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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 25 avril 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), par vidéoconférence, afin d’étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens d’abord à souligner que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je m’appelle Brian Francis, et je suis un sénateur d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard. J’ai le plaisir de présider cette réunion hybride du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Je rappelle aux sénateurs et aux témoins qu’ils doivent garder leur microphone en sourdine en tout temps, à moins que le président ne les désigne par leur nom. Si vous éprouvez des difficultés techniques, veuillez en informer le président ou la greffière. Je rappelle également à tous les participants qu’ils ne doivent pas copier, enregistrer ou photographier leur écran pendant la réunion Zoom. Cependant, vous pouvez utiliser et transmettre les délibérations officielles affichées sur le site Web SenVu à cette fin.

Je vais maintenant passer quelques minutes à présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui, en commençant par notre vice-président, le sénateur Christmas de la Nouvelle-Écosse. Je signale que les sénateurs suivants sont également présents : le sénateur Arnot de la Saskatchewan, la sénatrice Audette du Québec, la sénatrice Clement de l’Ontario, la sénatrice Coyle de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Hartling du Nouveau-Brunswick, le sénateur Patterson du Nunavut et le sénateur Tannas de l’Alberta.

Aujourd’hui, nous reprenons notre étude de la mise en œuvre par le gouvernement fédéral du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui a été publié en 2019. Les témoignages que nous entendrons aujourd’hui permettront d’éclairer l’orientation d’une étude à plus long terme que le comité entreprendra à l’automne.

J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons aujourd’hui Nancy Jourdain, Denise Pictou Maloney et Jana Schulz. J’aimerais également mentionner aux témoins que s’ils ont besoin d’interrompre leur intervention pour faire une pause, ils ne doivent pas hésiter à nous le faire savoir.

Veuillez noter que Mmes Jourdain, Pictou Maloney et Schulz feront des déclarations préliminaires d’une durée maximale de cinq minutes. Nous passerons ensuite aux séries d’intervention qui dureront environ trois minutes par sénateur. Étant donné que nous disposons d’un temps limité pour entendre chaque groupe de témoins, je vous demanderais d’essayer d’être bref et d’aller droit au but, dans la mesure du possible. Pour que nous restions sur la bonne voie, j’informerai les témoins lorsqu’il ne leur restera plus qu’une minute pour terminer leur déclaration. De même, je ferai savoir aux sénateurs et aux témoins lorsqu’il restera une minute pour poser des questions et obtenir des réponses. Je vous remercie de votre coopération.

Les sénateurs présents dans la salle qui ont une question à poser doivent lever la main. Ceux qui participent à la séance au moyen de Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Vous recevrez par la suite un accusé de réception de la part de la greffière ou de moi-même.

Cela dit, je voudrais maintenant inviter Mme Jourdain à commencer sa déclaration préliminaire.

[Français]

Me Nancy Jourdain, à titre personnel :  

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Bonjour. Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, permettez-moi d’abord de vous remercier de l’invitation de nous entendre dans le cadre de votre examen sur le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Je m’appelle Nancy Jourdain. Je suis Innue, membre de la communauté de Uashat mak Mani-utenam. J’ai témoigné à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sur la violence que j’ai vécue dans une organisation de ma communauté.

Ce témoignage a été une libération pour moi et représente le début d’un long processus de guérison en ce qui a trait à ces événements. J’en suis très reconnaissante à la commission. C’est donc avec beaucoup de fierté, d’émotion et d’espérance que j’ai assisté, le 3 juin 2019, à la cérémonie de remise du rapport de la commission contenant les 231 appels à la justice.

Pendant plusieurs semaines, des femmes, des filles et des familles ont livré leur vérité sur les violences qu’elles ont vécues. Ces femmes ont fait preuve de courage, d’humilité et de résilience en partageant leur histoire. Cette démarche ne doit pas rester vaine.

Depuis la remise du rapport, la vie n’a pas changé dans ma communauté. La violence est encore présente. Je constate dans mon environnement que mes amies, collègues et connaissances sont encore aux prises avec des problèmes de violence de toutes sortes : harcèlement, violence conjugale, violence financière et autres.

Les besoins en matière de logement et de santé physique, émotionnelle et mentale sont toujours aussi criants et présents, et je dirais même qu’ils sont accentués par la pandémie. Nous ne voyons aucune action concrète, dans notre quotidien, des recommandations lancées depuis maintenant près de trois ans.

Mon amie mohawk Melanie Morrison, dont la sœur a été assassinée — et l’enquête n’est toujours pas résolue —, me faisait part des difficultés qu’elle a à obtenir des informations sur les démarches mises en œuvre en ce qui a trait aux appels à la justice en tant que membre d’une Première Nation anglophone au Québec. La sensibilisation sur la violence faite aux femmes et aux filles autochtones et le soutien aux familles touchées demeurent toujours un enjeu.

Comment expliquer que certains corps policiers qui entourent la ville de Montréal refusent aux familles des victimes le droit d’être servies dans leur langue? Ceci est la preuve d’une méconnaissance des appels de la justice de la part de certains corps de police.

Lors de la dernière année, dans le cadre de mon travail, les femmes représentaient 90 % des cas d’arrêt de travail pour des raisons de maladie. La pandémie n’est pas la seule responsable; en fait, elle met en lumière la réalité des femmes innues et celle des autres Premières Nations, j’en suis sûre.

La plupart des femmes qui m’entourent sont des chefs de familles monoparentales. Elles portent la charge de la famille sur leurs épaules. Dans certains cas, les pères sont absents. Dans d’autres cas, la contribution parentale des pères, en temps ou en argent, est modulée selon les bénéfices qu’ils peuvent retirer de la relation ou selon la bonne conduite qu’ils estiment chez la mère. Certaines femmes vivent dans des relations avec des conjoints qui ont des problèmes de consommation et de violence; d’autres vivent avec leur enfant adulte et subissent de la violence financière. Ces contextes rendent le quotidien difficile, et tout cela est accentué par le fait de vivre dans un milieu de grande proximité.

La responsabilité du suivi, de la mise en œuvre ou de l’encadrement ne peut être laissée encore une fois aux femmes et aux filles autochtones. Leur réalité quotidienne est déjà parsemée de grands défis. Ce n’est pas à elles de porter cette responsabilité.

Je me demande donc ceci : qu’en est-il des 231 appels à la justice? Qu’en est-il du plan d’action national? Que fait le gouvernement fédéral? Que fait le gouvernement du Québec?

Le gouvernement se doit de prendre en charge la suite logique à donner aux appels à la justice. Lui seul a le pouvoir d’inciter, d’exiger ou de contraindre afin de s’assurer qu’une mise en œuvre et une reddition de comptes s’effectuent pour apporter les changements demandés et que ces appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ne meurent pas sur une tablette.

On ne peut pas avoir été entendues et être laissées pour compte encore une fois. Il doit y avoir des actions qui suivent ces appels à la justice. Tshinashkumitnau. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Jourdain. Madame Pictou Maloney, je vous invite maintenant à prononcer votre déclaration préliminaire.

Denise Pictou Maloney, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je m’adresse à vous en direct depuis le territoire non cédé des Mi’kma’ki et, plus précisément, depuis Kjipuktuk, sur la côte est de l’île de la Tortue. Je vous remercie de m’avoir invitée à vous faire part aujourd’hui de mon expérience et de mes vérités, en tant que membre de la famille d’une femme ou d’une fille autochtone disparue ou assassinée.

Je ne suis qu’une personne parmi des milliers de survivants et de membres de familles du Canada qui ont été touchés par la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, et je m’adresse à vous aujourd’hui parce que je suis l’une des deux filles survivantes d’Annie Mae Pictou Aquash.

J’avais 10 ans quand on m’a privée de ma mère. Elle était le centre de notre univers. La négligence et les mauvais traitements subis par ma mère et sa famille pendant près de trois décennies ont fait de son cas l’une des affaires de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées au Canada les plus anciennes et les plus connues.

La violence latérale, la jalousie, la trahison, la manipulation et les atteintes à la réputation sont autant de tactiques efficaces que les meurtriers de ma mère ont utilisées pour entraver ses efforts, pour la réduire au silence et pour justifier leur odieuse décision de l’exécuter. Ma mère a été exécutée pour avoir dit la vérité, pour avoir osé dénoncer la violence familiale et la corruption systémique qui avaient coûté la vie à d’autres personnes de son entourage. Pendant des décennies, son meurtre a été jugé trop controversé pour que de nombreuses organisations de défense et de promotion des droits le prennent en charge.

En 2010, après quatre procès et 23 comptes rendus de témoins oculaires, qui ont abouti à deux condamnations, un plaidoyer de culpabilité et un acquittement, il a été prouvé que des membres de l’American Indian Movement avaient enlevé, interrogé, battu, violé et exécuté Anna Mae Pictou Aquash. Notre famille a passé des dizaines d’années à souffrir en silence alors que nous assistions à plusieurs audiences et procès sans aucun soutien extérieur et que nous faisions face au véritable défi que représentait le fait que des organisations et des groupes de défense des droits, comme l’Assemblée des Premières Nations et Amnistie internationale, soutenaient de manière contradictoire les meurtriers de ma mère, à la veille du lancement de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Aujourd’hui encore, ces organisations soutiennent publiquement les meurtriers de ma mère.

Quarante-sept ans plus tard, notre famille est aux prises avec la réalité de devoir faire appel à notre propre système judiciaire pour qu’il maintienne la valeur de la vie de ma mère, pour qu’il la traite comme un être humain. Les efforts déployés pour interjeter appel des déclarations de culpabilité en se fondant sur l’équité procédurale ne tiennent pas compte de l’équité procédurale dont ma mère a été privée en perdant la vie.

L’enquête nationale a fourni à notre famille un espace sûr où je pouvais parler de ma mère non pas comme d’une victime mais comme d’un être humain, où je pouvais exprimer la perte intergénérationnelle que nous avons vécue. Je vois dans la salle ce que j’imagine être plusieurs grands-parents. J’ai perdu ma mère. Mes enfants ont perdu leur grand-mère, et j’ai perdu ma langue et ma culture.

[Difficultés techniques]

Le président : Pendant que nous tentons de résoudre ces problèmes techniques, j’invite Mme Schulz à faire sa déclaration préliminaire.

Jana Schulz, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Je tiens à souligner que je me joins à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé et traditionnel de la nation Ktunaxa, et je me sens honorée de comparaître devant vous tous.

