LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 15 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur David Arnot (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par reconnaître que le territoire sur lequel nous sommes réunis est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il est maintenant le lieu de résidence d’autres Premières Nations, de Métis et d’Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis David Arnot, sénateur de la Saskatchewan et vice-président du comité. En l’absence du président, le sénateur Francis, je présiderai la réunion d’aujourd’hui.
Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander à toutes les personnes présentes dans la salle de s’abstenir de s’approcher trop près de leur microphone ou de retirer leur écouteur lorsqu’elles le font. Cela permettra d’éviter tout retour de son qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle.
Je vais maintenant demander aux membres du comité qui participent à la réunion de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, territoire du Traité no 7.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
Le vice-président : Je vous remercie.
Aujourd’hui, nous poursuivons la série de séances d’information visant à éclairer et à orienter les travaux futurs de notre comité. Au cours de cette réunion, nous entendrons deux groupes de témoins qui nous parleront surtout des traités et des terres autochtones.
Dans le premier groupe, du Bureau du commissaire aux traités de la Saskatchewan, nous entendrons Mary Culbertson, commissaire aux traités pour la Saskatchewan. Je vous remercie de vous joindre à nous ce soir, madame la commissaire.
Mary Culbertson, commissaire aux traités, Bureau du commissaire aux traités de la Saskatchewan : Meegwetch. Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.
Le vice-président : Nous entendrons une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, madame la commissaire, et nous passerons ensuite à des séries de questions d’environ cinq minutes par sénateur. En raison des contraintes de temps, je demande à chacun de faire de brèves interventions. J’invite maintenant Mme Culbertson, la commissaire aux traités, à faire une déclaration préliminaire.
Mme Culbertson : Aanii, boozhoo, honorable Sénat du Canada. Je remercie le sénateur Arnot de m’avoir présentée. Je vous remercie également de m’avoir invitée à présenter les priorités du Bureau du commissaire aux traités. Je vous demande votre indulgence pendant ma déclaration préliminaire, car j’ai récemment contracté la COVID-19.
L’une des priorités du Bureau du commissaire aux traités, ou BCT, en ce début d’année, est le travail de négociations que nous effectuons avec la Federation of Saskatchewan Indian Nations, ou la FSIN, et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada au sujet du renouvellement du mandat du Bureau du commissaire aux traités. En effet, ce bureau existe depuis environ 35 ans, et je crois que c’était le premier bureau du commissaire aux traités de l’ère moderne à ouvrir ses portes au Canada. Depuis, il y a eu la création de la Commission des relations découlant des traités du Manitoba et de la Commission des traités de la Colombie-Britannique. Nous sommes l’une des deux commissions sur les traités numérotés au pays. Nos mandats sont similaires, mais ils ne sont pas identiques.
Bien entendu, l’éducation est toujours l’une de nos priorités. L’éducation du grand public, l’éducation dans les salles de classe, l’éducation des organismes, des représentants du gouvernement et surtout des nouveaux arrivants au Canada. Les besoins de notre mandat évoluent. Les besoins des territoires visés par les traités évoluent lorsqu’il s’agit de lutter contre le changement climatique et de veiller à ce que les voix des Premières Nations soient entendues. Nous avons constaté que les besoins en matière d’éducation avaient augmenté, non seulement en ce qui concerne les traités, les périodes antérieures et postérieures aux traités et les problèmes systémiques qui découlent de la colonisation, mais surtout en ce qui concerne les pensionnats.
En Saskatchewan, on retrouve la plus grande population de survivants des pensionnats et le plus grand nombre de pensionnats qui auraient été en activité à un moment donné. Il ne reste plus qu’un pensionnat, et c’est celui de Muscowequan. Depuis la découverte des 215 tombes à Kamloops, d’autres découvertes ont été faites ici, la plus récente étant celle d’une mâchoire d’enfant à Lebret, qu’on appelait White Calf. Notre directrice de l’éducation sur les traités et notre conseil consultatif des aînés doivent maintenant se pencher sur la façon de présenter ces renseignements aux divers groupes d’âge et aux différentes classes.
En 2007, la Saskatchewan a été la première province à rendre obligatoire l’éducation sur les traités dans les salles de classe. Au départ, les ressources nécessaires ont été obtenues grâce à un partenariat et à une création avec le gouvernement provincial. Depuis, cette relation a évolué et s’est décentralisée, et elle peine maintenant à survivre. Toutefois, cet enseignement est toujours obligatoire. Nous avons l’intention d’ajouter aux trousses de ressources sur les traités, des programmes sur les pensionnats et les tombes, en fonction de l’âge et du niveau d’éducation des élèves. Nous planifions un programme d’enseignement adapté à l’âge.
Un centre d’archives et de recherches a été officiellement ouvert en 2020 pour aider les collectivités, les particuliers et les organismes à avoir accès à des renseignements et à des données. Plus récemment, ce centre a aidé à la collecte et à la découverte de dossiers sur les pensionnats qui étaient détenus par des entités de l’Église catholique. Cette tâche a représenté un défi, et nous sommes très heureux de la nomination d’une interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes. Nous appuierons le travail effectué par l’interlocutrice pour élaborer un cadre juridique et nous l’aiderons de toutes les manières possibles.
Lorsque nous fournissons ces services et ces renseignements, nous avons la responsabilité de protéger ces renseignements par l’entremise de nos archives. C’est l’histoire orale qui a été créée ici pendant plus de 30 ans. Cette année, nous avons créé un conseil consultatif des aînés sur l’accès à ces renseignements, et nous avons commencé à élaborer des lois autochtones sur l’accès à ces renseignements. Je suis très fière de ce travail qui a été lancé avec le Conseil consultatif des aînés et des gardiens du savoir, qui ont accepté de relever ce défi. Bien entendu, nous espérons que cela mènera à la création d’autres initiatives dans la province et les territoires sur la création de lois sur l’accès aux renseignements et la protection des données qui sont produites et découvertes en ce moment même.
L’une des autres priorités sur lesquelles nous travaillons est un plan d’action et d’éducation sur les mesures législatives de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous travaillons avec le Bureau de gouvernance des traités de la FNIS pour obtenir la participation des Premières Nations, en mettant l’accent sur les femmes et le leadership — pas seulement les femmes élues dans des postes de leadership, mais le leadership communautaire, c’est-à-dire les femmes de la collectivité qui sont toujours aux parties de hockey, à la salle communautaire, aux activités scolaires, etc. — pour changer notre façon de voir les choses et nous rendre compte que les leaders dans nos collectivités ne sont pas tous nécessairement élus. Nous avons réussi à mobiliser des gens d’un bout à l’autre de la province. On nous a surtout parlé de l’importance d’informer les gens sur les liens entre les mesures législatives de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et les traités et les répercussions de ces mesures sur les territoires et l’accès aux ressources. Actuellement, les politiques fédérales et provinciales sur l’obligation de consulter ne remplissent pas adéquatement leur rôle. Nos gouvernements ne se consultent pas l’un l’autre de manière systématique. Ces deux textes de loi ne sont pas cohérents. En effet, l’équité en matière d’information présente un écart important lorsqu’il s’agit de la question des terres.
À titre de commissaire aux traités, j’ai observé et surveillé les différentes lois et la mise en œuvre des appels à la justice, des appels à l’action et surtout des mesures législatives de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, afin d’en parler dans mes rapports. Nous constatons, avec la création prochaine d’un ombudsman des droits des autochtones, que l’une des voix les plus fortes ou des appels à l’action les plus fréquents qui émergent de nos efforts en matière d’éducation au sujet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, c’est que les gens souhaitent la création d’un ombudsman des droits des autochtones. C’est formidable de constater que ce poste sera créé et qu’il a déjà été annoncé. Je peux utiliser un mot aussi simple que cela. Nous sommes impatients de voir le travail qui peut en découler, car nous n’avons pas cette représentation à l’heure actuelle. Nous avons des organismes politiques à l’échelle régionale et nationale, mais cette voix ne parvient pas à capter les personnes sur le terrain dont les droits sont violés ou les gens qui ne connaissent pas leurs droits fondamentaux en matière de droits issus de traités, de droits de la personne ou de droits autochtones. Au cours de l’année à venir, en collaboration avec le bureau de gouvernance des traités, nous lancerons une vaste campagne d’éducation sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sur ses liens avec les traités dans la province.
