LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 4 avril 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), avec vidéoconférence, en vue d'étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite à vous tous ainsi qu’aux personnes à l’écoute sur sencanada.ca partout au pays la bienvenue au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Avant de commencer, je veux souligner que nous nous rencontrons aujourd’hui dans l’édifice du Sénat du Canada, qui est situé sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Mon nom est Brian Francis. Je suis un sénateur d’Epekwitk, qu’on appelle aussi l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis le président du comité.
Je vous présente les membres du comité qui participent à la réunion :
Le sénateur Daniel Christmas, qui est le vice-président du comité; le sénateur David M. Arnot; la sénatrice Michèle Audette; le sénateur Patrick Brazeau; la sénatrice Mary Coyle; la sénatrice Nancy J. Hartling; la sénatrice Sandra M. Lovelace Nicholas; la sénatrice Kim Pate et le sénateur Scott Tannas. La sénatrice Pat Duncan du Yukon participe aussi à la réunion d’aujourd’hui.
Nous sommes ici aujourd’hui pour examiner Réclamer notre pouvoir et notre place : le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Je vous présente notre premier groupe de témoins. Nous accueillons aujourd’hui l’ancienne commissaire en chef ainsi que les anciens commissaires de l’enquête nationale : l’honorable juge Marion Buller, l’honorable sénatrice Michèle Audette, M. Brian Eyolfson et Mme Qajaq Robinson.
L’ancienne commissaire en chef et les anciens commissaires feront chacun une déclaration d’un maximum de cinq minutes, après quoi il y aura une période de questions et de réponses pendant laquelle chaque sénateur aura droit à environ trois minutes. Je préviendrai les témoins lorsqu’il leur restera une minute de temps de parole. Je ferai de même pour tout le monde quand il ne restera qu’une des trois minutes prévues pour la période de questions et de réponses.
Je rappelle à tous que pendant la période de questions et de réponses les membres du comité auront la priorité. Les sénateurs dans la salle qui ont une question doivent lever la main. Ceux sur Zoom doivent utiliser la fonction « lever la main ». Ils recevront un signe de la greffière dans le clavardage.
J’invite Mme Buller à commencer sa déclaration.
Marion Buller, ancienne commissaire en chef, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : Je vous remercie, monsieur le président. Je m’adresse à vous aujourd’hui du territoire traditionnel, ancestral et non cédé des Tsleil-Waututh et des bandes de Squamish et de Musqueam.
Aujourd’hui, je vais d’abord tracer une esquisse des travaux de l’enquête nationale; puis, l’ancien commissaire Eyolfson parlera des principes d’interprétation du rapport final et de nos principales conclusions; l’ancienne commissaire Robinson parlera ensuite du rôle du Sénat dans la mise en œuvre des appels à la justice; enfin, notre ancienne collègue, la sénatrice Audette, parlera d’autres éléments pertinents pour les sénateurs et aura le mot de la fin.
Passons à l’enquête nationale. Je commencerai mon survol par notre cadre de référence. Cette enquête était la première vraie enquête nationale. Nous avions des décrets et des mandats à l’échelon fédéral de même que pour chaque province et territoire. Le mandat de l’enquête nationale a débuté le 1er septembre 2016 et a pris fin le 30 juin 2019.
Le cadre de référence est assez long, mais en voici l’essentiel : il exige que nous enquêtions sur les causes systémiques de toutes formes de violence à l’égard des femmes et des filles autochtones. Nous devions évidemment faire des recommandations pour mettre fin à la violence et pour commémorer la mémoire des proches disparues.
Passons maintenant aux travaux de l’enquête nationale. Nous avons entendu le témoignage de près de 2 400 personnes. Ces témoins étaient des personnes ayant perdu de proches parentes, des survivantes d’acte de violence, des spécialistes, des gardiens du savoir traditionnel et des aînés.
Des personnes d’un bout à l’autre du pays nous ont livré leur témoignage, parfois en public, parfois en privé. Il y avait aussi, parmi les membres du personnel, des consignateurs de déclarations. Ils se rendaient dans de petites régions éloignées pour recueillir la vérité propre de membres de la famille et de survivantes dans des endroits où nous ne pouvions pas organiser d’audiences publiques ou privées. C’est l’une des très nombreuses mesures novatrices que nous avons appliquées à notre travail. Pour vous donner une idée, en voici quelques exemples...
Le président : Je suis désolée, madame Buller, nous n’entendons pas l’interprétation.
Mes excuses, madame Buller. Vous pouvez continuer.
Mme Buller : Je vous remercie, monsieur le président. J’allais vous parler des autres aspects où nous avons innové et du travail que nous avons accompli. Je serai brève.
Tout d’abord, nous voulions donner la préséance aux familles. Nous avions un Cercle conseil national des familles pour nous conseiller dans nos actions et dans la conduite de nos travaux. Lors des audiences, il n’y avait pas de contre-interrogatoire des membres de la famille ou des survivantes d’actes de violence. Par respect pour leur territoire, nous sommes allés voir que les peuples qui nous avaient invités et qui voulaient nous accueillir.
Les témoins n’avaient pas à prêter serment sur une bible. Nous avons laissé chacun libre de choisir la façon de lier sa conscience. Nous avons inclus les personnes bispirituelles et intergenres dans nos travaux en raison des formes de violence additionnelles dont elles sont victimes. Nous avons aussi fait une place aux survivantes d’actes de violence parce que nous croyons qu’elles ont des choses à nous apprendre, particulièrement quant à la manière de mettre fin à la violence. Par ailleurs, nous avons observé le cérémonial local dans le cadre de tous nos travaux.
Nous avions des groupes consultatifs, surtout pour les Métis, les Inuits, les personnes bispirituelles, ou 2E, intergenres ainsi que pour les questions propres au Québec. Nous avons organisé des tables rondes sur les mêmes sujets avec des personnes de différents milieux pour en apprendre davantage sur les problèmes auxquels sont confrontés les Métis, les Inuits, les personnes bispirituelles et intergenres ainsi que les personnes qui habitent le Québec.
Nous avions une équipe de chercheurs qui a fait la synthèse de plus de 900 publications pertinentes et qui a poursuivi nos propres recherches sur les questions visant les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones portées disparues ou assassinées.
Nous avons publié un rapport provisoire intitulé Nos femmes et nos filles sont sacrées en novembre 2017. Nous avons aussi produit un guide pédagogique intitulé Leurs voix nous guideront pour faire connaître, de la maternelle au postsecondaire, la question des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones assassinées ou portées disparues.
Nous avons publié notre dernier rapport, Réclamer notre pouvoir et notre place, en juin 2019. Il se compose de quatre volumes, dont deux pour le corps principal du rapport. Il y a aussi un rapport complémentaire qui porte sur les questions auxquelles sont confrontés les peuples autochtones au Québec et un rapport supplémentaire sur la question du génocide.
Nous avons des recommandations appelées « appels à la justice ». Il y en a 230, mais ils s’adressent à des groupes précis. Je suppose que le principal est celui des gouvernements — j’entends par là tous les gouvernements, y compris les gouvernements autochtones. Chaque catégorie d’appels à la justice comporte aussi des subdivisions.
Nous avons aussi fait des appels à la justice visant les médias et les influenceurs sociaux, les fournisseurs de services de transport et l’industrie hôtelière, les industries extractives et d’exploitation des ressources, les éducateurs, les intervenants en protection de l’enfance, les services de police, le système judiciaire et le Service correctionnel du Canada. Il y a aussi des appels à la justice visant l’ensemble de la population canadienne.
Enfin, il y a des appels à la justice propres aux Inuits, aux Métis et aux personnes bispirituelles.
Le président : Je suis désolée, madame Buller, mais il ne reste qu’une minute.
Mme Buller : Je vous remercie, monsieur le président.
Le rapport sur le Québec adopte une présentation similaire.
Je laisse au commissaire Eyolfson le soin de parler des principes d’interprétation et des conclusions. Je vous remercie, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie, madame Buller. C’est à vous, monsieur Eyolfson. Je vous invite à prendre le relais.
Brian Eyolfson, ancien commissaire, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : Je vous remercie. Bonjour à vous tous. Je m’adresse à vous du territoire non cédé du peuple algonquin, qu’on appelle aujourd’hui l’Est de l’Ontario. Je vais parler brièvement de certaines de nos conclusions ainsi que des principes de changement.
L’enquête nationale est parvenue à de nombreuses conclusions qui sont présentées tout au long du rapport final.
Les chapitres 5 à 8 du rapport final portent sur quatre grands secteurs, soit la culture, la santé, la sécurité et la justice. À la fin de chacun, on trouve de nombreuses conclusions. Nous avons également formulé des conclusions à propos d’industries, d’institutions et de services. Celles-ci sont indiquées dans les sections « réflexions approfondies » du rapport.
Dans le rapport, on trouve nos principales conclusions. Elles sont indiquées aux pages 196 et 197 du volume 1b. En voici un résumé. La première de ces conclusions est que la tendance importante, persistante et délibérée qui consiste à violer les droits de la personne et les droits des Autochtones, et à leur porter atteinte, de manière systémique et en se fondant sur la race ou le genre s’est perpétuée historiquement et est maintenue en place encore aujourd’hui par l’État canadien. Elle est la cause des disparitions, des meurtres et de la violence dont sont victimes les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA ou bispirituelles autochtones et elle représente un génocide.
De ce fait, nous concluons qu’un véritable changement de paradigme est nécessaire pour abolir le colonialisme qui règne au sein de la société canadienne, dans tous les ordres de gouvernement et dans les institutions publiques.
Deuxièmement, nous avons constaté que le Canada a signé et ratifié nombre de déclarations et de traités internationaux qui touchent les droits, la protection et la sécurité des femmes, des filles et des personnes bispirituelles et trans autochtones, mais il n’a toutefois pas su mettre en œuvre de façon significative les dispositions de ces mécanismes juridiques.
Troisièmement, nous avons constaté que l’État canadien a privé les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones de leurs rôles traditionnels en matière de gouvernance et de leadership et qu’il continue de violer leurs droits politiques.
Quatrièmement, nous avons constaté que l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale sont nécessaires dans tous les secteurs de la société autochtone si l’on souhaite servir et protéger adéquatement les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones, tout particulièrement en ce qui concerne la prestation de services.
Toutes ces conclusions ont orienté les appels à l’action du rapport. De plus, les témoins qui ont raconté leur vérité propre nous ont également expliqué bon nombre de principes et d’idées qui doivent orienter la mise en œuvre de chacun des appels à la justice afin qu’ils soient efficaces et significatifs. Ces principes de changement ont orienté les travaux de l’enquête nationale. Il faut les considérer comme d’importants principes directeurs pour interpréter et mettre en œuvre les appels à la justice. Ces principes sont indiqués à partir de la page 191 du volume 1b du rapport. Voici en quoi ils consistent.
Le premier principe insiste sur la mise en relief de l’égalité véritable, des droits de la personne et des droits des Autochtones. Nous maintenons que toute action et toute mesure corrective destinée à s’attaquer aux causes profondes de la violence doivent être fondées sur les droits de la personne et les droits des Autochtones et qu’elles doivent mettre l’accent sur l’atteinte de l’égalité réelle pour les peuples autochtones.
Le deuxième principe sous-tend une approche de décolonisation qui est enracinée dans les valeurs, les philosophies et les systèmes de connaissances autochtones.
