LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 2 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer en soulignant que nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, dont la présence ici remonte à des temps immémoriaux.
Je m’appelle Brian Francis et je suis sénateur micmac d’Epekwitk, qu’on appelle aussi l’Île-du-Prince-Édouard. Je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Avant de commencer la réunion, j’aimerais vous demander à vous tous ici présents de ne pas vous approcher trop près de votre micro ou, si vous le faites, d’enlever votre oreillette. C’est pour éviter la réaction acoustique, qui pourrait nuire au travail du personnel du comité dans la salle.
J’aimerais maintenant demander aux membres du comité qui sont présents de se présenter, en nous disant leur nom et leur province ou territoire. Commençons par ma gauche.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan, des territoires visés par les traités nos 2, 4, 6, 8 et 10.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, du Mi’kma’ki.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
La sénatrice Audette : Michèle Audette. Je remplace la sénatrice Sandra Lovelace Nicholas. C’est un honneur.
Le président : Merci, mesdames et messieurs.
Afin d’éclairer et d’orienter nos travaux futurs, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones invite les témoins, y compris les ministères fédéraux, les représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis ainsi que d’autres personnes à venir discuter avec nous de leurs activités et de leurs priorités.
Hier, nous avons entendu les témoignages des représentants de Services aux Autochtones Canada et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.
Aujourd’hui, nos premiers témoins sont Mme RoseAnne Archibald, cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations, et Mme Cassidy Caron, présidente du Ralliement national des Métis.
Madame Archibald et madame Caron, wela’lin et merci d’être avec nous ce soir. Vous disposez toutes les deux d’environ cinq minutes pour présenter votre déclaration préliminaire. Ensuite, nous passerons aux questions, en donnant cinq minutes à chaque sénateur.
Puisque nous avons peu de temps, je vous demanderais d’être concis et brefs. Pour ne pas interrompre ou couper qui que ce soit, je vais montrer cette affiche quand il restera environ une minute à votre temps.
Sur ce, j’invite Mme Archibald à nous présenter sa déclaration.
RoseAnne Archibald, cheffe nationale, Assemblée des Premières Nations : Meegwetch. Wahcheeyay misiway. RoseAnne Archibald nitishinikahsoon. Taykwa Tagamou ishinakataow kawocheean.
D’abord et avant tout, je tiens à dire que je suis heureuse d’être ici sur le territoire non cédé, non abandonné de la nation algonquine anishinabe. Je suis impatiente de discuter avec vous de la façon dont les Premières Nations et le Canada pourront tracer le chemin vers la guérison.
Le gouvernement fédéral s’est engagé à assurer une véritable réconciliation avec les Premières Nations, et je vais vous faire part aujourd’hui de quatre moyens fondamentaux d’y arriver. Chaque moyen contribuera à renforcer les peuples autochtones, en apportant des changements évolutifs et positifs. Ils soulignent également l’impératif pour le Canada de fournir le soutien nécessaire, en matière de capacités et de financement, pour respecter, protéger et mettre en œuvre les droits et les compétences des Premières Nations.
D’abord, dans l’esprit de la réconciliation économique, le Canada doit établir avec les Premières Nations une table nationale sur la prospérité. Une fois établie, cette table constituera pour les Premières Nations une nouvelle entente économique qui mettra un terme aux cibles budgétaires qui empêchent les Premières Nations de créer leur richesse et leur prospérité. Elle donnera à la voix et au leadership des Premières Nations l’occasion d’influencer les décisions législatives, stratégiques et de développement économique que prend le gouvernement fédéral. Plus important encore, cette nouvelle entente économique donnera aux Premières Nations accès aux revenus provenant des richesses tirées des terres et des eaux des Premières Nations, qui s’étendent d’un bout à l’autre de l’île de la Tortue — ce qu’on appelle aujourd’hui le Canada. L’établissement de la table nationale sur la prospérité sera le point de départ vers une meilleure compréhension et une meilleure coopération entre les Premières Nations et le gouvernement du Canada; ce sera une plateforme pour la promotion de la réconciliation économique.
La création de richesse et de prospérité doit être au premier plan et au cœur de la réconciliation économique. Nous devons répondre à tous les appels à l’action concernant la réconciliation économique. Un organisme important qui surveillerait tous les appels à l’action serait le conseil national de réconciliation qui a été proposé. À ce propos, je soulignerais que le projet de loi sur le conseil national de réconciliation vous sera bientôt présenté. J’ai récemment témoigné devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord, afin d’aller chercher du soutien pour les amendements proposés ayant pour but de renforcer l’indépendance du conseil d’administration et de veiller à ce que le conseil national ait un financement suffisant pour remplir son mandat.
L’Assemblée des Premières Nations — l’APN — demande un amendement selon lequel trois membres du conseil d’administration seront nommés par notre organisation. Nous sommes conscients de l’importance de la bonne gouvernance, et cela commence par le conseil d’administration.
Beaucoup d’entre vous ont été témoins du bouleversement qui a affecté cet été l’assemblée générale annuelle de l’APN. Ce bouleversement a engendré une résolution importante : la résolution no 3, selon laquelle nous devons demander à une tierce partie de réaliser une enquête indépendante sur le climat de toxicité, d’intimidation et de violence latérale au sein de l’APN, en plus de procéder à une vérification judiciaire indépendante portant sur les 10 dernières années d’activité financière de l’APN, en accordant une attention particulière aux versements de salaires et aux contrats.
Il est essentiel que le gouvernement fédéral épaule et soutienne l’APN, pour s’assurer que nous avons les ressources nécessaires pour remettre de l’ordre dans l’APN et guérir l’organisation; nous pourrons ainsi faire respecter les principes et les valeurs de la vérité, de la transparence et de la responsabilité, qui constituent le fondement du travail important que nous menons pour aider à reconstruire les Premières Nations, anéanties par la colonisation de l’île de la Tortue. L’APN a besoin de fonds suffisants pour entreprendre ce travail. Nous devons aussi veiller à ce que les autres Premières Nations et leurs organisations respectives aient suffisamment de financement pour faire l’examen de leur gouvernance et se restructurer au besoin. Enfin, toutes les régions et leurs bureaux régionaux, d’un océan à l’autre, devraient avoir accès à du financement adéquat.
Ma troisième priorité est de réclamer la création d’un fonds national de guérison. Le gouvernement fédéral a tendance à financer les composantes de la guérison axées sur le territoire, la langue, les sports et la culture, il le fait de façon sporadique et en fonction des propositions, mais nous avons besoin d’engagements de financement durable et à long terme pour surmonter les traumatismes intergénérationnels infligés par les anciens établissements dont le but était l’assimilation et le génocide. La semaine dernière, le Parlement a reconnu que ce qui s’est passé dans ces établissements était un génocide. Maintenant, le gouvernement du Canada doit soutenir les Premières Nations dans la création d’un fonds national de guérison pour combler le vide laissé par la dissolution par l’ancien gouvernement de la Fondation autochtone de guérison. La création d’un tel fonds permanent est d’ailleurs l’un des appels à la justice qui a été formulé dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Les traumatismes intergénérationnels ont causé des crises de santé mentale et de toxicomanie au sein des Premières Nations. Aujourd’hui plus que jamais, les Premières Nations ont besoin d’un accès à des soins adaptés aux traumatismes. Le gouvernement du Canada doit fournir du financement fondé sur les distinctions afin de soutenir et d’améliorer les ressources en matière de santé mentale et de toxicomanie pour les Premières Nations. Le Canada doit s’engager à codévelopper et à mettre en œuvre une stratégie nationale de lutte contre la toxicomanie pour juguler la crise des opioïdes et des méthamphétamines. Les Premières Nations continuent de subir les conséquences négatives de l’inaction du Canada.
Pour terminer, j’aimerais dire que nous avons réalisé certains progrès, en particulier dans le domaine de l’éducation. Cependant, il nous reste encore beaucoup de chemin à faire du côté de la santé et de la prospérité économique des Premières Nations. Je vous demande de soutenir et de promouvoir des changements évolutifs et positifs pour les Premières Nations.
Ninanaskamon. Kisâkihitin. Ninanaskamon dans ma langue veut dire « Je vous suis reconnaissante, je vous remercie ». Kisâkihitin, un autre mot autochtone, veut dire « Je vous aime ».
Le président : Wela’lin. Merci, madame Archibald. J’invite maintenant Mme Caron à présenter ses déclarations.
Cassidy Caron, présidente, Ralliement national des Métis : Merci. [mots prononcés dans une langue autochtone] Bonjour tout le monde. Je m’appelle Cassidy Caron, et je m’adresse à vous aujourd’hui en ma qualité de présidente du Ralliement national des Métis, le représentant national et international attitré de la nation métisse au Canada depuis 1983.
Le Ralliement national des Métis, ou RNM, est composé de dirigeants démocratiquement élus au sein des gouvernements métis provinciaux, actuellement dans les provinces de l’Ontario, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Ce sont ces mêmes dirigeants qui définissent le mandat du RNM.
En 2017, le gouvernement du Canada et les gouvernements métis ont conclu l’Accord Canada-Nation métisse. L’un des objectifs de cet accord est de promouvoir la réconciliation en ce qui concerne les droits, les revendications, les intérêts et les aspirations de la nation métisse. Quatre des cinq gouvernements métis reconnus comme étant signataires de cet accord sont les gouvernements qui composent actuellement le Ralliement national des Métis.
Nos gouvernements métis, par le truchement de leurs inscriptions et de leurs structures de gouvernance basées sur des élections démocratiques aux niveaux local, régional et provincial, ont le mandat de représenter dans leur administration respective les citoyens qui forment la nation métisse, et sont autorisés à le faire, notamment en ce qui a trait aux droits et aux intérêts détenus collectivement par les Métis et aux revendications non réglées auprès de la Couronne. Depuis 1983, la priorité du Ralliement national des Métis a toujours été de promouvoir la voix distincte des Métis à l’échelle nationale et internationale, et nous continuerons de défendre les enjeux qui ont une importance collective et de servir la nation métisse, conformément à l’intention des fondateurs du RNM.
Votre invitation à témoigner devant vous sur nos priorités actuelles et futures est arrivée à un moment très opportun, puisque la semaine dernière, justement, nous nous sommes réunis pour tenir notre assemblée générale annuelle. L’assemblée générale du Ralliement national des Métis est l’entité qui définit nos orientations politiques nationales. Les membres dirigeants du Ralliement national des Métis nous ont donc donné un mandat très clair et ferme qui nous permettra de continuer d’avancer vers un avenir prospère pour la nation métisse. Je suis impatiente de collaborer avec nos gouvernements métis pour mettre en œuvre cette orientation, dans un esprit de collaboration sincère et pour servir tous les citoyens métis.
Comme je l’ai dit, en 2017, le Ralliement national des Métis du Canada a signé l’Accord Canada-Nation métisse, établissant un mécanisme bilatéral permanent; ce mécanisme, au moyen de réunions annuelles avec le premier ministre, sert à établir conjointement les priorités stratégiques pour l’année à venir et à élaborer conjointement les politiques relatives aux priorités établies.
Jusqu’ici, la nation métisse a fait des pas de géant pour ce qui est de défendre et de promouvoir les intérêts culturels, sociaux, économiques et politiques de la nation métisse, grâce à ce mécanisme bilatéral permanent, ou MBP.
