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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 novembre 2024.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les directives à suivre afin de prévenir les incidents acoustiques. Veillez à ce que votre oreillette soit toujours éloignée de tous les microphones. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, déposez-la face vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.

Je voudrais commencer par reconnaître que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’elle abrite aujourd’hui de nombreuses autres Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’Île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard. Je suis président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire de résidence.

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je suis sénateur de la Saskatchewan et je vis sur le territoire du Traité no 6, patrie de la nation métisse .

Le sénateur McNair : Je suis John McNair, du territoire non cédé du peuple mi’kmaq, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Osler : Je suis Flordeliz (Gigi) Osler, du territoire visé par le Traité no 1, au Manitoba, terre d’origine des Anishinaabe, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés, et patrie de la nation métisse de la rivière Rouge.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, du Manitoba, Traité no 10.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du parc national Banff, territoire du Traité no 7, en Alberta.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, du territoire du Traité no 6, mais vivant en Colombie-Britannique.

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je suis une intruse à ce comité, mais je suis très heureuse d’être ici. Je vis ici, sur le territoire non cédé et non restitué des Algonquins anishinaabeg.

Le président : Merci, sénateurs.

Aujourd’hui, le Comité sénatorial des peuples autochtones entendra Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, dont le mandat prend fin en décembre. Le comité des peuples autochtones a déjà entendu Mme Murray en mars 2023. Son témoignage a contribué à la préparation de deux de nos rapports provisoires, Honorer les enfants qui ne sont jamais rentrés auprès des leurs : vérité, éducation et réconciliation, publié en juillet 2023, et Archives manquantes, enfants disparus, publié en juillet 2024.

Aujourd’hui, Mme Murray informera le comité sur le travail crucial que son bureau a accompli depuis sa nomination, en juin 2022, y compris sur le rapport final qu’elle a publié le 29 octobre, qui décrit

... les obligations juridiques, morales et éthiques que le Canada doit remplir pour combler les lacunes législatives et structurelles qui existent en matière d’identification, de protection et de commémoration des enfants disparus et de leurs sépultures.

Sur ce, j’aimerais vous présenter nos témoins : Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens. Elle est accompagnée de Laver Simard, directeur des Achats et des protocoles. Je vous remercie tous deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Mme Murray prononcera une allocution d’une dizaine de minutes, qui sera suivie d’une séance de questions-réponses avec les sénateurs. Madame Murray, je vous invite maintenant à présenter votre déclaration préliminaire.

Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante, Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens : Shé:kon Sewakwekon, Kimberly Murray yónkyats, kanyen’kehá:ka ní:’í ne kanesatake. Bonsoir à tous. Je m’appelle Kimberly Murray. Je suis une Mohawk de Kanesatake, et c’est avec beaucoup d’humilité que j’ai été l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les sépultures anonymes.

J’aimerais à mon tour reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine Anishinaabe, comme je reconnais qu’Ottawa a été et continue d’être le lieu de résidence de nombreux membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Je remercie le Comité sénatorial des peuples autochtones de me permettre de comparaître devant vous ce soir.

Je tiens tout d’abord à rendre hommage aux survivants et à leurs familles, pour tout ce qu’ils font pour éveiller notre conscience collective aux atrocités perpétrées à leur encontre dans les pensionnats indiens et d’autres institutions. Je les remercie de toujours oser dire leur vérité et de partager leurs connaissances avec le Canada et le monde entier. Nous devons toujours nous rappeler qu’ils sont « nos témoins vivants ».

Comme beaucoup d’entre vous le savent, et comme l’a indiqué le sénateur Francis, j’ai publié mon rapport final le mois dernier, le 29 octobre. Ce rapport final comprend un résumé exécutif, de même que Lieux de vérité, Lieux de conscience :Sépultures et fosses communes anonymes et enfants autochtones disparus au Canada, un rapport historique téléchargeable précédemment publié le 3 juillet 2024. Je vais vous parler de ce rapport dans mon témoignage de ce soir. Mon rapport final comprend également le rapport en deux volumes intitulé Faire respecter les obligations sacrées : Réparations pour les enfants autochtones disparus et les sépultures anonymes au Canada.

Mon mandat et les exigences de mon poste me demandaient de recenser les éléments de droit canadien nécessitant des améliorations et de formuler des recommandations en vue d’un nouveau cadre juridique fédéral. Comme les gouvernements ignorent souvent les recommandations, j’ai choisi plutôt de mettre en lumière les obligations juridiques, morales et éthiques qui incombent aux gouvernements, aux églises et aux autres institutions. J’ai dressé une liste de 42 obligations à respecter pour établir un cadre de réparation dirigé par les Autochtones pour la vérité, la responsabilité, la justice et la réconciliation. Ces obligations découlent de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, des lois autochtones, du droit international en matière de droits de la personne et du droit constitutionnel canadien.

Je veux vous parler de Lieux de vérité, Lieux de conscience, le volume que j’ai publié à l’été 2024. Ce volume présente les preuves du génocide et des crimes contre l’humanité perpétrés à l’encontre de ces enfants. On voit, dans ce rapport, que les cimetières faisaient partie des pensionnats indiens dès le début. Le gouvernement avait planifié la mort d’enfants. Les preuves montrent comment le gouvernement fédéral et les églises ont déshumanisé ces enfants pendant leur vie comme après leur mort. Lorsque des enfants mouraient, les représentants du gouvernement et des églises ne rendaient souvent pas la dépouille à leur famille pour qu’elle puisse l’enterrer. Les dépouilles étaient enterrées dans les cimetières des institutions, souvent dans des fosses communes anonymes, parfois creusées par d’autres enfants. Beaucoup de ces cimetières et lieux de sépulture sont négligés, abandonnés et non protégés.

Lieux de vérité, Lieux de conscience met l’accent sur les cimetières et lieux de sépulture des pensionnats indiens où des enfants autochtones ont été enterrés et sur lesquels il existe des documents d’archives. On trouve 20 exemples représentatifs de lieux de sépulture dans le rapport, ainsi que des images des documents historiques et des photographies à l’appui des témoignages des survivants.

Lieux de vérité, Lieux de conscience met en lumière les liens entre le système des pensionnats indiens et de nombreuses autres institutions. Bien souvent, les parents et les communautés n’étaient pas informés lorsque leurs enfants étaient transférés d’un pensionnat indien à un autre, ou dans un hôpital indien, un sanatorium pour tuberculeux, une maison de correction, ou lorsque leur enfant tombait malade ou mourait dans l’une de ces autres institutions.

Lieux de vérité, Lieux de conscience met également en lumière le système de « stages » qui a vu le jour à la fin du 19e siècle. Le Canada a adopté ce système, issu des pensionnats indiens des États-Unis. Il consistait à faire le trafic des enfants des pensionnats indiens pour effectuer des travaux manuels. Ils étaient forcés de vivre et de travailler dans des maisons, des fermes et des entreprises. Les placements étaient toujours négociés par les agents des Indiens et les directeurs d’établissements. Les transferts et le trafic des enfants ajoutent à la complexité du travail des communautés et des familles pour retrouver les enfants aujourd’hui.

J’aimerais maintenant vous parler de deux des principales constatations mises de l’avant dans le rapport Faire respecter les obligations sacrées: premièrement, que de nombreux enfants disparus sont en fait disparus du fait de l’État; et deuxièmement, qu’il est urgent de créer une commission d’enquête sur la disparition forcée d’enfants autochtones au Canada.

