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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 7 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 7 (HE), avec vidéoconférence, pour discuter de la réponse du gouvernement au septième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé : C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, déposé auprès du greffier du Sénat le 27 juin 2022.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à souligner que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il abrite maintenant un grand nombreux d’autres Premières Nations, Métis et Inuits de l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur micmac Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander aux membres du comité de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire, en commençant par le vice-président.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire du Traité no 6 en Alberta.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du territoire du Traité no 7 en Alberta.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.

La sénatrice Duncan : Pat Duncan, du Yukon.

Le président : Aujourd’hui, nous discutons de la réponse du gouvernement au septième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé : C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens.

Sur ce, j’aimerais présenter nos témoins. Nous avons sauté le premier groupe de témoins en raison de difficultés techniques. Nous allons donc commencer par notre deuxième groupe de témoins. Nous entendrons l’honorable Lillian Dyck, ancienne sénatrice, et Jeremy Matson, à titre personnel.

Wela’lin. Merci à vous deux de vous joindre à nous aujourd’hui.

L’ancienne sénatrice Dyck fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Mme Dyck à faire sa déclaration préliminaire.

L’honorable Lillian Eva Dyck, ancienne sénatrice, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à comparaître devant le comité. Aujourd’hui, je concentrerai mes observations au sujet de la réponse du gouvernement au rapport du comité sur deux questions qui, à mon avis, sont les plus importantes et les plus urgentes.

La première question concerne le seuil de deuxième génération. Il est déconcertant de constater que le gouvernement n’est pas disposé à éliminer le seuil de deuxième génération du statut d’Indien, mais je ne suis pas surprise. Il semble que le gouvernement soit prêt à agir seulement lorsque les tribunaux nationaux ou les organismes internationaux lui ordonnent de le faire.

La réponse du gouvernement laisse entendre, premièrement, qu’il est nécessaire de mener des consultations sur cette question, mais des consultations ont déjà eu lieu à de nombreuses reprises. Dans la situation actuelle, alors que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, a été adoptée par le Parlement et que des efforts sont déployés partout au Canada pour mettre en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, le gouvernement devrait être plus disposé et plus actif dans la rédaction d’une mesure législative visant à supprimer le seuil de deuxième génération.

La deuxième question concerne le processus d’inscription. La réponse du gouvernement au rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ou comité APPA, indique qu’il améliore l’information publique sur les critères d’admissibilité à l’inscription en vertu du projet de loi S-3 et améliore l’efficacité du processus d’inscription. Cependant, je ne suis pas convaincue qu’il y ait eu des changements significatifs dans l’information publique au sujet du projet de loi S-3, ni que le processus d’inscription ait été accéléré ou amélioré de façon importante ou suffisante.

La semaine dernière, j’ai parlé à un administrateur du registre des Indiens, un ARI, et j’ai appris que le bureau régional de Services aux Autochtones Canada, ou SAC, à Regina, n’est pas encore ouvert au public en raison de la pandémie. Cela a probablement ralenti le processus d’inscription. Bien qu’un employé de SAC ait pu être disponible par téléphone, une rencontre en personne est de loin préférable lorsqu’on discute de questions complexes comme celle-ci.

On m’a également dit que les bureaux des bandes avaient reçu des affiches au sujet du projet de loi S-3, mais que les ARI n’avaient reçu aucune explication ou formation sur le projet de loi. SAC a indiqué que les ARI accélèrent le processus d’inscription. C’est peut-être le cas, mais l’efficacité pourrait encore être accrue avec une information plus complète, une meilleure formation et une plus grande disponibilité des employés de SAC.

J’ai également parlé à une cliente qui m’a dit que l’information sur le site Web de SAC était déroutante et n’était pas utile. Cette information n’a pas changé; je suis allée vérifier hier. La cliente en question a eu de la difficulté à communiquer avec qui que ce soit à SAC pour l’aider, et lorsqu’elle a réussi à parler à quelqu’un, la personne a été méprisante et lui a dit qu’elle n’était pas admissible. Néanmoins, elle a présenté sa demande et elle a obtenu une réponse positive. La clé de son succès a été l’aide de son ARI, qui a accès à la liste des membres de la bande, de sorte qu’il lui a été plus facile de documenter quels membres de sa famille avaient le statut d’Indien.

Je recommande que les rédacteurs du projet de loi S-3, le personnel des communications et tous ceux qui participent à la sensibilisation du public au projet de loi S-3 s’assoient avec les ARI, les demandeurs et leurs avocats, s’ils en ont un, et discutent à savoir si les demandeurs peuvent facilement comprendre les intentions du projet de loi et s’ils sont admissibles au statut. Ce serait comme une discussion de cuisine, et cela aiderait SAC à remanier ses trousses de communication.

Je recommanderais également qu’ils organisent des réunions régionales avec les ARI pour leur demander comment SAC peut utiliser leur expertise pour améliorer le processus d’inscription.

Je recommande que SAC établisse comme priorité l’élaboration de nouvelles trousses de communication améliorées au sujet du projet de loi S-3, comme il est indiqué ci-dessus. Il s’agit de l’étape la plus importante d’un processus d’inscription efficace, efficient et rapide.

Dans le climat actuel d’indigénisation des milieux de travail et des établissements postsecondaires, de plus en plus de places s’ouvrent aux membres des Premières Nations. Malheureusement, il y a des gens qui s’identifient à tort comme Autochtones et qui prennent ces places de façon frauduleuse. Par conséquent, les institutions demandent maintenant des cartes de statut autochtone comme preuve d’identité des Premières Nations. Les milliers de descendants admissibles qui attendent toujours leur carte de statut seront exclus des possibilités d’emploi et de formation.

C’est une autre raison pour laquelle il est urgent que SAC traite plus rapidement les cartes de statut, surtout pour les jeunes et les personnes d’âge moyen.

Cela me ramène à la question du seuil de deuxième génération, qui était la recommandation 4 de votre rapport. Le seuil de deuxième génération touche tous les Indiens inscrits nés après le 16 avril 1985, date d’entrée en vigueur du projet de loi S-3. Certains témoins pensent à tort que les petits-enfants nés après le 16 avril 1985 de femmes dont le statut a été révoqué par le mariage à un homme non inscrit avant le 17 avril 1985 ne pourront pas obtenir le statut. Bien sûr, cela les trouble profondément.

Il est très déroutant et malheureux que, dans la réponse du gouvernement à votre rapport, SAC n’ait pas indiqué que les témoins précédents se trompaient.

Il est difficile de comprendre l’intention du projet de loi S-3 en raison de la complexité de la première version. L’information sur le site Web public est dérivée de cette première version, et c’est probablement la raison pour laquelle le site Web est si difficile à comprendre.

La deuxième mouture du projet de loi S-3 est beaucoup plus simple et ne fait aucune mention des petits-enfants et des arrière-petits-enfants; elle ne parle que des descendants directs. Cette mesure est entrée en vigueur le 15 août 2019.

Pourquoi l’information publique n’est-elle pas mise à jour? On pourrait l’expliquer beaucoup plus facilement. Le comité devrait poser la question à SAC. Pourquoi nous tirons-nous dans le pied en essayant d’expliquer la version complexe du projet de loi qui n’est plus en vigueur? C’est la version simplifiée qui est en vigueur.

Toutefois, la confusion qui entoure la première mouture du projet de loi fait ressortir le fait que les descendants nés après l’adoption du projet de loi C-31 en 1985 ne peuvent transmettre leur statut que pendant deux générations, dans le cas d’unions conjugales continues avec des partenaires non inscrits. Il est d’une importance cruciale d’éliminer l’exclusion de deuxième génération du statut d’Indien pour qu’un nombre suffisant de personnes aient le statut d’Indien dans les collectivités des Premières Nations afin qu’elles puissent continuer à survivre et à prospérer.

Le seuil de deuxième génération est assez compliqué. Je répondrai volontiers à vos questions pendant la période des questions.

En conclusion, le comité a continué de jouer un rôle clé dans la surveillance de la mise en œuvre du projet de loi S-3 et dans la formulation de recommandations auxquelles le gouvernement doit répondre, et j’exhorte le comité à poursuivre dans cette voie. Merci.

Le président : Merci, madame Dyck. J’invite maintenant Jeremy Matson à prendre la parole.

Jeremy Matson, à titre personnel : [mots prononcés dans une langue autochtone] Bonjour à vous, bonnes gens. Je suis membre de la nation Squamish et j’ai des liens ancestraux directs avec les Musqueam, les Tsleil-Waututh et d’autres communautés salish de la côte. Je suis également inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ou comité APPA, de m’avoir permis de parler aujourd’hui d’une question aussi importante, à savoir le rapport C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, qui remonte à juin 2022, et la réponse du gouvernement du Canada à ce rapport, qui date de février 2023.

Comme certains des sénateurs qui font partie de ce groupe le savent, je suis la partie qui a eu gain de cause dans la communication 68/2014 rendue par le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, le CEDAW. Le Canada a été déclaré en violation de l’article 1, des alinéas 2a), 2b), 2c), 2d), 2e) et 2f) et de l’article 3 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le Canada a également été reconnu coupable de violation de divers articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui est une loi du gouvernement fédéral en date du 21 juin 2021, et de la Colombie-Britannique en date de novembre 2019. Le Canada a été jugé en violation des alinéas 2c), 2d) et 2e) de la convention sur l’accès à la justice, car la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte ont toutes deux été jugées comme des options illusoires pour les peuples autochtones dans la communication 68/2014.