L’une des inégalités que nous observons est toujours liée à l’accès aux terres. Bien entendu, comme vous le savez sans doute, la province a adopté diverses lois à cet égard. L’une d’entre elles est la Trespass to Property Amendment Act, ou loi sur l’intrusion dans les propriétés privées. La province affirme que cette loi n’interfère pas avec les droits issus des traités, mais d’autres détenteurs de droits ne sont pas du même avis. Maintenant, selon la Saskatchewan First Act, les ressources sont la propriété de la province et elles appartiennent à tout le monde. Les Premières Nations de la province ont clairement fait savoir que ce n’est pas ce qu’elles croient et que ce n’est pas ce qu’elles ont accepté lorsqu’elles ont conclu un traité.
Le conseil d’administration provisoire national sur la vérité et la réconciliation n’a pas beaucoup de renseignements à cet égard, et ce manque de communication uniforme à tous les niveaux représente un obstacle. Je pense que le conseil d’administration provisoire national sur la vérité et la réconciliation devrait être composé d’un nombre égal de femmes et d’hommes et, bien sûr, de représentants des régions ou des territoires visés par les traités. J’espère qu’il s’agira d’un organisme central de mesure et d’évaluation de la réconciliation. À l’heure actuelle, il existe différents éléments de mesure et d’évaluation ici et là, mais personne n’a une vue d’ensemble de la situation.
Par exemple, au cours des six dernières années, le Bureau du commissaire aux traités a donné suite à la démarche de vérité et de réconciliation en mettant en œuvre des traités. Il s’agit d’un cadre de mesure et d’évaluation du rendement qui comprend des indicateurs et des résultats qui reposent sur les appels à la justice de l’organisme MMWIG2S, des appels à l’action, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et des Objectifs de développement durable des Nations unies. Le cadre que nous avons créé, qui s’appelle le modèle de croissance, a été élaboré en intégrant ces éléments aux indicateurs de résultats et il permet à la société d’évoluer afin que nous ayons des systèmes plus équitables.
Nous attendons avec impatience la création du conseil national de réconciliation, et j’espère qu’il sera constitué rapidement. On en parle depuis longtemps, et il est indispensable, tout comme l’ombudsman des droits des Autochtones, qui relèverait de ce conseil. Selon moi, le fait d’avoir un ombudsman qui peut défendre nos intérêts et présenter des rapports aux Nations unies et au Canada pour veiller à ce que les lois canadiennes respectent les droits des Autochtones qui sont issus de traités, de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de la Charte canadienne des droits et libertés permettrait d’uniformiser les règles du jeu.
Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’il est question d’équité et d’information relative aux terres, les gouvernements ne communiquent pas bien. L’information est incomplète et incohérente. On ne transfère presque aucune connaissance aux communautés et aux dirigeants. À notre avis, il s’agit d’un élément important dans le débat entourant la mise en œuvre du cadre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones afin que nous respections les principes des traités négociés et des droits protégés par la Constitution et que nous avancions sur la voie de la réconciliation afin d’y aboutir, un jour. Nous espérons pouvoir épauler les Autochtones qui se font entendre.
Voilà qui conclut ma présentation. Je vous remercie de votre patience. Je suis désolée si je n’étais pas dans mon assiette, mais j’ai été très honorée de comparaître aujourd’hui.
Le vice-président : Merci beaucoup, madame Culbertson.
Avant que nous passions aux questions, il m’incombe de rappeler à toutes les personnes présentes qu’elles doivent s’abstenir de s’approcher trop près de leur microphone ou de retirer leur écouteur si elles le font.
Nous avons un certain nombre de questions à vous poser, madame Culbertson.
La sénatrice Sorensen : Bonsoir. Je suis désolée que vous ayez contracté la COVID-19. Tout le monde est probablement déjà passé par là. J’espère que vous vous sentirez mieux bientôt.
Je vous remercie de tout le travail que vous faites. Vous avez surtout parlé d’éducation et des femmes dans les postes de direction. Je tiens à parler de quelque chose qui a été fait grâce à votre organisme. Il y a quelques années, votre bureau a collaboré à l’élaboration d’une vision commune de la vérité et de la réconciliation en tenant compte de l’avis de milliers de résidants autochtones et non autochtones de la Saskatchewan, ce qui est, à mon avis, un projet très intéressant. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce processus et sur la façon dont vous l’avez mené à bien? Quels résultats avez-vous obtenus au cours des dernières années?
Mme Culbertson : La vision a été développée en rencontrant différents cercles de survivants à ce moment-là ainsi que des groupes communautaires. En Saskatchewan, au cours des six à huit dernières années, nous avons contribué à entamer plus de 10 conversations sur la réconciliation partout dans la province : à Lloydminster, à Prince Albert, à Saskatoon, à Regina, à North Battleford, à Yorkton, à Swift Current et à Nipawin. C’est en discutant avec les habitants de ces régions, en communiquant l’information et en prenant en compte les critiques qui étaient faites que nous avons développé cette vision.
Pendant quelques années, nous avons également sollicité l’aide de certains gardiens des savoirs, comme Willie Ermine, qui transmet ses enseignements et ses connaissances sur les espaces éthiques et qui s’assure que nous faisons les choses d’une manière éthiquement responsable, comme suivre les protocoles adéquats lorsque nous parlons aux aînés et aux gardiens du savoir.
Il ne s’agissait pas d’un processus très bien établi. C’était un processus interne où nous savions ce qui devait se passer, mais nous n’avons jamais consigné la façon dont nous avons procédé. Maintenant que vous en parlez, il serait sans doute très bien de le décrire pour que les autres sachent comment nous y sommes arrivés. Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Il a certainement fallu quelques années.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame Culbertson. Vous vous en sortez remarquablement bien pour quelqu’un qui a la COVID-19. Je n’aurais pas pu faire ce que vous faites ce soir.
Merci également pour le travail auquel vous participez. Il a une telle portée et il est si important. Vous nous avez déjà fourni des informations formidables pour l’examen détaillé que nous entamerons bientôt sur le conseil national de réconciliation, question dont le Sénat est saisi. Nous examinerons bientôt cette question, alors je vous remercie de votre contribution.
Je me demande beaucoup de choses, mais je ne poserai des questions que sur deux éléments. Voici ma première question : je m’interroge beaucoup sur le travail que vous avez décrit et sur la collaboration avec les dirigeants communautaires non élus, à savoir ceux qui sont des dirigeants communautaires en raison de leurs actions et de leurs engagements. J’aimerais avoir quelques précisions à ce sujet, si vous avez la possibilité de m’en donner.
Ma deuxième question porte sur les connaissances juridiques traditionnelles, et je me demande si elles font partie du travail de votre bureau.
Mme Culbertson : Merci, sénatrice.
Je répondrai d’abord à la question sur les dirigeants communautaires. Je crois que le terme que nous utilisons est « champions du changement ». Lorsqu’il est question de leadership d’un point de vue autochtone, nous savons que les dirigeants élus ne seront pas tous là pendant 20 ou 30 ans, mais que les membres de la communauté, les agents de changement, les gens d’action, eux, seront toujours là. Ce sont eux qui participent à nos cercles de réconciliation. On dirait que ce sont toujours ces personnes qui veulent participer. Certaines personnes doivent en quelque sorte se faire pousser à participer au cercle, tandis que d’autres doivent trouver ce qui est bon pour leur parcours vers la réconciliation afin de se présenter à la table.