En ce qui concerne les disparitions forcées, il existe une distinction importante à faire entre la « disparition » et la « disparition forcée ». Bien qu’on parle dans les deux cas de l’absence d’une personne, la « disparition forcée » implique vraiment qu’une force a été exercée contre la volonté de la personne. Quand on parle d’enfants « disparus », tout court, c’est peut-être exact au sens littéral et cela décrit correctement la douleur des familles qui voudraient retrouver leurs proches, mais cela ne témoigne pas de la culpabilité et de la responsabilité du gouvernement dans la mort de ces enfants ni de la violence, l’action et la force commises délibérément par l’État pour qu’ils disparaissent.

Selon les critères du droit international, la disparition forcée d’enfants exigerait du gouvernement qu’il veille à ce que des enquêtes approfondies soient menées sur la mort des enfants, que les familles et les communautés soient informées du sort des enfants et que des mesures de réparation adéquates soient prises.

En vertu du droit international, les disparitions forcées constituent un délit qui se perpétue dans le temps. Il se poursuit si les auteurs dissimulent le sort des personnes disparues et le lieu où elles se trouvent. Cela signifie que tant que le sort des enfants reste inconnu, le Canada et les églises continuent de commettre l’infraction.

Selon les normes des Nations unies, les autorités canadiennes ont l’obligation de garantir des enquêtes rapides, approfondies et impartiales sur tous les décès et disparitions potentiellement illégitimes d’enfants. Dans mon rapport final, j’écris que le Canada a l’obligation de mettre en place une commission d’enquête sur les enfants autochtones disparus et les sépultures anonymes. J’estime que cette commission d’enquête devrait être créée par voie législative et bénéficier d’un financement stable, durable et souple pendant au moins 20 ans.

Au cours des deux dernières années de mon mandat, il y a plusieurs problèmes qui ont été soulevés qui méritent des investigations supplémentaires. Ces enquêtes devraient être menées par la commission d’enquête sur les enfants disparus. Il devrait y avoir des enquêtes sur les décès et les disparitions d’enfants autochtones qui ont été emmenés dans des hôpitaux indiens, des sanatoriums pour tuberculeux, des institutions psychiatriques, des orphelinats, des établissements pour enfants handicapés, des foyers pour mères célibataires, des maisons de correction et des centres de détention pour mineurs. Nous avons besoin d’enquêtes sur les expérimentations humaines pratiquées sur les Autochtones dans ces établissements, y compris sur des enfants. Enfin, il faut mener des enquêtes sur la mort et la disparition des bébés nés dans les pensionnats indiens et les établissements connexes.

Je n’ai pas le temps de parler des 42 obligations que je présente dans mon rapport final, mais j’y affirme qu’il est temps pour le Canada de passer d’une culture d’amnistie et d’impunité à une culture de responsabilité et de justice. Cela doit commencer par la mise en place d’un cadre de réparation adéquat, dirigé par les Autochtones.

Les survivants et les communautés autochtones disent que le cadre de réparation dirigé par les Autochtones doit se fonder sur une loi affirmant le droit fédéral à la vérité et une stratégie nationale de souveraineté des données autochtones. Il doit inclure la restitution aux Autochtones des terres où sont enterrés les enfants disparus. Il doit comprendre une loi sur la réparation visant à restituer les dépouilles des enfants à leur communauté d’origine. Il doit comprendre une loi nationale sur la commémoration et la mémoire. Il doit s’accompagner d’une modification du Code criminel, afin d’ériger en infraction le fait de promouvoir délibérément la haine à l’égard des Autochtones par l’approbation, le déni, la minimisation ou la justification du système des pensionnats indiens. Il doit prévoir un financement et un soutien durables de tous les ordres de gouvernement.

La négligence généralisée qui s’observe à tous les ordres de gouvernement est manifeste partout au pays. Prenons l’exemple de la communauté de Grassy Narrows, ici en Ontario, qui se bat pour obtenir du financement du gouvernement fédéral afin de fouiller le site du pensionnat McIntosh, qui se trouve sur des terres publiques fédérales et provinciales. La communauté doit également se battre pour lever les obstacles provinciaux à l’accès aux terres de la Couronne provinciale et à la réalisation de fouilles sur ces terres.

Jusqu’à présent, les gouvernements se sont toujours soustraits à leur obligation de rendre des comptes aux niveaux international et national. Le Canada a créé et maintient une culture d’impunité institutionnelle et individuelle et d’amnistie des colonisateurs. Ces enfants sont morts alors qu’ils étaient sous la responsabilité de l’État canadien. Dans mon rapport final, je somme l’État canadien d’honorer les obligations juridiques, morales et éthiques que je décris. Je demande au Sénat de faire tout ce qui est en son pouvoir pour veiller à ce que ces 42 obligations soient respectées.

Sur ce, je vous dis nyá:wen pour le temps que vous m’accordez. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et de vous fournir tout complément d’information que vous souhaiterez.

Le président : Je vous remercie de votre déclaration préliminaire, madame Murray. Je vais maintenant donner la parole aux sénateurs pour qu’ils vous posent des questions. Je vais poser la première.

J’entends bien des survivants, des familles et des communautés autochtones se plaindre de l’accès au financement fédéral. Par exemple, les membres autochtones indépendants du Comité consultatif sur les documents relatifs aux pensionnats ont cessé de participer aux travaux du comité en août dernier en raison d’un manque de financement pour réaliser leur plan de travail.

Par ailleurs, le Fonds de soutien communautaire pour les enfants disparus des pensionnats est passé de 3 millions de dollars à 500 000 $ cet été. Bien que le gouvernement fédéral ait rapidement annulé ce plafond devant la consternation publique, on ne sait toujours pas exactement de combien est le financement disponible ni quelles sont les activités admissibles.

Je me demande si vous en avez entendu parler pendant vos consultations. Avez-vous des inquiétudes concernant le financement maintenant que votre mandat est presque terminé?

Mme Murray : Je vous remercie de cette question.

Tout d’abord, je tiens à préciser que le financement que le Canada avait initialement mis à la disposition des communautés après l’annonce de Tk’emlúps était plafonné à 5 millions de dollars par année. Cette somme a été abaissée à 3 millions de dollars par année, avant d’être plafonnée à 500 000 $ cet été, comme vous l’avez souligné. Depuis, ce plafond a été levé, mais nous ne savons toujours pas exactement combien d’argent est disponible ni quel est le plafond. On nous a dit qu’il serait de 3 millions de dollars, mais je n’ai encore rencontré aucune communauté qui ait reçu 3 millions de dollars au cours de l’exercice ou qui ait reçu une quelconque approbation de financement du Canada.

Ce qui est vraiment problématique, c’est que nous ne savons pas pour quelles activités les communautés peuvent utiliser ces fonds. Le programme de financement initial prévoyait des fonds pour la commémoration. Ce financement a été supprimé au cours de l’été, et je ne sais pas s’il sera à nouveau offert. Aujourd’hui même, j’ai rencontré des gens d’une communauté, la Première Nation de Williams Lake, qui a du mal à obtenir du financement pour commémorer ce qui s’est passé à l’ancien pensionnat situé sur son territoire.

