LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 17 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 4, 5, 10 et 11 de la partie 4, et de la sous-section A de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, j’aimerais inviter les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter en commençant par ma gauche.
La sénatrice Gerba : Sénatrice Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
Le sénateur Richards : Sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish en Nouvelle‑Écosse.
Le président : Merci, sénateurs. Je souhaite la bienvenue aux membres du comité, ainsi qu’à ceux qui nous regardent d’un peu partout au pays sur ParlVu du Sénat.
Aujourd’hui, nous terminons notre étude du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Les éléments particuliers renvoyés à ce comité par le Sénat le 27 avril sont les sections 4, 5, 10 et 11 de la partie 4, et la sous‑section A de la section 3 de la partie 4.
Aujourd’hui, nous nous concentrerons sur la section 4 de la partie 4, qui concerne les programmes de préférence tarifaire pour les pays en développement, et sur la section 5 de la partie 4, qui concerne la suppression du traitement tarifaire de la nation la plus favorisée pour le Bélarus et la Fédération de Russie.
Pour ce premier segment de la réunion, qui portera sur les sections 4 et 5, nous avons le plaisir d’accueillir, du ministère des Finances, Yannick Mondy, directrice, Politique tarifaire et commerciale. Madame Mondy, je vous remercie de votre présence et je vous souhaite la bienvenue au comité.
Avant d’entendre votre déclaration liminaire et de passer aux questions des membres du comité, je voudrais demander à tous les gens présents dans la salle d’éviter de se pencher trop près de leur micro ou, s’ils doivent le faire, d’enlever leur oreillette au préalable. Cette précaution est nécessaire pour éviter toute réaction acoustique qui pourrait causer des ennuis à notre personnel technique et, en particulier, à nos interprètes.
Nous sommes maintenant prêts à entendre votre déclaration liminaire, qui sera suivie des questions de la part des sénateurs. Madame Mondy, vous avez la parole.
Yannick Mondy, directrice, Politique tarifaire et commerciale, ministère des Finances Canada : Merci. Bonjour. Comme on vient de le dire, je m’appelle Yannick Mondy. Je suis directrice de la politique commerciale et tarifaire à la Direction du commerce et des finances internationales du ministère des Finances du Canada.
[Français]
J’ai le plaisir d’être ici aujourd’hui pour appuyer l’étude de ce comité concernant les sections 4 et 5 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
[Traduction]
Je vais vous donner quelques renseignements généraux sur les sections à l’étude, puis je répondrai volontiers à vos questions.
La section 4 concerne les programmes de préférence tarifaire que le Canada offre aux pays en développement. Comme cela a été dit, la section 5 concerne le retrait du droit au traitement tarifaire de la nation la plus favorisée accordé au Bélarus et à la Russie.
[Français]
La section 4 du projet de loi C-47 propose de renouveler les programmes offrant des préférences tarifaires qui viendront à échéance le 31 décembre 2024. De plus, les amendements seront proposés pour créer un nouveau programme pour la même période et également pour simplifier les exigences administratives permettant l’accès aux réductions tarifaires offertes par ces programmes, pour les pays en développement et qui sont admissibles aux deux programmes.
[Traduction]
Plus précisément, la section 4 modifie le Tarif des douanes afin de renouveler les tarifs de préférence généraux, les TPG, et le Tarif des pays les moins développés, le TPMD, pour la période allant du 1er janvier 2025 au 31 décembre 2034. Il propose également de modifier le Tarif des douanes afin d’établir un nouveau programme, le Tarif de préférence général +, ou TPG+, pour la même période. Enfin, la section 4 comprend des modifications visant à simplifier les exigences en matière d’expédition directe. L’objectif de cette modification est de maximiser l’accès aux avantages des programmes existants.
Pour donner un peu de contexte aux programmes de préférence tarifaire offerts par le Canada, il faut savoir qu’il y a en tout trois programmes. Les deux dont je viens de parler sont sur le point d’arriver à échéance, mais il existe également un troisième programme appelé Tarif des pays antillais du Commonwealth, ou TPAC, qui a été mis en place en 1986 pour étendre à 18 pays des Caraïbes une mesure équivalente au TPG. Le TPG et le TPMD ont pour leur part été mis en place dans le cadre du Tarif des douanes en 1974 et 1983 respectivement et ont été renouvelés par tranches de 10 ans.
Ces trois programmes visent à soutenir la croissance économique générée par les exportations des pays en développement et des pays les moins avancés en accordant un accès préférentiel aux marchés pour les importations en provenance des pays admissibles. Le renouvellement de ces programmes vise à soutenir nos objectifs de politique étrangère et de développement, mais aussi à assurer une certaine prévisibilité aux pays en développement et aux importateurs canadiens afin qu’ils puissent continuer à bénéficier de ces avantages tarifaires dans des conditions actualisées, ce qui contribuera à faciliter et à soutenir le recours à ces programmes.
Dans l’attente de l’approbation du Parlement du projet de loi C-47, les modifications proposées visent également à mettre en place un quatrième programme, le TPG+, qui permettra, par l’intermédiaire du programme de commerce inclusif du Canada, d’accorder des avantages tarifaires supplémentaires au programme TPG pour les pays qui respectent certaines normes internationales en matière de droits de la personne, d’environnement, de travail et d’égalité des sexes.
[Français]
Ce programme de tarif préférentiel plus fait écho aux programmes de même nature qui sont mis de l’avant dans d’autres pays développés, notamment le Système de préférences généralisées plus de l’Union européenne qui incite les pays en développement à poursuivre leur développement durable et la bonne gouvernance, depuis 2006, en offrant des réductions tarifaires auprès de huit pays.
De plus, les amendements proposés dans la section 4 donnent suite à des consultations publiques qui ont été menées à l’automne 2022.
[Traduction]
Les consultations que nous avons menées l’automne dernier nous ont permis d’entendre les points de vue d’importateurs, d’associations commerciales, de syndicats et de groupes de la société civile basés au Canada. Comme cela a dû se faire lors du précédent renouvellement des programmes des TPG et des TPMD, des règlements seront également nécessaires pour compléter ces modifications législatives et pour fixer les termes du programme du TPG+.
Des règlements sur les expéditions directes devront également être approuvés par le gouverneur en conseil. Les importateurs nous ont dit que pour chaque renouvellement, il est important que ces détails soient approuvés et communiqués bien avant le 1er janvier 2025, car ce sont des renseignements cruciaux pour la préparation de leurs plans d’affaires et de leurs plans d’approvisionnement, ainsi qu’en ce qui concerne les importations.
[Français]
La section 5 porte sur le retrait du traitement tarifaire de la nation la plus favorisée accordé au Bélarus et à la Russie.
[Traduction]
Le projet de loi C-47 propose de modifier le Tarif des douanes afin de retirer indéfiniment le traitement préférentiel de la nation la plus favorisée à ces deux pays.
Comme vous le savez peut-être, le 2 mars 2022, le Canada est devenu le premier pays à révoquer l’admissibilité de la Russie et du Bélarus au traitement tarifaire de la nation la plus favorisée. Ce retrait temporaire a entraîné l’application — par défaut, en vertu du Tarif des douanes — d’un taux tarifaire de 35 % sur la quasi-totalité des importations en provenance de la Russie et du Bélarus. Les deux pays se sont ainsi retrouvés dans la même catégorie de bénéficiaires que la Corée du Nord. Dans les mois qui ont suivi l’action du Canada, plusieurs pays alliés aux vues similaires — tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi le Japon et l’Australie — ont adopté des augmentations tarifaires semblables sur les importations en provenance de ces deux pays.
