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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je tiens d’abord à souligner que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite aussi maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur Brian Francis, un Micmac d’Epekwitk, région mieux connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je préside le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais vous demander à vous tous ici présents de ne pas vous pencher trop près de votre micro ou, si vous le faites, d’enlever votre oreillette. C’est pour éviter la rétroaction acoustique, qui pourrait incommoder le personnel du comité dans la salle.

J’invite maintenant les membres du comité à se présenter en ayant soin de préciser la province ou le territoire d’où ils proviennent.

Le sénateur Arnot : Bonsoir. Je m’appelle David Arnot. Je suis un sénateur de la Saskatchewan. Je suis heureux de voir tout le monde ici aujourd’hui.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Bonsoir. Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, sénatrice du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.

Le président : Sur ce, accueillons chaleureusement une nouvelle venue dans notre comité, la sénatrice Greenwood. Bienvenue, sénatrice.

Nous poursuivons aujourd’hui nos séances d’information visant à éclairer et à orienter nos travaux futurs. Nous accueillerons trois groupes de témoins venus nous entretenir des traités et des terres autochtones en général.

Dans le premier groupe, nous entendrons Paul J. Prosper, chef régional pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve, et Kathleen Lickers, conseillère juridique externe de l’Assemblée des Premières Nations.

Wela’lin, et merci à vous deux de vous joindre à nous ce soir.

Le chef régional Prosper fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, après quoi chaque membre du comité disposera de cinq minutes environ pour poser des questions. En raison des contraintes de temps, je demanderais à tout le monde d’être bref. Pour éviter d’interrompre qui que ce soit, je vais me servir de ce carton — parfois cela fonctionne, parfois non — pour indiquer qu’il vous reste une minute.

Sur ce, j’invite le chef régional Prosper à faire sa déclaration préliminaire [mots prononcés dans une langue autochtone]. C’est à vous.

Paul J. Prosper, chef régional (Nouvelle-Écosse/Terre-Neuve), Assemblée des Premières Nations : Wela’lin, président Francis, honorables membres du comité.

Kwe Nituptup. Nin Teleusi Sagamaw Paul Prosper. Tele’Awin, Paqtnkek Mi’kmaq Nation.

Bonsoir, je m’appelle Paul Prosper. Je suis le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations pour Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. Au sein de l’APN, je suis aussi responsable du portefeuille des terres, des territoires et des ressources. Je suis honoré d’être ici en compagnie de Kathleen Lickers, conseillère externe pour l’Assemblée des Premières Nations.

J’aimerais d’abord remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones de m’avoir invité à présenter des observations sur le processus d’élaboration conjointe des revendications particulières entre l’Assemblée des Premières Nations et le gouvernement du Canada.

Rappelons d’abord que le règlement équitable des revendications particulières est essentiel à la réconciliation entre les Premières Nations et la Couronne.

Comme vous le savez, le comité a mené une étude spéciale sur le règlement des revendications particulières et a publié en 2006 un rapport intitulé Négociations ou affrontements : le Canada a un choix à faire. Ce rapport a guidé les efforts des précédents gouvernements dans la réforme des politiques et a mené à la création du Tribunal des revendications particulières.

Comme le comité le sait bien, le défaut de régler ces revendications avec promptitude et équité fait augmenter grandement les coûts tant pour les Premières Nations que pour la Couronne. Le principal obstacle au règlement est le conflit d’intérêts permanent où se trouve le Canada : c’est lui qui gère et accepte des revendications portées contre lui-même, en fonction de ses propres conseils juridiques; c’est lui qui finance directement le processus, à titre de programme; c’est lui qui impose le rythme des négociations; c’est lui enfin qui décide qui peut accéder au tribunal ou non.

Depuis des générations, les Premières Nations réclament la création d’un processus qui soit entièrement indépendant, car c’est la meilleure façon d’en assurer l’équité et d’aboutir à des ententes dûment négociées. Depuis le début du XXe siècle, il y a eu plus de 50 appels distincts en faveur d’un processus indépendant.

Bien que des progrès considérables aient été réalisés, comme l’institution du Tribunal des revendications particulières, il faut en faire davantage pour assurer un règlement équitable et rapide des revendications.

Notamment, le processus de règlement des revendications particulières doit respecter les quatre principes énoncés par l’Assemblée des Premières Nations, c’est-à-dire l’honneur de la Couronne, l’absence de toute limite arbitraire à l’indemnisation financière, l’indépendance de tous les aspects du règlement des revendications, et la reconnaissance des lois autochtones.

Le gouvernement du Canada s’est engagé à travailler avec l’APN pour assurer un processus de règlement plus juste et plus équitable.

Élaboration conjointe des revendications particulières : le 3 novembre 2022 à Halifax, j’ai participé avec le ministre Miller au lancement officiel du Groupe de travail APN-Canada sur la mise en œuvre des revendications particulières, qui marque un progrès important dans nos efforts collectifs pour améliorer le processus.

Dans ce groupe de travail, des hauts représentants de l’APN et de RCAANC apportent conjointement des réformes au processus de règlement des revendications particulières, dont la création d’un centre indépendant. Le groupe de travail comptera sur une série d’équipes techniques pour lui fournir des conseils d’experts sur les modifications législatives et les changements de politiques nécessaires. Le Groupe de travail sur la mise en œuvre des revendications particulières se réunit régulièrement depuis novembre 2022 et est censé le faire tout au long de 2023. Nous nous attendons à ce que le processus d’élaboration conjointe soit fondé sur les principes qui ont été définis par l’APN, notamment qu’il soit transparent et raisonné, flexible et mené entre égaux.

Le Groupe de travail sur la mise en œuvre des revendications particulières cherchera à obtenir un consensus sur une proposition de réforme conforme aux mandats de l’APN et à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il prévoit soumettre cette proposition de réforme à l’examen du Cabinet et de l’Assemblée des Premières Nations d’ici à l’hiver 2024.

Une fois la proposition acceptée par le Cabinet et approuvée par l’Assemblée des Premières Nations, cette dernière et RCAANC prévoient rédiger un projet de loi concernant la création d’un centre indépendant de règlement des revendications particulières.

En conclusion, l’APN et le gouvernement du Canada se sont engagés à améliorer le processus actuel, notamment en confiant à un centre indépendant le règlement des revendications particulières. Nous nous réjouissons à la perspective de travailler avec le gouvernement du Canada à atteindre ce qu’exigent de nombreuses études, de nombreux rapports et le droit international : un processus juste et équitable pour faciliter la négociation des revendications des Premières Nations.

Je remercie à nouveau le comité sénatorial de cette invitation et de son intérêt soutenu à améliorer le règlement des revendications des Premières Nations. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions et à réagir à vos observations. Wela’lioq.

Le président : Wela’lioq, chef Prosper. À votre avis, est-ce qu’il y a des enjeux prioritaires liés aux traités ou aux revendications particulières sur lesquels pourrait se pencher le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et, le cas échéant, pourriez-vous s’il vous plaît nous expliquer?

M. Prosper : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur.

Il y a un certain nombre d’enjeux qui, à mon avis, méritent un plus ample examen. Par exemple, un des documents sur lesquels s’appuie la nécessité d’un processus de règlement des revendications particulières véritablement indépendant est la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui est non seulement un instrument du droit international, mais aussi maintenant du droit national depuis l’adoption de la Loi concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il y a un certain nombre d’enjeux qui, à mon avis, exigent et méritent une recherche plus poussée. Le premier est l’incorporation et la prise en compte des lois autochtones. C’est l’avantage de ce partenariat et de cette démarche d’élaboration conjointe entre les Premières Nations et le gouvernement du Canada. Nous sommes en mesure d’enseigner aux représentants de l’État ce que signifient ces lois autochtones, parce que l’objectif global serait de négocier des règlements fondés sur les coutumes et les traditions des peuples autochtones.

Le président : Merci beaucoup. Nous passons maintenant à notre vice-président, le sénateur David Arnot.

Le sénateur Arnot : Merci, chef Prosper, d’être ici aujourd’hui et de nous conseiller sur le cours des choses.

J’ai une question d’ordre général. Que voulez-vous que le comité sénatorial fasse pour appuyer votre position vis-à-vis du gouvernement du Canada? Est-ce qu’il y a quelque chose en particulier?

Je pourrais faire quelques observations. Je pense que la sorte d’indépendance dont le processus a besoin est d’ordre judiciaire, qui serait la forme la plus élevée d’indépendance, de sorte qu’aucune des parties au processus ne puisse être importunée de quelque façon que ce soit.

Je pense aussi qu’en cas de différend, le recours vers lequel tout le monde devrait se tourner est la médiation plutôt que la poursuite judiciaire. Je trouve que trop souvent, le ministère de la Justice adore plaider devant les tribunaux, où il excelle d’ailleurs, mais ce n’est pas ainsi qu’on aboutit à un bon résultat final.

J’aimerais vraiment avoir votre opinion sur le financement des ressources dont vous avez besoin, ou dont tout le processus a besoin, car je pense que c’est essentiel. Je pense aussi que ces ressources devraient être telles que les règles du jeu soient les mêmes pour toutes les parties, et que ce soit reconnu. J’espère vous entendre me dire que vous avez du succès jusqu’à présent à discuter de questions comme les niveaux de financement nécessaires.

Je conviens tout à fait avec vous que l’honneur de la Couronne est le principe fondamental qui est en jeu dans tous ces dossiers. Trop souvent, la réalité n’est pas à la hauteur de ce principe. En effet, on ne manque pas d’exemples qui sont loin de faire honneur à la Couronne.

Que voulez-vous porter à notre connaissance et que voulez-vous que nous fassions pour appuyer votre travail, monsieur?

M. Prosper : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.

Ce qui importe ici en premier lieu, c’est de reconnaître qu’il existe un conflit inhérent dans le fait que le gouvernement fédéral est non seulement le défendeur dans une cause de revendication, mais qu’il exerce aussi pas mal de contrôle sur le processus, en ce qui concerne non seulement les négociations, mais aussi le financement et l’acceptation de revendications portées contre lui-même. Il faut reconnaître ce conflit inhérent et créer un mécanisme pour l’éliminer.

La solution passe par la création de ce centre indépendant de règlement des revendications particulières, qui serait financé de façon indépendante et qui permettrait de miser davantage sur le consensus pour régler des aspects essentiels des revendications. On ne cherche pas à remplacer le Tribunal des revendications particulières — le tribunal est là pour rendre des décisions exécutoires —, mais c’est un mécanisme nécessaire pour conférer une véritable indépendance à tous les aspects de la présentation des revendications, de la négociation, de la justification et des choses de cette nature. On peut imaginer qu’il disposerait des fonds nécessaires pour s’acquitter de ce mandat précis.

