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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 2 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 14 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens d’abord à reconnaître que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe, qui vit sur ces terres depuis des temps immémoriaux.

Je m’appelle Brian Francis, et je suis un sénateur d’Epekwitk, nom micmac de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai le plaisir de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

J’aimerais prendre quelques minutes pour présenter les membres du comité qui participent en personne à la réunion d’aujourd’hui : le sénateur Arnot, de la Saskatchewan; la sénatrice Clement, de l’Ontario; la sénatrice Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Duncan, du Yukon, la sénatrice Pate, de l’Ontario; et la sénatrice Lankin, de l’Ontario.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens en réponse à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), aussi appelée projet de loi S-3, dont le but est de corriger des inégalités préoccupantes dans la Loi sur les Indiens.

Je vais présenter les témoins qui sont avec nous aujourd’hui : nous accueillons M. Jeremy Matson; Mme Corinne Dettmeijer-Vermeulen, membre du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes; et Me Ryan Beaton, avocat, de Juristes Power.

Sachez que M. Matson, Mme Dettmeijer-Vermeulen et Me Beaton vont chacun présenter des déclarations préliminaires de cinq minutes. Nous passerons ensuite à la période de questions. Normalement, je vous demande d’être aussi concis que possible dans vos questions et vos réponses, mais aujourd’hui, nous avons un peu plus de marge de manœuvre.

Maintenant que tout est dit, j’inviterais M. Matson à nous présenter son exposé.

Jeremy Matson, à titre personnel : Bonjour. Je m’appelle Jeremy Matson. Je suis de la nation Squamish, et j’ai des liens ancestraux directs avec les nations Musqueam et Tsleil-Waututh ainsi qu’avec d’autres nations autochtones du littoral. Je viens d’une lignée autochtone ininterrompue; mes enfants viennent d’une lignée autochtone ininterrompue et cela ira de même pour les générations futures. Le Canada a déshumanisé ma lignée depuis presque tout un siècle.

Je veux vous remercier de l’invitation à témoigner, et j’ai aussi un mémoire écrit pour votre distingué comité.

Votre comité a publié, à l’égard de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, CEDAW, une décision et des commentaires de la plus haute importance dans la communication no 68/2014, laquelle changera à jamais l’avenir de ma famille ainsi que le mien.

Au Canada, nous sommes restés à l’époque de la « doctrine de la découverte », une mentalité archaïque et une approche raciste du gouvernement du Canada et de ses organes judiciaires, qui désirent que l’État règne en maître plutôt que de donner la souveraineté aux Autochtones en reconnaissant nos droits humains fondamentaux et notre identité autochtone.

Chaque fois que le gouvernement du Canada a donné aux populations autochtones des moyens juridiques d’obtenir réparation à l’égard de la doctrine de la découverte, ici au Canada, le Canada et ses organes judiciaires ont affaibli notre accès à la justice, nous l’ont enlevé ou ont créé des obstacles pour nous empêcher d’y avoir accès, et cela est particulièrement vrai pour nos femmes et leurs descendants autochtones.

En s’appuyant sur la Déclaration canadienne des droits, dans les années 1970, la Cour suprême du Canada a rendu dans l’affaire Lavell et Bédard un arrêt indésirable et injustifié touchant les femmes autochtones et leurs familles, en lien avec la Loi sur les Indiens et son libellé discriminatoire. Grâce à la Charte des droits et libertés, l’affaire McIvor s’est rendue jusqu’à la Cour suprême du Canada, et celle-ci a refusé encore une fois de se pencher sur ces questions qui nuisent à nos femmes autochtones et à leurs familles, dans le contexte de la Charte. Grâce à la Loi canadienne sur les droits de la personne et à l’affaire Matson et Andrews, après l’abrogation de l’article 67 permettant aux peuples autochtones de contester les dispositions et le libellé discriminatoires de la Loi sur les Indiens, la Cour suprême du Canada et les tribunaux inférieurs, ainsi que le gouvernement du Canada, ont encore une fois refusé de s’attaquer à la discrimination visant les femmes autochtones et leurs descendants, et la Cour suprême du Canada a supprimé la disposition de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui donnait aux Indiens le droit de contester les articles 6, 10 et 11 de la Loi sur les Indiens ainsi que tous les droits et avantages culturels liés à ces dispositions.

En raison des mécanismes de réparation déficients de la Déclaration des droits, de la Charte et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, les Nations unies ont rendu des décisions dans les affaires Lovelace, McIvor et maintenant Matson.

L’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations unies a, en février 2014, rédigé un document d’information, E/C.19/2014/3, sur les effets de la doctrine de la découverte sur les peuples autochtones, y compris les mécanismes, procédures et instruments de réparation. Voici ce que l’Instance permanente sur les questions autochtones a écrit, au paragraphe 3 :

Dans toutes ses manifestations, la « découverte » a servi de justification générale pour déshumaniser, exploiter, asservir et subjuguer les peuples autochtones et les priver de leurs droits les plus élémentaires, ainsi que de leurs lois, leur spiritualité, leurs conceptions du monde, leur mode de gouvernement, ainsi que leurs terres et leurs ressources. En définitive, elle fut à la base même du génocide.

Il est écrit ceci au paragraphe 26 :

Ainsi que l’affirme l’article 40 de la Déclaration, « les peuples autochtones ont le droit d’avoir accès à des procédures justes et équitables pour le règlement des conflits et des différends avec les États ou d’autres parties et à une décision rapide en la matière, ainsi qu’à des voies de recours efficaces pour toute violation de leurs droits individuels et collectifs. »

Voici le paragraphe 8 du même rapport :

Tous les États membres doivent respecter et appliquer le principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit de disposer d’eux-mêmes consacrés par la Charte des Nations Unies.

Au dernier paragraphe du rapport, le paragraphe 38, voici la première phrase :

On ne peut effacer l’Histoire. On peut, en revanche, en changer le cours pour assurer le bien-être, la dignité et la survie actuels et futurs des peuples autochtones.

En conclusion, l’approche du Canada, avec ses dispositions dans la Loi sur les Indiens sur l’inscription au registre et l’appartenance, ne respecte ni ses obligations internationales ni les appels des organismes internationaux de surveillance. Les peuples autochtones n’ont accès au Canada à aucun mécanisme juridique raisonnable pour contester la discrimination qu’ils subissent actuellement, qui est inscrite dans la Loi sur les Indiens et appliquée par le Canada sous le régime de cette loi. Cela va à l’encontre des engagements internationaux du Canada, en tant qu’État membre des Nations unies et de l’organisation des États américains.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Matson.

Madame Dettmeijer-Vermeulen, je vous invite à présenter votre déclaration préliminaire.

Corinne Dettmeijer-Vermeulen, membre, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Merci, monsieur le sénateur.

C’est un honneur pour moi de témoigner devant vous en tant que représentante du CEDAW, et j’espère que je pourrai vous aider à comprendre les recommandations que nous ferons ainsi que notre position.

Le CEDAW, c’est-à-dire le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, appelle le Canada à éliminer complètement la discrimination fondée sur le sexe inscrite depuis trop longtemps dans la Loi canadienne sur les Indiens et qui touche encore aujourd’hui les descendants des femmes autochtones. Dans nos conclusions, publiées début mars, nous avons constaté que, en ne pouvant pas transmettre le statut d’Autochtone aux générations qui les suivaient, M. Matson et ses enfants ont été victimes de violations ancrées dans la nature discriminatoire de la Loi canadienne sur les Indiens.