Lorsque nous faisons appel aux communautés... Je vais utiliser l’exemple de la Première Nation des Saulteaux. L’automne dernier, à North Battleford, nous avons entamé des discussions sur la mobilisation entourant le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous nous sommes concentrés sur la région du conseil tribal Battlefords Agency et les Premières Nations environnantes. Ils ont lancé un appel à leurs conseillers élus et aux directeurs de la santé, c’est-à-dire aux personnes qui travaillent au sein du conseil tribal, aux femmes qui travaillent dans la communauté. Les personnes qui pouvaient participer travaillaient peut-être dans le domaine de la santé. Une dame était chauffeuse d’autobus. Une autre a dit ceci : « Je suis vraiment contente d’être venue aujourd’hui. Je me demandais quoi faire pendant ma journée de congé. J’ai reçu cet avis, alors me voilà. »
À partir de là, certains participants de la Première Nation des Saulteaux nous ont demandé d’organiser une discussion expressément dans leur communauté. Quand des agents de changement comme ceux-là se mobilisent, ils en font profiter leur nation. Ils nous invitent, et nous y allons très rapidement. Il n’y a pas seulement eu des femmes dirigeantes et des femmes membres de la communauté. Il y a eu des jeunes, des jeunes hommes et des enfants de l’école, qui ont mobilisé des personnes d’autres échelons de la communauté, comme des personnes qui travaillent sur le terrain.
Je suis membre des Premières Nations. Je viens de la Première Nation de Keeseekoose, qui est visée par le Traité no 4. Je suis Anishinabe, Irlandaise, Écossaise et toutes les autres origines provenant du côté de mon père. Nous avons été élevés par la famille de ma mère, la famille Musqua, du clan de l’ours. Pour moi, le mot « leadership » a des significations différentes en raison de la façon dont nous avons été élevés. Le leader était la personne ou toute voix qui pouvait rassembler les gens, le gardien du feu de la communauté.
Je pense avoir répondu à la première partie de la question. La deuxième partie portait sur les connaissances autochtones.
La sénatrice Coyle : Oui, sur les connaissances juridiques autochtones.
Mme Culbertson : Dans notre mandat, ces connaissances sont très vastes. Le dernier mandat du Bureau du commissaire aux traités date de 2008. Comme l’a dit le ministre Miller, nous travaillons sur la modernisation de ce mandat. Les chefs collaboreront avec le Treaty Governance Office et notre conseil des aînés pour définir ce mandat. Nous espérons terminer le travail cette année.
Les connaissances juridiques autochtones relatives à notre mandat sont vastes. Les discussions exploratoires et la table de discussion commune que l’ancien commissaire Arnot, qui est aujourd’hui sénateur, a entamées lorsqu’il était commissaire font partie de l’histoire orale et des premières discussions qui nous ont amenés là où nous en sommes aujourd’hui et qui ont créé involontairement un cadre juridique autochtone pour accéder à l’information dans nos archives.
Dans le cadre de notre mécanisme de Table des traités avec le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, nous avons proposé une mesure législative sur les terres autochtones. Par exemple, dans notre province, il y a la Federation of Sovereign Indian Nations, ou FSIN, qui est l’organisme porte-parole provincial-territorial pour les Autochtones, des conseils tribaux qui sont des fournisseurs de services et des nations indépendantes qui ne sont pas affiliées à des conseils tribaux, mais qui font partie de la FSIN. Pas un seul programme, une seule loi, ni une seule méthode ne fonctionne lorsque la population est aussi diversifiée.
Les groupes de langues sont très diversifiés au chapitre des dialectes dans la province. On y parle l’anishinabe, le nakoda, le dakota, le lakota, le cri des marais, le cri des bois, le cri des plaines et le dene tha’. Il y a tant de langues qu’aucune ne convient à tous. Nous ne pouvons donc pas adopter de législation panautochtone dans les territoires traditionnels. Cela constitue un obstacle en soi, car nous ne pouvons pas mettre tout le monde dans le même panier, si on peut dire, au chapitre de la législation et des services aux Autochtones. Je considère que c’est un obstacle à l’équité, particulièrement quand nous élaborons des lois, car ces lois ne seront pas toutes pareilles.
À titre d’exemple de régime juridique autochtone, j’aime toujours donner l’exemple de « parce que ma mère me l’a dit ». Dans un débat sur les jupes à rubans qui a éclaté il y a de nombreuses années, quelqu’un a déclaré que les femmes ne devraient pas porter de jupes à rubans. Dans un débat comme ceux qui se déroulent sur Facebook, quelqu’un m’a textée pour me demander « Pourquoi portez-vous une jupe lors des cérémonies? Pourquoi faites-vous cela? » Et j’ai répondu : « Parce que ma mère me l’a dit. Parce que ma kookum me l’a dit. » C’était notre loi, la loi de notre famille. On ne réalise pas que ces petites choses font partie de la manière dont on vit sa vie quotidienne. Ce sont nos lois.
J’en dirais davantage, mais je pense que c’est le genre de questions pour lesquelles il faut s’asseoir et converser, comme pour le tabac. Mais comme je l’ai indiqué, on ne peut pas adopter une approche panautochtone pour tout le monde quand vient le temps d’élaborer des lois autochtones. Chaque région doit avoir des lois distinctes qui lui sont propres. J’ai réalisé il y a quelques semaines à peine que nous étions en train de créer notre propre loi sur l’accès à l’information. Une partie considérable de notre histoire orale a été enregistrée et est maintenant numérisée; pourtant, sur le plan des connaissances juridiques, il se peut que quelqu’un ne veuille pas que l’histoire orale de son arrière-grand-mère soit révélée. Comment pouvons-nous composer avec cette situation? Comment réagir à ce refus sans adopter la ligne dure et dire : « Non. Nous leur avons versé des honoraires et donné du tabac. Dommage, mais les enregistrements nous appartiennent »? Il n’est pas nécessaire d’en arriver là, et ce n’est certainement pas quelque chose que nous devrions entendre de la part des commissions du gouvernement fédéral sur le plan de la réconciliation, surtout au sujet des histoires orales.
J’espère que cela répond un peu à la question.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Madame la commissaire, je vous remercie beaucoup de témoigner aujourd’hui.
Je m’intéresse particulièrement à la nouvelle loi de la Saskatchewan sur l’entrée sans autorisation. Vous avez indiqué que certaines nations considèrent qu’elle viole les droits issus de traités. Il semble toutefois qu’un groupe d’agriculteurs et de propriétaires fonciers — appelé le Treaty Land Sharing Network, je pense — veuille créer un espace sécuritaire où les Autochtones peuvent s’adonner à leurs pratiques sur la terre. Quelle est la position du bureau du commissaire des traités sur la question? Comment travaillez-vous dans le domaine de la réconciliation? Ce groupe qui préconise le partage est très novateur. C’est la première fois que je vois un réseau de propriétaires fonciers qui veulent partager la terre, malgré la loi rétrograde qui a été adoptée. Comment agissez-vous à cet égard?
Mme Culbertson : Je vous remercie beaucoup de cette question. Je suis enchantée que vous l’ayez abordée.
Le Treaty Land Sharing Network est né dans la foulée du meurtre de Colten Boushie. Après que Colten a été assassiné et avant que le verdict soit rendu dans le cadre du procès de Gerald Stanley, un projet de loi sur l’entrée sans autorisation a été déposé lors de la conférence de l’Association of Rural Municipalities. Une telle loi a ensuite été adoptée par le gouvernement provincial. Avec cette loi sur l’entrée sans autorisation et après le meurtre de Colten Boushie, le Treaty Land Sharing Network s’est formé. L’initiative a été lancée par un groupe de propriétaires fonciers — ou de détenteurs de titres fonciers, comme ils aiment s’appeler eux-mêmes —, d’agriculteurs et d’éleveurs. Ian McCreary, Mary Smillie et Elizabeth Sink ne sont que quelques-uns des propriétaires qui ont formé ce réseau.
