes de subventions pour de petits montants. Ça nous enlève beaucoup la capacité de faire le bien qu’on voudrait faire dans nos communautés.

La sénatrice Moncion : Je regardais la culture comme étant une industrie. Je ne sais pas si, au niveau du gouvernement canadien, on regarde tout ce secteur-là comme étant une industrie. Je ne le connais pas, j’en suis ignorante et probablement que notre éminent président aurait plus d’information que moi à ce sujet.

Mme Lavack : J’aimerais bien avoir plus de chiffres, mais, oui, je sais que la Fédération culturelle canadienne-française commence à rassembler ces chiffres-là pour démontrer vraiment l’impact et la grandeur de ce secteur très important.

La sénatrice Moncion : Merci.

Ma deuxième question, ou peut-être un commentaire s’adressent à Mme Sacko. J’ai beaucoup aimé le fait que vous ayez scindé les immigrants en deux catégories, où vous avez parlé des immigrants qui sont économiquement autonomes, parce qu’en arrivant ici, ils ont fait des choix et tout ça. Je n’avais jamais fait cette différence-là, alors j’ai aimé la nuance que vous avez faite aussi en expliquant les besoins des réfugiés et les besoins des autres immigrants. C’est le financement que vous obtenez parce que vous êtes une entreprise qui représente le gouvernement fédéral, et c’est l’encadrement que vous avez. Maintenant, dans l’octroi des fonds que vous recevez, comment faites-vous pour offrir la multitude de services avec les ressources limitées qu’on vous octroie?

Mme Sacko : Merci beaucoup. C’est exactement là où j’ai parlé de collaboration et de partenariats, parce que le mandat de l’Accueil francophone est limité et, évidemment, nous n’avons pas la capacité d’offrir tous les services. Par exemple, les services d’employabilité sont offerts par d’autres organisations, et les services de soutien psychologique aussi. Malheureusement, ce sont des organismes anglophones, donc, même quand nous leur envoyons des francophones, il faut y aller avec des interprètes. Dans le domaine de la formation aussi, par exemple, l’Université de Saint-Boniface est la seule ici au Manitoba qui est francophone. Malheureusement, on a des clients qui veulent par exemple suivre des formations professionnelles dans des domaines techniques comme la mécanique, la menuiserie et tout. L’université n’est pas capable d’offrir ces formations et on est obligé de leur faire suivre des cours d’anglais afin qu’ils puissent s’inscrire dans les institutions anglophones, ce qui est dommage. Donc, nous avons développé beaucoup de partenariats avec d’autres structures qui ont des services qui peuvent répondre aux besoins des clients que nous leur recommandons.

La sénatrice Moncion : Ce que je comprends de ce que vous dites, c’est qu’il y a l’école primaire et secondaire qui est accessible en français, et l’université. Il manquerait les collèges communautaires francophones.

Mme Sacko : J’ai envie de regarder Raymonde.

La sénatrice Gagné : Est-ce que tu veux que je réponde?

La sénatrice Moncion : Oui.

La sénatrice Gagné : Simplement pour vous dire que l’Université de Saint-Boniface gère tous les programmes universitaires, de même que les programmes collégiaux.

La sénatrice Moncion : D’accord. Donc, dans les métiers qui sont beaucoup plus spécialisés.

La sénatrice Gagné : On a cette autorité-là, mais on n’a pas nécessairement les programmes. La grande majorité des programmes sont surtout des programmes techniques et professionnels, non axés sur les métiers.

Mme Sacko : Exactement.

La sénatrice Moncion : Donc, plus académique.

Mme Sacko : C’est ça.

La sénatrice Moncion : Je poserai ma troisième question à la deuxième ronde, mais j’aimerais apporter une petite nuance. Est-ce parce qu’il n’y a pas suffisamment d’inscriptions que les programmes ne sont pas offerts ou est-ce vraiment une question de manque de ressources financières?

La sénatrice Gagné : C’est un mélange de tout ça.

La sénatrice Moncion : D’accord.

La sénatrice Gagné : Il faut toujours comprendre qu’au Manitoba, lorsqu’il s’agit de lancer des programmes, on commence avec de petits nombres.

La sénatrice Moncion : D’accord.

La sénatrice Gagné : En soi, c’est toujours un défi de pouvoir convaincre les gouvernements de financer et de soutenir des initiatives.

La sénatrice Moncion : Oui et, à la base, si les liens ne sont pas créés, par exemple avec les générateurs de formation, les générateurs d’emploi, même au niveau de la santé et tout ça, si ces liens-là ne sont pas créés, les entités travaillent de façon isolée et là, c’est d’arrache-pied qu’on va chercher tout ce qu’il y a autour. C’est toujours le problème d’une francophonie minoritaire en milieu majoritairement anglophone. D’accord. Je poserai mes autres questions à la prochaine ronde.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice Moncion. Effectivement, nous aurions peut-être pu inviter la sénatrice Gagné à titre de témoin pour nous parler de la réalité et, surtout, des lacunes dans le domaine de l’éducation. Donc, la parole est à vous, sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Je veux simplement mentionner que le recteur de l’Université de Saint-Boniface sera avec nous plus tard.

Premièrement, j’aimerais vous remercier de vos excellentes présentations. Ça fait du bien d’être de retour chez soi. Je tiens à vous dire que j’ai beaucoup d’admiration pour le travail que vous faites, et je vous en remercie sincèrement. Ma question s’adresse au président de la Société de la francophonie manitobaine.

L’éducation en français est non seulement un droit fondamental garanti par la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi la pierre d’assise de la communauté francophone du Manitoba et de son épanouissement. Monsieur Monnin, vous avez mentionné dans votre présentation que la Loi sur les langues officielles est une pierre angulaire au niveau de l’engagement du gouvernement fédéral, mais aussi qu’ici, au Manitoba, nous comptons maintenant sur le cadre législatif de la nouvelle Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée législative du Manitoba le 30 juin 2016. Il y a une partie considérable des fonds du gouvernement fédéral qui sont transférés à la province. Si on s’arrête au cadre du protocole d’entente relatif à l’enseignement de la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde, cette entente est gérée par le Bureau de l’éducation française. Il y a un poste clé, le poste de sous-ministre adjoint, qui a été aboli tout dernièrement, et ce, sans consultation et malgré les cadres législatifs en place, malgré des protocoles d’entente très spécifiques liés à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde. Aussi, dans ce protocole d’entente, il y a des fonds qui sont consacrés à l’éducation postsecondaire, et dans le système scolaire, il y aurait probablement aussi des fonds qui pourraient toucher la petite enfance.

Alors, la décision d’abolir ce poste me préoccupe personnellement à titre de résidente de cette province, et elle trahit aussi une fragilisation des droits linguistiques et des droits à l’éducation que le Manitoba a acquis. Quel changement pourrait-on apporter à la Loi sur les langues officielles qui pourrait permettre de gérer ou d’amoindrir le risque de fragiliser les droits que nous avons acquis? C’est la question qui tue.

M. Monnin : Pas tout à fait. Cela étant dit, ça revient à donner du mordant à une entité qui peut s’assurer d’un « encliquetage », c’est-à-dire qu’une fois qu’on acquiert nos droits, on ne peut pas prendre de recul. Cela étant dit, le scénario que vous avez soulevé, madame la sénatrice Gagné, c’est au niveau provincial. Donc, dès le départ lorsqu’on en a pris connaissance — il faut le dire, sans avoir été consultés —, ça nous a préoccupés énormément aussi. Malgré la loi provinciale, il y a un comité consultatif qui, qu’on se le dise, n’a pas été consulté. Donc, c’est à deux tranchants. Il y a le palier fédéral pour lequel est on est ici aujourd’hui, et j’aimerais voir quelque chose qui assure un « encliquetage ».

Quant au niveau provincial, à la SFM, et avec les parties prenantes, notamment la Division scolaire franco-manitobaine, les conseils scolaires franco-manitobains, l’association des parents, la Manitoba Teachers’ Society, nous nous sommes mobilisés de façon immédiate et nous avons mis en vigueur un comité consultatif, un groupe de travail avec la province où tout est sur la table, notamment le poste de sous-ministre adjoint. De notre perspective, le poste de sous-ministre adjoint francophone au Bureau de l’éducation française est impératif et nous faisons tout en notre possible pour nous assurer, au sein de ce groupe de travail, que ce poste sera rétabli. Mais je porte deux chapeaux. Je porte un chapeau ici comme président de la SFM, qui est un groupe revendicateur. Comme vous l’avez bien indiqué, selon la Charte, il a été reconnu que l’éducation est un droit fondamental non seulement entériné de façon spécifique dans la Charte, mais il y a également les principes non écrits de la Charte. D’ailleurs, j’ai fait référence à l’Hôpital Montfort, et je parle de l’affaire Lalonde ou d’une loi semblable au Manitoba, comme la Loi sur les services en français de l’Ontario, où mon ancien collègue, Me Ron Caza a monté l’affaire à la Cour d’appel de l’Ontario. On a rétabli l’Hôpital Montfort.

En ce moment, nous sommes optimistes et croyons que le groupe de travail va donner des résultats concrets, des résultats tangibles et des résultats qui sont satisfaisants, notamment en ce qui concerne le poste de sous-ministre adjoint francophone au Bureau de l’éducation française. Cependant, il faut dire d’une façon très honnête et transparente qu’il y a d’autres avenues qu’on peut poursuivre, mais en ce moment, on est optimiste. Donc, je ne sais pas si ça a répondu à votre question, madame la sénatrice, mais pour fermer la boucle au sujet du palier fédéral, il faudrait prévoir quelque chose qui peut assurer un « encliquetage », c’est-à-dire que lorsqu’on a un gain acquis, on ne puisse pas le perdre.

La sénatrice Gagné : Merci d’avoir ajouté ça. J’allais demander une précision. Dans le contexte des ententes fédérales-provinciales, je pense que vous avez fait allusion à ça aussi dans le domaine de la santé, et cetera. Est-ce que cette question pourrait être intégrée spécifiquement dans le cadre de la loi, avec tout de même certaines indications spécifiques liées à ce que vous venez de nous dire?

M. Monnin : Si je peux participer au débat, vous avez bien compris, madame la sénatrice, le fait que des sommes très importantes sont envoyées d’Ottawa au Manitoba sous l’égide de l’éducation. Donc, je crois qu’il devrait y avoir une reconnaissance d’ « encliquetage » qui permettrait de rattacher ces fonds de sorte qu’on ne prenne pas de recul, c’est-à-dire que si le fédéral est assez généreux avec ses fonds, qu’il continue dans cette voie également, mais qu’il y ait des attentes qui soient rattachées à ces fonds, afin qu’ils soient appliqués d’une façon qui soit cohérente, notamment avec la Loi sur les langues officielles.

La sénatrice Gagné : Encore là, plusieurs témoins nous ont mentionné l’importance de voir de façon transparente où les sommes sont octroyées lorsqu’elles sont transférées, parce qu’on sait que les sommes qui sont transférées à la province peuvent rester dans ses coffres pour qu’elle soit en mesure de gérer l’ensemble des programmes — ici, je parle de l’éducation. Disons que dans le cadre du protocole, il y a des sommes qui restent à la province pour gérer l’éducation française au Manitoba. Il y a en a d’autres qui sont transférées, que ce soit au système scolaire, à l’immersion, au système scolaire franco-manitobain ou à l’Université de Saint-Boniface. Dans ce cas, est-ce que vous êtes en mesure de retracer ces fonds? Tout le monde se regarde, alors j’imagine que la réponse est que ce n’est pas aussi clair que ça. Ce n’est pas facile de savoir où va l’argent, alors la question de la reddition de comptes est un problème.

M. Monnin : Permettez-moi de souligner que je suis dans mon poste depuis le 12 octobre 2017; cependant, je regarde mon directeur général, M. Daniel Boucher, qui est en poste depuis peut-être avant mon vivant, tout simplement pour dire que non, la capacité de retracer ces fonds, je ne pense pas que ça existe.

La sénatrice Gagné : Merci.

La sénatrice Mégie : Merci de vos différentes présentations. Ma question s’adresse à Mme Sacko. Étant donné que l’immigrant francophone choisit naturellement le Québec, à quel niveau se fait le choix de diriger les différents types d’immigrants francophones vers une province anglophone comme le Manitoba?

Mme Sacko : Merci. Actuellement, la province du Manitoba organise une activité de promotion à l’échelle internationale avec des organisations et avec la communauté francophone. Cette activité s’appelle Destination Canada. Donc, on voyage en Europe pour aller y faire la promotion de la province. Il y a différents programmes d’immigration qui existent au niveau fédéral, qui a son propre programme, et au niveau provincial également, il y a le programme des candidats dans chaque province. Donc, quand nous participons à ces activités de promotion comme Destination Canada, tous les immigrants qui veulent venir au Canada font le tour des différentes provinces pour voir ce qui peut les attirer. En faisant leur demande, ils doivent désigner spécifiquement la province dans laquelle ils veulent s’établir. Ainsi, l’existence de la communauté francophone qui est généralement très bien représentée dans ces activités est vraiment un attrait pour la plupart des immigrants économiques qui arrivent ici. Donc, ils ont déjà choisi le Manitoba comme destination finale et ils arrivent ici au Manitoba. Par contre, pour les réfugiés, c’est dans une convention. Je pense que les décisions sont prises par le gouvernement fédéral en ce qui concerne la répartition. Ils ne savent pas à l’avance dans quelle province ils vont venir, sauf au moment où le gouvernement les désigne et leur indique où ils doivent atterrir.

La sénatrice Mégie : D’accord. Merci.

J’ai une sous-question. Étant donné les défis dont vous venez de discuter avec la sénatrice Moncion par rapport au fait qu’il y a certains métiers ou certaines professions où il faut absolument les orienter vers le monde anglophone, avez-vous des chiffres sur le degré de rétention de cette communauté immigrante francophone dans la province? Est-ce qu’elle reste longtemps, est-ce qu’elle se dissocie? Avez-vous des chiffres à ce sujet?

Mme Sacko : Pour ce qui concerne l’Accueil francophone, nous avons un programme d’intégration à travers lequel nous faisons un suivi. Donc, nous faisons tous les trois mois un suivi jusqu’à une période de deux ans pour nous assurer qu’effectivement, les familles que nous avons accueillies sont toujours ici au Manitoba. Je dirais que 95 p. 100 des familles que nous recevons au Manitoba, que ce soit des immigrants économiques ou des réfugiés, restent au Manitoba parce que nous faisons un suivi. Nous savons où ils habitent et nous faisons des suivis régulièrement pour nous assurer que tout se passe bien.

La sénatrice Mégie : Merci.

Le président : Avant de passer à la deuxième ronde de questions, je vais en profiter pour poser quelques questions. Je veux d’abord vous féliciter, la communauté franco-manitobaine. J’ai lu avec beaucoup, beaucoup d’intérêt la planification stratégique qui émane des états généraux. Je trouve que votre organisme, monsieur Monnin, fait un travail assez exceptionnel pour articuler de nouveau comment la francophonie s’organise au Manitoba, et je pense que ça, c’est un exemple éloquent de la capacité des communautés francophones à l’extérieur du Québec de s’adapter au changement. Vous êtes dans un processus qui n’est certainement pas facile parce qu’il y a toujours de la résistance au changement, mais il est manifeste que vous prenez les moyens pour aller de l’avant, comme on dit, et veiller à ce que la communauté continue de grandir. Alors, je tiens à applaudir cela, et je veux aussi souligner le travail exceptionnel qui est fait au Centre culturel franco-manitobain. On a eu hier l’occasion de visiter cette installation. J’ai eu le bonheur aussi de constater à quel point, par exemple, le Cercle Molière travaille maintenant en coproduction avec une francophonie de l’extérieur du pays, c’est-à-dire qu’il y a aussi cette capacité ici de travailler en ouverture avec d’autres francophones du pays et d’ailleurs.

Cela dit, ma question touche particulièrement la partie VII de la loi, et peut-être la partie IV, c’est-à-dire qu’on demande beaucoup au gouvernement fédéral et on entend souvent les témoins nous dire qu’il faut que la Loi sur les langues officielles fasse en sorte que les différents ministères du gouvernement fédéral travaillent ensemble et soient imputables sur la question de l’avenir des communautés de langue officielle. Dans les communautés, entre vos différents secteurs, il y a aussi des collaborations qui se tiennent. Est-ce qu’au niveau des mesures positives — parce qu’on parle beaucoup d’une précision à donner aux mesures positives dans la partie VII de la loi, et on parle également des facteurs de vitalité —, à votre avis, il devrait y avoir dans ces mesures positives, dans les précisions qui touchent les mesures positives, cette idée que devrait être reconnu et valorisé le travail de collaboration et de concertation qui peut se faire dans vos communautés entre les secteurs que vous représentez? Donc, c’est une question générale qui s’adresse à vous tous. En d’autres mots, est-ce que le fait que la loi puisse renforcer cette idée de valoriser les collaborations entre les secteurs de votre communauté serait un atout positif pour vous pour donner plus de force à la loi? C’est ma première question.

Mme Lavack : Merci beaucoup pour la question. Je peux me lancer. Je pense que les nombres font la force et, chez nous comme ailleurs, on cherche à dénicher des partenariats, d’autres gens avec qui travailler pour alimenter nos produits, nos développements. Donc, je pense que d’avoir quelque chose qui précise ces mesures positives, mais qui renforce aussi, comme vous le dites, les partenariats qu’on cherche à créer, pour s’aider, pour nous aider entre nous, serait très avantageux. En ce moment, on le fait, mais on le dit souvent, avec des ressources limitées, donc ça demande énormément de travail. Ce sont des projets de longue haleine qu’on entreprend, mais les résultats sont incroyables, et c’est vraiment ça qui vient nourrir nos communautés. Pour nous, oui, ça serait très avantageux qu’il y ait une meilleure reconnaissance du travail qu’on fait pour identifier, chercher et créer ces partenariats-là pour s’aider.

