LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 22 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sous-sections A et B de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique d’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais tout d’abord souligner que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe et exprimer ma gratitude pour son rôle de gardien passé, actuel et futur de ce territoire.
Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité des peuples autochtones.
Avant de commencer notre séance, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes dans la salle de ne pas s’approcher trop près du microphone ou, si elles le font, de retirer leur casque d’écoute. Nous éviterons ainsi les retours de son qui pourraient avoir des effets négatifs sur le personnel du comité présent dans la salle.
Je vais maintenant demander aux membres du comité présents de se présenter en se nommant et en précisant leur province ou territoire.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire du Traité 6, en Alberta.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
[Français]
La sénatrice Saint-Germain : Sénatrice Raymonde Saint-Germain, du Québec. Bienvenue.
[Traduction]
Le président : Merci, sénateurs. Aujourd’hui, nous sommes réunis pour étudier la teneur des éléments des sous-sections A et B de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-32, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 3 novembre 2022 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022. Ces dispositions ont trait à l’adoption de la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations — la LACGTPN — et l’abrogation de la Loi sur la gestion des terres des premières nations.
J’aimerais présenter nos premiers témoins. Nous avons avec nous aujourd’hui le chef Robert Louie et le conseiller Bill McCue, du Conseil consultatif des terres, ainsi qu’Andrew Beynon, directeur de la gouvernance foncière au Centre de ressources sur la gestion des terres des Premières Nations.
On m’a informé que le chef Louie et M. McCue feront chacun une déclaration liminaire d’environ cinq minutes et que M. Beynon interviendra pendant la période de questions qui suivra.
Robert Louie, chef, Conseil consultatif des terres : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter des observations favorables à la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations.
Je suis le chef de la Première Nation de Westbank, en Colombie-Britannique. J’ai également le plaisir de présider le Conseil consultatif des terres des Premières Nations depuis sa création, il y a plus de 30 ans. Le Conseil consultatif des terres est à l’origine de l’accord-cadre novateur sur la gestion des terres de premières nations et défend les intérêts politiques de nos 194 Premières Nations signataires.
Notre principale tâche consiste à établir des codes fonciers modernes et plus appropriés, conçus par les communautés et se rapportant expressément à l’autogestion des terres et des ressources, et à nous soustraire aux 44 articles — soit environ 25 % — de la Loi sur les Indiens qui régissent les autres Premières Nations. À ce jour, 104 Premières Nations ont rétabli leur autorité inhérente et 44 autres en sont actuellement au stade du développement.
Pour les Premières Nations comme pour le Canada, il s’agit d’un changement important et marquant sur le plan historique. La Loi sur les Indiens est porteuse d’un terrible héritage colonial et est en vigueur depuis plus de 150 ans. Avec la suppression et le remplacement d’une grande partie de la Loi sur les Indiens, les Premières Nations peuvent prendre leurs propres décisions concernant leurs propres terres, avec leurs propres membres et selon leurs propres processus. Les décisions peuvent être prises en quelques jours ou semaines, au lieu de mois ou d’années sous le régime de la Loi sur les Indiens. Les Premières Nations qui ont adopté un code foncier disposent d’un pouvoir législatif gouvernemental reconnu ainsi que d’un pouvoir de gestion reconnu sur leurs terres et leurs ressources.
L’accord-cadre est un accord de gouvernement à gouvernement entre les Premières Nations et le Canada. Il a été signé en 1996 par 13 Premières Nations et le Canada sur le territoire de la Première Nation des Chippewas de Georgina Island, en Ontario. Mon collègue de droite, Bill McCue, était le chef à l’époque.
Trois ans plus tard, le Canada a ratifié cet accord en adoptant la Loi sur la gestion des terres des premières nations, aussi appelée la LGTPN. Toutefois, un problème majeur est survenu lors de cette ratification en 1999.
Le libellé de la Loi sur la gestion des terres des premières nations de 1999 visait à reproduire les engagements contenus dans l’accord-cadre, et dans certains domaines, on a eu recours à un langage divergent. Malheureusement, d’autres engagements contenus dans l’accord-cadre ont été entièrement laissés de côté. Cela a engendré une situation troublante et problématique, car c’est un texte secondaire et différent des engagements de l’accord-cadre original, destiné à guider sa mise en œuvre, qui a été institué. Comme vous pouvez l’imaginer, cette situation a entraîné de la confusion, des retards et des conflits quant à savoir quel texte était prépondérant.
Les différents recoupements de texte dans la Loi sur la gestion des terres des premières nations posaient un autre problème : ils donnaient souvent l’impression aux Premières Nations, comme à d’autres, que le droit inhérent des Premières Nations à l’autonomie gouvernementale sur les terres était soumis aux lois, à la direction et au contrôle du Canada, plutôt que d’être reconnu et mis en œuvre par les Premières Nations. Cette impression est fondamentalement fausse.
Les signataires de l’accord-cadre, ainsi que le Conseil consultatif des terres, considèrent qu’il s’agit d’un processus dirigé par les Premières Nations et non d’un programme gouvernemental, comme le disent à tort de nombreux acteurs du gouvernement. Il faut corriger cela.
Depuis 2020, le Conseil consultatif des terres travaille avec diligence et de manière approfondie avec les deux Premières Nations signataires au Canada pour rationaliser le nouvel Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations en le limitant à 5 pages au lieu des 48 pages encombrantes de la Loi sur la gestion des terres des premières nations de 1999.
Nous avons tenu de nombreuses séances avec les Premières Nations signataires et avons reçu, lors de ces séances, un soutien unanime pour poursuivre ce travail important. Nous avons également l’appui de l’Assemblée des Premières Nations. Une lettre d’appui de l’Assemblée des Premières Nations a été remise à la greffière pour vos dossiers et votre examen préalable.
