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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour effectuer une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm et je suis un sénateur de l’Ontario. Je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Avant de commencer, j’invite les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter. Nous avons aussi parmi nous quelques sénateurs invités, que je tiens à remercier. Nous allons commencer par ma gauche.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, territoire du Traité no 6 en Alberta.

Le sénateur Harder : Peter Harder, Ontario.

Le sénateur Wells : David Wells, Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Hartling : Bonjour. Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Richards : Dave Richards, Nouveau-Brunswick.

Le président : Merci beaucoup. Bienvenue à tous et à tous ceux qui nous regardent de partout au pays aujourd’hui sur le canal ParlVU du Sénat.

Aujourd’hui, dans le cadre de notre pratique consistant à recevoir des mises à jour régulières sur les sujets qui nous intéressent, nous nous réunissons de nouveau pour discuter de la situation en Ukraine, et nous avons le plaisir d’accueillir l’ambassadrice du Canada en Ukraine, Son Excellence Larisa Galadza.

Bienvenue, madame l’ambassadrice, et merci de votre présence. Avant d’entendre ce que vous avez à nous dire et de passer aux questions, je vais vous demander, ainsi qu’aux membres du comité, de ne pas trop coller le microphone et de ne pas retirer votre oreillette si vous le faites, cela pour éviter un effet de Larsen qui pourrait être ressenti négativement par le personnel du comité et par les autres personnes dans la salle munies d’oreillettes pour entendre l’interprétation.

À vous la parole, madame.

[Français]

Larisa Galadza, ambassadrice du Canada en Ukraine : Merci beaucoup, monsieur le président. Permettez-moi tout d’abord de remercier ce comité de me donner l’occasion de faire un exposé sur la situation en Ukraine.

Au moment où nous nous réunissons aujourd’hui, la guerre d’agression par la Russie approche de son neuvième mois. À ce jour, nous avons été témoins d’immenses souffrances humaines et d’une incroyable cruauté envers le peuple d’une nation indépendante et souveraine.

Cette guerre est une guerre existentielle pour le peuple ukrainien. Ils se battent pour leur souveraineté et leur intégrité territoriale, et pour préserver leur langue, leur culture, leur histoire et leur identité. En outre, l’Ukraine défend les valeurs que nous partageons collectivement.

[Traduction]

Pour ces raisons, c’est un immense privilège pour moi d’être ambassadrice en Ukraine en cette période historique, et je sais que je parle au nom de toute l’équipe de l’ambassade du Canada quand je dis que nous sommes honorés de représenter tout le soutien et l’engagement du Canada. Je suis rentrée au Canada il y a quelques semaines, et je constate d’autant mieux à quel point ce soutien et cet engagement sont forts. Le travail accompli par l’ensemble de l’appareil gouvernemental est immense. Et tant sur l’île Gabriola que dans les rues du quartier Glebe, j’ai vu beaucoup de drapeaux ukrainiens flotter, ce qui me rappelle à quel point les Canadiens se sentent proches de l’Ukraine.

Permettez-moi de vous dire quelques mots de la situation qui règne actuellement dans ce pays. La semaine dernière, l’Ukraine a remporté une victoire remarquable avec la libération de la ville de Kherson. Bien qu’il s’agisse d’un moment triomphal, ces avancées ne sont pas faciles à obtenir et la Russie ne relâche pas son agression. Mardi, les villes et les infrastructures électriques de l’Ukraine ont été frappées par une vague record de 96 missiles russes. Ce matin, les tirs de barrage ont recommencé. Toutes ces attaques sont dirigées contre des infrastructures civiles, que l’on parle d’adduction d’eau, de chauffage central ou de production d’électricité, il s’agit de services dont les gens ont quotidiennement besoin.

Nous ne devons pas oublier que la libération de chaque morceau de territoire occupé s’accompagne de la découverte d’autres atrocités et scènes d’horreur. La destruction en cours des infrastructures énergétiques et d’approvisionnement en eau du pays, ainsi que des infrastructures civiles comme les maisons, les écoles et les hôpitaux, est très préoccupante. Au moins 40 % des infrastructures électriques ukrainiennes sont aujourd’hui endommagées après les récentes frappes de missiles et de drones russes. La totalité de la ville de Kiev se prépare à de possibles pannes de courant, interruptions de l’approvisionnement en eau et arrêts du chauffage. Plus de 7 millions de personnes ont fui l’Ukraine depuis le début de l’invasion et plus de 17 millions ont besoin d’une aide humanitaire, ce qui représente plus de 30 % de la population ukrainienne. Cet hiver sera particulièrement difficile.

Malgré la triste réalité, un certain optimisme persiste. Le peuple ukrainien courageux et résistant continue de se battre pour son pays, ses communautés et sa famille avec un courage extraordinaire. Depuis mon retour à Kiev en mai, j’ai constaté par moi-même la persévérance et la détermination des Ukrainiens. Et c’est cette détermination qui m’inspire et inspire le personnel de notre ambassade continuellement et qui nous pousse à continuer de faire pression pour faire avancer les choses.

La solidarité envers l’Ukraine exprimée par les Canadiens est réelle et concrète. Et, bien que le Canada et ses partenaires mettent l’accent sur les besoins les plus urgents de l’Ukraine, nous sommes également en train de planifier la reprise et la reconstruction du pays à plus long terme. Nous nous attendons à ce que l’Ukraine reconstruise en mieux et émerge de cette guerre plus forte encore.

Je sais que vous connaissez probablement tous très bien l’ampleur de l’appui du Canada à l’Ukraine, mais cela vaut toujours la peine de le répéter.

