LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 19 avril 2023
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par souligner que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et qu’il abrite maintenant de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Avant de commencer notre réunion, je vais demander aux membres du comité qui sont avec nous de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique. Bonjour.
La sénatrice Hartling : Je suis la sénatrice Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick. Je vis sur le territoire non cédé des Mi’kmaqs.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, Traité no 7, parc national de Banff, Alberta.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du beau territoire de l’Alberta visé par le Traité no 6.
La sénatrice Audette : Michèle Audette, du Québec.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique et du territoire visé par le Traité no 6, la meilleure partie de ce territoire.
Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne et sur la promotion, la protection et la réalisation des droits des peuples autochtones.
Plus précisément, nous examinons si les mécanismes existants pourraient être améliorés ou si de nouveaux mécanismes sont nécessaires, y compris des mécanismes propres aux Autochtones.
J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Du Tribunal canadien des droits de la personne, nous accueillons Jennifer Khurana, présidente. Wela’lin. Je vous remercie, madame Khurana, de vous joindre à nous aujourd’hui. Vous disposerez d’environ cinq minutes pour votre déclaration préliminaire. Elle sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs.
Madame Khurana, la parole est à vous.
[Français]
Jennifer Khurana, présidente, Tribunal canadien des droits de la personne : Honorables sénateurs et sénatrices, merci de votre invitation.
Je tiens d’abord à reconnaître que je m’adresse à vous depuis le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je le remercie de partager ce territoire avec nous.
J’aimerais également rendre hommage aux survivantes et survivants ainsi qu’aux familles qui ont courageusement partagé leur vérité dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Leur contribution a conduit à l’élaboration des appels à la justice dont nous discuterons aujourd’hui.
Je tiens également à saluer les voix des peuples autochtones qui contribuent à votre étude sur l’efficacité du cadre existant en matière de droits de la personne. Bien que je sois ici pour répondre à vos questions et pour parler du tribunal, je suis également ici pour écouter ceux et celles qui cherchent à accéder à la justice en matière de droits de la personne. Leur avis est au centre de toute démarche visant à aller de l’avant. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion d’apprendre avec vous.
Le Tribunal canadien des droits de la personne est un tribunal administratif. Nous travaillons indépendamment du gouvernement, ce qui signifie qu’aucun ministre ni aucun autre fonctionnaire ne peut dicter au tribunal la façon de trancher les affaires dont il est saisi. Nous sommes responsables devant la population canadienne et rendons compte de nos activités au Parlement par l’entremise du ministre de la Justice.
Le tribunal entend des affaires de discrimination qui mettent en cause des organisations sous réglementation fédérale. Les membres du tribunal, qui sont les décideurs, instruisent les plaintes de discrimination qui nous sont renvoyées par la Commission canadienne des droits de la personne. Si le tribunal conclut qu’il y a eu discrimination, il peut se prononcer sur les mesures de réparation.
Outre son mandat de statuer sur les plaintes de discrimination, le tribunal s’est également vu confier des mandats spécialisés en vertu de la Loi sur l’équité salariale et de la Loi canadienne sur l’accessibilité.
La plupart des parties plaignantes n’ont pas accès à un soutien juridique. Elles peuvent soutenir avoir subi de la discrimination fondée sur plusieurs motifs, dont des allégations de discrimination systémique. En revanche, les parties intimées sont généralement de grandes organisations représentées par des avocats.
[Traduction]
Comme vous le savez, un grand nombre des plaintes dont traite le tribunal sont des dossiers complexes qui font appel à de nouveaux domaines du droit. Elles impliquent souvent un grand nombre de documents ; le processus de divulgation des renseignements peut être très long. Nous devons également tenir compte des besoins des parties vulnérables et marginalisées qui sont confrontées à de nombreux problèmes en matière de santé et de ressources et qui peuvent trouver toute procédure judiciaire difficile d’accès.
Le tribunal est un petit organisme. Nous ne comptons que cinq membres à temps plein, dont un vice-président et moi-même, et huit membres à temps partiel qui travaillent depuis divers endroits au pays. Notre travail est toutefois très important pour les gens qui s’adressent à nous pour obtenir des réponses.
L’année dernière, la Commission canadienne des droits de la personne nous a renvoyé 140 nouvelles plaintes, et le nombre de dossiers que nous recevons chaque année ne cesse d’augmenter. Depuis 2020, le nombre de plaintes reçues au tribunal a augmenté de plus de 70 % comparativement aux trois années précédentes.
Pour répondre à cette augmentation et utiliser des approches exemptes de confrontation pour régler les différends, nous collaborons avec les parties pour résoudre les plaintes en dehors du processus d’audience. La médiation constitue une part importante de notre travail et permet aux parties de décider du résultat et de faire preuve de créativité dans la recherche de solutions qui pourraient ne pas être offertes à la fin d’une audience.
Chaque année, nous réglons entre 55 % et 70 % de nos dossiers à l’aide de la médiation. Nous continuerons à développer d’autres méthodes de résolution des plaintes dans la mesure du possible.
J’ai eu le privilège d’être nommée présidente du tribunal au printemps dernier, il y a un peu plus d’un an. Depuis que j’occupe ce poste, nous avons simplifié et accru nos services de médiation. Nous avons également formé les membres du tribunal pour qu’ils rédigent des décisions plus faciles à comprendre. Nous avons renforcé les compétences essentielles du tribunal dans les domaines qui favorisent un accès utile à la justice, à savoir une gestion active du processus décisionnel, une gestion efficace des instances et l’utilisation d’un langage clair. Nous avons offert des formations à nos membres sur les processus inclusifs et respectueux qui tiennent compte des traumatismes.
Au cours de la prochaine année, nous solliciterons les commentaires des personnes qui ont eu recours à nos services afin d’éclairer tout changement dans la manière dont nous fournissons ces services. Nous nous efforcerons de réduire les retards, de faire avancer les dossiers de manière plus efficace et proportionnée et de concevoir des outils pour aider les gens à s’y retrouver dans le système.
J’ai travaillé dans des tribunaux de justice sociale et de droits de la personne qui recevaient beaucoup de dossiers aux échelles provinciales et fédérale, et je crois fermement en la justice administrative en tant que service. Par contre, les efforts qui visent à améliorer ces services doivent refléter les besoins de ceux qui cherchent à y accéder plutôt que de se fonder sur ce qui est le mieux selon les avocats et autres parties prenantes qui travaillent dans le système. Après tout, il ne s’agit pas de nous.
Le tribunal est redevable aux personnes qui se présentent devant lui pour obtenir un accès efficace et rapide à la justice. Nous devons recueillir leurs commentaires pour instaurer la confiance.
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie, madame Khurana. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie de votre présence. Diriez-vous que le sous-financement fédéral des services sociaux dans les communautés autochtones constitue une violation des droits de la personne? Indépendamment de cette réponse, existe‑t-il des groupes démographiques précis au sein de la population autochtone qui sont touchés de manière disproportionnée — les femmes, les personnes LGBTQ+, les personnes handicapées —, et existe-t-il un moyen de garantir que ces groupes pourront éventuellement bénéficier d’un accès équitable à ces services?
Mme Khurana : Je vous remercie de votre question. D’emblée, je pense qu’il est important de souligner qu’en tant que présidente du tribunal et en tant que décideurs, notre mandat est d’entendre les causes qui nous sont soumises par la Commission canadienne des droits de la personne. Je ne peux donc pas me prononcer sur un dossier qui pourrait ou non nous être renvoyé ou qui pourrait être une affaire en cours ou une affaire que nous avons déjà entendue devant le tribunal.
Par contre, je dirai que les tribunaux sont des systèmes fondés sur l’affrontement. On y intente des poursuites. Les parties se présentent devant nous pour plaider, et nous rendons des décisions en nous fondant sur les preuves, les observations et tout autre élément que nous présentent les parties, au cas par cas.
La sénatrice Sorensen : Je vous remercie.
Le président : Madame Khurana, à votre avis, comment des mécanismes propres aux Autochtones, comme un ombudsman ou un tribunal national des droits des Autochtones, interagiraient-ils avec les mécanismes en place actuellement, comme le Tribunal canadien des droits de la personne?
Mme Khurana : Je vous remercie de la question, monsieur le sénateur. Comme j’y ai fait allusion dans ma déclaration liminaire, les questions relatives à la pertinence des nouveaux mécanismes devraient s’adresser d’abord et avant tout, je pense, à ceux qui veulent accéder à ces services et qui tentent d’obtenir justice à l’aide des mécanismes que nous offrons.
Compte tenu de mon rôle de présidente du tribunal, il ne m’appartient pas non plus de dire au Parlement quelle est la meilleure façon de procéder pour modifier les mécanismes existants, mais bien sûr, si des changements sont apportés, ma responsabilité sera de veiller à leur mise en œuvre et de superviser toute modification législative.
Évidemment, notre rôle est d’appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou LCDP, et toute autre loi existante.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Dans votre témoignage, vous avez mentionné que vos services tiennent compte des traumatismes. Pouvez-vous me donner des précisions à ce sujet et m’expliquer en quoi vos services tiennent compte des traumatismes? Comment y parvenez-vous?
Mme Khurana : Je vous remercie de la question. Depuis 2021, lorsque de nouveaux membres sont nommés, nous veillons à ce qu’ils suivent une formation normalisée et soient encadrés. Nous assurons également de la formation et un perfectionnement professionnel continus. Il s’agit notamment de se doter de processus inclusifs et respectueux qui tiennent compte des traumatismes. Je peux vous donner quelques exemples tirés du contexte des audiences.
Lorsqu’une audience est sur le point de commencer, un membre du tribunal aura déjà consulté et travaillé avec les parties pour comprendre leurs besoins. Des conseillers et des personnes-ressources doivent donc être disponibles pour les témoins et les gens qui vont participer aux audiences afin de s’assurer qu’ils reçoivent le soutien dont ils ont besoin.
Dans un autre contexte, que ce soit lors d’une médiation ou dans le cadre d’une procédure judiciaire, des aînés ont pu s’adresser aux participants et leur donner leur point de vue sur les besoins de la communauté et les mesures de soutien qui leur sont offertes.
Ensuite, nous voulons nous assurer que l’espace dans lequel se tiennent les audiences est le plus sûr, le plus équitable et le plus inclusif possible, et qu’il est adapté aux parties concernées. Chaque décideur, dans sa gestion d’instance, demandera aux parties ce dont elles ont besoin pour que le processus soit sûr et accessible pour tous, car nous savons que la nature des plaintes que nous traitons fait que le processus est éprouvant pour toutes les parties.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie de votre présence. Vous avez parlé de l’augmentation du nombre de plaignants, je crois. Pourriez-vous, maintenant ou plus tard, nous donner une idée des gens qui déposent des plaintes? Nous nous intéressons surtout à la proportion de plaignants autochtones. Recueillez-vous de telles données qui pourraient être mises à notre disposition?