Nous croyons fermement que cette nouvelle loi permettra de ratifier l’accord-cadre de la façon initialement prévue et de renvoyer les lecteurs à un seul texte directeur pour les détails les plus importants de la mise en œuvre.
Je me ferai un plaisir de répondre aux questions et de fournir d’autres exemples, si on me le demande, quant au décalage entre la loi actuelle et l’accord-cadre. Je cède maintenant la parole à mon collègue et ami de longue date, Bill McCue, des Chippewas de Georgina Island. Merci, lim limpt.
Bill McCue, conseiller, Conseil consultatif des terres : Merci et bonjour, distingués sénateurs. J’aimerais moi aussi souligner que je me trouve sur le territoire traditionnel des Algonquins.
Je m’appelle Bill McCue. Je suis actuellement conseiller au sein de ma Première Nation, les Chippewas de Georgina Island, en Ontario.
En 1996, j’étais le chef de ma communauté lorsque l’accord‑cadre a été signé. En 1993, nous avions adopté notre code foncier avant la signature de l’accord-cadre. Ce faisant, notre Première Nation voulait s’affranchir des dispositions de la Loi sur les Indiens qui contrôlaient notre autorité.
Nous avons commencé avec un petit groupe de Premières Nations aux vues similaires qui en avaient assez de la paperasserie, du contrôle et des effets débilitants de la Loi sur les Indiens. Nous devions tracer une voie qui, d’une part, assurerait le rétablissement contrôlé, prudent et concret de l’autorité sur notre territoire et, d’autre part, garantirait la préservation adéquate de nos droits, intérêts et mécanismes de protection.
L’Accord-cadre nous en a donné l’occasion. Depuis que ma communauté a instauré son code foncier, nous avons rencontré quelques défis, mais aussi remporté d’importants succès. C’est réellement à ce moment-là que nous avons commencé à former nos réconciliations économiques. Notre communauté a prospéré sous le régime de la loi, mais comme toute chose en droit, la loi doit progresser et évoluer au fil du temps. Il n’est pas facile de s’affranchir de la Loi sur les Indiens après plus d’un siècle et demi, mais il ne nous viendrait jamais à l’esprit de retourner en arrière. Je pense que nos aînés m’étrilleraient si nous disions que nous revenons à la Loi sur les Indiens.
Maintenant que nous avons du pouvoir et du contrôle sur nos affaires, je pense que cette mesure est essentielle. La Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations permettra d’éviter toute ambiguïté dans l’exercice du pouvoir des Premières Nations, simplifiera substantiellement l’apport de modifications à l’Accord-cadre dans l’avenir et se traduira par une réduction considérable des dépenses et du temps pour le gouvernement et les Premières Nations. L’absence de texte en double fera en sorte que les modifications qu’on conviendra d’apporter dans l’avenir n’exigeront pas l’apport d’un ensemble de modifications corrélatives dans la loi de ratification.
Depuis 1988, nous avons apporté six modifications à l’Accord-cadre, devant chaque fois travailler officiellement avec le gouvernement fédéral pour apporter les modifications législatives en même temps.
Outre la dépense considérable qu’entraînent les négociations avec les fonctionnaires de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, et avec les équipes des services juridiques et de rédaction du ministère de la Justice, nous devions également collaborer avec l’organisme central et exercer des pressions sur les députés, les sénateurs, les ministres et les premiers ministres, accaparant ainsi le temps de la Chambre et du Sénat.
Les modifications relativement légères exigent encore des efforts considérables. La Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations éliminera ce dédoublement de tâches et ces dépenses superflues. Toutes les parties y gagneront, qu’il s’agisse des Premières Nations, du gouvernement ou de la population canadienne.
Je vous remercie beaucoup de votre attention. Lim limpt.
Le président : Je vous remercie, chef Louie et monsieur le conseiller McCue. Avant de passer aux questions, je rappelle à toutes les personnes dans la salle de ne pas trop s’approcher du microphone ou d’enlever leur casque d’écoute s’ils le font.
À votre avis, pourquoi faut-il tant de temps pour prendre des décisions au sujet des terres de Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens?
M. Louie : Je vous remercie, monsieur le président. Je me ferai un plaisir de répondre à cette question. La bureaucratie est très lourde à SAC et à RCAACC, car il y a de nombreuses étapes à passer. Le pouvoir de décision relève du ministre, de SAC et de RCAACC. Le processus est lourd et long. Pour effectuer une location par l’entremise de ce processus, par exemple, on a besoin d’un document de développement économique et de l’instrument de location, mais on ne peut pas procéder rapidement. Cela prend du temps, parfois des années, et il arrive que l’occasion d’affaires ne se concrétise pas. On n’a tout simplement pas le temps.
Aux termes d’un code foncier des Premières Nations, conformément à l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, ces procédures peuvent se régler rapidement, en quelques semaines ou en quelques jours. Il n’y a pas de perte de temps et la décision est prise par la communauté. Voilà ce que c’est, la gouvernance et le développement économique. La situation est complètement différente. C’est le jour et la nuit entre les deux processus.
Le président : Je vous remercie, chef Louie. À titre d’ancien chef, je suis on ne peut plus d’accord.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie. J’ai deux questions, la première s’adressant au chef Louie. Je vois que dans le résumé publié sur son site Web, le Conseil consultatif des terres indique que l’Accord-cadre n’est pas un traité et n’a aucune incidence sur les traités existants. Je sais qu’il s’agit d’une question particulièrement épineuse en Alberta, puisque les chefs signataires de traités ne veulent pas faire quoi que ce soit qui puisse nuire aux droits issus de traités ou à la compréhension d’un traité.
Pourriez-vous nous aider à comprendre comment cette loi pourrait ne pas avoir d’incidence sur un traité?
M. Louie : Je vous remercie beaucoup. Lorsque nous avons travaillé et nous sommes assis avec les Premières Nations du Canada au début du processus, quand l’Accord-cadre était en cours de rédaction, nous avons tenu maintes discussions avec elles.