Le troisième principe repose sur la participation des familles et des survivantes. Il est important que la mise en œuvre des appels à la justice inclue les points de vue et la participation des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones qui souhaitent témoigner de leur expérience, y compris les familles de personnes disparues et assassinées et les survivantes de la violence.
Le quatrième principe veut qu’il y ait des solutions autodéterminées et des services dirigés par les Autochtones, qui doivent être dirigés par les gouvernements, les organisations et les peuples autochtones. De plus, l’exclusion des femmes, des filles, des personnes bispirituelles ou trans, des aînés et des enfants autochtones de l’exercice de l’autodétermination autochtone doit elle aussi prendre fin.
Le cinquième principe implique la reconnaissance des distinctions. Comme les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones proviennent de diverses communautés inuites, métisses et des Premières Nations, les appels à la justice doivent être interprétés et mis en œuvre de façon équitable et non discriminatoire, en répondant aux besoins des peuples autochtones distincts et en tenant compte des facteurs qui les distinguent, notamment l’auto-identification, l’information géographique ou régionale, la résidence de même qu’une approche et un cadre fondés sur le genre pour faire en sorte que les répercussions sur les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et trans sont prises en compte.
Le président : Je m’excuse de vous interrompre, monsieur Eyolfson, mais il vous reste une minute.
M. Eyolfson : Je vous remercie, monsieur le président.
Le sixième principe de changement a trait à la sécurisation culturelle. Cette notion va au-delà du simple principe de pertinence culturelle et nécessite l’adoption de services et de processus qui renforcent l’autonomie des peuples autochtones. La sécurisation culturelle requiert, au minimum, l’intégration des langues, des lois et des protocoles, de la gouvernance, de la spiritualité et des religions autochtones.
Le septième principe, qui est fort important, implique l’adoption d’une approche qui tient compte des traumatismes dans l’ensemble des politiques, des procédures et des pratiques relatives aux solutions et aux services. Cet aspect est essentiel à la mise en œuvre des appels à la justice.
Merci beaucoup. Je vais céder la parole à ma collègue, l’ancienne commissaire Qajaq Robinson.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Eyolfson. J’invite Mme Robinson à commencer.
Qajaq Robinson, ancienne commissaire, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : Je vous remercie de m’accueillir parmi vous aujourd’hui. Je m’adresse à vous du territoire non cédé des peuples algonquins de la région de la capitale nationale. C’est un immense honneur d’être ici et de pouvoir vous faire part de nos points de vue et de notre savoir.
Aujourd’hui, je vais brièvement vous entretenir de la mise en œuvre. Mes collègues, les anciens commissaires Buller et Eyolfson, vous ont donné un aperçu des processus, du rapport, des conclusions ainsi que des principes de changement et de la mise en œuvre, qui sont fort importants.
Il est crucial d’aborder la mise en œuvre des appels à la justice de manière globale. Une liste comportant plus de 231 appels à la justice ne peut être envisagée comme une liste de cases ou de tâches à cocher. Il faut considérer l’ensemble des objectifs et tenir compte de la visée qu’ils poursuivent et de l’espoir qu’ils suscitent.
Certes, les appels à la justice cherchent à traiter les causes profondes de la violence et de l’oppression subies par les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQ+ autochtones afin de mettre fin à cette violence et à cette oppression. Cela dit, ils visent fondamentalement à leur assurer de vivre dans la dignité.
Je vais vous faire part de la vision que le Cercle national des familles et des survivantes a présentée avec beaucoup d’éloquence lorsqu’il a fait part au pays de sa vision pour un plan de mise en œuvre.
Nous voulons que toutes les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones puissent vivre dans la dignité de même que dans un monde où nous sommes libres de pleinement exercer et faire valoir nos droits autochtones, notamment nos droits ancestraux et issus de traités ainsi que nos droits de la personne, un monde où nous pourrons continuer de réclamer notre pouvoir et notre place sur nos terres et nos territoires, mais aussi au sein de nos nations, de nos peuples et de nos communautés, où nous serons estimés et respectés et vivrons dans la dignité et l’égalité réelle au Canada.
Se posent ensuite les questions suivantes : comment évalue-t-on cela? Quelle forme cela prendra-t-il?
Au Canada, nous avons du mal à définir ce que c’est que de vivre dans la dignité et à évaluer ce à quoi cela correspond. Malheureusement, nous nous concentrons sur des statistiques peu reluisantes, et nous pensons que c’est le point de référence. Trop souvent, nous posons les mauvaises questions et nous n’échangeons pas avec les bonnes personnes quand nous voulons savoir si des mesures sont positives et efficaces. Or, dans le cadre de la mise en œuvre des appels à la justice, c’est d’une importance fondamentale. Ils resteront lettre morte si nous ne veillons pas à ce qu’ils aient un effet concret, réel et tangible dans la vie des femmes, des filles et des personnes intergenres autochtones, ainsi que dans celles des familles, des communautés et des nations.
Voilà pourquoi l’appel à la justice 1.1 est fondamental. Il y est question de mécanismes indépendants permettant de rendre des comptes sur la mise en œuvre et d’évaluer la progression, l’efficacité et le sérieux de celle-ci. Les rapports annuels au Parlement en sont un élément important.
C’est à cet égard que nous estimons que le Sénat a un rôle à jouer, même s’il n’est pas le Parlement. Vous pouvez faire progresser la mise en œuvre en demandant des comptes au gouvernement du Canada et aux organismes gouvernementaux. Après tout, il s’agit pour eux de s’acquitter de leurs responsabilités, lesquelles ont été définies dans les appels à la justice qui leur sont destinés. Vous pouvez leur demander de comparaître, comme nous le faisons, non seulement pour vous indiquer ce qu’ils ont fait, mais aussi pour vous montrer en quoi ces actions favorisent l’avancement de la mise en œuvre des appels à la justice et de quelle manière ces actions respectent les droits autochtones ainsi que les droits de la personne à l’échelle nationale et internationale.
Ils ne doivent pas se contenter de vous montrer les montants dépensés et les postes budgétaires correspondants. Ils doivent être en mesure de vous montrer l’effet que cela a eu sur la vie des gens. Vous devez être en mesure de comprendre comment leurs actions et leurs décisions ont influencé et amélioré la vie des gens. Il ne suffit pas de produire des statiques montrant que la criminalité est en baisse. Il faut montrer en quoi la vie des gens s’est améliorée, en quoi le bien-être et l’autodétermination ont progressé et à quoi ressemble une vie dans la dignité. Nous estimons qu’il est fondamental, pour en arriver à comprendre les effets des actions et des mesures, que vous entendiez le témoignage des personnes les plus touchées, soit les familles et les survivantes, car le but de ce travail est d’avoir un effet sur la vie de ces femmes, de ces filles et de ces personnes bispirituelles autochtones.
Vivre dans la dignité et l’égalité réelle, en étant estimé et respecté, est bien plus qu’une affaire de statistique. Cela va bien au-delà des statistiques sur la criminalité et des taux d’incarcération et beaucoup plus loin que ce à quoi on s’arrête le plus souvent. Je vous demande donc aujourd’hui — nous vous le demandons tous — d’user de votre fonction de sénateurs pour demander des comptes au gouvernement, pour examiner ce qui se cache derrière les rapports et les beaux discours afin de voir ce qui se passe dans les collectivités. Quand c’est possible, rendez-vous dans les collectivités, communiquez avec les personnes touchées, rencontrez les familles, les travailleurs de première ligne ainsi que les femmes, les filles et les personnes intergenres autochtones. Laissez-les vous expliquer ce que c’est, pour elles, de vivre dans la dignité, l’équité et l’égalité réelles au Canada. Nakurmiik.
[Français]
L’honorable Michèle Audette, ancienne commissaire, Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées : [mots prononcés dans une langue autochtone]
Merci à vous, chers collègues, d’avoir invité de grandes personnes qui ont une place importante dans mon cœur, car elles ont été mes mentores dans cette commission d’enquête, qui a été l’une des plus difficiles expériences de vie que j’ai connues durant mes quelques années sur Terre. Surtout, merci à toutes les familles et aux survivantes qui ont osé exprimer leur vérité, encore une fois ou trop souvent. Merci à celles qui ont exprimé leur vérité pour la première fois.
Leurs paroles, qui étaient un récit, sont maintenant devenues une vérité. Cette vérité s’est exprimée au point où, pour les quatre commissaires, il était évident qu’il s’agit, au-delà des recommandations, d’impératifs juridiques. Les lunettes juridiques ont été placées au bon endroit grâce aux récits de ces femmes.
Comme pays, nous avons maintenant la grande responsabilité de répondre au quotidien.
Je suis choyée de porter les mocassins de sénatrice depuis quelque temps. Comment allons-nous faire pour exercer une influence et nous assurer que le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires mettent en place des mécanismes de reddition de comptes et des outils pour faire en sorte... Nous savons que l’appel a été honoré, nous savons que l’appel ne semble pas avancer. Pourquoi? Nous avons besoin de cela. Comment assurer toute cette reddition de comptes et cette surveillance, comment surveiller et améliorer les choses? Les ombudsmans sont importants pour bien des familles et pour moi. Ce qui est également important pour moi, comme mère de famille entourée de survivants et de survivantes, c’est de se rappeler que les femmes nous ont demandé maintes fois de les placer au centre du processus de réflexion, d’analyse, de débat ou de création d’institutions. Elles nous ont dit : « Incluez-nous au début et tout au long du processus. »
Je nous invite, chers collègues, à poser des questions au gouvernement du Canada, au secrétariat qui a le mandat de mettre en œuvre le plan d’action et aux ministères du gouvernement du Canada. Bien sûr, invitez d’autres gouvernements qui ont déjà mis de l’avant des appels à la justice. Je suis curieuse de les entendre. C’est notre responsabilité.
Une de nos responsabilités communes est de poser les vraies questions. Qu’est-ce qui fait que tout cela tarde autant? Pourquoi n’avons-nous pas déjà honoré la plupart des appels? Si c’est fait, expliquez-nous. Il y a des gens émotionnellement intelligents au Sénat et à l’extérieur du Sénat. Ce sont des femmes qui ont fait vibrer le pays en 2019 lors du dépôt du rapport. Ce sont des femmes et des organisations de femmes qui s’assurent, au sein du gouvernement fédéral, de poser les bonnes questions. Je suis curieuse de les entendre et nous devrions l’être aussi.
Pour terminer, lorsqu’on met des mesures et des initiatives en place, vont-elles vraiment dans la communauté? Ont-elles vraiment un impact dans le village ou à l’endroit où l’on n’a pas l’habitude d’aller? C’est très important. Je suis une ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada et de Femmes autochtones du Québec. Le financement est important, mais nous devons aussi soutenir les femmes comme Pauktuutit va le faire dans le Nord, dans les régions de l’Est du Canada et dans les Maritimes, où l’on a moins l’habitude d’aller. Dans une ancienne vie, j’ai remarqué que le trajet le plus facile est souvent préférable.
Je pense à toutes celles qui sauvent des vies et à toutes celles qui accompagnent des vies.
J’aimerais poser ces questions aux gens des gouvernements, pour savoir s’ils font réellement honneur aux appels à la justice.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, sénatrice Audette. Nous allons maintenant passer à la période de questions et de réponses. Je vais poser la première question, puis ce sera au tour du sénateur Arnot.
Ma question s’adresse à vous trois, et vous pouvez tous y répondre, si vous le voulez. Vous avez déjà donné des éléments de réponse, mais je la pose par souci de clarté.