La section 5 du projet de loi C-47 met essentiellement en œuvre pour une durée indéterminée ce que le gouvernement a approuvé en 2022, et contribue à émettre un signal à plus long terme axé sur les marchés afin d’inciter les importateurs à s’approvisionner ailleurs qu’en Russie et qu’au Bélarus. De plus, le retrait de durée indéfinie du traitement préférentiel proposé à la section 5 tient compte du fait que le conflit semble vouloir durer.
[Français]
Ceci conclut mes remarques préliminaires. Je répondrai à vos questions avec plaisir. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, madame Mondy.
[Traduction]
Je tiens à souligner que le sénateur Woo, de la Colombie-Britannique, le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, et le sénateur Housakos, du Québec, se sont joints à nous.
[Français]
Chers collègues, j’aimerais préciser aux sénateurs que vous disposez d’un maximum de quatre minutes chacun pour la première ronde, incluant les questions et les réponses.
[Traduction]
Je demanderais aux membres du comité — et à nos témoins — d’être aussi concis que possible, tant pour les questions que pour les réponses. Nous pourrons toujours procéder à un deuxième tour de questions si nous en avons le temps.
Aujourd’hui, c’est la sénatrice Deacon qui sera la première à poser des questions.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de votre présence. Je vous en suis reconnaissante.
Ma question porte sur le programme TPG+ et, plus précisément, sur la façon dont les pays pourront se qualifier pour ce statut privilégié. Je note que le développement durable fait partie des conditions. Comment le gouvernement mesurera-t-il cet aspect? S’agira-t-il uniquement des émissions de carbone ou y aura-t-il d’autres polluants? Je pense par exemple à la pollution de l’eau associée à l’utilisation des microplastiques.
Mme Mondy : Merci. Je pense que vous faites référence aux nouveaux programmes TPG+ que nous cherchons à mettre en place. C’est le gouverneur en conseil qui prendra les décisions quant aux critères qu’il souhaite utiliser pour baliser le cadre général que nous cherchons à mettre en place.
Nous avons discuté de cela avec d’autres pays — avec l’Union européenne, notamment — et nous avons comparé nos notes afin de voir comment ils mettent en place leurs programmes. Je crois qu’ils utilisent 27 conventions. Ils examinent non seulement le fait d’avoir ratifié ces conventions, mais aussi la manière dont ils s’y conforment.
Pour le Canada, il s’agit d’un processus similaire. Nous nous sommes engagés avec d’autres ministères fédéraux à évaluer les normes et les conventions internationales qui peuvent servir de guide. En fin de compte, d’autres consultations auront lieu avec ces ministères et des recommandations seront faites au gouverneur en conseil après l’adoption du projet de loi C-47 afin de mettre ces mesures en place. Il y a la question d’adhésion, mais aussi celle de la conformité.
La sénatrice M. Deacon : Vous avez parlé tout à l’heure de la façon dont nous établissons quels pays reçoivent le statut de pays les moins développés. J’ai cru comprendre que c’était basé sur la liste de l’ONU. Cependant, sur la page du ministère des Finances, il est dit que le programme du Tarif des pays les moins développés, ou TPMD, était basé en grande partie sur la liste de l’ONU. Je ne voudrais pas être plus tatillonne qu’il ne le faut, mais j’essaie de comprendre quelles autres conditions pourraient être appliquées pour établir notre propre liste.
Mme Mondy : Il y en a deux, en fait. La première est qu’il faut être membre du programme-cadre, c’est-à-dire à celui du Tarif préférentiel général, ou TPG. Il y a 106 pays en développement qui sont membres de ce programme, et 49 d’entre eux sont membres du TPMD. Cela tient compte de la liste des Nations unies. La liste des Nations unies des pays les moins développés est mise à jour de temps à autre. Je crois que la prochaine réunion à cette fin aura lieu en 2024. On y examinera les possibilités de rayer certains États de la liste. Présentement, il n’y a pas de mécanisme automatique, si je peux utiliser ce terme, pour supprimer les pays de la liste des pays les moins développés une fois qu’ils ont été rayés de la liste des Nations unies.
Une partie des consultations que nous avons menées l’automne dernier visait à répondre à certaines des demandes que nous avons reçues, notamment en ce qui concerne les périodes de transition pour les pays les moins développés et leur accès au programme. L’intention est de mettre en œuvre une période de transition de trois ans. Cela signifie qu’après le 1er janvier 2025, un pays supprimé de la liste des Nations unies devra continuer à rester membre du TPG et satisfaire aux critères de ce programme. Il pourra encore bénéficier de trois années supplémentaires avant d’être retiré du programme du TPMD. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à notre témoin d’être ici aujourd’hui.
Je vais aussi poser une question sur le tarif de préférence général plus (TPG+). Est-ce que vous vous êtes inspirée d’autres législatures, d’autres programmes, par exemple, l’AGOA aux États-Unis, l’African Growth and Opportunity Act? Est-ce que ce sont les mêmes critères?
Est-ce qu’il y aura une certaine façon de l’évaluer?
Mme Mondy : En fait, je ne sais pas exactement comment l’AGOA permet d’évaluer l’admissibilité. Je pense que c’est un programme qui est d’abord et avant tout de nature plutôt géographique. Dans ce cas, l’idée est plutôt de faire — je dirais que notre seul programme de nature géographique est le tarif des pays antillais du Commonwealth. Pour ce faire, c’est un programme qui est permanent. On doit demander à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) une permission spéciale.
En principe, ces programmes doivent être exemptés. Les critères qui sont offerts doivent être horizontaux, c’est-à-dire que dès qu’un pays se qualifie selon nos critères, on doit traiter tous les pays de façon égale. Il n’y a pas vraiment d’intérêt géographique.
Pour répondre à votre question, on s’inspire de programmes qui existent déjà. Celui de l’Union européenne était particulièrement intéressant. On a regardé également les traitements tarifaires qui sont offerts par le Japon. De façon générale, le Canada est très généreux dans sa couverture, dans l’élimination et la réduction tarifaire qu’il offre, ains que pour la gamme de produits importés.
Par contre, pour la question du TPG+, il y a huit pays européens qui se sont qualifiés selon les critères. Cela donne un indice du nombre de pays qui vont se qualifier, probablement, selon les critères canadiens, tout dépendant des critères qui seront appliqués au Canada.
Pour ce qui est de la couverture, on cherche quelque chose qui est plus généreux que le programme de TPG actuel et qui se situera probablement entre lui et celui qui est offert aux pays les moins développés. Il y a quelque chose entre la marge des deux programmes pour créer un incitatif et un levier, afin de ne pas retirer ce qui est offert pour les pays qui en ont le plus besoin en vertu du tarif des pays les moins développés (TPMD) ou en anglais LDCT.
La sénatrice Gerba : Je comprends. Est-ce que cela va s’arrimer avec la politique féministe canadienne?
Mme Mondy : Effectivement, il y a un angle d’égalité des genres qui sera exploré. Par contre, il s’agira de trouver quel sera le bon ancrage qu’on pourra recommander sur le plan d’une norme internationale.
La sénatrice Gerba : D’accord. Je vous remercie.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup de votre témoignage.
Ma première question est assez simple. Depuis que le Bélarus et la Russie ont cessé de bénéficier du traitement tarifaire de la nation la plus favorisée, il y a un peu plus d’un an, les importateurs canadiens ont-ils commencé à se tourner vers d’autres fournisseurs?