Mme Khurana : Je vous remercie, monsieur le sénateur. J’ai vérifié et je vais vous donner un exemple. Tout à l’heure, j’ai dit qu’en 2022, la Commission canadienne des droits de la personne nous avait renvoyé 140 nouvelles plaintes, et 21 % de ces plaintes concernaient des Autochtones. Je dois dire « à notre connaissance », car ce chiffre repose sur des déclarations volontaires. En outre, tout dépend de la nature de la plainte, donc ce chiffre pourrait être plus élevé.
Je vais vous donner un exemple concret. Nous pourrions recevoir une plainte qui concerne une personne qui allègue avoir été victime de discrimination de la part de son employeur, en raison d’un handicap. Cette personne pourrait également être autochtone ou présenter d’autres caractéristiques protégées par la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais elle ne s’identifiera peut-être pas comme telle. Il s’agit donc des renseignements dont nous disposons.
Bien entendu, la proportion de plaintes reçues par la commission est nettement plus élevée. Aujourd’hui, je ne parle que des plaintes qui nous ont été renvoyées, soit 140. Je crois comprendre, d’après les statistiques de la commission pour l’année 2022, qu’elle a accepté 763 nouvelles plaintes en 2022, mais les plaintes que nous aurions reçues cette année-là auraient en grande partie et presque exclusivement été reçues par la commission bien avant 2022.
Le sénateur D. Patterson : Ces renseignements se trouvent-ils dans un rapport?
Mme Khurana : Oui, nous présentons des rapports annuels. Pour ce qui est des renseignements sur la proportion de plaignants autochtones, je peux certainement vous les fournir par écrit si cela peut vous aider. Je ne sais pas si le rapport annuel ventile les données de cette façon, mais je me ferai un plaisir de vous le fournir après cette réunion.
Je crois savoir que des représentants de la commission témoigneront et ils pourront probablement vous donner une meilleure idée du type de plaintes qu’ils ont reçues.
Le sénateur D. Patterson : Je vous remercie. Nous vous en serions reconnaissants. Vous pourrez envoyer ces renseignements à la greffière.
Mme Khurana : Bien sûr. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie.
Madame Khurana, le 28 mars 2023, Naiomi Metallic a expliqué au comité qu’une personne ne peut pas déposer une plainte relative aux droits de la personne à la fois contre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial. Il existe un chevauchement de compétences entre les gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui signifie que les plaintes en matière de droits de la personne peuvent couvrir plusieurs champs de compétences.
Quels services ou soutiens sont offerts pour aider les plaignants à s’y retrouver dans le cadre canadien des droits de la personne parmi plusieurs administrations? Si aucun n’est disponible, quel système ou quelle structure faudrait-il mettre en place?
Mme Khurana : Je vous remercie de votre question. En effet, nous sommes bien conscients qu’il peut être difficile pour quelqu’un de s’y retrouver entre les différents recours possibles. Je sais que mes collègues des tribunaux provinciaux sont présents aujourd’hui. Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a certainement ouvert la voie à un dialogue sur les besoins des peuples autochtones, en particulier, en ce qui concerne l’accès à leurs services.
Une façon d’aider les plaignants est de travailler avec nos partenaires dans toutes les provinces, même en ce qui concerne la transmission de renseignements, et de mettre sur pied un système qui permet aux plaignants de savoir vers qui se tourner afin qu’ils ne frappent pas à la mauvaise porte ou qu’on doive leur dire qu’ils se trouvent au mauvais endroit.
Je vais occuper ce poste pendant encore six ans, et l’une de mes priorités est de demander de l’aide pour créer des outils qui permettront aux parties de naviguer dans ce système. Ces outils sont utilisés dans d’autres tribunaux, de manière proactive, sans attendre que les gens posent des questions ou ne soient perdus. Ils tentent plutôt de tendre la main à ceux qui ont choisi de déposer des plaintes et de les aider à comprendre le processus.
J’aimerais ajouter qu’il nous incombe, à tous ceux d’entre nous qui sont des décideurs et des membres du tribunal, d’employer des processus décisionnels actifs. Il ne faut pas attendre le début de l’audience pour expliquer le fonctionnement de la procédure. Il faut agir en amont. Dans nos établissements, et en particulier dans les organismes de défense des droits de la personne, nous avons une responsabilité accrue de fournir des renseignements en amont, sachant que la majorité des plaignants se représentent eux-mêmes, et qu’à l’inverse, la majorité des défendeurs sont très bien représentés.
Le président : Je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice Martin : À vrai dire, j’allais poser cette question. J’étais curieuse de savoir dans quelle mesure votre institution collabore avec des organismes de défense des droits de la personne d’autres administrations canadiennes. À quoi cette collaboration ressemble-t-elle sur une base annuelle et mensuelle?
Mme Khurana : Je suis certaine que nous serions tous... Je sais que certains de mes collègues qui représentent les organismes des droits de la personne sont ici aujourdrhui. Nous échangeons de manière informelle. Chaque tribunal travaille à la mise en œuvre et à l’exécution de son mandat en respectant son propre cadre législatif, de sorte qu’il n’y ait pas de chevauchement à cet égard. C’est ce que j’entends lorsque je dis qu’il faut trouver des moyens de travailler ensemble de manière proactive. Nous avons des échanges informels, suivant certaines des recommandations formulées par mes collègues de la Colombie-Britannique. Cela nous permet de fournir des informations concrètes de façon proactive aux parties afin qu’elles sachent quand présenter une demande ou déposer une plainte auprès d’un tribunal provincial et quand la commission est l’établissement vers lequel elles doivent se tourner.
La sénatrice Martin : Si une question relève de plusieurs instances gouvernementales — il y a donc une composante provinciale et une composante fédérale —, comment peut-on s’y retrouver dans le traitement de cette plainte, et savoir de quelle administration elle relève?
Mme Khurana : En ce qui concerne notre rôle au tribunal, comme vous le savez, la Commission canadienne des droits de la personne est le premier point de contact pour toutes les plaintes. Elle reçoit donc... Comme je l’ai dit, la proportion augmente nettement d’une année à l’autre. L’année dernière, il y a eu 763 plaintes. Nous ne sommes saisis que des plaintes qui ont été retenues par la Commission canadienne des droits de l’homme. Elle peut décider de renvoyer ou non une plainte au tribunal. Elle prend évidemment ces décisions en tant qu’organisme indépendant.
Ce test est donc en partie... Je laisserai la commission vous fournir une réponse plus complète et plus précise, mais il s’agit en partie de s’assurer que c’est bien le tribunal qu’il convient de saisir et que l’enjeu est de compétence fédérale.
De notre côté, lorsque nous sommes saisis d’une plainte, nous menons une enquête en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne; nous accomplissons donc le travail qui nous est confié.
La sénatrice Martin : J’ai une petite question. Fournissez-vous des services ou traitez-vous les affaires dans d’autres langues, peut-être dans la langue du plaignant? Disposez-vous des ressources nécessaires?
Mme Khurana : Oui, absolument. Bien sûr, nous fournissons des services et avons à ce titre l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Nous travaillons évidemment avec les parties pour veiller à ce qu’elles puissent communiquer dans n’importe quelle langue. L’avènement des audiences par vidéoconférence a facilité les choses à bien des égards, car les services d’interprétation de toutes sortes, y compris l’ASL — la langue des signes américaine —, sont de plus en plus accessibles, et ce, en temps voulu, dans tout le pays. Nous le faisons donc. Qu’il s’agisse d’une médiation ou d’une audience, nous fournirons les services nécessaires pour que les parties puissent participer pleinement et équitablement.
[Français]
La sénatrice Audette : Merci d’être parmi nous. Je suis convaincue que vous savez qu’il y a des appels à la justice qui me sont très chers dans le rapport de l’ENFFADA, en ce qui concerne le tribunal et l’ombudsman.
Vous parlez d’un certain pourcentage de gens autochtones ou de communautés autochtones; pour vous c’est évident. Combien de démarches ont été gagnantes pour les personnes qui ont dénoncé? Est-ce que le processus chez vous a fait en sorte que justice a été rendue? Dans le cadre des appels à la justice, où on propose un tribunal autochtone et un ombudsman, voyez-vous quelque chose d’important et de bon pour les Premières Nations et une collaboration advenant que cela arrive? Je rêve que cela arrive. Je ne veux pas vous influencer.
Mme Khurana : Merci beaucoup, madame la sénatrice. En ce qui concerne votre première question, qui concerne les statistiques sur les dossiers des parties plaignantes qui sont des personnes autochtones qui auraient eu gain de cause, je vais la prendre en note et vous faire parvenir la réponse par l’intermédiaire de votre greffière, si cela vous convient.
Pour ce qui est de la proposition d’un ombudsman, comme je l’ai dit au début, le plus important est de vérifier auprès des parties ou des personnes autochtones qui ont déjà essayé d’accéder à la justice ce qui leur manque. Est-ce qu’il y a eu des barrières, des obstacles? Je sais que le comité a déjà entamé ce travail et va continuer sur cette voie.
Par contre, je peux dire que si l’ombudsman jouait un rôle qui permettrait de combler un vide d’information et de sensibilisation, et de guider — on sait bien que les processus juridiques peuvent être assez complexes pour les parties qui s’adressent à nous —, alors c’est certainement un rôle que et le tribunal et un ombudsman, ou les gens qui peuvent accompagner les parties devant les tribunaux pourraient jouer.
Sinon, le choix revient au Parlement, mais le besoin de sensibilisation, d’information et d’un guide pour accompagner les parties existe, c’est certain.
[Traduction]
La sénatrice Hartling : Merci de votre présence. C’est très intéressant. Revenons aux 140 cas. Pouvez-vous me décrire le processus? Comment cela se passe-t-il? Si je suis la personne qui a fait une plainte, comment puis-je savoir quelle est la procédure? Comment suis-je orientée vers les personnes qui vont m’aider, vers mon conseiller juridique? Si je décide de me défendre moi-même, comment cela fonctionne-t-il? Et combien de temps faut-il pour parvenir à une résolution?
Mme Khurana : Je vais essayer de vous en donner les grandes lignes.
Si votre plainte nous est transmise par la Commission canadienne des droits de la personne, nous commençons par l’examiner. Vous ne déposez pas votre plainte directement auprès de nous. C’est la Commission canadienne des droits de la personne qui nous la transmet. Dans tous les cas, nous offrons d’abord aux parties la possibilité de recourir à la médiation. À cet égard, nous avons constitué, au cours de la dernière année, une liste de médiateurs expérimentés en matière de droits de la personne. Ce sont d’anciens arbitres qui possèdent une vaste expérience dans ce domaine et qui peuvent ainsi apporter des perspectives différentes aux parties dans leurs efforts pour travailler avec elles selon des méthodes novatrices. C’est ce que nous faisons. En général, nous pouvons proposer assez rapidement la médiation, dès que les parties nous ont fourni quelques renseignements de base sur le dossier afin que le médiateur connaisse les tenants et aboutissants de l’affaire, dans un délai de trois ou quatre mois. Nous pouvons le faire dans un délai très court pour les parties, et nous le proposons toujours au cours du cycle de traitement du dossier.