La grand-mère de M. Matson, en Colombie-Britannique, a été enlevée de force à sa collectivité et placée dans un pensionnat. Elle a épousé un homme non autochtone, et elle a cessé d’être considérée comme Autochtone, selon la Loi sur les Indiens.

Avant 1985, la Loi sur les Indiens comprenait des dispositions explicitement discriminatoires contre les femmes autochtones, qui perdaient leur statut si elles épousaient un homme non autochtone. Depuis, malgré de nombreuses contestations judiciaires, le Canada a modifié ses dispositions discriminatoires morceau par morceau, plutôt que de les supprimer entièrement.

Ce n’est qu’en 2019 que les enfants de M. Matson ont été reconnus en tant qu’Autochtones. Malgré tout, sous le régime de la Loi sur les Indiens, ils n’ont pas le droit de transmettre librement le statut d’autochtone à la prochaine génération.

Après de multiples tentatives malheureuses de contester la Loi sur les Indiens au Canada, M. Matson a présenté sa pétition au comité, qui a conclu que les dispositions de la Loi sur les Indiens sont discriminatoires à l’égard des descendants des femmes autochtones qui ont été dépossédées de leur statut. Tout le problème découle du manque de respect à l’égard des peuples autochtones et à leur droit fondamental à l’auto-identification. Les problèmes sont exacerbés par les critères inéquitables en vertu desquels les hommes et les femmes peuvent transmettre le statut et l’identité d’Autochtones à leurs descendants.

En comparaison, les descendants de grands-pères autochtones n’auraient jamais perdu leur statut et ils auraient pu le transmettre à leurs enfants.

Le comité estime donc que la règle de la date limite de 1985, établie par les modifications de 2019, même si elle ne tient pas compte aujourd’hui du sexe des descendants, perpétue une pratique qui traite différemment les descendants des femmes autochtones qui ont été dépossédées de leur statut.

Puisque son ancêtre maternelle a été dépossédée de son statut, M. Matson ne peut pas librement transmettre le statut d’Autochtone et l’identité d’Autochtone à ses enfants. En conséquence, ses enfants, à leur tour, ne pourront pas librement transmettre leur statut à leurs enfants.

Le comité note que l’État partie a reconnu que, selon Services aux Autochtones Canada, la nouvelle date limite nécessitera probablement des modifications législatives, précisément à cause des iniquités actuelles, qui sont fondées sur l’ancienne discrimination sexuelle explicite.

Le comité estime donc qu’il n’y a pas eu de réparation complète, à ce jour, pour la dépossession du statut d’Autochtone de l’ancêtre maternelle de l’auteur, étant donné qu’il s’agit précisément de la source de la discrimination actuelle dont sont victimes M. Matson et ses enfants.

En conséquence, le comité conclut que l’État partie a manqué à ses obligations en vertu des articles 2 et 3 de la convention. Le comité recommande que le Canada offre une réparation adéquate à M. Matson et à ses enfants, y compris en reconnaissant leur statut d’Autochtone avec pleine capacité juridique et en leur permettant de transmettre librement le statut d’Autochtone et l’identité autochtone à leurs descendants.

Le comité appelle aussi le Canada à modifier ses lois afin d’y inscrire le critère fondamental de l’auto-identification et de donner à tous les descendants matrilinéaires la possibilité de s’inscrire, au même titre que les descendants patrilinéaires. Merci beaucoup de votre patience.

Le président : Merci, madame Dettmeijer-Vermeulen.

Maître Beaton, je vous invite à présenter votre exposé.

Ryan Beaton, avocat, Juristes Power : Je vous remercie de l’invitation à témoigner devant vous aujourd’hui. Je représente 16 demandeurs de trois familles qui ont contesté, au nom de la Charte, en juin dernier, les dispositions sur l’inscription de la Loi sur les Indiens. Il s’agit des dispositions qui existent aujourd’hui, après l’adoption complète du projet de loi S-3. Ces demandeurs sont les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants de personnes qui ont demandé l’émancipation sous le régime de versions précédentes de la Loi sur les Indiens.

Cette affaire découle d’abord et avant tout des efforts infatigables de Mme Sharon Nicholas, l’une des demandeurs. Mme Nicholas est citoyenne de la Nation haïda, sous le régime des lois de Nation haïda en matière de citoyenneté et est membre du conseil du village d’Old Massett. Elle a été inscrite en vertu du paragraphe 6(2), en 1988, après les modifications apportées en vertu du projet de loi C-31, et elle a travaillé pendant de nombreuses années pour aider ses propres enfants, Terra, Nicky et James à obtenir leur statut. Tara, Nicky et James sont citoyens en vertu des lois de la Nation haïda, mais leurs demandes de statut d’Indien ont été refusées à maintes reprises.

Le grand-père de Sharon, Wilfred Laurier Bennett, a été émancipé, après en avoir fait la demande, en 1944. Wilfred a été forcé d’aller au pensionnat, et il voulait protéger ses enfants contre cette expérience. C’est surtout cela qui l’a motivé à demander l’émancipation. La mère de Sharon avait quatre ans à l’époque. Elle a automatiquement perdu son statut à cause de l’émancipation de son père, et cela a été la même chose pour l’épouse et les autres enfants de Wilfred.

Sharon a cru presque toute sa vie que sa mère avait perdu son statut quand elle a épousé son père, qui n’était pas Autochtone. Sharon a été heureuse et soulagée quand, en 2010, le projet de loi C-3 a été adopté. Elle croyait alors que ses enfants auraient enfin le droit de s’inscrire. C’est seulement après une autre série de demandes rejetées que Sharon s’est penchée de plus près sur le sens que donne la Loi sur les Indiens à cette soi-disant émancipation volontaire. Elle a fini par comprendre que le projet de loi C-3 n’aidait en rien sa famille.

J’ai rencontré Sharon dans une clinique d’aide juridique de Victoria, en 2017, quand elle est venue demander conseil. Sincèrement, c’est Sharon qui m’en a appris beaucoup, pas seulement sur ce qu’a vécu sa famille, mais aussi sur tout ce fouillis juridique, c’est-à-dire la façon dont fonctionnent véritablement les dispositions sur l’inscription utilisées pour accorder ou refuser, en vertu de la loi, le statut d’Autochtone. Après nous être heurtés au mur du Registraire des Indiens de Services aux Autochtones Canada, nous avons fini par présenter une contestation fondée sur la Charte, comme je l’ai dit, en juin.

Bien sûr, c’est une affaire complexe, et je serai heureux de fournir des réponses détaillées aux questions que vous pourriez me poser. Pour l’instant, il y a un aspect essentiel de l’affaire sur lequel je veux insister, c’est qu’il y a une forme particulière de discrimination sexuelle qui existe toujours dans les dispositions sur l’inscription. Nous sommes fortement en désaccord avec le Canada lorsqu’il prétend que la discrimination sexuelle a été éliminée grâce au projet de loi S-3.

La façon la plus simple de comprendre cet aspect essentiel de notre affaire est de voir les choses ainsi : d’un côté, une femme autochtone qui épousait un homme non autochtone perdait son statut à son mariage, tandis que, de l’autre côté, une femme autochtone qui épousait un homme autochtone perdait son droit de décider si elle voulait conserver ou non son statut. Seul l’époux pouvait demander l’émancipation, laquelle entraînait automatiquement l’émancipation de son épouse et de leurs enfants mineurs non mariés.