Le Treaty Land Sharing Network bénéficie du soutien du Bureau du commissaire aux traités. À titre d’organisme hôte et de bailleur de fonds, nous collaborons d’excellente manière avec le réseau par l’entremise du bureau de notre porte-parole. La première fois que j’ai entendu parler du Treaty Land Sharing Network, j’étais légèrement sceptique. J’en croyais à peine mes oreilles. Avec tout ce qui se passait dans la province à l’époque, nous étions encore sous le choc. Mais nous avons accru notre présence dans les régions rurales de la Saskatchewan dans le cadre des conversations sur la réconciliation et par l’entremise du Treaty Land Sharing Network.
Les membres du réseau remettent à d’autres titulaires de droits fonciers issus des traités des affiches à disposer sur leur propriété pour indiquer que c’est un lieu sûr pour cueillir des plantes médicinales. Dans les régions rurales de la Saskatchewan, il est courant de faire des balades à pied ou d’arrêter en voiture sur l’accotement pour se soulager, mais parfois, les gens ne se sentaient pas en sécurité. Le Treaty Land Sharing Network est arrivé à point nommé; nous sommes très fiers du travail qu’il accomplit et nous continuerons de l’appuyer.
Vu le climat politique où s’opposent une loi très stricte sur l’entrée sans autorisation et le Treaty Land Sharing Network, nous procédons avec doigté. Je choisis mes mots avec grand soin, mais je dis aussi la vérité. À titre de commission du gouvernement fédéral en activité en Saskatchewan, il est difficile de rester neutre face à l’iniquité. Nous savons tous que la relation est complètement inéquitable en raison de la discrimination systémique, de la colonisation et des systèmes en place, et pourtant, on s’attend à ce que nous demeurions neutres. Je pense que je dois veiller à ce que la vérité éclate et appuyer les initiatives comme le réseau, et peut-être qu’un jour, l’équité régnera et nous pourrons être neutres.
Les membres du Treaty Land Sharing Network organisent des fêtes sur leurs exploitations, offrent des séances d’éducation et autorisent les gens à faire de l’exploration afin de chercher des pétroglyphes, des cercles de tipi, des cercles sacrés ou des artéfacts sur les terres agricoles. Ces gens ont le courage de s’élever contre la haine, le racisme et l’incompréhension. Ils sont très braves de faire ce qu’ils font, honorant ainsi l’intention de la relation fondée sur les traités à laquelle nos ancêtres ont adhéré.
La sénatrice Boniface : Bienvenue, madame la commissaire. Je pourrais vous écouter toute la journée traiter de ces questions.
Je voulais revenir à une référence que vous avez faite sur les cercles de réconciliation. Je suis de l’Ontario et je travaille avec la communauté locale et la communauté des Premières Nations, qui sont côte à côte. Par bonheur, les deux communautés collaborent, mais nous peinons à mobiliser les jeunes. Pouvez-vous m’indiquer comment vos cercles de réconciliation ont réussi à inclure les jeunes et comment les choses se sont passées?
Mme Culbertson : Nous nous sommes adressés à Emploi et Développement social Canada pour un programme de jeunes en action, alors en Saskatchewan, nous avons mis en œuvre le programme Youth in Service afin de favoriser la réconciliation. Je pense que nous avons commencé en 2019. La pandémie de COVID a arrêté le temps pour moi aussi. Je ne sais pas en quelle année nous sommes. Nous avons lancé un appel aux jeunes de la Saskatchewan pour attirer ceux et celles qui voulaient être ambassadeurs des traités et de la réconciliation, et les intéressés ont envoyé des essais. Nous avons reçu des essais de jeunes des Premières Nations, de non-Autochtones et de nouveaux arrivants. Nous avons ensuite accueilli de 30 à 38 jeunes venant des quatre coins du territoire. C’était une expérience formidable. Bien entendu, quand on travaille avec les jeunes, il y a des obstacles, mais je bénéficie d’un effectif hors pair et d’un excellent coordonnateur jeunesse, qui les a éduqués et leur a conféré les outils et les connaissances nécessaires. Un grand nombre de jeunes étaient déjà bien éduqués au départ et l’expérience leur a permis de partager.
Nous avons fait un échange culturel entre les jeunes de la bande de Fond du Lac et de Youth in Service, et quelques aînés de ma région, qui est visée par le Traité no 4. Nous avons pris l’avion jusqu’à Fond du Lac et nos jeunes ont rencontré un groupe de jeunes de l’endroit pour partager des histoires et faire un documentaire vidéo. Nous avons fait le bilan à notre retour. Nous étions accompagnés de deux nouveaux arrivants; l’un venait du Niger et l’autre, de l’Inde.
Ces jeunes ont été formidables. Ils étaient tous des champions, et ce sont tous de futurs jeunes leaders. Bien entendu, on ne veut pas mobiliser seulement les jeunes les plus grégaires et les plus confiants. On veut des jeunes de tous les niveaux. Nous avons donc accueilli des jeunes discrets et timides qui ont tissé des liens et se sont fait des amis. Certains d’entre eux sont restés pour travailler pendant l’été ou se sont inscrits à un programme de mentorat. L’un d’eux est maintenant notre technicien en numérisation, numérisant les archives et contribuant à la coordination du conseil des aînés. Un jeune fait partie de notre bureau de porte-paroles. Nous nous sommes assurés que la voix des jeunes serait entendue.
L’ennui quand on travaille avec les jeunes, c’est qu’on ne peut pas tenir de réunion pendant les heures de classe. Ils sont à l’école et ne peuvent pas être là. Il faut donc organiser les réunions et les activités quand ils peuvent y participer, les y inviter et leur faire une place.
Les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup mieux informés. On leur enseigne certaines choses en raison du travail que notre génération, votre génération et les générations précédentes ont fait à propos des systèmes et de l’iniquité. On leur enseigne des choses dont on ne parlait pas avant. Nous ne parlions pas des traités ou de la résistance des Métis. Ces faits nous ont été enseignés de manière très différente. Cela rend les choses vraiment intéressantes pour eux, d’une certaine manière. Ils savent ce qu’ils veulent. Les adultes ne peuvent pas leur dire comment se réconcilier. Ils sauront ce qu’ils veulent. Il faut simplement les mobiliser.
D’un autre côté, il m’est impossible de créer de cercle de réconciliation dans ma région, mais les choses progressent. Et comme je l’ai dit, il faudra peut-être que j’intervienne et que je le crée moi-même une fois que mon rôle de commissaire sera terminé. Les gens ouvrent certainement des portes, entament des conversations et trouvent des alliés, renforçant le sentiment d’appartenance à la communauté partout où nous participons à ces conversations.
La sénatrice Martin : Je vous remercie, madame la commissaire, de témoigner ce soir.
Nous avons entendu les commissaires aux traités de la Colombie-Britannique et du Manitoba, et il est intéressant de vous entendre toutes — car vous êtes toutes des femmes — alors que vous mettez l’accent sur l’éducation. Je me demande quelle sorte d’échanges vous avez avec les autres commissaires et commissions en ce qui concerne votre travail, les pratiques exemplaires et la pertinence d’une commission nationale. Comment une commission nationale vous appuierait-elle dans votre travail?
Mme Culbertson : Je vous remercie. Je suis enchantée que vous me posiez cette question, car j’ai en tête de travailler à l’établissement d’une commission nationale ou internationale.
J’ai établi des relations avec les autres commissions. Nous ne sommes pas mandatées pour travailler ensemble ou communiquer les unes avec les autres, mais nous le faisons.
J’ai visité la commissaire aux traités de la Colombie-Britannique, et son rôle est très différent. Elle participe activement à la négociation des traités et est responsable du processus relatif aux traités. C’est très différent. Nous incluons de l’information sur les traités modernes, comme ceux que la commission des traités de la Colombie-Britannique négocie, dans nos ressources, nos exposés et nos efforts d’éducation.