Mme Bédard : Je pense que les communautés francophones, les différents secteurs, travaillent ensemble et le font depuis toujours. On veille au plan de développement, au plan stratégique de la communauté francophone. Nous sommes différents secteurs à travailler ensemble. C’est dans la nature de notre travail, et pour le dire clairement, je pense que oui, ça aiderait. Je dirais qu’au niveau de la santé, ça fait partie de notre modèle de fonctionnement, alors c’est à la base. On travaille entre secteurs dans la francophonie, mais aussi dans nos secteurs mêmes, avec la communauté anglophone, avec d’autres partenaires à travers le Canada. Parce qu’on n’offre pas de services directs, on n’a pas le choix de travailler en partenariat pour amener les gens à la table, discuter des enjeux et déterminer ce qu’on peut faire ensemble pour faire avancer de dossier, puisqu’on n’offre pas le service direct. Donc, c’est à la base, et peut-être que le fait de l’énoncer, de le soutenir viendrait nous mettre en lumière et favoriser un certain épanouissement dans nos fonctions.

Mme Sacko : J’ai envie de rajouter un point en disant que, justement, nous travaillons beaucoup. On a mis sur pied le Réseau en immigration francophone justement pour renforcer cette collaboration-là, parce que le cas des immigrants francophones qui arrivent dans une communauté en situation minoritaire, c’est une situation de minorité dans une minorité. Bien évidemment, sans la collaboration et le partenariat, c’est très, très difficile de soutenir ce projet, donc c’est pour ça que nous avons tout un réseau en place qui nous permet vraiment de travailler en collaboration.

Le président : Merci.

Hier, on a rencontré le Centre de services bilingues et on discutait avec ses représentants des facteurs de vitalité d’une communauté. On le sait, la partie IV de la loi est à l’examen en ce moment dans le cadre d’un comité qui se penche sur le règlement de la partie IV. Cependant, est-ce qu’à votre avis, par exemple, les services qui sont offerts dans les centres de services bilingues sont des services qui font partie des facteurs de vitalité d’une communauté et qui permettent aussi à la communauté de se développer? Il y a des organismes sectoriels comme les vôtres, mais dans le cas des centres de services bilingues, on a bien compris qu’il y a à la fois les services offerts par les gouvernements fédéral, provincial et municipal, car c’est un regroupement de services. Est-ce qu’à votre avis, ces centres-là agissent aussi comme facteurs de vitalité d’une communauté? Monsieur Monnin?

M. Monnin : Pour répondre à votre première question sur la collaboration, je trouve qu’en principe, c’est super. Tout ce qui peut nous encourager dans les communautés à ne pas tirer la couverte de chaque côté et à travailler ensemble, c’est préférable. Cela étant dit, je me fais un peu l’avocat du diable. Ça pourrait être bouclé d’une part et, d’une autre, si c’est entériné dans la loi, il pourrait y avoir des soucis, peut-être pas avec ce gouvernement, mais avec un autre gouvernement, qui pourrait revenir nous dire qu’il n’y a pas suffisamment de collaboration dans nos communautés pour qu’il nous appuie. Il pourrait nous demander de mieux travailler ensemble avant de nous accorder son soutien. C’est ça, le souci. Le seul bémol que je soulèverais sur ce point-là, c’est qu’on puisse utiliser une telle précision contre une communauté en disant qu’il n’y avait pas suffisamment de collaboration entre les différents secteurs. C’est le seul bémol que je verrais.

Le président : D’accord.

M. Monnin : Quant à votre deuxième question sur les centres de services bilingues et leur capacité à faire rayonner la vitalité d’une communauté, selon moi, la réponse est oui. C’est un point de repère pour la communauté, pour que les gens sachent où aller chercher les réponses à leurs questions et les services ou d’autres moyens d’appui. Donc, moi, je trouve qu’ils sont super. Je ne sais pas si tout le monde partage le même sentiment que moi.

Mme Sacko : J’ai envie de dire que oui, moi aussi, parce qu’on a actuellement des centres de services bilingues à l’extérieur de Winnipeg dans les petites communautés francophones où, effectivement, le fait d’y retrouver les trois paliers du gouvernement est un repère, comme vient de le dire mon président. C’est beaucoup plus facile pour les habitants de ces petites communautés d’avoir accès aux services qui sont regroupés sous le même toit. Évidemment, c’est pour moi un facteur de vitalité.

Mme Bédard : Je dirais oui également, mais pour revenir au niveau des services, je pense qu’un enjeu, c’est de revoir une définition plus large, parce que les nombres sont un enjeu. On ne peut pas parler de nombre en milieu fortement minoritaire et de vitalité en même temps. Je pense que la vitalité est le premier facteur. Alors, quand on parle de la partie IV et des services, le nombre au niveau des services et la définition qu’on lui donne, avec une définition réduite qui n’est plus moderne, je pense que ça, c’est essentiel.

Au chapitre de la collaboration, j’inviterais à regarder dans le cadre de la loi la collaboration du gouvernement avec ses communautés depuis plusieurs années. On a perdu cette collaboration-là, et il faudrait, dans la modernisation de la loi, que la collaboration du gouvernement fédéral ne se fasse pas uniquement au sein des ministères entre eux et avec Ottawa, car ce lien-là avec les communautés est très important, et on l’a perdu au fil des ans.

Le président : Merci beaucoup. Donc, il nous reste environ une dizaine de minutes.

La sénatrice Poirier : Merci, monsieur le président. Nous sommes présentement dans le deuxième volet de notre étude qui comporte cinq volets concernant la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous consultons tous les segments de la population pour avoir leur opinion, donc la question est posée aux quatre groupes d’invités. Ma question est la suivante : si vous pouviez nous donner la recommandation la plus importante pour vous que vous aimeriez voir apparaître dans notre rapport sur la modification de la loi, quelle serait la recommandation que vous nous donneriez? Je sais qu’il y en a plusieurs, mais je demande quelle serait la plus importante pour vous. Vous pouvez en donner plus d’une si vous voulez.

Mme Bédard : On a déjà fait une synthèse avec six recommandations.

Le président : Donc, qui voudrait répondre? Je ne crois pas qu’il y ait de piège derrière la question de la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Non, non, il n’y a pas de piège. Absolument pas.

Le président : Il s’agit tout simplement d’essayer de cerner certaines priorités.

La sénatrice Poirier : En ce qui a trait à la modification de la loi, premièrement, au Nouveau-Brunswick, on a pris la décision de ne plus entendre 50 ans pour qu’elle soit révisée de nouveau. On a posé cette question-là à plusieurs de nos témoins qui nous ont dit que c’était important qu’on la révise plus souvent. Donc, est-ce qu’on veut le faire tous les cinq ans, dix ans? Qu’est-ce que vous recommandez? Ce peut être une suggestion. Il y a 50 ans qu’elle n’a pas été examinée. En allant de l’avant, on espère qu’il ne se passera pas encore 50 ans avant qu’on puisse la réviser. Pour vous, qu’est-ce qui est le plus important et qui devrait être formulé comme recommandation dans la loi, à cette étape-ci, pour répondre à vos besoins?

M. Monnin : Pour moi, il s’agirait des paragraphes 18 à 23 de notre mémoire, soit une agence centrale qui serait mieux placée pour coordonner l’ensemble de la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Ce serait le point de départ. Si on me donne le choix d’une chose, ce serait une agence centrale.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Monnin.

Mme Lavack : Je dirais une reconnaissance explicite du secteur culturel et de son importance, ainsi qu’une définition du concept des mesures positives à prendre dans le travail de promotion.

Le président : Merci.

Monsieur LaBossière? On vous pousse.

M. LaBossière : Je crois qu’il s’agirait d’inscrire dans la loi l’obligation énoncée dans les ententes et programmes fédéraux-provinciaux-territoriaux, de même que les obligations des agences majeures, comme les centres de recherche sur l’information sur la santé et toutes ces ententes. Il devrait y avoir des obligations qui ne sont pas juste un principe, mais qui sont inscrites dans la loi, sans oublier la reddition de comptes. On ne peut pas séparer ces deux choses-là. Il faudrait une reddition de comptes qui ait du mordant.

Le président : Merci.

Ça va, sénatrice Poirier?

La sénatrice Poirier : Oui. Il y a juste une personne qui n’a pas répondu.

Mme Sacko : J’ai envie de souligner l’inclusion et le fait qu’il y a beaucoup de changements, et que la loi doit en tenir compte. Il faut aussi que les gens qui immigrent ici puissent être servis dans la langue de leur choix, comme le français, et qu’ils ne soient pas obligés d’aller solliciter des services en anglais.

Le président : Merci.

La sénatrice Moncion : Ma question touche les sanctions, les pouvoirs de sanction qu’on veut donner au commissaire. J’ai toujours une inquiétude quant aux sanctions et au peu de mordant qu’ont les lois. On voudrait plus de mordant, on voudrait que le commissaire ait le pouvoir d’émettre des sanctions. L’inquiétude que j’ai est liée aux chicanes judiciaires ou aux chicanes qui se feraient sur la place publique quant à la décision d’imposer une sanction qui serait prise par le commissaire et l’organisme qui serait sanctionné, où on pourrait se retrouver devant les tribunaux avec tout le « salissage » qui peut en découler, surtout si ça touche le fait français. Je comprends l’importance des sanctions et tout ça, mais mon inquiétude est toujours rattachée à la perte de crédibilité, si on veut, de la communauté francophone dans la revendication de ses droits devant les tribunaux. J’aimerais donc vous entendre sur cette question, dans chacun de vos cas, parce que ça vous touche tous, je crois.

M. Monnin : Merci pour la question, madame la sénatrice. Je crois que nous avons déjà des chicanes judiciaires, sauf que ça prend énormément de temps, ça prend des finances extraordinaires et, comme je l’ai dit tantôt, ça passe de génération en génération, donc, on y est déjà. Or, est-ce qu’une entité va prendre une sanction selon la nouvelle loi, pour rester dans le domaine de la justice? Possiblement. Cela étant dit, disons qu’un tribunal en tienne compte et donne de l’appui à cette sanction, en indiquant à l’entité que cette sanction est obligatoire et qu’elle doit la suivre. Il y aura ainsi un précédent. Ça, c’est une hypothèse assez formidable que je fais, mais nous sommes déjà là. Cela étant dit, il faut des années pour que les communautés puissent faire respecter leurs droits en justice, faire reconnaître leurs droits. Il faudrait donc quelque chose de plus expéditif, de plus efficace pour régler les problèmes pour les communautés francophones et pour s’assurer que les entités ou les ministères emboîtent le pas. Présentement, ce ne sont que des suggestions. On le voit. On veut quelque chose qui a du mordant, autrement, on est là, on va prendre nos valises, on va aller au palais de justice, mais il nous faudra 10, 15 ans pour y arriver.

La sénatrice Moncion : J’aimerais simplement ajouter une petite nuance rapidement.

Le président : Oui.

La sénatrice Moncion : À l’heure actuelle, ce n’est pas le commissariat qui a ce pouvoir-là, et les chicanes juridiques ne sont pas liées aux décisions qui ont été prises ou au rapport du commissaire. Elles sont liées à des droits qui ont été lésés à un autre niveau, et c’est souvent l’organisme contre le gouvernement, ou un gouvernement provincial ou fédéral. En ce qui concerne le commissaire aux langues officielles, c’est là où je fais cette nuance-là.

M. Monnin : C’est bien noté. Je comprends votre souci par rapport à la nuance, mais tout simplement, je reviens sur la question ou la crainte des chicanes judiciaires. On y est déjà, donc, trouvons une solution.

Mme Lavack : Je parlais justement de cette question avec mon professeur d’espagnol, car je suis des cours d’espagnol en ce moment. Je me dis que, si on pouvait davantage travailler à la base lorsqu’on parle de promotion de la dualité linguistique, pour que ça devienne une valeur ancrée dans tous les citoyens et chez tous les Canadiens, les organismes pour lesquels on travaille, les institutions, voudront offrir un service bilingue. Peut-être qu’un jour — et ça, c’est l’idéal —, mais c’est pour dire que ce serait extrêmement plaisant si un jour on pouvait voir la valeur ajoutée que les gens ressentent en parlant plus d’une langue. On le voit souvent en Europe. Il est habituel de parler cinq ou six langues dans une maison. Je sais que c’est une question de géographie également, mais, si ça pouvait vraiment faire partie du tissu social de chaque citoyen canadien et si on pouvait faire une meilleure promotion de la dualité linguistique, peut-être que ça deviendrait habituel et que tous les organismes et les gens voudront servir leurs citoyens dans les deux langues officielles.

Le président : Merci.

Donc, il nous reste trois minutes. Est-ce qu’il y avait une intervention, ici, parce que j’aimerais accorder la dernière question à la sénatrice Gagné. Nous allons donc conclure cette séance avec une question de la sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Cette question s’adresse au président de la Société de la francophonie manitobaine. On a entendu de la part de certains témoins l’importance d’envisager l’élaboration de règlements associés à la partie VII. Il y a présentement une seule partie de la loi qui a un règlement rattaché à son application, c’est la partie IV. Compte tenu de l’histoire derrière la partie limitative des règlements associés à la partie IV, est-ce que vous envisagez d’un bon œil la proposition d’élaborer des règlements pour la partie VII, pour tout ce qui concerne les mesures positives?

M. Monnin : Merci pour la question. En reconnaissant le fait qu’il est 9 h 49 et que nous avons jusqu’à 9 h 50, oui, tout simplement pour fermer la discussion sur cette question-là, je trouve que oui, il serait positif d’élaborer des règlements qui permettraient de préciser l’ampleur de la partie VII.

La sénatrice Gagné : Merci. Étant donné que la réponse était courte, puis-je poser une autre question?

Le président : Allez-y.

La sénatrice Gagné : Est-il possible et souhaitable, vu l’importance que le gouvernement accorde au plan d’action sur les langues officielles, de consacrer l’existence du plan d’action dans la Loi sur les langues officielles?

Le président : Qui veut répondre succinctement?

Mme Bédard : Insérer le plan d’action sur les langues officielles dans la loi, ce serait lui donner un peu plus de teneur, de précision.

La sénatrice Gagné : Pour préciser ma question, est-ce qu’on devrait indiquer simplement le fait d’avoir un plan d’action qui soit annoncé sur une base régulière? Est-ce que l’existence du plan devrait être insérée à la Loi sur les langues officielles?

M. Monnin : Oui, ce devrait être entériné dans la loi.

M. LaBossière : Je trouve qu’il devrait y avoir des mesures dans ce plan d’action pour déterminer comment on peut constater l’atteinte des objectifs du plan. Il ne s’agit pas simplement d’avoir un plan. Il faut avoir des mesures.

Le président : Merci beaucoup. Madame Bédard, monsieur LaBossière, madame Lavack, madame Sacko et monsieur Monnin, merci beaucoup de vos interventions. Nous aurons peut-être l’occasion d’échanger avec vous dans d’autres cadres, de façon informelle, puisque nous sommes ici pendant quelques jours. Donc, je vous remercie.

Comme il y a la télévision de Radio-Canada qui est là et qui n’est pas en mesure de capter nos discussions, nous avons tout de même permis au cameraman de capter quelques images pendant l’introduction. Donc, je vais faire l’introduction que j’ai faite tout à l’heure. Ça permettra de prendre quelques images, si vous le permettez.

Nous avons le plaisir d’accueillir, de la Fédération des parents francophones du Manitoba, Mme Brigitte L’Heureux, directrice générale. Cette fédération offre des programmes, des services, des ressources et de la formation destinés aux familles qui veulent aider leurs enfants de la maternelle jusqu’à la 12e année à s’épanouir pleinement en français. Nous accueillons également M. Alain Laberge, directeur général de la Division scolaire franco-manitobaine. La DSFM compte 24 établissements scolaires offrant des programmes de français langue première de la maternelle à la 12e année. Et enfin, nous recevons le recteur de l’Université de Saint-Boniface, M. Gabor Csepregi. L’Université de Saint-Boniface offre des programmes d’études universitaires en français auxquels s’ajoute l’offre de formation technique, professionnelle et continue. Merci à vous.

Je demanderais à monsieur le cameraman de Radio-Canada de bien vouloir quitter la salle afin que nous puissions commencer nos travaux. Merci à vous, monsieur.

Alors, nous allons entendre nos témoins et, ensuite, nous aurons une période de questions. Nous avons jusqu’à 11 h 20 pour échanger avec vous. Nous allons commencer par vous, madame L’Heureux.

Brigitte L’Heureux, directrice générale, Fédération des parents francophones du Manitoba : Bonjour à tous. Honorables sénatrices et sénateurs, membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, j’aimerais tout d’abord vous remercier de l’invitation à participer à cette rencontre aujourd’hui et à témoigner de la part de la Fédération des parents du Manitoba.

La Fédération des parents du Manitoba est un organisme qui a comme mandat de promouvoir l’éducation en français en offrant des programmes, des ateliers, des services et des ressources à cette clientèle, les jeunes de 0 à 12 ans, les regroupements préscolaires et scolaires, les intervenants en petite enfance, au service de garde éducatif francophone, familial et en centre, au comité scolaire et autres groupes de parents et les parents. Nous promouvons aussi l’importance du rôle du parent dans le cheminement éducatif et l’épanouissement de leurs enfants dans leur langue et leur culture.

