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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

J’inviterais les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.

Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue à tous. Je suis le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, et je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Greene : Je m’appelle Stephen Greene, et je viens de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : Je m’appelle David Richards, et je viens du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Kutcher : Je m’appelle Stan Kutcher, et je viens de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Gerba : Je m’appelle Amina Gerba, et je viens du Québec.

La sénatrice M. Deacon : Je vous souhaite à nouveau la bienvenue parmi nous. Je m’appelle Marty Deacon, et je viens de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Je m’appelle Gwen Boniface, et je viens de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Je m’appelle Mary Coyle, et je viens d’Antigonish en Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci beaucoup. Je vous souhaite la bienvenue à tous, et notamment au sénateur Kutcher qui n’est habituellement pas des nôtres. Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui nous écoutent sur SenVu au pays.

Nous commençons nos travaux tristement. Comme vous le savez, nous avons perdu un excellent sénateur aujourd’hui. Ian Shugart est décédé ce matin. Nous avons observé une minute de silence en son honneur plus tôt à la Chambre. Il était un excellent sénateur et fonctionnaire canadien, mais aussi un bon ami de nombre d’entre nous. Nous aurons l’occasion de lui rendre l’hommage qu’il mérite au Sénat ultérieurement.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui conformément à notre ordre de renvoi général afin de discuter de la gestion consulaire dans les situations d’urgence dans son ensemble, même si nous sommes bien sûr nombreux à penser à ce qui se passe en Israël, à Gaza et potentiellement aussi au Liban et à ce qui s’est passé en Afghanistan. Nous nous pencherons d’ailleurs sur le cas de l’Afghanistan pendant la deuxième heure.

Afin de discuter de cet enjeu, nous sommes heureux d’accueillir Julie Sunday, qui est sous-ministre adjointe des services consulaires, de la sécurité et de la gestion des urgences chez Affaires mondiales Canada.

[Français]

Nous accueillons également Sébastien Beaulieu, directeur général et dirigeant principal de la sécurité, Sécurité et gestion des urgences, et ancien ambassadeur du Canada en Tunisie et au Sénégal.

[Traduction]

Je vous remercie d’être des nôtres. Avant de passer à vos remarques liminaires et à la période de questions, j’aimerais demander aux sénateurs et aux témoins dans la salle de ne pas trop s’approcher du micro ou de retirer leur oreillette s’ils le font. Cela évitera des retours de son qui pourraient affecter le personnel du comité et les autres qui utilisent l’oreillette pour entendre l’interprétation dans la salle. C’est bien sûr le cas de nos interprètes, qui portent des écouteurs.

Nous sommes prêts à écouter vos remarques liminaires, à la suite desquelles nous passerons à la période de questions avec les sénateurs.

Vous avez la parole, madame la sous-ministre adjointe.

Julie Sunday, sous-ministre adjointe, Services consulaires, sécurité et gestion des urgences, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. Je tiens également à souligner la perte de Ian Shugart, avec qui nous avons déjà travaillé chez Affaires mondiales Canada. Il s’agit d’une perte immense pour le Canada.

Je suis honorée de comparaître devant votre comité aujourd’hui afin de discuter de la gestion consulaire d’Affaires mondiales Canada dans des situations d’urgence. Je suis accompagnée de mon collègue, Sébastien Beaulieu, qui est le directeur général de la sécurité et de la gestion des urgences. Nous travaillons ensemble dans ce monde frappé par de multiples crises.

J’aborderai trois sujets aujourd’hui : notre cadre de prestation de services consulaires, notre modèle de réponse aux urgences et les défis continus et émergents.

Affaires mondiales dispose d’un double mandat. Non seulement mène-t-il la gestion des interventions d’urgence à l’international, mais il est également le seul responsable des services consulaires offerts aux Canadiens à l’étranger.

[Français]

Nous dirigeons 178 missions dans 110 pays, dans un climat politique mondial en constante évolution et souvent difficile.

[Traduction]

Le premier outil de notre trousse à outils consulaire est la communication. Nous voulons absolument éviter les cas consulaires en premier lieu. Pour ce faire, nous investissons beaucoup dans les conseils et avertissements aux voyageurs en ligne qui sont mis à jour 24 heures sur 24, sept jours sur sept afin que les Canadiens aient accès à toute l’information nécessaire pour prendre de bonnes décisions à propos de leurs voyages à l’étranger. Nous offrons également le service d’Inscription des Canadiens à l’étranger, que nous utilisons pour communiquer directement avec les Canadiens se trouvant dans un lieu précis par courriel et par texto. Nous utilisons les médias sociaux et les sites Web de notre ministère pour transmettre des renseignements utiles et opportuns aux Canadiens.

[Français]

Malheureusement, dans certains cas, l’information ne suffit pas et les Canadiens ont besoin de notre aide.

[Traduction]

Affaires mondiales Canada considère que tous les clients consulaires sont importants et s’efforce de fournir des services consulaires de manière cohérente, équitable et non discriminatoire. Nous fournissons des services consulaires en vertu de ce que l’on appelle la prérogative de la Couronne, également appelée prérogative royale. Cela fait référence au pouvoir du ministre des Affaires étrangères, qui, en tant que représentant de la Couronne, peut décider s’il convient de fournir une assistance consulaire à un Canadien à l’étranger et dans quelle mesure. L’article 10(2)a) de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement défini clairement la responsabilité du ministre. On y indique qu’il ou elle doit mener toutes les relations diplomatiques et consulaires au nom du Canada.

[Français]

Tel qu’il est indiqué dans notre Charte des services consulaires du Canada, disponible en ligne, nous sommes déterminés à fournir des services consulaires avec efficacité et diligence aux Canadiens dans le monde entier.

[Traduction]

Bien souvent, notre capacité à fournir une assistance consulaire d’urgence est limitée par les lois et les règlements d’autres pays et par le niveau de coopération des autorités locales et des organisations de soutien.

La situation peut être encore plus difficile lorsque le Canadien concerné a plus d’une nationalité ou qu’il voyage avec des membres de sa famille qui n’ont pas la citoyenneté canadienne.

Une crise telle que la situation actuelle en Israël et à Gaza ou celle que nous avons gérée au printemps dernier au Soudan met notre réseau à l’épreuve. Notre capacité à soutenir pleinement les Canadiens affectés par de telles crises peut être limitée, surtout en zone de guerre ou dans un pays où nous n’avons pas de bureau, par exemple.

Affaires mondiales Canada dirige la réponse pangouvernementale aux situations d’urgence à l’étranger. Chaque crise est unique, mais nous avons des structures pour y répondre et nous nous adaptons en fonction des besoins.

Nous avons décidé de former un groupe de travail interministériel réunissant les équipes tactiques d’intervention d’urgence de notre administration centrale et de nos missions dans les régions affectées et d’autres ministères et agences fédéraux concernés ayant des mandats internationaux afin d’assurer une coordination des efforts déployés en temps de crise.

L’Équipe permanente de déploiement rapide de notre ministère est solide, et nous continuons à faire évoluer les divers programmes afin d’outiller les membres de l’Équipe. Nous voulons qu’ils soient résilients, tant physiquement que mentalement.

Le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence d’Affaires mondiales Canada surveille les situations à l’étranger et offre des services consulaires en dehors des heures de bureau, 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

[Français]

La communication avec les citoyens canadiens est un élément essentiel de la préparation aux situations d’urgence et de l’efficacité des interventions.

[Traduction]

Nous préconisons une communication rapide et efficace afin d’améliorer l’atténuation des risques et de renforcer la confiance du public.

En temps de crise, les citoyens canadiens sont tenus informés de la situation grâce à nos conseils aux voyageurs et nos avertissements, que ce soit par courriel dans le cadre du Service d’inscription des Canadiens à l’étranger s’ils y sont inscrits, par texto ou sur les médias sociaux.

Il est extrêmement difficile de joindre les citoyens canadiens lors d’évacuations d’urgence dans une zone de conflit en raison des pannes de télécommunications, et nous nous efforçons de moderniser notre approche communicationnelle avec nos clients afin de joindre efficacement les citoyens canadiens en temps de crise par le biais de divers canaux de communication.

Les partenariats fédéraux établis avec les Forces armées canadiennes et le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté ont un impact significatif sur notre capacité à agir dans un environnement non permissif, comme le Soudan, où nous n’avions plus de personnel sur le terrain.

[Français]

Notre réponse à la crise peut, dans certains cas, inclure une aide au départ pour les Canadiens.

[Traduction]

En cas d’urgence telle qu’une évacuation, nous donnons la priorité aux Canadiens pour les départs assistés, mais la Charte des services consulaires canadiens nous permet également d’offrir de l’assistance aux résidents permanents, aux membres de la famille immédiate non canadiens et parfois aux citoyens d’autres pays dans le cadre d’accords de coopération mutuelle.

Nous suivons la définition des membres de la famille inscrite dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin de déterminer qui est admissible aux départs assistés. Dans ce contexte, on parle d’un transport assisté vers un tiers lieu sûr, et non pas nécessairement d’un retour direct au Canada.

Les crises complexes survenues au cours des trois dernières années ont élargi le rôle de gestion des urgences, tant à l’échelle organisationnelle que fédérale, car ce qui se passe à l’étranger est de plus en plus lié aux enjeux nationaux. De plus, les clients et les médias ont de plus en plus d’attentes envers notre travail. Ils l’examinent de plus en plus minutieusement. Divers groupes ne cessent d’augmenter la pression pour que nous élargissions la portée de nos services.

[Français]

La clientèle que nous aidons dans les situations d’urgence n’est plus seulement composée de citoyens canadiens, mais aussi de résidents permanents et de membres de la famille non canadiens.

[Traduction]

Compte tenu de la fréquence des crises complexes ces dernières années, nous nous sommes efforcés de renforcer les partenariats clés avec nos partenaires traditionnels, tels que le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, le ministère de la Défense nationale et les services frontaliers.

Nous continuons d’adapter et d’améliorer nos structures et nos systèmes pour répondre à des cas et à des défis complexes. Cela comprend la gestion de crise. En même temps, nous reconnaissons que notre réseau est de plus en plus sollicité et nous continuons à nous efforcer d’assurer notre devoir de diligence à l’égard de nos employés, qui sont en première ligne de notre action consulaire et de notre réponse aux situations d’urgence.

Permettez-moi maintenant d’aborder la crise actuelle. La situation actuelle en Israël et dans les territoires palestiniens illustre la complexité croissante des crises internationales. Depuis le début de la crise, nos équipes sur le terrain fournissent des services consulaires aux Canadiens à Tel-Aviv et à Ramallah, et plus largement dans la région. Notre centre de surveillance et d’intervention d’urgence, situé à Ottawa et ouvert 24 heures sur 24, sept jours sur sept, a répondu à 9 670 demandes de renseignements depuis le 7 octobre.

Compte tenu de la complexité de la situation sur le terrain, nos plans de départs assistés varient d’une région à l’autre.

[Français]

À ce jour, nous avons aidé plus de 1 600 Canadiens, résidents permanents et membres de leur famille à quitter Israël par avion. Il y a eu un total de 19 vols des Forces armées canadiennes au départ de Tel-Aviv en direction d’Athènes.

[Traduction]

Comme l’a indiqué la ministre Joly samedi soir, nous suivons de près la demande de vols en partance de Tel-Aviv. De nombreux Canadiens ont réussi à quitter Israël, alors la demande a diminué. Les vols commerciaux en partance de Tel-Aviv sont plus nombreux.

Le dernier vol de départ assisté prévu en partance de Tel-Aviv a eu lieu le lundi 23 octobre. Les aéronefs des Forces armées canadiennes resteront dans la région, prêts à intervenir rapidement au cas où les conditions changeraient et la demande de départs assistés augmenterait.

Nous avons également aidé des Canadiens, des résidents permanents et des membres de leur famille à quitter la Cisjordanie pour se rendre en Jordanie par voie terrestre.

En ce qui concerne la bande de Gaza, le poste frontalier de Rafah reste fermé aux ressortissants étrangers cherchant à en sortir. Nous continuons à communiquer directement avec les Canadiens en leur donnant les dernières informations sur la situation en cours et les fenêtres de sortie possibles au poste frontalier. Nous travaillons d’arrache-pied avec nos alliés, les Nations unies et les gouvernements de la région pour veiller à ce que les Canadiens puissent bénéficier de cette fenêtre lorsque le poste frontalier sera ouvert.