Si les parties ne parviennent pas à résoudre leur litige... La médiation aboutit parfois à un règlement complet, mais il arrive aussi que le litige ne soit réglé qu’en partie. La médiation est toujours utile, bien sûr, parce qu’elle permet de réduire le nombre d’audiences et de résoudre certains problèmes. Une fois l’étape de la médiation terminée, je confie le dossier à un arbitre.
Nous avons en effet du retard dans le traitement des dossiers à l’heure actuelle. J’ai mentionné précédemment que nous sommes cinq à travailler à temps plein pour traiter l’ensemble des affaires du tribunal et que nous avons également quelques personnes à temps partiel.
Vous vouliez connaître les délais. Il faut compter au moins six mois avant que je puisse confier une affaire à un membre. Le tribunal travaille d’arrache-pied pour recruter et attirer des membres supplémentaires. La Loi canadienne sur les droits de la personne nous permet de passer à un effectif complet de 18 membres. Cela contribuerait certainement à réduire les délais.
Pour ce qui est de la durée de la procédure et de ce qui se passe ensuite, le tribunal ne propose pas de clinique juridique ni d’aide juridique. Certaines parties choisissent de se faire assister par un avocat et ont la capacité de le faire. La majorité d’entre elles, cependant, se représentent elles-mêmes. L’année dernière, environ 57 % des parties se sont représentées elles-mêmes. Ces personnes peuvent avoir des questions sur la procédure. Nous essayons de leur fournir des guides et des explications, mais c’est sur ce point que nous avons du travail à faire. C’est à cette fin que j’ai absolument besoin de soutien pour développer de meilleurs outils pour nos parties, dans un langage plus simple qui n’est pas du jargon juridique et que les gens peuvent comprendre quand ils prennent connaissance de la procédure.
C’est à partir de ce moment-là que toute la procédure juridique commence. Si l’affaire n’est pas résolue, des plaidoiries sont déposées. Si un arbitre est désigné, il se met dès le départ à travailler avec les parties pour cerner les problèmes et, avec un peu de chance, en résoudre certains.
En ce qui concerne le temps qu’il faut pour obtenir une audience, cela dépend en partie de l’existence ou non d’enjeux préliminaires. Il y a parfois des motions concernant la portée de la plainte renvoyée par la commission, des motions visant l’ajout d’allégations, ou l’ajout d’une partie, ou encore la divulgation de renseignements. C’est souvent là qu’il y a des questions difficiles à résoudre.
J’ai examiné les chiffres. À cause de tous ces éléments préalables, je crois que la moyenne pour les audiences que nous avons tenues entre 2018 et 2022 a été de 600 jours entre le moment où la plainte a été reçue et le premier jour de l’audience. Je me ferai un plaisir de vous parler des autres raisons qui peuvent expliquer ce délai. J’y ai fait allusion, mais les délais sont un aspect qui nous pose problème. Je me ferai un plaisir d’en parler plus en détail si vous avez une question complémentaire.
La sénatrice Hartling : On dirait qu’il faut plus de ressources et de personnel.
Mme Khurana : Ce n’est assurément pas rare à l’échelle de nos systèmes judiciaires, mais il y a des choses qui requièrent des ressources et d’autres non. C’est là que j’ai commencé, car ce ne sont pas toutes les mesures susceptibles de simplifier et de réduire les délais qui nécessitent des ressources supplémentaires. Par exemple, j’ai mentionné précédemment la formation de nos membres à la prise de décision active et l’importance de veiller à ce que les systèmes et les processus dont nous disposons soient mieux proportionnés aux questions en litige.
J’essaie de mettre en place une fonction de tri des dossiers de sorte que nous puissions concentrer notre temps et notre énergie sur certains dossiers qui prendront plus de temps à franchir les étapes de notre processus, tandis que d’autres pourront être traités de manière plus expéditive. Il s’agit toujours d’un exercice d’équilibre. Bien entendu, les parties ont le droit d’être entendues.
Certains de ces dossiers, comme vous le savez, concernent des allégations de discrimination systémique complexes. Les parties doivent vraiment pouvoir raconter leur histoire, et nous devons également veiller à ce qu’elles disposent de ce qu’il leur faut pour se préparer de manière adéquate à leur comparution devant le tribunal, pour ainsi dire. Nous concilions cela avec la nécessité de procéder le plus efficacement possible.
La sénatrice Hartling : Merci.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Je m’excuse d’avoir manqué le début de vos propos. J’aimerais poursuivre dans la même veine que mes collègues et en fonction de la direction dans laquelle vous nous avez amenés. Vous avez mentionné qu’il reste six années à votre mandat, ce qui est une excellente chose. Vous avez déjà défini des mesures que vous pourriez prendre, notamment le tri des dossiers et la simplification des moyens de traiter les dossiers plus simples afin de pouvoir consacrer du temps aux questions plus complexes, et la préparation de guides accessibles pour les personnes qui font l’expérience d’un tribunal tel que le vôtre. Franchement, peu de gens le feraient. Ce sont là quelques innovations.
Bien sûr, vous avez mentionné que vous auriez probablement besoin de ressources humaines supplémentaires. Avez-vous d’autres choses à nous dire qui, selon vous, contribueraient vraiment à la simplification? La simplification est une chose. Souhaitez-vous nous faire part d’autres améliorations que vous envisagez d’apporter au cours de ces six années, outre le cheminement des différents dossiers à travers la procédure?
Mme Khurana : Oui. Merci de votre question, sénatrice. Je pense que votre dernier commentaire me permet d’amorcer ma réponse. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, nous savons qu’il y a des choses qui amélioreraient les systèmes — réduire les délais, rendre les choses moins complexes, écrire en langage clair, rendre les décisions et les motifs plus faciles à comprendre pour les parties et pas seulement pour les tribunaux —, et ce sont toutes des choses que j’ai déjà commencé à mettre en place, en développant le processus de médiation.
La première chose à faire — et c’est vraiment sur ce point que j’ai demandé du soutien et auquel nous allons travailler cette année —, c’est d’écouter les parties, d’organiser des consultations appropriées avec les parties prenantes, mais surtout d’élaborer une stratégie globale pour atteindre les populations autochtones, comprendre les difficultés rencontrées, savoir ce qui manque et connaître les lacunes. Tout changement est réellement axé sur ce que nous entendons et ce qui nous est rapporté à propos des besoins de nos utilisateurs. Je commencerai par là.
Vous avez certainement raison de dire qu’il y a deux aspects aux ressources. Le premier consiste à garantir que vous êtes en mesure de continuer à traiter vos dossiers. Vous avez entendu parler de l’augmentation du nombre de dossiers. C’est un fait.
Nous avons également deux nouveaux mandats, au Tribunal canadien des droits de la personne, soit l’équité en matière d’emploi et la Loi canadienne sur l’accessibilité. L’autre aspect consiste à apporter des changements plus transformateurs. Nous devons simplement veiller à ce que les dossiers avancent et à ce que cela se fasse d’une manière inclusive, respectueuse et accessible, ce qui constitue en quelque sorte notre mandat de base.
Avec les ressources actuelles, comme je le mentionne dans le message qui accompagne mon rapport annuel, il ne sera pas possible d’apporter des changements significatifs en matière d’accès à la justice et de transformer le tribunal.
Il y a d’une part les arbitres, et je suis ravie que ce processus soit en cours et qu’il fonctionne bien. D’autre part, il y a tout l’aspect du service public et du soutien au tribunal. Je n’ai ni pouvoir ni délégation en matière de finances et de ressources humaines. Cela relève du Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs, également appelé le SCATA, qui soutient notre tribunal. Je vais certainement travailler avec eux et faire des demandes pour m’assurer que notre tribunal reçoit le soutien nécessaire pour faire les deux choses, c’est-à-dire faire avancer les dossiers, mais aussi faire en sorte que le service fonctionne pour les parties qui comparaissent devant nous.
La sénatrice Coyle : Merci.
La sénatrice Greenwood : Merci pour vos propos et votre déclaration. J’ai plusieurs questions. J’aimerais vraiment poser une question sur les services qui tiennent compte des traumatismes et qui sont respectueux de la culture, mais je ne vais pas le faire. Je vais me retenir et laisser cette question à la sénatrice LaBoucane-Benson, car je sais qu’elle veut aborder ce sujet.
En 2013 et 2014, la Commission canadienne des droits de la personne a organisé des tables rondes avec des femmes autochtones et des organisations autochtones. Elles ont porté sur l’accès aux institutions des droits de la personne et sur l’accès à la justice.
Cela fait suite à la question posée par la sénatrice Coyle. Ces tables rondes ont permis de relever plusieurs obstacles, par exemple les ressources humaines et financières, la confidentialité, la revictimisation, et ainsi de suite.
Pourriez-vous nous dire comment la commission — le tribunal — s’est employée à lever certains des obstacles identifiés dans les rapports? Avez-vous des données ou des renseignements sur les changements survenus pour les femmes autochtones dans les organisations? Je sais qu’il s’agit de concepts très vastes pour lesquels les stratégies sont multiples, mais est-ce qu’il y a eu des progrès, et est-ce qu’il y a des données qui montrent que nous changeons les choses?
Mme Khurana : Je vous remercie de votre question, sénatrice. La table ronde dont vous parlez, je suppose, était avec la Commission canadienne des droits de la personne. Bien qu’il s’agisse d’un organisme distinct et indépendant, je suis sûre que certaines des préoccupations que vous avez soulevées... Je ne connais pas leur rapport ni les détails des discussions, mais les parties qui ont déposé leurs plaintes auprès de la commission sont les mêmes que celles qui finiront par se présenter devant le tribunal. Comme je ne suis pas au courant du travail qu’ils ont réalisé, je ne peux pas faire de comparaison. Je dirai toutefois que ces préoccupations s’appliquent également à nous.
En ce qui concerne la confidentialité, je peux dire que si la procédure du tribunal est publique, à la commission, les parties peuvent avoir des discussions confidentielles. Notre procédure est, bien entendu, publique lorsqu’il s’agit d’une audience du tribunal. C’est également la raison pour laquelle nous proposons une médiation à tous les stades de la procédure. Si les parties veulent avoir des discussions confidentielles et régler leur affaire ou une partie de leur plainte dans ce type d’espace — j’ai parlé de solutions créatives, précédemment —, elles peuvent le faire d’une manière qui ne serait peut-être pas possible à la fin de l’audience.
Les membres du tribunal sont tenus d’appliquer les dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne et de se fonder sur les preuves et les observations qu’ils entendent, alors que dans le cadre d’une médiation confidentielle, les parties peuvent faire preuve d’autant de créativité qu’elles le souhaitent pour trouver différentes options susceptibles de les aider à aller de l’avant et à tourner la page sur la plainte.
La sénatrice Greenwood : Je pense à la revictimisation et à certaines stratégies, qu’elles soient confidentielles ou publiques. Comment protéger les individus dans ce contexte?