Face à la réalité des familles d’aujourd’hui et le nombre important de couples exogames, nos approches sont inclusives pour que tous les parents, incluant les parents anglophones, soient conscients qu’ils ont une influence positive sur la langue de leurs enfants. J’avoue devant vous aujourd’hui que je suis loin d’être experte en tout ce qui concerne la loi, mais je tenterai de témoigner du point de vue du parent et de la petite enfance.

Voici certaines considérations dont je souhaite que vous teniez compte lorsque vous travaillerez à moderniser la loi. L’éducation en petite enfance : on peut voir que la dynamique familiale a énormément changé depuis 1969. Les rôles qu’on dit peut-être traditionnels ne sont plus pareils. Les femmes d’aujourd’hui participent activement dans le marché du travail et veulent assurer un meilleur avenir pour elles-mêmes et pour leurs enfants. De plus, les recherches récentes démontrent clairement que la période critique pour l’apprentissage est de 0 à 5 ans. Ces deux réalités nous amènent aujourd’hui à un plus grand besoin de services de garde éducatifs et des appuis aux parents pour les outiller dans le cheminement éducatif de leurs enfants.

Le préambule de la loi parle de respecter les garanties constitutionnelles sur les droits à l’instruction dans la langue de la minorité et de faciliter tout l’apprentissage du français et de l’anglais. La loi, en gros, a besoin de prendre en compte que ce droit à l’instruction ou à l’éducation doit commencer par l’éducation dès la petite enfance. Trop de parents ne peuvent se sécuriser un espace en service de garde éducatif en français. Quand on parle d’épanouissement de la communauté, on doit commencer par la base qui est la petite enfance.

La loi et son pouvoir : la loi dans sa totalité a besoin d’étoffer le rôle du gouvernement fédéral en ce qui concerne la promotion, l’offre de services et l’employabilité dans les deux langues officielles.

Les organismes communautaires travaillent fort depuis de nombreuses années et même des décennies pour assurer une éducation de qualité en français à l’intérieur de communautés vibrantes. Au Manitoba aujourd’hui, on compte environ 30 000 étudiants dans un programme de langue française ou d’immersion. Si cette tendance continue, on peut d’abord conclure que dans 12 ans, il y aura un minimum de 30 000 Manitobains qui seront prêts à travailler dans des postes bilingues.

Le temps est venu de saisir cette occasion pour augmenter considérablement les exigences en matière de cette loi. Je constate une réticence lorsqu’il s’agit d’être plus ferme et précis dans la terminologie de la loi. Il semble y avoir des mesures pour plaire, mais aucune action concrète n’est citée. Par exemple, dans l’objet de la loi, il est indiqueé, et je cite : « […] appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d’une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l’égalité […] ». Je trouve que les mots « d’une façon générale » et « favoriser », et plus loin dans la partie VII de la loi, les mots « encourager » et « aider » ne sont pas assez forts et proactifs. C’est pourquoi la mise en œuvre de la loi ne semble pas être à la hauteur. On a besoin d’une loi qui assure et qui s’engage à favoriser l’épanouissement des langues officielles. En ce qui concerne l’offre active et les régions désignées bilingues, l’offre active en français des services fédéraux demeure une composante importante pour les parents. Trop souvent, on a recours aux services en anglais puisque le temps d’être servi en français n’est ni pratique ni rapide et parfois même inexistant. Tout personnel qui offre des services directement au public devrait, à nos yeux, être capable d’offrir un service en français et en anglais et à en faire l’offre active. La loi doit refléter ces besoins réels de la part des communautés.

Les bureaux fédéraux qui offrent des services et des communications dans les deux langues officielles sont déterminés selon des statistiques qu’on juge incomplètes et qui ne reflètent pas le besoin actuel. La règle doit être plus inclusive pour tenir compte de la nouvelle francophonie qui comprend entre autres les familles exogames, les nouveaux arrivants et les francophiles.

Les pouvoirs de Patrimoine canadien, le Commissariat aux langues officielles et le Conseil privé : en ce moment, Patrimoine canadien ne détient aucun pouvoir pour inciter les autres institutions fédérales à mettre en œuvre la partie VII de la Loi sur les langues officielles. On croit tout d’abord que la supervision de l’application de la loi doit se faire à un niveau plus élevé dans la hiérarchie gouvernementale, tel que le Conseil privé. Il en va de même avec le Commissariat aux langues officielles. Son pouvoir a besoin d’être renforcé pour qu’il soit plus efficace.

Pour conclure, je crois fortement que le gouvernement fédéral doit avant tout servir d’exemple devant tout le pays en ce qui concerne les langues officielles. Avec la hausse de la population générale qui se dit favorable au bilinguisme du pays, le temps est venu de relever les exigences gouvernementales dans le cadre de la modernisation de la loi et de son application. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame L’Heureux.

Alain Laberge, directeur général, Division scolaire franco-manitobaine : Merci beaucoup. Monsieur le président, chers sénateurs et sénatrices, c’est un privilège de vous accueillir au pays de Louis Riel. La Division scolaire franco-manitobaine (DSFM) vous remercie sincèrement d’être ici. Je vous invite, si vous en avez l’occasion, à venir visiter l’une de nos écoles. C’est avec plaisir que nous vous ferons faire une tournée.

L’avenir du français au Manitoba dépend largement d’une DSFM forte. Par compte, une DSFM forte offrant une éducation en français de qualité n’est pas en mesure à elle seule d’assurer la vitalité de la communauté de langue française au Manitoba. Il faut offrir aux Franco-Manitobains, particulièrement aux jeunes enfants, d’autres occasions de parler et de lire en français, mais aussi de voir et d’entendre cette langue en dehors des salles de classe et des écoles. En somme, l’importance de la création d’espaces francophones est pour que bien au-delà de l’école, nos familles francophones et francophiles puissent s’affirmer socialement et culturellement.

En fait, le phénomène d’espace francophone n’est pas nouveau puisqu’il vient de l’un de mes collègues, M. François Benoit, directeur général en Ontario, dont vous retrouverez le témoignage en annexe. La DSFM est consciente de son rôle. À cet égard, sa directive sur la langue de la communication en témoigne. Pour que la DSFM réussisse à remplir sa mission, ses élèves et leurs familles ont besoin d’occasions de témoigner de l’existence du français sous toutes ses formes en dehors des écoles et une Loi sur les langues officielles modernisée qui tient compte de ses besoins pour aider la DSFM à remplir sa mission. Au cours de la présente allocution, je soulèverai au nom de la DSFM certaines lacunes de la Loi sur les langues officielles qui ont des répercussions négatives sur son fonctionnement quotidien. La DSFM présentera également certaines propositions de modifications à apporter à la Loi sur les langues officielles dans le cadre de votre étude sur la modernisation de cette loi.

Il y a cinq éléments que j’aimerais soulever ainsi qu’un sixième qui est plus ad lib.

Premièrement, le droit des services fédéraux en français. L’utilisation de « première langue officielle parlée » comme critère pour établir les obligations linguistiques du gouvernement est désuète et ne tient plus compte de la réalité de nos communautés en 2018, notamment, l’exogamie de ses familles et la diversité de leur composition. Pourtant, ce critère a un impact sur l’éducation en français. La perte de services en raison de l’application d’un critère rigide et mathématique cause une dévitalisation de notre population au profit d’une assimilation rapide vers l’anglais. Ce phénomène est grave même si on ne tient pas compte de son impact sur l’éducation en français dans un milieu minoritaire.

Pourquoi dis-je cela? Qui dit ville, village ou quartier sans services bilingues dit une déculturation ou une anglicisation. Que font les francophones —- comme ma collègue le mentionnait — las d’attendre pour un service dans leur langue? Ils vont aller en anglais. Ils abandonnent le combat, ils baissent les bras, car bien qu’ils tiennent à leur langue, ils se fatiguent après un certain temps. Pourquoi se battre et faire une heure de route pour obtenir un service? Pourquoi exiger un service de qualité moindre, pire, un service de qualité moindre en anglais? Que font les enfants de ces adultes? Ils voient bien que le français est une langue seconde, car elle n’est pas respectée par les gouvernements.

Dans ce monde, il ne faut pas être surpris de constater qu’une tranche de la population anglophone demeure peu intéressée d’apprendre le français. Pour faire quoi? Tout se passe en anglais de toute façon. La disponibilité des services en français joue un rôle fondamental pour la vitalité de nos communautés. Il est donc très important dans cet exemple que le gouvernement fédéral continue et augmente son appui financier à cet égard par le biais d’ententes que nous avons actuellement comme l’Entente Canada-Manitoba pour les services en français.

Revenons au critère « première langue officielle parlée ». Celui-ci ne prend pas en compte tous les gens qui déclarent l’anglais comme première langue, mais qui ont la capacité de s’exprimer en français. L’offre de services en français donne une raison à ces gens d’apprendre notre langue. Elle crée un espace au sein duquel ils peuvent s’exprimer dans la langue de l’autre, dans notre langue. Lorsqu’une communauté perd un ou des services bilingues, cela envoie un message aux jeunes selon lequel l’apprentissage du français ou apprendre en français ne sert pas à grand-chose puisque cette langue devient une langue folklorique. Il faut non seulement promouvoir le français, mais envoyer un message clair rappelant qu’elle demeure véritablement l’une des deux langues officielles de ce pays. Retirer l’offre de services bilingues et réduire la qualité des services offerts amènera directement nos communautés vers l’assimilation. La langue française doit être rattachée non seulement à la culture, mais aussi à la richesse qu’elle apporte à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes.

Il est vrai que c’est par l’intermédiaire de l’éducation que nous pouvons changer les mentalités et ouvrir les horizons. La communication et la prestation de services de qualité véritablement équivalente en français sont les éléments les plus importants et les plus tangibles d’un bilinguisme véritable et officiel.

Qu’est-ce qui justifie qu’un francophone habitant dans une zone non desservie dans les deux langues officielles par le gouvernement fédéral ne possède pas ce droit? Ne réinventons pas la roue si nous n’avons pas besoin de le faire. Deux changements très mineurs, très simples et concrets pourraient être apportés.

D’abord, il y a lieu d’insérer dans une nouvelle Loi sur les langues officielles le fruit du travail des sénatrices Chaput et Tardif qui a mené au projet de la loi S-209 maintenant parrainé par la sénatrice Gagné. Cela permettrait de mieux encadrer les devoirs du gouvernement prévus à la partie IV de la Loi sur les langues officielles au sujet des communications avec le public et la prestation des services, et à la partie XI en ce qui concerne les consultations et les projets des règlements.

Ensuite, nous proposons que votre comité recommande de consacrer dans la Loi sur les langues officielles l’exigence que les services offerts dans les deux langues soient de qualité réellement équivalente. Ce principe n’est pas nouveau puisqu’il a déjà été reconnu par la Cour suprême dans l’affaire Desrochers en 2009. À notre avis, il faut aller plus loin que les « Hello!/Bonjour! », qui sont nécessaires, mais qui ne suffisent pas à garantir l’égalité réelle.

Deuxièmement, l’aliénation des terres fédérales. La vente des transferts et des biens immobiliers jugés excédentaires par le gouvernement du Canada est trop souvent laissée à la discrétion des fonctionnaires, qui ne sont pas au courant de l’obligation d’adopter des mesures positives en vertu de la Loi sur les langues officielles ou qui décident, sciemment ou non, de l’appliquer quand bon leur semble. Les francophones ont déjà beaucoup de difficulté à obtenir des terrains. Les francophones ont eu une croissance incroyable au niveau de l’éducation. Mme L’Heureux en a parlé tout à l’heure. Sans terrain, on ne peut pas avoir d’école. Si nous ne pouvons pas bénéficier au moins de la mise en œuvre de cette loi fédérale par le gouvernement, il est difficile de continuer à nous battre sur d’autres plans contre l’assimilation.

J’aimerais citer en exemple un fait que la DSFM a vécu il y a quelque mois. On a appris par pur hasard en faisant des recherches sur Internet — et malheureusement, il était trop tard —- que le gouvernement fédéral a retenu les services d’un agent immobilier du secteur privé pour mettre en vente l’un des sites à Winnipeg sur le boulevard Lagimodière sans consulter la DSFM. Celle-ci a envoyé une lettre à votre comité au sujet de ce site dans laquelle elle fait part de l’inaction du gouvernement fédéral dans ce dossier en décembre 2017. Vous l’avez en main à l’annexe D. Brièvement, la vente de cet édifice a été annoncée publiquement sur le site de Services publics et Approvisionnement Canada et sur le site d’une agence immobilière, et ce, en anglais seulement! En novembre 2017, la DSFM a envoyé une lettre à Services publics et Approvisionnement Canada dans laquelle elle manifeste son intérêt pour ce site. En février 2018, la DSFM a reçu une réponse du gouvernement indiquant que le processus d’aliénation avait respecté la Directive sur la vente ou le transfert des biens immobiliers excédentaires, qui n’exige pas que les conseils de langue française en situation minoritaire soient consultés et que son ministère ait à cœur ses obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles que vous avez en annexe E.

N’est-ce pas une preuve qu’il faut modifier la Loi sur les langues officielles afin de lui donner plus de mordant? Pourquoi ne prévoit-elle pas, très simplement, une obligation de la part des institutions fédérales de consulter les conseils scolaires avant de vendre ses terrains? On pourrait parler de tous mes collègues à la direction générale partout au Canada qui ont des besoins au niveau des terrains.

Troisièmement, la Loi sur les langues officielles doit s’adapter à la réalité du XXIe siècle. On vous demande de tenir compte des moyens technologiques qui existent maintenant. Ils sont puissants et permettent une grande flexibilité. Le gouvernement canadien doit prendre en compte la nouvelle réalité démographique de nos populations. Le Canada a changé depuis la dernière réforme. Ce qu’on note, c’est qu’on a des enfants en milieu d’immersion, des enfants francophones qui auront des enfants en immersion, qui auront des enfants francophones, qui feront en sorte que cette francophonie deviendra de plus en plus grande. On dit même qu’en 2050 le français sera la langue la plus parlée au monde.

On parle d’un Canada bilingue, mais on ne voit pas de touristes francophones aller à l’extérieur du Québec. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de services en français ou très peu et cela effraie les gens.

Quatrièmement, le cadre multilatéral de l’apprentissage du français langue seconde. Vous allez peut-être dire que je rêve, mais j’aime rêver à vieillir et je pense que c’est important qu’on puisse rêver pour nos enfants. L’apprentissage en français est fondamental. C’est ce qu’on fait à la Division scolaire, mais l’apprentissage du français est également très important. L’éducation en français langue seconde devrait être obligatoire de la maternelle à la 12e année afin d’augmenter le nombre de locuteurs francophones, ce qui permettrait de créer un espace ou nous pouvons exister en français. Pour atteindre cet objectif, il y a lieu d’ajouter un article dans la Loi sur les langues officielles exigeant que le gouvernement fédéral adopte une feuille de route ou un plan d’action sur les langues officielles. C’est par l’entremise de cette feuille de route ou de ce plan d’action que le gouvernement fédéral appuiera financièrement les langues officielles. Une telle modification créerait un climat de certitude pour les communautés francophones et acadiennes en matière de financement pour les langues officielles, ce dont elles ont grandement besoin. Ce nouvel article devrait également prévoir l’obligation du gouvernement fédéral d’adopter une stratégie nationale en matière d’éducation en français langue première et langue seconde.

Enfin, le dernier élément qu’on aimerait soulever est la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Je pense qu’il est important de répéter qu’il est crucial de moderniser la Loi sur les langues officielles. Nous tenons à vous remercier de vos efforts à cet égard. Cette tournée doit être assez éreintante. Il sera important que le gouvernement puisse respecter les aspects de cette nouvelle loi. Il faut que les écrits se reflètent en actions concrètes. Peu importe la forme qu’incarnera le chien de garde, que ce soit un tribunal sur les langues officielles, un Commissariat aux langues officielles plus musclé, un travail bilatéral plus prononcé, ce qui est important, c’est que les gens disposent d’un recours efficace pour faire valoir les violations de leurs droits linguistiques.

J’aimerais conclure en apportant quelques petites idées supplémentaires sur lesquelles nous nous sommes penchés au niveau de la Division scolaire : s’assurer que tous les panneaux de signalisation soient bilingues à la grandeur du pays; s’assurer que les gouvernements provinciaux et territoriaux soient soumis aux mêmes obligations de bilinguisme; et exiger que tout nouveau poste à la fonction publique requière un bilinguisme fonctionnel pratique. Cette dernière initiative ne se fera pas du jour au lendemain, on le sait, mais cette exigence pourrait être accompagnée d’une clause de droits acquis d’une durée de x années, par exemple, un cycle scolaire, le temps qu’on permette à nos élèves de la maternelle en immersion de finir dans 15 ans. Cela deviendrait obligatoire pour tous les postes à l’échéance de la clause de droits acquis. On est en éducation. Je suis en éducation. On croit en l’éducation. On croit à éduquer les gens. Adoptons une approche éducative autant que possible. On parle souvent de chien de garde, mais je préconiserais beaucoup plus une approche éducative pour qu’on puisse partager ensemble. En faisant la promotion du bilinguisme réel et en donnant à la prochaine génération la chance d’être instruite efficacement dans les deux langues, une telle obligation du bilinguisme au travail ne serait pas vue comme un favoritisme envers les francophones, mais plutôt comme un témoignage que le Canada est un peuple uni et fier de ses deux langues.

