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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 5 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des Affaires étrangères et du Commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), par vidéoconférence, à huis clos, pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

(La séance se poursuit à huis clos.)

(La séance publique reprend.)

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis sénateur de l’Ontario et président du Comité sénatorial permanent des Affaires étrangères et du commerce international. Nous allons commencer par la présentation des sénatrices et des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Sénateur Stephen Green, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Woo : Sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie‑Britannique.

La sénatrice Boniface : Sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Bienvenue. Sénatrice Mary Coyle, d’Antigonish, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Al Zaibak : Sénateur Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.

Le président : Merci, chers collègues. J’aimerais, bien sûr, vous souhaitez la bienvenue à vous et à tous ceux qui nous regardent dans tout le pays aujourd’hui, alors que nous poursuivons notre étude spéciale sur l’Afrique.

Avant de commencer, j’aimerais prendre un instant pour saluer un de mes collègues, M. Stephen Greene, ici présent. Ce sera la dernière réunion de l’honorable sénateur Greene, avec nous, à ce comité. Il a été un membre très compétent et utile du comité de direction. Nous lui avons fait des adieux chaleureux au Sénat, mais j’ai pensé qu’il serait approprié de le faire ici, maintenant. Merci, monsieur Greene, de votre contribution au comité, au Sénat et à votre pays.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Vous allez tous me manquer, et tout cela me manquera. Merci.

Le président : Merci beaucoup, sénateur Greene.

Chers collègues, pour poursuivre notre étude sur l’Afrique, aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir dans la salle, avec nous, un éminent Canadien. M. Robert Fowler a beaucoup servi le Canada, ici et à l’étranger. Il est notre ancien ambassadeur et représentant permanent aux Nations unies. C’est un ancien sous‑ministre de la Défense nationale. Il a été sherpa, ou représentant personnel du premier ministre, au sommet du G7. Il a été conseiller en matière de politique étrangère et de défense auprès de premiers ministres et également envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies au Niger. Nous sommes très heureux qu’il soit avec nous, aujourd’hui, dans la salle.

Par vidéoconférence, nous accueillons M. Templar Kalundu Iga, directeur général du Centre canadien pour les affaires africaines et la recherche politique, et M. James Yap, directeur par intérim, Programme de droits de la personne à l’échelle internationale, Faculté de droit, Université de Toronto. Merci à tous de comparaître devant le comité et de prendre le temps d’être avec nous, aujourd’hui.

Avant d’entendre vos déclarations et de procéder aux questions et réponses, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes de mettre en sourdine les notifications de leurs appareils. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires de cinq minutes chacune, qui seront suivies des questions des sénatrices et des sénateurs et, bien sûr, de vos réponses en tant que témoins.

Monsieur Fowler, vous avez la parole.

Robert Fowler, fonctionnaire à la retraite, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président.

Même si je m’attends à ce que d’autres témoins l’aient dit dans de précédents témoignages, il est important de comprendre la complexité du continent africain. Il est grand : il est plus grand que la Chine, les États-Unis continentaux, l’Europe, l’Inde et le Japon réunis. En tout, il représente 20 % de la surface de la Terre. On y compte 53 États et gouvernements, 50 grands groupements tribaux, 400 sous-groupes ethniques, 2 000 langues et de nombreuses religions, ce qui fait de l’Afrique le continent le plus diversifié.

Monsieur le président, je vais utiliser le peu de temps que j’ai pour me concentrer sur le lien entre la population africaine en pleine croissance et la crise migratoire qu’elle présage. Quand nous arriverons aux questions, je me ferai un plaisir de parler plus longuement des intérêts canadiens en Afrique.

Il y a 12 ans, presque exactement un milliard d’habitants vivaient en Afrique. Aujourd’hui, le continent compte 1,5 milliard d’habitants. Selon la Commission économique pour l’Afrique, la population africaine est passée de 283 millions, en 1960, quand le Canada a commencé à s’engager en Afrique, à plus de 1,5 milliard, aujourd’hui, en 2024, soit cinq fois plus. On prévoit qu’elle atteigne 2,5 milliards, d’ici 2050, et 4,2 milliards, d’ici la fin du siècle.

Cette augmentation de 63 % sur les 25 prochaines années fera passer la part de l’Afrique dans la population mondiale, qui était de 9 % en 1950 à 28 % d’ici 2050, et à plus de 40 % de la population mondiale, qui sera de 10,4 milliards en 2100. À l’échelle mondiale, plus d’une personne sur quatre sera africaine en 2050, et quatre personnes sur dix le seront d’ici la fin du siècle.

Alors que le continent est en proie aux changements climatiques, en particulier la désertification, à mesure que le Sahara s’étend vers le sud, ces milliards de personnes seront de moins en moins capables de se nourrir et de se débrouiller seules. Elles ne resteront pas les bras croisés à regarder leurs enfants mourir de faim. À cette situation désespérée s’ajoute, dans de trop nombreux États africains, un mélange explosif : les pressions démographiques; l’extrémisme islamique violent; les coups d’État militaires et des gouvernements oppressifs et cleptocratiques; une pauvreté abjecte; la famine; la suppression des médias; la misogynie; des dirigeants incompétents et corrompus; et la négligence de l’Occident. Tout cela tombe dans la marmite apocalyptique de la misère et ne fait qu’aggraver les défis migratoires.