Pour faire le lien avec les recommandations 4 et 6 du rapport et la réponse du gouvernement, en septembre 2022, la Mission permanente du Canada auprès de l’Organisation des Nations unies du ministère de la Justice a écrit, au nom de Services aux Autochtones Canada, à l’Unité des pétitions des Nations unies et au CEDAW et a déclaré qu’elle ne respecterait pas le point de vue et les recommandations de la CEDAW énoncés dans la communication 68/2014, et a justifié pourquoi elle avait élaboré le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens et elle ne prévoit pas de réparation, de restitution ou de compensation pour ma famille, mes descendants et moi. Le Canada n’a fait aucune mention de la règle du seuil de 1985. Il n’a fait aucune mention des problèmes liés au mariage, à la date de naissance et à l’accès à la justice, des dispositions auxquelles le Canada a contrevenu.

À l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, on peut lire ce qui suit :

Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité.

Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême du Canada a fait sa propre interprétation du droit national et international pour être incorporée, interprétée par les tribunaux, le Sénat et la Chambre. Dans l’arrêt Hape, la Cour suprême a donné des directives au paragraphe 53 — cette approche des directives de la Cour suprême du Canada au législateur — le Sénat et la Chambre — de se conformer à l’interprétation des lois nationales par rapport aux lois internationales.

Comme nous le savons, le CEDAW de l’ONU a comparu le 2 mai 2022 pour témoigner devant le comité APPA. À ma connaissance, c’était la première fois dans l’histoire du Canada qu’un organisme de l’ONU comparaissait devant le Sénat ou la Chambre pour témoigner. Le CEDAW a fait remarquer que ma famille et d’autres familles avaient subi des déplacements intergénérationnels, et que le Canada ne pouvait pas adopter une autre approche fragmentaire lorsque des modifications doivent être apportées et que des réparations et des restitutions doivent être appliquées.

Pour ce qui est des réparations, de la restitution et de la compensation, et de la présentation de la ministre Hajdu au comité APPA le 23 février 2023 au sujet de la recommandation 7, je reviens à la jurisprudence internationale dans mon mémoire de mai 2022 au comité APPA et à la ministre citant l’arrêt Mackin de la Cour suprême du Canada. Contrairement à ce qu’affirme la ministre, la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Yakye Axa Indigenous Community c. Paraguay, dans un jugement rendu le 17 juin 2005, au paragraphe 181, dit ceci :

La réparation du préjudice causé par la violation d’une obligation internationale demande, autant que possible, une restitution intégrale [...] qui consiste à rétablir la situation antérieure à la violation [...] et ordonner le paiement d’une compensation pour le préjudice causé. L’obligation de fournir une réparation est réglementée dans tous ses aspects (portée, nature, modalités et établissement des bénéficiaires) par le droit international et ne peut être modifiée par l’État soumis à cette obligation, il ne peut pas non plus éviter de s’y conformer, en invoquant des dispositions de son droit interne.

Cette jurisprudence et toute la jurisprudence que j’ai appliquée dans mes observations au comité s’appliquent à l’arrêt Matson du CEDAW et à ma communication et à l’arrêt McIvor de l’ONU, des décisions rendues il y a quelques années maintenant.

C’est tout ce que j’avais à dire dans mon introduction.

Le président : Merci, monsieur Matson. Je vais demander à mon vice-président de poser la première question.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. J’aimerais m’adresser tout d’abord à l’ancienne sénatrice Dyck.

Sénatrice Dyck, vous avez des antécédents, une expérience et une connaissance de longue date concernant les iniquités qu’il reste à régler. Je m’incline devant vos efforts incessants à cet égard.

Vous avez mentionné l’une des choses qui, à mon avis, sont importantes, à savoir que l’honneur de la Couronne semble être compromis, tout comme l’obligation fiduciaire, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et l’obligation de mettre en œuvre les traités, conformément à leur esprit et à leur intention. Cela semble être, selon moi, un symptôme fondamental et continu de la rupture des relations entre la Couronne et les peuples autochtones dans ce pays.

Je me demande si vous avez des commentaires à faire sur la question de savoir si le comité devrait envisager un processus en dehors du processus judiciaire — qui est toujours la position privilégiée par le gouvernement, car il peut poursuivre des litiges pendant des années — et explorer des mécanismes, internes ou externes, des mécanismes visant à obliger l’exécutif à rendre des comptes concernant cette violation continue de ces quatre principes fondamentaux.

Ma question s’adresse à l’ancienne sénatrice Lillian Dyck et à M. Matson.

Mme Dyck : Je vous remercie de cette question, sénateur Arnot. Vous avez vraiment mis le doigt sur le problème, et je pense que M. Matson a également souligné quelques-uns de ces points dans son exposé.

Il semble que ce soit un défi historique pour les peuples autochtones de tenir le gouvernement responsable de ses actes et de mettre en œuvre les instruments que vous avez énumérés. Désormais, en particulier avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il y a un autre levier que nous pouvons utiliser pour faire avancer les droits des peuples autochtones.

Je pense que c’est une très bonne idée que le comité s’implique en dehors du processus judiciaire. Il pourrait notamment entreprendre une étude. Pour ce qui est de l’admissibilité même des gens aux termes du projet de loi et dans le cadre du processus d’inscription au registre, je suis d’avis que le comité pourrait se rendre dans différentes collectivités urbaines et rurales, dans différentes réserves, pour poser les questions pertinentes et découvrir ce qui se passe exactement sur le terrain.

Beaucoup de ces procédures judiciaires prennent des décennies, ce qui fait en sorte que le Canada n’aura pas à agir. Il fera appel, comme il l’a fait concernant le projet de loi S-3. Un appel a été interjeté. Il a été rejeté et on a ordonné au gouvernement d’agir. Nous n’avons pas plié. Un autre appel a dû être interjeté; autrement, le projet de loi S-3 aurait été mis en veilleuse et la majeure partie du registre aurait été fermée. Donc, même lorsque le tribunal ordonne au gouvernement d’agir, il ne le fait pas nécessairement.

Je pense donc que c’est une bonne idée que le comité fasse sa propre étude. Comme il est en mesure de demander une réponse au gouvernement, cela représente une autre façon d’exercer des pressions sur ce dernier, de rendre les choses publiques et d’obtenir l’appui du public pour que quelque chose se passe. Je pense que cela a bien fonctionné avec le projet de loi S-3. C’est en grande partie grâce à l’action du public. Je félicite l’Alliance féministe pour l’action internationale d’avoir vraiment contribué à porter cela à l’attention du public et à faire participer les médias d’information.

M. Matson : Je vous remercie de la question. Vous avez raison. Le processus judiciaire est la façon de faire du gouvernement. Ce dernier dispose de ressources illimitées pour lutter contre les peuples, les personnes ou les groupes autochtones lorsque ces derniers dénoncent les défis auxquels ils font face et cette discrimination connue de tous.

À mon avis, le droit international est la seule façon d’arriver à quelque chose. Je l’avais d’ailleurs mentionné à la dernière réunion. Les trois recours nationaux qui ont été fournis aux Canadiens et aux peuples autochtones pour résoudre ces problèmes ont été épuisés à de nombreuses reprises. Selon moi, utiliser la Loi canadienne sur les droits de la personne, s’adresser à la Cour suprême du Canada et demander à chaque organisme judiciaire de ne pas rendre de décision sur le fond, et modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui concerne les Indiens de ce pays, alors que cela nous avait été refusé de 1977 à juin 2008, représentent d’autres aspects du problème.

Si nous n’avons aucune forme d’accès à la justice et que la Charte s’est révélée une option illusoire pour contester ces questions qui reviennent sans cesse, que devons-nous faire en tant que peuple? Vers quoi nous dirigeons-nous comme société? Les Canadiens ne disposent plus de la Loi canadienne sur les droits de la personne, alors qu’il y a des lois, des dispositions et des libellés qui sont discriminatoires dans notre pays. Ce problème revient maintenant aux provinces et aux territoires, à la Colombie-Britannique, tout cela dans la foulée de la décision de la Cour suprême du Canada me concernant.

Nous devons établir ces bases, comme l’accès à la justice, dont il est prouvé qu’il est à la source des niveaux élevés de violence dont sont victimes les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues au pays. La Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Commission interaméricaine des droits de l’homme et notre propre Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont conclu qu’il n’existe pas de tribune vers laquelle les gens peuvent se tourner.

Il faut créer d’autres groupes de travail en vue d’utiliser le droit international pour interpréter notre contexte national et nos dispositions relatives à l’identité, cette dernière faisant partie des droits de la personne. Mais au Canada, comme le Canada l’a reconnu, ce n’est pas un droit de la personne d’être Indien, d’être Autochtone et de bénéficier d’avantages et de droits associés à cela.

Le président : Je vais donner la parole à la sénatrice Sorensen dans un instant, mais je vais me permettre une brève question. La réponse du gouvernement indique que Services aux Autochtones Canada va :

[...] élaborer conjointement et lancer un processus de consultation concertée, en 2023, sur les inégalités restantes connues, y compris sur l’exclusion après la deuxième génération, et sur les questions plus vastes de la réforme de l’inscription au registre et de l’appartenance aux Premières Nations.

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi des consultations supplémentaires sont nécessaires? À votre avis, y a-t-il eu suffisamment de consultations avec les femmes des Premières Nations et leurs descendants? Si oui, pourquoi pensez-vous que le gouvernement et même certaines Premières Nations demeurent réticents?

Mme Dyck : Le gouvernement a mené des consultations sur cette question par le passé. Lorsqu’il a présenté le projet de loi C-31, il croyait avoir éliminé toute la discrimination fondée sur le sexe. C’est à ce moment-là qu’il a introduit l’exclusion après la deuxième génération comme moyen d’inclure et d’exclure des personnes. Une série de consultations ont été menées au sujet du projet de loi C-3, qui a été adopté en 2011, et ont été suivies par des rapports. Lorsque le projet de loi S-3 a été élaboré, des consultations ont été menées après la première phase. On a demandé à Claudette Dumont-Smith de s’occuper du processus de collaboration et de parler de la mise en œuvre complète du projet de loi S-3.

