LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 3 décembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la teneur du projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, j’invite les sénateurs et les autres participants dans la salle à consulter les cartes sur la table afin de prendre connaissance des directives à suivre pour éviter les incidents acoustiques. Assurez-vous que votre oreillette se trouve toujours à bonne distance des microphones. Lorsque vous ne l’utilisez pas, posez-la face vers le bas sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Je vous remercie tous de votre coopération.
Je tiens d’abord à rappeler que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabe et qu’il est aujourd’hui le foyer de nombreuses autres communautés des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis, d’Epekwitk, aussi appelé l’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je vais maintenant demander à mes collègues sénateurs de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou leur territoire, en débutant à ma gauche.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick. J’habite sur une partie des terres non cédées du peuple mi’kmaq.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice White : Kwe. Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connu sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse, au Mi’gma’gi.
Le président : Merci tout le monde.
Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre étude de la teneur du projet de loi S-268, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les Indiens pour autoriser les corps dirigeants et les personnes qu’ils désignent à mettre sur pied, à exploiter et à réglementer des loteries dans les réserves.
J’aimerais maintenant présenter le premier témoin de la journée. Veuillez souhaiter la bienvenue à Dean Vicaire, directeur général, et à Terry Richardson, chef de la Première Nation Pabineau et membre du conseil, du Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Inc., or MTI, au Nouveau-Brunswick.
Veuillez également souhaiter la bienvenue au chef Darcy Bear de la Première Nation Whitecap Dakota, qui se joint à nous en ligne, et au chef Evan Taypotat de la Première Nation de Kahkewistahaw.
Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Nos témoins feront des déclarations liminaires d’environ cinq minutes, et les sénateurs leur poseront ensuite des questions.
Avant de commencer, je rappelle à tout le monde que nous avons trois témoins aujourd’hui et un bon nombre de sénateurs. Je vous prie donc d’être aussi brefs que possible dans vos questions et vos réponses. Je vais vous montrer ceci lorsqu’il reste une minute pour assurer le bon déroulement de la réunion.
J’invite maintenant M. Vicaire et le chef Richardson à faire leur déclaration liminaire commune.
Monsieur Vicaire, bienvenue. Je suis heureux de vous revoir.
Terry Richardson, chef, Première Nation Pabineau, membre du conseil, Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Inc. : Chers membres du comité sénatorial, je vous remercie de nous donner l’occasion de parler des jeux de hasard avec vous. Je m’appelle Terry Richardson. Je suis chef de la Première Nation Pabineau, une communauté mi’kmaq du Nord-Est du Nouveau-Brunswick.
Le nom mi’kmaq de notre territoire est Mi’gma’gi, ce qui comprend les provinces maritimes, des parties de l’Est du Québec, Terre-Neuve et le Nord-Est des États-Unis.
Notre tradition orale nous dit que nous sommes sur notre territoire depuis des temps immémoriaux. Le nom traditionnel de ma communauté est Oinpegitjoig, ce qui signifie « eaux agitées » en mi’kmaq. Le territoire de mes communautés comprend la partie orientale de la baie des Chaleurs, le bassin versant de la rivière Nepisiguit et des sections de plusieurs bassins versants avoisinants.
Tout le monde sait que les Premières Nations s’intéressent aux jeux de hasard et à leur réglementation depuis très longtemps. À vrai dire, dans beaucoup de nos nations, le jeu était une pratique qui consistait à échanger des choses, allant des objets au bétail. Le jeu de hasard préféré des Mi’kmaqs s’appelle le jeu de « waltes ». Les documents historiques indiquent que les communautés mi’kmaqs dans tout l’Est du Canada, y compris la mienne, jouaient à ce jeu longtemps avant le contact avec les Européens, et beaucoup de nos communautés jouent encore au waltes aujourd’hui.
Le projet de loi sénatorial S-268 est très important pour les Mi’kmaqs, car c’est une affirmation par le gouvernement du Canada de nos droits ancestraux ou issus de traités pour régir les activités de jeu sur notre territoire. Cette étape essentielle nous fait progresser sur le chemin de la réconciliation.
Le projet de loi S-268 nous permettra de nous adonner à des activités de jeu sur nos territoires respectifs sans risque inutile de litige. Il créera également une source de richesse pour nos communautés et contribuera à combler le manque continu de financement de base des programmes de santé, de logement et d’emploi.
De plus, nous savons que la richesse créée par les Premières Nations reste sur place, car elle est surtout dépensée dans les entreprises avoisinantes. Dans le cas de ma communauté, cela signifie que des millions de dollars sont réinjectés dans l’économie régionale.
De nombreuses Premières Nations au Canada mènent déjà des activités liées au jeu, et les revenus qu’elles en tirent aident leurs communautés à prospérer financièrement, ainsi que socialement et culturellement grâce à des projets dans les domaines du développement économique, du logement, de la santé, de l’éducation et de l’environnement.
La création de richesse grâce au jeu soulève des préoccupations lorsqu’on tient compte du risque d’infiltration par des éléments criminels. À titre préventif, des lois régissant les jeux et des commissions de jeu doivent être établies pour faire en sorte que tous les aspects du jeu dans les Premières Nations soient en règle. Dans ma communauté, nous élaborons actuellement une loi sur les jeux et une commission des jeux. Les documents réglementaires essentiels qui sont élaborés le sont avec l’aide de juristes afin que tout soit en place lorsque nous commencerons ces activités sur notre territoire.
En conclusion, j’aimerais souligner encore une fois que votre appui au projet de loi S-268 est une étape essentielle sur le chemin de la réconciliation avec les Premières Nations. Dans notre pays, un milieu sans restriction pour les entreprises de jeu des Premières Nations permettra à nos nations d’entrer dans un nouveau monde de développement économique. De plus, les revenus générés grâce au jeu contribueront à combler le manque de financement avec lequel nos communautés continuent d’être aux prises tous les jours.
Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Je vais céder les quelques minutes qu’il me reste à M. Vicaire.
Dean Vicaire, directeur général, Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Inc. : Wela’lin. [Le témoin s’exprime en langue autochtone.]
C’est un plaisir de vous revoir, sénateur Francis. Merci de présider la réunion. Nous aimerions également remercier le sénateur Tannas d’avoir présenté ce projet de loi et de reconnaître l’importance et l’incidence qu’il peut avoir pour nos communautés, comme l’a dit le chef Richardson.
Au Nouveau-Brunswick, ce ne sont pas toutes les communautés mi’kmaqs qui mènent actuellement des activités liées aux jeux, mais elles aimeraient toutes participer et voir un développement de ces possibilités. Nous avons essayé à maintes reprises de discuter avec les gouvernements précédents pour créer de nouvelles possibilités en matière de jeux. Ces démarches n’ont pas donné de résultats, et le dossier demeure au point mort.
Il convient de souligner que la Société des loteries et des jeux du Nouveau-Brunswick et la Société des loteries de l’Atlantique ne partagent aucun profit avec des Premières Nations au Nouveau-Brunswick, en dépit du fait qu’il s’agit de notre territoire. De plus, en vertu d’une entente conclue entre le gouvernement du Nouveau-Brunswick et le Casino Nouveau-Brunswick, un casino ne peut pas se trouver à moins de 150 kilomètres de Casino Nouveau-Brunswick à Moncton. Comme vous pouvez l’imaginer, cette règle fait en sorte qu’il est difficile de mener des activités liées aux jeux dans les communautés mi’kmaqs avec l’autorisation de la province. Des gouvernements précédents ont essayé d’empêcher l’existence de casinos comme le Grey Rock Casino de Madawaska. Les promoteurs ont dû traîner le gouvernement provincial devant les tribunaux, et ils ont gagné leur cause.
Nous allons avoir une réunion avec la nouvelle ministre des Finances dans deux semaines, et c’est un sujet qui sera abordé. Cependant, cette mesure législative est une occasion à saisir et sera utile dans le cadre de ces discussions. Elle est importante parce qu’elle améliorerait les possibilités économiques et sociales — comme le chef Richardson y a fait allusion —, reconnaîtrait notre droit à l’autodétermination et offrirait aux communautés un mécanisme pour élaborer un cadre réglementaire.
Je crois que si le gouvernement fédéral avait adopté cette approche pour le cannabis, il aurait permis aux communautés de mieux élaborer les règles et les règlements relatifs à la vente de cannabis sur leur territoire. Si cette mesure législative est adoptée, elle remédierait à un oubli dans les premières modifications apportées au Code criminel, qui ne tiennent pas compte des droits des Autochtones et ne traitent pas les Premières Nations d’égal à égal. Nous savons qu’il pourrait y avoir une modification qui comprend la capacité des communautés à mener des activités liées au jeu en ligne, et nous y serions certainement favorables.
Nous sommes impatients de répondre à vos questions. J’ai sauté certains points puisque vous allez recevoir le document écrit à ce sujet. Chose certaine, nous encourageons les sénateurs présents à examiner ce document et à poser des questions. J’ai intentionnellement sauté certains points pour que nous puissions répondre à des questions. Merci beaucoup. Wela’lin.
Le président : Merci. Wela’lin, monsieur Vicaire.
Darcy Bear, chef, Première Nation Whitecap Dakota : Bonjour, sénateur Francis. Je remercie le Sénat de tenir cette réunion et je vous remercie de la présider. Je viens de la Première Nation Whitecap Dakota, qui se trouve au sud de Saskatoon, à 20 minutes du centre-ville. Notre nation avait des territoires aux États-Unis et au Canada. C’est ce que confirme une carte commandée par la Compagnie de la Baie d’Hudson et la Couronne britannique, la carte Arrowsmith, qui montre clairement les territoires des Dakotas, tant au Canada qu’aux États-Unis.
Le chef White Cap était présent lorsque le Traité no 4 et le Traité no 6 ont été signés, mais il n’a pas pu les signer lui-même sous prétexte qu’il était Indien américain, ce qui a été rectifié depuis grâce à notre traité d’autonomie gouvernementale, le projet de loi C-51, qui nous reconnaît en tant que peuple autochtone du Canada jouissant des droits prévus à l’article 35 et, plus récemment, grâce à des excuses du gouvernement fédéral concernant le traitement réservé aux Dakotas et la discrimination qu’ils ont subie.
Un casino est exploité sur nos terres ici en Saskatchewan. Je vais faire un peu d’histoire. Dans notre province, en 1993, la Première Nation White Bear a ouvert un casino sur ses terres. Il a fait l’objet de perquisitions et a dû cesser ses activités. Par la suite, bien entendu, le gouvernement provincial et la Fédération des nations autochtones souveraines ont entamé des négociations pour déterminer comment nous pouvions procéder avec des Premières Nations qui font valoir leurs champs de compétence ainsi qu’avec des provinces qui disent que les jeux électroniques relèvent d’elles puisque c’est ce que prévoit le Code criminel et qui conviennent, par conséquent, au moyen de cet accord relatif au cadre régissant le jeu, qu’il y a un désaccord tout en allant de l’avant avec des activités liées au jeu. La province a ouvert deux casinos en Saskatchewan, un à Regina et un à Moose Jaw. Nous avons initialement ouvert les portes des casinos de White Bear, de North Battleford, de Yorkton et de Prince Albert. De toute évidence, nous en avons ajouté d’autres depuis, y compris celui de Whitecap en 2007.