J’étais la seule membre métisse du Cercle national des familles et des survivants. J’ai malheureusement dû démissionner de mon poste après la publication de notre contribution au Plan d’action national 2021 en raison d’obligations familiales et d’un conflit lié à mon horaire de travail. Je suis également une travailleuse sociale autorisée et un membre de la famille d’une femme autochtone disparue ou assassinée.

Le processus d’enquête m’a permis, ainsi qu’à un être cher, de me sentir écoutée et de bénéficier d’une cérémonie et de services de soutien adaptés à notre culture. Nous avons quitté l’enquête en nous sentant plus légers, et nous avons pensé que c’était le début de notre voyage de guérison. Puis, près d’un an plus tard, nous avons reçu un courriel qui nous informait que, conformément à l’article S du mandat de l’enquête nationale, une lettre de renvoi avait été envoyée au commissaire de la GRC et que, à compter du même jour, les bureaux de l’enquête nationale étaient fermés de façon permanente et que les membres de leur personnel ne seraient plus disponibles. On nous a fourni des numéros de téléphone à composer pour obtenir des services de soutien en santé, mais aucun renseignement sur les prochaines étapes. Mon être cher et moi-même avons dû faire face au processus de renvoi par nous-mêmes. Nous avons décidé de chercher des règlements à l’amiable qui, nous l’espérions, nous permettraient de changer les choses. Je ne peux même pas compter le nombre de fois où j’ai voulu abandonner le processus de renvoi, dont la surveillance n’aurait jamais dû être confiée à moi seule, le membre de la famille.

Finalement, la seule agente de liaison métisse de la Colombie-Britannique s’est joint au processus. Avec son aide et sa capacité à assurer la liaison avec le sergent d’état-major de notre détachement local de la GRC, nous avons convenu que je ferais un exposé pour communiquer des informations qui, à mon avis, contribueraient à sensibiliser et à éduquer le détachement local de la GRC au sujet des problèmes que les femmes autochtones, et plus particulièrement les femmes métisses, rencontrent au sein de notre communauté, dans l’espoir que cela ouvre la voie à des changements. Le 21 avril 2022, près de trois ans après avoir reçu le courriel contenant les informations relatives au renvoi, j’ai fourni une copie numérique de mon exposé qui sera utilisée dans le cadre de la formation obligatoire que devront suivre tous les membres, nouveaux et actuels, de notre détachement local de la GRC.

Je suis heureuse d’avoir fait les études que j’ai faites, car cela m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires pour faire face à la complexité de l’ensemble du processus. Cependant, j’ai subi des blessures spirituelles, émotionnelles et psychologiques dans le cadre de ma recherche de services de soutien et de conseils pour mener à bien le processus de renvoi. L’expérience que j’ai vécue au cours du processus de renvoi a mis en lumière l’iniquité que les Métis affrontent lorsqu’ils veulent recevoir des services de soutien adaptés à leur culture.

L’appel à la justice 1.7, qui traite de la création un poste d’ombudsman national des droits des Autochtones et des droits de la personne et de la mise sur pied d’un tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne, a besoin d’être mis en œuvre de toute urgence. Il y a presque un an que le plan d’action national a été publié, et il est temps que nous commencions à observer la prise de mesures liées aux 231 appels à la justice.

Dans le cadre de ma recherche de services de soutien sûrs et adaptés à ma culture, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de services destinés aux Métis de la Colombie-Britannique — ou du moins pas dans ma région. J’ai le sentiment que s’il y avait eu des services d’aide aux victimes expressément destinés aux Autochtones, des services qui tenaient compte des besoins uniques des Métis, je ne me serais pas sentie aussi seule.

L’une des parties les plus préjudiciables du processus de renvoi a consisté à communiquer avec une organisation nationale de femmes, dont je pensais qu’elle me soutiendrait. Une histoire courrait selon laquelle les Métis n’étaient pas inclus dans le processus d’enquête, et ces femmes m’ont rappelé leur position à cet égard à maintes reprises. Chaque fois qu’elles l’ont fait, j’ai eu l’impression que l’on tentait d’étouffer davantage l’expérience que j’ai vécue, et que ma voix et celle de mes proches ne comptaient pas, ce qui souligne la nécessité de mettre en place des mécanismes de reddition de comptes qui permettent également de surveiller la façon dont les services de soutien sont offerts et de garantir que les familles et les survivants ont accès à des services de soutien sûrs et adaptés à leur culture, peu importe où ils vivent.

Malgré toutes les difficultés que j’ai rencontrées, je suis extrêmement heureuse d’avoir pu fournir un exposé dont mon être cher et moi-même sommes fiers. C’est un outil qui sera utilisé pour sensibiliser les membres de notre détachement local de la GRC. L’outil est axé sur les solutions et fait ressortir certains des appels à la justice qui peuvent orienter des changements modestes mais percutants. De plus, il fait la lumière sur des sujets dont, selon moi, une grande partie de la société préférerait nier l’existence. À partir d’aujourd’hui, je peux commencer à soigner les blessures que j’ai subies entre le moment où nous avons été informés de la lettre de renvoi et la fin du processus de renvoi qui a eu lieu la semaine dernière.

Je vous remercie encore de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

Le président : Merci, madame Schulz.

Madame Pictou Maloney, veuillez poursuivre votre exposé.

Mme Pictou Maloney : Merci beaucoup. Je tiens à m’excuser des retards occasionnés par les problèmes techniques. J’aurais peut-être dû faire ma déclaration en langue mi’kmaq.

Pour poursuivre, je signale qu’à l’heure actuelle, les femmes de notre communauté ne sont plus en mesure de faire ce qui est juste; nous sommes plutôt aux prises avec la nécessité de ne pas mordre la main qui nous nourrit, et nous devons choisir entre ce qui est sécuritaire et ce qui est le moins risqué.

Aujourd’hui, je tenais à vous parler de l’importance de veiller à être aussi inclusif que possible, sans exclure les personnes les plus touchées par la crise des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, lorsque nous tentons de créer des options pour les familles.

En tant que membres de nations souveraines, nous ne devrions pas être obligés de demander la permission d’être traités comme des êtres humains sur nos propres terres. La doctrine de la découverte est ce qui nous a amenés à ce moment de notre histoire où il est tout à fait acceptable que les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones fassent partie des dommages collatéraux au sein d’un système patriarcal qui nous a privés de nos droits matrilinéaires inhérents, en tant que protectrices et gardiennes de la terre, de l’eau et des sept prochaines générations. De nombreuses personnes responsables de l’élaboration de nombreux documents, enquêtes et processus s’efforcent de les rendre inclusifs et panautochtones, voilà pourquoi ces documents, enquêtes et processus ne reconnaissent pas l’équité inhérente aux femmes et aux filles.

Si nous ne faisons pas comprendre à nos dirigeants à tous les niveaux de gouvernance à quel point il est essentiel de passer à l’étape de la mise en œuvre des 231 appels à la justice, tout en établissant des échéances claires, un mécanisme de reddition de comptes et un poste d’ombudsman, nous continuerons d’être coincés dans une situation liée au principe de Jordan où tous les ordres de gouvernement perdent un temps précieux à discuter pour savoir à qui incombe la responsabilité de mettre en œuvre les 231 appels à la justice, pendant que les groupes et organisations de défense des droits continuent de faire face à un système de loterie perpétuelle qui entraîne un financement inadéquat et le maintien du statu quo, et que nos femmes et nos filles continuent de mourir.

Ceux qui reçoivent des milliards de dollars pour assurer le bien-être des personnes touchées par les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées n’accueillent pas toujours favorablement le fait qu’on leur demande de rendre des comptes. Pourtant, trois ans plus tard, nous nous retrouvons avec un nombre croissant de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées, de l’eau sale, de l’insécurité alimentaire et une crise du logement. Au Canada, les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées représentent une industrie de 1 milliard de dollars.

Les concepts importants sur lesquels il faut se concentrer sont les suivants : il faut nous assurer que les familles sont incluses de manière sécuritaire et équitable dans le processus; il faut nous assurer que nous disposons d’un mécanisme de reddition de comptes tel qu’un ombudsman qui se concentre sur les défis inhérents à nos structures actuelles; il faut déterminer les nouvelles causes et les problèmes fondamentaux — sinon nous traiterons toujours les symptômes et non la maladie; il faut comprendre combien il est important de centrer les familles et les survivants ayant une expérience vécue afin qu’ils ne soient pas seulement assis à la table, mais qu’ils aient aussi voix au chapitre à ces tables, et c’est là un changement de valeurs qui doit se produire; il faut nous assurer que nous abordons des sujets comme l’accessibilité, que nous n’avons même pas pu essayer d’aborder lors de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Les femmes doivent vivre une vie digne qui reconnaît qu’elles sont des êtres humains. Nous vivons constamment dans un climat d’autorité coloniale qui maintient nos femmes et nos filles piégées dans un cercle vicieux de victimisation et qui ne tient pas compte des capacités d’autodétermination des survivants et du fait que nous connaissons la meilleure façon de nous soigner d’une manière culturellement sécuritaire et digne.

Je veux conclure ma déclaration avec une citation :

Une nation n’est pas conquise tant que battent les cœurs de ses femmes. Ensuite, son destin est scellé, peu importe la bravoure de ses guerriers ou la puissance de ses armes.

Je vous remercie d’avoir pris le temps de m’écouter aujourd’hui.

Le président : Merci, madame Pictou Maloney.

Nous allons maintenant amorcer les séries de questions. Je vais inviter le vice-président, c’est-à-dire le sénateur Christmas, à entamer le processus.

Le sénateur Christmas : Je remercie les trois témoins d’avoir accepté de comparaître devant notre comité. Nous vous sommes certainement reconnaissants des efforts que vous déployez pour témoigner devant nous.

Quelques-uns des témoins ont mentionné l’appel à l’action 1.7, qui fait allusion à la nécessité de créer un poste d’ombudsman autochtone national. Les membres du groupe d’experts pourraient-ils expliquer pourquoi, selon eux, l’appel à l’action 1.7 est très important? Avant que vous ne répondiez à la question, je tiens à souligner que le plan d’action national n’a pas répondu à cet appel à la justice particulier. Pourquoi pensez-vous que l’appel à l’action 1.7 est aussi important?

Mme Schulz : Je vous remercie de votre question, sénateur Christmas. Je ferai de mon mieux pour y répondre.