En même temps, on discutait de l’exclusion après la deuxième génération. Il en a été question à maintes reprises par le passé, et je ne comprends pas pourquoi une nouvelle consultation est nécessaire. Cela a déjà été fait. Comme Sharon McIvor l’a plus particulièrement souligné, il n’est pas pertinent de consulter sur les droits fondamentaux de la personne. Il est reconnu que vous avez le droit de déterminer votre propre identité comme citoyen. Pourquoi mener des consultations alors? Techniquement, il n’y a pas d’autre choix. Il faut éliminer l’exclusion après la deuxième génération.

Le gouvernement ne cesse de se rabattre sur cette consultation, mais ce qui m’irrite vraiment, c’est le fait qu’il consulte sur une question comme celle-ci uniquement lorsqu’il décide de modifier les lois, disons, sur les biens immobiliers matrimoniaux. Y a-t-il eu des consultations? Non. Le gouvernement est simplement allé de l’avant. C’est un outil qu’il peut choisir d’utiliser ou non. Dans ce cas-ci, il a choisi de l’utiliser, et je ne pense pas qu’il ait fondamentalement le droit de le faire.

M. Matson : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Dyck. Je n’ai pas été consulté par le gouvernement du Canada au sujet de ma communication 68/2014 et du fait que j’ai eu gain de cause. On m’a dit que le gouvernement apporte des modifications au projet de loi C-38, ce qui concerne environ quatre questions.

La règle d’exclusion après la deuxième génération et la règle d’exclusion de 1985 sont deux choses différentes. Elles se recoupent et se rejoignent dans divers contextes, mais ce sont deux choses différentes qui aboutissent à deux résultats différents. Cependant, la règle d’exclusion après la deuxième génération s’applique.

Pour ce qui est des statistiques, je ne sais pas si le comité a des chiffres à jour par suite de la comparution de la ministre Fox en avril, mai ou juin de l’an dernier, mais on m’a fourni très peu de renseignements. Depuis 1985, 298 690 personnes ont été inscrites au registre en vertu du paragraphe 6(2), selon l’information fournie par un responsable du gouvernement. Si l’on prend ce chiffre et qu’on le multiplie par 1,6, c’est-à-dire la taille du ménage canadien moyen à l’heure actuelle, ou 2,2 pour les Autochtones — seulement pour la règle d’exclusion après la deuxième génération, avec des chiffres approximatifs, qui pourraient changer parce qu’une personne peut en avoir épousé une autre qui est un Indien également visé par les paragraphes 6(2) ou 6(1), et parce que certaines personnes ont peut-être été exclues — cela équivaut à environ 477 904 personnes, ou jusqu’à 657 118, rien qu’à partir des données brutes. Ce chiffre pourrait diminuer ou augmenter, mais il concerne seulement les personnes inscrites et la génération suivante.

Depuis 1985, plusieurs générations ont été touchées. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il faut remonter dans le temps. Nous devons corriger l’ensemble du problème, puis nous devons nous assurer qu’aucune situation de ce genre ne se reproduira à l’avenir.

En ce qui concerne toute cette notion d’approche fragmentaire, l’ONU a dit au comité, tant dans son témoignage que dans sa décision me concernant, de ne pas adopter une telle approche. Oui, il devrait y avoir des consultations, mais lorsqu’il y a des conclusions juridiques auxquelles le gouvernement doit se conformer, comme ne pas communiquer avec le demandeur ayant eu gain de cause, il y a lieu de s’interroger. Les chiffres qui s’appliquent dans le cadre de ces différents enjeux sont plus élevés que ce qui a été soulevé dans mon cas. Il y a eu des conclusions assez importantes de l’ONU dans mon cas et, encore une fois, le droit international est le processus à suivre à ce chapitre. Je vais m’arrêter ici.

Le président : Merci.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. Je profite de ma participation au comité pour parfaire mes connaissances. Je ne faisais pas partie de ce comité au moment où ce rapport a été étudié, et je tiens à remercier l’honorable Mme Dyck d’avoir offert d’expliquer plus en détail l’exclusion après la deuxième génération.

Ma question porte sur un homme non autochtone et une femme autochtone qui ont un ou des enfants, de même que sur la situation inverse. Premièrement, y a-t-il encore une différence lorsque c’est la femme qui est non autochtone et l’homme qui est autochtone? J’essaie encore de comprendre ce qui se passe à l’heure actuelle — je crois que vous avez parlé de 2019. Qu’en est-il du statut de ces enfants et de leurs enfants?

Mme Dyck : Voyons si je peux clarifier cela.

La sénatrice Sorensen : Vous avez besoin d’un diagramme.

Mme Dyck : Exactement, c’est difficile sans PowerPoint ou un tableau noir — je suis de l’époque du tableau noir.

La perte de statut a commencé en 1869. Lorsqu’une femme autochtone épousait un homme non autochtone, elle perdait son statut. Cependant, il est plus juste de dire que son statut était révoqué parce qu’elle n’avait pas le choix.

Lorsque le projet de loi C-31 est entré en vigueur en 1985, il a instauré la règle d’exclusion après la deuxième génération selon laquelle, après cette date en 1985, le mariage entre des partenaires inscrits et non inscrits n’entraînait ni perte ni gain de statut, mais lorsqu’un homme autochtone épousait une femme non autochtone, il perdait du fait même sa capacité à transmettre son statut. C’était la façon qu’on avait trouvée d’éliminer la discrimination fondée sur le sexe. On pensait avoir réussi, mais ce n’était pas du tout le cas. Cela visait à rendre la notion de mariage mixte non sexiste.

Qu’est-il arrivé après 1985? Lorsqu’il y a mariage mixte, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme qui épouse une personne sans statut, les enfants obtiennent alors une forme réduite de statut appelée 6(2). Lorsque l’enfant issu de ce mariage épouse une personne sans statut, les petits-enfants du couple initial n’ont plus de statut. Après deux générations, le statut est perdu.

La confusion découle du projet de loi S-3, parce que le projet de loi S-3 doit encore faire référence à 1985. Il était très clair, d’après les articles du projet de loi S-3, de même que les tableaux et les chiffres produits par le gouvernement, ainsi que les rapports de la Bibliothèque du Parlement, que lorsque le projet de loi S-3 est entré en vigueur, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants des femmes qui avaient épousé des hommes n’ayant pas de statut récupéreraient leur statut en vertu du paragraphe 6(1). Donc, tous les enfants nés après 1985 sont toujours assujettis aux dispositions du projet de loi C-31 parce qu’étant nés pendant cette période et s’étant mariés, leur statut a été modifié. C’est pourquoi il a été rétabli.

C’est très difficile à expliquer sans un tableau, mais il y a interaction. Il est très clair que les petits-enfants de femmes réintégrées aux termes du projet de loi S-3 obtiendront le statut en vertu du paragraphe 6(1), même s’ils sont nés après 1985. C’est là que l’interprétation est difficile.

La sénatrice Sorensen : Non, l’explication est excellente, en fait. Cela m’a beaucoup aidée. Le projet de loi S-3 remonte à 2019, n’est-ce pas?

Mme Dyck : La première phase a été mise en œuvre en 2017. C’est de là que nous viennent tous ces articles extrêmement complexes. C’était en décembre 2017, je pense.

La sénatrice Sorensen : Votre explication a été grandement utile. Sans vouloir m’étendre là-dessus, ce que j’en retiens, c’est qu’il y a un grand laps de temps entre 1985 et le changement suivant. Vous avez clairement expliqué ce qui se passe avec ces enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, mais il y a un malentendu dans cette partie du milieu.

Mme Dyck : Oui, et ce malentendu touche à peu près tout le monde. Pour être tout à fait honnête avec vous, en lisant le rapport du comité, j’ai vu qu’il donnait une interprétation différente. J’ai alors pensé qu’il avait peut-être raison. Je me disais : « Il a raison », puis « Il a tort » et vice-versa. À la fin, après avoir vérifié tous les documents du gouvernement et examiné mon cas personnel, je me suis dit que mon interprétation était bonne. J’ai compris que si un jour j’avais des petits-enfants, ils seraient admissibles.

La sénatrice Sorensen : Je vous remercie.

Le président : Monsieur Matson, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Matson : Je suis le descendant d’une femme autochtone dont le statut a été changé en vertu de la Loi sur les Indiens. Il s’agit de ma grand-mère quand elle a épousé mon grand-père en 1927. Jusqu’en 1985, ma grand-mère et tous ses descendants étaient devenus admissibles par le biais de ma grand-mère et de mon père, qui était décédé à l’époque. Il était admissible.

Mais ma grand-mère a obtenu le statut d’Indienne en vertu de l’alinéa 6(1)c) de la Loi sur les Indiens. Mon père et ses frères et sœurs, décédés ou vivants, étaient admissibles en vertu du paragraphe 6(2), ce qui était prématuré, comme nous l’avons appris par l’adoption du projet de loi McIvor de 2010, puis des amendements de 2017 et 2019, et par l’exclusion générationnelle créée par le gouvernement, les comités et les décideurs à l’origine de ces problèmes. Dans la décision me concernant, les Nations unies ont conclu que, dans le cas de ma famille, mes enfants devraient avoir le statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(1) et leurs enfants en vertu du paragraphe 6(2), parce que les amendements de 2017 et de 2019 ont ignoré une génération.

Le but est simplement de respecter les paramètres de ce qui est légal ici au Canada et les groupes de référence. J’ai commencé ma vie en tant qu’Indien non inscrit, je suis ensuite devenu un Indien inscrit au sens du paragraphe 6(2), puis un Indien inscrit en vertu de l’alinéa 6(1)c). Je suis maintenant admissible au statut que j’aurais dû avoir bien avant, mais mes enfants et mes petits-enfants ne sont pas traités sur un pied d’égalité. C’est d’ailleurs l’une des conclusions des Nations unies dans mon cas.

