LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 29 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour mener une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Peter Harder, de l’Ontario, vice-président du comité; le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
Nous faisons salle comble, chers collègues.
Bienvenue à tous les membres du comité, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent. Aujourd’hui, nous nous intéressons encore une fois à la situation en Ukraine, dans le cadre de notre plan de faire le point régulièrement sur ce dossier très important. Nous recevons deux groupes de témoins, qui se joignent tous à nous par vidéoconférence.
Nous accueillons d’abord Mme Maria Popova, professeure agrégée au Département de science politique de l’Université McGill. Mme Popova a déjà comparu devant nous le 3 mars. Se joint aussi à nous M. Aurel Braun, professeur titulaire, Relations internationales et sciences politiques, de l’Université de Toronto. Enfin, nous accueillons Mme Jane Boulden, professeure au Département d’études politiques du Collège militaire royal du Canada, de l’Université Queen’s.
Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Comme d’habitude, vous disposez de cinq minutes chacun. Vos déclarations seront suivies d’une période de questions des sénateurs.
Maria Popova, professeure agrégée, Département de science politique, Université McGill, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner en ce moment charnière de la guerre que la Russie mène en Ukraine. Le porte-parole du président russe, M. Peskov, vient d’annoncer que le président Poutine signera demain un décret d’annexion de quatre régions ukrainiennes à la suite de faux référendums tenus au début de la semaine. Ma déclaration portera sur la signification de ce tournant dans la guerre et sur la manière dont le Canada devrait y réagir.
D’abord, ces référendums ne sont nullement légitimes; d’ailleurs, nous devrions probablement employer un autre terme pour parler de ces actions faites par la Russie. Normalement, l’expression « voter avec un fusil sur la tempe » est employée au sens figuré, mais dans ce cas-ci, les votes ont littéralement été recueillis par des forces d’occupation armées. Nous savons que les militaires russes ont fait du porte-à-porte dans des endroits comme Kherson, qu’ils surveillaient les gens pendant qu’ils remplissaient les bulletins de vote et qu’ils menaçaient de punir ceux qui refusaient de voter.
Certains croient que la Russie tient ces scrutins pour donner un vernis de légitimité démocratique à sa conquête de l’Ukraine. D’après moi, cette interprétation est fondée sur une mauvaise compréhension des objectifs de la Russie. La Russie sait que ces référendums ne sont pas légitimes, et elle est parfaitement consciente que l’Occident le sait aussi. Par ces référendums, la Russie cherche à remplir deux objectifs. D’abord, elle veut montrer aux résidents des régions ukrainiennes touchées que la Russie les occupe depuis toujours et qu’elles doivent se soumettre à son autorité; c’est donc une tactique de manipulation. Ensuite, elle veut se servir des faux résultats et des décrets d’annexion pour donner à réfléchir à l’Occident et pour changer le cours de la guerre en menaçant l’escalade si l’Ukraine tente de reprendre ces régions militairement.
Alors, que devrait faire le Canada? Premièrement, nous devons déclarer haut et fort non seulement que les référendums et les décrets d’annexion ne sont pas légitimes en vertu du droit international, mais encore qu’ils n’auront aucune incidence sur l’engagement pris par le Canada d’aider l’Ukraine à libérer son territoire. Nous devons insister sur le fait que le Canada reconnaît le territoire ukrainien comme établi par le droit international et que sa position demeurera inchangée en dépit des référendums et des décrets d’annexion.
Deuxièmement, nous devons maintenir et, dans la mesure du possible, renforcer notre soutien militaire et financier afin d’aider l’Ukraine à accroître la contre-offensive qu’elle a menée avec succès en septembre. L’aide militaire à l’Ukraine est pleinement mise à profit et elle est utilisée dans le seul but de libérer le territoire ukrainien. En ce moment charnière où l’armée ukrainienne gagne du terrain, les alliés de l’OTAN devraient faire fond sur ses victoires pour l’aider à avancer. Depuis le début de la guerre, nous avons vu à maintes reprises que le président russe comprend la force et que son armée bat en retraite lorsqu’elle est défaite. Par conséquent, la meilleure stratégie à employer pour mettre fin à la guerre, c’est d’aider l’armée ukrainienne à la remporter. L’Occident doit demeurer uni et il doit réagir avec force et confiance aux actions de la Russie.
Merci. Je suis disposée à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Popova. Au cas où nos témoins ne soient pas au courant, je tiens à mentionner qu’hier, le Sénat a adopté une motion visant, entre autres, à dénoncer les faux référendums tenus par la Russie.
Aurel Braun, professeur titulaire, Relations internationales et sciences politiques, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie pour l’invitation. Ma déclaration portera sur le portrait global.
La dévastation causée par l’agression injustifiée de la Russie contre l’Ukraine laisse des marques indélébiles, que ce soit l’horreur des fosses communes découvertes dans les villes ukrainiennes libérées, les preuves de plus en plus nombreuses des horribles tortures et crimes de guerre perpétrés par les troupes russes ou les millions de réfugiés ukrainiens. Or, bien qu’elle soit la victime principale des ambitions de Vladimir Poutine, l’Ukraine n’est pas la seule à essuyer des pertes. Le droit international est aussi la cible d’une attaque éhontée, les institutions internationales font face à un défi fondamental et une nouvelle impulsion a été donnée à la prolifération nucléaire. En outre, les tentatives de chantage nucléaire du Kremlin aggravent la situation.
Pour saisir la réalité globale, il nous faut plus que des aperçus; nous devons trouver une façon de regrouper le passé, le présent et l’avenir. Nous devons également regarder des vérités dérangeantes en face. Oui, Moscou est responsable de la tragédie en Ukraine, mais nous devons aussi reconnaître l’échec injustifié des mesures dissuasives de l’Occident. L’administration Biden se vante d’avoir prédit l’invasion, mais elle ne l’a pas prévenue. La faute portée par le régime de Poutine ne nous libère pas de la responsabilité d’avoir échoué à empêcher l’attaque. Pour que l’issue de la guerre puisse être qualifiée de juste, il faut non seulement que l’Ukraine survive et l’emporte, mais aussi que l’Occident restaure sa force de dissuasion. Pour y arriver, il faut d’abord admettre que les politiques de l’Occident étaient quasi irresponsables. Je m’empresse d’ajouter qu’en disant que l’agression était évitable, je n’insinue pas que l’Occident a victimisé la Russie et qu’il l’a poussée à attaquer par réaction. Moscou est maître de ses actions, et son invasion de l’Ukraine n’est indubitablement pas un acte de défense.
Cela nous amène au premier problème : la tendance dans certains milieux de confondre la cause et l’excuse. Bien que Moscou soit assurément mécontent de l’élargissement de l’OTAN, ce n’est pas la raison principale de l’invasion de l’Ukraine. N’oublions pas que l’adhésion à l’OTAN n’était pas une préoccupation réelle en 2014, lorsque la Russie a envahi l’Ukraine pour la première fois.
En deuxième lieu, il faut comprendre les forces motrices nationales à l’œuvre dans la politique étrangère russe et la transformation de l’ordre international. Certains considèrent peut-être Poutine comme un échec en raison de son invasion ratée de l’Ukraine. Pourtant, dans les faits, s’il a envahi l’Ukraine, c’est parce qu’il était considéré comme un échec en Russie. La politique étrangère russe est influencée par quatre crises nationales actuelles ou imminentes et inextricablement liées : une crise de légitimité politique, une crise économique, une crise identitaire et une crise de succession. Vladimir Poutine tente de conserver le pouvoir par la manipulation en usant d’un genre de réalisme magique politique qui combine répression et ridicule. La réalité, c’est qu’en 22 ans, il a été incapable de moderniser un pays au potentiel quasi infini; il doit donc tenter de remporter des victoires à l’étranger pour détourner l’attention de ses échecs monumentaux en Russie. La kleptocratie qu’il dirige a eu un effet dévastateur sur la Russie et le peuple russe.
En même temps, nous assistons à un retour de la géopolitique sous une forme particulièrement virulente : le recours à la puissance coercitive et à la violence s’est traduit par ce que Poutine voit comme des réussites externes grâce auxquelles il a gagné en popularité et en légitimité en Russie. C’est peut-être l’ancien vice-premier ministre Dimitri Rogozine qui a le mieux exprimé cette prédilection pour la projection de force lorsqu’il a plaisanté, en 2015, qu’il n’était pas inquiet que les Russes se voient refuser des visas puisque « les chars d’assaut n’ont pas besoin de visa ». Le succès apparent de la projection de puissance coercitive par Poutine et la réponse inefficace de l’Occident n’ont pu que porter Poutine à croire que son pari était gagnant. Ce n’est pas aux échecs que Poutine joue, c’est au poker.
Troisièmement, la Russie, comme tous les autres pays, doit être traitée conformément à sa taille. L’Occident a échoué sur ce plan. Même si tout ce qu’il reste à la Russie d’une superpuissance, c’est l’arme nucléaire, la timidité de l’Occident, ses intérêts à court terme, son manque de vision et sa croyance en des théories erronées sur l’interdépendance ont poussé l’Occident à traiter la Russie comme si elle était plus grande qu’elle ne l’est. Ainsi, au lieu de prendre des mesures dissuasives à son égard, l’Occident lui a montré de la déférence. Pendant que Poutine augmentait sensiblement ses dépenses militaires, de leur côté, les pays européens et le Canada réduisaient considérablement la taille de leurs forces armées et limitaient leurs propres dépenses militaires. En outre, la dépendance de l’Europe de l’Ouest, en particulier de l’Allemagne, à l’énergie russe a procuré des fonds à Moscou et a renforcé son influence. De plus, avant le 24 février, Washington insistait sur le fait que la défense de l’OTAN ne dépasserait pas les frontières du territoire de l’alliance, dans un effort de ne pas provoquer Poutine. Or, ces propos pouvaient être interprétés par Poutine comme lui donnant le feu vert pour envahir l’Ukraine. En somme, l’Ukraine avait les apparences d’une cible vulnérable.
Enfin, la Russie tente maintenant de se servir du chantage nucléaire en plus de l’énergie comme moyen de diviser et d’effrayer l’Occident, qui a fourni beaucoup moins d’aide à l’Ukraine qu’elle en nécessite et en mérite. Pourtant, il faut bien comprendre que céder au chantage nucléaire du Kremlin à l’endroit de l’Ukraine ne mettrait pas fin aux ambitions étrangères de Poutine; au contraire, cela en ferait naître de nouvelles.
En conclusion, Vladimir Poutine continue à faire des paris, et ses objectifs se transforment continuellement. La meilleure façon pour l’Occident de réagir, c’est en restaurant sa force de dissuasion et en suivant la stratégie proposée par l’ancien premier ministre britannique. Cette stratégie n’est pas sans risques, mais elle a le mérite de reconnaître que le dirigeant russe n’est pas un fanatique suicidaire : l’invasion ordonnée par Poutine « doit échouer et être considérée comme un échec ». Après, le dirigeant russe devra se trouver lui-même une porte de sortie.
Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup.
Jane Boulden, professeure, Département d’études politiques, Collège militaire royal du Canada, Université Queen’s, à titre personnel : Je vous remercie pour l’invitation.
Après avoir fait une supposition éclairée quant aux sujets que les autres témoins aborderaient, j’ai choisi de parler de deux enjeux et de leurs répercussions. Cela dit, je serai heureuse de discuter d’autres questions relatives à la situation actuelle. Je vais parler de deux dossiers distincts mais liés qui découlent de la guerre en Ukraine et qui revêtent une importance particulière pour la politique étrangère canadienne. Il s’agit des Nations unies et des armes nucléaires. Le Canada pourrait assumer un rôle de premier plan dans ces deux dossiers sur la scène internationale.
