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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le vendredi 3 juin 2022

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 11 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 2 et 3 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Brian Francis(président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : J’aimerais tout d’abord reconnaître que le Sénat du Canada se situe sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe. Cependant, étant donné que la réunion se tient de façon hybride, les sénateurs se mettent à la tâche depuis les territoires traditionnels de nombreuses nations.

Je suis le sénateur micmac Brian Francis; je me trouve actuellement à Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones.

Avant que nous n’amorcions notre réunion, j’aimerais présenter les membres qui participent à la réunion d’aujourd’hui : le sénateur Arnot, de la Saskatchewan; la sénatrice Busson, de la Colombie-Britannique; la sénatrice Miville-Dechêne, du Québec; la sénatrice Pate, de l’Ontario; le sénateur Patterson, du Nunavut; et la sénatrice Sorensen, de l’Alberta.

J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui se joignent à nous à distance de garder leur microphone en sourdine en tout temps, à moins que je leur donne la parole. Si vous éprouvez des difficultés techniques, veuillez me le faire savoir.

J’aimerais aussi rappeler à tout le monde que l’écran Zoom ne doit pas être copié, enregistré ou photographié; cependant, les délibérations officielles peuvent être diffusées sur le site Web SenVu.

Avant de débuter la réunion, j’aimerais souligner que c’est aujourd’hui le troisième anniversaire du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui énonce 231 appels à la justice. Honorons toutes celles qui sont mortes ou qui ont disparu et recueillons-nous en réfléchissant à la douleur et la force des survivantes, des familles et des autres qui ont pris part au processus et qui attendent encore des changements concrets. Aujourd’hui, nous nous tenons à vos côtés et nous vous entendons haut et fort.

Le Comité des peuples autochtones a récemment entendu les témoignages d’anciens commissaires de l’enquête nationale, y compris la sénatrice Audette, et de personnes touchées par la crise. Nous allons publier un rapport intermédiaire comprenant des recommandations qui s’appuient sur ces témoignages.

Nous nous sommes aussi engagés à entreprendre une étude ciblée, à l’automne, sur la promotion d’une transparence et d’une reddition de comptes accrues. Des gestes décisifs s’imposent à tous les niveaux pour régler la crise qui ravage les peuples autochtones et, en particulier, les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et de diverses identités de genre. J’ai bon espoir que notre comité pourra contribuer à ces efforts. Wela’lin et merci.

Nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre étude sur la teneur du projet de loi C- 19, la loi d’exécution du budget. Nos discussions sont plus précisément axées sur la section 3 de la partie 5 qui abroge la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations dans le cadre de l’entente de règlement impliquant les Premières Nations ayant été privées d’un accès fiable à de l’eau potable dans les réserves.

Notre premier témoin est le chef Byron Louis de la Première Nation Okanagan. Après sa déclaration liminaire, nous débuterons la période de questions et de réponses. Les sénateurs dans la salle qui désirent poser une question devraient lever la main. Ceux qui participent sur Zoom devraient se servir de la fonction « lever la main », après quoi ils seront ajoutés à la liste.

Chef Louis, si vous n’êtes pas en mesure de répondre à une question ou si vous voulez fournir des renseignements supplémentaires après la réunion, je vous invite à transmettre une réponse écrite à la greffière d’ici lundi. Je suis désolé du bref délai, mais nous devons faire rapport à la Chambre d’ici le 10 juin.

Chef Louis, je vous invite à commencer votre déclaration liminaire.

Byron Louis, chef, Première Nation Okanagan : Bonjour. Je vais lire une brève déclaration préparée.

La Première Nation Okanagan se bat depuis des décennies pour la reconnaissance du titre ancestral de notre nation et de nos droits ancestraux à l’eau. Nous nous démenons aussi pour faire reconnaître que, comme nos réserves se situent dans une des régions les plus arides du Canada, notre territoire n’a aucune valeur à moins de garantir et de protéger une alimentation en eau salubre, propre et fiable. C’est essentiel non seulement pour les moyens de subsistance et la santé de notre peuple, mais aussi pour nous garantir une économie robuste et saine.

Notre peuple s’attend à ce que le gouvernement du Canada fournisse une alimentation en eau salubre, potable et fiable — une des plus importantes responsabilités dont il devrait s’acquitter. Nous sommes toutefois terriblement déçus des actions du Canada et de sa violation de son obligation fiduciaire.

Cela appartient au passé. Je suis ici pour vous entretenir de l’avenir.

Tout d’abord, la Première Nation Okanagan est ravie de l’abrogation de la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations. Cette loi symbolise l’approche classique adoptée par les gouvernements antérieurs : plutôt que de remédier de bonne foi aux problèmes de nos nations, ils tentaient plutôt de les reléguer aux oubliettes en les légiférant ou en déléguant le fardeau aux nations. En appuyant ce texte de loi, vous accomplirez un geste bénéfique.

Deuxièmement, la Première Nation Okanagan désire vous rappeler qu’elle a toujours une revendication non réglée à l’encontre du gouvernement du Canada qui a manqué à nous alimenter en eau potable et à faire respecter nos droits de la personne fondamentaux. Notre Première Nation n’est pas partie au recours collectif, et nous n’avons pas réglé notre revendication. Comme nous l’affirmons depuis le début, nous sommes prêts, disposés et en mesure de négocier une résolution pour cette revendication. Pourtant, le gouvernement du Canada n’a offert à ce jour que de vagues propositions et de vaines promesses qui ne règlent en rien la véritable crise que notre communauté continue à subir.

Nous espérons que vous pourrez exhorter le gouvernement du Canada à bien agir et à nous tendre la main, prêt à négocier et à corriger les erreurs qui perdurent depuis des décennies.

Finalement, je vous demande de pousser le gouvernement du Canada à trouver des moyens créatifs pour collaborer avec notre bande et les autres nations. Pour le financement d’initiatives, Services aux Autochtones Canada est limité par les contraintes de politiques qui permettent difficilement de réaliser ce type de projets d’infrastructures. Des centaines, voire des milliers, de non-Autochtones vivent dans notre réserve d’Okanagan. À l’instar des membres de notre bande, ils ont eux aussi besoin d’eau potable, salubre et fiable. Des communautés avoisinantes comme les districts régionaux de Vernon et d’Okanagan ont les mêmes besoins en eau que nous.

La Première Nation Okanagan coopère avec d’autres organismes gouvernementaux et élabore des modèles qui pourraient répondre aux besoins de toutes les communautés tout en réduisant les coûts totaux en infrastructures pour tous.

Les politiques désuètes de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, jouent un rôle dans notre plus incommensurable défi. Plutôt que de voir ce qui est possible et de favoriser l’étroite collaboration avec nos voisins et les fournisseurs de services publics d’expérience, elles se concentrent exclusivement sur les limites pesant sur les projets.

Nous nous butons à des obstacles engendrés par des politiques de financement désuètes. Le Canada doit faire preuve de créativité, d’agilité et d’un bon sens des affaires afin de reconnaître le potentiel économique qui pourra se réaliser si nous sommes perçus comme des partenaires voulant faire croître leur économie plutôt que comme des pupilles de l’État ou des enfants.

Je crois qu’une des plus grandes faiblesses de SAC et de ses politiques désuètes est le fait que le ministère analyse les enjeux sociaux sous l’angle exclusif de formules qui ne tiennent pas compte du pouvoir économique engendré par les infrastructures et d’autres types de services. Or, ce pouvoir économique peut stimuler la création de richesse dans les communautés.

Il faut également considérer le fait que, dans certains cas, les infrastructures représentent un investissement et non pas une dépense. Les projets financés de certaines façons peuvent en fait être rentables pour le Canada qui en retire des recettes fiscales accrues, des emplois et d’autres avantages.

Notre communauté connaît des expériences similaires avec ce ministère, et nous étudions même la pertinence que SAC et RCAANC commencent à se servir de la Loi sur les textes réglementaires qui prévoit que des analyses coûts-avantages soient combinées aux analyses socioéconomiques de la réglementation et des évaluations. Je crois que c’est important parce que le modèle de fonctionnement du gouvernement se fonde sur le principe de la gestion du risque. Selon nous, le principe n’est pas appliqué. Merci.