Le comité a l’intention d’entreprendre une étude à l’automne sur la mise en œuvre fédérale des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Sur quoi le comité ferait-il mieux de se pencher? Devrions-nous, par exemple, nous concentrer sur la réponse globale du gouvernement fédéral avant et après la sortie du rapport final ou sur la mise en œuvre de certains appels à la justice, et si oui, lesquels?
Mme Buller : Il est important de concentrer les efforts sur la mise en œuvre. Le travail a été fait, il est temps de l’accepter et de passer à l’étape de la mise en œuvre. Toutefois, j’aimerais savoir ce qu’en pensent mes collègues.
Mme Robinson : Je souscris aux propos de la commissaire en chef Buller. Il est temps de se pencher sur la façon dont le gouvernement et les organismes gouvernementaux mènent la mise en œuvre. J’ai fait allusion à l’un des enjeux, soit comment détermine-t-on si c’est une réussite? Quels sont les indicateurs qui montrent que la mise en œuvre est efficace et réussie? Je ne dirai pas quels appels à la justice doivent être considérés comme étant prioritaires pour savoir lesquels ont été mis en œuvre. Cependant, à mon avis, certains sont fondamentaux; ils portent sur la mise en œuvre, et sur le fait qu’il faut rendre des comptes sur celle-ci et en assurer la surveillance. Voilà des aspects sur lesquels il est essentiel de demander au gouvernement de vous montrer comment il procède à la mise en œuvre et comment il l’évalue. À cet égard, il faut entendre certains points de vue essentiels, surtout ceux des organisations de femmes autochtones.
Le président : Je vous remercie, madame Robinson.
M. Eyolfson : Dans le cadre de l’examen de la mise en œuvre, il est important de s’intéresser à ce qui se passe à la base. Il faut donc consulter les membres des familles, les survivantes et les organismes communautaires pour connaître leurs points de vue en ce qui a trait à la mise en œuvre et leur demander quels sont ses effets positifs, advenant le cas. Il est fort important de consulter ces groupes.
Le président : Je vous remercie. Avez-vous quelque chose à ajouter, sénatrice Audette?
La sénatrice Audette : Tout a été dit, et bien dit, merci.
Le sénateur Arnot : Je vous remercie. Je m’adresse à vous aujourd’hui de Saskatoon, en Saskatchewan, au cœur du territoire du Traité no 6 et du territoire ancestral des Métis. Je tiens à remercier les commissaires de leur présence ici, aujourd’hui, ainsi que de leur travail courageux. C’est un rapport très complet, qui revêt une importance cruciale pour la réconciliation dans ce pays.
J’aimerais parler de la création d’institutions indépendantes pour assurer la reddition de comptes, un aspect dont certains commissaires ont déjà parlé. À ce propos, vous faites valoir que l’objectif fondamental est d’obliger le pouvoir exécutif à rendre des comptes au sujet de la mise en œuvre des appels à la justice et des actions qu’il a menées. C’est tout à fait louable et, selon moi, c’est la voie à suivre.
Je crains toutefois que le gouvernement soit réticent à créer ces entités indépendantes. Voici donc ma question, qui s’adresse à vous tous. Quelle a été la réponse du gouvernement à l’idée de créer ces institutions indépendantes? Plus précisément, que peut faire le Sénat, selon vous, pour favoriser la mise en place d’institutions indépendantes, qui pourraient prendre la forme d’un tribunal des droits de la personne, d’un ombudsman, et cetera? Je suis impatient d’entendre vos réponses.
Mme Buller : Merci, sénateur Arnot. Quelles sont les mesures prises par le gouvernement? Je ne sais pas. Pour être tout à fait franche avec vous, depuis le 30 juin 2019, personne ne me fait remonter les informations ni à moi ni aux autres commissaires. La seule façon de le savoir, c’est de faire comme tout autre citoyen au Canada et d’aller vérifier sur Google de temps en temps. Je n’ai donc aucune idée de ce que fait le gouvernement, et c’est compliqué à savoir.
Le Sénat peut-il nous aider? Il y a de nombreuses façons pour le Sénat de faire subtilement pression sur le pouvoir exécutif. Provoquer de l’embarras est une façon d’exercer des pressions subtiles, mais je préfère laisser mes collègues faire leurs observations. Merci, sénateur.
Mme Robinson : J’aimerais ajouter quelque chose. D’après mes recherches sur Google, je pense qu’on est en train de discuter de la création d’un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne, ainsi que d’un tribunal connexe. Quant à l’opinion du gouvernement à ce sujet, je n’en sais rien. Le gouvernement n’affiche pas clairement ses velléités en ce qui concerne le plan d’action qu’il a présenté en juin.
Cela dit, pour parler de ce que peut faire le Sénat, j’ai quelques idées à ce sujet. Dans le cadre de vos fonctions et dans les conclusions de vos études, vous êtes en mesure de vous faire l’écho de cet appel à la justice. Vous avez aussi la possibilité de créer des lois, et c’est un point important à prendre en compte. On s’attend à ce que ces structures soient des organes législatifs. Toutefois, je recommanderais que la création de ces structures et le contenu des lois soient mis au point conjointement avec les peuples autochtones afin de pouvoir avoir le respect et l’adhésion de la communauté autochtone.
Voilà donc les deux cordes que vous avez à votre arc.
Le président : Merci, madame Robinson.
La sénatrice Coyle : Je voudrais commencer par remercier tous les commissaires d’avoir bien voulu témoigner aujourd’hui. J’ai deux questions, et je vais vous les poser en même temps.
Madame la commissaire en chef Buller, vous avez dit quelque chose qui a piqué mon intérêt. En tant que principaux acteurs et leaders chargés de présenter ce rapport au gouvernement, mais aussi à tous les Canadiens, vous n’avez pas de rétroaction de la part du gouvernement à propos des mesures qu’il prend. J’aimerais donc vous demander — ainsi qu’à vos collègues — comment vous percevez votre éventuel rôle en tant que commissaires dans ce processus, étant donné qu’un suivi s’avère absolument essentiel alors que nous entamons la phase de la mise en place. Voici ma première question.
Deuxièmement, projetons-nous cet automne où nous poursuivrons, je l’espère, un examen plus approfondi. Monsieur Eyolfson, vous avez mentionné qu’il est absolument nécessaire d’opérer un changement de paradigme pour démanteler le colonialisme. Nous avons aussi entendu les mots de Mme Robinson, qui a évoqué la nécessité de définir et de faire naître la notion de vie dans la dignité, dans un contexte d’égalité réelle. Voilà donc des résultats que nous visons.
Avez-vous des conseils à nous donner pour que nous puissions définir si cet objectif a été atteint — pas seulement en fonction de ce que le gouvernement a fait ou a promis de faire, mais bien qualitativement parlant? Comment saurons-nous si nous avons atteint cet objectif? Qui est chargé de définir ce qu’est le démantèlement du colonialisme qui permettrait de mener une vie digne, comme vous l’avez exposé? Merci.
Mme Buller : Sénatrice Coyle, je vous répondrai brièvement au sujet du suivi et de nos éventuels rôles. Je suppose qu’aucun d’entre nous n’est à la recherche d’un nouveau poste, et nous sommes tous très profondément attachés à la cause des femmes, des filles et des personnes bispirituelles autochtones portées disparues et assassinées. Nous avons amassé de nombreuses connaissances à ce sujet. Je n’en dirai pas plus. Je ne peux pas m’engager pour les autres, mais ce travail nous tient à cœur. Je laisse la parole à mes collègues pour répondre à votre deuxième question. Merci.
M. Eyolfson : Merci de votre question, sénatrice Coyle. Pour ce qui est du changement de paradigme, tout au long de l’enquête nationale, nous avons entendu de nombreuses vérités et nous avons accumulé tellement de preuves sur le rôle considérable du colonialisme dans l’histoire, jusqu’à aujourd’hui, ainsi que sur la discrimination systémique contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones. Il faut qu’un véritable changement s’opère dans les structures organisationnelles. Une des choses que nous avons apprises est que les familles, les survivants et ceux qui ont vécu...
Le président : Sénatrice Coyle, je suis désolé d’interrompre la réponse, mais votre temps est écoulé.
Je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de trois minutes pour les questions et réponses. Je sais que c’est peu, mais nous avons des contraintes de temps et nous devons avancer. Plusieurs sénateurs souhaitent poser des questions.
Le sénateur Brazeau : Merci à tous d’être présents cet après-midi. Je vous remercie également pour le travail acharné et difficile que vous avez mené au nom des peuples autochtones et de tous les Canadiens. Ma question sera brève.
Visiblement, la commission avait un mandat dans le cadre duquel vous avez effectué votre travail. C’est une chose de demander des comptes au gouvernement — et c’est important de le faire — mais j’aimerais savoir s’il y a des sujets ou des problèmes en particulier que le gouvernement n’aurait pas inclus dans les paramètres de votre travail à la commission, et que vous n’avez pas pu traiter par conséquent. Si votre travail a été entravé d’une quelconque manière, ce comité pourrait peut-être vous aider, c’est essentiellement ce que je voudrais savoir. Merci.
Mme Buller : Merci, monsieur le sénateur. Je resterai brève. Le problème n’était pas tant que notre mandat nous empêchait d’étudier certains dossiers, mais plutôt que l’échéancier imposé pour les étudier nous a limités dans notre travail. Nous aurions voulu approfondir les choses concernant certains sujets comme le système correctionnel, la traite des personnes, l’industrie du sexe et aussi les répercussions du secteur de l’extraction. Je cède la parole à mon collègue.
M. Eyolfson : Merci de votre question, sénateur Brazeau. J’aimerais ajouter un point à ce qu’a dit la commissaire en chef Buller. Je pense qu’en plus des sujets que nous n’avons pas pu approfondir, le problème a été que nous n’avons pas été invités à nous rendre dans certains endroits où se trouvaient des familles et des survivants qui auraient pu témoigner. Malheureusement, nous n’avons pas pu nous rendre partout où nous voulions aller.
[Français]
La sénatrice Audette : Je vais me permettre d’intervenir rapidement.
Sénateur Brazeau, l’une des difficultés était d’aller rencontrer chaque gouvernement dans chaque province pour poser les questions qui nous avaient été soumises par des familles, des survivants et des témoins et de rencontrer nos gouvernements des Premières Nations, des Métis et des Inuits pour discuter plus en profondeur des situations qui prévalent dans les territoires. Si nous avions eu assez de temps pour le faire, je crois que cela aurait fait partie des chapitres très importants du rapport de la commission d’enquête.
[Traduction]
Le président : Je rappelle aux témoins qu’ils peuvent envoyer leurs réponses ou tout document de suivi au greffier après la réunion s’ils n’ont pas eu le temps de le faire aujourd’hui.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé et non abandonné de la nation Wolastoqiyik. Le Nouveau-Brunswick a-t-il été invité à participer aux appels à la justice? N’importe qui peut répondre.
Mme Buller : Oui, madame la sénatrice, nous avons pu tenir des audiences au Nouveau-Brunswick. Nous avons pu recevoir des mémoires de la part de toutes les provinces et de tous les territoires. Je ne me souviens plus exactement si nous avons rencontré les représentants du gouvernement au Nouveau-Brunswick, mais je sais que le dialogue était possible tout au long de l’enquête. Mes collègues pourront peut-être vous répondre plus précisément.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
M. Eyolfson : Merci, sénatrice Lovelace Nicholas. J’aimerais signaler que la première partie des appels à la justice porte sur les appels à la justice visant tous les gouvernements. Ces appels à la justice ciblent le gouvernement fédéral, mais aussi les gouvernements provinciaux, territoriaux, municipaux et autochtones dans de nombreux cas. Cela dit, certains ne s’adressent qu’aux gouvernements provinciaux et territoriaux. Tout cela est précisé dans la partie sur les appels à la justice.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
La sénatrice Hartling : Je voudrais remercier tous les témoins d’être venus nous parler aujourd’hui. Plus j’en apprends à ce sujet, plus je trouve cela troublant et difficile émotionnellement. Je ne suis pas une survivante, mais je suis touchée par la situation.
