LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 16 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je tiens d’abord à souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe et à lui exprimer notre gratitude pour le rôle qu’il a joué, qu’il continue et continuera de jouer en tant que gardien de ce territoire.
Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du comité.
Avant de commencer la réunion, j’aimerais demander aux gens dans la salle de ne pas trop s’approcher du microphone ou retirer leur oreillette lorsqu’ils parlent afin d’éviter les incidents de rétroaction acoustique qui pourraient incommoder notre personnel dans la salle.
Je demanderais maintenant aux membres du comité de se présenter en ayant soin de préciser la province ou le territoire qu’ils représentent.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, de l’Ontario.
Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.
Le président : Je vous remercie, chers collègues.
Dans le but d’éclairer et de guider ses futurs travaux, le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones invite des témoins à venir présenter leur travail et leurs priorités. Nous entendrons aujourd’hui, dans notre premier groupe de témoins, Elmer St. Pierre, chef national du Congrès des peuples autochtones, et Lorraine Augustine, cheffe et présidente du Conseil autochtone de la Nouvelle-Écosse.
Le chef national St. Pierre fera une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses d’environ cinq minutes par sénateur. En raison de contraintes de temps, je vous prie d’être brefs et précis dans vos échanges. Afin d’éviter d’avoir à interrompre qui que ce soit, je ferai voir ce carton une minute avant la fin de votre temps de parole.
J’invite maintenant le chef national St. Pierre à faire sa déclaration liminaire.
Elmer St. Pierre, chef national, Congrès des peuples autochtones : Merci. Avant de commencer, je voudrais signaler que nous nous réunissons aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je tiens aussi à rappeler aujourd’hui, anniversaire de son exécution, la mémoire de Louis Riel. Nous gardons de lui le souvenir d’un grand chef métis qui s’est sacrifié à la cause des Métis de l’Île de la Tortue.
Je m’appelle Elmer St. Pierre et je suis le chef national du Congrès des peuples autochtones. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au comité aujourd’hui. Je suis heureux de revoir ici beaucoup de visages familiers.
Depuis plus de 50 ans, le CPA défend les droits et les intérêts des membres des Premières Nations non inscrits ou inscrits hors réserve, des Métis et des Inuits du Sud. Nous sommes la voix nationale de 11 organisations provinciales et territoriales. De nos jours, plus de 80 % des Autochtones vivent hors réserve dans les régions urbaines, rurales et éloignées de l’Île de la Tortue.
Dans bien des cas, le CPA est la seule voix de ces communautés. Nous sommes le seul groupe à vraiment parler au nom de ces gens. Vous avez sans doute vu les données récentes de Statistique Canada qui montrent que 800 000 Autochtones ne sont pas affiliés aux trois organisations autochtones nationales, ou OAN, avec lesquelles le gouvernement choisit de travailler. Nous représentons un grand nombre de ces personnes.
Les priorités dont nous vous parlerons aujourd’hui sont axées sur leur inclusion et le soutien nécessaire pour répondre aux besoins urgents de nos communautés. Notre grande priorité, c’est la reconnaissance de nos droits, notamment le droit à l’autodétermination. Quand le gouvernement du Canada ne reconnaît pas nos les droits et l’existence de nos communautés, il nous exclut du champ d’application des lois, des politiques, des programmes et des services. C’est au cœur de tout notre travail au CPA.
Les programmes et services actuels ne sont pas offerts aux gens hors réserve et non inscrits qui constituent nos communautés. Cela accroît la marginalisation de nos gens, déjà les plus vulnérables, de ceux qui souffrent de traumatismes historiques causés par des politiques coloniales, exprimées dans la Loi sur les Indiens et d’autres, avec pour résultat que nos gens ne voient jamais d’améliorations quant aux problèmes de toxicomanie, de pauvreté et d’incarcération, à l’éducation, aux soins de santé, à l’emploi, aux services à la famille et à d’autres situations. Le gouvernement doit répondre à ces besoins particuliers.
Pendant des années, le gouvernement n’a pas reconnu les gens du CPA, et ce n’est qu’après 17 années de lutte que la question a été finalement tranchée par l’arrêt Daniels. Les Indiens non inscrits et les Métis sont effectivement des Autochtones au sens de la Constitution canadienne. À la suite de cette victoire, le gouvernement du Canada a signé un accord politique devant répondre aux besoins de nos communautés. Malgré cet accord, nous continuons d’être exclus des décisions stratégiques et de celles relatives à nos droits. Notre accord doit être mis en œuvre intégralement et sans délai.
Le comité a un rôle important à jouer pour régler ces problèmes. Nous vous demandons de veiller à ce que les droits des gens hors réserve soient garantis dans chaque texte législatif à l’étude. Nous vous exhortons à rejeter tout langage marquant des distinctions lorsqu’il sert à exclure le CPA et d’autres groupes. Le comité a mené à terme un important travail avec le projet de loi S-3, et nous vous félicitons d’avoir fait en sorte que la voix du CPA soit reflétée dans le rapport. Il faut s’attaquer au manque d’attention accordée aux questions rurales et urbaines, et nous demandons au Sénat de se pencher là-dessus.
Le projet de loi C-29 en est un bon exemple. Comme il n’est pas le fruit d’une élaboration conjointe, s’il était adopté aujourd’hui, le Conseil national pour la réconciliation exclurait nos gens et laisserait des milliers d’entre nous sans voix. Où est notre siège dans ce conseil? Cela n’est pas conforme à l’esprit des appels à la réconciliation de la Commission de vérité et de réconciliation, ou CVR. Nous devons discuter plus en détail du projet de loi avec le comité lorsqu’il en fera l’examen.
Malgré les obstacles qui se dressent devant nous, le Congrès des peuples autochtones continue de travailler fort dans l’intérêt des Autochtones laissés pour compte. Pendant la pandémie, nous nous sommes mobilisés et avons répondu aux demandes de nos communautés en offrant soutien et services à des milliers de personnes d’un océan à l’autre. Même s’il a fallu traîner le gouvernement du Canada devant les tribunaux pour obtenir ce soutien, le Canada et les organisations politiques ou territoriales, ou OPT, participent activement aux efforts de recherche, aux politiques et aux programmes pour les gens hors réserve et non inscrits. Malgré cela, nos communautés ont un besoin critique d’aide.
Des changements sont nécessaires. L’accès aux programmes existants et l’adoption d’une approche inclusive constituent la première étape. Il est essentiel de mettre en œuvre l’Accord politique Canada-Congrès des peuples autochtones, d’appliquer l’arrêt Daniels et de respecter les droits des Indiens non inscrits et hors réserve. Nous représentons un atout au Canada pour faire avancer l’effort de réconciliation, pour peu qu’il accepte de travailler avec nos communautés pour répondre à leurs préoccupations. Si nous voulons vraiment favoriser la réconciliation dans notre pays, tous les Autochtones doivent y participer. C’est la seule façon d’aller de l’avant.
Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé. Je serai heureux de répondre à vos questions. Meegwetch.
Le président : Merci, chef national.
Avant de passer aux questions, je rappelle à tous dans la salle de ne pas trop s’approcher du micro ou de retirer leur oreillette avant de parler.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de votre exposé.
Je ne vous ai pas bien entendu au début, lorsque vous avez dit représenter les Indiens non inscrits et inscrits, les Métis et, dans le Sud…
M. St. Pierre : Les Inuits du Sud.
Le sénateur Patterson : Les Inuits du Sud. D’accord. Comme je viens du Nunavut, cela m’intéresse. Il y a une organisation nationale, l’ITK qui, je crois, regroupe ceux qu’on appelle les Inuits du Sud, mais votre organisation s’en occupe-t-elle également?
M. St. Pierre : Oui. C’est Todd Russell qui en est le président. Il n’est pas — comment dire? — l’ITK ne représente pas ses gens.
Le sénateur Patterson : Merci de cette explication.
M. St. Pierre : Je vous en prie.
Le sénateur Patterson : Si vous me le permettez, vous avez parlé de la façon dont le langage marquant des distinctions laisse de côté les gens que le CPA représente. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, je vous prie?
M. St. Pierre : Au sein de notre organisation, nous avons ce que nous appelons une série de tables, celles de l’éducation, de la langue, de la justice, pour n’en nommer que quelques-unes. En discutant avec les bureaucrates ou les fournisseurs de services, ils nous disent que, dans le domaine de l’éducation, par exemple — c’est eux-mêmes qui le disent —, tout l’argent est canalisé vers les trois organisations autochtones nationales, soit le RNM, l’APN et l’ITK. Pour le CPA et nos gens partout au pays, les jeunes désireux de faire des études collégiales ou universitaires, il n’y a pas de financement. Il faut faire partie d’un des groupes distincts. Chaque fois que je parle, quand je participe à des réunions FPT où les trois autres organisations sont ordinairement présentes, c’est la première chose qui sort de leur bouche. Je parle avec simplicité et je parle avec mon cœur. Lorsque je parle, ils interviennent pour dire : « Oh, si vous vous basez sur des distinctions », ce qui signifie : « Au CPA, vous n’avez pas d’argent ou de ressources. » C’est exactement de cela qu’il s’agit, et c’est la formule que le gouvernement utilise.
Le sénateur Patterson : J’ai d’autres questions, mais je les arderai pour le deuxième tour, monsieur le président. Merci beaucoup.
Le président : Ma question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins. Selon vous, y a-t-il des sujets prioritaires qui pourraient être étudiés par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones? Si oui, veuillez expliquer. Je sais, monsieur St. Pierre, que vous en avez abordé certains. Madame Augustine, vous avez la parole.
Lorraine Augustine, cheffe et présidente, Conseil autochtone de la Nouvelle-Écosse, Congrès des peuples autochtones : Merci, monsieur le président. En effet, il y en a.
Je pense que le plus gros problème, surtout lorsqu’il est question de réconciliation et de la volonté du Canada de travailler avec tous les peuples autochtones, c’est que, malheureusement, les Indiens non inscrits et les Autochtones hors réserve sont exclus du processus. Nous n’avons pas été consultés. On ne nous a même pas parlé de réconciliation. La réconciliation est impossible sans tous les peuples autochtones. Tous doivent participer. Dans la DNUDPA, il est très clair qu’il s’agit de tous les peuples autochtones. Elle ne fait pas état du lieu de résidence — dans la réserve ou hors réserve — ni d’inscription ou de non-inscription. Elle dit simplement « peuples autochtones ». Je pense que nous devons être inclus dans le processus de réconciliation.
L’autre question d’importance, c’est nos traités. C’est très important.