Nous collaborons beaucoup plus étroitement avec la Commission des relations découlant des traités du Manitoba, ou CRTM, pour des raisons de proximité géographique. J’étais d’ailleurs censée souper ce soir avec la commissaire aux traités du Manitoba à Thompson. C’est justement là que se déroule le sommet sur le Traité no 5. En outre, nous participons aux mêmes événements, comme les réunions sur le Traité no 10 et le Traité no 5, et nous collaborons à des initiatives qui se recoupent parfois. Nous nous appelons les « sœurs commissaires ». Nos mandats sont différents. La commissaire aux traités du Manitoba a déclaré qu’elle voudrait avoir un mandat comme le mien pour pouvoir tenir des tables de négociation des traités, mais quand parfois j’en organise et que je préside des réunions, je lui lance à la blague qu’elle ne veut pas en organiser. Le sénateur Arnot comprendra ce que je veux dire.
Cela nous mène à la question du commissaire national. La table de négociation des traités a commencé avec les discussions de la table exploratoire, à l’époque du sénateur Arnot, qui a établi les fondations du travail que nous effectuons ici. Je dirais toutefois que l’évolution des organismes de défense des droits et la création des tables de discussion sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination a, à mon avis et d’après ce que j’ai constaté, rendu la table de négociation des traités quelque peu redondante. La manière dont elle fonctionnait ne marchait pas. Son mandat prévoyait que des représentants ou des fonctionnaires représentant le ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada viennent à la table avec des fonctionnaires ou des représentants de la Fédération des nations autochtones de la Saskatchewan. Bien entendu, c’était parfois les chefs qui venaient et ils se retrouvaient en face de simples bureaucrates. Les décideurs brillaient par leur absence, que la réunion porte sur la santé, l’éducation, la justice, l’obligation de consulter ou les terres. Comme ces tables ne donnaient rien, nous avons suspendu les rencontres d’ici à ce qu’un nouveau mandat soit élaboré, car on gaspillait des ressources et du temps qui auraient été mieux investis ailleurs.
En ce qui concerne les discussions sur la commission des traités nationale, j’ai été fort inspirée d’entendre qu’elle allait être instituée. Je me souviens que quand le gouvernement a annoncé la commission et l’a intégrée à sa plateforme de campagne, on ne s’entendait pas quant au nom qu’on devrait lui donner, hésitant entre « commission nationale des traités » ou « commission internationale des traités ». Je leur ai dit que je ne me souciais pas du nom, qu’on pourrait l’appeler commission bleue des traités. Je pense que la création d’une commission qui pourrait unir les commissions actuelles et faire en sorte que toutes les régions et les territoires soient sur un pied d’égalité pourrait changer la vie des gens sur le plan de la mise en œuvre des traités sur les réserves, car la commission unirait toutes les voix.
J’utiliserai ma propre nation à titre d’exemple. La bande de Keeseekoose ne peut pas négocier seule la mise en œuvre des traités dans les domaines de l’éducation ou de la santé. La Fédération des nations autochtones de la Saskatchewan ne peut pas négocier la mise en œuvre des traités. Une nation seule ne peut pas faire quoi que ce soit qui ait une incidence sur les autres quand cela concerne les droits collectifs issus de traités, et pourtant, on voit que des tentatives sont faites en ce sens. Quand les traités ont été signés, certains des premiers commissaires ont déclaré : « Les traités s’appliqueront de Red River jusqu’aux pieds des montagnes Rocheuses et dureront aussi longtemps que le soleil brillera, que l’herbe poussera et que les rivières couleront. Je ne peux pas promettre à votre frère plus que je ne vous donne. » C’est ce qu’ont affirmé les commissaires aux traités et le lieutenant-gouverneur. Ainsi, une nation ou une organisation ne peut pas négocier de traité. Je pense qu’on aurait pu assurer l’équité en créant un organe national ou international comme une commission des traités.
En décembre dernier, alors que je prévoyais interroger le gouvernement du Canada au sujet des dates des discussions sur la commission des traités, l’Assemblée des Premières Nations a été saisie d’une autre résolution et ce n’était pas le moment opportun. Cette résolution a été rejetée. J’ai cependant indiqué à la Fédération des nations autochtones de la Saskatchewan que nous devions recommencer à discuter d’une commission internationale, peu importe le nom qu’on lui donnerait. La loi de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et le poste d’ombudsman des droits autochtones qui seront bientôt institués pourraient englober ces initiatives ou faire partie de la solution, car ils assureraient la surveillance et la reddition de comptes. On pourrait parler d’une voix commune des traités de 1 à 7, de 1 à 11, du Traité Robinson-Huron et d’autres traités. Cela permettrait également d’élaborer un programme d’éducation sur les traités nationaux qui offrirait une éducation uniforme au sujet des divers types de traités au Canada.
Le vice-président : Madame la commissaire, le président, Brian Francis, pose toujours une question à la fin quand il est ici. À titre de préface, je soulignerai que je pense que vous avez travaillé très fort en Saskatchewan pour établir des relations dans les communautés non autochtones et avec la communauté autochtone. Vous avez instauré un réseau de relations. Vous avez probablement de bonnes suggestions d’études que le comité pourrait entreprendre dans l’avenir. Vous êtes dans une position sans pareille pour nous aider à cet égard en raison des relations dont vous bénéficiez. Je terminerai en vous demandant de réfléchir à la question et de peut-être nous fournir par écrit des conseils sur des sujets que vous pensez que nous devrions étudier.
Je vous remercie. C’est ici que prend fin ce volet de la séance. Nous vous remercions beaucoup d’avoir témoigné et de nous avoir fait part de vos réflexions. Votre enthousiasme est contagieux. C’est toujours une bonne chose.
Au cours du second volet, nous recevons le Tribunal des revendications particulières, représenté par sa présidente, la juge Victoria Chiappetta. Nous sommes enchantés de vous accueillir ce soir, madame Chiappetta. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre allocution d’ouverture, après quoi les sénateurs et sénatrices ici présents vous poseront des questions. En raison des contraintes de temps, je me dois de demander à tous les participants d’avoir des échanges brefs. Nous sommes impatients de discuter. J’inviterai maintenant Mme Chiappetta à faire son allocution d’ouverture.
Victoria Chiappetta, présidente, Tribunal des revendications particulières : Merci. Bonsoir à tous, honorables sénateurs. C’est un plaisir d’être en votre présence ce soir.
Je peux vous dire que vous travaillez plus tard que tous les juges que je connais. Si quelqu’un remet cela en doute, vous pourrez me citer. Je pourrai certainement rendre une ordonnance.
Tout d’abord, j’aimerais vous parler un peu de mon parcours. J’ai travaillé dans divers domaines du droit, notamment dans le domaine du droit des sociétés et du contentieux civil. J’ai pratiqué le droit de l’environnement et du travail et je me suis aussi intéressée aux droits de la personne. J’ai été nommée juge à la Cour supérieure de l’Ontario, à Toronto, en novembre 2012. Je suis également juge suppléante de la Cour de justice du Nunavut depuis décembre 2017. Je suis devenue membre à temps plein du Tribunal des revendications particulières en juin 2019, puis en décembre 2020, j’ai eu le grand privilège d’être nommée présidente. Bon, j’ai assez parlé de moi.
Parlons un peu du tribunal. Il est l’aboutissement d’une initiative historique entreprise par le gouvernement fédéral en collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations. La Loi sur le Tribunal des revendications particulières a reçu la sanction royale en juin 2008 et est entrée en vigueur le 16 octobre de la même année. Elle visait à modifier — et modifie effectivement — les approches précédentes en matière de règlement des revendications en constituant un tribunal indépendant composé de juges de cours supérieures possédant le pouvoir de rendre des décisions exécutoires sur la validité des revendications et de toute indemnisation subséquente jusqu’à concurrence de 150 millions de dollars par revendication. Il y a maintenant un peu plus de 11 ans que le tribunal est devenu pleinement opérationnel. La première audience s’est terminée le 31 mai 2012 et la première décision a été rendue le 4 juillet 2012.