Le fait que le Canada impose des restrictions à l’utilisation du géoradar suscite également des inquiétudes. La semaine dernière, les gens d’une communauté m’ont dit qu’ils n’étaient pas autorisés à utiliser ces fonds pour toute technologie invasive, y compris le géoradar, qui n’est pourtant pas invasif.

J’ai essayé d’obtenir des éclaircissements de Relations Couronne-Autochtones et Affaires indiennes et du Nord Canada sur ce que le gouvernement est prêt à financer ou non. Il s’agit d’une question récurrente dans ce pays. Comme je le dis dans mon rapport final — je l’ai dit au Canada —, nous ne pouvons pas considérer la recherche des enfants autochtones disparus comme un simple programme. Le Canada a l’obligation juridique internationale d’aider les communautés à découvrir la vérité. Il semble qu’à réduire ainsi le financement, il ne veuille pas qu’on découvre la vérité.

Le président : Merci, madame Murray.

Le sénateur Arnot : Merci d’être là aujourd’hui, Kimberly Murray et Laver Simard, et merci pour votre travail difficile.

Je me demande si vous avez reçu une réponse préliminaire au rapport que vous avez publié en juillet ou à celui paru en octobre. Vous attendez-vous à une réponse avant votre départ? Cela m’inquiète beaucoup, car la plupart des choses que vous évoquez dans vos rapports exigeraient une reddition de comptes de la branche exécutive du gouvernement. J’aimerais connaître la réponse à ces questions.

En fin de compte, que pensez-vous que notre comité sénatorial puisse faire à propos des obligations que vous avez mises en lumière? Comment pouvons-nous vous aider à cet égard?

Mme Murray : Pour répondre à votre première question, je n’ai pas reçu de réponse du Canada à mon rapport. Je l’ai pourtant remis en main propre au ministre Virani, le procureur général, le 29 octobre. Durant mon voyage ce matin pour venir ici, j’ai écrit une lettre au ministre Virani que j’entends poster demain. Je lui demande de répondre à mon rapport.

Concernant ce que le Sénat peut faire, dans le Cadre de réparation dirigé par les Autochtones, comme je l’ai mentionné, je demande au Canada de mettre en œuvre un certain nombre de mesures législatives, comme une loi fédérale sur le droit à la vérité, des changements à la Loi sur la protection des renseignements personnels et des changements à la Loi sur l’accès à l’information. On pourrait apporter beaucoup de modifications importantes et mettre en place une nouvelle loi.

Mon mandat exigeait que j’envoie mon rapport final à divers organes des Nations unies. J’ai envoyé mon rapport à cinq d’entre eux. J’ai rencontré les représentants de certaines organisations. Je pense qu’il est très important d’attirer l’attention sur les enfants disparus au Canada dans ce forum international, et c’est ce que j’ai l’intention de faire. Les communautés ont demandé au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de venir au Canada, mais comme l’indique mon rapport, même l’ONU doit être décolonisée, et certaines entités ne viendront pas au Canada, sauf si le gouvernement du Canada, comme État, les y invite. Tout ce que nous pouvons faire pour que certains organes de l’ONU viennent ici et visitent le Canada est très important.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup.

La sénatrice Sorensen : Merci de votre présence. C’est bon de vous revoir, et j’ai beaucoup de respect pour le travail que vous avez fait et que vous poursuivez.

Concernant les enquêtes supplémentaires, vous affirmez dans votre rapport que la recherche des enfants disparus devrait comprendre des enquêtes sur les logements Good Shepherd, où bien des filles autochtones considérées comme troublées ont été transférées. Selon mes informations, l’aînée crie Taz Bouchier, qui a été agressée quand elle était au Maple Ridge Residential Treatment Centre pour filles en Alberta, a demandé qu’on ajoute cet établissement à la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, mais sa demande a été rejetée, parce que c’était des logements dirigés par la province.

J’aimerais obtenir des précisions de votre part quant à l’accent mis sur la responsabilité fédérale qui fait que les survivants des établissements dirigés par les provinces sont tombés entre les mailles du filet. Diriez-vous que beaucoup de victimes n’ont pas été entendues, simplement à cause de l’ordre de gouvernement qui les a lésées? Par curiosité, les fonctionnaires fédéraux ont-ils actuellement le pouvoir d’enquêter sur les abus coloniaux qui se sont produits dans les établissements provinciaux et de les régler? Ou cela pourrait être le travail futur d’une commission, si nous y arrivons.

Mme Murray : C’est une grande question.

Tout d’abord, je vous rappelle simplement qu’en vertu de la convention, les survivants et les communautés pourraient demander à ce qu’on y ajoute des établissements. Très peu d’établissements ont été inscrits à la convention originale. Un document volumineux met en lumière tous les établissements que les gens ont tenté d’ajouter à la convention. Les logements Good Shepherd en font partie, tout comme bien des établissements que j’ai mentionnés dans mon rapport final. Nous savons que des enfants autochtones ont été amenés dans ces établissements.

Ce qui me paraît intéressant, c’est qu’à Bibliothèque et Archives nationales Canada, on peut voir les documents où le Canada approuve le transfert d’enfants vers ces établissements. C’est l’agent des Indiens qui donnait cette approbation, et on payait pour le maintien des enfants dans ces établissements provinciaux. Les provinces facturaient le Canada pour garder ces enfants dans ces établissements, et c’était l’agent des Indiens qui les y envoyait. Donc, il faut examiner de plus près, documents historiques à l’appui, l’idée que le Canada n’a pas de responsabilité à l’égard de ces établissements dirigés par les provinces.

J’ai parlé des logements Good Shepherd, parce que je voulais montrer l’expérience des filles autochtones et le fait qu’on les envoyait dans tous ces différents établissements à cause de préjugés racistes contre les filles et les femmes autochtones. Nous avons trouvé de nombreux dossiers de filles transférées d’un pensionnat indien aux logements Good Shepherd par l’agent des Indiens et les entités de l’Église, sans ordonnance des tribunaux. Bien des établissements recevaient des enfants au titre d’une ordonnance juridique, mais en l’absence d’une telle ordonnance, la durée du séjour était illimitée. Les enfants étaient là indéfiniment jusqu’à ce que les responsables de Good Shepherd décident de les libérer. On mène présentement des recours collectifs contre certains responsables des logements Good Shepherd, et des gens y ont adhéré.

Comme je l’ai dit, il n’y a pas eu de réparations appropriées. Le Canada a approché les réparations avec les Autochtones de manière fragmentaire. D’abord, il refuse toute responsabilité, puis il accepte une certaine responsabilité, avant d’amener les survivants à passer par le système de justice et ces processus, sans jamais répondre de manière holistique. Le cadre de réparation dirigé par les Autochtones dont j’ai parlé et les obligations connexes doivent nous permettre de réparer tous les torts commis.

La sénatrice Greenwood : Merci.

Le président : Madame Murray, l’obligation 37 demande au gouvernement fédéral de modifier le Code criminel, pour que soit considérée comme une infraction la promotion volontaire de la haine contre les peuples autochtones en cautionnant, en niant, en minimisant ou en justifiant le système des pensionnats indiens ou en trahissant les faits. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui vous a amenée à proposer cette modification?

Mme Murray : Merci de cette question.