Lors de l’assemble générale, cette année, nous avons reçu un soutien unanime pour que l’éducation, la santé et le développement économique soient les priorités de cette année dans le cadre du MBP. En ce qui concerne l’éducation, nous désirons une éducation adaptée aux distinctions, de la maternelle à la fin du secondaire. Nous comptons négocier un accord Canada-Nation métisse de 10 ans sur l’éducation de la maternelle à la fin du secondaire afin d’améliorer les résultats scolaires des élèves de la nation métisse, d’un bout à l’autre du territoire métis.
En ce qui concerne le développement économique, nous souhaitons accroître le soutien des capacités et les outils afin d’édifier les institutions économiques métisses et atteindre l’autodétermination économique des Métis de façon durable.
Dans le domaine de la santé, nous avons travaillé très dur au cours des dernières années pour élaborer la vision métisse de la santé; cette vision est maintenant consignée dans un document que nous avons rédigé en collaboration avec tous nos membres dirigeants, afin de corriger les iniquités actuelles en santé et cerner les priorités sanitaires. La vision métisse de la santé est fondée sur les déterminants sociaux métis de la santé, lesquels servent à éclairer les conséquences de la stigmatisation sociale, culturelle et économique sur notre santé. L’assemblée générale nous a donné l’ordre très clair d’adopter la vision métisse de la santé en tant que document d’orientation, puisqu’il résume la relation entre la nation métisse et le Canada au regard de la vision métisse de la santé et d’une loi sur la santé des Autochtones axée sur les distinctions et visant à promouvoir les priorités métisses en matière de santé.
Voilà donc les priorités du MBP sur lesquelles nous comptons travailler cette année. À l’extérieur du MBP, les priorités du Ralliement national des Métis, conformément aux orientations de notre assemblée générale, comprennent les efforts continus de promotion visant à défendre et à promouvoir les intérêts culturels, sociaux, économiques et politiques de la nation métisse.
L’une de ces priorités, pour nos membres dirigeants, est de faire avancer la mise en œuvre et la reconnaissance complètes de notre droit inhérent à l’autodétermination et à l’autogouvernance. Pendant des siècles, la nation métisse a exercé son droit à l’autodétermination et à l’autogouvernance en établissant des structures de gouvernance, en élaborant et en appliquant ses propres lois et en suivant ses propres traditions et coutumes, comme nous continuons de le faire aujourd’hui. En 2019, trois des quatre gouvernements métis qui composent le RNM ont signé, avec le Canada, les Ententes de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis. Ces ententes reconnaissent le droit des gouvernements métis à l’autogouvernance et à l’autodétermination, en donnant à la nation métisse le droit de s’occuper de questions de gouvernance clés, y compris la citoyenneté, le choix de dirigeants, la structure de gouvernance et la responsabilité financière.
La prochaine composante cruciale pour la mise en œuvre complète et l’actualisation de l’autonomie gouvernementale est une loi fédérale sur la reconnaissance; il s’agit d’ailleurs d’un engagement envers les gouvernements métis de ces ententes d’autonomie gouvernementale. Une loi fédérale sur la reconnaissance est une priorité pour la nation métisse, parce que cela remplit l’engagement pris par le Canada, et, selon mes dernières informations, cela devrait être proposé avant la fin de la présente législature.
Une autre priorité clé pour le RNM est de rouvrir le dialogue entre le Canada et nos membres dirigeants, en particulier en ce qui concerne la création d’un processus fédéral sur les revendications métisses, afin de régler les revendications métisses non réglées contre la Couronne pour l’ensemble du territoire de la nation métisse. Cela comprend notamment les promesses contenues dans les traités qui n’ont pas été remplies ou qui ont été brisées, les pétitions ignorées, les déménagements forcés, les incendies allumés dans nos villages et, surtout, le système des certificats de Métis.
Présentement, le gouvernement n’a aucune politique ni aucun processus cohérents pour entendre les revendications territoriales et les demandes d’indemnisation des Métis. Si nous voulons continuer d’avancer sur le chemin de la réconciliation, nous devons prendre des mesures énergiques pour concevoir une procédure de règlement des revendications territoriales non réglées des Métis, pour éviter de devoir trancher chaque affaire en justice individuellement, et il faut négocier avec les représentants métis pour conclure des accords et arriver à cette fin.
Tout cela n’est cependant qu’un aperçu du travail que le Ralliement national des Métis doit entreprendre cette année en vertu de son mandat. Il y a malgré tout de nombreux autres dossiers sur lesquels nous travaillons en collaboration avec nos membres dirigeants, par exemple dans le domaine de la justice, pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et aussi en ce qui concerne l’environnement et les changements climatiques, les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le système de protection de l’enfance et aussi l’intervention conjointe des gouvernements métis devant la Cour suprême au sujet du projet de loi C-92.
C’est toujours un plaisir pour moi de souligner l’incroyable travail de nos gouvernements métis, et j’ai vraiment hâte d’avoir plus d’occasions dans l’avenir d’en parler avec vous et vos collègues. Merci beaucoup.
Le président : Merci, madame Caron. Je vais ouvrir le bal en vous posant une première question à toutes les deux. À votre avis, y a-t-il des sujets prioritaires sur lesquels notre comité, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, devrait se pencher, et si oui, expliquez-nous pourquoi. Madame Archibald, voudriez-vous commencer?
Mme Archibald : Merci beaucoup de la question. Je pense que nous devons vraiment réfléchir à ce chemin vers la guérison; j’en parle depuis que j’ai été élue, et nous devrions aussi réfléchir à l’impact que cela a de continuer de sortir nos enfants de ces tombes anonymes ou d’en trouver grâce à ce géoradar.
Je pense que ce serait utile si votre comité se penchait sur la question des traumatismes intergénérationnels et sur la façon dont votre gouvernement pourrait vraiment fournir des soins et des ressources adéquates et adaptées aux traumatismes, afin que les Premières Nations puissent passer à autre chose.
En même temps, je sais que des non-Autochtones se sont dits traumatisés ou blessés par les découvertes récentes de la dernière année ou environ. Nous devons penser à la guérison, et pas seulement pour les Premières Nations, mais pour tout le Canada et pour tous les Canadiens et toutes les Canadiennes. Je pense que ce serait un sujet digne d’étude.
Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Caron?
Mme Caron : Merci. Nous aimerions beaucoup que votre comité entreprenne une étude sur un sujet en particulier, celui du processus des revendications métisses, dont j’ai parlé plus tôt. À dire vrai, en 2013, votre comité sénatorial permanent avait conclu que la réconciliation avec les groupes métis était nécessaire pour qu’il y ait une base solide pour les générations actuelle et future de Métis au Canada.
Présentement, c’est l’un des éléments qui manquent cruellement à la nation métisse. Le fait qu’il n’y a pas de processus de règlement des revendications non réglées contre la Couronne, pour régler les revendications territoriales, pour remplir véritablement les promesses qui ont été faites à nos aînés et aux gens qui ne seront peut-être pas avec nous encore très longtemps et qui voudraient tellement voir ce processus aboutir... je pense que ce serait une occasion incroyable pour votre comité d’entreprendre une étude sur un tel processus de revendications.
Deuxièmement, pour faire suite aux commentaires de Mme Archibald, il faudrait étudier ce que les Métis ont vécu dans les pensionnats. C’est quelque chose dont on a pour ainsi dire jamais parlé, pendant de nombreuses années, parce que les Métis ne s’en sont pas mêlés; ils n’ont pas été reconnus dans la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Beaucoup de Métis ont été envoyés dans les pensionnats, mais cela n’est toujours pas reconnu. Notre assemblée générale nous a aussi confié le mandat, la semaine dernière, de continuer nos plaidoyers pour que les écoles de la Saskatchewan — à l’Île‑à‑la‑Crosse et à Timber Bay — soient reconnues comme des pensionnats, afin que les enfants qui ont été envoyés dans ces écoles soient eux aussi reconnus comme des survivants. C’est ainsi que nous les appelons. Nous savons ce qu’ils ont vécu. Pourtant, ils continuent de vivre sans cette reconnaissance, et nous voulons corriger cela.
Le président : Merci. La parole va au vice-président, le sénateur Arnot.
Le sénateur Arnot : Ma question s’adresse à Mme Archibald. Je suis intrigué par le concept d’une nouvelle entente économique et d’une table nationale sur la prospérité, et par l’idée de mettre un terme aux cycles budgétaires annuels à court et à long terme. Pouvez-vous me dire comment le gouvernement fédéral a réagi aux appels à propos de ce genre de processus?
Mme Archibald : Nous avons eu une discussion préliminaire avec la ministre Patty Hajdu sur le sujet, et elle s’est montrée très réceptive. Je pense que, durant une récente réunion du comité, il a en effet été souligné qu’il s’agissait d’une idée de l’APN.
Pour ce qui est du processus, chaque dollar, qu’il provienne de l’impôt sur le revenu, des recettes fiscales ou d’un impôt foncier, vient des terres et des territoires des Premières Nations, et pourtant, nous sommes soumis à ces cycles budgétaires. Voilà sur quoi la table sur la prospérité pourrait se pencher : comment réparer correctement les torts causés aux Premières Nations, d’un point de vue économique, pour ces milliards et billions de dollars qui ont été pris sur nos terres, mais dont les Premières Nations tirent très peu avantage?
La table sur la prospérité elle-même a surtout comme but d’examiner des moyens de réparer cela et de créer une nouvelle entente économique fondée sur des choses comme le PIB, sur un véritable partage des revenus et pas seulement sur des ententes sur les répercussions et les retombées conclues avec les sociétés qui exploitent les ressources.
C’est un processus long, et, d’une certaine façon, visionnaire. Nous devons malgré tout l’enclencher. Cela prendrait toute une génération de gens qui continuent de travailler sans relâche pour s’assurer qu’il y ait une nouvelle entente économique équitable pour les Premières Nations et pour sortir notre peuple de la pauvreté et lui donner son droit imprescriptible de créer de la richesse et de la prospérité grâce aux terres que le Créateur nous a données.
Le sénateur Arnot : J’ai l’impression que cela pourrait s’inscrire dans le domaine de la mise en œuvre de l’esprit et de l’intention des traités, mais dans un contexte moderne, et aussi en lien avec la réconciliation. Cette idée m’intrigue.
J’ai une question pour Mme Caron, la présidente du Ralliement national des Métis.
Au sujet du processus de revendication des Métis, celui que vous réclamez, y a-t-il certains principes reliés à ce processus que vous voudriez faire connaître?
Nous avons un processus de revendications qui ressemble à un long labyrinthe pour les Premières Nations. Y a-t-il une façon d’accélérer ce processus, ou y a-t-il une approche différente que vous voudriez explorer ou que vous voudriez que nous explorions avec vous?
Mme Caron : Absolument. Présentement, le seul processus que nous pouvons utiliser, ou pas, dans certaines circonstances, est le processus des revendications territoriales globales, qui est extrêmement long et laborieux. Les Métis n’ont aucun autre mécanisme pour donner suite à leurs griefs historiques, pour explorer les promesses qui ont été faites aux peuples métis.
Nous avons réfléchi à la forme que ce processus pourrait prendre. Nous avons eu des discussions avec le gouvernement fédéral en 2016-2017 pour en commencer l’élaboration. Nous avions une ébauche toute prête. Malheureusement, tout cela n’a rien donné; nous reconnaissons toutefois que le gouvernement fédéral est prêt à rouvrir la discussion. C’est l’une des priorités que nous espérons poursuivre.
