LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2024.
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.
[Traduction]
Andrea Mugny, greffière du comité : Honorables sénateurs et sénatrices, à titre de greffière du comité, j’ai le devoir de vous informer de l’absence involontaire du président et du vice‑président et, par conséquent, que je vais devoir présider à l’élection d’un président suppléant ou d’une présidente suppléante. Je suis prête à recevoir une motion à cette fin.
Le sénateur MacDonald : Je pensais que nous l’avions fait hier, mais j’imagine que ce n’était pas officiel. Je propose que la sénatrice Boniface occupe le fauteuil pour la réunion.
Mme Mugny : Merci, sénateur MacDonald.
Quelqu’un veut-il proposer quelqu’un d’autre?
D’accord. L’honorable sénateur MacDonald propose que l’honorable sénatrice Boniface occupe le fauteuil. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Mme Mugny : Bienvenue. J’invite la sénatrice Boniface à occuper le fauteuil.
La sénatrice Gwen Boniface (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Honorables sénateurs et sénatrices, la séance est ouverte. Je suis Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario.
Avant de commencer, j’ai le devoir de rappeler à tous les sénateurs et aux participants à la réunion les importantes mesures préventives suivantes:
Pour prévenir les incidents de rétroaction acoustique potentiellement nuisibles, qui peuvent perturber nos travaux et causer des blessures, nous rappelons à tous les participants présents en personne de garder leur oreillette loin des micros en tout temps.
Comme l’a indiqué le Président dans son communiqué envoyé à tous les sénateurs et à toutes les sénatrices le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises afin d’aider à prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit grandement le risque de rétroaction acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. Veuillez n’utiliser que les oreillettes noires approuvées. Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées seront débranchées au début de la réunion.
Si vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer à l’envers au milieu de l’autocollant que vous voyez devant vous sur la table, comme cela est indiqué sur l’image. Veuillez lire la carte sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents de rétroaction acoustique.
Aussi, assurez-vous d’avoir choisi vos places de manière à augmenter la distance entre les micros. Les participants doivent brancher uniquement leur oreillette sur la console de microphone située directement devant eux.
Ces mesures ont été mises en place afin que nous puissions faire notre travail sans interruption et pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris nos interprètes.
Je vous remercie de votre coopération. J’inviterais maintenant les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec
[Traduction]
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
La présidente suppléante : Merci. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tout le monde ainsi qu’à tous ceux et celles qui nous regardent peut-être sur ParlVU.
Chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour poursuivre notre étude spéciale sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, Mme Judith McCallum, directrice exécutive de L’Institut de La vie et Paix; et M. Thomas Kwasi Tieku, professeur titulaire de politique et de relations internationales, Collège de l’Université King’s de l’Université Western Ontario.
Merci à vous deux d’avoir pris le temps de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons écouter vos déclarations, puis nous passerons aux questions, mais d’abord, je demanderais à tous ceux ici présents de bien vouloir mettre leur appareil en sourdine.
Nous sommes prêts à écouter vos déclarations, et ensuite les sénateurs et sénatrices auront des questions pour vous. Nous allons commencer aujourd’hui par Mme Judith McCallum, et ensuite ce sera à M. Thomas Kwasi Tieku.
Madame McCallum, vous avez la parole.
Judith McCallum, directive exécutive, L’Institut de La vie et Paix : Merci, honorables sénatrices et sénateurs, et merci de me donner la merveilleuse occasion de m’adresser à vous depuis la Suède. Ces trois dernières années, j’ai travaillé sur des dossiers concernant la paix et la sécurité en Afrique, tout particulièrement dans la Corne de l’Afrique et dans la région des Lacs africains. Pendant tout ce temps, j’ai eu le privilège de collaborer avec des organismes canadiens, comme l’Agence canadienne de développement international, l’ACDI; le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI; Affaires mondiales Canada; et, présentement, le Programme pour la stabilisation et les opérations de paix, le PSOP.
L’Institut de La vie et Paix a pour but de transformer les conflits qui affectent les différentes couches de la société, c’est-à-dire des collectivités, des régions subnationales, des nations, des régions entières et même le monde entier. C’est en travaillant de manière cohérente, dans toutes ces diverses strates, que nous avons la possibilité d’améliorer les efforts communautaires, et ce, grâce à des modifications des politiques stratégiques.
Malgré les grands défis sur lesquels les médias mettent souvent l’accent, il existe de nombreuses occasions où le Canada peut s’engager à l’égard de la paix et de la sécurité en Afrique. Dans le cadre de notre travail, nous avons, par exemple, mobilisé la jeunesse relativement à certains enjeux de paix et de sécurité. Cela peut mener à des solutions innovatrices et efficaces.
Malheureusement, la jeunesse africaine est souvent dépeinte sous un éclairage négatif. Malgré tout, nous avons vu, dans le cadre de notre travail auprès de la société civile, que la jeunesse peut jouer des rôles cruciaux dans la promotion de solutions non violentes pour la paix. Par exemple, des comités de résistance soudanais ont encouragé des actions non violentes durant la révolution au Soudan, et, actuellement, les salles d’urgence du Soudan qui comblent les lacunes critiques durant la crise en cours. Nous avons aussi travaillé avec des jeunes du Kenya pour éviter qu’ils ne soient manipulés par les politiques durant le processus électoral et qu’ils encouragent plutôt des actions non violentes dans leurs collectivités.
Présentement, nous soutenons divers groupes de jeunes, en Somalie, afin qu’ils mettent à profit leur créativité et leur esprit d’innovation pour promouvoir la paix dans leurs collectivités et qu’ils participent activement aux processus nationaux, par exemple, le cadre de réconciliation nationale.
La jeunesse africaine a un esprit d’innovation et de créativité incroyable, qui lui permet de relever les défis. Par exemple, des jeunes des bidonvilles de Nairobi ont conçu une trousse d’outils pour la résilience face aux conflits, fondée sur leurs propres expériences. Nous utilisons cette trousse d’outils et l’avons montrée dans d’autres contextes, en Afrique, mais aussi dans d’autres parties du monde, comme en Suède.
La politique étrangère féministe du Canada lui donne un avantage important pour ce qui est de promouvoir la place des femmes dans les efforts de paix et de sécurité en Afrique. Il faut des approches inclusives pour assurer une paix et une sécurité durables, et il faut veiller à ce que les gens les plus touchés par les conflits et la violence soient au centre des interventions. Nous avons de plus en plus de données sur l’importance des rôles positifs des femmes dans la consolidation de la paix et la gestion des conflits, y compris les processus de médiation.
