LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 28 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 14 h 1 (HE), avec vidéoconférence, en vue d’étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à nos téléspectateurs de partout au pays qui nous regardent peut-être sur le site sencanada.ca, au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Avant de commencer, j’aimerais reconnaître que nous nous réunissons dans l’édifice du Sénat du Canada, qui est situé sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Je m’appelle Brian Francis et je suis sénateur d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du comité.
J’aimerais présenter les membres du comité qui participent aujourd’hui : le sénateur Daniel Christmas, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Dennis Glen Patterson, du Nunavut; le sénateur David M. Arnot, de la Saskatchewan; la sénatrice Michèle Audette, du Québec, sera ici sous peu; le sénateur Patrick Brazeau, du Québec; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Nancy J. Hartling, du Nouveau-Brunswick; et la sénatrice Kim Pate, de l’Ontario.
Nous commençons aujourd’hui une étude sur la mise en œuvre d’une loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), anciennement connue sous le nom de projet de loi S-3.
J’aimerais vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons aujourd’hui Sharon McIvor; Shelagh Day, présidente, Comité des droits de l’Homme et cofondatrice de l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale; et Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone à l’Université Ryerson.
Mme McIvor, Mme Day et Mme Palmater présenteront des déclarations liminaires d’une durée maximale de cinq minutes chacune. Nous passerons ensuite à une séance de questions et de réponses d’environ quatre minutes par sénateur. Veuillez noter que j’informerai les témoins lorsqu’il leur restera 30 secondes sur le temps qui leur est alloué. Je demande aux sénateurs qui ont une question d’utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour le signaler à la greffière. Ils seront ensuite reconnus dans le clavardage. Je vous rappelle que les membres du comité auront la priorité pour poser des questions.
Je vais maintenant demander à Mme McIvor de commencer sa déclaration liminaire.
Sharon McIvor, à titre personnel : Je remercie le comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui et je vous remercie de votre travail. En raison de la modification que le comité a apportée au projet de loi S-3, sous la direction de l’ancienne sénatrice Lillian Eva Dyck, et de l’engagement du Sénat dans son ensemble, le noyau central de la discrimination sexuelle d’avant 1985 a été supprimé de la Loi sur les Indiens.
Comme vous le savez, il a fallu se battre pour que l’alinéa 6(1)a) de la Loi sur les Indiens soit modifié. Obtenir sa promulgation effective le 15 août 2019, bien après les autres dispositions du projet de loi S-3, a été un autre combat. Nous essayons maintenant de faire en sorte que cette modification soit réellement mise en œuvre afin qu’elle puisse contribuer à changer la vie des femmes des Premières Nations et de leurs descendants, ce que nous espérions tous. Nous essayons de faire en sorte que la discrimination résiduelle soit réparée, que la discrimination restante soit éliminée et que les préjudices causés soient réparés. Nous espérons que le comité se penchera à nouveau sur la question de la discrimination en vertu de la Loi sur les Indiens, afin de nous aider à faire de l’égalité pour les femmes des Premières Nations et leurs descendants un fait, et non pas seulement des paroles.
Mes collègues et moi avons cinq points à faire valoir aujourd’hui. Premièrement, pour que les femmes et leurs descendants puissent profiter des avantages de la modification du projet de loi S-3 de 2019, ils doivent être inscrits. Selon les propres estimations du gouvernement, il y a entre 270 000 et 450 000 personnes qui sont nouvellement admissibles, mais en novembre 2021, seulement environ 22 000 étaient inscrites. En bref, les inscriptions des personnes visées par les amendements portant sur l’application universelle de l’alinéa 6(1)a) n’ont pas vraiment lieu, ce qui signifie que, jusqu’à présent, l’amendement a peu de sens.
Deuxièmement, les effets profonds et durables de la discrimination sexuelle sur l’appartenance à une bande, les droits issus de traités, la participation politique, la voix, la culture, la langue et l’accès aux programmes et aux avantages n’ont pas été abordés, et il n’existe aucun plan apparent pour le faire.
Troisièmement, il n’y a aucun plan de réparation pour les préjudices profonds de la discrimination, d’excuses, de commémoration, d’indemnisation ou d’éducation publique.
Quatrièmement, contrairement à ce que prétend le rapport, la Loi sur les Indiens comporte des problèmes non résolus de discrimination fondée sur le sexe, notamment les effets persistants de l’émancipation automatique sur les épouses et les enfants des hommes qui se sont émancipés et la discrimination inhérente à la disposition relative à la paternité inconnue ou non déclarée.
Le gouvernement du Canada a l’obligation en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, de mettre en place des mécanismes de réparation efficaces pour toute forme d’assimilation forcée qui viole les droits des peuples autochtones. Le Canada s’est engagé à établir un plan pour la mise en œuvre de la DNUDPA au Canada et doit de toute urgence s’occuper de l’inscription des femmes et réparer les préjudices subis.
Donc, en mars 2022, après 50 ans de lutte par les femmes des Premières Nations pour mettre fin à la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens, où en sommes-nous? Il faut dire aux fins du compte rendu que la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens du Canada est un élément clé du génocide reconnu par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, car c’est un outil d’assimilation forcée. La Loi sur les Indiens a défini des milliers de femmes autochtones et leurs descendants comme des non‑Indiens et les a forcés à rejoindre la population non autochtone. La discrimination sexuelle a également privé les Premières Nations de milliers de femmes et de leurs descendants, réduisant ainsi le nombre d’Indiens reconnus comme ayant des droits fonciers et des droits issus de traités autochtones inhérents.
La discrimination sexuelle a eu pour effet de nuire aux femmes et aux nations. Le fait qu’il y ait quelque part entre 270 000 et 450 000 femmes et leurs descendants qui sont nouvellement admissibles au statut en raison de l’amendement d’août 2019 prouve à quel point l’outil d’assimilation et de discrimination sexuelle a été efficace, puisqu’il n’y a qu’un peu plus de 1 million d’Indiens inscrits au Canada à l’heure actuelle.
Dans ce rapport, le gouvernement énonce qu’il souhaite commencer à se retirer de l’activité d’inscription des Indiens. Cependant, nous tenons à préciser que, si le gouvernement se retire de cette activité avant d’avoir redonné aux femmes et à leurs descendants leur statut légitime et leur appartenance à leurs communautés, il cimentera la discrimination et ses effets pour toujours. Ce n’est pas la voie de la réconciliation.
Le président : Merci, madame McIvor.
Je vais maintenant demander à Mme Day de présenter sa déclaration liminaire.
Shelagh Day, présidente, Comité des droits de l’Homme et cofondatrice, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale : Merci beaucoup de m’avoir invitée à comparaître. Je m’adresse à vous depuis le territoire non cédé des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Je veux parler aujourd’hui de l’inscription : les faits, les problèmes et la façon de les régler.
Comme l’a déjà dit Mme McIvor, le gouvernement du Canada estime qu’entre 270 000 et 450 000 femmes des Premières Nations et leurs descendants sont nouvellement admissibles au statut en raison de la modification d’août 2019. Cependant, en novembre 2021, seulement environ 21 000 demandes avaient été traitées. Nous savons que ces 21 000 demandes comprennent toutes les personnes inscrites en vertu du projet de loi S-3 depuis décembre 2017, et non pas précisément celles inscrites en vertu de l’amendement portant sur l’application universelle de l’alinéa 6(1)a).
Services aux Autochtones Canada indique qu’il traite actuellement 1 600 demandes par mois dans le cadre du projet de loi S-3. À ce rythme, nous calculons qu’il faudra entre 14 et 23 ans pour que les personnes nouvellement admissibles soient inscrites. Je suis sûre que les sénateurs conviendront que c’est tout à fait inacceptable. Nous avons exhorté le gouvernement à aspirer non seulement à un rythme de traitement plus rapide, mais aussi à un rythme qui permettra d’atteindre un objectif juste — c’est-à-dire l’inscription complète de toutes les personnes admissibles en vertu du projet de loi S-3 — d’ici décembre 2025. Pour ce faire, il sera nécessaire de traiter au moins 100 000 demandes par année.
Nous notons qu’un grand nombre des femmes qui sont nouvellement admissibles au statut sont âgées, et que l’avantage et la promesse du projet de loi S-3 seront trahis si elles meurent avant d’être inscrites. De plus, que ce soit en raison de l’âge ou d’une autre cause, de nombreuses personnes nouvellement admissibles ont un handicap et doivent en toute urgence bénéficier des prestations de santé et d’autres prestations qui accompagnent le statut. Le retard dans l’inscription exacerbe le préjudice subi pendant la pandémie.
Voici ce qu’il faut faire. Services aux Autochtones Canada doit embaucher et former suffisamment de personnes pour inscrire les femmes et leurs descendants qui sont admissibles. Le processus de demande doit être entièrement revu pour qu’on puisse éliminer les retards et les obstacles. N’importe qui peut obtenir un passeport canadien en 10 à 20 jours ouvrables, mais le traitement des demandes du statut d’Indien prend de six mois à deux ans ou plus. C’est inexcusable. Le processus de demande est notoirement difficile. Les demandeurs ont besoin d’aide pour la navigation, ainsi que d’un soutien juridique et parajuridique pour se préparer correctement et faire cheminer leur demande tout au long du processus.
Il faut mettre en place un plan de communication efficace pour sensibiliser le public au projet de loi S-3 et encourager activement les femmes et leurs descendants à demander le statut auquel ils ont droit. Cette campagne doit être audacieuse, inventive et nouvelle. Les messages doivent être simples, et des histoires doivent être racontées pour illustrer qui est désormais admissible.
Enfin, le gouvernement doit mettre en place les recommandations présentées par Claudette Dumont-Smith dans son rapport de 2019 à la ministre Bennett concernant le financement nécessaire pour soutenir la reconnexion des femmes et de leurs descendants avec leurs communautés.
Nous avons fourni à la ministre Hajdu des objectifs et des calendriers pour l’inscription des personnes nouvellement admissibles et envoyé une demande à la ministre Freeland pour lui demander d’inclure des fonds adéquats dans le budget de 2022 afin que les femmes nouvellement admissibles et leurs descendants puissent être inscrits d’ici décembre 2025.
Grâce au travail du comité et au dévouement incroyable de nombreuses femmes des Premières Nations, y compris Sharon McIvor, la sénatrice Lovelace Nicholas et la sénatrice Lillian Eva Dyck, qui sont présentes à la réunion d’aujourd’hui, le noyau de la discrimination sexuelle a été éliminé du visage de la loi.
Mais il n’y a pas de mise en œuvre, et donc, de facto, la discrimination se poursuit. Il s’agit d’une violation massive des droits à l’égalité des femmes des Premières Nations, qui dure depuis près de 150 ans, qui est à l’origine de dommages durables et de taux élevés de violence et de décès, qui a été censurée à maintes reprises par les tribunaux et les organismes de défense des droits de la personne, et nous n’avons toujours pas de solution efficace.
Le gouvernement du Canada n’a toujours pas reconnu l’étendue, la portée et les dommages causés par cette discrimination. Merci.
Le président : Merci, madame Day.
Je vais maintenant demander à Mme Palmater de commencer sa déclaration liminaire.
Pamela Palmater, présidente de la gouvernance autochtone, Université Ryerson, à titre personnel : Merci.
[La témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je viens de la nation souveraine des Mi’kmaq, sur le territoire non cédé des Mi’kma’ki, et de la communauté d’origine Ugpi’Ganjig, qui est la Première Nation d’Eel River Bar. Aujourd’hui, je m’adresse à vous en provenance des territoires souverains de la Première Nation des Mississaugas de Scugog Island.
Pour ce qui est de mon rapport avec cette question, je suis avocate en règle depuis 23 ans, dont 10 ans à Justice Canada et aux Affaires indiennes. J’ai fait mon doctorat en droit sur la discrimination fondée sur le sexe et la race dans la Loi sur les Indiens.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’être ici et je souscris aux arguments de mes collègues qui ont parlé avant moi.