Contrairement aux revendications fondées sur les droits et les titres ancestraux, les revendications particulières concernent des violations présumées des obligations juridiques de la Couronne relatives aux traités historiques, aux terres et ressources des réserves ou aux fonds en fiducie des Premières Nations. Aux termes de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, le gouverneur en conseil établit une liste de six juges d’une juridiction supérieure qui agiront à titre de membres du tribunal et choisit ensuite le président à partir de cette liste. Le tribunal est formé d’au plus six membres à temps plein ou d’un nombre équivalent de membres à temps partiel, pourvu que le temps qu’ils consacrent ensemble à l’exercice de leurs fonctions n’excède pas celui qu’y consacreraient six membres à temps plein.
L’un des aspects les plus importants du tribunal est son indépendance, sachant qu’il s’agit du premier mécanisme national conçu pour que les Premières Nations puissent avoir le sentiment d’être traitées sur un pied d’égalité avec la Couronne.
Comme vous l’avez peut-être entendu, un certain nombre de revendications sont réglées après avoir été soumises au tribunal. Plutôt que ce soit un de nos membres qui rende une décision, les parties s’adressent au tribunal. Il y a de bonnes raisons à cela. Au tribunal, nous offrons une tribune pour régler les litiges, mais aussi pour négocier. Nous estimons que le règlement négocié de ces revendications est un mécanisme qui favorise la réconciliation et qui est vraiment dans l’intérêt des parties. Nous encourageons les règlements au tribunal. L’un des objectifs de la loi est d’encourager « le règlement par la négociation des revendications bien fondées ». Nous privilégions le règlement des revendications dans le cadre de négociations. À mesure que les revendications progressent, que des témoignages d’experts sont recueillis et que les membres sont en mesure de tenir des conférences de gestion d’instance fructueuses, nous pouvons amener les parties à tenter de parvenir à un consensus au terme de négociations. Si cela ne fonctionne pas, nous pouvons également les amener à s’entendre sur diverses questions telles que des questions de procédure, si les revendications se dirigent vers une audience, de manière à éliminer la nature conflictuelle d’une audience au tribunal et à collaborer en vue d’un consensus et d’un règlement.
À mon avis et d’après mon expérience, le Tribunal des revendications particulières s’est avéré être un mécanisme efficace et un élément important des efforts de réconciliation. Nous avons accéléré le règlement des revendications particulières. Alors qu’il fallait des décennies auparavant pour régler des revendications, grâce au tribunal, il faut maintenant des années. Nous aimerions tous que le règlement de ces revendications importantes soit encore plus rapide, d’autant plus que la plupart d’entre elles sont en suspens depuis de nombreuses années. Nous nous sommes engagés à remédier aux lenteurs du processus. Nous examinons les règles de pratique en vigueur depuis 2010 pour voir si nous pouvons les revoir et aider le tribunal à mieux remplir son mandat, qui est de régler ces revendications en temps utile, de manière efficace et rentable. Toutefois, même s’il y a encore des choses à améliorer, il ne faut pas oublier tout le travail que le tribunal a accompli au fil des ans, depuis son entrée en activité en 2008.
Je suis ravie d’être ici, et je répondrai volontiers à toutes vos questions.
Le vice-président : Encore une fois, je me dois de vous demander de parler clairement dans le micro et de retirer votre oreillette à ce moment-là pour éviter la rétroaction acoustique, qui pourrait incommoder le personnel.
Je vous remercie pour votre déclaration liminaire. C’était très intéressant. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Tannas : Merci beaucoup de votre présence. J’aurais deux questions à vous poser.
Tout d’abord, en ce qui concerne la limite de 150 millions de dollars, avez-vous le pouvoir de diviser les revendications particulières de manière à pouvoir conclure de multiples ententes d’une valeur de 150 millions de dollars, ou est-ce une somme globale qui est fixe?
Ensuite, j’ai vu un certain nombre de revendications en Alberta au cours des dernières années qui sont un peu arrivées de façon inattendue. Je ne les ai pas suivies suffisamment de près pour savoir si vous avez joué un rôle dans le règlement. Y a-t-il des revendications particulières en Alberta dont vous pourriez nous parler qui ont récemment été réglées?
Mme Chiappetta : Commençons par le plafond de 150 millions de dollars. Comme vous le savez, le tribunal est né d’une loi. Par conséquent, au titre de la Loi sur le Tribunal des revendications particulières, le tribunal ne peut accorder une indemnité totale supérieure à 150 millions de dollars. Ce montant inclut les intérêts. Cette limite a été mise en place en 2008.
Pour ce qui est des revendications de l’Alberta, il y en a un certain nombre qui ont été réglées par le tribunal. Je n’arrive pas à me souvenir d’un cas précis pour le moment, mais nous avons traité de nombreuses revendications venant de l’Ouest, et de l’Alberta en particulier. Toutefois, aucun cas ne me vient en tête.
Le sénateur Tannas : Dans le magnifique parc national de Banff, qui est très cher à la sénatrice Sorensen, on est parvenu à régler la revendication territoriale de Castle Mountain, et une indemnité a été accordée en conséquence. Je ne me souviens plus de quelle nation il s’agissait. L’autre revendication récente, qui était aussi plutôt inattendue, avait été présentée par la tribu des Blood, qui affirmait qu’on s’était emparé de leurs terres pour l’élevage de bovins et qu’elle avait dû les remplacer. Le tribunal a-t-il été saisi de l’une de ces revendications?
Mme Chiappetta : Je ne me souviens pas. Je ne crois pas.
Le sénateur Tannas : Savez-vous combien de revendications ont été réglées?
Mme Chiappetta : À l’heure actuelle, nous avons 89 revendications dans notre système. Nous en avons eu 143 depuis le début et 54 ont été réglées.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie d’avoir accepté de témoigner. Le travail que vous faites est fascinant. Je suis heureuse d’entendre que la création du tribunal a permis d’accélérer les choses, même si vous estimez qu’il y a encore des lenteurs auxquelles on pourrait remédier.
Je vais sûrement devoir me limiter à ma première question, car je sais que nous devons être brefs. Vous avez beaucoup parlé de la négociation aboutissant à un consensus, mais vous avez dit qu’il y avait quand même des litiges. Pourriez-vous nous dire, parmi toutes les revendications dont vous êtes saisis qui aboutissent à des litiges, combien font l’objet de négociations, et pourquoi?
Mme Chiappetta : Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les revendications peuvent se régler par voie de négociation, et cela a beaucoup à voir avec le moment choisi. Ce qu’il y a de vraiment bien au tribunal, c’est que nous créons un corpus jurisprudentiel qui permet aux parties de s’appuyer sur nos décisions pour parvenir à un consensus. L’un des cas qui me vient à l’esprit est l’affaire Beardy’s, qui portait sur les annuités découlant des traités. Auparavant, le Canada ne négociait même pas ces revendications, mais grâce à cette décision, ces revendications sont maintenant réglées. Parfois, les revendications qui sont présentées au tribunal sont très conflictuelles, mais les conflits sont résolus grâce à la jurisprudence.
Quant au nombre de revendications, à l’heure actuelle, comme je l’ai dit, nous avons 89 revendications en suspens, et 39 d’entre elles sont en cours de négociation — encore une fois, pour différentes raisons. Parfois, ce qui se passe au tribunal, c’est qu’on détermine si la revendication est valable et si elle peut faire l’objet d’une indemnisation et, le cas échéant, quel sera le montant versé. Si le tribunal détermine que la revendication est valable, les parties peuvent commencer à négocier l’indemnisation. Cela s’est produit à plusieurs reprises. Si vous regardez nos chiffres, nous avons rendu 29 décisions concernant la validité d’une réclamation et seulement 8 sur le montant de l’indemnisation à verser. Il faut donc tout d’abord se prononcer sur la validité de la revendication.
Parfois, les revendications nous parviennent et il y a une petite question juridique qui doit être réglée avant qu’elles puissent être admises à la négociation. Il s’agit parfois d’une question de compétence ou de savoir si la question a été résolue par les tribunaux dans une autre affaire. Nous pouvons alors aller de l’avant dans le processus de négociation. Au bout du compte, si nous n’avons pas réussi à négocier pendant quelques années, avant même qu’on tienne l’audience et qu’on recueille tous les témoignages d’experts, il nous incombe d’examiner toutes les preuves et peut-être de fournir quelques conseils quant à l’orientation du dossier. Cela permet également aux parties de commencer à discuter.