Les jeux électroniques relèvent de la province, ce qui signifie qu’elle délivre les permis et réglemente toutes les activités liées au jeu sur nos terres ici en Saskatchewan. Elle doit également posséder toutes les machines à sous de la province, ce qui est le cas actuellement, et elle va également dicter combien de machines chaque emplacement recevra. Sur une note positive, pour ce qui est de la stabilité des marchés, le Gaming Framework Agreement, soit l’accord relatif au cadre régissant le jeu, prévoit un processus pour examiner chaque marché de même que pour déterminer le type de présence qu’on y trouve et le nombre adéquat de casinos pour la région.
Nous avons neuf casinos en Saskatchewan, et sept d’entre eux sont exploités par la Saskatchewan Indian Gaming Authority, qui a été fondée dans notre province par 74 Premières Nations. Elle exploite tous les casinos de notre province et fait un excellent travail. Au Dakota Dunes Casino, nous avons actuellement un peu plus de 300 employés. Grâce à nos investissements connexes, par exemple dans le Dakota Dunes Golf Links — l’hôtel, le centre des congrès et d’autres activités —, nous avons créé 300 emplois supplémentaires. De plus, nos activités de gouvernance sont à l’origine de 125 autres emplois.
C’est là que nous en sommes à la Première Nation Whitecap Dakota qui se trouve juste en dehors de la ville. Nous venons tout juste de signer un projet de loi. Je suis désolé, car je devrais dire que c’est un traité d’autonomie gouvernementale, mais c’était une mesure législative, soit le projet de loi C-51. Les sénateurs Tannas et Arnot le connaissent sûrement bien, comme leurs collègues. Il a été adopté à l’unanimité au Sénat et à la Chambre des communes. Dans ce traité concernant l’autonomie gouvernementale, un article au chapitre 18 parle de la compétence en matière de jeu. Une fois de plus, le principal défi à relever pour mettre en œuvre quelque mesure que ce soit consiste à modifier le Code criminel. C’est une des choses que nous cherchons à faire ici et que nous appuyons.
Il n’y a pas que des nations hôtes, car d’autres aussi s’intéressent au jeu, et celles qui s’intéressent au jeu et celles où se trouvent déjà un casino cherchent à répondre à toutes les préoccupations soulevées dans nos discussions avec d’autres sénateurs de notre région, par exemple en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d’argent, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada — nous sommes parfaitement d’accord à ce sujet —, le jeu responsable et la toxicomanie. En Saskatchewan, nous avons la First Nations Addictions Rehabilitation Foundation pour aider les personnes aux prises avec une dépendance. Il y a également des mesures de viabilité du marché qui sont en place ici. Par exemple, pour que le Dakota Dunes Casino puisse exercer ses activités sur les terres de la Première Nation Whitecap Dakota, nous avons dû, aux côtés de la fédération des nations autochtones souveraines, de la commission autochtone des jeux de hasard de la Saskatchewan et du conseil tribal de Saskatoon, obtenir le soutien du principal marché, c’est-à-dire la Ville de Saskatoon. La Ville de Saskatoon a dû adopter un conseil de soutien. Le vote a eu lieu et nous avons reçu l’aide. L’une des prochaines personnes que vous allez entendre est Edmund Bellegarde, l’ancien directeur général de la commission autochtone des jeux de hasard de la Saskatchewan. Nous devons aussi obtenir le soutien des municipalités avoisinantes. Nous avons pris toutes ces mesures pour avoir le soutien nécessaire.
Nous étions ce qui a déjà été considéré comme un plan B. Le plan A consistait à construire un casino au centre-ville de Saskatoon, mais la ville a tenu un référendum, et nous sommes devenus le plan A. Nous menons nos activités depuis 2007. Nous encaissons environ 30 millions de dollars par année, et plus récemment, depuis nos investissements stratégiques dans un hôtel où on peut rester pour jouer, nous encaissons plus de 40 millions de dollars par année. L’année dernière, je crois que c’était 43 millions de dollars, et cette année, ce sera environ 46 millions.
Les emplois restent ici en Saskatchewan. Dans notre accord relatif au cadre régissant le jeu, nous avons l’article 2.1 qui parle de la compétence en la matière. Rien n’a bougé à cet égard depuis que cet accord a été signé dans notre province.
Nous l’appuyons fermement. Je sais que la fédération des nations autochtones souveraines a également transmis une résolution de soutien pour appuyer le projet de loi S-268. Comme je l’ai dit, à l’instar des personnes moins intéressées par le jeu d’un bout à l’autre du pays, nous voulons qu’il y ait un organisme de réglementation national et des modèles, comme aux États-Unis avec les tribus et la façon dont fonctionnent les relations avec chaque État. Nous savons également que des questions de politique régionale devront être réglées.
Chose certaine, nous sommes prêts à nous engager dans cette voie. Nous avons une bonne relation de travail avec la Saskatchewan. Toutes nos nations profitent de l’accord que nous avons ici dans notre province.
Voilà qui met fin à mes observations. Merci. Je suis impatient de répondre à vos questions.
Le président : Merci, chef Bear. J’invite le chef Taypotat à faire sa déclaration liminaire.
Evan Taypotat, chef, Première Nation de Kahkewistahaw : [Le témoin s’exprime en langue autochtone.] Au nom des 2 374 membres de la Première Nation de Kahkewistahaw qui se trouvent sur le territoire visé par le Traité no 4, je vous adresse nos salutations. Bonjour aux sénateurs et aux autres témoins. Je suis ici aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-268 et parler des avantages qu’il procurerait s’il est adopté.
Lorsque des Premières Nations au Canada, y compris la mienne, signent des traités, nous espérons maintenir notre souveraineté. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Au début des années 1990, la Saskatchewan Indian Gaming Authority a été créée en vertu d’un nouvel accord relatif au cadre régissant le jeu. À l’époque, personne ne pouvait prédire les importants avantages économiques des ententes conclues entre le gouvernement du Canada et les Premières Nations.
Aujourd’hui, les communautés des Premières Nations ont les ressources financières et l’expertise nécessaires pour franchir les prochaines étapes. Ce projet de loi pourrait accélérer les discussions et la prise de mesures concernant la souveraineté.
La santé est directement liée à la richesse. Malheureusement, mon peuple est le plus pauvre au Canada, ce qui fait en sorte que nous sommes également le peuple qui est le moins en santé. Ce projet de loi peut aider à résoudre ces problèmes grâce aux avantages économiques qu’il procurerait. Plutôt que de laisser la province prendre 25 % des profits, cet argent pourrait être destiné à mon peuple. Ces ressources pourraient servir à combler les lacunes dans des domaines où le financement issu des traités ne suffit pas.
Nous avons aussi beaucoup à apprendre de nos proches aux États-Unis. Les communautés d’Indiens américains ont réussi à faire le saut dans le monde du jeu, et lorsque ce projet de loi sera adopté, nous pourrons adapter leur modèle au Canada.
Merci de m’avoir invité à m’adresser au Sénat et à contribuer à façonner notre pays. Ekosani, merci.
Le président : Merci, chef Taypotat. Nous passons aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Merci à tous les témoins de leur présence aujourd’hui. En raison des contraintes de temps, j’ai seulement une question pour le chef Bear et une autre pour le chef Taypotat.
Chef Bear, la Première Nation dakota de Whitecap est reconnue pour ses casinos. Quelles composantes de votre modèle pourraient guider la gestion des opérations liées aux jeux de hasard des autres Premières Nations? L’élément qui s’avérera peut-être le plus important du projet de loi est la reconnaissance de la souveraineté des Premières Nations dans le contrôle du jeu au Canada. Selon vous, que pourront en retirer les Premières Nations qui ne sont pas sous le joug des provinces?
M. Bear : Merci, sénateur Arnot. Je veux également dire bonjour au chef Taypotat et au chef Richardson.
Sénateur Arnot, vous qui êtes un ancien commissaire fédéral aux traités pour la Saskatchewan, vous connaissez bien la situation dans la province. Nous aspirons depuis des années au droit inhérent au jeu, dont le chef Richardson a parlé tout à l’heure. Sauf erreur, l’entente-cadre sur le jeu date de presque 30 ans. L’article 2.1 de cette entente traite du champ de compétence relative au jeu. Cette disposition n’a jamais été modifiée. Aucun progrès n’a été réalisé.
L’entente-cadre établit la façon dont la province et la Fédération des nations autochtones souveraines pourraient s’y prendre pour modifier le Code criminel, mais je le répète, il faudrait la participation du gouvernement fédéral pour y arriver. Le projet de loi à l’étude est donc très important. Évidemment, nous sommes conscients de notre obligation de maintenir une relation avec la province. Les tribus aux États-Unis entretiennent une relation avec l’État où elles se trouvent. Comme l’a dit le chef Taypotat, il va sans dire que nous allons examiner le modèle américain.
Tout ce que nous avons mis en place, c’est un protocole d’entente à l’échelle du pays pour répondre aux préoccupations soulevées par le Sénat et par d’autres parties prenantes. Nous allons certainement répondre à ces préoccupations.
Comme je le disais, le projet de loi confère la compétence sur le jeu aux nations. Nous serions propriétaires des machines à sous et nous gérerions les sources de revenus, comme l’a expliqué le chef Taypotat, de même que déterminer comment les recettes seraient dirigées vers les nations hôtes. Nous faisons de nombreux investissements stratégiques, mais au titre de l’entente actuelle, aucune ressource n’est octroyée à la Saskatchewan Indian Gaming Authority qui fournirait à cette dernière le capital nécessaire pour les services auxiliaires, les réinvestissements et les partenariats.
La nouvelle mesure permettrait de résoudre ces situations, ce qui est heureux, car les services auxiliaires génèrent aussi des emplois. En effet, les possibilités d’emploi ne se limitent pas au secteur du jeu. Un bon exemple est notre hôtel, le Dakota Dunes, qui a créé 135 emplois, ainsi que le terrain de golf, qui en a créé 65. En 2026, nous allons ouvrir la première station thermale autochtone au Canada, qui créera 165 emplois.
Les retombées vont au-delà du secteur du jeu. Le jeu est le moteur, mais il existe d’autres activités économiques qui créent des emplois dont profitent toutes les Premières Nations dans la région. Nous sommes à 20 minutes de Saskatoon. La main-d’œuvre de l’hôtel Dakota Dunes provient de cette ville ainsi que des Premières Nations un peu partout dans l’Ouest canadien.
J’espère que j’ai répondu à vos questions, sénateur.
Le sénateur Arnot : Vous avez répondu à ma question. Merci beaucoup.
Chef Taypotat, la Première Nation de Kahkewistahaw a toujours eu la fibre entrepreneuriale. Vous avez fait beaucoup d’investissements, notamment dans les énergies de remplacement. Selon vous, comment les loteries s’inscriraient‑elles dans votre stratégie économique plus vaste? Je sais que vous avez fait des investissements immobiliers dans la ville de Saskatoon.
Pourriez-vous parler de ce volet, de même que des difficultés auxquelles vous êtes confronté comme dirigeant d’une petite Première Nation en milieu rural et dont nous devrions être informés?
M. Taypotat : Merci, sénateur.
Le projet de loi va certainement aider. En faisant à pied le trajet jusqu’ici ce matin, je pensais à nos ancêtres, qui rêvaient de moments comme celui-ci. Ils savaient que cela arriverait. Des moments comme celui-ci — en imaginant que le projet de loi sera adopté — élargissent les possibilités de régler tous ces problèmes qui collent à certaines Premières Nations. Comme je l’ai dit, nous sommes plus pauvres au Canada. Nous sommes les premiers habitants de ce territoire, mais nous sommes aussi les plus pauvres. Des projets de loi comme celui-là peuvent nous aider à faire ce dont nos ancêtres rêvaient.