D’après mon expérience, c’est en raison de la reddition de comptes, même dans la province de la Colombie-Britannique, et du manque de dialogue avec les familles. Le processus de mise en œuvre de tous les autres appels à la justice doit faire l’objet d’une reddition de comptes. L’ombudsman doit être indépendant du gouvernement, des organisations nationales ou de quiconque reçoit actuellement un financement de base du gouvernement pour réaliser le travail, car parfois ce sont ces services qui créent aussi des niveaux de torts.

Je pense que ce poste est important. À mon avis, ce serait un très bon point de départ pour veiller à ce que les appels à la justice soient également mis en œuvre, tout comme le fait d’avoir une personne ou un tribunal comme mécanisme pour permettre aux gens de déposer des plaintes si le démarrage des activités est retardé. Merci.

Le président : Madame Pictou Maloney, malheureusement la qualité sonore de votre connexion ne nous permet pas d’offrir des services d’interprétation. Nous allons donc vous demander de répondre à la question par écrit et faire parvenir votre réponse à la greffière. Je suis désolé de cet inconvénient.

[Français]

Me Jourdain : En ce qui concerne l’ombudsman, mon propos va dans le même sens que ceux de Mme Schulz. Il faut faire preuve de reddition de comptes en ce qui a trait aux gestes posés. Il doit y avoir un forum au sein duquel les gens pourront signaler leur insatisfaction par rapport au suivi de certaines actions, et ce besoin prend naissance à partir du moment où rien n’est fait; où doit-on aller, et vers qui peut-on se tourner dans ce cas? Il doit y avoir un endroit qui permet de faire part des demandes et des appels en justice qui n’ont pas été entendus. Il doit y avoir un endroit vers lequel les gens peuvent se tourner pour assurer un suivi de ces demandes.

C’est une démarche importante pour donner de la force à ces appels à la justice. Si personne n’est responsable de ces demandes, cela rendra la démarche vaine et reportera cette responsabilité sur les femmes, les filles et les familles autochtones. Il faut qu’elles soient soutenues dans le cadre de cette démarche, et cette option pourrait représenter un appui à la démarche.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Je remercie infiniment tous nos témoins.

C’est très agréable de voir qu’une amie de Mi’kma’ki s’est jointe à nous et de vous revoir. La dernière fois que je vous ai vue, nous étions sur le campus de l’Université St. Francis Xavier, en présence de Buffy Sainte-Marie. Vous l’avez mise au courant de certains problèmes liés à votre mère.

Je vous remercie des réponses que vous avez données au sujet de l’ombudsman, mais j’aimerais approfondir un peu la question. Vous avez tous mentionné la question de la reddition de comptes, qui est essentielle. Madame Jourdain, vous avez dit que les femmes autochtones ne devraient pas avoir à s’occuper constamment de cette question, et que le gouvernement devrait s’assurer que des mécanismes sont en place. J’aimerais en savoir davantage à propos de la reddition de comptes, qu’il s’agisse de l’ombudsman ou d’autres mécanismes que vous aimeriez voir en place.

L’autre point qui a été mentionné, ce sont les préoccupations relatives à l’ensemble des identités autochtones et à la nécessité d’obtenir des réponses appropriées pour les différentes femmes autochtones de l’ensemble du pays, quel que soit leur lieu de résidence, et c’est la façon de s’assurer que les solutions correspondent à la femme en question. J’aimerais en savoir un peu plus sur la question de l’adaptation des solutions. Je crois que c’est Mme Schulz qui a soulevé cette question en particulier. Merci.

Mme Schulz : En particulier, je considère personnellement qu’il y a une façon simple de découvrir les besoins de cette personne. Il suffit de lui demander : « De quoi avez-vous besoin pour vous aider dans cette situation? » Si nous ne parvenons pas à trouver ces services de soutien, il faut trouver les services de soutien qui aideront dans cette situation. Par exemple, pour me prévaloir de n’importe quel type de programmes offerts par l’Unité de liaison pour l’information à l’intention des familles (ULIF) de la Colombie-Britannique, je devais me rendre à Victoria en avion. Victoria est à environ 14 heures de route de chez moi. J’habite plus près de Calgary ou des États-Unis. Le fait de ne pas avoir accès à ces services de soutien est vraiment difficile. Tout cela se passait avant la pandémie de COVID. Nous n’avions pas accès à l’application Zoom et à des mécanismes de ce genre à ce moment-là. Je pense que la solution est en fait très simple. « De quoi avez-vous besoin? » Au lieu de nous imposer des services de soutien, il suffit de nous demander ce dont nous avons besoin, le type de soutien culturel nécessaire, et d’avancer à partir de là. Merci, sénatrice Coyle.

La sénatrice Coyle : J’aimerais poser une autre question à ce sujet. Je vous remercie beaucoup. Cela semble très évident, n’est-ce pas, mais ce n’est pas toujours le cas. Je pense que cela renvoie probablement aussi, d’une certaine façon, à ce que Mme Pictou Maloney disait au sujet de l’inclusion des personnes les plus touchées, il faut nous laisser guider par ce qu’elles ont à dire.

Je voudrais juste revenir, cependant, sur la responsabilité et la création d’un poste d’ombudsman. Nous vous avons entendue en souligner la nécessité. Je serais curieuse de savoir s’il y a d’autres éléments ou d’autres mesures de responsabilisation qu’il faudrait mettre en place, selon vous, en plus de désigner un ombudsman. Il y a beaucoup à faire à cet égard, et comme vous l’avez tous dit, ce n’est pas fait, donc quels autres types de recours devrions-nous mettre en place?

Mme Schulz : Il est difficile de répondre à cette question en si peu de temps, mais je pense que même au niveau régional, il nous faudrait des mécanismes de responsabilisation, donc il ne faut pas seulement un ombudsman ou un tribunal national. Je parle de mon expérience et de ma réalité géographique — je suis à l’heure des Rocheuses, pas à l’heure du Pacifique, mais toute la Colombie-Britannique est à l’heure du Pacifique. Il doit donc y avoir différents bureaux régionaux pour les gens de toute la province, qu’ils se trouvent dans le nord de la Colombie-Britannique, dans le centre ou sur la côte — et je ne peux parler que de la Colombie-Britannique. L’aspect régional est très important, ne serait-ce que parce que cela peut aussi améliorer la reddition de comptes du gouvernement provincial ou pour tout autre service fourni par le gouvernement provincial.

Le président : Avant de donner la parole à notre prochain témoin, j’aimerais mentionner à Mme Pictou Maloney que si elle veut essayer de donner une réponse à n’importe quel moment de la discussion Zoom, la greffière la lira à voix haute. Nous pouvons essayer de trouver un moyen de faire en sorte que cela fonctionne.

Mme Pictou Maloney : Merci.

Le sénateur Brazeau : Merci à vous toutes d’être avec nous cet après-midi et merci de vos exposés.

Ma question porte sur les appels à l’action. Comme vous le savez tous, il y a eu une infinité de rapports sur les peuples autochtones dans l’histoire et une multitude de recommandations, dont celles de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il y a beaucoup de recommandations qui ont été faites. Pendant de nombreuses années, elles ont pris la poussière, et c’est souvent parce qu’il y a eu un changement de gouvernement. Qu’est-ce qui, selon vous, serait essentiel pour que, dans 10, 15 ou 20 ans, nous ne disions pas que les appels à l’action contenus dans ce rapport ont pris la poussière, mais plutôt, espérons-le, qu’ils ont été suivis? Selon vous, que faut-il vraiment pour aller de l’avant? Merci.

[Français]

Me Jourdain : Il n’y a pas une seule bonne réponse à cette question, car ces enjeux sont importants. Il faudra que le gouvernement prenne position et qu’il le fasse par l’adoption d’une loi. Cependant, je ne sais pas l’ampleur que cette loi pourrait avoir.

Il faudra que le gouvernement fédéral donne le ton à cet égard et adopte une loi qui exigerait une reddition de comptes aux différentes organisations, afin qu’elles rendent des comptes au gouvernement fédéral. Dans cette reddition de comptes, les organisations pourraient dire ce qu’elles ont fait pour mettre en œuvre les appels à l’action qui les concernent dans leur secteur d’activité, par exemple. Cela pourrait être une façon de faire les choses.

Pour faire un parallèle, si on regarde les récentes modifications qui ont été apportées au Code canadien du travail pour ce qui est de la violence et du harcèlement au travail, chaque année, on doit produire une déclaration des situations qui ont eu lieu dans les organismes en ce qui a trait aux différents éléments. Si cela touche la discrimination, il faut le déclarer, ce qui n’était pas le cas auparavant. Il pourrait y avoir quelque chose de semblable qui serait exigé aux différents rapports présentés au gouvernement; on pourrait énoncer quels éléments ont été mis en action et dire quelles actions seront prises à l’avenir. Ces actions ont-elles été revues? Il faut que tout soit déclaré, chiffré ou vu.

Pour l’instant, cela ne semble pas exister, et cette initiative est laissée à la bonne volonté des différents intervenants visés. Il faut qu’il y ait une visibilité des actions qui sont prises pour qu’il y ait un mouvement et que cela ne tombe pas dans l’oubli, comme ce fut le cas pour l’ensemble des rapports qui ont été déposés jusqu’à maintenant.

[Traduction]

Le président : Notre greffière a une réponse de Mme Pictou Maloney à cette question.

[Lu par Andrea Mugny, greffière du comité]

Mme Pictou Maloney : Il n’y a jamais eu d’ombudsman, à ma connaissance, et la mise en place d’un mécanisme de rapport et de rétroaction de la part des familles et des survivantes sera la meilleure garantie que les appels à la justice seront mis en œuvre. Si, quand je vais au Walmart, on me demande comment s’est passé mon magasinage, je pense que le Canada peut mettre en place un mécanisme de rapport en ce qui concerne les vies humaines.

[Français]

La sénatrice Audette :  

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Merci beaucoup, maître Jourdain, belle Nancy, merci beaucoup, Denise Pictou, grande mentore et amie, et merci infiniment, madame Jana Schulz, pour votre vérité et votre courage. Vos vérités vont refléter celles des milliers de femmes qui n’ont pas été capables, pour toutes sortes de raisons, de la partager pendant trop longtemps.