Mme Mondy : Merci de votre question. C’est en effet le cas. Je dirais que nous suivons les importations en provenance de ces deux pays avec diligence, et que nous profitons pour ce faire de l’aide de nos collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada. Depuis le 2 mars 2022, plus de 90 % des importations en provenance de ces deux pays ont été restreintes. La mesure a été vraiment efficace. Les 35 % y sont pour beaucoup. Il faut toutefois nuancer. Il est difficile d’isoler entièrement cette mesure des effets des dispositions de la Loi sur les mesures économiques spéciales, qui s’ajoutent à celui de l’augmentation des taux tarifaires. Sauf que dans l’ensemble, l’objectif est de les rendre moins concurrentiels et cela semble avoir eu des répercussions sur un grand nombre de produits que nous continuons d’importer en abondance, mais qui proviennent maintenant d’autres pays.
La sénatrice Coyle : Avez-vous une idée de la nouvelle provenance des importations? Y a-t-il quelque tendance générale qui se dégage?
Mme Mondy : Nous n’avons pas examiné tous les produits entrant, donc je ne peux pas vraiment dire, par exemple, ce qu’il en est des importations de pétrole et de la façon dont les produits ont été détournés vers d’autres pays. Je pense qu’ils iraient probablement vers des candidats évidents, mais nous pourrions regarder cela de plus près.
Nous nous sommes particulièrement intéressés aux engrais, qui ont été un gros problème l’année dernière, et nous avons constaté que les principales importations proviennent désormais des États-Unis, mais aussi du Maroc, de l’Allemagne et de différents endroits de la planète. Les sources se sont beaucoup diversifiées.
La sénatrice Coyle : Les renouvellements, qui constituent une grande partie de ce que nous examinons ici, comment se font-ils habituellement? Est-il normal qu’ils s’inscrivent dans le cadre d’un projet de loi budgétaire, ou est-ce quelque chose qui pourrait être fait d’une autre manière?
Mme Mondy : C’est probablement le moyen le plus aisé, car le renouvellement lui-même consiste simplement à modifier la date dans le Tarif des douanes. Cela doit passer par une modification législative. C’est pourquoi, au ministère des Finances, nous aimons regrouper nos demandes dans le même grand « véhicule » que nous utilisons chaque année. Il s’agit d’un projet de loi sur le revenu qui correspond en quelque sorte à l’objet du projet de loi C-47.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup d’être ici aujourd’hui. Quelle incidence, le cas échéant, les programmes de préférence tarifaire du Canada pour les pays en développement ont-ils sur des groupes tels que les personnes racisées, les femmes, la communauté LGBTQ et les peuples autochtones au Canada, ainsi que sur les groupes marginalisés dans les pays qui bénéficient de ces programmes? Faites-vous ce genre d’analyses?
Mme Mondy : Non, pas dans le cadre de la réduction des droits de douane. Je ne peux pas dire que c’est quelque chose que nous avons mesuré de façon particulière. La création du programme TPG+ repose sur une certaine présomption selon laquelle ledit programme pourrait se révéler bénéfique pour certains de ces groupes marginalisés puisqu’il crée une incitation pour ces pays qui exportent vers le Canada — en particulier dans le secteur de l’habillement — à se conformer à certaines normes internationales. C’est ce que l’on espère. Le secteur de l’habillement lui-même a peut-être été un élément central pour certains groupes marginalisés dans certains pays en développement.
Le sénateur Ravalia : Si, dans certains de ces pays préférés, il semble y avoir des preuves évidentes de pratiques que nous considérerions comme non conformes aux normes, y a-t-il une possibilité de réagir d’une manière qui indiquerait clairement que le Canada désapprouve certaines de ces pratiques?
Mme Mondy : Oui. Le retrait des préférences tarifaires n’est jamais la première manœuvre, je dirais, mais la façon dont le programme des tarifs de préférence généraux plus est établi, comme les autres programmes existants, permet au gouverneur en conseil de décréter le retrait des préférences.
Le sénateur Ravalia : Pour terminer, en ce qui concerne les pays qui se sont alignés sur l’axe Russie-Bélarus et qui bénéficient actuellement de ces programmes, avons-nous décidé de reconsidérer notre soutien dans ces situations, ou s’agit-il d’une discussion en cours?
Mme Mondy : En ce qui concerne les bénéficiaires de ces programmes, non, ce n’est pas une question sur laquelle nous nous sommes penchés. L’idée est d’assurer la prévisibilité pour les importateurs, mais aussi de respecter ce que l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC, nous demande de faire, c’est‑à-dire d’appliquer un traitement uniforme pour tous les membres de l’OMC, de sorte que ce ne serait pas nécessairement un critère. Cependant, le gouverneur en conseil a le pouvoir d’ordonner le retrait de ces privilèges, et nous l’avons fait dans le passé pour certains pays qui avaient des antécédents de violation des droits de la personne, mais habituellement, cela s’est fait avec d’autres États dans le cadre d’un effort concerté.
Le sénateur Ravalia : D’accord. Cela s’est fait de concert avec des alliés clés.
Mme Mondy : Oui, de concert avec des alliés clés.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le président : Nous arrivons à la fin du premier tour, et c’est habituellement l’occasion pour moi de poser une question. Je vais revenir en fait à la question que vous posait au départ la sénatrice Deacon concernant le mécanisme de retrait.
On n’a jamais pu compter sur suffisamment de données pour savoir comment un pays s’en tire, qu’il soit parmi les moins développés ou non, ou dans quelle mesure il progresse. De nombreux États ont vu leur nom être retiré de la liste, ce qui signifie qu’ils bénéficient d’autres avantages en ayant moins directement recours à l’aide publique au développement. Nous avons bien sûr pu constater au cours des dernières années l’impact de la pandémie qui a durement touché certains pays. C’est notamment le cas de pays africains dont le nom devait être rayé de la liste. Il n’en demeure pas moins que l’on manque de données à jour, en provenance aussi bien de l’OCDE que des différentes banques de développement, par exemple.
Dans votre milieu et dans les échanges que vous avez, est-ce qu’on se préoccupe de ces lacunes au chapitre des données, notamment quant à leurs répercussions pour les pays qui étaient sur le point de passer à un autre niveau, mais qui retournent maintenant en arrière en raison de l’impact économique de la pandémie?
Mme Mondy : C’est un peu en dehors de mon domaine, mais je peux vous dire que les données que nous utilisons pour déterminer l’admissibilité sont renouvelées chaque année à la lumière des renseignements que nous fournit la Banque mondiale. Il se peut que ces données comportent certaines lacunes, mais je n’ai pas l’expertise voulue pour me prononcer à ce sujet. Nous nous en remettons également aux données produites par l’OMC.
Vous avez raison de parler des effets de la pandémie. Nous comptons sur le fait que les chiffres seront mis à jour cet été pour nous aider à déterminer les dispositions à prendre après la loi d’exécution du budget afin d’établir les critères d’admissibilité pour l’an prochain. Je peux vous dire que nos données sur les importations témoignent d’une hausse considérable de l’adhésion au programme en 2022. Dans mon secteur, nous utilisons depuis 2020 des moyennes des résultats obtenus entre 2019 et 2021 pour essayer de nous donner un bon point de référence. En 2022, nous avons pu constater une augmentation marquée de l’utilisation du programme. Je suppose que c’est encourageant dans une certaine mesure. On peut en déduire que les pays en question exportent à destination du Canada.
Le président : Merci pour ces précisions.