L’argent n’est pas tout, mais en même temps, comme je l’ai dit, le traité comporte énormément de lacunes. Pour l’heure, notre Première Nation les pallie grâce aux projets de développement économique. Le projet de loi nous permettrait d’en faire plus. Pensons à la guérison des séquelles des pensionnats et à la réconciliation, dont on parle beaucoup. Le projet de loi ferait avancer ces dossiers.
L’école communautaire Chief Kahkewistahaw est le centre névralgique de ma Première Nation. Aujourd’hui, l’établissement est en plein essor, mais ce n’était pas le cas lorsque j’étais directeur il y a 10 ans. Nous n’avions pas les fonds pour embaucher des professeurs de langues. L’argent aide à combler ces lacunes. L’école rayonne grâce à ses équipes des Hurricanes — elles sont les seules à porter ce nom en Saskatchewan. Je ne sais plus quels sont les motifs de ce choix, mais il y a certainement eu un vote. Les jeunes Hurricanes sont attachés à leur culture. L’école compte en ce moment deux enseignants cris qui ont été embauchés grâce aux projets de développement économique.
Je connais les problèmes liés au jeu et aux casinos. Ce sont des corollaires que nous voulons et que nous pouvons contrer.
Pour répondre à votre question sur les avantages de ces politiques dans la communauté, je répondrais que cela insuffle aux enfants l’espoir de faire partie un jour d’une Première Nation forte et que cela conjure les séquelles des pensionnats. C’est ce que font pour nous la langue et la culture. Les recettes du jeu et tout cet argent, qui se retrouvent ailleurs, profiteraient directement aux 2 374 membres de ma Première Nation.
La sénatrice Coyle : Merci à tous les témoins de leur présence parmi nous aujourd’hui.
Chef Taypotat, vous avez souligné le lien important entre la santé et la richesse, tous les deux pris au sens large. Vos propos sont très éclairants.
Plusieurs témoins ont mentionné le modèle américain en raison de ses retombées positives dans les communautés et de sa structure efficace. Nous voudrions savoir quels seraient selon vous — en commençant peut-être par vous, chef Taypotat — les éléments du modèle américain qui pourraient nous aider au Canada si le projet de loi venait à être adopté et que vos communautés accédaient à un autre niveau de souveraineté dans ce secteur de l’économie.
M. Taypotat : Merci, sénateur.
Lorsque nous avons commencé à tâter le terrain il y nous a quelques années, moi-même, le chef Bear de la Première Nation dakota de Whitecap, et d’autres chefs que je connais, avons commencé à nouer des relations au sud de la frontière. Dans le secteur du jeu, les tribus américaines ont 30 ans d’avance par rapport à nous. Récemment, je suis allé voir les Coushattas en Louisiane, qui forment la tribu la plus riche de cet État. La cheffe du conseil de la tribu, Crystal Williams, nous a accueillis personnellement et nous a demandé ce que nous voulions apprendre. Nous lui avons demandé de tout nous dire sur la structure, la gouvernance et les retombées économiques négatives et positives. Le travail réside dans la création.
La principale chose à apprendre de nos camarades au sud de la frontière est tout ce qui concerne leur structure de gouvernance liée au jeu. Il ne faut pas improviser et souhaiter ensuite que tout aille bien. Si un casino ou des plateformes de jeu en ligne apparaissent dans chacune des communautés des 674 Premières Nations au Canada, le nombre de casinos et de sites Web de jeux de hasard explosera. Nous voulons à tout prix éviter cela. Il faut être méthodique. Ce que nous pouvons apprendre des tribus américaines porte sur la réglementation et la mise en place d’un processus juste et équitable, notamment pour la distribution des recettes. Je discutais avec le chef Bear hier soir. Nous voulons éviter que certaines Premières Nations soient laissées pour compte. Ce serait faire preuve de cupidité de diviser les profits entre nous deux. Cela détonerait par rapport à mon discours sur la santé et la richesse.
La cheffe du conseil Crystal Williams m’a envoyé hier des informations sur les avantages que retirent les communautés locales autochtones et non autochtones. De notre avis, l’adoption du projet de loi ne favoriserait pas la santé d’une seule Première Nation, mais bien celle de tout le Canada parce que les emplois créés seraient pourvus dans la population générale et les retombées profiteraient aux communautés locales. Nous voulons apprendre ce qui se fait ailleurs, mais la chose la plus importante est d’instaurer une structure de gouvernance appropriée.
La sénatrice Coyle : Merci de votre réponse. J’espérais que vous choisissiez cette avenue. Il faut mettre les choses en œuvre correctement. Espérons que nous apprendrons aussi des erreurs de nos voisins et que nous éviterons ainsi de les reproduire.
Du côté des politiques sur le jeu responsable et des mesures contre la criminalité et le blanchiment d’argent entre autres, y a‑t-il des leçons à tirer de ce qui se fait au sud de la frontière?
M. Taypotat : Il y a assurément quelque chose à apprendre. C’est un des sujets que le chef Bear et moi-même avons abordés hier au téléphone. Il faut bien faire saisir aux sénateurs les incidences négatives du jeu et les dangers du blanchiment d’argent. Il faut atténuer ces risques. Nous ne pouvons pas agir à tâtons et espérer que toutes les pièces tombent en place. Il faut anticiper les problèmes.
C’est un des sujets que le sénateur Tannas a abordés lors des quelques conversations téléphoniques qu’il a eues avec nous. Nous voulons obtenir l’assentiment des sénateurs, puis celui du gouvernement. Comment prévenir les difficultés probables? Hier soir, le chef Bear et moi-même en avons discuté pendant notre souper au restaurant JOEY Rideau. J’étais debout dans la salle de bain du restaurant lorsque j’ai dit souhaiter que ce plan — sujet principal de toutes les conversations sur Zoom avec les autres chefs — soit conforme à la loi et qu’il soit exécuté de manière professionnelle, dans les règles de l’art et dans le cadre de structures appropriées, et ce, afin que les aspects négatifs n’occultent pas tout.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de vous être joints à nous. Pour vous donner un peu de contexte, je vis à Orillia, ville très neigeuse adjacente à la Première Nation de Rama, dont le chef Williams est venu témoigner la semaine dernière.
Je m’intéresse particulièrement aux retombées économiques dans les milieux ruraux. Quels avantages retireront vos voisins parmi les retombées régionales? Quelles conversations avez‑vous avec eux? Quelle sorte de soutien obtenez-vous?
M. Richardson : Je suis content que vous ayez soulevé le sujet, sénatrice, parce que nous ne sommes pas myopes dans ma communauté. Nous avons une vision de la croissance dans l’ensemble de la région et de la municipalité. Nous sommes une petite communauté. Lorsque les autres retirent des avantages de nos activités, nous grandissons tous ensemble.
Tout ce que nous faisons se fonde sur une approche régionale. Nous tenons compte des municipalités. Nous avons de très bons rapports avec la communauté francophone, que nous appelons nos frères et sœurs acadiens. Nous travaillons ensemble sur de nombreux dossiers liés à l’énergie. Il en est de même pour le dossier du jeu. Les retombées seront globales. Naturellement, dans une petite communauté comme la nôtre, tout le monde travaille déjà, mais à l’échelle régionale, les retombées seront considérables et les effets seront spectaculaires sur le développement économique et la croissance. Les avantages sont difficiles à chiffrer tant ils sont extraordinaires.
Une des choses qui nous a dérangés à propos du gouvernement provincial au Nouveau-Brunswick est ce qui a été fait pour le cannabis. Nous avions proposé une approche. Je me souviens d’avoir dit au premier ministre que ce serait judicieux de nous limiter à la distribution du cannabis et de ne pas toucher au contrôle. Or, les boutiques de cannabis ont essaimé. La même chose se produira-t-elle avec le jeu? Selon moi, nous pouvons l’éviter. M. Vicaire a mentionné que nous étions en pourparlers avec le premier ministre du Nouveau-Brunswick sur la nécessité de prendre une longueur d’avance. Il faut tenir cette conversation — comme l’autre chef l’a indiqué — pour éviter que des casinos apparaissent dans chaque communauté. Ce serait tout simplement dysfonctionnel.
Comment allons-nous mettre les choses en chantier? Comment s’assurer de mettre en place un processus qui profite à toutes les Premières Nations? C’est ce que nous voulons déterminer. Le chef me disait — le monde est petit — qu’il avait servi dans l’armée, tout comme moi. Nous continuons tous deux à servir la communauté. Nous constatons avec bonheur que nos communautés continuent à grandir. C’est ce que nous souhaitons. L’attractivité est quelque chose d’important pour nous. Ces projets inciteront les gens à déménager en région. Les régions deviendront des lieux de prédilection, et c’est ce que nous voulons.
La sénatrice Boniface : Merci de votre réponse. C’est comme cela que les choses fonctionnent chez nous. Le casino Rama est le deuxième plus grand employeur dans la région.
La semaine dernière, le chef Williams a dit entre autres que la province avait donné le feu vert pour l’ouverture d’un certain nombre de casinos à proximité de la région du Grand Toronto. La concurrence qui s’est développée a grandement pénalisé la Première Nation de Rama. Je voudrais savoir si vous et le chef Bear estimez que la province va faire ce qui s’impose pour éviter cette situation. J’aurais besoin de vos lumières à ce sujet.
M. Bear : Merci de la question. Jusqu’à présent, en Saskatchewan, l’entente-cadre sur le jeu n’autorise qu’un casino par marché. Il y en a un à Regina, un à Moose Jaw, et nous avons sept Premières Nations qui exploitent chacune un casino dans leur marché respectif.
Vous allez entendre Rob Scarpelli, de la firme d’experts-conseils HLT Advisory Inc., dans le prochain groupe de témoins. Il effectue des analyses de marché dans chaque région en tenant compte de la taille et de l’ampleur des opérations de chaque casino dans chaque marché. Cette stratégie fonctionne très bien. L’entente actuelle renferme aussi des dispositions qui prévoient que l’arrivée de nouveaux casinos dans le marché d’une région ne doit pas menacer l’intégralité des casinos qui s’y trouvent déjà. C’est le libellé actuel. Voilà un aspect important pour éviter une saturation du marché. Le chef Taypotat et moi-même en avons parlé. Évitons à l’avenir d’ouvrir dans une même région trois ou quatre casinos qui en cannibaliseront un autre et qui en affecteront la viabilité de même que tous les emplois qu’il a créés. Nous sommes très conscients de ce risque.
Il y a autre chose que je voulais souligner. Vous parliez des casinos américains. Nous avons été visiter les Choctaws, au Mississippi, et ils comptent actuellement plus de 10 000 employés dans l’État. Ils figurent parmi les plus grands employeurs. Ils ont des casinos, mais ils réinvestissent leurs profits dans d’autres activités de développement économique pour leur tribu. Ils réinvestissent également une grande partie de leurs profits dans la communauté. Ils ont leur propre hôpital, un tribunal tribal, une police tribale et un service d’incendie. Si un membre de la tribu veut poursuivre ses études au-delà de la 12e année — peu importe l’établissement d’enseignement postsecondaire où il souhaite aller dans le monde —, ils l’y envoient. Ils réinvestissent une grande partie de leur argent dans leur principale ressource : leurs gens. C’est très important. Ils ne se soucient pas de la répartition par habitant, mais ils réinvestissent dans leurs gens, et l’État en profite aussi, bien sûr.