Vous connaissez déjà l’histoire politique de plus de 100 ans d’exclusion des femmes et des enfants des Premières Nations de leurs communautés, ce qui constitue une tentative délibérée de génocide pour détruire les collectivités autochtones. Vous connaissez la matriarche des Premières Nations qui a passé des décennies à contester cette situation : la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas, et Sharon McIvor, pour n’en citer que deux. Vous êtes tous au courant de toutes les affaires judiciaires qui ont conclu à la discrimination et de l’ensemble des enquêtes, des commissions et des rapports qui ont conclu à la discrimination et ont conduit aux amendements du projet de loi S-3.
Pourtant, comme l’ont dit mes collègues, la réparation prévue par le projet de loi S-3 est refusée à des milliers de femmes et d’enfants des Premières Nations, car le Canada échoue constamment à les inscrire. Il n’y a qu’un petit nombre — de 250 000 à 400 000 — de personnes nouvellement inscrites, mais il faut parfois plus de deux ans pour s’inscrire. En même temps, plus de quatre millions de passeports sont traités chaque année, et la norme de service peut être aussi courte que 10 jours. Le Canada traite également le cas de plus de 400 000 immigrants chaque année.
Il y a quelque chose d’horrible dans cette discrimination permanente à l’égard des femmes autochtones.
Bien sûr, nous savons que la poursuite de la discrimination constitue une violation des droits et des traités autochtones, des droits garantis par la Charte, de l’article 35 et des lois internationales sur les droits de la personne. Cela nous amène au projet de loi C-15, qui confirme que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est applicable en droit canadien. Elle contient des normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones. Elle exige l’égalité entre les hommes et les femmes, et une attention particulière aux besoins des femmes. Elle interdit également le génocide et l’assimilation forcée et protège notre droit d’appartenance à nos communautés.
Maintenant, plaçons la DNUDPA sur les dispositions de la Loi sur les Indiens du Canada relatives à l’inscription, y compris le projet de loi S-3, et voyons si elles résisteraient à un test des droits fondamentaux de la personne. Je pense que la réponse est clairement « non ».
Malgré les modifications apportées au projet de loi S-3, les retards importants du gouvernement fédéral ont des répercussions considérables sur les femmes et les enfants des Premières Nations. La discrimination se poursuit. Elle envoie un message horrible à la société et aux Premières Nations, à savoir que les femmes des Premières Nations sont moins importantes, moins dignes, moins autochtones et moins méritantes d’une action urgente. Elle perpétue les divisions au sein de nos communautés, prolonge les déconnexions, crée des obstacles à l’accès à la langue et à la culture et prive les femmes et les enfants des Premières Nations d’une voix politique dans la gouvernance de leurs Premières Nations. Ils sont exclus des négociations ou des référendums sur les droits. On leur refuse carrément leurs droits issus de traités. Nombre d’entre eux n’ont pas pu avoir accès à des mesures de soutien liées à la pandémie propres aux Premières Nations.
Il s’agit d’une crise.
Fait encore plus important, cela a une incidence sur le sentiment d’estime de soi et de l’identité, ce qui se répercute directement sur la santé physique, mentale et émotionnelle. C’est de l’assimilation forcée. C’est le cœur du génocide canadien.
Certaines des recommandations visent à se conformer à la décision des Nations unies en matière de droits de la personne dans l’affaire McIvor, qui stipule qu’il faut mettre fin à la discrimination actuelle, prévenir la discrimination future et réparer la discrimination historique. Cela signifie que le Canada doit agir rapidement pour inscrire toutes les nouvelles personnes admissibles, et je pense que nous devrions avoir une norme de service qui ne soit pas inférieure à celle des passeports.
La norme de service devrait être de 20 jours. Il ne devrait pas y avoir de date d’expiration pour le statut d’Indien, comme c’est le cas pour nos cartes. Nous devons éliminer toute discrimination sexuelle qui subsiste dans l’inscription des Indiens, aborder la question de l’appartenance à une bande et abroger les clauses de non-responsabilité des projets de loi S-3 et C-3 afin que nous puissions offrir des réparations, des excuses, une commémoration, un soutien pour les organisations de femmes autochtones et une indemnisation pour les nombreuses générations de discrimination. Tout ce qui n’est pas le cas perpétue et aggrave la discrimination. C’est illégal, injuste et inadmissible.
Le président : Merci, madame Palmater.
Nous allons maintenant commencer la période de questions et de réponses.
Le sénateur Christmas : Merci beaucoup d’avoir donné de la visibilité au projet de loi S-3.
J’aimerais poser ma première question à Mme Palmater. Je veux revenir sur le dernier point. Je sais que vous avez manqué de temps dans vos remarques, mais j’ai trouvé votre dernier point très instructif. Vous avez mentionné que, dans le projet de loi S-3, nous devrions abroger la clause de non-responsabilité. Je n’ai pas beaucoup entendu cela, mais il y a des excuses qui méritent d’être présentées aux femmes qui ont perdu leurs droits, et il faudrait envisager une commémoration pour celles qui ont perdu leurs droits ainsi qu’une indemnisation.
Madame Palmater, pourriez-vous élaborer sur ces quatre points et expliquer pourquoi ils devraient être pris en considération par le comité?
Mme Palmater : Merci de poser la question. Elle est incroyablement importante pour une multitude de raisons. Le Canada doit se lever au Parlement, comme il l’a fait pour les pensionnats autochtones, et dire : « Voici ce que nous avons fait aux femmes et aux enfants des Premières Nations, notre intention était non seulement de les assimiler, mais aussi de détruire les collectivités des Premières Nations. Ces femmes n’avaient pas le choix. Ce n’était pas leur faute. On ne peut leur reprocher tout cela. Et le Canada doit une somme incroyable pour tous les dommages personnels qui ont été causés aux femmes, aux enfants et aux collectivités et pour le problème actuel. »
C’est le genre d’excuse qu’il faut présenter. La commémoration à l’endroit de toutes ces femmes — la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas et Sharon McIvor sont littéralement comme mes grands-mères. Si je suis inscrite, ce n’est que grâce aux affaires de Sandra Lovelace Nicholas et de Sharon McIvor. Ma grand-mère, mon père, moi-même et mes enfants, nous sommes ici à parler de cela et de leurs efforts incessants, mais elles y ont consacré leur vie. Peut-être auraient-elles voulu passer leur vie à faire d’autres choses. Nous devons commencer à nous souvenir, à reconnaître et à honorer les gens de leur vivant, et non après leur décès.
L’indemnisation va de soi. Il existe des indemnisations pour les pensionnats, la colonisation, les adoptions dans le cadre de la rafle des années 60, la crise des foyers d’accueil, les réinstallations forcées, et ainsi de suite. Il y a des indemnisations en cours et d’autres en voie de l’être. Pourquoi diable enverrions-nous le message au Canada que les femmes et les enfants des Premières Nations ne méritent pas une indemnisation pour les violations claires et délibérées de leurs droits fondamentaux de la personne? Je pense que c’est pourquoi il est si important que nous parlions de véritables réparations.
Le sénateur Christmas : Je vais poser la question à n’importe laquelle des intervenantes, si vous souhaitez y répondre.
Je n’ai pas entendu beaucoup de discussions depuis le projet de loi S-3 au sujet de l’exclusion après la deuxième génération qui est inhérente à la Loi sur les Indiens. Si je me souviens bien, lorsque nous avons débattu du projet de loi S-3, il y a eu beaucoup de discussions au sujet de l’engagement de la Couronne envers les membres des Premières Nations sur l’exclusion de la deuxième génération. Pourriez-vous expliquer au comité et à notre auditoire ce qu’il en est et pourquoi il est si important que la Couronne aborde cette question maintenant?
Mme Palmater : Merci. Nous pensons que l’exclusion du paragraphe 6(2) a essentiellement été adoptée en 1985 en guise de représailles pour avoir dû réintégrer toutes les femmes des Premières Nations qu’ils avaient chassées des communautés, pour trouver un moyen de poursuivre l’extinction législative et l’assimilation forcée des Premières Nations, car c’est exactement ce qui en découle. Le paragraphe 6(2), l’exclusion après la deuxième génération, porte sur l’ascendance mixte, la parenté avec une personne non inscrite. Si l’on combine cela avec les taux élevés d’ascendance mixte dans les Premières Nations, c’est parce que nos collectivités des Premières Nations ont été divisées, séparées et regroupées dans des zones plus petites. Nous sommes donc mariés avec nos partenaires des traités, nous travaillons avec eux, mais nous sommes punis pour cela. Cela signifie que toutes les Premières Nations du pays ont une date d’extinction prescrite par la loi, que l’on peut calculer en fonction de la naissance, du décès et d’ascendance mixte des parents et du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens.
Dans tous les procès, le Canada continue de défendre cette formule encore et encore, même aux Nations unies. Je ne sais pas comment vous pouvez prétendre défendre les droits de la personne et le droit législatif de supprimer les Indiens par voie législative. C’est exactement ce que fait le paragraphe 6(2).
Au cours de nombreuses années, voire de décennies de communications avec les Premières Nations et les femmes autochtones, le Canada a entendu dire que nous voulions nous débarrasser du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. À l’avenir, pourquoi devrions-nous exclure nos enfants? Cela signifierait que mes petits-enfants ne seraient pas membres de la communauté micmaque, même s’ils grandissent dans la culture et la langue de la communauté. C’est absolument inadmissible, c’est de l’assimilation forcée, et cela fait partie du génocide continu.
Le sénateur Christmas : Merci, madame Palmater.
Le président : J’ai une déclaration et une question au nom du sénateur Patterson. Ce sont ses mots :
Merci pour le témoignage très clair que vous nous avez toutes présenté aujourd’hui. Il est alarmant et opportun. Madame Day, vous avez formulé des recommandations très claires que le comité devrait, selon moi, adopter immédiatement et transmettre au ministre responsable.
J’ai une question pour vous, madame Day. Vous avez dit que le ministère des Services aux Autochtones du Canada devrait former et embaucher suffisamment de personnes pour accélérer le traitement des demandes afin de les faire passer de 600 à 100 000 par année. Vous ai-je bien comprise?
Mme Day : Oui, vous avez bien compris. Les objectifs et les calendriers que nous avons envoyés à la ministre Hajdu et à la ministre Freeland recommandent d’inscrire jusqu’à 450 000 femmes et leurs descendants d’ici décembre 2025. Cela signifie 100 000 par an, une augmentation des ressources et une grande campagne de sensibilisation du public.
Services aux Autochtones Canada doit aller de l’avant et dire, comme l’a dit Mme Palmater, voici ce qui s’est passé, voici ce que nous avons fait et maintenant, nous allons le réparer. Le message doit être très bien communiqué à tout le monde au pays, à savoir que le processus de réparation signifie que les gens peuvent réfléchir au fait de savoir s’ils font partie ou non des personnes admissibles.
Il nous faut une grande campagne d’éducation publique, des ressources et une aide à la navigation. Il y a un gros travail à faire ici, mais nous ne pouvons penser être sur la voie de la réconciliation à moins que le Canada soit prêt à faire cela. C’est la façon de réparer les terribles dommages qui ont été causés aux femmes des Premières Nations et à leurs enfants ainsi qu’aux Premières Nations en les privant de leurs membres.
Le président : Je vous remercie. J’ai une question supplémentaire au nom du sénateur Patterson.
Pourriez-vous faire part au comité, par l’entremise de la greffière, des lettres que vous avez adressées à la ministre Freeland et à la ministre Hajdu pour leur demander de prendre des mesures concernant cet engagement négligé?
Mme Day : Oui, nous l’avons fait. Nous avons envoyé à la greffière du comité des copies de ces lettres, et nous sommes très heureux de fournir tous les renseignements dont nous disposons aux membres du comité. Un groupe de femmes dirigeantes des Premières Nations, des organisations de femmes des Premières Nations et des alliés ont communiqué avec Services aux Autochtones Canada de façon constante au cours des dernières années au sujet de la mise en œuvre du projet de loi S-3. Nous sommes heureux de fournir au comité toute la correspondance et les notes provenant de ces échanges.
Le président : Merci, madame Day.