Dans un récent projet réalisé à Oromia, en Éthiopie, et appuyé par le PSOP, on a soutenu les réseaux traditionnels des femmes de manière à élargir leur influence dans les processus locaux de consolidation de la paix. Cela a eu le bienfait supplémentaire d’élever certaines de ces femmes jusqu’à la sphère politique. Cela reflète la plus-value canadienne du soutien à l’inclusivité, à la diversité et à l’égalité entre les sexes dans les enjeux relatifs à la paix et à la sécurité.
Dans les études récentes sur les femmes dans les processus de médiation au Soudan du Sud, j’ai découvert que le mouvement des femmes s’était beaucoup étendu, au cours des dernières années, grâce au soutien continu et à l’aide des donateurs internationaux, dont le Canada. Cela a permis aux femmes d’avoir une place à la table lors de la reprise des pourparlers de paix, en 2018, et elles continuent d’être une force active. Alors que les interventions dans les guerres et les conflits sont de plus en plus sécurisées, et que de nombreux acteurs internationaux cessent d’appuyer les efforts de paix et de développement à long terme pour se tourner vers les interventions humanitaires à court terme, le Canada peut se distinguer en allant contre le courant.
Le Canada a beaucoup à offrir et beaucoup à apprendre dans plusieurs domaines liés à la paix et à la sécurité. Le Canada peut apporter une optique et une expérience particulières touchant la justice et la réconciliation transitionnelles, tout en tirant des leçons de ses partenaires africains aux diverses étapes de ces processus. Le Canada travaille déjà avec des partenaires de divers horizons en Afrique, par l’intermédiaire des Nations unies, des communautés économiques régionales de l’Union africaine — les CER — et des programmes bilatéraux.
Il existe une occasion stratégique de faire des liens entre ces espaces et de créer des synergies entre ces différents paliers. Pour les raisons suivantes, il est crucial de soutenir de façon continue et à long terme les efforts de consolidation de la paix: la consolidation préventive de la paix s’est avérée une solution beaucoup plus efficiente que la réaction aux coûts humanitaires d’un conflit. Lorsque le soutien à la consolidation de la paix passe par la société civile, il peut être extrêmement efficace, car il tire parti des forces de changement sociétales clés, tout en favorisant du même coup la bonne gouvernance. Cela donne également au Canada un lieu où il peut tisser des liens avec des parties prenantes clés de l’Afrique, tout en encourageant les valeurs canadiennes de paix libérale, de diversité et d’égalité entre les sexes.
Le soutien aux efforts de consolidation de la paix a aussi des effets cumulatifs: il accroît la stabilité et les conditions nécessaires à une croissance et à une prospérité économique durables, en plus de fournir au Canada l’occasion de se surpasser, surtout que les autres donateurs ont réduit leurs interventions dans ce secteur critique.
Par conséquent, honorables sénatrices et sénateurs, l’engagement du Canada en Afrique offre au pays de grandes occasions de partager son expertise et ses ressources, en plus d’être extrêmement enrichissant, malgré les défis colossaux que posent les changements climatiques, la pauvreté et les répercussions des crises mondiales, qui touchent aussi de façon importante ce continent.
Encore une fois, je vous remercie de m’avoir permis de m’adresser à vous. Je suis impatiente de répondre à vos questions et de discuter avec vous.
La présidente suppléante : Merci beaucoup, madame McCallum. La parole va maintenant à M. Tieku. Bienvenue. Allez-y.
Thomas Kwasi Tieku, professeur titulaire de politique et de relations internationales, Collège de l’Université King’s de l’Université Western Ontario, à titre personnel : Merci, madame la présidente, de me donner l’occasion de contribuer à cet important examen des intérêts et de l’engagement du Canada en Afrique.
On m’a demandé de parler de la paix et de la sécurité en Afrique, et j’expliquerai donc, dans mes commentaires, que le Canada a des atouts uniques qui lui permettent de contribuer concrètement à la transformation des déficits de paix en Afrique en dividendes de paix.
Madame la présidente, le panorama de la paix et de la sécurité en Afrique est indéniablement complexe, et il peut parfois sembler indéchiffrable. Il y a environ huit conflits actifs sur le continent. L’extrémisme violent au Sahel, l’instabilité politique, la traite et le trafic sous toutes leurs formes, le mouvement irrédentiste, l’insécurité aux frontières, les pratiques inhumaines, les inégalités économiques extrêmes, la pauvreté absolue, les crises climatiques et les vulnérabilités économiques, tous ces facteurs se sont combinés pour créer un environnement de sécurité précaire pour des millions d’Africains. Certains Canadiens peuvent se demander, à juste titre, si le Canada devrait intervenir dans une configuration de sécurité si complexe, et je leur répondrais : oui, absolument. Une Afrique où règne la paix serait une excellente chose pour le bilan financier du Canada — puisque nous commerçons avec ce pays —, pour la diplomatie canadienne et pour le monde en général.
Il est aussi très important de reconnaître que les problèmes que je viens d’énumérer peuvent être réglés. D’ailleurs, plus de 80 % des Africains vivent ensemble en paix la plupart du temps. Le Canada dispose de compétences générales et de compétences techniques considérables pouvant servir à favoriser la paix pour la majorité des Africains.
Madame la présidente, je recommanderais que l’approche du Canada soit axée non pas sur l’élimination des conflits violents actuels, qui ont tendance à dominer les manchettes, mais plutôt sur les efforts durables et à long terme de consolidation de la paix et sur la consolidation de la résilience contre les déstabilisations futures. Pour le dire en termes concrets, laissez‑moi catégoriser mes solutions ou mes recommandations selon le court terme, le moyen terme et le long terme.
À court et à moyen terme, je recommande fortement que le Canada soutienne la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a ouvert la porte aux quotes-parts de l’ONU dans les missions du partenariat de l’Union africaine, le PUA, et il y a une raison à cela.