Avec le travail que vous avez accompli, et avec ce que nous avons appris et notre espoir de pouvoir changer les choses pour les femmes et les familles qui ont traversé ces expériences au cœur de ce processus, comment faire pour les protéger afin qu’elles ne revivent pas un traumatisme et pour les aider si elles traversent à nouveau des moments difficiles? Que pouvons-nous mettre en place? Avez-vous des suggestions? Je ne sais pas si vous en avez, mais je crois que c’est important de poser la question. Merci.
Mme Buller : Sénatrice, merci de votre grande sollicitude. Je pense qu’il est important qu’elles puissent accéder à des services de counselling très rapidement sur place, et je pense que le travail avec les familles et les survivants doit être fait dans une perspective tenant compte des traumatismes.
Mes collègues ont-ils d’autres suggestions?
La sénatrice Audette : Oui, sénatrice Hartling. Les personnes ayant vécu ces traumatismes ont aussi probablement de bonnes suggestions. Elles connaissent des gens, elles ont des familles ou des aînés qui les soutiennent, ou des personnes en qui elles ont confiance. Les suggestions doivent aussi venir d’elles, ce n’est pas à nous de décider si nous allons mettre en place un service. Il faut faire preuve d’ouverture d’esprit et de cœur concernant les personnes en qui elles ont confiance. Bien évidemment, nous devons expliquer, nous devons faire preuve de transparence et nous assurer que tout va bien après qu’elles nous aient parlé.
La sénatrice Hartling : Merci.
Mme Robinson : Je voudrais ajouter que ce que nous avons appris des traumatismes et des protections pour éviter de les revivre, c’est que le fait de discuter de ces problèmes n’est pas le véritable enjeu. Le véritable enjeu, c’est la façon dont les gens sont traités, c’est l’autonomie et la latitude dont ils disposent. Ce que la sénatrice Audette a dit est important, il faut une réciprocité pour comprendre comment procéder, il faut proposer plusieurs possibilités et, bien sûr, des ressources. Il faut pouvoir rencontrer ces personnes là où elles vivent et les aider à définir les processus dont elles ont besoin.
La sénatrice Hartling : Merci.
La sénatrice Pate : Comme vous, je prends la parole depuis les rives du territoire des Kichesipirinis, un territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe. Je voudrais remercier les commissaires de leur travail incroyable et vital pour nous tous. Merci d’avoir soulevé ces enjeux et d’assurer un suivi de votre travail.
Je sais que vous avez mentionné d’entrée de jeu que nous devions étudier cela tous ensemble, et je vous remercie d’avoir précisé que vous vouliez approfondir certains dossiers comme, entre autres, celui des services correctionnels, qui contribue particulièrement aux terribles statistiques dont vous avez parlé. Ces statistiques ne reflètent pas toute la réalité, mais elles nous donnent une certaine idée de ce qui se passe.
J’aimerais m’attarder sur l’appel à la justice no 4.5, qui propose d’établir un revenu annuel garanti. Je siège aussi au Comité des finances et lorsque le gouvernement est venu témoigner — même si cela concernait cet appel à la justice et que nous demandions plus de renseignements —, nos interlocuteurs ont seulement indiqué qu’ils travaillaient avec l’Assemblée des Premières Nations et d’autres partenaires des gouvernements des Premières Nations en vue de mettre au point une approche axée sur les besoins concernant le programme de revenu annuel garanti pour les personnes vivant dans les réserves. Selon la façon dont le programme sera conçu, il est probable qu’il soit nettement inférieur au type de revenu décent et inconditionnel que vous préconisez.
L’un d’entre vous, en tant que commissaires, à votre connaissance, — ou un des foyers concernés — a-t-il été consulté par Services aux Autochtones Canada alors que ce ministère était en train d’élaborer ce programme?
Deuxièmement, avez-vous des suggestions pour renforcer ce programme, en plus de ce que vous avez déjà dit? C’est juste une occasion d’ajouter des précisions si vous le souhaitez.
Merci encore de votre travail.
Mme Buller : Merci, sénatrice Pate. À titre personnel, je n’ai pas été consultée, à aucune étape du processus.
Pour ce qui est de ce qu’il reste à faire, nous devons opérer ce changement de paradigme dont le commissaire Eyolfson parlait, afin d’arrêter de financer des programmes, des projets et des solutions temporaires et d’accepter le fait qu’il est temps de sortir les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones de la marginalité pour qu’elles intègrent la société canadienne. Comment y parvenir? En mettant en place un revenu annuel garanti décent, sensé et distribué dans un secteur géographique défini. Le chipotage ne nous mènera à rien.
Merci.
Mme Robinson : Je n’ai pas non plus été consultée ou sollicitée par Services aux Autochtones à ce sujet, et je partage le sentiment de la commissaire Buller à cet égard.
Il me semble inquiétant que la mise en œuvre de cet appel à la justice soit parcellaire et différente selon les zones géographiques. Vous y êtes admissible si vous vivez dans une réserve, si vous avez le statut d’Indien et si, et si, et si... Ce revenu doit être inconditionnel.
Il faut envisager la question sous l’angle des conséquences de la violence colonialiste et des mesures qui visaient intentionnellement à priver les communautés autochtones, en particulier les femmes et les personnes ayant diverses identités de genre, de leur position de pouvoir, notamment de leurs pouvoirs économiques, de leur richesse et de leur capacité à vivre en autonomie.
Un des objectifs de l’appel à la justice no 4.5 est de corriger un tort — un vol de richesses, si je puis dire. Il ne faut pas mettre cet aspect de côté dans la discussion et on ne peut pas uniquement le considérer comme un problème économique actuel.
Le sénateur Christmas : Je m’adresse à vous depuis la communauté micmaque de Membertou, en Nouvelle-Écosse, où — soit dit en passant — j’ai fait connaissance avec les anciennes commissaires Robinson et Audette alors qu’elles étaient venues visiter notre communauté et rencontrer nos familles.
Pour économiser du temps, j’adresserai ma question à la sénatrice et ancienne commissaire Audette.
Un des appels à la justice recommande de créer un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne, et de mettre sur pied un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne. Pouvez-vous me dire pourquoi cet appel à la justice en particulier a été proposé? Quelles en sont les raisons à l’origine et quel est l’objectif de cet appel à la justice?
[Français]
La sénatrice Audette : Merci beaucoup, sénateur Christmas.
Nous avons eu beaucoup de commissions d’enquête, beaucoup de commissions royales, beaucoup d’études et beaucoup, beaucoup de recherches, où des projets pour la société ont été proposés. Chaque fois, on nous ordonne — et cette fois-ci encore — de procéder à une enquête sur un grand nombre d’enjeux, mais sans connaître la suite.
Personnellement, à mon âge — j’ai maintenant 50 ans —, je crois que les commissions d’enquête doivent absolument pouvoir recourir à un mécanisme inscrit dans la Loi sur les enquêtes, afin qu’un mécanisme de suivi, de contrôle et de surveillance puisse être mis en place dès la fin de la tenue d’une commission d’enquête.
Il s’agit d’investissements moraux, spirituels et humains; certains vont dire que cela coûte cher, mais, une fois que le gouvernement met tout cela sur une tablette, on doit encore tout recommencer.
L’obligation de surveillance est, selon moi, importante et fondamentale. Cette obligation nous donne aussi un sentiment sécurité, si nous devons traiter avec un ombudsman ou un tribunal sur les droits autochtones, afin de nous faire comprendre. C’est important.
[Traduction]
Le sénateur Christmas : Est-ce que les autres commissaires ont des commentaires?
Mme Robinson : Les possibilités de recours et les difficultés pour déclencher un recours concernant les violations des droits des Autochtones et des droits de la personne dans notre système judiciaire constituent un autre aspect fondamental.
Certains tribunaux ont fait preuve d’un excellent jugement, mais il reste que de nombreux juges ont plus l’habitude de traiter des infractions au Code criminel et qu’ils se sont retrouvés face à des affaires touchant aux droits de récoltes autochtones. Ces tribunaux n’ont pas vocation à rendre des décisions aussi fondamentales. Il serait donc crucial de créer une instance spécialisée, qui dispose des compétences pour gérer ce type d’affaires et de l’adhésion des peuples autochtones — une institution où ils pourraient déposer des recours.
Le président : Merci, madame Robinson. Sénateur Christmas, votre temps est écoulé.
La sénatrice Duncan : Je souhaiterais commencer par remercier tous les anciens commissaires de leur travail. Merci au comité de me laisser la possibilité d’intervenir sur cette importante question.
Pour ne rien vous cacher, je souhaite dire en tant que sénatrice du Yukon que le Yukon a été la première administration au Canada à élaborer une stratégie pour mettre en œuvre les conclusions de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Alors que cette stratégie était en cours d’élaboration, on m’a demandé — en qualité de dirigeante communautaire — de l’approuver et de soutenir sa mise en œuvre. D’ailleurs, les sénateurs m’ont bien souvent vu arborer l’épinglette en soutien à la mise en œuvre de cette stratégie.
J’assume pleinement la responsabilité d’avoir approuvé cette stratégie. Les membres de la commission ont évoqué la question de l’imputabilité et de l’obligation du gouvernement fédéral à rendre des comptes. Les commissaires ont-ils des suggestions sur la façon dont les sénateurs et les leaders communautaires pourraient demander des comptes aux gouvernements provinciaux et territoriaux en ce qui concerne l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie?
Merci encore aux commissaires et aux membres du comité.
Mme Buller : Merci, sénatrice Duncan. Pour être honnête, nous avons effectivement été plutôt enthousiasmés par la réaction du Yukon.
La meilleure façon de demander des comptes aux provinces et territoires est de montrer l’exemple. Le Sénat, en particulier, peut montrer l’exemple aux gouvernements provinciaux, territoriaux et municipaux partout au Canada, mais je cède la parole à mon collègue.
M. Eyolfson : Merci, sénatrice Duncan.
Une autre façon de demander des comptes aux provinces et territoires est de mettre en œuvre le plan d’action national, qui envisage d’inclure toutes les provinces et tous les territoires. Je pense que cela inciterait fortement tous les acteurs à participer.
Le président : Il nous reste deux minutes.
La sénatrice Audette : Si le Créateur le veut bien, je serai votre collègue pour les 25 prochaines années. J’espère que nous trouverons une façon de créer un groupe de travail, ou de nous assurer que nous surveillons la suite des choses et que nous assumons tous une responsabilité dans ce projet.
Le président : Je présente mes excuses à nos éminents témoins pour leur avoir coupé la parole par moments, mais notre horaire est très serré.
J’aimerais ajouter que si vous souhaitez ajouter quelque chose au procès-verbal, vous pouvez remettre un document écrit à la greffière qui s’en chargera.
Le temps alloué à ce groupe de témoins est terminé. Je tiens à remercier Mme Buller, la sénatrice Audette, M. Eyolfson et Mme Robinson d’être venus nous rencontrer aujourd’hui.