Le sénateur Brazeau : Merci à tous d’être avec nous cet après-midi. Madame McIvor, madame Day et madame Palmater, j’aimerais toutes vous remercier de votre travail inlassable et d’avoir défendu cette question, car elle demeure très importante pour les Premières Nations dans l’avenir.
Nous mentionnons souvent que c’est toujours le gouvernement du Canada et le ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord qui décident qui a et qui n’a pas le statut de membre des Premières Nations au Canada. Cela dit, nous savons tous combien le processus d’inscription est long. Soit dit en passant, je travaille depuis six ans avec une personne pour essayer d’obtenir son statut, et c’est ahurissant de voir ce que le ministère utilise exactement comme critères pour déterminer qui a le statut, mais je m’égare.
Ma question s’adresse à n’importe laquelle d’entre vous. À votre avis, que faudrait-il pour que, au Canada, ceux qui décident qui sont les citoyens des Premières Nations soient en fait des membres des Premières Nations ou les nations elles-mêmes, plutôt qu’un ministère qui est très secret sur ce qu’il fait exactement en ce qui concerne le processus d’inscription? Merci.
Mme McIvor : Je vous remercie de poser la question, monsieur le sénateur Brazeau. La position que nombre d’entre nous, les femmes ayant été victimes de discrimination, avons adoptée au fil des ans, c’est le fait que nous ne participions pas à nos collectivités en raison de la législation. Nous avons besoin que le gouvernement du Canada rectifie cette situation afin que toutes celles d’entre nous qui ont été victimes de discrimination, qui ont perdu le contact avec leurs collectivités et qui ont perdu la possibilité d’y participer soient réintégrées.
Ce qu’ils ont dit au sujet de l’appartenance, par exemple... Comme vous le savez, en 1985, ils ont donné aux différentes bandes indiennes le droit d’établir leurs propres codes d’appartenance, et nombreuses sont celles qui ne peuvent pas réintégrer leur bande d’origine. Elles ont été automatiquement transférées à d’autres bandes, et elles ne peuvent retourner à leur bande d’origine, et leurs descendants ne le peuvent pas.
Je pense que ce à quoi vous faites allusion, c’est au fait que les Premières Nations devraient prendre les décisions au sujet de qui sont leurs membres. Certains d’entre nous appuient cette idée, mais pas avant que la situation soit corrigée. Parce qu’aujourd’hui, si vous voulez faire une demande pour réintégrer votre bande d’origine, c’est à la bande de le faire. Le Canada vient de se laver les mains de toutes ces femmes des Premières Nations qui sont automatiquement transférées lorsqu’elles épousent un Indien d’une autre bande, et il les a laissées là. Beaucoup de femmes ont communiqué avec moi. Elles veulent retourner dans leur bande d’origine, mais elles ne le peuvent pas. Leur bande ne les laisse pas entrer.
Ce que nous disons, c’est que le Canada doit nettoyer le désordre. Il les a transférées. Il aurait dû leur permettre de revenir ou fournir un mécanisme leur donnant le droit de revenir. Ce n’était pas la décision de quelqu’un d’autre.
Donc oui, je crois que l’autodétermination, tel qu’elle est couverte par les diverses législations, y compris la DNUDPA, devrait être le droit de la communauté, mais ils doivent nous réintégrer. Nous avons le droit d’appartenir à nos communautés, et les gens de la communauté aujourd’hui ne devraient pas décider si nous pouvons exercer ou non ce droit.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame Day, madame McIvor et madame Palmater. Je suis heureuse que vous n’ayez pas mâché vos mots ici. C’est clair, d’après ce que nous entendons de vous et, bien sûr, d’après ce qui a été porté à notre attention. C’est pourquoi nous nous réunissons maintenant à ce sujet. Nous devons, comme vous l’avez dit, traduire cette décision très importante dans les faits et pas seulement en parole, et nous devons trouver un moyen d’améliorer ce processus d’inscription, parce que c’est une véritable honte. Comme vous l’avez dit, madame Palmater, cela ne fait que perpétuer la discrimination et les divisions. Il n’y a aucune raison pour que nous n’insistions pas sur une norme de service respectable et raisonnable — et de toute évidence, nous en sommes loin à l’heure actuelle — et l’alignement sur la norme de traitement des demandes de passeport, à première vue, me semble raisonnable.
Je suis tout à fait favorable à ce que notre comité aborde cette question avec le ministre et fasse avancer les choses. Mais en plus de cela, j’aimerais comprendre certains des points les plus délicats. Madame McIvor, vous avez effleuré certains d’entre eux.
J’ai deux questions. La première s’adresse à Mme McIvor. Vous avez parlé de réparations pour les préjudices qui ont été causés, et il s’agit d’un grand éventail de préjudices. J’aimerais en savoir plus à ce sujet et savoir quelles réparations sont envisagées. Ensuite, madame Day, vous avez parlé de la nécessité de mettre en œuvre les recommandations concernant le financement afin de reconnecter les femmes et leurs descendants avec les collectivités, et là encore, c’est une chose dont Mme McIvor a aussi parlé. Comme cela se présente-t-il? Cela doit être absolument critique, donc j’aimerais entendre parler de ces deux choses, les réparations et les reconnexions, s’il vous plaît.
Mme Day : Permettez-moi juste de parler de la reconnexion. Vous devez savoir, madame la sénatrice Coyle, que, dans le rapport que Claudette Dumont-Smith a présenté au ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord en 2019, elle a formulé une série de recommandations, y compris celle de traiter du paragraphe 6(2), qui est un très grand problème. Mais elle a dit très clairement que, pour que les collectivités aient le sentiment de pouvoir renouer avec leurs nouveaux membres, elles doivent disposer du financement qui leur est offert, et les formules de financement doivent être changées, améliorées et augmentées. Elle a formulé des recommandations très précises sur ce que sont ces affectations de fonds. Ces recommandations doivent donc être mises en œuvre. Cela en fait partie.
Comme Mme McIvor et Mme Palmater l’ont si bien dit, le problème auquel nous sommes confrontés n’est pas seulement que les femmes ne sont pas inscrites. C’est que l’inscription s’accompagne de tant d’autres choses : la connexion à la collectivité, l’appartenance à une bande, les droits issus de traités, la reconnaissance du fait qu’elles sont titulaires de droits autochtones, la reconnaissance qu’elles ont leur mot à dire sur ce qui devrait arriver à leur collectivité ou à l’autonomie gouvernementale. Si elles ne reviennent pas et ne sont pas reconnectées, elles n’auront pas leur mot à dire sur l’autonomie gouvernementale et sur ce à quoi elle devrait ressembler pour leurs collectivités.
La question de la reconnexion est très importante dans ce tableau. C’est la raison pour laquelle nous parlons d’inscription, de reconnexion, de réparations, d’éliminer le reste de la discrimination de la Loi sur les Indiens et de reconnaître que nous sommes en présence d’une assimilation forcée et que nous devons renverser la situation. C’est ce que nous cherchons à faire.
Je voulais ajouter que les femmes qui ont été mariées à un non-Indien et qui ont été forcées de partir portent, dans la plupart des cas, tous les éléments de la discrimination. Elles vivent et ont vécu dans la pauvreté. Nous avons eu quelques inscriptions récemment où des femmes âgées ne recevaient pas de soins médicaux, tout ce qui est couvert une fois que vous avez un numéro de statut.
Elles ont pu améliorer leur qualité de vie, mais nombre des femmes qui ont été mariées à un non-Indien et qui ont été ensuite mises de côté vivent dans la pauvreté extrême, tout comme leurs enfants et petits-enfants.
Mon fils, par exemple, n’a été inscrit que très tard. Il n’a pas eu l’occasion de faire des études postsecondaires. Il avait la capacité de le faire. Il n’a pas eu l’occasion de le faire, et aujourd’hui, il travaille et gagne sa vie, alors il y a toutes ces choses qui ont été perdues.
Nombre d’entre elles vivent dans la pauvreté. Je suis l’une des plus chanceuses, j’ai pu m’en sortir un peu mieux que les autres, mais à cause de la discrimination, elles vivent toujours dans la pauvreté, et à cause d’un tas d’autres choses, la discrimination et tout cela, elles n’ont pas eu la possibilité d’avoir une vie autre que celle de vivre au jour le jour.
Il y a beaucoup de problèmes de santé. Elles ont beaucoup de maladies qui ne sont pas prises en charge, et beaucoup de problèmes dentaires, par exemple. Beaucoup d’entre elles ne reçoivent pas de soins dentaires. Beaucoup d’entre elles n’ont pas de dents. Il y a tout un tas de choses qu’elles ont perdues à cause de la discrimination, et elles devraient pouvoir obtenir une certaine réparation pour cela.
Le président : Merci beaucoup, madame McIvor.
La sénatrice Hartling : Merci aux témoins pour votre merveilleux exposé. C’était si bien fait, avec de si bonnes idées.
À force d’écouter tout cela, je commence à être très perturbée. J’ai l’impression que ma tension artérielle vient d’augmenter.
Je me souviens de l’adoption du projet de loi S-3 au Sénat, et nous étions tous très enthousiastes à ce sujet, et maintenant, pour en revenir à notre discussion, j’ai l’impression qu’il y a de la discrimination, de l’oppression fondée sur le sexe, c’est certain. Je ne peux pas croire que les choses avancent aussi lentement, parce que si quelque chose doit avancer rapidement, comme vous le savez au gouvernement, cela peut être adopté. Il s’agit donc bien de discrimination.
Pour les personnes qui attendent, la pandémie a été difficile, et elles doivent trouver cela encore plus difficile, et je me demande simplement, quel est le véritable blocage ici? À votre avis, quel est le véritable blocage?
Si vous pouviez envisager que cela se produise plus rapidement et que nous examinions certaines des parties que vous avez suggérées, les réparations et la réconciliation, à quoi cela ressemble-t-il? À quoi cela ressemblerait-il selon vous pour que nous puissions certainement et réellement soutenir ce projet, car il doit aller de l’avant?
Si quelqu’un veut bien répondre, je vous en serais vraiment reconnaissante. Merci beaucoup de votre travail continu.
Mme McIvor : Je vais répondre très rapidement, mais j’aimerais que Mme Palmater participe à cette conversation.
C’est la volonté. Nous avons exercé des pressions sur les représentants du gouvernement, en particulier ceux des Affaires indiennes, pour qu’ils diffusent l’information. Il m’arrive régulièrement de parler à quelqu’un et qui me dit : « J’ai des ancêtres des Premières Nations », et je lui réponds : « D’accord, comme quoi? » Ils me répondent, et je dis : « D’accord, selon la dernière législation, vous êtes admissible à l’inscription. » « Quoi? Je ne le savais pas. Comment puis-je le découvrir? Par où je commence? » Et il n’y a absolument aucune information qui leur dit que, en raison de l’amendement d’août 2019, si vous avez un ancêtre qui est une femme, qui s’est mariée à un non‑Indien à n’importe quel moment, vous êtes admissible. Il n’y a pas d’information. Nous avons fait pression sur eux.
Mme Palmater : Merci, madame McIvor. C’est une question vraiment importante. Je pense que c’est la question que les gens évitent en fait, parce que lorsque vous demandez le pourquoi, vous devez commencer à examiner le sexisme, le racisme et les problèmes qui caractérisent depuis longtemps la bureaucratie des Affaires indiennes, ou quel que soit le nom qu’on leur donne maintenant.
Nous connaissons les problèmes auxquels ils sont confrontés parmi leurs propres employés, il y a toujours ce blocage pour changer tout cela.
Avant l’adoption du projet de loi S-3 et depuis son adoption, nous avons tenu de multiples réunions avec les ministres Miller, Bennett et Monsef, et avons envoyé de nombreuses lettres; nous avons fait tout ce qu’ils ont demandé. Nous avons fait un suivi. Voici l’information, ce à quoi on répond toujours : « Merci de votre travail de longue date de défense des intérêts, merci de vos efforts, vous êtes très louables, vous êtes des femmes merveilleuses », et puis aucune mesure n’est prise.