Je crois que cela contribuera grandement à uniformiser les règles du jeu, comme vous l’évoquiez tantôt. Je crois et j’espère que c’est ce qu’on entend par élaboration conjointe, que nous sommes des partenaires engagés à part égale dans la recherche d’un modèle consensuel, et que nous avons en place des mécanismes qui nous offrent la flexibilité nécessaire pour que les choses puissent déboucher sur des solutions novatrices qui soient à la fois équitables et efficaces.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup pour votre exposé. C’est vraiment intéressant, et j’espère pouvoir lire davantage au sujet du travail que vous faites.

Je viens de l’Alberta, où la relation entre beaucoup de Premières Nations et l’APN n’a pas été, disons, à son mieux ces derniers temps. Dans votre processus d’élaboration conjointe, menez-vous des consultations auprès des Premières Nations en général? Y a-t-il moyen d’en amener certaines qui ne sont pas nécessairement aussi actives à l’APN à participer à des consultations supplémentaires? Je pense en particulier à Billy Joe Laboucan, dans le Nord de l’Alberta, qui vit des expériences particulières avec sa revendication territoriale et sa toute nouvelle réserve. Je me demande s’il y a de la place pour les gens comme lui dans ce processus d’élaboration conjointe.

M. Prosper : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Je suis certainement d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il faut, dans le contexte des Premières Nations, consulter à l’interne le plus grand nombre possible de groupes et d’organisations autochtones au pays. Cette démarche conjointe en vue d’un centre indépendant de règlement des revendications particulières s’appuie en partie sur une vaste mobilisation de groupes et d’organisations des Premières Nations à travers le pays. Des séances de consultation ont eu lieu, et ces groupes et organisations ont vraiment pu se faire entendre auprès de l’APN. Une fois publiées, les conclusions du rapport ont été affichées sur le site Web de l’APN pour plus ample commentaire.

Il y a aussi des mécanismes dans ce processus d’élaboration conjointe qui, de notre point de vue, permettent une rétroaction importante sur les plans technique et politique. Nous avons le comité des chefs sur les revendications, où sont représentés des groupes et des organisations de Premières Nations de tout le pays. Il est certain que les chefs réunis en assemblée arriveront aussi avec d’autres mandats et d’autres orientations. Le Groupe de travail sur la mise en œuvre des revendications particulières comprendra des experts techniques, des gens spécialisés dans divers domaines du droit autochtone et des coutumes autochtones, qui apporteront aussi leurs avis et leur soutien.

Je sais que l’APN a tendu la main, et nos frères et sœurs de l’Alberta auront certainement un rôle important à jouer, comme ceux et celles de tout le reste du pays. Je suis convaincu que nous avons les mécanismes nécessaires pour répondre à ces préoccupations que vous soulevez au sujet de la consultation.

La sénatrice Coyle : Bonjour, chef Prosper. Êtes-vous en Nouvelle-Écosse?

M. Prosper : Oui, je suis à Antigonish, un endroit que vous connaissez bien, madame la sénatrice.

La sénatrice Coyle : Oui. Je suis heureuse de vous voir. Merci beaucoup de votre témoignage.

Ce n’est pas mon domaine de compétence, mais il me semble, à vous entendre, qu’il s’agit d’une avenue prometteuse pour non seulement résoudre des questions très sérieuses de conflit d’intérêts et, comme vous l’avez dit, uniformiser les règles du jeu, mais aussi faire avancer les choses pour obtenir des résultats plus rapides et plus satisfaisants dans ce processus de négociation des traités.

Je ne sais pas s’il convient de vous poser cette question, mais pourriez-vous nous donner une idée de l’arriéré à éponger et des attentes qu’on aura une fois que ce centre sera opérationnel, d’ici l’hiver 2024, c’est-à-dire dans un an à peine? Je sais que la tâche est considérable et qu’il y aura des points de repère établis en cours de route. Mais est-ce qu’on a une idée du point où nous sommes ici aujourd’hui, puis de la somme d’efforts qu’il faudra fournir pour établir conjointement ce centre-là, et ensuite de ce que nous voulons voir se passer une fois qu’il sera opérationnel?

M. Prosper : Je vous remercie de ces observations, madame la sénatrice.

Il y a un arriéré important en ce qui concerne le nombre de revendications en suspens et le nombre de revendications qui sont en voie de négociation ou d’arbitrage au tribunal.

Il y a de nombreux exemples de manque de ressources ou de démarches inefficaces, et le simple fait de soulever la nécessité de l’indépendance et de supprimer le conflit d’intérêts nous aidera beaucoup à rattraper le retard accumulé.

Comme vous le savez, une limite arbitraire est fixée pour les revendications, à moins de 150 millions de dollars. Elle a été établie en 2007. Elle ne tient compte ni des dépenses, ni de l’inflation, ni de l’indexation ni d’autres facteurs de cette nature qui mettent en question l’idée même d’imposer une limite.

Je crois que les parties disposeront ainsi d’un mécanisme pour traiter des questions par voie de consensus, d’une manière qui respecte les points de vue autochtones, les lois autochtones et les ordres juridiques émanant de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. De plus, le mécanisme serait assez souple, j’imagine — du moins je l’espère — pour aborder des questions précises également liées à la négociation des revendications. Des questions pourraient être renvoyées au tribunal durant le cours des négociations. Il y a beaucoup de souplesse dans un modèle consensuel qui reconnaît et respecte le point de vue des Autochtones. Le gouvernement fédéral y trouve aussi l’occasion d’en apprendre énormément sur les traditions juridiques autochtones.

Je crois que ce mécanisme est grandement nécessaire et qu’il a l’avantage supplémentaire de vouloir éponger l’arriéré de revendications contrairement aux démarches qui s’offrent actuellement.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice Martin : Merci, chef Prosper.

Je ne suis pas vraiment bien placée pour poser des questions parce que j’apprends tout juste l’existence même de ce processus des revendications particulières et de vos efforts pour créer un centre indépendant, alors veuillez m’excuser si ma question paraît simpliste. Je m’interroge sur la composition du Groupe de travail sur la mise en œuvre des revendications particulières. Vous avez dit qu’il y avait des experts techniques. Comment les différents groupes des Premières Nations pourront-ils participer à l’ensemble du processus?

M. Prosper : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

En ce qui concerne le Groupe de travail sur la mise en œuvre des revendications particulières, il n’y a pas de mystère pour qui participe à l’élaboration et à la négociation des revendications mêmes, mais dans la recherche que cela suppose, il y a des questions clés qui surgissent de temps à autre, et qu’il faut aborder différemment selon le négociateur et la situation.

Un élément distinctif du groupe de travail est qu’il cherchera à obtenir les avis d’experts de partout au Canada. Par exemple, des experts juridiques autochtones viendront expliquer comment le droit autochtone et les ordres juridiques autochtones peuvent faciliter le règlement des revendications. C’est une chose que nous, les Autochtones, pouvons apporter, et qui peut servir à éclairer nos homologues fédéraux. Nous pouvons utiliser ces méthodes, ces traditions et ces lois pour élaborer un processus vraiment unique. Nous pouvons offrir ce mécanisme comme précurseur au tribunal pour obtenir des règlements de revendications fondés sur des consensus. Ce n’est là qu’un exemple, sous le couvert de l’élaboration conjointe et de la création d’un modèle consensuel, où nous pouvons compter sur les avis, les connaissances et les traditions des peuples autochtones et où nous avons l’occasion d’entendre le point de vue du gouvernement fédéral sur certaines des réalités qui sont les siennes et qui se rapportent à la négociation et au règlement de revendications territoriales particulières.

La sénatrice Martin : Merci. Ce seul exemple illustre l’importance des experts techniques pour l’ensemble du processus. Merci beaucoup.

M. Prosper : Merci.

Le président : Quelqu’un peut encore prendre la parole; nous avons encore quelques minutes à consacrer à ce premier groupe de témoins.

La sénatrice Hartling : Ce que vous dites est très intéressant. Cela a dû être frustrant de vous rendre jusqu’ici, on dirait une façon vraiment singulière de régler ces revendications. D’ici aux prochaines étapes, voyez-vous encore de la résistance à vaincre ou des embûches à franchir pour vous et les groupes autochtones? Pouvons-nous vous aider à cet égard?

M. Prosper : Je vous remercie de ces observations, madame la sénatrice. Vous avez raison : cela a été tout un parcours pour un grand nombre d’entre nous.

Il y a une chose que je tiens à reconnaître et sur laquelle on ne saurait trop insister : c’est le rôle que joue votre comité. C’est le rapport du comité dont je parlais tantôt qui a jeté les bases du Tribunal des revendications particulières. C’était une étape importante que d’avoir un organisme impartial pour rendre des décisions exécutoires en dehors du cadre des tribunaux traditionnels et d’aménager l’espace et le mécanisme nécessaires à cette fin. Je reconnais les efforts et les gains qui ont été accomplis dans le passé.

En ce qui concerne l’avenir où nous voulons aller, au nom de la réconciliation et du respect de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, nous devons reconnaître certains des aspects fondamentaux qui tiennent à une contradiction inhérente où le gouvernement fédéral négocie, finance et oriente un processus de revendications portées contre lui-même.

Cela dit, je suppose que la suppression de la limite arbitraire sera contestée. Un modèle consensuel offre la souplesse nécessaire pour s’entendre sur des points précis qui minent depuis longtemps le processus actuel. Lorsqu’on aborde les choses d’un point de vue indépendant ou par l’entremise d’une institution indépendante qui est un centre de règlement, on peut compter sur différentes études, répondre à différentes questions et examiner des enjeux connexes du règlement des revendications. On peut renvoyer les points litigieux à un tribunal pendant les négociations.

Pour revenir à votre question au sujet des prochaines étapes, et peut-être d’un rôle pour votre comité permanent, j’imagine que nous reviendrons, je l’espère, avec un modèle fondé sur le consensus. J’espère qu’avec l’appui du Cabinet et de l’assemblée des chefs, à qui nous rendons compte, il y aura un avant-projet de loi visant à établir ce centre indépendant de règlement des revendications particulières. Ce serait un élément essentiel d’un processus juste, équitable, ouvert, transparent et responsable dont nous puissions tous être fiers. J’ai hâte à ce jour, et je vous remercie de votre question.

La sénatrice Hartling : Bravo. Je vous comprends.