La sénatrice Coyle : Ma question est sans doute reliée à certaines autres qui ont déjà été posées. D’après ce que je puis comprendre, le TPMD est un tarif préférentiel offert au titre des importations en provenance de certains pays pour favoriser leur développement industriel et économique dans une optique de viabilité à long terme axée sur les exportations. Est-ce que le ministère des Finances ou une autre entité s’emploie à déterminer dans quelle mesure ces tarifs permettent effectivement d’obtenir les résultats souhaités? Pouvez-vous nous dire comment une telle évaluation se déroule, si elle est effectivement menée, et qui s’en charge?
Mme Mondy : Il n’existe pas de processus structuré prévoyant des rapports annuels sur ces éléments, mais nous demeurons constamment en contact avec Affaires mondiales Canada. Nous pouvons par exemple entendre les argumentaires de pays qui sont passés par les bureaux de zone géographique d’Affaires mondiales Canada. Nous recevons aussi des demandes de réintégration dans certains programmes.
Dans le cadre des consultations que nous avons menées l’automne dernier, nous n’avons pas manqué de solliciter amplement l’avis des autres ministères. Je peux vous assurer qu’il y a un suivi important pour tout ce qui concerne les grands exportateurs de vêtements qui bénéficient de ces programmes, comme le Bangladesh et le Cambodge. Certaines évaluations sont effectuées. Nous entendons aussi le son de cloche des entités qui ont investi dans certains de ces pays. Sans prétendre que nous prenons toutes les dispositions nécessaires pour mesurer les impacts de ces programmes, et sachant qu’il peut être parfois difficile de tirer les choses au clair quant à savoir si le tout est véritablement relié à une réduction des tarifs pour les exportations vers le Canada, nous avons une petite idée de l’identité des bénéficiaires et des éventuels intéressés dans le cadre de nos activités quotidiennes et de nos communications avec nos collègues et les différentes parties prenantes.
Le président : Je tiens à remercier notre témoin, Mme Yannick Mondy, du ministère des Finances, pour sa contribution à notre étude. Vous avez su démystifier différents aspects d’un domaine plutôt ésotérique pour bon nombre d’entre nous. Nous vous en sommes reconnaissants, et nous vous remercions du travail que vous accomplissez avec les membres de votre équipe dont certains vous accompagnaient aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant deux témoins qui vont traiter avec nous de la section 4. Nous souhaitons la bienvenue à M. Stuart Trew, chercheur au Centre canadien de politiques alternatives. Nous recevons également M. Steve Tipman, directeur général du Bureau de promotion du commerce Canada. Bienvenue à tous les deux. Merci d’être des nôtres aujourd’hui. Vous disposez de cinq minutes chacun pour nous présenter vos observations préliminaires, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs.
Stuart Trew, chercheur, Centre canadien de politiques alternatives : Pour ceux qui l’ignoreraient encore, le Centre canadien de politiques alternatives est l’un des instituts de recherche d’avant-garde au Canada. Nous nous consacrons à la réforme des politiques publiques dans une quête de justice sociale, économique et environnementale. Je dirige pour ma part le projet de recherche sur le commerce et l’investissement qui permet de mobiliser l’expertise des chercheurs de divers établissements d’enseignement et institutions qui s’intéressent à la politique commerciale du Canada et au système commercial international d’une manière plus générale.
Je pourrais vous entretenir des mesures budgétaires touchant le Tarif de préférence général. Comme le témoin qui nous a précédés a déjà fait un tour assez complet de la question, je vais me concentrer sur les principales réformes que l’on semble vouloir apporter avec la loi de mise en œuvre du budget.
Tout indique en effet que Finances Canada envisage la mise à niveau du régime canadien de préférences tarifaires. On souhaite notamment modifier le Tarif des douanes en vue de reconduire le Tarif de préférence général (TPG) et le Tarif des pays les moins développés (TPDM) jusqu’en 2034, tout en procédant à une mise à jour de ces deux programmes — et notamment des critères d’admissibilité pour les préférences tarifaires — pour qu’ils aillent davantage dans le sens des objectifs commerciaux du Canada. On va aussi simplifier les exigences administratives pour les importateurs canadiens.
À titre d’exemple, le document de consultation de Finances Canada prévoit un examen quinquennal pour déterminer si les différents pays bénéficiaires du programme doivent demeurer sur la liste. La simplification administrative proposée par Finances Canada comprend la suppression des limites quant à la quantité d’intrants non originaires, comme le fil ou le tissu des vêtements, pouvant être inclus dans les marchandises importées au Canada dans le cadre de ces programmes.
Il est également prévu — et c’est encore une fois tiré des documents de consultation dont nous avons pu prendre connaissance — de mettre en place un nouveau programme TPG+ pour les pays en développement satisfaisant à certaines normes internationales touchant les droits de la personne, les conditions de travail, l’égalité entre les sexes et le changement climatique, entre autres critères.
On semble proposer d’accorder aux pays en question une exemption de tarif semblable à celle dont bénéficient les pays les moins développés ou encore, comme l’indiquait votre invitée précédente, un tarif se situant entre l’exemption et le TPG habituel. On pourrait aussi élargir la gamme des produits visés.
Il y a en outre des périodes de transition qui sont envisagées pour les pays qui vont s’affranchir du programme TPDM, comme cela pourrait être le cas pour le Bangladesh, le Laos et le Népal en 2026.
On propose également une période de transition d’une année pour les pays en développement dont le nom sera retiré de la liste du TPG en raison, par exemple, d’indicateurs économiques plus favorables en provenance de la Banque mondiale.
J’aurais trois observations d’ordre général concernant ces propositions.
Premièrement, ces régimes ont été mis en place dans les années 1970 dans le but de faciliter l’industrialisation, de promouvoir la diversité des exportations et de réduire la pauvreté dans les pays les moins développés et les pays en développement.
Dans le cadre de la réforme de son régime de préférences tarifaires, le Canada devrait accorder la priorité absolue aux mesures les plus bénéfiques pour les pays en développement et les pays les moins développés. On ne doit pas simplement agir dans l’intérêt supérieur des multinationales et des entreprises canadiennes actives dans ces pays, ou encore des importateurs, dans le cas des vêtements et des détaillants au Canada.
L’inclusion des souliers et des vêtements dans la liste d’exemption tarifaire pour les pays les moins développés a fait grimper l’importation de ces produits au Canada depuis 2003. Ce régime a notamment permis au Bangladesh d’augmenter considérablement la part qu’occupe l’activité commerciale dans son PIB, comparativement à l’aide publique au développement.
Cependant, comme la catastrophe survenue à l’édifice Rana Plaza en 2013 nous l’a douloureusement rappelé, ce développement économique est loin d’être sans conséquence pour les travailleurs qui doivent encore composer avec des conditions atroces en matière de santé et sécurité, sans compter le harcèlement dont ils sont victimes, notamment lorsqu’ils veulent former un syndicat.
Le Canada devrait s’employer à bonifier son régime de préférences tarifaires en s’efforçant de trouver un juste équilibre entre l’accès au marché et les droits des travailleurs. J’ai l’impression que c’est ce que le gouvernement cherche à faire avec certaines des conditions imposées.
Deuxièmement, et dans le même ordre d’idées, le gouvernement devrait procéder à une évaluation rigoureuse de l’efficacité de ses programmes de préférences tarifaires, comme l’a fait l’Union européenne il y a quelques années et comme le font chaque année les États-Unis, pour déterminer dans quelle mesure ces programmes influent sur la diversification du commerce et le développement durable dans les pays visés. Nous avons en effet besoin d’un portrait général des problématiques découlant actuellement du régime de préférences tarifaires pour savoir comment nos réformes pourront contribuer à régler ces problèmes, comme l’Union européenne a su le faire en 2018-2019.
