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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 11 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter M. Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Merci à Leurs Excellences d’être parmi nous aujourd’hui. Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Mohamed-Iqbal Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue, Excellences.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Cap-Breton, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique. Bienvenue.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse. Bienvenue.

La sénatrice Greenwood : Bonjour. Margo Greenwood, Colombie-Britannique.

Le président : Merci. Bienvenue, sénateurs. J’aimerais également souhaiter la bienvenue à ceux qui nous regardent à la télévision d’un bout à l’autre du pays ou en Afrique — c’est possible — et souhaiter la bienvenue à tous ceux qui sont ici.

Elle n’est pas encore là, alors je vais attendre et donner la parole à la sénatrice Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard, plus tard. Elle remplace le sénateur Stephen Greene qui vient de prendre sa retraite et elle fera également partie de notre comité directeur. Nous lui donnerons la parole à son arrivée.

Chers collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Nous y travaillons depuis un certain temps. J’ai pensé qu’il serait bon d’entendre certains praticiens de la diplomatie qui, en fait, sont originaires d’Afrique, mais qui sont ici à Ottawa en qualité d’ambassadeurs ou de hauts-commissaires de leur pays.

En réfléchissant à cette question, j’ai pensé qu’il serait judicieux de contacter Son Excellence Souriya Otmani, qui est également la doyenne du corps diplomatique, et de lui demander son avis sur la constitution d’un groupe. Madame l’ambassadrice, je tiens à vous remercier chaleureusement pour l’aide et les conseils que vous nous avez apportés en vue d’organiser cette discussion.

Nous allons entendre des déclarations de cinq minutes de chacun de nos témoins ici présents. Comme je l’ai mentionné, nous accueillons Son Excellence Souriya Otmani, l’ambassadrice du Royaume du Maroc et la doyenne du corps diplomatique au Canada; Son Excellence Prosper Higiro, haut-commissaire du Rwanda et doyen du corps diplomatique africain ici à Ottawa; Son Excellence Ngole Philip Ngwese, haut-commissaire du Cameroun; et enfin, Son Excellence Rieaz « Moe » Shaik, haut-commissaire de l’Afrique du Sud.

Bienvenue, Excellences. Je vous remercie de vous joindre à nous.

Nous allons suivre l’ordre dans lequel j’ai présenté nos témoins. Je n’ai jamais été chef du protocole, alors j’espère que je procède correctement. Chaque chef de mission disposera de cinq minutes. Suivront les questions des sénateurs ainsi que les réponses de nos éminents témoins.

Madame l’ambassadrice Otmani, vous avez la parole.

[Français]

Son Excellence Souriya Otmani, ambassadrice, Ambassade du Royaume du Maroc au Canada, à titre personnel : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de nous donner l’occasion d’échanger avec les honorables sénateurs et sénatrices sur certains aspects qui nous semblent essentiels relativement à l’engagement et à l’interaction du Canada avec l’Afrique.

Le 7 novembre dernier à Toronto, les grandes lignes de la Stratégie de coopération économique Canada-Afrique ont été dévoilées et nous avons bien hâte de la voir entrer en vigueur. L’Afrique, avec son immense potentiel naturel, économique et humain, mérite de bénéficier de la part du Canada de partenariats stratégiques et d’investissements massifs pour accompagner son développement et ses transformations socioéconomiques.

Dans un contexte marqué par l’essoufflement de la mondialisation, le retour du protectionnisme et l’exacerbation de certains conflits et tensions, il est crucial pour l’Afrique et le Canada de développer leur voisinage atlantique commun en optimisant les complémentarités et les forces de chacun, afin de créer un espace commun de paix et de prospérité partagée.

L’Afrique, qui figure au deuxième rang mondial des régions à la croissance économique la plus rapide avec 41 pays en forte croissance en 2024, fait partie du voisinage atlantique du Canada. L’Afrique, deuxième au monde au chapitre du poids démographique, émerge aujourd’hui comme le moteur de la croissance démographique mondiale. Ces données placent le continent africain dans une position unique porteuse de possibilités pour l’Afrique, mais aussi pour le Canada. Toutefois, les opportunités économiques s’accompagnent aussi de défis.

Notre monde et nos sociétés africaines respectives sont en pleine mutation et font face aux défis globaux que sont les changements climatiques, la sécurité alimentaire, la transition vers les énergies propres et le développement durable dans ses multiples facettes que sont la santé, l’éducation, la formation, l’emploi des jeunes et des femmes.

Nous devons travailler ensemble efficacement pour faire face aux enjeux actuels et à venir, et pour cela, il nous faut agir dans le cadre d’une vision stratégique convergente visant le développement d’un espace commun de stabilité et de prospérité partagée. L’Afrique peut contribuer à sécuriser certains approvisionnements clés du Canada tout en étant un marché important pour les exportations canadiennes.

Cela implique aussi que le Canada contribue au développement industriel du continent, et notamment au renforcement de son industrie de transformation. Le développement du potentiel économique africain s’accompagnera naturellement de la croissance du pouvoir d’achat des populations, de la croissance du marché et de possibilités nouvelles pour les exportateurs et investisseurs canadiens.

Il revient au Canada d’agir pour contribuer à transformer ce potentiel en possibilités et s’engager de façon proactive dans la mise en place d’un nouveau modèle de partenariat stratégique multidimensionnel gagnant-gagnant, en phase avec le nouveau contexte international qui milite en faveur du rapprochement des chaînes de valeur sur les plans du voisinage et de la diversification des partenaires économiques et commerciaux. Le voisin Afrique a longtemps été relégué au second plan, mais il est encore temps pour le Canada de prendre la place qui lui revient, parce que les intérêts du Canada le justifient. Comment doit-on agir? Commençons par communiquer davantage et mettre en lumière les occasions qui se présentent dans les deux rives atlantiques. Développons plus de couloirs d’échanges humains et matériels.

Mon pays, le Maroc, sait qu’on peut faire confiance à l’Afrique et il dispose d’une politique et d’une coopération avec l’Afrique qui fait de lui, grâce à la clairvoyance de Sa Majesté le roi Mohammed VI, le premier investisseur en Afrique de l’Ouest et le deuxième dans toute l’Afrique, après l’Afrique du Sud. Le Maroc a ainsi lancé, avec d’autres pays africains, des chantiers de développement socioéconomique d’envergure, comme l’Initiative de l’Afrique atlantique, constituée de 23 pays africains de la côte atlantique; il y a aussi l’Initiative royale pour l’Atlantique, visant à désenclaver les pays du Sahel pour promouvoir le développement et la stabilité de ces mêmes pays en leur octroyant un accès direct à l’océan Atlantique. Étant donné que le Canada compte nommer un envoyé spécial pour le Sahel, il est le bienvenu pour collaborer à ce projet audacieux et le soutenir au moyen d’investissements et de l’expertise canadienne.

L’autre projet majeur, c’est la construction du gazoduc Nigeria-Maroc qui, en traversant et incluant 13 pays de la côte africaine atlantique, favorisera la promotion de l’intégration régionale et africaine, telle que préconisée par la Zone de libre-échange continentale africaine. Il sécurisera l’accès à l’énergie et offrira d’énormes possibilités pour les entreprises en démarrage, les jeunes Africains et les États du Sahel. Si l’Afrique attend beaucoup du Canada, elle a également beaucoup à lui offrir.

Le président : Merci beaucoup, Votre Excellence.

[Traduction]

Nous avons été rejoints par le sénateur Mohammad Al Zaibak de l’Ontario, le sénateur Charles Adler du Manitoba et, à l’instant, le sénateur Andrew Cardozo de l’Ontario. Soyez les bienvenus.

[Français]

J’invite maintenant Son Excellence Prosper Higiro, haut-commissaire du Haut-commissariat du Rwanda au Canada, à prendre la parole.

Son Excellence Prosper Higiro, haut-commissaire, Haut-Commissariat du Rwanda au Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président, honorables membres du comité et chers collègues pour cette occasion de m’adresser à vous aujourd’hui afin de discuter des différentes manières dont nous pouvons travailler ensemble pour renforcer les relations entre l’Afrique et le Canada.

Le Canada est et a toujours été un partenaire important pour l’Afrique depuis des décennies. Par exemple, le Rwanda et le Canada ont établi des relations diplomatiques en 1963, seulement un an après notre indépendance. Le bureau de l’Ambassade du Canada à Kigali a été transformé en un Haut-Commissariat et la haute-commissaire du Canada au Rwanda habite à Kigali depuis le début de 2024. De même, à travers le continent, le Canada a été présent et actif et les relations entre l’Afrique et le Canada sont aujourd’hui satisfaisantes, dirais-je.