Les répercussions sur la stabilité politique économique européenne grignotent déjà la cohésion de l’Union européenne et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN, et la situation s’aggravera inexorablement. Alors que les frontières se renforcent, à l’intérieur de l’Afrique et bien au-delà de celle-ci, et que le littoral nord de la Méditerranée, en Europe, est considéré comme étant aussi facile d’accès que notre célèbre frontière non défendue et indéfendable avec notre voisin, lequel est de plus en plus hargneux, la stabilité de notre monde sera grandement menacée. Par conséquent, il est de notre devoir de faire tout notre possible pour parer cette catastrophe imminente, réitérer notre engagement à aider l’Afrique à surmonter ses nombreuses difficultés et encourager ainsi les Africains désespérés à rester chez eux.

La relation de l’Europe et des États-Unis avec l’Afrique a toujours été malheureuse, dominée par les ravages de l’esclavage et des politiques coloniales souvent cupides et mercantilistes. Cependant, le Canada n’a joué aucun rôle dans cette histoire et, a, au contraire, rapidement établi une relation avec de nombreux pays africains en tant que partenaire digne de confiance.

Monsieur le président, dans un monde de plus en plus petit et méchant, les gouvernements canadiens se sont repliés sur eux‑mêmes et ont adopté des positions ouvertement « moi d’abord », en fuyant toute responsabilité internationale au profit d’un avantage national à court terme. Les traditions internationales bien ancrées et fières du Canada ont été grandement affectées en conséquence, et nulle part ailleurs plus qu’en Afrique.

Cependant, nous, les Canadiens, n’avons pas le luxe de choisir quelles parties du monde nous pouvons laisser de côté. Pour servir efficacement nos intérêts fondamentaux, nous devons avoir une expertise, une vision et une portée mondiales, ainsi que des politiques et des partenariats éprouvés, qui nous permettront de réagir avec agilité partout, chaque fois où ces intérêts sont menacés.

Nous ne sommes pas, et ne serons jamais, Européens, ni Asiatiques, ni Latino-Américains, ni, bien sûr, Africains, mais cela ne veut pas dire que nous ne devons pas cultiver ces domaines pour développer et renforcer ces relations, si nous voulons maintenir notre qualité de vie privilégiée et notre indépendance. Aujourd’hui, nous devons tous être très conscients des conséquences potentielles de notre emprisonnement dans la « forteresse nord-américaine ».

Compte tenu de la situation actuelle plutôt désastreuse de l’Afrique, je pense que le Canada devrait être plus présent en Afrique et que nous devons nous efforcer d’augmenter les échanges commerciaux et universitaires, tout en encourageant des investissements canadiens plus importants et plus diversifiés et en étendant notre représentation diplomatique et commerciale dans l’ensemble du continent. Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Fowler. Nous allons passer à M. Templar Kalundu Iga, directeur général du Centre canadien pour les affaires africaines et la recherche politique. Vous avez la parole, monsieur.

Templar Kalundu Iga, directeur général, Centre canadien pour les affaires africaines et la recherche politique : Bonjour, et bonsoir de Kampala. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant votre comité pour contribuer à votre étude sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique, qui tombe à point nommé. C’est pour moi un privilège de m’adresser aux membres distingués de cette Chambre, et d’offrir des points de vue sur une question d’une importance de plus en plus stratégique pour notre nation.

Au cours des dernières décennies, l’engagement du Canada en Afrique s’est caractérisé par un cadre étroit d’aide au développement et des relations diplomatiques périodiques. Cette approche reflète souvent des paradigmes qui ne tiennent pas compte de la diversité et de la complexité du continent, ni de l’évolution de son importance géopolitique. Non seulement ces limites nuisent à des partenariats potentiels et importants, mais cela limite également les possibilités diplomatiques et économiques plus importantes du Canada dans un paysage mondial qui évolue rapidement.

La politique étrangère actuelle du Canada à l’égard du continent africain privilégie toujours l’aide au détriment des investissements mutuels et de la collaboration économique. Ce modèle, ancré dans le paternalisme postcolonial, affaiblit le pouvoir d’action des nations africaines et ne tient pas compte de la transformation structurelle qui a conduit à l’émergence du continent en tant que force géopolitique et économique.

Le rôle des médias canadiens, qui véhiculent un « récit de crise » au sujet de l’Afrique, est tout aussi troublant. Malgré la croissance économique, l’innovation et les nombreuses réformes en matière de gouvernance, le continent est souvent décrit uniquement sous l’angle des conflits, de la pauvreté et de l’instabilité. Cette représentation déformée nuit à une opinion publique canadienne favorable à un engagement plus profond et occulte la contribution de l’Afrique aux défis mondiaux comme la résilience climatique et les avancées technologiques.

L’engagement économique du Canada en Afrique reste fortement axé sur l’extraction des ressources. Même si cela a généré des profits à court terme, cela ne tient pas compte des possibilités des secteurs à forte croissance comme la technologie, les énergies renouvelables et les infrastructures. Les concurrents du Canada, dont la Chine, l’Inde et l’Union européenne, ont déjà reconnu le potentiel économique stratégique de l’Afrique, et le Canada court le risque de perdre du terrain dans un marché en pleine expansion.

Enfin, malgré les récentes annonces du gouvernement actuel, l’engagement diplomatique du Canada ne reflète pas encore pleinement l’influence croissante de l’Afrique dans la gouvernance mondiale. Les États africains s’affirment comme des chefs de file dans des domaines comme la justice climatique, la réforme du commerce et la diplomatie multiculturelle. Cependant, l’approche du Canada relègue souvent nos partenaires africains à des rôles secondaires, et limite les possibilités de collaboration sur des priorités communes.

