LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 21 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence, à 14 h 1 (HE), pour étudier le projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue ainsi qu’à tous les gens qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur sencanada.ca.
Avant de commencer, j’aimerais reconnaître que nous nous rencontrons aujourd’hui dans l’édifice du Sénat du Canada, qui se trouve sur le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins et anishinabes.
Je suis le sénateur Brian Francis d’Epekwitk, connu également sous le nom de l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du comité. Je vais présenter les membres du comité qui participent aujourd’hui : le sénateur David M. Arnot, la sénatrice Michelle Audette, le sénateur Patrick Brazeau, le sénateur Daniel Christmas, la sénatrice Pat Duncan, la sénatrice Nancy J. Hartling, la sénatrice Sandra M. Lovelace Nicholas, la sénatrice Yonah Martin et la sénatrice Kim Pate.
Nous nous rencontrons aujourd’hui pour étudier le projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans. Je vous présente le premier groupe de témoins. Nous entendrons aujourd’hui l’honorable sénatrice Mary Jane McCallum du Manitoba, qui est la parraine du projet de loi, ainsi que le chef George Cote de la Première Nation Cote.
Pendant l’audition du premier groupe, nous regarderons une vidéo d’Isabella Kulak, une fillette de 11 ans membre de la Première Nation Cote, qui nous parlera de son expérience, laquelle a mené au projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. Votre comité directeur était d’avis que nous devions entendre son témoignage, en se souvenant toutefois de son statut de mineure et de la nature sensible de son expérience. Nous pensions que le comité pourrait prendre connaissance de son expérience au moyen de la vidéo.
La sénatrice McCallum et le chef Cote feront chacun des déclarations d’une durée maximale de cinq minutes, après quoi il y aura une série de questions et de réponses pendant laquelle chaque sénateur aura droit à environ trois minutes. Je ferai signe aux témoins lorsqu’il leur restera 30 secondes de temps de parole.
Si les sénateurs ont une question, ils doivent utiliser la fonction « Lever la main » de Zoom pour faire signe à la greffière, qui leur répondra dans le chat de Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste d’intervenants.
Nous regarderons la vidéo et ensuite la sénatrice McCallum prendra la parole.
Isabella Kulak, à titre personnel : Mesdames et messieurs, Anīn. Bonjour. Isabella Kulak nitišinihkas. Je m’appelle Isabella Kulak et j’ai 11 ans. Je suis membre de la Première Nation Cote, mais je vis à Kamsack, en Saskatchewan.
Je n’oublierai jamais le 18 décembre 2020. C’était la journée « habillée » à mon école, le Kamsack Comprehensive Institute. Je me suis levée tôt ce matin-là parce que j’allais porter ma jupe à rubans. J’ai mis un temps fou à me préparer, parce que je ne porte pas souvent des robes ou des jupes. J’ai changé de haut de nombreuses fois avant de trouver la tenue parfaite. J’étais aux anges, car j’allais porter la jupe à rubans que m’a donnée ma tante Farrah Sanderson.
Je me souviens que j’ai marché à l’école avec ma grande sœur, Gerri Leigh. Nous portions toutes les deux nos jupes à rubans et j’étais tellement heureuse de porter quelque chose qui représentait ma culture. J’avais le sourire aux lèvres.
Tout a changé lorsque je suis arrivée à l’école. Une éducatrice a fait un commentaire sur ma tenue : « Tes vêtements ne sont même pas assortis. L’année prochaine, tu porteras autre chose! » J’ai eu honte. Dès que j’ai pu, j’ai enlevé ma jupe à rubans et je l’ai mise dans mon sac à dos. Personne ne devrait se sentir comme je me suis sentie ce jour-là.
Une année s’est écoulée et la situation a beaucoup évolué. C’est comme si le monde s’était réveillé. Le 4 janvier 2022, nous avons fêté notre première Journée de la jupe à rubans à mon école et nous avons encouragé les élèves d’autres nationalités à porter quelque chose qui les représente. Ce fut la plus belle journée de ma vie. J’étais ravie de voir ma culture partout dans l’école, car les gens portaient des jupes et des chemises à rubans, et mon chef et le chef de la bande avoisinante ont mis leurs coiffures. Un conseiller de la bande de Cote a interprété un chant d’honneur et nous nous sommes tenus par la main pendant qu’il a chanté une chanson de danse en rond. Mon peuple avait retrouvé sa fierté.
En ce qui concerne le projet de loi S-219 et la désignation d’une Journée nationale de la jupe à rubans, j’aimerais exprimer mon désir ainsi que celui de ma Première Nation de lancer un appel à l’action au chapitre de la réconciliation, ainsi que du respect de la part de la province et du gouvernement fédéral qui se fait longuement attendre. Pendant beaucoup trop longtemps, ma famille et mes ancêtres ont vécu dans l’ombre dans notre pays, mais notre jour est arrivé. Nous ne subirons plus le racisme systémique.
La reconnaissance d’une Journée nationale de la jupe à rubans aidera grandement à panser certaines blessures dans ce pays qui auraient continué à faire souffrir. Je ressens une responsabilité énorme envers tous les Canadiens du fait de mes paroles prononcées aujourd’hui. J’espère que les Canadiens autochtones et non autochtones comprendront à quel point il est important de désigner le 4 janvier la Journée nationale de la jupe à rubans.
J’espère que mon arrière-grand-mère, Pauline Pelly, qui n’est plus avec nous, entendra les paroles que je vous adresse aujourd’hui. C’était une militante dynamique et une gardienne du savoir et des langues de nos Premières Nations, et ce, bien longtemps avant que le Canada ne l’écoute.
C’est avec grand plaisir que je me suis adressée au Sénat aujourd’hui, et je vous remercie de votre temps, sénateurs. Kīcī‑Miigwetch. Moi-même, ma famille, la Première Nation Cote et la Federation of Sovereign Indian Nations, la FSIN, vous remercient.
L’hon. Mary Jane McCallum, sénatrice, Sénat du Canada, parraine du projet de loi : Je vous parlerai aujourd’hui des jupes à rubans et de l’autodétermination.
Je suis entrée au pensionnat en tant que petite fille qui avait déjà une vie spirituelle. Cette spiritualité était le mode de vie de ma famille et de mon peuple, les Cris et les Dénés de Brochet. Il y avait toujours du bannock et du thé sur la table pour les visiteurs. Les hommes enlevaient leur couvre-chef à la porte par respect et les invités prenaient place à la table. Après que les invités avaient mangé, il y avait des conversations, des anecdotes, des propos taquins et des rires. La spiritualité de l’hospitalité, de la gentillesse, du rire et du partage tissait des liens serrés dans les familles et dans la communauté. Lorsque ma mère est morte, j’ai commencé à accompagner une aînée, Carol, qui m’a fait connaître bien des endroits. Cette femme douce et gentille et moi-même embarquions dans un canot pour nous rendre dans des îles et y cueillir des fruits. Nous marchions dans la forêt lorsqu’elle a trouvé une marmite noire qui avait été abandonnée. Elle m’a dit : « Comment les gens peuvent-ils se défaire d’une aussi belle marmite? » Je me souviens des nombreux ragoûts délicieux qu’elle a préparés avec amour dans cette marmite. Son silence, alors que nous pagayions, m’a appris à savourer le moment présent. J’étais envoûtée par le bruit de l’aviron qui traverse l’eau et ensuite fait tomber des gouttes sur la surface de l’eau. Carol m’a montré sa patience en cherchant de la nourriture de façon lente et méthodique. La spiritualité qui marquait le moindre de ses gestes révélait sa croyance en une puissance supérieure. Les activités quotidiennes comme celles-là sont la preuve de la spiritualité de mon peuple.
Voici ce que j’ai écrit dans un chapitre intitulé « Pardonnez-moi mon père parce que j’ai péché » en 2014.
Je raconte cette histoire parce qu’elle symbolise l’autodétermination. L’autodétermination est une compétence et une attitude qui s’apprend pendant toute une vie dès l’enfance. On apprend l’autodétermination pour la première fois en jouant, que ce soient nos pensées, habilités ou traditions, ou encore l’hospitalité, les valeurs ou le comportement de sa famille. Avant d’aller au pensionnat, je me souviens d’avoir joué et de m’être sentie importante et intelligente lorsque je m’adonnais aux tâches pratiques, y compris la confection des vêtements, que l’on m’enseignait.
L’autodétermination fait appel à la pensée critique, l’introspection, l’autorégulation et la défense de soi-même et nous aide a accroître ces compétences. Elle nous aide à comprendre que l’on peut exercer une influence sur sa propre vie et que l’on peut se comporter de façon à obtenir un certain résultat. Voilà les principes de base de l’autodétermination.