L’Afrique est représentée par 27 missions résidentes, tandis que le Canada compte presque une trentaine d’ambassades en Afrique. Nous sommes réunis ici au lendemain de la visite du président de la Commission de l’Union africaine à l’occasion du dialogue de haut niveau entre le Canada et l’Afrique qui a vu naître un engagement en vue de renforcer les relations entre l’Afrique et le Canada. Nous sommes également dans l’attente de la publication de la stratégie Canada-Afrique.

Depuis les années 1960, le Canada entretient une coopération importante avec le continent. Au Rwanda, par exemple, la toute première université du Rwanda, que j’ai moi-même fréquentée au début des années 1980, a vu le jour avec l’appui du Canada en octobre 1963. L’engagement du Canada au Rwanda a couvert d’autres domaines. Nous avons travaillé ensemble pour promouvoir la protection de l’environnement et nos deux pays sont membres de la Coalition de haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique. Nous avons collaboré pour promouvoir la paix et la sécurité. Le Canada a participé à la mission de maintien de la paix des Nations unies au Rwanda de 1993 à 1995, même si la mission n’a pas été en mesure de prévenir ni de stopper le génocide contre les Tutsis. Toutefois, l’expérience acquise avec le Rwanda a permis de travailler avec le Canada pour introduire la notion importante de la responsabilité de protéger dans les missions de maintien de la paix des Nations unies. Nous travaillons ensemble dans d’autres domaines, comme l’éducation, l’innovation technologique et d’autres.

Monsieur le président, Affaires mondiales Canada a récemment rapporté que le commerce des marchandises entre l’Afrique et le Canada a atteint 16 milliards de dollars, soit une augmentation remarquable de deux tiers en seulement cinq ans.

Cependant, ce volume commercial reste bien inférieur à celui des autres pays du G7 en matière de partenariats commerciaux avec l’Afrique. Cet écart peut être comblé en poursuivant un engagement constant et systématique axé sur le commerce et l’investissement.

Le profil d’investissement du Canada sur le continent est principalement dans le secteur minier, mais l’Afrique est sur le point de devenir le plus grand bloc commercial de la planète. L’Afrique a adopté un cadre stratégique appelé Agenda 2063 et, guidés par ce cadre, les pays africains ont déjà créé la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). L’Afrique et le Canada coopèrent déjà pour tirer pleinement avantage de la Zone de libre-échange continentale africaine et pour réaliser des objectifs communs dans le cadre de l’Agenda 2063. Il est maintenant temps d’être ambitieux, de consacrer plus de ressources et de mettre en œuvre des actions concrètes. La lutte contre la pauvreté, l’éducation, la santé, l’amélioration des infrastructures, l’énergie, l’innovation, la paix, la sécurité, le commerce et l’investissement doivent être au centre de toute coopération gagnant-gagnant avec, au centre des préoccupations, la création des richesses par la valeur ajoutée d’emplois convenables, surtout pour les jeunes et les femmes.

Le Rwanda croit depuis longtemps que l’intégration africaine est un impératif stratégique. Le Rwanda estime que l’intégration africaine offre des opportunités gagnant-gagnant. Pour cette raison, nous nous sommes engagés dans nos propres cadres stratégiques, notamment Vision 2050, soit la stratégie nationale de transformation de deuxième génération, à tirer pleinement profit d’une économie africaine de plus en plus intégrée. Nous avons également établi une politique de visa ouverte pour faciliter la recirculation des personnes et des investisseurs. Le Rwanda est également un leader en matière de facilitation des affaires. Tout ce que nous faisons au Rwanda vise à promouvoir l’investissement non seulement au Rwanda, mais aussi avec une vue sur tout le marché africain.

Le Canada dispose des ressources et de l’expertise utile pour le continent, et celui-ci devient également de plus en plus rentable et attractif en tant que destination d’investissement. Pour maximiser ces possibilités, le Canada peut continuer à faciliter les engagements bilatéraux, notamment les visites de haut niveau et les échanges entre les membres du secteur privé. À ce jour, le Canada dispose de seulement cinq centres de délivrance de visas sur le continent, ce qui limite le nombre de possibilités pour les visites de haut niveau ainsi que pour les échanges entre les secteurs privés, universitaires et autres.

Nous devons examiner, afin de les éliminer, tous les obstacles qui entravent le flux des capitaux et des investissements entre l’Afrique et le Canada, notamment la double taxation, le risque d’affaires perçu ou réel, etc.

Pour conclure, de grandes possibilités s’offrent à nous; l’Afrique n’a jamais été aussi attractive comme destination d’investissement et l’engagement du Canada n’a jamais été aussi sollicité. Nous devons renforcer notre relation historique avec un nouveau chapitre axé sur le commerce et les investissements gagnant-gagnant, ainsi que sur des liens renforcés entre les peuples. Ces occasions nous permettront de nous rapprocher de cette vision à long terme. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, Votre Excellence.

[Traduction]

Nous allons maintenant donner la parole à Son Excellence Ngole Philip Ngwese, haut-commissaire du Cameroun.

Je tiens à souligner que la sénatrice Mary Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard, s’est jointe à nous. Madame Robinson, avant votre arrivée, j’ai souligné que vous faites nouvellement partie de notre comité directeur.

Son Excellence Ngole Philip Ngwese, Haut-Commissaire, Haut-Commissariat du Cameroun au Canada, à titre personnel : Merci, honorables sénateurs, de me donner la parole. Je tiens à dire d’emblée que, du point de vue africain, trois faits sont remarquables au sujet du Canada : sa réputation, qui n’a jamais été entachée par les atrocités liées à la colonisation, à l’esclavage et à l’apartheid; son plaidoyer pour la justice et la paix comme principaux moteurs des relations internationales; et sa politique d’ouverture et d’aide humanitaire.

Par conséquent, le fait de nous demander notre avis dans le discours actuel sur l’engagement du Canada en Afrique est lourd de sens. Ce faisant, on situe clairement les choses dans leur contexte.

[Français]

Sur le fondement des prémisses énoncées ci-dessus, on est en droit de s’attendre à ce que la politique canadienne en Afrique soit volontariste et engagée.

L’Afrique, dans sa complexité et sa diversité, a la réputation d’être un intarissable réservoir de ressources naturelles et un pourvoyeur tous azimuts de matières premières, alors même que sa jeunesse, avec des fortunes diverses, émigre massivement en Occident à la recherche d’un hypothétique bonheur.

Bien que souvent surestimés, les coupables, à savoir la pauvreté, les inégalités et les injustices sociales, doivent être attaqués à la racine et de façon déterminée.

L’engagement et le volontarisme évoqués commandent que le Canada aligne sa politique africaine sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine, en privilégiant les partenariats mutuellement bénéfiques, axés sur des projets structurants accélérateurs du développement, pouvant induire des effets d’entraînement sur l’ensemble des secteurs économiques et créer les conditions d’une croissance durable et soutenue.

Il en est ainsi des « partenariats axés sur la transformation locale des matières premières du continent » et des « partenariats ciblant le développement des infrastructures de transport, d’énergie et de communication ».

Ces deux catégories de partenariat ont la vocation de créer de la valeur, de la richesse et des emplois sur le continent. Ainsi, la proportion des jeunes tentés par l’émigration déclinera progressivement, et le Canada pourra, entre autres et en ce qui le concerne, désamorcer ce que certains de ses lanceurs d’alerte appellent la « bombe démographique ».

Quant à la coopération avec la société civile, à laquelle l’engagement canadien si précieux réserve généralement une place de choix, elle a sans doute ses mérites. Il convient toutefois de relever que la particularité de cette forme de coopération est qu’elle laisse très peu de place à la visibilité nécessaire aux actions menées, parce qu’elle est conduite en dehors des mécanismes de la chaîne de coordination, de supervision et d’évaluation des politiques publiques. Enfin, sur le plan des échanges commerciaux, nous plaidons pour un commerce équitable.

[Traduction]

Le cas des relations commerciales entre le Canada et le Cameroun est éloquent. Selon un rapport récent, en 2021, les exportations canadiennes vers le Cameroun s’élevaient à 87 millions de dollars canadiens alors que le Cameroun, qui a beaucoup à offrir, ne représentait que 11,8 millions de dollars canadiens en valeur des exportations vers le marché canadien. Le principe du commerce juste et équitable exige que les restrictions et les barrières soient levées afin d’ouvrir les marchés canadiens à nos produits qui répondent aux normes requises.