Pour répondre aux défis et promouvoir un cadre plus élaboré pour l’engagement du Canada auprès du continent, voici ce que je propose : premièrement, diversifier les relations économiques. Il faut aller au-delà de l’extraction des ressources pour privilégier des secteurs à plus forte croissance comme la technologie, l’agriculture et les énergies renouvelables.

Deuxièmement, adapter l’aide au développement. Il faut passer d’un modèle d’aide à un partenariat axé sur le renforcement des capacités et le transfert des compétences et soutenir les programmes d’innovation et d’industrialisation de l’Afrique.

Troisièmement, améliorer les relations diplomatiques. Il faut étendre la présence du Canada dans les forums multilatéraux africains, en particulier l’Union africaine, pour engager les nations africaines en tant que partenaires égaux pour relever des défis mondiaux.

Quatrièmement, étendre la couverture médiatique. Il faut favoriser des récits équilibrés qui mettent en relief les réalités, les réussites et les contributions diverses de l’Afrique au progrès mondial.

Cinquièmement, soutenir les échanges universitaires et culturels. Il faut renforcer les liens au moyen de programmes de bourses, de collaborations en recherche et de partenariats culturels, pour renforcer la compréhension mutuelle.

La définition étroite du continent africain utilisée par le Canada l’empêche d’établir des partenariats significatifs avec un continent d’une immense diversité et offrant des possibilités pour le Canada. En adoptant une approche plus nuancée et globale, le Canada peut défendre ses intérêts tout en contribuant aux ambitions de développement de l’Afrique. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Iga. Nous allons maintenant écouter M. James Yap, directeur par intérim, Programme de droits de la personne à l’échelle internationale, Faculté de droit, Université de Toronto. Vous avez la parole, monsieur.

James Yap, directeur par intérim, Programme de droits de la personne à l’échelle internationale, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et honorables sénatrices et sénateurs, de me donner l’occasion de m’adresser à vous, ici, aujourd’hui. J’aimerais utiliser mon temps pour dire que le Canada contribue directement et efficacement aux droits de la personne et à la bonne gouvernance en Afrique grâce à ses relations économiques avec le continent. Pour ce faire, le Canada s’efforce de garantir que les entreprises canadiennes en activité en Afrique et ailleurs dans le monde respectent les droits de la personne et les pratiques de bonne gouvernance.

De nombreuses entreprises canadiennes font affaire en Afrique et, malheureusement, nous connaissons de trop nombreux exemples d’entreprises accusées d’être impliquées dans des violations graves des droits de la personne ou des normes de bonne gouvernance. Par exemple, le producteur canadien de pétrole et de gaz Talisman Energy a été accusé d’avoir aidé à la commission d’un génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, au Soudan, en 2001.

En 2019, SNC-Lavalin a plaidé coupable à des accusations de fraude et de corruption pour avoir versé des pots-de-vin à des fonctionnaires en Libye. En 2020, la société minière canadienne Nevsun a réglé une plainte au civil concernant le recours à l’esclavage, à la torture et au travail forcé ainsi qu’à des crimes contre l’humanité dans sa mine d’or, en Érythrée. Il y a de nombreux autres exemples.

Bien que de nombreuses allégations ne soient pas prouvées, cela nuit à la réputation du Canada. Les entreprises canadiennes sont nos ambassadrices non officielles en Afrique, et leur conduite et leur réputation se répercutent sur nous tous, en tant que pays. Même si c’est strictement anecdotique, je peux dire que c’est souvent la première chose que l’on mentionnait quand je rencontrais des gens en Afrique et que je leur disais que je venais du Canada.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a au moins trois choses concrètes que le gouvernement peut faire pour régler ce problème. La première, c’est d’adopter une loi obligatoire sur la diligence raisonnable en matière des droits de la personne. Cela obligerait les entreprises à prendre certaines mesures positives pour atténuer les conséquences négatives sur les droits de la personne, quel que soit l’endroit où elles exercent leurs activités dans le monde.

D’autres économies développées, comme l’Union européenne, l’Allemagne et la France, ont reconnu l’importance de ces mesures et ont adopté des lois. Le Canada a malheureusement été à la traîne, mais il a largement le temps de rattraper son retard.

Ensuite, le Canada peut également adopter des mesures pour s’assurer que les entreprises canadiennes peuvent être tenues légalement responsables au Canada. La semaine dernière, un tribunal de l’Ontario a rejeté une plainte contre la société Barrick Gold concernant de prétendus meurtres de civils dans sa mine d’or, dans le Nord du Mara, simplement parce que ces actes ont eu lieu en Tanzanie. Le Canada devrait adopter une loi pour s’assurer que les tribunaux canadiens puissent se prononcer sur les conséquences humaines des activités des entreprises canadiennes qui contribuent partiellement au financement de ces tribunaux.

Enfin, le gouvernement peut modérer le soutien consulaire qu’il offre souvent sans réserve aux entreprises canadiennes mêlées à des polémiques en matière de droits de la personne à l’étranger. Bien sûr, le rôle des ambassades et des consulats canadiens est de protéger les intérêts des Canadiens à l’étranger. Cependant, le Canada est souvent intervenu dans ces différends pour aider les entreprises canadiennes à se soustraire à leurs responsabilités en matière de droits de la personne. Cela ternit notre réputation car nous sommes associés à ces prétendues violations des droits de la personne, et le Canada doit adopter une approche plus mesurée dans ces circonstances.