Le président : Merci de vos commentaires, chef Louis.

Nous allons maintenant commencer la période de questions et de réponses, et je vais poser la première.

Chef Louis, l’audit réalisé en 2021 par le Bureau du vérificateur général a permis de constater que le financement accordé aux Premières Nations pour le fonctionnement et l’entretien de leur système de traitement des eaux usées est insuffisant. Selon votre expérience, quels coûts sont exclus mais importants pour le fonctionnement et la gestion des systèmes d’alimentation en eau et de traitement des eaux usées dans votre communauté? De plus, à quels défis vous heurtez-vous pour combler le manque à gagner financier?

M. Louis : Je crois que le coût le plus important — les manques à gagner et le sujet de la conversation — est le fait que le gouvernement ne tient jamais compte des retombées économiques ou n’effectue pas d’analyses coûts-avantages adéquates en matière d’infrastructures. Une analyse adéquate permettrait de dégager les formules pouvant cerner les besoins actuels en eau dans les réserves. Au lieu de ces formules, on s’appuie sur la taille de la population et des projections de croissance limitées sans tenir compte des questions de retombées économiques, à savoir par exemple si le territoire peut être utilisé pour des vocations sociales et économiques.

Notre bande et nos titulaires de CP tiennent compte de notre emplacement qui s’étend sur 37 kilomètres de berges, où on trouve des baux résidentiels, dans la vallée de l’Okanagan. La richesse qui pourrait être générée n’est jamais prise en considération. Nous détenons d’autres parcelles pouvant servir au développement industriel ou récréatif. Je le répète, ces facteurs ne sont pas pris en considération dans le processus déterminant la valeur sociale et économique ou les avantages en matière de coûts que peuvent offrir des infrastructures adéquates.

Le président : Merci, chef Louis. Je me souviens que, à l’époque où j’étais chef d’une Première Nation, Services aux Autochtones nous versait, conformément aux formules de financement, environ 75 % des fonds nécessaires pour le fonctionnement de nos systèmes d’alimentation en eau et de traitement des eaux usées. Nous devions piger dans nos propres sources de revenus ou trouver d’autres moyens pour combler les 25 à 30 % restants. Est-ce aussi ce que vous vivez?

M. Louis : Tout à fait. Une des sources de revenu envisagées pour combler le manque à gagner est la taxation. Parfois, c’est une solution et d’autres fois, non. Je comprends exactement ce que vous avez décrit quant aux manques à gagner parce qu’il faut se creuser la tête pour trouver d’autres sources de revenus. De nombreuses Premières Nations puisent dans d’autres programmes pour combler les manques à gagner, ce qui crée un cercle vicieux. Le gouvernement se demande ensuite pourquoi les bandes ne peuvent s’en tenir à leurs budgets. Eh bien, c’est très difficile quand nos finances sont grevées d’un manque à gagner de plus ou moins 25 %.

Le président : Merci de votre réponse.

Le sénateur Arnot : Merci, chef Louis, de vos observations. Je qualifierais la situation de violation continue de l’obligation fiduciaire, une obligation du gouvernement fédéral envers votre Première Nation. C’est l’évidence même. Selon moi, c’est aussi une violation du principe de relation de nation à nation, et je suis persuadé que vous espérez entretenir à l’avenir une relation positive et constructive axée sur la coopération et la collaboration.

En outre, je trouve inquiétant que vous ayez eu à intenter une poursuite pour obtenir de l’aide de la Couronne — le gouvernement fédéral. Je me demande depuis combien d’années dure ce litige. Vous n’avez pas à me fournir de chiffre précis, mais vous avez dû dépenser beaucoup d’argent pour lancer et mener les négociations qui ont mené au litige. À combien se chiffrent les coûts, et pendant combien d’années avez-vous été contraints de dépenser ce qui représente sans aucun doute une somme astronomique?

M. Louis : La somme est considérable. Pour tout type de poursuite en justice, on peut s’attendre à dépenser jusqu’à 200 000 $ ou plus. Il s’agit de sous qui pourraient servir à, par exemple, l’éducation, le logement ou d’autres types de besoins sociaux ou économiques. Nous croyons toutefois que la seule façon pour nous d’obtenir des changements constructifs ou d’autres moyens est de passer par les tribunaux. Il semblerait que seuls les tribunaux nous offrent une tribune équitable pour aborder ces enjeux.

Alors, oui, les procédures judiciaires sont coûteuses. Nous devons poursuivre la province. Nous devons poursuivre le gouvernement fédéral. Ce moyen ne devrait pas être le seul pour subvenir aux besoins de nos membres et de notre propre peuple. Il faut remédier à la situation. On ne peut parler de relation de gouvernement à gouvernement, surtout si on est contraint d’intenter des poursuites.

Le sénateur Arnot : Merci, chef Louis. Je vous suis reconnaissant de vos commentaires qui sont très utiles. Merci.

M. Louis : Merci.

Le sénateur Patterson : Merci, chef Louis. La Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations a été adoptée en 2013. Aucun règlement n’a été rédigé en vertu de la loi, et ce, même si elle conférait des pouvoirs en ce sens. Vous avez affirmé être en faveur de l’abrogation de ce projet de loi, mais j’aimerais connaître vos recommandations quant aux prochaines étapes. Je sais que Services aux Autochtones Canada a réglé un recours collectif sur l’eau potable et que votre bande n’en faisait pas partie. Le ministère a néanmoins affirmé qu’il appuierait les Premières Nations à rédiger des règlements administratifs pour l’eau potable.

Je suis conscient que nous devons aussi résoudre des problèmes liés aux formules de financement, mais croyez-vous que les Premières Nations devraient se doter d’un cadre législatif et de règlements administratifs? Seriez-vous en faveur que votre bande rédige de tels documents?

M. Louis : La réponse dépend de divers facteurs parce que, pour réellement nous doter d’un règlement administratif, il faut pouvoir l’appliquer, ce qui est l’aspect le plus difficile. Lors de la rédaction d’un règlement administratif, il faut se demander comment concrètement mettre en œuvre l’intention du texte législatif. Quand on examine les moyens pour mettre en œuvre les mesures garantissant l’accès à de l’eau potable salubre, on peut établir des normes et légiférer l’utilisation, mais encore faut-il assurer leur efficacité.

La politique actuelle de SAC, et en particulier de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, ne prévoit que l’aspect social. Elle ne tient pas compte de l’aspect économique qui pourrait en fait appuyer un système plus large ou plus robuste répondant aux besoins de la communauté.

À mon avis, il est primordial de viser une solution qui permet de répondre aux besoins de sa communauté. J’espère avoir répondu à la question.

Le sénateur Patterson : Voulez-vous dire que SAC doit changer ses politiques de financement?

M. Louis : Tout à fait. Je pense souvent que les outils actuels ne sont pas utilisés parce que, comme nous le savons tous, le gouvernement fonctionne sur la base de la gestion des risques ou de l’aversion au risque, appelez cela comme vous voudrez. L’un des outils principaux est la Loi sur les textes réglementaires, qui prévoit la réalisation d’une analyse coûts-avantages de la mise en œuvre de tout texte réglementaire.

À cet égard, lorsque vous examinez la façon dont les choses se passent pour les Premières Nations, encore une fois, on ne tient compte que des questions sociales — le nombre de personnes, la croissance future — et pas des avantages ou des coûts économiques liés au fait de ne pas disposer d’infrastructures adéquates favorisant le développement économique.

Le sénateur Patterson : Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Chef Byron Louis, j’aimerais revenir sur la question du sénateur Patterson. Pensez-vous que le fait que les poursuites judiciaires soient toujours en cours vous empêche de parvenir à un règlement? Pensez-vous que vous pourriez être exclu d’un règlement? Dites-moi comment vous envisagez cette relation avec les améliorations futures de la situation de l’eau.