À Whitecap seulement, nous avons commandé à Fiscal Realities une analyse de toutes les activités que nous menons en dehors du casino, et nous faisons actuellement une contribution de quelque 60 millions de dollars par année au PIB du Canada. Avec les développements futurs, notre contribution au PIB atteindra environ 100 millions de dollars. Tout le monde en bénéficie — la Saskatchewan, le gouvernement fédéral, les Premières Nations et les administrations municipales — parce que bon nombre de nos employés possèdent une maison à Saskatoon et paient des taxes à la Ville.
Il y a beaucoup d’avantages pour tout le monde. Lorsque les Premières Nations réussissent et que nous sommes autorisés à prendre la place qui nous revient de droit et à faire partie de l’économie, tout le monde y gagne. C’est ce que nous faisons, reprenant ce qui nous a été enlevé, soit le droit à une économie et à la réconciliation économique ainsi que le droit inhérent à la gestion du jeu.
J’espère que le Sénat appuiera et adoptera ce projet de loi.
J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Boniface : Vous y avez répondu. Merci.
Le président : Je veux revenir aux observations du chef Richardson et demander à M. Vicaire s’il y a quelque chose qu’il voudrait ajouter au sujet du Nouveau-Brunswick.
M. Vicaire : Oui, si vous me le permettez. Le chef a mentionné qu’ils sont en retard d’environ 30 ans par rapport à certaines tribus en Amérique. Nous sommes probablement deux fois plus en retard parce que le gouvernement provincial refusait catégoriquement de traiter avec nous. Maintenant, avec le changement de gouvernement, nous espérons fort pouvoir réaliser des progrès à cet égard.
En étant les derniers, toutefois, nous avons l’avantage du savoir. Tous les chefs ont mentionné que pour gérer le jeu de façon responsable, ils ont fait beaucoup d’erreurs et de faux pas que nous ne commettrons pas, car nous profitons de leur expérience et nous pouvons en tirer des leçons sur ce qu’il ne faut pas faire exactement et sur ce qu’il faut refaire, et connaître le succès grâce à ce savoir.
Parlant de la région de l’Atlantique, elle accuse un peu de retard — comme vous le savez, sénateur, puisque vous êtes de la région. Je suis diplomate et poli en disant qu’il est grand temps que tous les gouvernements — qu’ils soient locaux, municipaux, provinciaux et certainement fédéral — appuient ce que nous essayons de faire ici, parce qu’en fin de compte, comme l’a fait remarquer le chef Richardson, si les Premières Nations y gagnent, la région y gagne. Si la région y gagne, tous les Canadiens y gagnent.
Nous sommes la population qui est la plus instruite et qui croît le plus rapidement au pays, et c’est un fait. Je voulais simplement le souligner. Je vais céder la parole au chef Richardson s’il a d’autres observations.
Merci de cette question, sénateur.
Le président : Merci, monsieur Vicaire.
Le sénateur M. Deacon : Merci à tous d’être ici aujourd’hui en personne et virtuellement. Je vous en suis vraiment reconnaissante.
Je crois que des collègues ont posé certaines de mes questions. Je veux comprendre, si l’un d’entre vous souhaite parler des échanges qui ont lieu au début. Vous avez parlé de la gouvernance, de l’importance d’une bonne gouvernance et de ce que vous apprenez. Quels échanges ont lieu au début? En quoi consiste votre approche au chapitre de l’évaluation des répercussions des projets et comment ces principes sont-ils appliqués aux activités de jeu?
J’aimerais entendre M. Richardson en premier, puis je demanderai au chef Bear de répondre.
M. Richardson : Bien sûr, sénatrice. Nous voulons évidemment que des règlements soient en place, car il doit y en avoir. Notre approche, c’est que nous ne sommes même pas encore dans l’industrie du jeu, mais nous nous y préparons.
Nous sommes allés de l’avant, mettant sur pied une commission de jeu et instaurant une politique de gouvernance, et nous apprenons de tous ceux qui sont déjà dans l’industrie.
Comme M. Vicaire l’a fait remarquer, ce n’est pas toujours une mauvaise chose d’être le dernier; on apprend. Nous avons appris de ce qui s’est passé dans l’Ouest et nous adoptons cette approche pour aller de l’avant, et à mesure que nous progressons, nous nous assurons de pouvoir en arriver là où nous voulons être.
Nous ne serons pas toujours capables de nous en sortir financièrement. Certaines communautés éprouvent de la difficulté à obtenir des capitaux. Il faut faire attention, parce que des gens sont prêts à fournir de l’argent afin de conclure des ententes qui ne sont pas toujours avantageuses pour les Premières Nations. Il faut prendre le temps d’examiner le genre d’entente qu’on va conclure et il est, bien entendu, très important de voir qui sont ses partenaires.
Je pense que c’est une partie de ce que nous faisons depuis le début.
J’ignore si vous voulez intervenir, Monsieur Vicaire.
M. Vicaire : Oui, merci, chef Richardson.
Je dirai très brièvement que pour avoir été chef dans ma propre communauté de Listuguj, je sais que dans le commerce du cannabis, c’est un peu comme le Far West, avec des magasins qui poussent comme des champignons. Nous savons très bien que nous ne voulons pas que pareille chose se répète pour le jeu, car en vérité, c’est ce qui va arriver. Si nous ne procédons pas de façon responsable — pour répondre à votre question et à vos interrogations, sénatrice — et si nous travaillons avec les gouvernements provinciaux et fédéral — comme nous sommes plus que disposés à le faire — pour vraiment aller de l’avant à cet égard, il serait responsable de notre part de le faire. Ce serait un gouvernement responsable et d’une bonne gouvernance, mais surtout, c’est responsable envers tous les Canadiens afin que nous puissions tous y gagner et éviter la zone grise de la fraude, de la corruption et ce genre de malversations.
Cette approche s’applique à notre propre peuple. Comme je l’ai indiqué, si nous ne prenons pas les devants et ne contrôlons pas le jeu, ce sera le Far West, et personne ne veut que cela arrive. Je peux l’affirmer de tout cœur et avec tout le respect que je dois à nos chefs locaux dans nos communautés. Ils ne veulent pas être aux prises avec une telle situation.
Je tenais simplement à vous faire part de ces observations. Merci.
Le sénateur M. Deacon : À l’heure même à laquelle le sénateur Tannas a présenté le projet de loi S-268, j’ai déposé le projet de loi S-269 tout de suite après. Je ne voulais pas nuire à son travail; je tentais de corriger quelque chose que nous avions mis dans un autre projet de loi concernant les paris sportifs et la publicité. J’en parle aujourd’hui parce que ma question concerne finalement la santé et le bien-être.
Nous parlons d’atténuation, et nous savons qu’il y a des gens qui sont — je crois que c’est le mot qui a été utilisé — en difficulté et que nous devons aider. J’aimerais en savoir plus sur les répercussions sociales du jeu et les examiner plus en profondeur. Nous avons de grandes préoccupations, bien entendu, particulièrement dans certaines populations. Quelles expériences votre communauté a-t-elle vécues? Pouvez-vous nous proposer des pratiques exemplaires pour atténuer les répercussions sociales négatives? Ces pratiques sont essentielles, car l’équilibre est vraiment parfait alors que vous gérez votre économie tout en composant avec ces problèmes.
Chef Bear, puis-je commencer par vous? Est-ce que cela vous convient ?
M. Bear : Bien sûr.
En Saskatchewan, je dirais que le marché est parvenu à maturité. Vous en entendrez davantage de la part de Rob Scarpelli dans le prochain groupe de témoins, car il parlera des jeux de hasard au pays et expliquera où nous en sommes avec les casinos physiques.
Il ne fait aucun doute que les répercussions sociales nous préoccupent tous, en ce qui concerne notamment les dépendances et le jeu responsable. Même le gouvernement provincial a son programme, et pour les 74 Premières Nations de la Saskatchewan, nous avons notre propre programme, la First Nations Addictions Rehabilitation Foundation. Si des joueurs problématiques sont détectés, rappelez-vous que les casinos sont différents des terminaux de loterie vidéo, ou TLV. Les TLV sont partout. Il y en a environ 4 000 en Saskatchewan, mais les exploitants de TVL ne surveillent pas les activités de jeu. Il n’y a pas de caméras à l’intérieur pour surveiller le jeu ou les activités semblables. Les gens entrent tout bonnement.
Si quelqu’un a un problème de jeu, il ne veut pas aller dans un casino, parce que dans un casino, on surveille d’en haut. Il y a des caméras partout; cela décourage donc les joueurs problématiques de venir dans les casinos. Ils préfèrent aller jouer sur un terminal de loterie vidéo ou dans un salon-bar.
Dans nos casinos, cependant, notre personnel a les choses à l’œil, et si quelqu’un semble avoir un problème de jeu ou quelque chose d’autre, du soutien lui est offert. Certaines personnes iront même jusqu’à demander leur propre bannissement du casino pour s’empêcher de jouer. Il est arrivé que des gens fassent ce choix.
Du soutien est offert, et nous prenons certainement les problèmes de dépendance très au sérieux. Nous nous assurons que les gens jouent de façon responsable et leur offrons le choix, car ils vont jouer de toute façon. Même quand il n’y avait pas de casinos en Saskatchewan, les gens allaient jouer ailleurs. Nous savons que le jeu existe. Il y a des loteries. Chacun choisit son jeu, que ce soit les bingos, les billets à gratter, les casinos en ligne ou physiques ou les TLV dans les salons-bars de notre province.
J’espère que cela répond à votre question.
Le sénateur McNair : Merci aux témoins de leur présence ici aujourd’hui.
Chef Richardson, vous avez abordé le sujet, vous avez parlé du fait que vous êtes en train d’élaborer des lois régissant les jeux et d’établir une commission des jeux et vous avez mentionné que vous ne le faites pas en vase clos.
Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Vous faites appel à l’expertise des communautés autochtones qui se livrent aux jeux de hasard depuis plus de 30 ans?
M. Richardson : Oui, sénateur. C’est exactement ce que nous avons fait. Nous avons discuté avec les communautés de l’Ouest qui font la même chose en Saskatchewan depuis de nombreuses années. Nous sommes également allés aux États-Unis pour obtenir leur avis. Au Québec, le jeu existe aussi, si bien que nous tentons de colliger tous ces renseignements avant de mettre en place nos règlements, afin d’avoir une base solide. Nous avons demandé des conseils juridiques. C’est une dépense pour une Première Nation, mais il est important d’être prêt.
C’est ce que nous voulions faire au préalable, alors nous sommes prêts et nous avons tout mis en place. La question est maintenant la suivante : jusqu’où voulons-nous aller dans le domaine du jeu? Voulons-nous nous lancer dans les casinos, ou voulons-nous nous contenter des appareils de loterie vidéo, ce que nous faisons à l’heure actuelle? Cela peut être réglementé et surveillé.
C’est ce que nous envisageons. Nous voulons nous assurer que nous faisons ce qu’il y a de mieux pour notre communauté et notre région.