De notre point de vue, ces deux situations reflètent clairement une discrimination sexuelle, que les modifications apportées en 1985 en vertu du projet de loi C-31 ont perpétuée. Les projets de loi C-3 et S-3 ont corrigé certaines formes de discrimination sexuelle lorsqu’il s’agit du premier cas, lorsqu’une femme autochtone se marie à un Autochtone, mais ils n’ont pas corrigé la discrimination sexuelle dans le deuxième cas, lorsqu’une femme autochtone est involontairement émancipée parce que son époux en fait la demande.

Si je comprends bien la position actuelle du Canada à cet égard, il considère qu’il s’agit d’un effet résiduel d’une iniquité fondée sur le sexe, d’une part, tout en prétendant, d’autre part, que la discrimination a été éliminée.

Nous croyons évidemment que les pères ou les époux autochtones qui ont demandé l’émancipation n’ont pas à être blâmés. Dans nos plaidoyers, nous soutenons également, de façon plus générale, que les antécédents familiaux d’émancipation devraient être reconnus comme un motif analogue en vertu de l’article 15 de la Charte. Encore une fois, je serai heureux d’aller dans le détail, si vous avez des questions.

Je vais conclure en soulignant qu’il y a eu des développements favorables dans notre affaire. Nous avons un accord de suspension présentement, avec le Canada, dans le cadre de ce litige. Dans un communiqué de presse conjoint, en mars, la ministre Hajdu s’engageait à faire tout en son pouvoir pour qu’une loi corrective soit présentée au Parlement d’ici l’ajournement estival. Nous espérons donc que le travail de votre comité aidera le gouvernement à respecter d’aussi près que possible le calendrier qu’il a lui-même établi. Merci.

Le président : Merci, maître Beaton. Nous allons maintenant commencer la période de questions. Avant de céder la parole à mes collègues, j’aimerais poser une question à Mme Dettmeijer-Vermeulen.

Dans un rapport récent du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, aussi appelé CEDAW, il est indiqué que la règle de l’exclusion après la deuxième génération n’est pas conforme aux critères de l’auto-identification, qui est l’expression du droit à l’autodétermination des peuples autochtones. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Mme Dettmeijer-Vermeulen : L’autodétermination de sa propre identité est un droit de la personne, comme cela est indiqué dans nos conclusions. Même si le CEDAW s’intéresse surtout à la discrimination sexuelle, et que c’est ce dont nous tenons compte dans nos conclusions et nos positions, cela aussi faisait partie de nos conclusions.

Le président : Merci. Je vais maintenant donner la parole aux sénateurs, pour leurs questions.

La sénatrice Duncan : Merci beaucoup aux témoins de comparaître devant nous aujourd’hui. Je remplace aujourd’hui la sénatrice Hartling, du Nouveau-Brunswick.

J’ai examiné les documents, avant la réunion, et j’ai aussi écouté avec intérêt les commentaires de Me Beaton. Il y a quelques questions dont j’aimerais discuter et — excusez-moi — j’aimerais aussi remercier le personnel du comité de son soutien pour ma préparation à la réunion.

Quelques questions sur les demandes de statut étaient suggérées. Ce que je n’ai pas vu, ce sont des dispositions en matière d’appel, sous une forme ou une autre, en cas de rejet de la demande. J’ai appris que les demandes sont régies par les politiques et non par la loi, et qu’on peut interjeter appel auprès du registraire qui a pris la décision. À mes yeux, cela semble incohérent avec les principes de la justice administrative. Je me demandais si Me Beaton pouvait faire des commentaires sur les appels en cas de refus du statut et aussi sur le processus de ces appels.

Me Beaton : Merci, sénatrice Duncan. Sous le régime de la Loi sur les Indiens, on peut formuler ce qu’on appelle une protestation contre la décision du registraire. Vous avez raison de dire que, si une personne présente une demande de statut et que cette demande est refusée, elle peut formuler une protestation, dans les trois ans, auprès du registraire. C’est un peu particulier, mais cela donne effectivement l’occasion de fournir plus d’informations, le cas échéant.

Dans mon travail, j’ai eu des cas où une personne a vu sa demande refusée et qui me demandait de l’aider à formuler une protestation. Nous avons pu recueillir plus d’informations pour le registraire, et la demande a été accueillie. Donc, il y a au moins certaines situations où cela peut être un outil pratique.

Si la protestation est rejetée, il est possible, sous le régime de la Loi sur les Indiens, d’interjeter appel au tribunal d’une instance supérieure de la province en question. L’affaire peut se rendre devant une cour d’appel si le demandeur n’obtient pas une réponse qu’il juge satisfaisante à sa protestation.

La sénatrice Duncan : D’abord, un appel devant une cour, ce n’est pas le même processus, par exemple, que pour présenter une demande à l’assurance-emploi ou à l’Agence du Revenu du Canada. Il y a des délais précis et des processus bien établis.

Un autre de nos témoins a mentionné aujourd’hui les modifications fragmentaires apportées à la Loi sur les Indiens. A-t-on envisagé des modifications de ce processus d’appel, pour le cas où la demande de statut est rejetée, afin que le processus soit plus facile à comprendre, par exemple? C’est parce qu’un appel devant une cour suppose des frais juridiques, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour un appel devant un tribunal administratif.

Je me demandais si des modifications avaient déjà été envisagées ou recommandées.

Me Beaton : Je ne suis au courant d’aucun projet de modification. Les protestations formulées au registraire peuvent devenir extrêmement frustrantes, parce que les délais sont très longs. Une fois la demande présentée, il faut attendre incroyablement longtemps, et aussi à l’audience, quand on formule une protestation, et cela avant même d’aller devant les tribunaux. Il peut être extrêmement difficile de retenir les services d’un avocat ou même de comprendre le système juridique pour les gens qui n’ont pas de représentation. Même le processus pour présenter une demande et formuler une protestation auprès du registraire est extrêmement compliqué, et c’est difficile pour quelqu’un qui n’a pas de représentation juridique.

Je ne suis au courant d’aucun projet de réforme au Canada. Je devrais dire, étant donné les engagements actuels à l’égard de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, que l’article 27 de la Déclaration prévoit que, à l’égard des droits des peuples autochtones, les États doivent mettre en place des processus d’arbitrage, en concertation avec les peuples autochtones. Je ne suis au courant de rien qui soit prévu de ce côté-là. Mais, si on prend cet article de la Déclaration, ce serait très logique de dire qu’il devrait y avoir un organisme qui ne serait pas seulement la cour ou qui ne serait pas seulement dirigé par la Couronne, mais qui serait formé conjointement par les Autochtones et la Couronne ou qui comprendrait d’une façon ou d’une autre des membres des peuples autochtones, et cet organisme pourrait examiner les demandes de statut d’Indien, les protestations et peut-être les appels; ainsi, des organismes comptant des représentants autochtones examineraient les décisions.

La sénatrice Pate : Merci à tous les témoins de tout le travail que vous faites, sur ce dossier et bien d’autres.

Ma question s’adresse à Mme Dettmeijer-Vermeulen. Comme on vient de le dire, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones exige que notre ministre de la Justice, ici au Canada, prépare et mette en œuvre un plan d’action, lequel devrait être déposé l’année prochaine. Votre comité s’est penché sur la question de l’inscription et sur le fait que le critère, dans la Loi sur les Indiens, viole directement la Déclaration sur les droits des peuples autochtones en ce qui concerne l’auto-identification.