Troisièmement, les nouvelles conditions applicables au programme TPG+ envisagé par le gouvernement devraient permettre de s’assurer que les pays bénéficiaires respectent les droits fondamentaux des travailleurs, y compris celui de se syndiquer; nos obligations impérieuses touchant l’environnement; et les critères incontournables assurant l’égalité entre les sexes. Ces conditions ne devraient toutefois pas être strictes au point de devenir inapplicables ou inabordables pour les pays en question. Un régime de préférences tarifaires revu et amélioré devrait prévoir des mesures d’assistance technique et financière de telle sorte que le Canada aide les pays bénéficiaires à élaborer des stratégies d’exportation, à s’adapter au changement climatique et à améliorer leurs infrastructures commerciales et connexes, notamment via la modernisation des processus douaniers. Il ne s’agit pas simplement d’adopter des règles. Il faut également aider les différents pays à les appliquer sur leur territoire.
J’estime qu’il serait logique pour le Canada d’envisager une harmonisation de ses programmes avec ceux de l’Union européenne dans son ensemble. Ce serait avantageux pour les pays les moins développés qui n’auraient à respecter qu’un seul et même ensemble de règles et de conditions pour ces deux marchés. On diminuerait ainsi les complications et les coûts à engager pour les pays en question.
Enfin, je crois simplement que nous devons être clairs et transparents quant au processus décisionnel nous permettant de déterminer quels pays seront retirés de la liste ou lesquels y seront ajoutés. Si cela peut se faire uniquement par décret, il n’y a rien de problématique. Il faut cependant éviter que cela devienne une affaire de lobbying exercé par une entreprise pour qu’un pays soit ajouté à la liste. La transparence devrait être de mise dans tout ce processus.
Je crois qu’il nous faut, d’une manière générale, penser d’abord et avant tout aux intérêts des pays exportateurs.
Je serai ravi de répondre à toutes vos questions. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup pour votre exposé.
À vous la parole, monsieur Tipman.
[Français]
Steve Tipman, directeur général, Bureau de promotion du commerce Canada : Le Bureau de promotion du commerce Canada (Trade Facilitation Office ou TFO Canada) est un organisme sans but lucratif qui a pour mandat d’améliorer les conditions de vie en créant des partenariats commerciaux durables entre les petites et moyennes entreprises (PME) exportatrices des pays en développement et des acheteurs canadiens et étrangers. Depuis 1980, TFO Canada offre des services de promotion du commerce et d’acquisition de compétences à des dizaines de milliers de PME et à des centaines d’organisations de soutien au commerce (OSC) en Amérique latine, dans les Caraïbes, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et en Europe de l’Est, notamment en Ukraine.
Au cours de son histoire, TFO est devenu le principal fournisseur canadien de formation sur la préparation à l’exportation et de renseignements sur le marché de l’importation au Canada, ainsi que pour d’autres marchés étrangers pour les OSC et les exportateurs des pays en développement.
Les programmes de TFO Canada sont conçus pour renforcer l’acquisition d’aptitudes et de compétences dans les domaines de la compétitivité des exportations, du développement des marchés et de la promotion du commerce.
En examinant les objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies, le travail de TFO Canada s’aligne à l’objectif no 5, soit « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles »; à l’objectif no 8, « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous »; ainsi qu’à l’objectif no 10, soit « Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre ».
[Traduction]
Le Bureau de promotion du commerce Canada s’emploie en priorité à appuyer les PME dans les pays en développement et les pays les moins développés, étant donné le rôle joué par ces entreprises dans la plupart des économies. À l’échelle planétaire, la majorité des entreprises sont des PME qui contribuent grandement à la création d’emplois et au développement économique mondial. Elles comptent ainsi pour environ 90 % du total des entreprises et créent plus de 50 % des emplois offerts dans le monde. Au sein des économies émergentes, les PME du secteur formel peuvent contribuer au revenu national dans une proportion pouvant atteindre 40 %, laquelle est considérablement plus élevée si l’on inclut les PME du secteur informel.
Selon les estimations de la Banque mondiale, 600 millions d’emplois devront être créés d’ici 2030 pour absorber la croissance de la main-d’œuvre à l’échelle planétaire, ce qui place le développement des PME parmi les grandes priorités d’un grand nombre de gouvernements nationaux. Dans les marchés émergents, la plupart des emplois du secteur formel sont créés par des PME, soit dans une proportion de 7 sur 10. Les régimes de préférences tarifaires sont des outils stratégiques efficaces pour inciter les PME des pays en développement et des pays les moins développés à améliorer leurs perspectives d’accès aux marchés, aussi bien au Canada qu’ailleurs dans le monde. Les réductions tarifaires offertes aident les PME des pays en développement à mieux soutenir la concurrence dans le marché de destination. Un tel traitement tarifaire préférentiel améliore les perspectives d’accès aux marchés, surtout pour les PME dirigées par des femmes, ce qui mène à la création d’emplois et à une croissance plus forte des revenus.
Il y a un autre aspect à prendre en considération. Je parle des circonstances dans lesquelles certains biens sont produits dans les pays en développement et de la possibilité d’envisager les choses dans une perspective plus large, c’est-à-dire sans se limiter aux facteurs liés au développement économique. Le Canada s’emploie à atteindre des objectifs plus ambitieux en faveur d’un commerce inclusif avec ses partenaires de libre‑échange en incluant notamment dans ses accords avec eux des obligations rigoureuses et exécutoires assortissant l’accès préférentiel au marché à des normes à respecter en matière de conditions de travail et d’environnement. C’est ainsi que l’on veut créer une nouvelle catégorie TPG+ pour que les pays en développement souhaitant bénéficier d’un tarif préférentiel soient tenus de se conformer aux normes internationales touchant les droits des travailleurs et la protection de l’environnement. Le TPG et le TPMD procurent également de précieux avantages aux entreprises et aux importateurs du Canada étant donné que les réductions tarifaires leur permettent d’avoir accès à une offre plus large d’intrants à un prix abordable. Les entreprises canadiennes peuvent ainsi améliorer leur capacité concurrentielle sur les marchés locaux et internationaux, ce qui se traduit par des retombées au Canada en matière d’emploi et de croissance économique.
En résumé, nous sommes d’avis que la création d’un nouveau régime TPG+ exigeant notamment le respect des normes internationales liées au développement durable, à la main‑d’œuvre et aux droits de la personne est l’un des apports positifs du projet de loi C-47. Par ailleurs, il est également bénéfique que la date d’échéance du TPG et du TPMD soit reportée de 10 ans, soit jusqu’au 31 décembre 2034.
Merci.
Le président : Merci, monsieur Tipman. Nous allons passer aux questions des sénateurs qui auront droit comme toujours à quatre minutes chacun. Nous espérons avoir assez de temps pour un second tour de questions, si cela est nécessaire.
La sénatrice M. Deacon : Merci à tous les deux de votre présence aujourd’hui. Je peux m’imaginer les discussions intéressantes que vous pouvez avoir à l’interne dans vos organisations respectives. Vous n’aimerez peut-être pas ma question, mais je tiens tout de même à la poser.
C’est au sujet du Tarif des pays les moins développés. Je comprends très bien les objectifs de ce programme, mais je m’inquiète des répercussions pouvant en découler, surtout quand on considère les effets environnementaux et sociaux du phénomène de la mode express. Il suffit de penser à ce titre à la main-d’œuvre sous-payée, à la pollution de l’eau et au fléau sans cesse croissant des microplastiques se retrouvant dans notre écosystème.