Il faut toujours garder cela à l’esprit. Je pense que la meilleure solution est de permettre aux parties de trouver un terrain d’entente, car lorsqu’on rend une décision, à ce moment-là, il y a un gagnant et un perdant. Cela peut être acceptable dans d’autres domaines juridiques, mais ce n’est pas du tout ce que nous recherchons dans ce domaine du droit.
La sénatrice Coyle : C’est donc votre façon de procéder.
Mme Chiappetta : En effet.
La sénatrice Sorensen : Je vais faire brièvement une observation, car le sénateur Tannas a posé ma question. Il y a trois sénateurs de l’Alberta dans la pièce. J’allais moi aussi être égocentrique et poser des questions sur l’Alberta.
Je tiens juste à dire à quel point je suis heureuse que vous soyez ici. Je suis toute nouvelle au comité. Je ne savais rien sur le traitement des plaintes, et je trouve vos commentaires et le fait que votre tribunal existe très intéressants. Je vais faire mes propres recherches. Merci d’être ici.
Mme Chiappetta : Bien franchement, je pense que c’est le cas pour beaucoup de Canadiens.
La sénatrice Sorensen : Un peu comme pour le Sénat. Personne ne sait ce que nous faisons.
Mme Chiappetta : Lorsque j’ai été nommée au tribunal à Toronto, il y avait 90 juges en poste dans la ville, et je pense qu’il y en avait peut-être trois qui connaissaient le tribunal.
Je pense qu’il fait un travail extraordinaire. Nous préférons faire le travail en arrière-plan. Nous n’avons pas besoin d’attention ni de gloire. Nous voulons juste faire le travail comme il se doit.
Je reviens tout juste de Banff.
La sénatrice Sorensen : Oh, vraiment?
Mme Chiappetta : J’ai pris le téléphérique, mais je m’écarte du sujet.
La sénatrice Sorensen : Avez-vous vu le parcours Nightrise?
Mme Chiappetta : Oui. C’était absolument...
La sénatrice Sorensen : C’est une expérience touristique autochtone.
Mme Chiappetta : En effet. J’ai emmené mon fils. C’était magnifique.
La sénatrice Boniface : Merci d’être ici et du travail que vous faites.
Pour ce qui est du processus proprement dit, car vous essayez de vous éloigner de la confrontation, quelles sont les parties à la demande selon vous? Est-ce strictement le gouvernement fédéral et la communauté autochtone, un organisme régi par un traité ou peu importe? Qui sont les parties?
Mme Chiappetta : Puisque nous sommes un tribunal, nous devons tenir compte de l’intitulé de l’instance. Pour cela, il doit y avoir un demandeur et un défendeur. Il s’agit du groupe autochtone et du gouvernement du Canada. Cela ne nous permet pas de partir du bon pied. Dès qu’il y a des parties, il y a des prises de position et des experts, et ensuite un gagnant et un perdant. Nous avons l’intitulé de l’instance, mais il nous incombe en tant que membres d’aller au-delà des formalités et d’amorcer la discussion. C’est pour cette raison que nous avons autant de conférences de gestion de l’instance. Chaque année, nous tenons environ 19 audiences et nous organisons plus de 100 conférences de gestion de l’instance. La situation peut déraper très rapidement lorsque les parties font appel à leurs propres experts qui produisent ensuite des rapports en guise de réponse. Il faut habituellement discuter pour trouver un terrain d’entente.
La sénatrice Boniface : Je suppose alors qu’il revient au gouvernement fédéral de s’exécuter. Établissez-vous les mesures d’exécution dans le cadre de la décision?
Mme Chiappetta : Quand vous parlez d’exécution, faites-vous allusion au paiement?
La sénatrice Boniface : Oui.
Mme Chiappetta : La décision est exécutoire, ce qui signifie que la somme doit être payée comme s’il s’agissait d’une ordonnance de tribunal. C’est un peu différent et délicat lorsque c’est un règlement. Le cas échéant, le gouvernement doit suivre certaines étapes, mais il faut aussi que ce soit approuvé par l’ensemble de la communauté. Nous ne laissons pas aller les choses une fois qu’on s’est entendu, qu’on s’est serré la main, qu’on a signé et que le tribunal a terminé son travail. Nous faisons un suivi pour nous assurer que c’est fait, et nous essayons d’utiliser le libellé des ententes de règlement pour qu’il soit plus facile de dire aux parties concernées qui doit payer ou qui doit également donner son accord, et pourquoi il faut que ce soit fait.
La sénatrice Boniface : Vous dites donc que c’est à la fin du processus et que du point de vue plus vaste de la communication, cela se fait entre les parties. Je pense à la compréhension de la revendication, de ses répercussions sur les collectivités avoisinantes et ainsi de suite par les personnes concernées. Comment pouvons-nous leur permettre de mieux comprendre?
Mme Chiappetta : J’ai constaté que les chefs jouent un rôle très important dans la communication avec les membres de la communauté. Lorsqu’ils leur parlent d’un règlement, tout le monde écoute et pose des questions. Je pense que l’esprit d’unité est plus fort ainsi. C’est habituellement le chef qui donne des explications plutôt que l’avocat retenu pour présenter la revendication. Je pense que c’est beaucoup plus significatif lorsque cela vient du chef. Il arrive souvent que les aînés qui présentent des éléments de preuve dans le cadre d’une revendication, ou qui le feraient dans l’éventualité d’une audience, participent également aux explications, ce qui signifie qu’il y a un degré de respect et de confiance. Ce n’est pas un député ou moi-même qui allons dans la communauté pour expliquer en quoi c’est une bonne affaire. Je pense que c’est la raison pour laquelle nous connaissons autant de succès, car nous laissons les bonnes personnes communiquer avec la communauté.
La sénatrice Boniface : C’est formidable. Merci.
Le vice-président : Madame la juge, j’aimerais aborder deux points : quels facteurs contribuent aux délais avant la prise de décisions définitives sur des revendications dans le processus du tribunal? Deuxièmement, comment ces délais peuvent-ils être améliorés par le Tribunal des revendications particulières, le gouvernement fédéral ou les parties dans le processus, selon vous?
Mme Chiappetta : Entre le moment où la plainte est déposée auprès du tribunal jusqu’au moment de la résolution finale, qu’il s’agisse d’une décision ou d’un règlement, il s’écoule en moyenne environ cinq ans et demi. J’aimerais voir si nous pouvons faire mieux. Parmi les causes, il y a l’évolution de la demande depuis son dépôt qui fait en sorte qu’un plus grand nombre d’éléments de preuve doivent être présentés au tribunal. Les experts produisent dorénavant des documents historiques et des rapports sur l’indemnisation. Dans ce genre de système, on est inévitablement à la merci de l’échéancier de ces experts. Très peu de personnes peuvent faire ce travail. Nous voyons parfois des retards parce que les experts en indemnisation, par exemple, ont besoin d’une année supplémentaire avant de remettre leur rapport. C’est une année pendant laquelle nous aurions pu tenir l’audience et rendre une décision. Nous prenons nos décisions plutôt rapidement. Ce qui pose problème, c’est la production des éléments de preuve.