Nous poursuivons avec notre prochain groupe de témoins. De l’organisme Les Femmes Michif Otipemisiwak, nous accueillons Lisa Pigeau, directrice des Relations intergouvernementales et des Initiatives de lutte contre la violence de genre. Nous recevons Gerri Sharpe, présidente par intérim, et Rosemary Cooper, directrice exécutive, de l’organisme Pauktuutit Inuit Women of Canada. Et du Congrès des peuples autochtones, nous accueillons Elmer St. Pierre, chef national, et Elizabeth Blaney, directrice du développement des politiques.
Mme Pigeau, Mme Sharpe et le chef national St. Pierre présenteront une déclaration liminaire de cinq minutes chacun, puis nous passerons à une séance de questions et de réponses d’environ trois minutes par sénateur.
Veuillez noter que je ferai savoir aux témoins lorsqu’il leur restera une minute dans le temps qui leur est alloué. Je préviendrai aussi l’assemblée lorsqu’il restera une minute sur les trois minutes allouées pour la période des questions et réponses. Les membres du comité auront la priorité pour poser des questions pendant cette période.
Les sénateurs qui ont une question doivent utiliser la fonction « main levée » sur Zoom pour signaler à la greffière qu’ils veulent intervenir, et ils seront reconnus dans le clavardage.
J’invite maintenant Mme Pigeau à faire sa déclaration liminaire.
Lisa Pigeau, directrice des Relations intergouvernementales et des Initiatives de lutte contre la violence de genre, Les Femmes Michif Otipemisiwak : Bonjour. Je suis honorée d’être avec vous aujourd’hui. Je tiens à préciser que je vous appelle depuis le territoire ancestral des Anishinabek, des Hurons-Wendats, des Haudenosaunee, des Oneidas et des Iroquoiens du Saint-Laurent, territoire visé par les traités du Haut-Canada.
Sur une note sombre, je souligne également que, hier était le 17e anniversaire du meurtre de Nina Courtepatte, qui était âgée de 13 ans, lequel est survenu en 2005. Puissions-nous à jamais garder à l’esprit ceux que nous avons perdus pour guider chacun de nos actes en vue de mettre fin à la disparition et au meurtre de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones.
À la suite de la publication du rapport final de l’enquête, l’organisme Les Femmes Michif Otipemisiwak a publié un rapport complémentaire intitulé Métis Perspectives of Missing and Murdered Indigenous Women, Girls and LGBTQ2S+ People. Ce rapport est le fruit de divers exercices de consultation, de la rétroaction des communautés, d’entrevues réalisées auprès de spécialistes des Métis et, surtout, des points de vue exprimés par les familles et les survivantes métisses. Selon nous, il manquait à l’enquête un contexte précis fondé sur les distinctions propres aux Métis. Notre rapport Métis Perspectives a donc cerné 62 appels au Miskotahâ axés sur les Métis. Dans notre langue, Miskotahâ signifie « changement ». Donc, en vérité, notre rapport visait à concrétiser les changements souhaités dans la vie des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ métisses, ainsi que dans la vie des membres de leur famille.
L’organisme Les Femmes Michif Otipemisiwak, ou LFMO, est le principal défenseur des intérêts de la nation métisse dans le dossier des femmes autochtones disparues et assassinées et l’était avant même la tenue de l’enquête. Nous savons qu’il a fallu attendre près de 15 mois après la publication du rapport de l’enquête nationale et du rapport de l’organisme LFMO avant que le gouvernement ne passe à la prochaine étape et crée un plan d’action relativement aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées.
Pour notre part, de concert avec des représentants de l’ensemble de la mère patrie de la nation métisse, nous avons organisé un groupe d’experts et publié le plan d’action de la nation métisse, Weaving Miskotahâ.
Comme le décrit le rapport, LFMO tiens à rappeler que, selon la perspective fondée sur les distinctions, une intervention immédiate s’impose de toute urgence dans les secteurs prioritaires suivants : collecte et évaluation de données, renforcement des relations, conception et prestation de services, réforme des services à l’enfance et à la famille, guérison et bien-être, ainsi que justice et maintien de l’ordre.
Malheureusement, depuis la publication de l’Énoncé économique de l’automne et du budget de 2021, bien peu de mesures concrètes ont été prises.
Les annonces de financement lié aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées étaient vagues, et les fonds ont en fait été consacrés à une initiative globale n’ayant apporté aucune aide directe en vue de mettre fin au meurtre et à la disparition de femmes et de filles autochtones.
Malgré l’inaction à l’échelle nationale et de la part du gouvernement fédéral, LFMO poursuit ses propres efforts dans les secteurs stratégiques prioritaires. Nous continuons le travail en vue d’élaborer une stratégie propre aux Métis en matière de données et de recherche sur les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées. Dans le cadre de ce travail, nous établissons des liens avec des organismes de recherche autochtones, de même qu’avec Statistique Canada. À ce jour, nous avons fourni à Statistique Canada des indicateurs de données qui sont importants pour pleinement comprendre les réalités auxquelles doivent faire face les femmes métisses en matière de violence fondée sur le sexe.
À son tour, Statistique Canada fournira à l’organisme LFMO, lorsque possible, des tableaux fondés sur les distinctions adaptés à notre cadre d’indicateurs. Notre objectif consiste à intégrer les données et les renseignements essentiels recueillis à un corpus vivant que l’on pourra supplémenter, améliorer et mettre à jour de manière continue.
Des femmes et des personnes 2ELGBTQQIA+ métisses participent également à un projet que nous appelons Kiyas Kiskisowin Oma et qui vise à honorer, à commémorer et à respecter les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ métisses. Ce projet a été dirigé par notre cercle de la sagesse des grands-mères métisses, et nous avons rassemblé des gardiens du savoir de l’ensemble de la mère patrie de la nation métisse afin de créer des ressources pour soutenir les familles et les communautés dans leurs démarches en vue d’honorer celles qui nous ont été enlevées.
Nous avons créé des ressources telles que des trousses de guérison, une écharpe de grand-mère bien précise, des couvertures et d’autre matériel de cérémonie qui seront distribués sous forme de cadeaux dans l’ensemble de la mère partie de la nation métisse dans le but de favoriser la santé individuelle et collective.
Le président : Il vous reste une minute.
Mme Pigeau : Prochainement, Les Femmes Michif Otipemisiwak amorcera des consultations auprès de la nation métisse, du Ralliement national des Métis et de ses membres dirigeants, ainsi qu’auprès des organismes provinciaux représentant les intérêts des femmes métisses afin de créer un comité de mise en œuvre de la nation métisse pour orienter nos démarches.
Malheureusement, la tragédie des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées n’est pas terminée, comme en témoigne la perte récente de Tytiana Janvier, âgée de 21 ans, en Alberta. Nous pleurons sa mort tragique et partageons le deuil de sa famille et de sa communauté, qui doivent composer avec cette perte incommensurable.
Il est important de dire le nom des personnes qui nous ont quittés. Nous devons associer un visage humain à ces noms afin que tous sachent que ces personnes sont aimées, ont aimé et sont beaucoup plus que la tragédie qui a mis fin à leur vie. Il faudra le concours de chacun de nous, une approche pansociétale et pangouvernementale pour mettre fin à cette tragédie nationale. Merci.
Le président : Merci, madame Pigeau.
Gerri Sharpe, présidente par intérim, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Nakurmiik. Bonjour. Je suis ravie de me joindre à vous aujourd’hui depuis Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et surtout, la mise en œuvre de ses recommandations, est important pour toutes les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre inuites du Canada. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant votre comité à propos de cet important sujet.
Je suis accompagnée aujourd’hui de Rosemary Cooper, directrice exécutive de Pauktuutit Inuit Women of Canada. Cet organisme est la voix des femmes inuites, où qu’elles habitent au Canada. Notre conseil d’administration compte des représentantes des quatre régions de l’Inuit Nunangat, soit la région désignée des Inuvialuits, le Nunavut, le Nunavik et le Nunatsiavut, ainsi que des représentantes de centres urbains et de la jeunesse.
Depuis près de 40 ans, Pauktuutit Inuit Women of Canada travaille à protéger et à faire valoir les droits de la personne des femmes et des filles inuites dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’économie, et de la sécurité physique, affective et sociale. L’organisme défend également les droits des femmes autochtones sur la scène internationale. Chaque année, il participe à une réunion de la Commission de la condition de la femme de l’ONU et de l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies.
Pauktuutit Inuit Women of Canada a participé à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées à titre de partie ayant la qualité pour agir et a assisté à toutes les audiences où des familles inuites ont raconté leur histoire, y compris la mienne. Nous étions contents de voir que le rapport final de l’enquête a tenu compte des recommandations que nous avions formulées dans nos mémoires. Nous remercions les commissaires de leur travail diligent, notamment de leurs 46 appels à la justice propres aux Inuits, ainsi que de leurs démarches incessantes à la défense de cette cause depuis la publication du rapport.
En 2020, le gouvernement fédéral a demandé à Pauktuutit Inuit Women of Canada de présider le groupe de travail des Inuits chargé de rédiger le chapitre relatif aux Inuits du Plan d’action national relativement aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées en réponse aux recommandations du rapport final de l’enquête nationale.
Subséquemment, un groupe de travail composé de 10 membres a été formé, réunissant l’Inuit Tapiriit Kanatami à titre de coprésident, ainsi que des représentants des quatre régions de l’Inuit Nunangat, du Cercle national des familles et des survivantes, et de regroupements urbains et régionaux de femmes inuites.
En juin dernier, à l’issue d’une période de collaboration et de travail intense avec le groupe de travail des Inuits, le Plan d’action national inuit a été publié dans le cadre du plan d’action national. Les mesures recommandées dans le Plan d’action national inuit sont divisées en 14 domaines nécessitant une attention immédiate, notamment les refuges et les logements de transition pour les femmes et les enfants fuyant la violence familiale, la justice et le maintien de l’ordre, l’amélioration de l’accès aux services de guérison et aux soins de santé, y compris à des sages-femmes inuites, ainsi que la sécurité économique.
Parlons de l’absence de progrès à ce jour. Près de trois ans se sont écoulés depuis la publication du rapport final de l’enquête nationale, et près d’un an s’est écoulé depuis la publication du Plan d’action national inuit. Pauktuutit Inuit Women of Canada est déçu de la lenteur des progrès. Tragiquement, il n’existe aucune preuve que les femmes inuites, qui sont 14 fois plus susceptibles de subir de la violence que les autres femmes du Canada, sont plus en sécurité aujourd’hui qu’elles l’étaient au commencement de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
De plus, même si le budget fédéral de 2021 prévoyait 2,2 milliards de dollars pour mettre fin à la violence contre les femmes autochtones et que le plus récent lot de lettres de mandat à l’intention des ministres demandent d’accélérer la mise en œuvre de la Voie fédérale concernant les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées et du Plan d’action national, Pauktuutit Inuit Women of Canada n’a constaté aucun progrès outre la promesse du gouvernement fédéral de financer cinq refuges destinés aux femmes inuites, soit un dans chacune des régions de l’Inuit Nunangat et un à Ottawa, où vit la plus importante population urbaine d’Inuits.
En conclusion, nous aimerions mettre fin à la tragédie de la violence chez les Inuits. Les femmes inuites doivent jouer un rôle de premier plan dans la mise en œuvre et la surveillance du Plan d’action national inuit. Ce n’est pas une préférence; c’est un impératif, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et aux recommandations du rapport final de l’enquête.