Je ne cesse de parler de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, parce que nous avons le droit à l’autodétermination. Nous avons le droit à l’autonomie gouvernementale. On dit aussi que nous pouvons choisir l’organisme qui nous représente. Certains de nos gens parlent de notre électorat. Ils se rapportent à nous. Nous sommes là pour eux. Sur ce point, nous ne pouvons pas aller de l’avant parce que nous sommes complètement exclus. Parfois, on communique avec nous à des fins de consultation, mais c’est toujours une réflexion après coup. Je ne m’en plains pas, puisque c’est quand même une occasion de se faire entendre. Le problème, c’est qu’on communique avec nous dans certains domaines, mais qu’on ne nous écoute pas. Quand nous présentons quelque rapport ou décrivons nos besoins en tant qu’Autochtones vivant hors réserve, même dans les cas où on nous tend la main et où on se montre heureux de recueillir notre point de vue, celui-ci n’est pas reflété dans les rapports. Nous sommes donc exclus.
Je pourrais continuer longtemps, mais je suis sûre que vous avez d’autres questions auxquelles je pourrais répondre de façon plus complète.
Le président : J’ai une petite question qui pourrait éclairer le comité. Je sais ce que signifie le terme « non inscrit », mais je vous demanderais de nous l’expliquer pour que le comité comprenne mieux ce que cela suppose.
Mme Augustine : Certainement. En vertu de la politique coloniale appelée Loi sur les Indiens, un Indien non inscrit est celui dont le statut d’Indien n’est pas reconnu. Cela peut résulter d’un mariage. Je vais vous donner un exemple. Je suis une Indienne inscrite et j’ai épousé un non-Autochtone. De la façon dont la Loi sur les Indiens s’applique, mon fils est visé par le projet de loi C-31, ce qui signifie qu’il n’est qu’à moitié Indien. Ma petite-fille n’est pas admissible et est donc dite « non inscrite ». Bien qu’elle soit Autochtone, même si je vais m’assurer de lui transmettre les traditions et connaissances autochtones, aux termes de la politique coloniale du gouvernement fédéral appelée la Loi sur les Indiens, elle ne sera jamais une Indienne inscrite, à moins que les choses ne changent.
Le président : C’est une bonne explication. Je vous remercie, cheffe.
La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre témoignage de ce soir.
Vous avez mentionné à plusieurs reprises n’avoir pas été consultés et avoir été exclus. Votre organisation a-t-elle participé à l’élaboration de politiques gouvernementales et de lois?
M. St. Pierre : Non. Eh bien, je ne peux pas être aussi catégorique. On nous a accordé un total d’environ trois heures de consultation pour la DNUDPA. C’est tout. Nous avons appris par la suite que les trois autres organisations avaient bénéficié de six mois de consultations. Voilà qui dit tout. Pour les consultations, nous ne sommes pas à la table. Il y a quelques tables FPT auxquelles nous ne sommes pas invités. Donc, pour les consultations, non, nous ne sommes pas là parce qu’on ne nous demande pas de venir.
La sénatrice Martin : C’est très difficile à croire que vous ayez été exclus de cette façon.
Vous avez également dit dans votre témoignage que le gouvernement devait répondre aux besoins particuliers de vos membres. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ces besoins?
Mme Augustine : Si vous me le permettez, je vais répondre. Nous avons un certain nombre de besoins qui nous sont propres.
L’éducation en est un. Selon le gouvernement, celui qui n’est pas un Indien inscrit n’a pas droit à un financement pour l’éducation.
Pour ceux, par exemple, qui ne vivent pas dans une collectivité ou une réserve créée en vertu de la Loi sur les Indiens, les soins de santé sont un autre problème. Nos aînés n’ont pas de moyen de transport pour se rendre à leurs rendez-vous chez le médecin. Il n’existe aucun programme pour les diabétiques, alors que beaucoup d’Autochtones sont diabétiques. Nous ne bénéficions pas, comme nos frères et sœurs autochtones, de services de soutien en santé mentale. Il y a un certain nombre de problèmes cruciaux auxquels nos gens sont confrontés.
Le logement est un autre problème. Il n’y a pas de logement pour les Autochtones hors réserve au pays. Il y en avait il y a des années, mais il n’y a plus rien.
Le logement, les soins de santé et l’éducation sont des domaines cruciaux dans lesquels il faut agir. Nos enfants, parce qu’ils n’ont pas le statut d’Indien inscrit, ou même s’ils l’ont, peuvent parfois ne pas obtenir de financement pour leurs études. Je trouve cela très décourageant.
À titre d’exemple, mon frère a épousé une non-Autochtone. Son épouse est devenue une Indienne inscrite et a fait ses études. J’ai dû travailler d’arrache-pied comme serveuse parce que mes études n’étaient pas payées du fait que j’avais épousé un non-Autochtone. Ces disparités existent. Il y a beaucoup de services cruciaux dont nos gens ont besoin et dont ils sont exclus. Ce n’est pas parce que j’ai choisi d’épouser un non-Autochtone à l’époque que j’aurais dû être exclue, alors que ma belle-sœur, qui n’est pas Autochtone, s’est fait payer toutes ses études. C’est injuste, bien que cela ait changé. Mais qu’en sera-t-il de ma petite-fille? Bien que micmaque, elle ne bénéficiera pas de soutien pour son éducation ou les services de santé. Elle n’obtiendra aucune aide pour le logement.
Donc, oui, il y a beaucoup de besoins cruciaux. Il n’y a pas de soutien pour les gens qui ne sont pas inscrits ou qui ne vivent pas dans une réserve.
La sénatrice Martin : C’est toute une liste.
Mme Augustine : En effet.
La sénatrice Martin : Et c’est très préoccupant. Est-ce que le CPA reçoit un financement en tant qu’organisation?
Mme Augustine : Pour ces problèmes?
La sénatrice Martin : Seulement en général.
Mme Augustine : Pas pour le logement, pas pour l’éducation.
La sénatrice Martin : En tant qu’organisation, obtenez-vous du financement?
Mme Augustine : Très peu, à peine assez, et s’il n’y avait pas d’argent pour la recherche ou ce genre de choses, le CPA n’aurait rien. Nous en prenons un peu pour couvrir les frais d’administration et rester en vie. Quand on est exclu et qu’il n’y a pas d’entrées d’argent, comment est-on censé poursuivre le gros de ces activités? C’est la plus grande part des problèmes avec lesquels le congrès et ses affiliés sont aux prises.
N’oubliez pas que le CPA, le Congrès des peuples autochtones, est notre organisation nationale. Ma propre organisation travaille avec les gens de la base. Je connais ceux qui sont au courant des problèmes sur le terrain et ce à quoi ils sont confrontés. Je compte sur notre organisation nationale pour nous aider à rencontrer les différents ministres. Lorsque des ministres ou des ministères ne veulent pas nous reconnaître en tant qu’Autochtones parce que nous ne sommes pas parmi ceux qu’ils appellent les titulaires de droits en vertu de l’article 35, cela me pose un gros problème. Je vais m’arrêter ici, car je suis certaine que nous pourrions en parler plus longuement.
La sénatrice Martin : Merci.
Le président : Chef national, auriez-vous quelque chose à ajouter?
M. St. Pierre : Pour revenir à ce que Mme Augustine a dit, lorsque je me suis joint au CPA, il y a quelques années, le thème dominant, c’était « les laissés-pour-compte ». On avait l’impression que les choses changeaient un peu, mais voici que nous sommes toujours les laissés-pour-compte.
Je ne me soucie guère de moi-même. J’ai 67 ans — mon âge n’est plus un secret —, mais ce sont mes petits-enfants dont il s’agit, et pas seulement mes petits-enfants. Tous nos membres font partie de ma famille. Je suis fait ainsi. J’ai élevé des enfants venus d’ailleurs qui se sont retrouvés chez moi. Certains étaient Autochtones, d’autres non. C’est pour eux, les jeunes, que je m’inquiète. Nous regardons les jeunes et nous pensons aux gangs et à ceci et cela. Eh bien, certains de ces jeunes voulaient poursuivre leurs études, mais ne le pouvaient pas, faute de moyens financiers. Leurs parents n’avaient pas d’argent pour cela. Certains parents hypothèquent leur maison deux ou trois fois. Ces jeunes ont recours au Régime d’aide financière aux étudiantes et étudiants de l’Ontario. Ils entreprennent leurs études à un âge plus avancé. S’ils quittent l’école, disons, à l’âge de 20 ans, ce n’est qu’à 50 ans qu’ils auront tout juste fini de rembourser leur prêt étudiant. Ce n’est pas juste pour ces jeunes. Ils travaillent fort. Ils sont la prochaine génération. Ils vont nous suivre dans nos pas et aller de l’avant.
Il y a 50 ans, nous nous battions pour la même chose. Il y a 50 ans, c’était le même combat et c’est encore aujourd’hui le même combat dans un même but: amener le gouvernement à nous traiter sur un pied d’égalité. Nous ne demandons rien d’exagéré. Nous voulons simplement être sur un pied d’égalité avec tous les autres.
Le président : Je vous remercie, monsieur St. Pierre.
La sénatrice Omidvar : Je ne siège pas régulièrement dans ce comité. J’en suis plutôt un membre intermittent et je vous prie donc, pour cette raison, de m’excuser si mes connaissances ne sont pas à la hauteur.
Vous avez tous deux exprimé votre mécontentement de ne pas avoir d’engagement avec le gouvernement. Je suis certaine que vous avez fait des démarches auprès du gouvernement pour être inclus. Qu’est-ce qu’on vous a dit au sujet de votre inclusion dans les programmes et le financement qui sont offerts?
Commençons par ceci. Je suis certaine que les autres organisations — l’APN et l’ITK — ne sont pas indifférentes à votre exclusion. Comment ont-elles aidé à vous inclure?
M. St. Pierre : J’ai organisé des réunions avec chacune d’elles, mais elles ne veulent pas nous rencontrer. On m’a posé la question pendant ma première année à la présidence. Ce sont elles qui m’ont posé la question. Après y avoir réfléchi, j’ai demandé à nos responsables des politiques d’écrire une lettre à ces gens dans le but de préparer une réunion. Aucune réponse.
La sénatrice Omidvar : Et du côté du gouvernement?
M. St. Pierre : Je ne sais pas combien de lettres nous avons envoyées à M. Trudeau. Il ne veut même pas nous parler. J’ai assisté à des réceptions où il était présent. Il me serrait alors la main en disant : « Elmer, vous travaillez avec RCAANC. Continuez votre bon travail. » Ce n’est pas ce que je veux. Je veux savoir pourquoi nous demeurons exclus, et il est le seul à pouvoir corriger la situation. Pourtant, nous n’arrivons pas à le rencontrer. Bien sûr, nous pouvons rencontrer les représentants de RCAANC et de SAC, mais ils doivent se rendre sur la Colline pour obtenir ce que nous demandons. Quoi que nous demandions, nous ne l’avons jamais obtenu.