Cela dit, la situation qui se dessine au Liban complique les choses. L’insécurité persiste à la frontière sud avec Israël et, comme nous l’avons vu avec les manifestations et les violences à Beyrouth la semaine dernière, la situation au Liban demeure instable.

Le Canada a évacué plus de 14 000 Canadiens du Liban et déployé des centaines de fonctionnaires pour soutenir les efforts sur le terrain en 2006. Le ministère des Finances a estimé le coût de l’évacuation à plus de 90 millions de dollars. Nous estimons maintenant que plus de 50 000 Canadiens pourraient se trouver au Liban. Nous déconseillons tout voyage au Liban et conseillons vivement aux Canadiens qui s’y trouvent déjà de tenter de se trouver un siège sur un vol commercial pour quitter le pays dès que possible.

Nous planifions nos interventions à l’échelle pangouvernementale. Nous voulons nous préparer à tous les scénarios possibles. Nous avons déployé nos agents de l’Équipe permanente de déploiement rapide de façon préventive dans la région et mis sur pied une équipe d’intervention d’urgence chargée de planifier les mesures d’urgence pour tout départ assisté pouvant s’avérer nécessaire au Liban.

Cet exemple concret montre qu’il est de plus en plus difficile de répondre à la demande potentielle d’aide en cas de crise, en particulier dans le contexte actuel où les crises se multiplient.

Merci, monsieur le président. Cela conclut mes remarques liminaires. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, madame la sous-ministre adjointe.

Comme vous le savez, chers collègues, vous disposerez seulement de quatre minutes pour le premier tour de questions. Cela inclut les questions et les réponses. Comme toujours, je vous encourage à poser des questions précises et concises afin que nous puissions obtenir des réponses aussi exhaustives que possible. Nous allons suivre la liste d’intervenants. Si vous souhaitez poser une question, veuillez nous le faire savoir.

La sénatrice Boniface : Je vous souhaite à nouveau la bienvenue parmi nous. Je vous remercie du travail que vous faites. Les Canadiens vous en sont sincèrement reconnaissants.

Pourriez-vous nous parler du progrès qu’a accompli votre ministère depuis la dernière évacuation au Liban en 2006? Comment décririez-vous l’état de votre préparation? Qu’avez‑vous appris de ce processus?

Mme Sunday : C’est une excellente question. Chaque crise est différente, et nous pouvons toujours en apprendre quelque chose. Les crises se sont multipliées au cours des dernières années, mais je vous assure que nous procédons à un examen approfondi des événements pour chacune d’entre elles.

L’une des principales leçons que nous avons tirées de notre expérience au Liban concerne la communication. Nous devons veiller à ce qu’elle soit très bonne. Dès l’instant où nous décelons un risque potentiel, nous le disons aux Canadiens. Notre meilleur conseil consiste toujours à donner ces renseignements aux Canadiens, qui peuvent ensuite décider quoi faire pour se mettre en sécurité.

Il y a environ une semaine, nous avons émis un conseil aux voyageurs très direct. C’est l’un des conseils les plus directs que j’aie jamais approuvés. Ce conseil s’harmonise entièrement avec notre évaluation du contexte général. Nous nous engageons à essayer de donner aux Canadiens des conseils fondés sur des faits et à les diffuser sur toutes nos plateformes. Vous pouvez les trouver sur notre site Web. Nous les envoyons aussi sous forme de messages à ceux qui sont inscrits à notre service d’Inscription des Canadiens à l’étranger.

Plus de 17 000 Canadiens sont inscrits à ce service au Liban. C’est bien, mais ce n’est pas tout le monde. Notre ministre l’a d’ailleurs souligné dans les médias.

La première leçon que nous avons tirée consiste à éviter les départs assistés de grande ampleur, qui sont complexes. Ils ont généralement lieu dans un environnement hostile et non permissif. C’est très difficile. Tout le monde a de la difficulté à se déplacer dans un environnement où leur sécurité pourrait être menacée. Il faut beaucoup de communication. C’est l’une de nos principales conclusions.

La deuxième leçon concerne la coopération avec nos partenaires internationaux. Disons simplement que nous ne voulons pas être en concurrence pour les ressources lorsque nous travaillons sur des évacuations ou des départs assistés multinationaux. Nous avons travaillé de concert avec tous les partenaires aux vues similaires pendant des années afin d’établir un plan d’action au cas où il se passerait quelque chose d’autre au Liban. La coopération multinationale est essentielle, tout comme le partage d’informations et de renseignements.

La troisième leçon porte sur la nécessité d’avoir une bonne coopération pangouvernementale. Nous en avons eu une en 2006, mais nous avons peaufiné la chose au cours des dernières années. À titre d’exemple, nous avons intégré le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, l’Agence des services frontaliers du Canada et le ministère de la Défense nationale dans notre centre de surveillance et d’intervention d’urgence. Ils en font partie depuis quelques semaines, et cela nous permet d’être aussi efficaces que possible. Nous nous entendons très bien avec ces diverses entités.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je pense que je vais donner la possibilité à Mme Sunday de poursuivre l’explication sur la collaboration avec nos partenaires, parce que le gouvernement américain avait annoncé, il y a une semaine, qu’il avait obtenu un accord avec Israël et l’Égypte pour laisser les Américains sortir de la bande de Gaza au point de passage de Rafah. A-t-on donné suite à cette annonce?

Mme Sunday : Nous travaillons avec tous les pays qui sont impliqués dans la région maintenant pour nous assurer que les Canadiens auront la chance de traverser cette barrière de Gaza, quand cela deviendra possible. On travaille avec les États-Unis et tous les partenaires du Groupe des cinq, mais aussi avec les pays de la région, comme Israël, l’Égypte, etc., pour essayer de comprendre le processus et de planifier comment on va recevoir ces Canadiens. On essaie de travailler étroitement avec tous nos homologues pour qu’on puisse réussir à faire sortir les Canadiens.

Tout de même, je dirais que c’est un environnement très difficile, très dur. On était heureux de voir l’aide humanitaire entrer à Gaza — c’était une condition préalable pour que les personnes de tous les pays puissent être capables de sortir. Nous sommes quand même encore dans une situation où tout le monde, tous les pays, sont en train de planifier et d’avoir l’espoir qu’on aura la chance de soutenir le départ de nos citoyens, mais personne n’est sorti de Gaza en ce moment. Alors, c’est très difficile maintenant.

La sénatrice Gerba : Dans ces conditions-là, quelle est la formation que vos équipes ont sur place et quelles sont les difficultés particulières auxquelles elles font face sur le terrain?

M. Beaulieu : En fait, on a plusieurs corps de métier sur place dans le cadre du service extérieur, dont des agents consulaires qui sont formés pour porter secours aux Canadiens. On a aussi un réseau, un programme de gestionnaires de la préparation aux urgences. Alors, c’est un nouveau cadre professionnel qu’on a au sein des affaires étrangères, qui sont responsables d’enjeux de sécurité et de préparation aux urgences.

Dans les crises comme cela, plusieurs différentes disciplines sont mobilisées, ce à quoi j’ajouterais les services informatiques pour aider au soutien, à la gestion de l’information et aux communications. Alors, il s’agit d’un effort multidisciplinaire en réponse à cela.

Nous avons aussi des équipes — Mme Sunday mentionnait l’équipe de déploiement rapide. Ces gens sont formés dans les environnements hostiles, pour les premiers soins, pour traiter un ensemble d’éléments nécessaires à la réponse d’urgence.

[Traduction]

Le président : Merci. J’aimerais souligner la présence du sénateur Woo de la Colombie-Britannique qui vient de se joindre à nous.

Le sénateur Ravalia : Tout d’abord, j’aimerais vous féliciter, vous et votre équipe, de votre dévouement dans ce contexte mondial particulièrement volatile.

Pourriez-vous m’en dire plus sur les efforts diplomatiques et politiques déployés par le Canada et nos partenaires pour assurer la sécurité du personnel recruté localement — qui, je présume, est probablement très vulnérable dans de telles situations — y compris la mobilisation auprès des gouvernements hôtes et autres organismes internationaux concernés?

Mme Sunday : Nous sommes déterminés à assurer la sécurité de notre personnel et des habitants qui travaillent au sein de nos missions. Nous surveillons la posture de sécurité des missions avec beaucoup d’attention. En cas de préoccupations, nous réduisons parfois la taille de notre personnel, par exemple, et nous retirons les personnes à charge de certains postes lorsque nous jugeons les conditions moins sécuritaires. Dans le pire des cas, nous trouvons pour tous un abri sur place, si nous avons des préoccupations graves.

Nous soulignons l’importance d’assurer la sécurité de tout notre personnel auprès des gouvernements de tous les pays où nous nous trouvons. Je répète qu’il s’agit pour nous d’une priorité, mais c’est aussi la priorité de notre ministre. Nous y accordons une attention particulière. Merci.

Le sénateur Ravalia : Étant donné la situation actuelle, quels sont les critères que vous utilisez pour déterminer si une personne est un membre essentiel du personnel à Tel-Aviv, par exemple, ou à Ramallah, au sein de l’Autorité palestinienne?

M. Beaulieu : Dans le cadre de chaque mission, nous avons en place des plans d’urgence qui sont constamment mis à jour en fonction de la réalité sur le terrain. Bien sûr, ces plans doivent être validés en fonction de la réalité et des circonstances personnelles des gens. Tout dépend du type de crise et de la situation personnelle d’un employé... S’il doit s’occuper d’une famille à la maison, s’il est monoparental, etc. Ces facteurs peuvent avoir une incidence sur sa capacité de réponse et sur la catégorie qui lui est attribuée : essentiel ou non essentiel.

Nous savons aussi que les gens réagissent différemment — à différents moments de leur vie ou de leur carrière — aux divers facteurs de stress et situations. Les chefs de missions prennent tous ces facteurs en compte lorsqu’ils décident à un certain moment qu’il faut puiser dans les ressources et réduire notre empreinte. Ces éléments sont pris en compte lorsque vient le temps de déterminer quels sont les employés essentiels, qui doit participer aux efforts, et qui devrait pouvoir être évacué.

La sénatrice Coyle : Nous remercions une fois de plus les témoins d’être avec nous et de nous éclairer. Je pense beaucoup à notre visite du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence. Cela m’aide à visualiser ce qui se passe sur le terrain. Heureusement, lors de notre visite, la situation était stable. J’essaie d’imaginer à quoi elle ressemble aujourd’hui.

C’est le sujet de ma première question. Je devrais probablement le savoir, mais je ne le sais pas : quelles sont les interactions entre le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence, qui se trouve ici — et qui fonctionne en tout temps — et les missions à l’étranger? À quoi ressemble la situation à l’heure actuelle — étant donné la crise en cours — dans le bureau de Ramallah, de Tel-Aviv, du Caire ou de Beyrouth? Je ne sais pas où se trouvent les autres bureaux.

Mme Sunday : C’est une excellente question. J’aime beaucoup me rendre à l’étage où se trouve le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence, parce que l’énergie y est incroyable. C’est impressionnant de voir les fonctionnaires dévoués y travailler. Certains ont un poste de jour, mais doivent travailler toute la nuit. Les gens ont leur travail à cœur, et on le sent. Il y a des cartes sur les murs et les gens parlent au téléphone. Il se passe beaucoup de choses. On peut se demander comment il est possible de gérer tout cela. Il y a beaucoup de monde. Nous avons déjà eu plus de 100 personnes dans le centre au cours de la crise.

Nous avons en place une structure relative au fonctionnement et à la façon dont nous communiquons avec les missions. Nous tentons d’atténuer et de régler les conflits; nous sommes le plus efficaces possible.

Une réunion très importante, animée par le commandant des interventions du centre, se tient tous les matins avec les ministères. On passe tous les points à l’ordre du jour. Les responsables des missions de Tel-Aviv y participent, tout comme les ambassadeurs de Ramallah, notre représentant permanent, les représentants de l’Égypte, de la Jordanie et du Liban. Nous sommes mis au courant de toutes les situations et nous pouvons ainsi comprendre ce qui se passe. Nous savons par exemple que nous effectuons toujours des départs assistés en Cisjordanie. Nous pouvons savoir comment les choses se passent et s’il y a des raisons de se préoccuper. Nous avons des responsables de la sécurité des missions en ligne. Ils nous disent s’il y a des enjeux en matière de sécurité qui devraient nous préoccuper. C’est une façon très efficace d’obtenir des renseignements. Les responsables des Forces armées canadiennes nous fournissent une mise à jour. Nous entendons les représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, du ministère de la Défense nationale et du ministère des Transports. C’est un appel très intéressant.