L’éducation est l’outil par excellence pour rapprocher les deux solitudes et amener les gens à se comprendre entre eux. La force de la Loi sur les langues officielles peut jouer un rôle éducatif. Je vais vous donner deux exemples banals. Il y a 50 ans, les gens ne s’attachaient pas en voiture. On a créé une loi qui a fait grincer des dents. Il y a 30 ans, lorsque j’étais dans les salles de classe, mon enseignante fumait. C’est quelque chose qu’on ne voit plus aujourd’hui. On n’a pas empêché la cigarette. On n’a pas condamné les gens. On a créé une loi pour le bien-être de nos enfants. On pense que cela peut s’appliquer aussi pour le bilinguisme. Si de nombreux anglophones étaient contre l’idée du bilinguisme à l’origine, en 2018, les rapports indiquent que les gens font preuve de plus d’ouverture envers le bilinguisme. Il faut être ambitieux et on espère que le comité sera ambitieux avec la réforme de cette loi. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Laberge.

Maintenant, la parole est au recteur de l’Université de Saint-Boniface, M. Gabor Csepregi.

Gabor Csepregi, recteur, Université de Saint-Boniface : Monsieur le président et honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant votre comité. Je suis très honoré. Vous accomplissez un travail extrêmement important. Je suis conscient que vous avez de nombreuses personnes à entendre aujourd’hui, alors je vais essayer d’être bref et clair.

J’aimerais commencer en vous parlant d’une expérience personnelle. Lorsque je suis venu ici au Canada, il y a bien longtemps, mon désir le plus ardent était de bien apprendre le français et l’anglais. Cette consigne aussi, je l’ai reçue de mon père. Il m’avait dit : « Le monde a déjà entendu cette histoire. » Mon père m’a dit que si jamais j’envisageais de retourner en Hongrie, de ne pas y retourner sans l’excellente connaissance du français et de l’anglais. Lorsque j’étais en Hongrie, pour nous, le Canada était un pays bilingue. On a conçu ce pays comme un pays bilingue et je suis convaincu qu’on peut faire beaucoup pour mettre un relief sur le caractère bilingue. Alors, j’aimerais soulever quatre points qui touchent aux notions de l’histoire, de la culture, des études universitaires et de l’éducation.

Premièrement, j’aimerais parler d’histoire. Si on insiste sur le bilinguisme, il faut reconnaître et respecter la trajectoire historique du pays. Éliminer le bilinguisme, c’est vraiment couper le lien avec le passé et avec l’histoire, et inversement. Si on veut oublier le passé et effacer le passé, c’est aussi mettre en cause à juste titre le bilinguisme. Donc, une langue, ce n’est pas seulement un moyen de communication, un moyen d’établir des relations, d’avoir un emploi, d’obtenir des services, mais c’est aussi une capacité de retourner dans l’histoire, de prendre conscience de l’histoire et aussi de se ressourcer, si vous le voulez dans l’étude de l’histoire. Alors, s’il y a un élément qui manque dans le préambule, je fais une recommandation, à prendre ou à laisser : c’est un rappel à certains événements historiques. Pourquoi le français et l’anglais sont-ils devenus les langues officielles du Canada? Peut-être que dans un paragraphe, on pourrait faire référence à cela.

Deuxièmement, j’aimerais aborder la culture. Une langue est aussi une richesse culturelle, un véhicule indispensable de la culture. À la question —- et bien sûr, mon collègue ici a répondu assez largement —- les institutions fédérales reconnaissent-elles suffisamment l’importance de valoriser les deux langues officielles du Canada? Je répondrais non. Bien sûr, on peut parler pendant longtemps de la raison pour laquelle la langue française est absente des services. Si on considère la culture, il y a vraiment un manque d’attention prêté à cet aspect de notre vie et à cette dimension importante de l’être humain. Qu’est-ce que la culture? La culture, c’est un ensemble d’institutions, de conventions, d’usage, de pratiques et de créations propre à une collectivité et défini par une langue particulière. La culture, c’est aussi un ensemble de connaissances, de coutumes, de valeurs rituelles et de fêtes préservé par la mémoire d’une collectivité. Vous voyez, quand je parle de ces éléments de la culture, la langue traverse tous ces éléments-là. La langue est une composante essentielle de ces éléments. Alors, bien sûr, il faut parler par rapport à la langue officielle, le français. On doit parler du travail, du service, mais le mot « culture » n’apparaît pas dans le document. Je cherchais le mot « culture ». Il n’apparaît pas une seule fois. Ni le mot « histoire » ni le mot « historique » non plus. Il faut retrouver dans le document le mot « culture », peut-être donner une définition assez succincte, mais ce mot doit s’y retrouver parce que la culture est intimement liée à la langue, et la langue ne peut pas être dissociée de la culture. Si on parle par exemple de la culture franco-manitobaine, celle-ci est encore vivante et sera vivante grâce à cette langue, n’est-ce pas? L’un renforce l’autre. Alors, si on parle de l’épanouissement des communautés en situation minoritaire, ces communautés doivent vivre à travers la prestation réussie des services, mais aussi, et avant tout, à travers la culture. Dans ce document, on doit faire référence à la culture et insister sur le renforcement des cultures particulières surtout en situation minoritaire.

Troisièmement, j’aimerais parler de l’université et de l’éducation. Je suis le recteur de l’Université de Saint-Boniface. Comme vous le savez, cette université a toujours défendu la langue et la culture. Par ailleurs, cette année, nous célébrons le 200e anniversaire de l’éducation en français au Manitoba et Dieu le sait, l’Université de Saint-Boniface, le Collège de Saint-Boniface, le Collège Université de Saint-Boniface, ont joué un rôle extrêmement important dans cet effort de préserver la langue et promouvoir la culture. On doit considérer une université, qu’elle soit bilingue, anglophone ou francophone, comme une gardienne de la langue et de la culture, d’où l’importance de promouvoir les universités. Quand on parle de l’université, bien sûr, on parle de l’éducation, mais une des tâches importantes de l’université, c’est l’éducation des éducateurs, parce qu’effectivement, à l’Université de Saint-Boniface, nous avons une excellence faculté d’éducation et ce sont des éducateurs, des éducatrices qui assureront la promotion de la langue. Donc, dans le document, on doit insister sur la manière, les façons concrètes d’aider les facultés d’éducation à bien former les éducateurs et les éducatrices de demain. Apporter une aide financière concrète. Je souscris tout à fait aux propos de ma collègue, Mme L’Heureux : il faut être beaucoup plus concret dans la manière de proposer des verbes, oui. C’est tout à fait juste, n’est-ce pas? Je pense que les verbes qu’on utilise dans la loi actuelle sont assez faibles et assez flous.

À plusieurs reprises dans le document, on parle de l’instruction et non pas de l’éducation. Il y a une confusion ici. Je pense qu’il faut retrouver le mot « éducation. » Certainement, l’instruction est extrêmement importante, le développement de certaines aptitudes, l’obtention de qualifications ou de diplômes permettant aux étudiants et étudiantes de gagner leur vie. C’est extrêmement important l’instruction. Au niveau de la langue, de la musique et ailleurs. L’éducation est plus globale parce qu’elle embrasse toutes les dimensions de la personne. Je propose que l’on mette dans le document le mot « éducation » à plusieurs reprises. Aussi, il y a une confusion dans le document. Quand on parle d’enquête, on emploie le mot « instruction », mais en revanche, lorsqu’on parle de directives, l’instruction est tout à fait appropriée. Je pense que ça, ça va. Alors, d’ailleurs, dans votre questionnaire, vous faites appel à ce mot « éducation. »

Quelques mots peut-être sur le rôle du commissaire. Effectivement, le commissaire devrait jouer un rôle positif, faire des recommandations, prodiguer des conseils, offrir un soutien. J’aimerais insister sur l’importance du commissaire dans les milieux éducatifs. Il doit être présent et doit visiter les universités et les autres établissements d’éducation secondaires et de la petite enfance. Je vous donne un exemple. On insiste à juste titre sur le bilinguisme lors des réunions des représentants des universités à Université Canada. La sénatrice Gagné est tout à fait familière avec ces réunions. Les communications se font dans les deux langues, mais dans les faits, lors des réunions, tout se passe en anglais. Alors, c’est vraiment le rôle du commissaire d’insister sur le bilinguisme, n’est-ce pas, au cours des échanges ou lors des réunions où les gens s’expriment dans les deux langues pour que les présentations, les conférences, se fassent aussi dans les deux langues. Voici comment le commissaire pourrait faire des recommandations, pourrait encourager les différentes associations pour que les deux langues soient respectées et aussi, pratiquées.

Enfin, au cours de ma carrière, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui sont bilingues. Elles sont devenues bilingues non seulement parce qu’elles étaient capables d’obtenir un emploi, non seulement parce que c’était une obligation pour eux, mais aussi, parce qu’il y avait un désir fondamental chez eux d’apprendre les deux langues et de parler dans les deux langues. Certains écrivent dans les deux langues et s’expriment dans les deux langues. Dans le document, on devrait peut-être aussi insister sur l’amour de la langue, comment cultiver la langue, non seulement qu’il faut imposer une langue, qu’il faut tenir la langue comme une obligation. Une loi peut être considérée comme un pouvoir restrictif. D’accord, c’est son rôle, mais elle peut être aussi être envisagée comme une force qui incite, qui fait naître le désir chez les citoyens d’agir en harmonie, avec l’esprit de la loi. Voilà ce que je voulais vous dire. Merci beaucoup de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, messieurs, madame, pour vos témoignages.

Nous allons commencer cette conversation avec la sénatrice Poirier, la vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Merci de vos présentations. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut me dire quel est le pourcentage de la population francophone du Manitoba?

M. Csepregi : La population francophone est de 3,5 ou 3,6 p. 100, mais il faut considérer aussi les gens qui parlent les deux langues, dont certains se considèrent aussi comme francophones. Les francophiles se considèrent aussi comme francophones, alors le nombre de personnes qui parlent les deux langues, je ne peux pas vous le dire exactement, mais c’est beaucoup plus large que 3,6 p. 100 ou 4 p. 100.

La sénatrice Poirier : Monsieur Laberge, vous en avez parlé dans votre mémoire, donc on va prendre l’exemple du gouvernement fédéral qui doit continuer à augmenter l’appui financier. Est-ce que l’appui que vous recevez est basé sur le pourcentage de la population qui est considérée comme francophone? Est-ce que c’est basé sur ça?

M. Laberge : Si on parle de l’éducation en français, ce n’est pas juste la division scolaire qui recule. Il n’y a pas juste nous qui recevons des fonds, il y a les programmes d’immersion aussi, donc je ne peux pas vraiment vous parler de la partie immersion. Pour la partie francophone, oui, c’est basé sur le nombre d’élèves que nous avons.

La sénatrice Poirier : La raison pour laquelle je vous pose cette question, c’est parce qu’on a entendu d’autres témoins dans les semaines précédentes, dont bon nombre nous ont dit que la réalité des gens, des personnes bilingues qui parlent français et la réalité du nombre de personnes désignées bilingues ne correspond pas toujours exactement aux données de Statistique Canada, compte tenu de la manière dont les questions sont posées à la population.

M. Laberge : Absolument.

La sénatrice Poirier : Donc, je sais qu’il y a beaucoup de gens qui aimeraient que les formulaires soient changés, et je pense qu’il y a peut-être des travaux qui sont en train de se faire à ce chapitre, pour obtenir le vrai portrait de la population francophone, pas seulement au Manitoba, mais à la grandeur du Canada. Donc, est-ce que vous pensez que si le formulaire était modifié, votre pourcentage de 3,5 ou 3,6 p. 100 de francophones, qui n’inclut pas les francophiles, pourrait changer énormément dans la région?

M. Laberge : Définitivement. Si vous le permettez, on parle de l’article 23 de la Charte, bien entendu, dont on reconnaît présentement le paragraphe 1, mais dont on ne reconnaît pas les paragraphes 2 et 3. Et par hasard, on avait fait faire des statistiques par une firme d’avocat pour vérifier si on penchait vers les paragraphes 2 et 3. On passerait de 5 600 élèves — on parle peut-être de 12 000 ayants droit possibles — à plus de 24 000. Alors, il y a plus du double qui n’a pas accès à nos écoles parce que le recensement ne recense pas ces gens-là pour qui, souvent, le français est une langue véhiculaire. Il s’agit de gens qui arrivent d’un pays africain et dont ni l’anglais ni le français n’est une première langue, mais qui ont toujours utilisé le français pour communiquer d’un pays à l’autre, d’un village à l’autre. Ces gens-là s’expriment en français, mais le recensement n’en tient pas compte. On a des gens pour qui l’arabe peut être une première langue, mais qui, dans le quotidien, travaillent en français. Or, lorsqu’ils remplissent le formulaire, ils cochent l’anglais. Alors, effectivement, avoir quelques questions de plus dans le formulaire court, si je peux me le permettre — parce que le formulaire long est à 25 p. 100 et que le formulaire court est transmis à un plus grand nombre de gens —, ce serait vraiment très utile pour toutes les divisions scolaires du Canada, la mienne en particulier.

La sénatrice Poirier : Pouvez-vous me dire, pour les écoles qui offrent l’immersion française, si les anglophones qui veulent s’inscrire à l’immersion française peuvent le faire jusqu’à la 12e année? De la 1re à la 12e année? Je comprends si vous n’avez pas la réponse.

M. Laberge : Ça va dépendre des divisions scolaires. La problématique lorsque vous sortez du Grand Winnipeg, c’est de trouver des enseignants pour enseigner l’immersion. Il y a souvent un problème de personnel. Cela oblige la division scolaire à rassembler ses élèves dans une seule et même école, et il y a des parents qui vont abandonner parce qu’ils trouvent que l’école est beaucoup trop loin. Dans d’autres milieux, les parents vont s’apercevoir que la pénurie d’enseignants, qui est partout au Canada présentement, est encore plus grande chez les francophones en milieu minoritaire. Alors, si vous n’avez pas d’enseignants qui sont formés pour enseigner le français, pour enseigner aussi toutes les autres matières, le parent va préférer le système anglais, parce qu’il aura l’impression d’être dans un système à deux tiers. Alors, les programmes d’immersion aussi vont souvent perdre des élèves par la force des choses ou tout simplement parce qu’ils n’ont pas la capacité de les héberger dans leurs écoles.

La sénatrice Poirier : Est-ce qu’il y a des efforts qui sont faits, peut-être pas pour faire pression, mais pour encourager les gens qui prennent l’immersion française à poursuivre ensuite leurs études en français et à vivre en français quand ils vont à l’université? Est-ce qu’ils sont capables d’y aller? Les élèves inscrits à l’immersion française, quand ils ont fini leurs études secondaires, est-ce qu’ils peuvent s’inscrire à l’université francophone et est-ce qu’on les encourage à continuer à vivre en français autant qu’en anglais?

M. Laberge : Tout à fait.

La sénatrice Poirier : Quel est le pourcentage des jeunes inscrits à l’immersion française qui fréquentent l’université?

M. Csepregi : Actuellement, je dirais que c’est 30, 31 p. 100. Ce sont des étudiants qui viennent des écoles d’immersion, mais cette année, le chiffre est encore plus élevé. Cette année, c’est 40 p. 100. Si je parle des nouveaux étudiants et des nouvelles étudiantes, c’est 40 p. 100. On les encourage fortement. On fait aussi la promotion de notre université dans les écoles d’immersion. On y fait du recrutement effectivement et ils sont admis. S’ils satisfont aux exigences d’admission, ils sont admis. Il y a quand même des entrevues, par exemple, notamment dans la faculté d’éducation. On doit s’assurer que leurs compétences langagières sont à niveau, et ils doivent passer des examens pour entrer à la faculté d’éducation. Si jamais ils ont fait les trois premières années à l’Université de Saint-Boniface, cet examen ne cause pas de problème.

En revanche, il y a des études. Parce que vous savez, pour entrer en éducation, il faut compléter tout d’abord un baccalauréat général, c’est-à-dire un programme d’étude de trois ans. Si jamais ils ont fait leurs études à l’Université du Manitoba ou bien à l’Université de Winnipeg, et qu’ils viennent ensuite chez nous pour faire deux années en français, certains ont de la difficulté, alors on ne les admet pas. Il est important que les éducateurs et éducatrices qui sortent de l’université aient d’excellences compétences langagières, parce que ce sont eux qui vont enseigner à des jeunes et leur transmettre le goût du français. Ils vont effectivement enseigner le français, donc il faut qu’ils soient bien outillés pour enseigner dans les écoles d’immersion et dans les écoles de la DSFM. 

La sénatrice Poirier : Merci. Est-ce que vous faites beaucoup de recrutement à l’extérieur du Manitoba pour attirer les gens à l’Université de Saint-Boniface?

M. Csepregi : On essaie de faire plus de recrutement, mais si on pouvait recevoir plus de subventions de la part du gouvernement, on pourrait embaucher deux, trois autres personnes et faire plus de recrutement. Écoutez, l’Université d’Ottawa fait du recrutement dans les écoles de la DSFM. On peut difficilement se rendre dans d’autres provinces, parce qu’on n’a pas les moyens. On a deux personnes qui travaillent dans notre bureau de recrutement. Donc, vous voyez comment il est important de bien soutenir les universités pour que nous puissions faire plus de recrutement. On en fait, oui, mais on en fait aussi à l’extérieur du pays.

La sénatrice Poirier : Ma dernière question n’est pas une question piège, mais si je vous demandais de le faire, quelle est la recommandation que vous feriez au comité dans le cadre du volet actuel sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles? Que serait la recommandation que vous suggéreriez?