Mme Augustine : Je vais vous donner un exemple montrant comment nous sommes exclus. Le Congrès des peuples autochtones a signé un accord politique visant à instaurer un climat de travail de bonne foi et à établir des priorités communes. Je fais partie de l’équipe de négociation de l’accord politique avec le gouvernement fédéral. C’est ce que nous faisons depuis cinq ans. J’avais déclaré — je l’ai dit aux ministres et aux sous-ministres — que le CPA commence vraiment à en avoir assez des belles paroles. À ces réunions, on nous assure que nous irons de l’avant et que nous réunirons ces tables. Comme je l’ai dit, nous participons à ces discussions depuis plus de cinq ans. Aucune politique n’y est élaborée. Nous demeurons exclus. Ils donnent l’impression de vouloir aider, mais s’ils étaient sincères dans leur collaboration avec le congrès, nous aurions dû, je pense, aller beaucoup plus loin que là où nous en sommes aujourd’hui, cinq ans après la signature de l’accord politique et l’établissement de priorités communes. Sont-ils sincères? Peut-être. Mais si j’étais sincère en travaillant avec mes gens, je veillerais à m’abstenir de leur dire pendant cinq ans que je vais faire ceci ou cela. J’aurais plutôt travaillé à le faire.
La sénatrice Hartling : Merci de votre comparution être ici. J’en apprends beaucoup sur de nombreuses questions.
Madame Augustine, vous êtes en Nouvelle-Écosse, n’est-ce pas? Parlez-moi un peu de la situation dans la région de l’Atlantique, des endroits où vous êtes implantés et de certaines des communautés qui s’y trouvent. Vous dites que certains membres sont dans des réserves et d’autres hors réserve. Pouvez-vous m’en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Augustine : Certainement.
Au Conseil des Autochtones de la Nouvelle-Écosse, que je représente, nous travaillons auprès d’Indiens non inscrits et de ceux qui sont inscrits, mais qui vivent hors réserve. Ils s’adressent à notre organisation pour obtenir de l’aide. Nous essayons de leur trouver de l’emploi et de la formation, ce pour quoi nous avons négocié. Nous tâchons d’offrir des programmes et des services parce qu’une fois qu’ils quittent la réserve, il n’est pas toujours possible d’obtenir de l’aide à leur retour dans leur communauté. Nous sommes donc là pour essayer de réparer les pots cassés et de trouver des programmes.
Nos communautés sont disséminées dans toute la province. Je travaille à Truro. Nous avons huit bureaux dans la province pour servir notre clientèle. Tout cela est financé par des programmes différents, pour l’administration, et c’est la seule chose. Nous ne recevons pas de fonds supplémentaires pour maintenir nos bureaux. Nous ne recevons aucun financement du fait de notre appartenance à une organisation. Nous recevons un modeste financement pour la capacité organisationnelle de base. Je crois que le coût de fonctionnement de l’organisation est de 260 000 $ par année. Je sais qu’il y a certaines réserves qui obtiennent 2 millions de dollars à ce titre, bien qu’elles ne comptent que quelque 120 membres. Il y a effectivement de telles disparités.
Notre organisation est là pour défendre et faire reconnaître nos droits en tant qu’Autochtones. Lorsque quelqu’un me dit que je ne suis pas Autochtone ou que je ne suis pas titulaire de droits en vertu de l’article 35, j’ai peine à me contenir, puisque mon arrière-grand-père a été signataire du traité de 1752.
La sénatrice Hartling : D’après votre expérience et vos rencontres avec les gens, combien d’entre eux ont, comme votre petite-fille, des parents dans cette situation? Est-ce une situation courante?
Mme Augustine : Très courante.
La sénatrice Hartling : Avez-vous des chiffres à ce sujet?
Mme Augustine : Non. Nous avons un électorat, toute la province, auprès de qui je travaille. Souvenez-vous qu’à l’époque être un Indien n’était pas avantageux. À cause de la discrimination raciale, beaucoup de gens n’admettaient pas qui ils étaient ou qui était leur famille. Malheureusement, mes traits m’empêchaient de cacher mes origines. Le racisme existe, même le racisme systémique que nous subissons de la part de nos propres frères et sœurs autochtones. Ce ne sont pas eux qui l’ont créé. Il est le résultat de la façon dont nous avons été divisés et conquis par les autorités gouvernementales. Cela ne changera pas tant que le gouvernement ne reconnaîtra pas qui nous sommes et que nous ne sommes pas un groupe appelé à disparaître. Notre organisation existe depuis près de 50 ans et le congrès depuis plus de 50 ans. Il a été la première organisation à être mise sur pied. L’Assemblée des Premières Nations faisait partie du Conseil des autochtones du Canada, tout comme le Ralliement national des Métis. Comme je suis dans l’organisation depuis longtemps, j’en connais l’histoire et je sais d’où nous venons. Nous y avions une voix parce que nous étions les gens laissés pour compte. C’est toujours le cas aujourd’hui, 50 ans plus tard. C’est plutôt triste.
La sénatrice Hartling : C’est pénible, j’en suis sûre. Merci de votre comparution. Je vous en suis reconnaissante.
Mme Augustine : Pas de problème.
Le sénateur Patterson : J’aimerais simplement dire au chef national St. Pierre que notre comité étudiera le texte législatif sur la Commission de vérité et réconciliation et que je peux presque l’assurer que nous l’inviterons à témoigner. Ce sera peut-être l’occasion pour nous de vous accorder la reconnaissance que, comme vous l’avez exprimé avec éloquence, vous n’avez pas reçue du Canada, du moins dans cet important domaine.
Je voudrais en savoir un peu plus sur l’accord politique. Madame Augustine, vous le connaissez très bien. Si nous voulons vous aider à régler les problèmes que vous avez si bien décrits comme étant essentiellement discriminatoires, même chez les peuples autochtones du Canada, j’aurais pensé que l’accord politique serait le moyen tout indiqué. Est-ce sur cela que nous devrions nous attarder lorsque nous nous pencherons sur l’incapacité de donner suite à l’arrêt Daniels? L’accord offre-t-il de réelles possibilités? Pourquoi faut-il autant de temps?
Mme Augustine : Si cela prend autant de temps, je pense, c’est que le gouvernement fédéral, du moins à RCAANC, a fini par accepter de travailler avec nous, mais que d’autres ministères ont besoin de savoir qui sont les Indiens non inscrits et hors réserve. Beaucoup de différents ministres et de ministères, même le ministère de la Justice, par exemple, ont beaucoup de mal à accepter l’arrêt Daniels. Rien n’a bougé depuis l’arrêt Daniels. Il ne faut pas oublier que le Congrès des peuples autochtones — et j’étais l’un des premiers signataires de la requête dans l’affaire Daniels — représentait les Indiens non inscrits et les Métis. Dans le sillage de l’arrêt Daniels, le gouvernement fédéral a probablement trouvé plus facile de s’en tenir à travailler avec les Métis, en excluant les Indiens non inscrits. Le ministère de la Justice refuse toujours de donner suite à l’arrêt Daniels, qui émane pourtant de la Cour suprême, le plus haut tribunal du pays, et refuse toujours de reconnaître qui nous sommes.
L’arrêt Daniels établit, entre autres, que les Indiens non inscrits et les Métis sont des Indiens. Beaucoup n’aiment pas le terme « Indien », mais l’article 35 de la Constitution précise que l’expression « peuples autochtones » s’entend des Indiens, des Inuits et des Métis. Elle ne fait pas mention des « Premières Nations ». Elle ne le dit pas. J’ai remarqué dans beaucoup de sites gouvernementaux que « peuples autochtones » et « titulaires de droits en vertu de l’article 35 » désignent les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Je continue de dire, en tant que Canadienne, en tant qu’Autochtone dans ce pays, qu’on ne m’a pas parlé de la modification de la Constitution. Elle n’a pas été modifiée. L’article 35 n’a pas été modifié. Je trouve cela très problématique quand on commence à employer l’expression « Premières Nations, Inuits et Métis ». C’est là la base de distinction, et c’est le prétexte qui est utilisé. Une base de distinction désigne les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Je suis membre d’une Première Nation, mais l’expression « Première Nation » sert également à désigner une bande ou une réserve. C’est ainsi que nous sommes exclus par cette distinction.
Le sénateur Patterson : Pourtant, Harry Daniels et James Sinclair — j’étais présent à ces réunions — ont parlé très fort lors des réunions visant à rapatrier les…
Mme Augustine : Tout à fait. J’ai assisté aux discussions constitutionnelles. Harry Daniels et Jim Sinclair étaient tous deux des dirigeants du Congrès des peuples autochtones. Il est réellement attristant que leur legs n’ait pas duré, ce pour quoi ils se sont tellement battus. C’est décourageant de constater que nous sommes exclus.
Le sénateur Patterson : D’après ce que je comprends, même avec les autres organisations métisses au Canada — je ne dis pas que vous êtes de celles-là —, il semble y avoir une dissension parmi les Métis, entre le Ralliement national des Métis, ou RNM et l’autre organisation. Est-ce que cela vous complique la vie? Je me demande simplement à voix haute si vous faites cause commune avec eux. Il est malheureux que cette discorde ait éclaté. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Mme Augustine : Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Lorsqu’on parle des Métis, pour le gouvernement du Canada il s’agit, bien entendu, du Ralliement national des Métis, qui est présent dans les provinces de l’Ouest. Quant aux Métis proprement dits, il y en a qui ne sont pas originaires de la vallée de la rivière Rouge. Il y a des Métis dans les différentes provinces. En fait, « Métis » signifie « sang-mêlé ». Un Indien non inscrit est un sang-mêlé.
Lorsque cela s’est produit, le Ralliement national des Métis a sauté sur l’affaire Daniels. Je ne sais pas exactement la cause de la discorde. Elle ne nous touche pas parce que nous n’avons jamais participé à ce débat. Nous en avons été exclus, même si nous représentons des Métis dans certaines régions. Ils n’ont pas voix au chapitre. À moins de vivre dans la vallée de la rivière Rouge, on n’est pas considéré comme un Métis. De ce point de vue, le conflit au sein du Ralliement national des Métis ne nous touche pas. Elle touche les gens de tout le pays qui s’identifient comme Métis plutôt que comme Indiens non inscrits.
Le sénateur Patterson : Merci.
Mme Augustine : De rien.
Le président : Le temps prévu pour ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens à remercier le chef national St. Pierre d’être venu, ainsi que la présidente Augustine de s’être jointe à nous ce soir. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de vos témoignages.