Ces concepts m’ont été systématiquement arrachés lorsque j’étais au pensionnat et ont été remplacés par une obéissance aveugle. Dans les communautés des réserves, l’agent des Indiens les éliminait systématiquement.
Cependant, l’autodétermination, c’est se donner la possibilité de porter une jupe à rubans, la possibilité d’être fière de son peuple, de sa culture et de soi-même en tant que squi-sis, qui veut dire « fille », la possibilité d’apercevoir la belle personne que nous sommes, la possibilité de sortir de chez soi sans cacher sa vraie nature. C’est se prévaloir de toutes ces possibilités.
Chers collègues, le fait de désigner chaque année le 4 janvier pour reconnaître la jupe à rubans est fondamentalement un geste de réconciliation et de conciliation. Cela sert non seulement à défendre et à honorer un objet culturel de grande importance aux yeux de nombreuses personnes autochtones au Canada, mais également à reconnaître et à valoriser l’autodétermination.
J’espère aussi que cette journée encouragera les Canadiens non autochtones à en apprendre davantage sur leurs frères et sœurs autochtones, à savoir leur culture, leurs connaissances et leur façon d’être et de penser. En ouvrant la voie à ce type de conversation, un projet de loi plutôt simple aura une incidence profonde et durable pour réduire un clivage dans notre société.
Chers collègues, les enjeux vont au-delà de la décision de porter une jupe. Il est question de l’avenir de nos filles des Premières Nations, afin de leur donner les compétences nécessaires pour naviguer le parcours violent typique connu par les gens des Premières Nations. Les jeunes filles comme Isabella continueront à porter leur jupe à rubans pendant leur voyage sur la Terre. Elles sont belles, courageuses, expressives et brillantes et elles sauront qu’elles font vivre les cultures, les connaissances et la sagesse de leurs ancêtres. Chaque fois, elles regagneront une partie de la puissance et de l’esprit auxquels ont dû renoncer des membres de notre peuple pendant leur vie.
Isabella, merci de m’avoir servi de mentor et merci au comité de m’avoir donné l’occasion de comparaître aujourd’hui. Kinanâskomitin, merci.
Le chef George Cote, Première Nation Cote : [Difficultés techniques] je vous souhaite la bienvenue du territoire visé par le Traité no 4 en Saskatchewan. Je tiens à remercier le Sénat de m’avoir donné l’occasion de vous parler au nom d’un membre de notre bande qui s’est fait connaître sur la scène locale, provinciale, nationale et même internationale.
Je remercie Isabella de la vidéo qu’elle a faite et de ses paroles touchantes et sincères. Cette jeune fille a ouvert des portes à bien des gens. Je remercie sa mère et son père d’avoir transformé une expérience négative en un geste positif. Nous avons décidé d’aller de l’avant et de rencontrer la commission scolaire Good Spirit afin de lutter contre le racisme systémique qui a lieu actuellement dans les écoles dans un esprit de vérité et de réconciliation. Cette jeune fille a ouvert les cœurs de notre nation et d’autres ainsi que les cœurs d’autres nationalités au sein de la collectivité.
Le 4 janvier sera désigné la Journée nationale de la jupe à rubans, et je remercie le Sénat d’avoir reconnu cette journée spéciale. Notre geste permet à la jeune fille de guérir. La jupe à rubans est un symbole de résistance et de persévérance pour nos femmes dans nos communautés des Premières Nations. Ce sont elles qui donnent naissance aux enfants. Elles portent nos enfants qui auront la possibilité de vivre dans ce monde que nous avons partagé avec les gens venus des pays européens, qui ne sont pas des Premières Nations.
Nous attachons beaucoup d’importance à notre langue, dont nous avons été dépossédés par le régime des pensionnats. Nous sommes ici pour nous l’approprier de nouveau et nous approprier la culture dont nous avons été dépouillés. Isabella Kulak a ouvert les portes à toutes ses camarades, y compris à celles qui n’étaient pas encore nées, pour que ça ne se reproduise plus.
Le 4 janvier dernier, lors de la Journée de la jupe à rubans, une jeune fille d’ascendance ukrainienne, portant la robe de sa mère, se tenait aux côtés d’Isabella, et les deux saluaient mutuellement la culture de l’autre. Notre réunion avec les enseignants, les représentants de la division scolaire Good Spirit et le chef de la nation Keeseekoose et oncle d’Isabella a été tellement agréable.
Nous avons annoncé aux enseignants que nous avions pardonné son ignorance à cette institutrice adjointe. Nous devions passer à autre chose. Notre espoir est d’inculquer les enseignements de notre culture au réseau scolaire : enseigner l’identité du peuple anishinabe sur notre territoire aux personnes qui n’appartiennent pas aux Premières Nations et en savoir davantage sur les autres cultures avec qui nos jeunes entreront en contact quand ils fréquenteront des écoles qui ne sont pas des Premières Nations.
Nous avons été soulevés par une vague si haute de soutien, une vague internationale. Beaucoup de femmes de différentes nationalités portent des jupes à rubans, qui symbolisent la culture des femmes de nos Premières Nations. Nous respectons vraiment ces femmes et les leçons d’amour, de respect, d’honneur, de courage, de sagesse, d’humilité et de vérité qu’elles nous ont inculquées. Voilà les enseignements que nous avons en commun dans notre peuple.
Les événements se sont précipités depuis la découverte des fosses des jeunes enfants qui ne sont jamais revenus chez eux. Les mères ont vraiment été secouées d’apprendre que ces enfants reposaient sur les terrains de ces pensionnats. Nous n’avons vraiment pas de réponse, aujourd’hui, sur ce qui leur est arrivé.
Je remercie le Sénat, plus particulièrement la sénatrice McCallum, qui l’a révélé. Nous rendons encore gloire au Créateur. Migwetch.. Merci.
Le président : Merci, chef Cote.
Nous entamons maintenant la période de questions en cédant la parole au vice-président Christmas.
Le sénateur Christmas : Merci beaucoup pour les exposés. Merci également à la sénatrice McCallum, qui a porté l’affaire à notre attention.
L’une des conséquences heureuses d’une journée officielle de la jupe à rubans serait d’aider tous les peuples autochtones du Canada à renforcer leur propre culture. Je suppose que, en même temps, ça élèvera de beaucoup le niveau de compréhension de nos sœurs et frères non autochtones. Je pose la question à la sénatrice McCallum : Quel rôle la Journée de la jupe à rubans jouera-t-elle pour renforcer la culture des Premières Nations et des Métis et pour faire connaître à tous les Canadiens l’apport des femmes et des filles autochtones?
La sénatrice McCallum : Merci pour vos observations et votre question.
Comme le chef Cote l’a dit, la sensibilisation aux jupes à rubans a déjà commencé dans les écoles de la Saskatchewan.
J’ai reçu un appel d’une université. J’irai parler aux responsables de son centre des peuples autochtones. Ils veulent rassembler les dépositaires des connaissances de la communauté et connaître la signification des jupes à rubans. Le moment venu, nous lancerons un appel à tous nos collaborateurs de partout au Canada pour leur annoncer que l’événement approche et qu’on est prêt à faire des exposés sur la question et, avec un peu de chance, à nous rencontrer en personne.
Sur le terrain, ça bourdonne déjà d’activité. On discute avec les différents groupes, y compris féminins, avec des Autochtones qui vivent hors réserve à Winnipeg, avec des habitants, également, des réserves et avec différents groupes qui les représentent.
En soulevant cette question, nous, les sénateurs, nous pouvons compter sur un réseau plus ou moins étendu. Dans tout combat contre le racisme, nous commençons par examiner les notions de santé, d’autoguérison, d’inclusion, d’équité, d’égalité et de diversité. Notre rôle de sénateur nous confère l’honneur, l’importance et la possibilité d’élargir la discussion à des auditoires plus nombreux au Canada, y compris au moyen de SENgage. Quand on nous fournit une plateforme ou une sorte de pouvoir ou d’influence, nous devenons sur le parquet du Sénat les porte-voix des personnes marginalisées.
Il importe de comprendre et de voir s’opérer l’équité, l’égalité et la justice en action pour les jeunes. Leur restauration a des effets tellement profonds, non pas exclusivement chez les enfants pris en charge, mais sur les droits des femmes, des Autochtones et sur la santé mentale.
Le sujet des jupes à rubans et leur signification peuvent arriver sur le tapis dans la discussion sur beaucoup de politiques, parce que ça représente bien plus qu’un vêtement qu’on porte.
Merci.
Le sénateur Christmas : Si vous permettez, je voudrais poser une autre question à la sénatrice McCallum.
Ce qui m’a frappé, dans la jupe à rubans, c’est que c’est une célébration de la culture, des moyens d’expression des femmes autochtones. Mais c’est également très ludique, et ça m’amène à me poser des questions. Voyez-vous dans le fait d’offrir ce vêtement comme un don aux Canadiens pourrait faire bien plaisir et peut-être renforcer considérablement les liens entre nos cultures?