Pour amorcer ce travail, Pauktuutit Inuit Women of Canada travaille à établir en son sein un secrétariat relatif aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées. Le secrétariat veillera à ce que l’on adopte, aux fins de la mise en œuvre du Plan d’action national inuit à l’échelle nationale, régionale et communautaire, une approche fondée sur les distinctions qui valorise la voix et le leadership des femmes inuites.
Une telle approche est essentielle, car l’histoire de la relation entre les Inuits et la Couronne, notre langue, notre culture et notre géographie sont différentes de celles des Premières Nations et des Métis. Pour parvenir à la guérison, les mesures incitant à commémorer les femmes inuites que nous avons perdues doivent être conçues et mises en œuvre par les familles des victimes, les femmes inuites et nos communautés.
Par ailleurs, si on veut mettre en œuvre des programmes et des services pour mieux assurer la sécurité des femmes, des filles et des personnes des diverses identités de genre au sein de la communauté inuite, et apporter des changements systématiques dans des domaines comme la justice, la santé, l’éducation, le logement et la sécurité économique, on ne pourra le faire qu’en prenant en compte, en affirmant et en respectant consciemment les droits, les intérêts, les idées et les points de vue particuliers des femmes inuites.
Encore une fois, je vous dis nakurmiik de m’avoir donné la possibilité de témoigner devant votre comité. Mme Cooper et moi sommes prêtes à répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Sharpe. J’invite maintenant le chef national St. Pierre à faire ses observations.
Elmer St. Pierre, chef national, Congrès des peuples autochtones : [Mots prononcés dans une langue autochtone] En tant que chef national du Congrès des peuples autochtones, je reconnais que je me trouve aujourd’hui, à Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin. De plus, comme le veut la tradition, j’offre du tabac à tous mes collègues ici présents.
Je suis accompagné d’Elizabeth Blaney, directrice du développement des politiques du Congrès des peuples autochtones, qui sera là pour étayer nos observations. Je suis heureux de témoigner au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones dans le cadre de son examen du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Le Congrès des peuples autochtones, ou CAP, honore l’ensemble des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des personnes de différentes identités de genre au sein des communautés autochtones. Conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et aux fins de cet exposé, l’emploi du terme « Autochtone » inclura les Autochtones hors réserve, les Autochtones inscrits et non inscrits, les Métis ainsi que les Inuits du Sud. Comme bon nombre d’entre vous le savent, le CAP est fier de représenter l’ensemble des diverses communautés.
Pour les membres de notre communauté qui sont aussi des membres de famille et des survivants des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées, le rapport final, intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place, a eu des répercussions sur le plan personnel. Le travail du CAP vise à s’assurer que ces gens ne tombent pas dans l’oubli.
Les peuples autochtones, comme leur identité et leur culture, sont forts et résilients. Cependant, le colonialisme a eu des effets durables et nuisibles sur nous. Pour mettre fin à la violence subie par des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des membres d’autres groupes, il faut se pencher sur les effets du colonialisme qui se reflètent dans la violence et les normes qui touchent les Autochtones.
Le CAP cherche des solutions axées sur la reconnaissance et le respect de nos droits inhérents, des droits constitutionnels et des droits nationaux et internationaux. Comme l’indique le rapport final de l’enquête nationale, les solutions doivent être mises en œuvre par les peuples autochtones; je ne saurais trop insister sur cette exigence. Je suis convaincu que nos communautés comptent des femmes suffisamment fortes et compétentes pour se pencher sur cette question.
Il faut que des ressources considérables y soient affectées de façon permanente et inclusive. Nous devons dès aujourd’hui lutter contre l’injustice et mettre en œuvre un processus visant véritablement à mettre fin à l’exclusion des peuples autochtones. En divisant des familles et des communautés, l’exclusion a mis les gens de nos communautés en danger. Nous faisons partie du cercle.
Les membres de famille, les survivants et les membres des communautés représentées par le CAP ont établi une feuille de route pour la sécurité et le bien-être. Cette feuille de route peut mener à un changement concret et permanent. Elle peut aussi aider l’ensemble des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des membres d’autres groupes à se faire respecter, à jouir de leurs droits et à retrouver leur pouvoir et leur dignité.
Cependant, j’insiste pour dire que cela ne sera possible que si le Canada reconnaît les droits de nos communautés tout en fournissant à celles-ci les ressources nécessaires pour assurer leur sécurité et leur bien-être. Le CAP espère que les efforts pour donner suite aux appels à la justice incluront l’ensemble des femmes, des filles, des personnes bispirituelles et des membres d’autres groupes, sans égard à leur statut ou à leur lieu de résidence. L’inclusion pleine et entière est une façon importante de promouvoir la réconciliation, et c’est une étape essentielle pour mettre fin à ce que le rapport final décrit comme un génocide et des pratiques qui perpétuent la violence coloniale. C’est aussi une étape importante pour amener le Canada à remplir ses obligations au titre des conventions et des déclarations internationales en matière de droits de la personne.
La reddition de comptes est essentielle pour entretenir des liens de confiance entre les gouvernements et les peuples autochtones. Le CAP s’engage à travailler de concert avec le gouvernement et d’autres communautés pour veiller à ce que tout le monde soit inclus.
Enfin, je rappelle aux membres du comité que le CAP a participé à l’enquête depuis le début. Les femmes, les filles et les personnes bispirituelles sont au cœur de nos efforts. Assurer la sécurité et le bien-être de nos communautés ne devrait pas être un enjeu politique.
Je vous remercie de nouveau de cette possibilité, et je serais heureux de répondre à vos questions. Meegwetch. Merci.
Le président : Je remercie le chef national St. Pierre. Nous allons maintenant passer à la période de questions et réponses.
Le sénateur Christmas : Bonjour à tous les témoins. Je vous remercie de votre présence.
Ma question s’adresse à Mme Sharpe ou à Mme Cooper. [Mots prononcés dans une langue autochtone] Premièrement, je vous félicite de tout le travail que vous avez fait dans le dossier des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées.
Malgré tous vos efforts et votre travail, comme vous l’avez mentionné, madame Sharpe, je crains que nous n’ayons guère progressé dans les trois années qui ont suivi la publication du rapport final ainsi que dans l’année qui a suivi la publication du Plan d’action national. Vous êtes déçues que les choses avancent aussi lentement, et rien n’indique que les femmes inuites sont plus en sécurité aujourd’hui que par le passé.
Vous avez dit qu’on était censé mettre en place cinq refuges ou lieux sûrs. Pouvez-vous expliquer pourquoi, un an près la publication du Plan d’action national, il n’y a toujours pas eu de progrès pour ce qui est de répondre à un besoin aussi fondamental que l’établissement de refuges et de lieux sûrs pour les femmes inuites?
Mme Sharpe : Je vous remercie de la question, sénateur Christmas. Je n’ai pas tous les éléments de réponse, alors je vais laisser Mme Cooper répondre.
Rosemary Cooper, directrice exécutive, Pauktuutit Inuit Women of Canada : Je vous remercie de la question, sénateur Christmas. Nous avons obtenu l’établissement de cinq refuges. Nous avons réclamé cette mesure avec beaucoup d’insistance pendant un an, et nous avons enfin obtenu l’engagement de mettre en place cinq refuges, soit un par région, dans l’ensemble de l’Inuit Nunangat, et un refuge ici même, à Ottawa. Nous sommes en train d’étudier des propositions, et nous sommes plus près de voir cet engagement se concrétiser.
Mme Sharpe : J’aimerais cependant ajouter quelque chose. Il ne faut pas oublier combien de collectivités se trouvent dans l’Inuit Nunangat, ni combien d’entre elles sont sans refuge. Le pourcentage des collectivités qui auront accès à des refuges ou à des logements de transition se situe aux alentours de 30 %.
Le sénateur Christmas : J’en déduis que la grande majorité des femmes inuites n’auront pas accès à des refuges ou à des lieux sûrs.
Mme Cooper : Pauktuutit réclame des refuges depuis près de 40 ans, et ce n’est que maintenant, pour la première fois de l’histoire, que nous obtenons l’engagement d’établir cinq refuges. Actuellement, parmi les collectivités de l’Inuit Nunangat, qui sont toutes des collectivités éloignées et accessibles uniquement par avion, 70 % n’ont pas de refuges ou de logements de transition. Vous pouvez donc comprendre qu’il n’y a pas d’issue pour échapper à la violence, surtout en hiver, lorsqu’il fait froid. Pour faciliter le travail que nous faisons dans le dossier des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées, il est crucial d’assurer un accès équitable à des services ainsi qu’à des infrastructures comme les refuges et les logements de transition.
Mme Sharpe : Pour ajouter à la réponse de Mme Cooper, je vais vous donner un exemple précis sur la situation qu’on observe ici, dans les Territoires du Nord-Ouest. Dans cette région, une femme qui veut échapper à la violence familiale doit communiquer avec le personnel infirmier chargé de demander l’approbation d’un déplacement à des fins médicales pour que la femme soit envoyée au refuge le plus près. Dans les Territoires du Nord-Ouest, il y a cinq refuges, et dans l’Inuit Nunangat, une femme dans cette situation doit aller à Inuvik. Il arrive que le personnel infirmier chargé de ces dossiers juge que la personne n’est pas crédible, et le déplacement à des fins médicales est alors refusé. Il est urgent de revoir en profondeur cette procédure et de proposer de meilleures solutions.
La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins du travail qu’ils font au quotidien, des efforts qu’ils ont déployés pendant des décennies et de leurs contributions à ce processus.
Je pense que vous étiez tous en ligne quand j’ai posé aux commissaires une question portant notamment sur la recommandation de mettre en place un revenu minimum garanti.
J’aimerais avoir le point de vue de chacune de vos organisations pour savoir dans quelle mesure cette initiative pourrait être un élément de la stratégie globale qui serait bénéfique pour les femmes que vous soutenez, et pour savoir si vos organisations ont été consultées par le ministère des Services aux Autochtones par rapport à la réponse qu’il a fournie au Comité des finances.
Mme Pigeau : Pour ce qui est du revenu minimum garanti et du genre de sécurité qu’il procurerait, selon nous, cela contribuerait dans une certaine mesure à améliorer les conditions et la situation des femmes de nos collectivités.
Cependant, lorsqu’on pense à des solutions miracles comme les services de garde à 10 $ par jour qu’on a annoncés, un revenu minimum garanti pourrait ne pas suffire même pour payer un tel service, alors on peut se demander dans quelle mesure cela ferait avancer les choses.
Pour ce qui est de la collaboration et de la consultation, nous croyons qu’elles doivent être constantes. On ne peut pas le faire seulement de façon ponctuelle. Il doit s’agir d’un processus en constante évolution, peu importe s’il a eu lieu avant que l’on propose la mise en place d’un revenu minimum garanti. Il faut une rétroaction constante et des rapports réciproques pour que l’on puisse répondre aux besoins. Merci.
La sénatrice Pate : À votre connaissance, est-ce qu’une de vos organisations a été consultée? Est-ce le cas du CAP?
M. St. Pierre : Je vais laisser ma collègue, Mme Blaney, répondre à la question.
Elizabeth Blaney, directrice du développement des politiques, Congrès des peuples autochtones : Merci, monsieur le chef national. Bonjour, honorables sénateurs. C’est une excellente question, merci.
Non, à ma connaissance, le Congrès des peuples autochtones n’a pas été consulté au sujet de la forme que prendrait un revenu minimum garanti ni de sa volonté d’adopter cette approche.