[Français]

À ce jour, le Canada et ses partenaires ont réagi rapidement pour aider l’Ukraine, et ce, avec un niveau de coordination sans précédent. Cette année, le Canada a fourni un soutien multiforme de plus de 5 milliards de dollars à l’Ukraine. Ce soutien l’aide de plusieurs façons, notamment en fournissant une aide militaire et des vêtements chauds pour l’hiver, qui sont plus que nécessaires, en appuyant le secteur énergétique et la résilience économique du gouvernement de l’Ukraine, en fournissant une aide humanitaire vitale, et en appuyant la sécurité alimentaire de la société civile et la responsabilisation et les efforts de déminage.

Le premier ministre a également annoncé récemment que le Canada émettra des obligations pour la souveraineté de l’Ukraine afin d’aider le gouvernement ukrainien à poursuivre ses opérations, y compris en fournissant des services essentiels aux Ukrainiens. De plus, le Canada est déterminé à mettre fin à l’impunité de Poutine, de son régime et de ses complices, et à exercer des pressions économiques et politiques sur eux pour mettre fin à la guerre.

Depuis février, le Canada a imposé des sanctions à 1 500 particuliers et entités de Russie, d’Ukraine et du Bélarus. Nous avons été les premiers partenaires à mettre en œuvre le Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, afin de permettre la saisie, la confiscation, l’aliénation et la redistribution des biens appartenant aux particuliers et entités inscrits sur la liste. Nous désirons que les responsables répondent de leurs actes et que les victimes obtiennent justice, et nous allons appuyer les enquêtes sur les crimes de guerre et les possibles crimes contre l’humanité.

[Traduction]

Enfin, je dois mentionner le soutien que nous continuons de fournir aux efforts de réforme de l’Ukraine, nos programmes d’aide internationale et les efforts diplomatiques du Groupe de soutien des ambassadeurs du G7 pour l’Ukraine sur les réformes à Kiev poursuivent le travail qui était en cours avant l’invasion. Le gouvernement de l’Ukraine comprend que ces réformes ne peuvent pas attendre et que la reprise après la guerre repose sur une démocratie forte, l’inclusion, la primauté du droit, la transparence et la responsabilisation.

À mesure que le travail continue d’évoluer, le Canada et ses alliés se concentrent sur le soutien à l’Ukraine et font front commun contre l’agression de la Russie. Que ce soit à Ottawa, dans les missions à l’étranger ou à Kiev, c’est notre mission. Dans 10 jours, je retournerai à Kiev pour rencontrer une équipe forte et dévouée de Canadiens et d’Ukrainiens à notre ambassade. Nous accompagnerons le peuple ukrainien tout au long de l’hiver et, avec lui, nous entrevoyons un printemps de liberté et de régénération. Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame, pour ces propos liminaires.

Chers collègues, nous allons passer aux questions. Comme d’habitude, vous disposerez de quatre minutes par question et réponse. Je vous demanderais donc de poser des questions concises.

Je sais que vous voulez tous poser des questions. Nous pourrons faire un deuxième, voire un troisième tour. Nous verrons comment les choses se déroulent.

Le sénateur Harder : Madame l’ambassadrice, bienvenue au Sénat. Je tiens à vous remercier pour vos services à la nation et pour ceux rendus par votre personnel, tant local que canadien. Je vais vous poser quelques questions au sujet de vos obligations de diligence. Comme nous l’avons appris dans le cadre de notre travail, le devoir ou obligation de diligence incombe au final au chef de mission. Comment exercez-vous cette responsabilité, non seulement en ce qui concerne les employés canadiens, mais aussi les employés recrutés sur place? J’ai été surpris d’apprendre que le degré de difficulté auquel est confrontée votre ambassade n’est pas plus élevé que cela. Il ne me vient pas à l’esprit une autre capitale où la situation pourrait être pire qu’à Kiev. Donc, les règles et les procédures que vous appliquez sont-elles assez souples pour tenir compte des circonstances auxquelles vous faites face en ce qui a trait à votre obligation de diligence?

Mme Galadza : Je vous remercie d’être directement allé à l’essence du travail d’ambassadeur, du chef d’une mission, et de la responsabilité qui incombe à cet ambassadeur relativement au devoir de diligence, soit de la responsabilité du gouvernement du Canada en la matière.

Nous avons connu beaucoup de hauts et de bas. À compter de mars 2020, nous avons apporté un soin très attentionné à remplir notre devoir de diligence, à l’époque où la COVID-19 a frappé. Puis, le chevauchement de la COVID-19 et de l’invasion annoncée a vraiment obligé tant le personnel canadien que le personnel local à se concentrer sur cet aspect.

Il nous incombe d’assurer la sûreté et la sécurité au travail. Dans le cas des Canadiens, cela concerne tout le territoire ukrainien et dans celui des employés locaux, on parle des périodes qu’ils passent à l’ambassade.

Je ne peux pas vraiment parler de tout ce que nous faisons en matière de sécurité et de prévention, mais je vais vous en dire quelques mots. Nous sommes très bien appuyés dans nos décisions sur la posture de la mission. Nous nous sommes ajustés à maintes reprises et à mesure de l’évolution de la situation. Nous avons limité notre exposition en réduisant nos opérations — comme tout le monde ici le sait. Nous sommes même allés jusqu’à évacuer en février. Nous continuons d’étudier ce que nous pouvons faire, en particulier pour nos employés recrutés sur place afin de nous assurer qu’ils sont bien appuyés. Il s’agit maintenant aussi de s’assurer de les retenir. C’est donc un problème qui se pose aux plus hauts échelons du ministère et qui est pris très au sérieux tous les jours.