La sénatrice McCallum : Oui, absolument, c’est évident. À l’université dont nous rencontrerons les responsables, c’est déjà l’euphorie.
Parmi les couleurs des rubans que je choisis pour ma jupe, certaines sont vives, puis il y a la confection de la jupe et les interactions sociales entre les femmes et les filles, par le seul fait d’être rassemblées. Dans mon patelin, une femme vend de ces jupes et elle possède un magasin à Winnipeg. Elle enseigne leur confection ou aide les gens à en confectionner. Elle organise des classes de six personnes. Elles prendront le thé, elles apporteront des choses à goûter, elles riront. Elles feront de l’humour, qui a toujours fait partie de notre culture, ainsi que le rire, la guérison et la force qui vont de pair avec une soirée passée dans cette sorte d’ambiance positive.
Merci pour nous l’avoir fait constater.
[Français]
La sénatrice Audette : Merci beaucoup, Isabella. Si les gens pouvaient lui transmettre un message, soit que cette jeune femme est capable de faire vibrer un bout de l’histoire du Canada qui a été trop longtemps caché. Je te remercie, Isabella. Je remercie également ta famille ainsi que le chef Cote, qui a fait preuve de leadership et a accompagné cette famille de façon virtuelle. Je remercie également notre collègue la sénatrice McCallum de promouvoir des choses et de nous apprendre, encore une fois, des éléments sur des chapitres de notre histoire que nous ne connaissons pas.
J’ai eu le privilège de rencontrer de jeunes Autochtones du Québec qui faisaient partie d’un regroupement; c’est une idée importante. Comment pouvons-nous nous assurer qu’il y a, dans ce projet de loi, un mécanisme permettant que les premiers peuples et la société canadienne en comprennent l’origine? Pour que nous en comprenions la raison nous aussi, malgré le lavage de cerveau, et pour que celles qui font partie des nations qui ont eu ces jupes comprennent sa symbolique, mais surtout, comme vous l’avez mentionné, sénatrice McCallum, pour que l’on comprenne le lien avec nos droits inhérents, nos droits autochtones?
[Traduction]
La sénatrice McCallum : La sensibilisation et l’éducation sont plus efficaces à petites doses, et c’est ce que nous faisons au Sénat, quand nous examinons les projets de loi et leur effet chez nos gens. C’est à partir de ce point que ça commencera à se développer. Et les aînées qui s’y sont adonnées et qui seraient en contact grâce à SENgage et à d’autres types de réseaux pourraient y contribuer.
Par exemple, Mira, une aînée chez les Métis du Manitoba, assimile la jupe à une tente, un tipi qu’on porte, la pointe entourant la taille. En parcourant la Terre, c’est comme si on la protégeait tout en étant reliée à elle. C’est ce genre d’enseignement qu’on recherchera à l’approche de la discussion sur l’origine de cette jupe.
Comme vous le savez, dans les premiers temps, on ne connaissait pas les perles ni les rubans. On utilisait des cuirs et des pigments naturels pour les orner de dessins. Avec le temps, nous avons modifié et adapté notre culture et organisé des célébrations avec des couleurs plus vives, des rubans et des perles. J’ai vu ma mère travailler avec des perles. J’en ai. Je les dispose selon un dessin et elles me rappellent l’esprit de ma mère et l’amour qu’elle mettait dans toutes ses actions.
Ce genre de conversation aura cours au Canada, et nous nous libérerons pour y participer.
La sénatrice Hartling : Je tiens d’abord à remercier la sénatrice McCallum, un modèle de persistance et de pédagogie. Je la remercie de nous en avoir tant appris.
Je m’en souviens, cela a été un sujet de discussion, le printemps dernier, au Sénat. Quelle idée intéressante! Le document visuel qui nous présente cette jupe est certainement un bon moyen de nous sensibiliser à votre culture et de nous la faire connaître.
Je tiens également à remercier Isabella Kulak. Elle s’exprime si bien. Quelle meneuse elle fera un jour. Son récit m’a attristée.
Voici ma question pour la sénatrice McCallum : Quel effet croyez-vous que les jupes à rubans auront sur les membres de la communauté LGBTQ+ bispirituels? Avez-vous une opinion à ce sujet?
La sénatrice McCallum : Non, mais je crois qu’un témoin viendra nous en parler. Effectivement, les Autochtones bispirituels ont adopté la jupe, comme il se doit, et pratiquent notre culture tout comme nous, peu importe dans quel rôle ou — j’ignore comment ils disent — leur système aux deux rôles. À cette question, je ne peux répondre, faute d’avoir pu lier conversation avec beaucoup d’entre eux. D’ici la troisième lecture, je m’empresserai de combler cette lacune.
La sénatrice Hartling : J’en suis convaincue. J’espère qu’un jour nous verrons des jupes à rubans au Sénat et que nous pourrons participer à une sorte de célébration. Merci pour tout ce que vous faites.
Le président : Sachez que le prochain groupe de témoins compte un membre de la communauté LGBTQ+. Il répondra à votre question.
La sénatrice Duncan : C’est sur le territoire traditionnel de la nation Kwanlin Dün et du conseil des Ta’an Kwäch’än que je m’adresse à vous. Je suis reconnaissante d’être ici et de vous parler. Je remplace l’honorable sénatrice Mary Coyle.
D’abord, mes sincères remerciements à Isabella Kulak pour son courage et son ascendant dans son témoignage. Son exposé a été magnifique.
Je remercie ensuite la sénatrice McCallum pour son projet de loi. Il a permis de lancer une discussion importante pour le Sénat et tous les Canadiens.
J’ai une anecdote personnelle pour Isabella. Je porte souvent le kilt, vêtement traditionnel des Écossais et des Irlandais. Mon père venait d’Écosse, et à mon nom de famille correspond le tartan de mon kilt. Alors que j’étais première ministre du Yukon, je présidais une conférence de presse, quand un journaliste a fait une remarque sur le fait que je portais le kilt. Je n’ai pas réagi, mais ses confrères l’ont rabroué pour son inconvenance. J’aurais seulement souhaité que les collègues de l’enseignante se soient interposés après ses remarques qui vous ont si profondément blessée et qui étaient tellement déplacées.
Pendant que j’ai repassé le projet de loi et que je me suis préparée à la discussion, j’ai eu plusieurs conversations avec des aînées des Premières Nations, des femmes de ma communauté au Yukon. Je voudrais questionner la sénatrice McCallum sur un détail qu’Isabella nous a confié. Le 4 janvier dernier, pendant une célébration de la jupe à rubans, elle se trouvait aux côtés d’une jeune d’ascendance ukrainienne qui, si j’ai bien compris, portait un signe de sa culture. La jupe à rubans n’est pas aussi répandue dans l’Ouest. Dans l’Ouest, au Yukon et en Alaska, nos aînés portent souvent des couvertures à boutons, représentatives de leur culture. Les nouveaux diplômés de notre nation porteront une tenue cérémonielle — c’est ainsi que ça s’appelle — représentative de leur clan, celui du corbeau, et nous la voyons souvent dans différentes manifestations. La sénatrice McCallum pourrait-elle nous dire comment, conformément à la description d’Isabella, les autres cultures ont été accueillies et célébrées le 4 janvier dernier consacré à la jupe à rubans. Comment, dans ce projet de loi, les tenues cérémonielles des autres Premières Nations sont-elles présentées et reconnues?
La sénatrice McCallum : Merci pour la question.
La jupe à rubans est un type de vêtement ou de tenue que portent les Autochtones du Canada. Le projet de loi représente un moment de célébration. Ça ne signifie pas qu’on en impose le port à tous. Nous sensibilisons simplement les gens à la possibilité d’utiliser ces vêtements ou tenues comme des armes. Je crois que c’est ainsi que, naturellement, d’autres considéreraient leur propre tenue cérémonielle.
Je m’aperçois de la grande mobilité des Canadiens. Ma fille vit en Colombie-Britannique et elle a emporté là-bas ses jupes à rubans. Dans un déplacement au Yukon, elle a emporté une jupe à rubans. Les gens portent leur propre tenue cérémonielle. Nous voyons ici des gens de Colombie-Britannique porter des tenues distinctement de cette province. Quand on s’y intéresse, la dimension culturelle de tout devient perceptible. Ce n’est pas une question de se distinguer.
Le catalyseur de ce projet de loi a été l’ignorance qui a été à l’origine de l’incident, dont la suite sera une sensibilisation pour entamer des discussions sur ce qui présente de l’importance pour chacun. Naturellement, ça ne s’arrêtera pas à la jupe à rubans. C’est une journée de célébration, mais c’en est certainement pas une d’assimilation. Si la direction de cette école avait pensé à inclure des costumes ukrainiens, ne croyez-vous pas qu’on commencerait à penser de même ailleurs au Canada? C’est ainsi qu’on devrait le voir.