L’entrée en vigueur de l’accord conclu en 2016 entre nos deux pays en vue de promouvoir et de protéger les investissements étrangers ouvrira certainement la voie et une nouvelle page de notre coopération, d’autant plus que l’actualité — oui, l’actualité — semble pousser le Canada à diversifier davantage ses partenariats.

[Français]

Merci de votre aimable attention.

Le président : Merci, Votre Excellence.

[Traduction]

Son Excellence Rieaz « Moe » Shaik, haut-commissaire de l’Afrique du Sud, la parole est à vous, monsieur.

Son Excellence Rieaz « Moe » Shaik, Haut-Commissaire, Haut-Commissariat de l’Afrique du Sud au Canada, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je ne saurais vous dire combien de fois on m’a confondu avec le sénateur Cardozo dans de nombreuses occasions diplomatiques, les gens m’interpellant en disant « sénateur Cardozo ». Alors, sénateur Cardozo, je suis très heureux de vous rencontrer.

Le président : Vous pouvez aussi venir voter de temps en temps, si vous le souhaitez.

M. Shaik : Monsieur le président, sénateur Boehm, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à cet auguste comité sénatorial sur l’importante question des intérêts et de l’engagement du Canada en Afrique.

Au nom du gouvernement sud-africain, je remercie le Canada pour tout ce qu’il a fait pour nous et au service du continent africain.

Toute discussion sur les espoirs, les rêves et la prospérité du continent africain doit partir d’une compréhension profonde des lignes de fracture imposées à l’Afrique par des siècles d’esclavage et de colonialisme. L’héritage de l’esclavage et du colonialisme a façonné, façonne encore et continuera de façonner la réalité vécue de la vie africaine dans toutes ses facettes. Par conséquent, en cherchant à créer un avenir meilleur pour le Canada et l’Afrique, nous devons veiller à ne pas perpétuer les lignes de fracture du passé.

Le Canada jouit en Afrique d’une très bonne réputation comme partenaire de confiance. Je déplore souvent le fait que le Canada ne mesure pas à sa juste valeur ce qu’il a à offrir à l’Afrique. Selon moi, pour que le Canada réussisse à transformer l’Afrique, la première et plus importante étape consiste à s’assurer qu’aux fins de ses activités en matière de diplomatie, de commerce et de développement, le Secteur de l’Afrique d’Affaires mondiales Canada dispose des ressources nécessaires, à la fois humaines et financières, pour y parvenir. Je vous implore de faire preuve d’audace, de courage et d’acharnement dans cette entreprise.

J’ai lu le rapport récent de la Chambre des communes, intitulé Une nouvelle ère de partenariats : L’engagement du Canada en Afrique, qui renferme 27 recommandations importantes. Bien que je souscrive à ces recommandations, je suis d’avis que le partenariat pourrait être davantage ciblé, surtout en matière de commerce et d’investissement.

À cet égard, permettez-moi de souligner certains résultats, faits et tendances dont le rapport fait état : premièrement, le Canada n’a conclu aucun accord de libre-échange ou de commerce préférentiel avec un pays d’Afrique; deuxièmement, les exportations de l’Afrique vers le Canada sont deux fois plus importantes en montant et en valeur que les importations du Canada en provenance de l’Afrique; et troisièmement, pour chaque dollar d’aide au développement et d’assistance du Canada qui est versé à l’Afrique, le Canada récupère deux fois et demie cette valeur.

Le Canada importe d’Afrique 4,5 % de ce que la Chine importe d’Afrique, 14 % des importations américaines et un tiers des importations russes. Toutes ces statistiques témoignent de la nature asymétrique de la relation entre le Canada et l’Afrique. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il est de notre ressort de corriger cette asymétrie.

Une étape clé et fondamentale dans la direction de ce changement est que le Canada doit traiter l’Afrique comme il traite d’autres régions importantes du monde. Un traitement équitable des uns et des autres est le fondement de relations mutuellement bénéfiques et respectueuses.

Ainsi, je soumets les points suivants à votre considération urgente : premièrement, le Canada devrait élaborer et mettre en œuvre une version canadienne de la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique des États-Unis qui viserait à aider les économies africaines et à améliorer les relations économiques entre le Canada et l’Afrique.

Deuxièmement, le Canada devrait charger ses cinq pôles mondiaux d’innovation de rechercher des partenariats dynamiques avec leurs homologues dans la région africaine. Les occasions découlant de ces interactions seront extrêmement bénéfiques pour les deux parties et transformeront fondamentalement l’engagement canado-africain.

Troisièmement, le Canada devrait également encourager ses institutions de financement du développement en leur accordant des capitaux concessionnels à grande échelle afin de leur permettre de développer les instruments financiers nécessaires à l’amélioration du crédit et à la réduction des risques qui permettront de stimuler le marché du commerce et de l’investissement en Afrique.

Enfin, à la lumière de la crise qui se poursuit et s’aggrave au Moyen-Orient, je saisis cette occasion pour ajouter ma voix à celle de toutes les autres personnes éprises de paix dans le monde entier en demandant au Canada de reconnaître l’État de Palestine. La solution des deux États reste la seule voie viable vers la paix dans cette région troublée du monde.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le haut-commissaire.

J’ai deux annonces techniques à faire. J’ai oublié de mentionner au début que j’aimerais que toutes les personnes présentes s’assurent de mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils afin que nous ne soyons pas distraits. Par ailleurs, pour nos deux sénateurs invités, vous aurez l’occasion de poser des questions, mais ce sera à la fin, comme c’est l’usage ici. Nous disposons d’une heure et demie pour ce groupe, nous terminerons donc vers 17 h 45, ce qui, je l’espère, permettra de poser de bonnes questions et d’obtenir de meilleures réponses.

Chers collègues, comme d’habitude, vous disposerez de quatre minutes pour vos questions et les réponses de nos témoins; je vous invite donc à poser des questions concises et à en limiter le préambule. J’encourage également nos témoins distingués à donner des réponses concises.

Le sénateur MacDonald : Bienvenue à nos distingués invités. En octobre dernier, le comité a entendu le professeur David Black, du Département des sciences politiques de l’Université Dalhousie, dire que l’approche politique du Canada envers l’Afrique au cours des dernières décennies a été « systématiquement incohérente ».

J’ai deux questions à poser. Premièrement, y a-t-il des domaines où cette incohérence a engendré des reculs tangibles ou des occasions ratées dans les relations bilatérales ou multilatérales? Deuxièmement, existe-t-il des modèles ou des approches efficaces que le Canada pourrait adopter pour mieux aligner ses politiques sur les besoins des nations africaines?

Le président : À qui s’adresse votre question?

Le sénateur MacDonald : À quiconque souhaite y répondre.

M. Shaik : En Afrique du Sud, parce que nous considérons l’Afrique comme une région très importante, nous avons fixé dans notre politique étrangère l’objectif ambitieux d’avoir une ambassade dans chaque pays d’Afrique. Cela représente 53 ou peut-être 54 pays. Personne n’attend du Canada qu’il fasse de même, mais la première chose à faire et la plus importante, c’est d’avoir des gens sur le terrain, que ce soit en groupe ou non. C’est la raison pour laquelle j’ai plaidé pour que vous augmentiez les ressources que vous consacrez à Secteur de l’Afrique au sein d’Affaires mondiales Canada. L’Afrique évolue très rapidement et nécessite une connaissance intime que vous ne pouvez obtenir que par vos missions sur le terrain, qui seront en mesure d’orienter le type d’approches qui seront élaborées, surtout en matière de commerce et de financement.

Vous manquez absolument d’institutions de financement du développement. Sous la présidence d’Obama, les États-Unis ont annoncé l’initiative « Power Africa ». Vous avez besoin de quelque chose d’aussi audacieux pour contribuer. Vous pourriez dire « Rail Africa » et vous consacrer à la construction de chemins de fer en Afrique au moyen d’un financement de projet qui rapportera au Canada — ce n’est pas un cadeau. C’est le genre d’approche qu’il faut adopter. Vous devez cibler vos interventions et y consacrer vos ressources. Cela transformera fondamentalement la nature de la relation.

[Français]

M. Higiro : En plus de ce que mon collègue vient de dire, je pense qu’à un certain moment, le Canada était beaucoup plus présent en Afrique, comparativement à ce que l’on constate aujourd’hui, que ce soit pour les ambassades et les pays qui étaient couverts que sur le plan de la coopération, surtout quand l’ACDI était toujours opérationnelle.

Depuis quelques années, je crois qu’il y a eu une sorte de retraite. La raison de cela n’est pas expliquée, et c’est la première situation dont je voulais parler.