Je ne veux pas donner l’impression que c’est un problème propre au gouvernement libéral. Il concerne évidemment chaque gouvernement fédéral qui a existé, mais nous sommes à une étape où le présent gouvernement fait des promesses de nation à nation. Il a mis en œuvre la DNUDPA. Il prétend promouvoir les droits des femmes, sauf les femmes autochtones. Vous pouvez regarder toutes les questions sur lesquelles il a agi, les questions importantes liées aux affaires autochtones, mais regardez ensuite l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues. Il y a un génocide dans le pays, et nous n’avons pas de réaction au génocide. Cela vous montre à quel point les femmes et les filles autochtones sont sous-estimées.
De plus, d’après mon expérience — et c’est anecdotique —, mais je travaille avec les Premières Nations et des organisations des Premières Nations dans tout le pays, et elles viennent constamment me voir pour obtenir des renseignements exacts. Les bureaucrates du ministère disent qu’il ne faut pas ramener ces femmes. Je veux dire, des millions de personnes vont s’ajouter. Vous serez submergés. Vous ne serez pas en mesure de gouverner. Vous n’aurez pas assez de logements.
Je dois aller là-bas et dire que c’est absolument faux. Il y a littéralement 22 000 personnes qui se sont inscrites. C’est une goutte d’eau dans l’océan, mais cela dit, le Canada s’empresse de signer des ententes de contribution de financement global sur 10 ans sans inclure les femmes.
Il s’empresse de signer des ententes sur l’éducation sans inclure les femmes. Ce qu’il fait sans que les Premières Nations le sachent, c’est porter préjudice aux Premières Nations pour ce qui est du nombre d’habitants et d’autres infrastructures pour lesquelles elles n’obtiendront pas d’argent et elles vont se retrouver coincées, sans pouvoir modifier ces fonds par la suite.
Le Canada le fait sciemment et délibérément, et il faut s’en occuper.
Le président : Merci, madame Palmater.
La sénatrice Pate : Merci à chacune d’entre vous pour le travail incroyable que vous avez fait. Je ne veux pas avoir l’air de ces autres personnes à qui vous avez parlé au sein du gouvernement qui disent ces choses. Cela fait des décennies que nous essayons d’arriver à ce point, juste pour celles d’entre vous qui sont avec nous aujourd’hui.
J’ai deux questions. J’aimerais revenir sur ce que vous venez de dire, madame Palmater, à propos des répercussions de cette situation. Cela me frappe, comme vous en parliez et Mme McIvor parlait des répercussions de ces politiques... un domaine que je connais bien, bien sûr, c’est celui des prisons et des services correctionnels, et l’exemple de l’adoption, en 1992, d’une loi qui était censée offrir aux Autochtones des voies de sortie du système. Aucune communauté n’en a été informée. Le fait que personne n’en ait fait la demande a ensuite été utilisé comme un exemple de la raison pour laquelle nous n’avions pas besoin de ce genre de dispositions, ce qui a permis aux Services correctionnels d’entraver de manière importante l’élaboration d’accords tels que ceux prévus aux articles 81 et 84.
Je suis frappée par le fait que, comme vous l’avez dit, le Canada s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Pourriez-vous souligner, pour que ce soit encore plus clair, en quoi cela va directement à l’encontre de ces engagements pris par le gouvernement?
Ensuite, si vous le permettez, monsieur le président, j’aimerais passer à Mme McIvor; vous avez une affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies depuis environ 12 ans maintenant. Quel est le lien entre cette affaire et ces dispositions? Et quelles sont les répercussions de l’inaction continue du Canada en ce qui concerne le projet de loi S-3 et ce qui est susceptible de ressortir du Comité des droits de l’homme des Nations unies, si vous pouvez spéculer?
Mme Palmater : Je vous remercie de poser la question, sénatrice Pate, et évidemment, merci du travail que vous avez fait au sein du comité pour aborder l’injustice dans les prisons et cette question de l’inscription des Indiens. Ces deux choses vont de pair, car les femmes incarcérées ne reçoivent pas le soutien dont elles ont besoin pour pouvoir s’inscrire en vertu de la Loi sur les Indiens ou faire inscrire leurs enfants, de qui elles sont maintenant séparées, en vertu de cette loi.
Lorsque nous parlons de discrimination, nous ne parlons pas de « la carte ». Nous parlons de toutes les conséquences du fait de ne pas être inscrit et des multiples niveaux de discrimination que vous subissez, comme vivre dans la pauvreté parce que vous n’avez pas accès à ces programmes et ces services, comme être en mauvaise santé parce que ces programmes et ces services ne sont pas offerts. Tout cela et pire.
Voici ce que fait le Canada en permettant que cela se produise. Il dit : « Nous avons la loi, mais vous ne bénéficiez pas de sa protection. » Cela n’est pas différent des femmes autochtones assassinées et disparues. Vous vous souvenez de l’époque où des femmes voulaient rendre le meurtre de femmes autochtones encore plus grave? Du genre : « Ce n’est pas un simple meurtre, c’est un double meurtre, et vous devriez être doublement puni pour cela. » C’est parce que les gens essayaient de dire : « Quelle loi doit-on faire adopter pour que vous nous permettiez d’en profiter? » Vous voyez? Ils pourraient adopter 100 lois de plus, apporter 100 amendements de plus, mais s’ils n’inscrivent pas les gens, alors ces personnes souffrent de la discrimination. C’est un traumatisme et un traumatisme intergénérationnel. Et cela s’ajoute à toute la violence, à toutes les autres formes de discrimination en matière de soins de santé, d’éducation, de logement et d’itinérance.
Qui tend la main aux femmes autochtones qui vivent dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver, dans la rue, pour essayer de les inscrire et de leur fournir de l’aide? Ce n’est assurément pas le gouvernement fédéral. Il enfreint les lois autochtones, parce que celles-ci respectent les femmes. Il enfreint les traités, parce que nos traités sont censés revenir à nos héritiers, et ce, pour toujours, sauf si vous êtes une femme. Il enfreint la Charte, les droits garantis par l’article 35, et les droits autochtones issus de traités, qui sont garantis de manière égale aux hommes et aux femmes. La DNUDPA garantit chaque protection internationale des droits de la personne de manière égale aux hommes et aux femmes.
Il n’y a rien qui n’est pas refusé à ces femmes et ces enfants des Premières Nations en ce moment. Nous n’avons pas de répit. Ce n’est pas parce que je suis inscrite que nous pouvons nous asseoir et dire : « Oh, regardez, le problème est réglé. » Je suis ici aujourd’hui parce que mes petits-enfants ne seront pas inscrits et qu’ils n’auront pas le droit de faire partie de ma communauté, et le Canada le fait délibérément, tout comme il a sous-financé les foyers d’accueil en toute connaissance de cause, sachant que c’était la cause fondamentale des arrestations disproportionnées.
Nous devons mettre cela sur la table et dire : « Arrêtez. Arrêtez cette destruction intentionnelle de nos communautés. »
Le président : Merci, madame Palmater. Sénateur Arnot?
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur le président. Je veux dire que je suis très impressionné par les témoins présentes aujourd’hui. Elles ont été claires, concises et très convaincantes, et leurs recommandations sont vraiment bien réfléchies.
Il semble très clair que le gouvernement du Canada contrecarre, en fait, les droits et l’intention ainsi que l’esprit de la loi en n’en finançant pas correctement la mise en œuvre. Il semble qu’il y a un manque de volonté politique de le faire correctement.
Je suis vraiment surpris que la question de l’exclusion après la deuxième génération n’ait pas été abordée. C’est certainement la question qui a été clairement critiquée dans le projet de loi C-31, et je m’en étonne.
J’ai toutefois une question à poser au groupe de témoins, mais en particulier à Shelagh Day. J’approuve les recommandations, nous devons agir, son comité doit agir. Mais je dirais que, en ce qui concerne la communication et l’éducation — qui sont essentielles à l’application et au processus, à l’établissement des bases, pour que les gens sachent, en fait, qu’ils ont un droit qui est bafoué... qui devrait s’occuper de cette communication? Qui devrait concevoir l’éducation et la communication? Qui devrait mettre cela en œuvre? Vous ne pouvez pas compter sur les Relations Couronne-Autochtones ou Services aux Autochtones Canada.
Je dirais que les organisations autochtones, et certainement les femmes, devraient jouer un rôle étroit dans la conception et la fourniture de cette éducation et de cette communication à la communauté pour soutenir les demandes de réintégration requises.
J’aimerais connaître l’avis du groupe de témoins sur cette question.
Mme Day : Je vais commencer, peut-être, sénateur Arnot. Je suis tout à fait d’accord avec vous, et c’est ce que nous avons dit depuis le début. Elle devrait être conçue de concert avec, en particulier, les organisations de femmes autochtones dans le cadre d’une campagne publique. Nous avons aussi dit à la ministre Hajdu que nous croyons en nos objectifs et en nos calendriers, dont nous ferons certainement part au comité. Nous croyons qu’un avis devrait être envoyé dans le cadre de toutes les communications universelles du gouvernement du Canada — avis d’impôt sur le revenu, avis de la Sécurité de la vieillesse, avis du Régime de pensions du Canada, les documents qui sont envoyés à la plupart des ménages —, parce qu’un grand nombre des personnes qui, selon nous, sont nouvellement admissibles ne sont pas nécessairement liées aux bandes ou aux organisations autochtones. Il est vraiment important de les rejoindre là où elles se trouvent.
En ce qui me concerne, l’une des choses que j’aimerais vraiment voir, c’est le premier ministre du Canada s’adresser au public et dire : « Regardez, voici l’histoire. Voici ce que nous avons fait. Nous essayons maintenant de renverser la situation, et je veux que vous sachiez qu’il y a des centaines de milliers de femmes et leurs descendants qui sont maintenant admissibles au statut, et nous voulons que vous le fassiez. Nous voulons que vous vous manifestiez. Nous mettons ce processus à votre disposition pour que vous puissiez vous manifester. » C’est le genre de message que, selon moi, les femmes et les descendants doivent entendre. Je crois aussi que c’est le genre de message que le Canada doit entendre. Il y a donc plusieurs niveaux à cette question et à la façon dont cela peut être fait.
Mme Palmater : Je voudrais juste ajouter que nous avons en fait plaidé énergiquement pour que l’inscription des Indiens soit déclarée service essentiel pour cette raison précise — afin que les femmes et les enfants des Premières Nations ne soient pas laissés pour compte pendant une crise mondiale. Nous l’avons demandé encore et encore, et ils ont refusé.
Rien ne les arrête. Pensez à tous les avis du gouvernement fédéral, partout au Canada, pendant la pandémie sur l’importance de se faire vacciner. Il y avait des publicités et des renseignements partout.
Pourquoi ne pourrait-il pas faire cela? Il a le pouvoir, tout en finançant les organisations des femmes des Premières Nations, les centres d’amitié, les centres culturels et les Premières Nations, de fournir également l’éducation. Merci.
Le sénateur Arnot : J’ai une question complémentaire, monsieur le président.
Je veux juste demander ceci aux intervenantes. Il me semble que l’un des problèmes fondamentaux, c’est que nous ne demandons pas de comptes à l’organe exécutif du gouvernement. Je pose donc la question aux intervenantes : croyez-vous qu’un mécanisme de responsabilisation plus efficace doit être offert aux Autochtones au Canada pour demander des comptes à l’exécutif du gouvernement?
Un modèle que je pourrais proposer s’inspire du vérificateur général, qui rend compte directement au Parlement du Canada, sans passer par l’organe exécutif du gouvernement — au sujet de la réconciliation, des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, des appels à la justice de l’Enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées, de la DNUDPA et de sa mise en œuvre et, surtout, des relations avec les traités et leur mise en œuvre dans le contexte moderne.
Il me semble que, sans ce type de responsabilisation, nous allons tout simplement glisser vers des litiges, l’inaction et davantage de problèmes. Mais je veux vraiment entendre les intervenantes à ce sujet.
Mme Palmater : Je pense que c’est incroyablement important. Une partie du problème que nous avons réside dans le secret de l’information. Lorsque je faisais mon doctorat sur la discrimination sexuelle dans la Loi sur les Indiens, j’ai présenté des demandes d’accès à l’information à maintes reprises. Certaines d’entre elles ont été refusées. J’ai dû faire appel au Commissariat à l’information du Canada.