Le sénateur Patterson : Merci aux témoins. J’ai des questions pour les deux dirigeantes ici présentes et je vais peut‑être devoir poursuivre au deuxième tour. Je vais commencer par Mme Caron, du RNM.
Vous avez parlé d’un chemin vers le règlement des revendications territoriales. Vous avez mentionné l’étude du Sénat à laquelle j’ai participé, à l’époque où Gerry St. Germain était président du comité. Nous nous sommes certainement renseignés là-dessus, si ce n’était pas déjà fait.
En 1990, l’Alberta a adopté la Metis Settlements Land Protection Act. Je pense que c’était un acte progressiste, à l’époque. Je me demandais si cela pouvait être un modèle ou au moins une base pour ce chemin vers le règlement des revendications territoriales.
Deuxièmement, si je puis poser une autre question, vous avez parlé d’une loi fédérale sur la reconnaissance, qui s’en vient peut-être bientôt. Si cela arrive au Sénat, notre comité va probablement l’étudier. Est-ce un projet de loi qui a été corédigé avec votre participation?
Mme Caron : Pour répondre à votre première question sur la loi sur les établissements en Alberta, je pense que nous devrions avoir des discussions sérieuses avec les gens des établissements métis pour savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et pour savoir s’il s’agit du chemin à suivre pour l’avenir de la nation métisse.
Le Settlements General Council ne fait pas partie du RNM présentement. Ce serait une option que nous pourrions explorer en discutant avec ce conseil des établissements.
Pour le projet de loi, oui, effectivement, il est codéveloppé avec les gouvernements métis qui ont signé les ententes de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis.
Il y a énormément d’échanges entre nos gouvernements et le gouvernement fédéral dans tout ce processus d’élaboration.
Le sénateur Patterson : Madame Caron, tout le monde a été impressionné par le travail accompli par la Commission de vérité et réconciliation. Quand vous avez dit que nous devrions étudier la situation des Métis dans les pensionnats et qu’il y a deux écoles qui ne sont pas reconnues — mon but n’est pas du tout de critiquer, parce que je sais que la CVR avait un énorme mandat —, vouliez-vous dire que la CVR n’a pas étudié la question des Métis dans les pensionnats avec une extrême rigueur, ou dans le cadre de son mandat? Je suis tout simplement surpris, parce que j’aurais cru que le rapport aurait compris tous les enfants autochtones.
Mme Caron : On le croirait, effectivement. Mon but n’est absolument pas de minimiser le travail de la Commission de vérité et réconciliation, parce que cela a amené les discussions vraiment beaucoup plus loin, ce dont le pays avait absolument besoin.
Malheureusement, ce qui a déclenché la Commission de vérité et réconciliation, c’était la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, la CRRPI.
Les négociations sur les pensionnats à cibler ont eu lieu dans ce contexte, et beaucoup d’écoles où il y avait des élèves métis n’ont pas été prises en considération, à cause d’un détail administratif et juridique : ces écoles — beaucoup d’écoles où il y avait des élèves métis — n’étaient pas nécessairement financées par le gouvernement fédéral. Elles recevaient leur financement du gouvernement provincial.
Les écoles visées par la CRRPI étaient précisément et uniquement celles financées par le gouvernement fédéral. Cela veut dire qu’un certain nombre d’écoles n’ont pas été prises en considération, et ce n’est pas seulement des écoles où il y avait des élèves métis, mais aussi des élèves des Premières Nations et des élèves inuits également. Donc, ce que beaucoup d’enfants ont vécu n’a pas été reconnu, et beaucoup d’histoires restent encore à raconter.
Le sénateur Patterson : Merci. C’est tout à fait compréhensible. Merci.
La sénatrice Coyle : Merci à nos témoins, Mme Archibald et Mme Caron. Merci d’être avec nous. C’est un honneur de vous accueillir. Je sais que vous êtes toutes deux très occupées, et nous sommes fiers et reconnaissants du travail que vous accomplissez.
Vous avez toutes les deux parlé d’enjeux économiques. Je vous pose ma question à toutes les deux en même temps.
Madame Archibald, vous avez abordé cette idée d’une table nationale de prospérité, d’une nouvelle entente économique, les deux étant surtout fondées — et je comprends que vous n’avez pas eu beaucoup de temps —, si j’ai bien compris — ou entendu —, sur la réparation et le partage des revenus tirés de l’exploitation des terres et des ressources de vos peuples. Il faut que cela soit le fondement, j’en suis sûre, et c’est très important pour la planification de projets futurs et aussi pour redresser les torts du passé. C’est tout cela.
Mais ce qui m’intrigue, c’est l’autre côté de la prospérité économique, celle qui est autogénérée. Nous savons que les collectivités des Premières Nations à l’échelle du Canada ne sont pas égales en ce qui concerne le développement économique, certaines pour des raisons liées aux ressources disponibles, mais pas toutes.
Je serais curieuse de savoir si cette nouvelle entente économique ou si les projets de développement économique de l’APN mettent aussi l’accent — en plus de tout ce que je viens de mentionner — sur l’aspect générateur, sur le développement de nouvelles entreprises, des choses du genre.
Donc, voilà ma question pour vous.
J’ai une sous-question sur tout ce qui concerne la nouvelle économie carboneutre. Cela m’intéresse beaucoup, parce que je pense que les collectivités des Premières Nations pourraient énormément prospérer grâce à cela et aussi devenir des chefs de file de la nouvelle économie carboneutre. Voilà ma question pour vous.
Madame Caron, vous avez aussi parlé du développement économique, mais vous n’avez pas vraiment approfondi le sujet, mis à part en ce qui concerne, encore, les processus de revendication et le règlement des griefs non réglés, et cetera. Je n’essaie d’aucune façon de minimiser cela, ce sont des choses absolument fondamentales et critiques, mais vous avez parlé aussi un peu de créer des organisations économiques métisses, et j’aimerais savoir davantage ce que cela veut dire.
Mme Archibald : Merci de la question. En ce qui concerne la question générale du développement économique et du moment où les Premières Nations pourront générer eux-mêmes leurs revenus — je pense que c’est ce que j’ai compris de votre question —, cela ne tient pas uniquement à l’industrie ministère ou forestière ou n’importe quoi d’autre. C’est qu’absolument chaque dollar de richesse dans ce pays vient de nous. Il vient de nos terres et de nos eaux. Prenez, par exemple, la nation Squamish. Elle se trouve à Vancouver, alors elle s’intégrerait dans une économie axée sur les taxes. J’ai assisté récemment à Vancouver à l’annonce sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et j’ai remarqué qu’il était question, entre autres choses, de la façon de commencer à partager l’assiette fiscale, en fonction de la valeur des biens immobiliers et de toutes ces choses liées aux terres de la vallée du bas Fraser avec ces collectivités.
Donc, ça va durer éternellement, aussi longtemps que des gens vivent sur cette terre. Donc, la richesse s’autogénère et c’est une source continue de revenus pour un endroit comme Squamish, ou pour n’importe qui dans la vallée du bas Fraser. Malgré tout, quand vous arrivez dans une collectivité comme la mienne — d’où je viens, Taykwa Tagamou —, l’économie est fortement axée sur les ressources. Nous avons deux ou trois projets hydrauliques au fil de l’eau. Nous participons aussi à l’exploitation minière et forestière. Nous sommes connectés à l’économie d’exploitation des ressources. Donc, les choses varient dépendamment d’où vous êtes. Il n’y aura pas de solution universelle s’appliquant à toutes les Premières Nations. Il faut faire les choses en fonction de leur situation et du contexte économique.
Je tiens vraiment à vous dire très brièvement que, quand j’étais cheffe de ma collectivité, j’ai brigué un deuxième mandat en tant que cheffe. Durant mon premier mandat, j’étais très jeune. Je pense que j’avais 23 ans à l’époque. J’ai obtenu un deuxième mandat environ 10 ans plus tard, et le taux de chômage était de 85 % dans la collectivité. Nous avons commencé à bâtir notre économie en nous fondant sur l’économie qu’il y avait autour de nous. Aujourd’hui, le taux de chômage est parfois nul, parce que nous sommes liés à l’économie autour de nous et que nous pouvons en tirer parti. Voilà ce dont nous avons besoin. Nous avons besoin de ce genre d’accès aux ressources et à la richesse, que tout le monde génère depuis le début, depuis que la Couronne est arrivée ici dans les années 1600.
Donc, nous pourrions générer nous-mêmes de la richesse si nous avions les bonnes ententes économiques, au Canada, et je tiens à remercier le sénateur Arnot d’avoir mentionné le traité. Oui, la relation originale issue du traité a de l’importance. Mais plus important encore, c’est le droit inhérent que nous avons. Qu’il y ait ou non un traité, nous avons des droits inhérents. Nous avons des droits donnés par Dieu. Nous avons des droits donnés par le Créateur sur ces terres. Nous avons des responsabilités envers nos terres et nos eaux. Avant le contact avec les nouveaux arrivants, nous avions une relation réciproque et positive avec nos terres et nos eaux, et nous devons maintenant trouver une façon, à notre époque moderne, d’avoir à nouveau cette relation réciproque et positive avec les terres et les eaux qui nous ont été données, à présent que nous avons cette construction coloniale, appelée le Canada, sur l’île de la Tortue. Je pense qu’il y a un chemin qui s’ouvre. Je parle toujours d’un chemin vers la guérison, et cela comprend les réparations économiques, un bon développement économique et la génération de richesse et de prospérité pour les Premières Nations, comme c’est leur droit imprescriptible.
Mme Caron : Merci de votre question. Oui, en ce qui concerne les institutions économiques métisses, nous avons actuellement des sociétés à capital dans chacune des provinces métisses qui prêtent de l’argent aux entreprises métisses. Nous avons aussi des sociétés de développement économique qui soutiennent les entreprises métisses en démarrage, et aussi les acquisitions et l’expansion des entreprises métisses. Les Métis sont intrinsèquement des entrepreneurs : c’est notre identité, et c’est notre origine. Il y a un mot cri [mots prononcés dans une langue autochtone] qui veut dire « Ils sont leurs propres patrons », ce qui veut dire que les gens aiment être leur propre patron, comme les Métis. L’économie métisse a déjà été très forte, et nous aimerions voir l’économie métisse être forte à nouveau pour soutenir nos entreprises et nos entrepreneurs métis. Une forte économie métisse favorise aussi une forte économie canadienne, alors le soutien de l’un soutient aussi le pays.
Vous aviez une question sur l’économie verte. Je pense que la nation métisse pourrait tout à fait contribuer dans ce domaine également. Nous le voulons, et nous vous transmettons nos histoires quand nous contribuons à l’économie verte.
Voici un des exemples dont j’adore parler. Il y a en Alberta, à environ une heure à l’est d’Edmonton, le centre Métis Crossing. Si jamais vous avez la chance de vous réunir là-bas — d’aller là‑bas et de visiter ces terres —, ce centre appartient à la nation métisse de l’Alberta. C’est un site touristique. C’est un site qui revitalise notre culture. Nous avons récupéré certains des terrains riverains, des terres qui ont jadis appartenu aux Métis. Il y a maintenant un domaine pour bisons, et notre peuple peut y aller et apprendre des choses à propos des bisons et de la façon dont notre peuple utilisait le bison et en tirait lui-même des leçons. Maintenant, un projet d’énergie solaire s’ajoutera; il est en construction.