Comme vous le savez, la majorité des Premières Nations du Canada sont signataires d’un traité. Il a donc été très clair qu’aucune Première Nation ne participerait si elle avait l’impression que son traité serait en péril. Parmi les principes fondamentaux de l’Accord-cadre figurait celui stipulant que l’accord n’aurait pas d’incidence sur les traités. C’est quelque chose que les Premières Nations ont exigé et la loi n’aurait pas été adoptée si cela n’avait pas été le cas.
Nous avons toujours adhéré à ce principe. Nous soutenons les traités et les ententes conclus entre les gouvernements et les Premières Nations, et ce principe est absolument fondamental.
En Alberta, nous avons récemment reçu la Première Nation qui a adopté le code foncier, soit celle des Cris des Bois. Nous espérons que l’Alberta ouvrira la porte à d’autres Premières Nations signataires de traités dans la province. Nous travaillons activement au développement de ces communautés et à l’élaboration de codes fonciers.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Moi également. Ma deuxième question s’adresse à M. McCue et au chef Louie. Pouvez-vous aider le comité à comprendre quels étaient les pouvoirs du gouvernement avant l’Accord-cadre? Maintenant que l’Accord-cadre existe, particulièrement dans sa présente version, quels sont les pouvoirs des Premières Nations actuellement? Pouvez-vous nous donner un exemple de la réconciliation économique dont vous parlez?
M. McCue : Je vous remercie de poser cette question. Je vous fournirai une explication en m’inspirant de notre communauté. Cette dernière se trouve à 50 miles au nord de Toronto, sur un territoire comptant de nombreux chalets à louer. À l’époque, c’était la Couronne, sa Majesté la Reine, qui était locateur.
L’annulation et la conclusion de baux devaient être approuvées par le gouvernement du Canada. Comme le chef Louie l’a souligné plus tôt, cela pouvait parfois prendre deux ans, voire plus, et les gens se désintéressaient de l’affaire. Nous perdions ainsi une occasion d’établir une économie pour notre peuple et nos communautés. À cela s’ajoutait la question de la perception des loyers et des revenus de location. Le ministère les percevait alors pour nous, car c’est lui qui était le locateur et pas nous.
Quand notre Première Nation a initialement adopté son code foncier, un audit a permis de découvrir que près de 240 000 $ en revenus non perçus ne nous avaient pas été versés, car c’était le gouvernement du Canada qui gérait nos affaires à l’époque. C’est une somme substantielle.
Nous avons maintenant le pouvoir de percevoir les loyers et de conclure des baux. Nous envisageons de créer un registre foncier pour les Premières Nations.
Quant aux aspects environnementaux, il incombait au Canada de faire respecter les lois environnementales. Certains de ces chalets étaient là depuis un certain nombre d’années, et leurs installations septiques, c’était des barils de pétrole de 45 gallons qui fuyaient et contaminaient ainsi notre eau. Nous avons essayé d’annuler leurs baux, mais les baux n’avaient pas été conclus avec les Premières Nations, mais avec le Canada. Il n’y avait pas beaucoup de personnel pour s’occuper des 133 Premières Nations du Canada. En outre, elles étaient taxées.
Toutefois, nous avons maintenant autorité en la matière. Nous avons notre propre service de l’environnement. Nous pouvons veiller à ce que ces chalets respectent les lois environnementales. Nos lois sont semblables aux lois environnementales du Canada ou de l’Ontario. En fait, elles sont plus rigoureuses que ces autres lois, car la protection des terres et de l’eau est notre responsabilité.
Comme je l’ai dit, notre communauté a été la première au Canada à adopter un code foncier. Nous ne savions pas où cela mènerait, mais nous connaissions notre situation sous le régime de la Loi sur les Indiens, et nous voulions améliorer les choses.
M. Louie : Monsieur le président, puis-je ajouter quelque chose à cet égard pour aider les sénateurs? C’est une très bonne question, car si l’on examine les pouvoirs conférés aux Premières Nations par la Loi sur les Indiens et les pouvoirs conférés par le code foncier en vertu de l’Accord-cadre, c’est le jour et la nuit.
En vertu de la Loi sur les Indiens, une Première Nation ne peut pas adopter de règlements, qui sont des instruments subsidiaires assujettis à une autre loi, en l’occurrence la Loi sur les Indiens. La Première Nation n’est pas le décideur et n’a pas le pouvoir de légiférer. C’est une entité subordonnée.
En vertu du code foncier, la situation est totalement différente. Les Premières Nations ont un pouvoir législatif. Elles ont l’autonomie gouvernementale, le pouvoir de faire des lois. La Loi sur les Indiens ne s’applique pas à notre gestion des terres et des ressources. L’autonomie gouvernementale est instituée. Il y a une différence considérable entre la Loi sur les Indiens et les Premières Nations dotées de codes fonciers.
Le président : Je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice Saint-Germain : Merci beaucoup. Ma question s’adresse au chef Louie et à l’ancien chef et conseiller, M. McCue. Elle porte sur le processus consultatif qui a mené à cet Accord-cadre.
Si je ne me trompe pas, vous semblez plutôt satisfaits des consultations avec vous. Ma question est la suivante : cet accord devrait-il servir de nouveau modèle pour les consultations entre le gouvernement et les Premières Nations, ou ce processus pourrait-il être amélioré de quelconque façon?
M. Louie : Sénatrice Saint-Germain, je suis heureux que vous ayez posé cette question, car je pense qu’il est très important d’adopter un nouveau modèle. Ce que cela signifie, dans ce cas, si l’on revient en arrière, c’est qu’il y avait à l’origine un très bon processus consultatif. Les Premières Nations et le Canada ont travaillé ensemble à la conclusion d’un accord-cadre fondé sur des principes appropriés. Tout allait bien.