Il s’agit d’obtenir cette information, et, à mes yeux, surtout de l’examiner. Quelle source de l’information existe, pour le public, comme le vérificateur général ou le Bureau de l’enquêteur correctionnel, par exemple? Pensez-vous que les Canadiens sauraient quoi que ce soit sur ce qui se passe dans les établissements carcéraux si ce n’était des militants de la justice sociale à l’extérieur du Bureau de l’enquêteur correctionnel qui, au nom du Canada, disent : « Voici ce qui se passe »? Les gens écoutent lorsque le vérificateur général dit : « Vous ne gérez pas très bien l’eau dans les réserves des Premières Nations. »
Imaginez si, chaque année, nous recevions un rapport sur ce qui n’est pas fait pour mettre fin à la discrimination contre les femmes et les enfants des Premières Nations, et sur ce qui n’est pas fait pour les aider sur tous les fronts essentiels, y compris le génocide et les choses vraiment importantes qui semblent être reléguées au second plan par rapport à tout le reste.
Je suis d’accord avec vous.
Des recommandations ont été faites, en fait, à l’Enquête nationale, et celle-ci a recommandé qu’il y ait un organisme de responsabilisation semblable en ce qui concerne les droits de la personne des Autochtones. Je souscris à cette recommandation. C’est la seule façon d’avoir une vue d’ensemble de tout ce que le gouvernement fait et ne fait pas, quel que soit le parti politique, et de savoir ce qui doit être fait pour que nous n’ayons pas à demander sans cesse aux Nations unies de le faire pour nous.
C’est ce que nous faisons en ce moment : nous utilisons les Nations unies et la Commission interaméricaine des droits de l’homme pour leur dire ce qui se passe et ce que le Canada ne fait pas. Les Nations unies peuvent alors faire un rapport et dire : « Canada, vous ne faites pas ceci. Arrêtez de faire cela. » Nous continuons simplement de le faire.
Mais les Canadiens n’ont pas vraiment accès à cette information dans le cadre des Nations unies. Un vérificateur général ou un ombudsman, en quelque sorte, rendrait cette information largement disponible.
Le président : Merci, madame Palmater.
Le temps alloué à ce groupe de témoins est terminé. Je tiens à remercier Mme McIvor, Mme Day et Mme Palmater d’être venues nous rencontrer aujourd’hui.
Pour présenter notre prochain groupe de témoins, nous avons l’honorable Lillian Eva Dyck, ancienne sénatrice; Cora McGuire-Cyrette, directrice générale de l’Ontario Native Women’s Association; et Me Adam Bond, gestionnaire des services juridiques de l’Association des femmes autochtones du Canada. L’ancienne sénatrice Dyck, Mme McGuire-Cyrette et Me Bond présenteront une déclaration liminaire de cinq minutes chacun, puis nous passerons à une séance de questions et de réponses d’environ quatre minutes par sénateur.
Veuillez noter que je ferai savoir aux témoins lorsqu’il leur restera 30 secondes dans le temps qui leur est alloué. Les sénateurs qui ont une question doivent utiliser la fonction « lever la main » sur Zoom pour signaler à la greffière qu’ils veulent intervenir, et ils seront reconnus dans le clavardage. Les membres du comité auront la priorité pour poser des questions.
Nous souhaitons maintenant la bienvenue à l’honorable sénatrice Dyck, qui était notre collègue et l’ancienne présidente du comité. Je suis heureux de vous revoir. Je vous invite à présenter votre déclaration liminaire.
L’honorable Lillian Eva Dyck, ancienne sénatrice, à titre personnel : Bonjour. C’est merveilleux d’être de retour ici. Je m’excuse auprès des interprètes; je vous ai envoyé une copie de ce que j’allais dire, mais elle est beaucoup trop longue, alors je vais la raccourcir. Je suis habituée aux discours du Sénat, où j’avais 14 ou 15 minutes.
Le projet de loi S-3 a été adopté il y a près de cinq ans, alors j’ai dû fouiller dans mes dossiers et me remettre au fait des renseignements. Cela a été tout un défi.
Aujourd’hui, j’aimerais vous présenter le contexte du projet de loi, en faire un bref résumé, commenter les deux questions en suspens et formuler quelques observations finales.
Tout d’abord, j’aimerais dire que, souvent, de nos jours, dans le cadre de la réconciliation, nous faisons une reconnaissance des terres. Je me trouve donc à Saskatoon, en Saskatchewan, qui est située sur des terres qui font partie du Traité no 6, où vivaient les Premières Nations signataires du Traité no 6. La ville fait également partie de la patrie traditionnelle des Métis. Comme il a été dit plus tôt, le Parlement est situé sur le territoire non cédé des peuples algonquins.
Je pense que nous devons revoir ce type de reconnaissances. Après avoir écouté ce matin les puissants témoignages de Mme McIvor, de Mme Day et de Mme Palmater, j’estime que nous devrions, dans le cadre de notre réconciliation, reconnaître ce qui suit : nous devrions reconnaître que le territoire qui constitue le Canada a été enlevé aux premiers habitants autochtones et que les pratiques coloniales et patriarcales du Canada ont créé de nombreuses injustices qui ont gravement nui aux peuples des Premières Nations, aux Métis et aux Inuits.
Nous devrions également reconnaître que les préjudices subis par les femmes autochtones sont de nature différente de ceux subis par les hommes autochtones. En particulier, aujourd’hui, nous devrions reconnaître que des préjudices ont été causés aux femmes autochtones par le gouvernement fédéral pendant de très nombreuses décennies, en leur retirant leur statut d’Indien dans un processus que Mme Palmater a aujourd’hui appelé assimilation forcée. J’aime tout particulièrement la suggestion selon laquelle les excuses devraient venir du gouvernement fédéral, par l’entremise du premier ministre.
Je pense que c’est une façon de reconnaître que la discrimination passée contre les femmes autochtones, par la suppression de leur statut, est grave et que des mesures doivent être prises.
En ce qui concerne le projet de loi S-3, je vais vous présenter un très bref aperçu de l’histoire législative afin de vous donner une idée du moment depuis lequel cette situation dure.
C’est en 1869 que l’Acte pourvoyant à l’émancipation graduelle a révoqué le statut d’Indien dans le cas des femmes indiennes qui épousaient des hommes non indiens, mais les hommes indiens qui épousaient des femmes non inscrites ne perdaient pas leur statut.
En 1876, la Loi sur les Indiens a accordé le statut d’Indien à ces épouses non indiennes, et en 1951, la Loi sur les Indiens a été modifiée afin de révoquer le statut des adultes dont la mère paternelle et la grand-mère paternelle étaient sans statut. C’est ce qu’on appelle la règle mère grand-mère. Comme nous l’avons déjà mentionné, en vertu du projet de loi C-31 de 1985, une affaire des Nations unies menée et initiée par Sandra Lovelace-Nicholas, le statut des Indiens a été rétabli pour les femmes indiennes qui avaient perdu leur statut en se mariant, et leurs enfants ont obtenu le statut. Deux catégories de statut ont été créées, en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2), et le statut d’exclusion après la deuxième génération a été créé et est encore opérationnel aujourd’hui.
En 2010, en vertu du projet de loi C-3, les petits-enfants des femmes autochtones qui ont perdu leur statut en se mariant sont devenus admissibles au statut. Dans les deux cas, les projets de loi C-31 et C-3, le gouvernement savait qu’il y avait des problèmes d’inscription en suspens qui auraient dû être réglés, mais il ne l’a pas fait.
Pour ce qui est du projet de loi S-3, il a été reçu au Sénat en octobre 2016, et il est devenu très clair dès le début que le projet de loi n’éliminait pas toute discrimination fondée sur le sexe comme les témoins du gouvernement avaient prétendu qu’il le ferait. Le Comité permanent des peuples autochtones a donc très vite décidé que nous suspendrions l’étude du projet de loi et que nous ferions tout notre possible pour que ce que l’on appelle un amendement portant sur l’application universelle de l’alinéa 6(1)a) soit adopté, et nous avons pu tenir cette promesse grâce au travail diligent du comité et à l’accord du Sénat dans son ensemble. Je vais m’en tenir là.
En ce qui concerne les deux questions en suspens, elles ont été abordées par les intervenantes précédentes, la première étant celle de l’inscription. La principale objection du gouvernement, en éliminant la date limite de 1951, qui rétablirait le statut de descendants des femmes autochtones en date de 1869, était qu’il craignait que des centaines de milliers d’Indiens nouvellement inscrits ne soient créés, ce qui submergerait les bandes individuelles et entraînerait un énorme gouffre financier pour le gouvernement fédéral, qui devrait fournir des ressources aux nouveaux Indiens inscrits pour financer les services de santé non assurés, offrir un soutien à l’éducation postsecondaire et ainsi de suite.
Comme nous l’avons déjà dit, le ministère s’attendait à ce que de 270 000 à 450 000 personnes présentent une demande, mais seule une petite fraction de cette estimation l’ont fait jusqu’à présent.
Selon le rapport final sur la mise en œuvre du projet de loi S-3 publié en décembre 2020, seules 28 000 demandes environ avaient été reçues et à peine 10 000 personnes avaient réussi à obtenir leur statut. En guise de contexte, j’ajouterai que, après la promulgation du projet de loi C-31, 13 000 descendants de femmes autochtones ont obtenu le statut, et que, en vertu du projet de loi C-3, environ 38 500 ont été inscrits.
Je dois donc me demander pourquoi il y a si peu de candidats. Les intervenantes précédentes ont abordé cette question. Une partie de la réponse pourrait être que les données de modélisation étaient très imparfaites et qu’elles ont largement surestimé le nombre potentiel de nouvelles inscriptions. Il est aussi possible que l’objectif de nous assimiler à la société dominante ait réussi et que de nombreuses personnes ayant des racines matrilinéaires dans la période antérieure à 1951 n’aient aucun intérêt à récupérer leur statut d’Indien. Mais je soupçonne qu’une part importante du faible taux de demande est due à la complexité du projet de loi et à son opacité. Il est très difficile à comprendre et très difficile à expliquer en langage clair.
J’ai consulté l’information sur le site Web de Services aux Autochtones Canada. Cela ne m’a été d’aucune aide. C’était vague, ou quand je consultais les diagrammes et le texte d’accompagnement — ici, mais vous ne pouvez probablement pas les voir —, il y a de petits rectangles. J’ai regardé de près; et en résumé, il y en a deux que je n’ai pas compris. J’ai lu et relu ce projet de loi plusieurs fois. J’ai examiné tout cela, et je me suis dit que, si moi je ne comprenais rien, alors que j’ai examiné tout ça et que je comprends, je crois, à fond, et je me suis demandé comment une personne du public, qui n’a aucune connaissance officielle à ce sujet, est censée comprendre le but qu’on cherche à atteindre. Donc, le message est très loin d’être clair et très loin d’être assez simple pour que monsieur et madame Tout-le-Monde puissent savoir s’ils sont admissibles.
Pourquoi faire les choses ainsi? Je soupçonne que c’est parce qu’ils n’ont pas pris la peine de s’asseoir avec les femmes autochtones, qu’ils n’ont pas pris la peine de s’asseoir et de mettre à l’essai leur message auprès des gens des collectivités locales; ils ne sont pas allés dans les centres d’amitié pour recueillir des opinions sur le message et pour demander aux gens s’ils comprenaient ce qu’ils voulaient dire. Est-ce qu’ils travaillent avec les collectivités des Premières Nations, les collectivités proches, comme celle de Kitigan Zibi? Pourquoi est‑ce qu’ils ne sont pas allés là-bas pour voir si le message passait? Les messages d’intérêt public, comme l’ont dit d’autres témoins avant moi, ne sont pas suffisants. Il faut vraiment qu’ils fassent passer le message dans la population. Ce serait peut-être la meilleure façon de faire en sorte que davantage de descendants présentent une demande.