La sénatrice Greenwood : Pour votre information, monsieur Prosper, je n’en suis qu’à ma cinquième journée de travail ici, un atout que je vais essayer d’utiliser aussi longtemps que je peux. Ce n’est pas mon domaine de compétence, mais je vais faire de mon mieux.

Je sais qu’il y a beaucoup de diversité au pays dans les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Je pense toujours à la mise en application concrète des idées que nous avons. Est-ce que les nations pourront recourir à de multiples mécanismes pour traiter leurs revendications particulières? Je pense que le mécanisme dont vous parlez... vous le savez mieux que moi; vous avez parlé à tout le monde. J’imagine que beaucoup de gens sont d’accord, mais peut-être pas tous. Est-ce qu’il y aura encore moyen d’avoir des ententes bilatérales et ce genre de choses pour les gens qui ne choisiront pas ce mécanisme?

M. Prosper : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Je ne peux qu’imaginer — en fait, je l’imagine — que ce processus, ce modèle consensuel, aurait l’avantage fondamental d’offrir une grande souplesse. Il présenterait sans aucun doute un éventail de solutions novatrices au règlement des revendications. De plus, il y a évidemment d’autres mécanismes à la disposition des Premières Nations. Les recours judiciaires sont toujours à leur disposition. Le tribunal lui-même sera toujours là, et pourrait certainement servir de mécanisme.

En ce qui concerne ce centre indépendant de règlement des revendications particulières, il permettra aux gens de se réunir pour discuter des détails des revendications et, espérons-le, il sera assez souple pour faire place au point de vue des Autochtones dans ce contexte — ce qui est un élément majeur —, mais il se donnera aussi la possibilité de s’attaquer à certains éléments centraux de la négociation et du règlement des revendications. Nous avons ici cette possibilité et ce mécanisme. Les parties n’y seraient pas tenues, à moins d’arriver à un point où elles s’aperçoivent que cela ne fonctionnera tout simplement pas. Il y aura alors d’autres options. Mais nous avons bel et bien le mécanisme qui peut offrir un éventail de services, de possibilités et d’avis d’experts pour réunir les parties et au moins tenter de les amener à régler des dossiers qui traînent depuis longtemps — des années, voire des décennies dans certains cas.

Ce sont là des obligations juridiques dont la Couronne doit s’acquitter. Un aspect important du processus de règlement des revendications, c’est qu’avec le temps, ces responsabilités de la Couronne s’alourdissent de jour en jour. Il est donc dans l’intérêt de tous d’essayer de régler les revendications dans les plus brefs délais et d’une manière qui reflète non seulement le droit international, mais aussi le droit national, de même que l’historique du conflit manifeste qui existe dans le processus actuel.

J’espère que cela répond à votre question, sénatrice.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.

Le président : Le temps réservé à ce groupe de témoins est maintenant expiré. Je tiens à remercier le chef régional Prosper de s’être joint à nous aujourd’hui. Son témoignage est très apprécié.

Je signale au chef Prosper et aux autres témoins de ne pas hésiter à faire parvenir à la greffière, d’ici le 24 février, tout autre document qu’ils souhaitent nous présenter.

Avant d’accueillir notre prochain groupe de témoins, je veux souhaiter la bienvenue à notre nouvelle membre, la sénatrice Sorensen.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous entendrons, de la Commission des relations découlant des traités du Manitoba, l’aîné Harry Bone, la commissaire aux traités Loretta Ross et la directrice exécutive Angela McKay. Wela’iin. Merci à nos témoins d’être parmi nous ce soir.

La commissaire Ross fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes qui sera suivie par la période de questions et réponses. Chaque sénateur disposera d’environ cinq minutes. En raison des contraintes de temps, je vous demande à tous d’être brefs. Pour éviter d’interrompre un intervenant, je lèverai ce carton à une minute de la fin du temps qui lui est alloué. Nous allons essayer de procéder rondement.

J’invite maintenant la commissaire aux traités Ross à prononcer sa déclaration préliminaire.

Loretta Ross, commissaire aux traités, Commission des relations découlant des traités du Manitoba : Aanii, boozhoo, sénateurs.

La Commission des relations découlant des traités du Manitoba est heureuse d’être ici sur les terres ancestrales des peuples algonquin et anishinabe en réponse à votre invitation de participer à une rencontre d’information et de discussion sur les plans et les priorités de notre commission. Nous sommes certes très fiers de ce qui a été accompli à ce jour et impatients de commencer.

Je m’appelle Loretta Ross et je suis la troisième commissaire à participer à ce projet. Comme vous venez de l’entendre, je suis accompagnée d’un aîné, à la fois un érudit professeur et un dirigeant, M. Harry Bone, ainsi que d’Angela McKay, notre directrice exécutive. Ces deux piliers de notre commission reflètent la sagesse et les compétences de nos Premières Nations.

Sénateurs, vous représentez un autre un pilier de ce projet commun, de cette relation fondée sur les traités que nous partageons au Canada. Nous sommes tous visés par les traités.

Permettez-moi donc d’évoquer avec fierté tout ce que nous avons accompli ensemble avant d’enchaîner sur tout ce qu’il nous reste à accomplir.

La commission a récemment créé un centre de diffusion du savoir sur les traités, le Treaty Knowledge Centre ou Agowiidiwinan Centre, inauguré le 15 décembre dernier. Dans la langue anishinaabemowin,agowiidiwinan signifie « traités » ou « se mobiliser ».

Le centre est situé dans le territoire visé par le Traité no 1, au cœur de Winnipeg, au Manitoba, à la jonction des rivières Rouge et Assiniboine. Ce sont les terres ancestrales des peuples dakota, anishinabe et ininew et elles sont devenues la patrie des Métis. Le site, appelé La Fourche, revêt une importance historique pour les Premières Nations et les Canadiens. Principal attrait touristique de Winnipeg, La Fourche accueille plus de 4 millions de visiteurs par année.

Le centre s’est donné comme objectif de devenir un centre d’excellence pour l’acquisition de connaissances sur les traités et les relations découlant des traités, tout en accueillant des séances de formation et des événements spéciaux. Le projet est réalisé en partenariat par la Commission des relations découlant des traités du Manitoba et la Forks Renewal Corporation, et il est rendu possible grâce au financement de PrairiesCan.

La création du centre est le fruit de nos succès dans le milieu de l’éducation et de nos partenariats. La commission a travaillé avec des aînés pour concevoir un espace qui abritera et diffusera l’information transmise oralement, les données historiques et les archives relatives aux traités. Comme je l’ai dit, le centre est situé à deux pas de la jonction des rivières Rouge et Assiniboine où les Premières Nations ont campé, vécu et fait du commerce pendant plus de 6 000 ans. Nous sentons flotter l’esprit de nos ancêtres ici et nous croyons qu’ils nous guident sur le chemin que nous parcourons ensemble.

L’un des messages clés que transmet le centre, c’est que nous sommes tous visés par les traités. La commission espère que le centre aidera les Canadiens à mieux comprendre et apprécier les traités ainsi que nos responsabilités communes en tant que partenaires de traités. Au fil du temps, la commission n’a cessé de prendre de l’importance et on peut s’attendre à ce que ses priorités évoluent.

Sur le plan de l’éducation, l’enseignement des traités est un grand succès de la commission et cela demeure une priorité qui ne cesse d’évoluer. En 2010, nous avons créé des ressources didactiques que nous avons déployées dans les écoles provinciales, les écoles dirigées par les Premières Nations et les écoles financées par le secteur privé. Une priorité de la commission est de faire en sorte que l’histoire des traités devienne une matière obligatoire dans la province, à tous les niveaux, de la maternelle à la fin du secondaire. Nous avons élaboré un cours de 12e année sur les traités, distinct des cours sur les Autochtones, et nous espérons qu’il deviendra obligatoire. Ce devrait être un prérequis à l’obtention d’un diplôme pour l’ensemble des étudiants du Manitoba.

En ce qui concerne le public, les demandes d’information que nous avons reçues au cours des dernières années de la part de citoyens dépassent la simple demande de renseignements sur les traités. Les gens souhaitent se mobiliser davantage et cherchent des outils qui leur permettront de promouvoir concrètement la réconciliation. L’une de nos priorités est d’offrir plus de possibilités d’information sur les traités afin d’accroître la mobilisation et favoriser l’apprentissage des citoyens. À cette fin, le centre Agowiidiwinan organise une série de conférences et d’événements publics spéciaux.

Nous cherchons également à collaborer avec les gouvernements et les organismes gouvernementaux à l’élaboration d’un programme de formation sur les traités. Les représentants gouvernementaux et les fonctionnaires ont un rôle important à jouer en ce qui concerne les traités. Nous espérons qu’une formation en la matière les guidera dans l’élaboration de politiques gouvernementales et facilitera la mise en œuvre des traités.

La recherche est une initiative clé et une priorité constante de la commission. L’histoire orale est essentielle pour comprendre les relations fondées sur les traités; l’un des résultats marquants de nos efforts de recherche est une série de quatre volumes regroupant les enseignements des aînés sur les traités. Cette série explique notamment qui nous sommes en tant que signataires de traités, nos liens avec la terre, nos relations avec les nouveaux arrivants et l’idée que nous sommes tous visés par les traités.

La commission publiera Miinigoowisiwin: Our Spiritual and Natural Teachings, un document en cours de rédaction, cosigné par l’aîné Harry Bone, qui m’accompagne aujourd’hui, et l’aîné Dennis White Bird, ancien commissaire des traités. Miinigoowisiwin regroupe des enseignements anishinabes fondamentaux qui sont au cœur des traités. Ces enseignements sont tirés de sources anishinabes et permettent de comprendre la sagesse et les valeurs du peuple anishinabe. Nous pensons que ces enseignements sont essentiels pour comprendre la vision du monde des Premières Nations et donc la manière dont ces dernières perçoivent les relations fondées sur les traités. Il s’agit d’un outil essentiel qui facilitera la mise en œuvre des traités.

La commission joue un rôle de plus en plus important dans le contexte de la réconciliation et, dans l’optique des traités, la réconciliation est indissociable de leur mise en œuvre. Voilà où se situent nos priorités et où la commission peut jouer un rôle actif et impartial pour faciliter la recherche et les discussions sur la mise en œuvre des traités et à bien d’autres égards.

En terminant, j’invite les sénateurs à venir visiter notre centre du savoir sur les traités, le centre Agowiidiwinan, situé à Winnipeg, dans le territoire visé par le Traité no 1, afin d’admirer la beauté de l’endroit et d’apprendre auprès de nos aînés et de nos gardiens du savoir.