En théorie, je ne devais pas y participer, mais j’écoute souvent en silence parce que cette réunion nous permet d’obtenir des renseignements très riches. M. Beaulieu et son équipe en sont responsables. C’est notre façon de commencer la journée.

Bien sûr, tout le monde est debout depuis un bon moment à Ramallah à cette heure-là. Nous abordons tous les enjeux au fil de l’évolution de la journée. Nous avons des réunions de planification très précises. À l’heure actuelle, nous avons un groupe de l’Égypte qui travaille sur le soutien au mouvement de Gaza. Il se passe beaucoup de choses. Nous sommes là aussi si les missions ont besoin de nous en pleine nuit, par exemple. Leurs responsables savent qu’ils peuvent m’appeler ou appeler M. Beaulieu et que nous sommes prêts à nous mobiliser pour les aider.

Nous avons tous accès les uns aux autres. Lorsqu’une crise éclate, il faut souvent quelques jours pour trouver notre rythme, mais nous travaillons très bien ensemble. La pièce que vous avez visitée nous permet de rester unis; tout le monde a un rôle précis à jouer.

Le président : Merci beaucoup. Puisque j’étais en poste les dimanches à titre de sous-ministre adjoint en 2006, permettez‑moi d’ajouter que nous utilisions déjà la méthode des conférences téléphoniques à l’époque. C’était avant l’arrivée de Zoom, de Microsoft Teams et de tout le reste. Je crois qu’il est très important de tirer profit de la technologie et des percées en la matière.

La sénatrice M. Deacon : Il faut parfois revenir à ces techniques, aussi. Merci à tous les deux d’être à nouveau avec nous.

Tout comme ma collègue, la sénatrice Coyle, je suis moi aussi très reconnaissante d’avoir eu la chance — dans le cadre de notre étude — de passer les portes de votre centre, d’y avoir été si bien accueillie et d’avoir pu poser plusieurs questions. Je dois dire que cela nous est très utile à l’heure actuelle. Je vous en remercie.

Ma question porte sur la situation qui prévaut en Inde. Nous savons que les crises sont très nombreuses — je vous ai entendu utiliser le préfixe « poly » — à l’échelle mondiale.

Nous savons que 42 diplomates ont récemment été expulsés de l’Inde. J’aimerais savoir comment les services consulaires d’ici et de là-bas se sont adaptés. Est-ce que nous sommes face à une impasse? Qu’est-ce qu’une telle manœuvre signifie pour les Canadiens qui sont en Inde, et qui ont besoin de notre aide?

Mme Sunday : C’est une bonne question. Bien sûr, la réduction de l’effectif a une incidence sur les missions. Cela étant dit, nous sommes en mesure d’appuyer les services consulaires en tout temps à partir d’Ottawa. Dans certaines situations, nous devons rapatrier tous les services à Ottawa et les gérer à partir du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence. C’est notamment ce qui s’est passé avec l’Ukraine, parce que la mission connaissait de nombreux autres problèmes; nous avons dû la fermer temporairement. Il se peut aussi que certaines personnes aient besoin d’une rencontre en personne. Nous allons accorder la priorité à ces situations où une personne a perdu des documents, par exemple, mais nous pouvons effectuer une bonne partie du travail consulaire à distance.

L’important, c’est que les gens puissent communiquer avec nous. C’est pourquoi les appels nous sont acheminés ici, à Ottawa, lorsque les missions ne peuvent y répondre. Nous sommes là pour aider.

Il est essentiel que les Canadiens aient accès à des services consulaires en tout temps.

La sénatrice M. Deacon : J’hésite un peu à poser ma prochaine question, mais je vais le faire quand même. Il n’y a pas si longtemps, en mars 2020, nous avions la pandémie dans notre ligne de mire. Je sais qu’elle ne représente pas une priorité en tout temps en ce moment, mais nous avons dû y répondre et tenter de rapatrier de nombreuses personnes qui se trouvaient dans diverses régions du monde, en plus de nous isoler, de respecter les consignes et d’agir de manière sensée.

Aujourd’hui, nous devons faire face à de nombreuses crises. J’aimerais savoir quelles sont les principales leçons tirées de la pandémie, qui pourraient vous aider avec votre travail... ou pour les prochains événements.

Mme Sunday : Merci. C’est une excellente question.

La pandémie représentait une crise à grande échelle. Cela étant dit, c’est par l’entremise du Centre de surveillance et d’intervention d’urgence qu’environ 60 000 Canadiens ont été rapatriés. Avec la pratique, nous sommes devenus très doués pour gérer les vols et les enjeux connexes. Nous pouvons tout faire très rapidement maintenant.

Nous avons aussi réussi à créer une structure très solide et à renforcer notre base de connaissances, parce que nous avons fait venir des gens que nous avons formés. Donc, aujourd’hui, de nombreuses personnes connaissent le travail en temps de crise. Depuis que je suis en poste, la crise a un autre visage. Ce sont plutôt des guerres et des conflits. C’est ce qui se passe depuis environ deux ans et demi.

Nous avons aussi appris à travailler en étroite collaboration avec nos alliés. Je communique quotidiennement avec mes partenaires consulaires du Groupe des cinq. Le groupe des responsables de la sécurité de M. Beaulieu compte la participation de nombreux pays, au-delà du Groupe des cinq... c’est un grand groupe. Nous communiquons aussi avec les Nations unies au sujet des questions de sécurité. Nous faisons un travail pleinement intégré et nous échangeons des renseignements en matière de sécurité en cas de crise. C’est ce qui est arrivé avec l’évacuation au Soudan, par exemple, qui représentait un effort multinational. Les Canadiens reviennent par des vols allemands; des Américains reviennent par des vols canadiens. S’il y a une place sur l’avion, nous allons tenter...

Le président : Je dois malheureusement vous interrompre, parce que nous avons dépassé le temps prévu pour cette intervention.

Le sénateur Richards : Nous vous remercions d’être avec nous. Vous venez de répondre à ma question au sujet de la coordination avec nos alliés en cas de crise sur le terrain. J’étais curieux de le savoir.

Je me souviens que, dans le cas de l’Afghanistan, nos efforts n’étaient pas pleinement coordonnés. C’était un problème important et je me souviens que bon nombre de Canadiens étaient revenus par un vol néerlandais, et que nous en étions très reconnaissants.

J’ai eu la chance de me rendre à Ramallah — avec le sénateur Ravalia — et de voir les soldats canadiens. Ils font un travail incroyable, de manière très efficace, et ils donnent sans compter. Leurs ressources sont toutefois limitées et ils ne sont pas très nombreux.

S’il y avait une crise à Ramallah — ce qui est fort possible — est-ce que le personnel qui s’y trouve serait en sécurité? Je me le demande. Je me demande aussi comment nous pourrions rapatrier des gens qui se trouvent au Liban en cas de conflit entre le Hezbollah et Israël.

Est-ce que nous assurons une coordination adéquate avec nos alliés au Liban et ailleurs, comme à Ramallah?

Mme Sunday : Je dirais que oui, tout à fait. Nous échangeons des renseignements. Par exemple, le Canada a été le premier pays à organiser un départ assisté de la Cisjordanie vers la Jordanie. Nous avons été les premiers à aider les Canadiens, mais nous avons aussi aidé des Australiens. Nous tentons de trouver des solutions.

La semaine dernière, nous avons beaucoup discuté avec nos alliés, les pays du Groupe des cinq et d’autres qui veulent apprendre de ce que nous faisons pour assurer la sécurité. Cela étant dit, nous demandons nous aussi souvent l’aide de nos alliés lorsque nous avons certaines questions ou lorsque nous voyons quelque chose, que nous ne savons pas dans quelle mesure elle est importante, et que nous voulons interpréter ensemble la situation. La discussion est constante et continue.

Nous avons pu compter sur le soutien de nos alliés dans des moments très difficiles. Par exemple, nous avons dû évacuer notre mission au Soudan et les États-Unis nous ont aidés à le faire.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup. Cela m’amène à ma deuxième question. Au Canada, nous n’avons pas l’équipement lourd nécessaire pour procéder aux évacuations en cas de crise à l’étranger... N’est-ce pas? Nous n’avons pas d’équipement militaire lourd pour évacuer les gens par voie aérienne comme le font les États-Unis ou la Grande-Bretagne.

Mme Sunday : Je crois que nous avons le nécessaire pour intervenir. D’après ce que j’ai vu, les Forces armées canadiennes se sont mobilisées rapidement pour faciliter l’évacuation de Tel‑Aviv à un moment où personne n’y arrivait par avion et où il était très difficile de sortir les gens d’Israël.

Si nous sommes en mesure d’aider d’autres personnes à sortir — et nous avons fait embarquer des Australiens et des Néo-Zélandais sur ces vols lorsque nous avions suffisamment de place —, alors nous le faisons. Nous nous aidons les uns les autres au besoin, mais certains pays sont plus présents dans certaines régions géographiques et il peut être long de s’y rendre.

Je crois qu’il faut plutôt collaborer de manière stratégique en fonction des ressources dont nous disposons.

Le sénateur Richards : Je tiens à souligner que je ne remets pas en question la compétence ou l’excellence des Forces armées canadiennes. Je parle de certains avions et de l’équipement lourd nécessaire pour faire le travail. C’est tout.

Merci beaucoup.

Le président : Merci. J’aimerais faire suite aux commentaires du sénateur Richards.

En 2006, le grand problème était l’impossibilité d’utiliser la piste d’atterrissage de Beyrouth. Nous avions donc dû louer des bateaux à Chypre, ce qui représentait un défi particulier. Nous étions en compétition avec certains de nos amis, notamment les Australiens. Au bout du compte, nous avons pu collaborer et je suis heureux d’entendre que la collaboration avec les alliés est encore plus importante aujourd’hui.

Le sénateur Kutcher : J’ai deux questions à poser, si le temps me le permet. Tout d’abord, je tiens à vous remercier — à l’instar de mes collègues — du travail incroyable que vous accomplissez. C’est tellement important pour tous les Canadiens et, parfois, vous n’êtes pas appréciés à votre juste valeur.

C’est justement l’objet de ma première question. Au cours des dernières semaines, nous avons entendu de vives critiques, principalement sur les médias sociaux, à l’égard du travail effectué dans le cadre du Programme des affaires consulaires. Il se peut que ces critiques soient en partie motivées par des considérations politiques, mais il se peut aussi qu’elles soient dues au fait que certains Canadiens ne comprennent pas comment fonctionne ce programme dans les situations de crise.

Je me demande quelle sorte de stratégie de communication vous avez mise en place pour informer les Canadiens — en particulier, le public canadien — de la façon dont le Programme des affaires consulaires fonctionne en situation de crise, et si vous avez élaboré une réponse coordonnée aux informations erronées qui circulent au sujet de votre travail.

M. Beaulieu : Nous avons évidemment un bureau de communication qui répond aux questions des médias et qui s’efforce de rectifier les faits lorsque l’information n’est pas complète.

En ce qui concerne la communication avec les Canadiens, nous avons à notre disposition de plus en plus d’outils pour leur transmettre les informations en temps voulu. Il y a parfois de la désinformation ou de la mésinformation, et les faits sur le terrain changent constamment. En tant que responsables des services consulaires et des interventions d’urgence, nous devons décider à quel moment il est nécessaire de corriger l’information.

Il y a quelques jours, on parlait de l’ouverture de la frontière de Rafah. Nous avons informé les Canadiens d’une telle possibilité et nous leur avons demandé de se tenir prêts. Au bout du compte, la frontière n’a pas été ouverte et, le lendemain, la rumeur a repris de plus belle. Nous devons toujours ajuster nos communications, mais il est clair que notre intention et notre engagement sont de communiquer, en temps réel, la bonne information aux Canadiens.

Le sénateur Kutcher : Vous réagissez donc de manière systématique à certaines informations erronées.