Par rapport aux armes nucléaires, des tendances apparemment contradictoires ont émergé au cours de la dernière année. D’un côté, un traité sur l’interdiction des armes nucléaires a été adopté. De plus, en janvier dernier, les cinq premiers États détenant l’arme nucléaire ont signé une déclaration pour affirmer qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée. Ce sont deux développements positifs. D’un autre côté, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation où la possibilité que des armes nucléaires soient utilisées sur le champ de bataille est élevée. Il y a beaucoup à dire à ce sujet, mais je vais me concentrer sur les répercussions de cette réalité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
D’abord, une nouvelle question s’impose concernant les répercussions à long terme de la situation actuelle sur notre rapport avec l’arme nucléaire : la Russie aurait-elle été dissuadée d’attaquer l’Ukraine si celle-ci représentait une menace d’escalade nucléaire? L’acceptation de la possession d’armes nucléaires par un petit nombre d’États est fondée en grande partie sur la supposition que les États qui détiennent déjà des armes nucléaires se comporteront de manière responsable. Si cette supposition est infirmée ou remise en question, les États pourraient reconsidérer la possibilité d’acquérir des armes nucléaires, surtout s’ils sont situés dans des régions sujettes aux conflits. Les États ne commenceront pas nécessairement à se doter d’armes nucléaires sur-le-champ, mais cela veut dire que nous entrons dans une ère qui exige un réexamen des bases de l’ordre actuel relatif à l’arme nucléaire. Le Canada a déjà joué un rôle de premier plan dans les dossiers liés au contrôle des armes nucléaires et les réflexions générales à ce sujet; selon moi, il pourrait reprendre ce rôle aujourd’hui.
Ensuite, en ce qui concerne les Nations unies, la guerre en Ukraine soulève à nouveau des questions quant à la nature du Conseil de sécurité de l’ONU. Quand l’ONU a été créée, tout le monde comprenait que parce qu’il comptait des membres permanents détenant le droit de veto, le Conseil de sécurité serait incapable de régler tout conflit impliquant un membre permanent. Les États se sont opposés à cette idée durant les négociations de la Charte de l’ONU, mais les grandes puissances ont répondu que cette condition était non négociable. Plus précisément, elles se sont engagées, à titre de membres permanents, à agir de manière responsable, de concert les uns avec les autres, et à assurer le bon fonctionnement de l’organisation. C’est ce que cherchaient les petits États : une organisation fonctionnelle. Ils ont donc accepté ce compromis afin que l’organisation soit créée.
Cependant, aujourd’hui, les fondements de l’organisation sont ébranlés et remis en cause, surtout étant donné la guerre en Ukraine. Cette situation accentue la pression par rapport au besoin de réformer le Conseil de sécurité. C’est une question difficile. Il est fort probable que les membres permanents s’opposeront à un examen de la composition du Conseil de sécurité. De plus, il ne sera pas facile de décider quelle forme prendra un Conseil de sécurité réformé. Toutefois, l’incapacité de l’ONU de réagir efficacement à la violation flagrante de sa charte, ainsi que les violations répétées et manifestes du droit international par un membre permanent détenant des armes nucléaires minent la crédibilité et la légitimité de l’ONU aux yeux de nombreux États. Tous les États ont intérêt à ce que l’ONU ne soit pas affaiblie par son incapacité de maîtriser la guerre en Ukraine. Le Canada compte parmi les États dont le passé et l’avenir dépendent fortement de la capacité de l’ONU de fonctionner efficacement. Le Canada a déjà pris les rênes dans des dossiers relatifs à l’ONU et il pourrait le faire encore aujourd’hui.
Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, madame Boulden.
[Français]
Chers collègues, j’aimerais préciser que vous disposez chacun d’un temps de parole de quatre minutes maximum, les questions et réponses y comprises.
Je demande aux sénateurs et aux témoins d’être concis dans leurs réponses. Nous pouvons toujours tenir un deuxième tour de questions, si le temps le permet.
[Traduction]
Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. Ma question s’adresse à tous. Quelles sont les répercussions des sanctions internationales sur l’économie et la population de la Russie? Recommanderiez-vous des sanctions additionnelles?
Mme Popova : L’objectif des sanctions internationales est de faire en sorte qu’il soit difficile pour la Russie de faire la guerre, et non de nuire aux profits de la population russe pour qu’elle mette fin à la guerre. Nous voyons que l’économie russe fait les frais des sanctions. La prochaine chose à faire, ce serait de renforcer les sanctions contre les exportations d’énergie de la Russie afin de diminuer ses recettes. Ce serait alors encore plus difficile pour la Russie de faire la guerre.
M. Braun : Les sanctions n’ont pas donné lieu à de grandes réussites. C’est un instrument simpliste. La notion voulant qu’il existe des sanctions intelligentes n’est qu’un mythe théorique. Les effets des sanctions sont toujours limités. La cible désignée n’est jamais la seule touchée; les dommages collatéraux sont importants. Les sanctions doivent être associées à d’autres éléments. C’est pourquoi il est très important pour l’Ukraine de gagner sur le terrain. Les sanctions ont un effet corrosif, mais il met du temps à se faire sentir. On se demande si l’on devrait appliquer des sanctions secondaires contre d’autres pays comme la Chine et l’Inde... Comme ils achètent beaucoup d’énergie à la Russie, ils aident la machine de guerre russe.
Mme Boulden : Je suis d’accord avec les deux autres témoins. Pour que les sanctions soient efficaces, elles doivent avoir un but précis. Si l’un des objectifs est d’affecter les efforts de guerre de la Russie, alors je crois qu’il faut des sanctions axées sur l’énergie et que nous devons mettre les bouchées doubles pour rallier les états de notre côté. C’est l’un des dilemmes associés aux sanctions. Plus elles sont efficaces, plus elles sont coûteuses pour les États qui les imposent, qui les mettent en œuvre, ce qui complique les choses pour rallier les autres états. Nous devons travailler davantage à cette question.
Le sénateur MacDonald : Ma première question s’adresse à M. Braun, mais j’invite aussi les autres témoins à y répondre.
Monsieur Braun, vous avez dit plus tôt que Poutine n’avait pas réussi à atteindre la plupart des objectifs qu’il avait établis au début de la guerre. Il est de moins en moins populaire chez lui, mais c’est notamment parce qu’il n’a pas atteint ses objectifs et non parce que la population n’était pas d’accord avec lui. Selon vous, est-il possible qu’il soit renversé? Dans l’affirmative, est-ce qu’il serait remplacé par quelqu’un de mieux ou quelqu’un de pire?
M. Braun : Ce sont là des questions importantes, mais auxquelles il est difficile de répondre en raison de la nature des dictatures, qui semblent toujours très solides et très stables jusqu’à ce qu’elles ne le soient plus, d’un seul coup. Les sciences sociales ne nous ont pas permis de faire de très bonnes prédictions. C’est pourquoi nous n’avons pas réussi à prévoir les révolutions de l’Europe de l’Est, en 1989, et la chute de l’Union soviétique, en 1991. Toutefois, les éléments du changement sont en place en Russie.
Cette crainte qu’après un renversement, Poutine soit remplacé par quelqu’un d’encore pire que lui donne à penser que les dirigeants les plus fermes auraient une solution, ce qui n’est pas le cas. C’est pourquoi il est si important pour les pays occidentaux d’être déterminés, unis et forts. Il faut faire comprendre à ceux qui veulent la guerre que leurs gestes sont désespérés. C’est pourquoi Boris Johnson a dit que l’invasion russe devait non seulement échouer, mais aussi être perçue comme un échec.
La Russie et les Russes de façon générale n’ont pas de gêne antidémocratique. L’histoire nous a démontré qu’après la Deuxième Guerre mondiale, l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste et le Japon militariste se sont transformés en de vibrantes démocraties. Je ne vois pas pourquoi la Russie ne pourrait faire de même un jour.
Le sénateur MacDonald : C’est encourageant.
Mme Popova : Je réitèrerais que la chute des régimes autoritaires est habituellement subite. À l’heure actuelle, rien n’indique que quelqu’un d’autre souhaite prendre la place de Poutine ou qu’il y a un mécontentement au sein de la population. En fait, nous constatons que la population russe est prête à suivre les politiques, sans égard à l’orientation qu’elles prendront. Je vais vous donner un exemple, rapidement. Deux jours avant l’annonce de la mobilisation, les sondages montraient que seulement 20 % des Russes appuyaient une telle mesure. La mobilisation a été annoncée et le jour suivant, 50 % de la population l’appuyait. Il ne semble pas se créer de mouvement d’opposition en Russie à l’heure actuelle.
Mme Boulden : Je dirais moi aussi qu’en règle générale, la chute des régimes autoritaires est soudaine. J’ajouterais qu’une telle chute entraîne habituellement une période d’instabilité. On se préoccupe de ce qui arrivera à la Russie d’après Poutine — sans égard au moment où cette période arrivera et à la façon dont les choses vont se passer —, et aux effets qu’un tel changement aura à l’échelle régionale, mais aussi internationale.
Le sénateur Ravalia : Je remercie les témoins de leur présence.
Ma question s’adresse à Mme Popova. Les résultats des récentes élections en Italie — et dans une moins grande mesure en Suède — sont déconcertants : la population semble être plus du côté de Poutine et passer à la droite. Avec l’arrivée de l’hiver et la réalité des embargos sur le pétrole émanant de la fermeture ou du sabotage des gazoducs Nord Stream, est-ce qu’on peut s’attendre à ce que le soutien à l’égard de l’Ukraine demeure sans faille, malgré les pressions actuelles? Merci.
Mme Popova : C’est une bonne question, très importante. Certains signes montrent que le soutien pourrait s’affaiblir au cours de l’hiver. Toutefois, l’opinion publique en Europe demeure en faveur de l’Ukraine. Les efforts du gouvernement allemand s’avèrent quelque peu insuffisants, étant donné le soutien de la population allemande à l’égard de l’Ukraine. Il reste à voir de quelle façon le nouveau gouvernement italien se comportera, mais le gagnant des élections a manifesté son soutien à l’égard de l’Ukraine, du moins de façon rhétorique pour le moment. Le danger est bien présent, oui. Toutefois, je crois que Poutine commet une erreur stratégique semblable à celle commise en Ukraine. En mettant de la pression sur l’Europe et en la menaçant de toutes sortes de catastrophes, il la repousse et renforce sa position en faveur de l’Ukraine.
Le sénateur Ravalia : J’aimerais revenir à la question de l’Allemagne. Des rapports récents montrent que le pays hésitait à envoyer des chars d’assaut et d’autres équipements militaires en Ukraine, par crainte d’une escalade. Vous avez dit que les efforts de l’Allemagne n’étaient peut-être pas suffisants. Croyez-vous que cela s’explique uniquement par les liens économiques qu’elle entretient avec la Russie et sa dépendance au gaz?
Mme Popova : En partie, oui. Depuis longtemps, l’Allemagne adopte une approche de coopération avec la Russie. Les préoccupations relatives à une escalade étaient peut-être fondées au début de la guerre. Toutefois, la livraison d’armes provenant des États-Unis en Ukraine n’a pas donné lieu à une escalade en Russie. À l’heure actuelle, je crois que les arguments de l’Allemagne en ce sens sont de moins en moins crédibles.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
M. Braun : Les sociologues ont tendance à penser aux systèmes, mais les personnes sont aussi importantes. On ne peut comprendre ce qui se passe en Allemagne sans examiner le comportement d’Olaf Scholz. À certains égards, il est déjà isolé au sein de son propre gouvernement. Certains de ses alliés l’exhortent de prendre des mesures beaucoup plus fortes. Il est très réticent et agit de façon très timide. En gros, ce qu’il dit, c’est que son pays ne fournira pas d’armes lourdes ou de chars d’assaut, parce qu’il ne veut pas être le premier à le faire. Il demande presque à l’administration Biden de faire les premiers pas.