Meegwetch, merci beaucoup.

Le président : Commissaire Ross, je vous remercie.

Avant de passer aux questions, je tiens à rappeler à ceux et celles qui sont présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou d’enlever leur oreillette pour parler.

Je vais commencer par une première question à la commissaire Ross. Vous en avez glissé un mot dans votre déclaration préliminaire, mais je vais vous poser la question à nouveau. À votre avis, y a-t-il des sujets prioritaires relativement à des traités et à des revendications particulières sur lesquels le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pourrait se pencher? Dans l’affirmative, veuillez préciser lesquels.

Mme Ross : Je vous remercie de cette question.

La fonction et le rôle de la commission des traités, ainsi que le rôle que nous pouvons continuer à jouer dans la mise en œuvre des traités, notre mandat — je veux parler de notre mandat ici au Manitoba qui est, bien entendu, l’éducation, la recherche et la facilitation — font partie de ces priorités. Contrairement à notre organisation sœur, la Commission des traités de la Saskatchewan, nous ne sommes pas obligés de nous réunir autour d’une table de négociation. Nous jouons un rôle de facilitation, ce qui est plus discret. Compte tenu du rôle qui incombe aux différentes commissions, comment chacune peut-elle contribuer à faciliter le dialogue entre les différentes parties sur ces questions? Quelles sont les priorités du gouvernement? Quelles sont les priorités liées à la mise en œuvre des traités? Existe-t-il des organismes impartiaux qui pourraient nous aider à prendre des décisions concernant les traités? Il reste encore beaucoup de questions en suspens à cet égard. Il faut aborder l’aspect relationnel des traités, mais aussi les promesses précises de la Couronne et d’autres enjeux découlant du texte écrit du traité. Je pense qu’il y aurait beaucoup de recherche à faire sur la façon dont les traités sont mis en œuvre et sur ce dont le gouvernement a besoin pour faire avancer les choses positivement.

Le président : Monsieur Bone, avez-vous quelque chose à ajouter?

Harry Bone, aîné, à titre personnel : Non, je vais m’abstenir pour le moment. Merci beaucoup.

Le président : D’accord. Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Merci à tous de votre présence. C’est agréable de voir tout le monde.

M. Bone m’a rappelé que nous nous sommes déjà rencontrés dans le passé. Je me demande comment il a pu me reconnaître, puisque j’avais les cheveux noirs à l’époque, tout comme lui. Je suis content de vous voir et je félicite la Commission des relations découlant des traités du Manitoba pour son excellent travail d’éducation.

J’aimerais savoir comment vous établissez et élargissez votre mandat. Je sais que vous jouez un rôle de facilitation. Pourquoi voulez-vous élargir votre mandat? Avez-vous proposé d’autres idées? Je pense, par exemple, à la surveillance de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à la surveillance des efforts de réconciliation dans les territoires manitobains visés par des traités pour vous assurer que les traités sont mis en œuvre dans un contexte moderne. J’aimerais simplement savoir s’il y a d’autres priorités que vous souhaitez élargir.

Votre rôle dans le domaine de l’éducation est fantastique, et je vous félicite pour l’inauguration de votre centre sur les traités. J’accepte volontiers votre invitation. Nous allons y aller un jour ou l’autre, j’en suis certain.

Mme Ross : Je l’espère aussi. Merci de votre question.

L’une des préoccupations de la commission des traités du Manitoba, c’est le financement. Nous avons un budget modeste qui nous oblige évidemment à restreindre nos activités. Nous consacrons une grande partie de nos ressources à l’éducation et à la recherche de partenaires afin d’élargir notre champ d’action au-delà de ce que nous faisons depuis 10 ans dans le domaine de l’éducation.

Nous discutons bien entendu de la réconciliation et de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, mais nous mettons surtout l’accent sur le fait que la déclaration affirme que les traités existent déjà. La déclaration peut parfois servir à détourner l’attention des enjeux fondamentaux liés aux traités. Comme nous avons la confirmation que les traités sont importants et qu’il s’agit d’un enjeu sur lequel il est primordial de nous pencher, nous avons tendance à focaliser sur la déclaration. Je pense que cela démontre un manque de compréhension et de sensibilisation à l’égard de l’essence même des traités. Il en a toujours été ainsi depuis la signature des traités. Comme les gens ne les comprennent pas, nous avons tendance à nous concentrer sur d’autres enjeux. Aujourd’hui, nous mettons l’accent sur la réconciliation. Malgré l’importance de tous ces enjeux, nous continuons à éviter de parler des traités et de ce que signifie réellement leur mise en œuvre. Loin de moi l’idée de négliger les autres questions, mais je veux élargir le débat et favoriser la compréhension des traités. Je pense que c’est vraiment ce qui doit se produire.

Les gens commencent lentement à venir au centre du savoir, qui n’est ouvert que depuis quelques mois, et ils se rendent compte qu’ils ne sont pas au courant. L’histoire des pensionnats et tout ce que nous découvrons leur ont ouvert les yeux, mais ils veulent des mesures concrètes. Ils veulent comprendre toute cette histoire. Nous avons entendu des débats sur le droit autochtone. Les gens veulent savoir ce que cela signifie. Comment pouvons-nous changer notre société? Comment pouvons-nous changer notre manière d’interagir? Je ne parle pas d’autochtonisation, mais si nous examinons la relation de coexistence de nation à nation dont il est question dans les traités, nous devons aborder certains de ces enjeux importants. Le fait que nous soyons passés d’un concept de cession des terres à celui de partage des terres change toute la dynamique de nos relations les uns avec les autres. Je pense que ce doit être le point de départ du dialogue. Nous ne devons pas nous y soustraire en nous plongeant dans d’autres projets pour détourner notre attention du débat sur les traités.

Le sénateur Arnot : Recevez-vous un financement annuel? D’où provient votre financement et à quel moment le recevez-vous? Quand avez-vous l’occasion d’accroître ce financement?

Mme Ross : Nous sommes financés sur une base quinquennale. Je sais que l’Assemblée des chefs du Manitoba, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada ont un regard sur notre budget. Même si nous passons à ces relations à plus long terme, quand vous fonctionnez par périodes de cinq ans, vous devez chercher à créer des partenariats afin de pouvoir lancer d’autres initiatives. C’est un budget très modeste pour la somme de travail que mes prédécesseurs et moi-même avons accompli jusqu’à maintenant. Dorénavant, je pense qu’il doit y avoir un engagement financier plus durable à l’égard du travail des commissions sur les traités.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup pour vos présentations. J’avais 10 questions à poser, et chaque fois que vous soulevez un nouveau point, je veux vous demander plus de détails. Le travail que vous accomplissez est inspirant et je pense que les problèmes que nous connaissons aujourd’hui découlent directement du manque de connaissances sur les traités. Les gens ne comprennent pas notre histoire ni l’origine de la propriété foncière.

Je sais que vous êtes financés par le gouvernement fédéral et que vous travaillez à la mise en œuvre des traités, ce qui équivaut certes à un partenariat avec le gouvernement fédéral, mais vous semblez entretenir une excellente relation avec la province, puisqu’elle est disposée à intégrer votre cours dans le programme provincial d’enseignement. Je suis vraiment curieuse de savoir comment vous avez réussi cet exploit, parce que c’est vraiment exceptionnel. Venant de l’Alberta, je suis très curieuse de savoir comment vous avez réussi à faire cela et à d’avoir plus de détails sur la nature de cette relation qui vous a permis de faire ajouter un cours spécial sur les traités pour les étudiants du secondaire. Pouvons-nous suivre votre cours? L’offrez-vous en ligne? J’adorerais suivre votre cours.

Mme Ross : Merci pour ce commentaire. Je vous remercie aussi de reconnaître le dur labeur accompli par la commission.

Ce sont mes prédécesseurs qui ont préparé le terrain. Dennis White Bird a participé à l’élaboration du matériel didactique. Nous avons commencé par implanter notre cours seulement au niveau de la 5e année, puis nous n’avons cessé de le déployer. Ce que nous avons voulu faire, c’est le lier aux résultats scolaires exigés par la province. C’est donc un cours de remplacement de certaines matières et il peut s’intégrer à toutes les matières enseignées de la maternelle à la 12e année. Vous pouvez facilement interchanger les sujets. Comme nous savons que les enseignants sont débordés, nous n’avons pas voulu alourdir leur charge de travail. Le cours a été conçu pour leur faciliter la tâche. Il n’a jamais été obligatoire et il ne l’est toujours pas. C’est l’une de nos priorités pour les prochaines années.

Nous avons réussi à bâtir ce cours de manière inclusive, en faisant participer une diversité d’intervenants comme les associations d’enseignants et les conseils scolaires. Ce n’est pas un cours que nous avons conçu et imposé, nous avons été très inclusifs en nous assurant la participation de la province, du gouvernement fédéral et des organismes qui offrent des cours sur les traités. Nous avons ensuite demandé aux enseignants de l’offrir à leurs élèves. Nous avons agi d’une manière très inclusive, je pense. C’est une façon très transparente et agréable d’enseigner les traités.

Le Manitoba a sa propre histoire de relations entre Autochtones et non-Autochtones. Je crois donc qu’une grande partie de notre travail vise à dissiper la peur des gens et à les aider à comprendre. Notre agenda de formation est rempli pour une période de deux ans. C’est pour cela que la province du Manitoba est devenue notre partenaire. C’est un merveilleux système d’enseignement que nous avons réussi à concevoir. Nous avons réussi à travailler en partenariat avec la province qui nous verse une partie des ressources financières pour la formation.

Les écoles veulent notre cours. C’est ce qu’elles voulaient. Nous avons amorcé ce travail bien avant que la Commission de vérité et réconciliation se mette à parler de la nécessité de sensibiliser les gens aux droits ancestraux et issus de traités, en 2015. Les écoles le faisaient déjà et je pense qu’elles avaient ainsi démontré qu’elles comprenaient la nécessité de donner un enseignement sur les traités.

La sénatrice LaBoucane-Benson : J’ai travaillé brièvement avec des enseignants à l’élaboration de cours sur le traumatisme historique. Quelle a été votre stratégie pour aider les enseignants à se sentir suffisamment à l’aise dans ce contexte pour enseigner la matière?