Nous allons maintenant changer de cap et reprendre notre étude de la mise en application par le gouvernement fédéral de la Loi sur le cannabis en ce qu’elle concerne les peuples autochtones au Canada. Veuillez noter que Malcolm Ranta, directeur général de la Société d’Ilisaqsivik ne peut pas se joindre à nous comme prévu. Sa comparution sera reportée à une date ultérieure.
Dans le deuxième groupe de témoins, nous entendrons Wilbert Kochon et Me Nick Leeson, respectivement chef et conseiller juridique de la Première Nation Behdzi Ahda, ainsi qu’Edward Lennard Busch, directeur général de l’Association des chefs de police des Premières Nations.
Wela’lin, merci à nos deux témoins d’être ici. Vous disposerez chacun d’environ cinq minutes pour votre déclaration liminaire, qui sera suivie d’une période de questions et réponses d’environ cinq minutes par sénateur. En raison de contraintes de temps, je vous prie d’être brefs et précis dans vos échanges. Afin d’éviter d’avoir à interrompre qui que ce soit, je ferai voir ce carton une minute avant la fin de votre temps de parole.
J’invite le chef Kochon à prendre la parole.
Wilbert Kochon, chef, Première Nation Behdzi Ahda : Bonsoir. Je suis arrivé hier soir. La dernière fois que je devais comparaître, nous avons essayé en mode virtuel, mais cela n’a pas fonctionné. Je suis donc ici en personne. Je suis heureux de vous rencontrer. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire un exposé. J’ai ici le texte de mon exposé, que je vais tenter de lire le plus rapidement possible. J’espère que vous pourrez me suivre.
Le président : Vous avez cinq minutes.
M. Kochon : Cinq minutes? Wow. D’accord. Je vais commencer sans plus tarder.
Bonsoir, monsieur le président et honorables membres du comité. Je suis le chef de la Première Nation Behdzi Ahda. Je représente les Got’ı̨nę de Dehla de la communauté de Colville Lake. Les Got’ı̨nę de Dehla sont des Dénés qui occupent traditionnellement la vallée du bas Mackenzie dans les Territoires du Nord-Ouest. Je tiens à souligner que je m’adresse à vous depuis le Denendeh, qui est également un territoire visé par le Traité no 11. Notre présence sur ces terres remonte à des temps immémoriaux. Nous sommes les premiers habitants de ces terres. Il faut garder cela à l’esprit lorsqu’on discute de questions concernant le droit inhérent et inaliénable à l’autonomie gouvernementale de tous les peuples jouissant d’autodétermination.
Je tiens dès le départ à vous remercier de m’avoir invité à participer, au nom des Got’ı̨nę de Dehla, à l’étude de la Loi sur le cannabis et de ses répercussions sur les peuples autochtones, en particulier en ce qui concerne notre droit inhérent et du pouvoir de légiférer en matière de consommation, de production et de distribution de cannabis pour le compte des Got’ı̨nę de Dehla. Comme nous en ferons état, la légalisation et la réglementation du cannabis sont étroitement liées à des enjeux plus vastes, notamment l’autodétermination et la réconciliation, qui auront des répercussions sur l’avenir de notre communauté.
La Loi sur le cannabis ne reconnaît pas suffisamment les droits des Autochtones. Le cannabis a été légalisé au Canada en 2018 avec l’adoption de la Loi sur le cannabis. Elle a changé bien des choses, mais en a aussi laissé beaucoup inchangées. Elle a passé outre les droits inhérents des peuples autochtones. En ne reconnaissant pas aux peuples autochtones et à nos gouvernements le droit de décider de ses modalités d’application dans nos communautés, la nouvelle loi a porté atteinte à nos droits.
La loi ne fait qu’offrir la possibilité d’examiner les répercussions du cannabis sur les personnes et les communautés autochtones, mais elle ne laisse pas de place aux gouvernements autochtones pour protéger nos communautés. Par exemple, aux termes de la loi, les gouvernements provinciaux et territoriaux peuvent délivrer des permis pour des activités liées au cannabis, y compris sa culture, sa vente et sa distribution. Les gouvernements autochtones ne le peuvent pas. Encore une fois, on pense aux Autochtones après coup. La loi permet également aux gouvernements provinciaux et territoriaux d’autoriser certaines activités et de surveiller la distribution et la vente au détail de cannabis sur leur territoire, mais elle n’accorde aucun pouvoir semblable aux gouvernements autochtones. La décision d’exclure les gouvernements autochtones porte atteinte à notre relation de gouvernement à gouvernement. Cela me fait penser aux lois coloniales et aux façons de faire qui n’ont pas leur place à l’ère de la réconciliation. Aucune justification de principe n’a été donnée pour accorder ces pouvoirs de réglementation sur les activités liées au cannabis aux gouvernements provinciaux, mais non aux gouvernements autochtones.
Il y a des incompatibilités entre la réglementation du cannabis et les normes relatives aux droits inhérents. Heureusement, ce ne sera pas forcément une tâche difficile de les éliminer dans le cadre législatif, c’est-à-dire qu’il ne faudrait pas beaucoup de travail pour reconnaître officiellement les droits des Autochtones dans ce domaine. De petites modifications apportées au cadre législatif ou aux mandats gouvernementaux permettraient facilement de reconnaître que les gouvernements autochtones ont compétence pour réglementer la consommation de cannabis à des fins médicinales et récréatives dans leurs communautés. Par exemple, la loi pourrait être modifiée de façon à inclure des renvois aux gouvernements autochtones dans les cas où des pouvoirs législatifs et réglementaires sont conférés aux gouvernements provinciaux. Cela supposerait de modifier l’article 69 de la loi. Pour ce faire, il suffirait d’ajouter des renvois aux lois autochtones à côté des renvois aux lois provinciales. Cette modification serait facile à apporter et aurait dû être prévue dès le départ.
Même si la loi n’existe que depuis quatre ans, elle est déjà désuète. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones engage le Canada à prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes ses lois, dont la Loi sur le cannabis, soient conformes aux principes et aux droits énoncés dans la déclaration, y compris le droit à l’autodétermination, tout en respectant les droits ancestraux et les droits découlant des traités qui sont reconnus et confirmés par la Constitution. Cela signifie que toutes les lois, mandats et politiques fédéraux — anciens et nouveaux — doivent être examinés en profondeur pour assurer leur conformité à la Déclaration des Nations Unies. Pour tout dire, la Loi sur le cannabis n’est pas conforme à la déclaration. Pour le devenir, elle doit être modifiée de façon à donner aux Premières Nations l’espace nécessaire pour contrôler la délivrance de permis, la commercialisation, la vente et la distribution du cannabis dans leurs collectivités.
Pour ce qui est de la réglementation du cannabis et de l’autonomie gouvernementale des Got’ı̨nę de Dehla, voici le contexte dans lequel nous négocions actuellement notre accord moderne d’autonomie gouvernementale hors du cadre des traités dans des pourparlers trilatéraux avec le Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Ces négociations sont motivées par la compréhension que notre droit inhérent de nous gouverner nous-mêmes sera respecté et nos pouvoirs législatifs autochtones reconnus. Pour satisfaire à cette exigence, l’accord doit correspondre à nos droits tels qu’ils sont compris actuellement, soit notamment aller au-delà de ce que permet la Loi sur le cannabis. Notre accord devrait prévoir la possibilité de réglementer la production et la vente de produits du cannabis, au lieu de simplement autoriser leur interdiction. Rien de moins n’offrirait la latitude suffisante pour élaborer des lois adaptées à nos besoins particuliers.
À l’heure actuelle, nous nous employons surtout à empêcher la prolifération de produits du cannabis indésirables dans notre collectivité, mais cela ne s’arrête pas là. Nous devrions avoir tout l’éventail des moyens dont disposent les provinces et les territoires pour décider avec le Canada comment peuvent se faire la production et la distribution du cannabis et l’application de la loi qui le concerne.
En résumé, nous félicitons le Sénat de son engagement à examiner l’approche adoptée dans le dossier du cannabis afin de mieux tenir compte des intérêts et des droits des peuples autochtones. Dans l’ensemble, nous voyons cet examen comme une petite partie d’une discussion plus vaste, à long terme, de nation à nation sur l’orientation future de la Loi sur le cannabis et des lois et approches fédérales connexes en ce qui concerne l’autonomie gouvernementale des Autochtones en général. Nous devons veiller à ce que l’approche législative mise de l’avant nous permette de cohabiter et de bâtir ensemble un avenir de prospérité, qui respecte nos sphères d’autorité et en fasse la place voulue à des structures de gouvernance fondées sur les distinctions. Je vous encourage à apporter des changements à la Loi et à ses règlements afin de permettre aux Autochtones d’exercer pleinement leur compétence en matière de cannabis, de sorte que nous puissions décider par nous-mêmes ce que signifie la légalisation dans nos collectivités.
Nous vous sommes reconnaissants de bien vouloir nous écouter ce soir et nous sommes prêts à répondre à vos questions. Merci. J’ai un avocat en ligne pour m’aider.
Le président : Merci beaucoup, chef Kochon. Vous avez fait un excellent travail.
J’invite maintenant M. Busch à faire sa déclaration préliminaire.
Edward Lennard Busch, directeur général, Association des chefs de police des Premières Nations : Merci de m’avoir invité aujourd’hui. Je considère comme un honneur et un privilège d’être devant vous. Je comparais à titre de directeur général de l’Association des chefs de police des Premières Nations. Je suis d’ascendance sioux et ma patrie ancestrale est la Première Nation Kahkewistahaw, près de Broadview, en Saskatchewan.
J’ai commencé ma carrière de policier en 1978, lorsque je suis devenu agent de bande dans une petite collectivité du Nord du Manitoba, South Indian Lake — O-Pipon-Na-Piwin. Je l’ai été pendant deux ans, puis je me suis joint à la GRC en tant que gendarme spécial autochtone. Cinq ans plus tard, je suis retourné en formation et, après six mois à Regina, je suis devenu gendarme à plein titre de la GRC. J’ai travaillé dans le Nord du Manitoba, puis j’ai été muté à Winnipeg, où je travaillais dans la lutte antidrogue et le renseignement sur les drogues. J’ai ensuite été muté à Regina pour devenir instructeur à l’École de la GRC.
En 1999, j’ai été nommé inspecteur à la GRC et j’ai à Ottawa, où on m’a confié la Sous-direction des services nationaux de police autochtones. Par la suite, je suis devenu agent de liaison en matière de sécurité pour les gouverneures générales Adrienne Clarkson et Michaëlle Jean et j’ai été l’officier chargé de leurs déplacements pendant trois ans et demi.