L’autre élément est l’éducation du public et des personnes qui s’engagent dans cette procédure. C’est comme aller aux urgences d’un hôpital. Parfois, vous ne savez pas où cela va vous mener. Comment éduquer les gens sur ce qu’est la procédure et ce qu’elle permet de faire? Je sais que c’est une question d’éducation du public. Avec une si petite équipe, comme vous le dites, comment faites-vous pour tout faire?
Mme Khurana : Pour ce qui est de la première partie de votre question, concernant la sécurité du processus et la volonté de ne pas revictimiser les participants à notre processus, c’est prioritaire pour tous les arbitres. J’ai mentionné la formation que tous les membres reçoivent lorsqu’ils sont nommés. En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, pour être nommé membre du tribunal, il faut posséder de l’expérience en matière de droits de la personne, y être sensible et les comprendre. Heureusement, les membres qui sont nommés au tribunal viennent nécessairement avec cette expérience et une certaine sensibilité aux défis et aux difficultés que posent les affaires dont nous sommes saisis.
Par ailleurs, et en tout cas depuis que j’occupe cette fonction, nous avons investi dans l’examen de ces aspects avec les membres et consacré beaucoup de temps à la formation afin de comprendre comment nous pouvons atténuer ces difficultés dans la salle d’audience et dans le langage que nous utilisons, tout en agissant de manière équitable et impartiale pour toutes les parties. La procédure est donc sûre et accessible, et donne l’impression que, quelles que soient les difficultés rencontrées, il est possible de raconter son histoire et d’être entendu, peu importe l’issue de la procédure.
C’est un aspect auquel les membres travaillent. Nous nous encadrons les uns les autres et mettons en commun notre expérience. Vous avez mentionné la petite taille du tribunal. C’est possible. En tant qu’arbitres, nous sommes très privilégiés de faire ce travail, mais c’est un rôle qui nous isole à bien des égards, car la plupart du temps, nous siégeons seuls dans un tribunal formé d’une seule personne. Nous essayons de mettre en commun des stratégies pour faire en sorte que nos espaces d’audience et de médiation soient sûrs, inclusifs et respectueux. J’ai mentionné plus tôt quelques exemples de ce que les arbitres ont fait pour essayer de comprendre les besoins des parties.
La sénatrice Greenwood : Merci.
Le président : Madame Khurana, est-ce que le Tribunal canadien des droits de la personne a du matériel d’éducation publique adapté aux Autochtones sur le cadre canadien des droits de la personne? Le tribunal a-t-il intensifié ses initiatives d’éducation publique auprès des communautés autochtones? Dans l’affirmative, quels ont été les résultats de l’évaluation?
Mme Khurana : Je vous remercie de votre question. J’ai mentionné tout à l’heure, en réponse à l’une des autres questions sur les priorités et le domaine dans lequel je souhaite demander du soutien, que ce serait pour une stratégie plus large d’écoute et de compréhension des besoins des peuples autochtones et des autres utilisateurs de notre système, mais il n’existe pas de matériel particulier à ce sujet. L’information sur le site Web fait aussi partie des priorités de cette année, le but étant de modifier le contenu pour le rendre plus accessible. En effet, c’est un domaine dans lequel le tribunal a encore beaucoup de travail à faire.
Dans la deuxième partie de votre question, vous avez mentionné l’éducation du public.
Le président : Oui. Est-ce que le tribunal a intensifié ses initiatives d’éducation du public avec les communautés autochtones? Dans l’affirmative, quels ont été les résultats de l’évaluation?
Mme Khurana : Merci. Plus généralement, j’ai mentionné les consultations des parties prenantes, mais aussi le besoin de concentrer nos efforts et notre mobilisation sur les communautés autochtones et les peuples autochtones qui revendiquent leurs droits et se présentent devant le tribunal. Une de vos collègues a mentionné ce problème des ressources limitées dont nous disposons. Je vais demander de l’aide au Service canadien d’appui aux tribunaux administratifs, ou SCATA, pour notamment entreprendre une initiative s’apparentant à celle qu’ont réalisée nos collègues de la Colombie-Britannique.
La sénatrice LaBoucane-Benson : J’aimerais aborder précisément la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je sais qu’on pourrait dire qu’elle a été mise à jour en 2021, mais c’est tout de même une loi de 1985. Je crois que notre compréhension juridique, éthique et sociale des droits de la personne a évolué depuis 1985. Je sais que la mienne a changé.
J’aimerais savoir si vous avez des opinions quant à l’approche que notre comité devrait adopter pour étudier cette loi. Je me demande si vous avez des conseils sur ce qui devrait retenir notre attention ou peut-être ce qui devrait être modernisé.
Mme Khurana : Je vous remercie de la question. En tant que présidente du tribunal et en tant qu’arbitre, j’applique la loi telle qu’elle existe actuellement. Vous avez fait référence à des mises à jour liées aux nouveaux mandats établis par la Loi sur l’équité salariale et la Loi canadienne sur l’accessibilité. Par le passé, des études — y compris le rapport La Forest — se sont penchées sur certains des enjeux abordés aujourd’hui à ce comité par rapport à la représentation juridique. À l’époque, d’autres questions se posaient sur le système canadien des droits de la personne : les retards, l’accessibilité, la manière de déposer des plaintes, les recours offerts en vertu de la loi.
Je ne peux suggérer au Parlement comment modifier la loi, mais j’ai énuméré des domaines qui ont été examinés par le passé dans d’autres études. En fait, vos questions ont soulevé ces mêmes enjeux.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Si vous étiez sénatrice et si on vous posait la question aujourd’hui, recommanderiez-vous que ce comité étudie et, peut-être, recommande des mises à jour?
Mme Khurana : Bien que je ne puisse pas recommander de dispositions précises et que je doive appliquer la loi dans sa forme actuelle, je crois que ce sont des facteurs à prendre en considération. Comme je l’ai dit, les témoins et les autres parties prenantes qui comparaîtront devant ce comité vous entretiendront des difficultés auxquelles ils se heurtent. Comme je l’ai souligné au début de la réunion, je suis toujours à l’écoute. Il est utile que nous, au tribunal, ayons connaissance de cette information. Étant donné mon rôle, je ne peux répondre à ces questions. J’écoute néanmoins les commentaires reçus, les problèmes vécus par les parties et leurs propositions de modifications législatives.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Audette : Madame Khurana, merci beaucoup. J’aimerais revenir à la charge, et ce, avec beaucoup d’amour. Je comprends mes collègues — et je dirais la même chose — vous avez besoin de ressources, de plus de gens et ainsi de suite. Plus on connaît votre travail, au moyen de la commission et jusqu’à vous, plus on aura de femmes canadiennes qui déposeront des plaintes contre des individus, et ainsi de suite.
Toutefois, il y a de la congestion et une approche qui requiert des programmes réparateurs et le savoir des peuples autochtones. Comment intervenir devant une personne qui vient de loin quand on n’a pas la formation, parce que l’université ne nous l’a pas offerte? Pensez-vous qu’au Canada, on peut avoir un tribunal pour les Autochtones qui collabore avec vous, justement pour désengorger et réduire les 600 jours et plus d’attente, sans toutefois vous obliger à suivre constamment de la formation en raison du manque de connaissances devant une situation qui n’est pas tout à fait naturelle?
On vise une collaboration avec ceux et celles qui détiennent ce savoir et qui sont familiers avec les approches autochtones dans un contexte canadien, pour que les deux tribunaux obtiennent des résultats permettant que la justice s’applique aux individus ou à une communauté.
Mme Khurana : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Effectivement, comme vous le dites, plus il y aura de sensibilisation, plus on aura de plaintes. D’ailleurs, les chiffres de la commission mettent en lumière cette sensibilisation aux droits de la personne, ce qui est très positif par rapport au savoir des parties plaignantes qui déposent des plaintes.
Pour ce qui est de votre question sur les mécanismes, à savoir comment collaborer, si le Parlement prend la décision en s’appuyant sur l’expertise que vous entendez ici et les témoignages des personnes autochtones qui comparaissent devant vous, le tribunal sera toujours prêt à collaborer pour comprendre comment gérer, de chaque côté, les compétences de chaque institution.
Je suis toujours ouverte à considérer comment on pourrait mettre en œuvre les changements législatifs qui seront adoptés par le Parlement.
Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Quelqu’un a-t-il d’autres questions? Comme personne n’intervient, nous avons terminé notre discussion avec ce témoin. J’aimerais encore une fois remercier Mme Khurana d’avoir été parmi nous aujourd’hui.
Dans notre deuxième groupe de témoins, nous recevons des représentants du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique : la présidente, Emily Ohler; et une membre, Amber Prince. Nous accueillons également les représentants de la Commission ontarienne des droits de la personne : la commissaire en chef, Patricia DeGuire; et la directrice des Politiques, de l’éducation, de la surveillance et de la sensibilisation, Juliette Nicolet. Finalement, nous recevons Kathryn Oviatt, présidente de la Commission albertaine des droits de la personne. Wel’alioq et merci à tous les témoins de se joindre à nous aujourd’hui. Je crois que Mme Prince va prononcer sa déclaration liminaire d’environ cinq minutes. Madame Prince, je vous invite maintenant à débuter.
Amber Prince, membre, Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup.
[mots prononcés dans une langue autochtone]
Tansi, boozhoo, kwey, shé:kon. Bonjour, je m’appelle Amber Prince, nehiyaw, moniyâw iskwew.
[mots prononcés dans une langue autochtone] Je suis membre de la Première Nation Sucker Creek visée par le Traité 8, mais j’ai grandi dans le territoire Lheidli T’enneh à Prince George, en Colombie-Britannique.
Je suis aussi membre du Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique et je suis accompagnée de notre présidente, Emily Ohler. Notre tribunal est situé dans les territoires non cédés des Salish de la côte, des Musqueam, des Squamish et des Tsleil-Waututh, mais nous servons l’intégralité de la province.
Kinanâskomitin. Les Anishinaabe, les Algonquins et les Mohawks ont toute ma reconnaissance. C’est un honneur de me trouver avec vous sur ce territoire. Je sais qu’Ottawa représente également un important lieu historique qui relie et rassemble les Métis, les Inuits et les Premières Nations de partout au Canada.
Nous sommes ici aujourd’hui pour vous entretenir du rapport majeur d’Ardith Walkem, conseillère du roi, qui est maintenant la juge Walkem. Elle a rédigé un rapport pour notre tribunal en 2020 afin d’examiner certaines des questions dont ce comité sénatorial est saisi. Son rapport s’intitule Expanding Our Vision: Cultural Equality & Indigenous Peoples’ Human Rights. Le rapport de la juge Walkem a conféré à notre tribunal la vérité et une feuille de route afin de transformer les processus du tribunal en un processus, pour reprendre ses mots, qui améliorera réellement la vie des peuples autochtones et qui protégera véritablement leurs droits de la personne distincts.