J’ai cerné certains problèmes que vivaient les communautés dans mon rapport d’étape publié à Cowessess en juin 2023. J’y écris que quand la nation Tk’emlúps a fait l’annonce de son rétablissement, beaucoup d’activités très néfastes et de discours haineux la visaient. Partout au pays, différentes communautés m’ont parlé de problèmes qu’elles doivent affronter à cause des torts, de la haine et des discours haineux nocifs qu’on leur fait subir en ligne. J’y ai moi-même été exposée et j’ai reçu tous les jours des courriels de personnes menaçant ma vie. Des agents de sécurité ont parfois dû m’escorter dans certaines situations. Je pense donc qu’il est nécessaire de modifier le Code criminel.

Le libellé que je propose, que Leah Gazan propose dans son projet de loi, reflète le libellé de la modification que nous avons apporté au Code criminel concernant le déni de l’Holocauste.

Bien des gens qui défendent la liberté d’expression disent que ce n’est pas la bonne façon de régler le problème, mais je crois que si. La Charte ne protège pas les discours haineux, et les choses s’aggravent au pays. Nous devons nous assurer que les survivants et les communautés sont en sécurité. Nous devons envoyer un message clair aux Canadiens : ce n’est pas correct d’inciter les gens à la haine.

Je dis souvent aux gens que c’est une chose de ne pas croire aux sépultures. C’est une opinion, et la liberté d’expression permet de la dire, mais si l’on dit qu’il n’y a pas de sépultures et que les Premières Nations ou les Indiens mentent, parce qu’ils veulent brûler des églises ou vous prendre vos chalets, c’est une incitation à la haine contre les Autochtones. Nous devons mettre fin à ce type de discours. C’est le genre de discours haineux qui n’est pas protégé par la Charte.

Le président : Merci de cette réponse, madame Murray.

La sénatrice McCallum : C’est bon de vous revoir.

Madame la commissaire, je veux vous poser une question sur la responsabilité fiduciaire du gouvernement envers les Premières Nations. Quand on examine les responsabilités constitutionnelles, politiques, juridiques et les obligations du gouvernement envers les Premières Nations, ce que vous faites ici, c’est difficile de réconcilier ces responsabilités profondes avec la survenue d’effets subséquents en cascade que nous voyons toujours de nos jours dans le système des pensionnats indiens.

Comme nous le savons tous, le système des pensionnats indiens constitue une violation impensable des droits de la personne et un génocide. Ce système visait particulièrement et intentionnellement les enfants des Premières Nations, et les enfants des Métis étaient molestés de façon plus occasionnelle. Les Métis et les Inuits n’étaient pas visés par la Loi sur les Indiens. Le traitement des Premières Nations et des Métis dans le système des pensionnats indiens était horrible, et il faut reconnaître que le système visait principalement à enlever les enfants des Premières Nations.

Compte tenu de cette violation des droits de la personne et de ce génocide permis par le gouvernement fédéral de concert avec l’Église, diriez-vous que c’est présentement la responsabilité du gouvernement de faire des réparations et des accommodements importants? Quand vous parlez des responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et des obligations, je veux les inclure dans ma question, parce que c’est une combinaison de tout cela. Parfois, on scinde ces éléments, mais ils sont indissociables.

À la lumière de la campagne prolongée et malveillante d’oppression, d’exclusion, de marginalisation et de dépossession des terres de ceux qui vivent ici depuis des temps immémoriaux que mène le gouvernement fédéral, et du manque ultime de respect et d’honneur pour ce traité, quelle est la responsabilité du gouvernement pour ce qui est d’accommoder les Premières Nations de nos jours?

Je sais que votre rapport en parle, mais rien ne se produit. Il se passe si peu de choses à l’heure actuelle, et nous sommes dans les limbes. Comme ancienne élève d’un pensionnat indien, moins on intervient et plus cela prend de temps, plus nous sommes traumatisés, plus les traumatismes intergénérationnels sont insidieux et plus l’exercice sera coûteux au bout du compte.

Mme Murray : Tellement de choses me sont venues à l’esprit pendant que vous posiez cette question.

Dans mon rapport final, je consacre tout un chapitre à la loi, la Constitution, les traités et les obligations du gouvernement fédéral. Je signale que le système juridique, la jurisprudence et la loi sur les droits issus de traités et les droits autochtones ont aidé à créer une culture d’impunité dans ce pays et l’idée qu’il ne faut pas fournir de réparations aux peuples autochtones.

Comme je l’ai dit, j’écris beaucoup sur la stratégie fragmentaire que, pendant des générations, tous les gouvernements ont adoptée en réponse aux revendications des Autochtones, et nous devons faire mieux. Il faut toujours forcer le Canada à discuter, et nous n’en arriverons jamais à la réconciliation si l’on applique cette stratégie en matière de revendications à l’avenir. Il faut réagir de manière plus vaste aux réparations nécessaires. J’ai tenté de trouver diverses manières de nous y prendre. C’est en réponse aux externats, aux élèves externes et à la rafle des années 1960, qu’on ne voit pas en vase clos. C’est une poursuite juridique après l’autre. Nous serons toujours en mode poursuite juridique si nous ne réalisons pas ce cadre de réparations dirigé par les Autochtones de la bonne manière. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Je dirais aussi que pendant que vous parliez, je pensais aux excuses qu’a présentées le gouvernement, en particulier concernant les pensionnats indiens, et maintenant il limite sa responsabilité. Ces excuses ne reconnaissaient pas les torts perpétrés contre les Autochtones. Les excuses de Stephen Harper aux survivants contenaient une ligne sur la mort d’enfants. Nous n’avons pas reçu des excuses appropriées, et aucune mesure n’y était liée. Je répète qu’il faut de nouvelles excuses et des réparations appropriées, au moins concernant les enfants disparus au pays. Dans mon rapport, j’analyse beaucoup d’excuses que le gouvernement a présentées au fil des ans de toutes sortes de manières, et il échoue. Le pays échoue en matière de réparations.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup, monsieur Simard et madame Murray, d’être ici.

Nous nous connaissons depuis longtemps, et nous avons entre autres travaillé ensemble concernant la criminalisation des femmes autochtones, en particulier. Les enjeux que vous soulevez suscitent bien des préoccupations sur la responsabilité et l’hyper-responsabilisation des femmes autochtones, en particulier; non seulement on dit qu’elles ont la principale responsabilité de se protéger et de protéger ceux dont elles ont la charge, mais c’est aussi ainsi qu’on les socialise et ce qu’elles en viennent à croire elles-mêmes. Comment pourrions-nous ajouter une partie de ce travail dans notre étude?

Comme vous le savez, alors que nous discutons, les appels à l’action de la CVR — que vous avez aidé à mettre sur pied — sont censés régler l’incarcération de masse des Autochtones d’ici l’an prochain. Pendant que nous siégeons ici, les femmes autochtones représentent une détenue sur deux dans les prisons fédérales. C’est 9 sur 10 en Saskatchewan, au Manitoba et dans le Nord; et 10 sur 10, de 95 % à 100 % des jeunes femmes et des filles dans le système. La situation s’aggrave. Avez-vous d’autres suggestions sur la façon de mettre fin à cet état de fait? Je ne veux dire d’aucune façon que vous en êtes responsable, mais comment pouvons-nous aussi prendre en compte ces données dans la discussion sur les réparations?

Mme Murray : Merci, sénatrice Pate, de cette question.