Mme Ross : Nous nous sommes tournés vers nos aînés. Ils jouent un rôle très important pour faciliter cette compréhension. Ils fournissent le contexte. Il s’agit d’une formation de deux jours dont la première partie consiste uniquement à comprendre et à raconter l’histoire des Premières Nations, par l’entremise de nos aînés. Ces derniers jouent un rôle important dans cet enseignement et cette formation. Lorsque vous discutez avec des aînés, je pense que vous vous sentez tout de suite à l’aise. Ils ont une façon d’enseigner — une pédagogie — très bienveillante et rassurante et qui vous donne envie de comprendre. L’apport des aînés à ce projet est sans contredit ce qui explique son énorme succès.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.

Le président : Madame Ross, quelles sont les priorités des Premières Nations concernant la mise en œuvre des traités et, au Manitoba, en quoi ces priorités diffèrent-elles d’une Première Nation à l’autre?

Mme Ross : Au Manitoba, il y a cinq nations différentes — cinq groupes linguistiques —, dont les Dakotas qui n’ont pas conclu de traités numérotés avec la Couronne. Elles ont donc des points de vue divergents sur cette relation avec la Couronne. Je pense qu’elles s’appuient sur les mêmes bases quand elles parlent des systèmes de droit et de gouvernance autochtones et de ce qu’ils étaient avant les traités et des liens entre elles. Il y a des points communs dans l’aspect relationnel des traités, qu’il s’agisse des traités numérotés ou de ceux conclus entre les Premières Nations elles-mêmes. Cela nous ramène aux principes et à la reconnaissance de ces systèmes de gouvernance afin qu’ils puissent évoluer et se substituer à certains des systèmes juridiques occidentaux qui font actuellement obstacle à cela.

La sénatrice Coyle : Merci à nos invités de ce soir. Merci pour le travail que vous faites. J’adorerais, moi aussi, répondre à votre invitation. Le travail que vous accomplissez semble tellement intéressant et de la plus haute importance. Félicitations à vous tous pour ce travail, y compris au témoin qui est demeuré silencieux ce soir.

Il y a tellement de choses que je suis curieuse de savoir. Je sais que vous étiez ici quand le premier témoin a fait sa déclaration. L’une des choses dont a parlé le chef Prosper, c’est la création du centre indépendant pour le règlement des revendications particulières. Vous œuvrez tous dans le domaine des traités et des revendications. Il a dit qu’il voulait y incorporer des traditions juridiques autochtones et cette expertise. Vous êtes-vous déjà appuyé ou vous appuyez-vous actuellement sur ce savoir juridique traditionnel autochtone?

Mme Ross : Oui, bien sûr. Nous avons un conseil des aînés, celui de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Nous sollicitons ses conseils sur divers sujets, notamment en matière d’éducation, de recherche et de partenariats. Nous nous appuyons beaucoup sur notre conseil des aînés, dont les membres représentent les différents groupes linguistiques de la province du Manitoba ainsi que les différentes régions visées par les traités. Ils parlent tous couramment leur langue, ils ont une excellente connaissance de leur culture et de leurs pratiques et ils mettent tout cela à notre portée. Nous veillons à respecter ces protocoles et ces pratiques et à les appliquer dans notre travail.

La sénatrice Coyle : Est-ce que cela comprend également des connaissances particulières sur les traditions juridiques autochtones et d’autres traditions?

Mme Ross : Oui, bien sûr.

La sénatrice Coyle : Je sais que c’est propre aux régions où vous vivez, mais est-ce quelque chose qui pourrait être intégré à cet effort national qui devra tenir compte des traditions de partout au pays?

Mme Ross : Nous sommes réticents à partager nos aînés, mais pourquoi pas? Je pense que si nous nous engageons dans cette voie, nous allons certainement devoir examiner le droit autochtone et comprendre ce qu’il signifie. Ce n’est pas le droit canadien qui s’applique aux peuples autochtones; il ne s’agit pas d’un dérivé du droit canadien. C’est un droit autochtone à part entière, distinct des autres systèmes juridiques. Et c’est un traité. Il faut comprendre que ces différents systèmes existent et fonctionnent côte à côte. La réponse est oui, cela forme un tout.

Le président : Madame Ross, vous avez mentionné une récente publication sur les traités produite par des aînés. Pourriez-vous nous décrire cette publication et nous dire comment elle contribuera à éduquer le public sur les traités?

Mme Ross : Avec plaisir. Je vais vous en parler brièvement, mais mon ami voudra peut-être vous en parler plus longuement.

Il est certain que les textes écrits nous aident grandement à comprendre les relations découlant des traités et c’est justement ce qui nous manquait jusqu’à maintenant. Ce qui manque, c’est le point de vue des Premières Nations. L’ex-commissaire Dennis White Bird et l’aîné Bone ont passé plusieurs années à sillonner le Manitoba pour entendre les voix de nos aînés. Je vais maintenant laisser la parole à notre aîné qui a participé directement à cet exercice.

M. Bone : Je vous remercie sincèrement de me donner l’occasion de dire quelques mots. Merci, sénateurs et sénatrices.

Quand il est question de l’histoire des Premières Nations, je pense qu’il est important de dire qu’au moment de la création de la Commission des relations découlant des traités du Manitoba, il y a de cela une vingtaine d’années, nous avions réuni les meilleurs chercheurs de l’Ouest du Manitoba et des professeurs engagés dans le traitement des revendications territoriales au nom du gouvernement ou en celui des Premières Nations. En gros, ils nous ont dit que l’histoire de nos Premières Nations a toujours été racontée sous un angle différent, c’est-à-dire selon la pensée européenne, occidentale, de langue anglaise. Ils nous ont simplement dit que c’était maintenant à notre tour de présenter notre point de vue, notre expérience, nos langues, nos cérémonies et nos façons de faire les choses.

Voilà ce que nous ont dit les éminents chercheurs. Nous avons donc rassemblé quelques aînés du Manitoba et avons discuté dans les cinq ou six langues qu’ils parlaient afin d’être certains de bien comprendre le véritable sens de l’histoire de notre peuple, notamment le droit autochtone dont vous parlez et nos traditions. C’est pour cela que nous voulions qu’ils s’expriment dans leur propre langue. Par la suite, nous avons publié quatre volumes qui résument leurs témoignages. L’important, à mon avis, c’est le message qu’ils transmettent. Nous avons une source de notre histoire. Nous avons une source pour comprendre qui nous sommes. Nous occupions ce territoire bien avant l’arrivée des Européens. Nous avions nos propres coutumes, nos valeurs et nos lois. Je pense qu’il est important de bien comprendre cela.

Grâce aux Premières Nations de la Colombie-Britannique et à l’affaire Delgamuukw, qui mettait notamment en question les récits oraux, le jugement de la Cour d’appel fédérale nous a donné raison. Le juge en chef nous a dit que la loi au Canada est toujours interprétée en fonction de deux sources, le droit civil et la common law. Et voici que le droit autochtone entre en scène. C’est ce que nous ont expliqué les témoins précédents. Qu’est-ce que le droit autochtone? Tel est le défi que nous devons relever ensemble et la discussion que nous devons avoir. Cela fait partie de ce que la commission vous a fourni, c’est-à-dire cette relation, ce dialogue pour nous assurer que nous avons la possibilité de fournir notre source pour ce que nous sommes en tant que peuple.

Nous avons fourni quatre volumes. J’espère que la plupart d’entre vous y auront accès, parce que nous sommes cités dans ces passages. Merci beaucoup.

Mme Ross : Si cela vous intéresse, nous pouvons vous envoyer un exemplaire des quatre volumes. Ce serait certainement utile.

Pour ajouter à ce que disait l’aîné Bone, l’une des autres initiatives que nous avons lancées était un cours postsecondaire sur les traités, un cours de quatre ans. Nous l’avons terminé l’an dernier. Il a été conçu, mis en œuvre et agréé par le conseil des aînés des Premières Nations de la Commission des relations découlant des traités. Avant cela, nous avions travaillé avec nos établissements d’enseignement postsecondaire actuels au Manitoba, où nous nous étions heurtés à des problèmes typiques de type institutionnel liés à l’agrément et au contrôle des cours et de leur contenu. Nous avons donc décidé de le faire, de donner notre cours et de montrer que c’est possible. Nous avons trouvé cela fantastique. Alors nous l’avons donné pendant quatre ans et nous sommes en train de l’évaluer pour voir comment nous pouvons aller de l’avant avec un cours comme celui-là.

La sénatrice Greenwood : Je n’ai pas de question à vous poser, mais j’ai certaines observations à faire.

Tout d’abord, je tiens à vous féliciter pour le travail que vous avez accompli. Comme vous l’avez dit, la documentation des récits oraux, dont vous avez parlé, est très importante pour ceux qui viendront après nous. Je vois vraiment pourquoi vous vous concentrez sur l’éducation et la recherche. Nous sommes tous ici pour apprendre, mais c’est la préparation pour ceux qui nous suivront qui est si importante, à commencer par nos enfants et l’enseignement de ces générations. Je sais que mon fils, qui a 26 ans, ne partage pas du tout mon opinion au sujet des pensionnats indiens. C’est une réalité très différente pour lui. Il y a beaucoup de choses, je pense, qu’il ne faut pas oublier en adoptant cette façon de faire.

Il s’agit également d’une stratégie pour aborder le genre d’interface... je l’appelle toujours « interface des systèmes de savoir », parce que nous avons nos propres systèmes de savoir dans toute leur complexité, tout comme les peuples non autochtones ont les leurs. Lorsque ces éléments sont réunis, comment pouvons-nous, ensemble, trouver la voie à suivre?

Votre récit m’interpelle vraiment, et je tenais absolument à vous féliciter pour ce travail. Je pense que nous devrions simplement monter dans un autobus qui amènera un grand nombre d’entre nous à Winnipeg.

Une voix : Vous êtes près du musée pour les droits de la personne également?

Mme Ross : Oui.

La sénatrice Martin : Merci beaucoup de votre témoignage de ce soir. Juste à écouter le message de l’aîné Bone, je peux dire que vous venez d’effleurer la surface et qu’il y a beaucoup d’autres choses à entendre et à apprendre.

L’éducation est absolument essentielle. Alors j’ai une brève question. Lorsque vous travaillez avec des enseignants, est-ce par l’entremise des enseignants autochtones désignés dans l’école, ou de n’importe quel enseignant? Il y a un merveilleux groupe d’enseignants qui sont organisés à l’échelle nationale. Ils enseignent les sciences sociales et l’histoire et peut-être que ce groupe pourrait être un partenaire très intéressant pour amener plus d’enseignants de tout le Canada... au Manitoba, par exemple, mais peut-être même à l’échelle nationale. Je pense que c’est tout simplement une excellente initiative. Ma question concernait les enseignants et votre façon de travailler avec eux. C’est avec quiconque souhaite le présenter dans les salles de cours?