Ma dernière affectation à la GRC a été au Collège canadien de police, où j’ai été directeur responsable du Centre de perfectionnement pour les services policiers aux autochtones, puis, ces dernières années, responsable du Centre de perfectionnement en leadership.
En 2014, j’ai pris ma retraite et je suis devenu chef d’un petit corps de police autochtone en Saskatchewan, le File Hills First Nations Police Service, en qualité de quoi je siégeais au conseil exécutif de l’Association des chefs de police des Premières Nations. J’ai pris ma retraite de la police de File Hills la veille du dernier jour de l’An et, quatre jours plus tard, on m’offrait le poste de directeur général de l’association, de sorte que mes plans de retraite ont duré quatre jours. J’ai demandé à ma femme : « Est-ce que je devrais accepter le poste? » Elle a dit : « Oui. Sors d’ici. Fais quelque chose. » Elle n’en pouvait déjà plus de me voir.
L’Association des chefs de police des Premières Nations a été instituée organisme à but non lucratif en janvier 1993, peu après la mise en œuvre du Programme des services de police des Premières Nations créé par le gouvernement fédéral. Elle a pour mandat de servir les corps de police et les territoires des Premières Nations partout au Canada en favorisant le plus haut degré de professionnalisme et de responsabilisation chez ses membres, le tout d’une manière qui reflète les cultures, le statut constitutionnel, le contexte social, les traditions et les aspirations uniques des Premières Nations.
Nous recevons du financement du gouvernement fédéral. Nous tirons aussi un revenu des cotisations de nos membres et de notre conférence nationale. L’association a aussi obtenu du financement pour des projets précis, comme la sensibilisation aux opioïdes et au cannabis lorsque la loi est entrée en vigueur. Nous nous sommes surtout concentrés sur l’incidence que cela aurait sur la conduite au volant et nous avons mis sur pied un programme destiné aux jeunes de partout au pays. Nous sommes un organisme à but non lucratif.
À l’heure actuelle, on compte 36 corps de police autonomes chez les Premières Nations au Canada, tous établis dans les provinces du Québec et de l’Ontario, sauf six qui se trouvent dans les provinces de l’Ouest. Ces corps de police peuvent différer grandement d’une région à l’autre, selon leur situation géographique, urbaine ou rurale, leur éloignement, leur ressort territorial, leur taille et la population qu’ils desservent. Ils diffèrent aussi par l’étendue des services qu’ils offrent et la façon dont ils les offrent. Ils n’ont pas tous le même soutien économique. Certains desservent des localités très éloignées et isolées; d’autres sont voisins de grandes villes et ont beaucoup plus de commodités. En particulier, à Tsuut’ina, où j’allais vous parler il y a quelques semaines, il y a un casino et un Costco, ce qui est très différent de ce qu’on trouve dans les réserves en régions isolées. Les structures de gouvernance sont différentes. L’infrastructure est différente. Les relations avec les provinces le sont aussi.
Avec autant de diversité, il peut être difficile d’obtenir un consensus absolu sur la plupart des enjeux, comme la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis. Je peux toutefois vous faire part de certains commentaires, opinions et observations que j’ai recueillis lors des consultations que j’ai menées avant de comparaître devant le comité, ainsi que de mon expérience personnelle comme chef de police autochtone.
Les corps de police des Premières Nations signalent une faible application des lois et des règlements sur le cannabis sur leur territoire. Cela s’explique notamment par un manque d’experts en reconnaissance de drogues, les ERD, dans leurs rangs, souvent attribuable à des facteurs géographiques. La formation d’ERD est offerte, mais les cours sont chers et les places souvent accaparées par les grands services de police non autochtones. Certains de nos corps policiers se plaignent de ne pas pouvoir suivre ces cours. Comme les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue impliquent souvent la consommation d’alcool, les enquêteurs s’en remettent souvent à la preuve de conduite en état d’ébriété pour aller de l’avant.
Des corps de police des Premières Nations signalent une augmentation apparente de la consommation de cannabis et estiment que cette perception tient peut-être en partie au fait que les gens en consomment plus ouvertement dans la communauté. Maintenant que c’est légal, on se cache moins pour en consommer, ce qui donne l’impression qu’il y en a davantage, et c’est peut-être le cas. D’autres signalent que le cannabis illicite est encore facile à obtenir dans la plupart des localités de leur territoire. D’autres encore signalent une augmentation apparente de la consommation chez les jeunes; on raconte même que des jeunes d’à peine 10 ans ont pu se procurer, en particulier, des produits comestibles du cannabis et les amener à l’école.
Quatre-vingts pour cent des corps de police des Premières Nations à la grandeur du Canada signalent d’importants problèmes liés au crime organisé sur leur territoire : problèmes de gangs, problèmes de drogue, problèmes de traite de personnes. Quatre-vingts pour cent déclarent aussi qu’ils comptent sur des organismes de l’extérieur pour les services de soutien et les enquêtes sur les crimes graves.
La pénurie de personnel est un problème majeur dans les corps de police autonomes des Premières Nations au Canada. Un récent sondage a révélé qu’en moyenne, il leur manque quatre agents, dans des postes qui sont déjà financés, ce qui correspond à 144 postes vacants dans le pays. Cela se répercute sur le service qui est offert : les agents de police qui restent doivent travailler davantage, faire des heures supplémentaires et vivre le stress qui vient avec. Ils disent que cela les empêche de bien faire leur travail en ce qui concerne le cannabis. Beaucoup de localités sont aux prises avec des drogues plus dures, comme le fentanyl, les opioïdes et la méthamphétamine en cristaux, qui ont la priorité parce qu’elles sont mortelles. Pour citer un des chefs de police de l’Ontario :
Les services de police des Premières Nations n’ont pas les moyens de s’occuper du cannabis lorsque la communauté est infestée par les opioïdes, qui deviennent alors la priorité.
Vingt pour cent des corps de police des Premières Nations déclarent n’avoir aucune interaction avec des organismes de renseignements criminels provinciaux ou fédéraux. C’est important parce que, comme nous le savons, la criminalité est très mobile. Souvent, le problème de la drogue dans une collectivité vient d’ailleurs, et les services de police doivent pouvoir travailler ensemble pour endiguer le flot et appliquer adéquatement les lois sur la drogue. C’est donc un cinquième de nos corps de police autochtones qui ne participent aucunement à l’effort plus important qui est déployé dans la province, et c’est un problème.
Certains corps de police des Premières Nations signalent l’activité de dispensaires illégaux sur leur territoire, et certains se plaignent que ces dispensaires deviennent souvent la cible de vols à main armée et d’introductions par effraction.
De nombreux chefs de police des Premières Nations estiment que le cannabis, légal ou illégal, est encore une drogue d’initiation dans leurs communautés, et certains affirment que la situation est d’autant plus grave que les trafiquants de drogue y ajoutent d’autres additifs pour le rendre plus attrayant ou plus puissant.
De nombreux chefs de police des Premières Nations sont d’avis que, bien qu’ils appuient la décriminalisation du cannabis, la légalisation n’a peut-être pas eu l’effet prévu par le législateur.
De nombreux chefs de police des Premières Nations approuvent les conclusions du rapport intitulé Résumé du processus de mobilisation avec les Premières Nations, les Inuit et les Métis : La Loi sur le cannabis et ses répercussions, publié par Santé Canada en octobre 2022. On peut y lire :
Le manque d’application des interdictions pénales de la Loi sur le cannabis dans de nombreuses collectivités des Premières Nations en raison de la relation sensible entre les Premières Nations et les forces de l’ordre canadiennes. Ces éléments peuvent entraîner des tensions entre la police et la communauté autour des activités d’application de la loi, y compris des divergences entre le chef et le conseil et la police quant à ce qui est une activité « illicite », et quant à la question de savoir si les lois des Premières Nations ou fédérales/provinciales/territoriales doivent être appliquées.
En conséquence, dans de nombreuses communautés, il existe des possibilités accrues d’activités criminelles organisées, des risques pour la santé dus à la consommation de produits illicites non testés et une insatisfaction croissante à l’égard de l’application de la loi. Dans certaines communautés, la présence d’opérations illicites entraîne une circulation extérieure et l’entrée de visiteurs indésirables dans la communauté qui cherchent à acheter des produits de cannabis illicites.
Je peux parler un peu des tensions qui se produisent. Une de nos communautés en Saskatchewan, où j’étais chef de police, a ouvert un dispensaire non autorisé et elle insistait sur ses droits à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale. Le chef de la bande m’a appelé et m’a dit : « Nous faisons une grande ouverture. Pouvez-vous venir? » J’ai répondu que je le ferais, mais quand je suis arrivé, il y avait là deux ou trois organes de presse avec leurs caméras. Je suis en uniforme et je me tiens à l’arrière de la foule. Au beau milieu de la réunion, le chef dit : « Maintenant, nous aimerions que le chef de police nous dise quelques mots. » Me voici donc devant tout le monde, et je sais que mon autorité de chef de police me vient de la loi provinciale sur la police, et que la Commission de police de la Saskatchewan a le pouvoir de me démettre de mes fonctions; je sais aussi qu’il y a du grabuge entre la province et certaines réserves à ce sujet. Je m’en suis tenu à quelques mots d’usage et à féliciter la communauté pour son essor économique et des choses de ce genre. Il n’y a pas eu de suites, mais cela vous donne une idée de la tension qui peut s’installer parfois.
Merci beaucoup de m’avoir écouté. Si vous avez des questions, je serai heureux d’y répondre.
Le président : Merci, monsieur Busch.
Avant de passer aux questions, je rappelle à tout le monde dans la salle de ne pas se pencher trop près du microphone ou de retirer son écouteur avant de le faire.
Je vais poser la première question, qui s’adresse au chef Kochon. Quelles ont été les répercussions de la légalisation du cannabis sur le bien-être social et économique des membres de votre communauté, et avez-vous reçu un soutien suffisant du gouvernement fédéral?
M. Kochon : Pas vraiment. J’ai une anecdote qui remonte au moment où on a commencé à réglementer le cannabis dans le Sahtu, où il y avait cinq communautés. Le gouvernement nous a fait une recommandation, et le chef voulait ouvrir le magasin. On avait l’immeuble pour vendre du cannabis et on voulait utiliser l’argent pour éduquer un plus grand nombre de nos gens à ce sujet, et même pour essayer d’éduquer un plus grand nombre de nos jeunes. Beaucoup de jeunes ont été affectés à un âge peu avancé. Cela les a vraiment affectés. Ils sont maintenant traités à Vancouver parce qu’ils ont perdu beaucoup de leurs facultés mentales en fumant beaucoup à un jeune âge. Nous en avons quelques-uns là-bas, peut-être trois. Cela a vraiment affecté les jeunes, en particulier les enfants.