Le Canada devrait aussi soutenir, présentement, la transition graduelle des opérations traditionnelles de maintien de la paix vers des opérations de soutien de la paix, comme il est décrit dans la note d’orientation pour 2023 du secrétaire général des Nations unies António Guterres, intitulée Un nouvel agenda pour la paix. Le Canada devrait aussi appuyer les efforts continus relatifs au cadre élaboré par l’Union africaine, appelé « Faire taire les armes » et, tout particulièrement, les efforts déployés en Afrique par le haut représentant de cette initiative. Enfin, le Canada devrait soutenir les efforts et les processus de médiation en cours, qui pourraient aider les parties à négocier la fin des violences actuelles. Aucune solution militaire ne résoudra les crises qui sévissent présentement sur le continent africain.
À long terme, je recommanderais que le Canada tire parti de ses atouts en éducation afin d’intégrer l’éducation à la paix dans les programmes scolaires africains. Deuxièmement, le Canada devrait mettre à contribution son expertise agricole pour lutter contre l’insécurité alimentaire sur le continent africain; l’insécurité alimentaire a été l’une des principales causes persistantes de l’instabilité du continent africain depuis l’indépendance. L’alimentation est la cause profonde de la plupart des crises politiques en Afrique. Troisièmement, je dirais que le Canada devrait s’inspirer de son expérience pratique en multiculturalisme et en démocratie pour aider les pays africains à élaborer des modèles de gouvernance qui permettront de mieux gérer la diversité africaine. La piètre gestion de la diversité est au cœur de l’insécurité en Afrique.
Enfin, le Canada devrait utiliser les ressources d’Affaires mondiales Canada — ou plutôt, les consolider puis les utiliser — pour soutenir les pays africains afin qu’ils puissent mettre au monde et élever une nouvelle génération de leaders africains, qui épouseront les valeurs progressistes puis l’internationalisme progressiste. Ce sont les leaders qui continueront de façonner les perspectives de paix sur le continent africain. Par conséquent, le Canada devrait agir proactivement afin d’aider à façonner le genre de leaders africains avec qui le gouvernement du Canada voudra travailler dans l’avenir.
Madame la présidente, ces solutions n’ont rien de nouveau. Le Canada, dans son engagement envers l’Afrique, ne devrait pas tenter de réinventer la roue. J’insiste là-dessus : il est très important de ne pas tenter de réinventer la roue. Plutôt, le Canada devrait tirer parti des idées et des initiatives judicieuses existantes pour renforcer l’infrastructure de consolidation de la paix sur le continent africain.
En conclusion, une Afrique stable et en paix ne sera pas bénéfique seulement pour les Africains; elle contribuera aussi à la paix et à la prospérité mondiales. Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de contribuer à votre étude.
La présidente suppléante : Merci beaucoup aux deux témoins. Nous allons passer aux questions. J’aimerais informer les membres du comité que vous aurez un maximum de quatre minutes au premier tour. Cela comprend le temps pour poser la question et écouter la réponse.
Le sénateur MacDonald : Merci, madame la présidente. Ma première question s’adresse à M. Tieku. Merci beaucoup d’être avec nous, monsieur. Le Canada se préoccupe, entre autres choses, du fait que la Chine accroît son engagement dans les affaires de sécurité en Afrique. Selon vous, quelles sont les conséquences sur la stabilité de la région et sur l’équilibre du pouvoir, surtout compte tenu de l’influence et des intérêts occidentaux traditionnels dans la région? Comment les pays africains pourraient-ils, face à ces dynamiques en concurrence, assurer leur propre sécurité et sauvegarder leur propre souveraineté?
M. Tieku : Merci beaucoup, sénateur, de cette merveilleuse question. Je pense que c’est la question à plusieurs millions de dollars, mais la première chose que je dirais c’est que le Canada ou l’Occident n’auraient pas ce problème s’ils n’avaient pas fait d’erreurs sur le continent africain. Rappelez-vous que, traditionnellement, l’Occident a créé une masse critique d’Africains, surtout dans la fonction publique et au gouvernement, qui pensent et qui fonctionnent majoritairement en vue de se rapprocher de l’Occident et non pas de la Chine, vous voyez? Ce pourrait être très important de travailler avec ces personnes.
Le Canada, en particulier, dispose de certaines personnes très importantes occupant des postes stratégiques au gouvernement et dans des organisations internationales, et nous pouvons en tirer parti pour composer avec l’influence de la Chine sur le continent africain et pour la gérer.
Plus important encore, ce serait une erreur stratégique pour le Canada et l’Occident de penser à la Chine sous les couleurs de la guerre froide. Le Canada devrait être en mesure de miser sur ses forces, par exemple ses compétences générales. Le Canada est excellent pour ce qui est de tirer parti des compétences générales. Il faut miser sur nos avantages, et laisser la Chine s’investir dans les domaines où elle est comparativement plus avantagée, par exemple les infrastructures. C’est ce que la Chine veut faire.
Le Canada a des atouts; je pense par exemple à son excellent système d’éducation, un système d’éducation dont la paix est une composante intégrale. Ce sont les domaines dans lesquels le Canada pourrait, je pense, aider énormément. Ce qu’il faudrait, c’est un repositionnement stratégique, puis une division du travail. Merci beaucoup.
Le sénateur MacDonald : À la lumière de votre réponse, et compte tenu de la présence de plus en plus grande de la Chine, au moyen de ses initiatives comme l’Initiative route et ceinture, croyez-vous que les nations africaines sauront trouver un équilibre entre leurs intérêts économiques et leurs préoccupations relatives à de potentiels pièges à dette et à leur perte de souveraineté, surtout si on tient compte de l’influence grandissante de la Chine dans des secteurs stratégiques, comme les infrastructures et les ressources naturelles? Nous savons qu’il y a des préoccupations concernant la propriété des aérodromes et d’autres choses du genre, quand il y a des dettes à long terme. Je suis simplement curieux : quelle est la meilleure façon pour les nations de gérer tout cela?
M. Tieku : Merci beaucoup. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé d’éducation et de gouvernance. Une fois que les pays africains auront de bons systèmes d’éducation en place et des gens intelligents qui savent comment négocier, je pense que ce ne sera pas un gros problème, parce qu’il y aura des mécanismes intégrés pour les Africains qui les éviteront d’être pris au piège.
Deuxièmement, un système politique correct qui fonctionne bien permettra d’affronter tous les problèmes que pose la Chine. C’est pour cette raison que je dis que, si le Canada aide l’Afrique à mettre en place de bons systèmes durables d’éducation et un très bon système de gouvernance, capable de nourrir les Africains, afin qu’ils ne soient pas vulnérables, alors je pense que l’Afrique aura la capacité de tenir tête à la Chine, par exemple, et qu’elle ne permettra pas aux Chinois de se livrer à des pratiques qui n’aident pas le continent.