Dans son rapport, la juge Walkem a demandé la création de l’Expanding Our Vision Implementation Committee, soit le Comité de mise en œuvre de notre vision élargie, ou EOV. Il est composé d’une majorité de leaders autochtones de toute la Colombie-Britannique. Ce comité s’est avéré un phare pour notre tribunal et a illuminé un chemin que nous devons emprunter pour suivre la feuille de route de la juge Walkem. Depuis plus de trois ans, le comité EOV offre ses conseils, son temps, son expertise et son engagement pour les droits de la personne des peuples autochtones.
Le rapport de la juge Walkem ainsi que le comité EOV méritent une attention et une reconnaissance particulières. Ensemble, ils nous inculquent des enseignements incommensurables et précieux, et notre présence ici s’explique par le mandat clair que nous a confié le comité EOV pour vous parler du travail transformateur décrit dans notre mémoire. C’est un honneur de vous en faire part.
Nous soutenons aussi le comité EOV qui exprime des préoccupations sur ce processus. Ces préoccupations sont énoncées dans la documentation — dans notre mémoire — et se reflètent dans les recommandations que nous pouvons fournir aujourd’hui. Nous allons maintenant nous servir de notre temps limité pour faire la place aux voix et à l’expertise de notre comité EOV.
Le comité EOV formule ces six recommandations auprès du comité sénatorial. Tout d’abord, les travaux du comité sénatorial doivent respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le gouvernement du Canada a intégrée au droit canadien en adoptant la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Deuxièmement, le comité sénatorial doit consulter les peuples autochtones, et collaborer avec eux, pour veiller à ce que leurs voix soient entendues en priorité dans les travaux qui concernent leurs droits de la personne. Le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause doit être au cœur de ces discussions.
Troisièmement, la structure de consultation et de collaboration ne doit pas s’inscrire dans un processus colonial, doit être empreinte de sincérité et doit respecter les lois, traditions et protocoles des peuples autochtones. Les peuples autochtones doivent tenir les rênes de toute initiative ou de tout nouvel organisme qui a. doit être composé de dirigeants et de décideurs autochtones provenant de groupes métis, inuits et des Premières Nations; et b. doit se voir accorder en priorité des ressources durables et équitables.
Cinquièmement, le comité sénatorial doit assurer la coordination avec les autres comités qui travaillent à différents dossiers en vue de l’ascension des Autochtones tels que l’éducation, le logement, l’enfance, les familles, et d’autres. De plus, le comité sénatorial ne doit pas travailler en vase clos afin de répondre adéquatement à cet appel à la justice.
Sixièmement, et en dernier lieu, le comité sénatorial doit s’assurer qu’il est responsable et transparent en ce qui concerne la collecte d’information, le processus d’entrevue et les rapports subséquents sur les vues des Autochtones sur la question.
La juge Walkem et le Comité de mise en œuvre de notre vision élargie ont conféré à notre tribunal des connaissances pour orienter notre trajectoire. C’est un honneur de maintenant vous faire part de ce savoir.
[mots prononcés dans une autre langue] de cette occasion.
Le président : Merci, madame Prince. J’invite maintenant Mme DeGuire à prononcer sa déclaration liminaire.
Patricia DeGuire, commissaire en chef, Commission ontarienne des droits de la personne : Honorables sénateurs, je suis ravie d’être ici ce soir afin de représenter la Commission ontarienne des droits de la personne. Je suis accompagnée de Juliette Nicolet, la directrice des Politiques, de l’éducation, de la surveillance et de la sensibilisation pour la commission, qui répondra aux questions.
Je commence par reconnaître que c’est un honneur de discuter des droits de la personne des Autochtones en territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe, dont la présence et les contributions remontent à des temps immémoriaux. La Commission ontarienne des droits de la personne reconnaît que, depuis des milliers d’années, les communautés autochtones de partout sur le territoire adoptent des pratiques culturelles et des modes de vie distincts, y compris des traditions et des approches juridiques en matière de droits de la personne qui étaient implantées bien avant l’imposition des systèmes coloniaux.
Je reconnais et j’appuie l’occasion importante d’établir des partenariats avec les peuples et les organisations de Premières Nations, d’Inuits, de Métis et d’Autochtones en milieu urbain afin de remédier aux manquements des systèmes qui ne parviennent pas à respecter les droits de la personne des Autochtones.
En 2018, la Commission ontarienne des droits de la personne a coanimé un dialogue de trois jours réunissant divers peuples autochtones et membres de la communauté des droits de la personne afin de discuter d’une vision des droits de la personne reflétant les perspectives, visions du monde et enjeux autochtones. Pendant notre témoignage, il se pourrait que nous fassions référence aux enjeux et recommandations clés ayant découlé de cet événement.
De plus, nous pourrions nous inspirer de propos entendus lors de séances ayant réuni la commission et les communautés, organisations et leaders autochtones en Ontario depuis cet événement de trois jours. Nous vous ferons aussi part de commentaires issus du Groupe consultatif pour la réconciliation avec les Autochtones, qui a été créé pour conseiller la commission sur l’élimination de la discrimination en vertu du code.
Vous savez déjà que le système est criblé d’énormes lacunes — je parlerais même de canyons — en matière de droits de la personne des Autochtones. Nous avons entendu parler des énormes fossés ou canyons séparant les besoins des peuples autochtones des services offerts, ou pas, par les systèmes des droits de la personne. Or, étant donné la contrainte de temps, je vais énumérer certaines des grandes lacunes cernées, et nous pourrons entrer dans les détails pendant la période de questions, si vous le souhaitez.
Les textes de loi sur les droits de la personne se fondent sur la présomption de la souveraineté de la Couronne et de sa primauté sur les lois et coutumes autochtones. Les lois sur les droits de la personne ne reconnaissent ni les peuples autochtones comme les premiers occupants de ce territoire ni leur statut constitutionnel comme premiers peuples. La plupart des outils employés pour la résolution de différends liés aux droits de la personne vont à l’encontre de la majorité des visions du monde et des approches de résolution de conflits autochtones.
Nous pouvons vous proposer des moyens d’améliorer le système, si je puis m’exprimer ainsi. Des partenaires autochtones ont suggéré différentes améliorations au mécanisme existant de protection des droits de la personne afin de mieux promouvoir les droits de la personne des peuples autochtones. En résumé, ces améliorations incluent — comme une collègue à ma gauche vient de le mentionner — d’avoir recours à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, comme cadre central pour comprendre, interpréter et faire valoir les droits de la personne des peuples autochtones au Canada. Il faut modifier les lois fédérales, provinciales et territoriales afin de reconnaître explicitement le statut unique des peuples autochtones; stipuler que la DNUDPA doit éclairer l’interprétation et l’application des lois; et ajouter l’identité autochtone aux motifs de distinction illicites. Nous devons reconnaître les droits et devoirs collectifs, ainsi que les responsabilités positives pour faire respecter les droits sociaux et culturels. Il faut exiger la nomination de commissaires, d’arbitres, de médiateurs et de personnel autochtones dans les institutions se consacrant aux droits de la personne. Nous devons permettre la création de directions de droits de la personne des Autochtones dirigées par des Autochtones au sein des institutions de droits de la personne existantes. Il nous faut établir des processus optionnels de justice réparatrice et des processus distincts pour traiter les plaintes de violation systémique de droits de la personne. Afin d’être efficaces, toutes ces mesures devraient être financées adéquatement.
Les institutions de droits de la personne doivent aussi changer leur façon de travailler avec les peuples autochtones afin de promouvoir les priorités liées aux droits de la personne. Pour ce faire, il faudra une consultation concrète, un partenariat tangible et une élaboration conjointe. Le respect de l’autodétermination et de la souveraineté des Autochtones implique que les communautés autochtones, si elles le désirent, devraient avoir le droit de créer des approches distinctes et uniques pour les droits de la personne, ainsi que des institutions de droits de la personne dirigées par des Autochtones. Les peuples autochtones doivent déterminer quelle forme prendront ces approches et organisations, y compris leurs rôles et pouvoirs.
Les Principes de Paris pourraient être examinés; ils précisent que, pour être efficaces, les institutions des droits de la personne nécessitent un mandat aussi vaste que possible. Toute nouvelle institution doit être permanente et toucher un financement ciblé suffisant afin de permettre l’exercice de tous leurs rôles et pouvoirs. Les liens entre toute nouvelle institution des droits de la personne propre aux Autochtones et les mécanismes existants de protection des droits de la personne seraient définis une fois que l’on connaîtrait toute la portée des pouvoirs des nouvelles institutions.
Étant donné les effets néfastes et continus qu’a la négligence des ordres de gouvernements sur la pleine réalisation des droits des peuples autochtones, toutes les options imaginables doivent être explorées afin de permettre la création de nouvelles institutions propres aux Autochtones qui aborderont les enjeux qui relèvent des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Toutefois, le gouvernement fédéral ne devrait pas laisser des retards dans l’atteinte de ces scénarios idéaux empêcher, si tel est le souhait des Autochtones, la prise de mesures immédiates pour favoriser la conception par des Autochtones d’institutions des droits de la personne propres aux Autochtones; ces institutions seraient dotées du pouvoir d’aborder les enjeux relevant du fédéral. En d’autres mots, laissez-les exercer leur autodétermination, leur autogouvernance et tout ce qu’ils veulent appliquer pour jouir de leurs droits. Merci.
Le président : Merci, madame DeGuire.
Kathryn Oviatt, présidente, Commission albertaine des droits de la personne : Merci beaucoup. Je m’appelle Kathryn Oviatt et je suis présidente de la commission et des tribunaux de la Commission albertaine des droits de la personne. L’Alberta abrite les territoires ancestraux de nombreuses Premières Nations et d’autres peuples autochtones. Nous regroupons 45 Premières Nations et 140 réserves dans les territoires visés par les Traités 6, 7 et 8. De plus, notre province compte huit établissements métis, les six régions de la nation métisse de l’Alberta ainsi que des résidants inuits.
Les droits de la personne des Autochtones représentent une priorité pour notre commission depuis des décennies. En 2021, nous avons conçu une stratégie exhaustive des droits de la personne pour les Autochtones. Cette stratégie est orientée par un cercle consultatif autochtone, composé actuellement de dix membres, neuf d’entre eux étant des femmes autochtones. Les membres viennent des quatre coins de notre province. Nous poursuivons par ailleurs nos consultations engagées et continues des communautés autochtones, y compris auprès d’aînés et de détenteurs du savoir. Ces efforts nous en apprennent beaucoup sur les enjeux, et nous savons qu’il nous reste beaucoup de travail à abattre.
Une des premières mesures que nous avons entreprises dans le cadre de notre stratégie des droits de la personne pour les Autochtones a été de mener un examen externe de toute notre organisation, qui a été dirigé par une tierce partie indépendante détenue par des intérêts autochtones. Cet examen a donné lieu à un rapport, qui nous a fourni 23 recommandations propres à notre organisation. Je veux exprimer clairement que je ne prends pas position parce que l’examen vaut pour un moment précis et que le résultat a pu être influencé par la formulation de la question. Un des thèmes qui en est ressorti est néanmoins que les participants croyaient que la Commission albertaine des droits de la personne est la bonne organisation pour protéger les droits de la personne des Autochtones en Alberta. Mais — et c’est un grand « mais » — il faut réformer le système.