D’une certaine façon, l’Allemagne a besoin d’être poussée, notamment parce qu’elle est devenue dépendante de la Russie et qu’elle a grandement contribué au Fonds souverain, qui a fait croire à la Russie qu’elle pouvait survivre aux sanctions. L’Allemagne a une grande responsabilité à cet égard. J’ai fait valoir que les mesures dissuasives de l’Occident ont été un échec et que nous devions régler nos propres problèmes, et je crois que l’Allemagne est le parfait exemple pour expliquer pourquoi l’invasion n’a pas été évitée, alors qu’elle aurait pu l’être, à mon avis.
Le sénateur Harder : Je remercie les témoins pour ces commentaires provocateurs. Je m’intéresse particulièrement à la réponse de Mme Popova et de Mme Boulden lorsque M. Braun a décrit l’intervention de l’Occident comme étant « inefficace ». Je dirais plutôt que l’intervention de l’OTAN était forte, puisque la Finlande et la Suède ont rapidement pris des mesures pour se joindre à l’organisation, que le gouvernement allemand — malgré les critiques qui ont été faites — a pris des mesures très rapides et surprenantes lorsqu’il a augmenté les dépenses militaires et a mis de côté 30 années de politiques étrangères allemandes avec la Russie, et que le président Biden a su mobiliser l’appui de l’Occident — et même celui de la Turquie — en vue d’acheminer des armes vers l’Ukraine. De plus, ce matin, le président Erdoğan a lui aussi dénoncé les faux référendums, tout comme ses homologues. La situation est particulière pour les leaders et pour l’OTAN, mais je crois qu’il est irresponsable de qualifier l’intervention d’inefficace. J’aimerais entendre votre réponse à ce sujet.
Le président : Monsieur Braun, je crois que la question s’adressait à vous. Les autres témoins pourront aussi répondre, mais nous allons d’abord entendre M. Braun.
M. Braun : Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de répondre. J’aimerais être aussi optimiste que le sénateur Harder, mais malheureusement, les faits n’appuient pas ce que vous dites. Les promesses du gouvernement allemand ne se reflètent pas dans les changements apportés aux politiques. Olaf Scholz s’est engagé à dépenser 2 % du PIB. Est-ce qu’il l’a fait, sénateur? Non, je ne le crois pas. Il a promis d’offrir une aide substantielle à l’Ukraine. Est-ce qu’il l’a fait? Combien de chars antiaériens Gepard l’Allemagne a-t-elle fournis? Regardez les déclarations de l’Ukraine, qui témoignent de sa grande insatisfaction.
Oui, le fait que la Finlande et la Suède aient décidé de se joindre à l’OTAN est important et nous démontre que la Russie a aliéné ces pays, mais les Allemands nous disent qu’il n’y a plus rien dans les armoires et le chef d’état-major de l’Allemagne nous dit que le tiers des forces aériennes allemandes ne peut voler... Est-ce responsable? Comment peut-on prétendre que l’OTAN a agi de manière responsable alors que nous avons laissé nos moyens de défense s’affaiblir à ce point?
Mme Boulden : Si l’on examine la question dans son ensemble plutôt que de se centrer sur certains États en particulier, alors je suis d’accord avec le sénateur Harder : je crois que l’OTAN a répondu de manière assez forte. Je crois aussi qu’il est juste de dire qu’au départ, Poutine avait probablement présumé que le contraire se produirait et qu’il y aurait une lutte interne, que les États n’allaient pas être prêts à s’unir de cette façon pour une intervention de l’OTAN, parce que c’est coûteux pour tout le monde. Ce n’est pas ce que nous avons vu; les États ont réagi de façon unifiée, surtout pour les enjeux clés.
J’aimerais revenir à ce qui a été dit au sujet de l’escalade et des préoccupations de certains États, surtout de l’Allemagne. J’ajouterais ceci : lorsqu’on parle des États de l’OTAN et des décisions qui sont prises, on peut présumer que divers scénarios sont étudiés en coulisse et qu’on tient compte de la possibilité d’une escalade. Les États-Unis assurent un rôle de leader et font le pont avec tous les États membres, mais ils communiquent aussi avec la Russie. Nous avons tendance à l’oublier. Il se passe beaucoup de choses en coulisses... Ce n’est pas tout à fait la bonne image, mais je parle des discussions qui se trament en arrière-plan, qui témoignent de toutes les précautions qui sont prises pour veiller à ce que personne ne fasse un geste qui puisse par inadvertance mener à une escalade. Du point de vue de l’OTAN et de l’Occident, je crois que cela démontre le caractère unifié de notre intervention.
Le président : Merci, madame Boulden. Je suis désolé, madame Popova, mais nous n’avons plus de temps. Nous pourrons, je l’espère, y revenir plus tard.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.
J’aimerais revenir sur ce qui a été dit plus tôt. J’aimerais entendre Mme Boulden en premier. Vous avez tous parlé d’un élan de l’Ukraine au cours du dernier mois, et du désespoir du régime russe. Si Poutine est désespéré, on craint qu’il ne devienne plus agressif et qu’il utilise des armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille. Je reconnais ce qui a été dit jusqu’à maintenant, mais si nous en venions à cela, que resterait-il dans l’arsenal diplomatique du Canada et de ses alliés pour condamner un tel geste de manière à faire mal au régime? Y a-t-il place à d’autres sanctions? Quelles seraient nos meilleures options, qui nous permettraient d’éviter un conflit mondial?
Mme Boulden : Je crois qu’il y a toujours place à d’autres sanctions. Si une arme nucléaire était utilisée sur le champ de bataille, je crois que cela donnerait lieu à une intervention internationale plus importante et encore plus unifiée, qui irait au-delà de l’OTAN.
Le problème — et j’en ai parlé plus tôt —, c’est qu’on ne pourra pas passer par le Conseil de sécurité de l’ONU parce que la Russie en est un membre permanent et qu’elle bloquera toutes les tentatives en ce sens. Toutefois, l’Assemblée générale représente une option. Je crois que de nombreuses mesures multilatérales seraient prises pour trouver des façons de répondre de façon diplomatique à la Russie.
Les sanctions représentent la première mesure à prendre, parce qu’en règle générale, elles précèdent la guerre. C’est ce qui est perçu à l’échelle internationale. C’est un genre de signal, alors ce serait la première étape. Il y aurait aussi des efforts de communication continus avec la Russie en vue d’une désescalade. Poutine ne tirerait pas grand profit du recours à une arme nucléaire tactique ou sur le champ de bataille. C’est aussi une sorte d’avertissement. Je dirais qu’en guise de prélude — et je crois que c’est ce qui se passe tous les jours —, il faut communiquer et tenter de désamorcer la situation à l’avance, si l’on veut, pour envoyer des signaux à la Russie afin qu’elle n’emprunte pas cette voie.
Mme Popova : En fait, les États-Unis ont indiqué que l’utilisation d’armes tactiques en Ukraine pourrait déclencher une réponse militaire conventionnelle de l’OTAN, ce qui signifie qu’il y aurait une intervention militaire avec des soldats sur le terrain pour aider l’Ukraine. Cela est utilisé comme outil de dissuasion contre la Russie.
M. Braun : Ce serait une grave erreur de dire que la réponse serait diplomatique. Nous avons vécu la guerre froide. Nous avons démantelé l’Union soviétique, qui était une superpuissance. Ce n’est pas le cas de la Russie. La dissuasion nucléaire demeure très importante. Sans donner de détails, nous devons faire savoir à la Russie que ce type d’escalade aurait des conséquences catastrophiques pour elle.
Le sénateur Woo : Merci, chers témoins.
Ma question s’adresse à Mme Boulden et porte sur l’objectif ultime et le rôle que pourraient jouer les négociations et — disons-le — les pourparlers de paix. Je m’adresse à vous, parce que vous n’avez pas parlé des enjeux liés au champ de bataille en cherchant à faire équipe avec les autres témoins, ce dont nous vous sommes reconnaissants. Les deux autres témoins ont semblé laisser entendre qu’il n’y a pas de place pour une résolution à court terme tant que l’Ukraine n’aura pas repris tout son territoire, et possiblement aussi la Crimée. Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la dynamique du champ de bataille? Aura-t-on l’occasion, selon vous, de discuter relativement bientôt de la fin des hostilités?
Mme Boulden : Merci. Si j’analyse le conflit, nous sommes à un stade — et je crois que nous y sommes depuis un certain temps — où aucune des parties n’a d’intérêt à s’engager dans des négociations de paix sérieuses et actives. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de tentatives de rapprochement.
Prenons le cas de l’Ukraine pour commencer. Son but, dans cette guerre, continue d’être de regagner tout le territoire perdu, ce qui est un objectif tout à fait logique et raisonnable. C’est leur territoire. C’était l’objectif des Ukrainiens depuis le début, mais d’autant plus désormais compte tenu des gains qu’ils ont réalisés récemment. On a l’impression que cela pourrait se faire avec le soutien de l’Occident — maintenant, reste à savoir combien de temps cela prendra. Tant que vous avez cela en tête à titre de décideur, il n’y a pas d’incitatif à entamer des négociations. C’est ironique et malheureux, mais c’est la réalité.
Je pense que la situation est semblable en Russie, mais pour différentes raisons. Poutine a besoin et veut — et nous l’avons réellement constaté au cours de la semaine dernière — que cela se termine. Contrairement aux Ukrainiens, je dirais qu’il a changé ses objectifs au cours du conflit. Je crois que certains pourraient ne pas être d’accord, mais, selon moi, il se concentre désormais vraiment sur ces régions contestées, ce qui le dissuade de négocier, parce que c’est un objectif de guerre plus facile à gérer de son point de vue que de tenir compte du tableau dans son ensemble.
Le sénateur Woo : Je me questionne non pas sur ce que les Ukrainiens et les Russes pourraient vouloir, mais sur ce que des parties tierces telles que le Canada devraient faire. Devrions-nous nous concerter de sorte à encourager les deux parties à commencer à discuter, ou devrions-nous, peut-être, adopter le point de vue de M. Braun ou de Boris Johnson, à savoir que la Russie doit être la perdante et être vue comme telle? Je ne suis pas certain de savoir ce que cela signifie réellement, mais il s’agit d’une approche totalement différente de celle qui consiste à essayer de trouver une résolution à court terme.
Mme Popova : Je dirais qu’il n’est pas dans l’intérêt des tierces parties de chercher à instaurer la paix, parce que même si la paix était atteinte, ce serait de façon temporaire. Elle ne durera pas, parce que la seule façon d’avoir une paix durable serait que la Russie réévalue son objectif de contrôler l’Ukraine, ce qu’elle n’a pas fait. Il serait donc inutile de conclure un cessez-le-feu temporaire et de se préparer à une nouvelle guerre ultérieurement.
La sénatrice Gerba : J’aimerais remercier nos témoins. Permettez-moi de poser ma question en français.
[Français]
Je m’intéresse beaucoup plus au rôle des Nations unies, particulièrement de l’ONU. L’ONU a souvent condamné les actions de la Russie en Ukraine. Néanmoins, au fil des votes, un groupe de pays qui s’est constitué s’abstient toujours. On les appelle les « abstentionnistes ». En février 2021, ce groupe est passé de 35 abstentionnistes, sur 193 pays, à 58 lors du dernier vote. Parmi ces pays abstentionnistes figurent régulièrement la Chine, l’Inde et une vingtaine de pays africains, soit 50 % de la population mondiale.