Le sénateur MacDonald : Merci.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup à nos deux témoins. Bienvenue. Ma question s’adressera aussi à M. Tieku.
Monsieur, à votre avis, dans quelle mesure croyez-vous possible que les établissements d’enseignement canadiens et africains unissent leurs efforts pour mettre en place des programmes de formation et de perfectionnement des capacités pour renforcer les compétences, les connaissances et l’expertise dans les domaines que nous avons priorisés : la résolution de conflits, la consolidation de la paix, l’aide humanitaire et la santé?
M. Tieku : Merci beaucoup de la question. Il y a tant de possibilités. Par exemple, les gens mettent beaucoup l’accent dans l’éducation sur la construction d’infrastructures, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je m’intéresse plutôt au contenu de l’éducation que nous donnons sur le continent africain. Il y a un domaine dans lequel le Canada a un avantage comparatif, et c’est qu’il produit d’excellents programmes d’éducation. Beaucoup de Canadiens ne réalisent pas à quel point la résolution de conflits est intégrée dans leur système d’enseignement primaire et secondaire, par exemple, parce que c’est quelque chose que nous tenons pour acquis, ici. Ce genre de mécanismes de résolution de conflits est une chose dont le système d’éducation africain a besoin.
Je crois savoir que nous produisons certains programmes d’éducation. Il y a un certain nombre de pays en Afrique qui sont en train de réformer leurs systèmes scolaires primaires et secondaires, et c’est une bonne occasion pour le Canada d’intervenir. Affaires mondiales Canada, s’il se positionne bien, pourrait aider les pays africains à élaborer des plans de cours intégrant l’éducation à la paix dans le système d’éducation. Je pense qu’il y a une véritable occasion à saisir.
Au niveau universitaire, il y a une incroyable occasion à saisir, surtout compte tenu de la direction que prennent l’intelligence artificielle et Internet, par exemple. Cela nous donne d’incroyables possibilités. Avec notre infrastructure Internet, par exemple, les universités canadiennes de renommée mondiale pourraient créer des partenariats entre les universités africaines et canadiennes pour offrir une éducation universitaire de première classe. Vous pourriez donner une bonne éducation de première classe aux jeunes, qui forment la majorité de la population du continent. Près de 60 % des Africains sont considérés comme des jeunes, c’est-à-dire qu’ils ont moins de 25 ans. Une bonne éducation de calibre mondial est la solution. Nous avons les ressources et l’infrastructure pour le faire, au Canada.
Le sénateur Ravalia : Je vais m’adresser maintenant à Mme McCallum. Pouvez-vous me donner un aperçu du travail que vous faites actuellement au Sahel, compte tenu des conflits très houleux qui se sont déroulés dans cette région récemment? Serait-il possible, en particulier sur le plan de la structure civile, pour le Canada de s’associer à votre groupe afin d’amener la paix dans cette région, qui a tellement souffert de l’incertitude?
Mme McCallum : Merci de la question, sénatrice. Malheureusement, nous ne travaillons pas actuellement au Sahel. Nous sommes principalement dans la Corne de l’Afrique et en République démocratique du Congo, et dans la région des Lacs. Nous travaillons aussi au Soudan, bien sûr, et nous menons des activités dans certains pays voisins, en particulier auprès des Soudanais qui ont été forcés de se déplacer à cause de la guerre. Mais nous ne travaillons pas actuellement au Sahel, même si nous aimerions pouvoir le faire.
[Français]
La sénatrice Gerba : Depuis plusieurs années, on observe un renforcement de la collaboration entre l’Union africaine et les Nations unies pour le maintien de la paix et la sécurité en Afrique. Certains affirment même que l’Union africaine est devenue l’acteur de référence pour la prévention de la résolution des conflits en Afrique. Pourtant — et alors que 70 % des missions de paix des Nations unies sont basées en Afrique —, le continent africain, avec ses 54 pays, ne dispose d’aucun siège permanent au Conseil de sécurité.
Selon vous, est-ce que cette situation est préjudiciable pour les opérations de maintien de la paix et de sécurité? De plus, pensez-vous que le Canada, dans son engagement et sa volonté d’engagement en Afrique, pourrait assurer une meilleure représentativité ou aider à assurer cette représentativité de l’Afrique au sein du Conseil de sécurité?
[Traduction]
La présidente suppléante : À qui posez-vous votre question?
La sénatrice Gerba : Aux deux témoins.
La présidente suppléante : Dans ce cas, commençons par Mme McCallum.
Mme McCallum : Merci de la question, sénatrice. Je serais tout à fait d’accord pour dire que nous essayons toujours de promouvoir des solutions africaines aux problèmes africains. Pour ce qui est de soutenir l’Union africaine, nous les appuyons avec force, tout particulièrement, quand c’est possible, plutôt que les missions de l’ONU. Ce serait notre point de départ, alors je serais d’accord. Bien sûr, le fait qu’il n’y a aucune représentation permanente de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies est, je dirais, un très grand défi, et il faudra y voir dans l’avenir, même si je sais que c’est une question très complexe.
M. Tieku : Sénatrice, j’ai l’impression que vous êtes l’une des étudiantes de ma classe. Je pense que vous comprenez très bien les jeunes Canadiens ainsi que les jeunes Africains. C’est une des questions au cœur des débats. Pour la plupart d’entre nous, cette question touche la légitimité du Conseil de sécurité de l’ONU. Le fait qu’un si grand continent, le continent africain, ne soit pas représenté, a non seulement entraîné un déficit de la démocratie au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, mais cela mine également le propre processus décisionnel du Conseil de sécurité de l’ONU.
On a souvent l’impression que les Nations unies essaient de neutraliser les Africains en leur absence, et ce n’est pas la bonne façon de procéder. C’est un problème de longue date. Habituellement, la question tient au fait que, si on décidait d’ouvrir le robinet, quelle serait la représentation de l’Afrique? À cela je réponds que l’Union africaine a en ce moment même une formule à proposer. Elle a déjà pris une décision claire quant à la façon dont elle répartira ses membres permanents potentiels au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Union africaine a changé — vous avez raison — la dynamique du maintien de la paix. Présentement, la plupart des résolutions et des idées des Nations unies sont fondées sur ce qu’a fait l’Union africaine ou inspirées par ce qu’elle a fait. Pourquoi prenons-nous les idées de l’Union africaine et pourquoi nous nous en inspirons, si nous ne voulons pas lui donner une représentation permanente, afin qu’elle ait une voix? Les Nations unies, quand nous les avons créées... le monde d’aujourd’hui n’est pas celui de 1945.