Deuxièmement, pour faire suite à la question du sénateur Patterson, que souhaitez-vous exactement? Voulez-vous assurer la supervision? Voulez-vous avoir les pleins pouvoirs sur l’infrastructure de l’eau qui sera installée et embaucher qui vous pensez être apte à le faire? Comment voyez-vous les choses? Vous êtes évidemment le mieux placé pour connaître vos besoins. Vous venez de le dire. Vous voulez favoriser le développement économique. Je comprends que cette loi n’est pas suffisante. La loi précédente a été abrogée. Que voulez-vous exactement? Comment voulez-vous que les choses fonctionnent? Et, pour ce qui est de la première question que j’ai posée, quelle incidence les poursuites pourraient-elles avoir sur l’avenir?

M. Louis : Je pense qu’il s’agit de faire participer les Premières Nations à l’ensemble du développement ou à la recherche de solutions. D’autres types de besoins d’infrastructure commencent à être satisfaits, grâce à ce qu’on appelle des partenariats public-privé-communauté, qui permettent d’obtenir des investissements de capitaux privés ou d’autres types de sources pour développer les systèmes.

Si vous regardez ce qui se passe avec certaines dépenses — 26 milliards de dollars pour la COVID uniquement pour deux ans — quels seront les fonds disponibles pour ce type d’initiatives, en particulier pour les infrastructures?

Nous devons commencer à chercher des solutions qui sortent des sentiers battus. Quelles sont les solutions possibles? Peut-on répondre à ces besoins avec le soutien non seulement du gouvernement fédéral, mais aussi des provinces et du secteur privé? De nombreux fonds d’actions et autres considèrent les infrastructures comme un moyen d’investissement. Elles ne font peut-être pas partie des sources de revenus les plus élevées, mais elles sont stables. Ils envisagent de commencer à investir. En ce moment, nous travaillons en partenariat avec EPCOR et nous cherchons des solutions qui pourraient répondre à nos besoins non seulement en matière d’eau, mais aussi en matière d’eaux usées et d’autres services publics qui pourraient s’y greffer. Si nous réussissons, nous, la bande d’Okanagan, pourrions posséder le premier service public détenu majoritairement par une Première Nation au Canada.

Pour y parvenir, nous devons envisager des solutions qui sortent des sentiers battus. Il est très difficile de convaincre les gouvernements de penser de cette manière, mais il s’agit probablement du meilleur moyen de subvenir aux besoins des communautés des Premières Nations au Canada.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup, chef Louis. Je m’adresse à vous aujourd’hui depuis une région proche de Salmon Arm, qui est le territoire traditionnel non cédé du peuple Shuswap. Je connais bien la région où se trouve votre bande. Comme vous l’avez mentionné, elle est située au bord de l’eau dans la région du sud de l’Okanagan, en Colombie-Britannique. Il est quelque peu paradoxal que nous parlions de problèmes d’eau, mais je connais la région et je la comprends.

J’entends la frustration dans votre voix. Je pense que votre réponse à la sénatrice Miville-Dechêne a plus ou moins couvert le sujet, mais vous avez mentionné votre frustration quant au fait que le gouvernement s’occupe davantage des questions sociales et ne s’intéresse pas à l’investissement dans les infrastructures.

Pourriez-vous dire à ce comité quel serait le résultat concret pour votre bande? Je pense que vous avez abordé le sujet lorsque vous avez dit que la question de l’investissement ne se limitait pas à la restauration, mais concernait également l’investissement dans des infrastructures produisant des revenus. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Le président : Avez-vous entendu la question de la sénatrice Busson?

M. Louis : Non.

Le président : Sénatrice Busson, pourriez-vous répéter votre question?

La sénatrice Busson : Je voulais vous remercier, chef Louis, de votre présence aujourd’hui et mentionner que je suis située au nord de votre territoire, sur le territoire du peuple Shuswap. J’habite près de Salmon Arm, en Colombie-Britannique, et je comprends votre situation géographique. Vous avez mentionné que votre bande est située au bord du lac et a accès à l’eau douce.

J’ai également entendu votre frustration lorsque vous avez parlé du fait que vous pensez que le financement est axé sur les questions sociales plutôt que sur l’investissement dans les infrastructures destinées spécifiquement à votre réserve. Vous y avez fait allusion dans la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Miville-Dechêne, mais pourriez-vous nous fournir des précisions sur ce à quoi ressemblerait l’investissement dans les infrastructures de votre réserve et de votre bande?

M. Louis : Merci. Lorsque nous examinons les besoins en matière d’infrastructure, nous ne nous intéressons pas seulement aux besoins immédiats de notre communauté, mais aussi à ce qui pourrait être fait avec les terres situées le long du lac Okanagan, dont la valeur immobilière est parmi les plus élevées de tout l’Ouest canadien. Nous examinons également la capacité d’envisager cet aspect en termes d’investissement, à savoir la possibilité d’assurer l’approvisionnement en eau et la protection des eaux usées le long du lac et les baux récréatifs, mais aussi les développements commerciaux et résidentiels.

Cette question est essentielle. Je pense que nous devons réaliser une étude socioéconomique complète qui permette de déterminer la taille optimale de l’infrastructure, par exemple la taille des tuyaux et les systèmes nécessaires pour les alimenter. Si nous sommes en mesure de mener ces études et d’examiner la possibilité de disposer de ce type d’investissement — qu’il provienne du secteur privé ou public, ou de nos propres revenus —, nous pourrions tirer le meilleur parti de nos terres.

Je suis heureux que vous ayez mentionné notre communauté. J’ai été un jour présenté par le directeur régional de la Banque de Montréal pour l’Ouest du Canada. Il m’a présenté en disant : « J’aimerais vous présenter un chef dont la communauté est assise sur des biens immobiliers d’une valeur de 1,5 milliard de dollars. » Vous n’obtiendrez jamais cette somme si aucune infrastructure réelle n’est en place pour assurer le degré le plus élevé de développement possible. Il s’agit d’un avantage pour tout le Canada, pas seulement pour les Premières Nations.

Par exemple, prenez la Première Nation de Westbank. Elle a été en mesure d’ajouter un investissement de 1,1 milliard de dollars dans sa communauté, mais elle produit maintenant probablement 120 millions de dollars en avantages fiscaux non seulement pour le gouvernement fédéral, mais aussi pour le gouvernement provincial. Ils affirment qu’environ 70 millions de dollars vont au gouvernement provincial et le reste au gouvernement fédéral. Quand vous examinez ces chiffres en termes d’avantages, vous constatez qu’il s’agit d’un investissement et non de frais.

La sénatrice Busson : Je vous remercie. Je suis très satisfaite de la réponse à votre question. Je suis heureuse que nous ayons eu l’occasion de la soulever.

M. Louis : Merci.

La sénatrice Pate : Je m’excuse, chef Louis, d’avoir manqué cette réponse. Je suis arrivée en retard d’une autre réunion.

Je sais que vous avez mentionné les coûts d’infrastructure et l’importance vitale de s’assurer qu’il y ait une couverture, mais j’aimerais savoir si vous avez examiné les répercussions de l’absence d’approvisionnement en eau propre et de l’insalubrité de l’eau en termes de soins de santé et d’autres questions connexes. Il y a le coût économique, mais il y a aussi le coût social et humain de ces problèmes. Pouvez-vous formuler des commentaires à ce sujet?

M. Louis : L’un des problèmes auxquels la bande de l’Okanagan est confrontée est que l’un de nos systèmes est situé dans ce que nous appelons l’extrémité nord de notre communauté, au bord du lac. Ce système est celui dont le puits présente une forte teneur en manganèse.

On nous a dit que si les normes étaient modifiées, l’eau qui sortirait de ces sources serait imbuvable. Si vous examinez certaines études, vous verrez que les personnes les plus touchées par cette situation sont les nourrissons et les jeunes enfants.