Nous voulons créer cette richesse. Je me demande toujours pourquoi les Premières Nations ne peuvent pas redonner à la province. Nous serions disposés à le faire. La province perçoit des revenus qu’elle ne partage pas vraiment avec les Premières Nations. Elle le fait parfois si elle a conclu un accord sur le jeu avec la Première Nation, mais de nombreuses provinces ne le font pas. Le ratio est de 75-25. Pourquoi ne pourrait-on pas faire l’inverse, c’est-à-dire que 75 % des recettes sont versées à la Première Nation et 25 %, à la province? J’utilise ces chiffres élevés, mais ce pourrait être moins, selon le montant des revenus partagés. Quoi qu’il en soit, il y a des moyens d’y arriver.
Vous devez vous préparer. C’est ce que nous faisons. Nous mettons tout en place pour être prêts le moment venu, que le projet de loi S-268 soit adopté ou que nous décidions de faire appel au système judiciaire pour invoquer à nouveau l’article 35 et la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que nous utiliserons comme défense.
Les jeux de hasard existent depuis longtemps dans les Premières Nations. Ce n’est pas un secret. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi me réjouit. Le projet de loi S-268 est là. Il donne aux Premières Nations la possibilité de contrôler leur propre destin et de le faire de la bonne façon. C’est ce qui est intéressant.
Le sénateur McNair : Je vous remercie.
Chef Richardson, je ne m’étais pas rendu compte que Casino Nouveau-Brunswick a une clause de non-concurrence de 150 kilomètres, ce qui est intéressant. Vous avez également mentionné la réunion à venir avec le ministre des Finances du Nouveau-Brunswick. Je suppose que l’on s’attend et que l’on espère que le nouveau gouvernement adoptera une approche plus axée sur la collaboration à l’égard de toutes ces questions.
M. Richardson : Bien sûr, sénateur. C’est ce que nous espérons.
Si vous n’êtes pas à la table de discussion, vous ne négociez pas. Il y a deux façons de faire : la négociation et le recours au système judiciaire. La négociation coûte beaucoup moins cher que la procédure judiciaire. Si nous pouvons nous asseoir à la table pour négocier et parvenir à une entente — au final, nous pouvons ne pas être d’accord, mais si nous pouvons négocier et commencer à aller de l’avant, nous arriverons à une entente qui conviendra aux deux parties, j’en suis sûr.
C’est ce qui est emballant avec le nouveau gouvernement en place. Il est prêt à le faire. Il a déjà pris des mesures importantes. Je suis sûr que les gens ont entendu parler de l’accord fiscal que nous avons au Nouveau-Brunswick. Nous sommes en train de l’examiner et de le renégocier. Il ne s’agira pas du même accord fiscal, mais d’un accord plus acceptable qui permettra aux Premières Nations de faire croître leur économie. Nous savons tous que nous sommes confrontés à des difficultés. Les Premières Nations ne sont pas toutes situées dans les régions les plus idéales, sauf peut-être deux des 15 Premières Nations au Nouveau-Brunswick qui le sont. Les autres sont situées dans des régions assez éloignées. Grâce au processus d’ajouts de terres, nous avons pu obtenir des terres qui nous donnent la possibilité de stimuler la croissance économique dans nos communautés. C’est pourquoi nous aimerions nous impliquer dans les jeux de hasard.
Je reviens encore une fois au modèle. Nous sommes prêts à l’examiner avec la nouvelle première ministre et à essayer de nous asseoir à la table des négociations. Il y a peut-être un moyen de le faire sans tomber, comme l’a dit M. Vicaire, dans la débâcle du cannabis que nous avons connue. Nous ne voulons pas que cela se reproduise. Je vais dans certaines communautés, et il y a 50 magasins de cannabis. C’est difficile à contrôler; ce n’était pas contrôlé.
En ce qui concerne les jeux de hasard, nous avons la possibilité, grâce à ce projet de loi, de prendre des mesures, et c’est exaltant pour nous.
Le sénateur McNair : Monsieur Vicaire, vous avez bien décrit la situation lorsque vous avez parlé de « far west » au Nouveau-Brunswick, du moins dans certaines communautés.
Nous avons hâte d’entendre des commentaires positifs sur votre première rencontre avec le ministre des Finances.
M. Vicaire : Absolument. Je vous remercie.
La sénatrice Boniface : Je voulais aborder la question du blanchiment d’argent. Nous n’avons pas besoin de nous tourner vers les États-Unis. Il suffit de regarder la Colombie-Britannique et le rapport sur l’utilisation des casinos pour blanchir de l’argent.
En ce qui concerne ces questions, avez-vous pu discuter avec des gens en Colombie-Britannique? Je ne sais pas ce qu’ils ont mis en place, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez, car cela soulève d’énormes préoccupations.
M. Richardson : Bien sûr, sénatrice. Il y a un exemple : Kahnawake a passé en revue le système et a éliminé le problème. Si vous avez un système, des règlements et un organisme chargé des jeux de hasard rigoureux en place, vous pourrez détecter ces problèmes.
Je pense qu’il est possible de tirer des leçons. Je n’ai pas discuté avec des gens de la Colombie-Britannique, mais maintenant que vous l’avez mentionné, je le ferai. Il s’agit de tout mettre cela en place et de s’assurer d’être prêts.
La sénatrice Boniface : Enfin, en Colombie-Britannique, le blanchiment d’argent a eu des répercussions sur le marché de l’immobilier.
À mesure que vous augmentez la richesse de vos communautés — et la santé est liée —, je m’inquiète qu’il y ait des problèmes si on ne met pas des mesures en place.
Le président : Le temps prévu avec ce groupe de témoins est terminé. Je remercie encore une fois les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Si vous souhaitez soumettre d’autres renseignements, veuillez les faire parvenir par courriel à notre greffier dans un délai de sept jours.
J’aimerais maintenant présenter notre prochain groupe de témoins. De FHQ eCommerce Ltd et de Kihew Consulting & Research Inc., nous accueillons Edmund Bellegarde, président et chef de la direction, et de HLT Advisory Inc., nous recevons Rob Scarpelli, directeur général. Merci à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui.
Nos témoins feront des déclarations liminaires de cinq minutes chacun, qui seront suivies des questions des sénateurs. J’invite M. Bellegarde à faire ses remarques.
Edmund Bellegarde, président et chef de la direction, FHQ eCommerce Ltd, et chef de la direction, Kihew Consulting & Research Inc. : Bonjour, sénateurs. Je tiens à remercier le président, le sénateur Brian Francis, et le vice-président, notre ancien commissaire aux traités de la Saskatchewan, le sénateur David Arnot. Je tiens également à remercier le sénateur Scott Tannas d’avoir présenté ce projet de loi.
Je travaille dans l’industrie du jeu depuis 1995; j’ai travaillé pour la Saskatchewan Gaming Corporation avant que Casino Regina ouvre ses portes. J’étais le directeur de l’exploitation des machines à sous et des transactions bancaires pour le casino Crown. En mars 1997, je suis allé travailler pour le casino Painted Hand, exploité par la Saskatchewan Indian Gaming Authority, ou SIGA. Il est situé à Yorkton, sur les terres de la réserve urbaine de la Première Nation de Kahkewistahaw. J’en ai été le directeur général jusqu’en juin 2000.
Dans l’histoire de la Saskatchewan, la SIGA a traversé une crise, qui était une crise relative à la gouvernance et aux relations avec le gouvernement provincial. J’ai été nommé PDG en juin 2000.
Une partie du travail très important dont nous parlons repose sur la conduite, la gestion et le fonctionnement efficace des jeux de casino au Canada. Je suis fier de dire qu’en 2008, à la suite de la crise des entreprises et de la gouvernance, le Conference Board du Canada a reconnu la SIGA comme la société à but non lucratif la mieux gouvernée au pays. Cette capacité existe.
J’ai été le PDG jusqu’en 2006. J’ai ensuite assumé un rôle de dirigeant de Premières Nations en tant que chef du Conseil tribal File Hills Qu’Appelle, qui est constitué de 11 membres dans le territoire visé par le traité no 4 en Saskatchewan. J’ai occupé ce poste pendant plus de 15 ans. J’ai également été le porte-parole des 36 Premières Nations qui sont parties au traité no 4 ou qui résident dans le territoire visé par ce traité en Saskatchewan, au Manitoba et en Alberta.
Mon rôle consiste à rechercher et à examiner les aspects d’une structure de réglementation des jeux de hasard et les contextes historiques que le projet de loi S-268 mettra en jeu, ainsi qu’à concevoir et à présenter des options fondées sur les expériences, les pratiques exemplaires et les normes mondiales et sectorielles pour l’industrie du jeu.
Dans le groupe précédent, le chef Bear et le chef Taypotat ont mentionné le Gaming Framework Agreement, ou GFA. En février, cela fera 30 ans que l’accord sur les jeux a été conclu entre la province de la Saskatchewan et la Fédération des nations autochtones souveraines.
Le GFA de 1995 a créé SIGA et Indigenous Gaming Regulators Inc., qui assument des fonctions importantes. L’accord a créé la First Nations Addictions Rehabilitation Foundation et la fiducie des Premières Nations qui distribue les bénéfices indépendants des activités de jeux. Il a également créé les entreprises de développement communautaire qui effectuent un travail considérable sur le terrain dans les communautés, dans les marchés où des casinos de l’organisme SIGA sont exploités.
Nous avons une capacité éprouvée; nous avons près de 30 années d’expérience dans le domaine du jeu.
Je m’en voudrais cependant de ne pas parler de la Première Nation de White Bear. À l’automne 1992, la loi sur les jeux de la Première Nation de White Bear a été promulguée. Elle a créé sa commission des jeux et délivré son premier permis au casino Bear Claw, qui a ouvert ses portes dans la Première Nation de White Bear en janvier 1993. C’est le 22 mars, aux petites heures du matin, que le gouvernement provincial et la GRC ont fait une descente au casino et l’ont fermé assez violemment. Je dois donc reconnaître que la Première Nation de White Bear a fait valoir ses droits inhérents et ses droits issus de traités en matière de développement économique pour assurer sa subsistance et en matière de jeux sur ses terres.
Le chef Bernie Shepherd et le chef Brian Standingready ont joué un rôle déterminant. Edward Littlechief siégeait au conseil et a joué un rôle essentiel au début de l’exploitation du casino. Je tiens à souligner ces personnes.
Je pense que l’industrie a pris de la maturité en Saskatchewan au cours de ces 30 années, et les Premières Nations ont démontré qu’elles avaient les capacités non seulement de mener et de gérer, mais aussi de réglementer et d’octroyer des permis pour toutes les activités de jeu. Nous avons cette expérience.
Pour aller de l’avant, nous devons examiner les modèles de réglementation et les normes de l’industrie. Nous avons nos propres exemples ici, comme Indigenous Gaming Regulators Inc. en Saskatchewan et la Kahnawake Gaming Commission. Nous examinons l’Indian Gaming Regulatory Act de 1988 des États-Unis et la National Indian Gaming Commission qui en est issue. Nous étudions les accords conclus État par État aux États‑Unis.
Nous tenons compte de toutes les pratiques exemplaires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme — toutes les obligations du CANAFE. Nous examinons également l’intégrité des opérations et l’industrie dans son ensemble, en veillant à ce que tous les paiements et toutes les transactions financières soient surveillés et à ce que les clients soient assujettis à des mesures de vérification de l’identité. Nous envisageons un système d’enregistrement et un audit des fournisseurs de jeux, des employés et de l’équipement de jeux pour l’industrie. Nous ne négligeons aucun détail. Nous cherchons à élaborer des options pour que les nations autochtones du Canada puissent disposer d’une autorité indépendante d’accréditation des jeux.