Je pense que nous vivons maintenant dans un monde où toutes les régions doivent être correctement représentées, pas seulement quelques-unes. Merci beaucoup de la question.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos deux témoins d’aujourd’hui. Tout cela a été très informatif, de toutes sortes de façons. Ce que vous avez dit à propos de l’immédiat en comparaison du long terme pour les partenariats qui seront nécessaires est très important. Vous avez tous les deux insisté sur l’importance de tenir compte de la jeunesse et du nombre croissant de jeunes dans les pays du continent africain et de voir les jeunes comme des promoteurs de la paix et de la démocratie.
Maintenant, madame McCallum, ma première question s’adresse à vous. Vous avez parlé de consolidation de la paix, de consolidation préventive de la paix, et cetera, et du fait que cela aide à mettre en place les conditions favorables à une croissance économique durable. Au sujet des jeunes, de la paix et de la croissance économique, je me demandais, d’après ce que vous avez vu, qu’est-ce qui précède l’autre : l’œuf ou la poule? Est-ce que la paix est un prérequis pour une croissance économique durable, ou est-ce que des conditions économiques stables sont importantes? Est-ce que les deux sont importantes? Avez-vous mené des études pour savoir, dans les faits, comment se construit une économie forte, où tous les jeunes ont des possibilités, pour savoir à quel point cela est un préalable à la paix, ou alors est-ce le contraire, comme, je crois, vous l’avez dit? Commençons par vous, madame McCallum.
Mme McCallum : Merci, sénatrice, pour cette très bonne question. Oui, je crois fermement que les jeunes de l’Afrique ont beaucoup de potentiel. Pour ce qui est de l’œuf ou de la poule, honnêtement, je pense qu’il faut que cela se fasse en même temps. Chaque contexte est très différent et dépend des dynamiques extérieures au pays, des dynamiques internes du pays et de facteurs historiques qui touchent tout cela.
Mais je pense que donner aux jeunes les moyens de consolider la paix et de transformer les conflits peut être éducatif et peut aussi leur donner la possibilité d’accéder eux-mêmes à des occasions économiques.
Je viens de lire l’évaluation de notre programme en Somalie, qui indiquait que l’un des plus grands enjeux auxquels faisaient face les jeunes, c’était l’économie, et on demandait s’il nous était possible d’ajouter un volet économique à notre travail de consolidation de la paix et d’engagement sous forme de petits prêts et ce genre de choses.
Je reviens de l’Éthiopie. Le projet concernait les femmes, pas nécessairement les jeunes, mais nous rencontrions des groupes de discussion de femmes qui réglaient des conflits à Oromia. L’une des choses qu’elles m’ont demandées, c’est : pouvez-vous nous aider à concevoir des activités génératrices de profits qui peuvent nous aider à subvenir à nos besoins tout en favorisant la paix dans nos collectivités?
Nous cherchons des façons d’intégrer des moyens de générer un revenu et ce genre de choses dans notre travail de consolidation de la paix, quelque chose que nous n’avons jamais fait par le passé. Je dirais que ce n’est que depuis quelques années que l’on nous demande de faire les deux choses en même temps. Cela va au-delà de notre expertise, mais nous avons de nombreux partenaires locaux qui ont de l’expertise en développement économique et en consolidation de la paix. Donc, ils possèdent les compétences nécessaires pour jumeler les deux aspects; et, comme l’a dit M. Tieku, il est essentiel de combiner tout cela avec l’éducation.
Donc, je dirais qu’il ne faut pas commencer par régler la question de la paix, puis passer au développement économique; il faut traiter les deux dossiers en même temps. Nous avons vu une partie du travail que nous avons fait — en réglant un problème entre deux collectivités, nous avons pu augmenter leurs échanges commerciaux et favoriser leur développement économique dans cette région. L’effet domino pour le développement économique est évident, mais ce développement peut aussi ouvrir des possibilités de dialogue et de consolidation de la paix.
La sénatrice Coyle : Génial. Merci.
Le sénateur Woo : Merci à nos témoins. J’aimerais connaître l’avis de Mme McCallum au sujet de la défense par M. Tieku de la résolution des Nations unies sur le maintien de la paix, et surtout sur l’appui de l’Union africaine et sa demande d’une autre forme de maintien de la paix. Ils appellent cela le renforcement de la paix. C’est une forme cinétique de maintien de la paix, c’est-à-dire essentiellement le maintien de la paix par le muscle. Pourriez-vous me donner votre avis à ce sujet? Et, s’il me reste du temps, M. Tieku pourrait vouloir répliquer.
Mme McCallum : C’est une question épineuse. En tant que bâtisseuse de la paix, il est évident que je fais la promotion d’approches non violentes de résolution des conflits. Ce serait toujours ma première déclaration. Mais, d’un autre côté, il y a des situations où bien entendu, il faut protéger les civils et je vois bien qu’il est nécessaire, parfois, de faire appel à l’armée et d’appliquer des approches plus musclées. Mais il faut le faire avec prudence pour ne pas exacerber les tensions existantes. Voici ma réponse. Je préférerais commencer par une approche fondée sur la médiation et la consolidation de la paix. Mais il y aura toujours des situations où les civils devront être mieux protégés.
Le sénateur Woo : Monsieur Tieku, allez-y.