Ainsi, lorsque vous examinez des questions comme l’eau potable, il ne s’agit pas seulement du fait que cette eau est insalubre, mais aussi de ses effets cumulés sur la santé future. Les jeunes représentent 51 % de la population des Premières Nations. Cependant, certaines statistiques indiquent que les futures mains-d’œuvre, qui entrent maintenant sur le marché du travail, pourraient être composées de 15 à 20 % d’Autochtones. Quelle incidence a sur l’économie de l’ensemble du pays l’absence d’opportunités sûres et le fait que la question de la salubrité de l’eau vienne s’ajouter au fardeau des personnes qui ne peuvent pas travailler ou apporter leur contribution? Cette situation a un coût économique, sans compter le coût des soins de santé. La productivité peut être très élevée.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Le président : Chef Louis, j’estime que le manque d’accès à l’eau dans les réserves est un exemple de racisme systémique et institutionnel qui prive nos peuples de leur dignité et de leurs droits fondamentaux. Partagez-vous ce point de vue et, si c’est le cas, que signifie l’échec de la résolution de cette crise en termes de reconstruction des relations avec la Couronne?

M. Louis : Je suis entièrement d’accord avec ce commentaire. L’un des facteurs de ce problème de manque d’eau est que non seulement il a des répercussions sur les droits de la personne, mais qu’il montre également que nous ne sommes pas considérés comme des partenaires du développement de ce pays, alors que nous l’avons été au cours des 500 dernières années. Ce n’est qu’au cours des 50 dernières années que la situation a progressivement changé. Si vous examinez la contribution des peuples autochtones, vous constaterez qu’elle est considérable.

Je pense que la dernière étude parlait de 26 milliards de dollars. D’autres études indiquent que ce montant pourrait atteindre 100 milliards de dollars d’ici la fin de la décennie. Il s’agit d’une contribution substantielle à l’économie canadienne et à la santé, à la richesse et à la prospérité de ce pays. Pourquoi ne recevons-nous pas le soutien nécessaire? Pourquoi nous considère-t-on comme un fardeau alors que nous sommes en fait un atout? Il faut que cela change.

Le président : Très bonne remarque, chef Louis. Merci beaucoup pour votre intervention.

La sénatrice Pate : Chef Louis, j’aimerais vous donner l’occasion de développer vos propos si vous le souhaitez. La question des liens entre l’eau insalubre et les résultats d’apprentissage, les résultats scolaires, ainsi que les résultats en matière d’emploi, comme vous l’avez mentionné, peut être importante. Souhaitez-vous ajouter quelque chose à cet égard?

M. Louis : Oui. Encore une fois, il s’agit d’une vision myope des gouvernements — tant fédéral que provinciaux — qui considèrent les Premières Nations comme un fardeau, une dépense ou autre. Si vous examinez réellement l’infrastructure, en particulier dans la vallée de l’Okanagan et dans notre collectivité en général, vous constaterez que cette dernière est entourée d’une industrie fruitière et de terres agricoles très solides. Parallèlement, les gouvernements provinciaux et fédéral n’offrent pas d’opportunités sociales et économiques par le biais d’infrastructures. Voilà un exemple clair dans lequel le gouvernement se tire une balle dans le pied. Pensez à chacun de ces développements dans les réserves qui comptent littéralement des milliers d’acres de terres agricoles qui auraient pu être transformées en fruits ou en d’autres types de bénéfices.

Tout d’abord, vous devez mettre cela dans un bail enregistré. Une fois qu’un bail enregistré est en place, il est imposable. Un verger ou autre serait imposable. Les produits qui en seraient issus seraient imposables, et les revenus générés, si les personnes ne sont pas des membres des Premières Nations, ce qui aurait été le cas de beaucoup d’entre elles, auraient également été imposables. Nous aurions pu le faire dès les années 1940. Pensez aux centaines de millions de dollars auxquels les gouvernements provinciaux et fédéral ont renoncé en ne nous reconnaissant pas, essentiellement, comme un atout plutôt qu’un fardeau.

Il ne s’agit pas seulement de notre propre peuple, mais il est incroyable de penser aux simples avantages fiscaux qui en découleraient. Prenez les 633 bandes à travers le Canada. Combien se trouvent dans le même cas que nous? Si vous vous penchiez sur un type d’étude, vous constateriez que la perte de revenus, non seulement pour les Premières Nations et les autres peuples, mais aussi pour le Canada dans son ensemble, se chiffre en milliards de dollars sur cette période, et il faut que cela cesse. Nous devons commencer à considérer les peuples autochtones de ce pays comme un avantage et un contributeur à l’économie, plutôt que comme une responsabilité et un fardeau.

La sénatrice Pate : Merci.

Le sénateur Patterson : J’ai accordé une grande attention à votre recommandation, chef Louis, selon laquelle le secteur privé et d’autres partenariats, les partenariats 3P, ont un rôle à jouer dans le développement de l’eau et des infrastructures. Dans certaines tournées que j’ai faites avec le comité, nous avons constaté que les Premières Nations — et je crois que la vôtre fait partie de cette catégorie — voisines de municipalités pouvaient parfois conclure des partenariats avec elles pour développer des réseaux d’alimentation en eau communs. Pourriez-vous nous dire si vous avez été en mesure d’entamer des discussions avec des municipalités voisines pour réaliser des économies d’échelle et partager les coûts de développement de l’infrastructure hydraulique dont vous avez besoin?

M. Louis : Oui, nous avons déjà conclu une forme de partenariat avec le district régional de North Okanagan, et ce, afin de mettre en place un système de traitement des eaux usées qui puisse desservir l’une de nos plus petites réserves satellites. Ce partenariat pourrait ouvrir la voie à un développement économique de près de 70 acres, ce qui est considérable dans l’Okanagan. Nous avons pris contact avec eux. Différents types de demandes de financement ont été présentées, et les choses avancent à certains égards, mais cela montre qu’il est possible de tirer parti de la collaboration avec les municipalités et les districts régionaux voisins. Nous devons accorder plus d’attention à cette question, et nous pourrions ainsi répondre non seulement aux besoins sociaux, mais aussi aux besoins en matière de protection de l’environnement, car l’un des facteurs, en particulier dans l’Okanagan, est l’utilisation de fosses septiques et autres, par opposition aux installations qui traitent réellement les déchets.

Je vais vous donner un bref exemple. Si vous versez une tasse d’eau dans le lac Okanagan, il faut 99 ans avant qu’elle ne quitte le réseau de lacs par la rivière Okanagan au Sud. Le taux de renouvellement est donc très faible. Les répercussions sur l’environnement et les effets cumulatifs sur celui-ci sont considérables.

Le sénateur Patterson : Vous aimeriez donc que cette mesure appuie ce genre de partenariat avec une municipalité adjacente, s’il y a lieu, comme dans le cas de votre bande. Je me demande si vous avez reçu l’appui nécessaire.

M. Louis : Je dirais que oui. Les districts régionaux et les municipalités locales ont fait un très bon travail pour ce qui est de collaborer et d’examiner comment nous pouvons unir nos efforts. Les résultats ont été très positifs. C’est d’ailleurs l’une des recommandations que je ferais au comité permanent. L’une des véritables percées du gouvernement libéral actuel a été de reconnaître, dans ses mandats et lettres de mandat — disons pour Infrastructure Canada, Agriculture et Agroalimentaire Canada, et tout le reste —, l’importance des partenariats avec les Premières Nations. Cela nous donne accès à d’autres ministères qui se spécialisent en la matière.

Le problème avec SAC, c’est que tout le monde pense que RCAANC peut résoudre tous nos problèmes, mais le fait est que RCAANC et SAC sont de petits ministères qui disposent d’un financement annuel limité pour 633 bandes. On finit donc par répartir le peu d’argent, ce qui ne représente pas grand-chose et ne permet pas de créer de véritables occasions sociales et économiques.

Ce qui compte, c’est l’accès accru aux autres ministères fédéraux qui peuvent réellement appuyer les Premières Nations dans le cadre de leur mandat et les aider à réaliser leurs aspirations sociales et économiques. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer: au lieu de miser davantage sur SAC, nous devons recourir aux autres ministères fédéraux. C’est ainsi que nous ferons des progrès.

Le sénateur Patterson : C’est très utile, merci.

Le président : Chef Louis, je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus sur la rareté de l’eau et l’avenir de l’approvisionnement en eau dans votre région, compte tenu de la situation actuelle.