Encore une fois, merci de m’avoir invité ici. J’attends vos questions avec impatience.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Yap.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Bienvenue à tous nos témoins. Pendant que j’écoutais les trois témoins, je me suis dit que la composition de ce groupe de témoins est assez inhabituelle, et je voudrais essayer de concilier cet aspect des choses dans les recommandations que nous présentons au gouvernement.

Ma première question s’adresse à vous, monsieur Fowler. Je sais que vous avez fait preuve d’une grande fermeté sur la question, et je crois que vous avez même parlé de la « marmite apocalyptique de la misère » et du danger qui nous guette si l’on ne réagit pas, si l’on ne se prépare pas et si l’on ne se donne aucun rôle. Mais je sais que vous vouliez en dire davantage, et vous n’avez pas eu l’occasion de faire.

J’aimerais savoir comment vous concilieriez la nécessité urgente pour le Canada de se réveiller et de prêter attention, en particulier à la crise migratoire que provoqueront les changements climatiques, la désertification, et cetera, avec ce qu’a dit M. Iga, qui nous demande d’examiner sérieusement le potentiel du continent africain, d’examiner d’un autre œil notre relation avec l’Afrique et les institutions africaines, en ce qui a trait aux relations économiques, d’adapter notre aide au développement pour qu’elle s’inscrive davantage dans une démarche de partenariat, et cetera. Je pourrais continuer longtemps. Pourriez-vous nous aider à concilier ce que vous venez de dire dans votre témoignage et ce que M. Iga a dit? Que diriez-vous à ce sujet? Comment trouver l’équilibre entre ces choses?

M. Fowler : Sénateur Coyle, je ne peux pas concilier tout cela, certainement pas pendant le temps que votre sévère président va m’accorder.

Ma relation avec l’Afrique a commencé quand j’avais 19 ans, lorsque j’enseignais au Rwanda. J’ai visité 37 pays africains. Je n’y suis jamais resté très longtemps, mais j’avais des titres qui me permettaient d’avoir accès à des personnes clés dans ces pays. Par conséquent, je pense avoir une compréhension raisonnable de l’Afrique d’hier et d’aujourd’hui.

J’ai beaucoup de choses à dire sur la présence diplomatique du Canada dans le monde... et sur son absence. Cela ne s’applique pas seulement à l’Afrique, mais au monde entier. Notre diplomatie a terriblement souffert d’un manque criant de fonds et, en effet, d’une mauvaise orientation. Je dirais que j’aimerais que cela change, certainement en Afrique.

Comprendre l’Afrique demande du temps, des efforts et de la concentration. Il faut avoir des experts africains, pas nécessairement des personnes qui passent par le ministère des Affaires étrangères ou par le Service extérieur, qui s’occupent aujourd’hui du commerce et demain s’occuperont de l’Afrique centrale. Je crois en l’expertise. J’aimerais qu’elle retrouve sa place; autrement, nous n’allons nulle part.

Les arguments que les autres témoins ont avancés ne m’ont pas surpris; je les ai déjà entendus. Je suis certain qu’ils ont déjà entendu les miens. Ce dont l’Afrique a besoin, c’est d’investissements étrangers en abondance. Elle reçoit déjà beaucoup plus de fonds venant de son importante diaspora, qui s’agrandit de plus en plus en raison de la crise migratoire que j’ai mentionnée. Les envois de fonds sont une source majeure, bien plus importante que l’aide publique au développement, ou l’APD. De plus, les investissements directs étrangers font des choses que l’APD ne fait pas; ils créent des emplois, des activités financières, de la croissance, ce que l’APD ne fait pas.

Le président : Je m’excuse, monsieur Fowler, de vous interrompre, mais je suis certain que nous reviendrons sur ces questions.

Le sénateur Ravalia : Je remercie les témoins. J’aimerais revenir à vous, monsieur Fowler, pour faire suite à ce que mon collègue disait. D’après votre vaste expérience sur le continent, y a-t-il des erreurs historiques ou politiques que le Canada devrait corriger ou reconnaître pour renforcer sa stratégie, dans le cadre de cette étude?

M. Fowler : Eh bien, sénateur, à mon avis, la plus grande erreur, c’est que notre association avec ce continent et les 53 États membres est épisodique. L’Afrique était très importante pour nous dans les années 1960 et 1970. Elle est devenue moins importante, puis plus importante. Soudainement, nous allions nous concentrer sur l’Amérique latine, parce que l’Afrique était libérale ou quelque chose du genre.

Je pense donc qu’un peu d’attention, de la concentration et une accumulation de connaissances et d’expériences seraient une très bonne idée. Encore une fois, ce commentaire ne se limite pas à l’Afrique, mais il s’y applique parfaitement.

Dans mes courtes observations, j’ai mentionné que le Canada semble se replier sur lui-même. Neuf pour cent de l’APD, aujourd’hui, est envoyée à l’Ukraine. Un très grand pourcentage de notre APD, dans le passé, était destiné à l’Afghanistan et à l’Irak. C’est compréhensible, selon moi, mais il est certain que cela se fait au détriment des plus nécessiteux et des régions les plus démunies du monde.