Ce seul endroit fait tant de choses pour la nation métisse, et c’est un exemple incroyable de contribution à l’économie verte. Notre peuple métis a tellement de possibilités, d’expériences et d’idées incroyables pour y contribuer. Comme je l’ai dit, quand on contribue à l’économie métisse, on contribue aussi à l’économie du Canada, et nous voulons être un partenaire égal dans ce domaine.
Le président : J’ai une question pour Mme Archibald. L’APN a réclamé la création d’un centre indépendant pour le règlement de revendications particulières. Comment ce centre proposé va-t-il permettre de régler les problèmes auxquels font face les Premières Nations dans le processus de revendications particulières, et comment le gouvernement fédéral a-t-il réagi à cette proposition?
Mme Archibald : Tout le monde sait que tous les processus de revendications au Canada sont défaillants. Ils ne sont pas propices à un règlement correct et rapide des questions relatives à la remise des terres, et à la remise des terres aux Premières Nations.
Je ne peux rien dire de précis sur le rapport dont vous parlez. Je n’ai aucune note à ce sujet. Mais je tiens à dire que l’APN a toujours voulu être un partenaire du gouvernement fédéral pour régler des revendications particulières — des revendications globales — et pour corriger ces processus. Je ne pense pas que nous devrions abandonner, même si nous savons que ces processus sont trop longs. Je viens d’avoir une réunion avec la collectivité, et une partie du règlement d’une revendication leur donnait la capacité de racheter la terre d’une municipalité adjacente. C’est ce que la collectivité a fait, et 10 ans plus tard, elle ne peut toujours pas convertir cette terre pour en faire ses propres terres. Donc, je pense que nous devons creuser certaines des questions concernant les consultations avec les municipalités et les propriétaires fonciers.
Comment pouvons-nous faire avancer ce processus pour faire en sorte que, quand la terre est redonnée, elle est effectivement désignée comme une terre des Premières Nations et non pas comme une terre pour laquelle la Première Nation doit payer des impôts à la municipalité?
Le président : La sénatrice Audette et moi-même avons rencontré plus tôt des chefs qui avaient beaucoup de problèmes avec le processus d’AR, c’est-à-dire d’ajouts aux réserves. Quand j’étais chef, j’ai aussi connu ce genre de problèmes, alors je peux facilement comprendre.
La sénatrice Martin : Merci à vous deux. Pendant que je vous écoutais, je me suis dit que vous auriez besoin de 10 fois plus de temps pour approfondir chacun de vos points. J’ai pris beaucoup de notes et j’ai des questions sur chaque point, mais je vais me contenter de vous poser une question à chacune.
Je vais commencer par Mme Archibald; c’était intéressant de vous entendre parler des priorités comme le développement économique et la prospérité. L’une des choses que vous avez mentionnées est une stratégie nationale de lutte contre la toxicomanie, et cela a vraiment retenu mon attention. Je sais que la génération actuelle a espoir pour l’avenir, alors je pense que c’est une stratégie très importante. J’aimerais vraiment en entendre davantage sur ce dont vous parlez.
Mme Archibald : Ces deux choses sont liées. J’aimerais revenir à ma propre expérience en tant que chef, quand le taux de chômage était de 85 %. Nous avons commencé à bâtir notre économie, et cela s’est fait très rapidement, et l’un des problèmes tenait aux dépendances. Nous avions des gens qui ne se présentaient pas au travail parce qu’ils avaient des problèmes avec toutes sortes de dépendances.
Les solutions aux problèmes concernant l’économie étaient étroitement liées à la guérison. Comme je l’ai dit, nous devons développer conjointement cette stratégie. Nous devons être présents à la table pour expliquer et pour participer à un processus exhaustif qui ne va pas seulement regarder les symptômes, parce que les dépendances, ce sont des symptômes. La santé mentale, c’est un symptôme. Quand quelqu’un a des problèmes de santé mentale, c’est le symptôme de quelque chose beaucoup plus profond.
J’ai entendu un chef dire dans une collectivité — je ne me rappelle plus de son nom —, mais il a dit lors d’une réunion qu’il est temps pour nous de regarder plus loin que les symptômes et de les guérir en adoptant des stratégies qui commencent par s’attaquer aux causes profondes. Qu’est-ce qui cause ce genre de douleurs qui font que les gens développent des dépendances?
Je l’ai souvent dit moi-même dans le cadre de différents discours. Lorsque vous voyez quelqu’un dans le Downtown Eastside, par exemple, qui souffre de toxicomanie, vous voyez en fait un survivant, quelqu’un qui a survécu à une forme de traumatisme terrible et qui n’est pas en mesure de composer avec lui et de guérir. Donc, lorsque nous envisageons une stratégie, quelle qu’elle soit, nous avons intérêt à nous concentrer sur l’origine du problème.
Pour les Premières Nations, ce sont ces établissements d’assimilation et de génocide. Je ne les appelle plus des écoles parce que ce n’est pas ce qu’elles étaient. Nous devons les percevoir comme l’un des endroits qui sont à l’origine de la souffrance. Des choses horribles et terribles sont survenues dans ces établissements. Vous n’avez qu’à lire le rapport de la CVR pour comprendre certaines des histoires qu’ont vécues ces enfants et dont ils ont été témoins.
La colonisation est l’autre chose qui a eu une incidence sur nous, et c’est encore le cas. Ce n’est pas fini. La colonisation est un processus continu. L’origine de l’introduction de la colonisation ici, à l’île de la Tortue, n’a entraîné que de la dévastation pour les Premières Nations parce qu’elle allait complètement à l’encontre de notre identité en tant que peuple lorsqu’il est question de notre communauté et de la façon dont nous fonctionnons au sein de la communauté, et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Je pense que, au bout du compte, il faut nous pencher sur l’origine du problème. Si nous pouvons faire cela, nous pouvons réellement favoriser la guérison, et nous pouvons faire en sorte qu’une société qui n’est peut-être pas parfaite — rien de l’est jamais — soit en mesure de guérir de ce genre de blessures et de ces choses terribles, et ce, une génération à la fois.
Je ne fais que me fonder sur ma propre expérience : mes parents ont fréquenté deux établissements différents, et ils ont fait de leur mieux pour nous élever, mes frères et sœurs et moi, afin que nous acquérions différentes compétences qu’ils ne possédaient pas. Puis, c’est à ma génération de s’assurer que ces compétences sont transmises à la prochaine génération afin qu’elle s’améliore. J’espère que j’ai répondu à votre question.
La sénatrice Martin : Oui, mais cette stratégie est-elle en cours d’élaboration? Je sais que vous avez dit qu’elle devait être conçue en collaboration, mais avez-vous commencé le processus de planification de cette stratégie?
Mme Archibald : Non, j’occupe un poste trop élevé pour être en mesure de connaître ces détails, mais je peux vous dire que j’ai bel et bien eu une réunion avec Élisabeth Brière, la secrétaire parlementaire de Carolyn Bennett, avec les dirigeants des Sts’ailes aujourd’hui, et il y aura un suivi afin de décider des mesures à prendre quant à la santé mentale des Premières Nations et à la toxicomanie dont ils souffrent. Un membre du personnel de Mme Bennett m’a dit très brièvement qu’il y a un aspect qui touche les Premières Nations, et j’ai très hâte d’en apprendre davantage à ce sujet.
[Français]
La sénatrice Audette : Je vous remercie. C’est beau de voir une présidente, Mme Caron, et bien sûr, notre cheffe nationale.
Je viens de Mani-Utenam sur la Côte-Nord, une nation innue. Donc quand on parle de prospérité ou d’une table nationale de prospérité, je crois qu’on a droit, nous aussi, à cet ordre du jour, à ce rendez-vous ou à cette place et le droit d’être partie prenante de l’économie sur notre territoire afin de la protéger pour les sept prochaines générations. On a une résilience incroyable pour cela.
J’ai beaucoup aimé vos remarques et cela m’encourage parce que c’est décourageant : nos grands-parents étaient ici, nos parents étaient ici et en tant que parents, nous répétons ce qui a déjà été dit. Il faut garder espoir.
Comme vous pouvez le constater, les missionnaires étaient francophones chez nous, donc je parle français et j’apprends l’innu. Lorsque j’apprends qu’il y a des mouvements nationaux, je veux m’assurer que les gens à Ekuanitshit, à Pakua Shipi ou à Obedjiwan — des nations qui vont à peine parler français ou sinon le parler comme deuxième langue — pourront être présents, communiquer et participer à ces mouvements nationaux pour la prospérité.
J’aimerais entendre vos réflexions, cheffe nationale, et savoir où en sont vos négociations avec les provinces et les municipalités — car elles ont de la difficulté à partager ou réparer des choses qui se sont produites il n’y a pas si longtemps. Les municipalités aussi sont un ordre de gouvernement. Je ne sais pas si vous avez de telles réflexions ou si vous pouvez nous donner des pistes encourageantes.
[Traduction]
Mme Archibald : Oui, merci beaucoup madame la sénatrice Audette. La proposition liée à la table de prospérité sera approuvée, je l’espère, la semaine prochaine par notre comité des chefs sur le développement économique. Il a eu quelques occasions de l’examiner et d’en discuter.
Dans le cadre de cette proposition, nous augmentons la capacité des régions. Chaque région, comme celle du Québec, par exemple, sera financée pendant trois ans afin qu’elle puisse faire harmoniser ses besoins avec la table nationale de prospérité. Comment les Premières Nations interagissent-elles?
Ce serait différent d’une région à l’autre, mais il est évident que l’objectif réel, c’est que le comité des chefs sur le développement économique et l’APN soient les premiers à interagir avec le gouvernement fédéral afin de discuter de la façon dont il faut s’y prendre pour commencer à concevoir ce modèle, ainsi que le nouvel accord économique.
Donc, il est évident qu’il y a de la place pour les Premières Nations. Il faut seulement cerner ce que veut chaque région. Je veux vous assurer que mon opinion sur le sujet est grandement fondée sur la communauté. Comme j’ai été cheffe de ma propre communauté, je comprends que, lorsque vous prenez des décisions à l’échelle nationale, vous devez tout de même penser à l’incidence qu’elles auront sur les gens de la région touchée.
Donc, c’est vraiment quelque chose dont nous avons tenu compte, et on le saura au fur et à mesure que les travaux de la table progressent. J’espère que ça répond à la question.
Le président : Je vais maintenant commencer la deuxième série de questions.
Le sénateur Arnot : J’ai une question à poser à chaque témoin. Madame Archibald, vous avez parlé du conseil national de réconciliation et avez mentionné vos préoccupations quant à son indépendance. Un des mécanismes que vous proposez est que trois membres de ce conseil soient nommés par l’APN. Selon vous, d’autres problèmes liés à l’indépendance sont-ils soulevés dans ce modèle? Et avez-vous des recommandations à formuler à d’autres égards au chapitre de l’indépendance?
Mme Archibald : Nous avons recommandé que non seulement l’APN, mais aussi le Ralliement national des Métis et les Inuits participent à la nomination. Ce que nous avons recommandé tous les trois, c’est que la majeure partie des personnes nommées proviennent de nos organisations : les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Actuellement, selon la première ébauche de la loi, c’est le ministre qui est chargé de cette nomination, ce qui, selon moi, constitue réellement un pas en arrière. Cela me fait penser à la Loi sur les Indiens, qui prévoit que c’est le ministre qui prend toutes ces décisions pour nous.