M. Louis : Quand vous regardez l’Okanagan, ce qui rend vraiment ce bassin unique — et beaucoup de gens ont cette vision de la vallée de l’Okanagan —, c’est que la région a des allures de Californie ou de quelque chose de semblable. En réalité, il s’agit d’une longue vallée étroite qui abrite un lac dans une zone de transition, à partir de l’extrémité sud de la vallée, qui se trouve à la pointe nord du grand désert de Sonoran, lequel s’étend du nord du Mexique jusqu’au-dessus d’Osoyoos, dans une zone de transition située plus haut. Cela représente environ 34 ruisseaux et cours d’eau qui se déversent dans le lac Okanagan, mais il n’y a aucune grande rivière qui s’y jette.

À cela s’ajoutent les accumulations annuelles de neige qui sont également filtrées par les eaux souterraines. Mais l’autre facteur limitatif, c’est que le système a été fortement endigué et géré. Donc, maintenant, le bassin de l’Okanagan n’est plus un lac; c’est un réservoir d’un peu plus d’un mètre et demi, et ce, à sa capacité maximale. Voilà qui ne donne pas beaucoup de possibilités de stockage.

Le seul endroit où l’on peut réellement chercher à obtenir un approvisionnement accru en eau, c’est dans les hautes terres. Cela signifie qu’à l’avenir, il faudra peut-être envisager la construction de barrages, le stockage de l’eau et l’utilisation accrue de telles infrastructures. Mais quand on parle de l’Okanagan — et pour mettre les choses en perspective —, si toutes les sources d’eau tarissaient soudainement dans le bassin de l’Okanagan, on pourrait s’alimenter en eau pendant environ neuf ans grâce au lac Okanagan lui-même.

Il s’agit d’un écosystème aquatique très limité, mais on a un volume accru d’utilisation, que ce soit pour le contexte urbain, commercial, agricole ou les trois.

L’eau est donc reine quand on parle de l’Okanagan.

Le président : Je vous remercie.

D’après vous, qu’est-ce que SAC devrait inclure dans une mesure législative future pour rendre tout cela possible, en particulier du point de vue de votre région?

M. Louis : Toute mesure législative future doit comporter des aspects habilitants qui nous permettent d’avoir accès à d’autres sources fédérales, mais il s’agit aussi de voir comment on peut faciliter les démarches auprès des provinces pour utiliser des ressources et une assiette fiscale aux termes de l’article 92. Pourquoi sommes-nous les seuls à ne pas pouvoir accéder à nos propres ressources?

Comme l’a dit l’ancienne cheffe d’Attawapiskat : « Nous avons tout ce qu’il faut pour répondre à nos besoins. » Elle insistait ainsi sur les ressources présentes dans sa région. Si nous avions pleinement accès à nos ressources, nous n’aurions pas à aller quémander de l’aide à SAC pour obtenir quelque chose que tous les autres Canadiens tiennent pour acquis. Et pensez au billion de dollars; si je comprends bien, c’est ce que génère le secteur des ressources. Même en utilisant un taux de 4 %, cela représente 36 milliards de dollars qui devraient revenir aux peuples autochtones, en fonction de notre proportion au sein de la population canadienne. Pourquoi ce montant a-t-il été maintenu à 10 milliards de dollars pendant tant d’années? Ce sont nos ressources qui font la prospérité du pays. Pourquoi n’avons-nous pas le même accès à ces ressources que tout le monde?

Le président : Je vous remercie, chef Louis. Je ne vois pas d’autres mains levées. Chef Louis, aimeriez-vous ajouter quelque chose en terminant?

M. Louis : Dans la mesure du possible, j’aimerais que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones examine vraiment la Loi sur les textes réglementaires et ses applications. La Loi sur les textes réglementaires est un outil de gestion des risques, mais le volet économique n’y est pas abordé adéquatement pour ce qui est de déterminer la façon dont sera utilisé un texte réglementaire se rapportant, entre autres, à la Loi sur les Indiens. Quelles en sont les répercussions sociales et économiques? Il est vraiment important que nous nous penchions sur cette question, car le gouvernement et les autres autorités ne disposent pas de la bonne information pour prendre des décisions éclairées qui ont, encore aujourd’hui, une incidence sur les peuples autochtones.

Nous devons vraiment commencer à nous pencher sur les outils de prise de décisions au sein du gouvernement.

Le président : Je vous remercie beaucoup de ces précisions, chef Louis, et merci de votre témoignage d’aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants.

Je vais accueillir notre deuxième témoin dans un instant, mais je tiens à rappeler à tous que nous discutons de la section 3 de la partie 5 de la Loi d’exécution du budget, qui abroge la Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations, conformément à ce qui est prévu dans l’entente de règlement. J’aimerais maintenant vous présenter le chef Wilbert Marshall, de la Première Nation Potlotek. Il aura jusqu’à cinq minutes pour nous faire une déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions et réponses. Je rappelle aux sénateurs présents dans la salle qu’ils doivent lever la main s’ils souhaitent poser une question. Ceux qui participent sur Zoom doivent se servir de la fonction « lever la main » pour que le nom soit ajouté à la liste.

Chef Marshall, si vous n’êtes pas en mesure de répondre à une question ou si vous voulez fournir des renseignements supplémentaires après la réunion, je vous invite à transmettre une réponse par écrit à la greffière d’ici lundi. Je suis désolé du bref délai, mais nous devons faire rapport à la Chambre d’ici le 10 juin.

Chef Marshall, je vous invite à commencer votre déclaration liminaire.

Wilbert Marshall, chef, Première Nation Potlotek : Je suis heureux d’être ici, honorables sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité.

Je suis ici au nom de ma communauté. Je suis également le président de l’Autorité de gestion des eaux des Premières Nations de l’Atlantique. Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis l’époque où notre eau était de piètre qualité; nous avons aujourd’hui accès à de l’eau salubre. Toutefois, nous nous battons depuis 1972 ou 1974, lorsque notre eau était insalubre. Quoi qu’il en soit, nous avons créé l’autorité de gestion des eaux il y a quelques années. Nous en sommes encore à la phase de construction, mais les travaux vont bon train.

Le président : Vous avez terminé votre déclaration liminaire?

M. Marshall : Oui.

Le président : Merci, je vous en sais gré.

Nous allons maintenant entamer la période des questions et réponses. Je cède la parole au premier intervenant.

Le sénateur Patterson : Merci, monsieur Marshall. Vous avez décrit comment vous avez réussi à améliorer votre système d’alimentation en eau.

Je me demande si vous pouvez nous donner des précisions et nous dire comment cela s’est produit et ce qui vous a permis d’y arriver.

M. Marshall : C’était il y a quelques années; en fait, cela remonte à plusieurs années lorsque mon cousin, Lindsay Marshall, était chef. Nous n’avions pas de centre de traitement des eaux. Nous nous en tenions à un système de filtration, mais nous avons découvert plus tard que le système mis en place n’était pas le bon. L’eau était trop... il y avait un taux élevé de magnésium et de fer dans notre eau. Nous avons donc fini par nous procurer un système de flottation à l’air dissous.

Oui. Comme je le disais plus tôt à propos de l’eau, nous nous battons pour notre eau depuis 1972, 1974. Je me souviens quand j’étais enfant — enfin, quand j’étais plus jeune. Je suppose que j’avais quatre ans à l’époque. Nous avons toujours eu un problème avec notre eau. Nous avons essayé de trouver une solution il y a quelques années, en 19... C’était quand déjà? Ce devait être en 1998 ou 1999. Nous avions un nouveau système d’alimentation en eau, mais à l’époque, ils avaient installé le mauvais système. Peut-être cinq ans plus tard, nous avons commencé à avoir des problèmes.

Cela nous coûtait 200 000 $ ou 300 000 $ pour régler le problème chaque fois que nous devions changer un filtre; c’était censé durer 15 ans, mais ce n’était pas le cas. Nous devions remplacer les filtres en moins de cinq ans. J’ai dû m’en occuper. Au bout du compte, le système nous a lâchés.