Brièvement, je comprends que la reddition de comptes et la transparence sont importantes. Ce que je crois aussi, c’est qu’il faut s’assurer qu’elles respectent les régions à travers le Canada, la diversité de nos peuples, les Inuits, les Métis et les Premières Nations. Je vais considérer tout cela sérieusement lors de mes prochaines lunes au Sénat.

J’ai aimé entendre qu’il faut que tout cela soit aussi encadré par une loi. Vous avez la chance de côtoyer des sénateurs et des sénatrices, et je crois que nous serons en mesure de proposer des lois éventuellement ou alors d’y contribuer.

En connaissant les urgences du quotidien, que peut faire le Sénat — outre proposer des études — pour sensibiliser l’autre Chambre et le Canada sur l’importance d’appuyer ceux et celles qui souffrent encore aujourd’hui?

J’aimerais vous entendre à ce sujet.

[Traduction]

Mme Schulz : Je voudrais remercier la sénatrice Audette pour cette question. J’aurais besoin de temps pour y réfléchir un peu. Je m’excuse. J’aimerais donner à cette question la réponse qu’elle mérite, donc malheureusement je ne pense pas qu’il soit sage d’y répondre tout de suite.

La sénatrice Audette : Avez-vous compris quand je vous ai dit merci pour votre courage?

Mme Schulz : Oui. Je vous remercie beaucoup de vos paroles. Elles m’ont touchée droit au cœur. Merci.

La sénatrice Audette : Merci.

[Lu par Mme Mugny]

Mme Pictou Maloney : Actuellement, le Canada investit des milliards de dollars dans les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et il doit y avoir un moyen de traduire ces investissements en mesures pour mettre en œuvre les 231 appels à la justice.

Le président : Merci.

La sénatrice Audette : Je ferai de mon mieux pour m’exprimer en anglais. J’ai vu le plan d’action l’année dernière, il comprenait huit objectifs, dont le cinquième était d’établir un mécanisme national, d’accroître la transparence, de créer un poste d’ombudsman, d’établir des comités et ainsi de suite. Pensez-vous que c’est toujours au programme du gouvernement fédéral aujourd’hui? Sinon, pourquoi?

Mme Schulz : Je vous répondrai pendant que Mme Pictou Maloney tape sa réponse. J’ai espoir que c’est toujours dans les plans. J’ai l’impression qu’il y a eu beaucoup de discussions sur les différents types de mécanismes possibles par rapport à ce qui est indiqué dans l’appel à la justice 1.7, ce qui crée de la confusion et empêche d’en créer un aussi vite que nous en aurions besoin. Merci, sénatrice Audette.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de vous entretenir avec nous aujourd’hui. Je sais qu’il doit être très difficile de raconter encore et encore la même chose, et je vous remercie vraiment de votre courage pour nous aider à comprendre ce que vous avez vécu et ce que vous continuez de vivre.

J’aimerais connaître vos réflexions sur les enfants, que certaines d’entre vous ont mentionnés, qui sont actuellement témoins de violence dans leur foyer et dans leur communauté, mais aussi sur ceux qui ont vécu la violence indirectement parce qu’ils ont perdu une personne qui leur était chère. Disposez-vous de ressources pour les aider dans vos communautés, ou quel type de ressource devrait-il y avoir? Que faut-il faire? Est-ce que c’est pris en compte dans les mesures mises en place et est-ce une chose à laquelle nous devrions nous attaquer?

[Français]

Me Jourdain : Je vais y aller. Je vois que Mme Pictou Maloney est en train d’écrire sa réponse. Je pense qu’il y a différentes ressources qui existent dans les différentes communautés. Je crois que ce qui est mis en place n’est pas toujours à la même hauteur partout au pays. Certaines communautés ont plus de développement, obtiennent plus de financement et peuvent ainsi instaurer davantage de mesures d’accompagnement, de soutien, de promotion de la non-violence et de soutien psychosocial, mais c’est très variable d’une communauté à l’autre. Je suis à Uashat mak Mani-utenam, dans l’Est-du-Québec. Il y a cinq ans, on n’avait pas les services qu’on offre maintenant. Le financement en matière psychosociale et en santé communautaire est super important pour maintenir les services à la population et pour soutenir les habitants dans ces démarches. Ce financement est souvent le nerf de la guerre, mais c’est ce qui permet aussi aux communautés d’offrir du soutien aux personnes de la communauté. Notre communauté est enclavée dans la ville de Sept-Îles. Je siège à des conseils d’administration de certains organismes dans la ville de Sept-Îles, et parfois je n’en reviens pas qu’il y ait un si grand écart. Pourtant je suis à quelques kilomètres d’eux et ma réalité est totalement différente de celle de mes voisins.

Le fait de devoir sortir de la communauté pour aller chercher des services est déjà un enjeu en soi. Il faut s’assurer que les services existent au sein de la communauté, car la réalité est déjà difficile même si on est des voisins de quelques centaines de mètres. Les réalités sont vraiment différentes. Il y a le financement, mais aussi toute l’approche et la sensibilisation de l’ensemble des Canadiens à la situation; tout cela fait tout autant partie des démarches qui sont importantes, à mon avis.

Quand je parle de la situation que l’on vit, les gens ne comprennent pas que ça se passe de cette façon, juste chez le voisin d’à côté. Il y a une méconnaissance de la réalité des Premières Nations, même si l’on se côtoie et que l’on vit côte à côte.

[Traduction]

[Lu par Mme Mugny]

Mme Pictou Maloney : Les mesures ciblées par les personnes touchées elles-mêmes sont les plus importantes. Il faut respecter leur dignité et leur offrir des mesures culturellement sûres, en respectant l’autonomie des matriarches et des nations souveraines qui savent de quoi elles ont besoin pour guérir et se sentir en sécurité. Il faut aussi comprendre que certaines communautés ne sont pas sécuritaires, surtout lorsque les problèmes familiaux éloignent les femmes et les enfants de tout soutien sûr. Il faut nous attaquer à la violence dans les communautés avant de créer des programmes, faute de quoi ils ne seront pas équitables.

La sénatrice Clement : Je m’appelle Bernadette Clement. Je suis de la ville de Cornwall, qui se trouve sur le territoire traditionnel du peuple mohawk d’Akwesasne.

Je vous remercie encore une fois de votre témoignage d’aujourd’hui. Nous reconnaissons la difficulté émotionnelle de ce processus pour vous.

J’aimerais revenir à la question de la sénatrice Hartling. Que devraient faire les divers ordres de gouvernement — tous les ordres de gouvernement — de toute urgence, en ce moment, pour appuyer efficacement le travail de la commission d’enquête? Je sais que vous avez parlé de l’ombudsman, mais que devrions-nous faire d’autre de toute urgence? C’est une question à laquelle toutes celles qui le souhaitent peuvent répondre. Nous ne voulons pas de rapports qui prennent la poussière, et nous ne voulons pas manquer de respect au travail qui a été fait jusqu’ici, alors que devrions-nous faire maintenant?

Mme Schulz : Merci, sénatrice. Je vous donnerai une piste très rapide. Je pense que vous devez parler avec les personnes qui sont sur le terrain, qui travaillent dans les communautés — sans vouloir réinventer la roue après l’enquête nationale, parce que la commission a fait un travail merveilleux dans son rapport, mais nous sommes en pleine pandémie. Nous avons connu bien des changements depuis. Écoutez vraiment les personnes qui font le travail sur le terrain et qui vivent l’expérience avant d’écouter tout autre gouvernement ou organisation. Ce sont ces personnes qui voient ce qui se passe. Je dirais que ce peut être fait immédiatement, c’est certain.

[Lu par Mme Mugny]

Mme Pictou Maloney : Il faut faire participer les familles pour que les mesures prises répondent véritablement aux besoins et respectent l’expérience vécue, l’expertise et l’esprit de solidarité des femmes et des filles autochtones.

Le sénateur Christmas : Je poserai une brève question à Mme Jourdain. Vous avez mentionné dans vos observations précédentes que la police du Québec refuse de servir les Innus, je présume, dans la langue de leur choix. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il en est ainsi?

[Français]

Me Jourdain : Je veux préciser que ma sœur mohawk Melanie Morisson m’a dit que, dans la région de Montréal, les familles n’étaient pas servies dans leur langue maternelle, mais dans la langue anglaise. L’environnement est plus francophone et les corps de police francophones refusent même de parler en anglais aux familles pour assurer le suivi avec elles. C’était pour parler d’un exemple lié au fait de ne pas être servi dans une des deux langues officielles que j’ai rapporté ces propos.

[Traduction]

Le président : Merci, madame Jourdain.

Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant terminé. Je tiens à remercier Mme Jourdain, Mme Pictou Maloney et Mme Schulz de s’être jointes à nous aujourd’hui. Vos témoignages étaient puissants et émouvants. Je tiens également à souligner la force, le courage et la résilience extraordinaires dont vous faites preuve.

Je tiens encore à m’excuser auprès de Mme Pictou Maloney pour les problèmes de son. Je veux qu’elle sache que je m’engage personnellement à l’inviter de nouveau à l’automne lorsque nous travaillerons à une étude à plus long terme.

Je vous présente maintenant notre prochain groupe de témoins : Cassidy Caron, présidente du Ralliement national des Métis; Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK; et Brenda Vanguard, représentante du Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations, ainsi que Julie McGregor, directrice du Secteur de la justice.

J’aimerais prendre une minute pour vous parler du déroulement de la prochaine heure. Mme Caron, M. Obed et Mme Vanguard feront des déclarations préliminaires d’un maximum de cinq minutes chacun. Une fois les déclarations terminées, nous tiendrons une séance de questions et de réponses d’environ trois minutes par sénateur. Je tiens à rappeler à tous que la réunion se terminera à 16 heures. Comme notre temps est limité, je vous demande d’essayer d’être bref et d’aller droit au but, dans la mesure du possible. Pour nous guider, j’informerai les témoins lorsqu’il leur restera une minute de temps de parole. De même, j’indiquerai aux sénateurs et aux témoins quand il leur restera une minute pour les questions et les réponses. Je vous remercie de votre compréhension.

Les sénateurs présents dans la salle qui ont une question à poser doivent lever la main. Ceux qui sont sur Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». La greffière ou moi-même vous donnerons la parole ensuite.

Sans plus tarder, j’invite Mme Caron à nous présenter son exposé.