Je vais parler d’une des premières mesures que nous avons prises pour nous attaquer au problème et ensuite parler d’un moyen de nous y attaquer à l’avenir. Habituellement, l’instance devant le tribunal était scindée en deux étapes : l’étape du bien-fondé de la revendication et l’étape de l’indemnisation à l’audience. On peut voir en quoi c’est logique. Les demandeurs sont assujettis aux cycles de financement. Si le cycle de financement permet de passer à l’étape du bien-fondé, pourquoi alors dépenser de l’argent pour préparer l’étape de l’indemnisation lorsque la revendication peut être jugée non valable? Ce que nous avons vu en 2020 et par la suite, c’est que les demandeurs avaient tendance à refuser la scission de l’instance. Ils disaient qu’ils préféraient préparer l’ensemble de la revendication compte tenu du délai trop long entre l’établissement du bien-fondé et la détermination de l’indemnisation, car tout le monde devait alors trouver des experts, ce qui prenait parfois de deux ans et demi à trois ans à partir du moment où nous établissions le bien-fondé de la revendication. À l’heure actuelle, de nombreuses instances ne sont pas scindées. Lorsque le tribunal est saisi de la revendication, les services des spécialistes de l’histoire et de l’indemnisation sont retenus, ce qui signifie que nous pouvons régler la revendication ou, à tout le moins, avoir les éléments de preuve nécessaires pour négocier plus rapidement.
L’un des moyens que nous envisageons à l’avenir consiste à examiner les règles qui régissent notre procédure. Elles ont été élaborées en 2008. Nous en savons plus maintenant en 2023 qu’à l’époque. Il nous incombe de faire un examen afin de voir si nous pouvons utiliser et changer quelque chose pour accélérer le processus. Par exemple, nous pouvons peut-être ajouter dans les règles quelque chose qui dit que nous devons avoir un rapport d’expertise conjoint. Nous en aurions donc un. Nous pourrions nous entendre sur la portée et sur l’expert. Nous pourrions peut-être autoriser une partie à faire un contre-interrogatoire ou à présenter une réplique si elle n’est pas d’accord. Ce sont des discussions très délicates à avoir. Nous avons donc formé un comité consultatif. Ce n’est pas une chose que les juristes vont régler seuls. Nous avons besoin de beaucoup plus d’aide. Nous avons besoin d’un soutien communautaire. Nous avons besoin des gens qui ont fait la recherche. Nous avons besoin des personnes qui étaient là en 2008. Nous avons besoin de personnes de partout au Canada qui peuvent apporter une contribution et présenter des idées différentes. C’est une chose sur laquelle nous nous penchons. Nous avons ces règles depuis plus d’une décennie, et nous pouvons peut-être les adapter un peu pour nous aider dans le processus.
Le vice-président : J’aime vraiment le processus, sans aucun doute. Je remarque que les plaideurs aiment tout simplement plaider, ce qui ne nous mène pas vraiment vers une réconciliation.
Mme Chiappetta : Je suis parfaitement d’accord.
Le vice-président : Recourez-vous à la médiation dans votre processus? Lorsque vous parlez de négociations, y participez-vous en tant que tribunal et les encouragez-vous?
Mme Chiappetta : C’est un autre aspect des règles que nous examinons, à savoir indiquer dans les règles que des services de médiation judiciaire sont offerts, qu’il peut y avoir une médiation offerte par des membres. D’ici à ce que ce soit fait, ce que je fais, c’est tout simplement mentionner au plus grand nombre de personnes possible que les membres du tribunal peuvent offrir une médiation. Lorsqu’on estime qu’il vaut la peine de se rencontrer pour discuter d’un règlement, on a des choix. On peut nous demander de maintenir l’audience et négocier seul, ou on peut nous demander de maintenir l’audience et s’adresser à un médiateur privé, ou on peut rester avec nous et nous allons nommer un membre, qui n’entendra pas votre affaire, pour travailler avec le demandeur en coulisse et lui dire comment l’audience se déroulerait selon lui. C’est la seule approche qui fonctionnera. Il faut être libre de dire au demandeur s’il gagnera ou non, que telle approche va réussir et qu’une autre va échouer. Il faut trouver le compromis. Nous pourrions offrir ces services, et nous pouvons le faire puisque nous avons les ressources nécessaires.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je suis très heureuse d’entendre comment vous préparez la négociation et un examen des règles. Quand vous dites que vous examinez les règles, sont-elles inscrites dans une loi?
Mme Chiappetta : Elles constituent une loi, oui, mais ce n’est pas dans la loi, c’est-à-dire la Loi sur le Tribunal des revendications particulières. Ce sont les règles de procédure pour traiter les revendications particulières, ce qui nécessite un processus très différent au moment de les réviser. Nous avons commencé par les règles puisque nous pensions être capables d’avoir un certain succès. Si le comité consultatif atteint un consensus, cela fera alors l’unanimité. Ce n’est pas un comité de consultation. Si nous nous entendons tous pour dire que ces règles doivent être modifiées d’une certaine façon, nous allons alors donner suite aux démarches. Mais nous n’examinons pas la loi.
La sénatrice LaBoucane-Benson : La loi a-t-elle toutefois besoin d’être modifiée? Est-ce une chose que notre comité pourrait étudier et qui vous aiderait?
Mme Chiappetta : C’est toujours une bonne idée d’examiner la loi pour voir ce que nous pouvons changer et pour déterminer si nous devons la modifier pour mieux faire le travail que nous voulons accomplir. Cette loi a créé mon poste et ma juridiction, et il n’est donc pas approprié pour moi de dire si elle doit être modifiée ou non, mais je crois que c’est toujours une bonne idée de jeter un coup d’œil pour voir si nous pouvons faire mieux.
La sénatrice LaBoucane-Benson : J’en prends bonne note.
Le vice-président : C’était ma question. J’aimerais en parler un peu plus parce qu’il est utile de faire cet examen ici aujourd’hui et de présenter l’information au comité.
Vous ne pourrez peut-être pas répondre, mais j’aimerais savoir si le comité peut présenter des recommandations à un ministère pour renforcer ce que vous faites. Je ne sais pas si vous avez assez de ressources et de juges pour accomplir le travail. Pourriez-vous obtenir de meilleurs résultats plus rapidement si vous aviez plus de ressources? Le comité peut-il recommander quelque chose qui vous aiderait à atteindre votre objectif en améliorant le processus et en obtenant de meilleurs résultats, peut-être, mais sans aucun doute en les obtenant plus rapidement?
Mme Chiappetta : Je vais d’abord parler des ressources. Depuis que je suis présidente du Tribunal des revendications particulières, je n’ai jamais dû m’abstenir de faire ce que je veux faire comme je souhaite le faire à cause d’un manque de ressources. Je pense que mes membres sont du même avis. Notre effectif nous permet actuellement d’accomplir le travail que nous voulons faire.
Votre deuxième question est importante, et je dois réfléchir un peu plus avant de répondre. Vous me donnez une formidable occasion de vous dire ce que vous pourriez ou devriez faire selon moi pour contribuer aux efforts déployés pour réduire les délais. J’aimerais avoir un peu plus de temps pour y penser et vous faire parvenir mes réflexions par écrit, si possible.
Le vice-président : Ce serait convenable et très utile pour nous. Nous voulons vous aider puisque nous voyons le bon travail qui est fait et les bons résultats obtenus. Je vous prie de procéder ainsi, et si nous recevons les communications, le comité de direction se penchera sur la question et en saisira l’ensemble du comité à un moment donné.
Mme Chiappetta : Si vous avez d’autres questions par la suite, je serai heureuse de revenir et d’en discuter au moment qui vous convient. C’est une chose qui me passionne et que j’ai le privilège de faire. Je suis juge depuis plus de 10 ans, et c’est la plus importante contribution que j’apporte dans mes fonctions. Donc, peu importe ce que je peux faire d’autre pour aider, je suis à votre disposition.
Le vice-président : Merci beaucoup d’avoir témoigné ce soir et de nous avoir éclairés. C’était formidable de vous entendre, et nous allons accepter votre offre. Nous avons hâte de peut-être avoir de vos nouvelles. Si vous voulez revenir et avoir une discussion plus approfondie, veuillez soumettre un document et répondre ensuite aux questions, et le comité serait heureux de vous rencontrer directement, ce qui nous permettrait d’être certains que nous comprenons chaque problème que vous aimeriez résoudre. Merci d’avoir comparu ce soir.
Nous allons passer à la dernière partie de notre réunion.
(La séance se poursuit à huis clos.)