M. Tieku : Merci beaucoup. J’écris sur la médiation, donc, par défaut, je défends la médiation. Ce qui est important pour nous, c’est qu’il faut d’abord et avant tout réfléchir aux mesures de prévention. Puis, dans les cas extrêmes où nous devons intervenir, je crois que, quand les opérations de maintien de la paix ont été conçues... Cette réalité a cessé d’exister il y a au moins 30 ans. Lorsque vous entrez dans une zone de combat active, l’environnement est différent et vous ne pouvez pas faire les opérations habituelles de maintien de la paix. C’est pourquoi l’Union africaine s’est plutôt engagée dans des opérations de soutien de la paix. Dans son dernier rapport, le secrétaire général des Nations unies a demandé à ce que l’on passe plutôt à des opérations de soutien de la paix en raison de la nature de la violence, puisque vous avez affaire à des extrémistes et que vous ne pouvez pas leur demander leur consentement, dans la plupart des cas, si vous faites cela. C’est pourquoi j’encourage cette nouvelle voie... L’Union africaine change de voie elle aussi et l’ONU semble de plus en plus la privilégier.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup à nos témoins d’être présents et de partager leur savoir avec nous. Mes questions concernent un peu plus l’avenir et sont fondées sur plus de 10 ans de travail avec des jeunes de l’Afrique de l’Est — non pas sur le maintien de la paix et la consolidation de la paix, mais sur la formation et l’éducation des jeunes, le VIH et la santé mentale — et sur le fait que j’ai vu plein de très bonnes activités qui se sont perdues avec le temps. Voici ma première question : y a-t-il un répertoire facile d’accès et à jour où l’on consigne toutes les interventions axées sur les jeunes qui sont menées depuis un certain temps et où l’on retrouve de bonnes données robustes qui indiquent qu’elles ont eu des conséquences positives? Un tel répertoire existe-t-il pour aider les gens à ne pas réinventer la roue?
La présidente suppléante : À qui s’adresse la question?
Le sénateur Kutcher : Aux deux témoins. Mme McCallum, mais s’il y a [difficultés techniques].
La présidente suppléante : Nous allons commencer par vous, madame McCallum, mais vous êtes tous deux invités à répondre à la question.
Mme McCallum : Merci de la question, sénateur. Malheureusement, je ne sais pas si un tel répertoire existe. J’aimerais bien qu’il y en ait un moi aussi. Je pense que, s’il existe des données probantes quelque part, l’Union africaine devrait les avoir. Je sais qu’elle a fait du travail avec les jeunes. Je pense que ce serait un bon point de départ et que cela l’encouragerait peut-être à concevoir quelque chose de ce genre.
M. Tieku : Je n’ai pas vu de bon répertoire nulle part. Mais il en existe des morceaux dispersés à différents endroits, donc la branche jeunesse de l’Union africaine a quelque chose. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, en a aussi un peu, et il y a aussi un certain nombre d’organisations qui travaillent sur ce dossier, mais je n’en ai pas vu la couleur. Cela révèle aussi le but de la consolidation de la paix : nous nous efforçons de parler aux dirigeants et aux gouvernements, habituellement, mais nous n’avons pas parlé aux jeunes, qui sont souvent les victimes ultimes de ces conflits violents et qui sont même parfois recrutés pour participer à des actes violents.
Donc votre question soulève un point important — nous ne nous sommes pas vraiment concentrés sur les jeunes, et nous devons le faire si nous voulons la paix sur le continent africain.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup de vos commentaires. J’ai eu des discussions à cet égard avec l’Union africaine, donc je vous remercie de vos réflexions à ce sujet. Savez-vous si un mécanisme ou un autre est accessible par tous les États ou même par un État d’Afrique qui aide les gens à reproduire les projets réussis? Par exemple, pour les projets axés sur les jeunes, peu importe la région, existe-t-il un mécanisme qui prend les projets très réussis — par exemple, j’ai réalisé un projet dans le nord de l’Ouganda, où l’Armée de résistance du Seigneur faisait des ravages — et qui permet de les reproduire dans d’autres régions du continent? Savez-vous s’il existe un mécanisme pour cela, pour faire ce genre de travail?
M. Tieku : Je vais répondre rapidement. J’en connais un, je pense que la CEDEAO a parlé de tirer des leçons de diverses initiatives axées sur la paix et de les reproduire. Je pense que, si vous pouvez discuter avec la CEDEAO, ce serait très utile. Je pense que l’Union africaine en a aussi parlé, mais je n’ai toujours pas vu de projet bien étoffé qui s’aligne sur la plupart des excellents projets qui sont en cours à l’échelle locale. Mais un certain nombre de projets locaux sont en cours, et je pense que ce serait bien que nous en tirions des leçons pour voir s’il est possible de les reproduire.
La présidente suppléante : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse au professeur Tieku. La Résolution 1325 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité a été la première résolution reconnaissant les effets particuliers et disproportionnés des conflits armés sur les femmes et les filles. Elle incite à une plus grande participation des femmes au processus de paix, d’autant plus qu’il y a assez de documentation qui nous indique que les femmes, quand elles sont impliquées, sont davantage dans le processus de règlement de conflits et apportent des solutions beaucoup plus pérennes. À l’heure actuelle, comment pourrait-on accorder une plus grande place aux femmes dans ce processus de résolution de conflits? Comment le Canada pourrait-il jouer un rôle dans ce processus?
[Traduction]
M. Tieku : C’est une excellente question. Je pense que la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU est importante. Je pense que le Canada peut vraiment aider, surtout compte tenu de sa politique étrangère féministe, en donnant aux jeunes filles les moyens de faire de la médiation. Je pense que nous avons bien fait d’encourager les femmes à faire de la médiation, mais je pense que l’on a surtout mis l’accent sur les femmes qui appartiennent à l’élite. Je pense qu’il est très important d’encourager la participation des jeunes femmes et de leur donner cet accès.
Ensuite, je pense que nous avons tendance à nous concentrer sur les capitales et donc à sélectionner des femmes des milieux urbains. Je pense qu’il faut faire participer les femmes des régions rurales puisque ce sont souvent elles les victimes de ces conflits. Proposez-leur de participer. Dans certains cas, vous n’aurez pas besoin de plus de capacité. Elles savent comment résoudre les conflits dans leur communauté locale. Parfois, vous devez seulement leur donner l’espace nécessaire pour qu’elles le fassent. Je pense que c’est cela, le travail à faire. Je crois qu’il faut se concentrer sur les jeunes femmes et les femmes des régions rurales; je pense qu’il faut se concentrer sur la prochaine génération pour atteindre l’objectif de la résolution 1325. Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Madame McCallum, je vous ai vue hocher la tête. Aimeriez-vous ajouter quelque chose?
Mme McCallum : Non, je pense que M. Tieku a vraiment visé juste. Je pense qu’il ne faut pas seulement faire participer les femmes provenant de l’élite, mais aussi les femmes qui sont encore et toujours exclues des processus. Ce n’est pas qu’elles ne participent pas à la consolidation de la paix. Elles sont là. Elles ont des compétences. Elles ont des connaissances. Ces connaissances ne sont pas toujours reconnues. Mais, lorsque vous commencez à les interroger et à apprendre d’elles, à connaître leurs mécanismes traditionnels de consolidation de la paix et de transformation des conflits, vous voyez qu’il y a des occasions énormes. Elles sont vraiment prêtes à aider, surtout les jeunes femmes.