Quelles recommandations formuleriez-vous pour faire en sorte que le gouvernement s’attaque à ces problèmes, dans le plan d’action, oui, mais surtout concrètement?

Deuxièmement, un problème qu’un certain nombre de témoins ont soulevé est le fait que, même si le gouvernement estimait que les modifications apportées par le projet de loi S-3 se traduiraient par entre 270 000 et 450 000 nouvelles inscriptions, en fait, moins de 28 000 demandes ont été traitées. Je me rappelle, bien sûr, que Me Palmater, quand elle a témoigné devant nous, a dit que le gouvernement semblait interférer et empêcher les gens d’exercer leurs propres droits prévus par la loi et que, en plus, certaines autres personnes demeurent non admissibles.

Je serais curieuse de savoir ce que vous recommanderiez au comité de faire pour régler cela. Si les autres témoins veulent dire quelque chose, je serai heureuse d’entendre leurs commentaires.

Mme Dettmeijer-Vermeulen : Merci, sénatrice. Nos recommandations, principalement, visent à éliminer la discrimination qui a été perpétuée. Une chose que nous avons mentionnée dans nos conclusions, c’est que, pour tout nouveau projet de loi, toute nouvelle loi ou toute nouvelle réglementation visant les peuples autochtones, il faut que les peuples autochtones participent au processus et qu’ils aient une voix.

Ce serait ce que nous recommanderions principalement au comité. Votre collègue a répété ce que j’ai dit à propos des « réparations fragmentaires ». Chaque fois, le Canada ne fait qu’une modification minime. Nous avons pu le constater, pas seulement avec ce qui est arrivé à M. Matson, mais aussi avec d’autres personnes qui ont cheminé pendant longtemps dans le système judiciaire, simplement pour que de toutes petites choses soient changées. Le comité recommande que le Canada cesse cette approche fragmentaire et, de façon plus générale, qu’il mette fin à la discrimination qui a été perpétuée.

Il s’agit d’un dossier spécial pour M. Matson et pour toutes les personnes concernées, et bien sûr, aussi pour le Canada. C’était aussi une affaire spéciale pour le comité. Nous avons beaucoup parlé de l’admissibilité, et M. Matson est un homme, mais il faut noter que le Protocole facultatif parle des « personnes » et non pas des « femmes ». Nous avons expliqué pourquoi nous croyons que M. Matson et ses enfants sont victimes eux-mêmes de discrimination.

J’espère que je l’ai bien expliqué. C’était l’une des parties les plus difficiles des conclusions que nous avons publiées.

Pour revenir au bien-fondé, comme nous l’avons expliqué, nous voyons effectivement de la discrimination. Nous recommandons que le Canada y mette fin, et pour cela, il faudra modifier le projet de loi S-3. Comme je l’ai dit, il ne faut pas des changements fragmentaires, mais bien de généreuses modifications de la loi, afin d’éviter que d’autres personnes... Maintenant que les problèmes ou les revendications de M. Matson ont été réglés, peut-être que d’autres personnes auront des revendications similaires et que nous allons continuer d’avancer. Le comité croit que, pour beaucoup de personnes dans ce domaine, le trajet a été très long.

La sénatrice Pate : Est-ce que quelqu’un d’autre veut faire des commentaires sur le processus administratif et les difficultés du processus d’inscription?

M. Matson : En tant qu’Autochtone au Canada, j’ai fait tout le processus de demande d’inscription, tout comme les membres de ma famille. J’ai aussi formulé une protestation. Mon dossier a dormi pendant une dizaine d’années. J’ai contesté de l’information et aussi fourni un peu plus de renseignements. J’ai eu des discussions avec le Registraire des Indiens et tout son personnel. MM. Allan Tallman et Macdonald sont deux registraires avec qui j’ai interagi au cours de leur carrière.

À l’issue du processus d’appel, une décision finale a été rendue. S’il n’y a pas d’information concrète, on n’en sait pas plus que ce qui est habituellement fourni en réponse à une première demande. Peut-être qu’il y a des informations sur la famille, comme Me Beaton l’a mentionné, qui pourraient favoriser le demandeur, mais, quand il s’agit d’un processus administratif, la loi ne donne aucune marge de manœuvre. Les gens responsables de l’application de la loi n’ont pas beaucoup de latitude et ne peuvent pas dire : « D’accord, vous êtes admissible en vertu de ceci ou cela. » Moi, j’ai présenté une demande à la Commission canadienne des droits de la personne, parce que l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne était une fonction administrative du Tribunal des droits de la personne et de la Commission des droits de la personne. De 1977 à 2008, les Autochtones ne pouvaient pas l’utiliser. Puis, en juin 2008, le Canada l’a abrogée et l’équivalent aurait été de passer par le système judiciaire. Dans le contexte de la Charte, nous avions un autre mécanisme juridique pour les Autochtones, ici au Canada, mais la Cour suprême du Canada et son ministère de la Justice, ainsi que le gouvernement, nous ont retiré cette option, à nous, les Autochtones.

De fil en aiguille, maintenant, ce sont tous les Canadiens à présent qui n’ont plus accès à la Loi canadienne sur les droits de la personne s’ils ont des problèmes avec le régime de pensions ou le congé de maternité ou de paternité. Depuis l’arrêt Matson et Andrews, plus aucun Canadien n’a accès à la Loi canadienne sur les droits de la personne, puisque cet arrêt a supplanté l’arrêt Murphy, rendu par la Cour suprême du Canada. Le processus administratif et les mesures qui en découlent font que nous sommes extrêmement limités, en tant qu’Autochtones au Canada, pour ce qui est de faire reconnaître nos droits. Il y a un cafouillis judiciaire à cause de l’interprétation par le gouvernement et les tribunaux de notre identité et de notre accès à la justice. S’il faut passer à nouveau par ce processus — et nous le ferons; c’est ce qui s’est passé chaque fois depuis 1985 : il y a eu quatre modifications de la Loi sur les Indiens — et que nous n’avons accès à aucune option judiciaire... Nous avons accès à la Charte, mais cela prend énormément de temps et d’argent et nécessite des connaissances juridiques approfondies, et un profane, un Autochtone profane comme moi, aurait extrêmement de difficultés à y avoir accès. Mes moyens sont limités, et je ne peux pas accéder à la Charte ni payer un avocat.

J’ai peut-être dépassé un peu votre question, mais c’était probablement ma seule occasion de dire cela au comité.

Le président : Merci, monsieur Matson. J’aimerais intervenir et vous poser une question. Vos enfants ont seulement le droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens — et il en va de même pour mes trois petits-enfants —, ce qui veut dire qu’ils ne peuvent pas transmettre le statut à leurs enfants, sauf si l’autre parent a le statut. Pourriez-vous, s’il vous plaît, dire comment cette situation déteint sur votre sentiment d’identité et d’appartenance en tant que membre des Premières Nations, et aussi comment cela touche vos enfants?

M. Matson : Merci de la question. La règle de l’exclusion générationnelle au paragraphe 6(2) est génocidaire par nature. Elle a un but d’assimilation. Elle viole toutes les obligations internationales du Canada. Elle viole les articles 8 et 9 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle viole l’article 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant. La liste se poursuit. J’ai témoigné à ce sujet en personne devant la Cour suprême du Canada, mais elle s’est fermé les yeux et bouché les oreilles.