Côté règles et procédures, la COVID nous a amenés à en tester la souplesse. Je pense que nous voyons dans la situation sans précédent et très désastreuse de l’Ukraine à l’heure actuelle la nécessité de mieux se préparer à des événements extrêmes, compte tenu du monde dans lequel nous vivons. C’est aussi une priorité à Affaires mondiales Canada. Les membres du personnel et de la direction sont tous mobilisés sur ces questions, et je pense qu’à la mission de Kiev, nous serons particulièrement bien placés pour fournir des conseils et de la rétroaction sur la façon dont les choses fonctionnent et dont elles peuvent être améliorées.

Le président : Merci beaucoup. Je suis certain que c’est un thème sur lequel nous reviendrons dans les questions.

Le sénateur Wells : Merci, madame l’ambassadrice, d’avoir accepté de venir témoigner aujourd’hui et de servir le Canada en Ukraine.

Je suis récemment allé à Varsovie et à Vilnius et j’y ai entendu des ministres de premier plan affirmer que le moment n’est pas venu de mettre un terme à la guerre. Ils se sentent très vulnérables et menacés, et, en fait, à bien des égards, leurs pays aussi sont en première ligne. Aujourd’hui, la première ministre estonienne, Mme Kallas, a demandé qu’on lui fasse parvenir tout l’armement possible. J’ai aussi été à Lublin récemment, au centre de traitement des réfugiés en Pologne. J’y ai rencontré des enseignants qui font l’école aux enfants ukrainiens. Nous leur avons demandé ce dont ils avaient besoin en pensant à des cahiers d’exercices et à des crayons, mais ils nous ont répondu : des armes, des armes et encore des armes. Des ministres canadiens responsables de ce dossier nous ont indiqué que le Canada donne déjà tout ce qu’il peut et qu’ils reconnaissent évidemment l’importance des tenues hivernales. Quelle est la position du Canada au sujet des véhicules blindés légers, de l’artillerie et d’autres articles que nous pourrions avoir en surplus?

Mme Galadza : Je vous remercie de votre question, sénateur Wells. Demandez à quiconque de quoi il a besoin et il vous répondra des armes. C’est ce que disent les militants des droits de la personne, les mères, les enseignants et tous les officiels du gouvernement, quel que soit leur portefeuille. Ils ont besoin d’armes.

L’annonce faite l’autre jour par le Canada d’un versement additionnel de 500 millions de dollars cette année servira à répondre aux besoins de l’Ukraine. C’est incroyable les dons que nous allons faire. Le système par lequel l’Ukraine détermine ses besoins et établit ses priorités est maintenant bien en place. Au début, comme vous vous en doutez, c’était chaotique. Maintenant, il est bien rodé, dirigé par les Américains à partir de Ramstein, et nous y participons activement.

Donc, quand le gouvernement annonce de nouveaux fonds et une nouvelle contribution en équipement létal, nous consultons des listes. Nous savons ce qui est facilement accessible et si cela se trouve au Canada ou ailleurs. Je pense que les meilleurs efforts seront faits — vraiment, les meilleurs efforts — pour donner aux Ukrainiens ce dont ils ont besoin. En haut sommet de la liste, on trouve bien sûr le matériel de défense aérienne, mais comme vous l’avez dit, les véhicules blindés sont aussi très importants. Les 39 véhicules blindés d’appui tactique qui vont arriver ces jours-ci en Ukraine sont vraiment importants, et je pense qu’il y en aura plus encore par la suite.

Le président : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci, madame l’ambassadrice. Parlons de l’aspect humanitaire de la question. Le Canada a fourni des centaines de millions de dollars en aide humanitaire, et tous les Canadiens sont certainement d’accord, mais quels sont les besoins humanitaires les plus urgents aujourd’hui? Selon vous, dans quelle mesure avons-nous réussi à répondre à ces besoins jusqu’à maintenant?

Mme Galadza : Merci, sénateur. Pour le moment, les besoins les plus urgents concernent les préparatifs en vue de l’hiver, ce qui englobe les matériaux nécessaires pour combler les trous dans les murs ou renforcer les plafonds, et cetera, les couvertures et les poêles, ce genre de choses qui aideront les gens à traverser l’hiver. Le gouvernement ukrainien, mais aussi les organismes humanitaires internationaux et locaux qui œuvrent en Ukraine, s’y intéressent de très près.

Là aussi, on note que la coordination et la collaboration à Kiev et en Ukraine vont en s’améliorant au fil des mois, depuis le début de la guerre. Je me propose de vous entretenir de deux aspects. Comme vous le savez probablement, nos contributions humanitaires les plus importantes sont versées aux agences onusiennes et aux ONG internationales qui œuvrent en Ukraine. Quand nous distribuons les fonds, nous surveillons également la façon dont ils sont utilisés et nous assurons qu’ils le soient de façon efficace dans le contexte ukrainien qui est très, très différent pour les acteurs humanitaires.

La nouvelle cheffe de toutes les opérations de l’ONU en Ukraine, Mme Denise Brown, qui est canadienne, a déployé un effort énorme pour s’assurer que la coordination soit la plus étroite possible, que l’aide humanitaire parvienne rapidement à destination et que l’aide humanitaire de l’ONU aille dans les régions qui en ont le plus besoin, des régions qui ne sont pas facilement accessibles pour les autres acteurs.

Ils sont également très conscients qu’en Ukraine, la capacité d’entraide à l’échelle locale est remarquable, surtout sur le dernier kilomètre d’acheminement de l’aide humanitaire.

Et puis, la communauté internationale et les grands donateurs ont insisté dès le départ sur le fait que les ONG internationales ne devaient pas déployer leurs vastes réseaux d’assistance en Ukraine et qu’elles devaient plutôt recourir autant que faire se peut aux fournisseurs locaux, aux chaînes d’approvisionnement locales et aux organisations locales pour fournir l’aide humanitaire. C’est ce qui maintient l’aide actuelle pertinente, rapide, durable et la plus économique possible.