Si vous avez vu les photos — et je sais que presque tout le monde est au courant —, notre eau était noire. C’était de l’eau tout à fait noire. Cette situation a perduré pendant de longues années jusqu’à ce que nous ayons enfin... et cela a fait les manchettes, je suppose. J’ai commencé à parler au gouvernement. Nous avons fini par obtenir un nouveau système. On nous a expliqué qu’il nous fallait un système de flottation à l’air dissous, mais ce n’était pas... Nous avons alors commencé à parler à M. John Paul, de l’APC. Un sénateur était également présent. Il en faisait partie à l’époque. Je crois qu’il se souvient de m’avoir entendu en parler plusieurs fois.

La qualité de l’eau était déplorable. Elle était impropre à la consommation. On ne pouvait pas y laver son linge. Tout devenait noir. Rien n’était épargné. Tout ce qui était fait de métal se désintégrait. C’était la même chose pour le cuivre, comme on l’a découvert plus tard; l’eau grugeait tous les tuyaux de cuivre. Nous avons dû remplacer tous les tuyaux en cuivre par du plastique. Les réservoirs à eau chaude ne tenaient pas le coup. Les gens qui prenaient soin de leur maison... Il y avait des gens ici qui s’occupaient vraiment de leur maison. Ils avaient installé des panneaux solaires et tout le reste. L’eau a tout simplement rongé les tuyaux. Il y a eu des fuites un peu partout. Les problèmes n’en finissaient plus.

Nous espérons que d’autres pourront apprendre de notre expérience. Nous sommes prêts à communiquer toute information nécessaire. C’est pourquoi nous avons créé l’autorité de gestion des eaux.

Le président : Je vous remercie

Le sénateur Patterson : Chef, si je peux me le permettre, quelle leçon devons-nous tirer de votre expérience?

M. Marshall : Laissez la communauté décider. Avant, nous laissions ces ingénieurs venir décider de notre sort. Cette fois-ci, nous avons eu recours aux ingénieurs pertinents. Nous avons fait nos devoirs en l’occurrence.

En fait, les ingénieurs précédents avaient consulté quelqu’un d’autre. Par conséquent, nous nous sommes débarrassés de l’intermédiaire dès le début. Nous sommes allés voir l’ingénieur dont les services avaient été retenus, et nous nous sommes également entretenus avec les représentants d’Affaires autochtones et du Nord Canada. Je sais qu’ils ont des gens là-bas.

Un type est venu un jour et a dit que le système n’était pas le bon de toute façon. Eh bien, ce n’était pas de mon ressort. C’est vous qui avez donné le feu vert. Encore une fois, je lui ai dit : « Vous savez quoi? Si vous saviez qu’il y avait une erreur dès le départ, pourquoi avoir approuvé le projet? » En tout cas, je ne pouvais plus rien dire après coup. C’est la vérité, non? Aujourd’hui, la qualité de notre eau est très bonne.

Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.

Le président : Merci, chef Marshall. Je vais céder la parole à la sénatrice Miville-Dechêne dans un instant, mais j’ai d’abord une question à vous poser, chef Marshall.

La Loi sur la salubrité de l’eau potable des Premières Nations, qui est entrée en vigueur en 2013, visait à élaborer des règlements fédéraux concernant l’approvisionnement en eau potable, les normes de qualité de l’eau et l’évacuation des eaux usées dans les communautés des Premières Nations. Or, rien de tel ne s’est concrétisé.

À votre avis, pourquoi le gouvernement fédéral n’a-t-il pas travaillé avec les Premières Nations pour élaborer et mettre en œuvre un cadre réglementaire sur l’eau potable?

M. Marshall : Je crois vraiment qu’ils pensent que nous n’en sommes pas capables. Aujourd’hui, nous avons des gens instruits au sein de nos communautés, et surtout de l’expérience — une expérience de première main.

Ils ont mis en place un système d’étangs pour nous il y a quelques années. Ils ont installé un nouveau système d’étangs en 2007-2008, voire avant; ils en avaient installé un auparavant. Un des dirigeants s’appelait Allister Marshall; c’était un ardent défenseur. Il est décédé. Selon lui, le système d’étangs ne convenait pas à votre communauté. En tout cas, je ne l’ai su que bien des années plus tard — en fait, il y a tout récemment, c’est-à-dire il y a quelques années.

Dans l’état actuel des choses, le système d’étangs fonctionne. Il faut un ruisseau à cette fin. Ce qui se passe, c’est qu’après la mise en place du système d’étangs, nous avons... comment l’appelle-t-on déjà? C’est un petit bâtiment pour le traitement de l’eau par rayons ultraviolets. Bref, ils ont construit ce bâtiment dans la zone marécageuse. Je suppose que le travail n’a pas été fait comme il faut.

Toutefois, nous pouvons tirer des enseignements à partir des choses que l’on connaît maintenant. Je suppose qu’on m’a choisi comme président parce que nous avons une expérience de première main. Cependant, aujourd’hui, en dépit de ce système, l’eau va directement dans le ruisseau.

À l’époque, quand j’étais petit, il y a longtemps — enfin, je ne suis pas si vieux, mais bon —, on trouvait là-bas une abondance de poissons, comme l’éperlan, mais ce n’est plus le cas.

Je n’ai pas tardé à en parler à Shelley Denny, une membre de la bande ici. Je lui ai demandé pourquoi il en était ainsi. Elle m’a répondu que c’est l’une des choses à sacrifier lorsqu’on a un système d’étangs. Les poissons ne remontent plus là-bas. Cela a détruit notre mode de vivre. Nos gars avaient l’habitude d’attraper leur poisson dans le ruisseau — des langoustes et tout le reste — et de s’en servir comme appât. Aujourd’hui, les poissons ne remontent plus. Je me demandais pourquoi c’était le cas, et Shelley Denny m’en a expliqué les raisons. J’ai fini par dire : « Je comprends maintenant pourquoi Allister Marshall avait raison de s’y opposer. »

Quoi qu’il en soit, il y a un système en ce moment. Il faut installer un autre filtre à l’extrémité, mais j’ai du mal à amener le gouvernement à me consulter à ce sujet. Nous avons besoin d’un autre filtre pour régler ce problème. Il y a maintenant une certaine algue qui pousse dans le ruisseau. Je dis toujours qu’on peut tromper les gens, mais pas les poissons. Les poissons ont cessé de venir là-bas. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles on m’a nommé président. Nous avons tellement de mauvaises expériences.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie, chef Marshall. J’aimerais avoir un peu plus de détails si possible. Je veux que vous nous en disiez plus au sujet de cette eau noire, que je trouve révoltante. Pouvez-vous nous dire pendant combien d’années l’eau n’était pas potable? Comment vous êtes-vous débrouillés? Lorsque vous avez commencé à construire le système actuel, aviez-vous le dernier mot pour décider qui embaucher et ce que les gens devaient faire? Combien le dernier système a-t-il coûté? Comment l’avez-vous financé à ce moment? Avez-vous obtenu des subventions ou pris le montant à même votre budget? Je vous bombarde de questions, mais commençons par l’eau noire et la raison de cette couleur. Vous avez parlé des tuyaux de cuivre, mais qu’y avait-il à l’intérieur qui rendait l’eau noire?

M. Marshall : C’était le fruit d’une réaction entre le métal et le fer ou le manganèse présent dans l’eau. Tout ce qui était fait de métal, comme un réservoir à eau chaude, se désintégrait. Les maisons se tranformaient en gicleurs. Il fallait ensuite réparer toute la plomberie et les dommages causés par l’eau dans la maison.

La sénatrice Miville-Dechêne : Combien de temps cela a-t-il duré?

M. Marshall : Les problèmes ont commencé en 1974 et ont été intermittents pendant de nombreuses années. Nous ne savions pas ce qui se passait. Le nouveau système a été installé en 1998. Il devait régler tous les problèmes, mais ce n’était pas le bon système. C’était un bon système, mais qui n’était pas adapté à notre climat. Nous avons des eaux de surface sur le lac, et nous nous sommes rendu compte que c’est la pire eau potable qu’on peut utiliser.