Beaucoup de trafiquants de drogue se fichent de savoir à qui ils vendent. Et cela fait des ravages, on peut vraiment le constater. Il semble qu’ils aient plus de droits que nos gens. Nous avons tout essayé pour éviter d’en arriver là, nous avons même essayé de les bannir, mais il y avait la Charte des droits. Même le cannabis n’est plus seulement du cannabis maintenant. On trouve du crack. Il semble que le cannabis ne soit pas suffisant, et on en voit beaucoup. Les enfants commencent à s’y intéresser.
Nous sommes une petite communauté, mais cela a vraiment affecté un grand nombre de familles. Maintenant, beaucoup de jeunes ne veulent pas travailler, même s’il y a beaucoup d’emplois. Nous avons beaucoup d’emplois et nous en avons créé beaucoup, mais ils ne veulent pas gagner leur vie honnêtement. Il y a beaucoup de répercussions dans toute la région, mais même dans notre petite communauté. L’hiver s’en vient, et c’est là que les choses empirent.
À l’heure actuelle, même les compagnies aériennes font entrer la drogue par courrier. Nous essayons de travailler avec la GRC, mais elle a les mains liées à cause de certaines lois, j’imagine. On dirait qu’elle ne peut pas arrêter les trafiquants de drogue, qui trouvent toujours le moyen de faire entrer leur stock. C’est triste de voir tant de jeunes qui veulent travailler et qui ont la capacité de le faire. Ce n’est pas seulement chez nous, mais partout dans les cinq communautés.
Le président : Beaucoup de répercussions néfastes.
M. Kochon : Est-ce que cela répond à votre question?
Le président : Oui, très bien. Merci beaucoup.
La sénatrice Martin : Tout d’abord, merci beaucoup de vos témoignages. Vous avez fait ressortir certaines des inquiétudes que j’avais en tant que législateur lorsque nous examinions la Loi sur le cannabis, à savoir si nous allions trop rapidement, parce que d’autres administrations nous mettaient en garde et nous conseillaient de prendre notre temps.
Monsieur Busch, comment les consultations ont-elles fonctionné avant l’adoption de la Loi sur le cannabis? Parce que, de toute évidence, son application était un des piliers essentiels sur lesquels on comptait pour que la légalisation n’ait pas autant de répercussions qu’elle en a eu. Pourriez-vous nous parler des consultations que vous avez eues à l’époque où vous étiez peut-être avec votre organisation et nous dire s’il y en a eu suffisamment avant la mise en œuvre de la Loi sur le cannabis?
M. Busch : Je ne me souviens pas que notre organisation ait été consultée à ce sujet. Je sais qu’il y a eu des échanges par l’entremise de certaines associations provinciales des chefs de police. Certains de nos corps de police sont aussi membres de leurs organismes provinciaux. Il est arrivé à l’occasion que des journalistes nous demandent ce que nous en pensions, mais, je le répète, il est difficile de se prononcer quand on représente autant de corps de police différents. Je ne peux même pas dire si, à ma connaissance, il y a eu consultation avec les chefs de police.
La sénatrice Martin : Vous êtes maintenant aux prises avec des problèmes qui diffèrent d’une communauté à l’autre. Nous sommes en train de revoir la loi, mais vous faites ressortir un grand nombre de questions que vos membres vous ont signalées lorsque vous les avez consultées avant de comparaître devant le comité. Quelles sont les remèdes ou les solutions à ce que vous nous avez donné à entendre aujourd’hui?
M. Busch : Je ne sais pas s’il y a une réponse facile à cela. Je pense que les corps de police des Premières Nations profiteraient certainement d’une meilleure formation sur la loi et son application. Comme je disais, la formation a toujours été délicate pour nous, parce que souvent, on nous attribue simplement des places dans les services de police généraux. S’ils ont une place de trop, ils nous invitent parfois à la prendre. Les chefs de police ont eu beau se plaindre et dire qu’on leur avait promis de la formation de toute sorte, cela ne s’est jamais matérialisé. Par conséquent, je ne crois pas qu’ils se soient beaucoup souciés d’appliquer la Loi sur le cannabis. Ils avaient de plus gros problèmes avec les drogues dures.
La sénatrice Martin : Je vous ai entendu dire que le cannabis est mélangé avec d’autres drogues, alors cela pose un problème supplémentaire.
M. Busch : C’est certainement un problème parce que c’est dangereux, et je pense que cela aggrave le problème du cannabis vu comme une drogue d’initiation.
Les corps de police des Premières Nations doivent faire partie du portrait d’ensemble de la police au Canada. Ils doivent siéger à certaines des instances du renseignement. Ils doivent apprendre à échanger des renseignements. Là encore, tout revient à la formation qu’ils reçoivent. Beaucoup de nos corps de police étaient considérés à l’origine comme une amélioration des services de police généraux, comme une sorte de complément, mais avec le temps, depuis le début des années 1990, ils sont devenus plus autonomes et leur charge de travail s’est alourdie, ainsi que les besoins de formation. Lorsqu’un corps de police autochtone prend le relais, l’autre qui était là avant prend ses distances et concentre ses ressources ailleurs. Je pense que certaines instances doivent mieux s’ouvrir aux cultures autochtones et se montrer plus inclusives avec les Premières Nations dans les rapports avec les organismes de renseignement et autres.
La sénatrice Martin : Merci beaucoup de nous aider à comprendre ce qui passe dans les communautés autochtones.
Le sénateur Patterson : Je remercie les deux témoins.
Monsieur Busch, vous avez fait du bon travail de préparation et de consultation avant de vous présenter devant nous. Merci beaucoup.
Chef Kochon, je tiens à vous remercier de ce long voyage que vous avez fait. J’ai eu la chance d’aller à Colville Lake bien des fois, y compris à l’époque de Father Brown, et je sais que c’est un endroit isolé et très éloigné. Merci beaucoup d’être ici avec nous parce que des problèmes techniques vous empêchaient de faire autrement.
Vous avez présenté de très bons arguments en faveur d’une question que notre comité veut étudier, c’est-à-dire le pouvoir des administrations locales comme la vôtre d’éduquer peut-être les gens, mais aussi d’empêcher la prolifération de produits indésirables. J’aimerais d’abord vous demander ceci : est-ce que votre conseil de bande a adopté ou essayé d’adopter des lois sur le cannabis?
M. Kochon : Merci. Il y a longtemps que je vous ai parlé, depuis que vous êtes au gouvernement.
Nous n’avons jamais vraiment essayé d’adopter des lois, mais nous essayons de faire quelque chose pour notre autonomie gouvernementale à l’avenir, où nous pourrons adopter certaines lois. Pour vous dire la vérité, les chefs ont essayé de se lancer dans la vente de marijuana, de façon à pouvoir contrôler à qui elle est vendue. C’est cela qui nous intéresse. Mais aussitôt, le gouvernement est revenu et a dit : « Nous nous servons des lois sur l’alcool. Nous allons la vendre suivant la politique sur les boissons alcoolisées. » Autant foncer tête baissée dans les problèmes. Il y a là beaucoup de problèmes. Même un enfant peut se procurer cinq grammes. C’est beaucoup pour un enfant. En vertu de la Loi sur les boissons alcoolisées, on ne peut pas acheter d’alcool avant l’âge de 19 ans. Pour un adulte, c’est 30 grammes, ce qui n’est pas négligeable. Il y a beaucoup de choses qui ne cadrent pas vraiment bien avec nous, mais nous voulons nous en occuper au sein de notre propre gouvernement, dès que nous l’aurons formé. C’est la raison pour laquelle nous l’avons inclus ici.
Le sénateur Patterson : La loi peut être modifiée et doit l’être, c’est bien ce que vous dites? Je me demande si vous pourriez nous donner un peu plus de détails à ce sujet. Je sais que votre conseiller juridique vous accompagne en mode virtuel. L’un de vous pourrait peut-être nous en dire davantage sur la possibilité de modifier la Loi.
M. Kochon : Maître Leeson, voulez-vous intervenir?
Me Nick Leeson, conseiller juridique, Première Nation Behdzi Ahda : Oui, avec plaisir.
Avant de commencer, je veux m’assurer que la communication passe bien. J’aimerais pouvoir être avec vous tous en personne. Cela dit, je tiens d’abord à souligner que je m’adresse aussi à vous depuis les territoires ancestraux traditionnels des peuples autochtones, en l’occurrence ceux des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Je vous appelle aujourd’hui de Vancouver. Je suis heureux de pouvoir le faire parce que je n’ai pas pu me rendre à Ottawa, étant retenu ici par des raisons familiales et des ennuis de santé concernant ma fille de trois ans.
J’aimerais pouvoir être avec vous tous en personne, parce que cela fait beaucoup trop longtemps que nous ne pouvons plus nous réunir régulièrement autrement qu’en mode virtuel. J’aimerais aussi y être parce que ce serait bien d’être en compagnie du chef Kochon, mais je vois que la météo l’a suivi depuis le Sahtu, alors j’espère qu’il n’est pas trop dépaysé à Ottawa avec vous tous, maintenant que l’hiver est arrivé chez vous. Il n’est pas encore tout à fait arrivé sur la côte Ouest. J’espère que le chef Kochon se sentira davantage chez lui parce que nous ne pourrions pas le faire virtuellement.
Je vais commencer par vous demander de réfléchir à cette expression, « chez moi », à ce qu’elle signifie et à ce qu’elle exige de nous, au Canada, surtout de gens comme moi, des colons. Je tiens à préciser que je ne suis qu’un visiteur ici, et pas seulement parce que je suis littéralement en ce moment un résidant de la Colombie-Britannique pour des raisons médicales, même si chez moi, depuis bien longtemps avant cela et où je me sens chez moi, c’est le Denendeh, où j’ai vécu pendant plus d’une décennie à Yellowknife, c’est-à-dire le territoire du chef Drygeese, où vit la Première Nation des Dénés Yellowknives. Mais même avant cela, en Ontario, le lieu de ma naissance, je suis né sur les terres de peuples autochtones. J’ai grandi dans les territoires traditionnels de la Première Nation de Bkejwanong, aussi connue sous le nom de Première Nation de Walpole Island.
Je souligne tout cela parce que nous appelons cet endroit aujourd’hui le Canada, et nous le faisons depuis environ 150 ans, mais pendant des dizaines de milliers d’années, les gardiens actuels et les gardiens régionaux passés l’appelaient l’île de la Tortue, comme le font les gardiens actuels et le feront ceux du futur, tous les gardiens de ces terres depuis des temps immémoriaux. Nous utilisons beaucoup cette expression. Pour nous assurer qu’elle ait un sens, quand nous parlons de choses comme celles dont nous parlons aujourd’hui, nous pensons aux premiers occupants de ces terres et à ce que cela signifie, non seulement pour nous, mais aussi pour les Autochtones. Je pense que si nous faisons cela, la reconnaissance de ces territoires nous fera progresser d’une manière qui va au-delà du simple aspect performatif, mais qui mènera à des changements substantiels et transformateurs dans nos perspectives.