M. Csepregi : Ce serait de donner beaucoup plus d’importance à des institutions et à des établissements éducatifs. La loi ne les mentionne pas du tout. Par exemple, à l’alinéa 43(1)g), Patrimoine canadien doit :

[…] encourager et aider les organisations, associations ou autres organismes à refléter et promouvoir, au Canada et à l’étranger, le caractère bilingue du Canada;

Dans tout cet article, il n’y a aucune mention des universités, des écoles secondaires ou bien des garderies. Il faut les mentionner. Il faut les nommer, ces établissements. Ce sont vraiment des établissements qui sont les garants, les gardiens et les promoteurs de la langue. Or, on ne les nomme même pas dans la loi.

M. Laberge : Pour ma part, il s’agirait des critères visant à établir les obligations linguistiques. Je crois que c’est un manque à gagner pour les francophones hors Québec, et simplement en ajustant le recensement, nous pourrions obtenir des chiffres qui sont beaucoup plus près de la réalité en 2018 du nombre de francophones et de francophiles qui seraient admissibles à fréquenter les écoles françaises.

Mme L’Heureux : Je vais ajouter à ce que M. Csepregi a mentionné. L’éducation est importante, et l’éducation à la petite enfance est très importante. L’éducation en français, c’est un droit, mais on n’a pas droit à un service de garde en français. Alors, ça nous cause énormément de problèmes. Si on n’est pas capable d’offrir aux enfants dès la petite enfance une éducation en français, on vient vraiment de perdre la langue. Beaucoup de parents n’ont pas accès à ces services de garde. Je crois que 17 p. 100 d’entre eux au Manitoba ont accès à un service de garde en français.

L’autre chose, c’est que la terminologie utilisée dans la loi doit être plus agressive ou avoir plus de mordant. La terminologie est faible. Je trouve qu’il faut que ça soit un peu plus dur. Merci.

La sénatrice Gagné : Merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner aujourd’hui. Je voulais tout simplement vous dire que je suis toujours inspirée par vos propos, et je vous remercie de votre leadership et de votre contribution au développement et à l’épanouissement des communautés francophones du Manitoba. C’est très apprécié.

J’ai posé cette même question au président de la Société de la francophonie manitobaine lorsqu’il est venu témoigner tantôt. Le président a mentionné, évidemment, que la Loi sur les langues officielles est la pierre angulaire de l’engagement du gouvernement fédéral, mais que, ici au Manitoba, nous comptons maintenant sur le cadre législatif de la nouvelle Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, qui a été adoptée le 30 juin 2016.

Nous savons tous que l’éducation en français est non seulement un droit fondamental, mais qu’elle est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. En outre, c’est la pierre d’assise de la communauté francophone du Manitoba et de son épanouissement. Afin d’expliquer pourquoi on retrouve le terme « instruction » dans la Loi sur les langues officielles, c’est parce que l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés nous donne le droit à l’instruction. C’est donc un terme qu’on retrouve dans la Charte. Cependant, je trouve très intéressante la perspective que vous avez avancée, monsieur Csepregi, quant à l’importance de l’éducation et d’inclure la notion d’éducation au sein de la loi.

Nous savons aussi que l’éducation est de compétence provinciale et qu’une partie importante des fonds est transférée par le gouvernement fédéral dans le cadre du Protocole d’entente relatif à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement de la langue seconde. Les fonds sont gérés par le Bureau de l’éducation française qui a un mandat tout de même assez large, de la petite enfance en passant par les écoles, l’école primaire et secondaire, et ensuite l’éducation postsecondaire. En outre, nous savons qu’il y a un poste clé de sous-ministre adjoint qui a été aboli tout dernièrement, et ce, sans consultation. Malgré ces cadres législatifs en place, il y a certaines décisions qui sont prises qui inquiètent et qui trahissent une fragilisation des droits qu’a acquis la province.

Alors, pour revenir à la Loi sur les langues officielles, ma question — vous y avez fait allusion dans votre réponse à la question de la sénatrice Poirier, mais je vais la poser différemment. Quel rôle la Loi sur les langues officielles doit-elle jouer concrètement dans le domaine de l’éducation, compte tenu du fait que l’éducation est de compétence provinciale et compte tenu aussi du cadre de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés? Quelle obligation cette loi peut-elle imposer au gouvernement fédéral dans le domaine de l’éducation? En tout cas, je vais commencer avec cette question, et j’en aurai peut-être d’autres en fonction des réponses.

M. Laberge : C’est une excellente question. Merci beaucoup, parce que vous l’avez mentionné, sénatrice Gagné, c’est de compétence provinciale, mais nous recevons des fonds fédéraux. Un élément qui est très problématique, c’est de savoir où vont les fonds fédéraux et à quoi ils servent. Pour nous, il est très important que cette loi puisse devenir une loi ayant un peu le rôle de chien de garde pour que les francophones et les francophiles puissent recevoir l’argent qui leur est dû.

Vous avez fait mention du sous-ministre adjoint. Cette décision unilatérale, c’est un peu ce qu’on vit lorsque les transferts de fonds se font dans le cadre de la feuille de route, du gouvernement fédéral vers le gouvernement provincial. Alors, est-ce que nous sommes consultés? Nous le sommes parfois, et c’est comme la pointe de l’iceberg. Tout semble très beau sur le dessus, mais il y a beaucoup de glace en dessous et on n’est pas nécessairement au courant. Alors ça, c’est le premier élément.

Le deuxième élément, bien entendu, lorsqu’on parle des critères pour obtenir des obligations linguistiques, c’est qu’il y a souvent une réticence au niveau de la province si on veut établir de nouvelles écoles. Je vais vous donner un exemple très, très concret. Ici, à Winnipeg, nous avons deux quartiers en développement, Sage Creek et Transcona, où la division scolaire n’a aucune école, mais où Statistique Canada nous indique qu’il y a plus de 180 francophones à Transcona et plus de 220 à Sage Creek. Or, le gouvernement ne tient pas compte de ces nombres parce que seul le paragraphe 23(1) de la Charte est utilisé. Si ce droit aux services fédéraux en français pouvait être mis en application de façon réelle, cela nous aiderait énormément.

M. Csepregi : J’aimerais peut-être proposer deux éléments. En premier lieu, quand on prend la partie VII, je me demande pourquoi la promotion de la langue française est confiée à un seul ministère et pourquoi les autres ministères, par exemple la Santé ou l’Immigration, ou tous les ministères n’ont pas l’obligation de promouvoir la langue française. On sait très bien que l’Université de Saint-Boniface reçoit par exemple des subventions pour ses programmes offerts dans le domaine de la santé et, indirectement, nous sommes en relation avec Santé Canada. Donc, Santé Canada aussi devrait avoir l’obligation, n’est-ce pas, de promouvoir autant la langue française, bien sûr, que la langue anglaise? Je pense que cette insertion devrait être mise de l’avant.

Deuxièmement, on pourrait envisager dans la loi, et je ne sais pas sous quelle forme, que les partenariats entre le fédéral et le provincial soient davantage encouragés. Je pense ici par exemple à deux projets. Le premier projet qui est en train d’être réalisé est un projet d’infrastructure à l’Université de Saint-Boniface, et ces projets d’infrastructures sont réalisés non seulement à l’université, mais dans bien d’autres universités grâce à la collaboration du fédéral et du provincial. Le deuxième projet, c’est le projet que nous avons mis de l’avant quant à la construction d’une garderie, et dont nous attendons encore la réponse, une garderie à l’Université de Saint-Boniface, soit un centre d’excellence pour la petite enfance. Alors, là aussi, nous avons soumis une demande à Patrimoine canadien et nous attendons une réponse positive.

Évidemment, il faut que la province aussi apporte sa contribution. Il doit donc y avoir plus de collaboration, et la loi devrait inciter en quelque sorte les instances provinciales et les instances fédérales à proposer d’une manière très concrète des projets qui soutiennent l’éducation à tous les niveaux. Je pense que c’est l’une des manières de faire valoir le fait qu’effectivement, l’éducation est une affaire de la province, mais qu’en même temps, le gouvernement fédéral doit l’appuyer de façon très concrète. Il pourrait s’agir aussi — mais ça, c’est à plus long terme —, de collaborations au niveau de la recherche. La recherche évidemment est soutenue au niveau fédéral par différentes agences subventionnelles, mais il y a très peu de soutien en cours au niveau de la recherche, surtout en sciences humaines, de la part de la province. Alors, là aussi on devrait insister au niveau de la recherche qu’il y ait une meilleure entente et une meilleure collaboration entre les deux instances. Je ne sais pas si ça répond à la question.

La sénatrice Gagné : Merci. Oui, étant donné l’importance du continuum en éducation, plusieurs témoins nous ont dit que l’éducation, le continuum de l’éducation était à la base du développement et de l’épanouissement de la communauté. Étant donné l’importance du continuum en éducation, de la reddition de comptes en matière de transferts de fonds, vous l’avez mentionné, est-ce que vous croyez qu’il faudrait une partie spécifique de la loi qui traite de l’éducation? Alors, en plus de la partie VII, il y aurait une partie VIII qui traiterait spécifiquement de l’éducation.

M. Laberge : Ça serait très important. Je pense que vous l’avez mentionné, sénatrice, l’éducation, c’est la base de notre société. L’éducation en français en milieu minoritaire, c’est encore plus important. Ce continuum-là doit pouvoir survivre et il doit y avoir de meilleurs liens, afin qu’on puisse justement avoir une partie qui s’adresse à l’éducation et que la reddition de comptes y soit traitée. S’il y avait aussi des éléments liés à la recherche, comme on le mentionnait tout à l’heure, pour pouvoir aller plus loin, pour moi, ce serait un rêve.

La sénatrice Gagné : Merci.

M. Csepregi : Oui, tout à fait, je trouve que c’est une excellente suggestion. Dommage que ça ne vienne pas de nous, mais de la sénatrice.

La sénatrice Gagné : J’ai posé la question.

M. Csepregi : Je trouve que c’est tout à fait approprié. Je pense qu’il y a une partie qui doit être reliée. On comprend de plus en plus que l’éducation non seulement assure la vitalité d’une communauté, mais qu’elle a un effet énorme sur la criminalité, sur la santé, sur la cohésion de la famille. J’ai mentionné qu’elle a un effet sur la culture dans son ensemble, sur la stabilité des institutions que nous connaissons. Donc, l’éducation est à la base de tout. Et si je peux me permettre cette remarque, parce qu’on a mentionné l’abolition du poste de sous-ministre adjoint, le grand défaut des démarches entreprises par le gouvernement pour réduire le déficit budgétaire, c’est précisément de couper d’une façon unilatérale sans vraiment se soucier de savoir s’il y a des secteurs où on ne doit pas couper. L’éducation doit être considérée d’une façon différente des autres secteurs où une coupure pourrait être justifiée. Je ne suis pas en mesure de juger cela. Avec mes collègues, on essaie de présenter précisément les arguments aux représentants du gouvernement que, dans l’éducation et aussi dans le domaine de l’éducation en français, les coupures ne sont pas justifiées et ne doivent pas être mises de l’avant.

Le sénateur McIntyre : Merci. Nous sommes très heureux que vous soyez ici aujourd’hui pour répondre à nos nombreuses questions. J’aurais une question à poser à M. Laberge concernant les infrastructures scolaires, mais avant de lui poser cette question, j’aimerais faire deux petites observations.

D’abord, vous avez soulevé les mécanismes manquants pour assurer que la Loi sur les langues officielles soit pleinement appliquée, des mécanismes tels que revoir les pouvoirs accordés à la ministre du Patrimoine canadien et ceux accordés au Conseil du Trésor, en plus de renforcer les pouvoirs du commissaire aux langues officielles, et j’en passe. Je dois vous avouer que je suis complètement d’accord avec cette observation. D’ailleurs, je l’ai mentionné aux témoins du premier groupe.

En ce qui concerne ma deuxième question, elle porte sur le continuum en éducation. Comme nous le savons tous, l’idée d’assumer un continuum d’éducation en français n’est pas nouvelle. Dans le premier volet de notre étude, les jeunes nous ont soulevé l’importance d’inclure des références claires dans la loi au sujet de la petite enfance et de l’éducation postsecondaire, qui sont parties prenantes du continuum en éducation. J’aimerais faire une petite remarque ici, c’est que la ministre du Patrimoine canadien reste muette sur les engagements à prendre à l’égard de la petite enfance et de l’éducation postsecondaire, même si elle a le pouvoir de le faire en vertu de l’article 43, à la partie VII de la loi. Alors, cela étant dit, je suis ravi de constater que vos organismes reviennent à la charge avec cette idée d’intégrer à la loi les différentes composantes du continuum en éducation. Alors, félicitations, et j’ai bien aimé vos présentations à ce sujet!

Je n’ai pas l’intention de répéter tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant, donc, je reviens à M. Laberge. Monsieur Laberge, dans votre mémoire, vous avez soulevé la question des infrastructures scolaires. Je comprends que la Division scolaire franco-manitobaine vit des défis semblables à ceux vécus en Colombie-Britannique en matière d’accès aux infrastructures scolaires, et j’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet.

M. Laberge : Ça tombe bien. J’ai travaillé 13 ans pour le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, alors je connais très bien les défis qu’ils ont pu vivre en infrastructure. J’ai eu la chance de vivre ce combat-là avec eux. On vit le même combat ici, c’est-à-dire que si je retourne dans le temps il y a 15 ans, il est impossible pour les francophones d’avoir accès à un terrain. Vous connaissez la situation à Vancouver, les terrains coûtent une fortune. La majorité des terrains appartenaient au Conseil scolaire de Vancouver qui ne voulait pas les laisser aller. À Winnipeg, c’est un peu la même chose. La ville grandit, la population grandit et les droits de regard reviennent aux divisions scolaires anglaises. Par exemple, s’il y a un nouveau conseil, donc une nouvelle structure de développement, il doit y avoir mécaniquement une école sur un certain territoire. C’est ce que le développeur va se faire dire. Et on appelle qui? On appelle la division scolaire anglaise pour y construire une école anglaise et d’immersion. Nous, qu’est-ce qu’il nous reste? Il nous reste à voir s’il y a des édifices existants sur lesquels on peut compter, qu’on pourrait acheter. Parce que les terrains sont de plus en plus rares.

Dans la section de Sage Creek dont je vous parlais tout à l’heure, il y avait un édifice sur lequel on est tombé par hasard. Que ce soit la division scolaire qui soit mise au courant en premier ou que ce soit la Société franco-manitobaine, moi, ça m’importe peu, mais il faut que les francophones puissent être au courant en premier lieu, parce que, pour les Autochtones et les francophones, ça nous permettrait de jouer un jeu égal avec eux. On peut visiter l’édifice et dire au ministère de l’Éducation par la suite que nous l’avons vu et quels seraient les coûts, d’après nos analyses, pour obtenir cet édifice-là pour en faire une école, pour pouvoir pallier le manque d’écoles francophones dans la région. J’habite la région de Sage Creek et je vois des autobus passer qui se rendent à l’école de ma fille. C’est une heure de route. Ma fille est à 37 secondes à pied de l’école d’immersion qui vient d’être construite. Dans sa tête, les enfants qui vont à cette école, ce sont ses amis de la fin de semaine. Son réseau est donc séparé en deux. Alors, ces immeubles-là, si au moins nous étions les premiers avertis, nous pourrions déterminer si nous en avons besoin ou pas, mais au moins, nous aurions l’occasion de nous prononcer. Alors, c’est un enjeu vital pour nous.

Le sénateur McIntyre : Je terminerais sur cette note. Notre comité sénatorial s’est rendu l’an passé, si je m’abuse, en Colombie-Britannique et, à ce moment-là, nous avons entendu des histoires d’horreur en ce qui touche l’aliénation des terres fédérales. Cela étant dit, je fais le même constat de cette situation ici au Manitoba. Je suis complètement renversé que le gouvernement fédéral agisse de cette façon et j’ose croire que vous allez continuer vos démarches auprès des ministères responsables afin qu’ils rectifient cette situation. C’est complètement inacceptable. Merci, monsieur Laberge.

La sénatrice Moncion : Le sénateur McIntyre a joué dans mes plates-bandes, mais je vais aller plus loin avec les questions qui touchent les immeubles, parce que c’est réellement inquiétant de voir que nos fonctionnaires fédéraux n’ont pas le réflexe de vous consulter. J’irais plus loin. Quelle sorte de démarche pourriez-vous prendre pour faire appel à la loi? Il y a une loi qui existe, je pense, sur la vente des immeubles du gouvernement fédéral. Alors, qu’est-ce que vous pourriez faire pour qu’à l’intérieur de cette loi, il y ait des dispositions qui prévoient qu’avant que ce soit ouvert au grand public, les fonctionnaires soient obligés de regarder ou, à tout le moins, d’aviser les provinces, le gouvernement provincial, les commissions scolaires, et cetera? Comment pourriez-vous faire pour intégrer cet aspect à l’intérieur d’une loi, afin d’empêcher les fonctionnaires fédéraux de passer par-dessus vous? Donc, qu’est-ce que vous pourriez faire dans ce sens-là?