C’est ce qui se passe actuellement en Ukraine. Par ailleurs, l’ONU coordonne le travail des petites ONG et des organisations ukrainiennes et travaille à leur côté. On entend souvent dire que l’ONU a pour objectif de se retirer le plus tôt possible et de passer les rênes aux Ukrainiens.

L’urgence est donc la préparation à l’hiver et le Canada a débloqué des fonds supplémentaires expressément à cette fin. Je pense que le système est constamment peaufiné et renforcé pour répondre aux besoins futurs.

La sénatrice Simons : À l’approche de l’anniversaire de l’Holodomor, et compte tenu de la réputation et de l’histoire de l’Ukraine en tant que grenier à blé de pain, non seulement de son propre pays, mais de toute l’Europe de l’Est et de l’Ouest, pouvez-vous nous parler un peu de la situation alimentaire après ce que je suppose être une saison de récolte inhabituelle cet automne? Comme je suis membre du Comité de l’agriculture, je suis curieux de savoir quelles mesures de soutien le Canada s’apprête à prendre pour aider l’Ukraine à rétablir son secteur agricole au printemps.

Mme Galadza : Merci. Cette guerre a montré à quel point le monde dépend de la production agricole de l’Ukraine. Ce pays a été et demeure le grenier à blé de l’Europe et du reste du monde, et les Ukrainiens en sont fiers. Le monde les voit sous un jour différent parce qu’il est maintenant évident, après l’effondrement des expéditions et des exportations de céréales, que beaucoup de produits provenaient d’Ukraine, des produits que les gens n’ont plus sur leur table.

Le Canada a réagi très rapidement aux besoins urgents, notamment en ce qui concerne l’entreposage du grain. Ils n’avaient pas une énorme capacité de stockage parce que, avant, les produits étaient rapidement expédiés. On les acheminait au port et ils partaient tout de suite.

Le Canada a débloqué un financement important par l’entremise de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture afin de permettre l’installation d’installations de stockage qui sont en train d’être livrées à l’Ukraine. Cette aide jouera également un rôle important au cours de la prochaine saison des récoltes.

Je sais que la ministre de l’Agriculture et son homologue en Ukraine sont en contact constant. Les agriculteurs pensent toujours à l’avenir, à la saison suivante, mais les besoins sont urgents, ils sont maintenant. La ministre Bibeau travaille directement avec son homologue pour comprendre de quoi il s’agit et pour faire en sorte que le Canada puisse intervenir et aider, que ce soit sous la forme de semences, de technologie ou autre.

Nous avons également fourni une technologie importante pour aider l’Ukraine à exporter ses produits, pour veiller à ce que les laboratoires nécessaires pour tester les aliments exportés se trouvent aux bons endroits afin que le plus de produits possible puissent être exportés.

Les Ukrainiens considèrent vraiment les Canadiens comme leurs homologues, leurs équivalents en matière d’agriculture. Cela m’a surpris compte tenu de la proximité de l’Europe. Mais personne d’autre que le Canada ne peut soutenir la concurrence quant à la taille et à la portée de la production agricole. Les Ukrainiens se tournent donc vers nous pour obtenir de l’aide et des conseils, et je pense qu’à l’étape de la reconstruction, ils se tourneront vers nous à nouveau pour trouver des façons nouvelles et meilleures d’exploiter leurs terres agricoles.

Nous nous sommes concentrés sur les petites et moyennes entreprises en Ukraine afin de soutenir les collectivités locales et de veiller à ce qu’elles aient ce qu’il faut pour survivre à cette crise.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je souhaite rebondir sur la question de ma collègue, la sénatrice Simons. L’accord sur l’exportation des céréales a été renouvelé in extremis très récemment, pour quatre mois. De nombreux pays en développement, surtout dans le continent africain, comptent sur cet accord pour nourrir leurs populations. Sa reconduction est donc un grand soulagement pour ces pays.

Ma question, madame l’ambassadrice, est la suivante : quelles sont les raisons avancées par la Russie pour ne pas prolonger cet accord?

[Traduction]

Mme Galadza : Ce matin, nous avons appris que l’Initiative céréalière de la mer Noire avait été renouvelée, ce qui est une très bonne nouvelle. Elle avait suscité beaucoup d’anxiété. Merci de l’avoir souligné.

Ce sera pour une durée de 120 jours. Je ne sais pas pourquoi la Russie n’a pas visé plus longtemps. Je sais que les Russes ont essayé de faire lever les sanctions sur les exportations agricoles et alimentaires, sur les engrais et d’autres produits russes et qu’ils ne bougeront pas à cause de ces sanctions. C’est de la désinformation. Leurs exportations agricoles n’ont pas été sanctionnées. Donc, même s’ils nous donnaient une raison pour justifier le prolongement à quatre mois seulement, je ne suis pas sûre que je les croirais.

[Français]

La sénatrice Gerba : En fait, comment le Canada soutient-il cet accord?

[Traduction]

Mme Galadza : Nous avons largement contribué au Programme alimentaire mondial afin qu’il puisse acheter les céréales ukrainiennes et les expédier. De plus, nous travaillons par l’entremise de nos réseaux diplomatiques dans les pays les plus touchés par cette crise alimentaire provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, afin de nous assurer que la population, les gouvernements et les autorités là-bas comprennent la source du problème. La source n’est pas l’Ukraine. La source est la Russie et son invasion.

Un effort diplomatique et politique important a été déployé pour faire en sorte que cela soit bien compris et que cette compréhension amène les pays à faire pression sur la Russie pour que les Russes appuient l’Initiative céréalière de la mer Noire et la maintiennent.