La sénatrice Pate : Je suis ravie de me joindre à la discussion alors que je suis sur le territoire non cédé des peuples algonquins et anishinabes.
Monsieur le président, je tiens à vous remercier et je tiens à remercier Isabella Kulak de déjà démontrer, si jeune, des qualités incroyables de cheffe. Chef Cote, je vous remercie de l’appui de votre bande, de votre fédération provinciale, en Saskatchewan, en général, et d’autres, et, en particulier, je remercie la sénatrice McCallum de prendre sur elle de nous rappeler constamment la nécessité de nous focaliser sur l’importance de l’autodétermination.
Après la déclaration de la Journée de la jupe à rubans le 4 janvier et la sensibilisation dont vous avez parlé dans les écoles, je suis désireuse de savoir comment ces mesures pourraient aider à résoudre d’autres problèmes de réconciliation. Je pense notamment à la mise en œuvre des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées et du besoin d’aplanir les inégalités socio‑économiques et sanitaires qui frappent disproportionnément les femmes et les filles autochtones de notre pays.
La sénatrice McCallum : J’avais commencé à aborder ce sujet. Des personnes aussi jeunes qu’Isabella ont déjà commencé à prendre soin d’elles-mêmes, ce qui inclut de connaître ses propres limites et de savoir où commencent celles des autres. Lorsqu’on l’a critiquée, elle savait qu’on la critiquait et elle a saisi l’occasion en s’exprimant, en prenant un moment et en se rendant compte que c’était une question sur laquelle elle voulait attirer l’attention.
Ce n’est pas seulement à l’échelle nationale; c’est à l’échelle internationale. Lorsque nos jeunes commencent à intégrer les concepts d’autodétermination et d’établissement d’objectifs, ils sont tellement en avance par rapport à moi lorsque j’étais au pensionnat. Je trouve que c’est très encourageant. Ils comprennent déjà et disent « non, vous ne me ferez pas cela ». Cette capacité de dire « non » est tellement importante quand on parle de mauvais traitements, quels qu’ils soient. Le plus difficile, c’est de le faire une première fois, puis cela devient plus facile chaque fois. Nos enfants peuvent nous montrer l’exemple.
Quelles sont les conséquences pour les enfants pris en charge? Quelles sont les conséquences pour les personnes qui sont incarcérées trop souvent? Les gens qui sont en prison ont déjà été des enfants. Ils se sont retrouvés là où ils sont en raison de l’oppression qu’ils ont subie. Chaque occasion que nous avons de lutter contre le racisme, l’oppression et l’assimilation nous donne plus de pouvoir et rend justice à d’autres. Regardez ce que cela a fait pour les sénateurs, qui comprennent à quel point cette reconnaissance des jupes à rubans a une grande portée.
Le sénateur Arnot : Je vous parle aujourd’hui depuis le territoire visé par le Traité no 6, en Saskatchewan. Aujourd’hui, le soleil brille, l’herbe pousse et la rivière coule. C’est ainsi que cela devrait être dans le territoire.
Je tiens à remercier Isabella d’avoir transformé un événement négatif en une occasion positive et extraordinaire. Je salue vraiment son geste et son courage.
Je tiens également à remercier la sénatrice McCallum, qui nous communique son savoir et qui est véritablement déterminée à sensibiliser les Canadiens non autochtones à la nécessité de la réconciliation et à ce que signifie la réconciliation dans un contexte moderne.
Ma question s’adresse au chef Cote. En 2008, le gouvernement de Brad Wall, en Saskatchewan, a rendu obligatoire l’enseignement des traités, des relations découlant des traités et des composantes des avantages et du respect mutuels concernant les traités pour chaque niveau scolaire dans toutes les écoles de la province. Pourtant, j’ai été choqué, consterné et embarrassé, comme beaucoup de gens, que cet incident se soit produit en Saskatchewan quelque 12 ans après la mise en place de ce type d’enseignement obligatoire. Chef Cote, croyez-vous que le gouvernement de la Saskatchewan doit réaffirmer son engagement à l’égard de l’enseignement des traités, des relations découlant des traités dans un contexte moderne, et qu’il doit soutenir et promouvoir ce type d’enseignement afin que la population en général et la communauté des Premières Nations aient les connaissances qu’il faut pour éviter que ce genre d’incident, ou celui qu’Isabella a vécu, se reproduise?
M. Cote : Je vous remercie de la question.
Au cours des cinq dernières années, nous avons rencontré d’autres chefs et des représentants d’autres divisions scolaires au sujet de leur programme qui, en quelque sorte, ne tient pas compte du territoire sur lequel ils se trouvent et des types de communautés des Premières Nations qui les entourent afin que les élèves aient l’occasion d’en apprendre sur leurs cultures et leurs relations. Les traités sont l’un des éléments que nous avons encouragés à intégrer dans le programme scolaire pour que les élèves comprennent mieux ce qu’ils représentent dans la nation canadienne.
En ce qui concerne la province de la Saskatchewan et son programme, j’ai été déçu par le manque de contenu dans le programme offert aux communautés ainsi qu’aux nations non autochtones. C’est pourquoi nous avons rencontré la division scolaire Good Spirit. Nous travaillons maintenant à l’élaboration d’un programme différent qui profitera non seulement aux Premières Nations, mais aussi aux non-Autochtones. Nous voulons également leur enseigner notre langue. Ils souhaitent grandement apprendre notre langue, comme nous apprenons la leur, afin de favoriser ce respect mutuel.
De par ce qu’elle a vécu, Isabella a fait comprendre à ses camarades de classe que cela devait cesser. Les enseignants et les parents autochtones et non autochtones ont organisé une grande marche à Kamsack, et ils ont soutenu ce que nous proposions pour établir la vérité et la réconciliation entre nous. Même la mairesse de Kamsack, qui n’est pas membre d’une Première Nation, porte une jupe à rubans pour montrer qu’elle veut établir des liens entre les communautés. Maintenant, nos écoles se parlent et nous nous intégrons les uns aux autres. Je vous remercie vraiment de cette question.
Le président : Le temps alloué pour la comparution de ce groupe est écoulé. Je tiens à remercier la sénatrice McCallum et le chef Cote de nous avoir rencontrés aujourd’hui, et Isabella de nous avoir raconté son histoire.
J’aimerais vous présenter notre prochain groupe de témoins. Nous accueillons Mme Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak; Mme Lisa J. Smith, directrice principale de la Gouvernance, des relations internationales et des relations parlementaires de l’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC; Mme Chevi Currie Rabbit, fondatrice de Walk a Mile in a Ribbon Skirt; et Mme Katherine Swampy, conseillère de la Nation crie de Samson.
Mme Omeniho fera une déclaration préliminaire d’une durée maximale de cinq minutes. Par la suite, Mme Rabbit et Mme Swampy feront ensemble une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous passerons ensuite aux questions. Les sénateurs disposeront d’environ trois minutes chacun. S’ils veulent poser une question, ils doivent utiliser la fonction « Lever la main » pour l’indiquer à la greffière. On leur répondra dans le clavardage de Zoom. Veuillez noter que les membres du comité auront la priorité sur la liste d’intervenants.
J’invite maintenant Mme Omeniho à prendre la parole.
Melanie Omeniho, présidente, Les Femmes Michif Otipemisiwak : Bonjour à tous. Je représente l’organisation Les Femmes Michif Otipemisiwak, et vous avez très bien prononcé le nom, monsieur le président. Je vous en remercie. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé du peuple anishinabe, à Ottawa.
Je tiens tout d’abord à remercier le Comité permanent d’avoir invité Les Femmes Michif Otipemisiwak à faire quelques observations sur le projet de loi S-219. Ce projet de loi est une occasion d’offrir un espace aux femmes et aux filles métisses et, en fait, à toutes les femmes autochtones, pour qu’elles puissent épouser la partie importante de leur culture et de leurs traditions.
Dans sa vidéo, Isabella a clairement expliqué comment elle a transformé quelque chose qui n’était rien de moins que du racisme systémique en une situation positive pour sensibiliser les gens et changer la façon dont ils voient les jeunes qui expriment des aspects de leur culture et leur fierté d’être qui ils sont. Comme nous le savons tous, un membre du personnel s’en est pris particulièrement à elle et lui a fait ressentir de la honte, et nos enfants ne devraient jamais subir une telle chose. C’est une expérience que nous avons tous connue et que nous avons tous vécue dans nos vies, et nous voulons changer cette situation.