J’ai une question sur vos sources de renseignements de sécurité, plus précisément sur l’exhaustivité et la suffisance des renseignements que vous obtenez pour vous préparer à toute éventualité qui pourrait survenir dans les 24 à 72 heures, surtout dans le contexte actuel où plusieurs régions du monde sont en proie à des situations fort instables.

Comment cela fonctionne-t-il? Trouvez-vous que vous recevez suffisamment d’informations pour pouvoir bien vous préparer?

M. Beaulieu : Il est un peu délicat de commenter les éléments précis des services de renseignement dans ce groupe, mais sachez qu’ils font partie de notre boîte à outils et que nous les examinons à l’interne, au sein du gouvernement du Canada, ainsi qu’avec nos partenaires et alliés les plus proches. Nous nous en servons également pour essayer de prévoir les crises ou les changements qui en découlent.

Le sénateur Kutcher : À l’heure actuelle, estimez-vous que les informations que vous recevez sont suffisantes pour vous préparer à toute éventualité?

Mme Sunday : Je peux peut-être ajouter quelque chose. Nous utilisons toujours de multiples sources d’information et nous vérifions le tout en faisant des recoupements. Dans une situation de crise — et j’en ai fait l’expérience à plusieurs reprises — lorsqu’il y a une foule d’informations, il faut en discuter avec toutes les personnes clés.

Il s’agit parfois de renseignements de sécurité, mais il arrive aussi que nous recevions des observations de faits réels sur le terrain et des bribes de conversation qu’il faut assembler — par exemple, ce qu’une personne a dit à telle ou telle autre personne. Il s’agit de dégager une compréhension commune. C’est ce qui compte le plus en situation de crise. Tout le monde a ce genre de discussion, parfois difficile, pour arriver à une compréhension commune de ce qui se passe et pour savoir comment réduire les risques sur le terrain afin de pouvoir agir comme on le souhaite. Si telle ou telle option ne fonctionne pas, quels changements pouvons-nous apporter?

Pour nous, la protection et la sécurité des Canadiens que nous aidons constituent des priorités absolues. Nous sommes constamment appelés à travailler dans un contexte où nous devons tenir beaucoup de discussions. Nous procédons à des vérifications et à des recoupements afin de nous mettre d’accord sur ce qui se passe et sur les mesures à prendre.

Le président : Merci beaucoup. Nous entamons maintenant le deuxième tour.

La sénatrice Boniface : En ce qui a trait au Registre consulaire des Canadiens à l’étranger, ou ROCA — je commence à connaître par cœur les acronymes, signe que je suis ici depuis longtemps —, que faites-vous pour augmenter le nombre de Canadiens qui s’y inscrivent? Il semble que les gens hésitent à le faire.

Mme Sunday : Nous envoyons beaucoup de messages pour encourager les Canadiens à l’étranger à s’y inscrire parce que cela nous permet de leur fournir directement les informations les plus récentes. Si nous modifions nos conseils de voyage, nous l’indiquons dans le Registre consulaire des Canadiens à l’étranger. Si nous aidons à organiser des départs assistés quelque part, nous diffusons l’information nécessaire en invitant les gens à nous appeler et à nous donner plus de précisions pour obtenir notre aide. C’est un excellent outil pour diffuser ce genre d’information.

D’après ce que j’ai entendu dire, les gens ont parfois des réticences. Certaines personnes ne veulent pas s’inscrire ou fournir leurs données. L’inscription est relativement simple et, encore une fois, il ne s’agit que d’un outil d’information.

Si les gens ont réellement besoin de notre aide, au lieu de s’en remettre au registre, nous voulons qu’ils appellent notre centre de surveillance et d’intervention d’urgence. Nous devons recueillir leurs renseignements; nous devons connaître leur emplacement, leur numéro de passeport, et tout le reste. Il s’agit là d’une discussion plus ciblée.

Bref, le Registre consulaire des Canadiens à l’étranger est un outil de communication absolument important. Les possibilités sont énormes. Nous encourageons vraiment tous les Canadiens à s’y inscrire s’ils voyagent à l’étranger.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je souhaiterais revenir un peu sur la question des employés engagés localement. Dans un contexte comme celui-ci, on procède à une étude, ici, où on a vu l’importance de ces employés dans nos missions. Quel est le sort qui leur est réservé, réellement?

Est-ce que vous envisagez parfois de les mettre sur la liste en vue d’une évacuation? Parce qu’on est quand même en zone de guerre, on est en zone où ces employés, pour toutes sortes de raisons sociales, sont très susceptibles d’être menacés. Quel est le sort qui leur est réservé localement?

M. Beaulieu : Vous avez bien raison de soulever cet enjeu qui est au cœur de nos préoccupations dans les missions. Les employés recrutés sur place sont la clé, notamment dans la réponse aux urgences, parce qu’ils connaissent le terrain, ils connaissent les acteurs et ils connaissent souvent la trajectoire que peuvent prendre les développements. On les soutient avec de l’information sur la sécurité, on les soutient au moyen d’accommodements de travail à distance et grâce à la pandémie, si je puis dire, on a développé ces outils qui permettent parfois d’éviter des allers-retours vers l’ambassade ou vers la mission les jours où les conditions rendent ces déplacements difficiles.

On a adopté ces approches flexibles et vous faisiez allusion aux risques que les gens prennent parfois en travaillant pour le gouvernement. On essaie aussi de bien les protéger et de ne pas les exposer, dans certains pays en particulier, à du travail lié par exemple aux plaidoyers sur les droits de la personne, parce que cela peut les mettre à risque localement.

C’est une préoccupation constante. J’ai participé à la formation des chefs de mission avant qu’ils partent cet été et c’est l’un des points sur lesquels nous avons insisté, à savoir nos responsabilités envers nos employés recrutés sur place et leur intégration en matière de devoir de diligence et de formation de sécurité. C’est une conversation qui touche l’ensemble du ministère.

La sénatrice Gerba : Sachant qu’ils ne sont pas toujours dans des zones sécurisées, est-ce que c’est sécuritaire, même pour eux, de travailler chez eux en ce moment?

M. Beaulieu : On s’ajuste selon les circonstances. On ne leur demande pas de faire du travail à distance qui les mettrait en danger; on en tient compte.

La sénatrice Gerba : Ma question est de savoir s’ils sont en sécurité ou s’ils ont besoin d’être évacués eux aussi, comme nos ressortissants canadiens.

M. Beaulieu : Certains ressentent le besoin de quitter les lieux. Si je peux prendre l’exemple de l’Ukraine, plusieurs personnes ont fait une demande dans le cadre du programme de visa du gouvernement du Canada; plusieurs en sont sortis et sont venus au Canada temporairement.

La sénatrice Gerba : Cela leur est offert.

M. Beaulieu : Oui.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : J’aimerais revenir sur une question posée tout à l’heure par la sénatrice Gerba concernant l’aide — imminente, je l’espère — aux Canadiens qui sont coincés dans une situation très difficile à Gaza.

Vous avez mentionné, je crois, qu’une évacuation allait peut‑être se produire il y a quelques jours — et les gens en ont été avisés. Je suis sûre qu’ils se sont précipités pour franchir ce point de passage étroit, qui se trouve à être leur soupape de sécurité éventuelle.

Savons-nous si des Canadiens se rassemblent à cet endroit, essentiellement pour être prêts à partir? Y a-t-il des mesures de soutien pour les Canadiens qui pourraient se trouver dans cette situation d’incertitude en ce moment, alors qu’ils attendent d’être évacués? Les camions entrent, mais personne ne sort.

Mme Sunday : Il est certain que nous surveillons cette frontière de très près. Nous avons cru, à un moment donné, qu’elle allait s’ouvrir. Toutefois, nous n’avons pas encore demandé aux Canadiens de se rendre là-bas.

Cela dit, nous les avons informés que, selon nous, l’occasion pourrait se présenter rapidement; par contre, nous ne savons pas combien de temps cela durera. Étant donné qu’Israël a demandé aux habitants de Gaza de se déplacer vers le sud, nous avons encouragé les gens à se rapprocher du point de passage dans le Sud. Nous avions des inquiétudes sur le plan de la sécurité. C’est pourquoi nous n’avons pas demandé aux Canadiens de se rendre à la frontière tant que nous n’avons pas la certitude qu’elle sera ouverte et qu’ils pourront la franchir.

Je ne saurais vous le dire. Écoutez, les gens sont dans une situation très difficile en ce moment. Nous leur tendons la main. Nous avons téléphoné à tout le monde à Gaza pour nous assurer que les gens vont bien et pour savoir où ils se trouvent. Nous savons que c’est difficile. Il y a des problèmes de télécommunications, notamment l’incapacité de charger les téléphones, en plus des problèmes de nature plus générale. C’est une situation très éprouvante. Nous savons que certains Canadiens s’entraident en groupe.

Pour notre part, nous devons travailler de façon intensive — et c’est ce que nous faisons — avec l’Égypte, avec Israël et avec tous les gouvernements régionaux qui exercent une influence, ainsi qu’avec les États-Unis, pour faire en sorte que ces Canadiens et les membres de leur famille, ainsi que les résidents permanents puissent franchir la frontière.

Nous avons une équipe qui se consacre à ce dossier, ici et en Égypte. Nous avons renforcé nos ressources en Égypte afin d’être en mesure d’appuyer cette évacuation. Nous espérons sincèrement qu’elle aura lieu très bientôt.

Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, il ne nous reste qu’environ quatre minutes, et deux sénateurs veulent poser des questions. Je vais demander à chacun d’eux de poser sa question à tour de rôle, puis je donnerai la parole aux témoins pour leur permettre de répondre. Si vous pouviez être aussi précis que possible, ce serait formidable.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Nous espérons le même dénouement — comme vous venez de le dire —, et ce, le plus tôt possible. C’est très important.

J’ai une toute petite question, qui fait suite à celle que j’ai posée au premier tour. Pouvez-vous nous parler des leçons que vous avez tirées? La collaboration avec d’autres pays est essentielle. Nous avons longuement parlé du Groupe des cinq. Si cette alliance doit être réexaminée, concentrerons-nous sur la période de huit ans, ou faut-il reconnaître, honnêtement, que nous devons en élargir la portée pour faire le travail nécessaire? Ce groupe a joué un rôle important. Il s’agit de pays aux vues similaires, mais devons-nous agrandir un peu le Groupe des cinq?

Le sénateur Richards : Je vous remercie encore une fois. J’ai quitté la salle pendant un instant, alors vous avez peut-être répondu à cette question — et je l’ai peut-être manquée —, mais savons-nous approximativement combien de Canadiens se trouvent à Gaza? Il y a des milliers de femmes enceintes à Gaza. Savons-nous si certaines d’entre elles sont des Canadiennes? C’est un moment terrible pour être à Gaza. Avez-vous des informations à ce sujet?

Mme Sunday : Il y a un peu plus de 400 Canadiens à Gaza, et nous sommes résolus à leur venir en aide. Je ne sais pas s’il y a des Canadiennes enceintes là-bas, mais nous nous occupons de ce que nous appelons les cas consulaires complexes, c’est-à-dire que nous essayons de faire en sorte que nos clients les plus vulnérables soient en mesure de traverser la frontière et d’obtenir de l’aide.

En ce qui concerne le Groupe des cinq, il s’agit d’un groupe extrêmement important qui mène différentes activités. Chacun a son homologue au sein du Groupe des cinq. L’échange d’information se fait facilement — en partie parce que nous mettons en commun des renseignements de sécurité. Cela dit, nous avons travaillé très fort ces dernières années pour renforcer nos relations avec de nombreux partenaires différents. Nous collaborons beaucoup plus avec la France, l’Allemagne et d’autres pays dans divers dossiers.

Monsieur Beaulieu, je ne sais pas si vous pouvez ajouter quelque chose. Chaque fois que nous pouvons nous entraider et accroître notre capacité à tirer parti de nos partenariats pour obtenir des résultats positifs pour les Canadiens, nous ne manquons pas de le faire.

M. Beaulieu : Comme le dit un de mes collègues, on ne peut pas détruire les réseaux. On peut faire sauter beaucoup de choses, mais pas les réseaux, d’où leur importance.