Comme mes collègues l’ont dit avant moi, une telle mesure n’est pas suffisante. Je travaille depuis longtemps dans le domaine de l’aide sociale, et les discussions sur un revenu minimum garanti soulèvent des questions. Parle-t-on de logement abordable? Inclut-on, comme notre collègue l’a mentionné, les services de garde? Tous ces autres aspects doivent être pris en considération lorsque nous parlons de la vie des femmes autochtones.
La majorité des femmes autochtones vivent à l’extérieur des réserves. Elles ne vivent pas dans les réserves. Je salue la volonté de travailler avec l’Assemblée des Premières Nations afin que les gens dans les réserves reçoivent un revenu minimum garanti, mais une telle mesure doit s’appliquer à toutes les femmes autochtones et à leurs familles.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous les témoins du travail qu’ils font.
Relativement au Plan d’action national inuit sur la disparition et les assassinats de femmes et de filles inuites et de personnes 2ELGBTQQIA+, comment les secteurs prioritaires de collaboration entre les organisations de revendications territoriales et les différents ordres de gouvernement, ou Pauktuutit, ont-ils été établis pour les Inuits qui vivent au Nunatsiavut, au Nunavik, au Nunavut, dans la région d’Inuvik ou ailleurs? Comment cette coopération ou ces liens sont-ils établis?
Mme Sharpe : Je vous remercie de votre question. Même si je peux y répondre partiellement, Mme Cooper est mieux placée que moi pour le faire. Je peux vous dire que nous rencontrons régulièrement les autres organisations de revendications territoriales.
Madame Cooper, je vous cède la parole pour compléter ma réponse.
Mme Cooper : Merci. On a demandé à Pauktuutit de diriger l’élaboration du Plan d’action national inuit. Nous travaillons directement avec l’Inuit Tapiriit Kanatami et les organisations de revendications territoriales, en plus de regroupements de régions urbaines, notamment des représentants de Tunngasugit et Pauktuutit. Le plan a été conçu par ce groupe de travail, qui relève maintenant du secrétariat de la réconciliation du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
J’espère avoir répondu à votre question. Si vous le souhaitez, je serais heureuse de vous donner une réponse plus détaillée.
La sénatrice Coyle : Ça va, merci beaucoup.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui.
À mon avis, une partie de ces injustices découlent des premiers colons et de la construction des chemins de fer. Pourriez-vous me dire ce que vous en pensez?
Mme Sharpe : Je peux vous donner mon opinion personnelle sur le sujet.
La sénatrice Lovelace Nicholas : D’accord, merci.
Mme Sharpe : Il importe de ne pas oublier que, pour la majorité des Inuits qui vivent au Canada, comme Mme Cooper l’a dit, les services de santé ne sont pas offerts à proximité. Ils ne sont pas accessibles au moyen d’une autoroute ou à quelques coins de rue, comme c’est le cas dans la plupart des régions du Canada. Les déplacements pour des raisons médicales y sont donc pour beaucoup. Même les femmes enceintes sont envoyées à l’extérieur de leur collectivité quatre semaines avant l’accouchement. Il est question de santé mentale et physique, de la santé globale.
Par conséquent, beaucoup de femmes sont envoyées dans les centres urbains du Sud du Canada pour recevoir des soins de santé. Beaucoup de femmes sont ainsi laissées dans ces régions, ce qui a contribué au nombre de femmes et de filles autochtones assassinées ou portées disparues.
Il y a donc toutes sortes de facettes à ce qui se passe et à ce qui explique la situation. Il faut même inclure les centres de traitement. Nous n’avons pas de centres de traitement ici, dans les Territoires du Nord-Ouest. Afin de recevoir des services de counselling pour des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, ou tout autre type de plan de traitement, il faut se rendre dans une province ou un autre territoire alors que les gens plus au sud ont accès à ces services de base près de chez eux.
Les services de sages-femmes sont un enjeu de taille.
Je vais m’arrêter ici pour permettre aux autres témoins de répondre à la question.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
Mme Pigeau : Je voudrais faire écho à certains sentiments que l’ancienne commissaire Robinson a exprimés. Je crois que c’est elle qui a parlé de l’importance d’une approche tenant compte des traumatismes. Pour nous, adopter une approche tenant compte des traumatismes consiste à analyser toutes les répercussions de la colonisation et à comprendre individuellement ses effets sur notre esprit et notre existence aujourd’hui.
Ce qui est important dans ce contexte, c’est la façon dont nous progressons et changeons de paradigme pour modifier les perspectives que les gens ont sur les peuples autochtones et, dans notre cas, sur les Métis au Canada. Il s’agit de véritablement reconstruire les relations d’une façon honorable et équitable dans l’objectif de mettre fin, ultimement, à cette tragédie.
Nous devons avancer ensemble. On doit nous donner les ressources ou mettre en place les mécanismes pour nous permettre de créer nos propres solutions.
Je ne crois pas que des progrès du côté du gouvernement seulement ou de notre côté uniquement auront toutes les retombées attendues; nous devons avancer ensemble. Cela dit, nous avons les solutions qui toucheront les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ de nos communautés afin que nous n’en perdions plus une seule. Merci.
M. St. Pierre : Pouvez-vous répéter la question?
La sénatrice Lovelace Nicholas : À mon avis, une partie de ces injustices découlent des premiers colons et de la construction des chemins de fer.
M. St. Pierre : Vous soulevez un excellent point.
Je partage votre sentiment. Je pense que c’est la source de toute cette situation. On dit que c’est l’origine des Métis. Des femmes autochtones — des Premières Nations, des peuples qui étaient là en premier — ont été violées et certaines ont probablement été assassinées aussi. Avec l’avancement du chemin de fer, ces actes se sont répétés encore et encore.
Tout le racisme et toute la discrimination ont pris naissance à cette époque. Aujourd’hui, la situation est tout aussi terrible.
Une bonne partie de cette situation a commencé lorsque les colons sont arrivés, qu’ils ont pris possession des terres et qu’ils se sont emparés des femmes. Je pense que vous avez probablement raison. Merci.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Merci.
La sénatrice Hartling : Je remercie les témoins. Leurs interventions sont très éclairantes. Au bout du compte, nous voulons tous qu’il n’y ait plus de femmes et de filles autochtones assassinées ou portées disparues, peu importe d’où elles viennent. Il s’agit de comprendre le point de vue de chaque groupe.
Si le chef St. Pierre me le permet, je poserai mes questions à Elizabeth Blaney.
M. St. Pierre : Bien sûr. Allez-y.
La sénatrice Hartling : Merci. Je connais Mme Blaney depuis longtemps. C’est un plaisir de vous revoir, madame Blaney.
Ma question porte sur l’élaboration des politiques. Pouvez-vous nous parler d’une partie des politiques que votre groupe élabore en ce moment afin d’aider à résoudre cette situation et de faciliter la collaboration avec d’autres organisations? J’ai été très surprise d’apprendre que beaucoup de femmes vivent à l’extérieur des réserves. C’est très intéressant. J’aimerais que vous nous parliez des dossiers et des politiques qui vous occupent en ce moment. Merci.
Mme Blaney : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. C’est un plaisir de vous voir également, ainsi que les autres intervenants.
Il y a un certain nombre de politiques publiques qui doivent être modifiées, que ce soit au niveau fédéral, territorial ou municipal. Étant donné que nous sommes une organisation nationale, nous travaillons sur des dossiers relevant de ces différents champs de compétence. Notre collègue — je crois que c’était l’ancienne commissaire Robinson — a fait une observation très juste plus tôt à propos de la nécessaire collaboration entre les administrations. C’est extrêmement important.
En ce qui concerne les politiques en soi, il y en a sur le logement, la langue, la culture, etc. Au sujet de la législation touchant les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues — celle qui couvre les personnes disparues —, le cadre législatif au Canada ne porte que sur la succession.
Il n’y a pas de normes nationales, ni même provinciales ou territoriales qui pourraient aider les services policiers ou les secouristes dans certaines de nos régions. Dans le Nord, ce sont habituellement les services de sauvetage qui cherchent les personnes disparues. Aucune norme n’encadre ce processus. Il est donc impossible de vraiment se pencher sur cette question ou de l’étudier en profondeur. Selon les conversations que nous avons aujourd’hui et d’autres sources, nous savons qu’il y a beaucoup de racisme systémique dans les institutions canadiennes, et c’est ce que nous entendons. Pour vraiment lutter contre les types de préjugés qui pourraient être véhiculés, nous avons besoin d’une législation qui prévoit un ensemble de normes que les agents ou les enquêteurs doivent respecter pour assurer la recherche des femmes, des filles et des personnes 2E+ portées disparues, la mise en place d’un processus pour les chercher et les soutenir. Nous n’en avons pas.
Je me souviens que, pendant l’enquête, la question de la législation sur les personnes portées disparues a été soulevée. Nous en avons parlé pendant l’enquête, et il a été jugé qu’il était possible d’agir immédiatement dans ce dossier, mais rien n’a été fait.
La sénatrice Hartling : Merci, madame Blaney.
Le sénateur Christmas : Ma question s’adresse à Mme Pigeau. Il est vraiment triste que même en 2022, des femmes et des filles autochtones ainsi que des personnes autochtones de diverses identités de genre soient encore aujourd’hui assassinées ou portées disparues. Vous avez mentionné la perte d’une personne de 21 ans de votre nation, et c’est d’une grande tristesse.
Par ailleurs, je vous remercie de tout le travail que vous avez fait pour produire votre propre rapport sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues, et vous avez mentionné qu’il incluait 62 appels à l’action précis. Après tous ces mois, si j’ai bien compris votre témoignage, aucune mesure concrète n’a encore été prise. Près d’une année s’est écoulée depuis la publication du Plan d’action national.
Est-ce bien le cas? Pouvez-vous aussi me dire quelles discussions ont eu lieu entre les Métis et le gouvernement fédéral ou les provinces au sujet de la mise en œuvre du Plan d’action national?
Mme Pigeau : Oui. En ce qui concerne la mise en œuvre, il y a eu bien évidemment un dialogue constant tout au long de l’élaboration du Plan d’action national et du plan d’action de la nation métisse. Malheureusement, je dois dire que la portion de la mise en œuvre a complètement échoué. En fait, de notre point de vue, l’entreprise était vouée à l’échec. Nous n’avons pas participé à une quelconque forme de stratégie de mise en œuvre, que ce soit au niveau fédéral ou même provincial.
Des travaux précédents nous indiquent à quoi doit ressembler la mise en œuvre du point de vue des Métis. Nous sommes toutefois impatients de nous pencher sur les détails, de déterminer les mesures concrètes qui sont nécessaires, les parties qui doivent se trouver à la table et les échéanciers à respecter. Nous devons établir un cadre concernant les ressources. Nous devons définir précisément les indicateurs de changement. Nous attendons ce travail avec impatience, mais on vient tout juste de nous permettre d’aller de l’avant immédiatement. Nous commençons à réunir de nouveau notre nation métisse, ses membres dirigeants et les organismes de représentation des femmes métisses de la mère patrie.
Ce sera bientôt, le 3 juin, l’anniversaire du Plan d’action national et celui du rapport de l’enquête nationale. Personnellement, je ne crois pas que ce sera un rapport très favorable à ce moment-là.