Je ne suis pas contre l’APD; elle a sa place, et je pense qu’elle sera de plus en plus orientée vers l’aide humanitaire parce que, je le crains, la situation dans de nombreuses régions de l’Afrique s’aggrave.

S’il y a une région que je connais assez bien, c’est certainement la région du Sahel. Ceux qui vivent sur ces 7 000 kilomètres s’étendant entre Mogadiscio et Nouakchott vivent une situation désespérée en ce moment, et cela ne fait qu’empirer. Des milliers d’écoles sont fermées chaque mois, à mesure que les terroristes djihadistes s’emparent de pratiquement tout, dans la région, y compris des gouvernements.

En ce qui concerne l’aide humanitaire, j’ai eu l’honneur de représenter le Canada pour trois agences alimentaires de l’ONU, à Rome, entre autres choses. Dans le cadre du Programme alimentaire mondial — la plus grande organisation de l’ONU —, j’ai pu constater une tendance à une dépendance de plus en plus grande à l’égard des denrées alimentaires dans cette partie du monde, parce qu’il y a de moins en moins de terres pour cultiver, puisque le Sahara s’étend vers le Sud. Nous devrons investir davantage dans les denrées alimentaires. Comme vous le savez tous, le Canada fournissait du blé à une grande partie du monde; nous le faisons beaucoup moins, aujourd’hui

Il y a aujourd’hui une ruée vers l’Afrique. La Chine et la Russie ne se soucient pas beaucoup des choses dont certains des autres témoins parlaient. Elles veulent simplement l’aide financière. Je n’ai pas tendance à prêcher sans cesse au monde ce qui est juste, bon et approprié, parce que nous sommes nous‑mêmes si formidables. Il serait bon d’en faire un peu moins.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous tous d’être ici. Je commencerai par M. Yap. Ma question porte sur l’ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises, une fonction qui a été créée par le gouvernement en 2019, pour faciliter le traitement des plaintes contre les entreprises canadiennes qui exercent leurs activités à l’étranger. Vous en avez parlé plus tôt. Depuis la création de cette fonction, bon nombre l’ont qualifiée de fonction sans mordant, qui n’a pas le pouvoir d’exiger des documents ou des témoignages.

Plus tôt cette année, le gouvernement a dit qu’il procéderait à un examen de ce bureau et déciderait s’il convient de lui accorder davantage de pouvoirs. Je n’ai pas trouvé d’information permettant de savoir si cet examen est terminé ou s’il est toujours en cours. Mais voici ma question : selon vous, quelle a été l’efficacité de cette fonction, et quels pouvoirs ou quelle autonomie devrait-on lui accorder pour faire une réelle différence dans ce rôle?

M. Yap : Pour répondre à votre question, et en précisant qu’il s’agit de mon point de vue personnel, tel que je peux le formuler en m’appuyant sur l’impression de la société civile et sa réaction jusqu’à présent à l’égard de l’ombudsman — et la société civile a beaucoup collaboré pour tenter de faire participer cette fonction en toute bonne foi et tenter de voir quels avantages elle peut offrir —, malheureusement, la manière dont cette fonction a été exercée a suscité une grande frustration, qui a abouti à l’actuel sentiment d’incertitude, comme vous l’avez dit, quant à l’avenir de cette fonction.

Encore une fois, je pense que l’impression générale, c’est qu’une grande partie des lacunes de cette fonction sont dues au fait qu’elle n’a pas eu l’occasion d’avoir un effet significatif, puisque, entre autres choses, comme vous l’avez dit, elle n’avait pas le pouvoir d’exiger des documents des entreprises canadiennes ou leur participation. De plus, je crois comprendre qu’elle n’est pas bien dotée en ressources et qu’elle ne dispose pas de la capacité nécessaire pour traiter le nombre de plaintes qu’elle reçoit.

En résumé, pour renforcer la confiance de la société civile à l’égard de cette fonction, il est certain que le fait d’offrir ou d’accorder plus de pouvoirs serait une étape importante. Et je suppose également que le fait de lui accorder davantage de ressources pour traiter les plaintes de manière plus rapide et plus efficiente — parce que les retards perçus dans le traitement des plaintes ont suscité beaucoup de frustration —, à mon avis, serait également très utile. Merci.

La sénatrice M. Deacon : Le collègue à l’écran aimerait-il également commenter avant que mon temps soit écoulé?

M. Iga : M. Yap a raison. L’organisation doit avoir plus de mordant, plus de financement, plus de talents, et a besoin d’un mandat soutenu par les Canadiens et les législateurs.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je vais commencer par M. Fowler. En tant qu’ancien sherpa, vous avez certainement assisté et conseillé notre gouvernement sur plusieurs éléments durant les différents sommets. Nous présiderons le prochain Sommet du G7. Si vous aviez une recommandation spécifique à faire à notre prochain sherpa pour le sommet que le Canada accueillera, quelle serait‑elle?

[Traduction]

M. Fowler : Sénatrice, je pense que si je faisais des recommandations, ils ne m’écouteraient pas, mais c’est une autre question.