Cassidy Caron, présidente, Ralliement national des Métis : Merci à tous de m’avoir invitée à être parmi vous aujourd’hui. Je vous appelle de loin, de l’extérieur des territoires de la Nation métisse, ce matin. Je suis à New York, sur les territoires traditionnels des peuples Lenape.

Je tiens tout d’abord à souligner l’incroyable travail accompli dans ce dossier par mes collègues de Les Femmes Michif Otipemisiwak, ou LFMO, qui pilotent le dossier des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones disparues et assassinées au nom de la nation métisse.

Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées contient 231 appels à la justice, dont 29 appels à la justice propres aux Métis. Cependant, comme il est évident qu’on pourrait en faire davantage pour comprendre, mettre en évidence les besoins propres aux familles métisses et y répondre, LFMO a organisé une série de séances de mobilisation de la communauté et des dirigeants afin d’établir des priorités et de déterminer les besoins et les meilleures pratiques propres aux Métis, dans le but de mettre en place des programmes et des services pour les Métis, de susciter des changements systémiques et de s'assurer que les mesures ciblées sont prises pour résoudre les problèmes découlant de la tragédie des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

En réponse au rapport final de l’enquête nationale et pour y donner suite, LFMO a publié son propre rapport, qui comprend 62 appels au changement, ou Miskotahâ, qui ont été élaborés afin que des actions tangibles soient prises pour susciter des changements de fond à long terme pour les femmes et les filles métisses disparues ou assassinées.

À l’automne 2019, lorsque les travaux fédéraux ont commencé en vue de l’élaboration du Plan d’action national de 2021, LFMO a commencé à mobiliser les dirigeants et les membres des communautés de tout le pays sur cette question. Après ces séances de mobilisation, qui ont permis d’explorer les possibilités de mise en œuvre, LFMO a créé un groupe de travail de la Nation métisse pour faire avancer nos travaux, afin d’élaborer un plan d’action propre aux Métis.

Pendant plus de 18 mois, le groupe de travail de la Nation métisse s’est réuni chaque semaine, s’engageant dans des processus collaboratifs, coopératifs et dynamiques pour créer le document intitulé Weaving Miskotahâ.

Weaving Miskotahâ se veut le cadre de mise en œuvre de la Nation métisse pour les appels à la justice figurant dans le rapport final de l’enquête nationale et les 62 appels Miskotahâ.

[Difficultés techniques]

Le président : Je suis désolé de vous interrompre, madame Caron. Nous avons des problèmes d’interprétation.

Pour l’instant, nous entendrons le prochain témoin, le président Natan Obed, en espérant avoir la chance de revenir à Mme Caron si nous arrivons à régler les problèmes techniques.

Monsieur Obed, allez-y, s’il vous plaît.

Natan Obed, président, Inuit Tapiriit Kanatami : Nakurmiik. Merci beaucoup de me recevoir cet après-midi.

Inuit Tapiriit Kanatami est l’organisation nationale qui représente les 65 000 Inuits qui vivent au Canada. La majorité des Inuits vivent dans l’Inuit Nunangat, notre patrie, qui englobe 51 communautés réparties sur près d’un tiers de la masse continentale du Canada et sur plus de 60 % du littoral canadien.

Je veux commencer par remercier tous ceux qui ont participé à l’enquête nationale, ainsi que tous ceux qui ont dirigé et aidé à administrer l’enquête et l’incroyable somme de travail qui a abouti au rapport final et aux appels à la justice — et cela ne s’est pas arrêté là. Malgré tout ce qu’on peut dire sur l’ampleur du travail accompli ou non, il y a encore des organisations qui se consacrent à la mise en œuvre de ces appels à la justice, et des membres des familles, autochtones ou non, qui continuent de faire pression pour qu’ils soient mis en œuvre.

Dans ce processus, nous, à l’ITK, travaillons très étroitement avec le Pauktuutit Inuit Women of Canada; le Conseil national des jeunes inuits; le Conseil circumpolaire inuit; nos régions visées par des revendications territoriales; la Société régionale inuvialuit; la Nunavut Tunngavik; la Société Makivik et le gouvernement du Nunatsiavut.

Le rapport a été publié en juin 2019. Le conseil d’administration de l’ITK a appuyé les appels à la justice dès sa réunion suivante, y compris les 46 appels à la justice propres aux Inuits, et a depuis essayé de réfléchir au travail que nous faisons en tant qu’institution sous l’angle de ces appels à la justice, en particulier de ceux qui sont propres aux Inuits. Nous voulons nous assurer de faire notre part dans la mise en œuvre du rapport final, dans nos domaines prioritaires et le travail que nous entreprenons, ainsi que dans l’intégration des connaissances durement acquises et des témoignages de tant de femmes, de filles et de personnes de sexe différent courageuses qui ont participé au processus d’enquête et, finalement, au rapport final. Plus de 2 380 membres des familles, survivantes de violence, experts et gardiens du savoir ont partagé leurs histoires avec les commissaires au cours de deux années d’audiences publiques menées partout au pays et de la collecte de preuves.

À l’ITK, nous avons fait de notre mieux pour écouter et intégrer ces vérités dans notre façon de défendre les causes qui nous sont chères, dans notre façon de comprendre comment prendre position et dans notre façon de travailler avec le gouvernement du Canada. La prévention de la violence à l’égard des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ inuites exige que les Inuits travaillent ensemble avec tous les ordres de gouvernement pour briser les cycles intergénérationnels de violence et relever les défis systémiques connus pour accroître la violence.

C’est avec la vision commune de voir les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ inuites vivre à l’abri de toute forme de violence que le Pauktuutit Inuit Women of Canada et l’ITK ont travaillé sans relâche pour élaborer le plan d’action national inuit pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, publié le 3 juin 2021.

Le Plan d’action national pour les Inuits demande au gouvernement, aux organisations inuites de revendications territoriales et aux autres organismes respectés d’aller de l’avant avec la mise en œuvre des 46 appels à la justice propres aux Inuits et des 231 appels à la justice plus généraux contenus dans le rapport final de l’enquête nationale. Nous avons regroupé ces actions en 14 thèmes différents, qui sont répartis entre les parties responsables de leur mise en œuvre, à savoir le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux et les Inuits, en fonction du sujet et des domaines de compétence concernés par chaque action.

Dans le cadre du plan d’action national pour les Inuits, le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, une structure que nous avons créée avec le gouvernement du Canada et qui est coprésidée par le premier ministre du Canada et moi-même, a fait des FFADA un enjeu prioritaire parmi les différentes questions sur lesquelles nous nous engageons à travailler ensemble. La plus récente réunion du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne s’est tenue la semaine dernière, et nous y avons renouvelé notre engagement à l’égard des FFADA. Nous prévoyons finaliser le plan de mise en œuvre de notre plan d’action pour les Inuits d’ici juin 2022.

Nous faisons actuellement de notre mieux pour mettre en œuvre les mesures qui nous concernent, mais les fonds fédéraux qui ont été annoncés pour les travaux entrepris ne sont distribués que lentement et doivent être débloqués. Dans le budget de 2021, je crois que 2,2 milliards de dollars sur cinq ans ont été annoncés, mais cela a été fait de manière diffuse dans un certain nombre de secteurs de projets différents. À l’heure actuelle, je crois que le seul résultat concret, à part l’organisation des réunions du groupe de travail, a été le versement d’environ 20 millions de dollars à Pauktuutit Inuit Women of Canada pour la construction de cinq refuges destinés aux femmes inuites, et le partenariat avec les régions visées par des revendications territoriales et avec la SCHL lui a permis de travailler à la construction de ces refuges.

Nous savons qu’il existe des solutions qui peuvent aider à briser le cycle de la violence. Nous savons que nous devons communiquer avec nos communautés, les hommes et les garçons, et les différents ordres de gouvernement pour changer simplement notre façon de percevoir l’action et d’agir. Le rapport final est très instructif à bien des égards, mais il nous met aussi au défi de repenser le monde dans lequel nous vivons et la façon dont nous envisageons les choses concernant la menace de la violence et la façon dont la violence s’infiltre dans notre société sous nos yeux, de bien des façons.

Je continue de croire qu’il y a beaucoup de travail que nous pouvons effectuer pour comprendre le rapport final et le travail qu’il renferme, parce qu’il constitue vraiment l’aboutissement des efforts de tant de personnes qui ont courageusement raconté leur histoire pour nous permettre de comprendre ce problème d’une manière que nous n’aurions jamais pu comprendre autrement. C’est à nous de rendre hommage à cette bravoure et aussi au lien que nous avons en tant que personnes capables d’agir pour apporter des changements, de comprendre comment changer les systèmes et de mettre en œuvre ces changements.

Je vous remercie de m’avoir accordé du temps. Je suis impatient de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Obed.

J’invite maintenant Mme Vanguard à faire sa déclaration préliminaire.

Brenda Vanguard, représentante du Conseil des femmes, Assemblée des Premières Nations : Bonjour, monsieur le président, bonjour, monsieur le vice-président, bonjour, mesdames et messieurs. Je viens du territoire visé par le Traité no 6 en Alberta, d’une Première Nation qu’on appelle la nation crie de Kehewin. Je suis également la représentante de l’Alberta au Conseil des femmes de l’APN. Je suis heureuse d’être ici pour donner notre point de vue au sujet du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

L’Assemblée des Premières Nations appuie le principe de la famille d’abord dans tout le travail qu’elle accomplit dans le dossier des FFADA2S+.

Nous croyons qu’il est important que la mise en œuvre des 231 appels à la justice du rapport final de l’enquête nationale et du plan d’action national, Mettre fin à la violence contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones reflète les voix des personnes qui, depuis de nombreuses années, défendent la santé et la sécurité de nos femmes et de nos filles.

En 2021, le Conseil des femmes de l’APN a mené un processus de mobilisation national dans les 10 régions de l’APN en vue de l’élaboration du plan d’action national des Premières Nations. Le Conseil des femmes de l’APN croit fermement qu’il faut écouter les survivants et les familles pour savoir ce qu’il faut faire pour mettre fin à la violence contre les femmes, les filles, les personnes aux deux esprits et les personnes de diverses identités de genre des Premières Nations. Le Conseil des femmes de l’APN a collaboré avec les régions pour organiser 85 séances virtuelles partout au Canada, auxquelles ont participé 1 144 personnes. Cette contribution des survivants des Premières Nations de la violence fondée sur le genre et des familles de personnes disparues ou assassinées a mené à l’élaboration du plan d’action des Premières Nations intitulé Donner vie aux Appels à la justice.