En tant que femmes ou jeunes autochtones, nous cherchons à renouer avec notre culture, nos racines et nos ancêtres. Il n’y a pas de place pour la honte dans tout cela. Nous avons travaillé très dur et nous voyons nos jeunes exprimer leur fierté à l’égard de leur culture en montrant des choses comme le port de jupes à rubans ou divers autres symboles de leur culture, ce que nous devons continuer à encourager.
Dans le contexte de la colonisation, aucun effort n’a été ménagé pour séparer les Métis, en particulier les femmes et les filles métisses, de leur culture, de choses que nous avons perdues à cause du régime des pensionnats autochtones et de la rafle des années 1960, de la politique sur les certificats ainsi que d’actes de violence sexiste et de racisme. Nous espérons qu’un jour toutes ces pratiques cesseront pour que chaque personne puisse manifester sa fierté d’être qui elle est.
Je tiens à vous dire que nos grands-mères métisses portaient toutes des jupes à rubans. Cela faisait partie de leur tenue vestimentaire quotidienne. Elles n’étaient pas seulement destinées aux célébrations. Si vous regardez des photos de nos grands-mères métisses d’autrefois, elles portaient toutes des châles en tartan et des jupes à rubans. Ces vêtements n’étaient peut-être pas aussi colorés et brillants que certains d’entre eux le sont aujourd’hui, mais ils reflétaient un grand sentiment de fierté chez elles quant à leur identité et leur cheminement collectif.
Aujourd’hui, le port et la fabrication de jupes à rubans nous aident à enseigner et à transmettre nos traditions et notre culture, même pour les personnes de diverses identités de genre, et à faire nôtre l’expression culturelle de nos tenues traditionnelles. Les jupes à rubans s’inscrivent dans un mouvement de fierté de nos origines, d’hommage à notre culture et à nos enseignements, et constituent un symbole positif de résilience et de pouvoir. Cependant, nous constatons les répercussions de la fierté autochtone lorsque les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre inuites, métisses et des Premières Nations transmettent fièrement leur culture. Nous ne pourrons changer la discrimination systémique dont sont victimes les femmes et les filles métisses que si nous nous efforçons de modifier le discours individuellement, comme l’a fait cette jeune fille.
L’adoption du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans, montrerait à tous les Canadiens que le gouvernement et notre pays s’engagent envers la réconciliation et l’autonomisation des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre autochtones partout au pays. Je vous remercie.
Le président : Merci, madame Omeniho. J’invite Mme Smith à faire son exposé.
Lisa J. Smith, directrice principale, Gouvernance, relations internationales et relations parlementaires, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à parler du projet de loi S-219.
J’aimerais remercier tout particulièrement la sénatrice McCallum. Je suis toujours impressionnée par son dévouement à cette cause et ses connaissances. Jusqu’à présent, les discussions ont porté sur plusieurs volets, et je l’en remercie. Je remercie tous les membres du comité pour cela.
J’assume depuis récemment un nouveau rôle à l’Association des femmes autochtones du Canada, ou l’AFAC, en tant que directrice principale. Je dois préciser que je suis basée au bureau national de l’AFAC au Québec, mais je me trouve aujourd’hui chez moi, à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador, la terre des Béothuks.
L’AFAC célèbre Isabella, une jeune fille inspirante. La force dont elle a fait preuve a uni une nation. Elle est devenue une championne de la résilience culturelle, et je l’en remercie.
Honorables sénateurs, la jupe à rubans est à la fois un symbole spirituel et une déclaration politique, car elle témoigne de la façon dont les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones ont survécu aux tentatives coordonnées d’anéantir leur culture. Elle est l’expression de la vitalité culturelle.
En outre, l’AFAC appuie le projet de loi, dont le préambule se fonde sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La mise en œuvre de cette déclaration des Nations unies est primordiale, car elle garantit le respect des droits qui constituent les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones dans le monde.
En 2004, l’AFAC a lancé l’initiative Sœurs par l’esprit, une campagne de sensibilisation concernant les taux élevés de violence raciale et sexuelle à l’encontre des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre autochtones. L’initiative visait à faire des recherches et à consigner les statistiques sur la violence contre les femmes et les filles autochtones au Canada. Elle visait également à sensibiliser et à informer la population sur les torts faits aux peuples autochtones et à exiger que l’État prenne des mesures.
Heureusement, l’appel urgent de l’AFAC a été entendu. Le 3 juin 2019, le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié. On y conclut que les actes de violence contre les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones au Canada constituent un « génocide ». Le rapport de l’enquête contenait 231 appels à la justice. L’AFAC est heureuse de constater que deux de ces appels à la justice figurent dans le préambule du projet de loi.
L’importance de pouvoir participer à des cérémonies et à des pratiques culturelles constitue un moyen important de guérir. Nous avons entendu Isabella dire de façon si succincte que ce projet de loi peut « panser certaines blessures » — ce sont ses mots, de beaux mots.
Garantir l’accès à ces formes d’aide à tous les Autochtones qui en ont besoin, ainsi qu’aux familles des femmes, des filles et des personnes de diverses identités de genre autochtones disparues et assassinées, est crucial pour l’avenir, un parcours que, espérons‑le, tous les Canadiens pourront faire ensemble.
La culture autochtone doit être célébrée de la manière dont Isabella l’a démontré. De plus, il n’y a actuellement aucune journée de célébration de la culture autochtone reconnue par le gouvernement fédéral pendant l’hiver. L’AFAC soutient que la désignation du 4 janvier comme Journée nationale de la jupe à rubans est une mesure qui sera bien accueillie pour faire avancer la réconciliation.
J’aimerais dire qu’il s’agit de la vérité et de la réconciliation à l’œuvre. Nous l’observons.
Le 2 juin 2021, l’AFAC a publié son propre plan d’action en réponse à l’enquête nationale. Ce plan s’intitule Nos appels, nos actions et consiste en 65 actions que l’organisation mènera pour répondre aux appels à la justice. Le plan repose sur — et je vois un thème ici aujourd’hui —, la guérison.
Ce qui est au cœur de notre plan, c’est l’établissement de pavillons de résilience axés sur le territoire dans tout le Canada à des fins de guérison pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones. Un pavillon existe déjà à Chelsea, au Québec, et offre des programmes virtuels pendant la pandémie. Un deuxième pavillon devrait bientôt s’ouvrir au Nouveau-Brunswick. Tous les services du pavillon de résilience, soit les ateliers en ligne, le soutien virtuel aux aînés ou les services en personne sont axés sur la prévention de la violence et l’intervention de guérison autonome.
Comme Isabella, des femmes et des filles autochtones du monde entier souhaitent attirer l’attention des gens sur leurs réalités et font preuve de résilience en faisant entendre leur voix encore plus fort et en célébrant leurs cérémonies. L’AFAC trouve encourageant le leadership courageux qu’a démontré Isabella en célébrant sa culture autochtone à son école et, ce faisant, en sensibilisant non seulement les jeunes et ses pairs, mais aussi le Canada dans son ensemble.
En résumé, honorables sénateurs et membres du groupe de témoins, la jupe à rubans est une source de résilience culturelle et de fierté pour les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones. Nous appuyons entièrement le projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans.
Merci.
Le président : Merci, madame Smith.
J’invite maintenant Mme Currie Rabbit et Mme Swampy à faire leur déclaration préliminaire.
Chevi Currie Rabbit, fondatrice, Walk a Mile in a Ribbon Skirt : Je m’appelle Chevi Rabbit. Je suis une femme transgenre présentement en transition ici en Alberta. Je suis ici pour parler de Walk a Mile in a Ribbon Skirt.
Tout d’abord, je vais vous dire qui je suis. Je suis membre de la Première Nation de Montana, l’une des quatre Premières Nations qui composent Maskwacis, une communauté anciennement connue sous le nom de Hobbema.
Ma famille fait de la politique depuis plus de 100 ans, depuis l’établissement et la création de la réserve. Je viens d’une famille très inclusive. Mon oncle, Leo Cattleman, a été le chef le plus longtemps en poste au Canada. Ma tante, Rima Rabbit, a été conseillère à une époque où il n’y avait pas de femmes à la table. Mon grand-père, Joe Rabbit, a également été conseiller. J’ai grandi dans une famille dont de nombreux membres se sont exprimés pour défendre la communauté.
J’ai toujours été incluse dans ma famille, et l’inclusion est notre façon de faire. Chacun a un rôle et a été inclus dans la culture. J’ai grandi avec mes tantes et mes oncles. Mes tantes ont été propriétaires du premier bâtiment consacré à l’art de la bande de Montana. Elles possédaient de nombreux magasins et ont grandi dans une culture riche. J’ai eu de la chance à cet égard. Beaucoup n’ont pas eu cette chance à cause des pensionnats et parce qu’on nous a volés.