Durant la dernière minute de ma déclaration, j’aimerais parler de l’un des amendements proposés par les nations hôtes de jeux de hasard au projet de loi S-268. Partout où il est question dans la version anglaise de « on First Nations reserve » ou « on First Nations reserve land », nous aimerions remplacer le terme « on » par trois mots, soit par « from or within ». Cela clarifie les questions relatives aux activités de jeu qui se déroulent sur les terres, mais cela clarifie aussi les jeux en ligne ou les jeux sur Internet qui se font dans la réserve.
L’article 207 du Code criminel n’a pas été modernisé pour tenir compte de la technologie moderne et de l’évolution rapide de la technologie des jeux en ligne.
Sur ce, je vais m’arrêter là, et je suis disposé à répondre à vos questions. Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Bellegarde.
Je demanderais maintenant à M. Scarpelli de faire sa déclaration liminaire.
Rob Scarpelli, directeur général, HLT Advisory Inc. : Je vous remercie de l’invitation à venir discuter de cet important projet de loi.
Je fournis des conseils à l’industrie canadienne du jeu depuis plus de 31 ans. Au cours de ma carrière, j’ai mené plus de 300 projets liés aux jeux dans toutes les provinces et dans deux territoires. J’espère avoir l’occasion de mener une initiative au Nunavut avant de prendre ma retraite.
Dans le cadre de ce travail, j’ai eu la chance de mener à bien plus de 80 projets pour les gouvernements des Premières Nations ou des entités dirigées par des Premières Nations dans huit provinces et deux territoires. En fait, le premier projet relatif aux jeux qui a marqué le début de ma carrière a été réalisé avec la Première Nation de Rama et a donné lieu à la mise en œuvre du casino Rama.
J’aide actuellement une Première Nation dans l’Ouest du Canada à acquérir un établissement de jeu existant. Par ailleurs, je discute actuellement avec une Première Nation de l’Est du Canada et le gouvernement du Canada de la manière dont ma société, HLT Advisory Inc., ou HLT, peut aider les deux parties dans le cadre d’un règlement de revendications territoriales comportant un volet relatif aux jeux.
Cette expérience avec les Premières Nations m’a donné le privilège de discuter de l’industrie du jeu avec de nombreuses assemblées provinciales des Premières Nations, des conseils tribaux, des représentants politiques des Premières Nations et des membres des communautés des Premières Nations. Certaines des discussions les plus significatives que j’ai eues ont eu lieu avec des membres des communautés.
Aujourd’hui, je voudrais me concentrer sur deux questions de base, simples mais fondamentales, qui ont été soulevées dans pratiquement toutes ces réunions communautaires. Principalement, en quoi consiste l’industrie du jeu, et quelles sont les véritables possibilités pour ma communauté?
Pour vous guider durant mon exposé, j’ai préparé un petit document qui a été remis aux sénateurs. Il renferme un certain nombre de graphiques et de tableaux auxquels je ferai référence.
L’industrie canadienne du jeu est vaste et mature. HLT estime qu’elle génère actuellement plus de 21 milliards de dollars de gains ou de revenus de jeux. De plus, nous estimons que plus de 15 milliards de dollars de capital investi ont été dépensés pour soutenir ce volume de revenus. Cet investissement a été effectué par des exploitants du secteur privé, des gouvernements provinciaux et des gouvernements des Premières Nations.
La croissance de l’industrie a été façonnée par l’introduction d’activités de jeux individuelles et des changements dans l’offre. La plupart des augmentations ou des changements qui ont eu lieu se sont produits avant 2010. L’augmentation des revenus constatée après la pandémie est attribuable en grande partie à l’évolution des canaux de distribution.
À titre de référence, je vous donnerai le numéro de la page si vous suivez le document que j’ai fourni.
À la page 3, lorsque les gens font référence à l’industrie du jeu, ils l’assimilent le plus souvent aux casinos. Ce secteur ne se limite pas aux casinos. Il y a les terminaux de loterie vidéo, les réseaux, les loteries commerciales, les loteries caritatives, le bingo, le pari mutuel et les paris sportifs. Toutes ces activités sont proposées aux clients par l’entremise de canaux de distribution de jeux terrestres et électroniques.
Bien que les casinos aient toujours été l’épine dorsale de l’industrie, sa part dans l’ensemble de l’industrie est en baisse — 44 % en 2024. Le canal de distribution des jeux électroniques ou des jeux sur Internet représente actuellement 20 % des gains de l’industrie. On ne peut pas avoir une discussion sur l’avenir de l’industrie sans parler de canal de distribution des jeux électroniques et de son incidence potentielle sur les activités terrestres traditionnelles. Par exemple, les jeux électroniques sont à l’origine de pratiquement toute la croissance du secteur, tandis que les jeux terrestres représentent pratiquement tous les investissements du secteur depuis 2019. À la page 4, nous vous donnons les mêmes chiffres sur les gains et les tendances par activité.
On ne peut pas non plus discuter des débouchés futurs de l’industrie du jeu sans tenir compte des activités existantes du marché gris. Cela s’applique tout particulièrement pour les occasions pour les Premières Nations dans ce secteur, car on estime que la majeure partie des activités de ce marché gris passe par des serveurs situés dans des collectivités des Premières Nations au Canada. Si les Premières Nations veulent investir dans des installations physiques, leurs décisions d’investissement doivent tenir compte de la présence et des perspectives de croissance des plateformes de jeu en ligne. Les partenaires d’exploitation et d’investissement, en particulier les banques, tiendront certainement compte de ce facteur pour déterminer s’ils participeront ou non.
J’ai aussi inclus dans la documentation une carte et un tableau en guise de résumé de la participation des Premières Nations à l’industrie du jeu au Canada.
Bien que la participation des Premières Nations à l’industrie du jeu soit inégale d’une province à l’autre, cette participation est importante, bien ancrée et en constante évolution. Par exemple, deux provinces ont conclu des accords sur les jeux de hasard qui couvrent un vaste éventail d’activités de jeu de hasard. Ces accords sont fondés sur le partage des revenus ou des profits.
HLT sait que certaines Premières Nations participent à des activités de jeux de hasard à des fins de bienfaisance dans sept provinces. Trois provinces ont des accords sur les loteries vidéo, quatre provinces ont des accords sur les jeux de casino. Dans deux autres provinces, les Premières Nations participent également aux jeux de casino en tant que propriétaire, exploitant ou hôte d’un casino. Actuellement, 19 casinos appartiennent à des Premières Nations et sont exploités par elles, et ce nombre est en augmentation.
Vous remarquerez, sur le graphique, un « 4 » à côté de Colombie-Britannique. Chez HLT, nous savons qu’il y a actuellement quatre projets d’acquisition de casinos par des Premières Nations en Colombie-Britannique.
Au Canada, on compte 23 casinos sur des terres des Premières Nations. Ces accords existants devraient être pris en compte dans les délibérations au sujet du projet de loi S-268. Ces accords ont été négociés de bonne foi, et des centaines de millions de dollars ont été investis pour soutenir la participation des Premières Nations au secteur du jeu par les gouvernements provinciaux et les gouvernements des Premières Nations.
Il convient maintenant de souligner que du point de vue du marché, les activités de jeu et les canaux de distribution se chevauchent tous à divers degrés. Par exemple, une partie des clients des appareils de loterie vidéo fréquentent aussi les casinos ayant pignon sur rue, et il en va de même pour la clientèle des casinos en ligne. Ce chevauchement des segments de clientèle est important, car le budget de divertissement lié au jeu sous toutes ses formes est limité au Canada.
J’aimerais également mentionner le point suivant : HLT estime que les paris sportifs au Canada ont généré environ 875 millions de dollars au Canada en 2024. Les loteries à des fins de bienfaisance et le bingo ont généré environ 807 millions de dollars. Considérant que la déclaration des revenus provenant de loteries à des fins de bienfaisance n’est pas nécessairement uniforme dans l’ensemble des provinces et des communautés, nous pensons que le chiffre réel pour cette catégorie de jeu au Canada dépasse probablement le milliard de dollars.
Pourquoi parle-t-on bien davantage des paris sportifs que des jeux à des fins de bienfaisance alors que les chiffres ne justifient pas un tel écart? Je trouve qu’il est étrange que l’on évoque rarement le jeu à des fins de bienfaisance dans les discussions sur la participation des Premières Nations aux jeux alors que la majorité d’entre elles participent depuis longtemps à ce type d’activités. Les loteries à des fins de bienfaisance génèrent d’importants profits qui sont réinvestis dans les collectivités.
Je vais m’arrêter là, monsieur le président, afin de permettre aux sénateurs qui ont des questions d’aborder d’autres aspects de la question. Permettez-moi toutefois de souligner que les Premières Nations du Canada reçoivent probablement un peu plus de 500 millions de dollars, dans une industrie de 24 milliards de dollars. C’est un vaste sujet qui mérite d’être examiné de manière plus approfondie.
Le président : Merci, monsieur Scarpelli. Nous veillerons à ce que les sénateurs reçoivent une copie de votre discours dans son intégralité. Nous passons maintenant aux questions.
Le sénateur Arnot : Je remercie les deux témoins de leur présence aujourd’hui. Cette question s’adresse principalement à M. Bellegarde.
Monsieur Bellegarde, vous avez une vaste expérience de l’industrie du jeu. Vous avez étudié les modèles en place dans d’autres pays, notamment aux États-Unis. J’ai deux ou trois questions. Selon vous, l’idée de créer au Canada une commission nationale des jeux de hasard comme celle qui existe aux États‑Unis est-elle pertinente? Appuieriez-vous un tel modèle?
Voici où je veux en venir vraiment : comment les Premières Nations peuvent-elles veiller à une répartition équitable des revenus du jeu entre les communautés membres? En Saskatchewan, 74 Premières Nations tirent des revenus des activités de jeu, même si certaines de ces collectivités sont très petites et n’ont pas la capacité de faire ce genre d’investissement. Selon vous, un tel modèle pourrait-il être avantageux pour les 634 Premières Nations du Canada? Autrement dit, cela permettrait-il de partager les profits? Je pense qu’il y aurait un lien direct avec la réconciliation économique.
C’est le modèle en place en Saskatchewan, mais pas ailleurs. Ce modèle me semble une excellente solution pour favoriser ce partage afin que toutes les Premières Nations du Canada puissent bénéficier de réconciliation économique. Je sais que ces décisions n’ont pas encore été prises. J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Ma dernière question porte sur les critères, outre les revenus, que les Premières Nations devraient utiliser pour mesurer le succès des activités de jeu. Je pense au développement communautaire, aux taux d’emploi et à tous les avantages de la richesse créée et générée par l’industrie du jeu pour les Premières Nations.
Ce sont mes questions. Je vous remercie d’être venu nous aider à comprendre. Je pars de l’hypothèse selon laquelle le projet de loi S-268 dit, essentiellement, que les Premières Nations ont la souveraineté sur les jeux de hasard dans ce pays.
M. Bellegarde : Je vous remercie de la question, sénateur. Concernant la première question sur la National Indian Gaming Commission des États-Unis, nous étudions actuellement le modèle. Je suis le président-directeur général de Kihew Consulting and Research. Diverses Premières Nations au Canada qui hébergent des entreprises de jeu ont retenu nos services pour examiner la question et proposer des solutions possibles.