Mme Ross : Absolument. Nous travaillons avec tous les enseignants, parce que nous sommes tous visés par un traité. Nous sommes tous les bénéficiaires des traités, même si certains le sont plus que d’autres, lorsqu’on pense aux partenaires des traités. Mais il s’agit d’une histoire commune, et je pense qu’il est important que tout le monde comprenne ce qu’est cette histoire commune, peu importe ses antécédents, que l’on soit d’origine britannique — l’un des partenaires d’origine — ou un nouvel arrivant au pays. Je pense qu’il faut comprendre tout cela pour aller de l’avant pour créer de meilleures relations.

Nous travaillons sur tous les sujets. L’un des problèmes que nous avons eus, c’est que les gens ont tendance à inscrire cela dans l’histoire autochtone. Or la mise en garde que j’ai toujours faite, c’est qu’il ne s’agit pas de l’histoire autochtone, mais de notre histoire à tous. Le problème, c’est que la perspective autochtone n’a pas été entendue. L’histoire officielle du Canada, c’est qu’il s’agit d’accords de cession de terres, de sorte que la perspective est différente, et c’est pourquoi j’ai dit qu’il y a une distinction à faire entre cession de terres et accords de partage de terres, d’une part, et notre accord de coexistence et de concertation, de l’autre.

Nous sommes certainement ouverts à l’idée d’établir des partenariats avec différentes organisations. Au cours de la dernière année, nous avions un partenariat — parlant de droit autochtone — avec la Faculté de droit de McGilll. Le professeur Aaron Mills a communiqué avec nous après que nous l’ayons enseigné et il a entendu parler de notre cours postsecondaire avec des aînés, et il s’est associé à nous pour offrir un cours de droit autochtone avec McGill. Il y a certainement des possibilités de partenariat avec différentes entités.

La sénatrice Martin : Merci.

La sénatrice Sorensen : Je suis très engagée dans l’industrie du tourisme et le tourisme autochtone en Alberta, et j’espère être à la conférence de Winnipeg, où j’aurai peut-être l’occasion de vous voir. Cela dit, je suis vraiment curieuse de connaître le centre du savoir pour la perspective touristique, parce que je pense que c’est essentiel pour la partie vérité de la réconciliation. Comment faites-vous, faute d’un meilleur terme, pour le commercialiser?

Mme Ross : L’un de nos voisins est Tourisme Manitoba. Nous avons laissé Tourisme Manitoba et The Forks le rôle de la commercialisation. Nous nous contentons de faire notre travail et de permettre à d’autres d’intervenir. Tourisme Manitoba est notre voisin d’à côté, et il est venu deux ou trois fois et a fait venir des journalistes de partout au pays et de l’étranger pour présenter le centre.

La sénatrice Sorensen : L’Association touristique autochtone du Canada fait également un travail fantastique. J’espère assister à une partie de cette conférence.

Mme Ross : Absolument.

Le président : Votre temps est maintenant écoulé, et je tiens à remercier encore une fois la commissaire aux traités, Mme Ross, ainsi que Mme McKay et l’aîné Bone, de s’être joints à nous.

Dans notre dernier groupe de témoins, nous entendrons la commissaire en chef de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, Celeste Haldane; la commissaire Liseanne Forand; Sashia Leung, directrice des communications et des relations internes; et Mark Smith, avocat général et directeur de processus. Wela’lin. Merci à nos témoins d’être ici ce soir.

La commissaire en chef Haldane fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses d’environ cinq minutes par membre. En raison des contraintes de temps, je demande à tout le monde d’être bref. Pour éviter d’interrompre qui que ce soit, je lèverai cette affiche lorsqu’il vous restera une minute.

J’invite maintenant la commissaire en chef Haldane à faire sa déclaration préliminaire.

Celeste Haldane, commissaire en chef, Commission des traités de la Colombie-Britannique : Bonjour à tous. [mots prononcés dans une langue autochtone ] Merci beaucoup de nous avoir invités à témoigner et à faire le point sur le processus de négociation des traités en Colombie-Britannique. Nous sommes heureux de témoigner sur les terres non cédées du territoire algonquin anishinabe.

La Commission des traités est un organisme indépendant qui supervise le processus de négociation des traités en Colombie-Britannique. Nous facilitons les négociations entre les Premières Nations, le Canada et la Colombie-Britannique, communément appelées « les parties ». Nous sommes le seul organisme juridique tripartite pour superviser la réconciliation et nous avons pour mandat de faciliter le processus de négociation des traités modernes entre les parties, de fournir du financement aux Premières Nations dans le processus de négociation et d’informer et d’éduquer le public.

Au cours des dernières années, notre mandat a été amélioré. En facilitant la recherche et la négociation de traités modernes, nous aidons les parties à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et le titre et les droits des Premières Nations.

Pour vous donner un instantané, il existe 29 traités modernes au Canada; il y en a huit en Colombie-Britannique, dont sept ont été négociés dans le cadre du processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique.

Les Premières Nations Maa-nulth, qui célébreront leur 12e anniversaire, en regroupent cinq : Huu-ay-aht, Ka:’yu:’k’t’h’, Che:k’tles7et’h’, Toquaht, Uchucklesaht et Yuulu il ath. Les Tla’amin célébreront leur septième anniversaire. La ratification date de 2016. La Première Nation Tsawwassen célébrera son 14e anniversaire. La ratification a eu lieu en 2009. Le gouvernement Nisga’a Lisims, dont la ratification remonte à 2000, célébrera son 23e anniversaire. Il est issu de la seule négociation menée en dehors de notre processus de négociation des traités propre à la Colombie-Britannique.

En ce qui concerne les innovations pour la réconciliation, nous profitons de l’occasion pour féliciter le gouvernement fédéral pour le travail extraordinaire qu’il a accompli afin de resserrer la relation et de réorienter les négociations avec les Premières Nations dans le cadre du processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique. Nous allons au-delà de l’héritage historique du déni de la Couronne et de l’unilatéralisme pour établir une nouvelle relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits, la réconciliation, le respect, la coopération et le partenariat.

Je voulais souligner certains changements de politique notables qui ont transformé le processus de négociation en Colombie-Britannique. Par exemple, il y a la politique sur la reconnaissance et la réconciliation des droits pour les négociations des traités en Colombie-Britannique. Elle se trouve dans le manuel que nous avons distribué à tout le monde aujourd’hui, et c’est la première politique élaborée conjointement entre les Premières Nations dans le cadre du processus de négociation des traités, la Colombie-Britannique et le Canada. Bien sûr, la Commission des traités y a joué un rôle. Elle remplace également la politique sur les revendications globales ainsi que la politique sur les droits inhérents. On y trouve également une disposition sur l’élaboration conjointe des mandats entre les trois parties, ce qui représente une occasion en or et un réel progrès.

Je tenais également à souligner la législation fédérale, ainsi que celle de la Colombie-Britannique sur la Déclaration des Nations unies.

La politique financière collaborative du Canada sur l’autonomie gouvernementale qui a été élaborée et concrétisée en 2019 constitue, là aussi, un autre changement de politique important en ce qui concerne la relation renouvelée entre les peuples autochtones de notre pays et le gouvernement fédéral.

Rappelons également que le budget de négociation des revendications globales, qui date de 2019, prévoit la radiation et le remboursement des prêts. L’investissement total est de 1,4 milliard de dollars dans les communautés des Premières Nations. En 2018, avec le budget de 2018, nous sommes passés au financement par contributions seulement. Auparavant, nous avions 80 % des prêts — les Premières Nations devaient contracter des prêts — et 20 % de contributions seulement. Nous sommes maintenant à 100 % de financement par contributions.

Vous trouverez également dans votre manuel quelques autres politiques, notamment l’Accord des parties relativement à la transformation de la négociation des traités, ainsi que nos 94 appels à l’action.

Nous sommes ici en fait pour parler des conditions propices au succès et des possibilités qui s’offrent à nous. Étant donné qu’il y a eu d’importants changements de politique qui ont transformé le processus de négociation et accéléré les négociations, nous avons la possibilité de conclure des traités en Colombie-Britannique. Il y a quatre tables représentant huit bandes assujetties à la Loi sur les Indiens qui peuvent parvenir à une entente de négociation au cours des 12 prochains mois. Il s’agit des Kitselas, des Kitsumkalum, des K’ómoks et de l’Association du Traité des Te’mexw. Les Te’mexw sont cinq nations qui négocient ensemble. Il s’agit d’une communauté plurinationale.

Les Premières Nations de la Colombie-Britannique renforcent leur gouvernance et leur capacité depuis plus de 30 ans et comptent parmi les Premières Nations les plus aptes à mettre en œuvre l’autonomie gouvernementale. Cependant, de notre point de vue, l’absence d’une approche pangouvernementale a constitué un obstacle. Nous avons quand même vu des signaux positifs indiquant que l’investissement et l’attention politique et celle des hauts fonctionnaires nécessaires pour conclure les négociations sont une priorité pour le gouvernement fédéral. Nous partageons également les mêmes perceptions avec la province, de sorte que tout le monde sait que nous continuons d’envoyer le message qu’il y a de formidables occasions de conclure des traités en Colombie-Britannique.

Grâce à la Politique sur la reconnaissance et la réconciliation des droits, c’est-à-dire la politique RRD, qui appuie l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale, les traités modernes sont des accords évolutifs qui peuvent être renouvelés au besoin. La politique RRD énonce explicitement que les négociations sont fondées sur la reconnaissance des droits et des titres fonciers des Autochtones et constitue un cadre pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Ces traités seront les accords les plus novateurs à ce jour, refléteront la nouvelle politique RRD et les autres politiques que j’ai mentionnées et démontreront le succès de toutes les innovations en matière de politique. La conclusion des négociations susmentionnées permettra de réaliser concrètement l’investissement dans les négociations et de tracer une nouvelle voie vers un avenir meilleur pour tous les Canadiens.

La conclusion de ces quatre traités établira sans aucun doute une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance et la réconciliation et permettra une conclusion plus rapide et efficace pour la prochaine série de tables de négociation avancée. Je soulève cette question parce que c’est important, puisque le dernier accord négocié à Ottawa était celui de la nation des Tla’amins, conclu en 2012, mais ratifié par le Parlement en 2016 seulement. Nous ne pouvons plus revoir d’aussi longs retards. Cela crée des problèmes dans le processus de négociation des traités et dans la communauté des Premières Nations. Par exemple, les principaux dirigeants et négociateurs des Premières Nations prennent leur retraite ou sont à la veille de le faire, ce qui pourrait déboucher sur une perte de l’appui de la communauté, un risque d’opposition et des stratégies changeantes, ce qui paralyserait les négociations ou ferait perdre la possibilité d’avoir un traité dans cette communauté. La perte d’élan à ce stade pourrait être permanente compte tenu de l’important changement générationnel. De plus, un retard, comme ce qui s’est produit avec les Tla’amins, de l’une ou l’autre des quatre tables de fermeture aura des effets d’entraînement durables et des répercussions sur la prochaine série de tables de négociation des Premières Nations. Notre message est que l’élan doit être maintenu, surtout lorsque les traités et les ententes arrivent à Ottawa.