Le plan d’action des Premières Nations offre un cadre permettant de répondre immédiatement aux besoins qui ont été soulevés par les survivants et les familles au cours de nos séances de mobilisation. Ce cadre a une portée nationale et vise à ce que nous travaillions ensemble pour mettre fin à la violence contre les Premières Nations, les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre.

La mesure clé consiste à augmenter le soutien et les services complets pour pouvoir aider les familles et les survivants lorsqu’ils sont en situation de crise et sous forme de services de post-traitement fournis par les Premières Nations. Les services et le soutien doivent être offerts indépendamment des réalités liées aux compétences, car nous avons entendu parler de nombreuses situations où un être cher a été porté disparu et a subi des violences dans une autre région que la sienne.

Il faut également appuyer les activités de prévention afin qu’on puisse s’attaquer aux causes de la violence au sein des Premières Nations, tout en veillant à ce que la conception des programmes repose sur une stratégie que les Premières Nations savent efficace.

En ayant ces discussions, nous savons qu’il y a beaucoup de travail à faire pour que les personnes, les familles et les Premières Nations guérissent. Nous savons que les répercussions des politiques coloniales et du génocide vécu par les Premières Nations ont laissé un héritage de traumatismes intergénérationnels.

Le plan d’action des Premières Nations intègre le rapport régional afin qu’il reflète le travail qui est en cours dans chaque région. Le plan d’action des Premières Nations comprend également des mesures qui ont été soulevées lors des séances de mobilisation qui ont une portée nationale. Elles sont regroupées en quatre volets liés aux 231 appels à la justice : la justice, la sécurité humaine, la santé et le mieux-être, et la culture en tant que sécurité.

Le Conseil des femmes de l’APN continue de préconiser que les familles soient entendues dans le processus de mise en œuvre du plan d’action national. Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les 231 appels à la justice ont été publiés il y a près de trois ans. Le Conseil des femmes de l’APN soutient les nombreux survivants et membres des familles qui souhaitent que des mesures plus importantes soient prises pour mettre en œuvre le plan d’action national et les 231 appels à la justice.

La violence que subissent nos populations est inacceptable. Il est temps que les femmes et les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ des Premières Nations voient que des changements sont faits sur le terrain pour mettre fin à la violence envers les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones.

Les causes profondes de la violence familiale et conjugale sont complexes et touchent plusieurs générations. Pour qu’un véritable changement se produise, il faudra que tous les ordres de gouvernement et toutes les institutions, comme la police, le système de justice, les services de santé et les établissements d’enseignement, s’engagent à prendre des mesures concrètes, et qu’ils soient prêts à rendre des comptes aux peuples et aux communautés des Premières Nations qu’ils servent. Hiy hiy. Merci.

Je vais laisser Julie McGregor répondre aux questions, puisqu’elle travaille aux dossiers dont j’ai parlé. Merci.

Le président : Merci, madame Vanguard.

Je cède la parole à nouveau à Mme Caron pour qu’elle puisse terminer son exposé.

Mme Caron : Je vais reprendre là où je me suis arrêtée. Je parlais de notre rapport Weaving Miskotahâ, qui met en lumière le travail des Métis qui est déjà en cours en réponse aux appels à la justice de l’enquête nationale et aux appels au changement de la nation métisse et qui décrit les programmes et les progrès réalisés à ce jour. Tout ce travail a été accompli en réponse aux appels de nos aînés et des membres de notre communauté qui sont prêts à ce que des mesures soient prises et à ce que des progrès soient réalisés relativement aux appels à la justice qui ont été présentés dans le rapport final de l’enquête nationale.

Il est grand temps d’agir, et ce, maintenant. À cette fin, en partenariat avec Les Femmes Michif Otipemisiwak, le Ralliement national des Métis privilégie la prise de mesures concrètes concernant la tragédie des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées. Nous sommes prêts à agir, et c’est exactement ce que nous ferons.

Cependant, nous tenons compte du rôle important que tous les gouvernements peuvent jouer dans la mise en œuvre des appels à la justice et les progrès à réaliser sur le plan de l’équité. Comme bon nombre d’entre vous le savent peut-être, le mécanisme bilatéral permanent prévu par l’Accord Canada-Nation métisse constitue un moyen prometteur pour le Canada et la nation métisse de travailler en partenariat afin de répondre aux priorités communes.

Cette année, la justice, y compris la question des FFADA, sera l’une de ces priorités. Nous espérons que l’établissement de ces priorités créera un espace pour accélérer la mise en œuvre de Weaving Miskotahâ, qui contient bon nombre de priorités, d’objectifs et d’indicateurs de progrès mesurables propres à la justice et aux services de police qui peuvent servir de base à un programme d’action commun, à des cadres d’établissement de rapports et d’évaluation et à des mécanismes de responsabilisation transparents pour qu’il y ait des progrès.

Certes, des efforts, un investissement et un engagement soutenus en faveur d’un changement systémique seront nécessaires pour améliorer de manière substantielle la sécurité et le bien-être de tous les Métis et, en fin de compte, pour mettre fin une fois pour toutes à la tragédie des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées.

Nos communautés ont les réponses, et je suis extrêmement fière de me tenir aux côtés des Femmes Michif Otipemisiwak et de toutes les organisations autochtones, y compris l’APN et l’Inuit Tapiriit Kanatami, pour veiller à ce que les questions les plus importantes soient traitées de manière adéquate, maintenant et toujours. Je me réjouis de la poursuite de notre partenariat avec le Canada tout au long de notre parcours et de l’élaboration conjointe de plans concrets visant à mettre pleinement en œuvre Weaving Miskotahâ dans le cadre de notre mécanisme bilatéral permanent.

Merci.

Le président : Nous passons maintenant aux questions. C’est le sénateur Christmas qui commence.

Le sénateur Christmas : Je tiens à remercier les dirigeants de nos organisations autochtones nationales de s’être exprimés sur la question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

J’ai également été ravi de constater que chacun de nos peuples distincts a élaboré un plan d’action national en réponse à l’enquête nationale. Ma question s’adresse à chacun des dirigeants. Pouvez-vous décrire les progrès ou les mesures qui ont été prises rapidement à ce jour, en sachant que seulement trois ans se sont écoulés? Pourriez-vous informer le comité des mesures qui ont été prises dans le cadre des plans d’action des Métis, des Inuits et des Premières Nations?

Mme Caron : Merci. Nous n’avons pas vraiment eu la possibilité de suivre les progrès réalisés. Nous avons publié le rapport Weaving Miskotahâ à la fin de l’été dernier et nous n’avons pas pu avancer beaucoup à cet égard.

L’une des premières mesures que nous voulons prendre consiste à établir des processus et des protocoles adaptés à la culture sûrs et axés sur les forces pour la recherche et la collecte de données. Sans ces éléments et sans la capacité de recueillir, de tenir à jour et de surveiller nos données, nous ne saurons pas dans quelle mesure les choses progressent. Voilà quelques-uns des éléments auxquels nous travaillons actuellement et, encore une fois, nous irons de l’avant dans le cadre de notre processus de mécanisme bilatéral permanent, nous l’espérons, ce printemps, afin d’établir des moyens concrets de faire avancer les choses avec le gouvernement fédéral pour mettre en œuvre ces mesures.

Le sénateur Christmas : Merci, madame Caron. Voulez-vous répondre, monsieur Obed?

M. Obed : Nakurmiik. Je vous remercie de la question, sénateur.

Je vais commencer par la question de la gouvernance. À l’ITK, nous avons essayé d’intégrer les appels à la justice et les principes contenus dans le rapport final dans la manière dont nous élaborons nos plans stratégiques et dont nous procédons pour, par exemple, les questions du logement, de la prévention du suicide ou de l’éducation, en essayant d’intégrer les connaissances que nous avons maintenant et les appels à la justice que nous aimerions mettre en œuvre dans nos travaux actuels. C’est un processus qui est en cours, mais qui a déjà changé notre façon de prendre des décisions et qui met davantage l’accent sur les Inuits 2ELGBTQQIA+ et sur la façon dont nous faisons notre travail.

Je pense au travail que nous accomplissons dans le dossier de la violence sexuelle à l’endroit des enfants relativement à la mise en œuvre de notre stratégie nationale de prévention du suicide chez les Inuits, qui recoupe complètement le travail sur la violence sexuelle à l’endroit des enfants dans le cadre de l’enquête nationale.

Je pense également à l’enquête Qanuippitaa? : L'enquête nationale sur la santé des Inuit, dans le cadre de laquelle une première collecte de données est effectuée dans la région des Inuvialuits ce mois-ci et qui a commencé plus tôt cet hiver. Les données sommaires de cette enquête nous permettront de comprendre nos populations de manière beaucoup plus détaillée, notamment selon une perspective sexospécifique, afin d’élaborer de meilleures politiques et solutions pour relever les défis qui, nous le savons, existent de façon générale.

Nous savons également que le travail est en cours pour les refuges, et que les engagements fédéraux concernant les refuges ont permis aux régions visées par les revendications territoriales des Inuits de travailler avec Pauktuutit et la SCHL pour imaginer les meilleurs endroits où construire ces refuges, tant dans l’Inuit Nunangat que dans les centres urbains comme Ottawa.

Le travail est en cours, mais il y a encore beaucoup de choses en attente en raison de la nature globale et bureaucratique de la réponse du gouvernement fédéral et des volets de la réponse du gouvernement qui parfois se chevauchent et sont difficiles à comprendre, puis de ce qui est censé être la réponse des peuples autochtones, et enfin du manque de clarté concernant le financement.

Le sénateur Christmas : Merci, monsieur Obed. Puis-je demander aux représentantes de l’APN, soit Mme Vanguard ou Mme McGregor, de parler du plan d’action des Premières Nations et des progrès réalisés?

Julie McGregor, directrice, Secteur de la justice, Assemblée des Premières Nations : Merci, sénateur Christmas.