Donc, en réalité, la proposition, peu importe en quoi elle consistera, équivaut au fait de dire « rien sur nous sans nous ». Donc, c’est l’objectif que nous devons atteindre avec ce texte législatif précis.
Le sénateur Arnot : Ma prochaine question s’adresse à Mme Caron. Je suis toujours intéressé par l’éducation et son pouvoir. Vous parlez d’un accord en matière d’éducation. S’agit‑il d’un programme de cours ou de ressources? Selon vous, comment cela sera-t-il mis en œuvre? J’aimerais aussi seulement dire que l’injustice qui dure depuis longtemps quant à ce qui est survenu dans les pensionnats devrait être réglée depuis longtemps. Je suis très heureux que vous ayez mentionné cela, et le sénateur Patterson l’a souligné davantage. Merci.
Mme Caron : Merci d’avoir posé la question, monsieur le sénateur. Notre plus belle réussite est l’accord de 10 ans, dans le cadre duquel nous avons principalement négocié avec succès ce financement à long terme. C’est là que nous pensons réussir, si nous sommes en mesure d’obtenir ce financement assuré pendant 10 ans. Nous avons pu le constater dans de nombreux secteurs, notamment celui du logement, de l’éducation postsecondaire, de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants. Maintenant, nous nous penchons sur l’ensemble du réseau scolaire, de la maternelle à la 12e année.
Ainsi, nous espérons mettre en place un programme d’éducation à l’intention des Métis précisément, une infrastructure scolaire, élaborer des ressources pour les salles de classe et des ressources pédagogiques, et vraiment consacrer du temps à former les éducateurs au sujet des Métis, de leurs origines, de leurs objectifs, et expliquer pourquoi nos histoires sont très importantes pour notre pays; nous espérons aussi former davantage d’enseignants métis, offrir davantage de débouchés à notre peuple pour qu’il puisse accéder à ce système et être en mesure d’enseigner à nos gens.
Donc, ce sont les aspects préliminaires que nous espérons pouvoir examiner dans le cadre du programme de 10 ans ou de l’accord de 10 ans. Nos enfants jouent un rôle très important dans l’avenir de la nation métisse. Si nous pouvons bien les former dès le départ, nous savons que l’avenir de notre pays sera entre de bonnes mains.
La sénatrice Coyle : Je n’ai pas eu l’occasion de questionner la cheffe nationale, Mme Archibald, au sujet de cette économie verte. Évidemment, je sais que le climat lui-même est une question qui a été abordée par l’APN, et que c’est un aspect qui a été cerné en ce qui concerne l’atténuation, l’adaptation ou le renforcement de la résilience dans les communautés, ainsi que lorsqu’il est question de leadership en économie verte. Aimeriez‑vous nous faire part de vos plans et de vos priorités à ces égards?
Mme Archibald : Oui, merci d’avoir posé la question. Lorsque Mme Caron répondait à la question, j’ai réalisé que j’avais oublié de répondre à la partie qui concernait l’économie à zéro émission nette. J’aimerais seulement répéter certains points qu’elle a soulignés. Lorsque nous, les peuples des Premières Nations, pensons au développement économique, un grand nombre d’entre nous pensent qu’il est important de respecter la terre, en raison de cette relation réciproque et mutuellement bénéfique qui était présente avant l’arrivée des Européens, et nous voulons qu’elle se poursuive.
La meilleure façon d’y parvenir, c’est grâce à l’économie verte, parce qu’elle correspond à nos valeurs. Elle correspond aussi à la grande attention continue que les personnes non autochtones commencent à porter à la planète. Ce n’est pas une question qui concerne seulement les Premières Nations et les Autochtones. C’est un problème qui attire l’attention de plus en plus de personnes à l’échelle de la planète. Comment faire pour atténuer les changements climatiques? Comment bâtir une économie en même temps? Comment pouvons-nous trouver le juste équilibre entre ces deux choses?
J’aimerais, une fois de plus, revenir à ma propre expérience comme cheffe : prenez le secteur de la foresterie, par exemple. La foresterie peut être un domaine très difficile à gérer, dans la mesure où vous prenez des ressources. Mais nous avons été en mesure de trouver un certain équilibre : premièrement, nous replantions des arbres, et deuxièmement, nous protégions de vastes régions qui étaient sacrées pour notre peuple. Donc, les ententes que nous avons conclues dans ce secteur ne concernent pas seulement l’économie et la coupe d’arbres. Elles concernent aussi la façon dont nous protégeons contre l’exploitation les régions qui ont une valeur sacrée pour notre communauté.
Selon moi, c’est ainsi que nous pouvons aller de l’avant : il faut créer une économie, mais aussi protéger la terre. Ce n’est pas toujours facile à faire, mais je sais que c’est possible. Donc, dans notre communauté, par exemple, nous sommes propriétaires d’une ferme solaire. Nous avons recours à l’hydroélectricité au fil de l’eau. En fait, un des projets consistait à remettre en valeur une déviation bloquée. Donc, voici les types de projets et de ressources nationales auxquelles nous pouvons nous attarder.
Puis, je pense même aux personnes habitant les régions urbaines. Je pense toujours à la nation Squamish, à la nation Tsleil-Waututh, et aux Musqueam qui habitent ces Basses-terres continentales, et au travail qu’ils font afin de préserver cet équilibre lorsqu’ils développent leurs économies, eux aussi. Donc, c’est quelque chose à quoi pensent toujours les Premières Nations.
En même temps, certaines Premières Nations sont critiquées parce qu’elles appuient un oléoduc, par exemple. Ce ne sont pas des conversations faciles, et rien n’est blanc ou noir. Je veux toujours dire aux gens que le monde n’est pas blanc et noir. Le monde est rempli de nuances. Si nous cessons d’appliquer cette façon de penser à l’économie, et que nous commençons à envisager une approche équilibrée pour bâtir une économie, nous ne prendrons pas avidement toutes les ressources et nous ne les extrairons pas d’une façon qui endommage l’environnement. Par conséquent, je pense que nous devons penser à ce que sera l’économie dans 100 ans ou 200 ans, et penser à la direction qu’emprunte cette économie, et à la façon de s’y prendre pour faire en sorte qu’elle nous permette de continuer de vivre en tant qu’êtres humains sur la planète. Parce que la terre va survivre, mais nous, peut-être pas.
Le sénateur Patterson : Merci, madame Archibald, et merci à vous deux de ces exposés très visionnaires.
J’ai été très heureux de voir que vous avez commencé par le développement économique, parce que, comme vous le savez, je viens d’un territoire qui ferait l’envie des Métis. Les Inuits sont propriétaires de 18 % du Nunavut, lequel correspond à 20 % du Canada. On leur garantit une part des recettes de l’exploitation des ressources. Ce sont eux qui gèrent le processus de réglementation. C’est ainsi que cela devrait être dans le pays, comme vous le dites.
J’aimerais seulement dire que notre comité, et j’en fais partie depuis presque 13 ans, est vraiment intéressé par le développement économique des Premières Nations. Nous l’avons montré en travaillant, jusqu’à maintenant, en très étroite collaboration avec le Conseil de gestion financière des Premières Nations, la Commission de la fiscalité des premières nations, Harold Calla et Manny Jules.
Comme vous le savez, ils ont fait un travail colossal au chapitre de la gouvernance à l’aide du Conseil de gestion financière, ou CGF. Ils ont milité fortement en faveur d’un partage des infrastructures. Ils ont obtenu du financement d’une tierce partie, sachant que le gouvernement ne peut pas tout faire. Ils ont envisagé la possibilité de remplacer les syndics des bandes sous tutelle plutôt que les cabinets comptables dont les services ont été retenus.
Manny Jules nous a dit récemment qu’il a conclu un accord avec Finances Canada afin que les recettes associées au secteur du cannabis soient partagées. J’en viens à une question.
Oui, le CGF des Premières Nations a fait pression sur le gouvernement pour qu’il monétise les subventions et les contributions, comme le disait le sénateur Arnot, de sorte que vous ne passiez pas d’une année à l’autre, mais que vous puissiez les monétiser et obtenir un financement à long terme.
Nous avons donc fait beaucoup de progrès. Nous avons amélioré la législation. Je veux simplement savoir si, dans le cadre de votre table nationale sur la prospérité, vous allez vous appuyer sur ce que le CGF et la Commission de la fiscalité des premières nations ont fait pour progresser dans ce domaine?
Mme Archibald : Je ne dirais pas que nous allons nous appuyer là-dessus. C’est certainement quelque chose que nous examinerions en tant que modèles qui ont été produits jusqu’ici.
Ce dont je parle, c’est la vision que nous avons pour cette table, c’est en fait — comme l’a dit le sénateur Arnot — de remplir ces obligations en vertu du traité et en ce qui concerne nos droits inhérents. Il s’agit donc d’un processus plus vaste, plus grand. Il ne s’agit pas seulement de cette société-ci ou de cette société-là qui s’occupe de certains secteurs de l’économie. C’est un processus plus large.
Le sénateur Patterson : Le CGF des Premières Nations travaille avec les bandes, en fait.
Mme Archibald : Oui.
Le sénateur Patterson : Vous parlez d’une approche beaucoup plus globale de la prospérité.
Mme Archibald : Oui, exactement. Vous avez mentionné qu’il y a une chose dans la proposition qui concerne le financement. Nous avons besoin d’un investissement dans le développement économique. C’est important. Nous avons besoin d’un fonds pour les entrepreneurs, que nous n’avons pas à l’échelle nationale.
Nous avons besoin d’un fonds de partenariat pour les Premières Nations qui vont s’associer à des projets, qu’il s’agisse de projets d’exploitation des ressources ou de projets immobiliers. Nous avons besoin d’un fonds de partenariat.
Le sénateur Patterson : La Banque de l’infrastructure du Canada avait prévu une partie pour les projets autochtones. Est‑ce quelque chose que vous envisagez, ou est-ce que ce serait un début?
Mme Archibald : Oui. Je voulais terminer une autre chose que vous avez mentionnée, soit un fonds d’actions. Les Premières Nations, en raison de la façon dont la Loi sur les Indiens nous touche, n’ont pas la capacité d’emprunter. Nous devons trouver des capitaux propres grâce à la table sur la prospérité.
Je veux vous raconter, encore une fois, mon expérience. Nous avons reçu 250 000 $ pour négocier nos accords forestiers. Ces accords forestiers valent 500 millions de dollars sur une période de 20 ans. Nous avons pris 250 000 $ et les avons transformés en 500 millions de dollars. C’est l’investissement que le Canada doit faire dans le développement économique.
Pour chaque dollar, il y a un rendement de l’investissement de 1 000 %. Les montants qui sont investis ou réservés aux Premières Nations pour le développement économique sont incroyablement bas.
Avec les ressources appropriées, nous pourrions en fait créer une dynamo économique, pour ainsi dire, qui travaillerait avec nos partenaires, c’est-à-dire tout le Canada en fin de compte.
Le sénateur Patterson : C’est bien.
Le CGF a fait exactement cela. Il a certifié des bandes et élaboré de bons modèles de gouvernance pour organiser des financements et des obligations de première classe et à faible taux d’intérêt.