Le président : Je vous remercie infiniment. Cette séance a été très riche en information grâce aux réponses que vous avez données à nos questions. Au nom de notre comité, je tiens à remercier Julie Sunday, sous-ministre adjointe, et Sébastien Beaulieu, directeur général et dirigeant principal de la sécurité, pour leur travail et celui de leur équipe, et je les remercie d’avoir pris le temps de se joindre à nous aujourd’hui. Nous sommes fiers du travail que vous accomplissez pour notre pays et des services que vous rendez aux Canadiens. Nous vous remercions.

[Français]

Nous allons maintenant passer à notre deuxième panel pour discuter de la situation en Afghanistan.

[Traduction]

Je vous présente nos témoins : Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Indo-Pacifique; Tara Carney, directrice, Assistance humanitaire internationale; et Alice Birnbaum, directrice adjointe, Développement, Programme de l’Afghanistan. Nous vous remercions de votre présence. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Comme d’habitude, les sénateurs vous poseront ensuite leurs questions, et nous écouterons vos réponses.

Monsieur Epp, vous avez la parole.

Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Indo-Pacifique, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup, monsieur le président.

[Français]

Bonjour à tous. Je vous remercie de l’invitation à témoigner devant vous aujourd’hui pour discuter de la situation en Afghanistan. Mes collègues et moi vous sommes reconnaissants de l’occasion de vous fournir cette mise à jour.

Permettez-moi d’abord d’exprimer mes condoléances à ceux qui ont été touchés par les tremblements de terre dévastateurs qui ont frappé la province d’Hérat au cours des deux dernières semaines, causant la mort de près de 1 500 personnes, dont environ 90 % étaient des femmes et des enfants. Dans un pays où 29 millions de personnes avaient déjà besoin d’une aide humanitaire, une catastrophe de cette ampleur ne fait qu’aggraver la tragédie des souffrances humaines.

Vous m’avez invité à parler de la situation sur le terrain en Afghanistan. Même si nous n’avons plus de représentation diplomatique en Afghanistan, les représentants du Canada, dont le représentant spécial pour l’Afghanistan, continuent de surveiller la situation au moyen de contacts réguliers avec nos partenaires, dont la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan et le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de la personne en Afghanistan, qui nous transmettent de précieuses preuves anecdotiques dépeignant un tableau profondément troublant.

Depuis la prise de pouvoir par les talibans, il y a plus de deux ans, nous avons assisté avec horreur à l’abolition des institutions démocratiques, à une répression soutenue de la liberté de presse et à la conversion des écoles publiques en madrasas dans tout le pays.

[Traduction]

Les talibans ont réintroduit la torture, les flagellations publiques et les exécutions. Ils ont démantelé le système de justice et l’ont remplacé par des tribunaux de la charia, gérés par des extrémistes religieux masculins. Ils ont arrêté arbitrairement des manifestants pacifiques. Les Hazaras et d’autres minorités religieuses et ethniques sont de plus en plus la cible d’attaques. Les membres de la communauté LGBTQIA+ vivent dans la crainte de recevoir la peine de mort simplement pour être qui ils sont.

Nous avons vu les talibans exclure systématiquement les femmes afghanes de la vie publique, en annonçant régulièrement de nouveaux décrets qui privent les femmes et les filles même de leurs droits les plus fondamentaux. Il est encore interdit aux filles de fréquenter l’école au-delà de la 6e année, et de nombreux milieux de travail sont devenus interdits aux femmes. Ces deux facteurs ont entraîné une augmentation du mariage forcé d’enfants, du travail des enfants et du trafic d’enfants et d’organes. Les femmes se décrivent comme des « prisonnières vivant dans l’obscurité », confinées à leurs foyers. Comme le faisait remarquer la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour l’Afghanistan à l’occasion du dernier débat du Conseil de sécurité, « le suicide est omniprésent ».

Bien que l’Afghanistan ne soit plus en situation active de conflit violent, les conditions sécuritaires demeurent instables. Des groupes terroristes transnationaux, y compris Al-Qaïda, continuent de maintenir une présence en Afghanistan. La filiale locale de Daech, IS-KP, a élargi sa présence et, tout récemment, le 13 octobre, a fait exploser une mosquée chiite, tuant sept personnes alors qu’elles priaient pacifiquement. La possibilité que l’Afghanistan redevienne un refuge pour les terroristes transnationaux demeure une réelle préoccupation pour le Canada et ses alliés, ainsi que pour les pays voisins.

Les coûts sociaux et économiques des actions des talibans feront reculer de plusieurs décennies les progrès réalisés par l’Afghanistan au chapitre des objectifs de développement durable de l’ONU.

Le Canada ne s’est pas contenté d’être un observateur silencieux. Notre condamnation des talibans a été systématique et sans équivoque. Pas plus tard que le mois dernier, le Canada a coparrainé une réunion de haut niveau sur l’éducation des femmes et des filles afghanes à l’ONU, en collaboration avec l’Indonésie et l’Irlande, réunion dans le cadre de laquelle la ministre Joly a plaidé avec insistance en faveur d’une action concertée et de la responsabilisation. Nous avons été très actifs à l’ONU et dans d’autres forums — en tant que voix de premier plan — pour réclamer une approche concertée et des messages fermes.

Malgré les nombreux défis opérationnels, le Canada continue d’accorder une aide bien nécessaire au peuple afghan. Par exemple, en 2022, le Canada a fourni plus de 143 millions de dollars d’aide humanitaire d’urgence en Afghanistan pour aider à offrir des services d’alimentation et de nutrition d’urgence, des soins de santé, des abris d’urgence, des mesures de protection, etc.

Toujours en 2022, le Canada a également fourni 70 millions de dollars en aide au développement pour empêcher que la situation ne se détériore davantage. Ces fonds ont permis d’appuyer, entre autres, l’éradication de la polio, les services de santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile, y compris les services de lutte contre la violence fondée sur le sexe, ainsi que le soutien à l’éducation des femmes et des filles en milieu communautaire.

En conclusion, il n’est pas possible d’aborder — en seulement cinq minutes — la multitude de défis auxquels l’Afghanistan doit faire face sous le régime des talibans. Nous serons heureux d’expliquer plus en détail les points que j’ai mentionnés ou de répondre à toute autre question ou observation que vous pourriez avoir. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, comme pour le dernier groupe d’experts, nous avons prévu des questions et des réponses de quatre minutes, alors veuillez garder vos questions assez courtes pour laisser un maximum de place aux réponses.

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous et à votre équipe d’être présents cet après-midi.

Le 28 septembre, le Pakistan a annoncé qu’il expulserait tous les réfugiés et les migrants sans papiers. Certains ont estimé que le nombre d’Afghans renvoyés chez eux pourrait atteindre 1,7 million. Nonobstant le fait que l’Afghanistan soit ou ne soit pas en mesure d’absorber autant de gens, beaucoup de ceux qui rentreront chez eux seront assurément en danger parce que ce sont eux qui ont fui les talibans en premier lieu. Certains sont suffisamment jeunes pour être nés au Pakistan et n’avoir jamais mis les pieds en Afghanistan, et cela en fait des cibles extrêmement vulnérables pour ceux qui voudraient les exploiter.

Travaillons-nous avec d’autres alliés pour tenter de faire ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cela?

M. Epp : Je vous remercie de la question. C’est un sujet préoccupant que nous suivons de très près. Nous continuons d’avoir des échanges dynamiques avec le gouvernement pakistanais afin de mieux comprendre ses intentions et sa planification opérationnelle à cet égard.

Nos fonctionnaires à Islamabad continuent de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires qui sont sur la même longueur d’onde que nous — dont les agences des Nations unies, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale pour les migrations — et ils envisagent une intervention coordonnée auprès du gouvernement pakistanais. Jusqu’à tout récemment, le Pakistan était gouverné par un gouvernement de transition, mais les choses se sont récemment rétablies. Nous avons maintenant des responsables et des ministres clairs, et nous nous coordonnons avec nos partenaires et les agences des Nations unies pour comprendre le mieux possible comment défendre les réfugiés afghans. La situation que vous décrivez est on ne peut plus réelle. Cela pourrait avoir une incidence sur un grand nombre de gens. Il y a beaucoup d’incertitude au sein de ce groupe. C’est une question qui a été soulevée à Ottawa auprès du gouvernement pakistanais, mais nous cherchons à coordonner un processus pour mieux comprendre et clarifier les intentions et l’approche opérationnelle, et pour éviter des résultats qui ne seraient pas dans l’intérêt de la population, que ce soit au Canada ou ailleurs.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Nous avons entendu cela pour la première fois le 28 septembre. En vous écoutant aujourd’hui, on a l’impression qu’il y a beaucoup d’échanges et de collaboration pour essayer de bien comprendre et de planifier quelque chose, mais que pour le moment, aucune action n’a été entreprise, du moins, pas à votre connaissance.

M. Epp : Non. Nous avons déjà fait part de nos préoccupations et nous avons demandé des éclaircissements, tant ici qu’à Islamabad, de manière bilatérale...

La sénatrice M. Deacon : Je parlais de la menace du Pakistan de commencer à expulser les Afghans. Est-ce que cela a déjà commencé?

M. Epp : Non, d’après ce que nous comprenons, ce n’est pas encore commencé. Nous suivons la situation de près.

La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : J’ai quelques questions à poser rapidement. Premièrement, comme vous le savez, nous avons adopté le projet de loi C-41 en juin dernier. Vous savez tout à ce propos, alors je ne m’éterniserai pas là-dessus. Quel effet cette loi a-t-elle sur le flux de l’aide non gouvernementale en Afghanistan à l’heure actuelle? La loi ne concerne pas que l’Afghanistan, mais je serais curieuse de savoir ce qui se passe dans ce pays, et si l’adoption de cette loi a permis d’augmenter le flux de l’aide qui lui est accordée.

Deuxièmement, je suis vraiment désolée de voir la situation en Afghanistan. J’avais l’habitude de m’y rendre. Je représentais le Canada et d’autres donateurs au sein du conseil d’administration d’un groupe de microfinance. Vous avez parlé des personnes avec lesquelles vous vous alliez faute d’avoir un représentant sur place, mais qui voyons-nous? Y a-t-il ailleurs dans le monde d’autres intervenants influents qui font des progrès auprès du gouvernement taliban pour l’inciter à modérer certaines de ses positions? Je serais curieuse de savoir ce qu’il en est.

M. Epp : Je vous remercie de vos questions. Je commencerai par la deuxième. Après deux ans, nous sommes de plus en plus préoccupés par le fait que nous ne voyons aucun signe indiquant que les autorités talibanes, en particulier celles qui dirigent depuis Kandahar, ont l’intention de réagir aux mesures — à l’effet levier ou d’invitation au dialogue avec certains partenaires — en modérant leurs propres politiques ou leur propre approche.

Nous en avons parlé en début de semaine avec des représentants de la Fondation Aga Khan qui, comme vous le savez, ont une présence exemplaire sur le terrain et beaucoup d’expérience. Qu’il s’agisse d’organismes présents sur le terrain ou qui continuent à suivre la situation de l’extérieur, nous ne voyons aucun signe de réponse aux appels à la modération, aux possibilités de partenariats ou au respect des conditions minimales que la plupart des organismes internationaux exigeraient. On n’a qu’à penser à la scolarisation au-delà de la 6e année, et cetera. Le tableau est très sombre.

En même temps, la situation est inégale au sein même du pays. Tant pour nos partenaires du système des Nations unies que pour certaines organisations non gouvernementales internationales qui sont sur le terrain — qui ont été en mesure de trouver des moyens d’atténuer les conséquences et de continuer à mettre en œuvre des programmes dans le respect de sanctions imposées par l’ONU —, l’application du diktat de Kandahar est très inégale. La possibilité de continuer à travailler avec les collectivités locales est un petit signe encourageant de la part de Kandahar.

Pour ce qui est de votre première question sur l’effet du projet de loi, je dirais qu’il est encore tôt. Les ONG se sont montrées fort enclines à tirer parti des dispositions de la loi afin de pouvoir planifier plus qu’elles n’ont pu le faire jusqu’ici. Cependant, pour l’instant, les organisations qui ont déjà mis en place des mesures d’atténuation — la Fondation Aga Khan, et cetera — sont sur le terrain et elles continuent à travailler. Le ministère de la Sécurité publique est toujours en train de finaliser le régime permettant d’autoriser des exemptions par l’intermédiaire de la loi, donc c’est à venir. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Richards : Merci de votre présence. Je ne dis rien de nouveau ici, et je ne critique pas du tout le ministère des Affaires mondiales. C’est une position inconfortable. Faire part de nos préoccupations aux talibans, c’est comme si la police du Québec faisait part de ses préoccupations à « Mom » Boucher et aux Hells Angels. Cela a la même résonance pour eux. Ils sont entrés dans l’âge des ténèbres.