M. Laberge : En fait, la loi nous donne déjà ce droit. Elle est là, mais elle n’est pas appliquée, alors la procédure, est-ce qu’elle est connue? On a eu l’occasion de parler avec des fonctionnaires parfois qui nous ont dit qu’ils n’étaient même pas au courant qu’ils devaient faire ça. Alors, il y a une loi qui existe, oui. Les immeubles devraient être présentés aux Autochtones et aux francophones en premier lieu, mais lorsque le dossier arrive sur le bureau d’un fonctionnaire… Il y a tel immeuble en vente, boulevard Lagimodière. On va le mettre aux enchères. On le vend au plus offrant et personne n’est au courant. Alors, il faudrait que la loi indique la procédure, une règle de base ou une ligne de conduite qui stipule que chaque fonctionnaire doit être au courant que, lorsqu’une bâtisse est mise à jour, ça devrait se passer un peu comme à l’Association of Manitoba Land Surveyors (AMLS). Cependant, au lieu d’être envoyé à l’AMLS, ce serait envoyé aux divisions scolaires francophones de la province, à tout le moins. Je ne dirais pas « au Canada », parce que je n’ai pas l’intention d’acheter un immeuble en Ontario, mais il s’agirait que, minimalement, dans chaque province, lorsqu’il y a un édifice, que les groupes francophones soient avisés. Soit nous, soit la Société franco-manitobaine qui agit souvent comme le grand parapluie des francophones ici. Je n’aime pas utiliser le terme « taper sur les doigts », parce que je suis en éducation et il est rare qu’on nous apprenne à taper sur les doigts, mais il faut éduquer cette population et ces fonctionnaires, car je constate que la majorité des fonctionnaires ne sont pas au courant. Ceux à qui j’ai parlé au téléphone étaient comme confus et me disaient : « Je n’avais aucune idée, monsieur Laberge. » Alors, il y a quelqu’un, quelque part, qui n’a pas transféré le message.

La sénatrice Moncion : Excusez-moi, mais c’est une aberration incroyable!

M. Laberge : Je suis 100 p. 100 d’accord avec vous.

La sénatrice Moncion : Parce que ça vous donnerait, à vous, le droit de poursuivre le gouvernement fédéral.

M. Laberge : Tout à fait.

La sénatrice Moncion : Ces fonctionnaires ne respectent pas les lois, ce qui vous permettrait d’aller chercher de l’argent pour la bâtir, votre fameuse école.

M. Laberge : Je peux vous ramener aux histoires d’horreur que j’ai vécues en Colombie-Britannique. Je me souviens des horreurs. C’était plus que des horreurs. C’était du vol tout simplement, autant de la part du gouvernement fédéral que du secteur privé. Le secteur privé savait qu’on n’avait pas accès aux terrains fédéraux. Ainsi, le prix des terrains municipaux locaux qui appartenaient à des gens montait en flèche parce qu’ils savaient très bien que les francophones avaient besoin de ce secteur pour y bâtir une école, que le bâtiment de la GRC sur Cambie n’était plus disponible. Il reste une école, 18 millions. On n’a pas cet argent-là. Alors, oui, c’est aberrant. Il faut que les gens en prennent la responsabilité, et je le dis en toute humilité. Je ne dis pas qu’il y a des gens qui font exprès, mais je pense qu’il y en a qui font exprès.

La sénatrice Moncion : Ma deuxième question s’adresse plutôt à … mais je ne veux pas mal prononcer votre nom de famille, monsieur.

M. Csepregi : Ça m’arrive quelquefois. Ce n’est pas parce qu’elle est ici, mais la personne qui prononce le mieux mon nom, c’est la sénatrice Gagné. Impeccable. C’est vrai, c’est vrai!

La sénatrice Moncion : Vous avez mentionné quelque chose tout à l’heure, et je pense que ça touche chacun de vous. On parle français, mais il y a le désir fondamental d’apprendre une autre langue. Tout d’abord, combien de langues parlez-vous?

M. Csepregi : Bien, je me débrouille dans les deux langues officielles, ma langue maternelle est le hongrois, et je me débrouille aussi en Allemand à cause de ma formation en philosophie, où il le fallait absolument. Lorsque je suis au Mexique, je prends deux Coronas, et l’espagnol va bien.

La sénatrice Moncion : Cela m’amène à vous parler justement du désir d’apprendre une langue. Comment fait-on pour développer le désir d’apprendre une seconde langue? Je vais vous parler un peu de mon expérience de Franco-Ontarienne, parce que je viens d’une famille qui était exclusivement francophone. Lorsque je suis arrivée à l’école primaire, à partir de la deuxième année, je devais apprendre à parler l’anglais, et je détestais ça. Je ne voulais rien savoir, et ma mère ne nous encourageait pas non plus à parler anglais. Plus tard, au niveau secondaire en Ontario, pour pouvoir terminer nos études secondaires et recevoir notre diplôme, nous devions réussir nos cours d’anglais de 9e, 10e, 11e et 12e année. Il y a une aberration parce que du côté des anglophones, ce n’est pas obligatoire. Alors, le fait qu’il y ait une obligation n’a jamais créé chez moi le désir d’apprendre l’anglais. Évidemment, je l’ai appris. J’étais en Ontario et je me débrouillais dans les deux langues officielles. Ce qui m’intéresse, c’est le désir de l’apprentissage d’une langue. Comment développe-t-on ce fameux désir dans un système qui nous oblige à apprendre une autre langue, que ce soit le français ou l’anglais, si on se retrouve dans l’obligation de faire quelque chose? Alors, comment fait-on?

M. Csepregi : Souvent, aussi, c’est la chance, des rencontres fortuites, mais je voudrais insister sur un certain nombre d’expériences. Je pense que c’est difficile de faire naître le désir au sein de la famille parce que la dernière personne qu’on veut écouter à l’âge de 12 ans, ce sont nos parents. On ne s’intéresse pas à ce que nos parents nous disent. Plus tard, ils deviennent beaucoup plus sages, n’est-ce pas? Mais je pense que c’est le rôle des éducateurs. Il y a de très bons ouvrages de Jacqueline de Romilly, qui était une éducatrice en France. Elle a aussi développé un goût pour la littérature et elle a affiné ses connaissances de la langue française. Vraiment, ça revient aux éducateurs, les éducateurs qui ont une passion pour la langue et qui vont vraiment faire comprendre aux étudiants, aux élèves, que ce n’est pas parce qu’on veut obtenir un emploi qu’on doit apprendre le français, parce que c’est un enrichissement fondamental de l’être humain de bien connaître la langue française et les différentes créations de la langue française.

Je voulais ajouter deux autres choses. C’est que le goût doit se cultiver aussi, tout comme le goût du vin. On doit cultiver cet amour de la langue française tout au long de la vie, et quand on parle de continuum en éducation, il y a bien sûr la famille, la garderie, les écoles secondaires, l’université, mais il faut insister aussi, dans cette partie sur l’éducation, sur l’éducation permanente, c’est-à-dire l’éducation qui suit pour ainsi dire les années universitaires ou les années passées au collège. Je pense qu’on doit aussi inscrire dans la loi cet environnement éducatif dans lequel les élèves et les étudiants se retrouvent. Qu’est-ce que j’entends par là? Le théâtre, la télévision, le journal. Nous avons ici des journalistes de La Liberté. Que La Liberté soit soutenu, qu’il puisse aussi produire de très bons articles qui attirent l’intérêt des étudiants. On doit en quelque sorte créer une société éducative, n’est-ce pas, où la langue est reconnue non seulement comme un moyen de communication important, mais aussi comme une source d’enrichissement. Alors, je pense que c’est ça.

Encore une fois, je dirais que c’est la passion des éducateurs, le feu, la flamme des éducateurs qui va faire naître ce désir, et aussi si on a la chance de trouver quelques modèles. J’ai commencé à aimer la langue française à la suite de la lecture du livre Une saison dans la vie d’Emmanuel. C’était un roman tout à fait particulier, et j’ai commencé à aimer aussi Un simple soldat, de Marcel Dubé. Ainsi, la littérature peut faire naître aussi l’amour de la langue. Voilà.

M. Laberge : Si je peux me le permettre, nous avons sondé nos élèves quant à cet élément et, souvent, ils nous ont confié que le français pour eux était l’équivalent d’une langue de travail. C’est peut-être un peu la même chose pour vous en Ontario. Alors, on n’a pas fait du français une langue avec laquelle on peut s’amuser, rire ou pleurer, comme disait Gabor. Nous aimons bien notre travail, mais nous sommes heureux le vendredi quand la cloche sonne et que nous pouvons retourner à la maison pour avoir du plaisir. Alors, il faut rendre la langue amusante et vivante.

Lorsqu’on va au Mexique — on parlait du Mexique tout à l’heure —, on apprend rapidement les mots. On veut les apprendre. C’est « cerveza » et ensuite « baño », parce qu’après quelques « cervezas », c’est « baño, por favor ». Alors, c’est un peu ça.

La sénatrice Moncion : Je vais aller un peu plus loin. Les jeunes nous ont mentionné l’importance du bilinguisme, et on n’en parle pas beaucoup dans les commentaires ce matin, mais pour les jeunes anglophones qu’on a rencontrés, c’est l’un des aspects de la langue qu’ils trouvent extrêmement importants. Donc, aujourd’hui, les jeunes semblent moins vouloir s’identifier à la francophonie ou à l’anglophonie. On semble vouloir plus s’identifier au bilinguisme. Maintenant, il y a des lacunes quant à la qualité du français qui est parlé, et ça, c’est un autre commentaire que les jeunes nous ont fait en disant que, souvent, leur français n’est pas assez bon. Ils se font reprendre et ça devient dérangeant pour eux. Donc, il y a l’exclusivité aussi qui est associée à cette langue-là, et il y a tout le côté du bilinguisme. Finalement, dans tous les commentaires que vous avez mentionnés ce matin, il y a la question de l’importance des mots qui sont choisis pour renforcer la Loi sur les langues officielles. Je vous remercie de ces commentaires, et nous verrons où ça va nous mener. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Avant de passer la parole à la sénatrice Mégie, je voudrais poser une question sur ce qui donne envie aux gens d’apprendre une seconde langue. Nous sommes allés à l’Île-du-Prince-Édouard et nous avons entendu des jeunes qui sont des étudiants en immersion qui disaient que, dans le fond, on ne tombe pas en amour avec une règle de grammaire. On tombe en amour avec une activité, avec une langue, parce qu’elle nous permet de vivre des expériences authentiques et des expériences culturelles.

Vous disiez tout à l’heure, monsieur Csepregi, que 40 p. 100 de vos étudiants viennent du programme d’immersion. Est-ce qu’il y a un décalage culturel entre ces étudiants et les étudiants francophones? En d’autres mots, est-ce que les jeunes qui viennent des écoles d’immersion ont fait un lien suffisant entre la langue et la culture? Dans certaines écoles, dans toutes les écoles élémentaires que nous avons visitées à l’Île-du-Prince-Édouard, on nous parlait de lacunes à ce niveau-là.

M. Csepregi : C’est difficile à dire, mais les étudiants que j’ai rencontrés, ce sont tous des étudiants en sciences infirmières et aussi en arts. Certains qui sont en sciences se destinent à la médecine. J’ai parlé à plusieurs étudiants, et vraiment, il y a une volonté de bien parler tout de même. Il y a une volonté de bien parler et un souci de la correction de la langue. Moi, je ne pense pas qu’il y a un écart entre les deux. Peut-être qu’ils connaissent moins l’histoire de la francophonie manitobaine, je pense qu’il y a une lacune à ce chapitre, mais il y a quand même un certain respect pour la langue. Peut-être pas un amour de la langue, mais un grand respect, selon ce que j’ai constaté. Ils souhaitent se retrouver dans un milieu où ils peuvent effectivement pratiquer les deux langues. Je n’ai pas constaté un grand écart entre eux. Même les Franco-Manitobains vont aussi parfois se parler en anglais entre eux, et on ne les corrige pas. Nous sommes très heureux qu’ils soient avec nous, mais parfois, ce n’est pas tout à fait facile de faire la distinction entre un Franco-Manitobain et un étudiant d’immersion, parce qu’un étudiant d’immersion parle aussi bien la langue française que l’autre. Les deux parlent très bien. Donc, je ne vois pas cet écart ici, au Manitoba, du moins.

Le président : D’accord. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Mégie : Je voulais simplement soulever un petit point avec vous. Je regardais justement, à la suite des questions de la sénatrice Poirier, la page statistique de la langue au Manitoba, et vous aviez dit que dans les suggestions à faire, il s’agirait de modifier les critères. Les critères semblent créer de la confusion pour tous. J’ai remarqué qu’entre 2006 et 2016, sur tous les critères, il y a une baisse du pourcentage. C’est comme si tout diminue : langue maternelle, le français comme langue parlée à la maison, le français comme première langue officielle parlée. Qu’est-ce que ça veut dire pour les personnes? Il y a aussi le taux de bilinguisme français-anglais. Est-ce que ça vous inquiète, la baisse du taux pour tous les critères? Pensez-vous que c’est un biais créé par les critères ou que c’est une réalité?

M. Laberge : Est-ce que je suis inquiet? Oui. Nous sommes inquiets parce que plusieurs personnes vont se fier à ces statistiques sans jamais vraiment avoir pris le temps de les analyser comme il faut. Vous avez parlé de la langue utilisée pour poser la question. Je vous dirais que, dans le cas d’un parent qui veut inscrire son enfant à la Division scolaire francophone, il va regarder l’article 23. Neuf fois sur dix, il ne comprendra pas nécessairement le libellé, et il ne sait pas s’il est à la bonne place ou au bon endroit. Alors, c’est un peu la même chose au moment de remplir le sondage. J’ai eu la chance de travailler justement sur le questionnaire avec plusieurs de mes collègues au sein des directions générales. Même nous, nous disions que, à travers le Canada, une école d’immersion n’a pas la même signification d’une province à l’autre. Alors, pour un parent, la première langue apprise, et c’est l’autre élément qu’on voit souvent, la première langue apprise n’est pas nécessairement le français ni l’anglais, mais la personne va indiquer que c’est l’anglais de toute façon, parce que c’est sa langue de travail, parce que, parce que, parce que.

Alors, est-ce que les statistiques sont probantes? À notre avis, non. Est-ce que c’est alarmant? Oui, parce que, peu importe, s’il y a quelqu’un quelque part qui n’a pas bien rempli le sondage ou qu’on n’a pas bien posé la question, ou qu’on est peut-être en décroissance… mais je serais porté à croire le contraire, parce qu’on constate une grande demande pour l’immersion et le français dans toutes les provinces.

La sénatrice Mégie : Le lien que je voulais faire avec cette question, c’est que quand Mme L’Heureux parlait de la petite enfance, de l’école secondaire, j’ai cru comprendre qu’il y a tout de même un creux entre l’école secondaire et l’université en ce qui a trait au taux de fréquentation. C’est comme s’il y avait un creux. Je me suis demandé si c’était la baisse du pourcentage qui explique ça, ou si c’est un phénomène lié au financement, comme vous l’avez soulevé tout à l’heure.

M. Laberge : Je peux parler pour la partie du secondaire. Je vais laisser M. Csepregi répondre pour la partie universitaire. On avait commencé un sondage il y a déjà trois ans, je pense. On est allé voir les élèves du secondaire en 12e année pour vérifier pourquoi ils n’allaient pas nécessairement tous à l’Université de Saint-Boniface parce que, et pour citer M. Csepregi, l’université, c’est le seul choix. Malheureusement, pour la question du financement de notre côté, M. Csepregi pourrait en parler davantage, c’est que nos élèves n’ont pas accès à toutes les facultés de l’Université de Saint-Boniface, parce que celle-ci n’offre pas tous les programmes, faute de financement. Je suis certain que si l’Université de Saint-Boniface offrait tous les programmes, nos élèves ne s’expatrieraient pas nécessairement.

Il y aussi un manque de compréhension. Plusieurs de nos élèves ne comprennent pas qu’ils peuvent étudier deux années à l’Université de Saint-Boniface, que tous leurs cours seront reconnus et qu’après deux années, ils peuvent aller ailleurs. Ils ont la crainte de ne pas pouvoir transférer, alors ils vont tout de suite aller à Ottawa Or, il y a une offensive très, très, très marquée des universités plus riches, comme les universités d’Ottawa, de Sherbrooke, McGill et de la Colombie-Britannique. Elles arrivent dans nos écoles, et donnent des bourses de 10 000 $, 15 000 $ aux francophones. Elles se battent, alors les élèves ont le choix. Je vous dirais que plusieurs de nos élèves nous ont dit aussi — et ça, c’est à nous de travailler là-dessus – qu’ils ont l’impression qu’entre la 12e année et ce que j’appelle la première année d’université, c’est toujours le même petit groupe. Alors, au village de Saint-Jean-Baptiste, par exemple, si on était cinq en 12e année, on sera encore avec les mêmes cinq l’année prochaine. Il y en a qui se disent « bien, c’est les trois mêmes filles, les deux mêmes gars, je connais ce monde-là », ne sachant pas qu’il y a plein d’élèves internationaux et d’élèves de l’immersion. Alors, on a un travail à faire de ce côté-là aussi.

M. Csepregi : Il y a plusieurs élèves qui se cherchent une « blonde » après, et c’est normal, ils vont se retrouver ailleurs, mais ensuite, il y en a plusieurs qui reviennent de l’Université du Manitoba, de l’Université de Winnipeg, parce qu’ils cherchent un environnement plus amical. Donc, le slogan que j’emploie, c’est que – et Alain l’a bien dit — l’Université de Saint-Boniface pour les francophones, ce n’est pas le premier choix, c’est le seul choix. Alors, voilà.

Le président : Merci à nos trois témoins. Nous allons donc conclure cette séance sur ces bonnes paroles.

[Traduction]

Nous sommes maintenant ravis d’accueillir des représentantes de la section manitobaine de l’organisme Canadian Parents for French. Nous avons Mme Rena Prefontaine, présidente, Mme Krystyna Baranowski, vice-présidente, et Mme Catherine Davies, directrice générale.

L’organisme Canadian Parents for French est un réseau national de bénévoles qui reconnaissent la valeur de l’apprentissage du français et qui font activement la promotion d’occasions pour les jeunes Canadiens d’apprendre et d’utiliser le français comme langue seconde.

Bienvenue. Vous avez la parole.

[Français]

Krystyna Baranowski, vice-présidente, Canadian Parents for French - Manitoba : Bonjour, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Les membres de Canadian Parents for French - Manitoba vous remercient de cette invitation.