Nous continuerons d’exhorter toute la famille fédérale à comprendre le rôle de la réconciliation et celui des traités modernes en Colombie-Britannique, et à mettre en œuvre la politique RRD. Lorsqu’il voit la possibilité d’innover et de mettre à jour ses pouvoirs pour refléter une nouvelle relation de nation à nation, nous encourageons le gouvernement fédéral à le faire.

Lorsqu’il est impossible d’en arriver à une entente, les solutions d’exclusion peuvent constituer une étape provisoire vers la conclusion de traités, là où certains ministères et organismes ont des défis à relever dans leur mandat tout en protégeant les droits garantis par l’article 35. Mais ce n’est que lorsqu’une Première Nation est d’accord, et cela ne doit pas être une option forcée. Une mise en garde prudente s’impose. En suivant ce modèle, les ministères et organismes risquent de prendre du retard dans la réconciliation et l’établissement de relations, et cela représente une occasion manquée d’innovation. L’absence de progrès signifie le statu quo, soit de l’incertitude pour le Canada, la Colombie-Britannique et les Premières Nations qui négocient depuis 30 ans dans le cadre du processus de négociation des traités de la Colombie-Britannique.

[mots prononcés dans une langue autochtone] Voilà qui conclut le témoignage de la Commission des traités.

Le président : Merci, madame la commissaire en chef Haldane.

Avant de passer aux questions, je rappelle à tout le monde dans la salle de ne pas se pencher trop près de votre microphone ou de retirer votre oreillette. Nous allons commencer la période des questions avec notre vice-président, le sénateur Arnot.

Le sénateur Arnot : J’ai beaucoup de questions.

C’est une excellente nouvelle, et je vois que vous faites du travail de pointe, des traités nouveaux et modernes. Le seul traité moderne qui ne faisait pas partie de votre processus est celui des Nisga’as. Je sais que c’était un monument au Canada, avec le chef Gosnell. Tom Molloy, de Saskatoon, était le négociateur. Je pense que c’est un travail de pointe. Ce traité a-t-il servi de modèle pour d’autres discussions? Je me demande comment cela fonctionnait. Aucun de ces traités n’est exactement le même, alors j’aimerais le savoir.

Vous mettez en œuvre sept traités, et vous en avez réservé 31. Dans quelle mesure est-il facile, ou quels sont les obstacles, pour les autres Premières Nations, de venir à la table et entamer les négociations? Comment supervisez-vous 31 tables? Tout est question d’échéancier. On pourrait penser que s’il y a un gabarit, un modèle, et que cela donne des résultats, et que vous en mettez sept autres en œuvre, vous pourriez accélérer la mise en œuvre.

Où la province de la Colombie-Britannique intervient-elle dans ce processus? Comment participe-t-elle? Y a-t-il des compétences partagées, par exemple en matière d’éducation?

Vous devez avoir un budget énorme. Comment répondez-vous à la demande qui, j’en suis sûr, existe? Comment gérez-vous cela?

Je vous félicite de l’excellent travail que vous avez fait pour établir ce gabarit. Ce genre de choses permettra aux membres des Premières Nations du Canada de prendre la place qui leur revient dans l’État canadien par cette méthode. Félicitations.

Mme Haldane : Merci, sénateur. Je suis heureuse de pouvoir répondre. Je suis certaine que certains de mes collègues vous livreront aussi leurs perceptions.

Les Nisga’as ont joué un rôle essentiel dans le processus de négociation des traités. Bien sûr, nous ne faisons jamais référence à l’établissement d’un gabarit, parce que chaque nation a des besoins et des circonstances qui lui sont propres, des circonstances sociopolitiques, mais elle fixe sûrement un point repère pour la Colombie-Britannique afin de faire progresser une nouvelle relation dans le cadre d’un processus moderne de négociation des traités. J’ai un profond respect pour le travail que les Nisga’as ont accompli, non seulement en ce qui concerne les négociations, mais aussi en ce qui concerne le dur travail de mise en œuvre. C’est aussi là que le bât blesse dans le processus de négociation.

Oui, la demande est énorme. Je suis très chanceuse de pouvoir compter sur une excellente équipe capable d’assurer ce soutien pour faciliter les choses.

Nous remercions le gouvernement fédéral pour le budget que nous avons reçu pour appuyer les Premières Nations dans le processus de négociation, parce que l’essentiel vient du gouvernement fédéral. Nous apprécions ce soutien continu.

En faisant avancer ces tables et en tenant compte du fait que nous avons une charge de travail diversifiée, nous avons pu gérer à l’interne avec les compétences des commissaires et du personnel, ce qui rend mon rôle un peu plus facile, malgré certaines choses qui m’empêchent de dormir la nuit, c’est sûr.

Pour ce qui est de la façon de voir la situation, avec tous les changements de politique depuis 2016, cela a vraiment créé et relancé les négociations. Par exemple, dans le cas de certaines de ces tables qui n’ont peut-être pas participé activement au processus de négociation des traités pour une raison ou pour une autre, nous avons constaté une légère augmentation du nombre de nations qui veulent reprendre le processus de négociation parce qu’il est devenu plus souple, avec la politique RRD. La radiation des prêts annoncée dans le budget a été extrêmement avantageuse pour les pays qui voulaient aller de l’avant. Certaines des nations qui envisageaient d’autres possibilités, comme le recours à la justice ou d’autres options de développement économique, ont vraiment examiné la situation et ont remarqué que des changements substantiels ont été apportés au processus de négociation des traités en Colombie-Britannique.

L’un des grands changements découlant de la politique RRD, c’est toute cette notion d’extinction ou de cession que nous voyons, ce qui, pour certaines nations, n’était pas vraiment acceptable, à juste titre, pour des raisons qui sont les leurs. En fait, ce n’est plus le cas. Cela ne fait plus partie de notre politique. Cela ne fait plus partie de la relation scellée par traité, parce que cela devrait être fondé sur le respect mutuel, la coopération, le partenariat — des relations vivantes. C’est ce que la politique RRD a permis. Encore une fois, les nations ont relancé leurs négociations, elles les ont accélérées, mais nous avons aussi eu un ou deux nouveaux venus dans notre processus.

Me Mark Smith, avocat général et directeur de processus, Commission des traités de la Colombie-Britannique : J’aimerais ajouter quelque chose à la question du sénateur au sujet des obstacles.

L’un des problèmes qui subsistent, c’est la longueur et la lourdeur des processus, des processus fédéraux, des processus de mandat, ici à Ottawa. On prend diverses mesures pour régler le problème, mais le processus est toujours très long. La commissaire Forand pourrait vous en parler, elle qui a travaillé à Ottawa pendant de nombreuses années.

J’ai entendu la question au sujet des études possibles. Nous vous suggérons d’examiner de près les processus de mandat fédéraux, ce qu’on entend par « pangouvernemental » et ce qu’on fait de ce côté-là pour appliquer une approche pangouvernementale du processus de mandat pour appuyer les négociations.

La sénatrice Coyle : Je m’apprêtais à poser la même question, mais je vais aller un peu plus loin.

Merci, tout le monde, d’être avec nous pour nous faire part de vos expériences stimulantes. Il est encourageant d’entendre parler des progrès que vous avez décrits, ces changements importants dans les politiques et les innovations avec la politique RRD que vous avez décrite. Les retombées de tout cela sur le progrès et les relations changent complètement tout le rapport de forces.

Je crois avoir entendu, tout comme le sénateur Arnot, et maintenant M. Smith l’ont souligné, que les grandes pierres d’achoppement — et elles sont reliées — sont la lenteur du processus, les retards et le blocage des négociations. Je pense que c’est ce que vous avez dit dans votre témoignage. Même s’il y a beaucoup de choses à dire à ce sujet, la radiation des prêts, la nouvelle politique, la nouvelle relation, tout cela est vraiment positif, mais nous sommes toujours coincés et nous n’avançons pas comme vous le souhaiteriez.

Je crois que c’est également lié à l’autre commentaire que vous avez fait, et que Me Smith a également souligné, à savoir qu’on parle d’une approche pangouvernementale, mais qu’il n’y a pas vraiment d’approche pangouvernementale. J’aimerais que vous nous expliquiez un peu plus à quoi cela ressemble concrètement pour vous et à quoi cela devrait ressembler.

Me Smith : Si vous me permettez, madame, je vais vous donner un exemple. Il existe un comité directeur des ministères fédéraux composé de sous-ministres adjoints, ou SMA, donc, devant lequel nous avons déjà comparu. Il est rare qu’un sous-ministre adjoint s’y présente. La dernière fois que nous avons comparu, il n’y en avait qu’un seul de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, c’est-à-dire RCAANC, qui préside habituellement ces réunions, et il a fait un excellent travail en nous invitant comme témoins. À cette réunion, plusieurs ministères clés n’étaient même pas représentés, et il y avait peu de sous-ministres adjoints. Sur papier, nous avons là un comité qui est censé contribuer à l’approche pangouvernementale, mais ce n’était certainement pas un comité enthousiaste et la participation n’était certainement pas enthousiaste.

Mme Haldane : Le ministère des Pêches et des Océans est un secteur important où il faudrait renforcer l’approche pangouvernementale. Je crois comprendre qu’il y a eu des changements au niveau de la direction, et nous avons bon espoir qu’il y en aura aussi aux tables de négociation. Il semble donc y avoir un engagement. Mais ce fut une entrave à la négociation, surtout pour les nations de la côte Ouest, qui comptent le plus sur les ressources marines pour leur alimentation, leur vie sociale et leurs rituels. Elles doivent prendre part aux discussions. Or, elles sont absentes depuis un certain nombre d’années.

La sénatrice Coyle : Je viens de la côte Est. Je comprends.