La deuxième question en suspens est celle de l’élimination de la discrimination sexuelle résiduelle. Durant notre étude, plusieurs témoins du Fonds d’action et d’éducation pour les femmes, ou FAEJ, Pamela Palmater, David Schulze et l’Association du Barreau autochtone ont énuméré des exemples de situations où il y avait toujours de la discrimination sexuelle relativement à l’admissibilité au statut d’Indien. Le gouvernement s’est-il penché là-dessus? Va-t-il intervenir? Je voudrais demander à Services Autochtones Canada et à Justice Canada comment ils s’y prennent pour cerner la discrimination sexuelle résiduelle. Examinent-ils seulement les décisions juridiques, ce qui suppose un processus long et prenant? Adoptent-ils une approche proactive, en examinant les amendements qui ont déjà été proposés, par exemple ceux recommandés par les témoins que je viens tout juste de mentionner? Examinent-ils les clauses injustes dans la Loi de 1951 sur les Indiens? C’est juste sous leurs yeux. Il leur suffit de chercher. Ce n’est pas difficile, mais est-ce qu’ils le font? Ils ont déjà beaucoup d’information qui leur a été soulignée.
Le projet de loi C-15 a été adopté, et Services Autochtones Canada et Justice Canada devraient donc s’engager à atteindre l’équité entre les sexes dans la Loi sur les Indiens, au lieu de faire comme ils l’ont toujours fait en essayant de retarder ou de limiter l’égalité pour les femmes autochtones.
Je vais conclure en disant que le Comité permanent sur les peuples autochtones a joué un rôle très utile, et je suis convaincue qu’il va continuer ainsi. J’aimerais insister sur ce que les témoins précédents ont dit : la perte du statut n’est pas anodine. C’est une question importante pour la santé, la sécurité et le bien-être des descendants des femmes qui ont perdu leur statut.
J’aimerais ajouter quelque chose de positif. Je crois que nous avons besoin d’un nouveau mot pour décrire ce qui arrive aux femmes autochtones à cause du sexisme et du racisme, et ce nouveau mot serait misogynkwe, misogynie et kew, le mot ojibwée pour dire « femme », qui ressemble aussi au mot cri pour dire femme, iskwew. Nous devons nous concentrer sur les circonstances, malheureuses et uniques, dans lesquelles les femmes autochtones sont opprimées. Merci.
Le président : Merci, sénatrice Dyck.
J’invite maintenant Mme Cora McGuire-Cyrette à nous présenter sa déclaration préliminaire.
Cora McGuire-Cyrette, directrice générale, Ontario Native Women’s Association : Merci.
[La témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je suis la directrice générale de l’Ontario Native Women’s Association, la plus ancienne et la plus importante des organisations de femmes autochtones. L’ONWA soutient les femmes autochtones qui ont été victimes de discrimination sexuelle à cause de la Loi sur les Indiens, au cours des 50 dernières années.
Avant de commencer, je tiens à souligner le courage, la sagesse et le leadership des nombreuses femmes autochtones qui se sont battues contre la discrimination raciale et sexuelle découlant de la Loi sur les Indiens. Sans elles, nous ne serions pas ici aujourd’hui, à poursuivre leurs efforts de défense des droits. Mon exposé d’aujourd’hui sera axé sur deux points clés et, même si je n’ai pas le temps aujourd’hui de les explorer en détail, il est essentiel que vous les gardiez à l’esprit pour la suite.
Premièrement, les femmes autochtones ont des droits fondamentaux. Le fait que les femmes autochtones continuent d’être sous-représentées au regard de pratiquement tous les problèmes systémiques ici au Canada montre que la colonisation du Canada a eu sur elles des répercussions uniques et dévastatrices, qui se poursuivent encore aujourd’hui, puisque nous ne sommes plus considérées comme des êtres sacrés, mais bien comme un fardeau pour la société. L’ONWA recommande qu’une analyse autochtone comparative entre les sexes soit effectuée dans le cadre de tous les processus décisionnels fédéraux, provinciaux et territoriaux.
Deuxièmement, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones s’applique aux femmes autochtones, à la fois de façon individuelle et collective. Par exemple, l’article 18 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones prévoit que « les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions [...] par l’intermédiaire de représentants qu’ils ont eux-mêmes choisis [...] », ainsi qu’à nos propres institutions. L’ONWA affirme, en conséquence, que les femmes autochtones ont le droit fondamental d’avoir leur propre autonomie.
Au fil des années, l’ONWA a travaillé avec les femmes autochtones sur la question de la Loi sur les Indiens. Il est clair que la Loi sur les Indiens continue d’avoir des répercussions défavorables sur les femmes et les filles autochtones, et de façon systémique. Nous reconnaissons que, malheureusement, la Loi sur les Indiens est maintenant liée à notre identité et au droit d’appartenir à nos collectivités, nos nations et nos familles.
En 1996, la Commission royale sur les peuples autochtones a cerné des mesures clés de changement, dont une était qu’il devait d’abord y avoir un processus de guérison pour que l’édification des nations et l’autonomie gouvernementale réussissent. Le rapport soulignait aussi le besoin de redonner une voix aux femmes autochtones, de reconnaître leur expertise et de les faire participer au processus décisionnel, tant au niveau politique qu’au niveau social.
L’ONWA a publié un rapport intitulé Reconciliation with Indigenous Women: Changing the Story of Missing and Murdered Indigenous Women and Girls (2020), dans lequel sont formulées des recommandations claires pour changer les choses. Nous avons fondé ce rapport sur 50 ans d’écoute et de travail auprès de plus de 5 700 femmes autochtones, et pourtant, ce rapport ne fait toujours pas partie de la Voie fédérale ni du Plan d’action national. Notre rapport fait valoir que nous ne pouvons pas rétablir nos collectivités et nos nations sans d’abord régler les problèmes systémiques auxquels nous, les femmes autochtones, continuons de nous heurter, et pour cela, il faudra, entre autres, nous redonner nos rôles et nos responsabilités au sein des collectivités et investir substantiellement dans la guérison et la sécurité des femmes autochtones, aux fins de la lutte contre la discrimination résiduelle dans la Loi sur les Indiens. Notre recommandation 6 est de rétablir les droits inhérents des femmes autochtones. La Loi sur les Indiens a perturbé notre système de valeurs, qui a été remplacé par des valeurs patriarcales qui continuent d’exclure les femmes autochtones.
En 2016, le gouvernement fédéral a établi une politique de nation à nation et n’a choisi que trois organisations nationales autochtones comme partenaires pour l’édification de la nation. Cette politique discrimine les femmes et les filles autochtones, puisque nous ne sommes pas considérées comme des partenaires légitimes. La majorité des femmes et des filles autochtones ne vivent pas dans les réserves, et elles continuent de subir de la violence 365 jours par année, partout au Canada, dans les réserves et ailleurs.
Pour conclure, je vais mettre l’accent sur quatre recommandations essentielles. Premièrement, le gouvernement doit mettre en œuvre un cadre de nation à nation plus, qui prévoit une réelle mobilisation des femmes autochtones et des investissements dans nos organismes chaque fois qu’est élaborée une politique fédérale ou une formule de financement. Cela inclut toutes les femmes autochtones et leurs organismes communautaires; cela ne se limite pas aux seules organisations autochtones nationales, puisque la majorité des organismes n’ont pas de lien avec les organisations autochtones nationales.
Deuxièmement, investissez les ressources appropriées dans le mécanisme d’inscription des femmes et de leurs enfants prévu en vertu du projet de loi S-3. Services Autochtones Canada a dit aux femmes autochtones que le processus de demande de statut pouvait prendre jusqu’à trois ans. Pour certaines aînées, même une année d’attente serait trop longue.
Troisièmement, appliquez intégralement le recours concernant la discrimination sexuelle reconnue dans la décision McIvor c. Canada par le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Ce recours a été partiellement mis en œuvre, comme vous avez pu l’entendre aujourd’hui. Il est aussi essentiel que vous investissiez immédiatement dans la guérison afin d’atténuer la discrimination résiduelle dans les collectivités, sans quoi les femmes autochtones et leur famille qui ont retrouvé leur statut continueront de se heurter à des obstacles et à des difficultés.
Enfin, il faut concevoir une campagne d’éducation axée sur la force à l’intention des collectivités des Premières Nations et des femmes qui veulent présenter une demande. Nous savons que ce ne sont pas toutes les Premières Nations qui ont bien accueilli le projet de loi. Certaines Premières Nations se heurtent à d’énormes difficultés pour ce qui est de prendre soin de leurs membres actuels, et cela veut dire que le retour de nouveaux membres est considéré comme un fardeau indu.
Pour conclure, j’encourage le comité à examiner au complet notre rapport, Reconciliation with Indigenous Women, puisque vous y trouverez un guide pour le rétablissement de l’équilibre dont nos collectivités ont besoin. Meegwetch pour votre temps, aujourd’hui.
Le président : Merci, madame McGuire-Cyrette.
Me Adam Bond, gestionnaire des services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Merci, honorables sénateurs et sénatrices. Mon nom est Adam Bond, et je suis gestionnaire des services juridiques pour l’Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC, située présentement dans la municipalité de [Difficultés techniques] au Québec, sur le territoire ancestral des [Difficultés techniques]. J’aimerais remercier le comité de m’avoir invité aujourd’hui à témoigner dans le cadre de son étude sur la mise en œuvre du projet de loi S-3.
L’AFAC est en train de mettre la dernière main à son rapport final sur l’efficacité du projet de loi S-3 et sur les questions résiduelles sous le régime de la loi. Je ne peux donc pas présenter de recommandations ou de commentaires officiels définitifs de la part de notre organisation, du moins pour l’instant. Cela viendra au cours des prochaines semaines. Je pourrai toutefois parler de certaines questions liées à la mise en œuvre du projet de loi, de certaines réussites, des difficultés et des problèmes qui perdurent.
J’espère pouvoir présenter quatre points. Premièrement, le projet de loi S-3 a été hautement efficace pour ce qui est de corriger les problèmes qu’il était censé corriger, et le gouvernement a obtenu d’importants résultats positifs grâce à la mise en œuvre du projet de loi. Deuxièmement, malgré ces réussites, certains problèmes demeurent. Troisièmement, le projet de loi S-3 ne corrige pas tous les problèmes d’iniquité des dispositions relatives à l’inscription. Quatrièmement, la Loi sur les Indiens est très probablement fondamentalement incompatible avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Pour revenir à mon premier point, le projet de loi S-3 a, dans une grande mesure, atténué les problèmes qu’il était censé atténuer, et le gouvernement a fait quelques progrès. Par exemple, les distinctions sexuelles liées au problème des cousins et cousines, des frères et sœurs ou des enfants mineurs omis ont été retirées, et la date limite de 1951 a été éliminée. En ce qui concerne la mise en œuvre, Services Autochtones Canada a travaillé avec les intervenants, y compris l’AFAC, pour sensibiliser les gens par rapport au projet de loi. À la mi-mars, 85 % des 45 000 demandes reçues sous le régime du projet de loi S-3 avaient été traitées. Nous sommes heureux de constater que les temps de traitement ont été réduits, et nous encourageons le gouvernement à améliorer encore plus ces normes de service, aussi rapidement que possible. C’était un point de très grande frustration pour de nombreux demandeurs.
Pour revenir à mon deuxième point, malgré ces réussites, il y a encore beaucoup d’obstacles. Malgré les efforts de mobilisation et de communication que Services Autochtones Canada et d’autres organisations autochtones nationales, comme l’AFAC, ont déployés, il subsiste encore beaucoup de confusion à l’égard des dispositions relatives à l’inscription. Comme cela a été mentionné plus tôt, c’est parce que ces dispositions sont difficiles à comprendre. Elles sont très complexes et très compliquées. Elles renvoient à des articles de la loi d’avant 1985 qui ne sont pas accessibles au public, alors c’est difficile de même comprendre à quoi elles renvoient. Elles exigent aussi que les demandeurs aient une connaissance et une compréhension très approfondies de leur propre généalogie.
Aussi, le gouvernement continue de maintenir le fardeau de la preuve de la prépondérance des probabilités lorsque les parents sont inconnus ou non déclarés, et ce, même si le paragraphe 5(6) établit, par rapport au fardeau de la preuve dans ce genre de cas, qu’il faut tirer les conclusions raisonnables les plus favorables au demandeur.