[Traduction]

La section manitobaine de l’organisme Canadian Parents for French, ou CPF Manitoba, fait partie d’un organisme national de bénévoles qui se fonde sur les recherches et qui fait la promotion d’occasions d’apprendre et d’utiliser le français pour tous ceux qui vivent au Canada. Nous soutenons les 82 000 élèves manitobains en français langue seconde et nous leur fournissons des services. Nous entendons par « français langue seconde » le programme de base de français dans les écoles anglophones et le programme d’immersion en français.

Nous offrons aux élèves des programmes de français langue seconde une variété d’occasions socioculturelles d’apprentissage en français, et nous sommes un chef de file dans la promotion de l’apprentissage du français langue seconde. Notre projet « Le français pour s’épanouir! » encourage les élèves à poursuivre leurs études en français langue seconde durant leurs études secondaires et par la suite, et nos certificats de mérite en français langue seconde permettent de reconnaître la réussite en français langue seconde de ces élèves au secondaire.

Notre initiative French for Life est la plus connue et celle qui a connu le plus grand succès; elle vise à encourager l’inscription aux cours de français langue seconde. Cela inclut des présentations interactives pour les élèves, des séances d’information pour les parents et les éducateurs, des campagnes de publicité visuelle à l’intention du public et un site web. L’augmentation des inscriptions dans le programme d’immersion en français au Manitoba témoigne du succès de l’initiative French for Life; nous avons actuellement un nombre record de 25 000 élèves inscrits, et cela augmente.

Un représentant de French for Life a également témoigné devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles en avril 2015, étant donné que l’initiative appuie une recommandation du rapport Viser plus haut :

Que Patrimoine canadien [...] augmente, ses investissements pour la promotion et l’enseignement des langues officielles, en tenant compte [de] la promotion active du bilinguisme, [de] la maîtrise accrue des langues officielles, [d]es pratiques novatrices et [du] financement.

Le réseau de l’organisme Canadian Parents for French avait espoir que l’initiative French for Life, à titre d’initiative promotionnelle du français langue seconde éprouvée et bien établie, serait reprise partout au Canada. Cependant, les demandes de financement à ce sujet de l’organisme Canadian Parents for French auprès de Patrimoine canadien ont été refusées. C’est décourageant, parce que nous croyons qu’une loi modernisée sur les langues officielles ne pourra être acceptée et mise en œuvre que si nous informons et éduquons la population de manière proactive au sujet de l’histoire, de la pertinence et des avantages du bilinguisme et des langues officielles au Canada.

Comment le gouvernement fédéral peut-il renforcer son soutien à l’égard de la dualité linguistique?

Le gouvernement fédéral a le devoir et le pouvoir d’offrir du soutien financier pour que tous les élèves canadiens aient l’occasion d’apprendre le français et l’anglais et d’avoir accès aux programmes de langues qui répondent à leurs besoins et à leurs aspirations; que, dans une communauté linguistique en situation minoritaire comme au Manitoba, tous les enfants puissent avoir accès à un programme de base de français dans les écoles anglophones ou à un programme d’immersion en français, que le programme de base de français soit obligatoire de la maternelle jusqu’à la 12e année et qu’il soit donné par des professeurs qualifiés; et que tous les étudiants aient accès à des programmes efficaces d’anglais et de français qui sont donnés par des professeurs compétents et qualifiés de la maternelle jusqu’aux études postsecondaires.

Le gouvernement fédéral devrait encourager et soutenir des campagnes publicitaires pancanadiennes publiques qui sont stimulantes et attrayantes et qui mettent en valeur l’histoire des langues officielles du Canada et leur importance dans la culture canadienne actuelle; qui encouragent l’apprentissage de l’anglais et du français au Canada et qui soulignent les avantages d’apprendre les deux langues officielles du Canada; qui favorisent une acceptation et une appréciation des deux langues officielles et qui s’appuient sur les forces et les avantages que procurent le bilinguisme et le multilinguisme dans notre économie mondialisée; et qui inspirent les jeunes à porter le flambeau des langues officielles et qui visent à les rendre fiers de tendre le flambeau aux générations futures.

Quelles mesures pouvons-nous prendre pour améliorer l’application de la loi?

La promotion du bilinguisme officiel est essentielle pour influer sur l’application de la loi ou son acceptation dans les secteurs de la société, les ordres de gouvernement, les milieux de travail, les établissements d’enseignement et le milieu culturel.

Nous devrions contraindre les dirigeants du secteur de l’éducation à élaborer des politiques en matière d’éducation; à offrir un financement stable; à veiller à la présence d’un nombre suffisant de professeurs formés et compétents de français et d’anglais; à faire rapport de la réussite des élèves et des programmes de langues officielles en temps opportun et de manière transparente; et à faciliter la participation des parents et des intervenants communautaires à un processus décisionnel inclusif et ouvert.

L’épine dorsale de tout programme efficace d’apprentissage des langues est la détermination et le leadership de ses professeurs. Les universités et les administrations locales au Manitoba devraient consulter d’autres provinces et fortement envisager l’utilisation et l’acceptation du diplôme d’études de langue française, qui découle du Cadre européen commun de référence, comme un outil commun pour évaluer les compétences linguistiques qui est reconnu partout dans le monde; l’option d’avoir des cours protégés pour nos étudiants bilingues qui fréquentent des universités non francophones, comme c’est le cas à l’Université d’Ottawa; des volets réservés aux diplômés en français langue seconde qui présentent une demande d’admission dans un programme d’éducation à l’université de leur choix en vue de devenir professeurs de programme de base ou d’immersion; des bourses pour les étudiants dans un programme d’éducation qui ont l’intention d’enseigner le français langue seconde au Manitoba; et des subventions considérables pour offrir du perfectionnement professionnel aux professeurs actuels de français langue seconde, leur permettre de se tenir au fait de la théorie et du matériel pédagogique et faire la promotion de pratiques exemplaires.

En ce qui a trait aux besoins en matière de recherche, il faut diffuser les rapports, les mises à jour et les réussites dans le domaine du français langue seconde aux échelles locale, provinciale et fédérale. D’autres recherches sont nécessaires sur ce que peuvent nous procurer de solides programmes de base renforcés de français et la manière de contrer la réduction des classes du programme de base de français. Par « réduction », je parle du nombre d’inscriptions au programme de base de français.

Il faut mener des recherches sur les élèves du programme d’immersion en français et du programme de base de français après leurs études secondaires. Qu’advient-il de leur français? Comment utilisent-ils le français dans leur vie quotidienne après leurs études secondaires?

Il faut activement inclure les apprenants de l’anglais comme langue supplémentaire pour favoriser leur acceptation du français. Des études pourraient se pencher sur les meilleures stratégies et les résultats en vue de rassurer les parents et d’outiller les professeurs avec les renseignements les plus récents sur l’inclusion en français.

Au Manitoba, le ministère de l’Éducation et nos établissements d’enseignement pourraient, avec du soutien et du financement, commander des études fondées sur la recherche qui portent sur l’innovation pédagogique pour motiver les élèves et maintenir le nombre d’inscriptions aux programmes de base de français et en immersion en français du primaire jusqu’au niveau postsecondaire.

Comment pouvons-nous nous assurer du respect de l’anglais et du français comme langues officielles du Canada dans un milieu sociolinguistique et démographique en évolution?

Nous devons reconnaître l’évolution démographique au Canada. Nous devons clairement faire savoir que dans un Canada bilingue le français et l’anglais font partie intégrante du quotidien et de l’identité nationale. Parallèlement, le Canada est inclusif et respectueux des autres langues, y compris des langues autochtones.

Sous sa forme actuelle, la loi est-elle encore un outil efficace pour vraiment garantir l’égalité des deux langues officielles dans la société canadienne?

Si nous voulons que la loi soit un outil efficace — à des fins de référence, de consultation et d’application — pour la population générale, les milieux de travail et les gouvernements, nous devons la moderniser, la simplifier et la démocratiser. Cela consisterait à créer une version claire, concise et compréhensible de la loi. Par exemple, nous pourrions avoir deux versions : un texte juridique et une version démocratisée.

Par ailleurs, la loi pourrait tirer profit des nouvelles technologies en vue de fournir des résumés cliquables ou des fiches d’information concernant les principaux points ou définitions. Le site web pourrait offrir des foires aux questions, de l’information accessible grâce à la synthèse texte-parole et des exemples avec des discussions sur des décisions et des mesures d’application prises concernant la loi. Nous pourrions créer une série de vignettes qui rappelleraient ce qu’a fait Patrimoine canadien au sujet de notre histoire et de notre culture — je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais je m’en souviens — pour présenter des causes juridiques importantes et les droits de tous les Canadiens d’avoir accès au français et à l’anglais. Ces vignettes seraient « médiatisées », et nous pourrions les diffuser à la télévision, sur YouTube et sur les sites web du gouvernement; nous pourrions également les rendre accessibles aux écoles et les accompagner de trousses d’apprentissage adéquates.

Le gouvernement fédéral devrait-il inclure dans les dispositions un examen périodique de la Loi sur les langues officielles? La loi devrait faire l’objet d’un examen tous les 10 ou 15 ans pour en vérifier la pertinence et l’accessibilité.

[Français]

Nous vous remercions de cette occasion de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, madame Baranowski, de votre exposé, de votre proposition précise et de vos exemples concrets.

Nous commencerons la série de questions avec la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci de votre présence ici. Nous avons rencontré à diverses reprises des représentants de l’organisme Canadian Parents for French. Je me rappelle que nous en avons rencontré lorsque nous étions à l’Île-du-Prince-Édouard. Je vous remercie énormément de votre excellent travail en vue de faire la promotion de l’importance de pouvoir apprendre les deux langues officielles.

Ma question fait suite à l’un de vos commentaires, et je vous prie de me corriger si je ne vous cite pas correctement. Vous avez mentionné que 25 000 élèves étaient inscrits à un programme d’immersion en français et que le nombre augmentait. Vous avez également mentionné que des programmes de base de français et d’immersion en français devraient être offerts de la maternelle jusqu’à la 12e année et que nous devrions l’imposer ou l’inclure dans la loi, le cas échéant.

Je crois que c’était à l’Île-du-Prince-Édouard que nous avons rencontré un groupe de personnes qui nous ont expliqué que le français appris dans le programme de base de français était limité. La majorité de ces personnes qui ont fait le programme de base de français ne parlaient pas suffisamment français pour entretenir une conversation avec un francophone et elles affirmaient que le programme consistait davantage à apprendre à dire des mots comme « fenêtre », « plancher » et « auto ».

Sachant cela, je me demande parfois à quel point nous aidons vraiment un élève qui souhaite ardemment devenir bilingue en lui offrant seulement un programme de base de français. Ne devrions-nous pas plutôt mettre plus d’efforts en vue d’accroître l’offre et le nombre de places dans les écoles ou même à l’extérieur de ce cadre pour les adultes qui souhaitent apprendre une langue seconde? Nous pourrions au moins commencer le programme d’immersion en français à un plus jeune âge. Qu’en pensez-vous?

Mme Baranowski : Je crois que l’un des problèmes avec le programme de base de français au Manitoba est que ce sont les districts scolaires qui décident d’offrir ou non un programme de base de français. La majorité d’entre eux le font, et le programme est maintenant offert de la quatrième à la septième année ou peut-être de la quatrième à huitième année. Bref, les élèves ne commencent pas à apprendre le français avant la quatrième année.

Je ne crois pas que cet aspect ait déjà été imposé, mais nous avions des gens spécialisés dans l’enseignement du programme de base de français. Il était possible de suivre une formation à l’université pour devenir professeur et enseigner le programme de base de français. Des cours étaient offerts.

La réalité est maintenant que ce travail est donné à des généralistes. Lorsqu’une personne présente sa candidature pour enseigner aux élèves des années intermédiaires, soit de la cinquième à la huitième année, elle se fait demander si elle peut enseigner le français. Si elle répond peut-être, elle est engagée. Bref, ce ne sont pas des spécialistes qui enseignent le programme de base de français. Voilà l’un des problèmes ou l’une des faiblesses du programme.

L’organisme Canadian Parents for French sera peut-être d’accord ou pas, mais je peux dire, à titre de professeure universitaire à la faculté d’éducation, que j’aimerais que le programme de base de français soit offert de la maternelle à la 12e année par des professeurs qui ont reçu une formation et qui parlent français. Ils n’ont pas besoin d’être parfaits, mais ils doivent avoir la volonté de parler français. Nous ne devons pas les forcer à le faire.

J’aimerais voir des versions renforcées du programme de base de français et des manières — je ne sais pas si ce sera un jour possible — de passer à un programme d’immersion en français à certains moments, comme à la quatrième ou à la septième année, en vue d’offrir un programme d’immersion tardive, si des élèves sont trop forts pour le programme de base de français. Le programme de base de français pourrait motiver ces élèves à poursuivre leur apprentissage dans un programme d’immersion en français, et c’est vraiment dans ce programme qu’ils auront le temps nécessaire pour apprendre le français.

En ce qui concerne ce que vous avez dit au sujet des élèves qui sont en mesure de dire « fenêtre » et « porte », il y a de merveilleux extraits vidéo sur le site web du gouvernement du Manitoba qui illustrent ce que des élèves de huitième année du programme de base de français sont capables de faire; ils peuvent tenir une conversation. C’est interrompu, mais cela illustre ce dont sont capables les élèves du secondaire. Vous les écoutez et vous vous dites — avec un peu plus d’aide ou peut-être un programme d’échange ou en passant du temps au Québec ou à l’étranger — que ces élèves présentent d’excellents résultats. Qui plus est, c’était un francophone qui leur parlait. C’est probablement la pire situation pour un anglophone, soit se trouver en présence d’une personne qui parle parfaitement français. Je ne sais pas si nous pouvons dire qu’ils sont francophones; n’empêche que les limites et la peur sont présentes. Bref, ces élèves existent et ils sont issus du programme de base de français.

La sénatrice Poirier : Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

Rena Prefontaine, présidente, Canadian Parents for French - Manitoba : Non. Je suis d’accord.

La sénatrice Poirier : C’est intéressant. Le niveau de français enseigné dans le programme de base de français varie probablement d’une province à l’autre, étant donné que chaque province a son propre système d’éducation; je le comprends. J’étais seulement curieuse.

J’ai une autre question. J’ai discuté de cet élément avec un autre groupe de témoins ce matin. Nous avons parlé des formulaires statistiques utilisés pour déterminer le pourcentage de personnes qui devraient être en mesure d’être considérées comme francophones, francophiles. Une grande partie de ce que divers groupes nous disent, c’est que les statistiques ne représentent pas la réalité en raison de la manière dont les questions sont écrites dans le formulaire.

Qu’en pensez-vous? Selon vous, si les questions dans le formulaire étaient différentes, cela changerait-il la donne au Manitoba? Le pourcentage de personnes augmenterait-il et cela contribuerait-il peut-être à accroître le financement et le niveau d’éducation que nous pourrions offrir aux gens qui le souhaitent?

Mme Prefontaine : Oui. Je suis persuadée que ce serait le cas, si les questions étaient formulées autrement.

Je suis anglophone. J’ai fait toutes mes études en français, parce qu’il n’y avait aucun programme d’immersion à l’époque où j’ai commencé la maternelle. Vous étiez donc francophone ou anglophone.

À l’époque, lorsque j’ai commencé la maternelle, c’était la première fois que les autorités permettaient en fait d’inscrire des enfants anglophones à un programme en français. Nous étions six à commencer la maternelle cette année-là, et nous étions cinq issus de familles anglophones à obtenir notre diplôme à la fin de notre 12e année. Le projet était donc une réussite.

Est-ce que je me vois comme une francophone? Non. Je me considère vraiment comme une francophile. Cependant, je demeure anglophone. Lorsque je remplis les formulaires de recensement, je trouve que... Nous en avons discuté, et j’ai eu des discussions avec mes collègues de partout au pays; à titre de francophiles, nous devrions peut-être commencer à faire valoir notre droit et à demander des services en français. Je me dis parfois qu’après les études secondaires, par exemple, à moins de travailler ou de vivre en français, c’est difficile de conserver le niveau de français qu’une personne avait lorsqu’elle a terminé ses études. Le problème est que je suis plus à l’aise à faire mes transactions bancaires en anglais, parce que je connais les termes en anglais, que c’est en terrain connu et que je n’ai pas utilisé le français depuis longtemps.

Je ne sais pas si d’autres questions doivent être posées. Je comprends que c’est difficile de le faire avec un sondage national, parce qu’il y a tellement de situations différentes et uniques. Toutefois, je crois que cela donnerait probablement une plus grande légitimité au recensement s’il y avait un plus grand éventail de questions sur la manière dont vous vous identifiez.

La sénatrice Poirier : J’ai également remarqué que vous avez parlé, dans votre exposé, de l’importance de ne pas attendre encore 50 ans avant d’examiner la loi, et vous avez dit qu’une révision s’impose. Je suis tout à fait d’accord là-dessus et je crois que beaucoup de gens en conviennent aussi. C’est ce que nous avons entendu de la part de nombreux témoins qui ont comparu devant notre comité. Je sais qu’au Nouveau-Brunswick, nous avons pris une telle mesure; nous avons fixé une date limite pour que la loi soit révisée toutes les quelques années. Selon moi, c’est ce que nous devons faire, car le bilinguisme au Canada a certes beaucoup changé depuis 50 ans. Je crois personnellement qu’il est important que la loi évolue au même rythme que la société, à mesure que nous progressons et que nous devenons un pays plus bilingue. En tout cas, je vous remercie de vos observations à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Mégie : Tout à l’heure, avec nos autres invités, il y a une question qui a été soulevée. Qu’est-ce qui donne à un enfant le désir d’apprendre une langue? Je sais que tous les parents veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs enfants, comme vous l’avez soulevé, si on veut que la personne soit capable de travailler, de s’intégrer dans la communauté, dans la dualité linguistique. Quelle est l’étincelle qui fait que le parent en lui-même souhaiterait que l’enfant aime la langue française? On a eu aussi des témoignages de jeunes qui nous disaient que ce sont leurs parents qui leur imposaient l’école en français. Il y en a qui ont bien aimé ça, mais d’autres ont dit qu’à un certain moment donné, si on leur offrait la possibilité de changer, ils changeraient. Donc, comment votre groupe, les parents de votre groupe envisagent cet aspect? Comment pourraient-ils encore inculquer à leurs enfants l’amour du français pour qu’ils restent plus longtemps immergés dans le français?