Les rapports de M. Scarpelli et divers aspects du marché indiquent qu’il existe d’importantes variations d’une province et d’un territoire à l’autre au Canada. Concernant les jeux de hasard au sein des Premières Nations, il y a les casinos, et je suis ravi qu’il ait mentionné la loterie à des fins de bienfaisance et toutes les autres activités de jeu offertes partout au Canada. C’est une industrie importante qui génère des revenus importants. Quant aux marchés et aux points de saturation, ainsi qu’à la mesure dans laquelle un marché est mal desservi ou saturé, cela fait partie des données sur la pénétration du marché, et il s’agit du domaine de spécialité de HLT Advisory Inc., la société de M. Scarpelli. Cette société est l’experte en la matière au Canada, et sa réputation ne fait que croître.
J’examinerais les différences entre les marchés ainsi que les marchés établis. Je reconnais également qu’il existe au Canada des marchés auxquels les Premières Nations n’ont pas été autorisées à participer en raison de l’absence d’accords avec les gouvernements provinciaux. Il faut examiner des options qui tiennent compte de tous ces aspects. Il faut prendre en considération les marchés qui ont des ententes sur les jeux de hasard avec la province, et des accords de partage des revenus différents. L’accord de la Saskatchewan — le First Nations Trust —, qui est celui que je connais le mieux, a été créé en 1995 pour répartir les profits générés par les activités de jeu dans l’ensemble des 74 Premières Nations, d’abord par communauté, puis par habitant. Il s’agit de la répartition la plus juste et la plus équitable des recettes du jeu.
Je pense que l’on pourrait s’inspirer du modèle de la Saskatchewan pour les revenus générés, mais je dirais que lorsqu’il s’agit de partage des revenus avec les Premières Nations et les peuples autochtones de partout au pays, la question du développement des ressources naturelles et des revenus qui découlent de leur exploitation, l’un des fondements de l’économie canadienne, doit faire partie de l’équation, car il s’agit d’un facteur de richesse beaucoup plus important. Si nous examinons des mécanismes de partage des revenus, je pense qu’ils doivent s’appliquer à l’ensemble des secteurs et des industries, et non seulement à l’industrie du jeu.
Concernant l’impact socioéconomique du jeu, j’ai travaillé dans le domaine du jeu sur le terrain en Saskatchewan, notamment lors du lancement des activités commerciales du jeu, il y a près de 30 ans. Nous avons vu les capacités se développer, la confiance se renforcer et les moyens de subsistance s’accroître grâce à la formation et au développement professionnel de nombreux autochtones. C’est quelque chose...
Le président : Monsieur Bellegarde, je suis désolé de vous interrompre, mais nous devons vous demander d’arrêter là. Nous avons une longue liste de sénateurs qui attendent de poser des questions.
La sénatrice White : Je vous remercie tous les deux pour vos présentations. En tant que sénatrice issue d’une Première Nation, je suis ravie que le projet de loi S-268 autorise les gouvernements des Premières Nations à gérer et organiser des jeux en ligne, à l’instar des gouvernements provinciaux. Ce qui me préoccupe, cependant, c’est que de nombreuses collectivités des Premières Nations, en particulier en régions rurales et éloignées, n’ont pas d’accès fiable à Internet pour les soins de santé, et encore moins pour les jeux de hasard. Pouvez-vous parler des façons de composer avec ces défis et, évidemment, de l’incidence possible sur les collectivités des Premières Nations en milieu rural qui veulent vraiment exploiter des sites de jeu en ligne, mais qui auront de la difficulté en raison de problèmes de connexion Internet?
M. Bellegarde : Les communications, les technologies et les infrastructures sont en effet des questions clés qui ont une incidence sur le gagne-pain et le bien-être de nombreuses communautés et populations autochtones partout au pays. Les gens qui vivent dans les territoires et les régions plus éloignés sont certainement plus touchés. L’impact est amplifié en raison de l’éloignement.
Quant à la participation aux activités de jeux en ligne, je pense que l’infrastructure et les jeux en ligne représentent une industrie très importante. Nous étudions actuellement la question dans le cadre du partenariat FHQ eCommerce, que je dirige. L’infrastructure qu’exige la cybersécurité... Réussir comme exploitant d’un site de jeux en ligne est une tâche colossale. Il y a des dépenses considérables, en particulier pour ce qui est d’attirer les joueurs et les inciter à fréquenter le site Web. Il y a une multitude d’aspects très techniques : cybersécurité, traitement des paiements, systèmes, réglementation. Une Première Nation en région éloignée pourrait ne pas y arriver seule; elle devra certainement trouver des partenaires ayant la capacité.
La sénatrice White : Avez-vous des conseils pour les collectivités éloignées et les collectivités des Premières Nations, au lieu de simplement leur dire de trouver un partenaire? Dans votre régime actuel, avez-vous une expérience concrète pour ce qui est de relever certains de ces défis?
M. Bellegarde : Il faut beaucoup de trafic sur votre site pour exploiter un site de jeu sur Internet. C’est un domaine ultra‑concurrentiel, car il s’agit maintenant d’une activité mondiale, puisqu’Internet est mondial. Je dirais qu’il faut d’importants fonds de roulement, à savoir des millions et des millions de dollars, littéralement, en publicité seulement pour atteindre le public cible et avoir un bassin de joueurs qui fréquenteront le site Web. À cela s’ajoute le caractère concurrentiel lié à la tâche monumentale qu’est le développement du produit et de l’infrastructure. De nombreuses Premières Nations devront faire appel à des partenaires ayant les capacités nécessaires, notamment en matière financière, des ressources ou de la technologie.
La sénatrice White : Merci.
Le sénateur M. Deacon : Merci à tous d’être ici. À l’instar de ma collègue, je me demande s’il existe des solutions technologiques pour l’accès aux marchés en cas de problèmes de connectivité, et ce, pour tous les secteurs, comme vous l’avez dit. Je me demande si vous avez pris connaissance de solutions à cet égard dans le cadre de votre travail.
J’ai également une question pour M. Bellegarde. Pourriez-vous, si possible, présenter vos observations sur la cybersécurité liée aux jeux de hasard en ligne, et nous dire quelles sont les leçons à retenir ou les précautions à prendre à cet égard?
M. Bellegarde : Je sais que la cybersécurité est l’un des principaux risques de la réglementation sur le jeu en ligne, avec les menaces de fraude, les activités frauduleuses, la lutte contre le blanchiment d’argent et les risques de financement du terrorisme et la lutte contre ces risques. Ce sont probablement les plus importants risques techniques liés au jeu en ligne, mais les autres risques sont la publicité et l’acquisition de joueurs. Il est primordial d’assurer l’intégrité du site. Les joueurs doivent avoir la certitude que s’ils déposent de l’argent sur un site Web pour jouer à des jeux de hasard et, s’ils gagnent, qu’ils ont des garanties ou une forte probabilité de recevoir leurs gains ou de pouvoir retirer leur argent du site Web. La technologie est probablement gage de réussite.
À mon avis, il n’y a pas d’autre avenue. Il faut avoir la technologie de cybersécurité, la plateforme logicielle et les fournisseurs de sécurité de plus haut calibre qui existent dans l’industrie à l’échelle mondiale. C’est un peu comme dans les secteurs des banques, des services financiers et du traitement des paiements. C’est là que se développe une bonne partie de cet espace. Je parle de la technologie financière. Les systèmes de paiement et les paiements transfrontaliers occupent une place importante dans l’industrie du jeu en ligne, et c’est ce que nous recherchons, chez FHQ eCommerce Ltd.
Le sénateur M. Deacon : Merci. Monsieur Scarpelli, alors que nous écoutons la discussion d’aujourd’hui, je pense que nous sommes tous conscients que l’industrie du tourisme au Canada a connu son lot de défis, notamment la pénurie de main-d’œuvre, les problèmes d’infrastructures, la capacité hôtelière et l’accès au capital pour les besoins en infrastructures. J’essaie d’examiner la question du point de vue des Premières Nations et des casinos des Premières Nations, pour essayer de savoir comment elles ont été touchées par ces défis. Quelles mesures souhaitez-vous voir le gouvernement fédéral prendre pour remédier à ces problèmes et, franchement, pour aider les Premières Nations à tirer parti de ces débouchés économiques?
M. Scarpelli : Je vous remercie de la question. Il y a 20 ou 30 ans, on considérait que l’industrie du jeu servait à attirer les touristes de l’extérieur de la province ou était un volet destiné aux visiteurs. Si vous examinez la question dans cette perspective, vous constaterez que le jeu est largement disponible dans toutes les régions. Pourquoi quelqu’un voyagerait-il pour vivre une expérience de jeu alors qu’il peut le faire dans sa propre région? Je commencerais par cela. Pour certains projets de développement, l’occasion qui se présentait à nous est passée.
Dans ces marchés, si vous regardez autour du monde, vous pourriez dire que ces pays semblent avoir fait de bonnes choses dans le domaine du tourisme. Je dirais que c’est parce qu’ils ont limité l’offre à d’autres endroits.
Au Canada, il faut prendre conscience qu’on ne peut pas reculer de 20 ou 30 ans pour revenir à ce qu’on aurait pu faire. La situation actuelle, c’est que c’est une industrie de 21 milliards de dollars. C’est omniprésent. Il faut regarder vers l’avenir, plutôt que vers le passé. Voilà où nous en sommes. Malheureusement, les perspectives touristiques liées au jeu ont disparu. Si je regarde les données des cartes de joueurs au Canada, je ne trouverai pas un seul casino dont plus de 10 % des revenus proviennent de visiteurs de l’extérieur de sa zone de marché définie.
Le sénateur M. Deacon : Merci.
Le sénateur Tannas : Je remercie nos témoins, qui représentent ensemble une grande partie de l’expertise de soutien au pays. Je vous remercie donc de passer du temps avec nous.
Monsieur Scarpelli, vous avez mentionné une chose qui a attiré mon attention, à savoir que le projet de loi doit offrir une certaine protection, ou une reconnaissance des accords existants qui ont été négociés de bonne foi, et ainsi de suite. Je voudrais vous poser quelques questions et vous demander d’expliquer ce que vous avez voulu dire.
Vos propos ont attiré mon attention pour deux raisons. D’une part, les nations qui s’adonnent aux jeux m’ont souvent dit que des accords avaient été conclus avec les provinces, mais que ces négociations ne s’étaient pas déroulées sur un pied d’égalité. L’une avait l’autorité et l’autre pas. Si vous voulez obtenir une certification de la part de la province, vous êtes en quelque sorte en mauvaise posture, car elle peut dire non. C’est le premier élément.
D’autre part, nous avons passé du temps à y réfléchir. Un segment du projet de loi vise vraiment cet aspect, et c’est l’adhésion volontaire. Pour qu’une communauté puisse faire valoir ses droits, elle doit signifier sa volonté de le faire.
Une fois qu’elle exerce ses droits, les accords provinciaux sur ces territoires sont annulés, et le jeu devient illégal pour quiconque autre que l’autorité de jeu qui existe lorsque la communauté affirme ses droits. C’est à ce moment qu’un accord peut être annulé.