Liseanne Forand, commissaire, Commission des traités de la Colombie-Britannique : Moi qui arrive tardivement dans ces discussions, alors que mes collègues ont derrière eux de nombreuses années d’expérience que je n’ai pas, je suis vraiment frappée par le fait que le processus dure depuis 30 ans. La démarche est très prometteuse en ce moment. Nous avons tous le sentiment d’être sur une bonne lancée, mais les négociations durent tout de même depuis 30 ans. À certaines des tables auxquelles j’ai participé, les mêmes négociateurs représentent la Première Nation depuis 30 ans. Ils ont eu le temps d’avoir des enfants et des petits-enfants. Par contre, les négociateurs du gouvernement changent chaque année. Chaque fois qu’il y a des élections ou qu’un nouveau ministre arrive en poste, il y a un délai de six mois. On en arrive à un point où ces délais ne semblent plus vouloir dire grand-chose. Comme la commissaire en chef l’a dit dans ses observations, un changement de génération s’opère. S’il n’est pas possible de saisir les occasions qui se présentent, ce ne sera pas seulement une honte. Ce sera déshonorant.

Comme Mark Smith l’a souligné, il n’appartient pas aux Premières Nations de résoudre le problème qu’est la complexité gouvernementale. Leurs représentants sont là pour discuter depuis 30 ans. Leur engagement est constant et permanent à l’égard de l’initiative à laquelle ils participent. Si c’est complexe pour l’autre partie, c’est à elle de régler le problème. Je ne pense pas qu’il y ait quelque justification qu’on puisse avancer — et, à dire vrai, les ministères s’en abstiennent —, mais 30 ans, surtout lorsqu’il y a des partenaires bien disposés de l’autre côté...

Il est vrai que, parmi les 31 tables, certaines sont plus difficiles. Elles ne sont pas toutes sur le point d’aboutir à des résultats, mais dans les cas où on travaille fort — et nous espérons que ce sera le cas pour les quatre tables énumérées par la commissaire en chef —, il y aura beaucoup de travail à faire dans les bureaux du gouvernement d’ici la signature du traité.

Le président : Madame Haldane, quels sont les obstacles qui nuisent à la rédaction des lois portant ratification des traités modernes au niveau fédéral?

Mme Haldane : Sénateur, à propos des obstacles, nous devons examiner un exemple récent, celui des Tlaamins. Il a fallu quatre ans pour ratifier le traité. Les obstacles sont en grande partie d’ordre politique, mais si l’approbation politique n’est pas là, tout le reste est retardé. Les problèmes auxquels la communauté a dû faire face parce que la ratification a tardé... C’est le dernier traité qui ait été ratifié. Le traité est d’abord soumis aux Premières Nations pour ratification, puis la province le ratifie et c’est le gouvernement fédéral qui ferme la marche. Devant des difficultés aussi importantes, beaucoup de nations se sont demandé si elles devaient vraiment s’engager dans le processus si les autres parties ne le faisaient pas. Selon moi, il y a moyen de revenir rapidement à une approche pangouvernementale et d’accélérer et de faciliter les processus de ratification. Si des problèmes surgissent, les discussions devraient avoir lieu immédiatement, puisque les parties coopèrent. Inutile d’attendre que d’autres processus se déroulent.

La sénatrice Hartling : Je suis très intriguée. Votre action est une telle source d’inspiration. Vous avez beaucoup de courage et vous avez adopté une attitude très constructive à l’égard du gouvernement fédéral. C’est louable.

Je vous ai entendu dire très clairement, et je crois que vous avez effleuré le sujet, sénatrice Coyle, que la dette est préjudiciable lorsque les processus sont longs et lents. Cela vous inspire des craintes. Je peux le voir. C’est ce que vous dites au comité et dans votre argument au sujet de l’approche pangouvernementale. Y a-t-il autre chose que vous pourriez recommander au comité et que nous pourrions faire pour accélérer les processus ou étudier d’autres éléments? Votre communauté, en Colombie-Britannique, n’est probablement pas la seule qui éprouve les mêmes difficultés. Le même genre de chose doit arriver dans d’autres provinces et territoires. Nous en avons déjà entendu parler. Y a-t-il autre chose que vous pourriez nous recommander et que nous pourrions examiner?

Mme Haldane : Je vais revenir sur ce que disait mon collègue Mark Smith au sujet des études. Il est de la plus haute importance de s’intéresser aux processus fédéraux, d’y mettre l’accent et d’examiner de près l’approche pangouvernementale, de veiller à ce qu’on en fasse assez pour faire avancer les négociations. Mais il faut également insister sur l’importance de l’engagement à progresser, de l’engagement des plus hauts échelons à assurer la réconciliation, à promouvoir la relation et à assainir la relation avec les peuples autochtones. Parce que c’est une démarche pangouvernementale, tous ont une responsabilité à l’égard de la réconciliation. Il incombe à tous de garantir la négociation fructueuse, la conclusion et la mise en œuvre de traités modernes. Il y a toujours un rôle à assumer dans la mise en œuvre.

Il serait possible d’envisager des possibilités comme l’élaboration conjointe de mandats, mais aussi, plus particulièrement, la cogestion et la prise de décisions conjointe, car une partie de la discussion sur la limitation du pouvoir discrétionnaire ou de la latitude ministérielle prévus dans la loi pour certains ministères, et continuer à pousser en ce sens... Ils doivent céder un pouvoir non pour qu’il disparaisse, mais pour qu’une nation autonome l’assume. C’est à cela que riment l’autodétermination, l’autonomie gouvernementale.

S’il existe des pouvoirs désuets qui ne correspondent pas aux besoins actuels du gouvernement fédéral, de la mise en œuvre et de la Première Nation signataire d’un traité moderne, il faut les revoir. Le comité pourrait profiter de sa position privilégiée pour se demander si tel élément fonctionne, si on en fait suffisamment. Que le comité continue simplement à insister sur ce message : tous doivent ramer dans la même direction, comme nous le disons, en comptant sur nos propres moyens.

Mme Forand : Pour renchérir sur les propos de la commissaire en chef Haldane, je dirai que la cogestion des ressources naturelles et la prise de décisions conjointe sont une question clé dans bien des cas pour le gouvernement fédéral. La province a d’autres intérêts du même ordre, mais elle les aborde à sa façon. C’est un élément clé de bon nombre de ces traités, et des idées neuves sont proposées aux tables de négociation. Pour ma part, je crois que c’est l’un des domaines de politique d’intérêt public les plus novateurs aujourd’hui. J’encourage les jeunes fonctionnaires à s’engager de ce côté, car c’est la voie de l’avenir. Vous pouvez essayer d’atermoyer maintenant, mais un jour ou l’autre… C’est passionnant. Il est très encourageant de voir des communautés s’engager et participer, et ces traités peuvent vraiment avoir une influence énorme au fil du temps. S’il est un point précis que le comité doit étudier, en tenant compte de ce qui se fait ailleurs dans le monde, ce sont les possibilités qui s’offrent, ce sont les opinions de certains universitaires, qui estiment que la prise de décisions conjointe n’a rien d’effrayant, mais qu’elle est au contraire efficace lorsque les parties en cause sont bien disposées.

Me Smith : Je voudrais ajouter quelque chose à ce sujet. Il est vrai que l’époque est passionnante, mais la plupart des innovations viennent de la province et des Premières Nations. Un chapitre clé va donner le ton pour l’avenir de la prise de décisions conjointe, et le comité doit en être conscient. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral tarde beaucoup à réagir. Cela se prépare depuis quelques années. Bien que le gouvernement fédéral ait fait beaucoup de très bonnes choses, il a été très lent et presque silencieux sur ce front. Le moment approche où il nous faudra une réponse du gouvernement fédéral — qui, espérons-le, sera d’accord — si nous voulons que le traité en tienne compte. Merci.

Le président : Merci.

La sénatrice Martin : Tout d’abord, félicitations pour votre 30e anniversaire. C’est un rapport très impressionnant.

Le rapport dit qu’une des difficultés qui font obstacle à la conclusion d’ententes est la lenteur de la mise en œuvre des changements, surtout lorsque les ministères exigent un examen de la politique qui sous-tend de nouvelles propositions et que cet examen s’étire sur des années. Donc, même si le gouvernement a la volonté politique d’agir, les propositions restent bloquées dans un examen prolongé des politiques. Vous avez déjà expliqué à quel point le gouvernement met du temps à se préparer, à quel point c’est exaspérant, mais pouvez-vous donner un exemple d’une proposition qui a été ainsi bloquée? Et quand on parle d’« années », de combien d’années s’agit-il?

Mme Haldane : Je peux donner deux exemples.

Le premier concerne un chapitre sur les oiseaux migrateurs. Je crois qu’il a fait l’objet d’un examen pendant huit ans. Maintenant, les représentants de l’État arrivent enfin à la table de négociation pour conclure. Notre point de vue d’organisme indépendant? Nous nous demandons : « Pour commencer, il est difficile de comprendre pourquoi cela se produit. Et deuxièmement, cette inertie, lorsqu’il s’agit d’innover et d’apporter des changements, empêche toute réconciliation. » Les ministères doivent s’inspirer de leurs collègues qui savent innover.

Voici un autre exemple, mais je ne vais pas trop insister. Il s’agit du ministère des Pêches et des Océans. Pendant très longtemps, il s’est livré à des examens et n’était pas en mesure de négocier. Je crois que cela a duré sept ans. Et nous avons toujours du mal à faire venir ses représentants à la table pour négocier. J’ai dit qu’une des nations, celle des K’ómoks, a proposé une exclusion. Ce qui n’est pas extraordinaire pour le gouvernement fédéral, puisque le poisson est probablement l’une des principales raisons pour lesquelles il peut vouloir négocier des traités en Colombie-Britannique — les pêches et les ressources marines. Il est pénible de voir de nouveau la même inertie, des examens prolongés de la politique qui, selon moi, ne servent pas à grand-chose. Cela a ralenti la négociation et le progrès et permis de faire traîner la négociation à certaines tables. Ce sont des chapitres essentiels et des ressources qu’il faut examiner.

Pour revenir à ce que disait Liseanne Forand, les nations autochtones qui cheminent vers l’autonomie gouvernementale doivent avoir les mécanismes nécessaires pour tenir ces discussions et mener ces négociations tout en allant de l’avant avec la cogestion et la prise de décisions conjointe. À constater ce genre de refus de discuter sous prétexte d’examens de la politique, je me dis qu’il y aura des embûches dans les relations et le partenariat relativement à la cogestion et à la prise de décisions conjointe.

Le président : Merci.

La période prévue pour le groupe de témoins est maintenant terminée. Je remercie encore une fois la commissaire en chef Haldane, la commissaire Forand, Mme Leung et Me Smith de s’être joints à nous.

(La séance est levée.)

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