J’ai consacré tout un chapitre au système de justice dans mon rapport final, et je relève les manquements des procureurs de la Couronne, des services de police et de tous les intervenants dans le système de justice. Les aînés me rappellent de ne pas parler d’un système de justice, parce que justice n’a pas été rendue.

Quand je pense à ce qui est nécessaire — et nous en parlons tout au court du rapport —, je pense à l’importance des lois autochtones et d’appuyer la revitalisation des lois autochtones, que l’ancien sénateur Murray Sinclair défendait avec la Commission de vérité et réconciliation. Nous n’avons pas très bien fait depuis que la CVR a fait ces appels à l’action.

Je dis souvent — je travaillais pour le ministère du Procureur général de l’Ontario — que nous avons besoin de changer de paradigme complètement. Il ne suffit pas d’apporter des correctifs mineurs. Il ne suffit pas de penser différemment. Nous devons changer de façon de faire. Nous devons nous débarrasser des idées préconçues, et nous ne l’avons toujours pas fait.

La Commission de vérité et réconciliation a demandé à ce qu’on revitalise les lois autochtones, et le Canada a été très lent à répondre à cet appel. Le pays, les provinces et le gouvernement fédéral ont toujours investi du côté bateau du wampum à deux rangs. Nous consacrons des ressources au système correctionnel, et il y a plus de juges et de procureurs, mais nous n’investissons pas autant de ressources du côté canot du wampum, qui vise à revitaliser les lois et les langues autochtones. Nous savons que toutes ces mesures aident à garder les gens en sécurité et à rendre les communautés plus sécuritaires.

Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais ce sont mes réflexions sur le sujet. Nous ne pouvons pas répéter les mêmes pratiques encore et encore.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie d’être là ce soir et hiy hiy pour tout le travail que vous avez accompli.

Dans votre rapport, vous affirmez ceci :

Le Canada a décidé de ne pas signer ou de ne pas adhérer à de nombreux organismes internationaux de défense des droits de la personne qui pourraient aider à enquêter sur les violations des droits de la personne contre les enfants autochtones. Le Canada n’a pas signé ni ratifié la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ni accepté la compétence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui l’applique. Le Canada a également choisi de ne pas signer et ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de 2006 (Convention relative aux disparitions forcées) qui comprend des obligations spécifiques pour les États d’enquêter sur les disparitions et reconnaît explicitement le droit à la vérité.

Vous en avez déjà parlé. Pourriez-vous nous dire aux fins du compte rendu pourquoi, à votre avis, le gouvernement du Canada n’a pas signé ni ratifié ces conventions et ne s’est pas joint à ces organismes internationaux de défense des droits de la personne qui pourraient aider à enquêter sur les violations des droits de la personne commises contre nos enfants autochtones?

Mme Murray : C’est parce qu’il s’est accordé une amnistie. C’est pour cette raison qu’il refuse de signer ces conventions. Cet état de fait diminue la reddition de comptes et empêche les survivants et les peuples autochtones de demander des comptes et d’obtenir justice.

J’écris également sur le fait que le Canada, dans sa propre Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, a retiré le terme « disparition forcée », qui figure dans le Statut de Rome. Nous savons, et le Canada sait que l’État est à l’origine de la disparition forcée d’enfants autochtones.

Dans mon rapport final, je traite abondamment de l’amnistie de facto que le Canada a créée et qu’il s’est accordée. Dans le cadre de mes obligations, j’exhorte le Canada à signer ces conventions afin de permettre aux survivants et aux communautés autochtones d’obtenir une reddition de comptes.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.

La sénatrice McCallum : Lorsque vous dites que tant que les corps ne sont pas retrouvés, le Canada commet une infraction, diriez-vous que le financement le place en conflit d’intérêts? Si tel est le cas, à qui pourrions-nous nous adresser afin de veiller à ce que le Canada ne dissimule rien?

Mme Murray : D’abord, il y a le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le Mécanisme d’experts des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, puis il y a la Cour pénale internationale. C’est auprès de cette instance que j’ai déposé mon rapport. Comme je l’ai dit, le crime de disparition forcée continue de se perpétrer. Lorsqu’un groupe d’avocats canadiens s’est adressé à elle après l’annonce des Tk’emlúps, la Cour pénale internationale a d’abord affirmé qu’elle n’avait pas compétence en la matière. Elle explique que c’est parce que ces crimes auraient été commis avant que la cour ne soit créée. C’est pourquoi il est si important que les gens comprennent que des enfants ont été victimes de disparition forcée, puisqu’il s’agit du seul crime toujours d’actualité sur lequel la cour peut se pencher.

J’affirme que le Canada commet un crime encore aujourd’hui, qu’il l’a commis par le passé et le commettra encore à l’avenir, car il ne fournit pas les ressources adéquates pour que les communautés mènent ces enquêtes. Il cache la vérité. Il bloque l’accès aux archives. Le comité sur les documents était censé transférer de 30 à 40 millions de documents au Centre national pour la vérité et la réconciliation. Le Canada ne s’est doté d’aucune stratégie de souveraineté des données pour que les communautés puissent récupérer leurs archives, donc il les empêche d’avoir accès à la vérité. Nous ne connaissons toujours pas le sort des enfants. Nous ne savons pas ce qui est advenu d’eux.

Il y a de nombreux certificats de décès, notamment ceux d’enfants décédés dans des pensionnats indiens, selon lesquels ils ont été enterrés au cimetière du pensionnat. De nombreux certificats portent la signature de l’agent des Indiens ou du directeur, et la cause du décès y est également indiquée. Comment pouvons-nous être certains de la cause exacte du décès sans avis médical?

Comme vous le savez, les communautés veulent mener ce genre d’enquêtes. Elles souhaitent qu’elles soient dirigées pas des Autochtones. Elles veulent également attirer l’attention des Nations unies sur ce qui se passe au pays. Le Canada n’a pas un bilan très reluisant en matière de droits de la personne lorsqu’il s’agit des peuples autochtones.

La sénatrice McCallum : Ce que je demandais, c’est vers qui pouvons-nous nous tourner pour demander du financement, parce que ce dossier dépasse le cadre du gouvernement fédéral. Il n’y a personne vers qui se tourner.

Mme Murray : Il n’y a personne.

La sénatrice McCallum : Il n’y a personne au Canada.

Mme Murray : Pour obtenir du financement supplémentaire? Eh bien, le Canada a l’obligation de fournir du financement.

La sénatrice McCallum : Je sais, mais il a reculé. C’est le gouvernement qui décide.

Mme Murray : Il est absolument honteux que certains gouvernements provinciaux se retrouvent à faire le travail de réconciliation bien plus que le gouvernement fédéral. Certaines communautés n’ont d’autre choix que de s’adresser à des fondations pour obtenir le soutien financier nécessaire pour mener leurs enquêtes. Elles obtiennent du financement de gouvernements provinciaux pour racheter leurs terres, alors que c’est le Canada qui devrait leur fournir les fonds.

La sénatrice McCallum : Vous avez parlé de rétablir la primauté du droit autochtone, mais vous savez que ces lois ne peuvent pas être mises en application. La GRC refuse de les appliquer, et l’on ne peut pas lancer de poursuites. C’est ce qui se passe au Manitoba et j’ai fait une intervention à ce sujet au Sénat.