Ma question s’adresse à tout le groupe de témoins. Quel regard portez-vous sur ce groupe qui est croissant? Quel rôle le Canada pourrait-il jouer pour s’allier ces groupes?
[Traduction]
M. Braun : De toute évidence, les dommages causés par cette guerre reflètent le système mondialisé dans lequel nous vivons. L’insécurité alimentaire et les répercussions sur les pays du monde entier sont très graves, et c’est là que le Canada peut faire une différence. Nous sommes un acteur majeur. Nous faisons partie du G7 et du G20. Nous avons une capacité d’appoint en ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire. Nous devrions faire tout en notre pouvoir pour en diminuer l’impact négatif, surtout pour les pays les plus vulnérables, car c’est là que la Chine et la Russie ont tenté d’exercer leur influence. Ces pays souffrent, mais subissent aussi parfois des pressions. Il est dans notre intérêt, non seulement d’un point de vue humanitaire, mais aussi d’un point de vue géopolitique, de nous impliquer dans ce dossier. Nous devrions jouer un rôle important.
Mme Popova : Je dirai simplement que nombre de ces pays ont considéré ce conflit comme un conflit régional et ont donc eu tendance à ne pas prendre position. Cela dit, il devient de plus en plus évident que ce conflit a des répercussions sur le monde entier, ces pays y compris, alors je ne m’attends pas à ce qu’ils continuent de tenter d’ignorer la guerre à l’avenir.
La sénatrice Boniface : Ma question fait suite à la question que le sénateur Woo a posée à Mme Boulden. Quel est l’impact, selon vous, de la mobilisation partielle annoncée plus tôt cette semaine? Certains parlent de 300 000 réservistes mobilisés. Quel sera l’impact de cette mobilisation sur le terrain? Ce sont des réservistes. Sont-ils prêts à combattre, selon vous?
Mme Boulden : Merci. Il est également difficile d’avoir accès à des sources d’information disponibles à ce sujet, mais ce que je vais dire est basé sur de telles sources.
Je pense qu’il y a beaucoup de questions sur l’état de préparation de ces troupes. On entend dire qu’elles sont envoyées directement au front sans entraînement ou préparation. Je pense que cela est probablement vrai en partie. Il est difficile de savoir combien de réservistes sont directement envoyés au front sans aucune préparation préalable. Il existe aussi des rapports contradictoires sur les personnes mobilisées. Je vais prendre l’approche traditionnelle des universitaires : cela dépend, on verra bien. Ce que l’on peut dire à propos du nombre, c’est que 300 000 soldats— si c’est la situation finale —, c’est beaucoup. Ce nombre à lui seul peut changer la donne sur le champ de bataille.
Cela dit, les enjeux que j’ai soulevés — l’entraînement, la préparation, l’équipement, le moral des troupes — et qui posent problème depuis le début auront un effet sur l’efficacité de ces troupes. C’est sans compter le fait que l’Ukraine continue de recevoir de l’équipement militaire plutôt efficace et utilisable — ce n’est pas le mot juste — de l’Occident, ce qui se fait sentir de façon significative sur le champ de bataille et peut parfois annuler la force du nombre. Je ne pense pas que cela va nécessairement renverser le cours des choses — c’est peut-être ce que vous cherchiez à savoir —, mais cela pourrait être un facteur à moyen terme, ne serait-ce qu’en raison du nombre.
M. Braun : Staline disait que la quantité est une qualité en soi. Un très grand nombre peut changer la donne, mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai l’impression que cela va aller dans les deux sens. Ces troupes pourraient avoir un impact, mais je ne suis pas du tout certain qu’elles feront une différence sur le terrain. Cela dit, si ces nouvelles recrues jetées en pâture subissent de très lourdes pertes, cela se ressentira en Russie.
Voilà pourquoi je suis très prudent quant à l’évolution des sondages d’opinion au jour le jour, car, à plus long terme, nous voyons des Russes voter en quittant leur pays ou en tentant de le quitter. Des centaines de milliers de Russes ont quitté le pays. L’augmentation des pertes humaines a un effet corrosif. C’est à ce moment-là que les régimes commencent à être confrontés au type de forces pouvant mener à leur désintégration. Vladimir Poutine prend tout un risque qui, comme je l’ai dit, pourrait aller dans les deux sens.
Mme Popova : Très rapidement, je dirai simplement que j’approuve ce que mon collègue a dit.
Le président : Excellent, merci. Je vous en suis reconnaissant.
Voilà qui met fin au premier tour de questions. Nous avons encore le temps de poser quelques questions. J’ai deux sénateurs sur ma liste pour le deuxième tour, et j’aimerais ensuite faire un commentaire à titre de président.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais revenir sur la question de l’utilisation d’armes nucléaires. Plus tôt cette semaine, Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a dit que la guerre en Ukraine a atteint un moment dangereux. Il croit que l’escalade nucléaire est une réelle possibilité. Madame Boulden, vous avez également dit aujourd’hui que le risque d’utilisation d’armes nucléaires est élevé. Le simple fait d’y penser est très troublant. Notre propre chef d’état-major a déclaré devant le Comité de la défense qu’il nous faut réapprendre la gestion des crises nucléaires. Comment devrait-on gérer cette situation? Que devrait-on faire face à cette menace très réelle?
Mme Boulden : Merci. Je pense qu’il y a un plus grand risque d’utilisation d’une telle arme sur le champ de bataille qu’auparavant. Je ne dirais pas nécessairement que le risque est élevé, cela dit. Comme je l’ai dit plus tôt, à part envoyer un message, à savoir qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de quelqu’un détenant l’arme nucléaire, le gain militaire n’est pas nécessairement énorme. On a tendance à croire que Poutine ne l’utiliserait que s’il n’avait plus d’autre choix.
Je n’ai pas nécessairement d’idées précises à vous donner à ce sujet, mais en matière de gestion, je crois que l’Occident, et, de façon plus générale, la communauté internationale, devrait tenter de trouver des solutions à chaque étape, au fur et à mesure des avancées.
Certains disent que Poutine a besoin d’une « porte de sortie ». Je n’utiliserais pas nécessairement ce terme. Poutine doit toujours sentir qu’il existe une autre option que celle du champ de bataille nucléaire. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles nous voyons un signal si fort des États-Unis à cet égard, en particulier de la part de Biden au cours de la dernière semaine, c’est précisément parce que ce dernier insiste sur ce point : Ne le faites pas. Il contribue à orienter la prise de décision dans une certaine direction.
Mme Popova : Le signal est dangereux, bien sûr, mais je vous rappellerais que l’armée russe a perdu plusieurs batailles dans cette guerre et a préféré battre en retraite plutôt que de passer à l’escalade nucléaire. Il est donc toujours peu probable que l’arme nucléaire soit utilisée.
Le moment le plus dangereux, ce serait bien sûr celui où la Russie serait sur le point de perdre la guerre pour de bon et où Poutine serait acculé au pied du mur. Cela dit, gardez à l’esprit qu’il pourrait nier être dans une telle situation et pourrait ne pas avoir l’occasion de décider ou non d’utiliser l’arme nucléaire; il pourrait être écarté avant d’avoir réalisé à quel point il est en train de perdre.
M. Braun : Dans ce genre de situation, il nous faut réapprendre les leçons tirées de la guerre froide, à savoir qu’il est parfois important d’en dire moins et d’en faire plus; il est possible d’envoyer de mauvais signaux, ce que l’administration Biden a fait plus d’une fois. Si l’on fait le bilan de ses signaux envoyés à la Russie, on voit qu’ils n’ont pas bien fonctionné. Ce qui se passe souvent, c’est que la partie qui dispose de ressources beaucoup plus importantes — l’Occident, dans ce cas-ci — doit garder une position dominante en ce qui concerne l’escalade. Voilà le message qui doit être transmis, non pas en paroles, mais en actes, à la Russie et à l’armée russe.
Il ne faut pas infantiliser le processus décisionnel en Russie. Vladimir Poutine peut se débrouiller seul. Il a fait preuve d’imagination pour expliquer les revers essuyés. Il peut choisir cette méthode plutôt que d’avoir recours à l’arme nucléaire.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je voulais revenir sur la déclaration du professeur Braun. Il y a effectivement un lien entre les abstentionnistes et la crainte des conséquences de cette guerre. D’ailleurs, je me demande si l’accord tripartite entre l’ONU, la Turquie et la Russie pour la distribution des céréales ne sera pas compromis, compte tenu du contexte actuel qui ne s’est toujours pas dénoué.
Le président : Merci. C’est une importante question sur la sécurité alimentaire. Je ne sais pas si quelqu’un veut répondre rapidement, car nous devons faire la transition entre les groupes de témoins.
[Traduction]
Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez, madame Boulden?
Mme Boulden : Je vais vous répondre en faisant un lien avec une question plus large, dont je voulais parler plus tôt. Les réponses de l’Inde et de la Chine commencent à devenir un peu plus nuancées. Je pense que cela revient à ce que vous disiez sur l’insécurité alimentaire; ces États qui hésitaient ou qui s’abstenaient de se prononcer pourraient également capter ces signaux et il se pourrait que ce type de politique commence à changer. Cela dit, j’approuve ce que vous avez dit; il s’agit d’un enjeu crucial et difficile qui mérite une plus grande visibilité qu’il n’en a eu jusqu’à présent.
Le président : Je voulais juste faire un commentaire à titre de président. J’ai trouvé cette discussion fort enrichissante et excellente. L’une des choses que j’en retiens, c’est que l’enjeu de la sécurité alimentaire est très important.
La sénatrice Gerba a souligné qu’environ 50 % de la population mondiale s’est abstenue de voter sur ces résolutions clés de l’ONU. Il sera intéressant de voir si les choses évolueront à l’Assemblée générale au fur et à mesure que la guerre progresse et que M. Poutine devient plus désespéré. Je réfléchis également sur l’existence d’un mécanisme dans la Charte — en fait, je sais qu’il en existe un, mais il n’a jamais vraiment été utilisé — qui permettrait d’exclure un membre du Conseil de sécurité pour de bon. Personnellement, je ne crois pas que cela se fera. Quoi qu’il en soit, nous pouvons être un peu rassurés par le fait qu’il semble y avoir des discussions sur l’enjeu nucléaire entre Washington et Moscou, mais nous ignorons jusqu’où elles vont.
Ensuite, comme l’a dit Mme Boulden, il n’y a jamais eu autant de consultations en coulisse entre alliés, que ce soit au sein du G7 ou de l’OTAN. Nous ne pouvons pas faire de comparaison avec la période post-Seconde Guerre mondiale, ou même avec l’apogée de la guerre froide, parce que nous disposons aujourd’hui de meilleures technologies pour communiquer. Il n’y a pas que des sommets en personne. Je vais m’arrêter là.
Au nom des membres du comité, j’aimerais remercier nos témoins de leurs excellents exposés. Nous pourrions certainement vous redemander de revenir selon l’évolution des choses. Nous allons passer au deuxième groupe de témoins. Les témoins du premier groupe peuvent partir ou rester s’ils désirent entendre la suite des délibérations. Cela dit, si vous décidez de rester parmi nous, je vous prierais d’éteindre votre caméra.
Nous sommes particulièrement honorés d’accueillir aujourd’hui Emine Dzhaparova, première vice-ministre des Affaires étrangères d’Ukraine, qui nous rejoint depuis la mission permanente de l’Ukraine auprès des organisations internationales à Vienne, en Autriche. Nous accueillons également Olga Aivazovska, militante de la société civile et présidente du conseil de OPORA directement d’Ukraine. Elle a d’ailleurs écouté le témoignage du premier groupe de témoins.
Je vous souhaite la bienvenue, madame la première vice-ministre. Vous avez la parole.