La seconde, c’est qu’on a l’impression que le Canada, sur les plans du commerce et des investissements, s’intéresse beaucoup plus à certains marchés, surtout les plus traditionnels. Le marché africain est plutôt considéré comme très risqué. Justement, sur le plan politique, alors que c’est là où l’on devrait trouver des voies de solutions — ou en tout cas montrer le chemin au secteur privé et aux investisseurs —, il n’y a pas d’initiative choc ou d’idées innovantes qui permettraient au secteur privé, notamment les banques canadiennes, de s’installer sur le continent africain et même...

Le président : Merci beaucoup, Votre Excellence; votre temps de parole est écoulé.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de nouveau de votre présence. Ma question s’adresse à Son Excellence Rieaz Shaik. Alors que l’Afrique du Sud assume sa présidence historique du G20 et que les réunions des sherpas et des sous-ministres des Finances se poursuivent cette semaine, quels progrès ont été réalisés jusqu’à présent pour promouvoir un programme progressiste, centré sur l’Afrique et orienté vers le développement sous les thèmes de la solidarité, de l’égalité et de la durabilité?

M. Shaik : C’est ce qu’on appelle une question pointue parce que j’essayais de faire le suivi des discussions en cours avec les sherpas. Vous avez raison, elles ont lieu cette semaine. Je pense que le Canada est représenté par le sous-ministre David Morrison, je l’espère.

L’un des enjeux actuels est la crise de la dette qu’en fait, tous les pays traversent — de nombreux pays, tant développés qu’en développement. L’Afrique est particulièrement touchée. Une commission spéciale sera chargée d’étudier le financement et la gestion de la dette, la gestion des capitaux et du coût des capitaux qui entrent, en particulier, en Afrique. Notre présidence pense que c’est l’un des enjeux les plus importants. Je suis d’accord parce que la crise de la dette est imminente et qu’il suffit d’une poussée pour que nous entrions dans une nouvelle crise financière. Je pense qu’il est très important de tenir compte des résultats des travaux de la commission sur le coût du capital. Ce serait un point important à retenir.

Le second, bien sûr, sera la transition énergétique, la manière de répondre aux exigences du changement climatique et les types d’instruments de financement qui doivent être mis en place. Vous avez noté, et j’ajouterais ma voix à cela, que le récent cycle de discussion sur le financement de la lutte contre la crise climatique n’a pas été aussi fructueux que le monde l’avait espéré, et je pense que cela sera également au centre des préoccupations. Surtout, j’espère que les discussions du G20 — qui seront une sorte de lien entre le G7 du Canada et le G20 de l’Afrique du Sud — porteront sur la question de savoir si nous pouvons sauver l’ordre multilatéral qui semble très menacé à l’heure actuelle, avec l’effondrement quasi quotidien du droit international. J’espère que cette question retiendra aussi l’attention. Je vous remercie.

Le sénateur Ravalia : Dans quelle mesure pensez-vous que certains des points chauds internationaux — vous avez fait référence à la Palestine et à la solution à deux États — seront également à l’ordre du jour des réunions du G20?

M. Shaik : L’Afrique du Sud pourrait certainement inscrire le sujet à l’ordre du jour. C’est un enjeu important non seulement pour l’Afrique du Sud, mais pour ce que nous prévoyons. Si rien ne change, nous pourrions bien assister à un effondrement des Nations unies. Ce n’est dans l’intérêt d’aucun citoyen du monde.

Nous sommes très préoccupés par la situation au Moyen-Orient parce qu’abstraction faite de toutes les préférences et de tous les préjugés, elle témoigne de l’effondrement quotidien de l’ordre international. L’impunité que nous constatons dans l’effondrement de l’ordre international aura des conséquences dramatiques pour l’ordre tel que nous le connaissons. Surtout, elle propulsera la planète dans ce que nous appelons la « polycrise », où chaque crise va activer ou affecter toutes les autres crises.

Par conséquent, le forum multilatéral ou un réengagement en faveur de l’ordre multilatéral — et permettez-moi de préciser ici que j’ai rédigé ce protocole pour mon gouvernement et que je ne crois pas au monde multipolaire, je crois au monde multilatéral. Je pense que plus nous serons nombreux à commencer à parler d’un monde multilatéral et à nous engager pour un monde multilatéral, plus nous aurons au moins la coopération nécessaire pour aborder de nombreux aspects de la polycrise.

Le président : Merci beaucoup, monsieur le haut-commissaire. Le temps est écoulé. Les enjeux que vous soulevez sont très importants. Je pense que nous y reviendrons dans d’autres questions.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être ici. Nous n’avons pas eu l’occasion de voyager et c’est pourquoi vos observations en provenance du terrain sont très appréciées. J’apprécie également les observations concernant la multipolarité par rapport à la multilatéralité. Je suis vraiment heureuse que ces mots aient été prononcés aujourd’hui.

J’ai pensé à deux ou trois choses. Bien sûr, au Canada, une stratégie pour l’Afrique a été présentée. Il a fallu un peu de temps pour en arriver là; peut-être a-t-il fallu trop de temps pour certains, mais il est important que nous ayons quelque chose maintenant. En écoutant les témoins aujourd’hui et les gens d’affaires il y a quelques années, je n’arrête pas de penser à la stratégie, à l’énorme taille et à la composition de l’Afrique et à la cohérence qu’une stratégie africaine pourrait espérer avoir.

La distance entre Rabat et Le Cap est deux fois plus grande que celle qui sépare Ottawa de Caracas. Vos pays sont tout aussi distincts les uns des autres. Il y a des spécificités. Y a-t-il des nuances qui, selon vous, pourraient manquer au Canada lorsqu’il s’agit de travailler avec les pays africains individuellement, avec l’histoire et la culture qui leur sont propres ou cela peut-il être accompli de manière cohérente? J’aimerais entendre tout le monde, dans le temps qui nous est imparti. Je vous remercie de votre attention.

M. Ngwese : Permettez-moi de vous faire part de quelques points de vue sur ce point particulier. Depuis un certain temps, je pense que nous avons le sentiment que l’Afrique est considérée comme un pays, mais l’Afrique est un continent de 54 pays aussi complexes et diversifiés que vous pouvez l’imaginer, culturellement parlant, politiquement parlant et économiquement parlant. Il est très difficile de traiter l’Afrique de manière globale.

C’est pourquoi j’ai pris l’initiative, dans ma déclaration liminaire, de poser la question suivante : si nous devons penser à sortir l’Afrique de la pauvreté ou du chaos, dans quels types de projets devons-nous nous engager? Quelles devraient être les priorités si nous considérons l’Afrique dans son ensemble? Nous avons parlé du Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique; nous parlons maintenant de l’Agenda 2063. Quelles sont les priorités transversales capables de déclencher un développement véritable et durable en Afrique?

Vous savez très bien que si nous n’abordons pas ces questions, nous risquons de passer à côté de l’essentiel. On ne peut pas envisager de créer une zone de libre-échange s’il n’y a pas de communications et si nous manquons d’infrastructures de base en Afrique. Mon collègue a parlé de la construction de chemins de fer, etc. Oui, vous arrivez en Afrique et les pays ne sont généralement pas reliés entre eux.

Ce dont nous avons vraiment besoin pour éviter les solutions que les Français appellent les expédients — des solutions qui, bien qu’elles soient des solutions, ne sont peut-être pas en mesure de résoudre les vrais problèmes — c’est de cerner et de définir les principaux projets qui sont transversaux et qui peuvent déclencher d’autres initiatives. Je pense que, de ce point de vue, nous pouvons aborder l’Afrique de manière globale.

Ensuite, vous entrez dans les spécificités des pays, comme vous le faites. Je sais que le Canada fait beaucoup dans certains pays par l’intermédiaire de l’ACDI, l’Agence canadienne de développement international. Beaucoup de choses ont été faites par l’intermédiaire d’ONG, même si elles ne sont pas visibles.

Que peut faire le Canada pour influer sur le développement de l’Afrique? Il faut établir les priorités au niveau de l’infrastructure, de la transformation de nos matières premières en Afrique et non de l’exportation de matières premières vers l’Europe et l’Amérique.

Le président : Monsieur le haut-commissaire, je suis désolé. Je dois intervenir.

Madame Deacon, je sais que vous aviez la meilleure intention de permettre à tout le monde de s’exprimer sur ce point. Il peut être repris, mais nous n’avons plus de temps pour ce segment.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci encore à Leurs Excellences pour leur présence ici. Bien que nous n’ayons pas voyagé en Afrique, nous avons la représentation du continent du nord au sud. C’est vraiment très apprécié. J’ai plusieurs questions, monsieur le président; comme toujours, je compte sur vous pour me donner un peu plus de temps. Ma première question s’adresse à la doyenne du corps diplomatique, Son Excellence l’ambassadrice Otmani.