Entre 2019 et 2021, le Canada a importé des marchandises évaluées à 2,9 milliards de dollars dans le cadre du TPMD, les vêtements comptant pour 2,4 milliards de dollars de ce total, soit pas moins de 83 % de nos importations. Ainsi, la réduction offerte dans le cadre du TPMD s’est traduite par des économies d’environ 408 millions de dollars pour les importateurs au cours des trois années en question.
Je crains en fait que ce programme puisse être devenu un véhicule faisant en sorte que les importateurs de vêtements ont accès à des marchandises jetables à bon marché, avec tous les inconvénients qui s’ensuivent.
J’aimerais bien savoir ce que vous en pensez.
M. Trew : En fait, j’aime bien votre question. Je suis d’accord avec vous. C’est vraiment un problème grave. Malgré 10 années d’efforts menés par les organisations syndicales auprès des entreprises à l’échelle internationale, il demeure très difficile d’obtenir l’application de normes plus rigoureuses permettant d’assurer la protection de l’environnement et le respect des droits des travailleurs, notamment en offrant des conditions sécuritaires dans les usines.
Si l’on considère certaines des suggestions du Congrès du travail du Canada, il faut certes procéder à ces réformes en prenant toutes les précautions nécessaires pour assurer une meilleure surveillance des activités des entreprises canadiennes et des autres multinationales dans les pays en question.
Il ne suffit pas d’imposer ces conditions dans le cadre du régime de préférences tarifaires pour obtenir automatiquement des résultats. Ce n’est pas une simple question de règles. Je crois que nous devons mettre l’accent sur l’application de ces règles, ce qui exige des mécanismes de contrôle et des pénalités plus sévères qu’une simple norme volontaire de diligence raisonnable pour ces entreprises. Il nous faut imposer des mesures ayant un caractère davantage obligatoire. Nous devons faire en sorte que les entreprises — peut-être plus que les pays concernés — aient des comptes à rendre.
Je crois que la proposition du Congrès du travail du Canada renferme certaines recommandations fort judicieuses.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
M. Tipman : Merci pour la question, sénatrice. Ce n’est pas, moi non plus, une question qui me met particulièrement mal à l’aise, car c’est effectivement une source de préoccupation, et ce, pour bien des Canadiens.
Dans ses observations préliminaires, M. Trew a parlé de cette aide technique qu’il faut pouvoir apporter à ces entreprises, soit aux PME des pays les moins développés en ce qui nous concerne, pour qu’elles puissent satisfaire aux normes canadiennes, adopter de saines pratiques environnementales et respecter les obligations qui leur incombent. C’est un important pas en avant. J’estime que la réforme du TPG et du TPMD est une excellente occasion d’offrir non seulement un nouveau régime de préférences tarifaires, mais aussi l’aide technique qui doit l’accompagner.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Woo : Merci à nos témoins. J’ai deux questions pour vous. La première est en quelque sorte théorique. Je me demande si vous voyez une contradiction ou un antagonisme entre, d’une part, la récente tendance au rapatriement et, d’autre part, l’octroi de tarifs préférentiels aux pays les moins développés. Je ne m’attends pas à ce qu’un grand nombre d’usines de fabrication de vêtements soient rapatriées en Amérique du Nord, mais on ne sait jamais. Si l’on offre suffisamment d’incitatifs — de subventions, autrement dit —, on pourrait peut-être constater un phénomène semblable.
Pourriez-vous nous dire brièvement si vous êtes à même d’observer certaines tendances plutôt préoccupantes qui iraient dans ce sens-là?
M. Trew : J’ai quelques réflexions à ce sujet. Je vous remercie de la question.
Je ne sais pas où cela s’inscrit, mais je note certaines tensions, surtout au niveau de la géopolitique américaine où on isole certains pays. Je pense particulièrement à la Chine. Nombre de pays qui bénéficient des préférences tarifaires générales ont des chaînes d’approvisionnement qui chevauchent celles des pays isolés. Ce pourrait être une question surpolitisée à l’avenir.
Voilà pourquoi j’ai parlé de la nécessité d’établir des lignes directrices claires pour l’ajout ou le retrait d’un pays sur la liste. Selon moi, il y a un risque que des pays comme les États-Unis exercent une pression — ou qu’il y ait d’autres types de pressions — sur ces programmes. Cela ne devrait pas se faire. J’estime qu’ils devraient être distincts.
M. Tipman : Je n’ai rien à ajouter à ce sujet.
Le sénateur Woo : J’aimerais commenter votre réponse avant de poser une seconde question.
Je reviens tout juste de Washington, où il est beaucoup question de la possibilité d’examiner la provenance de la propriété d’entreprises situées dans les pays moins développés et de cibler ces dernières non pas en fonction de leur localisation, mais plutôt de leur propriété, si vous voyez ce que je veux dire. Si une entreprise chinoise est installée au Bangladesh, on pourrait la juger inadmissible aux avantages auxquels le Bangladesh serait admissible en raison de la propriété chinoise. Libre à vous de commenter la chose, mais voilà ce que je voulais dire.
J’ai une autre question qui rejoint parfaitement votre point, monsieur Trew. Devrions-nous nous préoccuper également des règles d’origine, en particulier dans les domaines où les pays moins développés sont dominants? Devrions-nous nous inquiéter de certaines règles de cumul qui pourraient empêcher des pays moins développés de bénéficier du traitement préférentiel? Ma question s’adresse à l’un ou l’autre d’entre vous. Allez-y, je vous prie.
M. Tipman : Je vous remercie de la question, sénateur. En ce qui concerne l’enjeu de la propriété, je peux vous dire que notre travail — grâce au soutien de donateurs tels qu’Affaires mondiales Canada — consiste grandement à soutenir les PME à l’étranger qui détiennent plus de 50 % des parts au pays. On veille ainsi à ce que le développement se fasse sentir dans la communauté. On ne renvoie pas simplement des profits à l’étranger. Dans l’exemple que vous avez donné, nous faisons de notre mieux pour nous assurer que c’est bien l’entreprise locale, la petite ou moyenne entreprise, qui bénéficie du traitement tarifaire, et, bien sûr, du soutien que nous offrons.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie tous deux d’être parmi nous.
Monsieur Trew, j’aimerais avoir des éclaircissements sur la notion d’harmonisation avec l’Union européenne. Si j’ai bien compris, vous avez dit que ce serait préférable pour les pays évoqués. Quel serait l’inconvénient pour le Canada, s’il y en a, d’après vous?
M. Trew : Je vous remercie de la question. Je n’ai pas trop réfléchi aux inconvénients. J’ai surtout réfléchi au fait que les pays moins développés se sont tournés vers l’OMC par le passé, notamment pour qu’on applique certaines règles plus globalement. Quelques pays — des pays riches et développés — ont une approche semblable, mais les règles diffèrent quelque peu, ce qui rend la situation complexe pour les exportateurs de ces pays.
Une solution mondiale serait peut-être la meilleure solution. En l’absence d’une telle solution, cela pourrait être sensé, compte tenu de ce qui se passe à l’OMC. Si le Canada s’inspire des réformes européennes — et je pense qu’il le fait assurément, si on se fie aux documents du ministère des Finances —, qu’il ne recueille pas de données, contrairement à l’Union européenne qui s’en sert pour évaluer l’effet de ces mesures — d’après ce que je vois —, et que cette dernière a déjà fait tout ce travail et qu’il est donc préférable pour les pays en développement de suivre un ensemble de règles sur les deux marchés, je pense qu’il y a lieu d’envisager d’adopter cette politique facilement accessible.
La sénatrice Boniface : Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Tipman?