À l’heure actuelle, nous travaillons activement à rendre nos processus plus appropriés sur le plan culturel. Nous avons reçu une plume d’aigle bénie que nous fournirons lors des séances de tribunaux. De plus, nous avons incorporé des pratiques autochtones à nos procédures telles que la purification par la fumée et la prestation de serments avec des objets sacrés.
Afin de mieux comprendre les expériences des plaignants, la commission lancera plus tard cette année un projet de données non regroupées. Nous collecterons ainsi des données démographiques anonymes qui nous permettront de mieux comprendre les profils des plaignants se présentant devant les tribunaux des droits de la personne et l’intersectionnalité des différentes qualités protégées. Nous serons ainsi mieux outillés pour réagir à ces tendances. C’est important, puisqu’un formulaire de plainte ne demande pas nécessairement toutes les qualités protégées, seulement celle pour laquelle on allègue avoir été victime de discrimination.
En outre, nous cherchons activement à nommer des membres du tribunal issus de Premières Nations ainsi que du personnel autochtone et des Premières Nations, tant pour le travail de première ligne que pour les postes de direction. Nous offrons une formation de base à tous les employés, nouveaux et déjà en poste, sur les enjeux autochtones. Voilà certaines de nos initiatives passées et en cours.
Je vais maintenant passer aux considérations pour une future réforme et un nouveau modèle. J’ai cinq éléments à mentionner. Tout d’abord, tout nouveau processus ou réforme nécessite des initiatives dirigées par les Autochtones.
Deuxièmement, il faut reconnaître la diversité parmi les communautés de Premières Nations, d’Indiens non inscrits, de Métis et d’Inuits. Comme je l’ai déjà mentionné, l’Alberta regroupe 45 nations distinctes. Chacune d’entre elles a ses propres traditions et pratiques. De plus, nos huit établissements métis sont uniques au Canada. Il s’agit des seules terres qui sont contrôlées exclusivement par les communautés métisses pour leur propre usage. Cette entente unique implique des expériences et des perspectives qui diffèrent des autres administrations et dont il faut en tenir compte. Au sein de ces communautés distinctes se trouvent des sous-groupes de voix diverses et uniques : des femmes autochtones, des personnes bispirituelles, des communautés LGBTQI et des personnes autochtones ayant des handicaps physiques et mentaux. Nos processus doivent refléter cette diversité.
Troisièmement, la complexité bureaucratique crée des obstacles. On a déjà effleuré le sujet aujourd’hui, mais j’aimerais ajouter quelque chose. Il y a présentement confusion quant au dépôt des plaintes. Les gens se demandent s’ils devraient porter plainte au provincial ou au fédéral. Cet obstacle peut être pire dans des provinces comme l’Alberta, où le délai de prescription est strict, à savoir un an. Tout système des droits de la personne nouveau ou réformé doit tenir compte des conséquences imprévues de la confusion causée par la multiplicité des forums et la complexité bureaucratique.
Quatrièmement, on doit commencer à s’attaquer à la discrimination systémique. Le domaine juridique des droits de la personne s’est développé au fil du temps en se basant sur les droits et responsabilités individuels, mais nous savons que les systèmes créent des obstacles, intentionnels ou non. Il faut aller plus loin. Notre commission travaille présentement à la mise en place d’une équipe chargée de traiter les plaintes pour discrimination systémique afin d’aborder ces enjeux, mais nous n’en sommes qu’au début et le travail est ardu.
Il s’agit de défis et de possibilités, et le dernier point que j’aimerais soulever, c’est qu’il est impossible d’apporter des changements substantiels sans investissements financiers conséquents, et cela s’applique à tous les points que j’ai soulevés jusqu’à présent, mais surtout à la discrimination systémique. Nous avons besoin de ressources adéquates. Nous pouvons faire beaucoup de choses dans le cadre de nos structures actuelles, et de nouvelles structures offrent de nouvelles possibilités, mais nous avons besoin du financement fédéral et provincial pour y parvenir.
Merci. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Oviatt.
[Français]
La sénatrice Audette : J’aimerais ouvrir une parenthèse, chers collègues. Il est quand même impressionnant de voir que ce sont toutes des femmes qui sont à la tête, ou du moins qui sont engagées devant les tribunaux ou dans les commissions. Alors, félicitations à nous! Nous sommes incroyables. Bravo pour votre travail.
J’étais très enthousiaste par rapport à la plupart des commissions ou des tribunaux partout au Canada. En juin 2019, vos organisations ont pris des engagements pour répondre aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ma réflexion, à titre de sénatrice, est de trouver une façon de mettre en place, au Canada, des programmes réparateurs ou des processus qui vont désengorger vos institutions ou organisations, ou encore collaborer avec elles pour s’assurer que l’on puisse avoir des tribunaux ou des espaces où le travail se fait pour et par les peuples autochtones.
Depuis 2019, avez-vous des leçons à partager sur vos méthodes de reddition de compte en ce qui a trait aux appels à la justice? Comment les avez-vous honorés ou appliqués? Quels ont été les difficultés ou les obstacles pour nous rendre meilleurs, de notre côté?
Comment voyez-vous cet espace pour les femmes autochtones qui ont demandé un tribunal, un ombudsman? Comment les provinces et les territoires peuvent-ils collaborer et partager les meilleures pratiques?
[Traduction]
Mme Oviatt : Je vous remercie de la question, qui est nuancée et complexe. Nous avons appris beaucoup de choses dans le dossier des appels à la justice. Voilà pourquoi nous avons lancé notre stratégie en matière de droits de la personne autochtones, qui est basée sur les appels à l’action de la CVR et sur les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous nous sommes également appuyés sur nos collègues, dont certains ici présents, pour apprendre ensemble. C’est ce qui explique la création du Cercle consultatif autochtone et une grande partie de notre travail. Nous savons qu’il en reste encore beaucoup à faire.
En ce qui concerne les processus tenant compte des traumatismes, je crois que nous pourrions entre autres améliorer les services de navigation. C’est ce que nous essayons de faire. Au sein de notre commission, les plaintes sont reçues par une équipe d’accueil, avant d’être traitées par une équipe de conciliation puis de sélection. Notre personnel est formé en matière de navigation à tous les stades. Quelles sont les prochaines étapes? Que devez-vous faire? Que va-t-il se passer?
Si une plainte est ensuite renvoyée au tribunal, nous avons alors un gestionnaire de cas qui agit en tant que navigateur pour la phase du tribunal, et nous travaillons avec les parties pour les aider. Nous ne les représentons pas. Il s’agit d’un rôle neutre de navigation. Nous faisons de la navigation, mais je pense que nous pourrions en faire plus et c’est peut-être là que la question des ressources pourrait entrer en jeu.
Je pense que ce serait bénéfique d’avoir quelqu’un qui accompagne le plaignant à chaque étape et qui reste avec lui tout au long du processus. Nous y travaillons, et nous voulons nous assurer que le message se transmette.
J’aimerais ajouter quelque chose sur le Tribunal canadien des droits de la personne et les pratiques tenant compte des traumatismes. Nous avons beaucoup de pratiques similaires dans notre tribunal. Nous tentons aussi de former nos arbitres sur les effets psychologiques des traumatismes et sur l’incapacité d’une personne de continuer lorsqu’il y a un élément déclencheur. Nous sommes proactifs: nous prenons des pauses, nous reconnaissons les signes de déclenchement, nous demandons aux parties si elles se sentent bien, nous pouvons avoir des demi‑journées, et cetera.
Nous avons besoin que le plaignant nous avertisse de ce qui se passe. Ce n’est pas toujours facile de déceler un élément déclencheur, mais nous tentons d’avoir une discussion à ce sujet avec le gestionnaire de cas en amont, et aussi tout au long du processus, que ce soit lors des conférences préparatoires aux audiences ou à un autre moment. Les arbitres reçoivent habituellement de la formation annuellement. Nous répétons ces messages constamment, parce qu’ils sont si importants. Je pense que le simple fait d’être dans un processus de confrontation peut suffire à déclencher des émotions.
Le président : Quelqu’un désire-t-il ajouter quelque chose avant que nous poursuivions?
[Français]
Mme Nicolet : Merci pour la question. Nous sommes de la commission ontarienne, donc nous ne sommes pas le tribunal. Nous avons eu des expériences en collaboration avec des organismes autochtones ainsi qu’avec notre Centre d’assistance juridique en matière de droits de la personne, en Ontario, qui me portent à réfléchir sur le fait que c’est très difficile. Encourager les autochtones à porter plainte est déjà un défi, d’autant plus en ce qui concerne les femmes autochtones. C’est une expérience que nous avons relativement à certains projets que nous menons avec des groupes qui font de l’éducation dans les centres d’amitié autochtones. Je crois que c’est un élément très important.
Il faut bien comprendre la forte réticence. Je ne le dis pas parce que vous ne le savez pas — vous le savez très bien —, mais parce qu’il faut que ce soit dit. Nous devons composer avec cette forte réticence quand on réfléchit à la façon d’aller de l’avant sur cette question, d’où les recommandons que nous avons reçues qui suggèrent des systèmes différents et non pas nécessairement l’incorporation. Il y a beaucoup d’avis, et ils sont partagés, mais il y a aussi une perspective qui nous dit qu’il faut quelque chose de très séparé.
[Traduction]
Le président : Merci. Vous avez dit que la Commission albertaine des droits de la personne lançait un projet de collecte de données désagrégées. Quelle sera l’implication des peuples autochtones dans la collecte de données dans le cadre de ce projet? Comment les données seront-elles utilisées pour veiller à ce que votre commission réponde aux besoins des peuples autochtones?
Mme Oviatt : Le projet de données désagrégées concerne tous les plaignants. Il n’y a pas de ségrégation; tous les groupes sont concernés. Le projet consiste à en savoir plus sur tous les plaignants et sur la façon dont les multiples caractéristiques se recoupent.
Je sais que la Commission canadienne des droits de la personne et la Colombie-Britannique ont déjà lancé un tel projet, alors je vous inviterais à leur demander comment les choses se passent.
Nous allons suivre le modèle adopté, je crois, par la Colombie‑Britannique, qui demande des données désagrégées sur son formulaire de plainte. La Commission les demande dès le départ.
La confiance est bien sûr un défi dans un tel contexte. Nous avons besoin que les plaignants nous fassent confiance pour nous fournir ces données anonymes. Nous travaillons avec nos groupes d’intervenants, dont le Cercle consultatif autochtone, pour développer des relations au fur et à mesure que nous instaurons ce système, afin que les dirigeants communautaires puissent garantir à leur communauté que ces données sont vraiment anonymes et utilisées dans l’intérêt général et pour comprendre les tendances et les enjeux.