Cette situation m’apparaît intenable. Chaque fois que nous essayons d’agir, nous frappons le même nœud. Je voulais revenir à l’idée de changer de paradigme, car lorsque je suis arrivée en poste, je me sentais prise dans ce paradigme. Et je disais aux gens : « Comment peut-on changer de paradigme et avoir une véritable réflexion quand on ne connaît même pas réellement le paradigme? » Et maintenant, mes enseignants disent « on vit selon le paradigme jusqu’à ce qu’on frappe un nœud, et c’est à ce moment-là qu’il commence à se déconstruire ». Voilà où nous en sommes. Toutefois, nous traitons avec les personnes mêmes contre lesquelles nous nous battons. Cela me semble injuste, frustrant et éreintant. Parfois, je ne sais plus quoi faire.

Le Sénat a offert des excuses, et j’ai présenté une motion. Je ne sais pas si vous étiez au courant. Ils se sont excusés et maintenant, il faut des actions. Je le savais. Quelle est la chose la plus importante que le Sénat puisse faire? Nous ne pouvons rien faire du côté du financement, n’est-ce pas? Quelle est la chose la plus importante que nous pourrions faire, outre l’intervention que j’ai faite avec vous et MKO sur les crimes contre l’humanité? Que pouvons-nous faire pour avancer, qu’est-ce qui insufflerait de l’espoir?

Mme Murray : L’obligation la plus importante, c’est de s’occuper des survivants et de s’assurer qu’ils continuent à recevoir du soutien pour se réunir et exprimer leur vérité. Bon nombre d’entre eux ne l’ont toujours pas fait. Nous devons continuer de les soutenir comme nous le pouvons, en les invitant à témoigner de leur expérience ou en les appuyant lors de rassemblements. Ils en ont besoin et c’est ce qu’ils veulent. Vous le savez bien.

Toutefois, je crois qu’il nous faut absolument une commission d’enquête afin d’appuyer les communautés qui font ce travail et qui doivent pouvoir le faire de manière indépendante.

J’aimerais quand même vous donner un peu d’espoir. Vous avez parlé des lois autochtones et du fait qu’elles ne sont pas appliquées et qu’on ne peut pas lancer de poursuites. Récemment, il y a des tribunaux qui ont appliqué des lois autochtones dans certaines affaires. Dans l’une d’entre elles, il s’agissait de fouilles sur des terrains au Québec; les Mères mohawks, les Kahnistensera, se sont adressées aux tribunaux sans être représentées. Il s’agit de grands-mères. Elles ont fait valoir le droit autochtone. Elles ont réussi à obtenir une injonction pour faire cesser des travaux de l’Université McGill, qui voulait construire sur les terres de l’ancien institut Allan Memorial de l’hôpital Royal Victoria. Dans certaines affaires, en Ontario, des lois autochtones ont aussi été appliquées en cour pour protéger des communautés contre les trafiquants de drogue. Nous observons quelques changements dans les tribunaux, alors il y a lieu d’espérer, surtout avec des programmes comme le programme en droit autochtone offert à l’Université de Victoria; il y aura maintenant des diplômés en droit autochtone. Je crois qu’il y a des changements qui s’amorcent. Ces changements se faisaient attendre depuis très longtemps, toutefois.

Le président : Monsieur Simard, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

Laver Simard, directeur, Achats et protocoles, Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens : J’aimerais d’abord saluer les survivants des externats autochtones et les membres de leur famille. Je m’appelle Laver Simard et je suis originaire du territoire du Traité no 5.

J’ai déjà posé la question que la sénatrice McCallum a posée sur le droit autochtone. Je me rappelle l’avoir posée il y a quelques années à un aîné du Manitoba — vous connaissez probablement l’aîné en question. Je lui ai demandé ceci : « Que veut-on dire lorsqu’on parle de droit autochtone? ». Il m’a répondu : « la terre, l’air et l’eau; si l’on est en harmonie avec la terre, l’air et l’eau, alors on respecte le droit autochtone. » Il m’a donné un enseignement sur la manière de vivre en harmonie et en équilibre avec la terre.

Il y a le droit occidental et le monde occidental d’un côté, puis le monde traditionnel de l’autre. Il faut concilier ces deux mondes. Quand on parle d’agir, il faut agir selon le droit autochtone et le droit occidental. Lorsqu’il m’a donné cet enseignement, il y a quelques années, il a parlé d’harmonie avec la terre, l’air et l’eau. C’est ce qu’on entend souvent de la bouche des aînés, ce qu’on apprend des enseignements traditionnels, pour retrouver ce qui nous a été pris. Meegwetch.

Le président : Je vous remercie et je remercie également la sénatrice McCallum.

Madame Murray, comment devrions-nous nous y prendre pour faire le suivi du respect des obligations juridiques, morales et éthiques que vous mentionnez dans votre rapport? Qui devrait faire ce travail de surveillance?

Mme Murray : Merci.

Une de mes dernières obligations consiste à créer un comité de mise en œuvre nommé par les organisations autochtones nationales. J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à l’entité qui devrait surveiller les obligations. Comme il n’existe pas encore de conseil national pour la réconciliation, je n’en ai pas parlé dans mon rapport parce que je ne sais pas à quoi ce groupe va ressembler et qui en fera partie. Ce pourrait être un organisme qui pourrait surveiller les obligations, tout comme les appels à l’action, si nous finissons par les concrétiser. Je pense que c’est un mécanisme important.

Je veux juste parler rapidement de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Notre pays a une loi sur la Déclaration des Nations unies dans laquelle il s’engage à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La Cour suprême du Canada a statué que la Déclaration des Nations unies est une loi dans ce pays. De nombreux articles de la Déclaration des Nations unies portent précisément sur ce genre de travail, qui vise à trouver les enfants disparus, à rapatrier les terres et à rapatrier les enfants. Je pense que nous devons réclamer des comptes au gouvernement sur la Loi sur la Déclaration des Nations unies et son plan d’action.

Le plan d’action ne prévoit pas grand-chose pour retrouver les enfants disparus et protéger leurs lieux de sépulture. Il n’est pas trop tard pour apporter des changements à ce plan d’action. Nous devrions demander au Canada de modifier son plan d’action.

La sénatrice Osler : Merci aux deux témoins de comparaître aujourd’hui.

Le rapport final énumère les obligations juridiques, morales et éthiques qu’ont les gouvernements, les églises et d’autres institutions de soutenir les travaux de recherche et de récupération menés par les Autochtones. Je remarque que les obligations incombent à divers gouvernements, surtout à la Couronne, mais je me demande si vous pourriez nous parler des obligations, financières ou autres, que les églises peuvent avoir sur le plan des réparations et... je m’en tiendrai là. Je voudrais connaître votre opinion sur le rôle des églises.

Mme Murray : Merci de cette question.

Les églises étaient les agents de l’État qui mettaient en œuvre les politiques du gouvernement du Canada. Il y a bien des choses qu’elles peuvent faire, comme vous le savez grâce à vos propres rapports et études en lien avec leurs dossiers. J’écris sur la façon dont les églises catholiques, notamment, ont utilisé des lois coloniales qui ne s’appliquent pas à elles pour protéger leurs dossiers. Elles affirment aux communautés qu’elles ont remis tous leurs dossiers à la Commission de vérité et réconciliation et qu’ils se trouvent maintenant au Centre national, ou qu’elles ne peuvent pas les leurs fournir en raison de la loi sur la protection des renseignements personnels. Mais cette loi ne s’applique pas aux églises. Leurs propres avocats ont envoyé un mémoire à tous les diocèses, leur indiquant que les lois sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information ne s’appliquent pas aux entités religieuses. La remise des dossiers constitue donc pour elles une démarche très importante.