Tout allait bien jusqu’au moment où la mise en œuvre de l’Accord-cadre dépendait de sa ratification par le Canada. L’Accord-cadre a été négocié et conclu en 1996. La loi a finalement été adoptée en juin 1999.
Malheureusement, la mesure législative qui a été adoptée ne reprenait pas l’ensemble des principes et ne reflétait pas l’intention de l’Accord-cadre. Même si le processus consultatif était bon, la situation s’est enlisée lors de l’élaboration de la mesure législative.
Le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, la Loi sur l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, vise à remédier à cette situation. Il s’agit de remettre l’accent sur l’Accord-cadre, soit les principes, l’entente et l’intention du gouvernement du Canada et des Premières Nations. Je pense que cela permettra de dissiper l’incertitude.
Cela pourrait éviter d’éventuelles poursuites découlant d’interprétations erronées. Comme mon collègue, le conseiller Bill McCue, l’a mentionné, cela pourrait représenter des économies pour le Canada et les Premières Nations, sans que des amendements soient nécessaires. Il y a eu six amendements, ce qui entraîne chaque fois un long processus. Le Canada doit suivre son processus, et les Premières Nations doivent suivre le leur, ce qui a entraîné des retards de plus d’un an, voire deux, dans la mise en place des modifications.
Grâce au processus prévu par la nouvelle Loi sur l’Accord‑cadre relatif à la gestion des terres de premières nations, nous éliminerons ce dédoublement. Ainsi, le Canada et les Premières Nations économiseront de l’argent, et nous nous mettrons au travail beaucoup plus rapidement.
Andrew Beynon, directeur de la gouvernance foncière, Centre de ressources sur la gestion des terres des Premières Nations : Permettez-moi d’ajouter quelque chose à cela, brièvement, car cette question sur les consultations est fort intéressante.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’accord-cadre n’est pas quelque chose que le Canada a décidé de son propre chef, puis a consulté les Premières Nations à l’étape de la rédaction. L’accord-cadre est vraiment piloté par les Premières Nations. Il traite des objectifs des Premières Nations en matière de gouvernance des terres, de gouvernance environnementale et de gouvernance des ressources naturelles. Puisque l’accord est piloté par les Premières Nations, il n’y a pas autant de problèmes de consultation dont vous entendez probablement parler, à titre de sénateurs, sur divers fronts.
Quant aux améliorations au fil du temps, cette nouvelle mesure législative modifie l’ensemble du processus et permettra d’éliminer certaines difficultés avec le Canada lors de la rédaction et de la modification de lois.
À cet égard, je dirais seulement que nous avons publiquement demandé ou suggéré au gouvernement de mettre en place à l’avenir un processus favorisant une consultation directe avec les rédacteurs législatifs, particulièrement dans le cas de mesures législatives adoptées par le Parlement qui portent directement sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations. Il serait très utile d’offrir aux Premières Nations l’occasion de travailler directement avec les rédacteurs législatifs lorsqu’une mesure législative touche à ces droits, ces pouvoirs ou cette autorité, étant donné qu’elles ont tout intérêt à ce que ces mesures législatives soient rédigées correctement.
La sénatrice Saint-Germain : Je vous remercie.
Le président : Monsieur Beynon, pourriez-vous décrire le soutien que les Premières Nations reçoivent du Centre de ressources sur la gestion des Premières Nations?
M. Beynon : J’ai l’honneur de travailler directement, en tant qu’employé avec le centre de ressources, un organisme constitué en société à but non lucratif qui a essentiellement pour rôle de travailler avec les Premières Nations qui souhaitent explorer cette option ou qui cherchent activement à proposer un code foncier à soumettre à l’approbation des membres, et avec les Premières Nations du pays qui sont devenues opérationnelles et qui ont un code foncier.
Donc, un certain nombre de nos employés travaillent directement avec les Premières Nations, en fonction de leurs priorités, afin d’assurer la mise en œuvre la plus efficace possible de l’accord-cadre dans l’ensemble du pays.
Nos services vont du travail de rédaction des codes fonciers à la décision des membres. Nous pouvons participer à la rédaction de lois et travailler avec le conseiller juridique d’une Première Nation sur les lois qu’elle souhaite adopter. Certains de nos employés sont spécialisés en planification de l’utilisation des terres. Nous avons un système d’information géographique, ou SIG, et une capacité de cartographie, un réseau très actif de Premières Nations dotées d’un code foncier qui cherchent à collaborer sur ces questions. Nous avons des spécialistes des questions environnementales qui travaillent sur les plans de gestion environnementale et sur les problèmes environnementaux hérités du passé. Nous avons une division spéciale chargée de la formation, et nous organisons régulièrement une série d’activités de formation pour les gestionnaires fonciers, actuels et nouveaux, dans l’ensemble du pays.
Le dernier élément que je souhaite mentionner, c’est que nous avons un bureau de relations intergouvernementales. Par exemple, dans le cadre de la rédaction de cette mesure législative, le centre de ressources a assuré la direction de ce travail en collaboration avec les fonctionnaires fédéraux, certes très talentueux, mais au nom des Premières Nations.
Ensuite, si notre travail menait à la modification de lois ou de l’accord-cadre, à des innovations majeures, notamment des changements à la Politique sur les ajouts aux réserves du Canada, ou à notre proposition relative à un nouveau registre des terres, et cetera, cela retournerait à l’échelon politique, où les dirigeants du Conseil consultatif des terres s’assurent que les dirigeants des Premières Nations de partout au pays appuient également les initiatives, habituellement à l’occasion de réunions spéciales ou d’assemblées générales annuelles.
Le président : Je vous remercie de votre réponse.
Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence. Je suis ravi de vous voir. C’est une bonne raison de venir à Ottawa.