La règle de l’exclusion après la deuxième génération viole nos droits humains, et elle doit être supprimée. Il le faut. Ce n’est pas seulement moi qui le dis, c’est aussi l’Assemblée des Premières Nations, l’Association des femmes autochtones du Canada, et ainsi de suite. L’Association du Barreau canadien a envoyé une lettre, laquelle a été rendue publique, au Comité des Nations unies pour l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Vous pouvez la trouver. Je l’ai communiquée à votre comité. Il ne s’agit pas seulement de mon opinion, mais de celle d’une très grande majorité — ce n’est pas une coalition Matson, c’est un groupe de personnes — qui se sont réunies pour qu’une décision favorable soit rendue en lien avec la communication 68/2014.

Les exigences relatives à l’inscription comme membre d’une bande au titre de l’article 11 reflètent en grande partie celles du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. Vous voulez un statut au sein de la collectivité — une appartenance à la bande —, mais la règle de l’exclusion générationnelle, prévue au paragraphe 6(2), élimine l’option d’appartenir à la bande. Elle vous prive du droit de faire partie d’une communauté de votre peuple. En grande partie, l’article 10, qui concerne les bandes autochtones — et les études de l’APN ainsi que le rapport Dumont-Smith le soulignent — utilise l’article 6 de la Loi sur les Indiens comme critère de base pour les codes d’appartenance. Je crois que cela vise entre 70 et 80 % de ces bandes. Donc, cela touche tout le monde. Si vous vivez dans une collectivité urbaine, comme moi dans la région de Vancouver, vous savez que les gens ont procréé avec beaucoup d’autres qui ne sont pas Autochtones, parce que les gens trouvent les Autochtones attirants. Nous avons procréé avec beaucoup de gens. La règle de l’exclusion après la deuxième génération dans les affaires Descheneaux et Yantha, au paragraphe 2(30), il est mentionné que les communautés Descheneaux et Yantha seront éteintes dans une centaine d’années. Nous approchons de la 90e année, et de leur élimination. Donc, cela touche toutes les bandes autochtones et les Autochtones du pays.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous les témoins : M. Matson, Mme Dettmeijer-Vermeulen et Me Beaton. La réunion de cet après-midi s’avère très utile.

C’est presque difficile de poser une question précise, parce qu’il y a tellement de morceaux au casse-tête que vous nous présentez aujourd’hui... Il y a tellement de facettes à ce problème de la discrimination perpétuée. Madame Dettmeijer-Vermeulen, vous avez parlé de la nécessité de modifier le projet de loi S-3. Voudriez-vous en parler un peu plus? J’aimerais aussi — si vous le voulez ou si quiconque d’autre le veut — que vous nous disiez ce que nous devons faire d’autre, en plus de modifier le projet de loi S-3, pour lutter contre la perpétuation de la discrimination sexuelle. C’est une de mes questions.

Je vais poser ma deuxième question tout de suite, pour voir qui aimerait y répondre... peut-être Me Beaton. Maître Beaton, ma question concerne un point que vous avez soulevé, si je vous ai bien compris, quand vous avez dit qu’il y avait des cas où des femmes qui s’étaient mariées à l’extérieur de la communauté autochtone avaient perdu leur statut et pouvaient maintenant le retrouver sous le régime du projet de loi S-3. Vous avez aussi parlé du cas d’un homme autochtone qui avait choisi de s’émanciper, et que cela voulait dire que son épouse et ses enfants et les générations futures perdaient leur statut à cause de cette décision qui n’était pas nécessairement la leur. Vous avez aussi parlé du problème global des gens qui, dans le passé, ont perdu leur statut parce qu’ils ont choisi l’émancipation.

Pouvez-vous nous parler de cela, nous dire quelles sont les répercussions et nous dire ce que nous devrions examiner? Je sais que cela s’inscrit dans la portée de notre étude actuelle, mais c’est aussi une question qui la dépasse, parce que, dans le cas que vous avez décrit — je suis sûre que cela arrive souvent — une personne qui n’a pas voulu que ses enfants vivent l’expérience des pensionnats a choisi l’émancipation pour épargner ses enfants, si j’ai bien compris.

Je sais que je pose beaucoup de questions, mais j’ai l’impression qu’elles sont les pièces d’un casse-tête très important. Comme Mme Dettmeijer-Vermeulen l’a dit, nous ne cessons de prendre une approche fragmentaire. J’aimerais d’abord entendre ce que Mme Dettmeijer-Vermeulen a à dire sur ce que nous devons faire par rapport au projet de loi S-3 et à toute autre chose qui est liée à la discrimination sexuelle, et ensuite j’aimerais entendre les commentaires sur l’autre question de l’émancipation et savoir ce que nous devons faire par rapport à cela. Merci.

Mme Dettmeijer-Vermeulen : Merci de la question, madame la sénatrice. J’espère que vous comprenez que je ne peux pas formuler de recommandations, mis à part celles qui se trouvent dans nos conclusions et les recommandations que le comité a écrites.

La sénatrice Coyle : Bien sûr.

Mme Dettmeijer-Vermeulen : Donc, d’après nos conclusions et tous les documents qui nous ont été présentés, il y a toujours de la discrimination, selon que vous êtes un descendant matrilinéaire ou patrilinéaire. Il y a de la discrimination sexuelle.

Je ne peux pas l’expliquer autrement, mais c’est une perpétuation de la discrimination sexuelle, et elle touche toujours des gens comme M. Matson et ses enfants, tout cela à cause de la discrimination initiale dans la Loi sur les Indiens.

Je vais essayer de vous aider, mais si, au moment de modifier le projet de loi S-3, cette différence était éliminée, cela mettrait fin à la discrimination.

Je sais que l’État partie a, à un moment donné, dit qu’il n’y avait plus de discrimination selon la lignée, que c’était une question de dates, mais ce n’est pas ce que le comité a constaté. Le comité a conclu très clairement que les gens ont besoin de savoir s’ils ont droit au statut d’Autochtone et s’ils peuvent transmettre ce statut. Il y a une différence selon que le statut est hérité de la grand-mère ou du grand-père. C’est donc clairement de la discrimination, comme nous le disions.

Si vous voulez un changement, alors c’est ce changement qu’il faudrait examiner. Voilà la recommandation du comité.

Me Beaton : Merci de la question, sénatrice Coyle. Le Canada a reconnu, dans son propre rapport au Parlement sur le projet de loi S-3, qu’il s’agissait d’une motivation courante chez les personnes qui ont demandé l’émancipation. Souvent la raison était que ces personnes voulaient garder leurs enfants hors des pensionnats.

Je dirais que, dans notre affaire, il y a trois familles, c’est-à-dire trois pères, grands-pères et arrière-grands-pères qui se sont émancipés, qui l’ont demandé. Deux d’entre eux étaient surtout motivés par le désir de garder leurs enfants hors des pensionnats. Un autre l’a fait parce qu’il voulait voter et posséder des biens. C’est ce genre de décisions qui ont été prises dans le cadre du processus que le Canada a qualifié « d’émancipation volontaire ».