Vous avez mentionné dans votre déclaration préliminaire trois projets majeurs et structurants lancés par le Maroc pour le continent africain en coopération avec d’autres pays africains. Je sais que le Maroc fait beaucoup la promotion de la coopération sud-sud. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces projets? Quels sont les pays du G7 ou du G20 qui vous accompagnent dans ces projets et qu’est-ce que le Canada pourrait faire? Est-ce que le Canada pourrait s’y impliquer?

Mme Otmani : Merci beaucoup pour cette question, madame la sénatrice Gerba. Effectivement, j’ai mentionné trois projets très importants pour le Maroc. Comme vous l’avez dit, le Maroc croit beaucoup à la coopération sud-sud et croit beaucoup en l’Afrique. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons un ministère des Affaires étrangères et de la Coopération africaine — ça veut tout dire.

Cela fait plus de 25 ans que le Maroc est vraiment engagé en Afrique et croit que l’Afrique peut aider l’Afrique, à condition qu’elle se fasse également confiance. On a besoin d’instaurer cette confiance entre nous pour aller de l’avant. Les trois projets dont je vous ai parlé intéressent évidemment le Canada, parce que nous partageons avec le Canada la même façade atlantique. C’est important. Il y a le Canada, les États-Unis et aussi tous les autres pays d’Amérique du Sud, mais le Canada est concerné, car il souhaite travailler en Afrique. Ce sont, je pense, trois projets très importants qui concernent la façade atlantique africaine et qui impliquent beaucoup de pays, et le Canada peut en faire énormément à ce niveau.

On a parlé du Sahel; vous savez que le Maroc a osé proposer un désenclavement aux pays du Sahel. On sait tous que les pays du Sahel, soit le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et le Mali, connaissent des difficultés, de l’instabilité et de l’insécurité. Nous disons à ces pays qu’on veut travailler avec eux, les aider à se désenclaver et leur offrir des infrastructures routières, aéroportuaires, maritimes et logistiques. Le Canada peut investir dans ces projets. On a besoin d’investissements pour aider les pays du Sahel, pour stabiliser cette zone et en faire une zone de prospérité et de développement, à condition d’avoir les investissements nécessaires. C’est ce qu’on ne cesse de dire. On veut des investissements et on veut que le Canada investisse massivement en Afrique. Quand on parle de commerce, c’est bien, mais quand on fait des investissements, c’est encore mieux, car celui qui investit de l’argent va en tirer le double et cela profitera non seulement à celui qui investit, mais aussi à celui qui reçoit.

Quand on a des projets aussi importants qui impliquent autant de pays... Le premier projet engage 23 pays; pour le gazoduc depuis le Nigeria jusqu’au Maroc, c’est 13 pays; pour les pays du Sahel, tout le monde connaît l’importance de sécuriser cette zone. Donc, c’est vraiment portes ouvertes pour le Canada. Venez, il y a beaucoup à faire en Afrique, pourvu qu’on le veuille. Il faut que le Canada le veuille, et c’est ce qu’on essaie de faire en tant qu’ambassadeurs africains : convaincre le Canada d’oser venir en Afrique et d’investir où il le faut, notamment dans les industries de transformation qui sont très importantes. Mes collègues en ont d’ailleurs parlé. Tout ce qu’on produit en Afrique, on l’exporte, car on n’a pas d’industries de transformation locales. Je pense notamment au textile; 90 % des récoltes sont exportées à l’état brut parce qu’il n’y a pas d’industrie de transformation. Ensuite, le cacao est une industrie de 100 milliards de dollars. L’Afrique n’a que 6 % de cette somme. Il faut investir dans les industries de transformation pour aider l’Afrique à prendre son essor.

Le président : Je suis désolé, Votre Excellence, mais merci, votre message est très clair.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Cette discussion a été riche et utile pour nous. Le témoignage de chacun nous incite à la réflexion et contribuera à la rédaction de notre rapport.

J’ai de nombreuses questions à poser. Celle-ci s’adresse à Son Excellence Shaik d’Afrique du Sud. C’est un plaisir de vous revoir. Je vous ai rencontré alors que vous veniez d’arriver au Canada.

M. Shaik : Oui, merci.

La sénatrice Coyle : Heureuse de vous voir. Pour ma part, je ne vous ai jamais confondu avec notre collègue.

Vous avez dit beaucoup de choses intéressantes, tout comme vos collègues autour de la table. Vous avez mentionné les supergrappes du Canada — ce qui m’intrigue vraiment — et l’établissement de partenariats. Vous faites référence aux grappes d’innovation mondiales, aux océans, à l’IA, aux protéines, à la technologie numérique, à la fabrication de pointe, etc. Cela m’intrigue parce que nous examinons des domaines que le Canada considère comme des forces et des occasions pour l’avenir de notre économie ainsi que des partenariats mondiaux.

Comment envisagez-vous ces types de partenariats avec les pays du continent africain? Qu’entendez-vous exactement par là? Pourriez-vous nous donner plus de détails?

M. Shaik : Merci pour votre question, sénatrice.

Certains d’entre nous ont eu l’honneur de visiter au moins une ou deux de ces supergrappes. Mon équipe a visité la Grappe de l’économie océanique du Canada à St. John’s. J’ai eu l’honneur de visiter la Grappe des industries des protéines en Saskatchewan.

La supergrappe, telle qu’elle est conçue ici, rassemble l’expertise, le capital et le secteur privé. On trouve des synergies en fait de possibilités et de la manière de les piloter pour atteindre l’échelle. Par exemple, nous avons découvert la magie qui fait de la Saskatchewan une province connue pour ses carburants, ses aliments et ses engrais. C’est la magie de la potasse. La potasse a fondamentalement transformé le Canada en un exportateur net de denrées alimentaires.

Quelle leçon pouvons-nous en tirer? Malheureusement, j’ai examiné la distribution de la potasse en Afrique. Nous n’en avons pas beaucoup. C’est dû à la formation des lignes de faille terrestres. Nous avons l’or et les diamants, et vous avez la potasse. Cela tourne énormément à votre avantage.

En revanche, nous pouvons tirer des leçons de l’industrie des protéines. Si nous voulons sauver la planète, nous devons tous manger moins de viande. Si nous voulons manger moins de viande, nous devons nous convertir aux protéines d’origine végétale. Le Canada est en avance en matière de protéines végétales. Nous pouvons nous en inspirer et nous y associer. C’est un exemple.

Si vous prenez les océans, encore une fois, l’idée que vous allez avoir du poisson dans les mers — à cause des changements climatiques, de l’acidité des océans et de la surpêche, il vous faudra élever du poisson sur la terre ferme. Encore une fois à St. John’s, la grappe sur les océans réalise un nombre considérable de percées, non seulement dans le domaine de la pêche, mais aussi dans celui de la technologie des drones qui peuvent surveiller la pêche illégale qui a cours dans l’océan Indien et dans l’océan Atlantique. Là encore, nous pourrions établir des partenariats.

Comme nous sommes bornés par l’océan, comme vous l’êtes, les partenariats entre ces institutions, ces grappes d’innovation mondiales — si je peux me permettre : je vous en prie, n’arrêtez pas ces grappes. Elles vont permettre au Canada de faire une percée dans les nouvelles technologies. C’est ce que nous espérons. Nous nous tournons vers l’avenir et prenons des dotations à l’échelle afin de nous attaquer à nos inégalités, à notre pauvreté et à notre sous-développement.

Le président : Merci, monsieur le haut-commissaire.

Le sénateur Al Zaibak : Merci, Vos Excellences, d’être ici et de nous faire profiter de vos points de vue.

Monsieur le président, on a déjà répondu à bon nombre de mes questions. J’en ai d’autres, mais j’aimerais céder mon temps de parole à la sénatrice Deacon pour qu’elle puisse poursuivre son intervention, si possible.

Le président : Les Fêtes approchent.

La sénatrice M. Deacon : Vous êtes très aimable. Je vous en remercie.

Nous entendons différentes parties de ma question dans différentes réponses de mes collègues également, mais continuons à examiner le concept de cette stratégie nationale pour l’Afrique. Peut-elle être réalisée de manière cohérente et globale en tenant compte des nuances entre les 54 pays?

Si vous le voulez bien, nous pouvons poursuivre cette question avec vous. Avez-vous des idées sur cette question?

[Français]

Mme Otmani : Pouvez-vous reposer la question?