Le seul problème ici est que nous n’avons pas suffisamment de puits. Nous avons creusé 60 puits. Nous avons fait des tentatives, mais nous n’avions pas assez d’eau. L’eau dans certains puits était pire que l’eau que l’on buvait. Nous avons consulté des ingénieurs pour trouver le meilleur remède. Les membres de mon conseil et de mon personnel se sont rendus dans les régions avoisinantes, comme Halifax et le Cap-Breton, pour savoir ce qu’ils utilisaient. Ils utilisaient des systèmes de flottation à l’air dissous, ou FAD, avec nanofiltration. C’était un bon système mais dispendieux. Chaque fois qu’il y avait un bris, il fallait remplacer les filtres. Le chef avant moi en parlait, et on devait utiliser notre argent, nos propres revenus. On a fini par être remboursé, mais cela a mis beaucoup de pression sur nos finances.

Le problème de l’eau noire se manifestait tous les automnes sensiblement au même temps de l’année. Nous nous y attendions. Ce qu’il y a de pire, c’est que Santé Canada nous disait de la faire bouillir, mais nous avons appris plus tard, selon leurs propres mots, que cela empirait les choses. Pendant toutes ces années, ils ont dit à mes gens de faire bouillir l’eau et de la boire. Je me demande bien pourquoi le taux de cancer ici est si élevé.

Je peux vous montrer une photo de mon évier la veille de mon retour d’une rencontre du Secrétariat du Congrès des chefs des Premières Nations de l’Altantique, l’APC. En arrivant à la maison j’ai dit: « Nous n’avons pas d’eau, en fait, nous en avons, mais elle est noire ». Je peux vous montrer des photos de l’eau qui coule du robinet. Elle est noire. C’est à ce moment que j’ai appelé Santé Canada et qu’ils ont émis un avis d’ébullition d’eau. J’ai appris plus tard que faire bouillir l’eau empirait la situation.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie. Je suis vraiment navrée que la situation ait duré toutes ces années.

M. Marshall : Y a-t-il d’autres éléments de votre question auxquels je n’ai pas répondu? Très bien.

Le président : Chef Marshall, j’aimerais savoir si les Premières Nations au Canada atlantique ont participé à l’élaboration de leur propre cadre réglementaire?

M. Marshall : Oui. C’est ce que nous faisons actuellement avec l’autorité de gestion des eaux. Nous y travaillons activement. Nous sommes la première en ce moment au Canada, la première autorité de gestion des eaux, et j’en suis aussi le président. C’est une bonne chose, car nous avons de l’expérience. Je parle toujours et ouvertement de notre histoire avec tous les intéressés. Nous avons embauché un homme à la retraite de la Halifax Water, Carl Yates. Il est responsable de notre eau. Il nous quittera bientôt, et nous allons chercher d’autres gens au sein de la communauté qui ont aussi de l’expertise dans le domaine. Nous ne pouvons pas attendre, mais tout le monde collabore. C’est ainsi que les choses fonctionnent.

Nous nous sommes rendu compte plus tard lors d’études réalisées par l’APC que le salaire versé à nos gens n’a pas changé au cours des 15 ou 20 dernières années — vous devez être au courant, sénateur, car vous êtes dans la même situation. Le montant n’a jamais changé. Il est demeuré le même. Vous avez la Halifax Water Authority, et cetera, où travaillent tous ces gens qui ont de gros salaires et qui disposent de la machinerie que nous n’avons pas.

Ici, nous avons de graves problèmes avec les camions de transport des eaux usées. Le type n’arrive que trois ou quatre jours plus tard. Les égouts débordent alors et se répandent dans le lac et le ruisseau. J’essaie d’obtenir de l’argent en ce moment pour acheter un camion, car nous avons besoin d’avoir le nôtre. Nous passons toujours en dernier. Ils ne voient pas les choses ainsi, mais nous sommes toujours les derniers sur la liste. C’est ce qui se passe depuis de nombreuses années avec les autorités responsables de l’eau. Toutes les communautés travaillent ensemble.

Même dans le cas de St. Peter’s, je n’ai pas de problème à travailler avec eux. Ce n’est pas de leur faute, mais nous travaillons en étroite collaboration avec les autres communautés. C’est ce que font les Premières Nations. En ce moment, je suis solidaire des Premières Nations, et c’est ce que nous voulons faire dans l’Atlantique. Je pense que c’est une bonne chose. Nous avons eu un problème ici il n’y a pas très longtemps. Un de nos gars est tombé malade, et ils ont fait venir quelqu’un d’ailleurs. Avant, ce n’était jamais ainsi. Je vais vous donner un exemple. Les gens sont formés, alors il a dû amener son fils qui n’a aucun savoir-faire. Quand on appuie sur les mauvais boutons, on chamboule un système qui coûte des millions de dollars. Ce n’est pas bon. On aura une situation comme à Walkerton. Il faut donc aussi avoir la bonne formation. C’est ce que nous avons appris.

Le président : Chef Marshall, considérez-vous que l’Autorité de gestion des eaux des Premières Nations de l’Atlantique est la clé pour aider les Premières Nations qui participent au processus et leur fournir une eau potable propre, fiable et sécuritaire?

M. Marshall : Oui, c’est certain. Il n’a pas été facile pour moi de convaincre les membres du conseil de faire confiance à l’autorité de gestion des eaux, et je suis le président. Il m’a fallu un certain temps pour qu’ils y participent. Après cet incident, toutefois, cela leur a ouvert les yeux pour voir ce que j’avais vu. C’est une bonne chose de rassembler les communautés. Ce sont eux les experts. On ne veut pas que la mauvaise personne appuie sur le mauvais bouton pour savoir à quoi il sert. On a alors un beau gâchis sur les bras.

Le président : Je vous remercie, chef Marshall.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, chef Marshall, d’être avec nous et de nous donner des exemples très clairs et imagés des problèmes.

Vous avez parlé des cas de cancer dans votre communauté. J’aimerais savoir si vous avez de l’information que vous pourriez nous faire parvenir sur les autres problèmes de santé qui découlent de l’insalubrité de l’eau dans votre communauté, de même que sur les effets potentiels liés aux résultats d’apprentissage ou à l’emploi et aux autres options pour les jeunes. Vous avez parlé un peu de la pêche et de l’accès à l’eau potable, mais si vous pouvez nous en dire plus sur l’un de ces sujets, cela nous serait très utile.

M. Marshall : Le taux de cancer est très élevé dans ma communauté. Les membres de ma famille meurent jeunes. Le taux de cancer est tellement élevé. Mon père a un cancer. Mes sœurs ont un cancer, et c’est aussi le cas de mes cousins, mes oncles, mon grand-père. La liste est sans fin. C’est incroyable. C’est aussi le cas chez les jeunes. Ma nièce est à peine dans la vingtaine et elle a un cancer. On en voit aussi chez les enfants. Pendant toutes ces années, on buvait cette eau, on nous disait de la faire bouillir, et on ne savait rien. Dieu sait quels en sont les effets. Nous n’avons jamais réalisé d’étude.

Quel était l’autre élément de votre question?

La sénatrice Pate : J’étais simplement curieuse, en fait. Je ne comprends pas. Comment le fait de faire bouillir l’eau empirait-il la situation? Avez-vous des rapports médicaux que vous pourriez nous faire parvenir?

M. Marshall : Nous n’en avons jamais eu. J’ai parlé aux autres chefs. La cheffe Andrea Paul de Pictou a dit que c’était très difficile à prouver, mais il y avait là une usine de pâte. Elle a dit qu’on demandait tant de choses que cela n’en valait pas la peine parfois. Alors j’ai renoncé, mais je sais que le taux de cancer dans ma communauté est élevé. C’est dément. Il est très élevé pour une petite communauté. Une personne sur deux ou sur trois a un cancer. C’est incroyablement élevé. Je n’aime pas le dire, mais je vais sans doute moi aussi avoir un cancer. Le taux est tellement élevé.