Vous avez parlé de la rédaction législative. Serait-il juste de dire que l’essentiel de la rédaction législative qui a été faite découle du paradigme — même avec les accords modernes — selon lequel il y a une délégation de pouvoir du point de vue de la surveillance et de l’administration de cet accord, mais que le pouvoir demeure aux mains du Canada? Or, il s’agit ici d’une rare occasion où l’on reconnaît, possiblement, qu’il n’a plus ce pouvoir, que ce pouvoir n’est pas délégué, que ce pouvoir a été cédé ou que le Canada n’a jamais détenu ce pouvoir et que cela ne le regarde plus. Les choses vont-elles nécessairement dans ce sens?
Pensez-vous que les accords de ce genre entraîneront des pertes d’emplois à Ottawa? Il y a environ 5 000 personnes qui gèrent les relations avec les Autochtones, ici, à Ottawa. Personnellement, je pense qu’il serait vraiment intéressant d’entendre des annonces disant qu’une centaine d’emplois disparaîtront en raison de cet accord ou d’un autre, par exemple.
Je me demande simplement si nous entrerons un jour dans une ère où l’on n’aura pas à reconnaître qu’il y a plus de 5 000 personnes, ici à Ottawa, qui doivent se lever tous les matins et qui doivent trouver quelque chose à faire. Ils continueront à trouver quelque chose à faire. Vous avez parlé de renouvellements de baux de deux ans, et cetera. C’est de cela qu’il s’agit.
Comment pouvons-nous accélérer la venue de cette ère? Je suppose que c’est ma première question. Je vous donne l’occasion de donner libre cours à votre pensée.
Deuxièmement, pouvez-vous me dire ce que cela signifie, le cas échéant, pour l’accession à la propriété dans les communautés?
M. Beynon : Vous posez une question très intéressante, et il nous faudrait environ trois heures pour y répondre.
Je dirai très brièvement que je pense que vous avez mis le doigt sur le problème. L’accord-cadre est un exercice d’autonomie gouvernementale de la part des Premières Nations. L’importance de l’accord avec le Canada, ce n’est pas que le Canada délègue des pouvoirs, mais plutôt qu’il respecte l’exercice de droits inhérents et qu’il met fin aux anciennes dispositions colonialistes de la Loi sur les Indiens.
À l’origine, et même depuis les années 1990, je sais que nos dirigeants ont affirmé avec vigueur qu’il ne s’agit pas d’une délégation de pouvoirs par le Canada ou qu’il ne s’agit pas, pour le Canada, de dicter comment les Premières Nations signataires de l’accord-cadre aborderont ces questions. Comme le chef Robert Louie l’a indiqué, en vertu de l’accord-cadre, c’est à chacune des Premières Nations qu’il incombera de décider s’il faut adopter des lois, de déterminer quelles lois adopter, d’établir les plans d’utilisation des terres, de déterminer quelles terres seront conservées ou développées, et de définir comment les baux doivent être rédigés. Essentiellement, il s’agit d’un exercice d’autonomie gouvernementale, et ce, dès le début, dans les années 1990.
La nouvelle mesure législative va encore plus loin en ce sens, car malheureusement, dans le passé, certains acteurs du milieu juridique, certains agents immobiliers et même des membres des Premières Nations avaient tendance à souligner que nous étions sous le régime de la LGTPN — la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations — et à nous demander ce que cette loi nous permettait de faire. Nous ne cessions de les inviter à consulter l’Accord-cadre, que les Premières Nations ont approuvé à l’issue d’un vote des membres. C’est dans l’Accord‑cadre qu’est exposé le point de vue des Premières Nations sur diverses questions importantes, notamment les droits inhérents, les droits issus de traités, les pouvoirs législatifs, et cetera.
C’est à la fois une très bonne nouvelle et un pas dans la bonne direction.
Pour ce qui est des fonctionnaires d’Ottawa, cela change vraiment la donne. Ces 25 dernières années, les Premières Nations ont entrepris un virage très important vers l’exercice de leur autonomie gouvernementale en vertu de l’Accord-cadre, afin de ne plus dépendre de décisions prises à Ottawa ou même dans les bureaux régionaux.
Cela dit, il reste tout de même une relation importante avec le Canada. Il s’agit en fin de compte d’une relation de gouvernement à gouvernement, et, en vertu de l’Accord-cadre, les Premières Nations ne sont pas isolées. Il y a beaucoup d’interactions avec d’autres gouvernements. Je pense donc que les fonctionnaires, qu’ils soient à Ottawa ou en région, continueront de travailler en partenariat avec les Premières Nations pour appuyer le développement économique, les aider à tirer parti des débouchés économiques futurs et à travailler avec d’autres ministères, notamment Environnement et Changement climatique Canada ou Pêches et Océans Canada pour les questions qui concernent toujours le gouvernement fédéral.
Il s’agit d’un virage radical, du passage d’une situation caractérisée par la prise de décisions et les obstacles à Ottawa à un partenariat et des efforts visant à appuyer les Premières Nations dans ce qu’elles font.
M. Louie : Merci, monsieur le président.
Permettez-moi d’ajouter quelque chose, sénateur Tannas. Je vous remercie beaucoup de votre question.
J’aimerais aborder deux points que vous avez soulevés, si vous le permettez. Le premier concerne les emplois, la création d’emplois et les possibles pertes d’emplois. Du point de vue des Premières Nations, les collectivités qui ont le pouvoir de légiférer et qui peuvent aller de l’avant sur le plan du développement économique ont connu un retentissant succès depuis plus de 20 ans, soit depuis l’adoption de la loi en 1999. Dans les collectivités, nous avons généré des milliards de dollars en activités économiques, ou plusieurs centaines de millions de dollars dans certaines communautés. Cela se traduit par des emplois, non seulement dans les Premières Nations, mais aussi dans la communauté locale, la province et la région.