M. Tipman : Je suis du même avis que mon collègue. En ce qui concerne les types de soutiens que nous offrons aux pays en développement, nous devons souvent faire la distinction entre les réglementations canadiennes et les réglementations étrangères. Les choses seraient assurément plus faciles et peut-être moins confuses pour les pays moins développés s’il y avait une meilleure harmonisation à cet égard.
La sénatrice Coyle : Ma question allait porter sur l’harmonisation, alors je vais m’ajuster rapidement.
Vous avez tous deux parlé d’assistance technique et financière. C’est le mandat de votre organisation, monsieur Tipman. Je serais curieuse de savoir si vous avez constaté des changements dans le type d’assistance technique ou autre nécessaire pour que les concessions tarifaires dont il est question aient des retombées positives.
M. Tipman : Je vous remercie de la question. Depuis que je travaille pour le Bureau de promotion du commerce Canada, j’ai notamment constaté que le type d’assistance technique requise a évolué au fil du temps en fonction du programme en matière de développement. Il y a quelques années, des organisations — on les appelait organismes d’appui au commerce — aidaient les PME et leur fournissaient plus de services pour qu’elles comprennent mieux comment bénéficier de tarifs préférentiels et du marché canadien à cet égard.
De nos jours, on vise à augmenter les retombées en matière de développement. On tient compte des populations vulnérables, de la parité, de l’inclusion sociale, de la diversité, etc. On n’offre pas seulement de l’assistance technique dans les capitales; on en offre également dans les régions rurales. On ne se contente pas de mesurer la valeur des ventes à l’exportation; on mesure également les retombées en matière de développement de nos activités.
La sénatrice Coyle : Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Trew?
M. Trew : J’ai quelques notes sur l’évaluation mi-mandat que l’Union européenne a menée en 2018 sur son programme. Les Européens analysent beaucoup plus de données dans ce domaine que nous au Canada. Ils ont déclaré avoir constaté de modestes améliorations globales en matière de diversification des exportations en général pour le programme, mais ne pas pouvoir établir de lien clair avec le règlement du Système généralisé de préférences — ou SGP — dans bien des cas. Ils ont indiqué que toute retombée positive dépendait largement de la capacité des pays bénéficiaires à mettre en place des politiques et une structure administrative pour canaliser efficacement les ressources additionnelles liées au rendement des exportations vers des politiques sociales et d’amélioration de la distribution.
Voilà le contexte général. On ne peut simplement révoquer les tarifs et espérer que les exportations génèrent du développement au pays. Il faut assurer un suivi de la situation. Tout cela est lié au financement de la lutte contre les changements climatiques et à la coopération dans les domaines de politique publique tels que les services sociaux.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos invités. Je vous remercie pour votre réponse. Ma question concerne le développement durable. Je me questionne sur les avantages que l’on pourrait accorder aux entreprises qui mettent en place la responsabilité sociétale dans le cadre du TPG+.
Monsieur Tipman, vous qui accompagnez les entreprises, est‑ce qu’il est possible ou est-ce qu’il est prévu que certaines entreprises qui sont, par exemple, certifiées équitables soient plus avantagées ou aient plus d’accompagnement dans le cadre de ce programme de tarifs?
M. Tipman : Je vous remercie pour votre question, sénatrice. Je suis d’accord pour dire que l’accompagnement et la formation que l’on fait sur le plan de la responsabilité sociale des entreprises font partie de notre travail. Vous avez raison, souvent, si on cherche des certifications, que ce soit la certification équitable ou même biologique, on peut considérer cela non seulement comme bon pour la société, mais aussi dire que c’est ce que les acheteurs et les importateurs recherchent. On joue le rôle de surveiller l’impact social tout en faisant le lien avec l’impact économique et ce que les importateurs recherchent.
La sénatrice Gerba : D’accord. Comment atteindre cet équilibre dans le cadre de ce projet de loi? Existe-t-il des exemples, des pratiques exemplaires en matière de responsabilité sociétale des entreprises?
M. Tipman : Dans notre cas, on essaie de fixer des objectifs avec nos partenaires et d’atteindre ces objectifs.
Un parfait exemple de cela est quand la nouvelle Politique d’aide internationale féministe du Canada a été lancée, en 2017. Du jour au lendemain, on avait fixé différents objectifs applicables à un de nos projets qui était déjà en vigueur.
Au début, nos partenaires résistaient, parce qu’ils disaient qu’ils travaillaient dans les technologies de l’information et des communications; ils disaient que ce n’était pas possible, qu’il n’y avait pas assez de femmes entrepreneures dans ce secteur. On s’est dit qu’on allait travailler ensemble pour atteindre l’objectif.
Finalement, grâce à ce projet, qui a vraiment eu beaucoup de succès, les femmes entrepreneures en particulier avaient beaucoup bénéficié du travail qu’on avait fait auprès de nos partenaires. C’était grâce à un changement de politique gouvernementale à Affaires mondiales Canada.
La sénatrice Gerba : Je vous remercie.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous les deux. Ma question sera sensiblement d’ordre philosophique. Le monde est de plus en plus polarisé. Comment l’intrusion de la géopolitique dans le commerce affecte-t-elle la cohérence du système commercial déjà malmené par des crises, des sanctions, un nouvel ordre mondial, l’invasion russe en Ukraine, etc.? Ces facteurs pourraient-ils finir par affecter notre capacité à faire ce que nous faisons pour les pays en développement et les populations de l’hémisphère Sud?
Le président : Vous disposez de trois minutes à vous deux pour répondre à la question.
Le sénateur Ravalia : Je suis désolé.
M. Trew : Il s’agit d’une question importante de toute évidence. C’est peut-être même la question la plus importante dans le domaine du commerce à l’heure actuelle. Je ne sais pas ce qu’un seul programme comme celui-ci peut accomplir. Son champ d’action est limité. En ce qui concerne le SGP, on constate des répercussions à l’international — que ce soit aux États-Unis ou au sein de l’Union européenne — sur les normes de travail et les exportations dans d’autres pays. La situation est assez incertaine.
Certains en sortent gagnants comme le Bangladesh, l’Indonésie, et le Vietnam, puis il y a tous les autres qui ne bénéficient absolument pas de ces programmes et qui n’exportent pratiquement rien au Canada. La vision géopolitique du « nous contre eux », des démocraties contre les autocraties — peu importe comment vous souhaitez l’appeler —, bref de l’amilocalisation, qui consiste à tenter de commercer et de faire affaire avec des gens qu’on apprécie et à exclure tous les autres, n’est pas nécessairement l’approche la plus aidante quand vient le temps de lutter contre l’extrême pauvreté dans de nombreux pays et de tenter de rééquilibrer l’industrialisation économique dans d’autres régions du monde. Cela dit, je ne saurais vous dire quelle est l’approche idéale.
Je crois que le programme a des limites. Nous devons préconiser une vue d’ensemble. Que pourrait faire le Canada au‑delà de ce programme?
M. Tipman : Je crois que mon collègue a très bien répondu à la question. De notre point de vue, pour être franc, nous estimons que le commerce peut conduire à la création d’emplois, ce qui peut conduire au développement économique d’un pays moins développé ou d’un pays en développement. Mettons la géopolitique de côté. Nous créons ces liens et nous examinons l’utilité potentielle des régimes tarifaires préférentiels, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Le sénateur Ravalia : Merci. Je tiens à préciser que ma préface était philosophique. Merci.
Le président : Merci, sénateur. Il s’agit bien évidemment d’une question importante dans le contexte mondial actuel.