La sénatrice Sorensen : Je vous remercie pour ce témoignage personnel car il m’a aidé à mieux comprendre. Avez-vous obtenu votre statut seulement après l’adoption du projet de loi S-3?

M. Matson : Ma première lettre de refus me concernant a été envoyée à ma mère en 1985, après l’adoption du projet de loi C-31. Ce fut un long processus, sans parler du siècle de discrimination dont a fait l’objet toute ma lignée familiale.

La sénatrice Sorensen : Avez-vous obtenu votre statut grâce au projet de loi S-3?

M. Matson : C’est grâce au projet de loi de Sharon McIvor de 2010 que j’ai obtenu le statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(2).

La sénatrice Sorensen : Nous accueillerons plus tard Mme McIvor, je vais donc l’écouter attentivement.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma question porte sur les termes que nous utilisons. Chaque fois que je suis allée en Australie et que je parlais des « Indiens du projet de loi C-31 », des « Indiens du projet de loi S-1 » et des « Indiens du projet de loi S-2 », ces mots me paraissaient tellement choquants. Je vais donc m’adresser à notre ancienne collègue Lillian Dyck. Madame Dick, pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce plan de communication et les termes que nous devrions utiliser? Est-il possible d’employer des termes moins choquants lorsque nous parlons de notre identité en vertu de lois ou d’articles de loi?

Mme Dyck : Je vous remercie de cette question, sénatrice LaBoucane-Benson. Ce sont des termes blessants parce qu’ils renvoient directement à l’idée de numérotation, n’est-ce pas? « Vous n’êtes pas une personne, vous êtes un numéro. » Comme il vient de l’expliquer, M. Matson a d’abord été un Indien 6.0, puis il est devenu un Indien 6(1) et ensuite un Indien 6(1)c). Par la suite, vous pouvez devenir un Indien 6(1)c.01) et, tout à coup, un Indien 6(1)a). Et maintenant, nous sommes des Indiens 6(1)a.3). Nous traitons les gens comme des objets et non comme des êtres humains. Cela nous ramène à l’époque où les Inuits se voyaient attribuer des numéros plutôt que des noms; c’est pareil. C’est déshumanisant.

Je voudrais bien suggérer une meilleure solution, mais la meilleure façon de procéder, en fait, c’est de demander au gouvernement de se retirer de ce dossier. Ce ne devrait pas être au gouvernement de déterminer qui est un citoyen d’une Première Nation. Cette responsabilité incombe aux Premières Nations elles-mêmes, en vertu de leur droit à la souveraineté. C’est seulement ainsi que le système de numérotation disparaîtra.

D’ici là, nous sommes malheureusement pris avec ce système. Je ne connais pas d’autre moyen de changer la donne. Cela dit, la numérotation est cependant beaucoup moins complexe, du moins avec le projet de loi S-3. Sous la catégorie 6(1), il n’y a que les alinéas a.1), a.2) et a.3). Toute la complexité est regroupée dans trois dispositions, c’est donc une amélioration. Je vous remercie.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup. Selon moi, désigner les gens par des numéros, c’est la même chose qu’utiliser les termes « sang-mêlé » ou « demi-caste » pour les désigner. C’est la même idée.

Mme Dyck : Oui.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Nos frères et sœurs d’Australie disent : « Nous ne projetons pas une demi-ombre. » Vous existez ou vous n’existez pas. Il n’y a pas de demi-mesure.

Je m’adresse maintenant à vous, monsieur Matson. Je vous ai entendu vous décrire sous toutes ces désignations. Si vous aviez une baguette magique, comment changeriez-vous les noms et la façon dont nous les communiquons?

M. Matson : Bien sûr. Avec une baguette magique... C’est vous, en tant que décideurs, qui tenez la baguette magique dans ce pays.

Pour revenir à ce que disait Lillian Dyck, ce rôle doit incomber aux communautés autochtones. Je me souviens que le sénateur Arnot a dit que nous devrions aller dans cette direction. Je lui ai répondu que nous n’en sommes pas encore là. Nous avons beaucoup de travail à faire.

La solution simple consiste à éliminer toute la discrimination contenue dans l’article 6 de la Loi sur les Indiens. Quant aux conclusions du rapport des Nations unies, dans mon cas, pour respecter les articles 9 et 33 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et tout le reste, le gouvernement doit s’écarter de l’article 6 de la Loi sur les Indiens, tout en s’acquittant de son obligation fiduciaire de réformer la loi et d’y supprimer toute pratique discriminatoire.

Quoi que nous en pensions aujourd’hui, un nouveau scénario juridique sera sans doute proposé demain ou dans 10 ans à cet égard. Il devra alors comporter une disposition spécifique pour corriger cela parce que nous ne pouvons pas nous contenter de dire aux 634 communautés autochtones : « Vous êtes maintenant responsables de déterminer le statut d’Indien et l’appartenance à une bande. » C’est ainsi que ce devrait être. Il s’agirait d’un contrat préalable; c’est ainsi que les choses se passaient traditionnellement.

Pour y arriver, toutefois, nous devons mettre fin à toutes les pratiques coloniales et discriminatoires du gouvernement. Par la suite, nous pourrons redonner ce pouvoir aux communautés autochtones, ce qui serait conforme au droit international. Cela respecterait les lois antérieures à l’arrivée des Européens de nos nations et de nos bandes indiennes. Une fois que le gouvernement se sera acquitté de son obligation fiduciaire, la communauté pourra alors dire au gouvernement du Canada que, de son point de vue, tel enfant autochtone ou tel citoyen autochtone doit être admissible au statut d’Indien et à l’appartenance à une bande. Tant que nous n’aurons pas intégré cela aux articles 10, 11 et 6, nous ne pouvons nous contenter de transférer cette responsabilité aux communautés, parce que bon nombre d’entre elles ont adopté la mentalité discriminatoire du gouvernement. Cela est en grande partie attribuable au manque de financement fédéral. Plusieurs générations vivent sous un même toit. Il faut rétablir le financement et il faut ensuite garantir un financement aux Autochtones qui intègrent la communauté. Je vous remercie.

Le président : Est-ce que l’un ou l’autre d’entre vous pourrait me dire quelles réformes sont nécessaires pour faire en sorte que la citoyenneté des Premières Nations soit conforme aux articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones concernant l’autodétermination en matière d’identité ou d’appartenance?

Mme Dyck : Je pense que cela se rapporte à tout ce que nous venons de dire concernant les différentes catégories et à ce que M. Matson a dit au sujet du maintien de la voie juridique ou du retour aux lois traditionnelles.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — je n’ai pas les articles sous les yeux — dit que les peuples autochtones ont le droit de se gouverner eux-mêmes. Ils ont donc le droit d’élaborer et de mettre en œuvre leurs propres lois en matière de citoyenneté. Cela nous ramène à ce que disait la sénatrice LaBoucane-Benson, à savoir que vous êtes membres d’une communauté ou que vous ne l’êtes pas. Vous l’êtes à part entière et non à moitié.

Il faudrait donc revenir aux pratiques d’avant l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens, même d’avant 1869. Il faudrait demander aux communautés de consulter leurs gardiens du savoir et de déterminer quelles étaient les pratiques utilisées avant l’imposition de la loi coloniale.

Le président : Je vous remercie de votre réponse, madame Dyck.

Monsieur Matson, voulez-vous intervenir?

M. Matson : Tout d’abord, pour que ce processus puisse avoir lieu, l’article 8 de la Déclaration des Nations unies doit être respecté dans le cadre de l’article 6 de la Loi sur les Indiens; il s’agit d’une interprétation exhaustive de cet article. Une fois que ces dispositions sur l’identité auront été supprimées, nous pourrons alors passer aux autres articles.

Les articles 22 et 44 concernent les pratiques non discriminatoires à l’endroit des femmes, des filles, des personnes handicapées autochtones et ainsi de suite. Ce sont donc d’autres dispositions interprétatives.

Concernant les articles 9 et 33.1 sur la citoyenneté, il faut d’abord appliquer l’article 6 de la loi en accord avec l’article 8 de la Déclaration des Nations unies. Les articles 9 et 33 de la déclaration seraient ainsi respectés, ce qui permettrait de transmettre les rênes aux communautés elles-mêmes.

Le président : Merci à vous deux.

Le sénateur Tannas : Ce que nous essayons de faire me semble encore plus complexe. Sénatrice Dyck et monsieur Matson, à votre avis, la science et la technologie modernes pour analyser l’ADN ou le degré de sang indien sont-elles incontournables ou utiles pour nous aider à supprimer toute cette classification? C’est très important pour les gens. Ce le deviendra encore plus à mesure que l’argent commencera à arriver, sous forme de prestations, de droits et sous d’autres formes.

Pensez-vous que la science quantique et la technologie d’analyse de l’ADN et du degré de sang pourraient éventuellement jouer un rôle?

Mme Dyck : Quand vous avez demandé si la technologie pouvait être utile, je pensais que vous vouliez dire pour accélérer le traitement des cartes de statut, parce que c’est à cet égard que la technologie pourrait être très utile.

Le sénateur Tannas : Sans aucun doute.

Mme Dyck : Même les cartes de statut délivrées par Ottawa — je n’ai pas la mienne sous les yeux en ce moment — portent un code-barres, mais pour acheter de l’essence, vous ne pouvez même pas utiliser ce code-barres. Je ne sais pas à quoi il sert. Il est peut-être possible de s’en servir à l’aéroport.