Mme Baranowski : On va partager la réponse. Je dirais que, tout d’abord, il faut rassurer les parents et il faut informer les parents. Il y a des séances d’orientation, par exemple, pour l’entrée à la maternelle en immersion. Alors là, on répond à toutes les questions et il y a beaucoup de parents qui voient la nécessité de parler le français, car c’est une porte qui s’ouvre sur les autres langues. Est-ce qu’on est citoyen du monde de nos jours? Je crois que oui. Alors, il y a une façon de vendre le français de cette manière-là, le nombre de langues qui s’approchent du français, les langues d’origine latine et même l’anglais, la compréhension de la langue, l’ouverture aux autres personnes et la capacité de vivre bien avec ses voisins. Il y a donc beaucoup de parents qui appuient ces principes. J’ai des stagiaires dans les écoles. Je parle aux parents. Alors, je pense que cet aspect est important.

Vous avez parlé d’une étincelle, et je crois que ce serait peut-être l’enseignant lui-même. Ce contact personnel, cette assurance donnée par une enseignante bien formée qui adore la langue, qui adore les élèves, qui est prête à tout faire pour ses élèves et qui planifie des sorties, des excursions, des échanges, des invités qui parlent français, je pense que ce serait l’idéal, le modèle de l’enseignant. Alors, si l’enseignant est là, l’école l’accueille et on garde toujours le contact avec les parents. L’une de mes stagiaires est maintenant enseignante en immersion, et elle a un site web. Les parents peuvent le consulter à n’importe quel moment. Il y a des photos, et c’est protégé, alors seuls les parents et les enfants y ont accès, mais ils voient les activités formidables de la classe de deuxième année en immersion française. Elle est très fière de son site qui fonctionne très, très bien. Elle a l’appui des parents, elle est très heureuse et les élèves aussi, et ça se voit.

Mme Prefontaine : Je dirais, pour la part des étudiants, qu’ils veulent rester en français en raison des programmes qu’on peut leur offrir. Alors, ici au Manitoba, on a créé le programme Jeunes artistes Manitoba. C’était une initiative du style Canadian Idol, mais pour les élèves de français. C’était une grande réussite pour nous. Comme on vous l’a déjà dit, il y a aussi le programme French for Life. Alors, il y a beaucoup d’activités et de choses que les élèves peuvent faire. Il y a des sorties culturelles dans nos écoles, et je pense que le plus de choses qu’on peut donner aux élèves à part l’éducation elle-même, c’est ce qui fait que les étudiants seront motivés de vouloir poursuivre leurs études en français, et non pas seulement parce que leurs parents l’exigent.

[Traduction]

Catherine Davies, directrice générale, Canadian Parents for French — Manitoba : Puis-je ajouter quelque chose?

Le président : Oui.

Mme Davies : Nous travaillons actuellement sur une initiative, appelée « J’enseigne en français ». Il s’agit d’une initiative promotionnelle pour encourager les jeunes à envisager l’enseignement comme une carrière viable, plus précisément l’enseignement de la langue française ou l’enseignement en français.

Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons interrogé des étudiants de l’Université de Saint-Boniface. Il s’agissait, si je ne me trompe pas, d’étudiants de première ou deuxième année en éducation. Nous leur avons demandé ce qui leur avait donné le goût d’enseigner le français. Je dirais que 99 p. 100 des réponses étaient liées au fait qu’un de leurs professeurs les avait inspirés à un moment donné. C’était tout simplement incroyable de voir tous ces commentaires. Eh bien, c’était grâce à madame une telle ou à monsieur un tel; voilà la source d’inspiration, l’étincelle.

La sénatrice Moncion : Rena et Catherine, j’étais présente au petit déjeuner que vous aviez organisé sur la Colline et, à mon avis, le travail que vous faites en matière de promotion est d’une très grande importance.

Comment votre organisme est-il perçu par les commissions scolaires francophones et anglophones? Faites-vous partie de la commission scolaire anglophone, de la commission scolaire francophone, ou représentez-vous plutôt des établissements autonomes?

Mme Prefontaine : Je vais répondre en notre nom à tous.

Il est clair que nous collaborons de façon beaucoup plus étroite avec la commission scolaire anglophone, car c’est là que les élèves en immersion française sont représentés, par l’entremise des conseils scolaires réguliers. Mais nous avons également un lien avec la DSFM, soit la division scolaire francophone. Nous avons d’ailleurs été invités à nous associer à beaucoup d’organismes francophones.

Nous sommes dans une position unique puisque nous sommes très chanceux de représenter un si grand nombre d’élèves; il est donc important que nous soyons présents à la table lorsqu’il y a des discussions sur une foule d’enjeux qui touchent le Manitoba.

En ce qui concerne l’organisme CPF au Manitoba, nous sommes extrêmement privilégiés d’avoir des partenariats avec les divers organismes. Cette année, nous avons été invités à siéger à différents conseils et comités au sein de ces organismes; il s’agit donc d’une merveilleuse année pour nous. Nous sommes très fiers de nos relations avec nos organismes partenaires dans la province. Je sais que d’autres provinces n’ont pas nécessairement ce genre d’accès parce qu’elles sont moins francophones ou moins bilingues que le Manitoba. Bref, au Manitoba, nous sommes très chanceux de collaborer étroitement avec tous ces organismes.

La sénatrice Moncion : Le hic, c’est que, dans certaines provinces, les écoles d’immersion sont perçues comme des rivales des écoles françaises. Ce qui se passe, c’est qu’un plus grand nombre d’élèves anglophones sont admis dans le milieu français et, petit à petit, ces écoles éprouvent de la difficulté à maintenir le français comme langue d’usage parmi les enfants. Il y a donc une question de concurrence dans ce contexte. Je vous remercie tout de même de votre réponse.

J’ai beaucoup aimé votre suggestion selon laquelle il faut prévoir plus de collaboration aux termes de la Loi sur les langues officielles.

Voici mon autre question : comment doit-on s’y prendre pour maintenir ses compétences linguistiques après l’école secondaire? J’ai travaillé en français pendant 38 ans. Pour ne pas perdre mon anglais, je lisais des livres, et il m’arrivait aussi de lire à voix haute quelques phrases en anglais.

Quels outils offrez-vous aux enfants après l’école secondaire, lorsqu’ils se retrouvent dans un milieu anglophone? Quels outils ou trucs leur donnez-vous afin qu’ils ne perdent pas leur français et qu’ils puissent le réutiliser aisément lorsqu’ils en ont besoin? Est-ce que vous fournissez des outils?

Mme Prefontaine : Je vais laisser Krystyna vous répondre pour ce qui est de l’éducation.

Quand un jeune quitte l’école secondaire, reçoit-il des outils? Dans mon cas, je n’ai pas utilisé le français pendant environ 10 ou 15 ans après avoir obtenu mon diplôme. La première fois que je l’ai vraiment utilisé dans un contexte d’emploi, c’est lorsque j’ai fait une entrevue à Air Canada. Eh bien, c’était terrifiant pour moi. Mais cela nous revient.

Depuis ma participation à CPF, j’ai été appelée à participer à des comités et à des conseils d’administration francophones. Une des choses que j’ai remarquées, c’est que j’ai recommencé à lire en français. Que ce soit le journal francophone ici au Manitoba ou le Winnipeg Free Press, une fois par semaine, je lis un article en français. Il se peut que le sujet ne m’intéresse guère, mais cela me permet de perfectionner mon français.

Mon beau-père était complètement anglophone. À 86 ans, il a suivi un cours de français par l’entremise d’un programme de formation continue. Il n’a jamais eu à l’utiliser, mais cela lui importait peu. Il avait toujours voulu apprendre le français et, finalement, c’est à 86 ans qu’il a exaucé son vœu.

Encore une fois, je vais laisser Krystyna répondre du point de vue des écoles, mais je crois que si vous tenez vraiment au français ou si c’est une langue que vous allez utiliser, alors il y a des moyens de s’y remettre. Je sais qu’il y a des programmes que je peux suivre. Je trouve que mon français parlé n’est pas si mal. Cela me revient. Par contre, mon français écrit est affreux en ce moment; je me fie donc à Google Translate ou à d’autres outils de ce genre. Je vais continuer d’y travailler en raison de ma participation à l’organisme Canadian Parents for French et de ma collaboration avec les autres organismes francophones.

Mme Baranowski : Pour moi, un des trucs pour ne pas perdre mon français après avoir terminé mes études secondaires… Je n’étais pas inscrite à un programme d’immersion en français. Ce n’était pas disponible. J’avais des cours de français de base, mais j’avais de très bons enseignants. Quand je me rendais à l’étranger — nous avons de la parenté en Europe, d’origine polonaise, et, du côté de ma mère, d’origine anglaise —, j’allais en France rien que pour être entourée de la langue française et pour pouvoir la pratiquer.

J’ai déjà dit à de futurs enseignants : « Payez certaines activités de votre poche; les divisions ne peuvent pas se permettre de tout payer. Allez là où vous serez entourés de gens qui parlent le français pour pouvoir le pratiquer. Faites-vous des amis francophones ici. C’est possible. Vous pouvez le faire sur le campus; vous pouvez assister à des activités. »

L’Université de Saint-Boniface a une troupe de théâtre appelée Les chiens de soleil; il nous arrive donc d’aller voir des pièces de théâtre et, par la même occasion, d’appuyer l’Université de Saint-Boniface, de nous familiariser avec l’établissement et d’y faire une incursion. Utilisez des ressources pédagogiques en français si vous voulez devenir un enseignant, mais intégrez le français, d’une façon ou d’une autre, à votre quotidien. Comme je le dis, cela peut se faire par l’entremise de petits amis; ils sont importants. Cela peut aussi prendre la forme de voyages, et il suffit parfois de faire un petit effort de plus.

Le français est très présent au Manitoba. Il y a toutes sortes d’organismes, selon vos intérêts. Si vous voulez faire de l’escalade en français, vous le pouvez. Il faut simplement que vous fassiez vos devoirs.

Et je pense qu’il faut faire valoir ce point : on devrait peut-être fournir aux élèves une trousse de départ lorsqu’ils finissent leur 12e année, et même s’ils quittent l’école avant cela, et on devrait leur en parler parce que c’est certainement utile pour leur enrichissement personnel.

M. Gabor Csepregi en a fait mention lorsqu’il a parlé de la motivation à continuer en français. Vous devez cultiver l’amour de la langue et y prendre goût. Il n’y aura aucun plaisir si vous allez être martelé, puni et forcé de parler le français dans les corridors.

Je fais partie du comité d’évaluation pour une étudiante au doctorat. Elle prépare un contexte d’apprentissage à l’École à double voie, une école d’immersion en français dans la DSFM. Elle passe en revue l’ensemble des règles et règlements, et elle examine ce qui est affiché aux murs.

Vous ne pouvez pas imposer de force le français aux élèves. Vous devez les amener à l’aimer. Je crois qu’il faudrait quelque chose comme une trousse de départ pour dire : « Voici ce qui s’offre à vous et voici les bourses et les possibilités dont vous pouvez profiter pendant vos études. »

Un certain nombre d’élèves participent au programme Explore. Heureusement que ce programme existe parce qu’à leur retour, les élèves ont confiance en eux et ils ont acquis des compétences. Ces ressources doivent être mises à la disposition des élèves lorsqu’ils terminent leurs études secondaires.

Les écoles et les divisions pourraient peut-être faire participer les parents en leur disant : « Nous allons organiser bientôt une soirée du français. » Un de mes anciens étudiants à Portage la Prairie a justement organisé une soirée du français pour les parents. Ils ont travaillé sur leurs compétences en français et en cuisine. Vers la fin, ils ont dit : « Je veux rentrer chez moi pour cuisiner en français avec mes enfants. » On parle donc de nourriture et de la vie, et on s’amuse; c’est du concret. Voilà peut-être comment nous pouvons en faire la promotion.

La sénatrice Moncion : Merci.

Le président : Notre séance tire à sa fin, mais je vais permettre au sénateur McIntyre et à la sénatrice Gagné de poser leurs questions.

Le sénateur McIntyre : J’ai deux brèves questions à vous poser.

Canadian Parents for French est un réseau national de bénévoles qui estiment que le français fait partie intégrante du Canada, et avec raison, puisque le Canada a deux langues officielles, le français et l’anglais. Il est à espérer que nous ne perdrons jamais de vue cet objectif et cette vision. J’aimerais vous entendre parler du bénévolat. Je trouve formidable que vous soyez tous des bénévoles.

Voici maintenant la deuxième partie de ma question : quel type de relation entretenez-vous avec les autres sections partout au Canada? À ma connaissance, il y a quelque 170 sections d’un bout à l’autre du pays. Êtes-vous souvent en communication avec elles? Avez-vous des échanges?

Mme Prefontaine : En ce qui concerne le bénévolat dans nos écoles ici au Manitoba, cela fait partie des exigences des écoles secondaires. Je crois que c’est une initiation à un très jeune âge. La raison pour laquelle nous nous impliquons, personnellement, c’est pour redonner à la communauté. Le fait de connaître une deuxième langue m’a procuré de nombreuses possibilités et perspectives de carrière. Alors, pour moi, il est important d’être en mesure d’aider à faire passer ce message.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, c’est-à-dire la collaboration avec mes collègues partout au pays, comme je suis la présidente de l’organisme Canadian Parents for French, nous nous réunissons en fait régulièrement par téléconférence avec les autres présidents et vice-présidents dans l’ensemble du pays. Nous nous rencontrons en personne, une fois par année, à l’occasion de notre assemblée générale annuelle. Mais nous avons également des échanges avec nos sections dans notre province. À l’issue de notre assemblée générale annuelle provinciale, les sections ont la possibilité de nous faire part de ce qui a bien fonctionné au sein de leur communauté et de ce qui a moins bien fonctionné, des difficultés auxquelles elles font face, qu’il s’agisse de transport scolaire, ou peu importe, selon la situation particulière de chaque communauté. Elles ont donc l’occasion d’échanger entre elles, de tirer des leçons et de s’améliorer.

Le bénévolat au sein de CPF est extraordinaire. Je trouve que nous comptons dans nos rangs beaucoup de bénévoles très dévoués.

Le sénateur McIntyre : Merci.

La sénatrice Gagné : Je tiens à remercier CPF Manitoba de son leadership, de sa contribution, de ses efforts et de son travail constant en matière de défense des droits. Vous aidez vraiment à changer les choses au Manitoba, notamment pour ce qui est de promouvoir des occasions d’apprentissage du français pour les jeunes Manitobains.

J’aimerais également vous remercier de maintenir des liens avec les organismes francophones. Je crois que c’est très salutaire pour eux et j’espère qu’il en va de même pour votre organisme. Alors, merci pour cela.

J’ai quelques questions à vous poser, mais je sais que le temps presse, alors je vais m’en tenir à une seule. Comment la Loi sur les langues officielles peut-elle mieux vous aider à atteindre l’objectif de votre organisme et à aider les jeunes dont la langue maternelle n’est pas le français à exprimer pleinement leur identité ou leur identification aux deux langues officielles?

Mme Baranowski : J’ai une petite idée. Dans le document que le ministère de l’Éducation du Manitoba a publié sur le nouveau programme d’immersion en français et le nouveau programme d’études, on peut voir un gros dessin en forme d’œuf, accompagné de la mention : « J’affiche ma francophonie ». Ce message s’adresse aux enfants en immersion. On dit donc : « Mon identité a changé. » C’est une évolution constante. Il y a des jours où l’on se sentira plus francophone que d’autres, selon qu’on voyage ou qu’on passe du temps à l’école ou peu importe. C’est un tremplin vers l’épanouissement. Du coup, on n’est plus un francophile; on commence à devenir un francophone. On s’identifie à la communauté francophone. On est au courant de ce qui s’y passe. Cela fait partie de notre vie. Par conséquent, il s’agit peut-être d’une question d’identité pour les élèves anglophones.

La sénatrice Gagné : Merci, Krystyna. C’est justement ce que je voulais vous demander au début, c’est-à-dire la définition de « francophone » pour un francophile ou un anglophone, ainsi que la question de savoir si le gouvernement fédéral devrait adopter une définition plus inclusive du mot « francophone ».

Mme Baranowski : Je pense que oui, absolument. Selon moi, le mot « francophile » a une connotation péjorative, et ce n’est pas pris au sérieux : « Oh, vous aimez ça; c’est provisoire. » Par contre, quand on utilise le mot « francophone » ou un autre terme, s’il y a lieu, pour vraiment désigner une personne qui travaille à forger son identité bilingue grâce au français et à l’anglais…

La sénatrice Gagné : Merci.

Le président : Merci beaucoup de vos témoignages et de votre contribution. Nous sommes très heureux d’être venus ici aujourd’hui et d’avoir entendu vos observations.

(La séance est levée.)

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