Emine Dzhaparova, premier vice-ministre des Affaires étrangères d’Ukraine, à titre personnel : Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, amis et partenaires.
C’est un honneur de m’adresser à vous et je vous fais des salutations particulières de Vienne, car je suis ici pour la visite de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE. Nous avons également eu une discussion très animée de deux heures avec des représentants de très haut niveau au conseil permanent renforcé de l’OSCE qui était consacrée au faux référendum par lequel la Russie tente de légitimer des territoires nouvellement occupés. C’est un grand honneur de participer à cette conversation.
Permettez-moi, s’il vous plaît, de vous faire part de mon expérience personnelle de la guerre pour que vous puissiez avoir une idée de ce à quoi ressemble la guerre pas seulement sur la carte, mais aussi dans le cœur des êtres humains.
Avant de faire ma déclaration liminaire de cinq minutes, permettez-moi de vous remercier de la motion d’hier qui a été adoptée à l’unanimité par le Sénat dans laquelle vous dénoncez les faux référendums et la coercition et la violence russes dans les territoires occupés de l’Ukraine. Je crois que c’est un signal très important, dont je ferai part à ma patrie. Les Ukrainiens suivent fidèlement toutes les déclarations et les considèrent comme étant un acte de soutien solide.
À 8 heures le matin le 24 février, même si des centaines de voitures quittaient la ville de Kiev, je me suis précipitée à mon bureau au ministère où j’ai dû assumer le leadership, puisque mon ministre revenait des États-Unis. Après cette première réunion de planification, j’ai suggéré à plus d’une centaine de diplomates venus au ministère de se rendre à l’abri antiaérien. C’était la première fois depuis des décennies que quelqu’un entrait dans cet abri. Nos diplomates ukrainiens étaient d’humeur à garder le moral, à discuter et à plaisanter.
Par la suite, je suis retournée à mon bureau, qui est à l’étage supérieur du ministère. Je me suis servi une tasse de café et je me tenais debout devant la fenêtre, à admirer la vue imprenable du fleuve Dniepr de la ville, de la capitale. Ensuite, le premier missile a frappé près des locaux du service du renseignement. J’ai vu le nuage de fumée, puis j’ai entendu le bruit très lointain de l’explosion. Je suis restée abasourdie pendant une seconde. Puis j’ai crié à mes collaborateurs de descendre immédiatement dans l’abri antiaérien.
La deuxième fois où nos diplomates se sont rendus au sous-sol, un lourd silence régnait, l’heure n’était plus aux plaisanteries et aux discussions. Nous avons compris que nos vies avaient été changées à jamais. Toutes les choses dont un être humain peut parler, la maison, la vie, la famille, les rêves et les projets, ne sont plus des sujets dont nous pouvons parler, et c’est l’épreuve la plus difficile qu’un être humain peut traverser durant une guerre. On ne sait pas à quel type d’avenir on peut aspirer.
Avec la guerre, environ 20 % du territoire ukrainien est occupé à l’heure actuelle. La Russie reproduit la même approche qui avait été utilisée en Crimée, qui est ma patrie parce que je représente la population autochtone tatare de Crimée, ainsi que dans le Donbass depuis 2014. Elle nomme une administration d’occupation, impose des passeports et des lois russes, recrute des hommes ukrainiens dans les forces armées russes, brouille les signaux de télévision et de radio ukrainiens, installe la connexion mobile russe et commence à zombifier la population ukrainienne. Il y a les chambres de torture et les fosses communes à Izioum, les massacres à Boutcha, la destruction de Marioupol et les récentes détonations, des verdicts draconiens à l’encontre de mon ami, le premier chef adjoint de l’entité autonome du peuple tatar de Crimée, ou Mejils. Il a été condamné à 17 ans de prison simplement pour avoir participé au sommet de la plateforme pour la Crimée il y a un an, ainsi que ses amis, deux cousins et deux frères qui ont également reçu une peine de 13 et de 15 ans de prison pour aucune raison.
Tout cela dévoile le vrai visage de Poutine et le fait que la Russie ne tente pas de vaincre l’Ukraine mais que son but ultime est de détruire l’Ukraine. Je pense qu’un autre but est d’éliminer l’identité ukrainienne ainsi que l’identité des Tatars de Crimée et d’autres peuples autochtones de l’Ukraine.
Par ailleurs, la Russie menace délibérément le monde d’une catastrophe nucléaire. Moscou ignore l’appel de l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, à la désoccupation immédiate de la centrale nucléaire de Zaporijjia et à la cessation des hostilités contre toute installation nucléaire en Ukraine. Au lieu de cela, elle continue plutôt de maintenir les forces à la centrale, de se livrer à des bombardements, de détruire les infrastructures civiles et de faire chanter les pays. Nous comprenons que c’est l’agonie, mais permettez-moi de répéter que notre vision et notre position est que nous n’avons pas peur. Nous devons cependant prendre ce danger au sérieux. Nous devons traiter ce danger nucléaire avec sérieux.
Un autre excellent exemple de mépris cruel des lois internationales est la tenue de simulacres de référendum dans le territoire occupé de l’Ukraine sous les armes. L’objectif est clair : voler nos territoires, comme la Russie l’a fait en 2014. Dans ce contexte, les envahisseurs russes tentent cyniquement de mobiliser de force les hommes dans les territoires occupés. Je crois qu’il s’agit là d’un autre crime, alors qu’ils essaient de mettre des citoyens ukrainiens dans l’armée russe et de les envoyer se battre et tuer des citoyens ukrainiens.
Il y a ce sentiment de panique, par exemple, dans ma patrie, en Crimée, où la Russie cible de façon disproportionnée les Tatars de Crimée dans l’armée russe. Vous connaissez la position pro-ukrainienne de la vaste majorité des Tatars de Crimée. Pendant des années, ils ont manifesté leur vengeance en raison de leur position ukrainienne. Un grand nombre de Tatars de Crimée essaient de fuir la péninsule, en fait, la déportation ou la mort quand il y a une élimination physique. Il faut absolument examiner séparément cette question très préoccupante, alors que l’objectif ultime de la Russie est de détruire l’identité des Tatars de Crimée.
Que faut-il faire? Ce sera court et bref, et c’est quelque chose que vous faites déjà. Je suis très reconnaissante au Canada et au peuple canadien de l’immense soutien qu’ils nous offrent. Croyez-moi, c’est un carburant qui nous permet de garder le moral, de nous battre avec dignité et de faire ce que nous sommes censés faire, c’est-à-dire nous battre pour notre nation et notre avenir. Cette formule est simple. Elle a également été énoncée par les dirigeants ukrainiens — le président Zelenski, le premier ministre Chmyhal et le ministre Kuleba. C’est l’approvisionnement constant en armes. Pour survivre, nous devons disposer de cette aide. Sans cette aide, les capacités de la Russie et de l’Ukraine ne sont pas comparables, bien entendu. Nous disons toujours que grâce à cette aide, nous demeurons résistants et restons des combattants.
La question financière est qu’il y a un écart dans le budget ukrainien. Chaque mois, il y a cet écart de 5 millions de dollars américains entre les recettes et les dépenses que nous avons. Il y a quelques semaines, le ministère des Finances a présenté le budget pour 2023, dans le cadre duquel environ 20 % des fonds sont alloués au secteur de la défense et de la sécurité. Bien sûr, l’aide financière est aussi quelque chose qui est une couche de survie. Je suis également très reconnaissante au gouvernement canadien d’allouer cette aide.
En ce qui concerne les politiques de sanctions, nous croyons que l’essence même de l’agression est très simple. Si on ne l’arrête pas, elle prendra de l’ampleur. En fait, la leçon tirée de ce qui s’est passé en Crimée est une leçon que nous devons tous tirer, car l’impunité recherchée par la Russie depuis 2014 — et je me souviens de ce sentiment parce que j’étais dans la péninsule à faire des allers-retours en tant que journaliste. J’éprouvais un grand désespoir parce que je ne savais pas pourquoi le monde gardait le silence. Je pense que nous avons tous fait preuve d’un certain niveau de léthargie. Quand je dis tous, je veux dire l’Ukraine et la communauté internationale. L’invasion à part entière est en fait une conséquence directe de cette impunité dont jouissait la Russie. Nous ne devons pas répéter cette erreur. La guerre doit être contenue en Ukraine, car si elle ne l’est pas, la question est de savoir qui sera la prochaine cible. Qui sera le suivant?
Donc, pour contenir cette guerre, il faut un approvisionnement en armes et de l’aide humanitaire, parce que 15 millions d’Ukrainiens sont touchés par cette guerre. Ils sont devenus soit des personnes déplacées à l’intérieur du pays, soit des réfugiés. Plus de 8 millions d’Ukrainiens sont dispersés un peu partout dans le monde, ainsi qu’au Canada. Nous vous remercions encore une fois d’avoir aidé notre peuple à survivre, mais comme le dit mon président, ce n’est pas une histoire éternelle. Nous attendons de notre peuple qu’il revienne en Ukraine pour que nous puissions nous rétablir et reconstruire notre patrie.
La reddition de comptes importe aussi. Lorsqu’il est question de reddition de comptes, nous faisons référence à la Cour pénale internationale, la CPI, et à l’équipe de Karim Khan, qui essaient de travailler sur les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et, nous croyons, les génocides, ce qui devrait être inclus dans son mandat. Il n’y a aucune possibilité de punir les dirigeants de la Russie pour les crimes d’agression, c’est pourquoi nous avons décidé de créer un tribunal distinct sur l’agression, et nous invitons également les pays à partager cette initiative en se joignant à l’accord multilatéral qui sera conclu afin de faire partie de ce tribunal.
En ce qui concerne le mécanisme de dédommagement, je sais que votre loi est également en cours d’élaboration afin d’avoir cette conséquence lorsqu’il s’agit des actifs du peuple russe, des criminels russes et du pays russe en soi, afin de répondre aux besoins du peuple ukrainien lorsque nous survivrons à la période d’après-guerre.
De plus, il y a le pacte de sécurité de Kiev qui a été présenté récemment, ce qui signifie que pendant que nous travaillons à faire partie de l’OTAN, je sais qu’il n’y a pas d’unité dans les États membres sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, mais je pense qu’il est assez juste de dire que nous avons une sorte de garanties. Il devrait s’agir de garanties politiques, économiques et de sécurité que nous avons fournies. Yermak et Rasmussen, notre équipe, ont également été très actifs dans la mise en œuvre de ces initiatives. Nous aimerions également avoir votre avis et vous inviter à cette discussion. Il s’agit des pays du G7 et du G20 qui feraient également partie de ces garanties.
Le président : Si je peux vous interrompre, madame la vice-première ministre, avec mes excuses, nous vous avons donné un peu plus de temps pour formuler vos observations. La plupart des points que vous alliez soulever seront abordés pendant la période des questions.
Olga Aivazovska, militante de la société civile, présidente du conseil de OPORA, à titre personnel : Tout d’abord, je tiens à vous remercier, sénateurs, du soutien que vous avez apporté à la résolution concernant le pseudo-référendum organisé par la Russie sur les territoires occupés de l’Ukraine. Ce faux référendum n’a rien d’un processus libre et légal. Il discrédite les institutions de la démocratie, la participation des citoyens à la gouvernance, et ne s’appuie pas sur la législation et la constitution, les normes internationales et les pratiques exemplaires. Il a commencé deux jours après l’annonce d’un faux référendum par les fonctionnaires en Russie et s’est déroulé sous la pression des soldats armés de l’armée russe qui se rendent dans les appartements des citoyens et les forcent à voter chez eux et à choisir entre cocher une case sur le bulletin de vote ou leur vie. Pendant le vote et la collecte des données personnelles des citoyens, on procède à une évaluation de leur capacité de résister aux autorités d’occupation et à l’intimidation.