La sénatrice M. Deacon : Merci pour votre venue, madame l’ambassadrice. Nous vous en sommes très reconnaissants. Je dirais que le Sénat essaie constamment d’établir des liens entre le travail, les conversations et la réalité sur le terrain. Il est également agréable d’entendre le témoignage de notre collègue, le sénateur Wells, qui a des liens avec la région. Je vous remercie d’avoir voulu nous en parler.

Je me pose quelques questions aujourd’hui. Il y a d’abord l’espoir que cette guerre finisse bientôt. Avec le retrait de la Russie de Kherson, les discussions ont repris sur la façon de reconstruire une Ukraine après le conflit. La planification a déjà commencé, comme nous l’avons vu à Berlin à la fin d’octobre. D’après les dernières estimations connues, le coût de la reconstruction est actuellement estimé à 350 milliards de dollars. Il ne fait aucun doute, comme je l’ai dit plus tôt, que les armes et le matériel demeurent la priorité numéro un. Toutefois, nous ne voulons pas non plus que le Canada et l’Ukraine soient pris au dépourvu quand viendra le temps de reconstruire l’Ukraine.

Je me demande ce que le Canada peut commencer à faire maintenant en vue de contribuer à préparer et à soutenir l’Ukraine après la guerre et dans le long terme.

Mme Galadza : Merci. La reconstruction, le financement, l’établissement des priorités, la gouvernance et la reddition de comptes sont autant de grandes questions que se posent de nombreuses personnes dans les pays qui se considèrent comme les bons amis de l’Ukraine. Le G7 est un véritable point d’ancrage.

Nous contribuons déjà beaucoup sur les plans de l’économie et de la stabilité macroéconomique de l’Ukraine. Il n’y aura rien à reconstruire si la lutte pour la stabilité macroéconomique n’est pas gagnée. Une grande partie de l’agression de la Russie frappe au cœur de l’économie. La somme de plus de 2 milliards de dollars que le Canada a déjà prévue pour cette stabilité est vraiment importante. Ce qui est plus important, c’est que nous l’avons fournie et l’avons distribuée rapidement. Les Ukrainiens l’apprécient. Souvent, des promesses faites ne sont tenues que bien plus tard. Nous avons plutôt la réputation de faire des promesses et de les tenir rapidement. J’en suis fière.

La deuxième chose que nous pouvons faire pour nous assurer que l’Ukraine soit en mesure de se reconstruire rapidement consiste à exercer des pressions dans les régions où nous avons toujours été de solides partenaires de l’Ukraine. D’abord et avant tout, en ce qui concerne l’aide militaire, il faut remettre sur pied le système d’entraînement militaire. L’opération Unifier était et demeure un outil incroyablement puissant et une mission de formation incroyablement efficace pour l’Ukraine. Avant la guerre, dans le cadre de l’opération Unifier, les Forces armées canadiennes avaient formé 33 000 soldats ukrainiens. Cela se poursuit maintenant, évidemment pas en Ukraine, mais en tant que mission encore plus importante qu’auparavant, et elle a un mandat de plusieurs années. La reconstruction de l’Ukraine dépend de sa sécurité, de sorte que la réponse en matière d’armes, de forces militaires fortes et de sécurité forte sera la priorité pendant très longtemps. Nous sommes de bons partenaires de l’Ukraine. Nous sommes un partenaire efficace, et nous devons le demeurer.

Le président : Merci, madame l’ambassadrice.

La sénatrice Hartling : Merci, madame d’être venue ici et de nous avoir expliqué si clairement ce qui se passe. J’apprécie le travail acharné que vous faites là-bas avec vos collaborateurs, pour nous et pour tout le peuple ukrainien.

J’ai rencontré des Ukrainiens venus au Nouveau-Brunswick. Bien sûr, on voit les nouvelles et on voit ce qui se passe. Nous ne sommes pas sur place, mais nous voyons ce qui se passe. Je me suis entretenue avec des gens qui sont venus ici, et qui m’ont notamment dit que leurs familles sont divisées. Comment s’occupe-t-on de la santé mentale et physique des gens? Je sais que ce sont des gens psychologiquement forts, mais quelles ressources y a-t-il pour les aider à faire face à la situation actuelle? Je ne peux qu’imaginer qu’avec l’arrivée de l’hiver et chaque jour où je vois ce qui se passe, ce doit être difficile. Savez-vous ce qui se passe à ce sujet?

Mme Galadza : Oui. Je pense que, de nos jours, tout le monde mise sur les stratégies d’adaptation. L’une des choses les plus impressionnantes qu’il m’ait été donné de voir en Ukraine est la rapidité avec laquelle le pays a déstigmatisé les problèmes de santé mentale et déblayé le terrain pour élaborer une stratégie nationale en matière de santé mentale. Avant l’invasion, il y a eu de bonnes conversations sur la santé mentale des anciens combattants et sur le TSPT — un autre domaine où les Ukrainiens se sont vraiment tournés vers le Canada —, mais depuis l’invasion, on a vraiment mis l’accent sur le besoin de tout le monde d’être mieux informé en matière de santé mentale sur la prestation du soutien nécessaire.

Cela relève du bureau de la première dame d’Ukraine, Olena Zelenska, avec l’appui des experts de l’Organisation mondiale de la santé. C’est en cours. Le programme vise surtout les enfants — en fait, tout le monde —, car il est entendu que chacun a des besoins différents et qu’il s’agit vraiment d’une approche globale. C’est ainsi que les choses se passent.

Le Canada a doublé sa contribution au Fonds des Nations unies pour la population. C’est précisément pour cibler la violence sexuelle et fondée sur le sexe, la violence familiale, les besoins des femmes et des enfants. Nous savons que la contribution est vraiment importante en ce moment, et l’ONU est bien placée pour servir ces populations particulièrement vulnérables. Ce sont là deux domaines où des progrès réels ont été réalisés et où il y a eu beaucoup de travail et d’attention.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup. Ma deuxième question portait sur la santé physique. J’imagine que des gens sont blessés et des choses comme ça. Y a-t-il des ressources pour cela?