La façon la plus simple d’avoir une vue d’ensemble de ce que nous essayons d’accomplir avec notre affaire est d’expliquer — comme nous l’avons fait avec la ministre Hajdu — que ce que nous demandons, c’est une mesure réparatrice qui donne à tout le monde aujourd’hui le droit au statut, dans la mesure où ils auraient ce droit si personne parmi leurs ancêtres n’avait choisi l’émancipation. En d’autres mots, les antécédents familiaux d’émancipation ne devraient aucunement rendre quelqu’un inadmissible au statut aujourd’hui. Dans notre communiqué de presse avec Services aux Autochtones Canada, la ministre Hajdu a dit qu’elle s’engageait à l’accepter et à apporter ce changement. Je vais citer ses mots exacts :

Le gouvernement du Canada s’est engagé à travailler avec les Premières Nations et les autres partenaires touchés en vue de corriger les iniquités dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’émancipation, afin que les antécédents familiaux d’émancipation n’aient plus d’incidence sur le droit à l’inscription en vertu de la Loi.

Cela ne va pas régler le problème de l’exclusion après la deuxième génération. Comme M. Matson l’a dit avec tant d’éloquence, c’est un grave problème, et il doit être réglé.

Une chose que nous défendons dans notre affaire, et c’est quelque chose que des témoins précédents vous ont dit — Shelagh Day, Pam Palmater et Sharon McIvor —, c’est qu’une fois que cette exclusion sera réglée et qu’il n’y aura plus cette disposition qui limite le nombre de membres des Premières Nations, il faut aussi que le recours tienne compte des descendants des femmes qui ont fait l’objet de discrimination. Il faut que les descendants soient inclus, afin que le recours soit accessible à tous.

Au cœur de notre affaire, nous demandons que les antécédents familiaux d’émancipation ne soient plus pris en considération en ce qui concerne le statut des gens aujourd’hui. Nous comprenons que le Canada s’est engagé, en principe, à faire ce changement, et que la ministre Hadju a dit qu’elle allait faire tout en son pouvoir pour qu’un projet de loi soit présenté d’ici l’été. Je sais qu’il peut être difficile de faire en sorte que le gouvernement respecte les délais qu’il s’est fixés. Nous espérons que le travail de votre comité et les autres voix pousseront le gouvernement à respecter son engagement.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. Je voulais dire que je suis très sensible à vos arguments. Je sais que c’est un problème qui traîne depuis des décennies. Le projet de loi C-31 était censé le régler il y a des années, mais cela n’a manifestement pas été le cas, et la règle de l’exclusion de la deuxième génération est inexcusable. J’ai une question d’ordre général. J’aimerais entendre ce que les témoins en pensent. Êtes-vous d’accord pour dire que la Loi sur les Indiens devrait être abolie et remplacée par un modèle d’autonomie gouvernementale robuste, sous la direction des trois groupes concernés : les Premières Nations, les Inuits et les Métis?

Mme Dettmeijer-Vermeulen : Je ne peux pas vraiment vous répondre. J’aimerais pouvoir répondre à votre question, et j’espère que les autres le pourront. Notre comité n’a pas étudié la question, alors je ne peux pas formuler de commentaires à ce sujet.

M. Matson : J’ai témoigné devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, votre comité jumeau. Pour délaisser la Loi sur les Indiens, il y aurait énormément de travail à faire avant que vous puissiez prendre cette approche.

Premièrement, vous enlevez notre identité autochtone à nos enfants autochtones quotidiennement, en les obligeant à demander d’être Indiens. Cela devrait être transmis plus librement, comme avec la règle de descendance monoparentale, comme à la baie James ou avec les Inuits, et si on prend les Inuits dans ce contexte, comme vous l’avez fait, ils ont une règle de descendance monoparentale pour l’identité.

Les dispositions sur l’identité doivent être éclaircies, plus précisément les alinéas 6(1)a) à f) et le paragraphe 6(2), qui concernent la règle de l’exclusion après la deuxième génération. Ce sont toutes des questions qui doivent être examinées, y compris celles des descendants des femmes autochtones et des hommes et des femmes bientôt émancipés.

Quand on reçoit notre statut d’Indien au titre de l’article 6, on doit aussi demander à notre communauté, si on fait partie d’une bande au titre de l’article 10, comme moi. Depuis 2017, je suis un Indien au titre du paragraphe 6(1), et mes enfants — pour corriger le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, ou CEDAW — ont été inscrits en tant qu’Indiens au titre de l’article 2 de la Loi sur les Indiens, en 2017. J’ai eu mon statut d’Indien au titre de l’alinéa 6(1)c) en 2017, et j’ai changé mon statut au titre de l’alinéa 6(1)a) en 2019.

Si on veut délaisser la Loi sur les Indiens pour que chaque entité dirigeante autochtone, inuite et métisse ait cette compétence... Il y a encore beaucoup de travail à faire avec la Loi sur les Indiens. C’est tout de même un instrument viable pour établir une relation entre la personne et la collectivité et la Couronne ou le gouvernement du Canada. Est-ce que c’est un instrument utilisable? Peut-être qu’il faudrait en changer le titre. Peut-être qu’il faudrait retirer des choses comme l’assimilation et le génocide de la Loi sur les Indiens et nous permettre de transmettre librement notre identité autochtone à la prochaine génération, ce serait la base, et aussi un droit de la personne que nous n’avons pas au Canada présentement.

Je ne verrai probablement pas la fin de la Loi sur les Indiens de mon vivant. Peut-être que mes enfants et mes petits-enfants verront son annulation et son abolition, mais de là à atteindre les normes internationales en matière de droits de la personne — ce qui est d’ailleurs le fondement, pour le Canada —, nous avons encore beaucoup de travail à faire avec les Autochtones, les non-Autochtones, la Chambre des communes et le Sénat.

Me Beaton : Je me ferais en grande partie l’écho de ce que M. Matson vient de dire. Il y a évidemment énormément de travail à faire si vous voulez délaisser la Loi sur les Indiens et enfin l’abolir. Je ne crois pas être le mieux placé pour parler de tout le travail qu’il faudrait faire pour financer adéquatement un gouvernement des Premières Nations pour qu’il prenne en charge ce que la Loi sur les Indiens fait aujourd’hui et ce dont nous aurions besoin pour la suite.

Je dirais que le Canada est de plus en plus sensible et compréhensif en ce qui concerne le caractère sombre de la Loi sur les Indiens et de ce qu’elle représente. Mais je crois qu’il y a encore beaucoup de travail à faire du côté de l’éducation. Pour ne parler que de moi, je ne comprenais pas grand-chose de l’émancipation jusqu’à ce que je commence à travailler sur cette affaire. Je sais, après avoir parlé à beaucoup de Canadiens non autochtones, que très peu de gens comprennent cela. Les gens sont vraiment choqués quand ils apprennent ce que cela veut dire et le genre de choix que les gens ont dû faire quand ils devaient décider s’ils s’émancipaient, eux et leur famille. J’ai effectivement l’impression que le Canada aimerait s’éloigner de la Loi sur les Indiens et de tout ce qu’elle représente, mais il y a beaucoup de travail qui reste à faire pour cela, et aussi pour accroître la sensibilisation dans tout le Canada en ce qui concerne, de façon générale, les détails concrets de la Loi sur les Indiens, ce qu’elle a provoqué et ce qu’elle représente.

Le sénateur Arnot : Je suis d’accord pour dire qu’il y a énormément de travail à faire, et que c’est probablement un travail qu’il faut faire, parce que, si nous avons une relation de nation à nation, il faut le montrer mieux que nous le faisons présentement. C’est tout ce que je voulais dire. Je reconnais que c’est difficile, mais je crois aussi que c’est une part importante de la réconciliation. Le fait que les parties, y compris le gouvernement du Canada, auront beaucoup de travail à faire ne devrait pas nous empêcher de corriger cette iniquité fondamentale, la relation coloniale, qui est perpétuée dans ce que vous vivez aujourd’hui. Voilà, c’est mon opinion. Merci.