Le 21 septembre, Vladimir Poutine a fait une déclaration sur la tenue d’un faux vote dans les oblats de Donetsk, de Louhansk, de Kherson et de Zaporijjia et a annoncé une mobilisation partielle. Tout bien considéré, y compris les récentes décisions du Parlement russe de modifier le Code pénal de la Fédération de Russie, le Kremlin se prépare à l’escalade, à la déclaration de la loi martiale et à la poursuite de l’agression armée contre l’Ukraine. Après l’intimidation durant le scrutin et l’annexion illégale, la Russie prévoit déclarer ces territoires sous sa compétence. Selon les scénarios du Kremlin, un faux référendum créerait un fondement légal pour permettre à la Russie de décréter ces territoires demain. C’est lié à la crainte de la Russie de perdre les faibles gains obtenus par l’agression armée au cours des premiers mois de la guerre généralisée.
Les pseudo-référendums sont totalement nuls et non avenus d’un point de vue juridique. Opora condamne vivement le lancement et la tenue de tels référendums d’annexion. Leur résultat sera a priori nul et non avenu. Ces actes d’agression constituent une nouvelle menace à la sécurité mondiale et à l’ordre juridique international qui s’est établi après la Seconde Guerre mondiale. Elle consolide les pratiques négatives qui se sont déjà établies après l’annexion de la Crimée et qui sont adoptées par des régimes totalitaires et autoritaires qui ont l’ambition d’utiliser l’outil du pouvoir du peuple, les pseudo-élections et les pseudo-référendums, les processus, les consultations publiques, entre autres, pour la légitimation conditionnelle d’actions non légales.
À la suite de l’évacuation de la partie du territoire ukrainien, le monde a été témoin d’innombrables actes de crimes de guerre systématiques ciblant les Ukrainiens. Les faux référendums dans les territoires occupés vont entraîner la persécution d’Ukrainiens et causer de nouveaux cas de meurtres, de torture, de mobilisation forcée de citoyens ukrainiens dans la force militaire de la Fédération de Russie ainsi que d’autres formes de violence. Ces référendums violeront aussi le droit entourant les guerres imminentes.
La Russie accroît systématiquement sa présence dans les territoires occupés et crée les conditions propices à leur intégration illégale. Le monde civilisé doit refuser que le sort de la Crimée soit infligé à d’autres régions. La réaction à l’annexion illégale des territoires ukrainiens ne doit pas être chancelante. Cette situation exige que la communauté internationale agisse. Il faut considérablement renforcer l’aide militaire à l’Ukraine, aide qui est nécessaire pour la libération des territoires occupés et pour la défense armée contre les agresseurs.
Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, madame Aivazovska. Nous passons maintenant aux questions et nous donnons d’abord la parole au vice-président du comité.
Le sénateur Harder : Je remercie nos deux témoins de nous avoir relaté des observations et des comptes rendus bruts de première main de la réalité sur le terrain. À l’instar de nombreux sénateurs, un lien personnel m’unit au territoire. Mes deux parents venaient d’une région limitrophe de l’oblast de Zaporijjia. Ce que vous nous relatez confirme ce que j’ai entendu de la part de réseaux d’immigrants.
Ma question s’adresse à la première vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Mme Dzhaparova. Vous vous trouvez à l’OCDE, à Vienne. Vous avez décrit les conversations que votre ministère entretient avec l’OTAN et les alliés aux vues similaires. Comment qualifieriez-vous l’appui que vous recevez de l’OTAN? Un témoin, un peu plus tôt, l’a décrit comme étant « inefficace ».Je sais que vous demandez encore des ressources supplémentaires, mais comment décririez-vous la collaboration que vous entretenez avec l’OTAN, l’OCDE et d’autres organisations aux vues similaires?
Mme Dzhaparova : Merci, sénateur Harder, de votre question. C’est probablement l’une des questions les plus difficiles à soulever, et je vais tenter de vous répondre en toute franchise.
Deux objectifs en matière de politique étrangère sont enchâssés dans notre Constitution, soit l’adhésion à part entière à l’UE et à l’OTAN. Au pays, les discussions de notre parlement, de notre gouvernement et de notre société civile ont visé à demander, à juste titre, quelles garanties nous pourrions avoir par rapport à la violation de toutes les normes possibles depuis 2014. Dans le cadre du protocole de Budapest sur les assurances en matière de sécurité de 1994, la Russie ainsi que d’autres pays ont promis de respecter nos garanties pour des raisons de sécurité nucléaire. À l’époque, l’Ukraine s’est départie de son propre gré de son potentiel nucléaire, sans finalement recevoir quoi que ce soit en retour. Puis, la Russie s’est introduite en douce sur notre territoire. La question — qui méritait grandement d’être posée, à mon avis — se résumait ainsi : que peut faire l’Ukraine devant un ennemi aussi redoutable que la Russie qui occupe également un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et qui est censé être un gardien mondial de la sécurité? Bien entendu, l’enjeu prioritaire pour nous était l’intégration dans l’espace transatlantique, et non pas seulement dans l’espace européen ou dans l’économie.
Je crois qu’au cœur de cette discussion se trouvait et se trouve la crainte que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN pourrait provoquer la Russie. Or, savez-vous ce que j’ai retiré de la leçon sur la Crimée? L’hésitation à agir représente la seule provocation pour la Russie. Je crois que nous devons agir beaucoup plus résolument. Nos tentatives pour trouver les mots qui toucheront Poutine ou encore la personne ou le chef d’État qu’il écoutera sont vouées à l’échec. Lorsque nous essayons d’apaiser Poutine, de négocier avec lui ou de discuter de négociations — ce qui nous intéresse parce nous voulons mettre fin à la guerre pacifiquement — nous nous retrouvons dans une impasse parce qu’il voit dans ces comportements une faiblesse. La seule langue qu’il comprend est celle de la force, la langue du pouvoir. Voilà la crainte qui a motivé toutes les décisions depuis 2014, et ce facteur influence de moins en moins la situation.
J’espère que, petit à petit, nous parviendrons à inculquer le sentiment unanime que l’Ukraine fait non seulement partie intégrante de la famille européenne, mais aussi de la famille transatlantique. Nous comptons une des armées les plus fortes au monde, je crois, forte de son expérience d’avoir été envahie par la deuxième plus grande armée au monde. La plus grande réussite — pour mon pays, mais aussi pour le Canada et le monde entier — réside dans le fait que nous avons prouvé que l’armée russe est incapable et ne mérite pas le titre de deuxième plus grande armée au monde. Sa gloire et sa puissance représentaient un mythe. Bien qu’il n’y ait pas d’unanimité, nous allons rester sur la voie de l’accession à l’OTAN pour être fin prêts lorsque nous déciderons que le temps est venu. Nous n’en sommes pas encore là, mais, entretemps, nous discutons d’autres formules créatives lorsque nous exigeons les garanties, comme le Pacte de sécurité de Kiev. Notre ambassadrice est remarquable. Elle se trouvait d’ailleurs aux côtés des ambassadeurs qui ont obtenu de l’information sur la situation.
Finalement, je dirai que nous vivons à une époque unique. Ce que nous croyions impossible est maintenant devenu une possibilité, en particulier en ce qui a trait à l’expansion de l’OTAN. Je crois que, tôt ou tard, l’Ukraine se joindra à l’OTAN.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie sincèrement d’être parmi nous aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de la qualité des renseignements que vous nous fournissez.
La question que j’aimerais poser porte sur les enfants ukrainiens. Il ne fait aucun doute que cette guerre fait subir à l’Ukraine de nombreuses horreurs, y compris l’enlèvement forcé d’enfants ukrainiens par les soldats russes qui les emmènent en Russie où ils sont mis en adoption. À l’heure actuelle, votre gouvernement est-il en mesure de quelle que façon que ce soit d’identifier au moins certains des enfants enlevés? Je crois comprendre que ces enfants sont retirés de leurs familles lorsque leurs parents sont envoyés dans des camps de prisonniers. Les familles éloignées peuvent-elles signaler la disparition des enfants au moment de l’enlèvement? Existe-t-il une base de données qui pourrait nous donner l’espoir d’un jour ramener certains de ces enfants chez eux? Madame la vice-ministre, je vais d’abord m’adresser à vous, mais vous pouvez toutes deux répondre à la question.
Mme Dzhaparova : Merci de la question, sénatrice Deacon.
Ce qui pose problème, c’est que, officiellement, nous n’avons aucun accès aux territoires occupés. Nous ne pouvons qu’estimer l’ampleur des conséquences de ce problème humanitaire — d’autant plus grave pour la protection de nos enfants — marqué par les camps de filtration et les déportations forcées qui ont eu lieu dans les territoires occupés. Il n’existe aucune liste d’enfants orphelins ou d’enfants enlevés et emmenés en Russie continentale.
Nous tentons de nous confronter à ce défi en nous faisant entendre et en nous adressant aux organismes onusiens et aux Nations unies. Ces organisations comptent sur les réseaux du Comité international de la Croix-Rouge, ou CICR, et sur le Haut-Commissariat pour les réfugiés qui a au moins un accès partiel aux territoires occupés. Nous demandons de traiter cet enjeu précis au sein de la famille de l’ONU. Certains efforts ont été déployés, et j’espère que, au bout du compte, nous parviendrons à obtenir des résultats tangibles.
Il n’existe pas de question plus délicate que celle des enfants parce que plus de 350 d’entre eux ont été tués par des missiles ou des bombardements russes. Le récit qui me touche le plus est celui d’un garçon de 11 ans qui a été violé devant sa mère, après quoi il a perdu la parole. Sa seule façon de communiquer avec le reste du monde était de dessiner des lignes noires sur du papier. À ma connaissance, il a maintenant commencé à dessiner des lignes de couleur. C’est une catastrophe que tout enfant ayant survécu aux bombardements peut craindre et ressentir. Je vous serais reconnaissante de soulever cette situation auprès des organismes onusiens. Je sais que vous faites des dons pour le plan de secours hivernal lancé par l’ONU, qui englobe aussi la situation des enfants.
Mme Aivazovska : Tout d’abord, vous savez peut-être que le prétendu ombudsman en Russie a affirmé hier que les enfants qui ont fait un voyage de l’Ukraine jusqu’en Russie ont trouvé la première partie du périple très effrayante, mais qu’ils sont maintenant heureux de faire partie de la Russie. La tragédie s’est échelonnée sur quelques mois. Bien sûr, ce type de gestes s’apparentent à un génocide, mais nous devons discuter de sanctions contre les personnes qui se servent à mauvais escient de leur poste d’ombudsman et qui gâchent la vie des enfants.
Nous n’avons pas de chiffres officiels sur le nombre d’enfants qui ont été déplacés de l’Ukraine — des territoires occupés — vers la Russie. Il va de soi que la société civile et l’État ukrainiens n’ont accès ni à ces renseignements ni aux enfants touchés. C’est la raison pour laquelle nous devons élaborer un programme spécial pour les retrouver. Nous devrions utiliser tous les moyens à notre disposition pour ce faire — même le cyberespace. Il nous faut utiliser tous les outils imaginables pour retrouver ces enfants et les ramener en Ukraine lorsque le pays vaincra. C’est ma conviction.
L’autre élément a trait à la guerre et aux enfants. Nous devons soutenir les enfants ukrainiens où qu’ils se trouvent, même ceux en Ukraine dans des territoires contrôlés par le gouvernement ukrainien, parce que la Russie cause la perte de cette génération d’enfants. Ils n’ont pas accès à une éducation ou à des livres. Ils doivent parfois trouver refuge dans des abris trois fois en l’espace d’une demi-journée parce qu’ils suivent leurs cours et font leurs exercices dans une école qui est menacée de se faire bombarder à tout moment.