J’ai travaillé au Soudan du Sud pendant de nombreuses années, puis je suis partie pendant 10 ans. Lorsque j’y suis retournée, 10 ans plus tard, après avoir été témoin du soutien au mouvement des femmes et des jeunes femmes, après avoir vu leur dynamisme, seulement 10 ans plus tard... Elles font des choses incroyables dans un pays où le contexte est très difficile. Ce que j’ai vu et ce qui m’a donné espoir dans ce pays, après n’y avoir pas mis les pieds pendant 10 ans, ce sont les femmes, leur passion et leur expertise. Je pense que les femmes et les jeunes, et surtout les jeunes femmes, sont la solution de l’avenir pour soutenir la paix sur le continent.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Mesdames et messieurs, nous avons quatre autres intervenants, donc veuillez respecter votre temps.
La sénatrice Coyle : Je souhaite également poser à M. Tieku une question qui s’inspire un peu de ce que mon collègue le sénateur Kutcher demandait. Vous avez dit que le Canada n’avait pas besoin de réinventer la roue. Nous ne voulons pas réinventer la roue. Vous dites qu’il y a beaucoup de bonnes choses qui se font et que l’on pourrait soutenir. J’aimerais vous entendre sur ces trois aspects : premièrement, pourriez-vous nous donner quelques exemples de ces bonnes choses qui se produisent et de la façon dont le Canada pourrait les soutenir, parce qu’il existe différents moyens d’apporter son soutien? Deuxièmement, y a‑t‑il des choses que vous avez vu le Canada faire dans le passé et qu’il ne fait plus, qui n’auraient pas dû être éliminées au départ et qu’il devrait recommencer? Troisièmement, veuillez nous donner des exemples d’autres pays qui ont eu du succès dans ces types de partenariats utiles pour réaliser les types de répercussions qui nous intéressent.
M. Tieku : Merci beaucoup d’avoir posé la question. Comme je l’ai dit, nous ne devrions pas réinventer la roue, parce que notre tentative de réinventer la roue crée parfois plus de problèmes que de solutions. Parfois, les Africains trouveront une solution, puis nous arriverons avec une solution, et parce qu’ils se tournent vers nous dans certains cas, leur gouvernement a tendance à mettre de côté leurs propres priorités et à nous suivre, ce qui, dans la plupart des cas, ne mène nulle part.
Premièrement, pour ce qui est d’un cadre stratégique, les idées sont déjà là. Si vous regardez l’Union africaine, si vous regardez la CEDEAO, presque tous les [difficultés techniques] ils ont de très bonnes idées sur la table. Le défi consiste à les mettre en œuvre. S’il y a une chose dans laquelle le Canada fait bonne figure selon moi, c’est que, une fois qu’il arrive avec une idée, son taux de mise en œuvre est très élevé. Je pense que l’Union africaine a dit que presque 80 % des idées sur lesquelles on s’entend ne sont pas mises en œuvre, alors que le contraire est vrai au Canada. C’est donc un aspect, la mise en œuvre.
La deuxième chose dans laquelle le Canada a bien réussi selon moi, et que j’aimerais qu’il fasse plus, c’est la diplomatie discrète. La Norvège a bien tiré son épingle du jeu. La Finlande s’en est très bien sortie. Nous avons une quantité incroyable de diplomates — dont certains sont même à la retraite — qui peuvent réunir les pays africains ou les parties en vue d’un règlement négocié. C’est quelque chose que nous pouvons et que nous devrions faire, et c’est un processus très discret. Pour ce qui est principalement des transitions politiques, chaque élection en Afrique est très difficile. Il sera donc très important à l’avenir de mettre en place un processus informel pour nous assurer que quelqu’un remporte bel et bien l’élection, mais que le parti qui perd se sente à l’aise et accepte d’avoir son tour la prochaine fois.
Pour ce qui est des choses que le Canada a faites et qu’il aurait dû faire, l’ACDI faisait autrefois des choses fantastiques, creusant des puits dans des régions rurales. Je pense que nous avons cessé de le faire et que c’est quelque chose que nous pourrions envisager de faire à nouveau. Fait encore plus important, je pense que nous devrions cerner une ou deux activités où nous avons un avantage concurrentiel et que nous faisons bien. Le Fonds canadien pour l’Afrique, par exemple. J’espère que, en organisant encore une fois le G7, nous créerons un autre Fonds canadien pour l’Afrique. Les statistiques montrent à quel point le travail qu’il a permis de faire est incroyable. Beaucoup de Canadiens l’ignorent, donc permettez‑moi de le mentionner ici. À l’heure actuelle, en ce qui concerne la zone de libre-échange avec l’Afrique continentale qui a été créée, beaucoup de Canadiens ne savent pas que c’est le Fonds canadien pour l’Afrique qui a versé l’argent à l’Union africaine, qui a fait tout le travail intellectuel ayant jeté les bases de la création de la plus grande zone de libre-échange continentale depuis l’OMC.
La présidente suppléante : Merci, monsieur Tieku.
Le sénateur Woo : Ma question s’adresse à M. Tieku. Je me demande si vous pouvez nous fournir un aperçu de l’expertise africaine au Canada. Quelle est la nature des bourses africaines au Canada? En avons-nous suffisamment? Quels types d’investissements récents ont été réalisés dans les universités, la vôtre et d’autres? Comment pouvons-nous renforcer la capacité au pays et en Afrique?
M. Tieku : Merci beaucoup. Nous n’avons pas réalisé l’étude, mais je parlais à mon collègue, le président de la faculté de médecine de l’Université McMaster. L’une des choses que nous avons constatées dans le milieu médical, ainsi que dans les sciences sociales, c’est que les Canadiens instruits au Canada ont tendance à très bien réussir, surtout lorsqu’ils vont en Afrique. Il y en a quelques-uns sur le continent africain, puis vous allez là‑bas et constatez qu’ils occupent des postes très élevés. Nous n’avons pas encore réalisé l’étude, mais je pense que nous devons étudier pourquoi les Canadiens s’en tirent très bien, surtout lorsqu’ils reviennent à la maison. Autrement dit, ce que j’essaie de dire, c’est que l’éducation canadienne est très bonne pour les Africains qui la reçoivent; je pense qu’ils sont en mesure de bâtir quelque chose de plus utile pour eux-mêmes et pour la société dans laquelle ils vivent.