Mon père a été brutalement assassiné dans la collectivité, et je n’ai jamais grandi avec sa famille. J’ai grandi avec les membres de la famille de mon beau-père, et ils font de très bonnes choses. Ma grand-mère, Sarah, était une aînée pour le gouvernement, ici, au Canada. Ma tante Marlene a été touchée par les pensionnats et par la rafle des années 1960, et elles ont toutes fait partie des femmes autochtones disparues ou assassinées.
Lorsque j’ai fréquenté l’Université de l’Alberta, j’ai été agressée au cours de ma quatrième année. C’est la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je suis une militante. J’allais être la première de ma famille à obtenir un diplôme universitaire. C’était il y a 10 ans. J’ai été agressée, interpellée et battue parce que j’étais une femme transgenre ici, à Edmonton. J’ai passé une décennie de ma vie à militer. Je n’ai pas choisi d’être militante, mais je me suis rendu compte que c’était nécessaire pour que nous puissions élever notre famille dans l’amour. Cependant, il y a de l’hostilité, de la discrimination systémique et du racisme subtil dans certaines collectivités. Ce sont toutes des choses qui existent. Alors quoi que nous fassions, même si une personne est élevée dans l’amour et le soutien, elle est toujours traumatisée, victimisée et blessée. J’ai donc passé une décennie de ma vie à militer par l’entremise du projet Hate to Hope ici, à Edmonton, en Alberta.
L’initiative Walk a Mile in a Ribbon Skirt est le prolongement de ce projet. En 2020, j’étais ici avec mes tantes et ma nièce, CeeJay Currie, qui a contribué à la création de ce projet. Nous mangions ici, en ville, et des gens se sont moqués de nos jupes. Cette jupe juste ici, appelée inclusion, est une jupe à rubans arc‑en‑ciel. Ma nièce CeeJay Currie n’a pas pu comparaître aujourd’hui, car elle est anxieuse. Un grand nombre d’entre nous éprouvent de l’anxiété. Elle a lancé l’initiative Walk a Mile in a Ribbon Skirt. Elle a eu cette idée après mon retour à la maison. Je lui ai demandé ce qu’elle ferait dans cette situation, car on s’était moqué de nous — ma mère, ma sœur et moi — à cause de nos jupes à rubans. Je lui ai donc demandé ce qu’elle aurait fait à ma place. Elle a répondu qu’elle aurait aimé que ces gens sachent à quel point il faut faire preuve de résilience juste pour porter nos jupes.
C’est donc à partir de cette interaction et de cette conversation que nous avons créé Walk a Mile in a Ribbon Skirt. C’est la raison pour laquelle Katherine Swampy est ici. Elle a contribué à amplifier le mouvement. Je peux vous dire que de nombreuses femmes transgenres et de personnes de diverses identités de genre souffrent des conséquences du colonialisme et des pensionnats et elles sont repoussées à l’extérieur de certaines collectivités des Premières Nations qui présentent des signes élevés de haine en raison des effets du colonialisme et des pensionnats — c’est un monde très sexospécifique.
J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui m’a soutenue. En raison de mes décennies de travail, je peux vous dire dès maintenant que de nombreuses personnes de diverses identités de genre ont été privées de leurs enseignements et de leurs leçons. Elles ont été privées de l’amour qu’elles étaient censées recevoir en grandissant, car les pensionnats ont enseigné la haine à nos ancêtres et à certains aînés et la discrimination à certaines personnes.
Lorsque des personnes transgenres fuient les réserves en raison de la violence qu’elles y ont subie, elles sont également victimes de violence et d’exploitation lorsqu’elles arrivent dans une ville. Pour moi, la jupe à rubans représente l’inclusion, l’autonomisation, le chemin que nous avons parcouru et toutes les choses auxquelles nous avons survécu — et auxquelles nous survivons encore. C’est ce que la jupe à rubans représente pour moi.
Ma sœur, la mère de CeeJay, est décédée et c’est pour elle que je fais cela. Nous en avons toutes une, et elle a une signification profonde dans notre culture et notre famille. J’aimerais également demander à Katherine Swampy d’en parler, mais je voulais m’assurer que la voix des personnes transgenres soit entendue, parce qu’elles font face à une double discrimination. Qu’elles aient été élevées avec amour ou non, elles feront face à la violence. C’est un fait et la réalité du monde dans lequel nous vivons. Dès qu’une personne se rend à l’épicerie pour acheter du maquillage, elle se retrouve dans un environnement politique et sexospécifique. C’est tellement effrayant parfois de sortir pour aller faire des commissions, d’essayer de vivre sa vie et d’aller à l’école ou au travail. Nous sommes toujours pourchassées et ciblées en raison de notre identité de genre et de notre nationalité. C’est une double discrimination. La jupe à rubans permettrait d’enseigner aux Albertains et aux Canadiens ce que cela signifie et tout le chemin que nous avons parcouru depuis ce génocide culturel.
Je vous remercie de votre temps. Je pense que c’est formidable que nous soyons tous ici pour tenter de changer les choses. Nous avons parcouru tellement de chemin dans cet État appelé Canada.
Katherine Swampy, conseillère, nation crie de Samson Cree, Walk a Mile in a Ribbon Skirt : [La témoin s’exprime dans une langue autochtone.]
Bonjour tout le monde. Je suis Katherine Swampy, et je suis une leader élue de la nation crie de Samson. Je vous remercie, sénateurs et sénatrices, d’être ici aujourd’hui et de nous accorder ce temps et cet espace pour discuter.
Je suis ici pour parler de la jupe à rubans. Voici la jupe à rubans que j’ai apportée aujourd’hui. J’en ai plusieurs. Chacune représente quelque chose de précis, et celle-ci représente les membres de ma famille que j’ai perdus. Deux de mes sœurs et deux de mes nièces ont été assassinées, et cette jupe a été confectionnée pour moi par une aînée de la région pour me donner la force et la résilience nécessaires pour continuer, car il est difficile de perdre des personnes dont on est si proche.
J’ai reçu l’histoire de la jupe à rubans en cadeau, et j’aimerais beaucoup la partager avec vous aujourd’hui, mais c’est une histoire bien trop longue pour être racontée en très peu de temps. Je vais donc vous faire part de certaines de ces histoires. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit également d’une histoire qui doit être racontée en suivant un certain protocole et une certaine cérémonie. Je vais donc résumer une partie de cette histoire pour vous aujourd’hui.
La jupe à rubans n’est pas seulement un beau vêtement. Il est essentiel de comprendre l’histoire de cette jupe et la raison pour laquelle nous la portons. Une tribu autochtone était allée vivre dans les montagnes pour s’éloigner des innombrables difficultés causées par le génocide. L’une de leurs gardiennes, une guérisseuse qui protégeait la tribu, avait une petite-fille à qui elle a enseigné les connaissances traditionnelles sur les médicaments naturels, c’est-à-dire où les trouver et comment les utiliser. Un jour, la grand-mère est tombée malade et c’est à la petite-fille qu’il a incombé d’aller chercher les médicaments nécessaires, car de nombreux membres de la tribu étaient en train de mourir. En chemin, elle a dû affronter de nombreuses situations horribles et dangereuses. Elle a failli mourir plusieurs fois. Lorsqu’elle a réussi et qu’elle est rentrée chez elle, le bas de sa jupe était orné des couleurs de l’arc-en-ciel, des fleurs et de tout ce qu’elle avait traversé. Les rubans autour du bas de sa jupe revêtaient une signification prodigieuse. La jupe représente donc la résilience, la protection et l’amour. Même aujourd’hui, pour de nombreuses personnes qui ne connaissent pas cette histoire, la jupe représente le rapatriement.
J’aimerais vous faire part de certaines des difficultés actuelles auxquelles font face les membres des Premières Nations. Nous avons des maisons surpeuplées et un grand nombre de ces maisons sont en mauvais état et ressemblent à des cabanes. Nous avons des maisons qui ont besoin d’un puits d’eau et qui sont visées par un avis d’ébullition de l’eau depuis plus de 20 ans. Nous avons des taux de chômage élevés dans les réserves, car la population est très élevée et les emplois sont limités. Ici, à Samson, nous avons 9 000 personnes, mais seulement 700 emplois. Nous vivons dans une pauvreté extrême et certains de nos besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits, car il n’y a parfois pas de nourriture ou nous sommes dans l’incapacité de payer nos factures d’électricité. De nombreuses maisons n’ont pas de lits pour y dormir, le réfrigérateur et la cuisinière sont en panne et il n’y a ni laveuse ni sécheuse. Lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclenchée [difficultés techniques] les taux d’incarcération excessifs, la population la plus élevée d’enfants pris en charge, aucune résidence pour personnes âgées, aucun établissement de soins de longue durée ou de ressources à long terme pour les personnes handicapées qui vivent dans les réserves, et le transport est un luxe. La plupart des gens n’ont même pas la capacité financière d’acheter un véhicule ou, dans certains cas, d’obtenir leur permis de conduire. Nous avons des taux élevés de traumatismes intergénérationnels qui sont attribuables aux campements et aux réserves, aux pensionnats, à la rafle des années 1960, au taux d’incarcération élevé, à la forte population d’enfants pris en charge par le système des services à l’enfance et à la famille et au racisme systémique quotidien, ce qui nous oblige à vivre dans une pauvreté extrême et ce qui cause des dépendances à l’alcool ou aux drogues ou de la violence de gang ou des suicides. Nous avons non seulement le taux le plus élevé de femmes autochtones disparues et assassinées, mais c’est aussi la même chose chez les hommes et les garçons. Nous avons les statistiques les plus élevées pour tout ce qui est mauvais, et nous ne voulons pas cela. Nous méritons mieux.