Je pense que cela nous amène à la toute dernière conversation du sénateur Patterson, c’est-à-dire la conversation au sujet de la Loi sur le cannabis et les compétences connexes que cela exige si nous respectons vraiment les terres sur lesquelles nous nous trouvons. Après tout, nous sommes tous visés par des traités. Il y a des droits inhérents qui vont de pair avec les occupants originaux des terres, et cela signifie que la loi que le Canada adopte doit le reconnaître et l’affirmer. Cela signifie qu’il faut créer l’espace de compétence et d’autorité pour que les peuples autochtones puissent vivre sans contrôle ni délégation de la part d’un autre gouvernement.
Pour ce qui est des changements rapides et faciles à apporter à la Loi sur le cannabis et de la lacune qu’elle comportait dans la reconnaissance des droits des Autochtones, je sais que le chef Kochon a fait une présentation PowerPoint qui donnait les détails. Je ne vais pas parler des dispositions précises qui pourraient être modifiées, mais je serai heureux de le faire si vous avez des questions de suivi. Il s’agit d’un amendement très simple aux parties de la loi qui prévoient déjà la reconnaissance des gouvernements provinciaux dans cette coopération intergouvernementale, soit que les gouvernements provinciaux peuvent adopter des lois relevant de leur compétence en fonction de certaines normes et de certains paramètres établis par le gouvernement fédéral, que...
Le président : Maître Leeson, nous allons vous demander de conclure.
Me Leeson : Très bien. Les mêmes dispositions qui prévoyaient que les gouvernements provinciaux auraient facilement pu faire de même pour les gouvernements autochtones par simple ajout des lois autochtones et des gouvernements et/ou organisations autochtones aux références à la compétence provinciale. Il s’agit donc d’un amendement très simple. L’autre aspect positif tient à ce que, même si ces amendements n’ont pas été faits hier, rien n’empêche de les faire très facilement demain. C’est donc une solution rapide.
Le président : Merci, maître Leeson.
La sénatrice Omidvar : Merci à vous deux de votre présence, et de nous aider à comprendre les répercussions de la législation sur le cannabis sur vos communautés.
Je pense que vous avez déjà répondu à ma question en partie. Je venais tout juste d’arriver au Sénat quand le projet de loi sur le cannabis a été adopté, mais je m’en souviens très bien. L’un des objectifs du projet de loi était de réduire la criminalité liée au cannabis et de réduire le nombre de personnes ayant des démêlés la police à cause du cannabis. Pouvez-vous me dire si cet objectif a été atteint dans vos communautés? Oui ou non?
M. Busch : Non.
M. Kochon : Non.
La sénatrice Omidvar : Avez-vous des données à l’appui?
M. Busch : Seulement les commentaires des chefs qui s’expriment pour leur propre champ de compétences et nous n’avons donc aucune donnée empirique. Les chefs de police disent que le marché illicite de la marijuana est toujours bien portant. La marijuana illégale est toujours facilement accessible dans la rue. Souvent, elle se vend à un prix inférieur à celui demandé par les magasins de cannabis, et il y a le risque qu’elle soit mélangée à des drogues plus puissantes afin de la rendre plus attrayante pour certains consommateurs de drogues.
M. Kochon : Je vais vous raconter une histoire qui vous permettra de vous souvenir de ce dont je parle.
Beaucoup de jeunes hommes chassent et travaillent sur le territoire tandis qu’ils sont sous l’emprise de la drogue. Je n’ai jamais vu cela auparavant. C’est d’autant plus dangereux qu’ils utilisent une carabine. Il faut vraiment les surveiller. Nous n’envoyons pas de jeunes enfants avec eux parce que nous craignons pour leur sécurité. Je ne sais pas de combien de preuves vous avez besoin, mais aucun de ces jeunes n’est jamais sorti avant d’avoir fumé un joint. On sent la marijuana tous les matins. On n’a pas le droit de dire quoi que ce soit à ce sujet. Nous avons soulevé des préoccupations à ce sujet. La sécurité de nos enfants était plus importante pour nous, alors nous ne les avons pas envoyés. Nous n’en tenons jamais vraiment un relevé, mais nous l’avons toujours mentionné aux forces de l’ordre, mais il arrive qu’elles ne passent pas. En revanche, la GRC travaille plutôt bien avec nous. Je travaille avec le détachement de Yellowknife, et nous travaillons très bien ensemble. C’était donc triste à voir.
La sénatrice Omidvar : L’un des autres objectifs du projet de loi — qui n’était pas très prioritaire, mais quand même — était de créer une nouvelle source de revenus. À ce moment-là, le gouvernement du Canada a dit que la vente légale de cannabis générerait des revenus de 8 milliards de dollars. Pourriez-vous nous dire si des revenus légaux ont été générés par la vente de cannabis et s’ils ont permis à la communauté de prospérer sur le plan économique?
M. Busch : Je sais que dans certaines communautés où je travaille comme chef de police, où on a ouvert des magasins, la bande a reçu de l’argent. C’est une entreprise rentable, mais je ne pense pas que cela lui rapporte beaucoup d’argent en raison tout simplement de la forte concurrence venant des trafiquants de drogues illicites.
C’était étrange. Pendant des années, personne dans les communautés n’a voulu parler à la police pour dire qui consommait de la drogue ou quoi que ce soit du genre, mais une fois que le chef et le conseil ont ouvert le magasin, ce sont eux qui ont appelé le chef de police pour lui donner des renseignements sur les trafiquants de drogues illicites, pas nécessairement parce qu’ils s’opposaient à ce qu’ils faisaient, mais parce qu’ils réduisaient leurs profits. C’était un drôle de rebondissement.
La sénatrice Omidvar : Pour revenir à la question des données, savez-vous si des recherches ont été commandées, universitaires ou autres, pour déterminer si la criminalité liée au cannabis a diminué ou non dans vos communautés?
M. Kochon : Ils trouvent toujours des façons de vendre du cannabis, et c’est vraiment très lucratif pour certaines personnes. Il n’y a vraiment rien que nous puissions faire parce que c’est légalisé. Ils trouvent toujours un moyen. Peu importe ce que vous faites, peu importe comment vous travaillez avec les forces de l’ordre, ils trouvent toujours un moyen. Certaines personnes ont beaucoup d’argent.
Ils avaient l’habitude d’utiliser notre coopérative pour blanchir de l’argent. Maintenant, nous travaillons avec la coopérative et nous lui disons de ne laisser entrer personne avec des liasses de billets pour faire transiter cet argent par le magasin pour qu’il aboutisse dans un compte en banque. C’est une chose à laquelle nous avons mis fin. Nous savons ainsi ce qui se passe. C’est consigné. Je sais que c’est consigné. Je peux me rendre à la coopérative, et si on me permet de vérifier tous les registres, vous le constaterez.
Ces gens ne travaillent pas, mais où ont-ils pris tout cet argent?
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup de votre présence tous les deux. C’est une conversation très intéressante.
Certains témoins nous ont dit que la légalisation sur le cannabis a entraîné une diminution de la consommation d’alcool. Je me demande quelle a été votre expérience et si vous avez des données à ce sujet.
M. Busch : Je ne suis au courant d’aucune donnée à ce sujet. D’après ce que j’ai pu observer personnellement, l’alcool demeure un problème majeur dans bon nombre de nos communautés. Personnellement, je n’ai pas remarqué de diminution de la consommation d’alcool. Je sais que les deux sont souvent consommés ensemble.
La sénatrice Hartling : Vous dites que cela n’a pas changé du tout?
M. Busch : Je n’ai remarqué aucun changement.
La sénatrice Hartling : Je suis curieuse parce que certaines personnes nous l’ont dit. Je voulais simplement vérifier. Peut-être que c’est différent selon les endroits. Merci.
Qu’en est-il pour vous?
M. Kochon : Non, je n’ai jamais vraiment vu de changements. Beaucoup plus de gens sont gelés, mais il y a aussi passablement d’alcool qui entre en jeu. Nous n’y pouvons rien. Nous essayons.
La sénatrice Hartling : Cela rend les choses plus complexes avec les deux produits?
M. Kochon : Eh bien, il semble que tout se fasse par la poste et tous les registres sont là. Nous le disons au gouvernement et à la police, mais nous ne pouvons rien y faire, à moins d’adopter une loi pour les arrêter. Je ne sais pas. Ce doit être rentable. Je ne suis pas sûr.
La sénatrice Hartling : Merci.
Le président : Monsieur Busch, j’ai une question pour vous. En quoi les défis que doivent relever les communautés des Premières Nations pour faire appliquer les lois relatives au cannabis diffèrent-ils selon le type d’entente sur les services de police en place dans la communauté?
M. Busch : L’application des lois des Premières Nations a toujours posé problème, car la police n’est qu’un des éléments du système juridique. Si la police doit appliquer une loi des Premières Nations, la question est de savoir à qui la personne visée s’adresse si elle veut plaider non coupable. Si elle reçoit une amende, à qui doit-elle la payer? Le reste du système n’existe pas dans la plupart des endroits. Quand la police applique une loi des Premières Nations, cela soulève vraiment un problème. Même si quelqu’un est expulsé de la communauté, où l’envoyez-vous et que faites-vous dans son cas? Quels sont vos pouvoirs?
Je connais certaines des lois que nous avons élaborées. L’une des communautés a adopté une loi contre les substances intoxicantes en vue d’interdire l’alcool. Elle voulait que nous allions dans les maisons des gens qui buvaient et que nous les sortions. Eh bien, nous avons dit tout d’abord qu’il y a ce qu’on appelle la Charte des droits et libertés. Habituellement, quand quelqu’un a trop bu, on veut le ramener chez lui, pas aller chez lui et le sortir. C’est une question très délicate sur le plan émotionnel et sur le plan politique pour la police. Nous revenons toujours sur le fait que, si les autres pièces du casse-tête ne sont pas en place, il est très difficile d’appliquer bon nombre de ces lois.
Les lois sur les drogues et les règlements provinciaux posent également des défis s’il n’y a pas de bonnes relations avec les services de police de l’extérieur, soit les différents organismes qui sont chargés de ces choses. L’échange de renseignements et d’informations serait utile à cet égard. Encore une fois, nos services de police se concentrent actuellement surtout sur la crise des opioïdes, du fentanyl et des drogues plus dures.