Mon nom figure sur la liste des membres de ma bande, de même que la date de production de la liste, mon numéro du traité et mon code d’inscription. Je devrais donc être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)c), devenu aujourd’hui l’alinéa 6(1)a.3), mais je suis inscrite en vertu de l’alinéa 6(2). La liste n’est donc pas à jour. Si les listes des membres de bandes étaient tenues à jour automatiquement au moyen d’un logiciel, nous pourrions inscrire des milliers de personnes beaucoup plus rapidement grâce à ces informaticiens de génie qui pourraient développer un programme de mise à jour automatique afin que nous n’ayons plus à le faire manuellement, ce qui prend des jours et des mois. La mise à jour ne prendrait plus que quelques secondes. C’est comme pour la recherche. Je n’ai plus besoin d’aller à la bibliothèque, je n’ai qu’à saisir ma demande dans le moteur de recherche qui trouve la référence. En quelques clics, c’est fait.

Concernant la technologie d’analyse de l’ADN — ou du degré de sang — dont vous parlez, je ne crois pas que ce soit la solution parce que cela remonte aux lois historiques. Traditionnellement, les gens étaient probablement adoptés par les Premières Nations en tant que membres à part entière, qu’ils soient ou non génétiquement apparentés. Ils vivaient au sein de la communauté, se mariaient dans la communauté et pouvaient en faire partie. Ils apportaient leur contribution à la communauté et s’y intégraient pleinement.

Je ne vois donc pas l’utilité de l’analyse de l’ADN et du degré de sang indien, mais je pense que la technologie peut être très utile pour l’inscription et le traitement des cartes de statut. Le mécanisme en place est désuet. Je vous remercie.

M. Matson : Je vous remercie de la question.

Pour ce qui est de l’ADN, je vais m’en tenir à ce qu’a dit la sénatrice Dyck. Je ne pense pas que l’ADN, en plus de fournir du sang au gouvernement... les Églises et l’État ont fait un excellent travail pour recueillir les antécédents généalogiques et familiaux, et comme la sénatrice Dyck l’a dit, oui, les communautés autochtones ont intégré des gens qui n’étaient peut-être pas de leur sang, mais qui sont membres de plein droit parce qu’ils sont reconnus par la loi et la pratique ancestrales.

Donc, en ce qui concerne l’ADN, les économies pour le gouvernement du Canada et les efforts pour essayer de cerner cela, je ne pense pas que cela devrait se produire. Je sais que lorsque vous confierez les rênes aux communautés autochtones — et vous devriez le faire —, vous établirez conjointement une sorte de processus qui fera en sorte que lorsque des requérants se présenteront ou que des gens des communautés voudront des renseignements, on pourra dire : « Hé, gouvernement du Canada, ces personnes-ci sont des Indiens inscrits, et ces personnes-là sont des membres. Donnez-leur l’identité qui leur revient. »

Je sais qu’il y a beaucoup de rouages internes à mettre en place tant chez les Premières Nations qu’au gouvernement fédéral pour assurer l’exactitude de ces renseignements et les protéger de toute manipulation.

Le président : Merci. Nous avons le temps pour une autre question.

La sénatrice Duncan : Je tiens à remercier les témoins d’avoir bien voulu comparaître ce matin, en particulier la sénatrice Dyck. C’est la meilleure explication que j’aie entendue au sujet du seuil de deuxième génération, même sans tableau noir.

Selon ce que j’ai appris en posant des questions aux Premières Nations du Yukon, celles qui ont réglé leurs revendications territoriales tiennent le compte de leurs propres membres. Elles s’occupent des retombées du règlement obtenu et de leurs sociétés de développement, et il me semble bien que M. Matson a raison : il faut que ce soit entre les mains des Premières Nations elles-mêmes.

Une partie du problème tient au fait que, une fois de plus, dans un pays immense comme le nôtre, le gouvernement essaie d’appliquer une solution universelle. Or, il n’y en a pas.

Pour faire suite à ce que disait le sénateur Arnot, je me demande s’il n’y aurait pas une autre façon de traiter cette question, et s’il y a une recommandation que le comité pourrait faire. Pourrait-on recommander une autre méthode de règlement des différends et dire au gouvernement que, au lieu d’essayer de traiter, si j’ai bien compris, avec plus de 600 Premières Nations ou bandes autochtones — je ne sais trop quel terme utiliser —, on devrait plutôt appliquer une autre méthode d’inscription? Avez-vous des réflexions ou des recommandations à ce sujet?

Mme Dyck : Vous apportez des éléments très intéressants. Je pense que le comité pourrait regarder ce qui s’est fait dans le monde, en Australie et en Nouvelle-Zélande, par exemple, ou chez les Samis. Comment font-ils pour décider de l’inscription? Je sais que les Samis ont des sièges distincts au Parlement. Je ne sais pas comment ils déterminent leur citoyenneté.

Vous avez parlé des Premières Nations du Yukon, mais leur cas est un peu différent parce qu’elles ont une entente d’autonomie gouvernementale. Il y a probablement dans cette entente des clauses qui leur donnent le droit de déterminer elles-mêmes qui sont leurs membres. Je ne sais pas comment cela fonctionne pour elles.

De plus, dans la Loi sur les Indiens — je crois que M. Matson en a parlé aussi —, il y a les articles 10 et 11, selon lesquels chaque bande est maître de sa liste de membres. Cependant, je ne pense pas que cela lui donne le droit de décider du statut, mais seulement de décider qui est membre ou non. Le statut et la qualité de membre sont deux choses différentes.

C’est donc une question complexe, et je pense que le pouvoir doit revenir aux communautés autochtones.

Comme vous l’avez dit, il y a environ 620 communautés des Premières Nations au pays, mais je soupçonne qu’elles vont cadrer dans moins d’une demi-douzaine de modèles différents, selon leurs grandes affiliations. Les Anishinabes auront leur façon de faire, mais les Mohawks et les Cris feront les choses différemment. Ou bien cela pourrait se faire selon les régions visées par les différents traités.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question, mais ce sont mes réflexions.

M. Matson : Je crois avoir déjà tout dit dans mes réponses à d’autres sénateurs, alors je n’ai pas grand-chose à ajouter.

Le président : Merci beaucoup. Nous en avons terminé avec ce groupe de témoins. Je remercie l’ancienne sénatrice Dyck et M. Matson de s’être joints à nous.

M. Matson : Voulez-vous que je vous remette mon mémoire par écrit comme la dernière fois?

Le président : Si vous le souhaitez.

M. Matson : Ce serait juste pour tenir le comité au courant de ce qui s’est passé.

Le président : Merci.

Nous accueillons Mme Shelagh Day, présidente du Comité des droits de l’homme à l’Alliance canadienne féministe pour l’action internationale, et Mme Sharon McIvor, à titre personnel. Wela’lin. Je remercie nos deux témoins de se joindre à nous aujourd’hui. Chacune fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, après quoi les sénateurs poseront leurs questions.

J’invite maintenant Mme Day à faire sa déclaration préliminaire.

Shelagh Day, présidente, Comité des droits de l’homme, Alliance canadienne féministe pour l’action internationale : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, et merci de bien vouloir nous entendre ce matin. Je suis désolée pour les difficultés techniques que nous avons eues, mais nous vous sommes reconnaissantes de votre invitation. Si vous permettez, j’aimerais que Sharon McIvor parle en premier, après quoi je prendrai le relais.

Le président : Il n’y a pas de problème si Mme McIvor est d’accord. Madame McIvor, voulez-vous faire votre déclaration préliminaire?

Sharon McIvor, à titre personnel : Oui. J’appartiens à la nation Nlaka’pamux, dans le Centre-Sud de la Colombie-Britannique. Je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd’hui.

En ce qui concerne nos commentaires sur la réponse du gouvernement au septième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé C’est assez! Finissons-en avec la discrimination quant à l’inscription au registre des Indiens, mes collègues et moi allons aborder trois des nombreuses questions en suspens : le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, l’interdiction d’indemnisation prévue dans la loi et l’inscription au registre.

Cela fait des dizaines d’années que nous protestons contre la discrimination à l’encontre des femmes autochtones. Pourtant, nous en sommes encore, en 2023, à exiger que le processus d’inscription soit exempt de toute discrimination. Il est inadmissible que nous, les Indiennes, devions continuer à quémander l’égalité. Nous sommes le seul groupe au Canada visé directement par une discrimination prescrite par la loi.

Le Canada, de mauvaise foi, a fait sienne cette discrimination, il l’a approuvée et il emploie toutes les tactiques possibles pour qu’elle se perpétue. Le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens contrevient à une multitude de lois et de conventions que le Canada a adoptées et entérinées. C’est une disposition législative conçue pour que nous, les Indiens, finissions par nous éteindre purement et simplement.

Comme je suis une Indienne, ma lignée d’Indiens inscrits est disparue de mon vivant. J’ai trois arrière-petits-enfants qui ne sont pas admissibles au statut. Mon amie deviendra bientôt grand-mère. Son petit-fils n’a pas droit au statut. La règle des deux parents adoptée en 1985 fait en sorte que nos nations n’existeront plus aux yeux de la loi. La décision de distinguer entre le statut d’Indien inscrit et la qualité de membre d’une communauté autochtone et de lier le financement au statut seulement est trompeuse et déroutante.

Pour ce qui est de la consultation du plus grand nombre, nous recommandons la tenue de consultations multiples. Il est tout à fait inadmissible par ailleurs de vouloir nous consulter sur notre droit d’appartenir à notre communauté. Personne n’a le pouvoir de décider que nos droits n’existent pas. Ce sont des droits acquis à la naissance, et personne ne devrait pouvoir dire : « Je vais accepter celui-là et celui-là, mais pas le troisième. »

Selon les calculs de Stewart Clatworthy, il y a une bande au Manitoba dont le dernier membre inscrit viendra au monde en 2030. C’est dans sept ans. Le paragraphe 6(2) signe l’extinction législative de la reconnaissance des Indiens. Sur ce, je cède la parole à Shelagh Day.

Mme Day : Je veux parler de l’interdiction d’indemniser. Dans sa réponse au rapport, le gouvernement dit ne pas être d’accord avec la recommandation du comité sénatorial. Il insiste pour dire que l’interdiction d’indemniser est légale parce qu’elle n’a pas encore été contestée devant les tribunaux.