Pour revenir à mon troisième point, certaines questions urgentes en matière d’égalité demeurent dans les dispositions relatives à l’inscription, par exemple les distinctions prévues à l’alinéa 6(1)a.3) concernant l’âge et l’état matrimonial. Cela fait que des frères et des sœurs, nés de mêmes parents, qui sont nés avant ou après le 16 avril 1985 n’auront pas la même admissibilité au statut, en raison seulement de leur âge ou de l’état matrimonial de leurs parents. La limite de la deuxième génération a aussi des répercussions défavorables disproportionnées, en particulier sur les mères célibataires.
L’élargissement du droit à l’inscription prévue à l’article 6 soulève des questions à l’égard de l’identité et de l’appartenance. Le projet de loi S-3 donne des droits d’inscription à un grand nombre de personnes qui ont été exclues des cultures autochtones depuis des générations. Ces communautés ont besoin de ressources et de soutiens afin que les femmes et leurs descendants puissent renouer avec leurs communautés.
Le projet de loi S-3 ne traite pas de l’émancipation — entre guillemets — volontaire, et la Loi sur les Indiens ne permet pas aux gens de se désinscrire.
Pour revenir à mon point final, la Loi sur les Indiens est très probablement fondamentalement incompatible avec la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nonobstant les modifications éventuelles apportées à ces dispositions, l’entrée en vigueur de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones crée un casse-tête législatif. Cette loi exige que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures nécessaires, en travaillant en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, pour s’assurer que les lois du Canada sont cohérentes avec la déclaration. Pour ne donner qu’un exemple, l’article 33 de la déclaration codifie le droit des peuples autochtones de décider de leur propre identité ou appartenance, alors que les dispositions relatives à l’inscription dans la Loi sur les Indiens établissent des critères pour l’admissibilité à l’inscription au statut de membre des Premières Nations.
Et pourtant, la Loi sur les Indiens protège aussi des droits et des privilèges importants qui sont garantis aux Premières Nations. Peu importe quelles modifications sont apportées aux dispositions relatives à l’inscription, l’application par loi fédérale de règles panautochtones touchant l’appartenance aux Premières Nations n’est tout simplement pas compatible avec la déclaration.
Même si des amendements sont importants, à court terme, pour atténuer les inégalités persistantes, le Canada doit maintenant songer à travailler avec les Premières Nations pour préparer une feuille de route en vue de l’abrogation de la Loi sur les Indiens, et il faut que cela soit fait de façon que les droits et les privilèges des Premières Nations qui existaient dans les régimes législatifs coloniaux abolis soient reconnus et protégés. Cela met fin à ma déclaration préliminaire. Merci.
Le président : Merci, maître Bond. Nous allons commencer la période de questions. Je vous demanderais, si possible, de poser seulement une question durant ce tour. Le temps nous est compté, et nous pourrons faire un deuxième tour après cela.
Le sénateur Christmas : Merci aux témoins d’être avec nous cet après-midi. J’aimerais donner à la sénatrice Dyck l’occasion d’approfondir son deuxième point.
Vous vous souviendrez, madame la sénatrice, que, lorsque le comité étudiait le projet de loi S-3, nous avons décidé d’adopter un amendement relatif à l’application universelle de l’alinéa 6(1)a), et nous espérions que cela éliminerait toutes les iniquités sexuelles de la loi. Vous vous souviendrez très clairement que la Chambre des communes a rejeté notre amendement, et vous avez fait preuve d’énormément de force quand le projet de loi nous a été envoyé, alors je tiens à vous remercier d’avoir tenu tête à la Chambre des communes et d’avoir insisté pour que le projet de loi S-3 respecte l’application universelle de l’alinéa 6(1)a).
Pour revenir à votre deuxième point, vous avez dit que la discrimination sexuelle n’avait pas été entièrement éliminée. Sénatrice Dyck, pourriez-vous nous dire — maintenant que cinq ans se sont écoulés — pourquoi, selon vous, le projet de loi S-3 ne peut pas éliminer entièrement la discrimination sexuelle?
Mme Dyck : Je suis heureuse de vous revoir, sénateur Christmas. Cela fait longtemps que je n’y ai pas jeté un œil, mais si vous prenez le témoignage du FAEJ, de Pamela Palmater, de David Schulze et de l’Association du Barreau autochtone du Canada, ils ont une liste de ce qui était, selon eux, les problèmes en suspens ou résiduels à corriger. Je crois que certains ont été inclus dans le projet de loi, mais pas tous.
À dire vrai, il semble même que le gouvernement a prévu un projet de loi cet été relativement à l’émancipation volontaire. Je crois que c’est en lien avec une affaire où un père s’était volontairement émancipé pour que ses enfants ne soient pas envoyés au pensionnat indien, puisqu’ils ne seraient plus des Indiens inscrits. Donc, il y a eu de l’émancipation volontaire. Dans certains cas, des enfants ont été émancipés, ou ont perdu leur statut, et peut-être que ce n’est pas ce qu’ils voulaient en tant qu’adultes; alors c’est le genre de cas d’émancipation où, par exemple, il y a un époux qui s’est émancipé, et, conséquemment, son épouse a été émancipée, ce qui lui enlève ses droits de décider de son propre statut.
Il y a toujours ce genre de problèmes, selon les exemples que les témoins précédents ont donnés, et si vous revenez aux amendements de 1951, les restrictions y étaient clairement établies. Vous n’avez pas à attendre les décisions juridiques. Vous pouvez simplement prendre les amendements dans la Loi sur les Indiens et les supprimer.
Le sénateur Christmas : Oui, madame la sénatrice. Je voudrais poser la même question à Me Adam Bond. Maître Bond, vous avez aussi mentionné que la limite de la deuxième génération et les distinctions fondées sur l’âge et l’état matrimonial créaient davantage de discrimination. Pouvez-vous nous parler davantage de ces deux points?
Me Bond : Oui, la limite de la deuxième génération, à première vue, ne semble pas discriminatoire, parce que le libellé de la loi ne fait pas de distinction sexuelle.
Il y a quand même des effets discriminatoires qui font que les femmes sont discriminées, et la Cour d’appel de l’Ontario a examiné dans une certaine mesure cette question dans l’arrêt Gehl. On s’est demandé si les femmes autochtones, disons une mère célibataire, serait confrontée à un fardeau ou à des risques différents si elle voulait inscrire son enfant. Dans certaines circonstances, malheureusement, cela peut exposer les femmes à un risque économique, social ou même physique, parce qu’il faut identifier le père inscrit de l’enfant demandeur.
La question est en outre étroitement liée à la politique relative aux parents inconnus ou non déclarés, que j’ai mentionnée plus tôt. Le gouvernement maintient sa position selon laquelle la norme de preuve dans ces cas est celle de la prépondérance des probabilités, alors qu’il suffit de lire le paragraphe 5(6) pour voir clairement que le législateur avait prévu un fardeau plus léger.
La discrimination découlant du sous-alinéa 6(1)a.3) est apparente. C’est évident, et nous avons entendu beaucoup de personnes dire qu’elles ont été directement touchées.
Donc, vous avez par exemple une sœur aînée qui est née en 1983 de parents non mariés, lesquels, à un certain point de la généalogie, sont devenus admissibles en vertu du sous‑alinéa 6(1)a.1) ou 6(1)a.2). Donc, cette personne a droit au statut. Elle a une sœur plus jeune, née par exemple en 1987, qui n’aura pas droit au statut au titre du sous-alinéa 6(1)a.3). Elle y aura droit en vertu du paragraphe 6(2). Il y a une différence quant au statut d’admissibilité en fonction de leur âge et de l’état matrimonial de leurs parents.
Le sénateur Christmas : Merci, maître Bond.
La sénatrice Pate : Merci aux témoins d’être avec nous. C’est merveilleux de vous voir tous et toutes, et c’est particulièrement merveilleux de vous revoir parmi nous, sénatrice Dyck.
Je voudrais revenir sur un sujet qui a été abordé par les témoins précédents et aussi par vous, madame McGuire-Cyrette. Les retards et les échecs du gouvernement en ce qui concerne la communication d’information aux collectivités ont pour conséquence de retarder les inscriptions, mais ils permettent par ailleurs au gouvernement d’économiser de l’argent. De plus, les collectivités signent d’autres ententes en fonction de leur statut d’inscription actuel, ce qui, dans les faits, encourage la discrimination dans la collectivité en créant, si je peux le dire ainsi, de la discrimination latérale, parce qu’on essaie d’empêcher les femmes et les générations de s’inscrire.
Ce qui me frappe — je crois que Mme Palmater en avait parlé —, c’est qu’il s’agit d’une forme d’enrichissement injuste, que nous avons vue ailleurs : dans les affaires de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, entre autres.
Au bout du compte, il faut qu’il y ait réparation, et cela me frappe, mais je serais curieuse de savoir ce que le comité devrait recommander, selon vous, quant à des recours potentiels pour corriger ce problème et nous sortir de cette situation, d’une façon qui aiderait les peuples autochtones, n’aggraverait pas davantage leur situation et n’enrichirait pas injustement le gouvernement fédéral.
Mme McGuire-Cyrette : Merci. Ce dont nous avons besoin, c’est d’investir aujourd’hui dans la guérison. Nous investissons déjà au Canada, mais les investissements qui vont aux femmes autochtones, comme vous le savez... Par exemple, dans le système judiciaire, cela coûte environ de 250 000 $ à 400 000 $ par année pour loger une femme autochtone dans le système judiciaire, où nous sommes surreprésentées à plus de 50 %, et cela ne comprend même pas les montants pour l’aide sociale à l’enfance, et en particulier les coûts pour les enfants handicapés.
Les investissements actuels du gouvernement fédéral pour les femmes autochtones s’inscrivent hors de tout doute dans ses pratiques discriminatoires, et il ne pourra y avoir aucune réconciliation à la suite des préjudices causés aux femmes autochtones. Ce qu’il faut faire, c’est envisager d’investir dans une guérison spécialisée pour les femmes autochtones. Comme vous le savez, la colonisation ne nous a pas touchées de la même façon. Cela a été souligné dans la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Le juge Murray Sinclair a parlé de la violence que les filles ont subie, dans les pensionnats jusque dans la Loi sur les Indiens, et aussi à présent, avec les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et la traite de personnes, par exemple, et tout cela continue.
Si nous ne commençons pas à investir dans des programmes et services de guérison, nos enfants devront continuer de lutter pour leurs droits. Nous devons commencer à investir dans la guérison et dans la sécurité immédiatement.
La sénatrice Pate : Sénatrice Dyck, je voulais savoir si vous aviez des commentaires sur les recommandations que le comité pourrait formuler, compte tenu de l’enrichissement injuste et de la situation actuelle qui s’aggrave à cause de l’inaction du gouvernement.
Mme Dyck : Cette inaction est un prolongement de la discrimination. Depuis longtemps, tous les ordres de gouvernement et tous les partis politiques emploient cette tactique. Ce n’est pas seulement les libéraux ou les conservateurs, ce sont tous les gouvernements qui n’ont pas de volonté politique. En ne faisant rien, vous devenez en fait complices du désavantage des femmes autochtones.
Maintenant que le projet de loi C-15 a été adopté et que le gouvernement est encouragé à mettre en œuvre intégralement la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, cela pourrait servir de rappel du fait que le gouvernement fédéral s’est engagé à éliminer toutes les iniquités touchant les Autochtones, y compris les femmes.
À l’époque où le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones étudiait le projet de loi S-3, nous n’avions pas cet outil, parce que le projet de loi C-15 n’avait pas encore été adopté, mais nous nous étions quand même appuyés sur le Conseil des droits de l’homme des Nations unies relativement à l’affaire de Sharon McIvor, où on a tranché que le Canada avait violé les droits relatifs à l’égalité entre les sexes, en donnant au Canada 60 jours ou un délai du genre pour éliminer la discrimination du projet de loi S-3. J’espère que cela vous aide.