Étant donné que les forces extérieures ont si peu d’influence sur leur politique, existe-t-il, à votre connaissance, des organismes à l’intérieur du pays qui œuvrent en faveur d’une certaine normalisation? Les talibans et d’autres groupes militants ont-ils au contraire pris le contrôle de tout cela? Peut-on espérer que les filles puissent rester à l’école après la sixième année, par exemple?

M. Epp : Je vous remercie. Je comprends parfaitement l’esprit de la question. Il est incroyablement frustrant d’observer, une fois de plus, l’imperméabilité à tout appel raisonnable en faveur d’une approche humanitaire. Cela dit, sans vouloir exagérer notre optimisme, nous constatons qu’en dehors de Kandahar et dans certaines régions où le commandement et le contrôle de Kandahar semblent plus faibles, les fiats et les restrictions sur la possibilité pour les femmes de, par exemple, travailler dans des rôles préexistants au sein d’organismes ou dans les secteurs de la santé et de l’éducation, sont appliqués avec moins de rigueur. Encore une fois, cela signifie que beaucoup de nos partenaires ont constaté qu’ils pourront continuer — et ils le veulent — à travailler, pourvu que cela concerne, principalement, la prestation de services dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Ce sont les domaines que le Canada soutient activement, au même titre que l’égalité entre les hommes et les femmes. Il est possible de fournir des services aux femmes, de les impliquer et d’avoir des femmes dans ces organismes, mais les politiques émanant des talibans vont dans le sens contraire et, pour le moment, elles n’ont pas été pleinement et concrètement mises en œuvre.

Le sénateur Richards : Je vous remercie. Des femmes se sont échappées au Pakistan — il y avait une équipe de soccer, si je me souviens bien —, mais elles ont été renvoyées chez elles. Beaucoup de femmes ont été renvoyées vers un destin incertain, ou peut-être vers un destin sans équivoque.

Vous avez dit que pour aider les Afghans, vous travailliez en fonction des paramètres pakistanais, mais le Pakistan est-il en train de jouer sur deux tableaux? Le savez-vous?

M. Epp : Encore une fois, c’est une question complexe. Je ne me prononcerai pas sur les objectifs de la politique étrangère du Pakistan en ce qui concerne l’Afghanistan, mais il est clair que — en tant que voisin immédiat dans, historiquement, l’une des régions où les frontières sont les plus poreuses — le gouvernement pakistanais et le peuple pakistanais soutiennent ce pays depuis longtemps. Disons qu’il y a depuis longtemps une importante population résidente de réfugiés afghans, mais que leur nombre a augmenté considérablement. Le Pakistan est un pays en développement qui subit de nombreuses pressions et dont la gouvernance est incertaine.

Dans le contexte d’une politique motivée par des intérêts nationaux ou perçus comme tels, et en raison de la faiblesse de la sécurité dans les zones frontalières et de la mise en œuvre de ses propres programmes nationaux, le Pakistan continuera d’être un partenaire clé pour nous, par exemple en répondant à notre offre de faire venir des réfugiés au Canada et en fournissant des services. Nous travaillons également avec le gouvernement pakistanais pour trouver comment nous pouvons soutenir les femmes et les filles afghanes en dehors de l’Afghanistan. Il n’en demeure pas moins que la pression humanitaire exercée sur le Pakistan par le grand nombre de réfugiés afghans constituera toujours un défi interne de taille pour le gouvernement.

Le sénateur Richards : Je vous remercie.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie encore une fois de votre présence. Vous avez mentionné les 143 millions de dollars que le Canada a versés. Pouvez-vous nous donner une idée de la façon dont cet argent est acheminé et de l’endroit où il est censé aller? Comment évite-t-on qu’il soit intercepté en cours de route?

M. Epp : Avec plaisir. Je souhaite simplement avertir ma collègue Mme Birnbaum, qui est la véritable experte, que je ferai appel à elle pour étoffer le sujet.

Les 143 millions de dollars de fonds humanitaires constituent une tranche, et nous pouvons parler de cela. Pour donner un exemple concret, en positionnant ce soutien en amont et en travaillant avec les agences des Nations unies sur le terrain, lorsque des tremblements de terre se produisent à Herat, nous n’avons pas besoin de passer par un régime pour obtenir des permissions et des autorisations. La réponse peut être rapide. En fait, nous aidons déjà les victimes de ce tremblement de terre.

En ce qui concerne les aides bilatérales, elles s’élèvent à environ 70 millions de dollars pour la même période. En gros, le montant est réparti en trois catégories : la santé, l’éducation, et les femmes et les filles. Madame Birnbaum, j’aimerais que vous nous donniez une idée concrète des projets et du type de partenaires que nous avons.

Alice Birnbaum, directrice adjointe, développement, programme de l’Afghanistan, Affaires mondiales Canada : Certainement. Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité. Comme l’a dit M. Epp, nous travaillons principalement dans les domaines de la santé, de l’éducation, des droits des femmes et des filles et de l’autonomisation. Dans le secteur de l’éducation, par exemple, nous avons pu soutenir l’éducation communautaire qui, comme son nom l’indique, implique la création de petites écoles de proximité. C’est une façon de permettre aux filles et aux jeunes enfants d’aller à l’école sans avoir à s’éloigner de leur domicile.

Nous avons pu contourner certaines des restrictions imposées par les talibans, car, comme l’a mentionné M. Epp, plus on s’éloigne de Kandahar, plus il y a de talibans modérés qui reconnaissent l’importance d’éduquer les filles, entre autres choses. Ils collaborent et coopèrent avec nos partenaires sur le terrain pour permettre la poursuite de ce type d’activités.

C’est un exemple dans le secteur de l’éducation, mais votre question portait sur les 143 millions de dollars d’aide humanitaire. Je vais peut-être m’adresser à ma collègue Mme Carney, qui gère cet aspect des choses.

Tara Carney, directrice, Assistance humanitaire internationale, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie de la question. En ce qui concerne l’aide humanitaire, nous veillons à travailler avec des partenaires qui ont mis en place des mécanismes leur permettant de fournir une aide et d’adapter cette aide en fonction de l’évolution de la situation. Cela implique en partie un positionnement en amont, mais aussi le choix de partenaires issus du système des Nations unies, comme le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires. Ces questions relèvent de leurs compétences, alors ils sont capables de travailler dans ce cadre. Lorsque nous choisissons des ONG partenaires, nous choisissons des partenaires qui ont établi des relations et des liens au sein de la communauté et qui sont par conséquent réellement en mesure de fournir l’aide adéquate. Nous ne donnons de l’argent qu’à des partenaires à qui nous faisons confiance, ce qui nous permet de nous assurer qu’ils connaissent nos priorités et qu’ils les respectent. Il s’agit pour eux de trouver des moyens d’intégrer des femmes dans leurs effectifs sans enfreindre les règles, mais cela peut varier selon les régions. Encore une fois, c’est une capacité d’adaptation que nous voyons en Afghanistan et que nous ne recherchons pas nécessairement partout ailleurs. Il reste que ce sont des partenaires qui ont bâti leur organisation en fonction de cet ensemble de compétences.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre présence.

Les organismes humanitaires qui œuvrent actuellement en Afghanistan ont récemment annoncé qu’elles allaient devoir réduire certains services en raison d’un manque de financement. Le Comité international de la Croix-Rouge et le Programme alimentaire mondial en sont des exemples.

Sommes-nous arrivés à un point où nous devons repenser notre politique? Devons-nous, peut-être, amorcer une sorte d’interaction directe avec les talibans? Historiquement, nous avons utilisé des intermédiaires honnêtes, comme le gouvernement qatari, pour ouvrir les communications, mais sommes-nous arrivés à un point où, si nous continuons à nous isoler diplomatiquement du régime taliban, nous laisserons la population afghane plus vulnérable que jamais?

M. Epp : C’est une bonne question. D’une certaine manière, dans ce dossier, c’est une question à un million de dollars, un questionnement très valable. C’est une question qui reviendra sans arrêt, et il n’y a pas de réponse unique.

Je dirais — et vous connaissez la position du gouvernement, mais je vais la répéter pour les besoins du compte rendu —, bref, je dirais que nous ne reconnaissons pas l’autorité de facto des talibans sur l’Afghanistan, et nous continuons de croire que seul un processus politique mené par les Afghans peut réellement aboutir à une forme de gouvernance inclusive, réelle et stable pour le peuple afghan.

Nous n’en sommes pas là aujourd’hui, et il est vrai, comme nous l’avons déjà expliqué, qu’en dépit de l’autorité de facto des talibans, nous avons toujours la possibilité d’atteindre les communautés dans lesquelles nous avons investi en tant que pays — avec les organisations, gouvernementales et autres — depuis de nombreuses années maintenant. Il faut en quelque sorte garder la bougie allumée. Cette possibilité demeure, et notre capacité à continuer à travailler de manière significative par l’intermédiaire de la Fondation Aga Khan ou les agences onusiennes demeure.

Sauf que sur le plan politique, tant que nous n’aurons pas en face de nous un parti prêt à reconnaître les droits les plus fondamentaux de plus de 50 % de la population, ce ne sera pas chose facile. Le gouvernement du Canada n’a pas pour politique de changer de position et n’a pas l’intention de reconnaître ou de légitimer les talibans de quelque manière que ce soit.

Cette politique pourrait changer, et la question continuera d’être posée pour de bonnes raisons, mais, à l’heure actuelle, le Canada n’a nullement l’intention de s’orienter vers cette position.

Le sénateur Ravalia : Dans le contexte d’un monde aux prises avec plusieurs crises — pardon, je cite l’intervenant précédent — et d’un nombre important de nos ressources consacrées à d’autres conflits en cours à l’échelle mondiale, avons-nous la capacité de combler certaines lacunes lorsque nous constatons une diminution de l’aide humanitaire apportée par diverses organisations internationales en Afghanistan?

M. Epp : En ce qui concerne la contribution que le Canada apporte, il est important, de mon point de vue et du point de vue du Canada, d’examiner non seulement la quantité d’aide nécessaire, mais aussi — comme vous l’avez dit, sénateur — les lacunes. Vous posez la bonne question, et cette conversation est continue.

L’une des lacunes auxquelles le Canada a réagi rapidement, en tant que pays et nation, et qu’il a été en mesure de combler en grande partie — bien que ce processus soit toujours en cours —, c’est le rapatriement des Afghans qui risquent de rester en Afghanistan, et la mise en place de voies d’accès permanentes pour les Afghans qui peuvent quitter leur pays pour venir au Canada.

Bien sûr, nous avons de nombreux partenaires qui contribuent aux résultats humanitaires — d’autres partenaires proviennent même du G7 ou de la région —, mais ils n’ont pas pour habitude ou pour politique d’accueillir le nombre de réfugiés que le Canada admet, ou ils n’offrent pas d’autres voies d’accès.

En tant que citoyens de notre pays, si nous considérons la situation dans son ensemble, nous constatons que le Canada a déjà apporté une contribution considérable dans certains secteurs — en étant le septième ou le dixième donateur à l’heure actuelle —, mais aussi en faisant d’autres choses que ses partenaires ne peuvent pas faire, comme utiliser nos programmes d’immigration et de réinstallation des réfugiés pour combler certaines de ces lacunes.

Le sénateur Woo : Bonjour.

Comme corollaire à la question du sénateur Ravalia, pouvez‑vous nous donner une idée des forces qui s’opposent aux talibans, tant à l’intérieur de l’Afghanistan qu’au sein du gouvernement en exil à l’extérieur de l’Afghanistan, et des possibilités qu’un groupe de ces forces anti-talibans réalise quelque progrès que ce soit en vue non pas de « revenir au pouvoir », car c’est une idée trop vaste, mais plutôt d’apporter des changements en Afghanistan?