On vous a offert une occasion à saisir. Oui, les difficultés auxquelles nous faisons face semblent très difficiles et oui, nous sommes un peuple résilient. Notre peuple a survécu à tout ce qui lui a été fait et aujourd’hui, nous avons exactement les personnes pour lesquelles nos ancêtres ont prié — nos Autochtones militent et se battent juste pour vivre, juste pour être reconnus. Je porte une jupe à rubans presque tous les jours. Le fait d’avoir une seule journée pour que tous les habitants de l’île de la Tortue puissent partager la signification de la jupe à rubans pour la résilience est une demande très modeste. [La témoin s’exprime dans une langue autochtone.]
Le président : Je vous remercie, madame Rabbit et madame Swampy.
La sénatrice Duncan : Je remercie chaleureusement toutes nos intervenantes de ce matin.
De nombreuses vérités qui ont été mises en évidence au cours de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont fait l’objet de représentations et de discussions. L’une des choses ressorties de l’enquête que les Canadiens ont adoptées d’un bout à l’autre du pays, c’est le symbole de la robe rouge, qu’ils ont affiché dans les fenêtres et dans nos collectivités. J’aimerais que les témoins nous parlent de la façon dont elles voient le symbole de la robe rouge dans le projet de loi S-219. Que pensent-elles de cette reconnaissance?
Mme Rabbit : Je pense que la robe rouge est un symbole important, car même si je n’ai pas grandi avec les membres de la famille de mon père, ma tante Marlene Currie a été brutalement assassinée à Montréal [difficultés techniques] à Vancouver. Même si je n’ai pas été élevée avec eux, j’ai pris conscience, en reprenant contact avec les membres de ma famille, qu’il était très émotionnel d’apprendre qu’ils avaient été touchés par la rafle des années 1960. Les autorités sont venues chercher les membres de ma famille et on était censé les aider, mais tous les membres de la famille de mon père ont été assassinés. Par l’entremise d’un conseiller, j’ai appris que d’autres membres de ma famille, comme Samuel Currie, avaient aidé au Livre rouge. J’apprends donc l’histoire de ma famille paternelle. La jupe rouge est importante. C’est le symbole de notre lutte, et on pourrait aussi avoir une robe rouge avec un arc-en-ciel pour montrer qu’il y a plusieurs luttes différentes. Il y a des personnes opprimées, et nous nous battons pour avoir une place dans un système dans lequel nous faisons automatiquement l’objet de discrimination. Lorsque j’ai suivi mon hormonothérapie, je me suis rendu compte que le système de santé n’était pas aussi inclusif que je l’aurais cru. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Si une robe décorée d’un arc-en-ciel permet de lancer cette conversation, je pense que c’est un petit pas en avant.
Mme Omeniho : Le projet REDdress est en réalité une installation artistique créée par l’artiste Jaime Black, et la robe rouge représente les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées dans notre pays. Au cours des cérémonies et processus qui ont eu lieu dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de nombreuses femmes ont porté des jupes à rubans, et un grand nombre de ces jupes avaient des rubans rouges pour représenter le nombre de femmes et de filles autochtones qui ont disparu et dont la mort n’a jamais été élucidée, ce qui empêche les familles de faire leur deuil. Je crois que les jupes à rubans reflètent le message du projet REDdress, mais je tiens aussi à vous dire qu’un grand nombre de ces robes rouges sont encore affichées aujourd’hui en raison du nombre de femmes et de filles autochtones qui sont toujours portées disparues et assassinées.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie des commentaires que vous avez formulés aujourd’hui. J’aimerais également remercier la sénatrice McCallum d’avoir proposé ce projet de loi.
Voici donc ma question. Est-ce que ce serait un honneur pour les Autochtones si des personnes d’autres groupes culturels portaient cette jupe?
Mme Omeniho : De nombreuses personnes portent la jupe avec les sœurs autochtones et les membres de la communauté LGBTQ2S. Je crois que nous sommes tous d’avis que c’est un honneur, car nous voyons cela comme une reconnaissance de la célébration de notre culture et comme une marque de respect. Avec tout le travail que nous avons accompli et d’après ce que nous avons observé, je pense que cela ne fait que nous aider à enseigner aux gens qui nous sommes, d’où nous venons et l’importance de la démarche que nous avons entreprise.
La sénatrice Lovelace Nicholas : Je vous remercie. J’aimerais également reconnaître que je parle sur les terres non cédées des peuples autochtones.
La sénatrice Pate : Je remercie les témoins de comparaître aujourd’hui.
J’aimerais formuler un commentaire au lieu de poser une question. Madame Rabbit, j’aimerais que vous transmettiez nos remerciements à CeeJay. Nous vous remercions toutes les deux d’avoir lancé cette démarche et d’avoir renforcé le message qu’Isabella s’efforce de communiquer. S’il vous plaît, faites savoir à CeeJay que même s’il peut être intimidant de participer à ce genre de témoignage, nous lui sommes reconnaissants de son leadership et nous avons hâte de la rencontrer à un autre moment.
La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse à Mme Swampy. Comment le nom spirituel d’une personne, qui fait lui-même l’objet d’une cérémonie importante, peut-il avoir une incidence sur la jupe à rubans, c’est-à-dire sur sa conception et ses couleurs? Pourriez-vous nous parler de ces enseignements?
Mme Swampy : Je vous remercie beaucoup de votre question. Encore une fois, cela fait l’objet d’un protocole et d’une cérémonie, mais je ferai de mon mieux pour répondre.
L’un de mes noms cris — et nous en recevons quatre au cours de notre vie — est Pîsimoyâpiy Iskwêw, ce qui signifie « femme arc-en-ciel ». Quand on regarde un arc-en-ciel, on voit de nombreuses significations différentes. Dans la culture crie, puisque je viens de la nation crie de Samson, j’ai reçu non seulement le leadership et la résilience en cadeau, mais aussi le pouvoir de guérison et la capacité de le partager avec les autres. C’est la signification de mon nom. Ainsi, je peux symboliser ces choses par l’arc-en-ciel sur mes tenues cérémonielles et les partager avec les autres. Il est plus puissant de partager les dons que de les garder pour soi. Par exemple, les femmes qui ont parlé plus tôt aujourd’hui m’ont dit que leur nom cri était Ahcahko-osk-îskwêw, ce qui signifie « femme spirituelle ». Elles utiliseront donc des couleurs comme le blanc ou le bleu, et elles peuvent mettre des esprits sur leurs jupes, ce qui a une signification très puissante et représente un cadeau qu’elles peuvent partager avec les autres. Ce n’est qu’une des nombreuses façons d’expliquer comment un nom cri peut être représenté sur une jupe ou une tenue cérémonielle.
Le président : Merci. Cela met fin aux questions, et j’aimerais remercier les témoins aujourd’hui. Merci à tous et à toutes.
Nous allons maintenant procéder à l’étude article par article du projet de loi S-219. Quelqu’un s’oppose-t-il à ce que le comité procède à l’étude article par article du projet de loi S-219, Loi concernant la Journée nationale de la jupe à rubans? Puisqu’il n’y a pas d’opposition, c’est accepté.
Y a-t-il des objections à ce que le titre soit reporté? Comme je n’en vois aucune, c’est accepté.
Y a-t-il des objections à ce que le préambule soit reporté?
La sénatrice Duncan : Je suis entièrement favorable à l’initiative de ce projet de loi, que j’honore et célèbre. Je me réjouis du libellé dans le préambule en référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et au rapport final de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
J’ai du mal à représenter ma région, alors j’ai demandé conseil aux aînés pour comprendre la façon dont les cultures et les insignes sont représentés, car nous avons précisément mentionné la jupe à rubans. Le groupe de témoins précédent a dit, par exemple, que la robe rouge est constituée en personne morale. Est-ce que je peux demander à la sénatrice McCallum d’aborder — puisque les mots sont très importants — la façon dont ce libellé englobe tous les différents insignes au pays? Pourrais-je lui demander d’aborder cette question, si le moment est opportun, monsieur le président?