Ce que j’espère, c’est que vous allez faire participer le CGF et la Commission de la fiscalité, parce que ces institutions sont très respectées et qu’elles ont une oreille attentive à Ottawa. Elles ont apporté un certain nombre d’améliorations à la loi au fil des ans; des petits pas, j’en conviens.
J’espère que leur expérience pourra soutenir votre effort national en vue d’en faire plus, parce que, à mon avis, les ressources autonomes sont synonymes d’indépendance. Personne ne veut dépendre du gouvernement.
Je vous souhaite bonne chance.
Mme Archibald : Merci.
Le président : Merci, sénateur Patterson.
Nous avons le temps pour une autre question de la sénatrice Martin.
La sénatrice Martin : Le sénateur Arnot a posé une de mes questions au sujet de l’éducation, qui m’enthousiasme beaucoup. Votre réponse a été très éclairante.
Monsieur Patterson, c’est aujourd’hui que j’ai amorcé une rencontre avec Manny Jules, et je viens de rencontrer Geordie Hungerford, le PDG du CGF. Je veux me faire l’écho de ce que vous avez dit. Je crois que nous avons devant nous deux chefs de file visionnaires. Nous avons entendu beaucoup de choses aujourd’hui.
Madame Caron, quelle incidence l’Accord Canada-Nation métisse a-t-il eue sur la relation entre le Ralliement national des Métis et le gouvernement fédéral?
Mme Caron : J’ai été évaluatrice dans ma vie antérieure. Il serait fascinant de faire une évaluation pour comprendre exactement toutes les répercussions que l’Accord Canada-Nation métisse a eues sur la nation métisse en particulier.
D’après ce que je peux voir, d’après ce que je sais, l’investissement que nous avons été en mesure de négocier au moyen de ce processus de mécanisme bilatéral permanent a soutenu de manière importante nos communautés. Il a soutenu de manière importante les citoyens sur le terrain dans nos communautés.
C’est intéressant, parce que cela s’est produit juste après la décision Daniels en 2016, où il a enfin été décidé ou déclaré que les Métis relèvent de l’obligation fiduciaire du Canada. Il y a eu cette patate chaude sur le plan des compétences jusqu’en 2016. Nous sommes vraiment loin derrière nos parents, les Premières Nations et les Inuits également.
L’Accord Canada-Nation métisse a suivi de près la décision Daniels. À partir de là, nous étions vraiment ici. Nous avons monté en flèche très rapidement à cause de cela. Mais c’est aussi grâce à la décision Daniels que nous avons pu entamer les négociations avec le gouvernement fédéral.
Nous avons vu des investissements importants. Nous avons fait des progrès importants. Il nous reste encore beaucoup à faire. Nous avons hâte de poursuivre le processus avec le Canada pour négocier ces investissements, mais aussi pour poursuivre les conversations sur l’élaboration et la mise en œuvre de politiques au sein du gouvernement fédéral qui vont vraiment toucher les Métis, pour nous assurer qu’il y a toujours cette optique fondée sur les distinctions qui est appliquée à la législation, aux politiques à mesure que nous avançons, parce que c’est vraiment essentiel pour s’assurer que les perspectives des Métis sont entendues, qu’elles sont connues et que nous le faisons en partenariat.
Le président : Merci, sénatrice Martin.
Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant terminé. Encore une fois, je tiens à exprimer ma sincère gratitude à la cheffe nationale Archibald et à la présidente Caron pour s’être jointes à nous aujourd’hui.
Je rappelle à tout le monde que nous allons continuer d’entendre des témoins qui pourront éclairer et orienter notre comité dans ses travaux.
Pour notre prochain groupe de témoins, je souhaite la bienvenue à Carol McBride, présidente, et à Sarah Niman, conseillère juridique, de l’Association des femmes autochtones du Canada. Wela’lin, et merci de vous joindre à nous ce soir. Vous aurez environ cinq minutes pour présenter une déclaration liminaire, qui sera suivie d’une séance de questions et de réponses d’environ cinq minutes par sénateur. En raison des contraintes de temps, veuillez garder les échanges brefs et précis.
Carol McBride, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour, honorables sénateurs et sénatrices. Je m’appelle Carol McBride et je suis la nouvelle présidente élue de l’Association des femmes autochtones du Canada. Je tiens à souligner que nous nous réunissons sur le territoire non cédé et non soumis de la nation algonquine anishinabe, ma patrie. Meegwetch d’avoir invité l’AFAC à comparaître ce soir. Dans mon exposé, lorsque je fais référence aux femmes autochtones, je parle des femmes, des filles, des personnes bispirituelles, transgenres et de genre différent que l’AFAC aide à améliorer par son travail.
Au début de mon mandat, je me suis engagée à militer pour que les 231 appels à la justice lancés par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ou FFADA, soient mis en œuvre par tous les ordres de gouvernement. L’AFAC fait sa part pour mettre fin à ce génocide. Notre unité du FFADA gère le projet Safe Passage, une carte interactive qui permet de suivre les cas et les expériences dangereuses signalés par la communauté. La collecte de données du FFADA de l’AFAC contribue à éclairer notre travail et documente les réalités des femmes autochtones partout au pays. Malheureusement, l’équipe ajoute régulièrement des incidents de risque et de décès sur la carte. Nous avons tous du travail à faire pour mettre fin à ce génocide afin que nos prochaines générations aient un avenir plus sûr.
Je me suis également engagée à lutter pour l’égalité d’accès à des possibilités de formation, à l’éducation, aux soins de santé, aux soins de santé mentale et au logement pour les femmes autochtones et leurs enfants. Les traumatismes intergénérationnels causés par la colonisation continuent de faire du tort à notre peuple, et nous devons continuer d’offrir du soutien pour nous réapproprier notre pouvoir et notre place en tant que matriarches de nos nations. L’AFAC, qui travaille à l’échelle nationale et avec nos associations membres provinciales et territoriales, a augmenté la présence des femmes autochtones sur le marché du travail. Notre incubateur d’entreprises #BeTheDrum aide les femmes autochtones à développer des réseaux pour faire croître leurs entreprises. Notre Programme de formation pour les compétences et l’emploi destiné aux Autochtones et notre programme national d’apprentissage offrent aux femmes autochtones des possibilités d’acquisition de compétences et de formation professionnelle afin qu’elles puissent quitter leur emploi de premier échelon et faire carrière dans la population active.
Nous améliorons les résultats en matière de santé des femmes autochtones en luttant contre le racisme dans les soins de santé. Nous décolonisons les expériences de maternité, les approches à l’égard du vieillissement et de la démence, l’éducation sur le cannabis et la promotion des pratiques alimentaires et agricoles traditionnelles. Nous aidons les femmes à retrouver leur autonomie corporelle.
Le projet Génération pour l’Égalité de l’AFAC met à l’essai un programme intense de guérison et d’autonomisation pour les survivants de la traite des personnes et les personnes vulnérables à l’exploitation sexuelle.
De plus, dans le cadre de notre modèle de rétablissement national, l’AFAC a établi un centre de résilience au Québec, et un autre est en cours de construction au Nouveau-Brunswick.
L’AFAC est très préoccupée par la stérilisation forcée et les pratiques d’alerte des naissances qui ciblent les femmes autochtones. Il n’y a pas de place dans la réconciliation pour un système de santé qui traite les femmes autochtones de cette façon. De même, le racisme au sein du système de justice pénale entraîne des taux disproportionnés d’incarcération de nos femmes.
L’AFAC décolonise la santé des femmes dans les établissements carcéraux fédéraux avec son projet Walking the RED Path, une série d’ateliers sûrs sur le plan culturel et axés sur les traumatismes. Il s’agit d’une source de soutien, mais tout le système de justice doit s’efforcer de se réconcilier avec les femmes autochtones.
L’AFAC travaille sur des projets de défense des droits et autres pour éliminer le racisme dans la Loi sur les Indiens. Je suis enthousiaste à l’égard du travail que fait l’AFAC pour façonner la manière dont le Canada met en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada est en train d’élaborer son plan d’action pour harmoniser ses lois avec la DNUDPA. Cela donnera vie aux promesses de réconciliation du Canada, parce que la DNUDPA garantit notre droit à l’autodétermination.
La promotion de l’autodétermination et de l’équité des femmes autochtones exige l’application d’une analyse intersectionnelle sexospécifique et pertinente sur le plan culturel à tout projet de loi, à toute question ou à toute décision ayant une incidence sur les femmes autochtones. Cette approche reconnaît la diversité des identités, des expériences et des besoins des femmes autochtones et valorise nos modes de connaissance uniques.
Le Canada entretient une relation cruciale avec l’AFAC, cimentée par l’accord Canada-AFAC et révélée par les relations que nous entretenons les uns avec les autres dans des occasions comme aujourd’hui. Pour que le Canada honore sa relation avec l’AFAC, il doit continuer de nous inclure dans les décisions qui touchent les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones. L’AFAC honore cette relation en faisant part de ses expériences et en recommandant des moyens pour le Canada de démanteler les systèmes qui continuent de nous nuire.
Sur ce, honorables membres, je tiens à vous remercier. Meegwetch.
Le président : Wela’lin, merci, madame McBride.
Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à tout le monde dans la salle de ne pas se pencher trop proche du microphone ou de retirer son oreillette avant de le faire.
Nous allons maintenant passer aux questions.
Le sénateur Arnot : Merci, madame McBride, de votre exposé et d’être venue aujourd’hui nous aider dans notre travail. Y a-t-il une ou deux priorités dans votre travail à l’égard desquelles le Sénat pourrait vous aider?
Mme McBride : Après avoir fait partie de l’AFAC pendant les trois derniers mois, je vois que ma priorité est la guérison. La guérison doit avoir lieu dans toutes nos collectivités. En ce moment, d’un océan à l’autre, nous souffrons tous. Nos jeunes se tuent à gauche et à droite, et c’est pour une raison. Je pense que c’est un traumatisme intergénérationnel. Nous commençons à en ressentir vraiment les effets. C’est une priorité pour moi.
Je suis cheffe depuis de nombreuses années et je sais comment les femmes souffrent. C’est un autre aspect de la direction que j’aimerais prendre : donner les outils à nos femmes pour qu’elles puissent faire partie de la main-d’œuvre, de la société. Cela aura une grande incidence sur leur famille pour ce qui est des possibilités d’emploi, du logement et de tout ce qui pourrait apporter une meilleure qualité de vie à leur famille.
Ce sont mes priorités, et je suis très fière de dire qu’elles sont partagées par toutes les associations provinciales et territoriales membres, ou APTM, que je représente.
Le sénateur Arnot : Nous avons examiné les dispositions relatives à l’inscription en vertu de la Loi sur les Indiens et l’iniquité qui persiste à cet égard. Avez-vous des commentaires par rapport à ce que nous, en tant que Sénat devrions faire pour essayer de faire avancer les choses? Je sais que vous avez eu des discussions avec la ministre des Services aux Autochtones. Je me demande où vous en êtes à ce sujet et ce que vous pensez que nous pouvons faire pour mieux faire avancer cette partie de votre programme.
Me Sarah Niman, conseillère juridique, directrice adjointe des services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Notre unité juridique vient d’achever plus d’un an d’études approfondies avec nos membres de la base, leur demandant ce que nous pouvons faire concrètement pour corriger les iniquités qui subsistent dans la Loi sur les Indiens sans avoir à intenter des poursuites contre le gouvernement pour chaque petit pas en avant.