J’écris sur les jésuites, qui ont publié les noms d’employés visés par des allégations crédibles d’agressions physiques et sexuelles. Toutes les églises doivent faire de même. Les jésuites ont divulgué non seulement les noms des gens, mais aussi tous les endroits où ils ont travaillé et précisé s’ils sont vivants ou décédés. Ce sont là des renseignements très importants que les communautés essaient de réunir actuellement dans le cadre de leurs recherches.

Évidemment, la plupart des églises — ou un grand nombre d’entre elles — ont présenté des excuses, certaines à plus d’une reprise. Il est crucial que leur admission des torts utilise les termes propres aux droits de la personne et que les églises aient des plans d’action.

J’ai nommé d’autres institutions dans mon rapport final, notamment les médias, les universités en particulier et la profession médicale, et je leur ai attribué des obligations. Nous savons que l’Association médicale canadienne a admis ses torts et présenté des excuses. Elle a admis que des expériences médicales avaient été faites sur des Autochtones. Elle publiera un deuxième rapport en janvier. Nous savons que des universités et des professeurs d’université ont participé à des expériences médicales et détiennent de nombreux documents et études sur les peuples autochtones. Nous avons besoin que ces documents soient mis à la disposition des communautés.

Pour ce qui est des médias, je leur ai demandé de se pencher sur leur propre histoire, sur la façon dont ils ont parlé des peuples et des communautés autochtones et sur la propagande qu’ils ont diffusée sur les pensionnats autochtones. CBC, avec son nouveau cadre ou sa nouvelle politique autochtone — j’ai oublié comment cela s’appelle —, effectue ce travail actuellement pour chercher dans ses propres archives afin de voir ce qu’elle a fait au fil des ans dans ses reportages sur les peuples autochtones.

Il y a donc beaucoup à faire pour tout le monde. Le dernier chapitre de mon rapport final s’intitule « Élargir le cercle ». Il donne quelques exemples de bonnes choses que font les organisations et les personnes pour soutenir les communautés, et il invite d’autres acteurs à faire de même.

La sénatrice Greenwood : Vous avez peut-être déjà répondu en partie à ma question. Elle porte en fait sur les réparations intégrales, dont vous parlez dans l’obligation numéro 7. Dans le cadre, vous avez établi certaines catégories. Je voulais vous donner l’occasion de parler s’il y a quoi que ce soit que vous voudriez dire de plus sur ce cadre. Cela nous serait vraiment bénéfique pour comprendre.

Vous avez déjà parlé de certains obstacles qui entravent peut-être l’élaboration ou la mise en œuvre. Je voulais vous donner l’occasion de nous en dire un peu plus sur ce cadre et d’expliquer ensuite quels pourraient être certains des défis, car cela pourrait nous aider à savoir ce que nous pourrions appuyer.

Mme Murray : Merci de m’offrir cette occasion.

J’aimerais souligner que je l’appelle « cadre de réparation dirigé par les Autochtones » parce que nous avons constaté que le pays ne s’en tire pas très bien tout seul. J’explique dans mon rapport provisoire et dans mon rapport final ce que signifie « dirigé par des Autochtones ». Cela signifie qu’il faut que les Autochtones prennent des décisions et soient de la partie. Cela ne signifie pas qu’ils doivent tout faire, car nous avons besoin de nos alliés et du soutien d’experts, surtout pour les recherches complexes de ce genre. Il faut toutefois que ce soit des Autochtones qui dirigent le navire, le canot ou le canoë, mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. C’est toujours le gouvernement du Canada ou le gouvernement fédéral qui détermine ce pour quoi il va s’excuser ou accorder des indemnisations et qui fixe les limites.

Il y a beaucoup, beaucoup d’obstacles. Dans mon rapport provisoire, j’en énumère 12 auxquels se heurtent les communautés, et je tente de les éliminer grâce au cadre de réparation dirigé par les Autochtones. Mais le principal problème dont j’ai entendu parler à l’échelle du pays, c’est l’absence de justice ou de reddition de comptes pour les torts causés. Voilà pourquoi mon rapport se fonde autant sur les obligations juridiques internationales, car je voulais m’assurer que le Canada comprenne qu’il contrevient aux engagements qu’il a pris devant les Nations unies et enfreint ses obligations légales et morales.

Le sénateur McNair : Merci à vous deux de témoigner ce soir.

Nous pourrions passer une heure à parler de chaque obligation et à la critiquer. Il n’y a pas beaucoup de temps pour tout passer en revue. Je crois que vous avez effleuré la question dans votre dernière réponse, mais en ce qui concerne la justice et la reddition de comptes, je m’intéresse à l’obligation no 11 du rapport, qui indique que « Le Canada doit déférer la disparition forcée d’enfants, qui constitue un crime contre l’humanité, à la Cour pénale internationale [...] ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est, selon vous, essentiel de le faire et pourquoi c’est nécessaire et approprié dans les circonstances?

Mme Murray : Merci de cette question.

La Cour pénale internationale enquête sur les crimes contre l’humanité et poursuit des personnes. Nous savons que certaines personnes responsables des atrocités sont toujours en vie au pays et à l’étranger. Nous savons que pour déférer une affaire à la Cour pénale internationale, l’État ou un autre État doit lui renvoyer l’affaire. Je demande donc au Canada de s’adresser lui-même à la Cour pénale internationale. Il serait très significatif pour les survivants et les communautés que la Cour pénale internationale statue que des crimes contre l’humanité ont été perpétrés dans ce pays, car ils savent qu’ils ont eu lieu, mais ils voudraient que ce soit admis par les Nations unies et la Cour pénale internationale. J’ajoute dans cette obligation que le Canada ne doit pas intervenir si quelqu’un d’autre tente de renvoyer l’affaire devant la Cour pénale internationale.

Il y a un autre organisme international qui arrive au Canada et dont je parle dans le chapitre « Élargir le cercle ». Il s’agit du Tribunal permanent des peuples. Amnistie internationale et le Refuge pour femmes autochtones de Montréal lui ont écrit pour lui demander de venir tenir des audiences au Canada sur la question des enfants disparus, et cette demande a été acceptée. Des audiences auront lieu. Un acte d’accusation est en préparation et sera signifié aux responsables du gouvernement et de l’église, et les juges seront des juristes internationaux experts des droits de la personne. Ils n’ont pas encore été choisis. Il y aura des audiences ici au pays. Je crois que ce sera en 2026, si ma mémoire est bonne. Il s’agit d’un tribunal de la société civile qui a tenu des audiences dans le monde entier sur différentes violations des droits de la personne.

Mais la Cour pénale internationale a un rôle précis : poursuivre les personnes. Il ne peut pas poursuivre l’État, mais il peut poursuivre des personnes, et nous savons que certaines personnes sont toujours en vie.

La sénatrice Sorensen : Vous avez attisé mon intérêt lorsque vous avez parlé des provinces qui pourraient financer les demandes de fonds d’une fondation afin d’offrir une autre source d’argent. Est-ce que je comprends bien, peu importe ce que vous savez à ce sujet, que ce n’est peut-être pas la province elle-même qui verse directement les fonds? Une communauté peut s’adresser à une fondation située à proximité et faire sa demande par son intermédiaire, et l’argent vient ensuite de la province? Un exemple serait le bienvenu.