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Il s’agit d’examiner les préoccupations liées au fait que nous avons une stratégie pour l’Afrique et que nous en parlons, alors qu’il existe de nombreuses spécificités dans 54 pays. Nous avons ce que nous appelons une stratégie pour l’Afrique ou un engagement pour l’Afrique. Pouvons-nous bien faire les choses et rester cohérents, compte tenu des différences?

[Français]

Mme Otmani : Oui, c’est important de collaborer avec l’Afrique globalement, mais il est très important également de collaborer avec les pays individuellement. En effet, pour bien connaître l’Afrique et pour s’engager dans une stratégie, je pense qu’il faut connaître les forces et les faiblesses de chacun et agir en tenant compte de ces forces et de ces faiblesses.

On essaie de conclure un accord de protection réciproque en matière d’investissement. Moi, je suis là depuis six ans et je n’ai pas encore réussi à en conclure un avec le Canada. C’est aussi dans les petits détails que l’on doit agir. Si un accord de cette nature n’existe pas, le Canada ne pourra pas venir investir dans mon pays. Il y a aussi une perception globale qui est un peu négative, parce qu’on a l’impression que, en allant investir en Afrique, l’investissement n’est pas sécurisé.

Il y a lieu d’agir sur le plan des perceptions globalement négatives qu’ont les hommes et les femmes d’affaires du Canada et du monde envers l’Afrique. Or, celle-ci est en pleine transformation et elle a toutes ses chances actuellement d’être écoutée, appuyée et accompagnée dans tous ses efforts. C’est très important et je pense qu’il faut le faire maintenant. Mon collègue a dit qu’elle était en voie de devenir une puissance. Il ne faut pas que le Canada attende ce moment. Il faut le faire dès maintenant. Il faut que les pays africains se souviennent que le Canada les a accompagnés dans leur décollage, en ce moment précis et nécessaire.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.

[Français]

M. Higiro : Merci beaucoup. Je pense que la stratégie du Canada pour l’Afrique devrait être alignée avec l’Agenda 2063 de l’Afrique. C’est un agenda commun pour tous les pays africains qui se sont entendus sur un minimum de programmes. De plus, il faudra être flexible et pragmatique. J’imagine que si quelqu’un ou si le Canada veut travailler dans le domaine de l’agriculture, par exemple, il peut travailler avec des pays qui ont un potentiel important. Dans le domaine des nouvelles technologies, il y a des pays beaucoup plus avancés avec lesquels le Canada peut commencer, mais avec une vision globale selon laquelle c’est un continent qui est en train de s’intégrer et de devenir un marché commun.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Ces 30 secondes sont devenues une minute et demie parce que je me suis rendu compte qu’il est tout à fait injuste de demander à un envoyé d’un autre pays de fournir une explication en 30 secondes. Ayant été moi-même dans cette position, j’en sais quelque chose.

Le sénateur Woo : J’aimerais demander à Son Excellence Shaik de développer son observation selon laquelle le système multilatéral est menacé, en particulier le système des Nations unies. J’aimerais comprendre le rôle de l’Afrique, peut-être de l’Afrique du Sud en particulier, dans la protection du système multilatéral et la défense de l’État de droit international.

Ce sont là des points de discussion que l’on entend généralement de la part des diplomates canadiens. J’ai l’impression que certains pays de l’hémisphère Sud, peut-être de nombreux pays d’Afrique, estiment que les pays occidentaux, et peut-être aussi le Canada sont en partie responsables de la perturbation de l’ordre multilatéral international. Il vous sera peut-être difficile d’en parler de manière très explicite, mais j’aimerais savoir ce que le Canada peut faire pour collaborer avec l’Afrique afin de défendre le multilatéralisme et l’état de droit international sur des points précis.

M. Shaik : Merci, sénateur Woo.

Tout d’abord, il faudrait envisager de ne jamais employer l’expression « ordre international fondé sur des règles ». Nous ne devrions pas utiliser cette expression, car personne ne sait qui détermine les règles et de quel ordre nous parlons. L’expression que nous connaissons, et je suis heureux que vous l’ayez employée, est celle de l’« État de droit international ».

L’État de droit international est ce qui doit nous gouverner tous, à la fois dans notre gouvernance intérieure et dans nos approches de la politique étrangère. Lorsque nous violons cet État de droit, nous devons être tenus responsables par les instruments que nous avons mis en place collectivement pour ce faire et mettre fin à l’impunité.

Je peux arrêter là ma discussion. Sur cette base uniquement, vous pouvez constater, en remontant jusqu’à l’époque où quelqu’un a dit qu’il avait des preuves d’armes de destruction massive, et que cela a conduit à une invasion, que c’était le début de l’effondrement de l’État de droit international et le début de l’ordre international fondé sur des règles.

Nous l’avons vu en Libye, parce qu’en vertu de la responsabilité de protéger — par tous les moyens nécessaires — nous avons bombardé un pays africain qui ne s’est jamais remis de cette destruction. Aujourd’hui, nous voyons ce phénomène se produire dans d’autres régions du monde. Le droit de se défendre devient le droit d’envahir d’autres pays, ce qui est inacceptable en vertu de l’État de droit.

Par contre, nous vivons un moment singulier, et ce moment doit signifier que nous allons faire une pause, réfléchir à la façon dont les humains sont devenus méchants les uns envers les autres, revitaliser notre humanité et reconstruire les systèmes multilatéraux. Je pense que c’est important parce que si nous n’y parvenons pas, d’autres grandes puissances mondiales chercheront à faire ce qu’elles voient d’autres faire et d’autres être autorisées à faire et s’en tirer à bon compte. Au final, nous vivrons dans un monde où les plus forts gouvernent et le reste d’entre nous suivent.

[Français]

M. Ngwese : Je voudrais juste compléter la réponse de mon collègue. Depuis quelque temps, l’Afrique cherche à obtenir une réforme du système des Nations unies, notamment le Conseil de sécurité des Nations unies qui, comme vous le savez, est composé comme il est composé et fonctionne comme il fonctionne, avec les résultats que nous connaissons et que nous déplorons tous.

Que peut faire le Canada? Le Canada, qui est un partenaire privilégié pour nous, peut bien appuyer cette demande et la faire aboutir. Comme l’a dit mon collègue tout à l’heure, nul n’a intérêt à voir le système international gouverné par les Nations unies s’effondrer.

[Traduction]

Le président : Merci. Je vais profiter de ma position de président pour stimuler la discussion, puisque vous avez tous touché quelques cordes nostalgiques chez moi, surtout le haut-commissaire Shaik sur l’ordre international fondé sur des règles, qui a été un énorme point de discorde au sommet du G7 à Charlevoix avec les Américains qui avaient établi l’ordre international fondé sur des règles, quelle que soit la définition qu’on en donne. J’aime bien votre précision à cet égard. Lors de la journée de sensibilisation — c’est-à-dire le sommet élargi — trois de vos dirigeants étaient présents pour discuter de la pollution plastique des eaux qui s’est plutôt bien déroulée, mais nous n’avons pas pu obtenir une couverture immédiate du G7.

Il me semble que, pour tous ces exercices de sommet, l’hôte précédent laisse toujours quelque chose en héritage. Quelques thèmes se répètent au fil des sommets, notamment celui de l’Afrique. Du côté du G7, nous héritons d’un certain nombre de sujets que les Italiens ont abordés pendant leur présidence. En Afrique du Sud, vous hériterez d’une partie de ce que le Brésil a fait lors de la précédente présidence du G20. Dans notre pays, nous avons actuellement une sherpa responsable du G7 et du G20, Cindy Termorshuizen, et je suppose qu’elle participe à la réunion des sherpas du G20.

Ma question est la suivante : est-il possible d’établir des recoupements dès le début entre les deux ordres du jour, en reconnaissant que le G20 est un animal plus grand, vu la participation des ministres des Finances? Vous avez mentionné l’enjeu du financement du développement. Si cette collaboration peut intervenir plus tôt, pouvons-nous envisager une sorte de déclaration ou de stratégie spéciale des pays sur l’Afrique? Désolé, c’était une longue question. J’ai enfreint ma règle.

M. Shaik : La réponse brève est oui et oui. Je pense qu’il faut faire des recoupements. Compte tenu de l’affinité particulière de l’Afrique du Sud pour le Canada et de l’histoire particulière du Canada en Afrique du Sud, nous devons une grande partie de notre démocratie à tout le bon travail effectué par le CRDI et la diplomatie canadienne en Afrique du Sud, dont nous sommes incroyablement conscients. Je pense que ce modèle peut encore être utilisé, ainsi que le type de recherche qui doit être effectué pour trouver ces recoupements, la recherche des liens nécessaires entre les données, qui peuvent orienter les dirigeants du G7 et du G20 au sujet de la continuité.