Dans certains cas, certains dirigeants ont indiqué que leur taux de chômage est passé de plus de 90 % à moins de 5 %, ce qui représente des avantages et des emplois considérables. La Première Nation des Dakota de Whitecap, à Saskatoon, en Saskatchewan, est un exemple. Des centaines d’emplois, littéralement des dizaines de milliers d’emplois ont été créés. C’est une situation gagnante, et un excellent avantage pour les Premières Nations, les collectivités locales, les provinces et le Canada dans son ensemble.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’accession à la propriété, c’est une question très importante parce que les Premières Nations ont besoin de se loger et doivent avoir la possibilité de construire des logements, et cetera. En vertu de la Loi sur les Indiens, il y a des limites. Comment peut-on utiliser des terres de réserve en guise de garantie? Cela devient très difficile.
La situation, avec la SCHL — la Société canadienne d’hypothèques et de logement —, c’est qu’une Première Nation doit mettre ses ressources en commun pour garantir le prêt. Par conséquent, de nombreuses Premières Nations se sont tournées vers la gestion par un séquestre-administrateur. Le nombre de prêts et de garanties est trop élevé, et 30 % des Premières Nations du Canada ont fait appel à un séquestre-administrateur à un moment donné en raison du logement.
Aujourd’hui, grâce aux codes fonciers, nous pouvons traiter avec la Société canadienne d’hypothèque et de logement, ou SCHL. De fait, nous faisons du lobbying depuis plus de 20 ans auprès de la SCHL pour que soit mis sur pied un mécanisme qui dégagerait les Premières Nations de l’obligation de fournir collectivement des garanties avant la construction de maisons. Aujourd’hui, les communautés comptent à la fois des lots appartenant à une bande et des lots individuels pour les terres visées par un certificat de possession. Nous avons négocié une entente avec la SCHL et le secteur bancaire canadien pour établir ce que nous appelons des « baux A-à-A ». Cette entente a reçu l’appui de toutes les grandes banques et coopératives de crédit. Nous avons des prêts financés par la SCHL. Beaucoup de portes se sont ouvertes. Les Premières Nations peuvent désormais construire des logements et régler plusieurs questions sans craindre de devoir fournir des garanties complètes ou d’avoir à recourir à la gestion par un tiers. Ce sont des avantages non négligeables.
La Loi sur les Indiens ne prévoit pas ces mécanismes.
M. McCue : Je suis d’accord avec ce qu’a dit le chef Robert Louie à propos de la création d’emplois. Certains membres de notre communauté qui travaillaient à Ottawa sont revenus travailler avec notre Première Nation pour donner un coup de main dans le domaine des terres. À présent que nous avons notre code foncier, nous pouvons offrir des possibilités et profiter de cette expérience, après avoir connu depuis beaucoup trop longtemps l’exode de nos jeunes.
Aujourd’hui, ils reviennent. La possibilité d’obtenir un code foncier et les programmes novateurs de logement vont de pair avec un mécanisme qui les incite à revenir à la maison. Après l’exode, nous assistons au retour. Si certains d’entre eux reviennent travailler pour nous après leurs études universitaires, c’est parce que nous détenons les pouvoirs et le champ de compétence. Merci d’avoir posé cette question.
Le sénateur Tannas : Merci, monsieur McCue. Comme je suis de l’Ouest, je dois saluer l’immense réussite de la Première Nation de Westbank. L’homme d’affaires en moi voit votre communauté grandir et prospérer depuis les trois dernières décennies. Voilà une réussite remarquable dont vous êtes le principal artisan. Bravo.
M. Louie : Merci, sénateur Tannas.
La sénatrice Hartling : Merci d’être parmi nous aujourd’hui. Vos commentaires sont très instructifs. Je sais que la progression vers l’autonomie gouvernementale, pour vous et pour nous tous, enrichit le Canada comme pays.
Je voudrais vous poser quelques questions. Dans les périodes de changements, évidemment, il y a ceux qui ne veulent pas perdre leurs prérogatives, mais il y a un autre aspect. Selon vous, comment cela s’inscrit-il dans les efforts vers la réconciliation? Quelles autres difficultés se trouveront sur votre chemin? Vous avez mentionné les propriétaires de chalet, qui seront probablement contrariés. Voyez-vous d’autres difficultés à l’horizon? Enfin, quels sont les éléments favorables relatifs à la réconciliation, en plus de ceux que vous avez déjà mentionnés?
M. McCue : Merci pour la question. Vous avez raison de dire qu’il y a eu des difficultés. Certains groupes étaient plutôt réticents, notamment les tiers et les propriétaires et locataires de chalet. Par contre, nous savions, en tant que communauté, comme je l’ai mentionné, ce que prévoyait la Loi sur les Indiens. Lors du vote, 96 % des membres de la communauté ont voté en faveur du code foncier. Pour moi qui étais chef à ce moment-là, ce vote démontrait que les gens étaient insatisfaits du régime en place à l’époque.
Nous avons progressé depuis et nous avons fait nos propres lois. Entre autres aspects positifs, le code foncier nous a permis, pendant les trois années de confinement, d’exercer encore plus efficacement nos compétences pour assurer la sécurité de la communauté. Aucun cas de COVID n’a été recensé dans la communauté pendant les deux premières années de la pandémie. Nous avons ensuite assoupli les règles et commencé à permettre des réouvertures, ce que souhaitaient ardemment les membres de la communauté. C’est à ce moment-là qu’un visiteur infecté a transmis le virus, qui s’est ensuite propagé dans toute la communauté.