Le sénateur Richards : Le sénateur Ravalia a posé ma question, alors je vais la formuler quelque peu différemment. Il s’agit peut-être en fait d’une question un peu différente, mais qui décide quels pays émergents ont la crédibilité morale pour être aidés? Comment peut-on statuer sur une telle chose? Bien peu de ces pays offrent la même qualité de vie que le Canada, et ils ont souvent des valeurs morales différentes des nôtres. Si on ne les aide pas, on laisse des milliers, voire des millions de personnes dans la misère. Comment détermine-t-on qu’une nation a une crédibilité morale ou non? Vous avez beaucoup parlé de la possibilité d’importer des valeurs morales dans le tiers-monde. Comment peut-on faciliter une telle chose?
M. Tipman : Cette question est très philosophique. De notre côté, nous tenons compte de certains éléments. Pour ce qui est des projets financés par Affaires mondiales Canada, nous travaillons en étroite collaboration avec le bailleur de fonds et le donateur en ce qui concerne les types de soutien et les pays que nous cherchons à soutenir dans le cadre de nos programmes. Nous nous intéressons aux approches des Nations unies et de l’Organisation mondiale du commerce. Notre rôle consiste à mettre en œuvre des mesures; nous faisons donc de notre mieux pour suivre les conseils de ce type d’organisations et procéder à des évaluations.
M. Trew : C’est toute une question. Je ne sais trop comment y répondre. Je crois qu’il est possible de prendre la mauvaise approche, cela dit. Il faut s’armer de prudence et utiliser tous les leviers à sa disposition. Je ne crois pas que réduire le financement d’Affaires mondiales Canada ou d’autres ministères chargés d’offrir de l’assistance à l’étranger ou des affaires étrangères et réaffecter l’argent vers des priorités plus axées sur l’Amérique du Nord ou les États-Unis — comme on l’a fait dans le budget, selon moi — soit la chose à faire. Je pense notamment à la réponse à la Inflation Reduction Act. Je sais que je m’éloigne du sujet, mais ce que je veux dire, c’est qu’il faut financer les échanges culturels. Il faut financer des mesures dans ces domaines qui vont au-delà de la simple instauration de nouvelles règles, telles que des mesures de suivi, d’application des règles et de coopération internationale. C’est important, quoique difficile à faire. Votre question est ardue.
Le sénateur Richards : Merci.
Le président : J’aimerais vous poser une question avant que nous passions au deuxième tour. Monsieur Trew, dans vos remarques liminaires, vous avez parlé de l’incendie au Rana Plaza. Cette tragédie survenue au Bangladesh a suscité beaucoup de discussions, du moins selon mes souvenirs, parce que j’ai exercé la fonction de sherpa pour M. Harper et M. Trudeau, et il a été question de cet enjeu au G7. On a examiné les conventions de l’Organisation mondiale du travail et on a exercé de la pression sur le secteur privé. Ce dossier concernait également certaines entreprises canadiennes, à savoir des importateurs textiles. Je ne les nommerai pas.
Pensez-vous qu’il y a eu assez de progrès au fil des ans — plusieurs années se sont écoulées depuis la tragédie, évidemment — ou que ces programmes peuvent garantir des progrès en matière de protection des travailleurs et d’équité envers ces pays pour les produits qu’ils fabriquent?
M. Trew : Je vous répondrai brièvement en vous disant que je n’ai pas suivi la situation d’aussi près que certains de nos associés syndicaux du Projet sur le commerce et les investissements. Cela dit, si on se fie aux déclarations faites à l’occasion du 10e anniversaire de l’incident, que ce soit celle d’Unifor, du Congrès du travail du Canada ou de syndicats internationaux, il semble y avoir eu beaucoup de progrès au début en matière de normes de construction et de normes de prévention des incendies, entre autres. Certaines entreprises ont adhéré à cette approche, mais elles aimeraient qu’il y ait nettement plus de progrès en matière d’inspections. Elles veulent que les normes soient contraignantes. Il n’existe aucun moyen juridiquement contraignant de responsabiliser ces entreprises, et c’est ce qui manque.
Je crois que les groupes ont peut-être raison de commencer à en demander plus du Canada. Comment peut-on faire appliquer certaines de ces mesures au Canada et ne pas se contenter de mesures volontaires de diligence raisonnable, alors qu’on semble se diriger dans cette direction?
Le président : Souhaitez-vous ajouter quelque chose, monsieur Tipman?
M. Tipman : Je ne parlerai pas précisément du 10e anniversaire de la tragédie du Rana Plaza, mais nous avons assurément constaté que les importateurs canadiens font preuve d’une plus grande diligence. Ils semblent plus motivés à assurer le suivi de leur chaîne d’approvisionnement et en savoir plus sur l’origine de leurs produits, sur l’endroit où ils sont fabriqués.
Le président : Merci.
[Français]
Passons maintenant à la deuxième ronde de questions.
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Tipman. Comme vous le savez, le continent africain est celui où l’entrepreneuriat féminin est le plus en développement; 27 % des femmes sont entrepreneures. C’est un taux parmi les plus élevés dans le monde.
Comment votre organisation aide-t-elle ces femmes dans les pays les moins développés, où l’accès à Internet est difficile? Comment faites-vous pour les informer et les accompagner afin qu’elles bénéficient de ces occasions tarifaires?
M. Tipman : Je vous remercie pour la question, sénatrice Gerba. TFO Canada travaille beaucoup à l’autonomisation économique des femmes, en particulier. Nous avons actuellement un projet financé par Affaires mondiales du Canada intitulé Les femmes dans le commerce pour une croissance durable et inclusive. C’est un programme ciblé — mais pas exclusivement — pour les femmes entrepreneures. Il s’agit d’un appui qu’on leur donne, ainsi qu’aux institutions d’appui au commerce, afin de mieux desservir les populations et les entrepreneures.
De plus, nous avons beaucoup de travail en Afrique subsaharienne, à l’heure actuelle, où l’on offre non seulement des outils et un renforcement des capacités à l’exportation, mais également un accompagnement pour des foires ou des expositions. La semaine dernière, on était au SIAL Canada — le Salon international de l’alimentation — qui se déroulait à Toronto. On était là avec une majorité d’entrepreneures d’Haïti et du Maroc qui ont pu mettre en valeur leurs produits.
La sénatrice Gerba : Comment arrivez-vous à leur donner ces outils?
M. Tipman : Il y a beaucoup de formation; on travaille avec les institutions et les organisations qui sont déjà sur place dans différents pays.
Vous avez parfaitement raison de dire qu’un des axes où l’on travaille le plus, c’est l’augmentation de leurs compétences et de leur capacité numérique afin de pouvoir participer à l’économie, que ce soit grâce aux médias sociaux, au commerce électronique ou pour les aider à élaborer un site Web.
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
Le président : Je n’ai plus de sénateurs sur ma liste, alors j’aimerais remercier nos témoins, Steve Tipman et Stuart Trew, d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Vos témoignages nous ont été utiles, et nous vous sommes reconnaissants de vos réponses candides.
Chers collègues, avant que nous n’ajournions, je vous rappellerai que c’était notre dernière réunion avec témoins dans le cadre de notre étude préliminaire du projet de loi C-47. Vous pouvez vous attendre à avoir une ébauche de rapport d’ici le 26 mai, que nous allons étudier à huis clos lors de notre réunion du 31 mai afin de respecter la date butoir du 2 juin pour les rapports.
Je vous rappellerai également qu’il n’y aura pas de réunion demain puisque notre comité directeur se réunira à la même heure pour prendre quelques décisions. Nous vous reviendrons là-dessus. Certaines d’entre elles seront difficiles.
(La séance est levée.)