La sénatrice Pate : Croyez-vous que nous devrions recommander une compensation immédiate, en plus des exigences en matière d’inscription proposées par les témoins précédents?
Mme Dyck : Ce qui est compliqué, c’est qu’ils ont inscrit, dans le projet de loi, une disposition selon laquelle il n’y a aucune responsabilité. Comment est-ce qu’on contourne ce problème? Je crois qu’il devrait y avoir compensation, mais, dans ce projet de loi ainsi que dans les précédents, et surtout dans le projet de loi C-3, il n’y avait aucune disposition de responsabilité, et je soupçonne que c’était aussi le cas dans le projet de loi C-31. Mais peut-être qu’on pourrait contester aussi cette disposition en soutenant qu’elle est discriminatoire ou inconstitutionnelle. Peut-être qu’il y a une façon de contourner le problème. Mais il devrait certainement y avoir compensation.
Quand je repense à mon propre cas, je n’ai pas retrouvé mon statut avant l’âge de 40 ans. Il y a énormément de prestations d’assurance-santé qui auraient pu m’être très utiles dans ma jeunesse, et surtout quand j’étais enfant. Peut-être que je serais en meilleure santé aujourd’hui.
J’aurais pu avoir une assurance dentaire. J’aurais de meilleures dents aujourd’hui. Toutes les choses du genre, et ce n’est pas anodin. Si vous n’avez pas accès à de bons soins dentaires, vous risquez d’avoir un abcès dentaire, ce qui peut causer des problèmes cardiaques et même la mort. Apparemment, dans les salles d’urgence, beaucoup de gens vont aux urgences des hôpitaux pour des problèmes dentaires.
Donc, cela cause un préjudice grave aux gens qui n’ont pas accès à des soins dentaires. À présent, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre une assurance dentaire selon le revenu, pour les Canadiens à faible revenu.
Si nous pouvons nous payer cela, n’avons-nous pas les moyens d’indemniser les descendants des femmes autochtones qui ont perdu leur statut? C’est une question de priorité. Les femmes autochtones ne sont habituellement pas en très bonne place sur la liste des priorités.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins présents.
Ma question, ou plutôt mon observation, s’adresse à l’honorable Lillian Dyck. Beaucoup de personnes l’ignorent peut-être, mais Lillian Dyck a été une championne des droits autochtones, des droits issus de traités et des droits de la personne en Saskatchewan, et elle a certainement mérité d’être reconnue par l’Ordre du Canada. Je veux donc la féliciter.
Sénatrice Dyck, beaucoup attribuent le manque de soutien, le manque de volonté, le manque de compréhension et la mauvaise mise en œuvre du projet de loi S-3 à la question du financement. Est-il correct, équitable ou juste, au XXIe siècle, au Canada, que la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des femmes autochtones dépendent du coût ou des dollars?
Mme Dyck : Ce n’est pas équitable. Comment se fait-il, quand il est question des femmes autochtones, qu’on parle toujours de coûts? À dire vrai, ce qui m’a vraiment choquée, quand nous étudiions le projet de loi S-3, c’est que la ministre et le ministère ont dit qu’ils ne voulaient pas mettre en œuvre intégralement l’amendement sur l’application universelle de l’alinéa 6(1)a) parce qu’ils devaient consulter les Premières Nations. Mais, évidemment, ils n’ont pas consulté les gens concernés parce qu’ils sont allés dans les réserves, voir des gens déjà inscrits, et pour le reste des projets de loi qui nous ont été renvoyés, il n’y a pas eu de consultation. Quand le comité leur a demandé de le faire, ils ont refusé. Donc, cela montre le genre de discrimination qui se poursuit. Cela a toujours servi d’exemple.
Les femmes autochtones ont droit aux mêmes ressources que les hommes autochtones. Donc, ce n’est certainement pas une comparaison équitable. Vous pourriez certainement trouver, soit dans la Déclaration des Nations unies, soit dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, des dispositions à propos du financement adéquat, pour égaliser le financement entre les hommes et les femmes autochtones. Les droits à l’égalité des femmes et des hommes autochtones font aussi partie de la Constitution. Je ne me souviens pas de l’article exact, mais c’est dans la Constitution ainsi que dans la Charte canadienne des droits et libertés.
Le sénateur Arnot : J’ai une question complémentaire, si nous avons assez de temps.
Le président : Je vous redonnerai la parole, sénateur Arnot, si nous avons assez de temps.
La prochaine question provient du sénateur Patterson et s’adresse à la sénatrice Dyck.
J’aimerais souhaiter à la sénatrice Dyck bon retour au comité. Nous avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années, tout particulièrement sur le projet de loi S-3. Je suis très heureux de vous revoir pour que vous puissiez participer à nos travaux en cours.
Mme Shelagh Day et vous avez toutes deux insisté sur la complexité du processus de demande; si vous-même ne pouvez pas comprendre la brochure accompagnant le processus de demande, comment une personne qui n’y connaît rien pourrait-elle bien saisir les nuances et les complexités de tout cela?
Mme Day a dit qu’il faudrait repenser tout cela.
Mme Dyck : Excusez-moi, mais je n’ai pas bien entendu la fin.
Le président : Mme Day a dit que le processus de demande devrait être repensé. C’est très complexe.
Mme Dyck : Demandez-vous si le processus de demande devrait être révisé et simplifié? Dans ce cas, oui. Je n’ai pas examiné le processus lui-même, et le sénateur Patterson le sait probablement mieux que tout le monde, puisque vous étiez vice-président à l’époque où nous avons étudié le projet de loi. Vous savez à quel point tout cela est incroyablement compliqué.
Juste à écouter Me Bond aujourd’hui en parler, le sous-alinéa 6(1)a)(c.01), puis la date, avant 1985, après 1985, « avant ceci », « après cela », c’est incompréhensible.
Vous devez vous asseoir avec un crayon et traduire au fur et à mesure. Je vous ai montré de l’information, et je ne comprends vraiment pas où on veut en venir. Il faut vraiment travailler avec les membres de la communauté et leur demander : « Voici ce que nous essayons de dire, comprenez-vous? » C’est de cette façon que j’aime fonctionner avec mes adjoints, à mon bureau. Je dis : « Voici ce que je crois que cela veut dire, qu’est-ce que vous en pensez? » Puis, on essaie toujours de simplifier. Vous avez vraiment besoin de gens qui sont des éducateurs, pour traduire tout cela dans une langue que tout le monde peut comprendre, des rédacteurs de discours et des communicateurs professionnels. Ce que nous avons présentement a probablement été produit par le ministère, qui est tellement habitué à sa propre langue, même si, je dois le dire, elle porte délibérément à confusion de façon que les gens du ministère sont les seuls à comprendre de quoi on parle.
Je ne sais pas. Peut-être que c’est pour eux une raison de limiter le nombre de demandes. Je ne veux vraiment pas dire que c’est leur raison, mais, quand les gens du ministère sont venus eux-mêmes nous voir, ils nous ont montré leurs graphiques, et même eux faisaient des erreurs. Il faut vraiment faire quelque chose pour simplifier tout cela et l’exprimer en termes clairs.
Le président : Merci, sénatrice Dyck.
[Français]
La sénatrice Audette : Merci beaucoup. Je vais m’exprimer en français [mots prononcés en Innu-Aimun].
Merci à toutes ces femmes qui ont marché pendant des décennies pour modifier, à petit engagement au fédéral, ces amendements qui sont pour moi la pure définition de la discrimination systémique.
Pensez-vous, chère collègue, madame Dyck, qu’en effet, le système a créé et continue de créer cette discrimination, et qu’au sein de nos communautés, par le manque d’information, on finit par croire que ce ne sont pas des gens qui sont les bienvenus — donc qu’on nourrit la violence latérale et que les organisations sur le terrain comme l’Ontario Native Women’s Association, Femmes autochtones du Québec ou celles qui sont très proches des communautés ont un rôle important pour éduquer, promouvoir et informer?
Dans votre expérience de sénatrice — et je pose la question à toutes les organisations qui sont présentes en ce moment sur ce panel —, est-ce qu’il y a eu des études indiquant qu’on remarque que, depuis 1985, des communautés ont développé des codes d’appartenance ouverts et ont été refusées par le fédéral alors que celles qui ont adopté des codes d’appartenance restrictifs ont été acceptées par le fédéral?
Selon l’approche de la Convention de la Baie-James, pour être bénéficiaire, il faut un parent pour transmettre la nation à l’enfant. Est-ce que cela a été étudié par le Sénat, le gouvernement fédéral ou est-ce que cela devrait être une recommandation de vérifier la façon dont on a traité, depuis tant d’années, la différence homme et femme — restrictif, ouvert, Convention de la Baie-James, etc.?
[Traduction]
Mme Dyck : Merci. Vous avez formulé un assez bon nombre de questions. Je ne sais pas si je les ai toutes notées, surtout la dernière.
Je crois sans l’ombre d’un doute que le gouvernement fédéral, en particulier Services Autochtones Canada et le ministère de la Justice... Je crois sincèrement qu’il y a un degré élevé de racisme systémique. Mme Palmater en a parlé précédemment, quand elle a dit que d’anciens employés du service pétrolier et gazier de Services aux Autochtones Canada sont allés devant les tribunaux porter des accusations de racisme systémique à leur égard.
Certainement, quand on pense à la réticence du gouvernement fédéral à véritablement éliminer la discrimination sexuelle contre les femmes autochtones, cela montre selon moi que, très clairement, il y a du racisme et du sexisme systémiques. Comme je l’ai dit, je l’ai appelée, la misogynkweism, c’est-à-dire la discrimination visant spécifiquement les femmes autochtones. Malheureusement, cela fait partie de notre culture, et ce sera difficile de l’éliminer tant que les dirigeants continuent de l’afficher. Manifestement, quand nous avons reçu les témoins du ministère de la Justice et de Services aux Autochtones Canada, à l’époque où nous étudiions ce projet de loi, ils étaient si... Je n’arrive pas à le dire poliment, mais c’était comme s’ils avaient cette autorité et qu’ils refusaient tout simplement d’écouter ce que certains des témoins avaient à dire; ils ne faisaient que répéter encore et encore à quel point ce projet de loi était génial, malgré les preuves du contraire. À mes yeux, c’est un symptôme manifeste du racisme systémique combiné à la discrimination sexuelle.
Je crois cependant que des organisations comme l’Association des femmes autochtones de l’Ontario et l’AFAC et Femmes autochtones du Québec Inc. ont un rôle à jouer. Durant notre étude, les communiqués de presse... Nous avons publié des communiqués de presse avec les membres de ces organisations, dans les médias, afin de pousser le gouvernement, afin d’exercer publiquement une pression sur lui pour qu’il donne suite à ses promesses.
Je dois dire que l’Alliance féministe pour l’action internationale, l’AFAI, Mme Shelagh Day et son équipe, se sont révélées très efficaces pour ce qui est de monter une campagne de sensibilisation publique.
Vous avez posé une question sur l’appartenance à une bande dans les différentes collectivités, mais je n’ai pas accès à cette information. Je ne sais pas si quelqu’un a vraiment fait cela. Je sais cependant qu’il y avait des articles dans la Loi sur les Indiens selon lesquels les bandes peuvent avoir l’autorité de décider qui appartient ou non à la bande. Je crois, même si je n’en suis pas sûre, que dans la plupart des cas, la décision appartient toujours au gouvernement fédéral, par l’inscription dans la Loi sur les Indiens, ce qui, nous le savons tous, ne fonctionne pas.
Les bandes sont désavantagées. Des bandes sont venues témoigner, comme celle d’Odanak, celle de Stéphane Descheneaux et des sœurs Yantha. Certaines bandes voient leur nombre diminuer, à cause de la limite de la deuxième génération, et c’est pour cette raison qu’elles sont favorables à l’ouverture de l’inscription, parce qu’à un certain moment, à cause de la limite de la deuxième génération, leur nombre va diminuer, et il n’y aura plus suffisamment de membres pour maintenir la communauté.
Le président : Merci, sénatrice Dyck.
C’est tout le temps que nous avions avec ces témoins. Je veux remercier les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.
(La séance est levée.)