Au sujet de la réconciliation, notre peuple a un sentiment de fierté. Nous continuons de travailler avec le gouvernement sur toutes sortes de questions. Comme je l’ai dit, nous entretenons aussi de bonnes relations avec la province. Nous avons des commerces dans les petites localités. Nous détenons des propriétés sur le continent et sur l’île, où nous avons établi un centre d’entreprises. Nous sommes le troisième plus grand employeur dans la région. Les membres de notre communauté y travaillent, mais aussi les résidants des localités avoisinantes. L’argent a engendré une forme de réconciliation économique. Avant d’avoir notre code foncier, nous avons dû lutter contre le système de gestion par les tiers au début des années 1990. À cette époque, comme je l’ai mentionné, nous n’avions pas accès aux revenus des baux, car ceux-ci n’étaient pas perçus en notre nom. Nous devions demander au gouvernement canadien les revenus de nos propres baux dans le cadre d’un processus passablement compliqué.
À présent, grâce aux règlements en vertu de traités et au développement commercial, notre Première Nation génère une capacité d’investissements et de revenus de plus de 140 millions de dollars.
Comme je l’ai dit, il s’agit de la réconciliation économique. Pour ce qui est de la réconciliation avec les membres de notre communauté et leur relation avec les terres, ceux-ci constatent qu’ils ont voix au chapitre sur la gestion de leurs terres. Ils se sentent investis de la responsabilité de dire si ce qui a été fait est bon pour eux et concorde avec leurs valeurs traditionnelles.
La sénatrice Hartling : Vos propos sont très inspirants. Merci.
M. Louie : Sénatrice Hartling, merci de votre excellente question. Je vais fournir une réponse en deux volets.
Premièrement, la réconciliation est primordiale. Elle est d’une importance fondamentale. Concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la reconnaissance du Canada, je pense que l’adoption de la nouvelle mesure législative sur l’accord-cadre accélérerait grandement la réconciliation avec notre Première Nation en donnant à l’accord‑cadre — à l’entente de gouvernement à gouvernement et aux principes qui y sont énoncés — une place centrale et un caractère primordial. Ce document est très important pour la réconciliation. D’ailleurs, c’est ce qui a permis d’obtenir le soutien unanime des Premières Nations lorsque nous en avons discuté aux assemblées générales du Conseil consultatif des terres. Nos communautés attendent et espèrent que le projet de loi sera adopté et qu’il instaurera une nouvelle reconnaissance de la réconciliation en phase avec la Déclaration des Nations unies. Ce point est très important pour nous.
Deuxièmement, nous avons bel et bien des défis à relever. Ils ne sont pas disparus du jour au lendemain. Il nous reste beaucoup de travail à faire. Les questions sur lesquelles nous nous penchons en ce moment sont liées à l’application de la loi, en l’occurrence celles des Premières Nations.
Les 20 dernières années nous ont permis de comprendre que le Canada et la GRC n’appliquent pas et n’appuient pas les lois qui ont été adoptées par les Premières Nations. Nous n’avions pas anticipé cet accroc au départ, mais nous essayons d’y remédier en collaboration avec les gouvernements et les procureurs généraux au niveau fédéral et provincial. Il y a encore beaucoup à faire pour instaurer une pleine reconnaissance des forces de l’ordre afin que les lois des Premières Nations soient acceptées et appliquées et que des poursuites soient intentées dans certains cas. Cette question est très vaste.
La deuxième question très importante pour laquelle nous avons réalisé de grands progrès est la création d’un registre des terres géré par les Premières Nations. Pour l’heure, ce registre se trouve sous le régime de la Loi sur les Indiens. Les règlements qui ont été mis en place à la suite de nos pressions se sont avérés utiles et ont fait avancer les choses, mais ils comportent encore des aspects problématiques, tout comme les règlements pris en vertu de la Loi sur les Indiens. En ce moment, nous travaillons plutôt à la mise sur pied d’un registre des terres pour notre Première Nation. Nous avons établi un partenariat avec la Colombie-Britannique et nous collaborons avec les rédacteurs qui ont contribué à la mise sur pied du registre des terres de cette province. Nous retravaillons le registre en ce moment afin de l’adapter aux réalités de toutes les Premières Nations au Canada.
Selon ce qui a été proposé, le registre serait dirigé par les Premières Nations. Il serait repensé pour que son contenu réponde aux besoins de reconnaissance modernes et qu’il soit conforme à ce que renferme normalement un registre des terres. Ainsi, ceux qui voudraient consulter le système d’enregistrement y auraient immédiatement accès. Ils obtiendraient sur-le-champ des garanties et des réponses immédiates sur le registre des terres approprié.
C’est un très vaste chantier. Nous avons abattu beaucoup de travail, mais nous sommes loin d’avoir terminé. Je vous ai décrit les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Je suis reconnaissant d’avoir eu l’occasion de parler de quelques-uns des problèmes encore non résolus.
Le président : Merci. Vous avez déjà effleuré le sujet, chef Louie, mais je vais vous demander d’approfondir un peu.
L’article 10 du projet de loi établit que le ministre peut recommander que des règlements soient pris concernant la tenue du registre des terres des Premières Nations. À votre avis, comment ces règlements devraient-ils être établis et quelle serait la participation des Premières Nations?
M. Beynon : Je peux peut-être répondre à la question. Cette nouvelle proposition législative reprend essentiellement les dispositions sur le registre des terres de la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations. Conformément à l’accord-cadre, dont la rédaction date de 25 ans, il a été entendu que le Canada tiendrait le registre des terres.
À l’époque, aucune décision n’avait été prise concernant la création d’un registre des terres des Premières Nations. La version de l’accord-cadre actuelle et la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations actuelle énoncent que le gouvernement du Canada tient le registre sur les terres.
Comme l’a dit le chef Robert Louie, c’est un petit pas de plus par rapport au système décrit en une seule phrase dans la Loi sur les Indiens. En effet, il y a des dispositions réglementaires qui soutiennent un registre des codes fonciers des Premières Nations établissant une priorité parmi les instruments enregistrés. Les choses ont bougé.