Essentiellement, il invite les femmes autochtones à intenter des poursuites contre lui, ce qui, à ce stade de notre histoire, nous semble complètement aberrant. Cela fait maintenant une cinquantaine d’années que des femmes livrent des plaidoyers sur ce point précis de discrimination. À maintes reprises, des tribunaux et les Nations unies ont conclu que la Loi sur les Indiens fait de la discrimination fondée sur le sexe contre les femmes et leurs descendants.

Que le gouvernement insiste pour dire que, si les femmes veulent être indemnisées des préjudices de cette discrimination, elles doivent maintenant retourner devant les tribunaux — et c’est essentiellement ce qu’il dit dans sa réponse à votre rapport —, cela nous semble complètement aberrant. Cela va à l’encontre de son engagement envers la réconciliation. Cela va à l’encontre de son engagement à adopter des lois conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comme M. Matson le faisait remarquer ce matin, l’article 8 de la déclaration dit que les peuples autochtones ont le droit de ne pas être assimilés de force, et qu’ils ont droit à réparation après l’avoir été.

Tous les traités des Nations unies que le Canada a signés stipulent clairement que, lorsqu’un droit est violé, les victimes ont droit à un recours efficace. Un recours efficace comprend un certain nombre de choses. Il consiste entre autres à mettre fin à la discrimination, à veiller à ce qu’elle ne se reproduise plus, à rétablir les victimes dans la situation où elles seraient si la discrimination n’avait pas eu lieu, et en divers types d’indemnisation. Les réparations sont reconnues comme faisant partie de l’obligation à laquelle le Canada souscrit dans tous les traités dont il est signataire.

En insistant pour garder l’interdiction d’indemniser et en refusant de l’éliminer dans le projet de loi C-38, il nous semble que le gouvernement fait simplement fausse route et va à l’encontre des engagements du Canada.

J’aimerais aussi dire quelques mots à propos de l’inscription au registre. Le comité sénatorial a fait d’excellentes recommandations à ce sujet. Malheureusement, le gouvernement dans sa réponse rejette bon nombre d’entre elles. La réponse du gouvernement au sujet de l’inscription est décevante — pas surprenante pour nous — mais très décevante.

Selon les derniers chiffres que Services aux Autochtones Canada a fournis au groupe de travail sur la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, au 20 janvier de cette année, 39 701 personnes étaient inscrites en vertu de tous les articles du projet de loi S-3. Depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions en décembre 2017, il s’est écoulé une période d’environ cinq ans.

Maintenant, nous savons que les estimations du gouvernement quant au nombre de personnes nouvellement admissibles au statut par l’application universelle de l’alinéa 6(1)a) — l’amendement entré en vigueur en 2019 pour lequel le comité s’est battu si fort et pour lequel les femmes des Premières Nations sont si reconnaissantes — allaient de 270 000 à 450 000. On peut le lire dans son rapport sur le projet de loi S-3. On nous demande maintenant d’accepter une estimation révisée de 251 000. Même si nous acceptons cette estimation révisée, il n’y a rien, à notre avis, qui explique pourquoi il faudrait attendre jusqu’en 2041 pour que Services aux Autochtones Canada inscrive les personnes qui y ont droit. C’est ce que le gouvernement nous demande d’accepter dans sa réponse au rapport du comité.

Nous savons tous que, tant que ne sont pas inscrits les femmes et leurs descendants qui se sont vu refuser le statut à cause de la discrimination sexuelle, le droit qu’ils ont gagné ne vaut rien. L’application universelle de l’alinéa 6(1)a) donne aux femmes et à leurs descendants le même statut et le même droit de transmettre le statut qu’aux hommes et à leurs descendants de 1876 à 1985. Il s’agit d’un changement historique et essentiel à la Loi sur les Indiens, un changement d’une importance cruciale pour la vie des femmes des Premières Nations, de leurs descendants et de leurs communautés.

Mais le gouvernement du Canada n’adopte pas une attitude proactive, dynamique, engagée, attentionnée et respectueuse des droits pour mettre en œuvre la loi adoptée par le Parlement et le Sénat. Son approche va à l’encontre des promesses de réconciliation et, comme je l’ai dit, des réparations prévues dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

En vertu de la déclaration, je le répète, les peuples autochtones ont le droit de constituer des groupes ou des nations et ils ont le droit de ne pas être assimilés de force. La discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens a été un outil très efficace d’assimilation forcée au Canada, en excluant des milliers de femmes et leurs descendants du nombre des Indiens qui ont droit à la reconnaissance et aux avantages de leur statut. L’incapacité de mettre en place une campagne publique efficace pour contrer les effets de la brisure et de la rupture causées par cette discrimination et l’incapacité de guider les demandeurs d’inscription vers des endroits accessibles dans différentes régions du pays sont des signes que le gouvernement ne veut pas abandonner cette politique d’assimilation.

Services aux Autochtones Canada dit qu’il apporte des améliorations au processus et qu’il en prévoit d’autres. C’est bien, mais les résultats de ces promesses ne sont pas évidents. Je vous suggère d’aller voir ce qu’il y a dans le plan d’action de la direction et du ministère. Vous y trouverez un portrait beaucoup plus exact et accablant de ce qui se passe réellement en matière d’inscription que ce qu’on peut lire dans la réponse que vous avez reçue.

SAC a rejeté la demande du comité en matière de surveillance, d’examen indépendant, de plans, d’échéanciers et de rapports plus réguliers. C’est inacceptable. S’opposer à l’exercice d’un droit quand le gouvernement contrôle le seul moyen de l’exercer est en soi discriminatoire. Merci.

Le président : Je vous remercie de votre intervention, madame Day.

Le sénateur Arnot : Merci aux deux témoins de leur présence ici. J’aimerais qu’elles répondent toutes les deux à ma question, si c’est possible. Cela concerne le processus. Mme Day a dit que le modèle judiciaire est en quelque sorte la position de référence du gouvernement et que, dans les faits, il force toujours la confrontation. Le recours aux tribunaux est, à mon avis, un modèle d’échec, où deux parties déclarent : « Impossible de trouver un règlement. Il faut recourir à une tierce partie — le système judiciaire, les tribunaux, quelqu’un d’autre — pour trouver une solution. »

Le juge en chef Lamer, dans l’affaire Delgamuukw portée devant la Cour suprême du Canada en 1997, a expliqué, en gros, que le règlement de ces questions ne relevait pas des tribunaux. Cela relève fondamentalement du politique. On a besoin d’un processus politique pour régler ces problèmes. Ce n’est pas nouveau. C’était il y a 32 ans.

Le comité sénatorial devrait-il envisager d’explorer des mécanismes existants extérieurs au processus judiciaire ou d’autres mécanismes — je rappelle que la sénatrice Lillian Dyck a proposé aujourd’hui d’examiner la situation à l’échelle internationale — pour résoudre ces problèmes? Je me demande ce que les témoins en pensent.

Je dis cela parce que cet enjeu perpétuel montre clairement que les relations sont brisées entre la Couronne et les Autochtones dans ce pays. C’est un symptôme de relations brisées, et, sur le fond, ce sont ces relations qu’il faut réparer. Elles ne le seront jamais par le recours aux tribunaux.

Les témoins pourraient-elles nous parler de cette nécessité et, peut-être, du rôle du comité sénatorial dans l’examen de cet enjeu sous un angle différent?

Mme McIvor : Je pourrai vous dire deux ou trois choses à ce sujet puisque j’ai été en procès avec le gouvernement du Canada pour différentes raisons et pendant longtemps. Mon affaire, qui s’est soldée par quelques changements mineurs en 2010, a commencé en juillet 1989. Nous avions obtenu une première décision en 2007, qui a été suivie d’autres en 2008 et en 2009.

J’aimerais bien qu’un processus permette de discuter du caractère raisonnable, de l’équité et des obligations du gouvernement. Mon expérience n’autorise pas à penser que cela soit possible. J’ai eu affaire à 18 ministres des Affaires indiennes, et celui d’aujourd’hui n’est pas très différent du premier. On nous a fait des promesses, on nous a compris, et on m’a dit : « Nous vous comprenons. Nous allons régler ce problème. » Et pourtant, nous voilà, bien des années plus tard, à nous demander si on peut faire les choses autrement.

Chaque fois que nous en sommes arrivés à un point où il aurait été possible de faire les choses autrement... en passant, le Sénat a été merveilleux avec le projet de loi S-3. Mais, en dehors de cela, il n’a pas tenu la position ferme qu’il avait adoptée au sujet du projet de loi S-3.

Donc, oui, ce serait très bien, parce que les ministres et tous ceux à qui j’ai parlé au fil des ans comprennent en effet; oui, ils voient que c’est discriminatoire et, oui, cela devrait changer, mais cela s’arrête là.

Ce serait effectivement formidable de ne pas avoir à poursuivre le gouvernement pour obtenir une indemnisation et de pouvoir nous asseoir et mettre en place un processus qui fonctionnerait sans engager ces coûts. Ma cause, qui a donné lieu à quelques changements mineurs, a coûté environ un quart de million de dollars. La plupart des femmes autochtones n’ont pas les moyens d’intenter des poursuites.

Je n’ai pas de suggestions à faire. J’ai beaucoup parlé et beaucoup proposé au fil des ans, et on en revient toujours à : « D’accord, nous savons que nous avons tort, nous savons qu’il faudrait faire quelque chose, mais poursuivez-nous pour nous obliger à le faire. »

Je vais céder la parole à Mme Day. Elle a probablement de meilleures suggestions que moi.