Le président : Merci beaucoup. Je suis désolé de vous interrompre, mais nous avons dépassé le temps alloué pour cet échange. Nous pourrons peut-être le reprendre tout à l’heure.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos témoins pour vos témoignages percutants.
Ma première question s’adresse à Mme Aivazovska. Pouvez-vous décrire de façon globale l’état actuel des soins de santé — et vous avez également fait allusion à l’éducation — et les structures de prestation dans le pays, tout en sachant que les territoires occupés sont beaucoup plus vulnérables et dévastés? Y a-t-il des besoins humanitaires, particulièrement en santé, que le Canada pourrait aider à combler? Merci.
Mme Aivazovska : Je vous remercie sincèrement, mais je ne suis pas experte en soins de santé. Je suis la mère d’un jeune garçon. Je sais très bien ce que ressentent les mères ukrainiennes en ce moment. Au terme de deux ans de mesures liées à la COVID et d’enseignement en ligne, nous n’avons pas accès à une éducation de qualité. Nous devons trouver des solutions pour tous les enfants qui sont maintenant à l’étranger. Si on fait abstraction des PDIP, les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, environ 60 % des enfants ont besoin de fréquenter les écoles ukrainiennes et les écoles locales à l’étranger pour devenir des citoyens compétents dotés d’un esprit de compétition qui reviendront en Ukraine pour rebâtir le pays avec leurs parents. La calamité nuit énormément aux Ukrainiens et aux enfants ukrainiens qui sont restés dans leur pays. C’est ce qui explique pourquoi je demande qu’on appuie l’Ukraine en matière d’éducation parce que celle-ci aidera chaque Ukrainien. Je suis désolée : je ne suis pas experte en soins de santé.
Mme Dzhaparova : Moi non plus. Je suis navrée de ne pouvoir fournir de réponse exhaustive à cette question.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup à nos témoins. Je ne peux imaginer votre douleur. Je peux cependant l’entendre dans votre voix.
J’allais poser cette question au dernier groupe de témoins, mais je n’en ai pas eu l’occasion. Vous pourrez peut-être me répondre. De quoi a-t-on le plus besoin en matière d’armes et d’aide militaire? Quel est le délai entre la promesse de l’OTAN, ou de l’Occident, de fournir de l’équipement et le moment où les forces ukrainiennes reçoivent ledit équipement à l’endroit le plus stratégique? L’hiver approchant à grands pas, les forces ukrainiennes seront-elles en mesure de réapprovisionner leurs lignes de front?
Mme Dzhaparova : Sur le plan de l’aide militaire, nous avons bien entendu besoin d’armes. Je pense aux LRM, les lance-roquettes multiples, et à l’expertise canadienne en optique pour les véhicules aériens sans pilote des drones. Je pense aux véhicules blindés. Il nous faut des munitions d’artillerie de 155 millimètres, de l’équipement antichar et de défense aérienne, des drones supplémentaires pour ajuster les tirs d’artillerie, des tentes et des uniformes d’hiver pour nos soldats. Voilà une liste très courte qui résume les éléments minimaux dont nous avons besoin. Pour conclure, rappelons-nous que l’efficacité et la victoire de l’Ukraine se décident sur le champ de bataille. Malheureusement, il nous faut un approvisionnement en armes continu. Sinon, nous ne pourrons résister à l’attaquant. Croyez-moi, le Canada et les autres pays ont toute notre reconnaissance pour cet immense appui.
Le sénateur Richards : La dernière partie de ma question portait sur le délai entre la promesse de fournir de l’équipement et sa réception par les forces ukrainiennes. Combien de temps faut-il compter?
Mme Dzhaparova : Je ne vous donnerai pas de détails sur le laps de temps. Le processus se déroule maintenant relativement bien. La loi sur le programme prêt-bail adopté par les États-Unis a marqué un tournant en amenuisant considérablement la possibilité de contre-offensive. Grâce à cette aide et à l’aide d’autres pays, nous sommes parvenus à vaincre à Kharkiv et dans d’autres villes qui étaient occupées. Nous nous concentrons maintenant surtout sur l’Est et le Sud, soit la région de Kherson. Soledar, dans la du Donetsk nous donne le plus de fil à retordre. Nous allons continuer le combat. La période d’attente n’est pas aussi critique qu’elle l’était auparavant. L’important n’est de toute façon pas la durée ou la période d’attente. Il faut plutôt que l’approvisionnement se poursuive. Nous devons adopter une vision à long terme prévoyant que nous recevrons de l’équipement et nous devons avoir l’assurance que des armes nous seront fournies.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup.
Mme Aivazovska : Le durcissement des sanctions est également nécessaire afin de garantir que la Russie ne sera pas en mesure de fabriquer et d’entretenir des armes de haute technologie comprenant de nombreux composants fournis par les pays de l’OTAN. L’armée russe ressent déjà les conséquences du retard qu’elle accuse par rapport aux technologies de l’Occident. Veuillez continuer en ce sens.
N’oublions pas que des pays tiers commencent déjà à aider la Russie en lui fournissant des drones et d’autres équipements militaires. C’est pour cette raison que, s’il y a moyen de les arrêter, je crois que le Canada, le G7 et les grands partenaires de l’Ukraine doivent coopérer sur ce plan. C’est très important. Nous constatons que les drones minent déjà notre siège parce que la Russie a pris ces technologies en considération et s’en est servi en Ukraine.
Le sénateur MacDonald : Ma première question concerne la situation des réfugiés. Le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés rapporte que plus de 7 millions d’Ukrainiens ont demandé une protection temporaire. Pouvez-vous nous décrire l’évolution de la crise des réfugiés? Que peut faire le Canada pour davantage prêter main-forte dans cette crise humanitaire?
Mme Dzhaparova : J’ai déjà effleuré cette question. Environ 15 millions d’Ukrainiens ont été touchés par la guerre. Ce nombre s’ajoute au 1,5 million d’Ukrainiens depuis 2014 qui sont devenus des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, comme je le suis devenue lorsque j’ai quitté la Crimée. La moitié de ces 15 millions d’Ukrainiens sont aujourd’hui réinstallés en Ukraine. En ce qui concerne leur santé, cela suppose la satisfaction de leurs besoins fondamentaux : la nourriture, un abri, un logement, des vêtements, des soins médicaux et des médicaments. Il en va presque de même pour les Ukrainiens qui sont devenus des réfugiés. Environ 8 millions d’Ukrainiens se trouvent dans le monde entier. En ce qui concerne les questions de sécurité et de documentation, la plupart des familles ont fui la guerre. Elles n’avaient pas les documents nécessaires, alors notre ministère des Affaires étrangères les aide à obtenir les documents nécessaires.
Je voudrais attirer votre attention sur la propagande russe parce que les Russes tentent à nouveau, à l’aide de moyens hybrides, d’utiliser cette question lorsque des vies sont en jeu. Ces personnes ne sont pas toujours des anges. Il y a eu des situations où des Russes se faisant passer pour des citoyens ukrainiens ont provoqué différents scandales dans certaines capitales, afin de discréditer les réfugiés ukrainiens et l’énorme soutien dont nous bénéficions. Si vous vous rendez dans n’importe quelle capitale européenne, vous voyez des centaines de drapeaux ukrainiens. Vous avez l’impression d’être en quelque sorte dans une ambassade de l’Ukraine.
Donc, ce qui est nécessaire, c’est en fait une mesure qui a déjà été prise par les Nations unies — le plan de secours hivernal qu’elles ont élaboré. Voilà ce à quoi vous devriez consacrer vos efforts, et les dons devraient être consacrés à cette aide humanitaire.
Le sénateur MacDonald : J’ai une autre question à vous poser. Nous connaissons les pays occidentaux qui vous ont soutenu. Quels sont les pays dont vous attendiez un soutien, mais qui vous ont déçus? Lesquels ne sont pas intervenus comme ils auraient dû le faire?
Mme Dzhaparova : Sénateur MacDonald, je suis une diplomate, alors je vais peut-être vous décevoir.
Le sénateur MacDonald : Comme je ne suis pas un diplomate, je vais demander à l’autre témoin ce qu’elle en pense.
Mme Aivazovska : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas une diplomate; je fais partie de la société civile. Je peux vous dire ce que je veux, mais je souhaiterais répondre rapidement à votre question précédente au sujet des réfugiés.
Le problème, c’est qu’il y a d’innombrables personnes à l’étranger. Nous ne connaissons pas l’objectif ultime — le moment où la guerre prendra fin —, et il est très important d’établir des liens entre ces personnes et l’État ukrainien, car il faut qu’elles aient envie de rentrer en Ukraine.
La première étape est liée à l’adhésion à l’Union européenne, car les Ukrainiens sont des Européens et ils veulent vivre dans la partie européenne du monde et épouser des valeurs européennes. C’est la raison pour laquelle cette adhésion importe. Deuxièmement, il faut assurer la participation politique, car l’année prochaine, si la loi martiale prend fin, il y aura des élections parlementaires. Toutes les personnes qui jouissent de droits politiques doivent être incluses dans ce processus. De plus, les préoccupations concernent les technologies, l’infrastructure diplomatique essentielle et la couverture médiatique.
Une autre question portait sur les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Le problème, c’est que l’hiver est à nos portes. Tout le monde le sait. Mais la Russie travaille sur ce front, et elle va endommager les infrastructures essentielles. Voilà pourquoi il est très important de disposer d’assez de fonds et de ressources pour concevoir des systèmes de chauffage mobiles, surtout dans les grandes villes, qui ne sont pas aussi souples que les petits villages. Les grandes villes n’ont pas accès à du bois de chauffage ou à d’autres ressources de ce genre.
Toutefois, votre question portait sur les déceptions vécues. Je peux vous dire que, malheureusement, parmi tous les pays de l’Union européenne, la Hongrie est un pays qui porte atteinte à l’Ukraine tous les jours. C’est un énorme problème pour nous. Le prochain pays qui nous fait peur est Israël, parce qu’il y a de nombreuses années, la société ukrainienne a mis l’accent sur les technologies, les politiques et les instructions sur la façon dont Israël a survécu en tant qu’État. Maintenant, nous constatons qu’il n’y a une absence de volonté politique en Israël et que le pays adopte la même position à l’égard des Ukrainiens et des Russes. Malheureusement, Israël ne souhaite pas nous soutenir en nous fournissant des fournitures ou des technologies militaires. Le problème, c’est que, malheureusement, c’est un point en moins pour Israël, car la société ukrainienne éprouvait une certaine confiance envers Israël en raison de sa résilience et de son histoire.
Le dernier point au sujet des réfugiés que j’aimerais faire valoir, c’est qu’en raison de la mobilisation des hommes en Russie, nous savons que des centaines de milliers d’hommes russes vont s’échapper de Russie. Ce que nous considérons comme un problème, c’est le fait que les réfugiés du côté ukrainien sont principalement des femmes et des enfants, et que les réfugiés de Russie seront des hommes. Cela nous effraie parce que, malheureusement, ce ne sont pas des hommes normaux ayant des positions pacifiques sur cette crise ou la guerre ukraino-russe. Ils feront des dégâts, et il y aura des problèmes et des crises entre les réfugiés dans les pays de l’Union européenne, au Canada, aux États-Unis et dans d’autres pays qui permettent à ces Russes de vivre dans leurs pays. Nous avons donc, prédit cette crise, et le fait de penser...