Je vais vous raconter une anecdote. J’ai jugé une affaire de discrimination fondée sur la grossesse. Pendant l’audience, la témoin a révélé qu’elle était également une femme autochtone. Notre système de collecte de données actuel n’aurait pas pu recueillir une telle information. Cette personne autochtone se présentait à nous avec de multiples mécanismes de protection, non pas parce qu’elle était autochtone, mais parce qu’elle était une femme. Voilà pourquoi il est si important d’avoir un projet de données désagrégées. Un tel projet nous permettra de connaître les plaignants et le recoupement de leurs multiples caractéristiques et de savoir ce qu’ils pourront obtenir dans le processus.
Ces données sont anonymes, alors si elles ne sont pas inscrites dans le formulaire du plaignant, la Commission et le tribunal n’y ont pas accès. Elles nous permettent d’avoir une compréhension des antécédents du plaignant, et c’est vraiment important.
Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, sur la façon d’impliquer les peuples autochtones dans la collecte de données, le Cercle consultatif autochtone participera à toutes les étapes du projet et nous mobilisons divers intervenants et menons des consultations pour que les communautés sachent que le processus est sécuritaire et digne de confiance.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Les trois groupes ont présenté des modèles très différents. D’un côté, on préconise un modèle autochtone complètement distinct, conçu à partir de la base, et de l’autre, un modèle très occidental qui cherche à être inclusif. Nous avons également entendu parler d’une sorte de processus de démantèlement et de décolonisation mis en place au sein de votre commission des droits de la personne.
Je ne sais pas si ma question est pertinente. C’est pourquoi j’estime qu’il vous revient de décider si elle l’est ou non.
Je sais qu’il y a des auxiliaires parajudiciaires autochtones dans le système de justice pénale en Alberta, en Saskatchewan, en Colombie-Britannique et en Ontario. Leur rôle consiste à fournir des services avant, pendant et après les audiences au tribunal. Ils peuvent également interagir avec des avocats ou l’aide juridique au tribunal. Ils sont autochtones. Leur rôle est un rôle d’amitié au tribunal. On s’attaque au problème de confiance qui a été soulevé, puisque ce sont des Autochtones qui aident d’autres Autochtones de façon sûre et conforme à leur culture.
Pour tout vous dire, j’ai travaillé pour les Native Counselling Services of Alberta et j’ai supervisé les composantes de guérison des traumatismes historiques dans tous nos travaux. Notre équipe recevait de la formation en matière de traumatismes historiques. Cette formation n’était pas seulement axée sur le traumatisme en soi, mais aussi sur les quatre dimensions du traumatisme historique, sur la manière dont il se manifeste chez un client et sur la façon dont nos interventions devaient tenir compte du traumatisme historique.
Comment incluez-vous les peuples autochtones dans vos processus, que ce soit en faisant appel à leur expertise culturelle ou bien d’autres choses, pour qu’ils vous aident à bâtir ce lien de confiance, de confort et de sécurité qui est si important pour ceux qui passent par votre système?
Mme Prince : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. C’est l’un des enjeux que la juge Walkem a relevés dans le rapport Expanding Our Vision. Elle a essentiellement dit que les Autochtones ne faisaient pas appel au tribunal malgré des enfreintes sérieuses aux droits de la personne, parce qu’il n’y avait pas de présence, de protocoles, de culture ou de lois autochtones. Le tribunal était un établissement colonial dépourvu de présence autochtone. Cela influence la façon dont les gens le perçoivent et la façon dont on opère quotidiennement.
L’une des premières initiatives du tribunal a été d’augmenter la représentation autochtone. S’il n’y avait autrefois aucune présence autochtone, il y en a nettement plus aujourd’hui. Nous avons trois membres autochtones à l’heure actuelle, moi y comprise. Nous avons des conseillers juridiques et des médiateurs autochtones.
La juge Walkem avait également recommandé que nous disposions de navigateurs autochtones au sein de notre processus, ce qui, je crois, s’apparente beaucoup aux auxiliaires parajudiciaires autochtones.
Il s’agit d’un projet en cours d’élaboration depuis trois ans, et nous sommes ravis que quatre navigateurs autochtones aient rejoint notre tribunal récemment et que nous ayons travaillé à leur intégration. Nous voulons que les autochtones qui franchissent nos portes se reconnaissent dans notre tribunal.
La sénatrice LaBoucane-Benson : L’une des choses que nous avons remarquées avec le programme d’auxiliaires parajudiciaires, c’est que ces auxiliaires ont non seulement aidé les clients à naviguer le système, mais ont aussi transformé les salles d’audience en bâtissant des relations essentielles avec les procureurs de la Couronne et les juges. Bon nombre de nos auxiliaires parajudiciaires pourraient aller pêcher avec les juges. Ils bâtissent des relations, ce qui transforme les salles d’audience, qui deviennent alors nettement plus sécuritaires pour les Autochtones.
Avez-vous constaté la même chose? Vos navigateurs ont-ils transformé la vision des arbitres, l’environnement dans lequel vous travaillez et la prestation de services?
Mme Prince : Je sais qu’ils le feront. Le simple fait d’avoir des membres et des médiateurs autochtones au sein de notre tribunal a changé la donne. Tout le monde détient maintenant un niveau de connaissances de base et nous mettons de l’avant certaines idées et expériences vécues tout au long du processus.
Mme Nicolet : J’aimerais simplement faire un bref commentaire. Pour tout vous dire moi aussi, j’ai travaillé pendant 16 ans et 9 mois à la Fédération des centres d’amitié autochtones de l’Ontario en tant que directrice des politiques avant de travailler à la Commission des droits de la personne.
Je connais bien le programme d’assistance parajudiciaire. C’est un bon programme. Par contre, il a été conçu pour réduire la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, ce qui ne s’est pas concrétisé. Je crois qu’il est important de faire la différence entre le programme d’assistance parajudiciaire et ce que mes collègues britanno-colombiens font. L’approche de mes collègues est nettement plus rigoureuse en matière de décolonisation et s’engage à respecter les droits de la personne d’une façon qui se distingue fortement du programme d’assistance parajudiciaire.
Je tiens à faire la distinction, parce qu’il serait dangereux de croire que la simple présence de navigateurs dans le domaine des droits de la personne permettra de régler le problème. Nous avons besoin d’engagements beaucoup plus poussés, selon moi, et probablement aussi de plus de ressources pour réussir.
Mme Ohler : Je voudrais brièvement compléter les propos de ma collègue, Mme Prince. Vous avez parlé de trois modèles fort différents. Je crois qu’il convient de noter que le modèle britanno-colombien est unique. Nous avons un modèle d’accès direct. Nous n’avons pas de commission qui fait enquête et qui guide les gens en amont. Quiconque croit avoir été victime de discrimination peut s’adresser directement à nous.
Comme pour tout processus judiciaire ou autre, il y a des avantages et des inconvénients. Un exemple d’inconvénient serait que nous n’offrons pas de services d’enquête. Comme dans le cas d’un modèle judiciaire, les gens doivent rassembler les preuves dont ils ont besoin et nous les présenter. L’expérience peut être assez solitaire. Comme le savent nos collègues du Tribunal canadien, la plupart des plaignants se présentent devant nous sans représentation.
Cela dit, l’objectif des systèmes administratifs est d’être plus souples que les systèmes judiciaires. S’ils disposent de ressources suffisantes, ils peuvent tirer parti de cette souplesse pour être novateurs et réactifs, ce qui nous permet à notre tour de nous engager dans ce processus de transformation. Notre modèle d’accès direct nous permet de nous consacrer davantage à l’apprentissage et à l’écoute des parties qui se présentent devant nous.
Comme l’a dit Mme Prince, nous sommes convaincus que les navigateurs nous permettront de transformer le système à l’interne, mais je tiens à souligner que nous sommes également capables de transformer nos processus avec ce que nous apprennent les parties qui se présentent devant nous. Elles nous parlent des lacunes, de la façon dont elles ont été lésées, et parfois très franchement. Nous sommes en mesure d’intervenir à cet égard en partie grâce à notre modèle d’accès direct.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie toutes de vos exposés fort instructifs. J’ai aimé vous écouter.
J’ai le mémoire soumis par les témoins de la Colombie-Britannique et les six recommandations que vous avez formulées sous les yeux. J’ai quelques questions à vous poser, mais je crois que vous pouvez toutes y répondre.
Vous avez toutes parlé de ces différents modèles axés sur les Autochtones. Vous avez relevé la chose, madame DeGuire. J’ai ensuite écouté ce que vous aviez à dire sur les besoins en matière de navigateurs. Je viens du milieu de la santé, où il y a ce qu’on appelle des « navigateurs de patients ». Ils sont semblables aux autres, d’une certaine façon. Ils sont souvent nécessaires, et je l’ai dit plus tôt lors de l’exposé de Mme Oviatt.
Les gens ont besoin d’avoir quelqu’un pour les guider dans le processus. Quand je pense à cela, je pense aux différents systèmes de savoirs, aux différentes cultures, aux différentes philosophies et aux différents contextes. Les gens se retrouvent dans des milieux qui ne sont pas les leurs. Si je vais à l’urgence et que je ne sais pas ce qui va m’arriver, je vais beaucoup me méfier de ce qui s’y passe. On va me dire d’aller ici, puis là-bas, puis là-bas, mais je ne saurai pas pourquoi ni ce qui s’y passe. C’est ce que je constate, de la méfiance.
C’est un élément essentiel. Lorsqu’on interagit avec des gens de diverses cultures qui ont divers systèmes de connaissances, les « navigateurs » deviennent très importants, pour expliquer le processus.
Cela m’amène à ma question. Quels seraient les principes directeurs d’une institution des droits des personnes autochtones? J’aimerais aussi savoir comment on peut intégrer les éléments de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sur le terrain? Il est difficile de répondre à ces questions, parce que tout est facile en théorie. Il est plus difficile d’appliquer cette théorie dans la pratique.
Quels sont les divers niveaux auxquels il faut penser? Quelles sont les différences philosophiques et les différences en matière de mise en œuvre auxquelles il faut tenir compte? Comme vous nous l’avez démontré ce soir, il y a plusieurs façons d’atteindre ces objectifs.
J’aimerais connaître votre opinion sur le sujet. Madame Prince, vous avez l’air un peu perplexe. Comment avez-vous intégré les éléments contenus dans la Déclaration à votre processus en Colombie-Britannique? Ou quels seraient vos objectifs en ce sens?
Mme Prince : Oui, je vais essayer de répondre à votre question. Dans le cadre de nos six recommandations, nous faisons valoir que le plan doit respecter la Déclaration, et nous avons reconnu cette exigence dans la loi canadienne et celle de la Colombie-Britannique également.
Pour être honnête, nous en sommes aux premières étapes en vue de rendre le code des droits de la personne de la Colombie‑Britannique conforme à la Déclaration. Comme l’a fait valoir un témoin précédent... Excusez-moi, j’ai perdu le fil de ma pensée.
Nous en sommes aux premières étapes et je crois que, grâce au rapport Expanding Our Vision, nous comprenons que les droits fondamentaux des Autochtones sont perçus différemment et je crois que cette différence se reflète dans la Déclaration. Nous le constatons dans le cadre de notre propre processus, dans les plaintes qui nous sont présentées. Nous avons dit aux Autochtones qu’ils pouvaient avoir confiance en notre tribunal, qu’ils pouvaient nous faire part de leurs plaintes. Or, bon nombre des enjeux systémiques n’ont pas été au cœur des préoccupations. Notre code des droits de la personne n’a pas été élaboré avec en tête les Autochtones, mais plutôt selon une vision très individualiste, coloniale et occidentale de la loi.