Mme Murray : Non. Parmi les provinces, certaines font mieux que d’autres.

La sénatrice Sorensen : Je veux entendre parler des bonnes ou au moins d’une bonne.

Mme Murray : L’Ontario, par exemple, offre un programme. Elle verse des fonds aux communautés pour qu’elles effectuent des recherches. Des communautés ont reçu 1 ou 2 millions de dollars des provinces pour appuyer leurs recherches, en plus des fonds obtenus du gouvernement fédéral.

La sénatrice Sorensen : Y a-t-il souvent des fonds de contrepartie?

Mme Murray : Non. Chaque cas est différent. Il revient à la communauté de décider si elle veut que le Canada et la province communiquent entre eux pour se coordonner ou si elle préfère présenter des demandes distinctes. C’est une façon de procéder, et des gens ont reçu du financement de divers programmes provinciaux. La Colombie-Britannique avait un programme, mais j’ignore s’il accorde encore du financement. Des communautés ont aussi présenté des demandes de financement à des fondations et reçu du soutien de certaines d’entre elles. Par exemple, la Fondation du droit de l’Ontario a appuyé une communauté pour un volet des travaux qu’elle mène, et il y a d’autres exemples.

La sénatrice Sorensen : C’est intéressant. Merci.

La sénatrice McCallum : Pouvez-vous me parler du rôle du Groupe des crimes majeurs? Nous l’avons rencontré pendant qu’il utilisait le radar à pénétration au sol. Mon pensionnat se trouvait sur un terrain provincial, et c’est maintenant une affaire de loi provinciale. Les chiens détecteurs de cadavres sont arrivés. Nous examinons la loi provinciale en ce qui concerne l’exhumation des corps, qui aura lieu au printemps parce que le sol est gelé, puis leur rapatriement. Avec l’intervention du Groupe des crimes majeurs et le rôle qu’il va devoir jouer, j’essaie d’avoir une idée de la façon dont nous pouvons avancer dans nos démarches. Je sais que le Manitoba est en train de remanier sa loi sur le patrimoine. Savez-vous auprès de qui nous pourrions obtenir de l’aide et à qui nous pourrions demander : « Pourriez-vous faire cela? »

Mme Murray : Je parlerai d’abord des lois provinciales. J’écris sur toutes les lois provinciales et les problèmes que pose la législation, comme les exigences en matière de permis. Les communautés doivent obtenir un permis pour faire des fouilles sur les terrains des anciens pensionnats autochtones s’ils se trouvent sur des terres provinciales. Certaines provinces, comme l’Ontario, imposent des conditions très exigeantes avec les permis, indiquant notamment aux communautés qu’elles ne peuvent pas annoncer publiquement leurs découvertes. Toutes ces exigences relatives aux terres provinciales — au sujet desquelles j’ai une obligation — doivent être examinées, révisées et modifiées, parce qu’aucune d’elles n’a été créée dans l’idée que nous ferions des fouilles de masse pour trouver des enfants disparus dans des sépultures anonymes et des fosses communes. Il y a beaucoup de choses à ce sujet dans mon rapport. Je fais une comparaison des différentes lois. Pour le rapatriement des restes humains, ici encore, il y a des lois provinciales, très peu, et aucune loi nationale ne traite du rapatriement des restes humains ou de nos ancêtres.

Avec l’Unité des crimes majeurs, chaque communauté a sa propre relation avec le service de police. La plupart des gens que j’ai entendus ne veulent pas faire affaire avec le service de police, ne veulent pas faire intervenir la GRC et ne veulent pas faire appel à la police provinciale de l’Ontario. C’est pourquoi j’ai ajouté l’obligation de mettre sur pied une commission d’enquête, car ce serait son rôle d’offrir du soutien aux communautés qui font ce travail, de faciliter les enquêtes médico-légales que mènent les communautés et de coordonner les activités avec les autres services de police au pays et à l’étranger s’il y aura une enquête médico-légale et potentiellement des accusations criminelles. Mais c’est à chaque communauté qu’il appartient de décider si elle veut essayer de collaborer avec la GRC ou le service de police provinciale. Certaines communautés m’ont indiqué qu’elles avaient communiqué avec la GRC, pour se faire répondre qu’elle attendait le rapport de l’interlocutrice spéciale. La GRC n’ira pas sur le territoire des Premières Nations pour les soutenir. Nous savons aussi que d’autres communautés ont travaillé avec la GRC.

Je ne sais pas exactement quel est le lien avec le service de police avec lequel vous faites affaire.

La sénatrice McCallum : Les gens viennent nous voir pour nous parler. Je pense que la différence qui rend les choses plus difficiles ici, c’est que lorsqu’un pensionnat était situé sur des terres fédérales, il y a un chef et un conseil qui peuvent s’occuper de la question. Dans le cas de notre école, il y a 25 communautés différentes en Saskatchewan et au Manitoba. C’est beaucoup. Il n’y a pas vraiment de personne unique qui puisse parler pour nous.

Nous sommes aussi un groupe fort. Nous nous réunissons depuis 30 ans. Nous tenons une réunion chaque année et nous parlons de ces problèmes. C’est là que cela aide maintenant.

Mme Murray : Je donne un exemple de ce qui s’est passé avec le bureau du coroner en chef de l’Ontario, qui a constitué une équipe — dont je parle dans mon rapport — qui comprend des agents de la police provinciale de l’Ontario. Il y a beaucoup de services de police autonomes des Premières Nations en Ontario. L’équipe du coroner est composée d’agents de la police provinciale de l’Ontario et d’agents des services de police autonomes des Premières Nations. Ils travaillent avec les membres des communautés qui leur demandent de travailler avec eux. Le coroner en chef de l’Ontario a utilisé les pouvoirs que lui confère la Loi sur les coroners pour accéder aux dossiers et, grâce à ce travail, il a recensé deux ou trois fois plus de décès d’enfants qu’on avait été en mesure de trouver, juste avec les dossiers d’archives et ses pouvoirs. C’est un exemple que je décris comme une pratique émergente. Le coroner précise très clairement qu’il n’interviendra pas pour prendre en main les enquêtes; il appuie les communautés dans le cadre de l’enquête, à leur demande. J’ai dit au coroner en chef de l’Ontario qu’il serait important qu’il fasse connaître son travail aux autres coroners et aux acteurs du milieu médico-légal du Canada pour qu’ils puissent s’en inspirer et faire la même chose dans les autres provinces et territoires.

Le président : Avant de conclure, je tiens à exprimer mon respect et ma gratitude les plus profonds à Mme Murray, à M. Simard et à leur équipe pour le courage et le dévouement dont ils ont fait preuve dans cette entreprise difficile et émotive. Votre détermination inébranlable à affronter des vérités difficiles et à ouvrir la voie à des changements marquants est un témoignage profond de votre leadership et de votre vision, et nous vous en remercions encore.

Le temps accordé à ce groupe de témoins est écoulé, et je tiens à remercier encore une fois nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Si vous souhaitez faire des observations subséquentes, veuillez le faire d’ici sept jours auprès de notre greffier, Sébastien Payet. Cela nous amène à la fin de notre réunion.

(La séance est levée.)

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