Mme Galadza : Il y a tellement de blessés qui reviennent de la guerre que si je me sentais malade, je resterais chez moi, d’instinct. Je pense que les Ukrainiens souffrent depuis longtemps. C’est comme ça. Ils trouvent l’aide dont ils ont besoin, mais, comme nous l’avons vu ici au Canada pendant la pandémie de COVID-19, les gens ne font que remettre à plus tard. Je pense que nous en verrons les effets à long terme. Bien sûr, des hôpitaux, des centaines d’établissements médicaux ont été détruits pendant cette guerre. Véritablement des centaines. Ensuite, les installations encore fonctionnelles sont quotidiennement touchées par les opérations de délestage, quand il y a du courant, sinon il n’y a rien.

La sénatrice Hartling : Merci.

Le sénateur Richards : Merci, madame l’ambassadrice. Vous venez de mentionner le nombre de bâtiments détruits par les attaques aux drones et autres. Vous avez parlé brièvement des systèmes de défense aérienne. Le Canada a-t-il les systèmes de défense aérienne et en a-t-il donné pour atténuer l’impact des attaques constantes de drones et de missiles? Pensez-vous que cela pourrait nécessiter une défense plus robuste, comme un bouclier aérien au-dessus de l’Ukraine?

Mme Galadza : Chose certaine, les Ukrainiens ont réclamé haut et fort l’interdiction de survol au-dessus de leur territoire au début de la guerre. Pour fermer le ciel, il faut une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, et je pense que vous savez ce qui se passe ensuite en pareille situation. La démarche ne peut aboutir.

La défense aérienne est assurée par les plus grands alliés de l’Ukraine qui ont l’équipement nécessaire. Le Canada ne dispose pas des moyens de défense aérienne dont ils ont besoin. Nous fournissons d’autres équipements qui sont vraiment importants, comme les caméras de drones qui sont fabriquées au Canada et qui s’avèrent être un outil incroyablement puissant pour les forces ukrainiennes. Les véhicules que nous allons fournir leur permettront d’aller plus loin en territoire dangereux et de protéger le mouvement des troupes et de la logistique. Nous avons tous beaucoup appris sur l’importance des lignes d’approvisionnement pour la machine de guerre dans cette guerre, et les véhicules que nous fournissons seront donc très importants.

La formation que nous continuons à fournir et les vêtements... nous n’avons apporté aucune contribution que les Ukrainiens m’ont dit être trop petite. Donc, nous ne sommes peut-être pas dans le domaine de la défense aérienne et de l’approvisionnement en armes lourdes pour l’Ukraine, mais nous faisons toutes sortes d’autres choses qui sont vraiment importantes, et nous le faisons le plus rapidement possible.

Le sénateur Richards : Merci. Nous fournissons bien une capacité antiaérienne, n’est-ce pas? C’est bien cela?

Mme Galadza : Nous avons fourni le M777. Il faut demander à quelqu’un qui en sait beaucoup plus que moi sur le matériel militaire si c’est une arme antiaérienne.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

Le président : Nous arrivons à la fin du premier tour. J’aimerais aussi poser une question.

Depuis le 24 février, je dirais que nous assistons à une coordination sans précédent entre le G7 et d’autres pays en lien avec cette invasion. Le groupe d’ambassadeurs du G7 dont vous faites partie existait avant cela. Je le connais bien. Toutefois, pourrez-vous participer à toute la coordination que vous souhaiterez sur le terrain, en fonction des conditions... n’oublions pas qu’il y a eu une pandémie avant ces événements. Comment cela fonctionne-t-il? Les dirigeants se parlent. Les ministres des Affaires étrangères se parlent. L’Allemagne assure la présidence du G7 et assure la coordination. Est-ce que cela se fait sur le terrain en Ukraine ou en toutes circonstances, même quand vous n’êtes pas à Kyiv?

Mme Galadza : Oui et non. Nous sommes bien sûr conscients de la quantité incroyable d’activités qui se déroulent à toutes les tables, qui sont surtout appuyées par des gens dans les capitales qui se parlent et par des ministres qui se parlent. Nous surveillons la situation.

En Ukraine, notre valeur réside dans notre connaissance du terrain dont nous possédons les nuances, où nous pouvons valider les demandes et recouper les positions. Comme vous pouvez l’imaginer, il y a de nombreuses voix, de nombreuses priorités concurrentes. Je pense que les rapports que nous sommes en mesure de produire et les engagements que nous prenons — ce que je fais avec mes collègues, et que nous faisons ensemble avec les autorités ukrainiennes — aident à harmoniser la coordination aux tables du G7.

Je suis vraiment frappée par le niveau d’activité au G7. C’est essentiel. Il est important que nous soyons tous coordonnés. La coordination des donateurs est généralement très difficile, ou elle est devenue plus difficile parce que les personnes concernées sont dispersées. L’accès aux intervenants et aux bénéficiaires est très difficile. Tout le monde se déplace en permanence et c’est difficile, mais les équipes travaillent très fort pour surmonter ces défis et maintenir en place ces mécanismes qui donnent des résultats, parce qu’ils sont plus importants que jamais.

Le président : Merci beaucoup. C’est utile. Passons à la deuxième série.

Le sénateur MacDonald : Je vais revenir sur les aspects humanitaires que j’ai déjà soulevés. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés signale que près de huit millions d’Ukrainiens se sont inscrits comme réfugiés temporaires. Je suis curieux de savoir combien de ces huit millions de personnes le Canada a réinstallées. Quel est le temps d’attente moyen pour ces réfugiés qui ont fait une demande pour venir au Canada? Combien de personnes que nous faisons venir attendent que leur dossier soit traité?