Le président : Je vais vous interrompre à cause de l’heure qu’il est. Je vous remercie beaucoup de vos commentaires. Je trouve les observations concernant les mouvements de réfugiés particulièrement intéressantes. Si vous souhaitez faire une carrière diplomatique à l’avenir, vous saurez quels pays vous devez éviter, je suppose.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vais poursuivre avec la non-diplomate, Mme Aivazovska. Les pseudos référendums organisés par la Russie en ce moment sur les territoires ukrainiens occupés vont probablement donner lieu, très bientôt d’ailleurs, à une forme d’annexion. Cela signifie aussi que le droit et les lois de la Russie vont probablement ou potentiellement s’appliquer sur ces territoires.
Pourriez-vous nous décrire un peu les conséquences probables sur les populations ukrainiennes concernées par ces annexions? Est-ce que vous pensez que la Russie pourrait utiliser ces populations pour les mobiliser comme force de guerre en ce moment?
[Traduction]
Mme Aivazovska : Je vous remercie de votre question. Elle est très importante. Nous devons parler non seulement des résultats semi-juridiques de l’annexion, mais aussi de la dimension humaine de ce processus.
Le problème, c’est qu’il est très probable que la Russie mobilisera dans l’armée russe les hommes ukrainiens qui résident actuellement dans les territoires occupés. Cela imposera un énorme préjudice à la nation ukrainienne, non seulement sur le plan éthique, mais aussi sur le plan politique. Cela contribuera au génocide, car ils vont utiliser ces hommes sur la ligne de front, et ces hommes vont se retrouver entre deux armées. Ils n’auront pas le choix ou la possibilité de survivre. Nous parlons déjà de centaines de milliers de personnes.
L’étape suivante sera l’application de la politique relative aux passeports russes, qui seront offerts aux Ukrainiens résidant dans les territoires occupés. Nous rencontrerons alors un nouveau problème lié à une nouvelle position juridique. Il y aura des Ukrainiens qui, sous la pression russe, accepteront des passeports russes. Ces personnes relèveront de la Russie en tant que personnes, et non en tant qu’habitants de ces territoires. Cela imposera aussi un énorme préjudice à l’Ukraine. Après la fin de la guerre — que l’Ukraine va gagner, à mon avis —, nous devons décider comment supprimer ces passeports, parce qu’il n’y aura pas de coopération entre les deux États pendant de nombreuses années. C’est évidemment [Difficultés techniques] prévisible. Ces difficultés bilatérales ou [difficultés techniques] pour le milieu humanitaire, pour les droits de la personne que j’ai mentionnés, et cetera.
Le problème suivant, c’est bien sûr celui de la sécurité, car les personnes qui vivent dans les territoires occupés sont comme des esclaves. Ils n’ont pas le droit ou la possibilité de quitter ces territoires en direction de l’Ukraine. Nous sommes au courant de cela. Nous avons rencontré des témoins oculaires. Nous avons leurs témoignages selon lesquels, il y a quelques mois, certaines personnes ont dû franchir 63 points de contrôle pour quitter la région de Khersonska. Ils n’ont pas le choix. Ils doivent rester sur ce territoire ou le quitter en passant par la Russie. Ils n’ont aucune possibilité de retourner facilement en Ukraine.
C’est la raison pour laquelle nous devons nous concentrer sur cette dimension humaine, autant que sur les dommages que les armes nucléaires pourraient causer.
Le sénateur MacDonald : Le chiffre qui suit me fascine. Selon l’ONU, près de 2,7 millions des 7,4 millions de réfugiés ont migré vers la Russie. Quelles sont leurs circonstances? Comment sont-ils accueillis? Comment les traite-t-on là-bas?
Mme Aivazovska : Comme je le sais, un grand nombre d’Ukrainiens n’ont pas eu le choix de l’endroit où aller s’ils habitaient dans les territoires déjà occupés ou dans les territoires sous contrôle russe. Au cours des premiers mois de cette guerre, de l’agression à grande échelle, nous avons constaté que, malheureusement, la Croix-Rouge avait aidé à établir des couloirs vers la Russie, et non vers l’Ukraine. C’est la raison pour laquelle ces personnes n’avaient pas le choix.
Ceux qui sont restés dans la région de Kherson étaient dans la même situation. Il était très difficile de franchir tous les points de contrôle pour rejoindre le territoire ukrainien, mais bon nombre d’entre eux ont quitté l’Ukraine pour se rendre dans un pays de l’Union européenne, mais en passant par la Russie. C’est la raison pour laquelle il est très important de coopérer avec l’Estonie, la Finlande et d’autres pays frontaliers. Ces pays ont un accès direct à des personnes qui ont eu vécu dans les camps de filtration. Les gens ont peur, car un grand nombre d’entre eux ont des voisins et des parents qui vivent encore dans les territoires occupés. Nous devons les prendre en compte et leur donner une chance de témoigner, de fournir des preuves aux organismes chargés de l’application de la loi sur leur territoire ou aux équipes d’enquête conjointes qui s’occupent de documenter des crimes de guerre.
Le sénateur MacDonald : Je comprends les circonstances qui les ont poussés à se diriger vers l’est et la Russie, mais je suis curieux de savoir comment ils sont reçus et comment ils sont gérés. Quelle est leur situation actuelle? Migrent-ils vers des pays baltes, ou sont-ils bloqués en Russie? Comment sont-ils traités?
Mme Aivazovska : Il y a différentes situations, car nous parlons de plus de deux millions de personnes. Il y a des cas où les personnes qui ont vécu dans des camps de filtration ont été kidnappées. Ils ne savaient pas où ils seraient le lendemain. Ils ont juste eu la chance d’embarquer des autobus ou des trains, et personne ne savait dans quelle direction ces modes de transport allaient. Ils ont donc été kidnappés par des Russes et transférés dans des districts très éloignés de la Fédération de Russie, ce qui est problématique.
Mais les personnes qui ont eu affaire à des bénévoles ou des ONG, à toutes ces personnes qui ont essayé de les aider, même en Russie, ont été forcées d’avoir cette conversation pour quitter la Russie vers l’Estonie ou la Finlande, et un grand nombre de personnes étaient dans cette situation. Cependant, ils ont peur maintenant, parce qu’ils ont communiqué avec des Russes. Ce n’était pas leur choix, ni leur volonté politique, ni leur position, mais ils ont aussi été kidnappés. Maintenant, ils sont sur le point de témoigner au sujet des camps de filtration. C’est la raison pour laquelle il doit y avoir des campagnes de sensibilisation dans tous les pays proches de la Russie, afin de leur expliquer pourquoi ils doivent témoigner et en quoi cela importe pour les futurs processus de responsabilisation et pour la justice.
Je tiens à mentionner ce qu’a déclaré le vice-ministre, à savoir qu’il est très important maintenant de commencer — non pas de parler — mais de mettre en œuvre un processus d’établissement d’un traitement spécial, en raison des actes d’agression. La Russie doit être considérée comme toxique, et nous parlons de justice, ce qui est déjà la mission de nombreux Ukrainiens, car ils ont perdu leurs maisons, leurs voitures, leurs proches et leurs familles. Et que réclament-ils? Ils veulent que justice soit faite. Ils veulent que les Russes et le siège du Kremlin soient punis, ainsi que Poutine, personnellement.
Le président : Il ne nous reste presque plus de temps, mais je vais utiliser mon privilège de président pour, en fait, poser la dernière question. Je l’adresse en réalité à la première vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine. Dans ma vie antérieure, j’étais diplomate, et j’étais très jeune quand j’ai commencé à travailler dans ce qui était alors, dans notre ministère, la division soviétique et de l’Europe de l’Est. Cela vous donne une idée du temps qui s’est écoulé et de l’âge que j’ai. L’un des éléments que nous examinions à l’époque était l’Acte final d’Helsinki — la Conférence de 1973 sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), comme on l’appelait. Bien sûr, tout cela a évolué et s’est transformé en l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et, bien entendu, vous êtes maintenant à Vienne, qui est le siège de l’OSCE. Le Canada a toujours considéré cette organisation comme très utile, parce que la Fédération de Russie en faisait également partie et, après 1989, bien sûr, les différents pays qui y ont adhéré. J’aimerais vraiment connaître votre point de vue, peut-être en temps réel, puisque vous êtes sur place en ce moment même, sur l’efficacité de l’OSCE qui, bien entendu, a été si utile à l’Ukraine au fil des ans, que ce soit en soutenant le processus électoral de l’Ukraine ou d’autres programmes auxquels le Canada a contribué. J’aimerais vraiment que vous me fournissiez une brève évaluation de la situation actuelle de l’organisation, selon vous.
Mme Dzhaparova : Sénateur Boehm, en tant qu’ancien diplomate qui s'adresse à un ancien diplomate, permettez-moi vous assurer que l’âge n’est rien; l’énergie est importante. Je sens que vous parlez avec un certain zèle.
Le président : C’est la raison pour laquelle je suis ici.
Mme Dzhaparova : Je vous remercie infiniment de votre soutien, de vos aimables propos et de votre question.
En ce qui concerne l’OSCE, son efficacité, puis la participation de la Russie aux forums internationaux, vous savez que notre objectif en matière de politique étrangère est de faire suspendre la participation de la Russie à autant de forums internationaux que possible. Nous l’avons fait au Conseil des droits de l’homme à Genève, nous l’avons fait au Conseil de l’Europe à Strasbourg, et c’était une façon très pratique de fustiger la Russie, de montrer et de dire que son comportement a des conséquences et qu’elle les subira. Les sanctions, cet isolement, sont des mesures que nous devons prendre.
En ce qui concerne l’OSCE, pas plus tard qu’aujourd’hui, Helga Schmid, la secrétaire générale de l’OSCE, et moi-même avons signé les lettres que nous avons échangées, pour préserver ainsi la présence de l’OSCE en tant que chef de projet en Ukraine. La Russie a utilisé son droit de veto — car vous savez que toutes les décisions de l’OSCE sont prises par consensus —, pour faire de son mieux pour bloquer le budget, pour réduire la mission spéciale de surveillance. Il s’agissait d’une mission très importante, la plus importante d’Europe, qui vérifiait les cas où la Russie attaquait également l’Ukraine. C’était donc un soutien très pratique, et nous avions besoin de cette mission spéciale de surveillance en Ukraine. Toutefois, la Russie a suspendu cette mission spéciale de surveillance grâce à son droit de veto. Donc, en échangeant des lettres, nous avons préservé la présence de l’OSCE en Ukraine, ce qui démontre sur le plan politique que la Russie ne peut pas simplement faire chanter l’OSCE.
Pour conclure, nous discutons maintenant de projets très concrets dans le cadre de l’assistance humanitaire de l’OSCE. Il s’agit encore une fois d’une autre question, disons, de secours hivernal. Puis à l’avenir, nous espérons que le processus de déminage sera couvert par les activités et l’infrastructure de l’OSCE parce que, vous savez, l’effort de rétablissement que nous essayons maintenant de maintenir également — et notre président soutient verbalement cette idée aussi — est une mesure qui serait aussi confiée à l’OSCE, mais à l’avenir. Donc aujourd’hui, c’est surtout un enjeu humanitaire.
Le président : Je vous remercie beaucoup de cette description. Elle est très utile au comité.
Au nom du comité, je tiens à exprimer mon extrême gratitude à la première vice-ministre des Affaires étrangères, Mme Dzhaparova, et à Mme Aivazovska, pour leur présence aujourd’hui et pour l’ouverture dont elles ont fait preuve en nous rencontrant. Je tiens à vous assurer de la solidarité du comité avec le gouvernement de l’Ukraine et les Ukrainiens. Par ailleurs, nous aimerions vous entendre de nouveau, car nous savons que la route sera très longue. Je vous remercie infiniment de vous être jointes à nous.
Chers collègues, je voulais juste mentionner qu’il n’y aura pas de réunion mercredi prochain. Notre prochaine réunion aura lieu dans une semaine, soit le jeudi 6 octobre 2022.
(La séance est levée.)