La sénatrice Clement : Bonjour et shé:kon aux témoins. Merci et nia:wen. Je m’appelle Bernadette Clement. Je viens de Cornwall, en Ontario, sur le territoire ancestral du peuple mohawk d’Akwesasne. Je trouve étrange d’entendre le mot « émancipation ». On lit cela, mais c’est l’inverse. J’ai dû relire plusieurs fois pour comprendre; cela défie tout simplement l’entendement.

J’ai trois questions. Je vais les poser et vous laisser ensuite répondre. Les premières s’adressent à M. Matson. Je me demandais si vous étiez satisfait des recommandations présentées au comité. Vont-elles assez loin? Je sais que vous vouliez trouver un processus qui vous permettrait d’avancer. Est-ce suffisant? Si ce ne l’est pas, que voudriez-vous voir de plus, et vers quoi allez-vous vous tourner? Aussi, vous dites que vous êtes un profane. Vous êtes le profane le plus incroyablement compétent que j’ai vu dans ma vie. Avez-vous des commentaires à faire sur les façons de rendre l’information et les ressources plus accessibles aux profanes?

Madame Dettmeijer-Vermeulen, vous avez mentionné des « réparations », dans vos recommandations. Pouvez-vous fournir un peu plus de détails à cet égard? Peut-être pas au sujet des réparations dans ce contexte précis, mais peut-être pourriez-vous nous dire quels types de réparations votre comité recommande dans d’autres affaires.

Maître Beaton, vous avez parlé de 16 demandeurs. Comment les avez-vous trouvés? Combien d’autres y aura-t-il? Je sais que c’est ce que voulait demander la sénatrice Pate. De combien de personnes s’agit-il? En tant qu’avocat, comment procédez-vous? Combien d’autres avocats font ce genre de travail? Combien y a-t-il de gens qui attendent que ce type d’affaires fasse jurisprudence?

M. Matson : Merci de vos questions. Le Canada est censé considérer les opinions et les recommandations du CEDAW dans leur ensemble. Beaucoup de gens, y compris des avocats et des sénateurs, passent habituellement directement aux recommandations. Si vous revenez au début et lisez tout le document — et je le recommande à tous les sénateurs de la Chambre rouge à qui je m’adresse présentement —, vous verrez qu’il a été conclu que le Canada viole l’accès aux recours et l’accès à la justice. Il a été conclu que le recours à la Charte était une option illusoire. Il a été conclu que la Loi canadienne sur les droits de la personne n’était pas une option juridique viable.

Quand j’ai présenté mes informations, j’ai mis l’accent sur les articles 1, 2 et 3 de la convention et aussi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, sur d’autres lois, d’autres organes conventionnels des Nations unies, comme je l’ai dit.

En ce qui concerne l’accès à la justice, au sens de la convention du CEDAW, j’ai parlé des alinéas a) à f) dans mon mémoire et mon exposé au comité, mais il y a aussi les alinéas 2c) et 2e), qui exigent d’offrir une protection efficace grâce à des recours, et cette protection est surtout accessible aux femmes qui veulent faire valoir leurs droits devant les cours et les autres institutions pertinentes. Cela veut dire que la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne — qui étaient deux options juridiques viables — ne sont plus accessibles. Nous l’avons vu avec la décision McIvor des Nations unies, qui a conclu que le recours à la Charte et le processus du système judiciaire n’étaient pas des options à la hauteur des normes des Nations unies. La Loi sur les droits de la personne n’était pas accessible et n’était pas une option juridique viable ici au Canada. Vers quoi pouvons-nous nous tourner?

Il n’y a pas seulement le statut d’Indien. Cela touche aussi la communauté. Cela a été soulevé au CEDAW des Nations unies. C’est quelque chose qu’il a mentionné dans ses observations. En ce qui concerne la règle de l’exclusion après la deuxième génération, cela faisait aussi partie de ses observations. Ce n’était pas dans ses recommandations, mais bien dans ses observations.

Je redirais que la règle de descendance monoparentale serait une option pour le Sénat. Ce serait compatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et aussi avec la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones de l’Organisation des États américains, à laquelle le Sénat et la Chambre sont tenus d’obéir. Le Canada s’est engagé internationalement et régionalement à être en harmonie avec cela.

J’ai entendu Pam Palmater, Shelagh Day et Sharon McIvor. Je les considère toutes comme des héroïnes, pour le travail qu’elles ont accompli et continuent d’accomplir. Si vous tentez d’appliquer la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en même temps que la Loi sur les Indiens, la déclaration américaine ou n’importe quelle autre loi internationale, cela n’est pas en harmonie avec les normes internationales sur les droits de la personne.

Il y a des solutions, des solutions simples, et il faut tout simplement essayer de convaincre les décideurs qui comparaissent devant le Sénat et la Chambre. Je crois que le Sénat a une meilleure compréhension de ces questions que la Chambre, parce que la fonction de député à la Chambre est intrinsèquement transitoire. À la Chambre haute, les gens qui y siègent y sont pour toute leur vie, et cela fait d’eux de grands penseurs. C’est tout ce que j’avais à dire.

Mme Dettmeijer-Vermeulen : Je suis d’accord avec ce que M. Matson vient de dire. À notre avis, il ne faut pas seulement lire les recommandations à la fin; il faut lire tout le texte. Je suis convaincue que vous serez ceux et celles qui corrigeront la loi. Vous le ferez parce que tous les aspects de ces conclusions sont également importants. Nous avons constaté que la Charte n’offrait pas à M. Matson un mécanisme fiable pour obtenir les résultats qu’il souhaitait.

En ce qui concerne les réparations, le comité ne précise jamais vraiment de sommes, dans ses recommandations, pour les réparations. Principalement, les réparations seraient de reconnaître le statut d’Autochtone à M. Matson et à ses enfants et de leur donner la pleine capacité juridique de transmettre librement le statut et l’identité autochtones à leurs descendants. C’est là une recommandation très importante. Mais, en même temps, ce n’est pas ce qui se fait depuis de nombreuses années, et il a fallu très longtemps à M. Matson pour arriver là où il est aujourd’hui. Le comité est habituellement d’avis que l’État partie et M. Matson devraient discuter des réparations pour conclure une entente. Ce n’est pas au comité de fixer un montant pour quoi que ce soit.

Me Beaton : Je sais que la sénatrice Clement m’a aussi posé une question. Ai-je le temps de répondre?

Le président : Oui.

Me Beaton : Premièrement, je dirais rapidement que le mot « émancipation » est étrange et difficile à comprendre. En anglais, le mot est « enfranchisement », mais l’expression française semble pire.

Quoi qu’il en soit, vous vous intéressiez surtout aux 16 demandeurs, et vous demandiez combien il pourrait y en avoir de plus? Comme je l’ai dit, j’ai rencontré Sharon Nicholas dans le contexte de l’aide juridique. J’étais bénévole dans la clinique d’aide juridique où je l’ai rencontrée. Les membres de sa famille se sont ajoutés à l’affaire par son entremise, bien sûr.

En ce qui concerne les autres familles parties au litige, c’était initialement un cas de bouche à oreille. David Schulze, un avocat qui a travaillé sur ce genre de dossiers et qui a témoigné devant le Sénat et la Chambre des communes également, savait que je travaillais sur cette affaire et m’a recommandé à quelques familles.