Aujourd’hui, nous proposons pour l’avenir un registre des terres dirigé par les Premières Nations. Tenu par un organisme distinct, ce registre serait plus efficace que les registres des provinces tout en étant pourvu des mêmes capacités et en offrant la même fiabilité et la même rapidité. Si nous allons dans cette voie, nous devrons peut-être, plus tard, apporter de légères modifications législatives et prendre de nouveaux règlements.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Dans les médias sociaux en ce moment, un grand nombre de jeunes Autochtones parlent de la rétrocession des terres, Land Back en anglais. C’est le sujet de l’heure, mais je ne vois pas de réelle direction dans le discours publié en ligne. Que veut dire au juste l’expression Land Back? Il semble que ce mouvement que vous portez depuis 1996 est directement lié à ce que nous étudions en ce moment.
Ma question s’adresse à M. Beynon. Cela ne relève peut-être pas du centre de ressources, mais conduisez-vous des activités de communication ou de sensibilisation sur ce que vous faites? Vous défendez cette cause depuis plus de 25 ans. Le mouvement prend de l’ampleur et Land Back renvoie aux codes fonciers. Votre cause est raisonnable. Ce à quoi vous aspirez pourrait se concrétiser au titre des lois du Canada. Mettez-vous en œuvre un plan de communication en ce moment?
M. Beynon : Nos stratégies et notre matériel de communication sont publiés sur notre site Web. Nous assistons à beaucoup de conférences. Nous organisons même des conférences nationales pour faire part des victoires que nous remportons.
Nos réussites ne font pas la une. Chaque Première Nation porte la cause des terres aussi loin que le souhaite sa communauté. Ce sont les communautés qui choisissent de faire part de leur succès, et elles sont nombreuses à le faire.
Vous touchez à une question très intéressante avec le programme de Land Back et l’intensification des conversations au Canada sur l’importance du dossier des terres des Premières Nations. À mon avis, il faut admettre que l’Accord-cadre sur la gestion des terres des premières nations a connu énormément de succès au cours du dernier quart de siècle. Une des choses que nous voudrions faire à un certain point, c’est de modifier considérablement ou de remplacer complètement la Politique sur les ajouts aux réserves du gouvernement fédéral, car cet instrument ne sert pas du tout la cause de Land Back.
Nous voulons mettre à l’essai une stratégie dirigée par les Premières Nations plutôt que de laisser Ottawa décider en premier si les terres doivent être ajoutées ou non. Ce que nous proposons va peut-être changer considérablement les paramètres concernant Land Back et la question des terres au Canada.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Pour continuer dans cette lancée, plusieurs membres du comité ont travaillé en 2019 sur le projet de loi C-92, la Loi sur la protection de l’enfance, dont l’objet était de mettre sur pied ce qu’ils appelaient un centre d’excellence, si ma mémoire est bonne, pour aider les Premières Nations à rédiger leurs propres lois sur la protection de l’enfance et à leur donner accès à certaines ressources. Je pense que c’est quelque chose que vous faites déjà. Nous avons peut-être utilisé ce modèle à notre insu.
Au sujet de ce que peut faire le centre de ressources, les mesures permettant d’aider les gens à rédiger leur propre code sont d’une valeur inestimable. Certaines leçons tirées des terres pourraient-elles être appliquées à la protection de l’enfance?
M. Beynon : Je vais fournir une réponse relativement courte à une question importante. Je reviens sur ce que disait le sénateur Tannas à propos de l’avenir du gouvernement fédéral et des Premières Nations par rapport à l’ensemble du programme de réconciliation.
Les Premières Nations ont chacune leurs droits. Elles décident elles-mêmes ce qu’elles souhaitent faire. Le caractère facultatif des démarches qu’énonce l’accord-cadre est d’une importance fondamentale. Nous avons mis sur pied un centre de ressources pour essayer, justement, d’aider les Premières Nations aux diverses étapes de la transition et dans la réalisation du projet plus global d’autonomie gouvernementale.
Plusieurs aspects du travail accompli sur les terres seraient pertinents dans le dossier de la protection de l’enfance. Par exemple, les organismes fiscaux tels que la Commission de la fiscalité des Premières Nations, l’Administration financière des Premières Nations et le Conseil de gestion financière des Premières Nations sont d’autres exemples où l’autodétermination des Premières Nations et le processus décisionnel par rapport à leurs propres finances sont appuyés par un cadre institutionnel.
Comme le disait le chef Robert Louie, le système de registres des terres qui serait mis sur pied renfermerait un registre indépendant et serait en mesure de soutenir les Premières Nations. Le cas échéant, nous espérons que les organismes qui aideront les Premières Nations dans le processus d’ajouts aux réserves seront, eux aussi, des Premières Nations.
Selon moi, dans la protection de l’enfance ou d’autres questions qui touchent la famille, ou encore dans l’application de la loi et toutes les questions du même ordre, nous assistons au fil du temps à une progression des Premières Nations vers l’exercice de l’autonomie gouvernementale. Toutefois, cette révolution se fait en grande partie grâce à la collaboration avec des centres de formation spécialisés ou des organismes de soutien.
Le président : Merci. Il reste encore du temps. Y a-t-il des sénateurs qui auraient d’autres questions?
M. Beynon : Monsieur le président, j’ajouterais seulement quelque chose, rapidement, si je puis me permettre. Le sénateur a soulevé au début de la séance un point important sur les Premières Nations des Prairies, qui accordent une grande importance aux droits issus des traités. Je voulais préciser que l’accord-cadre énonce expressément que son contenu ne touche pas aux droits issus des traités, et que le projet de loi renferme une disposition énonçant expressément qu’il ne constitue pas un traité.
Le président : Merci. S’il n’y a pas d’autres questions, le temps alloué à cette série de questions est écoulé. Je voudrais remercier le chef Louie, M. McCue et M. Andrew Beynon de s’être joints à nous aujourd’hui. Vous nous avez donné énormément de matière à réflexion. Merci.
(La séance est levée.)