Le texte prévoit quatre possibilités pour les communautés. La première consiste à ne rien faire et à ne pas participer aux jeux, ou à ne rien faire et à poursuivre avec l’accord existant. L’autre option consiste à annuler l’accord et à le renégocier avec la province à des conditions égales. Les deux parties pourraient suivre leur propre voie, mais il s’agirait d’une négociation plus équitable. Elles pourraient également agir seules ou de concert avec d’autres nations, comme nous l’entendons à propos de l’autorité nationale des jeux, qui fait l’objet de discussions.
Pouvez-vous confirmer votre inquiétude? Cette partie du projet de loi répond-elle à ce dont vous parliez?
M. Scarpelli : Je remercie le sénateur pour cette question. Tout d’abord, veuillez comprendre que je considère les choses du point de vue de la pénétration du marché et de l’activité. Je ne les envisage pas sous l’angle de ce que j’appellerais un accord juridique. Je dois m’attarder aux accords pour comprendre la pénétration du marché. Permettez-moi de faire quelques commentaires.
Premièrement, vous parlez d’un chiffre d’affaires de 21 milliards de dollars qui, fondamentalement, n’a pas changé au cours de la dernière décennie. Nous sommes un marché mature.
En outre, pour générer ces 21 milliards de dollars, il faut 50 milliards de dollars de capital d’investissement. Il faut donc démêler le tout et espérer que les morceaux se recollent.
L’élément suivant — tout est lié — est la caractéristique fondamentale de l’industrie canadienne des jeux qui nous distingue de toutes les autres nations dans le monde. Il s’agit du montant des bénéfices qui tombent actuellement dans les caisses de l’État. Ces bénéfices sont partagés entre ce que nous appelons les gouvernements et les parties prenantes gouvernementales, ce qui inclut les organisations caritatives et les Premières Nations.
Je comprends que l’on se demande si ce partage est équitable à l’heure actuelle. Cela n’a rien à voir avec le marché. De ce point de vue, le marché concerne les clients.
Voici ce qui me préoccupe dans le projet de loi. Lors de son annonce, les responsables d’une province m’ont appelé pour me demander ce qu’il signifiait pour eux. Je leur ai répondu : « Combien de parcelles de terre des Premières Nations avez-vous dans votre province? » Disons qu’il y en a plus de 100. C’est comme avoir 100 états limitrophes qui font des choses sur lesquelles vous n’avez ni contrôle ni droit de regard.
Pour moi, l’expression « mettre sur pied et exploiter » signifie en réalité exploiter un marché pour le compte d’actionnaires. Dans ce cas, vous avez 100 compétences différentes qui prennent leurs propres décisions. Je ne sais pas combien d’entre elles, qu’il s’agisse d’une Première Nation ou d’une province, sont en mesure d’exploiter le marché efficacement. Il n’y aura pas de bénéfices à distribuer, mais beaucoup d’activités. Cet aspect m’inquiète, car les jeux ont été acceptés au Canada sous prétexte qu’ils doivent pouvoir servir le bien commun.
Récemment, le Sénat a abordé cette question indirectement avec l’affaire de la publicité sur les sports. Il existe au Canada une notion selon laquelle les jeux doivent être gérés de manière socialement responsable. C’est bien plus que promouvoir le jeu responsable. Voulons-nous tolérer la publicité? Voulons-nous tolérer les pratiques qui encouragent les gens à jouer? Quelles en sont les répercussions?
Votre question était la suivante : ces éléments du projet de loi aident-ils à gérer cet aspect? Je dirais qu’en théorie, la réponse est oui, mais pas en pratique.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie.
La sénatrice Coyle : Je remercie nos deux témoins. Plusieurs de mes questions ont déjà été posées, mais j’aimerais interroger encore M. Scarpelli.
Nous sommes saisis de ce projet de loi. Il suscite naturellement beaucoup d’enthousiasme dans les communautés des Premières Nations, tant celles qui ont déjà des établissements de jeu que celles qui voudraient se lancer dans l’aventure. Vous avez parlé de pénétration du marché.
J’aimerais mieux comprendre l’occasion qui se présente véritablement ici. Je comprends ce qu’il en est pour ceux qui sont déjà en activité, et vous avez décrit les tendances qui se dessinent dans l’industrie. Vous dites non pas que l’assise territoriale va disparaître, mais que le marché est assez saturé. Y a-t-il encore de la place sur les terres? La croissance se fait-elle entièrement du côté des jeux en ligne ou électroniques? Qu’est‑ce que cela signifie sur le plan des occasions qui se présenteront? Nous souhaitons tous que les communautés des Premières Nations aient des possibilités économiques. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici. Quelles seront les retombées de ce projet de loi pour ceux qui ont déjà une activité, et qu’en est-il des autres? Veuillez répondre sans détour.
M. Scarpelli : Je ne peux pas répondre directement à cette question. Cela prendrait trop de temps et on me demanderait d’arrêter.
Permettez-moi d’exprimer les choses de la manière suivante : dans tout marché mature, il y a toujours une possibilité de croissance. Le problème, c’est que pour atteindre cette croissance progressive, il faut pouvoir s’accommoder d’une certaine redistribution de l’activité existante. En d’autres termes, je pourrais ouvrir un casino à Vancouver demain. Il rapportera de l’argent, mais quel sera l’impact sur les autres casinos de Vancouver et des environs? Je pourrais ouvrir un casino à Saskatoon, et le chef Bear s’en inquiéterait parce que l’établissement les priverait d’une partie de l’activité. Ce qui est plus important encore pour les gouvernements — des provinces ou des Premières Nations —, c’est que plus il y a d’activités, moins il y a de profits. S’il n’y a plus de bénéfices à distribuer, qu’est-ce que cela nous apporte? C’est le premier point. Deuxièmement, il y a l’idée que tous les endroits ne peuvent pas accueillir un casino. J’ai évoqué à dessein la notion de jeux de bienfaisance. C’est fondé sur le marché; il faut une population.
Vous avez soulevé un point intéressant en ce qui concerne les jeux en ligne et électroniques. Jetez un coup d’œil au tableau que je vous ai donné. Sur cette page, vous verrez qu’en 2017, un casino physique versait environ 50 % de ses revenus en bénéfices. En 2024, vous pouvez additionner tous les jeux électroniques au Canada. Bien qu’ils soient influencés par le modèle de marché ouvert de l’Ontario, avec un taux de commission de 80 %, le profit que le gouvernement tire des jeux électroniques est inférieur à 15 % dans tout le Canada, alors que celui d’un casino physique est de 50 %. Permettez-moi de poser la question suivante : en tant que société ou Première Nation, est‑ce qu’on veut plus de jeux électroniques, qui génèrent 14 % de bénéfices, ou un casino qui génère 50 % de bénéfices et crée des emplois locaux?
Certains pensent que le marché des jeux est libre. Ce n’est pas le cas. Les jeux sont un marché géré. J’ajouterai qu’il existe de nombreux exemples aux États-Unis, notamment en ce qui concerne les jeux amérindiens ou électroniques dans les États, mais beaucoup de gens ne réalisent pas que ces marchés sont gérés. Des accords de partage des revenus ont été conclus avec les États. Il y a des restrictions sur la façon de construire des installations et de les financer. Toutes ces restrictions font qu’il s’agit de marchés gérés. Pour sa part, le Canada n’est pas considéré comme un marché géré.
Par ailleurs, dans la majorité des provinces, le problème est que la plupart des Premières Nations veulent avoir accès aux jeux, ce qui nécessite une relation avec le gouvernement provincial. Je dirais qu’il y a beaucoup d’exemples de bonnes relations qui profitent à toutes les parties. Dans d’autres endroits, les relations ne sont pas bonnes. Lorsqu’on a affaire à un marché mature, faut-il tout effacer et repartir à zéro, ou faut-il travailler avec ce qu’on a? Il s’agit d’une évaluation pratique de la situation actuelle.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup aux deux témoins d’être venus. J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Coyle. Dans 10 ans, à quoi ressemblera l’industrie du jeu au Canada? Du point de vue des Premières Nations ou des Autochtones, à quoi ressemblerait-elle si ce projet de loi allait de l’avant et ouvrait des portes? Quels seraient les risques? Je m’adresse aux deux témoins, s’il vous plaît.
M. Scarpelli : Je vais donner mon point de vue en premier. Il est difficile de demander à quoi ressemblera l’industrie du jeu dans 10 ans. La situation d’aujourd’hui est attribuable à la politique du gouvernement. Le gouvernement crée des politiques et a des objectifs, qu’il s’agisse de bénéfices, d’emplois ou d’un tas d’autres choses. Si vous voulez savoir à quoi l’industrie ressemblera, je vous dirais de parler aux personnalités politiques qui seront au pouvoir dans une décennie. C’est vraiment la réponse. C’est eux qui influencent la situation, de ce point de vue.
Nous ne sommes pas dans un marché libre. C’est un marché qui est géré et qui dépend vraiment des gouvernements. Malheureusement, les politiciens disposent généralement d’une fenêtre de quatre ans pour prendre des décisions, dont certaines peuvent nuire aux générations futures.
M. Bellegarde : Je remercie la sénatrice de sa question. Je pense que le marché dans 10 ans, si ce projet de loi est adopté et devient une loi au Canada... Compte tenu de ce droit inhérent, des droits issus des traités, du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, de la reconnaissance et du statut, non seulement des peuples autochtones au pays, mais aussi de la responsabilité du Canada... Je pense qu’il est important et essentiel de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et de faire avancer les recommandations du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996. Je pense que la capacité, la santé, le bien-être, les niveaux d’éducation et l’infrastructure communautaire dépendront tous de la reconnaissance du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie. Renforcer cette capacité, avoir cette reconnaissance pour agir et gouverner les impacts sur la vie des personnes que vous servez, je pense que c’est l’aspect le plus important ici.
Le projet de loi nous met sur un pied d’égalité avec les gouvernements provinciaux. En Saskatchewan, nous avons investi des centaines de millions de dollars dans des projets d’investissement. Nous avons investi dans des possibilités de formation et de développement pour nos employés et notre personnel. Nous avons investi dans le renforcement des institutions. Nous avons investi dans l’infrastructure communautaire. Nous avons beaucoup investi. Or, le gouvernement provincial n’a rien investi dans notre entreprise d’exploitation des jeux, mais il s’approprie une part importante des bénéfices. Cette mesure nous mettrait sur un pied d’égalité. Les jeux des Premières Nations sont différents d’une province à l’autre, de sorte que les gouvernements provinciaux — et pour reprendre le commentaire de M. Scarpelli, les marchés gérés — sont semblables à ceux des États-Unis. Par contre, les paramètres et les fondements juridiques sont différents.
La sénatrice Boniface : Vous semblez dire tous les deux que les provinces — ce qui est formidable dans une fédération, c’est que vous devez traiter avec un grand nombre d’entre elles — doivent rester à l’écart et laisser les processus suivre leur cours. Ai-je raison?
M. Bellegarde : Du point de vue des droits et de l’autonomie gouvernementale, je dirais que beaucoup de lois et de politiques au pays doivent être reformulées à la lumière des 94 appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ces exigences doivent être modifiées. C’est une industrie importante parce qu’elle a une incidence sociale et économique et qu’elle permet d’uniformiser les règles du jeu.
Le président : Nous avons épuisé notre liste d’intervenants. S’il n’y a pas d’autres questions, le temps imparti à ce groupe de témoins est terminé. Si vous souhaitez faire d’autres déclarations, veuillez le faire dans les sept jours en envoyant un courriel à notre greffier. C’est ce qui conclut notre réunion d’aujourd’hui.
(La séance est levée.)