Mme Day : Ma collègue, Mme McIvor, met exactement le doigt sur le problème, à savoir l’intransigeance du gouvernement. La discrimination a commencé en 1876. Le gouvernement ne semble pas du tout disposé à y renoncer. Le fait qu’il y aurait plus d’Indiens envers qui le gouvernement aurait des obligations fiduciaires et auxquels il reconnaîtrait des droits semble très angoissant.

La juge Masse a déclaré la même chose que vous, sénateur, dans l’affaire Descheneaux. Selon elle, le gouvernement ne devrait pas obliger les gens à s’adresser systématiquement aux tribunaux dans chaque affaire de discrimination. Ce n’est pas ainsi qu’il faut régler le problème. Le gouvernement devrait le faire en modifiant la loi.

Nous devons non seulement dire un très grand merci au comité sénatorial et au Sénat, mais aussi reconnaître qu’ils ont joué un rôle crucial dans la transformation de la situation des femmes autochtones et de leurs descendants grâce au projet de loi S-3. Le projet de loi C-38 vous sera bientôt confié, et les questions qui se poseront encore une fois au comité sénatorial et aux sénateurs se résument à ceci : quel rôle pouvez-vous jouer dans la réforme législative? C’est une question cruciale et importante.

À mon avis, le comité fait partie du mécanisme dont nous avons besoin en l’occurrence.

J’ajoute donc simplement que les organisations de défense des droits de la personne au Canada, qui s’occupent de divers enjeux, demandent aussi depuis des années qu’on instaure un mécanisme acceptable et efficace pour la mise en œuvre des recommandations des organes conventionnels des Nations unies. Nous n’avons pas encore de mécanisme de ce genre. On se demande vraiment comment les lois internationales sur les droits de la personne sont mises en œuvre au Canada. C’est une question fondamentale.

Le président : Madame McIvor et madame Day, j’ai posé la question aux témoins précédents, et je vous la pose également.

SAC a l’intention d’élaborer et de lancer conjointement un processus de consultation collaborative en 2023 sur les inégalités persistantes connues, et notamment sur le seuil d’exclusion de la deuxième génération. À votre avis, a-t-on suffisamment consulté les femmes autochtones et leurs descendants à ce sujet? Dans l’affirmative, pourquoi, d’après vous, le gouvernement et même certaines Premières Nations semblent-ils réticents à remédier à cette discrimination?

Madame McIvor, voulez-vous commencer?

Mme McIvor : Oui.

À mon avis, le processus colonial a été un bulldozer qui a perturbé nos collectivités en jetant les femmes, qui sont les détentrices de la langue, des coutumes, etc., dans la société non autochtone, où c’était marche ou crève, et en leur interdisant de rester dans leur communauté et de contribuer à son bien-être, et ce processus est et a toujours été un mécanisme délibéré pour démanteler notre mode de vie.

On parle de choses mineures, mais, si on examine l’histoire, non seulement au Canada, mais dans toutes les autres régions du monde qui ont été colonisées, c’est le mécanisme le plus important pour s’emparer de l’ensemble des ressources, des terres et des droits des Autochtones.

On peut bien dire les choses comme on veut, mais notre système est entièrement colonisé. Si on enseigne à des générations d’enfants que la seule chose qu’ils vont apprendre est d’essayer de se protéger, tout le reste est brisé.

Vous laissez donc entendre qu’on peut en quelque sorte remettre cela entre les mains des gens.

Je m’entretiens régulièrement avec des femmes qui ont vécu cela et avec des femmes qui n’ont pas perdu leur statut, mais qui ont grandi dans la communauté. Elles ne comprennent pas notre système traditionnel, parce que le système colonial les a rendues si vulnérables qu’elles ne peuvent même pas penser à l’avenir. Elles cherchent constamment à se protéger et à protéger les leurs.

Celles d’entre nous qui sont des universitaires et certaines d’entre nous qui ont été élevées dans une communauté solide où les traditions, les coutumes et la vision du monde sont en quelque sorte intactes — je ne peux même pas dire qu’elles le sont entièrement en raison de la socialisation à laquelle j’ai été forcée —, estiment qu’il n’est pas juste, alors qu’on a violé nos droits depuis le début de la colonisation, de nous lancer : « D’accord, nous allons maintenant tenir des consultations. »

Shelagh Day, que je tiens à saluer, et moi-même avons discuté avec des groupes qui nous ont invitées. Nous travaillons ensemble sur cette question depuis plus de 35 ans, et elle nous fait profiter de son expérience internationale. Beaucoup de décisions ont été prises par des organismes internationaux, comme l’ONU et la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Quand nous prenons la parole — par exemple devant des groupes qui nous ont invitées —, ils ne comprennent pas de quoi nous parlons.

D’abord et avant tout, il n’est pas juste de leur poser la question, parce qu’ils ne savent pas ce qui se passe. Deuxièmement, bon nombre d’entre eux ne sont pas suffisamment ancrés dans la tradition, et nous parlons alors de revenir à ce que nous faisions auparavant. Sur le plan intergénérationnel, nous ne l’avons pas fait, et beaucoup d’entre eux n’en ont aucune idée. Troisièmement, je le répète, personne n’a le droit de décider de reconnaître ou non mon droit. Ce sont des droits, et on sait que, légalement, je ne peux pas dire : « Oh, c’est correct de faire de la discrimination contre moi. » Je n’ai pas le droit d’autoriser ma propre discrimination ni de dire que c’est acceptable, et les autres ne le peuvent pas non plus. Nous sommes donc devant un dilemme : les gens qui sont consultés pensent qu’ils ont leur mot à dire, et, quand on examine les droits des Autochtones, les droits de la personne et les droits de naissance inhérents, pour bon nombre d’entre nous qui sommes nés dans des communautés, il est insensé de nous demander si nous sommes d’accord ou non. Cela n’a tout simplement aucun sens pour moi. On perd carrément son temps.

Mais je vieillis. Je travaille là-dessus depuis très, très longtemps, et de petits progrès ont été faits, mais le problème, ce sont les délais, encore et toujours. C’est en mai 2017, je crois, que nous avons rencontré certains des bureaucrates du ministère des Affaires autochtones à Toronto, et le principal fonctionnaire que nous avons rencontré m’a dit que son travail consistait à protéger ma communauté contre moi, à m’exclure, parce que, si je retournais dans la communauté, j’y serais une source de problèmes. C’est donc une question très difficile pour moi parce que, d’abord et avant tout — je l’ai dit très souvent —, personne n’a le droit de consentir à exercer une discrimination contre moi, même pas moi, puisque c’est la raison pour laquelle ces ententes et ces lois existent.

Mme Day pourra peut-être vous donner une réponse sous forme d’une vraie suggestion.

Le président : Merci, madame McIvor.

Madame Day, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Day : J’ajouterai simplement ceci. Comme l’a exprimé Mme McIvor, je pense que les consultations peuvent porter sur la manière de procéder, mais pas sur la question de savoir si le gouvernement cessera de faire de la discrimination. On peut consulter les communautés sur la façon dont le changement sera mis en œuvre et sur la meilleure façon pour elles de le faire, mais on ne peut pas les consulter pour savoir s’il faut cesser de faire de la discrimination.

Nous devons donc tenir des consultations sur le paragraphe 6(2) et la règle des deux parents. Il est extrêmement important de condamner le fait que le gouvernement dise qu’il n’y a plus de discrimination fondée sur le sexe et que le paragraphe 6(2) et la règle des deux parents n’est pas une forme de discrimination fondée sur le sexe. En fait, le gouvernement perpétue la discrimination fondée sur le sexe, et il est donc bel et bien encore question de discrimination fondée sur le sexe.

Deuxièmement, si consultations il y a, le gouvernement doit fournir des données réelles. Il doit consulter les communautés en se fondant sur des renseignements réels, et ces renseignements réels figurent dans le budget des dépenses de Clatworthy, qui montre que le paragraphe 6(2) et la règle des deux parents reviennent essentiellement à un programme d’extinction. Les petites bandes perdront d’abord des membres et la population d’Indiens inscrits au Canada finira tout simplement par diminuer. Il faut donc que les communautés consultées le sachent, et qu’on le leur dise, pour qu’il y ait une consultation honnête au sujet du paragraphe 6(2) et de la règle des deux parents.

Quand le gouvernement dit qu’il compte élaborer conjointement un processus de consultation, je veux vous rappeler qu’en 2019, Claudette Dumont-Smith a dit que le paragraphe 6(2) devrait faire l’objet de consultations. C’était il y a quatre ans. Il ne s’est rien passé. Pourquoi? Parce qu’il y a une réticence à faire quoi que ce soit.

Vous avez aussi demandé, sénateur Francis, pourquoi les communautés font preuve de réticence. Eh bien, le gouvernement lui-même, comme Mme McIvor l’a déjà dit, a en fait caractérisé les femmes et leurs descendants — qu’il a essentiellement bannis par la discrimination sexuelle de leurs communautés — comme une menace pour les communautés, une menace financière et une menace à l’intégrité culturelle. C’est de faire preuve d’un incroyable cynisme que d’assimiler les victimes de discrimination à une menace pour leurs propres nations. En fait, tout cela est condamnable.

Exclure les femmes et leurs descendants de leurs communautés en faisant preuve de discrimination fondée sur le sexe cause du tort aux nations et aux communautés, ainsi qu’aux femmes et à leurs descendants. La façon dont le gouvernement présente cette situation est totalement erronée. Pourtant, c’est sur cette base qu’il interpelle les gens dans les communautés quand il aborde cette question de consultation.

Donc, nous n’avons pas le type de consultation qui devrait avoir lieu, une consultation qui devrait être honnête, directe et qui devrait porter sur les ressources, sur la façon de s’y prendre pour vraiment éliminer la discrimination et qui devrait devenir une source d’unité pour les communautés. Franchement, je ne vois pas comment les choses pourraient changer, compte tenu du bilan jusqu’à maintenant. C’est très préoccupant.

Le président : Merci, madame Day.