Ce que nous avons conclu, c’est qu’au lieu d’adopter une approche fragmentaire, d’éliminer une à une les iniquités qui subsistent, il faut apporter un changement ambitieux et modifier de fond en comble les dispositions relatives à l’inscription afin qu’elles cessent de diviser les familles en fonction de dates de naissance, de seuils ou de limites liées à la deuxième génération arbitraire, car il n’est pas juste pour les parents de regarder leurs jeunes enfants et de devoir leur expliquer que, en raison de leur date de naissance, ils n’ont pas droit aux mêmes choses que leurs cousins. Cela n’a aucun sens sur papier ou dans le cœur des familles.
L’autre chose que nous constatons dans les dispositions relatives à l’inscription, c’est que le libellé est très alambiqué. Lorsque les gens essaient de comprendre quels sont leurs droits en vertu des dispositions relatives à l’inscription, il est très difficile de les interpréter, même s’ils ont accès à des services juridiques, et de comprendre quels sont leurs droits.
Le gouvernement le sait et l’a entendu, et nous demandons aux sénateurs du comité, dans le cadre de leur travail, de rappeler à tous que l’obligation au cœur de tout cela est de faire progresser la réconciliation, et non pas de se retrouver dos au mur et de devoir se faire dire, poursuite après poursuite, qu’il faut éliminer les iniquités restantes. La voie à suivre sera celle de la DNUDPA et de ce qu’elle dit au sujet des droits à l’autodétermination des membres.
La sénatrice Coyle : J’allais en fait poser cette dernière question.
D’abord, j’aimerais vous remercier toutes les deux d’être avec nous ce soir. Pourriez-vous, madame McBride, nous parler un peu plus de ces centres de résilience que vous avez mentionnés, celui qui est déjà au Québec et celui qui s’en vient au Nouveau-Brunswick? J’aimerais mieux comprendre cela.
Mme McBride : Ce sont des pavillons qui sont utilisés comme lieu de guérison pour les familles. Je sais que, au Québec, il y a différentes personnes qui contribuent au processus de guérison. Les familles ou les femmes peuvent s’y rendre et obtenir le soutien dont elles ont grandement besoin, selon le type de guérison qui leur est offert.
Nous avons besoin de beaucoup plus de ressources financières que ce que nous avons actuellement, mais ce que nous aimerions voir, c’est des pavillons de ressourcement partout, au moins un par province, pour aider à la guérison.
Comme vous le savez, beaucoup de nos organismes provinciaux n’ont pas de lieux de guérison. Quelles que soient leurs priorités en matière de guérison, ce serait à eux de déterminer comment le processus de guérison se déroulerait dans ces pavillons de ressourcement.
La sénatrice Coyle : Merci. Est-ce que celui dont vous parlez au Québec se trouve tout près d’ici?
Mme McBride : À Chelsea?
La sénatrice Coyle : Oui. J’ai vu des photos. Il a l’air incroyable. Cela ressemble à un endroit de calme, de sérénité et de communion avec la nature.
Pouvez-vous nous expliquer comment il est utilisé en ce moment? C’est assez récent.
Mme McBride : Oui, il l’est. En ce moment, des personnes y sont engagées pour aider au processus de guérison. Une personne pourrait y aller et obtenir les soutiens dont elle a besoin. C’est un endroit magnifique. Vous pouvez pratiquer des activités culturelles, il y a des bains, toutes sortes d’activités d’artisanat et de choses que vous pouvez faire. Il y a aussi une piscine que les gens peuvent utiliser pour la guérison physique. Il y a des aînés qui peuvent donner une orientation et des conseils.
Nous venons de commencer. Pouvez-vous imaginer comment les choses vont se dérouler dans quelques années et ce que nous pourrons offrir à nos gens?
La sénatrice Coyle : Vous envisagez d’en créer dans tout le pays?
Mme McBride : C’est exact. Celui du Nouveau-Brunswick, je pense, ressemble à une ferme, et ils feront des plantations et des choses comme cela. Il y aura d’autres aspects de ce qui peut être fait là-bas.
Tout le processus consiste à se guérir soi-même, à obtenir ce soutien et à avoir quelqu’un à qui parler, des choses comme cela.
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter?
Me Niman : Vous l’avez bien couvert.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.
Le président : Pour faire suite à la question précédente du sénateur Arnot, nous avons entendu dire que le gouvernement fédéral ne veut pas aller de l’avant avec des questions comme le seuil de la deuxième génération, parce qu’il veut procéder à davantage de consultations.
Êtes-vous d’accord pour dire qu’une consultation plus poussée est nécessaire, ou avons-nous déjà une feuille de route pour régler tous les cas de discrimination qui subsistent dans la Loi sur les Indiens?
Me Niman : Je pense que, à ce stade — je vais aller de l’avant et répondre parce que nous avons étudié la question — toute voie d’avenir doit s’inscrire dans notre relation de nation à nation. Toute voie à suivre doit supposer une consultation avec les personnes qu’elle touche.
Je pense que nous nous rendons compte aujourd’hui qu’il y a eu des consultations, cycle après cycle, au sujet des iniquités restantes. Nous savons ce qu’elles sont. Nous savons comment elles fonctionnent et nous savons ce que nous pouvons faire pour y mettre fin.
Ce dont nous avons besoin, c’est de l’ambition et de la volonté politique pour les soutenir. C’est une grande entreprise que de défaire ce qui constitue plus d’un siècle de politiques d’assimilation, mais je pense que, au cœur de tout cela, jusqu’à ce que cela s’arrête, les résidus des visées assimilationnistes sont toujours intégrés dans la loi. Ils continuent d’éliminer le nombre de personnes, d’une génération à l’autre, qui peuvent revendiquer leur appartenance de la manière reconnue par le gouvernement.
Oui, la consultation est importante, mais l’AFAC ne veut pas qu’elle soit une autre barrière ou un autre obstacle à des progrès concrets. Les consultations devraient être des conversations avec des résultats productifs.
Le président : Je vous remercie. Diriez-vous que l’approche fragmentaire n’a pas été efficace jusqu’à présent?
Me Niman : L’approche fragmentaire n’est pas efficace.
Lorsque vous haussez la barre de plus en plus, au rythme où ça se fait, les générations continuent d’attendre une équité que leurs grands-mères et leurs arrière-grands-mères espéraient voir de leur vivant et qui n’existe tout simplement pas.
Le président : Merci.
[Français]
La sénatrice Audette : Nous faisons partie de la génération où ma mère a été expulsée de sa communauté pour avoir épousé le plus beau Québécois, et des histoires comme la nôtre sont encore malheureusement très présentes. Certaines personnes sont en train de mourir et leurs droits ne leur ont jamais été rendus ou n’auront jamais été respectés.
Y a-t-il une réflexion de la part des femmes, au Canada, en vue d’entreprendre un recours collectif contre le gouvernement fédéral en raison de la Loi sur les Indiens, parce qu’on va perdre notre statut?
Lorsque j’étais présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), j’avais le privilège, le droit ou la responsabilité de m’asseoir avec des organisations nationales, le gouvernement fédéral et toutes les provinces, pour discuter de la condition féminine, de la justice et de divers dossiers relevant de différents paliers de gouvernement. Je comprends que l’AFAC n’a plus ce siège, depuis 2016 peut-être. Que s’est-il passé? Trouvez-vous important de retrouver cette voix au sein de divers paliers de gouvernement et d’organisations nationales?
[Traduction]
Mme McBride : Assurément, je trouve qu’il est important que nous participions à cette discussion. Récemment, nous avons reçu un peu de financement pour pouvoir reprendre les discussions concernant la Loi sur les Indiens, et nous espérons pouvoir faire avancer les choses et reprendre là où elles ont été laissées. C’est certain. J’espère que les femmes — tout comme votre mère ou votre grand-mère — pourront enfin obtenir cette reconnaissance dont elles ont grandement besoin, mais pas cruellement besoin.
Je me souviens d’avoir travaillé — je n’étais qu’une jeune fille à l’époque — avec Mary Two-Axe Earley, et il y a eu des améliorations, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir.
Assurément, avec le peu de ressources que nous avons obtenues pour examiner la Loi sur les Indiens, encore une fois, j’espère obtenir beaucoup plus de clarté sur ce qui se passe à l’échelle du pays et sur les réactions de nos femmes.
Maître Niman, voulez-vous ajouter quelque chose également?
Me Niman : Votre première question, je pense, était de savoir si oui ou non l’AFAC poursuivrait l’option juridique d’un recours collectif pour en quelque sorte...
La sénatrice Audette : [Difficultés techniques]
Me Niman : Oui. À ce stade, l’AFAC ne croit pas que la voie à suivre soit davantage de litiges, pour dire les choses carrément. Nous avons vu les résultats de cette approche, et les défenseurs des droits des femmes autochtones qui nous ont précédés ont certainement fait des progrès — parfois au prix de grands sacrifices personnels — pour faire avancer les choses et accroître l’égalité des femmes autochtones.
Cela dit, cela nous amène à une autre option que la DNUDPA met de l’avant, à savoir l’esprit de réparation des préjudices passés. C’est quelque chose que l’AFAC a examiné dans le cadre de la Loi sur les Indiens. Une fois que nous reconnaissons que ces préjudices ont eu lieu, que les femmes ont été exclues de leur famille et qu’elles ont raté des occasions et continuent de rater des occasions de financement lorsqu’elles ne sont pas reconnues comme des membres à part entière, alors il y a une occasion pour le gouvernement d’offrir une initiative de réparation. Il s’agirait d’une solution de rechange à la recherche de réparation au moyen de règlements dans le cadre de recours collectifs.
C’est une option qui est sur la table. L’AFAC elle-même n’offre pas ce genre de services juridiques de première ligne, en engageant des poursuites de ce genre, mais ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu de la part des gens à qui nous avons parlé, c’est que le sentiment est davantage axé sur les recours et sur le redressement des torts passés. Ce serait beaucoup plus gratifiant pour la relation entre les femmes autochtones et le Canada à l’avenir et dans un esprit de réconciliation, que ces préjudices soient reconnus et réparés.
La sénatrice Audette : Et la deuxième question?
Me Niman : En ce qui concerne votre deuxième question au sujet de notre inclusion à la table, je pense que Mme McBride a dit oui, nous devons nous asseoir à ces tables et faire entendre notre voix, car les expériences des femmes autochtones sont distinctes de celles des hommes autochtones.
Lorsque l’on se contente par défaut de chercher à obtenir le point de vue des Autochtones sur des enjeux, qu’il s’agisse de justice ou de soins de santé, lorsque la perspective autochtone d’une femme est exclue de l’équation, nous savons, d’après les 700 pages et plus du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, que cette exclusion a des conséquences désastreuses et violentes. Nous pouvons examiner nos établissements carcéraux qui sont remplis de plus de la moitié des femmes autochtones à l’échelon fédéral et voir les conséquences de l’exclusion de la perspective des femmes autochtones. Les enjeux sont très élevés lorsque les femmes autochtones sont exclues même des conversations gouvernementales de haut niveau. L’effet de retombée est évident, et nous pouvons tous le constater.
La sénatrice Audette : Merci.
La sénatrice Coyle : J’ai énormément de questions, car votre travail est tellement important. La première concerne les services offerts aux femmes autochtones au Canada. Je me demande ce que vous faites pour les femmes autochtones dans les collectivités urbaines, rurales et dans les réserves. Comment réussissez-vous à servir ce très grand groupe de femmes qui font partie de l’AFAC?