Il s’agit d’une relation tout à fait singulière qui pourrait ne pas se reproduire dans le monde avant longtemps. Nous ne devons pas rater cette occasion de construire précisément et exactement ce que vous dites. Pour ma part, nous nous engageons déjà auprès des dirigeants de mon pays à rechercher ce partenariat dès maintenant, et non pas dans un an, parce qu’il s’accompagnera de bon nombre des défis dont nous avons discuté au fil de la prochaine décennie.

Le président : Merci, monsieur le haut-commissaire. C’est exactement ce que je voulais entendre. Je vous en suis reconnaissant.

Le sénateur Cardozo : Je remercie les chefs de mission d’être présents. Vous représentez tous des pays très importants en Afrique. Je pense également que chacun d’entre vous est très accompli et très respecté comme chef de mission à Ottawa. C’est un honneur de vous recevoir.

Je voudrais vous poser une question sur la Russie et la Chine en Afrique. Chacun d’entre vous pourrait-il nous en dire un peu plus à ce sujet? Ce qui me préoccupe, c’est que certains ont l’impression qu’ils s’implantent au galop dans les pays africains et que nous ne le faisons pas, en matière d’établissement de relations et d’aide à la construction des pays. Pourrais-je demander que chacun de vous prenne 45 secondes pour nous dire brièvement ce qu’il en pense et ce qu’il constate?

[Français]

Mme Otmani : Je crois que c’est une question très importante et très délicate quand on dit qu’il y a « à faire en Afrique », et c’est justement la raison pour laquelle nous souhaitons que le Canada vienne. Si le Canada ne vient pas en Afrique et ne prend pas la place qui lui revient, d’autres pays et puissances vont la prendre. C’est tout à fait naturel, aussi bien la Russie que la Chine.

La Chine, quand elle vient en Afrique, ne fait pas de cas de quoi que ce soit. Elle vient, elle voit ce qu’elle peut faire et elle le fait. Elle ne s’embarrasse pas de quoi que ce soit, elle ne s’immisce pas dans les affaires internes ni dans les questions des droits de la personne. Il est donc tout à fait normal que la Chine vienne avec ses propres conditions et avec les facilités qu’elle donne.

Je pense que quand il y a un vide, d’autres l’occupent. Notre souhait et la raison de notre appel, c’est qu’on veut que le Canada vienne prendre la place qui lui revient; le Canada a de l’expertise et une très bonne réputation en Afrique, mais il n’est pas là. C’est dommage. Donc, vous comprendrez que d’autres puissances viennent faire des affaires en Afrique, que ce soit la Chine, la Russie ou d’autres pays.

Le sénateur Cardozo : Merci.

M. Higiro : Merci, sénateur.

Je crois que les relations entre l’Afrique et la Chine et la Russie sont avant tout bilatérales. Il y a une dimension continentale, mais elle est bilatérale et basée sur des principes de relations internationales que nous connaissons tous, notamment la question du respect du droit international.

En ce qui concerne les relations commerciales économiques, je pense que cela dépend des négociations ou des intérêts des États ou du continent. Dépendamment de l’offre que chaque continent ou nation fait à ses partenaires, je crois qu’il revient à chacun de prendre la décision ou l’orientation politique ou diplomatique appropriée.

Pour les questions de paix, de sécurité et autres, je crois que la plupart des États africains se réfèrent davantage aux principes qui guident les Nations unies. Je crois que c’est par rapport à ces principes que les États africains se positionnent.

Merci.

[Traduction]

Le président : Je suis désolé, sénateur Cardozo, le temps est écoulé.

Je tiens à souligner que le sénateur Harder, de l’Ontario, s’est joint à nous.

Le sénateur Al Zaibak : Ma question porte sur la consolidation de la paix et la coopération en matière de sécurité. Si j’ai le temps, je poserai plus tard une autre question sur les liens culturels et entre les peuples.

Comme nous le savons tous, le Canada a joué un rôle de premier plan dans le soutien des efforts de consolidation de la paix et de la sécurité en Afrique. Toutefois, compte tenu des défis actuels dans certaines régions, il faut approfondir la collaboration internationale. Selon vous, comment le Canada peut-il contribuer efficacement aux efforts de consolidation de la paix et de stabilité régionale dans vos pays respectifs et dans toute l’Afrique?

M. Shaik : C’est une question très intéressante. Je vois bien comment le Canada peut se mettre dans l’embarras quant à ce qu’il doit faire. Je pense qu’il faut travailler avec l’Union africaine. Il faut travailler avec les organisations régionales connues : la Communauté de développement de l’Afrique australe, la SADC, l’Union du Maghreb arabe, la Communauté de l’Afrique de l’Est.

En travaillant à l’échelle régionale, au vu de la plupart des conflits en Afrique, on constate que la solution africaine à ce problème consiste à s’assurer que les dirigeants régionaux de la région dans laquelle le problème se produit s’occupent de la question. Par exemple, la SADC s’attaquera au conflit qui sévit au Mozambique. Si le Canada souhaite apporter une aide quelconque, qu’il le fasse par l’intermédiaire de la SADC et qu’il veille à ce que cela se fasse sur une base régionale plutôt que de pays à pays.

Je sais qu’il y a toujours une préférence pour le travail de pays à pays, mais compte tenu de l’Afrique et de sa dynamique, il est préférable de passer par une région, et en particulier par l’Union africaine, les commissaires à la paix et à la sécurité que nous avons là-bas.

M. Higiro : À ce sujet, je voudrais ajouter que la plupart des conflits sont, bien sûr, parfois internes, mais qu’ils impliquent surtout différents pays. C’est pourquoi, dans bien des cas, il est nécessaire de trouver une solution régionale. En Afrique, c’est ce que font les pays.

Selon moi, pour que le Canada puisse apporter sa contribution, il doit d’abord comprendre les causes profondes de ces conflits, car certains d’entre eux sont profonds et remontent à loin. Pour que le Canada donne les bons conseils, il est important de comprendre le problème, la cause et, fort probablement, d’aller sur le terrain et d’essayer de parler aux gens, aux différentes parties prenantes et essayer d’exercer une certaine influence, mais en se basant sur de bonnes preuves et de bons renseignements.

Le président : Merci.

Le sénateur Ravalia : Si je peux revenir à la question initiale du sénateur Cardozo, j’adresserai d’abord ma question à Son Excellence Ngole Ngwese.

On a beaucoup parlé de la création par la Chine d’une « diplomatie du piège de la dette ». Dans quelle mesure l’initiative chinoise de la Ceinture et la Route a-t-elle eu un impact sur votre pays et, le cas échéant, a-t-il été positif ou y a-t-il eu des aspects qui vous ont inquiété?

M. Ngwese : Merci pour cette question, sénateur.

[Français]

La Chine est un pays qui, depuis quelque temps, est entré en force en Afrique, dans un certain nombre de pays africains. Vous avez constaté que la Chine est le premier bailleur de fonds pour les pays africains. Très souvent, la Chine est l’un des rares pays qui n’attachent pas beaucoup de ficelles ou de conditions à ses interventions en Afrique; elle n’exige pas telle ou telle réforme dans telle ou telle institution en ce qui a trait aux droits de l’homme, par exemple. La Chine vient pour faire des affaires avec les Africains et les Africains que nous sommes — dans mon pays, nous faisons des affaires avec la Chine.

À ma connaissance, la coopération entre la Chine et le Cameroun au plan économique est tout à fait fructueuse et l’on ne s’en plaint pas. La Chine a aidé le Cameroun à développer un certain nombre d’infrastructures et continue d’ailleurs de le faire. Si vous avez suivi l’actualité, il y a deux ou trois jours, l’édifice de l’Assemblée nationale du Cameroun a été inauguré. Il a été construit par la Chine. Le palais des congrès de Yaoundé a été construit par la Chine. La Chine construit des barrages. C’est vrai que cela ne se fait pas gratuitement et qu’il s’agit d’intérêts mutuels. La Chine sait ce qu’elle prend chez nous et nous savons ce que nous prenons auprès de la Chine. C’est pour cela que je vous encourageais tout à l’heure. Il ne faut pas que le Canada soit timide dans ses interventions. Un collègue a parlé de vide. Là où il y a un vide, quelqu’un d’autre intervient, et nous parlons de relations internationales. Il s’agit d’abord des intérêts.