De plus, j’ai l’impression que nous pouvons en faire davantage. Selon moi, nous possédons un système d’éducation incroyable, mais nous avons encore la perception que, lorsque les Africains viennent ici, ils ne réussissent peut-être pas bien. Mais si vous regardez les relevés de notes des étudiants africains qui viennent étudier au deuxième cycle, même ceux des étudiants de premier cycle, si vous regardez les statistiques, elles sont très bonnes. Vous pouvez donc ouvrir le programme. Faites venir les Africains ici. Certains d’entre eux retourneront en Afrique, et lorsqu’ils le feront, ils réussiront très bien. S’ils restent ici comme moi, ils peuvent également contribuer à la société canadienne, et parfois les gens ne se rendent pas compte à quel point ils peuvent également contribuer chez eux.
Le sénateur Woo : Ma question est un peu différente et porte un peu plus sur les experts de l’Afrique au Canada. Quel est l’état de notre expertise africaine au Canada?
M. Tieku : Malheureusement, nous sommes très peu nombreux. Je pense qu’un certain nombre d’universités n’ont pas de très solides... contrairement aux États-Unis ou même au Royaume-Uni... nous aurions intérêt à investir pour nous assurer de bien comprendre l’Afrique. Nous n’avons pas beaucoup de gens.
Le sénateur Woo : Merci.
Le sénateur Ravalia : Ma question d’adresse encore une fois à M. Tieku. La santé est un facteur important pour atteindre un développement économique à long terme et la paix. Monsieur Tieku, pouvez-vous mettre en lumière des domaines où l’avancement des initiatives de santé dans le continent a eu une incidence positive sur les résultats de santé, et s’agit-il d’un domaine dans lequel, en tant que Canadiens, nous pourrions nous associer en conséquence? Je pense tout particulièrement au déficit de vaccins durant la pandémie, mais aussi au niveau intellectuel qui existe sur le continent. Par exemple, l’Institut de la recherche médicale d’Afrique du Sud a été le premier organisme au monde à présenter le portrait du variant de la COVID. Comment l’Afrique peut-elle devenir indépendante des ressources extérieures pour sa santé?
M. Tieku : Merci beaucoup de poser cette question. La santé est un domaine très important. Nous avons également un avantage comparatif surtout au sein des universités. Juste de l’autre côté de mon bureau ici, nous avons un programme incroyable, Western Heads East, où nous créons de très bonnes relations avec les universités, surtout avec l’université de mon collègue en Ouganda, en ce qui concerne par exemple les recherches de pointe sur les vaccins, un certain nombre de questions de santé. Nous pouvons investir dans ces domaines en nous assurant que nos laboratoires de recherche sont disponibles pour que nous puissions collaborer avec les universités africaines. C’est une façon de le faire.
Je vais également reprendre l’exemple du Fonds canadien pour l’Afrique. Ce fonds a joué un rôle essentiel dans la lutte contre la polio et le VIH. Il n’y avait pas beaucoup d’argent; c’était une petite somme d’argent. Du point de vue de l’évaluation, il y a eu une incidence incroyable sur la santé dans la région, et je pense que c’est quelque chose que nous pouvons faire.
Pour répondre à votre question, nous devons créer un lieu où nos universités et les formidables laboratoires de recherche que nous avons ici peuvent s’associer avec les universités africaines pour créer la nouvelle génération de fournitures médicales et de recherches, etc. afin que vous puissiez lutter contre certains problèmes de santé sur le continent africain.
Ce que nous pouvons faire ensuite, c’est aider à bâtir une capacité indépendante au sein des pays africains dans le domaine de la santé. Comme je l’ai dit, au Canada, le fonds que nous avons fourni a joué un rôle, et nous pouvons en faire davantage. L’argent en jeu ne représente pas une grosse somme par rapport à la somme d’argent que nous dépensons parfois dans les activités de maintien de la paix et ainsi de suite. C’est une somme minuscule, mais ses répercussions sont énormes.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le sénateur Kutcher : Monsieur Tieku, un certain nombre de personnes autour de la table ont effectué des travaux postsecondaires d’établissement à établissement dans diverses parties de l’Afrique, mais il s’agit généralement de projets ponctuels, et c’est habituellement par hasard que l’on entre en contact les uns avec les autres. Y a-t-il une structure au Canada qui est chargée de cerner, de promouvoir et de soutenir de telles collaborations postsecondaires, et s’il n’y en a pas, devrait-il y en avoir une?
M. Tieku : Nous n’avons pas un moyen très systématique de nouer le dialogue avec les établissements africains. Cela dépend habituellement des intérêts des universités. Par exemple, nous entretenons une bonne relation avec les universités d’Afrique de l’Est, et c’est pourquoi je pense que notre santé, notre faculté de médecine puis le programme de santé mondiale entretiennent une très bonne relation avec elles. J’ai l’impression que nous pouvons en faire davantage. Par exemple, par l’entremise de notre Conseil de recherches des sciences sociales, ou CRSS, nous pouvons créer une ligne parallèle, en encourageant les universités canadiennes à établir des relations avec le continent africain.
Soit dit en passant, ces relations sont mutuelles. Une partie de la recherche réalisée sur le continent africain a vraiment bénéficié aux Canadiens pour ce qui est de... si vous regardez une partie des travaux que mes collègues ont faits dans le cadre de Western Heads East. Nous devons les créer, et cela doit se faire de façon plus systématique et plus dirigée par le gouvernement fédéral. Mais il faut investir de l’argent. Les universités elles-mêmes ne le feront pas à moins que vous ne les encouragiez à le faire. Autrement, tout cela n’est que ponctuel, épisodique et personnalisé, et je pense que nous avons besoin d’une approche beaucoup plus institutionnalisée à cet égard.
Le sénateur Kutcher : Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Avez-vous terminé, sénateur Kutcher? Avez-vous quelque chose à ajouter? Non? C’est bon?
Le sénateur Kutcher : Je suis d’accord avec lui.
La présidente suppléante : Parfait. Eh bien, permettez-moi alors de profiter de l’occasion pour remercier nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui et d’avoir fourni des réponses très concises et très informatives. Nous vous sommes très reconnaissants de votre participation.
Sénateurs et sénatrices, s’il n’y a rien d’autre, nous allons lever la séance.
(La séance est levée.)