Les demandeurs n’ont rien payé pour cette affaire. À un moment donné, nous avons effectivement obtenu des fonds externes, mais la plus grande partie du travail a été faite bénévolement.

J’ai présenté un mémoire contenant certaines informations démographiques. Je l’ai seulement déposé ce matin, alors je sais que vous n’avez pas eu l’occasion de le consulter attentivement. Dans un rapport de 2019 du Canada présenté au Parlement, il y avait une étude démographique de Stewart Clatworthy. À partir de l’information qu’il a recueillie, il a estimé le nombre de nouvelles personnes admissibles advenant la mise en œuvre des mesures correctives que nous demandons. Il est arrivé à un nombre d’environ 2 400 personnes, mais il reconnaît qu’il s’agit d’une sous-estimation, parce qu’il n’avait pas accès à beaucoup de données d’avant 1951. À des fins de comparaison, en utilisant les mêmes données, il a estimé qu’il y aurait 85 000 ou 86 000 personnes nouvellement admissibles sous le régime du projet de loi S-3. Il s’agit d’une sous-estimation, vu les données qu’il utilise, mais cela vous donne une idée de l’ampleur. Des milliers de personnes et leur famille seraient touchés par l’affaire que nous défendons, et cela reste bien en deçà du nombre de personnes qui, selon les estimations, seront admissibles grâce aux modifications apportées par le projet de loi S-3.

La sénatrice Lankin : J’aimerais dire que j’appuie les réflexions et les commentaires de la sénatrice Clement sur le fait que vous vous décrivez comme un profane, monsieur Matson. J’ai toujours cru que les gens qui ont une expérience vécue ont beaucoup à nous apprendre. Vous êtes très compétent, et je veux vous remercier de votre témoignage, et les autres témoins également.

J’allais aussi poser une question sur l’abolition de la Loi sur les Indiens au moment où le projet de loi S-3 a été renvoyé au Sénat. L’une des choses dont a parlé le ministre de l’époque était une approche évolutive pour l’abolition de la Loi sur les Indiens.

La réponse générale — en consultation avec les Premières Nations, les premiers peuples — a été clairement que c’était le but de beaucoup d’entre nous, mais qu’il y avait énormément de travail à faire au préalable : du travail pour la réconciliation, pour l’égalité, l’équité, le soutien, les services, le financement et le renforcement des capacités d’autogouvernance des collectivités qui n’avaient toujours pas embrassé l’autonomie gouvernementale. Il y a beaucoup de travail à faire de ce côté-là.

Il y a quelque chose que je veux reconnaître, et peut-être aussi demander pardon. J’éprouve un certain sentiment de culpabilité. J’étais la marraine du projet de loi S-3 au Sénat, à l’époque, et nous pensions que nous faisions avancer les choses. Dans notre groupe, j’étais l’une des responsables des aspects législatifs relatifs à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ces deux expériences m’ont permis de comprendre la complexité de la chose et la façon dont cela est interrelié, alors que nous essayions de corriger les problèmes avec une approche fragmentaire; j’ai compris à quel point c’était difficile.

Cela m’encourage de savoir que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones va peut-être nous servir de balise, de phare, et nous aider à corriger ces problèmes et à affirmer le droit à l’autodéclaration et à l’autodétermination du statut autochtone.

Je me demandais si quelqu’un pouvait nous en parler. Avons-nous besoin d’intervenir immédiatement pour modifier dès maintenant des parties de la Loi sur les Indiens, ou devrions-nous chercher plutôt à renforcer les consultations sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones pour nous assurer que l’examen des lois soit en harmonie avec la déclaration? En fait, devrions-nous mettre clairement l’accent sur le travail inachevé pour régler la discrimination sexuelle et les autres formes de discrimination qui découlent, par exemple, de l’émancipation ou de l’exclusion après la deuxième génération?

Pourriez-vous nous dire ce qui serait, selon vous, la meilleure approche actuellement? J’aimerais surtout savoir ce que Me Beaton pense de l’engagement pris par la ministre Hajdu en lien avec au moins une partie des questions dont nous discutons aujourd’hui.

Me Beaton : Je vais commencer par là, spécifiquement. Dans notre affaire, beaucoup des demandeurs que je représente ont passé des décennies à entendre parler de consultations. Leur situation sera réglée à un moment donné, dans l’avenir, ou cela fera partie de la grande transition si nous délaissons la Loi sur les Indiens. J’ai parlé de 16 demandeurs. Malheureusement, il y a un demandeur âgé qui est décédé à la fin de l’année dernière. Un certain nombre de demandeurs et leurs familles qui ont communiqué avec moi, après que l’histoire a paru dans les médias, sont dans des situations similaires, et ils ont passé beaucoup de temps à essayer d’obtenir réparation.

Je comprends qu’il est important, ultimement, de s’éloigner de la Loi sur les Indiens. Mais, de notre point de vue, nous avons relevé des violations concrètes de la Charte, des violations qui se produisent maintenant et qui empêchent certaines personnes d’avoir accès au statut auquel elles ont droit en vertu de la Constitution. Le Canada, même s’il ne reconnaît pas explicitement les violations de la Charte, évidemment, a admis qu’il y a une iniquité qui doit être corrigée.

Du point de vue des demandeurs que je représente, il faut que ce soit fait maintenant. Je comprends que le processus législatif n’est jamais simple, mais je ne vois pas pourquoi on s’opposerait à ce recours en particulier. Je crois que la ministre, en s’engageant à faire tout en son pouvoir pour qu’il y ait un projet de loi d’ici l’été, a montré que, selon elle, il s’agit d’une modification relativement simple qui corrigerait les violations concrètes de la Charte qui ont été signalées par les demandeurs dans cette affaire. Je ne vois pas cela comme un obstacle aux autres éléments que vous avez mentionnés, comme le fait de mettre l’accent sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et le fait de réfléchir à ce que cela suppose de s’éloigner de la Loi sur les Indiens. Je ne vois pas comment cette modification serait un obstacle à cela. Voilà ce que je dirais au nom des demandeurs que je représente.

La sénatrice Lankin : Monsieur le président, si vous me le permettez, je voulais souligner que je remplace la sénatrice Michèle Audette, du Québec, au comité aujourd’hui.

Le président : Merci.

Le temps que nous avions avec ces témoins est écoulé. Je tiens à remercier M. Matson, Mme Dettmeijer-Vermeulen et Me Beaton d’avoir été avec nous aujourd’hui.

Avant de suspendre la séance, nous devons adopter une motion sur la présence du personnel aux réunions, et aussi sur l’accès à la transcription des séances à huis clos du comité.

Quelqu’un s’oppose-t-il à ce que, nonobstant la motion adoptée par le comité le 21 mars 2022, le comité permette à un membre du personnel d’un membre du comité qui n’est pas présent de rester pour la partie à huis clos de la réunion d’aujourd’hui?

Des voix : D’accord.

Le président : Est-il convenu que le comité autorise la transcription de la partie à huis clos de la réunion d’aujourd’hui, que la greffière du comité en conserve une copie pour consultation par les membres du comité ou les analystes du comité et que la transcription soit détruite par la greffière lorsqu’elle aura reçu l’autorisation du comité directeur, à la fin de la présente session parlementaire ou plus tard?

Des voix : D’accord.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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