À l’époque, j’étais le sherpa du G8 pour la dernière réunion de Kananaskis, mais pendant six ans, j’ai fait une chose parallèle appelée le représentant personnel sur l’Afrique, ou le sherpa africain. Les sherpas réguliers détestaient l’idée qu’il y avait d’autres sherpas, mais pendant six ans, il y en a eu. Nous avons fait beaucoup de choses, notamment la pièce maîtresse du sommet du G8 de Kananaskis en 2002, c’était un engagement très ciblé envers l’Afrique que mon collègue français, Michel Camdessus, appelait les « 110 commandements ». Et il s’agissait du résultat d’une convergence assez heureuse, parce que cinq dirigeants africains venaient de cofonder le NEPAD, le Nouveau partenariat pour l’Afrique, et le plan d’action de Kananaskis pour l’Afrique était la réponse.

Ce que j’aimerais dire, sénatrice, c’est que nous devrions essayer de rétablir ces 110 commandements, mais je ne pense pas que cela fonctionnerait aujourd’hui pour des raisons canadiennes et africaines.

Tout le plan d’action pour l’Afrique et le NEPAD reposait sur la prémisse que l’Afrique ferait des choses auxquelles nous, les pays industrialisés, répondrions, de sorte que l’Afrique assumerait la responsabilité de ses actes et ne se plaindrait pas indéfiniment du colonialisme et de son passé colonial. Il y a beaucoup de raisons de se plaindre; j’en conviens. Mais les Africains doivent aller plus loin, se tourner vers l’avenir et miser sur l’avenir plutôt que de simplement s’inquiéter du passé.

Dans l’affaire du NEPAD, ils se sont engagés à avoir un gouvernement honnête et responsable, en s’assurant que les femmes auraient un plein rôle à jouer au gouvernement et dans les médias, à veiller à ce que les médias soient justes et sans entraves — par rapport à un certain nombre de ces engagements — et à rendre des comptes et exposer leur rendement au jugement international. Très peu de tout cela est arrivé.

C’est pourquoi j’ai du mal à dire : « Oubliez cela, mais concentrons-nous sur ce que nous pouvons faire de plus. » J’aimerais me concentrer sur ce que nous pouvons faire de plus, mais je pense que la responsabilisation africaine, au chapitre de son rendement actuel, est essentielle pour attirer plus d’attention sur l’Afrique.

Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie, monsieur Fowler, et je remercie nos autres témoins. Ces dernières années, nous avons vu un déclin de la visibilité et de l’influence du Canada sur le continent africain, alors que d’autres puissances mondiales, particulièrement la Chine, ont élargi de manière importante leur empreinte politique, économique et leur empreinte en matière de sécurité. Bien que la présence de la Chine soulève souvent des préoccupations concernant la gouvernance et la durabilité, elle représente également une occasion pour le Canada d’explorer des domaines d’intérêt mutuel ou d’engagement complémentaire.

Comment le Canada peut-il trouver le juste équilibre entre ses valeurs de droits de la personne et de bonne gouvernance et les réalités complexes de l’Afrique, tout en déterminant les domaines où la collaboration stratégique avec la Chine pourrait renforcer les objectifs de développement commun et la stabilité régionale?

M. Fowler : J’ai passé beaucoup de temps en Angola pour essayer de mettre fin à la guerre civile de 27 ans là-bas, qui a eu des répercussions dévastatrices sur les Angolais. L’Angola aujourd’hui est le pays où la Chine a la plus grande présence en Afrique, et ce n’est pas par hasard que ce soit là que se trouve l’ex-président Biden en ce moment.

Le Canada a participé aux activités du tiers monde pour les industries extractives avec un certain succès, mais essentiellement, la Chine s’intéresse aux ressources africaines. Elle n’a aucun programme politique, mis à part le fait qu’elle veut augmenter son influence et encourager les gouvernements africains à appuyer les objectifs mondiaux de la Chine. Elle n’attache à son aide ou à ses investissements aucune préoccupation du type dont nous avons discuté à la table ou dont d’autres témoins ont discuté.

Je ne pense pas un instant que la participation du Canada, ses investissements commerciaux ou son engagement extractif en Afrique devraient être parfaitement sans entraves. Mais si nous nous soucions des droits de la personne, je serais très inquiet de l’augmentation par milliards du nombre d’Africains qui meurent de faim ou sont autrement accablés. Ça ne veut pas dire que je ne veux pas que nos entreprises se comportent correctement où qu’elles soient, mais je pense qu’il est essentiel que l’investissement qu’apportent ces entreprises et que les emplois et les avantages économiques qu’elles apportent aux pays dans lesquels elles exercent des activités constituent une amélioration importante des droits de la personne. Nous devrions garder cela à l’esprit.

Je ne pense pas, sénatrice, qu’il y ait une énorme synchronicité possible entre le Canada et la Chine en Afrique. Je pense que nos objectifs sont très différents.

Le sénateur Woo : Monsieur le président, j’aimerais revenir sur vos commentaires concernant une approche canadienne aux droits de la personne en Afrique et demander à M. Yap d’en dire plus sur son idée d’une nouvelle législation pour surveiller et faire appliquer les droits de la personne et sanctionner les violations des entreprises canadiennes à l’extérieur du Canada. On dirait une version améliorée de la Foreign Corrupt Practices Act des États-Unis.

Comment nous y prendrions-nous, et quelles normes utiliserions-nous? Et si — et c’est probablement un scénario très probable — notre définition et notre norme des violations des droits de la personne ne sont pas les mêmes que celles auxquelles le pays africain adhère? Comment réagissons-nous au commentaire très sage de M. Fowler, à savoir que, à certains égards, la politique canadienne dans son ensemble est un plus grand défi pour les problèmes qui touchent les droits de la personne en Afrique, compte tenu de notre négligence cruelle des crises humanitaires qui surviennent sur le continent?