La sénatrice McCallum : Nous ne tentons pas de tout englober. Il s’agit d’aborder un problème devenu d’intérêt national et international. C’est semblable à ce qu’on essaie de faire lorsqu’on se tourne vers les règlements pour la définition d’un accessoire. Ce serait interminable. Ce projet de loi porte sur l’incident en Saskatchewan, et si des gens souhaitent proposer d’autres jours de reconnaissance, ils ont aussi la possibilité de le faire. Cependant, ce n’était pas le but — je ne tenterais jamais quelque chose de la sorte. Comment serait-il possible d’en parler partout au pays? Il s’agissait d’un moment qu’il fallait saisir — un moment pour agir — pour appuyer nos enfants, les jeunes, les jeunes femmes et les transgenres, et pour faire en sorte que leur voix soit entendue. Il s’agit d’un moment d’enseignement. Voilà pourquoi je l’ai qualifié ainsi. Merci.
[Français]
La sénatrice Audette : Je comprends la portée du projet de loi. Pour ma part, je pense que, pour les amis de notre famille qui sont Inuits, de même que pour certaines nations dans d’autres territoires, ce n’étaient pas des jupes à rubans.
Je comprends bien que l’on veut représenter le plus de personnes possible. Toutefois, souvenons-nous d’une fille, d’une famille, d’une nation, des symboles et des protocoles. Je vous encourage tous à être plus représentatifs avec ceux et celles que nous côtoyons et à savoir quels seraient, pour eux et pour elles, les symboles que l’on retrouve ici. On ne veut pas se retrouver avec un projet de loi qui va tout mettre ensemble et avec lequel on finira par se perdre. Je comprends vos propos, mais je suis plus à l’aise d’y aller avec ce projet-là.
Au risque de me répéter, ma préoccupation est que nous n’avons pas le privilège d’avoir parmi nous les gardiens et gardiennes du savoir et de toute sa symbolique, son histoire et ses protocoles. Qu’est-ce qu’on fait pour ceux et celles qui sont dans ce retour ou cette réappropriation-là? Je pense que le gouvernement ou les gouvernements ont aussi une responsabilité quand on parle d’autochtoniser, et je ne le ressens pas dans le projet de loi, à moins que j’aie manqué quelque chose.
[Traduction]
La sénatrice Duncan : Je ne suis pas certaine d’avoir saisi l’argument de la sénatrice Audette. Comprenez bien que je ne dis pas que je n’appuie pas le projet de loi. Je me préoccupe de bien représenter ma région. Dans ma région, les aînés me disent que la jupe à rubans ne fait pas partie d’eux. Elle ne représente pas leur culture autochtone. Je me demandais simplement s’il y avait un libellé que nous pourrions adopter qui rendrait le projet de loi plus inclusif. J’ai entendu des témoins dire qu’ils avaient l’impression que la robe rouge par exemple y était incluse. C’était là ma question.
La sénatrice Audette : Merci, sénatrice Duncan. Ce n’est pas ce que je voulais dire. J’essayais de dire qu’il y a beaucoup d’autres nations dans mon coin de pays qui ne se sentiront pas représentées non plus, parce qu’elles n’ont pas ceci ou ont perdu cela, etc. J’essayais de dire que c’est un début. Pensez aux Inuits qui ne s’y reconnaissent pas. Nous pouvons peut-être avoir une discussion avec eux — ou s’ils nous le demandent — sur ce qui serait le plus représentatif pour eux. Mais je veux que cela aille de l’avant, et je ne voulais pas dire que vous semblez vous opposer au projet de loi. Merci de m’avoir accordé du temps pour la précision.
La sénatrice Duncan : Monsieur le président, bien que la Journée de la jupe à rubans ouvre sur une idée, une discussion et des échanges et qu’elle souligne aussi une journée très importante, notamment, ne serait-elle pas plus inclusive et ouverte si nous retirions le terme « national »? Ce n’est qu’une simple suggestion. Je ne propose pas une modification. Je lance simplement une idée à envisager. Merci de votre temps.
La sénatrice McCallum : Je l’ai intitulée la Journée « nationale » de la jupe à rubans — si nous supprimions le terme, je ne crois pas que les gens se sentiraient davantage inclus, compte tenu de tous les insignes qui existent. Cette question a déjà pris une dimension internationale. Des lettres de partout au Canada sont un témoignage du soutien reçu. Nous avons déjà obtenu le soutien, alors je ne crois pas que le retrait du terme « national » du titre fera une grande différence. Je pense qu’il est important qu’il reste ainsi.
Vous pourriez annexer une observation au projet de loi portant sur d’autres insignes et le fait que c’est l’occasion d’en discuter, même pour des non-Autochtones. Les gens le font déjà. Il ne s’agit pas de les exclure. Comme je disais, c’était l’occasion de faire entendre la voix de cette jeune fille et de soutenir d’autres jeunes qui regardent ce qui se passe.
Le président : Je ne vois plus personne avec la main levée. Revenons à l’article.
Y a-t-il des objections à ce que le préambule soit reporté? D’accord.
Y a-t-il des objections à ce que l’article 1 soit adopté? D’accord.
Y a-t-il des objections à ce que l’article 2 soit adopté? D’accord.
Y a-t-il des objections à ce que le préambule soit adopté? D’accord.
Y a-t-il des objections à ce que le titre soit adopté? D’accord.
Y a-t-il des objections à ce que le projet de loi soit adopté? D’accord.
Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?
La sénatrice Duncan : Je crois que c’est la sénatrice McCallum qui a suggéré que nous envisagions d’en annexer. En vue de représenter ma région, j’aimerais signaler qu’il y a des insignes partout au Canada, que les Canadiens devraient faire — doivent faire — tous les efforts possibles pour valoriser, reconnaître et apprendre l’histoire en conformité avec le préambule du projet de loi. Ce n’est qu’une suggestion pour le comité.
La sénatrice Pate : La sénatrice Duncan serait-elle prête à accepter un libellé comme celui-ci : « Ce projet de loi n’empêche en rien à ce qu’il y ait d’autres journées ou d’autres Premières Nations ou groupes autochtones de représenter leur culture, leurs cérémonies et leurs normes particulières » — ou quelque chose de semblable? Nos formidables analystes et notre greffière pourraient peut-être améliorer le libellé.
La sénatrice Duncan : Je ne suggérais pas qu’ils présentent aussi des journées de reconnaissance, car certains ont exprimé la crainte que cela puisse diluer l’importance des journées que nous souhaitons reconnaître. La suggestion est une observation qui se veut proactive indiquant que le projet de loi reconnaît la Journée nationale de la jupe à rubans ainsi que l’importance de la jupe à rubans et encourage les Canadiens à reconnaître d’autres insignes de leur région. J’éprouve de la difficulté avec le choix de « n’empêche en rien ». J’aimerais proposer une formulation plus proactive.
La sénatrice Pate : D’accord.
La sénatrice Duncan : C’est ma seule suggestion; elle vient des femmes de la Première Nation dans ma collectivité dont la reconnaissance et les insignes sont différents et sont imprégnés de l’histoire du peuple Tlingit. Il y a les Inuits, et nous avons vu notre gouverneure générale vêtue de ses vêtements traditionnels qui sont davantage en peau de phoque, et nous voyons aussi M. Dennis Patterson, portant les siens au Sénat, donc cela varie dans tout le pays. Bien que je reconnaisse que cette initiative porte sur la Journée de la jupe à rubans, la notion d’inclusivité pourrait peut-être être reflétée dans une observation.
Le président : Le comité souhaite-t-il discuter de cette observation à huis clos?
La sénatrice Audette : Je ne souhaite pas vous retarder. J’estime que c’est percutant et important. Je suis toutefois ici pour apprendre. Alors, que faisons-nous? Qu’entendez-vous par huis clos?
Le président : Les séances à huis clos nous permettent simplement de parler plus librement. Les délibérations ne sont plus publiques.
La sénatrice Audette : J’irai si c’est nécessaire. Il nous faut être inclusifs si nous le pouvons, ou bien il faut la formulation magique, si vous l’avez, qui fera en sorte que de nombreuses nations et de nombreux gardiens du savoir partout au Canada se sentiront représentés. Dans tous les cas, je suis ouverte.
Le sénateur Arnot : J’ai une question ou une observation qui, par excès de prudence, devrait être abordée à huis clos.
Le président : Nous allons suspendre la séance et aller à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Y a-t-il des objections à ce que je fasse rapport de ce projet de loi avec observations au Sénat?
Des voix : D’accord.
Le président : Je vous remercie.
(La séance est levée.)