En résumé, nous sommes tout à fait à l’aise avec la coopération chinoise, qui n’est presque jamais accompagnée de conditionnalités qui nous mettent mal à l’aise. C’est pour cela que vous m’avez entendue, dans mon allocution d’ouverture, parler de l’image que le Canada a en Afrique. À partir de cette image, nous attendons que le Canada vienne prendre pied dans nos pays et faire des affaires avec nous. Nous ne nous plaignons donc pas du travail que nous faisons avec la Chine.

La sénatrice Gerba : Ma prochaine question s’adresse à toutes Leurs Excellences. Comme vous le savez, la stratégie du Canada pour l’Afrique sera publiée d’un moment à l’autre et on en connaît déjà les grandes lignes. Notre étude au Sénat en est une qui a trait au long terme et le rapport va certainement sortir avant le Sommet du G7 que nous accueillerons.

Vous avez parlé de différents secteurs et de différentes opportunités et vous avez nommé quelques approches, comme les États-Unis avec leur pouvoir africain et la Chine qui construit les barrages et toutes les infrastructures. En sachant que le Canada ne peut pas aller dans tous les sens, si vous aviez un secteur structurant et transversal où le Canada devrait ou pourrait s’investir en Afrique et où il pourrait gagner, puisqu’on parle de partenariat gagnant-gagnant, quelle recommandation feriez-vous?

M. Ngwese : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, monsieur le président.

Madame la sénatrice, je pense que lorsqu’on regarde l’Afrique de façon globale et qu’on a envie d’assister à l’essor de ce continent, je pense que sur le terrain, les vrais problèmes que l’Afrique a en ce moment sont des problèmes de communication. Nous avons besoin d’infrastructures de communication. Vous trouverez rarement deux ou trois pays africains reliés par une route. Comment est-ce que les économies peuvent décoller dans un tel contexte? Il faut commencer par penser à irriguer le continent africain par des moyens de communication, des moyens de transport et par l’énergie. Nous avons parlé de l’implantation des industries de transformation. On ne peut pas transformer si l’on ne dispose pas d’une source d’énergie constante et sûre.

Par conséquent, il s’agit du transport, des communications et de l’énergie. Pour moi, c’est structurant. Les projets qui peuvent être classés dans cette catégorie, à mon avis, peuvent permettre de tirer l’Afrique de son marasme. Merci.

Mme Otmani : J’irais plutôt vers les industries de transformation, parce qu’il y a des secteurs qui sont prioritaires aussi bien pour l’Afrique que pour le Canada. Je pense par exemple aux secteurs de l’agroalimentaire, de l’électronique et de l’automobile. Maintenant, on parle de plus en plus de batteries électriques. Or, nous avons les matières premières. Le Canada devrait pouvoir nous aider à transformer ces matières premières pour fabriquer des batteries et des composantes pour les véhicules électriques, par exemple.

Nous avons donc la matière première, mais nous avons besoin d’avoir des industries de transformation sur place, et le Canada peut nous aider à cet effet.

La sénatrice Gerba : Merci.

M. Higiro : Merci. Moi, j’ai pensé au renforcement de l’éducation en Afrique.

Je crois que le Canada a un avantage comparatif très important dans le domaine universitaire, la recherche et l’innovation, mais surtout dans la formation professionnelle.

Je crois qu’on a besoin de professionnels qualifiés en Afrique et qu’il y a des possibilités de partenariat avec des institutions d’enseignement secondaire et universitaire en Afrique. Mais pour cela, il faut qu’il y ait des initiatives pragmatiques, volontaristes et soutenues par le Canada et les gouvernements en Afrique. Je crois que cela pourrait être très porteur.

La deuxième chose, c’est qu’il faut encourager la présence des banques canadiennes en Afrique pour favoriser les échanges commerciaux entre le Canada et l’Afrique.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Vous pouvez prendre quelques secondes pour répondre à cette question, puis je poserai ma question, monsieur Shaik.

M. Shaik : Vous avez 1,2 trillion de dollars qui dorment dans vos fonds de pension et qui n’ont nulle part où aller. Ils vont soit retourner aux États-Unis — ils sortent de Chine; ils n’iront pas en Inde — soit en Afrique.

Prenez vos institutions de financement du développement — FinDev, EDC —, rencontrez-les et assurez-vous qu’elles disposent de tous les capitaux concessionnels nécessaires pour développer les instruments permettant de réduire les risques en Afrique. Je m’exprime ainsi parce que j’ai passé sept ans dans une banque de développement et que les banquiers de développement peuvent effectivement faire tout ce qu’ils ont dit, mais ce qu’il faut, c’est un financement du développement à l’échelle. Cela réduira les risques du marché et permettra au secteur privé d’y participer. Je vous remercie de votre question.

Le président : Merci beaucoup. À propos, les fonds de pension sont une solution que nous avons explorée, mais qui n’a pas vraiment fonctionné.

La sénatrice Coyle : C’est un point très important, et je suis d’accord avec vous. Il était bon de conclure ces réponses ainsi.

J’aimerais revenir à notre conversation sur les supergrappes ou les grappes d’innovation mondiales et sur les relations entre le Canada et divers pays ou régions d’Afrique. Je tiens simplement à m’assurer que je comprends bien ce que vous suggérez.

Il se trouve que nous avons choisi ces secteurs parce que ce sont des secteurs forts pour le Canada, et certains d’entre eux peuvent correspondre à des secteurs de force et d’occasion pour différentes régions ou différents pays d’Afrique. D’autres ne le sont pas, et vous pourriez souhaiter stimuler d’autres types de grappes en Afrique. Est-ce que ces deux considérations s’appliquent, c’est-à-dire, ces partenariats dans les grappes précises que nous avons déjà créées ainsi que la manière dont nous procédons au développement de ces grappes dont vous parlez, qui peuvent être très différentes dans le contexte de l’Afrique?

M. Shaik : La raison pour laquelle j’ai choisi ces grappes est que c’est là que se trouve votre force. Je reviens toujours à Pline l’Ancien lorsqu’il dit que quelque chose de nouveau émane toujours de l’Afrique. En effet, il y a toujours quelque chose de nouveau qui émane de l’Afrique. L’innovation qui existe dans le secteur bancaire — et je sais que c’est terrible pour moi de le dire — est incroyable. Je pense que les banques canadiennes ont beaucoup à apprendre des virements de fonds par téléphonie mobile qui ont lieu en Afrique. C’est un domaine où vous pourriez apprendre. En Afrique, nous finançons les « non-bancables », et parce que nous le faisons, les résultats sont au rendez-vous.

Vous aurez des choses à apprendre à cet égard, mais en ce qui concerne votre grappe océanique et votre grappe des industries de protéines, nous avons beaucoup à apprendre. Une partie de l’Agenda 2063 consiste à savoir si nous pouvons faire de l’Afrique le grenier alimentaire du monde. C’est la raison pour laquelle nous nous y intéressons tant. Nous pourrions être le grenier alimentaire du monde, compte tenu des ressources dont nous disposons et du beau temps que nous avons.

La sénatrice Coyle : Vous pourriez aussi être l’énergie verte.

M. Shaik : Nous pourrions aussi être l’énergie verte. C’est la raison pour laquelle je cherche à établir ce lien.

Le président : Chers collègues, nous sommes arrivés à la fin d’une séance stimulante. Il est très rare que nous ayons l’occasion d’avoir un échange comme celui-ci. Nous nous voyons de temps en temps lors d’événements, mais celui-ci était très concentré.

Au nom du comité, je voudrais remercier Son Excellence Souriya Otmani, Son Excellence Prosper Higiro, Son Excellence Ngole Philip Ngwese et Son Excellence Rieaz Shaik, tous hauts-commissaires et ambassadeurs. Vous honorez vos pays par votre présence dans notre capitale. Nous vous sommes reconnaissants d’être venus et nous allons délibérer sur ce que vous nous avez offert.

Chers collègues, il est prévu de nous revoir demain matin à 11 h 30 dans cette salle. L’idée était de passer la première heure en public avec le ministre du Développement international, Ahmed Hussen, et d’achever l’audition de nos témoins sur l’étude sur l’Afrique et de conclure. Il m’a téléphoné juste avant cette réunion. Il est malade; il a l’air mal en point, et nous envisageons d’inviter son sous-ministre ou quelqu’un d’autre. Le processus est en cours. Nous enverrons un message pour vous en informer, car si nous ne parvenons pas à trouver quelqu’un, nous annulerons cette réunion, mais il est toujours prévu de tenir à 12 h 30 une discussion à huis clos sur les futurs travaux du comité. Ne quittez pas vos écrans des yeux et nous vous tiendrons au courant de ce qui se passera demain.

(La séance est levée.)

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