M. Yap : Merci, sénateur Woo. Il y a beaucoup d’éléments à décortiquer. Tout d’abord, je vais expliquer ce que je veux dire quand je parle d’idées de loi. Je vais donner un exemple brièvement, qui est un projet de loi d’initiative parlementaire. J’oublie le numéro — excusez-moi —, mais il imposerait des normes de diligence raisonnable en matière de droits de la personne obligatoires pour les entreprises canadiennes et ferait en sorte que le non-respect de ces normes puisse faire l’objet de poursuites devant les tribunaux canadiens.

Le problème est ce que le regretté John Ruggie, un Canadien qui a été représentant spécial du secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme, a appelé un « écart de gouvernance ». Dans un monde de plus en plus interconnecté, il y a un écart entre les activités transfrontalières d’entreprises multinationales et la capacité des institutions juridiques et nationales de garantir leur bonne conduite. Cela n’a rien à voir avec le fait de dire que nous sommes mieux qu’eux ou quoi que ce soit; il s’agit simplement de s’assurer qu’il n’y a pas d’écart au chapitre de la responsabilisation à mesure que notre économie devient de plus en plus mondialisée.

Pour essayer de répondre à la question de manière succincte, il y a beaucoup d’obstacles logistiques, juridiques et autres pour tenir les entreprises canadiennes responsables des violations des droits de la personne reconnues à l’échelle internationale, comme les violations de la loi sur les droits de la personne internationale que le Canada et de nombreux pays du monde, dont en Afrique, ont tous accepté de respecter. J’ai mentionné plus tôt dans ma déclaration liminaire les exemples de l’esclavage, de la torture, des crimes contre l’humanité et du travail forcé. Ces exemples sont mondiaux et universels. Mais il y a un écart dû aux obstacles logistiques, juridiques, et autres dans la capacité des tribunaux canadiens ou des avocats canadiens de tenir les entreprises canadiennes responsables devant les tribunaux canadiens pour complicité dans de telles violations des droits de la personne reconnues à l’échelle internationale.

En ce qui concerne les propos de mon collègue, je reconnais que je suis très désavantagé vu son énorme et impressionnante expérience sur le continent, mais j’ai une expérience limitée pour ce qui est de déterminer les répercussions sur les droits de la personne d’une entreprise canadienne sur le continent, et j’aimerais mettre en doute cette impression selon laquelle les entreprises canadiennes obtiennent en quelque sorte de meilleurs résultats que les entreprises chinoises pour ce qui est des répercussions sur les droits de la personne. Je répète : je n’ai pas autant d’expérience sur le continent que mon collègue, mais dans la mesure où je me suis renseigné à cet égard au sujet des entreprises minières canadiennes et des entreprises minières chinoises actives dans le même pays, je n’ai pas trouvé que les gens à qui j’ai parlé dont l’expérience est comparable ont souligné une différence remarquable pour ce qui est des répercussions sur les droits de la personne des entreprises canadiennes et chinoises.

Le président : Merci. Le temps est écoulé, mais je voulais vous laisser terminer votre idée, et je pense que vous l’avez fait. Merci, monsieur Yap.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup à tous les témoins. Il est toujours difficile de tout dire en quatre minutes, mais j’aimerais avoir une réponse de chacun d’entre vous : qui s’en sort mieux? Si nous devions regarder un pays qui fait du bon travail en Afrique ou donne des conseils sur les bonnes choses, qui s’en tire mieux?

M. Fowler : Les Scandinaves.

La sénatrice Boniface : Donc la Norvège, la Suède et la Finlande.

M. Fowler : Essentiellement la Norvège et la Suède. Les Finnois ont un programme plus petit, mais il est très bon. Le Danemark aussi, mais la Norvège serait ma candidate favorite.

Nous devrions prendre un peu de temps pour définir de quoi il s’agit. Je parlais en fait de l’aide au développement officielle après vous avoir dit que je ne pensais pas que l’aide au développement officielle était si importante. Les Norvégiens concentrent leur aide au développement officielle. Tout d’abord, les Norvégiens y consacrent environ 1,2 % de leur PIB; nous sommes à 0,24 %, ou à peu près. Mais c’est un petit pays, et nous sommes un grand pays. C’est un pays riche; nous le sommes moins.

Jusqu’à récemment — je ne connais pas les faits aujourd’hui; je ne suis pas à jour — son programme de développement en Afrique était offert dans moins de 10 pays. Nous distribuons un peu à tout le monde et nous pensons que c’est ce qui fait qu’ils nous aiment.

Et les Norvégiens y sont pour le long terme. Ils passent beaucoup de temps à réfléchir à ce qu’ils font et moins de temps à envoyer des parades infinies de bureaucrates prendre le temps de l’ensemble du gouvernement pour lui dire à quel point ils sont gentils.

La sénatrice Boniface : Monsieur Yap, qui a des lois dont nous pouvons nous inspirer?

M. Yap : Pour ce qui est de la diligence raisonnable en matière de droits de la personne obligatoires, comme je l’ai dit plus tôt, la France a été la pionnière. L’Allemagne et l’Union européenne sont deux exemples d’administrations qui ont depuis présenté des lois similaires.