M. Epp : Je vous avouerai rapidement que je ne serai pas en mesure de vous fournir beaucoup d’informations à ce sujet. Je peux vous dire que les discussions en cours ici à Ottawa, ainsi que par l’intermédiaire de notre représentant spécial, David Sproule, continuent d’écouter ces signaux précoces et de dresser la carte de leur emplacement. Notre représentant spécial a récemment rencontré d’autres membres du G7 pour discuter d’approches communes, non seulement à l’égard des talibans, en tant que tels, qui se trouvent en Afghanistan, mais aussi à l’égard des questions à long terme telles que « Que faire ensuite? » ou « Quand? ». Cela restera, bien sûr, un domaine d’intérêt très actif.

Mais pour l’instant, même en tenant compte des voisins les plus proches — qu’il s’agisse de la Chine, du Pakistan ou de la Russie —, nous ne voyons aucun signe indiquant que les plus grands partenaires et voisins de l’Afghanistan entreprennent une quelconque diplomatie qui permettrait de changer le régime en Afghanistan. Il est difficile d’imaginer un scénario dans lequel ce changement pourrait se produire sans que des pressions soient exercées — non pas par Ottawa, mais par Pékin, Islamabad, Moscou, Ankara ou une autre capitale plus proche.

Le sénateur Woo : Je poursuivrai en posant une question concernant la représentation diplomatique de l’Afghanistan dans le monde et en demandant si les talibans progressent en remplaçant les représentants de l’ancien régime déchu par des représentants de la nouvelle direction.

M. Epp : À cet égard, nous croyons comprendre que, dans certains bureaux du monde entier, il y a eu une sorte de passation des pouvoirs qui a permis aux talibans de remplacer des membres de la république qui existait avant la prise de pouvoir à Kaboul. Ce n’est pas le cas au Canada — je vous l’assure —, mais il semble que ce processus soit en cours.

Je vérifierai, car certains de mes collègues pourraient avoir des renseignements sur l’ampleur de ces changements, mais il est vrai que ce processus est en cours.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie tous de votre présence.

Au cours du sommet des Nations unies de 2023, il a été souligné que l’Afghanistan était désormais le pays le plus rétrograde du monde en matière de droits des femmes et que deux tiers de la population avaient besoin d’une aide humanitaire pour survivre. Nous savons tous que de grandes craintes existent en ce qui concerne les fonds envoyés pour l’aide humanitaire qui sont détournés à des fins talibanes.

En ce qui concerne l’aide humanitaire apportée par le Canada, comment nous assurons-nous que l’argent envoyé parvient effectivement aux personnes dans le besoin? Avons-nous un moyen de déterminer quel pourcentage de ces fonds constitue une fuite de fonds?

La partie subséquente de ma question est la suivante : quel est le rôle du système de transfert d’argent hawala en Afghanistan? Quel est le rôle des transferts de fonds du système hawala en Afghanistan, ainsi que leur lien avec l’aide humanitaire et la manière dont ils peuvent contribuer à certaines de ces difficultés?

M. Epp : J’aimerais demander à ma collègue, Mme Carney, de répondre à cette question. Elle est responsable de l’assistance humanitaire internationale.

Mme Carney : Je vous remercie de votre question. C’est une bonne question, car nous devons toujours être très prudents lorsque nous travaillons dans des contextes en matière de détournement qui sont parmi les plus difficiles du monde. Notre première ligne de défense contre les détournements, c’est que nous ne travaillons qu’avec des partenaires de confiance expérimentés.

Les accords que nous avons conclus avec ces partenaires sont solides et prévoient tous les plans d’urgence dès le départ. Le Programme alimentaire mondial et l’UNICEF avec lesquels nous travaillons comprennent qu’il s’agit d’une préoccupation des donateurs — du Canada et d’ailleurs. C’est un élément que les donateurs recherchent. Cela ne veut pas dire que cette entreprise ne comporte aucun risque, mais toutes les interactions qui ont lieu font l’objet d’un suivi rigoureux et de mesures d’atténuation importantes.

En ce qui concerne les fuites de fonds, bien qu’il puisse y en avoir, ces organisations sont tenues de rendre des comptes au sein de leurs propres institutions — où nous sommes habituellement membres des conseils de gouvernance — et elles sont également tenues de nous rendre des comptes en cas de fraude, de criminalité ou de détournement découvert dans les programmes.

Pour être très franche, nous n’observons pas un plus grand nombre de ces problèmes en Afghanistan que dans la plupart des autres contextes, et ce, parce que ces mécanismes sont assez robustes, étant donné que les préoccupations sont très bien notées.

Cela dit, l’autre élément qui entre en jeu est le projet de loi C-41 — tel qu’il a été adopté —, lequel reconnaît également que, pour être en mesure de fournir une aide humanitaire, certaines interactions auront lieu en raison de la nécessité de travailler avec les populations. Il ne s’agit en aucun cas d’un financement du terrorisme. Il s’agit simplement d’un autre aspect auquel nos partenaires prêtent attention, dans le cadre de la mise en œuvre et du suivi diligent de ces programmes.

Le sénateur Kutcher : Le rôle que le système hawala de transfert de fonds joue en Afghanistan est-il lié à ces éléments?

Mme Carney : La question du système hawala fait partie de la situation humanitaire. Dans un premier temps, nos partenaires du secteur humanitaire essaieront toujours d’acheminer les fonds par des moyens traditionnels. Dans un contexte comme celui de l’Afghanistan, cela devient difficile lorsque, dans certains cas, les systèmes bancaires officiels présentent un risque plus élevé. Je précise encore une fois que, compte tenu de la diligence qui sera requise, ces types de transfert de fonds ne sont pas utilisés à la légère, et ils ne sont pas utilisés dans le cadre de partenariats qui ne sont pas solides ou qui n’existaient pas auparavant.

Il s’agit d’un élément du tableau d’ensemble visant à garantir que les fonds nécessaires — pour les deux tiers de la population qui ont besoin d’une aide humanitaire — puissent effectivement être acheminés pour fournir cette aide.

Le sénateur Kutcher : Je ne suis pas sûr que vous ayez répondu à ma question. Nous savons que le système hawala ne peut être surveillé, alors comment pouvons-nous savoir si l’aide humanitaire canadienne est réellement acheminée là où elle doit l’être, si elle passe par le système hawala — ce qui est incontournable?

Mme Carney : Pour être claire, je précise que nos partenaires sont tenus de rendre compte de chaque dollar qu’ils dépensent et de la manière dont il a été utilisé. Nous sommes convaincus qu’ils nous rendront des comptes de la manière dont l’argent que nous donnons a été distribué.

Le président : Je vous remercie de vos interventions. Je pense pouvoir m’exprimer au nom de mes collègues assis à la table pour dire que, ces derniers temps, le nombre de courriels et de demandes que nous recevons de citoyens afghans qui se trouvent en Afghanistan ou, dans certains cas, au Pakistan ou dans d’autres parties du monde a diminué. Nous n’en recevons plus autant, mais nous en avons reçu beaucoup pendant longtemps.

Je sais qu’Affaires mondiales Canada a également mis en place un groupe de travail après l’effondrement du gouvernement en Afghanistan. Nous n’accueillons pas aujourd’hui de représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, mais les employés de ce ministère ont fait la même chose. Nous avons reçu, et je continue de recevoir, des messages d’Afghans qui, d’une manière — peut-être ténue — ou d’une autre étaient liés aux opérations canadiennes à l’époque où nous étions très présents là-bas, que ce soit par l’intermédiaire des Forces armées canadiennes, de projets de développement, d’un travail avec d’autres partenaires, ou peut-être dans le cadre de projets plus importants où d’autres donateurs travaillaient avec nous.

J’aimerais avoir une idée de la situation actuelle. Ce programme progresse-t-il toujours? Disposez-vous toujours d’un groupe de travail, et quel est le pronostic?

Monsieur Epp, cette question est pour vous, je pense.

M. Epp : Merci, monsieur le président. J’ai quelques réponses rapides à vous donner, mais par la suite, je vous en dirai un peu plus.

Premièrement, oui, nous avons toujours une équipe spéciale, qui travaille au sein de ma direction générale. Elle s’est engagée à gérer le processus de renvoi — qui est en cours — dans le cadre de ce que l’on appelle le Programme de mesures spéciales en matière d’immigration. Lorsque nous recevons des demandes de participation à ce programme, la contribution de notre équipe — pour Affaires mondiales Canada et le ministère de la Défense nationale — au processus du ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté consiste à faire le travail en amont avant qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada n’envoie une invitation à présenter une demande. Nous faisons preuve de diligence raisonnable en vérifiant et en comprenant, lorsque nous le pouvons, ce lien, même s’il est ténu — et nous fournissons les informations à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Ce travail se poursuit.

Au cours de ce processus, ces renvois font partie des autres sources de renvois qui ont permis au gouvernement de respecter son engagement de réinstaller 40 000 personnes, y compris les renvois du Programme de mesures spéciales en matière d’immigration.

Cette équipe continue de travailler. Il est vrai que nous recevons encore et toujours des manifestations d’intérêt, et que celles-ci sont toujours en cours de traitement.

Le travail visant à répondre à ces manifestations d’intérêt dans les programmes offerts par le gouvernement du Canada — et aussi à travailler au sein de notre réseau en Afghanistan et du réseau canadien de personnes en contact avec les Afghans en Afghanistan et à l’extérieur du pays, afin de fournir d’autres voies de passage sûres vers le Canada — est en cours. Ce travail est très actif, et nous organisons régulièrement des réunions de coordination avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et d’autres partenaires. Ils dirigent le projet, mais nous y participons très activement.

Le président : Existe-t-il une coordination avec d’autres pays et d’autres gouvernements? Dans de nombreux cas, les gens feront part de leur intérêt à d’autres personnes également.

M. Epp : Oui, c’est vrai. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos proches alliés, comme le gouvernement américain, pour atteindre nos propres objectifs et les leurs. Nous avons travaillé avec d’autres partenaires, mais nous travaillons également avec des pays qui ne sont pas nécessairement des alliés proches, mais qui sont touchés par ces flux d’émigrants, dont le Pakistan, les Émirats arabes unis et d’autres pays. Dans certains cas, ces pays accueillent d’importantes populations de ressortissants afghans qui sont dans l’incertitude, et nous travaillons donc avec ces gouvernements.

Je n’ai fait qu’un seul voyage dans la région cette année, mais c’était au Pakistan avec mon collègue d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, plus précisément pour participer à deux jours de réunions très intenses avec le gouvernement pakistanais. D’une certaine manière, même s’il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan du nombre de réfugiés afghans qui résident au Pakistan, il est également dans l’intérêt du gouvernement pakistanais et de certains gouvernements de la région de collaborer avec le Canada — qui est l’un des pays qui facilitent le plus activement la poursuite de leur voyage vers leur pays. Nous continuons à chercher des moyens de travailler avec eux pour atteindre nos propres objectifs politiques, mais aussi pour répondre à leurs préoccupations.

Le président : Je vous remercie beaucoup de vos réponses.

Le sénateur Richards : Je me demande simplement si le monde a décidé de fermer les yeux sur ce qui se passe en Afghanistan. Je sais que vous parlez d’aide humanitaire et de tout cela, mais les choses qui se passent en Afghanistan sont atroces, et nous savons qu’elles sont atroces — la moitié de la matière grise en Afghanistan ne peut pas être utilisée, et nous le savons.

Nous avons passé 20 années à combattre là-bas — à participer à une occupation horrible qui n’a pas fonctionné —, et je me demande si un facteur de fatigue n’est pas intervenu, si les gens n’ont pas tout simplement tourné les talons.

Je sais que vous ne savez probablement pas ce qu’il en est pour tout le monde, mais pouvez-vous me donner une idée de l’état d’esprit des gens?

M. Epp : Il est très important de continuer à poser cette question, car c’est l’une de nos préoccupations. Nous sommes tous préoccupés par le fait que — les multiples crises qu’un autre sénateur a mentionnées plus tôt — les pressions exercées sur les gouvernements pour qu’ils affrontent des problèmes naissants ailleurs nous décontenancent ou détournent notre attention de ce qui était, pour le Canada, un investissement majeur et un engagement de longue date envers le peuple afghan.

Je dirais que ce n’est pas le cas pour le Canada, et je dis cela non seulement en tant que fonctionnaire du gouvernement, mais aussi en tant que fonctionnaire d’un gouvernement qui constate continuellement l’intérêt prêté par les Canadiens, les anciens combattants, les membres de notre communauté non gouvernementale, les anciens diplomates et la vaste communauté de Canadiens, indépendamment de la diaspora, qui continuent de s’intéresser de près à ce qui se passe en Afghanistan. Il s’agit là, à mon avis, d’un élément puissant et remarquable qu’il nous appartient de mettre à profit pour maintenir l’attention non seulement des Canadiens, mais aussi du monde entier sur ces questions.