Le sénateur Patterson : Chef Kochon, votre première ministre est une Autochtone. Votre députée provinciale est une Dénée du Sahtu et elle est ministre. Avez-vous essayé de voir si le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest vous donnerait le pouvoir de réglementer ou d’ouvrir un magasin dans votre communauté?
M. Kochon : C’était sous l’ancien gouvernement que nous avons fait cela. Maintenant, c’est le nouveau gouvernement. Nous travaillons très bien avec la nouvelle administration, mais nous ne lui en avons pas parlé. Je suis prêt à lui en parler et à collaborer, mais il semble que les sous-ministres aient plus de pouvoirs que les ministres. Il ne sert à rien de parler aux ministres si rien ne se passe. Nous nous adressons toujours aux sous-ministres et à tous les bureaucrates, puis nous commençons à travailler avec eux. Nous avons aussi très bien collaboré avec le ministère de la Justice. Nous faisons de notre mieux pour contrôler ce qui entre dans notre communauté. Nous collaborons très bien avec la première ministre, mais je dois faire en sorte que tout le monde soit d’accord. À ce moment-là, nous ferons avancer les choses. Si ce n’est pas tout le monde qui est d’accord, si quelqu’un au sein du gouvernement n’écoute pas vraiment tout le monde, cela ne fonctionnera jamais. Les ministres doivent vraiment commencer à travailler avec les gens et ensuite utiliser ces renseignements pour changer certaines choses qui se produisent, les lois ou la façon dont la vente se fait dans nos communautés. Nous allons nous pencher sur la question et, chaque fois que nous en aurons l’occasion, nous allons nous en occuper uniquement pour protéger nos enfants. Merci.
Le sénateur Patterson : Je vous remercie de la présentation PowerPoint que vous nous avez envoyée. Elle nous donne de l’information sur les modifications que vous recommandez d’apporter à la loi. Nous vous en sommes donc reconnaissants.
Monsieur Busch, vous nous avez donné une très bonne idée des lacunes, des défis et des frustrations des services de police des Premières Nations. Nous croyons savoir que le gouvernement actuel examine une nouvelle loi concernant les services de police des Premières Nations. Je me demande si vous et votre organisation êtes des parties prenantes? Croyez-vous que le fait de modifier la loi pourrait régler certains des problèmes et des frustrations que vous nous avez décrits et auxquels vous êtes confrontés?
M. Busch : Oui, tout à fait. Nous travaillons avec Sécurité publique Canada et l’Assemblée des Premières Nations sur ce qu’ils appellent le projet de loi sur les services centraux depuis maintenant quelques années. Quand on dit qu’il pourrait s’agir d’un service central, on pourrait utiliser ce terme pour décrire une organisation qui n’ a pas le droit de faire la grève parce que le service qu’elle offre est essentiel et fondamental, mais ce que les services de police des Premières Nations entendent par des services essentiels découle du fait qu’ils sont considérés comme non essentiels depuis longtemps et comme un ajout ou une amélioration aux services de police généraux. Nous avons largement dépassé ce stade et nous voulons être reconnus comme faisant partie intégrante de la stratégie de maintien de l’ordre du Canada, en transformant cette relation de simple programme financé sur un, deux ou trois ans en quelque chose de plus permanent.
Je suis heureux de dire que bon nombre de nos ententes de financement ont été prolongées à 8 ou 10 ans, alors qu’auparavant il était presque impossible de faire une planification stratégique significative ou de recruter ou d’embaucher des gens lorsqu’on ne pouvait pas vraiment leur garantir catégoriquement qu’ils auraient un emploi dans un, deux ou trois ans chez nous. C’est donc un changement très positif. Pour ce qui est de nos ressources et des services que nous offrons, cela va assurément améliorer la capacité des services de police des Premières Nations autogérés d’offrir les services de police dont nos communautés ont besoin et qu’elles exigent de nous, et d’aller au-delà du fait d’être de simples intervenants qui passent d’un appel à l’autre, mais aussi nous donner une plus grande capacité d’être proactifs et de travailler plus étroitement avec nos communautés pour ce qui est de traiter — je dirais que certaines des choses dont nous parlons sont les symptômes de problèmes plus grands, plus profonds et souvent historiques qui touchent nos communautés. Je pense donc que cela augmente notre capacité. Cela nous aide sur le plan du recrutement et du maintien en poste des employés, ainsi que de l’expertise et de la formation qui nous seraient offertes si nous étions considérés comme essentiels.
Le sénateur Patterson : Merci.
Je sais que vous venez de la Saskatchewan, et vous avez parlé du grand défi des opiacés et du fentanyl. Le pays a été horrifié par la tragédie survenue récemment dans votre province, et on nous a dit que les opiacés avaient peut-être été un facteur. Ce problème crée-t-il des crimes violents? Est-ce le pire aspect de la question?
M. Busch : Au cours des dernières années, depuis la prolifération de la méthamphétamine en cristaux, nous avons bien sûr remarqué que les appels sont de plus en plus insensés. Nous rencontrons des gens qui sont totalement gelés parce qu’ils prennent cette drogue et qu’ils ne dorment pas depuis des jours, voire des semaines. Je ne parle pas seulement de membres de la communauté. Il y a dans notre communauté des gens qui viennent de centaines de milles et qui sont parfois armés ou qui ne sont pas là où ils sont censés être. Nous allons rapidement vers eux et, souvent, ils perçoivent la police comme une menace. Il peut y avoir des situations critiques. La nature des crimes et des crimes liés à la drogue que nous voyons est plus volatile et plus dangereuse, tant pour le public que la police.
Le sénateur Patterson : Merci.
Le président : Chef Kochon, les magasins de cannabis dans les réserves devraient-ils appartenir en totalité ou en partie aux bandes pour aider à compenser les coûts liés à la santé mentale, à la toxicomanie, aux services de police, etc.?
M. Kochon : Oui. Cela aiderait beaucoup, parce qu’elles peuvent exercer un plus grand contrôle.
Ma communauté n’a pas de service de police, et c’est nous qui nous occupons de certaines choses. Nous mettons parfois notre vie en danger. Nous devons le faire, parce que nous devons protéger nos gens, les personnes vulnérables.
Dans les grandes communautés, les chefs ou les dirigeants qui avaient eu la possibilité de vendre le produit ou de mieux le contrôler ont commencé à faire de la sensibilisation à ce sujet. Nous avions même des édifices de prêts. Ces choses ne se sont jamais produites parce qu’un certain bureaucrate pensait que nous ne pouvions pas le faire. Tout était prêt. Ce serait bien d’avoir la capacité de le faire nous-mêmes pour que nous puissions exercer un contrôle et utiliser ensuite l’argent pour aider nos gens.
Le président : Quelqu’un a-t-il d’autres questions?
Le temps alloué au panel est écoulé. Je rappelle aux témoins que s’ils ont d’autres documents à présenter au comité, ils peuvent le faire.
La sénatrice Martin : Chef, vous avez dit que vous n’aviez pas de service de police. Dans de tels cas, que se passe-t-il?
M. Kochon : Je les ai pris dans mes bras. Non, je plaisante. Il faut parfois appeler la police, mais il lui faut facilement 10 ou 12 heures pour se présenter sur place. Certains de nos membres doivent prendre les choses en main et essayer d’être là pour sauver des gens, ou être là comme une sorte de policier pour s’assurer que tout va bien. Nous n’avons pas à le faire, mais comme dirigeants, vous n’avez pas le choix. Comme je l’ai dit, nous mettons notre vie en danger quand on appelle la police, il peut y avoir un problème côté météo ou d’avion. La dernière fois, il a fallu attendre 11 heures alors qu’un gars se promenait avec une arme à feu.
La sénatrice Martin : C’est très préoccupant.
M. Kochon : Ils m’ont réveillé. Je suis allé voir et j’ai fini par m’emparer de l’arme. C’était bien. Ces choses se produisent. Cette personne avait aussi pris de la drogue, et c’était un frère aussi. Nous avons eu de la chance. Il a tiré quelques coups de feu, mais il n’est rien arrivé. Heureusement, personne n’a été tué. Il a même tiré sur la porte d’une salle où se déroulait une grande fête, et personne n’a été touché. C’était incroyable. On m’a appelé et je me suis demandé pourquoi mon téléphone ne cessait pas de sonner. J’ai donc répondu et j’ai fini par me rendre sur place. J’ai supposé qu’on l’avait désarmé, mais c’est moi qui ai dû aller la prendre avant que quelqu’un d’autre ne le fasse.
La sénatrice Martin : Bonté divine. Votre leadership vous amène à faire toutes sortes de choses. Je tiens à vous en remercier. Merci.
Le président : Avez-vous autre chose à ajouter, monsieur Busch?
M. Busch : Nous avons également travaillé avec Sécurité publique Canada à l’examen de la législation sur les services essentiels en ce qui concerne toutes les demandes de nouveaux services de police autogérés que nous recevons des communautés, ainsi que des conseils tribaux, et nous essayons d’établir un critère pour déterminer quel serait le meilleur modèle de service de police pour servir chacune de ces communautés. Il n’y a certainement pas de solution universelle pour les petites communautés isolées, car elles sont petites et éloignées géographiquement. Il faut toujours tenir compte des aspects économiques des services de police et du coût. Ce n’est pas un puits sans fond.
Nous parlons toujours de vouloir des foyers et des communautés sécuritaires. J’ai le regret de dire que bon nombre de nos communautés n’ont pas de foyers sécuritaires et ne sont pas en sécurité. Les gens barricadent leur porte la nuit à cause des trafiquants de drogue, des gangs et de ce genre de problème. C’est la même chose partout au pays dans les communautés autochtones.
Il pourrait y avoir différents modèles de services de police qui pourraient mieux servir les communautés. Dans une petite communauté, il se peut qu’il n’y ait pas toujours de policiers sur place. Elles auront peut-être un agent de sécurité communautaire qui sera en contact avec la police, de sorte que l’on puisse au moins réagir à ces problèmes pour s’assurer que les gens sont le plus possible en sécurité, pendant que les autres ressources qui pourraient être nécessaires auront le temps d’arriver.
Le président : Merci.
Y a-t-il d’autres questions? Je n’en vois pas.
Encore une fois, je rappelle à nos témoins que, s’ils ont des renseignements supplémentaires qu’ils souhaiteraient communiquer à notre comité, ils veuillent bien les transmettre par écrit d’ici la semaine prochaine à notre greffière, Mme Mugny.
Le temps alloué à ce groupe est maintenant terminé. Encore une fois, je vous remercie tous les deux d’avoir témoigné devant nous ce soir. Merci.
(La séance est levée.)