En ce qui concerne la responsabilité des tribunaux nationaux, les États-Unis ont un texte de loi appelé Alien Tort Statute, qui a, dans une certaine mesure, réussi à permettre certaines formes de responsabilisation, sur le plan juridique, pour les répercussions extraterritoriales des activités commerciales qui concernent les droits de la personne reconnus à l’échelle internationale, encore une fois.

M. Iga : Je dirais que la Türkiye et la Suède ont beaucoup d’avance sur nous. Je vais vous donner un bon exemple. Business Sweden est une organisation parfaite à examiner pour savoir comment mobiliser les possibilités africaines pour les organisations canadiennes sur le continent. Nous avons notre Service des délégués commerciaux, mais si vous le comparez avec ce que font les Suédois, ils ont une approche beaucoup plus intentionnelle. Ils sont sur le terrain. Ils sont beaucoup plus visibles. Ils ont une meilleure image de marque. Vous pouvez donc les chercher partout. Nous devrions envisager de faire la même chose.

En revanche, la Türkiye est beaucoup plus dynamique. Elle a beaucoup plus de présence, beaucoup plus de vols; elle est partout. Elle se trouve sur tout le continent. Elle ne s’inquiète pas du fait que vous soyez un pays chrétien ou musulman; elle est partout et elle est très aidante. Et comme M. Fowler l’a dit, elle ne prêche pas.

Le président : Nous commençons notre deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins qui sont à l’écran. Monsieur Yap, je voulais revenir sur les deux propositions de loi dont vous avez parlé. La France est très controversée en ce moment en Afrique, notamment parce que les entreprises françaises sont très impliquées dans la corruption du continent africain. Je suis surprise qu’ils aient une telle loi et j’aimerais en savoir plus. Est-ce qu’elle est nouvelle et est-elle vraiment appliquée?

Pour M. Iga, je ne sais pas si vous avez pu nous parler de l’African Growth and Opportunity Act, qui a des critères quand même assez importants et intéressants sur les plans de la gouvernance et de la démocratie en Afrique; est-ce que c’est un modèle dont on pourrait s’inspirer?

M. Yap : Merci pour votre question, sénatrice Gerba. Les problèmes qu’a la France par rapport à son engagement en Afrique, dont elle a hérité principalement en raison de son histoire coloniale sur le continent, comptent parmi plusieurs facteurs, bien sûr. Pour donner des précisions sur la question de votre collègue, ce n’était pas par rapport aux engagements des pays sur le continent africain, mais plutôt par rapport à ceux qui avaient des lois qui avaient été examinées en tant que modèles pour la loi que l’on pourrait adopter ici.

Je vous conseille d’examiner la législation sur le devoir de vigilance pour voir si la France peut être un exemple que l’on peut suivre au Canada, en mettant de côté les problèmes de la France en ce qui a trait à son engagement auprès du continent. Merci.

[Traduction]

M. Iga : Je vous remercie de la question. En ce qui concerne l’AGOA, je ne pense pas que nous devrions la considérer comme un modèle. L’AGOA a été utilisée comme carotte politique, comme carotte économique, et nous ne devrions même pas envisager d’établir des modèles similaires.

Nous devons vraiment réfléchir aux ententes qui circulent autour de partenariats véritables. Aujourd’hui, j’ai rencontré le ministre de la vice-présidence en Ouganda; je suis à Kampala. Hier, j’ai rencontré le ministre du Commerce. Ils ont été clairs ici en Ouganda pour dire qu’ils ne recherchent pas d’investissements; ils recherchent des partenariats à long terme. Les partenariats à long terme exigent des perspectives stratégiques à long terme, et ils ont aussi besoin, faute d’un meilleur mot, d’accords et d’ententes contractuelles, pas seulement de protocoles d’entente, mais d’accords de libre‑échange et d’accords. Ils ont été très clairs en disant qu’ils ne veulent pas de partenariats à long terme. Et je ne pense pas que l’AGOA convienne.

Le sénateur Al Zaibak : La question s’adresse à M. Iga. Quels domaines principaux le Canada devrait-il privilégier pour regagner son influence en Afrique et renforcer ses partenariats sur le continent?

M. Iga : Merci de la question. Chez nous, nous devons nous rappeler que nous disposons d’une image de marque fantastique. La marque Canada est exceptionnelle. Elle est exceptionnelle partout, dans chaque espace, dans chaque secteur. Nous faisons une mauvaise utilisation de notre marque. Nous devons vraiment réfléchir à la façon de mobiliser l’Afrique en tant que marque. Nous devons vendre notre marque, vendre nos valeurs à l’aide de la marque. C’est ce qui concerne nos activités chez nous.

Sur le continent, nous devons être préoccupés par notre harmonisation avec notre partenaire stratégique au Sud et nos partenaires de l’OTAN au Nord. Nous devons créer notre propre chemin vers l’Afrique. Je ne peux pas vous dire à quoi cela ressemblerait, mais le continent considère toujours le Canada comme une autre Amérique ou une autre Europe, ou une autre OTAN. Nous devons veiller à ce que tout ce que nous établissons ici avec nos partenaires africains soit unique au Canada.

Le président : Merci beaucoup. C’est une excellente façon de terminer la réunion.

Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins — Robert Fowler, présent dans la salle; par vidéoconférence, Templar Kalundu Iga, à Kampala, en Ouganda; et James Yap, de Toronto — d’avoir répondu de manière si franche aux questions des sénateurs. Vos commentaires ont été excellents et enrichiront la préparation de notre étude.

(La séance est levée.)

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