La sénatrice Coyle : Je souhaite de nouveau la bienvenue à nos témoins, et je vous remercie infiniment, madame McIvor et madame Day, de vos témoignages. Ils ont été clairs, utiles, troublants, motivants et instructifs.

Tandis que nous examinons de près la réponse du gouvernement à notre rapport — et vous nous aidez à le faire —, tandis que vous nous avez aidés à formuler ce rapport, il est important que nous nous penchions sur ce que nous ferons ensuite. Devons-nous répondre en qualité de comité? Devons-nous inviter le ministre et les fonctionnaires à venir discuter avec nous?

Nous avons entendu des recommandations concernant d’autres mesures à divers paliers. Tout d’abord, à l’échelle internationale, devrions-nous nous pencher sur la façon dont d’autres pays abordent plus efficacement la question du statut d’Autochtone? Devrions-nous examiner — je crois que Mme Day l’a mentionné — la façon dont les lois internationales en matière de droits de la personne sont traduites dans le droit canadien, parce que cela a une incidence sur ce que nous examinons ici? Devrions-nous examiner de plus près nos mesures — et je crois que c’est Mme Day qui a mentionné que nous devrions nous pencher de plus près sur le plan d’action ministériel, ce qui s’entend de ses chiffres, ses échéanciers et ses mécanismes, et tout ce qu’il contient — pour voir comment elles se comparent à ce que cette réponse dit et à ce que nous entendons?

Madame l’ancienne sénatrice Dyck, vous avez également mentionné à quel point il est important pour nous d’examiner le plan de sensibilisation et de communication, ainsi que ce qui est en place pour aider les gens à s’y retrouver. Comment pouvons-nous aller de l’avant de façon à ne pas envisager 2041 comme une date acceptable pour régler le problème?

C’est le genre de choses que je crois entendre, mais j’aimerais beaucoup que vous me disiez, toutes deux, ce que vous pensez du résumé que j’en fais. Y a-t-il des choses importantes que je n’ai pas comprises dans ce que vous avez dit au sujet des diverses questions dont nous sommes saisis? Avez-vous d’autres conseils à nous donner?

Nous avons une responsabilité et un certain pouvoir. Comment pouvons-nous utiliser efficacement notre pouvoir et notre responsabilité pour continuer à faire avancer le gouvernement vers la justice qui doit être rendue ici? Comment pouvons-nous nous écarter de cette voie qui, comme vous l’avez très clairement expliqué, continue de fixer cette extinction légiférée? J’aimerais bien entendre ce que vous avez à dire.

Mme McIvor : L’information, le processus d’inscription... nous en avons déjà parlé au Sénat et avec des députés. Je peux obtenir un passeport en une semaine, mais il m’a fallu six mois pour renouveler ma carte de statut. Je suis déjà inscrite, mais il m’a fallu six mois pour obtenir une nouvelle carte de statut. J’ai tout envoyé. À partir du moment où les fonctionnaires ont reçu mes documents, il m’a fallu six mois pour recevoir ma carte de statut. Il y a quelque chose qui ne va pas, quand je peux obtenir un passeport en une semaine, mais que je ne peux pas obtenir de carte de statut avant six mois. Et ça, c’est le cas de quelqu’un qui est inscrit depuis longtemps. Le ministère n’a pas à établir que je suis effectivement Indienne; il n’a qu’à traiter ma carte.

C’est la norme. Si votre carte de statut expire, vous devez prévoir que ça prendra six bons mois, sinon vous n’aurez aucune carte de statut. Même si j’ai en main ma carte de statut expirée, elle ne sera pas acceptée. Je ne sais pas comment je peux mettre mon statut en suspens, dans l’attente de recevoir une carte pour prouver que je suis une « Indienne inscrite ». Pour nous, cela a toujours été le grand problème.

Pour ce qui est des autres renseignements, parce que j’ai fait une grande partie du travail, je reçois beaucoup d’appels téléphoniques et de courriels, et les gens ne sont pas au courant. Le 15 août 2019, la dernière partie du projet de loi S-3 est entrée en vigueur. C’est le changement qui disait que, si vous étiez né avant le 17 avril 1985, vous obteniez le plein statut, pas ces différents niveaux de statut. Aujourd’hui, je parle aux gens et ils n’en ont aucune idée. On a également promis que ceux qui étaient déjà inscrits dans la catégorie 6(1)c) ou 6(2) seraient automatiquement mis à niveau. Cela ne s’est pas produit non plus.

C’est vraiment crucial. Certaines femmes attendent depuis des années, et parfois elles meurent avant d’obtenir leur statut. J’ai beaucoup d’histoires personnelles de femmes à qui on a dit d’attendre, d’attendre, d’attendre... puis elles décèdent et deux mois plus tard, leur statut finit par être approuvé.

Il faut faire quelque chose pour accélérer ce processus. Il est embourbé. On vous donne des chiffres, mais je sais que je reçois régulièrement des appels à l’aide. « Pouvez-vous m’aider? Ils ne reconnaissent pas ceci; ils ne reconnaissent pas cela. » C’est quelque chose que le gouvernement doit faire. Nous ne pouvons pas le faire nous-mêmes. Nous pouvons nous plaindre, mais nous ne pouvons pas apporter les changements. Le gouvernement doit s’engager à apporter ces changements pour que le statut soit actif. Ça ne sert à rien d’être admissible le 15 août 2019 et de n’obtenir son statut qu’en 2027. Pour nous, cet aspect a été vraiment crucial.

Et puis, le projet de loi C-38 est totalement inadéquat. Nous nous sommes adressés à vous lors de l’adoption du projet de loi S-3, et nous vous avons dit qu’il était totalement inadéquat. Le comité sénatorial a fait un travail remarquable pour obtenir ces changements cruciaux. La date de 1985 représente un changement crucial. Le Sénat n’a pas reculé et a fait ce qu’il devait faire, c’est-à-dire corriger la situation.

À mon avis, le Sénat a un rôle énorme à jouer. Maintenant que vous nous avez aidés avec le projet de loi S-3, nous allons vous demander de nous aider avec tout le reste parce que, pour la première fois, nous avons abouti. Jusque-là, chaque fois que le Sénat a été appelé à étudier le projet de loi, il a subi des pressions de la Chambre des communes et a fini par faire marche arrière, ce qui n’a pas été le cas en 2017.

C’est ce que nous attendons encore de vous. Quand le projet de loi C-38 vous sera soumis, nous nous attendrons à ce que vous y consacriez beaucoup de temps.

Le président : Merci, madame McIvor.

Madame Day?

Mme Day : Je suis tout à fait d’accord avec Mme McIvor. Le comité sénatorial s’est transformé en un mécanisme de reddition de comptes très important sur cette question grâce à son intérêt et à son engagement, et j’encourage le comité à continuer de poser des questions, à retourner voir le gouvernement, à réagir à sa réponse, à maintenir cette pression et ce dialogue. Il y a d’autres questions à poser et d’autres réponses à donner. J’encourage le comité sénatorial à jouer ce rôle et à participer à l’examen du projet de loi C-38.

J’aimerais faire une toute petite remarque au sujet de l’inscription. Je tiens à signaler aux sénateurs que je vous ai donné le nombre de personnes inscrites, soit 39 701 depuis 2017. Au cours de cette période, 6 000 demandes ont été rejetées parce qu’elles étaient incomplètes. Cela nous indique très clairement que nous avons désespérément besoin d’aide pour naviguer le processus. Il y a des gens qui ont vraiment de la difficulté à réaliser ce processus de demande très compliqué. Merci.

Le président : Merci, madame Day.

Le sénateur Tannas : Je remercie les témoins. Vous nous avez mis plus de pression, et c’est très bien. J’étais membre du comité en 2017. Je me souviens, au début, de la pression que nous subissions, mais, et c’est tout à l’honneur du premier ministre — du moins avec les signaux qui avaient été donnés à l’époque — nous avons été encouragés à rester fermes, et c’est ce que nous avons fait. Je vous remercie de vos bons mots à ce sujet.

Madame McIvor, j’avais une question pour vous. Pourquoi pensez-vous que votre carte de statut devrait un jour expirer? J’ai un certificat de naissance. Il n’expire pas. Je n’ai pas à présenter de nouvelle demande. Pourquoi y a-t-il une expiration? Le savez-vous?

Mme McIvor : C’était aussi ma question. Je suis née Indienne. Ensuite, beaucoup de choses se sont produites; le concept de statut est revenu, puis il est reparti, et il est revenu. J’ai été reconnue Indienne. Je dis simplement que le statut est la reconnaissance de mon état d’Indienne. Il n’a pas fait de moi une Indienne. Je suis née Indienne et je vais mourir Indienne, mais la reconnaissance est importante dans ma vie quotidienne en raison de ce qui vient avec cette reconnaissance.

Absolument, je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle la carte de statut expire. J’ai un ami qui a une carte de statut et il a l’air d’un bébé dessus — il avait sans doute une vingtaine d’années —, mais il a maintenant 70 ans. La sienne n’a pas expiré. Certaines des cartes originales n’ont pas expiré.

Je ne sais pas. Je n’ai pas demandé à suffisamment de gens, ou je n’ai pas trouvé de personne qui sache pourquoi certaines cartes expirent après cinq ans. Je ne pense pas que ce devrait être le cas. Vous voudrez peut-être mettre votre photo à jour, bien que j’aimerais encore avoir ma photo prise à l’âge de 22 ans plutôt qu’à l’âge de 75 ans.

Le sénateur Tannas : Merci.

Le président : Merci. Malheureusement, notre temps est écoulé, mais je rappelle aux témoins de bien vouloir nous faire parvenir leurs mémoires écrits avant le 20 mars. Je remercie encore une fois nos témoins, Mme McIvor et Mme Day, de s’être jointes à nous ce matin.

(La séance est levée.)

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