Me Niman : L’AFAC représente la voix des femmes autochtones, y compris les filles, les personnes aux diverses identités de genre, les personnes transsexuelles et les personnes bispirituelles. Cela inclut les Premières Nations, les Inuits, les personnes vivant dans les réserves ou hors des réserves, les personnes inscrites et non inscrites.
En pratique, et je pense que c’est ce que vous demandez, comment pouvons-nous nous assurer que ces voix sont entendues? L’une des choses que nous avons trouvées les plus efficaces, et honnêtement, il s’agit d’un sous-produit de la pandémie, a été la possibilité d’une participation virtuelle. Cela ne veut pas dire que les mobilisations, les discussions et les rassemblements en personne et sur le terrain ne sont pas importants. Ils sont très importants.
Mais le passage au domaine virtuel durant la pandémie nous a montré que nous avons l’occasion de nous connecter, au moyen d’appareils, avec des personnes beaucoup plus diversifiées. Cela signifie que nous pouvons entendre et obtenir des commentaires précis de la part de jeunes ayant diverses identités de genre sur un sujet qui, nous le savons, aura une incidence sur eux. Parfois, nous appelons cela le « train souterrain des grands-mères », et nous demandons « Qui connaissez-vous? » C’est de cette manière que nous faisons participer les gens à nos conversations. Ainsi, lorsque nous devons définir une position ou une voie à suivre sur une certaine question, nous avons le sentiment que cette perspective représente réellement toutes les personnes que nous cherchons à représenter.
Les limites de cette méthode, bien sûr, sont que lorsqu’il y a des collectivités qui n’ont pas accès à un Internet fiable, nous n’avons pas toujours l’occasion de les entendre. Nous devons alors trouver des solutions de rechange. Je dirais que notre engagement jusqu’à maintenant, que nous avons pu mener au cours des deux dernières années et plus, a élargi notre portée et notre accès au niveau de la base grâce aux appareils et aux écrans.
Mme McBride : Je sais pour ma part que, depuis que je suis présidente, j’ai une communication claire avec toutes les APTM du pays. En fait, il faut deux communications par semaine pour obtenir des mises à jour et les informer de ce qui se passe. Nous sommes vraiment un organisme communautaire. Nous voulons vraiment entendre le point de vue de nos APTM et les aider à défendre leurs intérêts.
La sénatrice Coyle : Il s’agit simplement de m’instruire ou de me rappeler... Je devrais connaître la réponse à ces questions. En ce qui concerne la relation entre l’AFAC et les deux organisations qui ont comparu devant vous, ainsi que l’Inuit Tapiriit Kanatami, je sais qu’il y a aussi une association de femmes inuites, pouvez-vous parler de votre relation avec ces autres organismes nationaux?
Mme McBride : Je ne peux répondre qu’à des questions sur ce que je fais en tant que présidente. Je bâtis des relations. Je veux travailler avec l’Assemblée des Premières Nations, ainsi qu’avec les Métis. C’est ce que je fais : j’établis ces ponts avec ces organisations également.
Je trouve malheureux ce que j’ai vécu au cours du dernier mois environ, à savoir l’exclusion de l’AFAC de différentes tables, et je ne trouve pas cela juste. Nous sommes les détenteurs de beaucoup de bons renseignements qui seraient très pertinents pour ces tables, pour ces questions, et nous avons été exclus. Je ne trouve pas cela juste.
La sénatrice Coyle : Merci. Je me suis posé la question.
Le sénateur Patterson : Madame McBride, vous avez commencé ce soir en disant que vous vouliez que les 231 appels à la justice de l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées soient mis en œuvre. Vous avez parlé de votre unité de documentation des FFADA, et j’aimerais vous poser une question à ce sujet. En vous entendant dire que vous faites le suivi des tristes incidents de décès, je me suis rappelé, la mère de dix enfants de ma collectivité d’origine qui a été retrouvée à Vanier il y a trois jours après avoir été disparue pendant cinq ans. Donc, cela se produit, ce n’est pas fini, et nous devons continuer de faire la lumière sur ces tragédies, et il y en a beaucoup d’autres, comme nous le savons tous.
Vous disposez de renseignements importants. Sont-ils accessibles au public? Pourraient-ils être communiqués? Je sais que les choses évoluent constamment. Le comité pourrait-il avoir un aperçu de la situation? Je vous en suis vraiment reconnaissant.
Mme McBride : Oui, cette information est disponible, et on la fournit à un endroit où vous pouvez aller, et elle est là pour tous.
Elle identifie également les zones dangereuses. C’est petit, mais il s’agit de savoir où vous pouvez vous déplacer en sécurité, que ce soit en taxi ou autrement... ce qui permet de donner beaucoup de bons renseignements pour vous aider.
Le sénateur Patterson : Pourriez-vous transmettre cette information au comité par l’entremise de la greffière?
Mme McBride : Oui.
Le sénateur Patterson : Je pense que nous vous en serions reconnaissants. Puis-je poser une autre question? Excusez mon ignorance, mais vous avez parlé de stérilisation forcée, et un comité de notre Sénat étudie cette question, comme vous le savez. Mais je n’ai pas entendu parler du programme d’alerte des naissances. Je crois comprendre qu’il s’agit d’un mauvais programme. Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, s’il vous plaît?
Mme McBride : Selon ce que je comprends — et vous pouvez aussi m’aider — c’est que si l’aide sociale sait que vous êtes une mère qui a un enfant et que vous avez peut-être des problèmes, financiers ou autres, l’hôpital alerte l’aide sociale, puis elle vient chercher l’enfant. On appréhende le bébé.
Le sénateur Patterson : Je vois. J’en ai entendu parler.
Mme McBride : C’est terrible, selon les circonstances. Comme nous le savons tous, lorsqu’un enfant est appréhendé, on devrait lui offrir de l’aide au lieu de l’emmener. Je parle en tant que mère maintenant et en tant que grand-mère. Je pense qu’il y a d’autres moyens de protéger cet enfant.
Le sénateur Patterson : Bien sûr. Vous avez mentionné la stérilisation forcée. Est-ce une question d’actualité?
Mme McBride : Oh, mon Dieu. Je dois vous parler de ma réaction lorsque j’ai lu les rapports.
J’ai été choquée de découvrir que cela se pratique encore aujourd’hui. C’est horrible. Tout médecin ou toute infirmière qui fait cela à nos femmes devrait être considéré comme un criminel.
J’ai remarqué une chose lorsque je lisais le rapport, c’est qu’ils font cela lorsque les femmes sont en travail forcé ou sur le point de craquer. Cela me dégoûte d’entendre ce qui se passe encore aujourd’hui. Il faut que cela cesse. Quelque chose doit être fait dans le système judiciaire pour rendre ces médecins et ces infirmières responsables de ce qu’ils font à nos familles.
Il y a des femmes qui ne savaient même pas qu’elles étaient stérilisées. Elles ont découvert plus tard qu’elles ne pouvaient plus avoir d’enfants. C’est horrible. Ça me bouleverse énormément.
Le sénateur Patterson : Merci beaucoup.
Le président : La sénatrice Pate vient de se joindre à nous. Bienvenue.
La sénatrice Martin : J’aimerais pouvoir vous demander de continuer de parler d’un sujet aussi sérieux et important.
Ma question porte simplement sur ce que vous avez dit au sujet de votre exclusion de différentes tables. Vous avez mentionné dans votre exposé l’Accord Canada-AFAC. Pourriez‑vous nous parler de la relation actuelle avec le gouvernement fédéral et des raisons pour lesquelles vous avez été exclus. Vous avez une voix très importante, alors j’essaie de comprendre. Y a‑t-il d’autres groupes qui sont invités plutôt que votre organisation? Vous semblez être un organisme-cadre, alors pourriez-vous préciser?
Mme McBride : Je ne suis ici que depuis trois mois, et peut‑être qu’il serait préférable que Me Niman réponde à cette question.
Me Niman : Vous avez raison de remarquer qu’il y a une divergence. Il existe un accord entre le Canada et l’AFAC qui décrit clairement ce à quoi cette relation est censée ressembler. Il s’agit d’une relation fondée sur l’inclusion et la promotion des perspectives particulières et uniques des femmes autochtones et sur un modèle d’exclusion.
Je ne crois pas qu’il soit utile de jeter le blâme ou de deviner pourquoi, si ce n’est de dire qu’il n’y a pas de limite au nombre de points de vue autochtones qui peuvent être communiqués à la table, de sorte que nous ne défendons pas une position selon laquelle nous devrions être là plutôt que n’importe qui d’autre, ou que quelqu’un prend notre place. J’hésiterais à deviner la raison de cette exclusion; je ne sais pas s’il s’agit d’un oubli ou d’autre chose.
Tout ce que je peux dire, c’est que les raisons pour lesquelles la voix des femmes autochtones doit être incluse sont bien connues et, comme nous l’avons dit, sont toutes enregistrées. Nous n’avons pas besoin d’y revenir. Et nous avons demandé à plusieurs reprises au gouvernement fédéral de revenir à l’accord entre le Canada et l’AFAC et d’honorer ses promesses, car c’est bien de cela qu’il s’agit.
La sénatrice Martin : Quand l’exclusion a-t-elle commencé?
Me Niman : C’est une tendance. Ce n’est pas une tendance constante. Parfois, nous sommes inclus pour participer et faire entendre notre voix, communiquer nos points de vue et nos connaissances. Mais parfois, nous ouvrons simplement le journal et voyons qu’une table s’est réunie, ou qu’un comité s’est réuni, ou qu’une table ronde a eu lieu, et nous nous demandons : « Eh bien, comment peuvent-ils trouver une solution qui améliorera la vie des femmes autochtones alors qu’ils n’ont pas demandé cette perspective? »
Comme nous l’avons dit, lorsqu’il y a une approche neutre à tous les niveaux et qu’on se borne à dire « Obtenons les points de vue des Autochtones », c’est ce que nous appelons dans la loi une approche formelle en matière d’égalité. Cela suppose simplement que si vous traitez tout le monde de la même façon, tout le monde subira les mêmes répercussions.
Ce que nous préconisons, c’est une approche fondée sur l’égalité, ce qui signifie que lorsque vous reconnaissez que les expériences des femmes autochtones les rendent plus vulnérables à l’exclusion et les privent de tout pouvoir, vous devez en conséquence faire plus d’efforts pour aller chercher leurs voix.
Mme McBride : Prenez par exemple la table de la justice; elle vient de tenir sa réunion il y a quelques semaines. Dès que j’ai appris que cette table était en train de se former, ou que les gens se réunissaient, j’ai appelé le bureau du ministre Lametti pour savoir pourquoi l’AFAC n’était pas concernée ou invitée. On ne m’a jamais rappelée.
Il n’y a pas longtemps, j’ai reçu un appel me disant qu’il souhaitait nous rencontrer, alors j’attends cette rencontre avec impatience. Je n’aime pas fermer les portes à qui que ce soit; je veux être un partenaire de ces tables importantes. Je pense que nous avons beaucoup à offrir.
Le président : Le temps alloué au groupe de témoins est maintenant terminé. Je tiens à exprimer à nouveau ma sincère gratitude à Mme McBride et Me Niman, qui se sont jointes à nous ce soir.
(La séance est levée.)