Nous devons répéter une grande partie des propos tenus par M. Obed et Mme Caron sur les progrès réalisés dans le cadre du plan d’action des Premières Nations intitulé Donner vie aux Appels à la justice. Tout au long de notre processus de mobilisation auprès des familles et des survivants des Premières Nations, nous avons constaté que peu de mesures sont mises en œuvre sur le terrain. Il y a de multiples raisons à cela, mais il s’agit d’un processus très bureaucratique, notamment sur le plan du financement. C’est très long avant que les Premières Nations en bénéficient, ce qui n’est pas nouveau, mais les choses vont également très lentement en ce qui concerne le financement réservé aux domaines prioritaires comme les services complets pour les familles et les survivants, la prévention, la guérison, tous les domaines clés que nous avons mis en évidence dans notre rapport. Il ne semble pas y avoir beaucoup de mouvement jusqu’à présent, et cela fait un an. En juin, il y aura un an que nous avons publié notre plan d’action des Premières Nations.

Il est certain qu’il y a du travail en cours à l’APN qui concerne les appels à la justice. Par exemple, l’APN a beaucoup travaillé aux dossiers du bien-être des enfants, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des langues. Tout cela concerne les appels à la justice, mais pour les besoins immédiats, les besoins prioritaires que nous avons définis dans le cadre de Donner vie aux Appels à la justice, nous ne voyons pas encore d’effets sur le terrain.

Le sénateur Christmas : Merci, madame McGregor.

Le sénateur Patterson : Je remercie tous les témoins de leurs exposés très informatifs.

J’aimerais poser deux questions à M. Obed, si vous le permettez. Tout d’abord, je vous remercie d’avoir parlé des travaux que vous avez menés pour créer le Plan d’action national pour les Inuits à la suite de l’enquête et de ce que vous faites pour le transformer en un plan d’action sur 14 thèmes d’ici juin. Le premier ministre et vous avez récemment annoncé l’approbation officielle de la politique sur l’Inuit Nunangat. Vous y travaillez depuis quelques années, à la table du partenariat entre les Inuits et la Couronne. Pouvez-vous expliquer comment cette nouvelle politique peut aider à faire en sorte que le plan d’action donne des résultats concrets et comment elle va s’intégrer au Plan d’action national inuit pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées, et, espérons-le, le compléter?

M. Obed : Merci pour la question, sénateur.

Je voudrais d’abord apporter brièvement une précision. Les Inuits ne tombent pas sous le coup de la Loi sur les Indiens. Nous avons une relation très particulière avec la Couronne, qui se distingue de celle que peuvent avoir les Premières Nations ou les Métis. Cette distinction semble parfois se perdre dans le contexte bureaucratique fédéral. Nous avons de bonnes relations de travail avec Relations Couronne-Autochtones, Services aux Autochtones et quelques autres ministères, mais il y en a au total plus de 30, et il existe une myriade d’interprétations quant au mode d’engagement des peuples autochtones pour la mise en œuvre des lois, des programmes et des politiques. Le processus suit son cours, des annonces budgétaires initiales jusqu’à la communication des modalités aux provinces et territoires ou aux instances non gouvernementales, en passant par les présentations au Conseil du Trésor et les réponses de ce dernier aux ministères qui autorisent ensuite le financement, mais il arrive souvent que les Inuits ne puissent pas avoir accès aux programmes, même si ceux-ci sont présentés comme étant des mesures destinées aux Autochtones et articulés dans cette optique.

La politique annoncée permet d’établir les conditions nécessaires pour que tous les ministères gouvernementaux comprennent la place qu’occupent les Inuits du point de vue de la Constitution, des revendications territoriales et aussi des droits de la personne. C’est ainsi que le gouvernement du Canada pourra prendre de meilleures décisions et assurer la mise en œuvre de nos droits de manière plus holistique, sans même que nous ayons à guider les ministères et les bureaucrates fédéraux à toutes les étapes. J’entrevois des avancées touchant notamment la justice dans les services de police et la mise en œuvre des appels à la justice au titre de ces éléments, puis la loi comme telle et aussi les politiques sur les services de police des Premières Nations, les services de police des Premières Nations et des Autochtones ou les services de police des Premières Nations et des Inuits, selon le nom qu’on veut bien leur donner, lequel peut varier en fonction de l’endroit où l’on se trouve et de l’heure de la journée. Nous souhaitons rationaliser tout cela et essayer de faire en sorte que le gouvernement fédéral prenne des décisions mieux éclairées quant à son travail à nos côtés et à la conception de ses interventions en faveur des Autochtones.

J’envisage une application de la politique sur l’Inuit Nunangat dans tous les domaines de mise en œuvre, et particulièrement au sein des ministères qui n’ont pas toujours travaillé auprès des Inuits. Je pense également aux différentes considérations associées à la gouvernance, à la langue et à la recherche. Il existe des responsabilités mal définies qui sont par ailleurs confiées à des organismes centraux du gouvernement fédéral, comme Savoir polaire Canada dans le domaine de la recherche, ou à des institutions comme les Instituts de recherche en santé du Canada ou le Conseil de recherches en sciences humaines. Il y a des possibilités d’application plus générale permettant un déploiement plus abouti des efforts consentis dans le dossier des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

Le sénateur Patterson : Vous avez dit, monsieur Obed, que c’est un défi de tous les instants auquel nous voulons tous nous attaquer. Vous en êtes maintenant à votre troisième mandat. Vous avez plusieurs fois comparu devant des comités comme le nôtre pour discuter de différents enjeux. Nous avons déjà pu travailler avec vous. J’aimerais avoir votre avis. Comment selon vous notre Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pourrait aider les Inuits à surmonter toutes ces difficultés associées à la concrétisation de leur plan? Avez-vous une idée de la façon dont nous pourrions vous aider?

M. Obed : Je pense que les mécanismes du système fédéral sont si particuliers et propres à l’institution qu’il nous arrive de nous demander ce que nous faisons ici exactement. Qu’il s’agisse du travail des comités sénatoriaux permanents ou de l’adoption d’un projet de loi par la Chambre puis par le Sénat, nous avons parfois en rétrospective l’impression que nos efforts pour exercer une influence quelconque n’avaient presque aucune chance de porter fruit. Nous gaspillons ainsi beaucoup de temps et d’énergie à nous intéresser à des éléments ou à des structures qui n’étaient pas vraiment essentiels au résultat que nous souhaitions obtenir, lequel était considéré comme l’objectif à atteindre grâce aux pressions exercées par les Autochtones.

Le Sénat pourrait jouer un rôle productif en utilisant le modèle de gouvernance du système fédéral pour contribuer à la mise en œuvre des mesures nécessaires et aussi nous aider à comprendre et nous inciter à agir suivant des perspectives qui n’auraient pas nécessairement été les nôtres autrement. Il est possible que les différents sénateurs puissent y parvenir individuellement de façon plus concrète que les comités sénatoriaux, mais je dirais que les efforts de vos comités et les recommandations et conclusions que vous présentez à l’issue de séances comme celle-ci contribuent de façon significative au travail que nous essayons tous d’accomplir.

Le sénateur Patterson : Faut-il donc comprendre que vous devriez pouvoir nous reparler d’ici votre échéance du mois de juin et par la suite pour nous guider quant aux moyens à mettre en œuvre pour faire bouger le mastodonte fédéral?

M. Obed : Je serais ravi de comparaître à nouveau devant le comité pour vous en dire davantage sur la façon de nous y prendre pour en arriver au résultat que nous souhaitons tous atteindre.

Le sénateur Patterson : Qujannamiik, merci.

La sénatrice Clement : Merci à tous pour les exposés que vous nous avez présentés.

Avant d’être sénatrice, j’étais avocate à l’aide juridique, et mes questions vont porter sur la pauvreté, et sur la souffrance et la vulnérabilité qui en découlent. J’ai en fait trois questions que je vais poser en rafale avant de laisser à tous l’occasion d’y répondre.

Comme vous le savez sans doute, la pauvreté touche actuellement une personne sur quatre parmi les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis, un taux à peu près deux fois et demie plus élevé que pour les autres Canadiens. C’est bien sûr le fruit d’une longue histoire bien documentée de colonialisme et de marginalisation socioculturelle et économique des peuples autochtones au Canada.

Il existe actuellement des programmes d’assistance sociale, comme le Programme d’aide au revenu dans les réserves, qui est offert uniquement aux résidents des réserves et aux Indiens inscrits du Yukon pour autant qu’ils puissent montrer qu’ils ne possèdent aucune autre source de revenus leur permettant de répondre à leurs besoins fondamentaux. C’est le cas de bon nombre d’Autochtones, mais en particulier des Inuits et des Métis.

Pouvez-vous nous parler des incidences de ces programmes d’assistance sociale, des problèmes d’accessibilité à ces mesures et des lacunes qui entravent les efforts ainsi déployés pour soulager la pauvreté dans vos communautés?

Ma deuxième question porte sur la comparution du gouvernement actuel devant le Comité des finances et les efforts qu’il déploie de concert avec l’Assemblée des Premières Nations et d’autres partenaires gouvernementaux autochtones pour élaborer une approche fondée sur les besoins permettant d’orienter les programmes de soutien du revenu actuellement offerts aux résidents des réserves. J’aimerais savoir si vous-mêmes, vos proches ou des membres de votre communauté avez été consultés par Services aux Autochtones Canada aux fins de l’élaboration de ce processus.

Ma troisième question touche plus précisément l’appel à l’action 4.5 concernant un revenu annuel garanti. J’aimerais savoir ce que vous en pensez et si vos organisations respectives travaillent à la mise en œuvre d’une telle mesure. Comment souhaiteriez-vous que cela puisse se concrétiser?

Le président : Je ne sais pas lequel de nos témoins voudrait répondre en premier?

M. Obed : Je vais commencer.

Le chapitre 4 de notre Plan d’action pour les Inuits porte sur la sécurité économique. Nous y exposons les différentes mesures prises à l’initiative des Inuits et des autorités fédérales, provinciales et territoriales non seulement pour lutter contre la pauvreté, mais aussi pour assurer la sécurité alimentaire.

En 2021, ITK a élaboré et adopté une stratégie de sécurité alimentaire pour l’Inuit Nunangat. Dans notre mémoire prébudgétaire de 2022, nous avons demandé des fonds pour la mise en œuvre de cette stratégie. Malheureusement, le budget fédéral ne prévoyait aucun financement pour notre stratégie de sécurité alimentaire, et ce, même si nous poursuivons nos efforts auprès de Relations Couronne-Autochtones Canada, de Services aux Autochtones Canada et d’Agriculture et Agroalimentaire Canada pour qu’ils ne perdent pas de vue que les taux d’insécurité alimentaire se rapprochent des 70 % et s’accompagnent de toutes sortes de problèmes d’ordre socioéconomique qui ne se limitent pas à la violence.