Mme Galadza : Je vais passer à mes chiffres les plus récents, car je les ai. Attendez une seconde. Je vais vous répondre de mémoire, car j’étais à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada hier pour parler de cette question. Comme vous pouvez l’imaginer, les Ukrainiens ont toujours beaucoup voyagé au Canada, qui est considéré comme un pays amical où se rendre, un pays accueillant où aller si l’on est prêt à faire le voyage.

Plus de 370 000 demandes ont été approuvées dans le cadre du programme Autorisation de voyage d’urgence Canada-Ukraine qui, si vous vous en souvenez, a été mis sur pied à la fin mars. C’est du jamais vu. Un programme sans précédent et un nombre sans précédent de demandeurs.

De ce nombre, de 80 000 à 90 000 personnes sont arrivées. Il y a donc beaucoup plus de demandes qui ont été approuvées que de gens qui sont arrivés.

À l’heure actuelle, il y a en moyenne 14 000 demandes par semaine. C’est continu. Combien de ces demandeurs viendront au Canada? Nous ne le savons pas. Et combien de personnes qui sont arrivées vont rester ici, emprunter une autre voie pour peut-être obtenir une résidence permanente? Nous ne le savons pas. Mais la grande majorité de ceux qui sont venus se sont prévalus de l’aide fournie tant par le gouvernement fédéral que par les provinces, qu’il s’agisse d’aide financière, de formation linguistique, de logement gratuit et de soutien social pour trouver du travail, pour faire garder et instruire les enfants, et ainsi de suite.

Le sénateur MacDonald : Donc, 370 000 demandes ont été traitées et entre 80 000 et 90 000 demandeurs sont déjà ici. Pour les plus de 200 000 personnes qui n’ont pas encore posé le pied au Canada, quel est le plus grand obstacle à leur arrivée ici? Quelle est la grande montagne qu’ils doivent gravir? Avant la formation linguistique et tout le reste, juste pour arriver ici?

Mme Galadza : Certains d’entre eux peuvent avoir de la difficulté à sortir d’Ukraine. Les hommes en âge de combattre en vertu de la loi martiale ne sont pas autorisés à sortir. Ils ont peut‑être fait une demande et obtenu un visa dans l’espoir de pouvoir un jour partir. Je pense surtout qu’il s’agit d’un plan B, d’une assurance pour les gens, d’un document qu’ils souhaitent avoir dans leur passeport au cas où ils devraient partir. C’est un visa de trois ans. Donc, je pense que le fait d’être prêt et d’attendre le bon moment pourrait être une des raisons.

Le sénateur MacDonald : Merci.

La sénatrice Simons : Je viens d’Edmonton, où les gens prennent tout cela très à cœur. Il y a toutes sortes d’initiatives sur le terrain à Edmonton, y compris l’une dirigée par l’ancien premier ministre Ed Stelmach et l’ancien vice-premier ministre Thomas Lukaszuk pour le transport aérien de marchandises et pour des dons à l’Ukraine. Je sais que tout cela est bien intentionné, mais je me demande toujours si c’est utile à l’autre bout ou si cela ne fait que créer plus de travail.

D’un autre côté, des Canadiens se portent volontaires pour combattre en Ukraine. Deux d’entre eux ont été tués dont, tout récemment, Joseph Hildebrand de la Saskatchewan. Je me demande donc quels conseils vous donneriez aux Canadiens qui veulent aider. Quelle est la meilleure façon pour eux de canaliser leurs énergies? Est-il utile d’avoir des gens à Edmonton qui remplissent des avions avec des fauteuils roulants usagés et des parkas? Y a-t-il plus d’aide ou d’obstacles pour les Canadiens désireux d’aller se battre? M. Hildebrand était un vétéran des Forces armées canadiennes. J’imagine que certaines personnes ne possèdent pas nécessairement ce genre de compétences.

Mme Galadza : Merci. Je vais commencer par répondre à la deuxième partie. Nous conseillons aux Canadiens de ne pas se rendre en Ukraine, pour quelque raison que ce soit. Il y en a qui ont décidé d’aller se battre, et c’est leur décision personnelle, mais nous avons vu ce qui peut arriver. C’est une guerre brutale.

Pour ce qui est des dons, je dirais que cela dépend. En ce qui nous concerne, s’agissant de la façon de dépenser la prochaine tranche de 500 millions de dollars d’aide militaire ou d’autres sommes, nous examinons d’abord ce dont les Ukrainiens ont besoin. De quoi telle ou telle entité nous dit-elle avoir besoin et nous allons essayer de répondre à la demande? Les dons effectués à la petite semaine ne sont probablement pas utiles. Si vous travaillez en liaison avec une organisation particulière qui aménage un dortoir, peut-être pour des enfants handicapés ayant besoin de fauteuils roulants, alors c’est probablement une bonne chose. Les dons d’animaux en peluche, de vêtements et d’autres objets du genre sont utiles. Cela dépend vraiment.

Les rapports Canada-Ukraine sont constitués de tellement de liens personnels et communautaires qu’on assiste à ce genre d’activités dans des collectivités partout au pays. C’est très bien, mais je conseillerais d’envoyer des choses à une organisation précise qui vous dit qu’elle en a besoin.

Fournissez ce qui est nécessaire de la façon la plus efficace possible, car vous allez parfois dépenser plus en frais d’expédition que ce qu’il en coûterait pour acheter la même chose sur le marché local. Le marché local continue de fonctionner. Les chaînes d’approvisionnement fonctionnent, peut-être pas aussi bien qu’avant, mais le marché local fonctionne. C’est mon conseil. L’argent est toujours la meilleure façon d’aider. De nombreux organismes communautaires apportent un excellent soutien sur le terrain.