Le sénateur Christmas : Madame Pigeau, merci beaucoup de votre réponse. Le premier groupe de témoins a indiqué que le Sénat devrait envisager de prendre des mesures afin de tenir responsable le gouvernement de tout le travail qui est fait à la suite du rapport final et du Plan d’action national. On nous a notamment recommandé aujourd’hui d’établir un poste d’ombudsman parlementaire qui aurait ce mandat précis : tenir le gouvernement responsable. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez d’une telle mesure?
Mme Pigeau : Merci. Il y a effectivement des discussions en cours sur la reddition de comptes du gouvernement en ce qui concerne les investissements et ce qui a véritablement changé sur le terrain.
Cela dit, la forme que prendra cette structure de reddition de comptes doit être précisée, à mon avis. S’agit-il d’un poste d’ombudsman? Je ne suis pas certaine que c’est le bon terme à utiliser. Ce que nous savons, c’est que ce mécanisme de reddition de comptes, qu’il prenne la forme d’un comité ou d’un organisme, doit être indépendant du gouvernement. Cette mesure nécessite d’autres travaux d’enquête très précis et une description détaillée, en plus de la mobilisation et de la consultation directe des organisations nationales de femmes autochtones, ainsi que d’autres organismes nationaux de représentation autochtone, en commençant par la base. Ce mécanisme doit être précisé si c’est la voie que nous voulons emprunter.
Nous savons qu’une structure doit être mise en place. Il faut simplement définir plus précisément la forme qu’elle prendrait.
Le sénateur Christmas : Merci, madame Pigeau.
La sénatrice Coyle : Nous pourrions continuer longtemps. Il y a tant de questions à poser. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Christmas au sujet de la reddition de comptes en demandant l’avis de Mme Pigeau ou d’un autre témoin. Je reviens à l’idée d’établir un type d’organisme de supervision — vous nous avez parlé, madame Pigeau, de mener des consultations auprès de votre organisme et d’autres organisations de femmes autochtones pour contribuer à façonner cette structure, que l’on pense à sa composition, à son mandat ou à ses liens avec le gouvernement et ceux qui nous ont permis de nous rendre là où nous en sommes.
Pouvez-vous nous dire si des conversations à ce sujet ont eu lieu jusqu’à maintenant avec le gouvernement et, le cas échéant, quelle en a été la teneur?
Mme Pigeau : Nous avons eu des discussions tout au long du processus lié au Plan d’action national, mais je ne pense pas qu’elles ont été assez précises pour permettre d’établir tous les détails jusqu’à maintenant, sénatrice. Je m’en remets donc à mes estimés collègues. Nous savons qu’une structure doit être mise en place et nous sommes prêts et disposés à participer à de telles consultations.
Je tiens à reformuler mes observations. J’ai parlé des organisations nationales de femmes autochtones, mais c’est aussi le cas des organismes autochtones nationaux. Tout le monde doit participer aux discussions. Merci.
La sénatrice Coyle : Merci.
Mme Sharpe : Madame Cooper, je me demande si vous avez quelque chose à ajouter à ce sujet. De mon côté, je pense qu’il faut mettre en place un mécanisme de reddition de comptes. Sans reddition de comptes, personne ne saura quelles sont ces mesures ni quels progrès sont faits pour mettre fin à cette tragédie. Madame Cooper, j’aimerais que vous ajoutiez aussi quelque chose.
Mme Cooper : Pendant l’enquête finale, il y a eu une table ronde pour confirmer les recommandations. En tant qu’Inuits, nous étions alors convaincus qu’il fallait mettre en place un mécanisme indépendant, comme un rôle d’ombudsman, pour suivre les progrès du gouvernement fédéral, mais aussi des gouvernements provinciaux et territoriaux, par rapport aux principales recommandations pour les Inuits.
Des mécanismes ou des systèmes sont déjà en place, comme la Commission de vérité et réconciliation. Il est possible de s’appuyer sur des modèles existants pour s’assurer que les récits racontés par les familles et les femmes inuites ne sont pas que d’autres exemples de l’histoire qui ont été entendus, mais qui n’ont mené à aucun résultat. Vous devez faire en sorte qu’il y a un mécanisme pour que les familles soient entendues et que l’ombudsman, indépendant du gouvernement, évalue la réussite de ce rapport d’enquête. Nakurmiik.
La sénatrice Pate : Je remercie encore une fois les témoins. La commission a notamment étudié les liens entre les problèmes qui font en sorte que les femmes et les filles autochtones sont plus à risque de manquer à l’appel, d’être assassinées et d’être sans abri, les mêmes problèmes qui en font la population carcérale à la plus forte croissance : elles représentent maintenant une détenue sur deux au Canada. La commission a aussi fait un certain nombre de recommandations sur les façons de fournir des fonds aux collectivités autochtones, aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits.
Ma question est semblable à celle que j’ai posée plus tôt. Avez-vous été consultés sur l’un de ces aspects et vous a-t-on demandé votre point de vue sur la façon de garder les femmes et les filles dans la collectivité au lieu de les incarcérer étant donné qu’on ne pose à peu près pas de questions sur l’augmentation des taux d’incarcération et qu’on n’investit pratiquement pas de ressources dans le logement et d’autres stratégies de rechange?
Je me demande si chacune de vos organisations a été consultée au sujet de certaines de ces recommandations. Si tel est le cas, quels types de ressources avez-vous reçues?
Mme Sharpe : Je vous remercie de la question. Pauktuutit a certainement donné son avis. Je vais demander à Mme Cooper de fournir plus de détails à ce sujet.
Mme Cooper : Nous avons certainement travaillé sur les questions de la criminalisation ou de l’incarcération des Inuites dans le cadre de la stratégie relative à la justice. C’est un domaine où nous souhaitons des améliorations pour les Inuites qui sont dans des pénitenciers fédéraux. Beaucoup trop souvent, les systèmes ou les programmes ne répondent pas aux besoins propres aux Inuits. Ils sont conçus pour les Premières Nations ou d’autres populations. Ils ne sont pas conviviaux pour les Inuites. Je pense à des choses simples comme notre nourriture traditionnelle, notre langue ou nos pratiques. Lorsque d’autres populations sont incluses, les programmes ne sont pas bien adaptés. Notre chaussure, notre kamik, ne correspond pas nécessairement à la définition qu’on peut se donner d’une botte.
Dans le cas d’une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus, la personne est envoyée dans un pénitencier fédéral, et c’est inévitable. Cependant, pour ce qui est des peines dans des établissements provinciaux ou territoriaux, je reviens sur le besoin de programmes qui sont conviviaux et conçus pour les Inuits, en incluant les aînés. Tout organisme de services devrait veiller à ce qu’il y ait une façon, un mécanisme qui permet de réintégrer dans la société les personnes en santé, et non pas affaiblies par le système. C’est ancré dans notre culture et nos valeurs. Merci.
Mme Sharpe : Ce genre de questions se posent également dès les premières interactions avec la GRC. Je peux vous donner un exemple. Une femme vit dans un appartement. Quelqu’un téléphone à la GRC et aux travailleurs sociaux pour qu’ils vérifient si elle se porte bien. Entretemps, rien ne se passe. La femme affirme que l’homme est un trafiquant de drogues et qu’il s’est déjà présenté à la porte de son appartement pour lui crier qu’il allait la tuer dans son sommeil. Elle a enregistré ses propos, mais la GRC ne fait rien parce qu’elle s’est déplacée pour faire une vérification du bien-être dans son appartement.
De plus, en ce qui concerne la GRC dans les collectivités de l’Inuit Nunangat, la vie communautaire y est bien différente que dans le sud du pays. Pour les collectivités de l’Inuit Nunangat, il faut considérer la communauté dans son ensemble. Une personne ne peut donc pas faire son travail de manière isolée; il faut inclure toute la communauté, ce qui veut aussi dire qu’une personne qui vient dans nos collectivités doit adopter l’ensemble de la communauté. Elle ne peut pas s’acquitter d’une seule tâche et s’attendre à être membre à part entière de la communauté.
Mme Pigeau : Je ne crois pas que les Métisses soient engagées assez sérieusement pour contribuer à déterminer les changements qui doivent être apportés au système de justice en vue d’améliorer les résultats. Nous devons poursuivre le travail, comme nous l’avons recommandé dans notre rapport, mais nous savons que nous avons besoin de services adaptés aux Métis pour réduire les taux d’incarcération beaucoup trop élevés.
Je veux renchérir sur les commentaires de ma collègue Rosemary. Les Métis subissent régulièrement du racisme dirigé contre les Métis dans ces institutions, dont les programmes sont conçus pour les membres des Premières Nations ou selon une approche panautochtone. Ainsi, de notre point de vue, il faudrait que nous commencions à investir dans des programmes de guérison et des services qui misent sur les points forts plutôt que des programmes institutionnels. Nous voulons que les ressources soient affectées aux initiatives communautaires et aux groupes autochtones nationaux pour que ces changements soient apportés globalement.
Nos systèmes actuels, y compris les services de garde et le système de justice pénale, n’ont pas été pensés en fonction de la guérison dont ont besoin de nombreuses collectivités et personnes. Nous savons que nous ne pouvons intégrer nos propres valeurs à nos programmes de guérison que si nous mettons en place notre propre processus de guérison et nos propres stratégies fondés sur le savoir local et les liens au sein de la communauté.
Le sénateur Christmas : Ma question s’adresse à Mme Sharpe ou à Mme Cooper. L’été dernier, le gouvernement du Canada a annoncé la construction d’un centre de rétablissement au Nunavut qui fournira une vaste gamme de services culturels et de guérison. Votre organisation a-t-elle été consultée au sujet de l’établissement de ce centre et que pensez-vous des services et des programmes proposés?
Mme Cooper : Non. Pauktuutit n’a pas été expressément consulté sur l’approche tripartite du centre de rétablissement à Iqaluit. Mais ces consultations doivent avoir lieu pour que toutes les parties — les gouvernements fédéral et provincial ou les organismes de revendications territoriales — et Pauktuutit contribuent à l’établissement des besoins en infrastructure et en programmation.
Nous célébrons ces grandes étapes par la construction d’un centre de rétablissement que nous attendons depuis très longtemps. Nous faisons la même chose pour les cinq refuges en travaillant directement avec les organismes de revendications territoriales par l’entremise de nos comités directeurs.
Nous ne pouvons pas travailler en vase clos. Nous avons besoin de ressources et de programmes ancrés dans la localité et centrés sur notre culture.
Mme Sharpe : J’ajouterais que les ressources construites à Iqaluit devraient être ancrées dans la localité qu’elles desservent. Le Nunavut est peuplé à 85 % d’Inuits. La question n’est pas de savoir si les services sont ancrés ou non dans les croyances autochtones ou inuites, mais plutôt de savoir de quelle manière ils le sont. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Autochtones représentent 55 % de la population. Je pourrais ventiler ces chiffres encore plus, mais nous voyons tout de suite que cela est disproportionné lorsque nous regardons les services et les programmes de rétablissement.
Lorsque je dis disproportionné, je pense aux personnes qui travaillent dans le système de justice, le système de soins de santé, même dans les services de garde ou les services sociaux. Il y a un besoin urgent de regarder ce qui se passe dans ces secteurs et pourquoi cela se passe ainsi. Je pense que je suis partie sur une tangente. Je suis désolée.
Le sénateur Christmas : Aucun problème. Merci beaucoup.
Le président : J’aimerais tous vous remercier de votre présence aujourd’hui et j’aimerais dire aux témoins que nous leur sommes vraiment reconnaissants du témoignage qu’ils ont livré. La séance est levée.
(La séance est levée.)