Nous appuyons sans réserve l’appel à la justice visant l’instauration d’un régime national de revenu de base. Nous nous efforçons à l’interne de déterminer comment un tel régime pourrait s’articuler au sein de l’Inuit Nunangat. Nous devons attendre le concours du gouvernement fédéral à cette fin, car notre modèle de gouvernance actuel ne nous confère pas la compétence nécessaire pour mettre en œuvre nous-mêmes une mesure semblable.

Nous devons en faire davantage pour faciliter la participation des femmes inuites à l’économie et nous espérons que le plan d’action fédéral pour les femmes dans l’économie renfermera des dispositions portant expressément sur les Inuites afin d’éviter de marginaliser les Autochtones en ne traitant de leur situation que dans les sections consacrées à Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones Canada. Il faut faire en sorte que les mesures fondées sur le genre prises par le gouvernement du Canada dans une perspective plus générale n’excluent pas les Autochtones, comme on a malheureusement dû le constater dans le même contexte par le passé, particulièrement à l’échelle internationale.

Il faut également en faire plus pour veiller à ce que les programmes d’assistance sociale offerts en partenariat avec les provinces et les territoires offrent un soutien plus efficace. Nous devons nous assurer que des mesures sont prises pour contrer le harcèlement sexuel en milieu de travail et pour abattre tous les obstacles se dressant devant la participation des femmes au marché du travail. Nous devons en outre mieux valoriser nos économies traditionnelles, et notamment celles fondées sur la récolte, afin qu’elles soient plus justement prises en compte dans la détermination du statut socioéconomique de nos communautés.

La sénatrice Clement : Merci, monsieur Obed. Est-ce que quelqu’un d’autre voudrait répondre?

Mme Caron : Je peux essayer de répondre à une partie de ces questions. Il y en avait quelques-unes.

Pour ce qui est de la marginalisation socioéconomique des Métis, nous avons beaucoup de chemin à faire. Pendant longtemps, les Métis se sont retrouvés au centre d’une situation que l’on a souvent qualifiée de vide juridique, en ce sens que nous ne savions pas si nous relevions de la compétence fédérale ou de celle des provinces. Le dilemme n’a en fait été réglé qu’en 2016 avec l’arrêt Daniels. Depuis 2016, nous avons progressé dans nos relations avec le gouvernement fédéral, ce qui nous a permis de mettre en œuvre une variété de services, de lois et de politiques. Nous avons ainsi pu faire avancer les choses au chapitre des besoins fondamentaux, comme le logement, l’éducation et le développement économique. Comme ce travail n’a débuté qu’il y a six ans, nous avons toutefois encore beaucoup de pain sur la planche.

J’en viens à votre question concernant le revenu minimum garanti. Lorsque nous nous sommes employés dans le cadre du Groupe de travail de la nation métisse à élaborer notre plan d’action national, nous avons passé en revue les 231 appels à la justice afin de déterminer lesquels nous pouvions faire avancer par nos propres moyens. Nous ne nous sommes donc pas intéressés à celui auquel vous faites référence, car nous nous concentrions, comme je viens de l’indiquer, sur ceux que nos communautés pouvaient directement concrétiser. Il s’agit de toute évidence d’un dossier auquel nous devons travailler avec le gouvernement fédéral, ce que nous allons faire dans le cadre de notre processus des mécanismes bilatéraux permanents.

Mme McGregor : Merci, sénatrice. Je peux vous dire quelques mots à ce sujet, mais sans vraiment entrer dans les détails. Je sais que vous aviez une question concernant l’approche adoptée et que vous vouliez savoir s’il y avait eu des contacts entre Services aux Autochtones Canada et l’Assemblée des Premières Nations, mais ce n’est pas tout à fait mon domaine ou un dossier sur lequel je travaille. Nous serons toutefois ravis de vous transmettre une réponse par écrit après la séance d’aujourd’hui.

Je peux d’ores et déjà vous dire que l’Assemblée des Premières Nations est favorable à la mise en œuvre des 231 appels à la justice, y compris celui préconisant l’établissement d’un régime national de revenu minimum garanti. Si l’on considère les choses en fonction des besoins à combler, il faut éviter de s’en tenir uniquement aux chiffres. Il y a tellement d’autres facteurs à considérer, comme le fait qu’on limite l’assistance sociale à ceux qui vivent dans les réserves. On néglige ainsi de tenir compte de problèmes gigantesques, comme le manque de logements, d’assise territoriale et même de possibilités de développement économique, qui obligent des Autochtones ou des membres des Premières Nations à quitter leur réserve et à devoir prendre toutes sortes de dispositions pour conserver un lien avec leur communauté.

Si vous voulez mettre en œuvre une approche viable tenant compte de l’historique de pauvreté qui est le lot des Premières Nations depuis des années en raison de la Loi sur les Indiens et des politiques discriminatoires qui ont été et continuent d’être appliquées dans les réserves, il vous faudra prendre en considération tous ces éléments et les analyser en fonction des besoins de chaque communauté.

[Français]

La sénatrice Audette : Je veux vous dire merci du fond du cœur pour votre travail de tous les jours et pour nous avoir parlé de vos plans d’action nationaux respectifs pour les peuples métis et inuits, ainsi que pour l’Assemblée des Premières Nations. Je vais examiner tout cela attentivement et essayer de comprendre avec vous comment aborder la suite des choses.

Si vous avez des réponses, j’aimerais les entendre plus tard, en particulier sur la manière de soutenir les femmes qui sont dans la rue, les femmes marginalisées et les enfants qui vivent dans la pauvreté, tous ces gens qui sont à la fin de la ligne. Il faut nous assurer que les 2 milliards de dollars et quelques qui sont proposés pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées sont investis de la bonne manière.

Si vous avez des exemples, ou si vous connaissez des façons de faire pour questionner le gouvernement fédéral, mais aussi les gouvernements provinciaux et territoriaux et les municipalités, je suis ouverte à tout. Je serai ici pour les 25 prochaines années. Si vous désirez poursuivre le dialogue avec moi, je serai là.

Félicitations, madame Cassidy, je suis fière de vous, et félicitations pour votre leadership.

[Traduction]

Madame McGregor, j’ai été ravie de vous revoir.

Mme Caron : Je vais commencer. Merci, sénatrice Audette. Je me réjouis moi aussi à la perspective de travailler avec vous au fil des 25 prochaines années. Une période de 25 ans peut sembler longue, mais c’est un délai tout à fait raisonnable, compte tenu de tout ce que nous avons à accomplir.

Nous devons nous mettre au travail sans tarder pour apporter les changements nécessaires. À nos yeux, il est essentiel que l’on travaille en partenariat avec les Métis, avec nous, au Ralliement national des Métis, et avec nos organismes membres qui sont en contact direct avec les citoyens dans nos communautés pour pouvoir bien comprendre les effets concrets des investissements dans le logement pour les Métis. C’est la seule façon pour nous de savoir si l’argent injecté permet véritablement d’améliorer le sort de nos gens.

Dans les sept mois qui se sont écoulés depuis mon entrée en fonction, j’ai trouvé notamment difficile de devoir composer avec l’absence de moyens pour la collecte et le suivi des données qui auraient permis de connaître exactement l’incidence des mesures prises pour les membres de nos communautés. Je suis résolument déterminée à rectifier le tir à ce chapitre. Encore là, peut-être que les 25 prochaines années nous permettront d’en arriver à un système dans le cadre duquel nous pourrons intervenir directement auprès de nos citoyens pour savoir si les investissements consentis contribuent vraiment à améliorer leur sort.

Plusieurs options s’offrent à nous pour y parvenir. On recense différents modèles de collecte de données, comme le Centre de gouvernance de l’information des Premières Nations, qui effectue un travail incroyable. Il n’existe rien de tel pour la nation métisse. Si nous ne pouvons pas compiler les données de base requises, nous ne pourrons jamais savoir si les choses progressent. C’est un outil tangible à notre disposition pour nous permettre de savoir de quoi il en retourne. Merci.

M. Obed : Je vais laisser Mme McGregor répondre d’abord.

Mme McGregor : Merci, président Obed.

J’abonde dans le sens de la présidente Caron. Nous avons besoin d’une capacité adéquate pour la collecte et l’analyse des données dans une perspective mettant en lumière la situation des Autochtones et des Premières Nations.

Comme vous le disait aujourd’hui Mme Vaughan au nom du Conseil des femmes de l’Assemblée des Premières Nations, ce travail doit s’accomplir d’abord et avant tout auprès des familles et des survivantes. Si celles-ci nous indiquent qu’elles constatent des changements et que les dossiers des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées sont traités d’une manière permettant de leur rendre véritablement des comptes, nous saurons que des progrès ont été réalisés.

Quant aux moyens à mettre en œuvre pour appuyer adéquatement les femmes marginalisées, les trois organisations ont déterminé les enjeux prioritaires aux fins du plan d’action national. C’est un exercice que nous avons tous mené avec le plus grand des sérieux en consultant nos communautés. Dans le cas de l’Assemblée des Premières Nations, nous l’avons fait à l’échelle nationale en écoutant directement les familles et les survivantes de 10 régions. Nous avons pris très au sérieux nos responsabilités, ce qui nous a notamment amenés à recommander au gouvernement de mettre en place un mécanisme indépendant de reddition de comptes pour les appels à la justice et la mise en œuvre du plan d’action national. En définitive, il faut rendre des comptes aux familles des survivantes et aux communautés qui reçoivent ces services.

Quant au mécanisme de responsabilisation nécessaire dans ce contexte, d’autres témoins vous en ont déjà parlé aujourd’hui. Ils ont évoqué la création d’un poste d’ombudsman et d’un tribunal des droits de la personne propres aux Autochtones. Nous sommes favorables à ces propositions. Comme nous l’indiquions dans notre rapport, il faut davantage de reddition de comptes à tous les niveaux. Meegwetch.

Le président : Je suis désolé de devoir vous interrompre, mais c’est tout le temps que nous avions pour aujourd’hui. Malheureusement, nous devons absolument nous arrêter à 16 heures. Alors, wela’lin, merci à la présidente Caron, au président Obed ainsi qu’à Mmes Vanguard et McGregor. Nous vous sommes vraiment reconnaissants d’avoir pris le temps d’être des nôtres aujourd’hui pour discuter de ce sujet des plus important et urgent.

(La séance est levée.)

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