C’est la raison pour laquelle, à titre d’exemple, la ministre Joly a jugé important d’utiliser la plateforme de la semaine des rencontres de haut niveau des Nations unies et les événements qui l’entourent pour attirer l’attention sur cet enjeu — parmi les nombreux sujets sur lesquels notre ministre des Affaires étrangères aurait pu choisir de se concentrer. Je l’ai accompagnée dans de nombreuses réunions bilatérales avec des pays de la région ou des pays à majorité musulmane, qui devraient continuer à y prêter attention. C’est un sujet de conversation régulier — y compris avec des partenaires proches qui travaillent avec le Canada, comme l’Indonésie — pour permettre aux gens qui sont à l’extérieur de l’Afghanistan d’examiner les moyens de remédier à certaines des difficultés qu’affrontent les femmes afghanes, même si nous ne pouvons pas le faire à l’intérieur du pays.

Je prends donc ce commentaire et cette question à cœur, et je pense que c’est une question que nous nous posons. Mais je pense que, dans l’ensemble, le Canada prête toujours attention directement à l’Afghanistan. Je pense que le défi que nous devrons relever consistera à continuer à travailler avec d’autres pays afin que cela reste le cas.

Le sénateur Richards : Merci.

Le président : Avant de donner la parole à la sénatrice Deacon et au sénateur Kutcher, j’aimerais poser une question. Elle est peut-être un peu injuste.

Certains acteurs mondiaux très importants ne se situent pas exactement à la périphérie. Lorsque j’ai rejoint le service extérieur, il y a de nombreuses années, il y avait une entité qui s’appelait l’Union soviétique. L’Union soviétique est allée en Afghanistan et n’a pas obtenu de très bons résultats. Elle y est restée longtemps. Bien entendu, la Chine est une puissance mondiale de plus en plus importante sur le plan stratégique.

Avez-vous des commentaires à faire sur la situation actuelle en Afghanistan et sur le rôle que joueront ces deux grandes puissances à l’avenir? Il ne s’agit évidemment plus de l’Union soviétique, mais de la Fédération de Russie — la Russie — et la Chine.

M. Epp : C’est une excellente question, monsieur le président, dans le sens où je pense que, actuellement, les pays que vous avez mentionnés regardent principalement l’évolution de la situation en Afghanistan sous l’angle de la stabilité — qui est évidemment différent de l’angle adopté par le Canada — et pas sous l’angle des valeurs, ou même des valeurs internationales ou universelles relatives aux droits de la personne.

Cette perspective s’accompagne d’un certain nombre d’éléments : tout d’abord, dans le passé, ces deux pays ont vu dans l’Afghanistan un certain degré de risque pour la sécurité de leurs propres intérêts, et ils y ont répondu de différentes façons au fil des années. Ces risques diffèrent nettement entre ces deux pays, mais ils persistent. Il y a des préoccupations quant au maintien de la stabilité, mais aussi quant à la question de savoir qui assure la stabilité et ce qu’ils font en Afghanistan qui pourrait nuire à la sécurité de l’autre côté de la frontière dans ces deux pays.

Deuxièmement, il y a un intérêt assez évident à ce que la stabilité permette de développer davantage les opportunités économiques de ces pays, comme l’accès aux minéraux critiques et l’accès au développement économique des produits de base en Afghanistan dont ils pourraient bénéficier. Ces deux pays et les membres du P5 ont donc de plus en plus d’intérêts en Afghanistan. Il fut une période où de nombreux pays occidentaux étaient également tout à fait en mesure de travailler en Afghanistan et avec le gouvernement afghan, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a un vide, mais ce vide est également associé à un enjeu, et nous devons réfléchir de manière très créative à la façon dont nous pouvons maintenir le dialogue — disons — avec au moins l’un de ces deux pays, à ce stade, d’une manière qui tienne compte de leurs intérêts et qui cerne les façons dont ces intérêts se chevauchent.

C’est peut-être une façon indirecte de répondre à une question délicate. Je pense que la situation est fondamentalement différente de ce qu’elle était auparavant. Nous pourrions toutefois commettre une erreur en ne prêtant pas une attention particulière aux raisons pour lesquelles les décideurs de Moscou et de Pékin voient un avantage, si vous voulez, à assurer la stabilité à leur frontière, et en n’étudiant pas la façon dont ils développent leurs propres intérêts nationaux dans cette optique.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice M. Deacon : Cette question est peut-être délicate, mais je suis très curieuse de connaître votre point de vue — et je sais que je fais peut-être référence à un autre domaine d’activité du gouvernement dont nous parlons — sur l’importance de l’oubli et sur la façon dont le langage est utilisé de diverses manières. Je reviens à ce qu’a dit mon collègue, le sénateur Richards.

Lorsque le Canada a accepté de faire venir des Afghans, il a fixé un chiffre cible. Nous l’avons tous entendu. Nous ne sommes pas prêts d’atteindre ce chiffre. Il nous reste beaucoup de personnes à faire venir. En outre, il y a des difficultés, c’est certain. Je peux parler d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, mais je n’essaie pas de choisir un secteur en particulier. Cependant, il a été très difficile de donner aux gens de cette région qui viennent au Canada les choses dont ils ont besoin. J’ai travaillé avec plus de 100 familles sur une période de 18 mois. J’ai essayé de comprendre quels étaient les obstacles et ce qui rendait cette situation unique par rapport à l’Ukraine et à d’autres.

Ma question est la suivante : de votre point de vue — du point de vue du Canada — sommes-nous toujours aussi ambitieux et essayons-nous encore d’atteindre les objectifs initiaux pour ce qui est du nombre de personnes que nous voulons faire venir au Canada?

M. Epp : Pour répondre simplement, je dirais que oui. Selon les renseignements dont je dispose, madame la sénatrice, le Canada est très près d’atteindre un jalon, non pas « le » jalon, mais « un » jalon, de ses efforts visant à réinstaller 40 000 Afghans vulnérables. Cet engagement reste l’un des plus importants au monde et demeure ambitieux. L’objectif était d’y parvenir avant la fin de 2023. Là encore, je pense que nous n’en sommes pas loin. Ce programme est toujours actif et ouvert, et nous avons discuté de la manière dont nous pouvons coordonner les activités d’Affaires mondiales Canada et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour atteindre cet objectif.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada devra indiquer quelles sont les prochaines étapes, mais nous savons que d’autres catégories d’Afghans continueront de bénéficier de voies d’accès. Ce programme vise plus particulièrement les personnes qui ont un lien avec le Canada et qui se trouvent encore en Afghanistan ou qui l’ont fui. Toutefois, d’autres Afghans et d’anciens Afghans pourront continuer de venir s’installer au Canada par d’autres voies. Comme je l’ai dit précédemment, l’un des domaines les plus remarquables de l’ambition que le Canada apporte à l’équation et que d’autres pays ne peuvent pas apporter, est l’offre d’un pays accueillant aux personnes qui n’ont nulle part où aller.

Je dirais que dans le cadre de ce programme, nous approchons de ce jalon, qui est très ambitieux pour n’importe quel gouvernement dans le monde. L’engagement continu, qui est plus important que tout ce que nous puissions faire en Afghanistan, reste pertinent.

Le président : Sénateur Kutcher, vous allez poser la dernière question.

Le sénateur Kutcher : Depuis des siècles, la génération de richesse en Afghanistan repose en grande partie sur la production d’héroïne. Lorsque les talibans ont pris le pouvoir, on pensait qu’ils allaient s’attaquer au problème, mais ils ne l’ont pas fait. Ils sont aujourd’hui des exportateurs mondiaux d’héroïne.

Comment le Canada répond-il à la production et à l’exportation d’héroïne à l’échelle mondiale? Collaborons-nous avec nos alliés? Quel type d’application de la loi devons-nous envisager? Comment surveillons-nous la distribution de l’héroïne par les cartels depuis l’Afghanistan? Quelle part de cette héroïne aboutit au Canada?

M. Epp : J’avoue volontiers que je ne suis pas en mesure de répondre à certaines des sous-questions. Pour ce qui est de la quantité qui finit au Canada, je m’en remettrai à mes collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada ou autres. Je ne veux pas prétendre que j’ai la réponse.

J’ai toutefois quelques notes liées à votre question. Je vais y jeter un coup d’œil, et je vais également demander à Mme Birnbaum de s’exprimer à ce sujet parce qu’elle est la cheffe des programmes de développement, qui abordent, ou encouragent, le remplacement de la production d’héroïne. Comme vous le savez, sénateur, cela faisait partie des programmes en cours jusqu’à ce que les talibans reprennent l’Afghanistan. Évidemment, les choses sont ensuite devenues beaucoup plus difficiles.

Pour ce qui est du Canada et de ses partenaires, nous avons parlé plus tôt du type de programme que nous pourrions mettre en œuvre, malgré les restrictions générales imposées à notre engagement avec les talibans. L’un des critères permettant d’examiner très attentivement ce que le programme fait ou ne fait pas est la nécessité d’éviter de participer à des activités illégales, criminelles et portant atteinte aux droits de la personne. Je sais que cela reste un sujet de préoccupation.

Madame Birnbaum, avez-vous quelque chose de particulier à ajouter sur le remplacement de la production d’héroïne grâce aux programmes de nos partenaires?

Mme Birnbaum : Merci, monsieur le président et monsieur le sénateur. Je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet. La plus grande partie de notre programme bilatéral va à un fonds multilatéral appelé l’Afghanistan Resilience Trust Fund, qui compte un certain nombre de sous-projets dans plusieurs secteurs, y compris l’agriculture et la sécurité alimentaire. La majeure partie du financement canadien qui va à ce fonds se concentre en fait sur le projet lié à la santé et un peu sur l’éducation. Toutefois, dans la partie liée à la sécurité alimentaire et aux moyens de subsistance de ce fonds, on travaille sur cette question pour renforcer la capacité des agriculteurs locaux à choisir d’autres cultures.

Le sénateur Kutcher : Nous savons que cela ne fonctionne pas, et nous savons également qu’une grande quantité de l’héroïne provient de l’Afghanistan. Que fait le Canada pour faire face au flot d’héroïne en provenance d’Afghanistan? Travaillons-nous avec nos alliés pour lutter contre ce flux? Traitons-nous la question des cartels? Nous savons tous où se trouvent les itinéraires de contrebande. Comment cela fonctionne-t-il?

M. Epp : Je serais heureux de demander à nos collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada de nous parler de leur coopération internationale sur le terrain. Je sais que c’est l’un des nombreux thèmes sur lesquels notre représentant spécial, David Sproule, travaille avec d’autres représentants spéciaux, dont beaucoup se trouvent à Doha. C’est parce que nous n’avons pas de présence diplomatique sur le terrain qu’ils sont proches. D’autres pays partenaires continuent d’avoir des conversations avec le régime taliban — bien que nous ne le fassions pas de manière régulière — afin d’examiner les questions susceptibles d’attirer ceux-ci.

En ce qui concerne l’application de la loi proprement dite, comment pouvons-nous essayer d’obtenir ce résultat sans disposer d’une trousse d’outils actifs? Nous n’avons pas d’engagement actif direct avec le régime taliban, et nous ne voudrions pas non plus leur fournir des fonds par l’entremise de leurs services de sécurité.

Il s’agirait donc essentiellement d’une intervention menée hors des frontières pour lutter contre la contrebande, etc., et je m’en remettrais à mes collègues de l’Agence des services frontaliers du Canada en particulier.

Le président : Je vous remercie. Notre temps est écoulé. Au nom du comité, j’aimerais donc remercier nos témoins d’Affaires mondiales Canada, soit Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Indo‑Pacifique; Tara Carney, directrice, Assistance humanitaire internationale; et Alice Birbaum, directrice adjointe, Développement, Programme de l’Afghanistan. Je vous remercie de vous être joints à nous. Ce fut un aperçu très complet. Nous nous pencherons à nouveau sur la question de l’Afghanistan — en fait, ce sera demain — mais cette séance nous a beaucoup aidés dans notre étude.

(La séance est levée.)

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