Pour bien comprendre les enjeux auxquels font face les Autochtones en matière de droits de la personne, nous devons tenir compte de la Déclaration et notre code doit s’y conformer.
Je demanderais à notre présidente de compléter ma réponse, si vous me le permettez.
La sénatrice Greenwood : Oui, bien sûr.
Mme Ohler : Pour revenir aux propos de Mme Prince au sujet des droits fondamentaux des Autochtones et de leur reconnaissance de façon particulière, la Colombie-Britannique a récemment modifié son code des droits de la personne pour reconnaître l’identité des personnes autochtones à titre de motif de protection précis et distinct, alors qu’avant, les Autochtones devaient faire une demande... Ce n’était pas une demande, mais ils devaient déposer une plainte fondée sur le lieu d’origine ou la race, par exemple. Il y a eu cette reconnaissance émanant des mécanismes provinciaux, qui a donné lieu à la modification du code, ce qui est excellent.
Je voulais aussi aborder la question de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — et c’est un thème récurrent dans les témoignages que vous entendez ce soir — et du financement. L’un des principes fondamentaux de la Déclaration veut que les Autochtones aient non seulement accès à une justice véritable, mais aussi à une justice rapide. Bien sûr, nous comprenons que ces deux éléments sont interreliés. Comme bon nombre d’autres institutions, nous avons été sous-financés pendant très longtemps et nous n’arrivons pas à remplir cette promesse. Nous avons récemment eu droit à un financement accru. L’avenir est donc prometteur, mais il est difficile de vendre l’idée aux Autochtones. On leur parle de tous les changements que l’on a apportés pour rendre le processus accueillant et significatif, mais lorsque les gens passent la porte, on leur dit qu’ils doivent attendre pendant des années parce qu’on n’a pas les ressources nécessaires pour tenir la promesse qui avait été faite pour gagner leur confiance.
Merci.
La sénatrice Greenwood : Merci. C’est excellent. Est-ce que quelqu’un d’autre veut répondre à cette question?
Mme Oviatt : J’ajouterais que... Je ne prends pas position sur le besoin de mettre sur pied une commission ou un tribunal des droits fondamentaux des Autochtones distinct. Tout comme ma collègue du Tribunal canadien des droits de la personne, je travaille pour un organisme constitué en vertu d’une loi et j’applique cette loi qui est en vigueur. Nous pouvons améliorer et modifier les lois, ou nous pouvons créer quelque chose de complètement nouveau.
En guise d’avertissement, j’ajouterais qu’il faut s’assurer que la présence d’un grand nombre de tribunes n’entraîne pas de conséquences imprévues. Il faut veiller à combler cette lacune. Je suis quelque peu inquiète lorsque j’entends parler du principe de l’égalité distincte. Il faut faire attention, surtout lorsque les éléments protégés s’entrecroisent. Il ne s’agit pas d’une simple formule mathématique. Une personne autochtone peut avoir une expérience différente d’une femme autochtone, qui à son tour peut avoir une expérience différente d’une femme autochtone ayant une déficience mentale. Je ne dis pas oui ou non. Je dis qu’il faut songer à cette lacune et faire très attention.
Cela revient aussi aux différentes expériences autochtones. L’expérience des Algonquins ici, à Ottawa, est très différente de celle des Pieds Noirs du sud de l’Alberta. On ne peut traiter tous les peuples de la même façon alors que leurs traditions diffèrent. C’est une autre mise en garde. Je ne dis pas qu’il faut continuer d’utiliser le système actuel, mais je crois qu’il est très important de tenir compte de tous ces facteurs pour mieux servir les Autochtones.
Mme Nicolet : Je ne sais pas si je vais répondre exactement à votre question, mais je vais dire ce que je pense.
Le dialogue de 2018 a permis de dégager trois perspectives distinctes. La première était l’incompatibilité des lois et traditions autochtones. Cette incompatibilité est totale. La deuxième se fondait sur la nécessité ou le besoin stratégique de maintenir les modèles occidentaux et de s’en accommoder.
La troisième perspective rejetait la dichotomie désignée dans les deux premières perspectives et voulait que nous n’ayons pas à faire un choix, et que nous puissions établir quelque chose de nouveau. Ce faisant, nous répondons aux deux questions de façon simultanée et nous pouvons évoluer.
J’ajouterais aussi que, dans les faits, ce qui se passera... L’Ontario compte la plus importante population autochtone du Canada, soit 400 000 personnes, et 372 000 ou 85 % d’entre elles vivent en dehors des réserves. Cela signifie que les gens obtiennent des services en dehors des réserves. Ainsi, leurs droits fondamentaux risquent d’être bafoués dans des régions servies par la Commission ontarienne des droits de la personne. Les plaintes seraient maintenant déposées devant un tribunal.
L’essentiel, à mon avis, est de s’assurer que les gens ont un endroit vers lequel se tourner. Je crois que tout le monde s’entend là-dessus. C’est un point assez évident. Cela signifie que nous avons l’obligation d’évoluer de façon simultanée, sans égard aux mesures qui sont prises. Nous ne pouvons pas freiner notre propre travail.
En Ontario, les gens continueront de se tourner vers le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario. De plus, la Commission des droits de la personne continuera de se pencher sur la question de la discrimination systémique des Autochtones en Ontario. Cela ne disparaîtra pas. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.
La sénatrice Greenwood : Je ne connais pas la réponse. C’est pourquoi je vous pose la question. Merci.
Mme Nicolet : Je ne sais pas si ma réponse répond à votre interrogation; disons-le comme cela.
La sénatrice Greenwood : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Audette : Juste pour que je comprenne, dans mon monde à moi, depuis les années 1970-1980, les services parajudiciaires ne visaient pas à diminuer le nombre de gens incarcérés, mais à travailler avec ceux qui sont pris dans le système de justice. Aujourd’hui, on leur donne beaucoup de mandats, mais pas nécessairement de ressources. Cependant, il y en a qui font un travail remarquable. J’en ai vu à Québec, à Wendake. Tout cela pour dire que je comprends qu’il y a peut‑être une peur ou une préoccupation à savoir que si on a trop d’institutions, on va se mélanger.
Pour les premiers peuples, cela fait longtemps qu’on le dit, le système a échoué. On nous propose des solutions dans le cadre de commissions d’enquête, on nous dit comment on peut collaborer. Je pense qu’il faut travailler ensemble.
Les premiers peuples n’ont pas d’université autochtone, mais mes cinq enfants autochtones peuvent choisir parmi une centaine d’universités canadiennes. Il y a de la place pour créer des institutions pour et par les Autochtones. Votre savoir va être précieux. Il va être précieux parce que vous faites cela depuis longtemps.
J’aimerais que l’on puisse garder cette relation, parce qu’il va y avoir des débats en Chambre, des discussions et peut-être des projets de loi. Vos succès pourraient nourrir nos futurs succès en ce qui a trait à un tribunal autochtone et à un ombudsman ou une ombudswoman — pourquoi pas?
Je veux juste vous rassurer : on ne veut pas tasser de gens. C’est peut-être moi qui ai mal compris, mais malgré la complexité, je suis sûre que l’on peut rendre cela simple quand on travaille ensemble.
[Traduction]
C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Mme Nicolet : Une expression de la concentration.
La sénatrice Audette : Ce n’était pas une question; c’était un commentaire. Votre expertise sera précieuse si nous mettons sur pied un tribunal autochtone un jour... Et il faut le faire. J’espère que je pourrai le voir de mon vivant... un protecteur ou une protectrice des Autochtones. Vos connaissances nous seront précieuses. Est-ce que nous pouvons compter sur vous?
Mme Oviatt : Oui, absolument. Je crois que vous avez entendu diverses opinions des trois organisations présentes, mais je ne crois pas que nous soyons foncièrement en désaccord, surtout au sujet d’un point fondamental : il faut que les Autochtones soient responsables de la solution. Je suis très consciente du rôle que je joue à titre de représentante d’une institution coloniale qui a pour mandat de promouvoir l’égalité au sein de ma province.
Je ne peux pas parler au nom des Autochtones de ma province. J’espère que vous aurez cette conversation avec eux. Je peux uniquement parler au nom de la Commission des droits de la personne de l’Alberta, mais je peux vous dire sans équivoque que le personnel et les membres du tribunal qui font partie de mon organisation sont déterminés à favoriser la réconciliation et à lutter contre la discrimination envers les Autochtones.
Comme je l’ai dit plus tôt, nous sommes un organisme constitué en vertu d’une loi. Ainsi, nous mettons en œuvre la loi qui est en vigueur et nous continuerons de le faire. Si d’autres tribunes et d’autres occasions se présentent, nous serons là en tant que partenaires, parce que le travail en matière d’égalité n’a pas de frontières.
Le président : Merci. La discussion est toujours ouverte si vous avez des questions.
Le sénateur D. Patterson : J’aimerais simplement dire que je suis très impressionné par ce que font les organisations au sein de la structure actuelle pour admettre les lacunes. Je crois qu’on a parlé du défaut de reconnaître les Autochtones. Je crois que ce sont les témoins de l’Ontario qui ont fait ce commentaire. Les modèles coloniaux. On fait de réels efforts pour transformer ces organisations afin d’aborder des enjeux qui n’étaient pas vraiment une préoccupation il y a quelques décennies lorsque les commissions provinciales ont été mises sur pied.
Je me demandais — et je crois que la sénatrice Greenwood a posé la question — s’il était possible de transformer la Commission canadienne des droits de la personne, comme vous semblez l’avoir fait dans vos provinces, même si les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et le mandat de notre comité visent à créer une commission autochtone indépendante et un poste d’ombudsman, ce que nous devons respecter. Je ne pose peut-être pas une question, mais je crois que par l’entremise de votre excellent travail et de vos recommandations, vous nous avez montré une façon d’atteindre cet objectif. Vous l’avez fait selon le cadre existant. Nous avons l’occasion de recommander la création d’un nouveau cadre. Comme l’a fait valoir Mme Nicolet, votre travail nous permettra de comprendre ce qui a été oublié au Canada, et d’assurer l’évolution et la transformation des organismes canadiens existants.
On a répondu à mes questions et à toutes les bonnes questions de mes collègues. J’aimerais donc plutôt faire une observation et vous remercier de nous avoir communiqué ces renseignements réfléchis, exhaustifs et stimulants sur les progrès que vous semblez avoir réalisés.
Mon commentaire se voulait une conclusion, monsieur le président.
Le président : Je vous remercie, sénateur Patterson.
Je rappelle à nos témoins qu’ils peuvent transmettre tout renseignement supplémentaire à notre greffière, Andrea Mugny. Nous serons heureux de les recevoir. Je remercie tous les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui.
(La séance est levée.)