Au sujet de l’eau noire, c’est le médecin qui l’avait dit, mais j’ai oublié son nom. C’est lui qui m’a dit cela, que cela ne faisait qu’empirer les choses. J’ai demandé pourquoi on nous avait dit de boire cette eau pendant ces années, de la faire bouillir et de la boire, alors qu’on savait que ce n’était pas bon. On le savait mais on nous a fait boire cette eau pendant toutes ces années. Cela a duré longtemps, depuis 1972 ou 1974, et pendant tout ce temps, on nous disait de boire cette eau en sachant que c’était mauvais pour notre santé.

C’était 100 fois pire que la moyenne... j’ai oublié ce que c’était, mais c’était révoltant.

La sénatrice Pate : Il y a probablement des données, car je sais qu’au Cap-Breton, ils ont comparé les conditions de santé après avoir nettoyé les étangs bitumineux.

M. Marshall : Les étangs bitumineux, en effet.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de votre réponse. Si vous avez des données, ce serait fort utile.

M. Marshall : Je vais vous montrer des photos. Je les ai sur mon téléphone, mais je ne sais pas comment les télécharger pour que vous puissiez voir ce par quoi nous sommes passés. L’eau directement sortie de mon robinet était noire. Une image vaut mille mots. J’aimerais vous les montrer, mais je ne suis pas très calé en informatique.

La sénatrice Pate : Pouvez-vous en acheminer des copies à notre greffière?

M. Marshall : Je vais les envoyer à Mme Andrea Mugny. Je pense qu’on a parlé de toute cette histoire à Radio-Canada. Une jeune fille préparait l’eau du bain pour ses enfants. L’eau était noire. À la fin, on ne pouvait pas prendre une douche, un bain, se laver ou laver son linge, rien du tout. La situation est devenue vraiment épouvantable. Elle a duré pendant des années, mais personne ne nous croyait jusqu’à ce qu’on en parle aux nouvelles.

Je comprends les gens qui disent que l’eau c’est la vie, mais quand nos gens boivent de l’eau noire, c’est mortel.

C’est comme ce qui s’est passé avec les poissons, honnêtement. Les poissons ont cessé de venir dans le ruisseau. Nos gens doivent maintenant aller pêcher dans un autre ruisseau, et le MPO et d’autres sont après eux. Ils vont maintenant être accusés parce que ce ruisseau ne se trouve pas dans notre communauté. Mes enfants sont privés de cela. Ils ne peuvent pas aller pêcher dans le ruisseau qui se trouve dans notre communauté. Je leur dis de ne pas aller dans le ruisseau. Un certain type d’algue y pousse, et les poissons qui les mangent en meurent. Nous essayons de le nettoyer en ce moment.

J’essaie d’obtenir le filtre pour le système d’étang. J’espère qu’ils donneront leur accord bientôt, et le plus tôt possible.

La sénatrice Pate : Quand vous dites « ils », de qui parlez-vous?

M. Marshall : Les gens de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je les talonne depuis un bout de temps maintenant.

La sénatrice Pate : Avez-vous fait des demandes que vous pouvez nous transmettre, afin que le comité soit au courant?

M. Marshall : Je ne pense pas qu’ils me croient — je ne parle pas des membres du comité mais du gouvernement. Je ne sais pas, toutefois, quoi leur dire d’autre. J’en parle depuis un bout de temps, mais j’espère que ma présence ici fera en sorte que notre voix sera mieux entendue. C’est la réalité, vous savez. C’est ce qui se passe en ce moment même, et pas seulement dans ma communauté.

Les systèmes d’étang sont mauvais pour la communauté. Il faut un autre filtre. Nous avons le savoir-faire. Nous connaissons la technologie maintenant. Nous savons quel filtre nous procurer — et l’avons essayé pour voir comment il fonctionne. Un type est venu d’Écosse quand nous avions un problème avec l’eau, et il a placé un filtre au bout du système. Il est venu gratuitement. À l’époque, le brevet était en attente, mais tout est breveté maintenant. C’était bon pour tout. Les entreprises pharmaceutiques l’utilisent en Europe. Il s’agit simplement d’un réservoir qui arrive dans une boîte. Le filtre dépend de la taille du système qu’on utilise.

Je crois vraiment que cela peut nous aider, et j’espère obtenir le filtre le plus rapidement possible.

La sénatrice Pate : Vous semblez avoir fait plusieurs demandes au gouvernement fédéral. Pourriez-vous nous en faire parvenir des copies?

M. Marshall : Je peux probablement, oui. Je vais vous faire parvenir toute l’information que j’ai en main.

La sénatrice Pate : Ce serait fantastique. Je vous remercie de tout le travail que vous faites dans votre communauté.

Le président : Je vous remercie, sénatrice Pate. Chef Marshall, acheminez toute l’information que vous pouvez nous faire parvenir à la greffière, Mme Andrea Mugny.

J’aimerais savoir, chef Marshall, si vous seriez d’accord pour dire que l’accès à l’eau potable dans les réserves est un exemple de racisme systémique et institutionnel qui continue de priver nos gens de leur dignité et de leurs droits fondamentaux. Quel message le Canada envoie-t-il lorsque les Premières Nations continuent d’être privées des services que les autres tiennent pour acquis?

M. Marshall : C’est certain. Je pense qu’on regardait les Premières Nations de haut auparavant. Toutefois, comme je l’ai dit, nous avons maintenant des gens instruits au sein de nos communautés. Mon fils aîné est médecin. Les enfants grandissent et nous dépendons d’eux maintenant.

Je ne veux pas qu’ils commettent les mêmes erreurs que nous. Nous vous avons vous, sénateur, maintenant. C’est une autre bonne chose pour nous. Nous avons des gens au gouvernement qui nous écoutent. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui, et j’espère que nos enfants vont apprendre et que nos futurs jeunes leaders vont examiner cela.

Il s’agissait, bien sûr, de racisme systémique, mais nous sommes maintenant des leaders. C’est du moins ce que j’essaie d’être.

Le président : Je vous remercie, chef Marshall. Y a-t-il d’autres questions pour le chef Marshall?

Je ne vois aucune main levée.

Chef Marshall, aimeriez-vous ajouter quelque chose en terminant?

M. Marshall : Oui. L’autorité de gestion des eaux est partout en Atlantique maintenant, ce qui est une bonne chose. Nous avons un bon nombre de communautés qui participent au processus. Les Premières Nations travaillent ensemble.

Je peux aller plus loin. Certains de nos voisins souffrent tout autant que nous, mais c’est plus particulièrement le cas des Premières Nations. J’espère régler le problème le plus rapidement possible.

Je sais que c’est bon pour nos communautés et pour nos gens, et si vous voulez que je vous parle de quoi que ce soit d’autre, n’hésitez pas à me le demander.

Le président : Je vous remercie beaucoup, chef Marshall. Nous vous en savons gré sincèrement.

Je n’ai qu’une question au sujet de l’Autorité de gestion des eaux des Premières Nations de l’Atlantique. Combien de Premières Nations en font maintenant partie?

M. Marshall : Je pense qu’il y en a 18, mais c’est peut-être rendu à 22; je ne suis pas certain. Le nombre augmente vraiment maintenant.

Le président : C’est considérable. C’est plus de la moitié des 34 Premières Nations.

M. Marshall : Le mot se répand. On fournit des camions. Les gens obtiennent le salaire qu’ils méritent. Ils connaissent le système, et nous avons des gens dans mon bureau en ce moment. Tout est en place. Nous ne voulons pas qu’ils commettent les mêmes erreurs que nous.

Le président : Vous offrez les bons salaires et la bonne formation et vous avez le bon équipement pour que le travail soit bien fait, n’est-ce pas?

M. Marshall : Nous avons les bons ingénieurs, et cetera. Lorsque nous avons démarré notre système ici, nous n’en connaissions pas beaucoup. On courait dans tous les sens. C’est l’autorité qui s’en occupera maintenant. Ils ont l’expertise et n’y vont pas à tâtons. Il faut utiliser les pratiques exemplaires. C’est très important. Il devrait y avoir des autorités de gestion de l’eau pour répondre aux besoins des Premières Nations partout au Canada.

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre témoignage, chef Marshall. Wela’lioq. La séance est levée.

M. Marshall : Wela’lioq.

(La séance est levée.)

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