La sénatrice Simons : Avez-vous une idée du nombre de combattants canadiens qui pourraient se trouver en Ukraine? Ont-ils tendance à s’inscrire auprès de l’ambassade ou...

Mme Galadza : Même si c’était le cas, nous ne le saurions pas. Même s’ils étaient répertoriés dans le système d’inscription des Canadiens à l’étranger, nous ne le saurions pas.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Madame l’ambassadrice, le président Volodimir Zelenski a récemment annoncé ses conditions pour la reprise des négociations avec la Russie, parmi lesquelles il a notamment indiqué la restitution des territoires occupés, l’indemnisation des dommages causés par cette guerre et la poursuite des crimes de guerre. On sait que la Russie a déjà annoncé que ces conditions n’étaient pas réalistes.

Pensez-vous que le conflit sera un jour résolu par des voies diplomatiques? Sinon, quelles sont les autres attentes de la communauté diplomatique relativement à ce conflit?

[Traduction]

Mme Galadza : Comme la Russie a pu penser qu’il était réaliste d’envahir l’Ukraine en la prenant dans une tenaille triple, je rejette tous ses jugements sur ce qui est réaliste ou pas.

La guerre sera réglée aux conditions de l’Ukraine. L’Ukraine va gagner cette guerre, et elle sera réglée à ses conditions. C’est la position ferme des Ukrainiens et nous les appuyons également dans cette position. Le président Zelenski a également dit qu’il n’y aurait pas de pourparlers avec la Russie à moins que ce soit avec un autre président.

Après avoir tout bien considéré, il ne nous semble pas qu’il y aura bientôt quelqu’un à la table des négociations. L’Ukraine, je crois, s’y assoira quand elle sera en position de force et que la Russie souffrira.

À l’heure actuelle, l’ajout continu de sanctions, la marginalisation continue de la Russie sur la scène internationale, tout cela est vraiment important pour faire comprendre aux Russes qu’ils ne gagneront pas, et pour les amener à un point où ils seront peut-être disposés à discuter du retrait de toutes leurs troupes. Mais c’est une condition incontournable.

Je rappelle également aux sénateurs que, des années durant, l’Ukraine a participé à des pourparlers diplomatiques et à des négociations avec la Russie sur la résolution de l’invasion de 2014 et sur le retour des oblasts de Donetsk et de Louhansk.

Les deux ou trois dernières années de ces discussions ont été extrêmement pénibles et truffées de tentatives de manipulation. Elles n’ont abouti à rien. Elles ont grippé, elles ont bloqué. La Russie a joué à tous les jeux possibles pendant ces discussions et c’est la raison pour laquelle l’Ukraine ne tient pas à les reprendre. Les Ukrainiens savent à qui ils ont affaire. Ils ne peuvent pas se fier aux promesses des Russes. Ils ne peuvent pas se fier à leurs paroles. Ils ne peuvent même pas avoir confiance que le processus de négociation sera respecté. C’est pourquoi leur seul recours à l’heure actuelle est le recours cinétique, le recours militaire, et ils sont un peu sur une lancée.

Le président : Merci.

La sénatrice M. Deacon : Compte tenu de l’importance que revêt la persistance dans l’action et le maintien du soutien dans un conflit qui semble devoir perdurer — et je ne veux pas contredire certains de vos propos antérieurs — je me demande si les Ukrainiens ne perçoivent pas une baisse de l’intérêt dont ils ont été l’objet? Ont-ils l’impression que leurs alliés sont moins résolus ou moins attentionnés qu’avant? Y a-t-il lieu de craindre que cette guerre soit reléguée en dernière page ou qu’elle soit détrônée de la une dans le monde? Dans vos rapports avec vos homologues ukrainiens, craignez-vous que l’intérêt ou la détermination de l’Occident ne commence à fléchir au moment où nous en avons le plus besoin, surtout compte tenu de la description à laquelle vous venez de répondre?

Si cela risque de se produire ou se produit sur le terrain, en quoi le moral en Ukraine à court et à long terme sera-t-il influencé?

Mme Galadza : À l’été, on s’inquiétait davantage de l’effet de « fatigue » des donateurs parce que les choses semblaient se tasser quelque peu; elles ne bougeaient pas vraiment et il y avait des inquiétudes. Or, je n’ai pas entendu cette préoccupation depuis un certain temps. Il y a certes des annonces comme celle que le premier ministre a faite l’autre jour. Chaque jour, un pays annonce une autre forme de contribution, et cela les maintient en vie.

Mais aussi, les Ukrainiens ont fait un travail de communication magistral auprès des populations de pays qui les soutiennent, pour garder les Occidentaux au courant du quotidien des Ukrainiens. Je suis sûre que vous l’avez constaté. Je suis sûre que cela vous a frappé. C’est très délibéré. Le président Zelenski a d’ailleurs dit et répété que les gouvernements démocratiques ne vont pas à l’encontre de la volonté de leur peuple et qu’il faut faire en sorte que le peuple veuille continuer d’appuyer l’Ukraine.

Le président : Merci. Madame l’ambassadrice, au nom du comité, je vous remercie pour votre témoignage d’aujourd’hui. Nous avons eu une très bonne discussion. Je pense qu’il est juste de dire que nous admirons tous votre leadership. Nous admirons l’engagement et l’énergie de votre personnel en Ukraine, tant des Canadiens que des Ukrainiens recrutés sur place par l’ambassade. Merci beaucoup de vous être déplacée. Nous avons bien sûr hâte que vous reveniez nous faire un point dès que cela sera possible.

Honorables sénateurs, avant de lever la séance, je demande aux membres du comité directeur de rester. Nous allons avoir une brève discussion. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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